Opinion individuelle de M. Azevedo

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004-19490411-ADV-01-02-EN
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004-19490411-ADV-01-00-EN
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OPINION INDIVIDUELLE DE M. AZEVEDO

Tout en me ralliant aux conclusions et, en général,aux motifs
sur lesquels elles se fondent, je me permets simplement d'ajouter
de brèves considérations qui sont, à mon avis, nécessaires afin de
développer la réponse à la deuxième question.
Il me semble ainsi utile de fournir un autre critère Dour la
solution des conflits prévusen permettant de dégagerune disfinction
entre l'action principale et une action subsidiaire, qui en aucun cas
nedoit êtreradicalement écartée.L'emploi délibéré du mot (agent »,
dans la demande d'avis, donne matière à une telle suggestion.
On constate, par exemple, que le fonctionnement de l'organisa-
tion des Nations Unies présuppose l'action de deux forces : l'une
qui conduit la penséeet les desseins particuliers des Membres vers
lesorgancs délibératifs,lesquels adoptent par la suite les solutions

exigées par les intérêtsgénérauxde la paix et de la justice, et
l'autre qui tend à l'exécution desdécisions prises.
Ces tâches opposéessont exécutéespar des personnes physiques
distinctes, représentants des Etats Membres et fonctionnaires de
l'organisation des Nations Unies, bien qu'on soit souvent forcé
d'employer les mêmesindividus dans des circonstances contradic-
toires, ce qui a étédéjà remarqué par le professeur BASTID,née
SUZANNE BASDEVANT (Les Fonctioniltairesilzternationaux,Paris,
1938, p. 8).L'exemple de la nouvelle Organisation des Nations
américaines serait plus frappant, en faisant ressortir l'opposition
entre les organes délibératifscréésà Bogota, en 1948, et l'ancienne
Uni011 panaméricaine, conservée à titre permanent et comme
Secrétariat général.
On peut aussi constater que les fonctionnaires sont compris

dans la notion d'ccagentN,mais les représentants des Membres ne
le sont pas, quoique l'O. N. U. puisse avoir intérêtà appuyer une
réclamation proposée, à raison de dommages subis par lesdits
représentants dans l'exercice de fonctions remplies, par exemple
dans les lieux où siègent les organes dont ils font partie.
D'autre part, pour mettre à exécutionles décisionsde ses organes,
l'Organisation des Nations Unies ne peut pas toujours désigner
les fonctionnaires, et il lui faudra parfois choisir des personnes
étrangèresau cadre normal du personnel.
Ni l'articleOO de la Chartede San-Francisco, ni mêmel'article105
de celle-ci, qui mentionneà la fois les fonctionnaires et les représen-
tants des Membres, n'épuisent les hypothèses dans lesquelles des
fonctions sont exercées dans l'intérêtde l'organisation. Cette

insuffisance a étéexpressément reconnue dans la Conventior) du
13 février 1946 sur les privilèges et immunités et dans quelquesI94 OPINION INDIVIDUELLE DE M. AZEVEDO
arrangements et accords conclus avec des États ou des institutions
spécialisées.
En effet, ces actes constatent l'existence d'une troisième classe
- ceile des experts, autres que les fonctionnaires, accomp'issant
des missions pour le compte de l'organisation. A ce propos, il est

intéressant de constater que le Statut de la Cour internationale
de Justice a ajouté,aux textes qui régissaientla Cour permanente, la
concession de privilègeset immunités aux agents, conseils et avocats
des parties (article 42, no 3), et ceux-ci ont été assimilés aux
représentants des Membres de l'Organisation des Nations Unies,
tandis que la situation des témoins et experts, prévue par la .Cour
elle-même, avec l'approbation de l'Assemblée générale,a été
comprise dans la troisième classe ci-dessus indiquée. (C. 1.J.,
Actes et Docume~ztsrelatifs à 1'Organisationdela Cour, no 1,2me éd.,
1947, pp. 85, 86 et 89.)
Ce tertiunz genzcscrée des difficultés et des hésitations, comme
dans toutes les classifications, mais il peut rentrer dans le cadre
de la notion généraled'! agents »plus facilement que la catégorie

des représentants des Etats Membres. Xéanmoins, un nouveau
distinguo s'impose : pour l'exercice des fonctions exceptionnelle-
ment confiées à ceux que lesdites conventions et arrangements
englobent sous le nom d'experts, O? doit choisir des personnes
appartenant aux délégations des Etats Membres ou d'autres
personnes indiquées, soit ' directement par l'organisation des
Nations Unies, soit par les Membres de celle-ci, parmi leurs natio-
naux.
Alors, un autre critère se présente d'après la manière dont est
opéréle choix, que celui-ci soit inspiré par des considérations
purement personnelles, ou, au contraire, par la nationalité des
experts, compte tenu d'éléments d'ordre politique, géographique,
etc. ; en prenant en considération toutefois les connaissances

