Opinion dissidente de M. Moreno Quintana

Document Number
043-19600608-ADV-01-02-EN
Parent Document Number
043-19600608-ADV-01-00-EN
Document File
Bilingual Document File

OPINION DISSIDENTE DE M. MORENO QUINTANA

Je regrette vivement de ne pas rallier dans cette affaire, ni la
conclusion ni le raisonnement qui l'appuie, de la majorité de mes
Collèguesde la Cour. Et cela pour les motifs que j'cxprime synthé-
tiquement par la suite.

Telle qu'elle a étéposée à la Cour, la demande d'avis consultatif
relève essentiellement de l'application d'un texte légal; dans I'es-
pèce, l'interprétation donnée par l'Assemblée deI'IMCO qui fit
élection des membres de son Comité de la Sécuritémaritime, ail
paragraphe a) de l'article 28 de sa Convention de création. Cette
disposition énonce, pour l'élection des quatorze membres dutlit
Comitéde la Sécurité maritime,une norme d'application générale
et deux normes d'application particulière. La norme généraleest
une norme CL .ase qui qualifie tout le système: celle selon laquelle
lesdits membres seront élus «parmi les membres, gouvernements
des pays qui ont un intérêt importantdans les questions de sécurité
maritime )).Les normes d'application particulière visent, l'une
l'électionau moins de huit membres qui « doivent êtreceux qui
possèdent les flottes de commerce les plus importantes )),l'autre

celle des six autres membres. 11résulte clairement que la norme de
base, qui est la norme principale, joue en toutes circonstances, qu'il
s'agisse de l'élection des huit membres possédant les flottes de
commerce les plus importantes, ou des six autres membres. Tous
sont élusen fonction de la contribution qu'ils peuvent offrir à la
sécuritémaritime. La norme d'application particulière qui se réfère
aux pays possédant les flottes de commerce les plus importantes
est logiquement conditionnée àl'observance de la norme principale.
Celle-ci est inséparable du contexte en entier dudit article 28,
paragraphe a), de la Convention.
L'Assembléede 1'IMCOa étédouéepar ladite Convention des
pouvoirs nécessairespour procéder à l'électionde tous les membres
de son Comitéde la Sécuritémaritime. Elle en constitue son corps

électoral. Sa tâche ne se borne pas à faire une simple constatation
de quels sont les pays qui possèdent lesflottes de commerce les plus
importantes pour élire les huit premiers membres. Elle doit les
qualifier. Une interprétation contraireà ce point de vue donnerait
aux chiffresdetonnage de jauge brute desnavires, selonles tableaux
périodiques du Lloyd's Register of Shipfiing,une fonction déter-
minante que la Convention ne leur a pas attribuée. Si telle avait
étél'intention des rédacteurs de la Convention, ils n'auraient pas
assuré pour remplir.cette tâche le procédéd'une élection, sinon
celui d'une nomination ex oficio.Un pouvoir d'électionest incom-
patible avec une obligation impérative de désignertel ou tel pays.
L'Assembléea, par conséquent, un degré d'appréciation suffisant

31 OPINION DISSIDENTE DE M. MORENO QUINTANA
17~
pour établir selon son critère quels sont les pays qui, ayant un
intérêt important dans les questions de sécurité maritime, sont
ceux qui possèdent les flottes de commerce les plus importantes.
Constituée comme elle l'est par des représentants de pays qui sont
directement intéressésdans la navigation maritime, elle étaità
même d'apprécier lesquelsétaient les mieux qualifiés du point de
vue techniaue Dour assurer la tâche de la sécuritéen mer.
I I
Il faut donner en conséquence,au membre de phrase qui a trait
aux pays « qui possèdent les flottes de commerce les plus importan-
tes», une signification réelletouchant la navigation commerciale
maritime internationale. Cette expression ne se réfère pasnéces-
sairement aux chiffresdes tableaux statistiques d'une organisation
internationale privée qui indiquent le tonnage de jauge brute des
différents pays. Aucune clause de la Convention ne le dit. Ces ta-
bleaux n'ont pas pour but d'établir l'importance des flottes de
commerce des différents pays, sinon l'enregistrement du tonnage
de jauge brute des navires qui battent leur pavillon. Une chose est
l'enregistrement de navires fait par une autorité administrative;
la possession d'une flotte marchande en est une autre. Elle traduit
une réalitééconomiqueinternationale que seul un lien substantiel

