Déclaration de M. le juge Cançado Trindade

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116-20150701-ORD-01-01-EN
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116-20150701-ORD-01-00-EN
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585

DÉCLARATION
DE M. LE JUGE CANÇADO TRINDADE

[Traduction]

1. J’ai voté en faveur de la présente ordonnance — adoptée à l’unani -

mité — qui a été rendue dans l’affaire des Activités armées sur le territoire
du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda) et par laquelle
la Cour internationale de Justice a jugé qu’il y avait lieu de repérendre la

procédure sur la question des réparations en l’espèce. Je suéis cependant
d’avis que la Cour aurait dû, pour étayer son ordonnance rendueé ce jour,
1erjuillet 2015, exposer plus en détail les faits qui ont été portéés à son

attention par les deux Parties. La République démocratique du Congéo
(RDC) et l’Ouganda lui ont en effet, depuis quelques années, traénsmis
différentes communications concernant les négociations qu’ellesé menaient
au sujet de la réparation des dommages causés 1, en application du

point 14) du dispositif de l’arrêt qu’elle avait rendu le 19 décembre 2005
en la présente espèce.
2. Deux ans après l’arrêt de 2005 — le8 septembre 2007 —, lors d’une

réunion tenue à Ngurdoto (Tanzanie), les deux Parties étaienté convenues
de constituer un comité ad hoc chargé notamment d’examiner la question
de l’exécution dudit arrêt en ce qui concerne les réparationés (article 8 de

l’accord). Après la conclusion de cet accord bilatéral, elles éont tenu quatre
réunions ministérielles en Afrique du Sud, rendant compte à la éCour des
difficultés persistantes qu’elles rencontraient dans les négocéiations 2et des
efforts accomplis en matière de production de preuves à l’occaséion,

notamment, de la réunion du comité ad hoc susmentionné, tenue à
Kinshasa du 10 au 14 décembre 2012 dans un esprit « de fraternité et
d’amitié» 3. Au cours de la très récente réunion interministérielle qu’éelles

ont tenue à Pretoria du 17 au 19 mars 2015, les Parties ont conclu que,
malgré leurs efforts, déployés dans « un esprit de fraternité et de bon voi -
sinage », elles n’étaient pas parvenues à un accord, et que leurs néégocia-

1 Il s’agit des lettres datées des 10 mars et 7 mai 2015 adressées à la Cour par la RDC et
de celles des 25mars et 10octobre 2015 adressées à la Cour par l’Ouganda.A ces communi-
cations s’ajoutent celles des années précédentes : lettres datées des 4 septembre et 19 février
2014 de l’Ouganda et lettre du mars 2014 de la RDC ; lettre du 1octobre 2013 de
l’Ouganda et lettre du 6 février 2013 de la RDC ; lettres des 7 novembre et 19 avril 2012 de
l’Ouganda et lettres des 23 septembre, 5 juillet et 13 juin 2011 de la RDC; lettre du 25 août
2010 de la RDC et lettre du 6 septembre 2010 de l’Ouganda.
2
Voir notamment le procès -verbal officiel de la réunion ministérielle tenue les
13314 septembre 2012 à Johannesburg.
Ainsi que cela a été relevé dans le procès-verbal de la réunion de Kinshasa en date du
14 décembre 2012.

9

4 CIJ1082.indb 591 28/04/16 15:39 activités armées (décl. céançado trindade) 586

tions se trouvaient donc dans l’impasse, « au niveau tant technique que
4
ministériel » .
3. Il convient de rappeler que, dans le dispositif de son arrêt susmen -
tionné du 19 décembre2005, soit il y a près de dixans, la Cour avait énoncé
l’obligation de réparation incombant aux Parties — au point 5) s’agissant

de l’Ouganda et au point13) pour ce qui est de la RDC. Or ce n’est pas, me
semble-t-il, parce que les points 5) et 13) ne précisaient à cet effet aucune
limite dans le temps que les négociations (en vue de parvenir à uén accord
sur les réparations) pouvaient se poursuivre indéfiniment, comme cela a

pourtant été le cas. Une période de près de dix années s’éétant écoulée, le
délai raisonnable a en effet largement été dépassé, dèés lors que l’on se place
du point de vue des victimes, qui attendent toujours que justice leur soéit
rendue. Ayant reconnu, dans son arrêt de 2005, les souffrances endurées