techniques des candidats.
Dans la désignation des membres de la Cour internationale
de Justice ou de ceux de la nouvelle Commission du Droit inter-
national, on accorde, par exemple, une attention bien plus grande
aux qualités personnelles qu'au critère de la natiorialité, lequel
exerce une influence plutôt négative, lorsqu'il s'agit d'éviter la
prédominance exagéréed'un certain État. Ce n'est donc pas la
nature de la fonction qui importe, mais bien Teprocédédu choix,
qui peut ainsi varier dans le mêmecas.
Sans doute celui qui est invité, à raison de ses propres mérites,
à se charger d'une mission, assume, en principe, un devoir de
fidélitéplus grand envers l'organisation des Nations Unies que

ce n'est le cas d'une personne désignéepar son pays, ou même
par des tiers, à une fonction qui lui serait confiéeeu égard à sa
nationalité. Tout en admettant que, dans les deux cas, les fonc-
tions seront remplies avec indépendance et dans un esprit de hauteI95 OPINION INDIVIDUELLE DE M. AZEVEDO

collaboration, on est forcéde constater que le lien de la nationalité
sera plus difficilement écarté dans la deuxième hypothèse, pour
céderla place à celui qui découle simplement de l'exercice de la
fonction internationale.

En conclusion

S'il s'agit de fonctionnaires ou d'experts nommés directement
par l'organisation des Nati-ons Unies, sans tenir compte de leur
nationalité, la priorité appartiendra à l'Organisation, qui d'ailleurs
pourra présenter la réclamation sans avoir besoin d'invoquer
un déni de justice ni mêmed'établir l'épuisement préalable des
voies de recours internes.
Si, au contraire, ce sont des représentants des États Membres
ou même des experts désignésen considération de leurs pays,

notamment si la désignation est confiéeà ces derniers, l'action
principale se conformera au principe de la nationalité.

(Signé PHILADELPH AZOEVEDO.

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OPINION INDIVIDUELLE DE M. AZEVEDO

Tout en me ralliant aux conclusions et, en général,aux motifs
sur lesquels elles se fondent, je me permets simplement d'ajouter
de brèves considérations qui sont, à mon avis, nécessaires afin de
développer la réponse à la deuxième question.
Il me semble ainsi utile de fournir un autre critère Dour la
solution des conflits prévusen permettant de dégagerune disfinction
entre l'action principale et une action subsidiaire, qui en aucun cas
nedoit êtreradicalement écartée.L'emploi délibéré du mot (agent »,
dans la demande d'avis, donne matière à une telle suggestion.
On constate, par exemple, que le fonctionnement de l'organisa-
tion des Nations Unies présuppose l'action de deux forces : l'une
qui conduit la penséeet les desseins particuliers des Membres vers
lesorgancs délibératifs,lesquels adoptent par la suite les solutions

exigées par les intérêtsgénérauxde la paix et de la justice, et
l'autre qui tend à l'exécution desdécisions prises.
Ces tâches opposéessont exécutéespar des personnes physiques
distinctes, représentants des Etats Membres et fonctionnaires de
l'organisation des Nations Unies, bien qu'on soit souvent forcé
d'employer les mêmesindividus dans des circonstances contradic-
toires, ce qui a étédéjà remarqué par le professeur BASTID,née
SUZANNE BASDEVANT (Les Fonctioniltairesilzternationaux,Paris,
1938, p. 8).L'exemple de la nouvelle Organisation des Nations
américaines serait plus frappant, en faisant ressortir l'opposition
entre les organes délibératifscréésà Bogota, en 1948, et l'ancienne
Uni011 panaméricaine, conservée à titre permanent et comme
Secrétariat général.
On peut aussi constater que les fonctionnaires sont compris

dans la notion d'ccagentN,mais les représentants des Membres ne
le sont pas, quoique l'O. N. U. puisse avoir intérêtà appuyer une
réclamation proposée, à raison de dommages subis par lesdits
représentants dans l'exercice de fonctions remplies, par exemple
dans les lieux où siègent les organes dont ils font partie.
D'autre part, pour mettre à exécutionles décisionsde ses organes,
l'Organisation des Nations Unies ne peut pas toujours désigner
les fonctionnaires, et il lui faudra parfois choisir des personnes
étrangèresau cadre normal du personnel.
Ni l'articleOO de la Chartede San-Francisco, ni mêmel'article105
de celle-ci, qui mentionneà la fois les fonctionnaires et les représen-
tants des Membres, n'épuisent les hypothèses dans lesquelles des
fonctions sont exercées dans l'intérêtde l'organisation. Cette

insuffisance a étéexpressément reconnue dans la Conventior) du
13 février 1946 sur les privilèges et immunités et dans quelques INDIVIDUAL OPINION BY JUDGE AZEVEDO.