d'attachement du propriétaire d'un navire au pavillon qu'il porte
peut établir d'une manière satisfaisante. Telle a été ladoctrine
exprimée par l'article 5 de la Convention sur la haute mer signée
à Genèvele 29 avril1958 à l'unanimité des quatre-vingt-six États
représentés à la Conférence qui l'élabora. Cette disposition, par
laquelle le droit international créeune obligation àla charge du droit
national, constitue aujourd'hui I'opinio +ris gentium en la matière.
Une marine marchande n'est pas une création artificielle. Elle
est un fait qui obéit à des besoins inéluctables d'une économie
nationale. C'est ellequi règle, en fonction de l'activité économique
d'un pays, le montant du mouvement normal de ses échangesinter-
nationaux. Elle ne saurait être destinéeà d'autres fins, sauf quand

un développement considérable decette activité la conduit, comme
dans le cas de pays d'une économiesurdéveloppée,à la réalisation
des industries de services. Le pavillon - symbole suprême dela
souveraineté que le droit international autorise les navires à porter
- doit représenter le degréd'indépendance économiqued'un pays
et non pas l'intérêtde tierces personnes ou sociétés.Ceci est une
conséquencequi découlede la structure mêmede l'économie mon-
diale dont lanavigationde commerce estl'un desprincipaux soutiens.
En vertu de tous ces motifs que l'Assembléede I'IMCOeût plein
droit et loisir d'apprécier,je considère que le Comitéde la Sécurité
maritime de l'Organisation, élu le 15 janvier 1959, a été établi
conformément à la Convention qui lc créa.

(Signé)Lucio M. MORENO QUINTANA.

Bilingual Content

OPINION DISSIDENTE DE M. MORENO QUINTANA

Je regrette vivement de ne pas rallier dans cette affaire, ni la
conclusion ni le raisonnement qui l'appuie, de la majorité de mes
Collèguesde la Cour. Et cela pour les motifs que j'cxprime synthé-
tiquement par la suite.

Telle qu'elle a étéposée à la Cour, la demande d'avis consultatif
relève essentiellement de l'application d'un texte légal; dans I'es-
pèce, l'interprétation donnée par l'Assemblée deI'IMCO qui fit
élection des membres de son Comité de la Sécuritémaritime, ail
paragraphe a) de l'article 28 de sa Convention de création. Cette
disposition énonce, pour l'élection des quatorze membres dutlit
Comitéde la Sécurité maritime,une norme d'application générale
et deux normes d'application particulière. La norme généraleest
une norme CL .ase qui qualifie tout le système: celle selon laquelle
lesdits membres seront élus «parmi les membres, gouvernements
des pays qui ont un intérêt importantdans les questions de sécurité
maritime )).Les normes d'application particulière visent, l'une
l'électionau moins de huit membres qui « doivent êtreceux qui
possèdent les flottes de commerce les plus importantes )),l'autre

celle des six autres membres. 11résulte clairement que la norme de
base, qui est la norme principale, joue en toutes circonstances, qu'il
s'agisse de l'élection des huit membres possédant les flottes de
commerce les plus importantes, ou des six autres membres. Tous
sont élusen fonction de la contribution qu'ils peuvent offrir à la
sécuritémaritime. La norme d'application particulière qui se réfère
aux pays possédant les flottes de commerce les plus importantes
est logiquement conditionnée àl'observance de la norme principale.
Celle-ci est inséparable du contexte en entier dudit article 28,
paragraphe a), de la Convention.
L'Assembléede 1'IMCOa étédouéepar ladite Convention des
pouvoirs nécessairespour procéder à l'électionde tous les membres
de son Comitéde la Sécuritémaritime. Elle en constitue son corps

