Opinion individuelle de M. Alvarez

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004-19490411-ADV-01-01-EN
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004-19490411-ADV-01-00-EN
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OPINION INDIVIDUELLE DE M. ALVAREZ

OPINION INDIVIDUELLE DE M. ALVAREZ

Je suis d'accord avec la réponsefaite par la Courà la demande
,d'avis consultatif qui lui a étéadressée. Je vois, dans les motifs
que la Cour en a donnés, une application au moins partielle de la
.méthodeet des idéesqui, selon mon opinion, conviennent à l'état
actuel de la vie internationale, et l'exercice du pouvoir que je
reconnais àla Cour de développerle droit international et de contri-
buer à sa création en face de situations nouvelles. Or, la Cour a
considéré, avec raison, que la situation qui lui était soumise en lui
demandant de dire le droit, était une situation nouvelle. En recon-
naissant que l'Organisation des Nations Unies a qualitépour présen-
ter une réclamation internationale dans le cas considéréet aux fins
énoncées dansla demande d'avis, ellea énoncéun précepte nouveau
de droit international. Dire qu'elle a, de la sorte, développéce
droit ou qu'elle a crééun précepte est une question de mots: dans

bien des cas, en effet, il est impossible de dire où finit le dévelop-
pement du droit et où commence sa création.

En se prononçant ainsi sur ce cas nouveau, la Cour a tenu compte
de la nature et des buts de l'Organisation des Nations Unies et
.ellea uséde la faculté qu'ellea actuellement, en vertu de la Résolu-
tion 171 de l'Assembléegénérale des Nations Unies de 1947 ,e
développer le droit international.
La décisionà laquelle la Cour a abouti me parait conforme aux
principes générauxde droit international nouveau, à la conscience
juridique des peuples et aux exigences de la vie internationale
contemporaine, trois facteurs essentiels prendre en considération
dans le développement du droit international.
J'estime donc que la réponse à la première question poséedans
la demande d'avis doit êtreque l'Organisation des Nations Unies
a la personnalifé juridique internationale et la faculté de présenter
des réclamations internationales contre leÉtats qui ont causéles
dommages dont il s'agit.
L'Organisation des Nations Unies ne pourrait pas atteindre Ieç

buts qu'elle se propose si elle n'avaitpas cette facuIté. On ne
comprendrait pas qu'une institution qui a des pouvoirs si étendus
pour le maintien de la paix ne puisse pas jouir dela qualité dont
il s'agit.Igl OPINION INDIVIDUELLE DE M. ALVAREZ

II.

Mes réponses aux questions posées à la Cour dans la demande
d'avis consultatif sont donc les suivantes :

«1. Au cas où un agent des Nations Unies subit, dans
l'exercice de ses fonctions, un dommage dans des conditions de
nature à engager la responsabilité d'un Etat, l'organisation des
Nations Unies a-t-elle qualité pour présenter contrele gouverne-
ment de jure ou de factoresponsable une réclamationinternationale
en vue d'obtenir la réparation dedommages causés a) aux Nations
Unies, b) à la victime ou à ses ayants droit ?1)

J'estime que, comme je viens de le dire, l'organisation des
Nations Unies a qualité pour présenter une telle réclamation en
vue d'obtenir la réparation de dommages causéstant à elle-même
qu'à ses agents ou à leurs ayants droit.

«II. En cas de réponse affirmativesur le point 1 b), comment
l'action del'Organis+ion des Nations Unies doit-elle se concilier
avec les droits que1'Etat dont la victime est ressortissant pourrait
posséder ?1,

A mon avis, en vertu de la qualité ci-dessus qui doit êtrereconnue

à l'organisation des Nations Unies,il n'est pas nécessaireque celle-ci
agisse d'accord avec 1'Etat dont la victime est ressortissant.Il peut
arriver, en effet, que cette victime soit apatride, ou que cet Etat
négligede présenter une réclamation ou ne veuille pas le faire pour
des considérations politiques ou autres, ou encore que la victime
ait la nationalité du pays défendeur. Dans tous les cas, l'organisa-
tion des Nations Unies peut demander, seule, la réparation des
dommages subis par ses agents ou leurs ayants droit. Mais si elle
néglige de présenter la réclamation, 1'Etat dont la victime est

ressortissant peut le faire.

L'Organisation des Natioiiç Unies doit pouvoir présenter ladite
réclamation tant contre un Etat Membre des Natjons Unies que
contre un État non membre et sans distinguer si 1'Etat a consenti
ou non à l'envoi de son agent sur son territoire. La nature de cette
Organisation, ainsi que l'intérêt généraelx , igent qu'il en soit ainsi,
afin qu'il n'y ait pas d'infériorité,en quelque sorte, des premiers
par rapport aux seconds. (Voir art. 2,no 6,de la Charte.)
Le fait de reconnaître à l'organisation des Nations Unies la

faculté de présenter des réclamations internationales constitue
une dérogation aux préceptes du droit international a~tuellement
en vigueur, lequel donne cette faculté seulement aux Etats ;mais
ceux-ci acccptcroilt que ladite faculte soit reconnue aiissi à.la plus
haute institution i1itcrn:itioiialc.
21Ig2 OPINION INDIVIDUELLE DE M. ALVAREZ

Il y a lieu de remarquer, enfin, que l'organisation des Nations
Unies est une institution qui a un caractère politique et que celui-ci
pourra influer sur son attitude. conviendrait donc que soient
établisun organisme et une procédure pour cette matière.

