Opinion individuelle de M. le juge ad hoc Dugard

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OPINION INDIVIDUELLE DE M. LE JUGE AD HOC DUGARD

[Traduction]

Accord d’ensemble avec le dispositif de l’ordonnance — Réserves suscitées par la
mesure prescrite au premier point du dispositif, qui impose aux deux Part▯ ies d’évacuer
le territoire litigieux— Examen de la notion de droit plausible— Nécessité d’établir
le caractère plausible du droit revendiqué par le demandeur rendant▯ impossible à la
Cour de se dispenser entièrement d’un examen du fond de l’af▯ ire— Existence d’un
droit plausible du demandeur à la souveraineté sur le territoire li▯ tigieux démontrée par

un traité de délimitation, une sentence arbitrale et des cartes— Obligation de
respecter l’intégrité territoriale d’un Etat constituant une▯ norme de ju—s Lien
entre respect de la stabilité des frontières et respect de l’int▯ égrialeMesuresr—
conservatoires indiquées dans une affaire ayant trait à la violat▯ ion de l’intégrité
territoriale devant appuyer la position de l’Etat envahi— Caractère approprié d’une
mesure rétablissant le statu quo ante — Conclusion différente non justifiée par la
nature du territoire— Injustice faite au demandeur par la mesure indiquée au premier
point du dispositif qui prescrit à l’une et à l’autre ▯ ties sans distinction de

s’abstenir de maintenir des agents civils, de police ou de sé▯ sur le territoire
litigieux— Légitimité non justifiée prêtée par l’ordonnance aux▯ prétentions du
défendeur— Deuxième point du dispositif faisant droit aux prétentions du dema▯ deur
sur le territoire litigieux— Autorisation donnée au demandeur de prendre des mesures
en vue de protéger l’environnement sur le territoire litigieux — Vote en faveur de
l’ensemble de l’ordonnance motivé par la reconnaissance de la▯ étention plus solide
du demandeur sur le territoire litigieux dans le deuxième point d▯ positif.

1. J’ai voté en faveur des mesures conservatoires indiquées par laf Cour
en la présente affaire. Même si celle-ci a enjoint aussi bien au Costa Rica
qu’au Nicaragua de s’abstenir d’envoyer des agents civils, de pfolice et de

sécurité sur le territoire litigieux de Isla Portillos, elle a danfs le même temps
reconnu que la prétention territoriale du Costa Rica était plus solide
puisqu’elle lui a confié le soin de protéger l’environnement de ce territoire
et l’a autorisé à y envoyer des agents civils à cette fin. De fait, le statu quo

ante se trouve ainsi rétabli puisque, avant que le Nicaragua ne déploie du
personnel militaire et des agents chargés de l’environnement sur Ifsla Portil -
los en octobre 2010, le Costa Rica considérait surtout ce territoire comme
une importante réserve naturelle dont il était responsable au titrfe de la

convention de 1971 relative aux zones humides d’importance internatiof -
nale, particulièrement comme habitats des oiseaux d’eau (conventifon de
Ramsar). Sa préoccupation première était donc d’y protégfer l’environne-

ment. Le fait que ses activités sur IslaPortillos soient essentiellement liées à
la protection de l’environnement ne devrait pas faire oublier que le fCosta
Rica revendique la pleine souveraineté sur ce territoire. Que la Courf n’ait
pas eu à connaître à ce stade de la question du titre territorial s’explique par

cette règle fondamentale régissant l’indication de mesures conservatoires,
selon laquelle le bien-fondé des thèses en présence — qui se rapportent en

58 certaines activités f(op. ind. dugard) 61

l’occurrence au titre territorial sur la zone en litige— ne peut être examiné
qu’au stade du fond. Si j’adhère pleinement à ce principe imfportant, une

question ne laisse pas de me préoccuper en l’espèce: lorsque l’Etat deman-
dant l’indication de mesures conservatoires apporte prima facie des élé -
ments de preuve tels qu’il apparaît comme le détenteur du titref territorial
contesté, la Cour doit-elle réserver un traitement identique aux revendica -

tions territoriales des deux parties en leur prescrivant, à l’une fcomme à
l’autre, d’évacuer le territoire litigieux — ainsi qu’elle l’a fait ici —, ou
doit-elle, au contraire, accorder plus de poids aux prétentions du deman -
deur en ordonnant le retour au statu quo ante? Tel est l’objet de la présente

opinion.

A. Un droit plausible

2. La Cour relève dans son ordonnance que, pour qu’elle puisse indi -
quer des mesures conservatoires, il faut que les droits allégués pfar l’Etat
demandeur lui apparaissent «au moins plausibles» (ordonnance, par. 53).

Le « critère de plausibilité » est un nouvel élément de sa jurisprudence
en matière de mesures conservatoires, apparu pour la première foisf en
l’affaire relative à des Questions concernant l’obligation de poursuivre ou
d’extrader (Belgique c. Sénégal) (mesures conservatoires, ordonnance du

28 mai 2009, C.I.J. Recueil 2009, p. 151, par. 57). Avant cette ordonnance,
la Cour, afin d’éviter de paraître préjuger d’une quelconfque manière le
fond d’une affaire, s’était gardée d’adopter une position tranchée sur la
question 1. Il ressort néanmoins de plusieurs de ses décisions qu’elle a ftou-

jours considéré qu’il incombait à l’Etat demandeur de défmontrer qu’il
avait des chances d’obtenir gain de cause au fond ou d’établir prima facie
l’existence du droit qu’il cherchait à protéger 2. Ainsi, dans l’affaire du
Passage par le Grand‑Belt (Finlande c. Danemark) (mesures conserva ‑

toires, ordonnance du 29 juillet 1991, C.I.J. Recueil 1991, p. 12), la Cour a
répondu à l’argument invoqué par le Danemark selon lequel «f le
bien-fondé de la thèse finlandaise n’[était] même pas établfi prima facie »,

«qu’il n’[était] pas contesté qu’il exist[ât], pour la fFinlande, un droit de
passage par le Grand-Belt » et que le différend opposant les Parties avait
trait «à la nature et à l’étendue de ce droit» (ibid., p. 17, par. 21-23). Aussi
lord Collins, lors de sa conférence devant l’Académie de droit interfnatio -

nal de La Haye en 1992, a-t-il eu raison de poser la question : «Existe-t-il

1 J. G. Merrills, « Interim Measures of Protection in the Recent Jurisprudence of the

International Court of Justic», International and Comparative Law Quarterly, 1995,
vol2 44, p. 114 ; S. Rosenne, Provisional Measures in International Law, 2005, p. 72.
Voir les affaires citées dans l’opinion individuelle du juge Shahabuddeen en l’affaire
du Passage par le Grand‑Belt (Finlande c. Danemark), mesures conservatoires, ordon‑
nance du 29 juillet 1991, C.I.J. Recueil 1991, p. 30. Voir également A. Zimmermann,
C. Tomuschat et K. Oellers-Frahm, The Statute of the International Court of Justice,
2006, p. 938.

59 certaines activités f(op. ind. dugard) 62

une affaire dans laquelle des mesures conservatoires ont été indiquées par

la Cour sans que le bien-fon3é de la thèse du demandeur n’ait au moins
été établi prima facie ? » De manière générale, il semble que la Cour ait
préféré ne reconnaître qu’implicitement la nécessitéf pour le demandeur
d’établir prima facie l’existence du droit qu’il cherchait à sauvegarder .

3. Dans la pratique, lorsqu’elle examine une demande en indication de
mesures conservatoires, la Cour ne saurait éviter de toucher au fond fde
l’affaire. Il ne suffit pas pour le demandeur de faire simplement fvaloir son
droit 5. Il doit en outre démontrer l’existence prima facie d’un tel droit

ou, selon la nouvelle terminologie de la Cour, l’existence d’un «f droit
plausible», si bien que la Cour ne peut se dispenser entièrement d’un exfa -
men au fond. Comme l’a déclaré le juge Abraham dans l’affaire relative à

des Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uru▯guay):
«Le juge [doit être] convaincu d’être en présence d’une argumentation

qui, sur le fond, présente un caractère suffisamment sérieux— faute de
quoi il ne saurait entraver le droit du défendeur d’agir comme il l’entend,
dans les limites fixées par le droit international. » (Mesures conserva ‑
toires, ordonnance du 13 juillet 2006C , .I.J. Recueil 2006, p. 141, par. 10.)

4. La nécessité pour l’Etat requérant de prouver, ne serait-ce que

prima facie, qu’il possède un droit qui a des chances raisonnables d’êtfre
reconnu au stade du fond est devenue beaucoup plus claire depuis l’arfrêt
du 27 juin 2001 en l’affaire LaGrand (Allemagne c. Etats‑Unis d’Amé ‑
rique) (arrêt, C.I.J. Recueil 2001, p. 466), lorsque la Cour a conclu qu’une

ordonnance en indication de mesures conservatoires avait un caractère
obligatoire. Il serait en effet injuste d’exiger de l’Etat déffendeur qu’il se
conforme aux prescriptions juridiquement contraignantes d’une ordon -

nance en indication de mesures conservatoires alors que l’Etat demandfeur
s’est contenté de faire valoir un droit, sans démontrer prima facie qu’il a
quelque chance d’obtenir gain de cause au fond.
5. Les avis divergeront sur la question de savoir si la démonstration de

l’existence d’un «droit plausible» est la formule adéquate ou exacte pour
désigner le critère auquel le demandeur doit satisfaire. Dans son fopinion
individuelle en l’affaire du Passage par le Grand‑Belt,le juge Shahabuddeen
a considéré que les formules «vérifier le fondement prima facie », « vérifier si

la question à juger est sérieuse » ou « vérifier s’il existe un danger possible
pour un droit possible » étaient toutes acceptables « pour les besoins des

3 «Provisional and Protective Measures in International Litigation », Recueil des cours
de l’Académie de droit international de La Haye, 1992 (III), t. 234, p. 228.
4 Opinion individuelle du juge Bennouna en l’affaire relative à des Usines de pâte à
papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), mesures conservatoires, ordonnance du
13 juillet 2006, C.I.J. Recueil 2006, p. 143, par. 5, et p. 146, par. 14.
5 Opinion individuelle du juge Shahabuddeen en l’affaire du Passage par le
Grand‑Belt (Finlande c. Danemark), mesures conservatoires, ordonnance ▯du 29 juillet 1991,

C.I.J. Recueil 1991, p. 30 ; opinion individuelle du juge Abraham en l’affaire relative à dfes
Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), mesures conse‑va
toires, ordonnance du 13 juillet 2006, C.I.J. Recueil 2006, p. 138, par. 6.