électoral. Sa tâche ne se borne pas à faire une simple constatation
de quels sont les pays qui possèdent lesflottes de commerce les plus
importantes pour élire les huit premiers membres. Elle doit les
qualifier. Une interprétation contraireà ce point de vue donnerait
aux chiffresdetonnage de jauge brute desnavires, selonles tableaux
périodiques du Lloyd's Register of Shipfiing,une fonction déter-
minante que la Convention ne leur a pas attribuée. Si telle avait
étél'intention des rédacteurs de la Convention, ils n'auraient pas
assuré pour remplir.cette tâche le procédéd'une élection, sinon
celui d'une nomination ex oficio.Un pouvoir d'électionest incom-
patible avec une obligation impérative de désignertel ou tel pays.
L'Assembléea, par conséquent, un degré d'appréciation suffisant

31DISSENTING OPINION OF JUDGE MORENO QUINTANA
[Translation]
To my great regret 1 am unable to agree in this case, either with

the conclusion reached by the majority of my colleagues of the
Court, or with the arguments on which it rests. My reasons are
summarized hereafter.
Tn the form in which it has been put to the Court, the request
for an Advisory Opinion relates essentially to the application of a
legal text, in this case the interpretation given by the IMCOsem-
bly, when it elected the members of its Maritime Safety Committee,
to Article 28,paragraph (a), of the Convention for the establish-
ment of the Organization. This provision lays down, for the election
of the fourteen members of the said Maritime Safety Committee,
one rule of general application and two rules of particular appli-
cation. The general rule is a basic rule which characterizes the whole
system, that according to which the members shall be elected
"from the Members, governments of those nations having an im-
portant interest in maritime safety". The rules of particular appli-
cation relate respectively to the election of not less than eight
inembers which "shall be the largest ship-owning nations" and to
the election of the six othei members. It is clear that the basic
nile, which is the principal rule, is to be applicable in all circum-

stances, whether as regards the election of the eight members being
the largest ship-owning nations or as regards the six other members.
Al1are to be elected in the light of the contribution which they can
make to maritime safety. The particular rule relating to the largest
ship-owning nations is logically subject to the observance of this
principal rule. The latter is inseparable from the entire context of
Article 28 (a) of the Convention.

That Convention confers upon the IMCO Assembly the necessary
powers to elect al1the members of its Maritime Safety Committee.
It establishes it as the electoral body. Its task is not confined to
the mere ascertaining of the largest ship-owning nations and the
electing of the first eight members. It must classify them. Any
other interpretation would confer upon the gross tonnage figures
listed periodically in Lloyd's Register ofShipping a determining
function not attributed to them by the Convention. Had such been
the intention of the drafters of the Convention, they would not,
in order to achieve this purpose, have selected the procedure of
election, but' that of ex oficinoomination. A power of election is

incompatible with a mandatory obligation to designate a particular
country.The Assembly thus has a measure of appreciation sufficient
to determine, according to its own criterion, which ofthose having
an important interest in maritimesafety are the largest ship-owning
'31 OPINION DISSIDENTE DE M. MORENO QUINTANA
17~
pour établir selon son critère quels sont les pays qui, ayant un
intérêt important dans les questions de sécurité maritime, sont
ceux qui possèdent les flottes de commerce les plus importantes.
Constituée comme elle l'est par des représentants de pays qui sont
directement intéressésdans la navigation maritime, elle étaità
même d'apprécier lesquelsétaient les mieux qualifiés du point de
vue techniaue Dour assurer la tâche de la sécuritéen mer.
I I
Il faut donner en conséquence,au membre de phrase qui a trait
aux pays « qui possèdent les flottes de commerce les plus importan-
tes», une signification réelletouchant la navigation commerciale
maritime internationale. Cette expression ne se réfère pasnéces-
sairement aux chiffresdes tableaux statistiques d'une organisation
internationale privée qui indiquent le tonnage de jauge brute des
différents pays. Aucune clause de la Convention ne le dit. Ces ta-
bleaux n'ont pas pour but d'établir l'importance des flottes de
commerce des différents pays, sinon l'enregistrement du tonnage
de jauge brute des navires qui battent leur pavillon. Une chose est
l'enregistrement de navires fait par une autorité administrative;
la possession d'une flotte marchande en est une autre. Elle traduit
une réalitééconomiqueinternationale que seul un lien substantiel

