Opinion dissidente de M. le juge ad hoc Dugard

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150-20130716-ORD-01-02-EN
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271

OPINION DISSIDENTE
DE M. LE JUGE AD HOC DUGARD

[Traduction]

Membres du Mouvement Guardabarranco de défense de l’environnement ▯
interdits d’accès au territoire litigieux en application de l’ordonnance de 2011, en
tant que pouvant être considérés comme des agents civils — Incompatibilité de leur

présence avec l’objet et le but de l’ordonnance de 2011 — Risque de préjudice
irréparable pesant sur le Costa Rica du fait de leur accès au territoire litigieux.

1. En 2011, à la suite de l’entrée des forces armées du Nicaragfua à Isla
Portillos et de leur occupation de ce territoire (ci-après le « territoire liti

gieux»), la Cour, tout en déclarant que la souveraineté revendiquéfe par
le Costa Rica sur celui-ci était plausible, a ordonné aux deux Parties de
s’abstenir d’y envoyer ou d’y maintenir «des agents, qu’ils soient civils, de
police ou de sécurité » (Certaines activités menées par le Nicaragua dans la
région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), mesures conservatoires,

ordonnance du 8 mars 2011, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 27, par. 86, point 1).
La Cour entendait ainsi exclure du territoire litigieux toute personne sfus -
ceptible d’aggraver le différend ou dont la présence aurait pfu avoir une
incidence sur sa décision définitive quant au fond. Telle est laf raison pour
laquelle, tout en jugeant « plausible» la souveraineté revendiquée par le

Costa Rica, elle a ordonné aux agents des deux Parties de rester en dehors f
de ce territoire (ibid., p. 20, par. 59). Telle est également la raison pour
laquelle elle n’a autorisé que les agents civils costa-riciens chafrgés de la
protection de l’environnement à entrer dans le territoire litigieufx — encore
cette autorisation est-elle assortie de conditions très strictes (ibid., p. 27,

par. 86, point 2). Il fallait en effet assurer la protection de l’environne -
ment en attendant que le différend soit réglé et la Cour ne pfouvait assi -
gner cette tâche qu’au Costa Rica, lui seul ayant été réputé détenir un
titre plausible sur le territoire en question, et lui seul étant respfonsable
d’en protéger l’environnement au titre de la convention de Ramsfar. La

troisième mesure conservatoire, qui prescrit aux Parties de « s’abst[enir]
de tout acte qui risquerait d’aggraver ou d’étendre le différend fdont la
Cour est saisie » (ibid., p. 27, par. 86, point 3 ; les italiques sont de moi),
doit être interprétée comme soulignant la nécessité d’fempêcher la pré -
sence dans le territoire litigieux de toute autre personne que celles exfpres-

sément autorisées à s’y trouver. Si, dans la présente ordfonnance, la Cour
exprime sa « préoccupation» quant au fait que « la présence de groupes
organisés de ressortissants nicaraguayens dans le territoire litigieufx com -
porte un risque d’incidents susceptibles d’aggraver le … différend »
(ordonnance, par. 37), elle ne modifie toutefois pas son ordonnance du

8 mars 2011 pour préciser que la présence de tels groupes organisés esft

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8 CIJ1048.indb 87 13/06/14 12:44 certaines activitésf; construction d’une rfoute (op. diss. dugard) 272

incompatible avec celle-ci. L’absence de toute précision à cet égard ouvre
la voie à de nouvelles incursions de groupes organisés de ressortifssants

nicaraguayens dans le territoire litigieux et, partant, à un préjudice irrépa-
rable pour le Costa Rica. Pour cette raison, je ne puis souscrire à la pré -
sente ordonnance.
2. Dans sa demande, le Costa Rica priait la Cour de modifier son
ordonnance en indication de mesures conservatoires de 2011 afin de pré -

ciser que, dans l’attente de sa décision au fond, les deux Partiesf ne devaient
laisser quiconque, si ce n’est les agents environnementaux costa-riciens
spécialement autorisés par cette ordonnance, se rendre dans le terfritoire
litigieux afin d’empêcher qu’un préjudice irréparable nfe puisse être causé
tant à des personnes qu’à l’environnement. Une telle précfision n’était
peut-être pas nécessaire, du moins en ce qui concerne les activitéfs de

groupes de jeunes écologistes soutenus par l’un ou l’autre des fdeux gou -
vernements, si l’on considère que l’ordonnance de 2011 leur barre déjà
l’accès au territoire litigieux. Toutefois, pour que ce point soitf bien clair,
le Costa Rica demandait la modification de l’ordonnance de 2011.
3. Avant d’examiner la demande de modification présentée par le f