60 certaines activités f(op. ind. dugard) 63

litiges internationaux» (mesures conservatoires, ordonnance du 29 juillet1991,
C.I.J. Recueil 1991, p.36). Un autre critère a été suggéré, consistant à s’assu-
rer que la position du demandeur était au moins défendable sur le ffond . 6
N’importe laquelle de ces formules aurait sans doute fait l’affafire. Il en va de

même pour le critère de «plausibilité», pour autant que le mot «plausible»
s’entende dans le sens de « raisonnable ou probable» [«reasonable or pro -
bable » (New Oxford Dictionary, 1998)] ou de «crédible ou vraisemblable»
[«believable and appearing likely to be true » (Encarta World Dictionary,
1999)] (en anglais, le mot «plausible» a également un autre sens — qu’il n’a

pas en français—, celui de «spécieux» ou «fallacieux»).

B. Le caractère plausiblfe du droit du Costa Rica f

6. Une grande partie des éléments de preuve versés au dossier de lf’affaire
se rapportent aux prétentions de souveraineté du Costa Rica sur le territoire
litigieux et aux atteintes portées par le Nicaragua à ses droits efn matière de
protection de l’environnement sur ce territoire. Bien entendu, ces éfléments de
preuve étaient nécessaires pour établir le risque de préjudifce irréparable et

obtenir l’indication de mesures conservatoires, mais il n’en restef pas moins
que le Costa Rica a ainsi donné une ébauche complète de l’argumentation
qu’il entend faire valoir pour établir son titre territorial. Le Nficaragua a, lui
aussi, produit des éléments tendant à prouver qu’il possèfde un titre territorial.

En fait, la plupart des éléments de preuve ont porté sur les prfétentions concur
rentes des Parties à la souveraineté sur le territoire litigieux, fle demandeur
cherchant à démontrer le bien-fondé de ses revendications, fût-c perima facie,
et le défendeur cherchant à les contester. Dans le cours de son argumentation,
le CostaRica a défendu le caractère plausible de son droit à un titre territorial,

tandis que le Nicaragua s’est efforcé de nier l’existence d’un tel droit. Il semble
que les deux Parties aient reconnu que cela ne pouvait se faire sans quef soient
abordées des questions relevant du fond, même si le Nicaragua a infvité la
Cour à prendre garde de ne pas empiéter sur ce dernier.
7. Le Costa Rica a soutenu que l’incursion du Nicaragua dans IslaPor -

tillos avait violé ses droits à l’intégrité territoriale et à la protection de son
environnement. Ces deux droits sont indissociables puisque, dans cette
affaire, les dommages à l’environnement ne sont pas causés pafr des actes
commis en dehors du territoire costa-ricien. Aussi le droit revendiqué par
le Costa Rica est-il essentiellement lié à son intégrité territoriale.

8. Les éléments de preuve ont permis d’établir de manière cofnvain -
cante le caractère plausible du droit du Costa Rica à la souveraineté et à
l’intégrité territoriale sur Isla Portillos.
9. Aux termes du traité de limites de 1858 établissant la frontière entre
le Costa Rica et le Nicaragua, celle-ci commence « à l’embouchure du

fleuve San Juan de Nicaragua, puis sui[t] la rive droite de ce fleuve »

6 M. Mendelson, «Interim Measures of Protection in Cases of Contested Jurisdiction»,
British Year Book of International Law, 1972-1973, vol. 46, p. 317.

61 certaines activités f(op. ind. dugard) 64

(art. II). En 1897, selon l’interprétation du traité donnée par la premièfre
sentence Alexander, la ligne frontière longeait tout le pourtour de la lagune
de Harbor Head jusqu’à atteindre le fleuve San Juan par « le premier che-
nal rencontré» et se poursuivait « en remontant ce chenal », puis le fleuve
proprement dit, comme prescrit dans le traité de 1858. La première sen -
tence Alexander était accompagnée d’un croquis tracé à laf main qui mon-

trait que « le premier chenal rencontré » était le fleuve San Juan propre-
ment dit, et établissait sans le moindre doute que la ligne frontièfre décrite
dans le traité de 1858 et la première sentence Alexander plaçait Isla Portil -
los en territoire costa-ricien. De surcroît, la première sentence Alexander,
telle que publiée par John Basset Moore dans l’ouvrage intituléf History
and Digest of the International Arbitration to which the United States Has

Been a Party, vol. V (1898), était illustrée par une carte de la région cfonfir-
mant que Isla Portillos faisait partie du territoire du Costa Rica. Certes, une
carte ne saurait constituer un élément déterminant quant à lfa délimitation
d’une frontière, mais elle n’en reste pas moins « une indication de fait géo -
graphique», en particulier lorsque l’Etat désavantagé l’a lui-même établie

et distribuée (Souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, Middle
Rocks et South Ledge (Malaisie/Singapour), arrêt, C.I.J. Recueil 2008,
p. 95, par. 271). Que des cartes établies à l’époque des sentencesAlexander
et jusqu’à ce jour — parmi lesquelles des cartes nicaraguayennefs, des
cartes produites par le Costa Rica et le Nicaragua dans le cadre d’un autre
litige les ayant opposés, que la Cour a tranché en 2009 (Différend relatif à

des droits de navigation et des droits connexes (CostaRica c. Nicaragua)),et
des cartes présentées par les Etats-Unis et des organismes internatio -
naux — viennent au soutien de la thèse costa-ricienne constitue donc un
démenti important. Enfin, le Nicaragua a accepté la frontière revendiquée
par le Costa Rica pendant plus d’unsiècle. Ce n’est qu’après que ce dernier
eut introduit une instance devant la Cour et dénoncé auprès de l’Organisa -

tion des Etats américains l’incursion de son voisin dans Isla Portillos que
le Nicaragua a revendiqué sa souveraineté sur ce territoire.
10. Pour étayer sa prétention à la souveraineté sur Isla Portillos, le
Nicaragua a soutenu, d’une part, que « le premier chenal rencontré » dans
la lagune de Harbor Head, auquel il est fait référence dans la première
sentence Alexander, n’était plus le fleuve San Juan mais un petit chenal,

ou caño, apparu récemment, et, d’autre part, qu’Alexander lui-même
avait envisagé dans sa deuxième sentence arbitrale que la frontière se
modifierait sous l’effet des changements physiques du terrain. Cet fargu -
ment n’est corroboré ni par le droit ni par les faits. Premièrefment, il est
extrêmement difficile de le concilier avec le traité de 1858 ou la première

sentence Alexander, qui indiquent clairement que le cours naturel du
fleuve San Juan constitue la frontière. Deuxièmement, rien ne montre que
le terrain a subi des changements importants depuis les sentences Alexan -
der. Troisièmement, les cartes et les photographies par satellite n’font pas
apporté la preuve de l’existence du caño avant les opérations de nettoyage
de l’environnement entreprises par le Nicaragua en octobre 2010, qui ont

justement ouvert ce passage.

62 certaines activités f(op. ind. dugard) 65

11. Les deux Parties prétendent avoir exercé certaines prérogativesf de
puissance publique sur la zone humide inhabitée de Isla Portillos. Laf ques -

tion des effectivités concurrentes sur ce territoire relève claifrement du fond.
12. Dans ces circonstances, la Cour conclut que le Costa Rica possède
un droit plausible à la souveraineté sur Isla Portillos et qu’elle n’a pas à se
prononcer sur la plausibilité du titre de souveraineté revendiquéf par le
Nicaragua (ordonnance, par. 58).

C. L’intégrité territorfiale et les mesures cofnservatoires

13. Avant de s’interroger sur les mesures appropriées qu’aurait dûf
indiquer une ordonnance en l’espèce, il faut déterminer si le ffait qu’il
s’agissait d’une violation de l’intégrité territoriale d’fun Etat sous forme
d’une invasion appelait des considérations particulières.

14. Le respect de l’intégrité territoriale est un principe fondamenftal de
l’ordre juridique international, consacré par le paragraphe 4 de l’article 2
de la Charte des Nations Unies, la déclaration relative aux principes du
droit international touchant les relations amicales et la coopérationf entre

les Etats conformément à la Charte des Nations Unies (Assemblée géné -
rale, résolution 2625 (XXV) du 24 octobre 1970), et toute une série d’ins -
truments et de résolutions adoptés à l’échelle internatiofnale. Comme l’a
indiqué le juge Koroma dans son opinion dissidente sur l’avis consfultatif

relatif à la Conformité au droit international de la déclaration unilatérale▯
d’indépendance relative au Kosovo, « [c]e principe entraîne l’obligation de
ne pas porter atteinte à la définition, à la délimitation et à l’intégrité terri -
toriale des Etats existants. » (C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 475, par. 21 ; les
italiques sont de moi.)

15. L’interdiction de l’emploi de la force dans les relations internatfio -
nales est acceptée comme une norme impérative, faisant partie du
jus cogens 7. Cette interdiction est directement liée au respect du principe
de l’intégrité territoriale, comme l’indique le paragraphe 4 de l’article 2 de

la Charte des Nations Unies, qui interdit le recours « à la menace ou à
l’emploi de la force … contre l’intégrité territoriale … de tout Etat ». Il est
donc difficile dans ces conditions de ne pas conclure que le respect de
l’intégrité territoriale d’un Etat par d’autres Etats 8 est une norme rele -

vant du jus cogens.
16. Un principe lié au respect de l’intégrité territoriale est cfelui du res -
pect des frontières, en particulier des frontières délimitéefs par un traité
et confirmées par une sentence arbitrale. Comme l’a affirmé laf Cour en

l’affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande), « [D]’une
7
Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui‑ci (Nicaragua
c. Etats‑Unis d’Amérique), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 100, par. 190.
8 Dans son avis consultatif du 22 juillet 2010 sur la Conformité au droit international de
la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo▯, la Cour a conclu que la portée
du principe de l’intégrité territoriale était « donc limitée à la sphère des relations interéta
tiques » (C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 437, par. 80).