par la population l5cale pendant les conflits qui avaient embrasé léa région
des Grands Lacs , la Cour aurait dû également fixer un délai raisonnable
pour que soient réparés les dommages infligés aux victimes.
4. Selon moi, la leçon à tirer de la décennie qui s’est ainsi éécoulée dans

l’attente du règlement de la question des réparations est tout éà fait claire:
dans une affaire telle que la présente espèce, qui, ainsi que la Céour l’a éta -
bli , a trait à de graves violations du droit international des droits deé
l’homme et du droit international humanitaire, elle ne devrait pas (écomme

elle l’a fait dans son arrêt de 2005) laisser les parties se mettre d’accord sur
cette question par voie de négociation sans fixer à cet effet un déélai raison -
nable. A cet égard, j’espère que la Cour a tiré tous les enseignements de
cette expérience, et ne retiendra plus, en pareilles affaires, la solution
qu’elle a retenue dans son arrêt de2005, quant au délai dans lequel doivent

être réparés les dommages causés. C’est qu’en effet, eén la présente espèce,
les populations affectées attendent depuis près de dix ans les réparations
qui leur sont dues au titre des dommages qu’elles ont subis.
5. S’agissant de cette «perspective centrée sur les victimes», j’ai observé

il y a trois ans, dans l’exposé de mon opinion individuelle joint éà l’arrêt
que la Cour a rendu sur la réparation le 19 juin 2012 en l’affaire Ahmadou
Sadio Diallo (République de Guinée c.République démocratique du Congo),
qu’elle avait « eu des répercussions sur les réparations dues, [qu’]elle

a[vait] contribué à clarifier les formes que celles -ci devaient prendre et
a[vait] favorisé le développement progressif du droit internationaél en la
matière » (C.I.J. Recueil 2012 (I), p. 382, par. 94). J’ai aussi fait part de
la réflexion suivante :

«Dans cette optique humanisée, la reparatio (du verbe latin repa ‑
rare, « rétablir») met un terme à tous les effets des violations du droit

international (des droits de l’homme) qui sont en cause, et elle doénne

4 Paragraphes 6 et 8 du procès-verbal officiel de la réunion consacrée à l’exécution deé
l’arrêt de la Cour de 2005, tenue à Pretoria du 17 au 19 mars 2015.
5 Aux paragraphes 26 et 221 de l’arrêt du 19 décembre 2005.
6 Ibid., par. 207, 209-211 et 219-221, et point 3) du dispositif.

10

4 CIJ1082.indb 593 28/04/16 15:39 activités armées (décl. céançado trindade) 587

satisfaction (une forme de réparation) aux victimes ; grâce à elle, le
droit rétablit l’ordre juridique mis à mal par ces violations —é un
ordre juridique qui repose sur le plein respect des droits inhérents éà

la personne humaine. La réparation intégrale n’« efface» pas les vio-
lations des droits de l’homme qui ont été perpétrées, maiés elle permet
tout au moins, en en faisant cesser les effets, d’éviter l’aggréavation du
tort déjà causé tout en assurant le rétablissement tant de l’ordre juri -
dique que des victimes dans leur situation antérieure.

Force est de constater qu’il est devenu courant dans les cercles
juridiques … d’entendre que l’obligation de réparation, perçue comme
une « obligation secondaire »,vient après la violation du droit inter -
national. Ce n’est pas ainsi que je conçois les choses… De mon époint
de vue, la violation et la réparation vont de pair, formant un tout

indissoluble : celleci est la conséquence ou le pendant indispensable
de celle-là. L’obligation de réparation est fondamentale, ce qui devient
plus flagrant encore dès lors que l’on se place dans une optique centrée
sur les victimes, optique qui est la mienne.» (C.I.J. Recueil 2012 (I),
p. 362, par. 39-40.)

6. En la présente espèce, la Cour, qui a la maîtrise de sa procéédure,
était selon moi parfaitement fondée, dans l’exercice régulieér de sa fonc -

tion judiciaire et dans l’intérêt de la bonne administration de la justice,
à reprendre la procédure en l’affaire sur la question des réparatéions,
au moyen de la présente ordonnance, afin d’éviter tout nouveau retéard
et de donner effet au point 14) du dispositif de son arrêt du 19 décembre
2005. La Cour a aujourd’hui conscience de ce qu’il lui faut remédier au

décalage regrettable entre le temps de la justice des hommes et le teémps
des êtres humains.
7. Dans les affaires ayant trait à de graves violations du droit inter -
national des droits de l’homme et du droit international humanitaire,é
la Cour ne saurait, en ce qui concerne la question des réparations, s’éen

remettre à des « négociations» entre les Etats concernés — autrement dit
parties à un litige — sans imposer à ces derniers de délais en la matière.
Dans de telles affaires, cette question doit être tranchée par la éCour
elle-même dans un délai raisonnable, celle -ci devant avoir à l’esprit non
pas les susceptibilités des Etats mais la souffrance des êtres huméains
— c’est-à-dire les victimes ayant survécu et leurs proches — qui perdure,

et la nécessité de la soulager. Les violations susmentionnées eét le prompt
respect de l’obligation de réparer les dommages causés ne doiveént pas être
dissociés dans le temps : ils forment un tout indissoluble.