(Signé A)LEJANDRA OLVAREZ.

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OPINION INDIVIDUELLE DE M. ALVAREZ

OPINION INDIVIDUELLE DE M. ALVAREZ

Je suis d'accord avec la réponsefaite par la Courà la demande
,d'avis consultatif qui lui a étéadressée. Je vois, dans les motifs
que la Cour en a donnés, une application au moins partielle de la
.méthodeet des idéesqui, selon mon opinion, conviennent à l'état
actuel de la vie internationale, et l'exercice du pouvoir que je
reconnais àla Cour de développerle droit international et de contri-
buer à sa création en face de situations nouvelles. Or, la Cour a
considéré, avec raison, que la situation qui lui était soumise en lui
demandant de dire le droit, était une situation nouvelle. En recon-
naissant que l'Organisation des Nations Unies a qualitépour présen-
ter une réclamation internationale dans le cas considéréet aux fins
énoncées dansla demande d'avis, ellea énoncéun précepte nouveau
de droit international. Dire qu'elle a, de la sorte, développéce
droit ou qu'elle a crééun précepte est une question de mots: dans

bien des cas, en effet, il est impossible de dire où finit le dévelop-
pement du droit et où commence sa création.

En se prononçant ainsi sur ce cas nouveau, la Cour a tenu compte
de la nature et des buts de l'Organisation des Nations Unies et
.ellea uséde la faculté qu'ellea actuellement, en vertu de la Résolu-
tion 171 de l'Assembléegénérale des Nations Unies de 1947 ,e
développer le droit international.
La décisionà laquelle la Cour a abouti me parait conforme aux
principes générauxde droit international nouveau, à la conscience
juridique des peuples et aux exigences de la vie internationale
contemporaine, trois facteurs essentiels prendre en considération
dans le développement du droit international.
J'estime donc que la réponse à la première question poséedans
la demande d'avis doit êtreque l'Organisation des Nations Unies
a la personnalifé juridique internationale et la faculté de présenter
des réclamations internationales contre leÉtats qui ont causéles
dommages dont il s'agit.
L'Organisation des Nations Unies ne pourrait pas atteindre Ieç

buts qu'elle se propose si elle n'avaitpas cette facuIté. On ne
comprendrait pas qu'une institution qui a des pouvoirs si étendus
pour le maintien de la paix ne puisse pas jouir dela qualité dont
il s'agit. INDIVIDUAL OPINION BY JUDGE ALVAREZ

INDIVIDUAL OPINION BY JUDGE ALVAREZ.

[Translation.]
1.

1 am in agreement with the answer given by the Court to the
Request for an Advisory Opinion which was addressed to it. 1
find in the reasons given by the Court at any rate a partial appli-
cation of the method and.principles which, in my view, are most
suitable having regard to the present state of international life
and to the exercise of the power, which 1 recognize the Court
as possessing, to develop international law and to contribute to
its creation in face of new situations.The Court has rightly con-
sidered that the situation which was submitted to it, with a request
that it should declare the law concerning it, was a new situation.
While recognizing that the United Nations has the capacity to
bring an international claim in the case in point and for the purposes
set forth in the Request for the Opinion, the Court has proclaimed
a new precept of international law. To Say that, in so doing, it
is
has developed that law, or that it has created a new precept,
a mere matter of words, for in many cases it is quite impossible
to Say where the development of law ends and where its creation
begins .
In thus declaring its opinion on this new subject, the Court has
taken into account the nature and aims of the United Nations,
and it has availed itself of the right which it now possessesunder
Resolution 171 of the General Assembly of the United Nations in
1947 to develop international law.
The decision which the Court has arrived at appears to me to be
in accordance with the general principles of the new international
law, the legal conscience of the peoples and the exigencies of
contemporary international life-threeessential factors which have
to be taken into account in the development of international law.
1 therefore consider that the answer to the first question stated
in the Request for an Opinion should be that the United Nations

possesses an international juristic personality and is entitled to
bring international claims against States which have caused the
damage in question.
The United Nations could not attain the objects which it has
before it if it did not possess that right. It would be strange
indeed if an institution which has such extensive powers for the
maintenance of peace did not possess the capacity which has been
referred to.Igl OPINION INDIVIDUELLE DE M. ALVAREZ

II.