63 certaines activités f(op. ind. dugard) 66

manière générale, lorsque deux pays définissent entre eux unfe frontière,
un de leurs principaux objectifs est d’arrêter une solution stablef et défini-
tive. » (Fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1962, p. 34.)
17. Les incursions au-delà des frontières, autrement dit les violations

de l’intégrité territoriale, font naître non seulement un rifsque de préjudice
irréparable pour l’Etat dont la frontière a été violéef, mais aussi un risque
de pertes en vies humaines en raison des affrontement armés qui oppfose -
ront vraisemblablement les forces de l’Etat envahisseur et celles de fl’Etat
envahi . Cette considération a porté la Cour à conclure en l’espèfce que

la probabilité de voir le Nicaragua envoyer des forces armées dans le ter -
ritoire litigieux créait un risque de préjudice irréparable au fCosta Rica
(ordonnance, par. 75).
18. Pour les raisons exposées ci-dessus, une demande en indication de
mesures conservatoires dans une affaire se rapportant à la violation de l’in -

tégrité territoriale d’un Etat qui a prouvé l’existence d’un «droit plausible»
sur le territoire concerné appelle des considérations particulièfres. Celles-ci
auraient dû conduire la Cour non seulement à conclure à l’exfistence d’un
risque de préjudice irréparable, mais aussi à rendre une ordonnfance qui
vienne pleinement au soutien de la position de l’Etat envahi en enjoignant

à l’Etat envahisseur de retirer ses forces jusqu’à l’examfen au fond.

D. La nature du territoirfe et les mesures consefrvatoires

19. Dans son ordonnance (par. 77), la Cour conclut que, «compte tenu
de la nature du territoire litigieux », chaque Partie doit s’abstenir d’en -
voyer ou de maintenir sur le territoire litigieux des agents, qu’ils fsoient
civils, de police ou de sécurité, jusqu’à ce qu’elle ait tranché le différend

sur le fond. Que «la nature du territoire litigieux» justifie une ordonnance
traitant les deux Parties de la même manière, sans distinction, plfutôt
qu’une ordonnance prescrivant au seul Etat envahisseur de se retirer,f
m’apparaît discutable.
20. Si, par hypothèse, l’Etat d’Utopie envahissait l’Etat d’Afrcadie, très

densément peuplé, et cherchait à établir une présence milfitaire dans une
ville arcadienne, et si l’Arcadie était en mesure de prouver qu’felle possé -
dait un titre très plausible sur ce territoire, incontesté jusqu’falors, la Cour
ne rendrait très probablement pas une ordonnance en indication de
mesures conservatoires dans laquelle elle prescrirait aux deux parties dfe

retirer leurs forces de la ville en question. Plus vraisemblablement, elfle
enjoindrait à l’Utopie, qui aurait envahi le territoire et contestferait depuis
peu le titre territorial de l’Arcadie, de retirer ses forces dans l’attente
d’une décision sur le fond de l’affaire. En l’espèce, ufne mesure imposant
aux deux parties de retirer leurs forces créerait un vide administratfif et

serait source de chaos dans la ville en litige.

9 Voir S. Rosenne, The Law and Practice of the International Court, 1920‑2005, vol. III,
Procedure, 2006, p. 1410.

64 certaines activités f(op. ind. dugard) 67

21. Si l’on s’en tient au raisonnement de la Cour, il semble que la situa-
tion soit différente lorsque le territoire litigieux est une zone hfumide inha-
bitée, où l’absence de forces de l’ordre, qu’elles soientf envoyées par

l’une ou l’autre Partie, n’aura pas d’effet préjudiciabfle sur la population
de l’Etat demandeur. Mais cette décision est-elle nécessairement juste et
équitable? Il ressort de la jurisprudence internationale que, aux fins d’éta -
blir son titre territorial 10, un Etat n’est pas tenu de montrer le même
degré d’effectivité sur un territoire inhabité et inhabitafble, mais il n’y a

pas de raison pour qu’un Etat ayant démontré l’existence d’fun droit plau -
sible à la souveraineté sur ce territoire ne puisse l’administrer au même
titre qu’une partie habitée du territoire national. Les considéfrations de
respect de l’intégrité territoriale s’appliquent aussi bien faux territoires

habités qu’aux territoires non habités, un Etat étant souverfain sur l’en -
semble de son territoire, qu’il soit peuplé ou non. Il n’est pafs plus justifié
d’imposer en l’espèce à chacune des Parties le retrait de ses forces que cela
ne l’est dans l’hypothèse envisagée au paragraphe 20.

E. Conclusion

22. Au premier point du dispositif de son ordonnance, par souci de ne

pas préjuger le fond de l’affaire, la Cour a choisi de n’éftablir strictement
aucune distinction entre les deux Parties, prescrivant à chacune d’fentre
elles de s’abstenir d’envoyer ou de maintenir des agents sur le tefrritoire
litigieux, qu’ils soient civils, de police ou de sécurité. Maisf une telle absence
de distinction peut être excessive. En la présente affaire, le Costa Rica a

montré de manière convaincante qu’il possédait un droit plaufsible à la
souveraineté sur le territoire litigieux et que le comportement du Nifcara -
gua faisait naître un risque imminent de préjudice irréparable à ce terri -
toire (ordonnance, par.75). De plus, sans préjuger du droit revendiqué par

le Nicaragua à la souveraineté sur le territoire litigieux, il confvient de sou -
ligner que ce n’est qu’après que la présente instance eut éfté introduite par
le Costa Rica et que ce dernier se fut plaint auprès de l’Organisation des
Etats américains que le Nicaragua a pour la première fois soulevéf cette
question. Dans ces circonstances, l’équité aurait voulu que l’finjonction de

s’abstenir «d’envoyer ou de maintenir sur le territoire litigieux, y compris
le caño, des agents, qu’ils soient civils, de police ou de sécurité » s’adressât
au seul Nicaragua. Autrement dit, dans le premier point du dispositif, lfa
Cour aurait dû chercher à rétablir le statu quo ante, c’est-à-dire la situation

telle qu’elle était avant l’incursion du Nicaragua dans Isla Pofrtillos.
23. L’absence de distinction opérée par la Cour dans son ordonnancef
se heurte à une sérieuse objection : en demandant aux deux Parties de
rester en dehors du territoire litigieux, la Cour ne manquera pas d’êftre

10Ile de Palmas, Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales (RSA), vol. II, p. 840 ;
Statut juridique du Groënland oriental, arrêt, 1933, C.P.J.I. sé▯ri53, p. 46 ; « Clip-
perton Island», American Journal of International Law, 1932, vol. 26, p. 394.

65 certaines activités f(op. ind. dugard) 68

perçue comme accordant une certaine crédibilité et une certainef légitimité
à la revendication du Nicaragua, en dépit de la faiblesse de cellef-ci (du
moins au vu des éléments soumis à la Cour) et de sa formulation tardive.
Il est à craindre que cette ordonnance n’incite un Etat nourrissanft des
ambitions territoriales à envahir son voisin, à occuper un territoire
convoité puis à faire valoir une prétention territoriale devantf la Cour, en

espérant que sa prétention se trouvera légitimée par une ordfonnance en
indication de mesures conservatoires qui, comme celle rendue en l’espèce,
mettra les deux parties sur le même plan. En bref, il s’agit d’fun dangereux
précédent.
24. Le deuxième point du dispositif reconnaît que le Costa Rica a une f
prétention plus solide sur le territoire litigieux puisqu’il autorfise cet Etat

à prendre des mesures en vue d’en protéger l’environnement, fdont celui
du caño, et à y envoyer des agents civils à cette fin. Dans l’accomplifsse -
ment de cette tâche, le Costa Rica devra consulter le Secrétariat fde la
convention de Ramsar, informer préalablement le Nicaragua de ses actif -
vités et faire de son mieux pour rechercher avec ce dernier des solutfions

communes. En dernier ressort, toutefois, la responsabilité de la protfection
de l’environnement de Isla Portillos, et notamment du caño, incombe au
Costa Rica, qui a prouvé l’existence d’un droit plausible à la soufveraineté
sur ce territoire.

25. Si, malgré les réserves que m’inspire le premier point du dispositif,

j’ai voté en faveur de l’ensemble de l’ordonnance, c’est fparce que, au
point suivant, la Cour reconnaît la prétention du Costa Rica sur lfe terri -
toire litigieux et fait en sorte qu’il puisse assumer la responsabilifté qui est
la sienne de protéger l’environnement de Isla Portillos.
26. Le troisième point du dispositif a également son importance en ce f
qu’il impose à chaque Partie de s’abstenir de tout acte qui risfquerait

d’aggraver le différend. J’espère très sincèrement que lefs deux Parties se
conformeront scrupuleusement à cette exigence.

(Signé) John Dugard.

66

Bilingual Content

60

SEPARATE OPINION OF JUDGE AD HOC DUGARD

Broad agreement with dispositif of the Order — Troubled by Court’s order in
paragraph 1 of dispositif that both Parties should vacate the disputed territory —
Examination of concept of plausible right — Requirement of plausible right on
part of Applicant involves some consideration of merits — Boundary treaty,
arbitral award and maps provide evidence of Applicant’s plausible rig▯ht to
sovereignty over disputed territory — Respect for territorial integrity of State by
other States a norm of jus cogens — Principle of respect for stability of boundaries
related to respect for territorial integrity — Provisional measures in case involving
violation of territorial integrity should vindicate position of invaded Stat—

Restoration of status quo ante appropriate — Nature of disputed territory does
not warrant different conclusion — Even‑handed order in paragraph 1 of dispositif
requiring both Parties to refrain from maintaining civilian, police or s▯ecurity
personnel in disputed territory unfair to Applicant— This Order lends unwarranted
legitimacy to Respondent’s claim — Paragraph 2 of dispositif recognizes claim of
Applicant to disputed territory — Allows Applicant to take measures to protect
environment in disputed territory — Vote for Order in its entirety premised on
acknowledgment of Applicant’s stronger claim to the disputed territor▯y in pa‑
graph 2 of dispositif.