(Signé) Antônio Augusto Cançado Trindade.

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4 CIJ1082.indb 595 28/04/16 15:39

Bilingual Content

585

DECLARATION
OF JUDGE CANÇADO TRINDADE

1. I have voted in favour of the adoption — by unanimity — of the

present Order, whereby the International Court of Justice (ICJ) has foéund
that the proper course to take, in the present case of Armed Activities on
the Territory of the Congo (Democratic Republic of the Congo v. Uganda),

is to resume the proceedings on reparations. Yet I think the ICJ, in supé -
port of its own Order just adopted today, 1 July 2015, should have given
a more thorough account of the facts brought to its attention by the twoé

contending Parties. In effect, the Democratic Republic of the Congo
(DRC) and Uganda have, for a couple of years, been forwarding corre -
spondence to the Court concerning the ongoing negotiations between
them for reparations for damages 1, in pursuance of resolutory

point No. 14 of the dispositif of the Court’s Judgment of 19 December
2005 in the present case.
2. Thus, two years after the Court’s Judgment of 2005, the two con-

tending Parties, the DRC and Uganda, in their meeting in Ngurdoto
(Tanzania), agreed (on 8 September 2007) to constitute an ad hoc com -
mittee, inter alia to consider the implementation of the ICJ Judgment

of 2005 as to reparations (Article 8 of the Agreement). After the bilateral
agreement of Ngurdoto, the DRC and Uganda held four inter-ministerial
meetings in South Africa. The persistent difficulties in negotiations were
reported to the Court 2, as well as their endeavours in their production of

evidence, e.g., in the meeting of Kinshasa (of 10-14 December 2012) of
the aforementioned ad hoc committee, held in a spirit of “fraternity and
friendship” (fraternité et amitié) 3. In the most recent inter -ministerial

meeting, which took place in Pretoria, on 17 -19 March 2015, they con -
cluded that, despite their endeavours, in a “spirit of brotherhood anéd
good neighbourliness”, they had not succeeded to reach a consensus iné

1 Namely, the correspondence with the Court from DRC (of10 March and 7 May 2015)
as well as from Uganda (of 25 March and 10 October 2015). I can add to this correspon -
dence that of previous years namely: of 4 September and 19 February 2014 (from Uganda),
of 2 March 2014 (from DRC) ; of 16October 2013 (from Uganda), of February 2013
(from DRC) ; of 7 November and 19 April 2012 (from Uganda), and o23 September,
5 July and 13 June 2011 (from DRC); of 25 August 2010 (from DRC), and of 6 September
2010 (from Uganda).
2
As in, e.g., the agreed minutes of the ministerial meeting in Johannesbuérg,
on 33-14 September 2012.
As reported in the procès-verbal of the Kinshasa meeting of 14 December 2012.

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4 CIJ1082.indb 590 28/04/16 15:39 585

DÉCLARATION
DE M. LE JUGE CANÇADO TRINDADE

[Traduction]

1. J’ai voté en faveur de la présente ordonnance — adoptée à l’unani -

mité — qui a été rendue dans l’affaire des Activités armées sur le territoire
du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda) et par laquelle
la Cour internationale de Justice a jugé qu’il y avait lieu de repérendre la

procédure sur la question des réparations en l’espèce. Je suéis cependant
d’avis que la Cour aurait dû, pour étayer son ordonnance rendueé ce jour,
1erjuillet 2015, exposer plus en détail les faits qui ont été portéés à son

attention par les deux Parties. La République démocratique du Congéo
(RDC) et l’Ouganda lui ont en effet, depuis quelques années, traénsmis
différentes communications concernant les négociations qu’ellesé menaient
au sujet de la réparation des dommages causés 1, en application du

point 14) du dispositif de l’arrêt qu’elle avait rendu le 19 décembre 2005
en la présente espèce.
2. Deux ans après l’arrêt de 2005 — le8 septembre 2007 —, lors d’une