d'attachement du propriétaire d'un navire au pavillon qu'il porte
peut établir d'une manière satisfaisante. Telle a été ladoctrine
exprimée par l'article 5 de la Convention sur la haute mer signée
à Genèvele 29 avril1958 à l'unanimité des quatre-vingt-six États
représentés à la Conférence qui l'élabora. Cette disposition, par
laquelle le droit international créeune obligation àla charge du droit
national, constitue aujourd'hui I'opinio +ris gentium en la matière.
Une marine marchande n'est pas une création artificielle. Elle
est un fait qui obéit à des besoins inéluctables d'une économie
nationale. C'est ellequi règle, en fonction de l'activité économique
d'un pays, le montant du mouvement normal de ses échangesinter-
nationaux. Elle ne saurait être destinéeà d'autres fins, sauf quand

un développement considérable decette activité la conduit, comme
dans le cas de pays d'une économiesurdéveloppée,à la réalisation
des industries de services. Le pavillon - symbole suprême dela
souveraineté que le droit international autorise les navires à porter
- doit représenter le degréd'indépendance économiqued'un pays
et non pas l'intérêtde tierces personnes ou sociétés.Ceci est une
conséquencequi découlede la structure mêmede l'économie mon-
diale dont lanavigationde commerce estl'un desprincipaux soutiens.
En vertu de tous ces motifs que l'Assembléede I'IMCOeût plein
droit et loisir d'apprécier,je considère que le Comitéde la Sécurité
maritime de l'Organisation, élu le 15 janvier 1959, a été établi
conformément à la Convention qui lc créa.

(Signé)Lucio M. MORENO QUINTANA. nations. Being composed, as it is, of representatives of countnes
directly interested in maritime questions, it was in a position to
appreciate which were the best qualified, from the technical view-
point, to assume responsibility for maritime safety.

The reference to "the largest ship-owning nations" must therefore
be regarded as having a practical significance in relation to inter-
national merchant shipping. The words do not necessarily refer to
the gross tonnage figures for the different countries, which appear
i? the statistical tables published by a private international or-
ganization. The Convention contains no provision to that effect.

The purpose of those tables is not to determine the importance of
the merchant fleets of the various nations, but the registered gross
tonnage of the ships sailing under their flag. The registration of
shipping by an administrative authority is one thing, the ownership
of a merchant fleet is another. The latter reflects an international
economic reality which can be satisfactorily established only bythe
existence of a genuine link between the owner of a ship and the
flag it flies. This is the doctrine expressed by Artic5of the Con-
vention on the High Seas which was signed at Geneva on 29 April
1958 by al1the eighty-six States represented at the Conference that
drew it up. This provision, by which international law establishes
an obligation binding in national law, constitutes at the present
time the opinio juris gentium on the matter.

A merchant fleet is not an artificial creation. It is a reality which
corresponds to certain indispensable requirements of a national
economy. As an aspect of the economic activity of a country, it
governs the amount of the normal movement of its international
trade. It cannot be used for other purposes, save only when a great
development of commercial activity leads a country-as in the case
of nations which are ultra-developed economically-to use its fleet
industrially for the provision of services. The flag-that supreme
emblem of sovereignty which international law authorizes ships to

fly-must represent a country's degree of economic independence,
not theinterests of third parties or companies. Thisisa consequence
of the very structure of world economy, of which merchant ship-
ping,is one of the principal supports.
For al1these reasons, which the IMCOAssembly had full authonty
and opportunity to appreciate, 1 consider that the Maritime Safety
Committee of the Organization, which was elected on 15 January
1959, was constituted in accordance with the Convention for the
establishment of the Organization.

(Signed) Lucio M. MORENO QUINTANA.

Document file FR
Document Long Title

Opinion dissidente de M. Moreno Quintana

Links