1. I have voted in favour of the provisional measures ordered by the

Court in this case. Although the Court has indicated that both Costa
Rica and Nicaragua should refrain from sending their civilian, police orf
security personnel into the disputed territory of the Isla Portillos, it has
recognized that Costa Rica has a stronger claim to the territory by indi -

cating that it bears responsibility for the protection of the environmenft
of the territory and that it may dispatch its civilian personnel to the ter -
ritory for this purpose. In effect, this restores the status quo ante as
before Nicaragua dispatched military personnel and environmental

workers into the territory in October 2010, Costa Rica mainly viewed
the Isla Portillos as an important environmental site for which it bearsf
responsibility under the Ramsar Convention on Wetlands of Interna -
tional Importance especially as Waterfowl Habitat of 1971. Its primary
concern therefore was for the protection of the environment of the terrif -

tory. That Costa Rica’s main activities in the Isla Portillos relate to envi-
ronmental protection should not obscure the fact that Costa Rica claims f
full territorial sovereignty over the territory. The issue of territoriafl title
was not before the Court on account of the cardinal rule governing the

award of provisional measures that the merits of the dispute — which fin
this instance relate to territorial title over the territory — are tof be deci-

58 60

OPINION INDIVIDUELLE DE M. LE JUGE AD HOC DUGARD

[Traduction]

Accord d’ensemble avec le dispositif de l’ordonnance — Réserves suscitées par la
mesure prescrite au premier point du dispositif, qui impose aux deux Part▯ ies d’évacuer
le territoire litigieux— Examen de la notion de droit plausible— Nécessité d’établir
le caractère plausible du droit revendiqué par le demandeur rendant▯ impossible à la
Cour de se dispenser entièrement d’un examen du fond de l’af▯ ire— Existence d’un
droit plausible du demandeur à la souveraineté sur le territoire li▯ tigieux démontrée par

un traité de délimitation, une sentence arbitrale et des cartes— Obligation de
respecter l’intégrité territoriale d’un Etat constituant une▯ norme de ju—s Lien
entre respect de la stabilité des frontières et respect de l’int▯ égrialeMesuresr—
conservatoires indiquées dans une affaire ayant trait à la violat▯ ion de l’intégrité
territoriale devant appuyer la position de l’Etat envahi— Caractère approprié d’une
mesure rétablissant le statu quo ante — Conclusion différente non justifiée par la
nature du territoire— Injustice faite au demandeur par la mesure indiquée au premier
point du dispositif qui prescrit à l’une et à l’autre ▯ ties sans distinction de

s’abstenir de maintenir des agents civils, de police ou de sé▯ sur le territoire
litigieux— Légitimité non justifiée prêtée par l’ordonnance aux▯ prétentions du
défendeur— Deuxième point du dispositif faisant droit aux prétentions du dema▯ deur
sur le territoire litigieux— Autorisation donnée au demandeur de prendre des mesures
en vue de protéger l’environnement sur le territoire litigieux — Vote en faveur de
l’ensemble de l’ordonnance motivé par la reconnaissance de la▯ étention plus solide
du demandeur sur le territoire litigieux dans le deuxième point d▯ positif.

1. J’ai voté en faveur des mesures conservatoires indiquées par laf Cour
en la présente affaire. Même si celle-ci a enjoint aussi bien au Costa Rica
qu’au Nicaragua de s’abstenir d’envoyer des agents civils, de pfolice et de

sécurité sur le territoire litigieux de Isla Portillos, elle a danfs le même temps
reconnu que la prétention territoriale du Costa Rica était plus solide
puisqu’elle lui a confié le soin de protéger l’environnement de ce territoire
et l’a autorisé à y envoyer des agents civils à cette fin. De fait, le statu quo

ante se trouve ainsi rétabli puisque, avant que le Nicaragua ne déploie du
personnel militaire et des agents chargés de l’environnement sur Ifsla Portil -
los en octobre 2010, le Costa Rica considérait surtout ce territoire comme
une importante réserve naturelle dont il était responsable au titrfe de la

convention de 1971 relative aux zones humides d’importance internatiof -
nale, particulièrement comme habitats des oiseaux d’eau (conventifon de
Ramsar). Sa préoccupation première était donc d’y protégfer l’environne-

ment. Le fait que ses activités sur IslaPortillos soient essentiellement liées à
la protection de l’environnement ne devrait pas faire oublier que le fCosta
Rica revendique la pleine souveraineté sur ce territoire. Que la Courf n’ait
pas eu à connaître à ce stade de la question du titre territorial s’explique par

cette règle fondamentale régissant l’indication de mesures conservatoires,
selon laquelle le bien-fondé des thèses en présence — qui se rapportent en

5861 certain activities (sfep. op. dugard)

ded at the merits phase only. While I fully accept this important princif -
ple, a question which troubles me is whether in circumstances in

which an applicant State for provisional measures demonstrates a strong f
prima facie case for territorial title, the Court should adopt an even-
handed approach to the territorial claims by ordering both parties out
of the disputed territory — as it has done in the present case — or

whether it should give greater recognition to the applicant’s claim bfy
ordering a return to the status quo ante. This is the subject of the present
opinion.

A. Plausible Right

2. The Court has indicated in its Order that the applicant in a request
for provisional measures should satisfy the Court that the rights it assferts
are “at least plausible” (Order, para. 53). The “plausibility test” is a new

feature of the Court’s jurisprudence on provisional measures and owesf its
origin to the case concerning Questions relating to the Obligation to Pro ‑
secute or Extradite (Belgium v. Senegal) (Provisional Measures, Order of
28 May 2009, I.C.J. Reports 2009, p. 151, para. 57). Prior to this decision

the Court refrained from adopting a clear position on this subject as it
was unwilling to do anything that might appear to prejudge the merits off
a case 1. Nevertheless, a number of decisions of the Court indicate its
support for the view that the applicant State was required to show that fit

had some prospect of success on the merits of the case or that it had
established the existence of the right it sought to have protected on a
prima facie basis . Thus in the case concerning Passage through the Great
Belt (Finland v. Denmark) (Provisional Measures, Order of 29 July 1991,

I.C.J. Reports 1991, p.12), the Court replied to Denmark’s argument that
Finland had failed to show that “a prima facie case exists” that “fthe
existence of a right of Finland of passage through the Great Belt is notf

challenged” and that the dispute between the Parties was over the “fnature
and extent of that right” (ibid., p. 17, paras. 21-23). Lord Collins was
right therefore to ask in his lectures before the Hague Academy of Inter -
national Law in 1992, “Is there a case in which interim measures havef

been granted in which there was not at least a prima facie case on the

1 J. G. Merrills, “Interim Measures of Protection in the Recent Jurisprudefnce of the

International Court of Justice”, 44 International and Comparative Law Quarterly, 1995,
p. 20 at p. 114 ; S. Rosenne, Provisional Measures in International Law, 2005, p. 72.
See the cases cited in the separate opinion of Judge Shahabuddeen in Passage
through the Great Belt (Finland v. Denmark), Provisional Measures, Order of 29 July
1991, I.C.J. Reports 1991, p. 30. See also A. Zimmermann, C. Tomuschat and K. Oellers-
Frahm, The Statute of the International Court of Justice, 2006, p. 938.

59 certaines activités f(op. ind. dugard) 61

l’occurrence au titre territorial sur la zone en litige— ne peut être examiné
qu’au stade du fond. Si j’adhère pleinement à ce principe imfportant, une

question ne laisse pas de me préoccuper en l’espèce: lorsque l’Etat deman-
dant l’indication de mesures conservatoires apporte prima facie des élé -
ments de preuve tels qu’il apparaît comme le détenteur du titref territorial
contesté, la Cour doit-elle réserver un traitement identique aux revendica -

tions territoriales des deux parties en leur prescrivant, à l’une fcomme à
l’autre, d’évacuer le territoire litigieux — ainsi qu’elle l’a fait ici —, ou
doit-elle, au contraire, accorder plus de poids aux prétentions du deman -
deur en ordonnant le retour au statu quo ante? Tel est l’objet de la présente

opinion.

A. Un droit plausible

2. La Cour relève dans son ordonnance que, pour qu’elle puisse indi -
quer des mesures conservatoires, il faut que les droits allégués pfar l’Etat
demandeur lui apparaissent «au moins plausibles» (ordonnance, par. 53).

Le « critère de plausibilité » est un nouvel élément de sa jurisprudence
en matière de mesures conservatoires, apparu pour la première foisf en
l’affaire relative à des Questions concernant l’obligation de poursuivre ou
d’extrader (Belgique c. Sénégal) (mesures conservatoires, ordonnance du

28 mai 2009, C.I.J. Recueil 2009, p. 151, par. 57). Avant cette ordonnance,
la Cour, afin d’éviter de paraître préjuger d’une quelconfque manière le
fond d’une affaire, s’était gardée d’adopter une position tranchée sur la
question 1. Il ressort néanmoins de plusieurs de ses décisions qu’elle a ftou-

jours considéré qu’il incombait à l’Etat demandeur de défmontrer qu’il
avait des chances d’obtenir gain de cause au fond ou d’établir prima facie
l’existence du droit qu’il cherchait à protéger 2. Ainsi, dans l’affaire du
Passage par le Grand‑Belt (Finlande c. Danemark) (mesures conserva ‑

toires, ordonnance du 29 juillet 1991, C.I.J. Recueil 1991, p. 12), la Cour a
répondu à l’argument invoqué par le Danemark selon lequel «f le
bien-fondé de la thèse finlandaise n’[était] même pas établfi prima facie »,

«qu’il n’[était] pas contesté qu’il exist[ât], pour la fFinlande, un droit de
passage par le Grand-Belt » et que le différend opposant les Parties avait
trait «à la nature et à l’étendue de ce droit» (ibid., p. 17, par. 21-23). Aussi
lord Collins, lors de sa conférence devant l’Académie de droit interfnatio -

nal de La Haye en 1992, a-t-il eu raison de poser la question : «Existe-t-il

1 J. G. Merrills, « Interim Measures of Protection in the Recent Jurisprudence of the

International Court of Justic», International and Comparative Law Quarterly, 1995,
vol2 44, p. 114 ; S. Rosenne, Provisional Measures in International Law, 2005, p. 72.
Voir les affaires citées dans l’opinion individuelle du juge Shahabuddeen en l’affaire
du Passage par le Grand‑Belt (Finlande c. Danemark), mesures conservatoires, ordon‑
nance du 29 juillet 1991, C.I.J. Recueil 1991, p. 30. Voir également A. Zimmermann,
C. Tomuschat et K. Oellers-Frahm, The Statute of the International Court of Justice,
2006, p. 938.