Mes réponses aux questions posées à la Cour dans la demande
d'avis consultatif sont donc les suivantes :

«1. Au cas où un agent des Nations Unies subit, dans
l'exercice de ses fonctions, un dommage dans des conditions de
nature à engager la responsabilité d'un Etat, l'organisation des
Nations Unies a-t-elle qualité pour présenter contrele gouverne-
ment de jure ou de factoresponsable une réclamationinternationale
en vue d'obtenir la réparation dedommages causés a) aux Nations
Unies, b) à la victime ou à ses ayants droit ?1)

J'estime que, comme je viens de le dire, l'organisation des
Nations Unies a qualité pour présenter une telle réclamation en
vue d'obtenir la réparation de dommages causéstant à elle-même
qu'à ses agents ou à leurs ayants droit.

«II. En cas de réponse affirmativesur le point 1 b), comment
l'action del'Organis+ion des Nations Unies doit-elle se concilier
avec les droits que1'Etat dont la victime est ressortissant pourrait
posséder ?1,

A mon avis, en vertu de la qualité ci-dessus qui doit êtrereconnue

à l'organisation des Nations Unies,il n'est pas nécessaireque celle-ci
agisse d'accord avec 1'Etat dont la victime est ressortissant.Il peut
arriver, en effet, que cette victime soit apatride, ou que cet Etat
négligede présenter une réclamation ou ne veuille pas le faire pour
des considérations politiques ou autres, ou encore que la victime
ait la nationalité du pays défendeur. Dans tous les cas, l'organisa-
tion des Nations Unies peut demander, seule, la réparation des
dommages subis par ses agents ou leurs ayants droit. Mais si elle
néglige de présenter la réclamation, 1'Etat dont la victime est

ressortissant peut le faire.

L'Organisation des Natioiiç Unies doit pouvoir présenter ladite
réclamation tant contre un Etat Membre des Natjons Unies que
contre un État non membre et sans distinguer si 1'Etat a consenti
ou non à l'envoi de son agent sur son territoire. La nature de cette
Organisation, ainsi que l'intérêt généraelx , igent qu'il en soit ainsi,
afin qu'il n'y ait pas d'infériorité,en quelque sorte, des premiers
par rapport aux seconds. (Voir art. 2,no 6,de la Charte.)
Le fait de reconnaître à l'organisation des Nations Unies la

faculté de présenter des réclamations internationales constitue
une dérogation aux préceptes du droit international a~tuellement
en vigueur, lequel donne cette faculté seulement aux Etats ;mais
ceux-ci acccptcroilt que ladite faculte soit reconnue aiissi à.la plus
haute institution i1itcrn:itioiialc.
21 INDIVIDUAL OPINION BY JUDGE ALVAREZ

II.

My answers to the questions put to the Court in the Request for
an Advisory Opinion are as follows :
In the event of an agent ofthe United Nations in the perfor-
mance of his duties suffering injury in circumstances involving the
responsibility of a State, has the United Nations, as an Organiza-
tion, the capacity to bring an international claim against the
responsible de jure or dehcto government with a view to obtaining
the reparation due in respect of the damage caused (a)to the United
Nations, (b)to the victim or to persons entitled through him ?"

1 consider, as 1 have just said, that the United Nations has the
capacity tO bring such a claim with a view to obtaining reparation
for damage caused either to itself or to its agents or persons entitled
through them.

"II. In the event of an affirmative reply on point 1 (b),how is
action by the United Nations to be reconciled with such rights as
may be possessed by the State of which the victim isa national ?"

In my opinion, having regard to the above-mentioned capacity,
which the United Nations must bc recognized as possessing, it is
not necessary that the latter should act in agreement with the
State of which the victim is a national. It might happen, for

instance, that the victim was a stateless person, or that the State
in question might neglect to submit a claim, or might be unwilling
to do so for political or other reasons; or again, the victim might
have the nationality of the respondent State. In any case
the United Nations Organization is cntitled, by itself, to claim
reparation for the damage caused to its agents or to those entitled
through them ; but if it neglects to bring a claim, the State of which
the victim is a national may do so.
The United Nations must be able to bring the claim either against
a State 3,iember of the United Nations or against a non-member
State, irrespective of whether the State did or did not agree to the
despatch of the agent to its territory. Thenature of the Organiza-
tion and the general iriterest make this necessary so that there
should not bc an inferiority-so to speak-of the former kind of

States in relation to thelatter. (SeeNo. 6 of Art. 2 of the Charter.)
The fact of recognizing the United Nations as possessing the
right to bring international claims constitutes a derogation from
the precepts of the international law now in force, for that law
only attributes this right to the States ; but the latter will con-
sent to this right being also attributed to the highest international
institution.
2 1Ig2 OPINION INDIVIDUELLE DE M. ALVAREZ

Il y a lieu de remarquer, enfin, que l'organisation des Nations
Unies est une institution qui a un caractère politique et que celui-ci
pourra influer sur son attitude. conviendrait donc que soient
établisun organisme et une procédure pour cette matière.

(Signé A)LEJANDRA OLVAREZ. INDIVIDUAL OPINION BY JUDGE ALVAREZ 192
Finally, it should be observed that the United Nations is an
institution possessing a political character, and that this character
may influence iis attitude. It is therefore desirable that an organ-
ism and a procedure should be established for dealing with this

matter.

(Signed) ALEJANDRO ALVAREZ.

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Opinion individuelle de M. Alvarez

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