[Translation.]
1 agree with the findings and, in general, with the reasons on
which they are based, and merely wish to add a few remarks
whicli are, in my opinion, a necessary development of the reply
to the second question.

1 think another criterion must be supplied foi- the settlemeiit
of differences that-mayarise: the drawing of a distinction between
the main claim and a subsidiary claim, which must certainly
not be neglected. The deliberate use of the word -"agentw in
the Request for an 0pinion.gives rise to this suggestion.
It is to be observed that the working of the United Nations
presupposes the action of two forces : one which directs the
thought and the particular purposes of Members towards the
deliberative organs, which thereupon adopt the solutions required
by the general interests of peace and justice ;and one devoted
to the carrying out of the decisions taken.
These different duties are carried out by distinct physical
perçons : the representatives of States Members and the officials
of the Organization, although it is often necessary to use thesame
individuals in different circumstances, as has already been stated

by Professor BASTID, née SUZANNE BASDEVAN Les Fonction-
naires internationaux, Paris, 1938, p. 8). The example of the
new Organization of Ainerican Nations would be the most striking,
with its distinction between the deliberative organs set up at
Bogota in 1948, and the former Pan-American Union retained
permanently as General Secretariat.

It may also be noted that officials are included in the notion
of "agent", but representatives of Members are not, although
the Organization may be interested in supporting a proposed
claim for injuries suffered by such representatives in the per-
formance of their duties, e.g., in places where organs to which
they belong are Sitting.
On the other hand, to carry out the decisions of its organs,
the Organization cannot always appoint officials, and must some-

times choose persons from outside its normal staff.

The different kinds of duties that are performed in the interest
of the Organization are not fully set out in Article IOO of the
.San Francisco Charter, nor yet in Article 105, which mentions
both officials and representatives of Members. This insufficiency
was expressly recognized in the Convention of February 13th,
1946, on Privileges and Immunities, and in certain arrangementsI94 OPINION INDIVIDUELLE DE M. AZEVEDO
arrangements et accords conclus avec des États ou des institutions
spécialisées.
En effet, ces actes constatent l'existence d'une troisième classe
- ceile des experts, autres que les fonctionnaires, accomp'issant
des missions pour le compte de l'organisation. A ce propos, il est

intéressant de constater que le Statut de la Cour internationale
de Justice a ajouté,aux textes qui régissaientla Cour permanente, la
concession de privilègeset immunités aux agents, conseils et avocats
des parties (article 42, no 3), et ceux-ci ont été assimilés aux
représentants des Membres de l'Organisation des Nations Unies,
tandis que la situation des témoins et experts, prévue par la .Cour
elle-même, avec l'approbation de l'Assemblée générale,a été
comprise dans la troisième classe ci-dessus indiquée. (C. 1.J.,
Actes et Docume~ztsrelatifs à 1'Organisationdela Cour, no 1,2me éd.,
1947, pp. 85, 86 et 89.)
Ce tertiunz genzcscrée des difficultés et des hésitations, comme
dans toutes les classifications, mais il peut rentrer dans le cadre
de la notion généraled'! agents »plus facilement que la catégorie

des représentants des Etats Membres. Xéanmoins, un nouveau
distinguo s'impose : pour l'exercice des fonctions exceptionnelle-
ment confiées à ceux que lesdites conventions et arrangements
englobent sous le nom d'experts, O? doit choisir des personnes
appartenant aux délégations des Etats Membres ou d'autres
personnes indiquées, soit ' directement par l'organisation des
Nations Unies, soit par les Membres de celle-ci, parmi leurs natio-
naux.
Alors, un autre critère se présente d'après la manière dont est
opéréle choix, que celui-ci soit inspiré par des considérations
purement personnelles, ou, au contraire, par la nationalité des
experts, compte tenu d'éléments d'ordre politique, géographique,
etc. ; en prenant en considération toutefois les connaissances