5962 certain activities (sfep. op. dugard)

merits?” . In general, it seems that the Court preferred to give implicit

rather than express approval to the need for the applicant State to estaf -
blish the prima facie existence of the right that it sought to protect 4.

3. In practice it is impossible for the Court to avoid some consider -
ation of the merits in a request for provisional measures. It is insuffifcient
for the applicant State merely to assert its right . It must, in addition,

show, on a prima facie basis, that this right exists or that it is, in the new
language of the Court, a “plausible right”. Inevitably this requirfes some
consideration of the merits of the case. As Judge Abraham declared in

the case concerning Pulp Mills on the River Uruguay (Argentina v. Uru‑
guay):

“[T]he Court must be satisfied that the arguments are sufficiently sferi -
ous on the merits— failing which it cannot impede the exercise by the
respondent to the request for provisional measures of its right to act afs

it sees fit, within the limits set by international law.” (Provisional
Measures, Order of 13July 2006, I.C.J. Reports 2006, p. 141, para. 10.)

4. The need for the applicant State to prove, albeit only on a prima
facie basis, that it has a right that has some prospect of being successffully
asserted at the merits phase of the proceedings has become much clearer f

since the Judgment of 27 June 2001 in the case of LaGrand (Germany v.
United States of America) (Judgment, I.C.J. Reports 2001, p.466), in which
the Court held that an order for provisional measures is legally binding.

It would be unjust to subject a respondent State to a legally binding orfder
for provisional measures if the applicant State had merely asserted a
right, without showing on a prima facie basis that it had some prospect fof
succeeding on the merits.

5. Opinions will differ as to whether the test of “plausible right”f is an
appropriate and accurate formulation of what the applicant State must

prove. In his separate opinion in the case concerning Passage through the
Great Belt, Judge Shahabuddeen spoke of “a prima facie test, or of a test
as to whether there is a serious issue to be tried, or of a test as to wfhether
there is possible danger to a possible right”, as formulations acceptfable

“for purposes of international litigation” (Provisional Measures, Order of

3
“Provisional and Protective Measures in International Litigation”,f Collected Courses
of the Hague Academy of International Law, Vol. 234, 1992, p. 228.
4 Separate opinion of Judge Bennouna in the case concerning Pulp Mills on the
River Uruguay (Argentina v. Uruguay), Provisional Measures, Order of 13 July 2006,
I.C.J. Reports 2006, p. 143, para. 5 and p. 146, para. 14.
5 Separate opinion of Judge Shahabuddeen in the case concerning Passage through
the Great Belt (Finland v. Denmark), Provisional Measures, Order of 29 July 1991,
I.C.J. Reports 1991, p. 30 ; separate opinion of Judge Abraham in the case concerning
Pulp Mills on the River Uruguay (Argentina v. Uruguay), Provisional Measures, Order of

13 July 2006, I.C.J. Reports 2006, p. 138, para. 6.

60 certaines activités f(op. ind. dugard) 62

une affaire dans laquelle des mesures conservatoires ont été indiquées par

la Cour sans que le bien-fon3é de la thèse du demandeur n’ait au moins
été établi prima facie ? » De manière générale, il semble que la Cour ait
préféré ne reconnaître qu’implicitement la nécessitéf pour le demandeur
d’établir prima facie l’existence du droit qu’il cherchait à sauvegarder .

3. Dans la pratique, lorsqu’elle examine une demande en indication de
mesures conservatoires, la Cour ne saurait éviter de toucher au fond fde
l’affaire. Il ne suffit pas pour le demandeur de faire simplement fvaloir son
droit 5. Il doit en outre démontrer l’existence prima facie d’un tel droit

ou, selon la nouvelle terminologie de la Cour, l’existence d’un «f droit
plausible», si bien que la Cour ne peut se dispenser entièrement d’un exfa -
men au fond. Comme l’a déclaré le juge Abraham dans l’affaire relative à

des Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uru▯guay):
«Le juge [doit être] convaincu d’être en présence d’une argumentation

qui, sur le fond, présente un caractère suffisamment sérieux— faute de
quoi il ne saurait entraver le droit du défendeur d’agir comme il l’entend,
dans les limites fixées par le droit international. » (Mesures conserva ‑
toires, ordonnance du 13 juillet 2006C , .I.J. Recueil 2006, p. 141, par. 10.)

4. La nécessité pour l’Etat requérant de prouver, ne serait-ce que

prima facie, qu’il possède un droit qui a des chances raisonnables d’êtfre
reconnu au stade du fond est devenue beaucoup plus claire depuis l’arfrêt
du 27 juin 2001 en l’affaire LaGrand (Allemagne c. Etats‑Unis d’Amé ‑
rique) (arrêt, C.I.J. Recueil 2001, p. 466), lorsque la Cour a conclu qu’une

ordonnance en indication de mesures conservatoires avait un caractère
obligatoire. Il serait en effet injuste d’exiger de l’Etat déffendeur qu’il se
conforme aux prescriptions juridiquement contraignantes d’une ordon -

nance en indication de mesures conservatoires alors que l’Etat demandfeur
s’est contenté de faire valoir un droit, sans démontrer prima facie qu’il a
quelque chance d’obtenir gain de cause au fond.
5. Les avis divergeront sur la question de savoir si la démonstration de

l’existence d’un «droit plausible» est la formule adéquate ou exacte pour
désigner le critère auquel le demandeur doit satisfaire. Dans son fopinion
individuelle en l’affaire du Passage par le Grand‑Belt,le juge Shahabuddeen
a considéré que les formules «vérifier le fondement prima facie », « vérifier si

la question à juger est sérieuse » ou « vérifier s’il existe un danger possible
pour un droit possible » étaient toutes acceptables « pour les besoins des

3 «Provisional and Protective Measures in International Litigation », Recueil des cours
de l’Académie de droit international de La Haye, 1992 (III), t. 234, p. 228.
4 Opinion individuelle du juge Bennouna en l’affaire relative à des Usines de pâte à
papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), mesures conservatoires, ordonnance du
13 juillet 2006, C.I.J. Recueil 2006, p. 143, par. 5, et p. 146, par. 14.
5 Opinion individuelle du juge Shahabuddeen en l’affaire du Passage par le
Grand‑Belt (Finlande c. Danemark), mesures conservatoires, ordonnance ▯du 29 juillet 1991,

C.I.J. Recueil 1991, p. 30 ; opinion individuelle du juge Abraham en l’affaire relative à dfes
Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), mesures conse‑va
toires, ordonnance du 13 juillet 2006, C.I.J. Recueil 2006, p. 138, par. 6.

6063 certain activities (sfep. op. dugard)

29 July 1991, I.C.J. Reports 1991, p. 36). Another test suggested is that
the case be at least arguable on the merits 6. Any one of these formula -
tions would probably have satisfactorily conveyed the standard of proof f
required. So does the test of “plausibility”, provided that plausifble is

understood as meaning “reasonable or probable” (New Oxford Diction ‑
ary (1998)) or “believable and appearing likely to be true” (Encarta World
Dictionary (1999)). (The word “plausible” does in English, but not in
French, have a secondary meaning of an argument that is specious or
intended to deceive.)

B. Plausibility of Costa Rifca’s Right

6. Much of the evidence in the proceedings in the present case concerned
Costa Rica’s claim to sovereignty over the disputed territory and the
infringement by Nicaragua of its environmental rights in the territory. fOf
course, this evidence was necessary to establish irreparable prejudice ofn the
part of Costa Rica for the purpose of an order for provisional measures,

but at the same time the evidence in support of Costa Rica’s claim to ter -
ritorial title was fully canvassed. Conversely, Nicaragua also led evidefnce
of its claim to territorial title. In fact, most of the evidence relatedf to the
Parties’ competing claims to sovereignty over the disputed territory,f with

the Applicant seeking to show that it had a strong case on the merits, iff not
a conclusive one, and the Respondent seeking to challenge this claim. Inf
the course of its argument, Costa Rica asserted the plausibility of its fright
to territorial title and Nicaragua attempted to refute the existence of fsuch
right. Both Parties appeared to accept that this could not be done withofut

an investigation of matters pertaining to the merits, although Nicaraguaf
did caution the Court against trespassing on the merits of the case.

7. Costa Rica claimed that its rights to territorial integrity and the pro-

tection of its environment had been violated by Nicaragua’s incursionf
into the Isla Portillos. These rights are inseparable as this is not a cfase in
which the environment has been damaged by acts occurring outside Costa
Rica’s territory. Essentially therefore the right asserted by Costa Rfica
pertained to its territorial integrity.

8. The evidence established convincingly that Costa Rica’s right to
sovereignty and territorial integrity over the Isla Portillos was plausifble.

9. The 1858 Treaty of Limits establishing the boundary between Costa
Rica and Nicaragua provides that the boundary line shall commence “inf

the mouth of the River San Juan de Nicaragua ; and shall continue,

6M. Mendelson “Interim Measures of Protection in Cases of Contested Jufrisdiction”,
46 British Year Book of International Law, 1972-1973, p. 317.