réunion tenue à Ngurdoto (Tanzanie), les deux Parties étaienté convenues
de constituer un comité ad hoc chargé notamment d’examiner la question
de l’exécution dudit arrêt en ce qui concerne les réparationés (article 8 de

l’accord). Après la conclusion de cet accord bilatéral, elles éont tenu quatre
réunions ministérielles en Afrique du Sud, rendant compte à la éCour des
difficultés persistantes qu’elles rencontraient dans les négocéiations 2et des
efforts accomplis en matière de production de preuves à l’occaséion,

notamment, de la réunion du comité ad hoc susmentionné, tenue à
Kinshasa du 10 au 14 décembre 2012 dans un esprit « de fraternité et
d’amitié» 3. Au cours de la très récente réunion interministérielle qu’éelles

ont tenue à Pretoria du 17 au 19 mars 2015, les Parties ont conclu que,
malgré leurs efforts, déployés dans « un esprit de fraternité et de bon voi -
sinage », elles n’étaient pas parvenues à un accord, et que leurs néégocia-

1 Il s’agit des lettres datées des 10 mars et 7 mai 2015 adressées à la Cour par la RDC et
de celles des 25mars et 10octobre 2015 adressées à la Cour par l’Ouganda.A ces communi-
cations s’ajoutent celles des années précédentes : lettres datées des 4 septembre et 19 février
2014 de l’Ouganda et lettre du mars 2014 de la RDC ; lettre du 1octobre 2013 de
l’Ouganda et lettre du 6 février 2013 de la RDC ; lettres des 7 novembre et 19 avril 2012 de
l’Ouganda et lettres des 23 septembre, 5 juillet et 13 juin 2011 de la RDC; lettre du 25 août
2010 de la RDC et lettre du 6 septembre 2010 de l’Ouganda.
2
Voir notamment le procès -verbal officiel de la réunion ministérielle tenue les
13314 septembre 2012 à Johannesburg.
Ainsi que cela a été relevé dans le procès-verbal de la réunion de Kinshasa en date du
14 décembre 2012.

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4 CIJ1082.indb 591 28/04/16 15:39 586 armed activities (declé. cançado trindade)

their negotiations, which had thus come to an end “at technical and méin-
isterial level”.
3. Looking back in time, the Court, almost a decade ago, in its afore -
mentioned Judgment of 19 December 2005, set forth the duty of the con -

tending Parties to make reparation (Uganda, resolutory point No. 5; and
DRC, resolutory point No. 13 in the dispositif of its Judgment on the
merits in the cas d’espèce. The absence in resolutory points Nos. 5 and 13
of time-limits to that effect, in my view did not imply that negotiations (to

reach an agreement on reparations) could continue indefinitely, as they
have done. On the contrary, having extended for almost a decade, they
have already far exceeded a reasonable time, bearing in mind the situa -
tion of the victims, still waiting for justice. The acknowledgment of thée

great suffering of the local population in the conflicts in the Great éLakes
region 5should have been accompanied by the determination of a reason -
able time for the provision of reparations for damages inflicted upon éthe
victims.

4. The lesson to be drawn from this decade of waiting for reparations
is clear to me: in a case like the present one, involving grave violations (as
established by the Court 6) of the international law of human rights and
of international humanitarian law, the Court should not have left the

question of reparations, as it did in its Judgment of 19 December 2005,
open to negotiations between the parties without a time -limit, without a
reasonable time. I hope the Court has learned this lesson and no longer é
does what it did in its 2005 Judgment as to the timing of reparations for

damages, in cases of this kind. After all, in the present case, the membéers
of the affected segments of the population keep on waiting, for almost aé
decade, for the reparations due to them for the damages they suffered.

5. In this connection, three years ago, in the case oAfhmadouSadioDiallo
(Republic of Guinea v. Democratic Republic of the Congo), Judgment on

reparations, of 19 June 2012), I observed, in my separate opinion, that
this “victim-centred outlook has entailed implications for the reparations
due, has clarified their forms, has fostered the progressive developmenté of
international law in the present domain” (I.C.J. Reports 2012 (I), p. 382,

para. 94). I further pondered that :

“Within this humanized outlook, the reparatio (from the Latin rep‑
arare, ‘to dispose again’) ceases all the effects of the breaches of inter-
national law (the violations of human rights) at issue, and provides

4 Paragraphs 6 and 8 of the agreed minutes of the Pretoria meeting on the implementa-
tion of the 2005dgment of the ICJ, of 17-19 March 2015.
5 As acknowledged by the ICJ in its Judgment of 19 December 2005, paras. 26 and 221.
6 Ibid., paras.207, 209 -211 and 219 -221, and resolutory point No. 3 of the
dispositif.