techniques des candidats.
Dans la désignation des membres de la Cour internationale
de Justice ou de ceux de la nouvelle Commission du Droit inter-
national, on accorde, par exemple, une attention bien plus grande
aux qualités personnelles qu'au critère de la natiorialité, lequel
exerce une influence plutôt négative, lorsqu'il s'agit d'éviter la
prédominance exagéréed'un certain État. Ce n'est donc pas la
nature de la fonction qui importe, mais bien Teprocédédu choix,
qui peut ainsi varier dans le mêmecas.
Sans doute celui qui est invité, à raison de ses propres mérites,
à se charger d'une mission, assume, en principe, un devoir de
fidélitéplus grand envers l'organisation des Nations Unies que

ce n'est le cas d'une personne désignéepar son pays, ou même
par des tiers, à une fonction qui lui serait confiéeeu égard à sa
nationalité. Tout en admettant que, dans les deux cas, les fonc-
tions seront remplies avec indépendance et dans un esprit de haute INDIVIDUAL OPINION BY JUDGE AZEVEDO I94
and agreements concluded with States or Specialized Agencies.

These acts show that there exists a third clasç-that of experts,
other than officiais, who perform duties on behalf of the
Organization. On this subject, it is interesting to note that the
Statute of the International Court of Justice added to the pro-
visions relating to the Permanent Court a concession of privileges
and immunities to agents, counsel and advocates of the parties
(Article 42 (3)), who are assimilated to representatives of Members
of the Organization ; whilst witnesses and experts were, by the
Court itself, with the approval of the General Assembly, included
in the third class mentioned above. (I.C.J., Acts and Doctmte~zts
concerning the Organization of the Court, No. 1, second edition,
1947, PP. 85, 86 and 89.)

This third class gives rise to difficulties and uncertainty, as

happens in ail classifications ;but it may be included under .the
general heading of "agents" more easily than under represen-
tatives of the Members. But a further distinction must be made :
to perform duties exceptionally entrusted to those classified as
experts in the conventions and arrangements,. persons must be
chosen who belong to delegations of the Members, or other suitable
persons appointed either directly by the Organization, or by the
Members from amongst their nationals.

Then another distinction must be made, according to the manner
in which the choice is effected, whether on purely persona1 grounds,
or on the contrary by the nationality of the experts, account being
taken of political, geographical, etc., considerations, but in any
case, having regard to the technical knowledge of candidates.

For instance, in the appointment of Members of the International
Court of Justice or of the new International Law Commission, much

more attention is paid to personal qualities than to nationality,
the influence of which is rather negative, when an exaggerated
predominance of one State is to be avoided. Thus, it is not the
nature of the duties that is important, but the method of selection,
whicli may consequently Vary in the same case.

No doubt, a person who, owing to his own merits, is entrusted
with a mission, assumes in principle a duty of greater devotion
towards the Organization than does one who is appointed by his
country, or even by third parties,to a task entrusted to him, having
regard to his nationality. While admitting that, in both cases,
the duties will be performed with independence and in a spirit of
devoted co-operation, it must be observed that the tiesof nationa ityI95 OPINION INDIVIDUELLE DE M. AZEVEDO

collaboration, on est forcéde constater que le lien de la nationalité
sera plus difficilement écarté dans la deuxième hypothèse, pour
céderla place à celui qui découle simplement de l'exercice de la
fonction internationale.

En conclusion

S'il s'agit de fonctionnaires ou d'experts nommés directement
par l'organisation des Nati-ons Unies, sans tenir compte de leur
nationalité, la priorité appartiendra à l'Organisation, qui d'ailleurs
pourra présenter la réclamation sans avoir besoin d'invoquer
un déni de justice ni mêmed'établir l'épuisement préalable des
voies de recours internes.
Si, au contraire, ce sont des représentants des États Membres
ou même des experts désignésen considération de leurs pays,

notamment si la désignation est confiéeà ces derniers, l'action
principale se conformera au principe de la nationalité.

(Signé PHILADELPH AZOEVEDO. INDIVIDUAL OPINION BY JUDGE AZEVEDO I95
will, in the second case, be harder to throw off and to replace by

attachment to the performance of international duties.

In conclusion :

In the case of officials or experts appointed directly by the
Organization, regardless of nationality, the Organization willhave
a priority and may make a claim without having to put fonvard
a denial of justice, or even to show that domestic remedies have
been exhausted.

On the other hand, in the case of representatives of.States hlem-
bers, or even of experts appointed having regard to their countries
-expecially if the appointment is made by these countries-the
main claim will conform to the principle of nationality.

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