61 certaines activités f(op. ind. dugard) 63

litiges internationaux» (mesures conservatoires, ordonnance du 29 juillet1991,
C.I.J. Recueil 1991, p.36). Un autre critère a été suggéré, consistant à s’assu-
rer que la position du demandeur était au moins défendable sur le ffond . 6
N’importe laquelle de ces formules aurait sans doute fait l’affafire. Il en va de

même pour le critère de «plausibilité», pour autant que le mot «plausible»
s’entende dans le sens de « raisonnable ou probable» [«reasonable or pro -
bable » (New Oxford Dictionary, 1998)] ou de «crédible ou vraisemblable»
[«believable and appearing likely to be true » (Encarta World Dictionary,
1999)] (en anglais, le mot «plausible» a également un autre sens — qu’il n’a

pas en français—, celui de «spécieux» ou «fallacieux»).

B. Le caractère plausiblfe du droit du Costa Rica f

6. Une grande partie des éléments de preuve versés au dossier de lf’affaire
se rapportent aux prétentions de souveraineté du Costa Rica sur le territoire
litigieux et aux atteintes portées par le Nicaragua à ses droits efn matière de
protection de l’environnement sur ce territoire. Bien entendu, ces éfléments de
preuve étaient nécessaires pour établir le risque de préjudifce irréparable et

obtenir l’indication de mesures conservatoires, mais il n’en restef pas moins
que le Costa Rica a ainsi donné une ébauche complète de l’argumentation
qu’il entend faire valoir pour établir son titre territorial. Le Nficaragua a, lui
aussi, produit des éléments tendant à prouver qu’il possèfde un titre territorial.

En fait, la plupart des éléments de preuve ont porté sur les prfétentions concur
rentes des Parties à la souveraineté sur le territoire litigieux, fle demandeur
cherchant à démontrer le bien-fondé de ses revendications, fût-c perima facie,
et le défendeur cherchant à les contester. Dans le cours de son argumentation,
le CostaRica a défendu le caractère plausible de son droit à un titre territorial,

tandis que le Nicaragua s’est efforcé de nier l’existence d’un tel droit. Il semble
que les deux Parties aient reconnu que cela ne pouvait se faire sans quef soient
abordées des questions relevant du fond, même si le Nicaragua a infvité la
Cour à prendre garde de ne pas empiéter sur ce dernier.
7. Le Costa Rica a soutenu que l’incursion du Nicaragua dans IslaPor -

tillos avait violé ses droits à l’intégrité territoriale et à la protection de son
environnement. Ces deux droits sont indissociables puisque, dans cette
affaire, les dommages à l’environnement ne sont pas causés pafr des actes
commis en dehors du territoire costa-ricien. Aussi le droit revendiqué par
le Costa Rica est-il essentiellement lié à son intégrité territoriale.

8. Les éléments de preuve ont permis d’établir de manière cofnvain -
cante le caractère plausible du droit du Costa Rica à la souveraineté et à
l’intégrité territoriale sur Isla Portillos.
9. Aux termes du traité de limites de 1858 établissant la frontière entre
le Costa Rica et le Nicaragua, celle-ci commence « à l’embouchure du

fleuve San Juan de Nicaragua, puis sui[t] la rive droite de ce fleuve »

6 M. Mendelson, «Interim Measures of Protection in Cases of Contested Jurisdiction»,
British Year Book of International Law, 1972-1973, vol. 46, p. 317.

6164 certain activities (sfep. op. dugard)

always following the right bank of the said river” (Article II). In 1897 the
First Alexander Award interpreted this treaty to mean that the boundary f
follows the waters edge around Harbor Head Lagoon until it reaches the
San Juan River by “the first channel met” and continues “up thifs chan -
nel”, and then up the San Juan River as directed in the Treaty of 1858.
The First Alexander Award was accompanied by a hand-drawn sketch

which indicates that the “first channel met” is the San Juan Riverf proper
and makes it clear that the boundary line described by the Treaty of 185f8
and the First Alexander Award allocates the Isla Portillos to Costa Rica.
Moreover when the First Alexander Award was published by John Bas-
set Moore in History and Digest of the International Arbitration to which
the United States Has Been a Party, Vol. V (1898), it included a map of

the area which confirms that the Isla Portillos falls within the territory of
Costa Rica. Maps may not provide conclusive evidence of a boundary
but they do still stand “as a statement of geographical fact” espefcially
when the State adversely affected has itself produced and disseminatedf
such maps (Sovereignty over Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, Middle

Rocks and South Ledge (Malaysia/Singapore), Judgment, I.C.J. Rep‑
orts 2008, p. 95, para. 271). It is therefore of significance that maps dating
from the time of the Alexander Awards to the present time support
Costa Rica’s claim. These maps include Nicaraguan maps, maps
produced by both Costa Rica and Nicaragua in their 2009 dispute before
the Court (Dispute regarding Navigational and Related Rights

(Costa Rica v. Nicaragua)), and maps produced by the United States and
international agencies. Finally, Nicaragua accepted the border as claimed
by Costa Rica for over 100 years. It was only after Costa Rica initiated
proceedings before the Court and complained about Nicaragua’s incur -
sion into the Isla Portillos to the Organization of American States that
Nicaragua claimed sovereignty over the territory.

10. Nicaragua sought to substantiate its claim to sovereignty over the
Isla Portillos by arguing that the “first channel met” in the Harbor Head
Lagoon, referred to in the First Alexander Award, was no longer the San f
Juan River but a small stream or caño which had opened up recently ; and

that Alexander had himself contemplated in his Second Award that the
boundary would change as the terrain underwent physical changes. This
argument is unsupported by the law or the facts. First, it is extremely fdif
ficult to reconcile the argument with the Treaty of 1858 or the First Alfex-
ander Award which clearly indicate the natural course of the San Juan

River as the boundary. Secondly, there was no evidence that the terrain
had changed substantially since the Alexander Awards. Thirdly, maps
and satellite photographs failed to provide clear evidence of the existefnce
of the caño before Nicaragua’s environmental cleaning operation in Octo -
ber 2010 which had opened up the caño.

62 certaines activités f(op. ind. dugard) 64

(art. II). En 1897, selon l’interprétation du traité donnée par la premièfre
sentence Alexander, la ligne frontière longeait tout le pourtour de la lagune
de Harbor Head jusqu’à atteindre le fleuve San Juan par « le premier che-
nal rencontré» et se poursuivait « en remontant ce chenal », puis le fleuve
proprement dit, comme prescrit dans le traité de 1858. La première sen -
tence Alexander était accompagnée d’un croquis tracé à laf main qui mon-

trait que « le premier chenal rencontré » était le fleuve San Juan propre-
ment dit, et établissait sans le moindre doute que la ligne frontièfre décrite
dans le traité de 1858 et la première sentence Alexander plaçait Isla Portil -
los en territoire costa-ricien. De surcroît, la première sentence Alexander,
telle que publiée par John Basset Moore dans l’ouvrage intituléf History
and Digest of the International Arbitration to which the United States Has

Been a Party, vol. V (1898), était illustrée par une carte de la région cfonfir-
mant que Isla Portillos faisait partie du territoire du Costa Rica. Certes, une
carte ne saurait constituer un élément déterminant quant à lfa délimitation
d’une frontière, mais elle n’en reste pas moins « une indication de fait géo -
graphique», en particulier lorsque l’Etat désavantagé l’a lui-même établie

et distribuée (Souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, Middle
Rocks et South Ledge (Malaisie/Singapour), arrêt, C.I.J. Recueil 2008,
p. 95, par. 271). Que des cartes établies à l’époque des sentencesAlexander
et jusqu’à ce jour — parmi lesquelles des cartes nicaraguayennefs, des
cartes produites par le Costa Rica et le Nicaragua dans le cadre d’un autre
litige les ayant opposés, que la Cour a tranché en 2009 (Différend relatif à

des droits de navigation et des droits connexes (CostaRica c. Nicaragua)),et
des cartes présentées par les Etats-Unis et des organismes internatio -
naux — viennent au soutien de la thèse costa-ricienne constitue donc un
démenti important. Enfin, le Nicaragua a accepté la frontière revendiquée
par le Costa Rica pendant plus d’unsiècle. Ce n’est qu’après que ce dernier
eut introduit une instance devant la Cour et dénoncé auprès de l’Organisa -

tion des Etats américains l’incursion de son voisin dans Isla Portillos que
le Nicaragua a revendiqué sa souveraineté sur ce territoire.
10. Pour étayer sa prétention à la souveraineté sur Isla Portillos, le
Nicaragua a soutenu, d’une part, que « le premier chenal rencontré » dans
la lagune de Harbor Head, auquel il est fait référence dans la première
sentence Alexander, n’était plus le fleuve San Juan mais un petit chenal,

ou caño, apparu récemment, et, d’autre part, qu’Alexander lui-même
avait envisagé dans sa deuxième sentence arbitrale que la frontière se
modifierait sous l’effet des changements physiques du terrain. Cet fargu -
ment n’est corroboré ni par le droit ni par les faits. Premièrefment, il est
extrêmement difficile de le concilier avec le traité de 1858 ou la première

sentence Alexander, qui indiquent clairement que le cours naturel du
fleuve San Juan constitue la frontière. Deuxièmement, rien ne montre que
le terrain a subi des changements importants depuis les sentences Alexan -
der. Troisièmement, les cartes et les photographies par satellite n’font pas
apporté la preuve de l’existence du caño avant les opérations de nettoyage
de l’environnement entreprises par le Nicaragua en octobre 2010, qui ont

justement ouvert ce passage.

6265 certain activities (sfep. op. dugard)

11. Both Parties claimed to have exercised some governmental author -
ity over the inhabited wetland of the Isla Portillos. Competing effectivités

over the territory is clearly a matter for determination on the merits.
12. In these circumstances, the Court finds that Costa Rica has a plausi -
ble right to sovereignty over the Isla Portillos and that it was not calfled
upon to rule on the plausibility of Nicaragua’s claim to sovereignty f
(Order, para. 58).

C. Territorial Integrityf and Provisional Measurfes

13. Before addressing the question of the appropriate order in the present
case it is necessary to consider the question whether special consideratfions
apply to such an order in cases involving the invasion of the territoriafl
integrity of a State.