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4 CIJ1082.indb 592 28/04/16 15:39 activités armées (décl. céançado trindade) 586

tions se trouvaient donc dans l’impasse, « au niveau tant technique que
4
ministériel » .
3. Il convient de rappeler que, dans le dispositif de son arrêt susmen -
tionné du 19 décembre2005, soit il y a près de dixans, la Cour avait énoncé
l’obligation de réparation incombant aux Parties — au point 5) s’agissant

de l’Ouganda et au point13) pour ce qui est de la RDC. Or ce n’est pas, me
semble-t-il, parce que les points 5) et 13) ne précisaient à cet effet aucune
limite dans le temps que les négociations (en vue de parvenir à uén accord
sur les réparations) pouvaient se poursuivre indéfiniment, comme cela a

pourtant été le cas. Une période de près de dix années s’éétant écoulée, le
délai raisonnable a en effet largement été dépassé, dèés lors que l’on se place
du point de vue des victimes, qui attendent toujours que justice leur soéit
rendue. Ayant reconnu, dans son arrêt de 2005, les souffrances endurées

par la population l5cale pendant les conflits qui avaient embrasé léa région
des Grands Lacs , la Cour aurait dû également fixer un délai raisonnable
pour que soient réparés les dommages infligés aux victimes.
4. Selon moi, la leçon à tirer de la décennie qui s’est ainsi éécoulée dans

l’attente du règlement de la question des réparations est tout éà fait claire:
dans une affaire telle que la présente espèce, qui, ainsi que la Céour l’a éta -
bli , a trait à de graves violations du droit international des droits deé
l’homme et du droit international humanitaire, elle ne devrait pas (écomme

elle l’a fait dans son arrêt de 2005) laisser les parties se mettre d’accord sur
cette question par voie de négociation sans fixer à cet effet un déélai raison -
nable. A cet égard, j’espère que la Cour a tiré tous les enseignements de
cette expérience, et ne retiendra plus, en pareilles affaires, la solution
qu’elle a retenue dans son arrêt de2005, quant au délai dans lequel doivent

être réparés les dommages causés. C’est qu’en effet, eén la présente espèce,
les populations affectées attendent depuis près de dix ans les réparations
qui leur sont dues au titre des dommages qu’elles ont subis.
5. S’agissant de cette «perspective centrée sur les victimes», j’ai observé

il y a trois ans, dans l’exposé de mon opinion individuelle joint éà l’arrêt
que la Cour a rendu sur la réparation le 19 juin 2012 en l’affaire Ahmadou
Sadio Diallo (République de Guinée c.République démocratique du Congo),
qu’elle avait « eu des répercussions sur les réparations dues, [qu’]elle

a[vait] contribué à clarifier les formes que celles -ci devaient prendre et
a[vait] favorisé le développement progressif du droit internationaél en la
matière » (C.I.J. Recueil 2012 (I), p. 382, par. 94). J’ai aussi fait part de
la réflexion suivante :

«Dans cette optique humanisée, la reparatio (du verbe latin repa ‑
rare, « rétablir») met un terme à tous les effets des violations du droit

international (des droits de l’homme) qui sont en cause, et elle doénne

4 Paragraphes 6 et 8 du procès-verbal officiel de la réunion consacrée à l’exécution deé
l’arrêt de la Cour de 2005, tenue à Pretoria du 17 au 19 mars 2015.
5 Aux paragraphes 26 et 221 de l’arrêt du 19 décembre 2005.
6 Ibid., par. 207, 209-211 et 219-221, et point 3) du dispositif.

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4 CIJ1082.indb 593 28/04/16 15:39 587 armed activities (declé. cançado trindade)

satisfaction (as a form of reparation) to the victims ; by means of the
reparations, the law re-establishes the legal order broken by those
violations — a legal order erected on the basis of the full respect for

the rights inherent to the human person. The full reparatio does not
‘erase’ the human rights violations perpetrated, but rather ceases all
its effects, thus at least avoiding the aggravation of the harm already é
done, besides restoring the integrity of the legal order, as well as that
of the victims.