14. Respect for territorial integrity is a fundamental principle of the
international legal order. It is a principle enshrined in Article 2 (4) of the
Charter of the United Nations, the Declaration on Principles of Interna -
tional Law concerning Friendly Relations and Co-operation among

States in Accordance with the Charter of the United Nations (General
Assembly, resolution 2625 (XXV) of 24 October 1970), and a host of
international instruments and resolutions. As Judge Koroma stated in his
dissenting opinion in the Advisory Opinion on Accordance with Interna ‑

tional Law of the Unilateral Declaration of Independence in Respect of
Kosovo: “This principle entails an obligation to respect the definition,
delineation and territorial integrity of an existing State.” (I.C.J. Reports
2010 (II), p. 475, para. 21; emphasis added.)

15. The prohibition on the use of force in international relations is
accepted as a peremptory norm, a norm of jus cogens 7. This prohibition
is directly related to the principle of respect for territorial integritfy, as
demonstrated by Article 2 (4) of the Charter of the United Nations which

prohibits the “threat or use of force against the territorial integrifty . . . of
any State”. In these circumstances, it is difficult to resist the cofnclusion
that respect for the territorial integrity of a State by other States 8 is a
norm of jus cogens.

16. Related to respect for territorial integrity is the principle of respectf
for boundaries, particularly boundaries demarcated by treaty and confir-
med by arbitral award. As the Court stated in the case concerning Temple

of Preah Vihear (Cambodia v. Thailand): “In general, when two countries
7
Military and Paramilitary Activities in and against Nicaragua (Nicaragu▯a v. United
States of America), Merits, Judgment, I.C.J. Reports 1986, p. 100, para. 190.
8 In its Advisory Opinion on Accordance with International Law of the Unilateral Decla‑
ration of Independence in Respect of Kosovo of 22 July 2010, the Court found that the
principle of territorial integrity is “confined to the sphere of relations between States”,
(I.C.J. Reports 2010 (II), p. 437, para. 80).

63 certaines activités f(op. ind. dugard) 65

11. Les deux Parties prétendent avoir exercé certaines prérogativesf de
puissance publique sur la zone humide inhabitée de Isla Portillos. Laf ques -

tion des effectivités concurrentes sur ce territoire relève claifrement du fond.
12. Dans ces circonstances, la Cour conclut que le Costa Rica possède
un droit plausible à la souveraineté sur Isla Portillos et qu’elle n’a pas à se
prononcer sur la plausibilité du titre de souveraineté revendiquéf par le
Nicaragua (ordonnance, par. 58).

C. L’intégrité territorfiale et les mesures cofnservatoires

13. Avant de s’interroger sur les mesures appropriées qu’aurait dûf
indiquer une ordonnance en l’espèce, il faut déterminer si le ffait qu’il
s’agissait d’une violation de l’intégrité territoriale d’fun Etat sous forme
d’une invasion appelait des considérations particulières.

14. Le respect de l’intégrité territoriale est un principe fondamenftal de
l’ordre juridique international, consacré par le paragraphe 4 de l’article 2
de la Charte des Nations Unies, la déclaration relative aux principes du
droit international touchant les relations amicales et la coopérationf entre

les Etats conformément à la Charte des Nations Unies (Assemblée géné -
rale, résolution 2625 (XXV) du 24 octobre 1970), et toute une série d’ins -
truments et de résolutions adoptés à l’échelle internatiofnale. Comme l’a
indiqué le juge Koroma dans son opinion dissidente sur l’avis consfultatif

relatif à la Conformité au droit international de la déclaration unilatérale▯
d’indépendance relative au Kosovo, « [c]e principe entraîne l’obligation de
ne pas porter atteinte à la définition, à la délimitation et à l’intégrité terri -
toriale des Etats existants. » (C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 475, par. 21 ; les
italiques sont de moi.)

15. L’interdiction de l’emploi de la force dans les relations internatfio -
nales est acceptée comme une norme impérative, faisant partie du
jus cogens 7. Cette interdiction est directement liée au respect du principe
de l’intégrité territoriale, comme l’indique le paragraphe 4 de l’article 2 de

la Charte des Nations Unies, qui interdit le recours « à la menace ou à
l’emploi de la force … contre l’intégrité territoriale … de tout Etat ». Il est
donc difficile dans ces conditions de ne pas conclure que le respect de
l’intégrité territoriale d’un Etat par d’autres Etats 8 est une norme rele -

vant du jus cogens.
16. Un principe lié au respect de l’intégrité territoriale est cfelui du res -
pect des frontières, en particulier des frontières délimitéefs par un traité
et confirmées par une sentence arbitrale. Comme l’a affirmé laf Cour en

l’affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande), « [D]’une
7
Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui‑ci (Nicaragua
c. Etats‑Unis d’Amérique), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 100, par. 190.
8 Dans son avis consultatif du 22 juillet 2010 sur la Conformité au droit international de
la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo▯, la Cour a conclu que la portée
du principe de l’intégrité territoriale était « donc limitée à la sphère des relations interéta
tiques » (C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 437, par. 80).

6366 certain activities (sfep. op. dugard)

establish a frontier between them, one of the primary objects is to achifeve
stability and finality.” (Merits, Judgment, I.C.J. Reports 1962, p. 34.)

17. Incursions across borders, that is, violations of territorial integrity,

bring with them not only a risk of irreparable prejudice to the State whfose
border has been violated, but also risk of loss of life arising from the like -
lihood of armed confrontations between the forces of the invader and thef
invaded 9. This consideration led the Court in the present case to conclude
that the likelihood that Nicaragua might send troops into the disputed

territory created a risk of irreparable prejudice to Costa Rica (Order,f
para. 75).

18. For the above reasons, special considerations apply to a request for
provisional measures in a case involving the violation of the territoriafl

integrity of a State that has proved a “plausible right” to such tferritory.
Such considerations should not only result in a finding of irreparable
prejudice but also in an order that fully vindicates the position of thef
invaded State by directing that the invading State withdraw its militaryf
forces pending the hearing on the merits.

D. The Nature of the Territofry and Provisional Measfures

19. In its Order (para. 77), the Court finds that “given the nature of the
disputed territory” both Parties should refrain from sending to, or mfain -
taining, in the disputed territory, any personnel, whether civilian, polfice
or security, until the Court has decided the dispute on the merits. Whether

the “nature of the disputed territory” warrants an even-handed ordfer that
treats both parties alike, instead of one directing the invading State aflone
to withdraw, is questionable.

20. If, hypothetically, the State of Utopia invaded the State of Arca -

dia, a densely populated State, and sought to establish a military presefnce
in an Arcadian city, and, if Arcadia could show that it had a highly plafu -
sible title to its territory, which had hitherto been unchallenged, it ifs
surely unlikely that the Court would make an order for provisional mea -
sures calling on both parties to withdraw their forces from the disputedf

city. Instead, it is more likely that the Court would order Utopia, the
invader and recent challenger or Arcadia’s territorial title, to withdraw
pending a decision on the merits of the dispute. Here a direction to botfh
parties to withdraw their forces would result in an administrative vacuufm
and cause chaos in the disputed city.

9 See S. Rosenne, The Law and Practice of the International Court, 1920‑2005, Vol. III,
Procedure, 2006, p. 1410.

64 certaines activités f(op. ind. dugard) 66

manière générale, lorsque deux pays définissent entre eux unfe frontière,
un de leurs principaux objectifs est d’arrêter une solution stablef et défini-
tive. » (Fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1962, p. 34.)
17. Les incursions au-delà des frontières, autrement dit les violations

de l’intégrité territoriale, font naître non seulement un rifsque de préjudice
irréparable pour l’Etat dont la frontière a été violéef, mais aussi un risque
de pertes en vies humaines en raison des affrontement armés qui oppfose -
ront vraisemblablement les forces de l’Etat envahisseur et celles de fl’Etat
envahi . Cette considération a porté la Cour à conclure en l’espèfce que

la probabilité de voir le Nicaragua envoyer des forces armées dans le ter -
ritoire litigieux créait un risque de préjudice irréparable au fCosta Rica
(ordonnance, par. 75).
18. Pour les raisons exposées ci-dessus, une demande en indication de
mesures conservatoires dans une affaire se rapportant à la violation de l’in -

tégrité territoriale d’un Etat qui a prouvé l’existence d’un «droit plausible»
sur le territoire concerné appelle des considérations particulièfres. Celles-ci
auraient dû conduire la Cour non seulement à conclure à l’exfistence d’un
risque de préjudice irréparable, mais aussi à rendre une ordonnfance qui
vienne pleinement au soutien de la position de l’Etat envahi en enjoignant

à l’Etat envahisseur de retirer ses forces jusqu’à l’examfen au fond.

D. La nature du territoirfe et les mesures consefrvatoires

19. Dans son ordonnance (par. 77), la Cour conclut que, «compte tenu
de la nature du territoire litigieux », chaque Partie doit s’abstenir d’en -
voyer ou de maintenir sur le territoire litigieux des agents, qu’ils fsoient
civils, de police ou de sécurité, jusqu’à ce qu’elle ait tranché le différend

sur le fond. Que «la nature du territoire litigieux» justifie une ordonnance
traitant les deux Parties de la même manière, sans distinction, plfutôt
qu’une ordonnance prescrivant au seul Etat envahisseur de se retirer,f
m’apparaît discutable.
20. Si, par hypothèse, l’Etat d’Utopie envahissait l’Etat d’Afrcadie, très

densément peuplé, et cherchait à établir une présence milfitaire dans une
ville arcadienne, et si l’Arcadie était en mesure de prouver qu’felle possé -
dait un titre très plausible sur ce territoire, incontesté jusqu’falors, la Cour
ne rendrait très probablement pas une ordonnance en indication de
mesures conservatoires dans laquelle elle prescrirait aux deux parties dfe

retirer leurs forces de la ville en question. Plus vraisemblablement, elfle
enjoindrait à l’Utopie, qui aurait envahi le territoire et contestferait depuis
peu le titre territorial de l’Arcadie, de retirer ses forces dans l’attente
d’une décision sur le fond de l’affaire. En l’espèce, ufne mesure imposant
aux deux parties de retirer leurs forces créerait un vide administratfif et

serait source de chaos dans la ville en litige.