One has to be aware that it has become commonplace in legal cir -
cles (. .) to repeat that the duty of reparation, conforming a ‘second-
ary obligation’, comes after the breach of international law. This is
not my conception (. . .). In my own conception, breach and repara -
tion go together, conforming an indissoluble whole : the latter is the

indispensable consequence or complement of the former. The duty of
reparation is a fundamental obligation, and this becomes clearer if we
look into it from the perspective of the centrality of the victims, whicéh
is my own.” (I.C.J. Reports 2012 (I), p. 362, paras. 39-40.)

6. In the present case, the Court, as the master of its procedure, was, in é
my understanding, fully entitled, in the proper exercise of its judicialé

function and in the interest of the sound administration of justice (la
bonne administration de la justice), by means of the present Order, to
resume the proceedings on reparations in the cas d’espèce, so as to avoid
further delays, and to give effect to resolutory point No. 14 of its Judg -
ment on the merits of 19 December 2005. The Court now knows that it is

necessary to bridge the regrettable gap between the time of human justicée
and the time of human beings.
7. Reparations, in cases involving grave breaches of the international
law of human rights and of international humanitarian law, cannot sim -
ply be left over for “negotiations” without time -limits between the States
concerned, as contending parties. Reparations in such cases are to be

resolved by the Court itself, within a reasonable time, bearing in mind not
State susceptibilities, but rather the suffering of human beings, — the sur-
viving victims, and their close relatives, — prolonged in time, and the
need to alleviate it. The aforementioned breaches and prompt compliance é
with the duty of reparation for damages, are not be separated in time :

they form an indissoluble whole.

(Signed) Antônio Augusto Cançado Trindade.

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4 CIJ1082.indb 594 28/04/16 15:39 activités armées (décl. céançado trindade) 587

satisfaction (une forme de réparation) aux victimes ; grâce à elle, le
droit rétablit l’ordre juridique mis à mal par ces violations —é un
ordre juridique qui repose sur le plein respect des droits inhérents éà

la personne humaine. La réparation intégrale n’« efface» pas les vio-
lations des droits de l’homme qui ont été perpétrées, maiés elle permet
tout au moins, en en faisant cesser les effets, d’éviter l’aggréavation du
tort déjà causé tout en assurant le rétablissement tant de l’ordre juri -
dique que des victimes dans leur situation antérieure.

Force est de constater qu’il est devenu courant dans les cercles
juridiques … d’entendre que l’obligation de réparation, perçue comme
une « obligation secondaire »,vient après la violation du droit inter -
national. Ce n’est pas ainsi que je conçois les choses… De mon époint
de vue, la violation et la réparation vont de pair, formant un tout

indissoluble : celleci est la conséquence ou le pendant indispensable
de celle-là. L’obligation de réparation est fondamentale, ce qui devient
plus flagrant encore dès lors que l’on se place dans une optique centrée
sur les victimes, optique qui est la mienne.» (C.I.J. Recueil 2012 (I),
p. 362, par. 39-40.)

6. En la présente espèce, la Cour, qui a la maîtrise de sa procéédure,
était selon moi parfaitement fondée, dans l’exercice régulieér de sa fonc -

tion judiciaire et dans l’intérêt de la bonne administration de la justice,
à reprendre la procédure en l’affaire sur la question des réparatéions,
au moyen de la présente ordonnance, afin d’éviter tout nouveau retéard
et de donner effet au point 14) du dispositif de son arrêt du 19 décembre
2005. La Cour a aujourd’hui conscience de ce qu’il lui faut remédier au

décalage regrettable entre le temps de la justice des hommes et le teémps
des êtres humains.
7. Dans les affaires ayant trait à de graves violations du droit inter -
national des droits de l’homme et du droit international humanitaire,é
la Cour ne saurait, en ce qui concerne la question des réparations, s’éen

remettre à des « négociations» entre les Etats concernés — autrement dit
parties à un litige — sans imposer à ces derniers de délais en la matière.
Dans de telles affaires, cette question doit être tranchée par la éCour
elle-même dans un délai raisonnable, celle -ci devant avoir à l’esprit non
pas les susceptibilités des Etats mais la souffrance des êtres huméains
— c’est-à-dire les victimes ayant survécu et leurs proches — qui perdure,

et la nécessité de la soulager. Les violations susmentionnées eét le prompt
respect de l’obligation de réparer les dommages causés ne doiveént pas être
dissociés dans le temps : ils forment un tout indissoluble.

(Signé) Antônio Augusto Cançado Trindade.

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4 CIJ1082.indb 595 28/04/16 15:39

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Déclaration de M. le juge Cançado Trindade

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