9 Voir S. Rosenne, The Law and Practice of the International Court, 1920‑2005, vol. III,
Procedure, 2006, p. 1410.

6467 certain activities (sfep. op. dugard)

21. It seems, according to the reasoning of the Court, that the situation
is different when the disputed territory is an uninhabited wetland, where
the absence of law enforcement officers from both applicant and respon -
dent States will not have adverse consequences for the population of thef

applicant State. But is this necessarily a fair and just solution? Courts
have held that a State may not be required to display the same degree off
effectivité over an uninhabited and uninhabitable territory for the pur -
pose of establishing title to territory 10, but there is no reason why such a
territory, once it has been shown that a State has a plausible right to fthe

territory, should not be administered by that State in the same way as afn
inhabited part of the State’s territory. Considerations of respect fofr ter -
ritorial integrity apply as much to uninhabited territory as they do to f
inhabited territory as a State’s sovereignty extends over both the infhab -
ited and uninhabited parts of its territory. There is no more justificatfion

for an order for the withdrawal of forces from both parties in such a case
than there is in the hypothetical case depicted in paragraph 20.

E. Conclusion

22. The Court has adopted a highly even-handed approach in the first
paragraph of its dispositif in an effort to avoid making any pre-judgment
of the merits of the case. Both Parties are ordered to refrain from sendfing

to, or maintaining in the disputed area any personnel, whether civilian,
police or security. But even-handedness can be taken too far. In this case
Costa Rica has shown convincingly that it has a plausible right to soverf -
eignty over the disputed territory and that Nicaragua’s conduct creates an
imminent risk of irreparable prejudice to the territory (Order, para. 75).

Moreover, without prejudging Nicaragua’s claim to sovereignty over thfe
disputed territory, it should be stressed that its claim was first raisefd only
after the initiation of the present proceedings and Costa Rica’s complaint
to the Organization of American States. In these circumstances, justice f
requires that Nicaragua alone should have been ordered to “refrain frfom

sending to, or maintaining in the disputed territory, including the caño,
any personnel, whether civilian, police or military”. In other words,f the
first paragraph of the dispositif should have sought to restore the status
quo ante, the situation as it existed before Nicaragua’s incursion into the
Isla Portillos.

23. A serious objection to the even-handedness displayed by the Court
in its Order is that by directing both Parties to keep out of the disputfed
territory it inevitably will be perceived as giving credibility or legitimacy

10Island of Palmas, United Nations, Reports of International Arbitral Awards (RIAA),
Vol. II, p. 840 ; Legal Status of Eastern Greenland, Judgment, 1933, P.C.I.J., Series A/B,
No. 53, p. 46; “Clipperton Island”, 26 American Journal of International Law, 1932, p. 394.

65 certaines activités f(op. ind. dugard) 67

21. Si l’on s’en tient au raisonnement de la Cour, il semble que la situa-
tion soit différente lorsque le territoire litigieux est une zone hfumide inha-
bitée, où l’absence de forces de l’ordre, qu’elles soientf envoyées par

l’une ou l’autre Partie, n’aura pas d’effet préjudiciabfle sur la population
de l’Etat demandeur. Mais cette décision est-elle nécessairement juste et
équitable? Il ressort de la jurisprudence internationale que, aux fins d’éta -
blir son titre territorial 10, un Etat n’est pas tenu de montrer le même
degré d’effectivité sur un territoire inhabité et inhabitafble, mais il n’y a

pas de raison pour qu’un Etat ayant démontré l’existence d’fun droit plau -
sible à la souveraineté sur ce territoire ne puisse l’administrer au même
titre qu’une partie habitée du territoire national. Les considéfrations de
respect de l’intégrité territoriale s’appliquent aussi bien faux territoires

habités qu’aux territoires non habités, un Etat étant souverfain sur l’en -
semble de son territoire, qu’il soit peuplé ou non. Il n’est pafs plus justifié
d’imposer en l’espèce à chacune des Parties le retrait de ses forces que cela
ne l’est dans l’hypothèse envisagée au paragraphe 20.

E. Conclusion

22. Au premier point du dispositif de son ordonnance, par souci de ne

pas préjuger le fond de l’affaire, la Cour a choisi de n’éftablir strictement
aucune distinction entre les deux Parties, prescrivant à chacune d’fentre
elles de s’abstenir d’envoyer ou de maintenir des agents sur le tefrritoire
litigieux, qu’ils soient civils, de police ou de sécurité. Maisf une telle absence
de distinction peut être excessive. En la présente affaire, le Costa Rica a

montré de manière convaincante qu’il possédait un droit plaufsible à la
souveraineté sur le territoire litigieux et que le comportement du Nifcara -
gua faisait naître un risque imminent de préjudice irréparable à ce terri -
toire (ordonnance, par.75). De plus, sans préjuger du droit revendiqué par

le Nicaragua à la souveraineté sur le territoire litigieux, il confvient de sou -
ligner que ce n’est qu’après que la présente instance eut éfté introduite par
le Costa Rica et que ce dernier se fut plaint auprès de l’Organisation des
Etats américains que le Nicaragua a pour la première fois soulevéf cette
question. Dans ces circonstances, l’équité aurait voulu que l’finjonction de

s’abstenir «d’envoyer ou de maintenir sur le territoire litigieux, y compris
le caño, des agents, qu’ils soient civils, de police ou de sécurité » s’adressât
au seul Nicaragua. Autrement dit, dans le premier point du dispositif, lfa
Cour aurait dû chercher à rétablir le statu quo ante, c’est-à-dire la situation

telle qu’elle était avant l’incursion du Nicaragua dans Isla Pofrtillos.
23. L’absence de distinction opérée par la Cour dans son ordonnancef
se heurte à une sérieuse objection : en demandant aux deux Parties de
rester en dehors du territoire litigieux, la Cour ne manquera pas d’êftre

10Ile de Palmas, Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales (RSA), vol. II, p. 840 ;
Statut juridique du Groënland oriental, arrêt, 1933, C.P.J.I. sé▯ri53, p. 46 ; « Clip-
perton Island», American Journal of International Law, 1932, vol. 26, p. 394.

6568 certain activities (sfep. op. dugard)

to Nicaragua’s claim, despite the weakness of the claim (on the evidence
before the Court) and the late raising of the claim. There is a danger fthat
the Court’s Order may encourage a State with territorial ambitions tof
invade its neighbour, occupy coveted territory, raise a claim to territofrial
title in the face of the Court, and then hope to gain legitimacy for itsf
claim by an even-handed order for provisional measures of the kind ren -

dered by the Court in this case. In short, it is a dangerous precedent.

24. The second paragraph of the dispositif recognizes that Costa Rica
has a stronger claim to the disputed territory as it permits Costa Rica fto

take measures to protect the environment of the disputed territory and tfo
dispatch civilian personnel to the territory for this purpose. In dischafrg -
ing its responsibility for the protection of the environment of the dispfuted
territory, including the caño, Costa Rica is required to consult with the
Secretariat of the Ramsar Convention, give prior notice to Nicaragua of f

its actions and use its best endeavour to find common solutions with
Nicaragua in respect of its actions. In the final resort, however, the
responsibility for the protection of the environment of the Isla Portillfos,
including the caño, lies with Costa Rica which has demonstrated a plau -
sible right to territorial sovereignty over the territory.
25. Despite my misgivings about the first paragraph of the dispositif, I

have voted in favour of the Order in its entirety because the second parfa -
graph of the dispositif recognizes Costa Rica’s claim to the disputed terri-
tory and ensures that Costa Rica will be able to discharge its responsibfil-
ity for the protection of the environment of the Isla Portillos.
26. Paragraph three of the dispositif is also important as it requires
each Party to refrain from any action which might aggravate the dispute.f

It is my earnest hope that both Parties will scrupulously comply with thfis
direction.

(Signed) John Dugard.

66 certaines activités f(op. ind. dugard) 68

perçue comme accordant une certaine crédibilité et une certainef légitimité
à la revendication du Nicaragua, en dépit de la faiblesse de cellef-ci (du
moins au vu des éléments soumis à la Cour) et de sa formulation tardive.
Il est à craindre que cette ordonnance n’incite un Etat nourrissanft des
ambitions territoriales à envahir son voisin, à occuper un territoire
convoité puis à faire valoir une prétention territoriale devantf la Cour, en

espérant que sa prétention se trouvera légitimée par une ordfonnance en
indication de mesures conservatoires qui, comme celle rendue en l’espèce,
mettra les deux parties sur le même plan. En bref, il s’agit d’fun dangereux
précédent.
24. Le deuxième point du dispositif reconnaît que le Costa Rica a une f
prétention plus solide sur le territoire litigieux puisqu’il autorfise cet Etat

à prendre des mesures en vue d’en protéger l’environnement, fdont celui
du caño, et à y envoyer des agents civils à cette fin. Dans l’accomplifsse -
ment de cette tâche, le Costa Rica devra consulter le Secrétariat fde la
convention de Ramsar, informer préalablement le Nicaragua de ses actif -
vités et faire de son mieux pour rechercher avec ce dernier des solutfions

communes. En dernier ressort, toutefois, la responsabilité de la protfection
de l’environnement de Isla Portillos, et notamment du caño, incombe au
Costa Rica, qui a prouvé l’existence d’un droit plausible à la soufveraineté
sur ce territoire.

25. Si, malgré les réserves que m’inspire le premier point du dispositif,

j’ai voté en faveur de l’ensemble de l’ordonnance, c’est fparce que, au
point suivant, la Cour reconnaît la prétention du Costa Rica sur lfe terri -
toire litigieux et fait en sorte qu’il puisse assumer la responsabilifté qui est
la sienne de protéger l’environnement de Isla Portillos.
26. Le troisième point du dispositif a également son importance en ce f
qu’il impose à chaque Partie de s’abstenir de tout acte qui risfquerait

d’aggraver le différend. J’espère très sincèrement que lefs deux Parties se
conformeront scrupuleusement à cette exigence.

(Signé) John Dugard.

66

Document file FR
Document Long Title

Opinion individuelle de M. le juge <i>ad hoc</i> Dugard

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