Costa Rica au titre de l’article 76 du Règlement de la Cour, il y a lieu de
se poser la question de savoir si l’interdiction imposée aux deux fParties
dans le cadre de la première mesure conservatoire de 2011, qui leur pres -
crit de « s’abst[enir] d’envoyer ou de maintenir sur le territoire litigieuxf, y
compris le caño, des agents, qu’ils soient civils, de police ou de sécurité »,

s’applique aux membres du Mouvement Guardabarranco de défense de
l’environnement (ci-après le « Guardabarranco »).Il s’agit là d’une ques -
tion qui, en toute rigueur, relève du fond. Néanmoins, la demande fde
modification du Costa Rica visant pour l’essentiel à obtenir de la Cour
des précisions et une interprétation quant à la portée de sofn ordonnance
de 2011, cette question doit être examinée à ce stade. Elle est mêfme incon -

tournable puisqu’elle est essentielle pour apprécier l’opportunfité de mod- i
fier ou non les mesures conservatoires existantes, le Costa Rica cherchant
par sa demande à faire en sorte que, en attendant la décision au ffond,
aucun préjudice irréparable ne soit causé à son droit plausible sur le terri -
toire litigieux du fait de l’incursion de membres du Guardabarranco.

4. La réponse à la question de savoir si les membres du Guardabar -
ranco entrent dans les prévisions de l’ordonnance de 2011 dépend de l’in -
terprétation du terme « agents». Dans la présente ordonnance, la Cour
n’examine pas le sens de ce terme mais semble tenir pour acquis que
celui-ci désigne les employés gouvernementaux étant donné qufe, en 2011,

le Costa Rica tirait uniquement grief de la présence de forces armées,
voire de police (paragraphe 80 de l’ordonnance de 2011), sans faire
aucune mention de la présence de personnes privées dans le territoire liti -
gieux (voir le paragraphe 23 de la présente ordonnance). Le terme
«agents» doit toutefois s’entendre en un sens plus large afin d’englober
les membres du Guardabarranco, pour les raisons suivantes.

5. Tout d’abord, le terme « agents» (personnel en anglais) peut s’inter -
préter comme englobant les personnes qui font partie d’une organisfation

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8 CIJ1048.indb 89 13/06/14 12:44 certaines activitésf; construction d’une rfoute (op. diss. dugard) 273

assurant un service donné. Le Free Online Dictionary définit ce terme
anglais comme l’« ensemble des personnes employées ou actives dans une

organisation, une entreprise ou un service ». Pour le Concise Oxford Dic ‑
tionary, il s’agit d’un « groupe de personnes engagées dans une mission de
service public ». Le Guardabarranco est manifestement une organisation
engagée au service de la protection de l’environnement du territoifre qu’il
considère comme nicaraguayen. Ses membres pourraient donc être vusf

comme « des agents civils » frappés par l’interdiction contenue dans la
première mesure conservatoire indiquée dans l’ordonnance de 2011.
6. Cette ordonnance prescrivant à chaque Partie de s’abstenir d’enf -
voyer dans le territoire litigieux « des agents, qu’ils soient civils, de police
ou de sécurité », il pourrait en être déduit que les agents civils doivent au f
moins être des personnes engagées au service du Nicaragua — encore

qu’il ne soit suggéré nulle part que leur action doive prendre la forme
d’un engagement rémunéré. Or, à en juger par les faits prfésentés à la
Cour, il est clair que le Guardabarranco et ses membres sont engagés
dans une mission de service public pour le compte du Nicaragua.
7. La nature précise du Guardabarranco n’est pas claire. Ce mouve -

ment semble poursuivre deux objectifs : la protection de l’environnement
et la défense de la patrie nicaraguayenne. Selon un article de M. Tim Rogers
publié dans le Nicaragua Dispatch du 26 septembre 2012, dont le Nicara -
gua n’a pas contesté l’authenticité, M.Oscar Garcia, un ingénieur forestier
du ministère de l’environnement et des ressources naturelles, a prfésenté le

Guardabarrancocomme ayant vocation à «susciter une prise de conscience
écologique, [à] créer un sentiment de fierté nationale et fde défense de la
patrie». Il est généralement admis que le Guardabarranco entretient des
liens étroits avec la jeunesse sandiniste, l’aile jeune du parti afu pouvoir au
Nicaragua. Le Nicaragua n’a pas davantage nié que des membres du
Guardabarranco avaient hissé le drapeau nicaraguayen en plusieurs

endroits du territoire litigieux et qu’ils arboraient celui-ci lors dfe leurs mis
sions dans ce territoire. Peut-être le Nicaragua a-t-il raison de relfever que
le Guardabarranco n’agit pas sous sa direction ou son contrôle. Il n’est
d’ailleurs pas nécessaire de déterminer à ce stade si les acftes des membres
de ce mouvement peuvent être attribués au Nicaragua, cette questiofn rele -

vant du fond. Il n’en reste pas moins que le Guardabarranco est un mou-
vement de jeunes nationalistes lié à la jeunesse sandiniste dont lf’action vise
à la fois à protéger l’environnement du territoire litigieuxf et à y affirmer la
souveraineté du Nicaragua. La frontière est très ténue entref, d’une part,
une simple tolérance du Nicaragua à l’égard de la présencfe de ces per -

sonnes dans le territoire litigieux et, de l’autre, des encouragementfs de sa
part. Son soutien va manifestement au-delà de la simple tolérance à en
juger par la lettre dans laquelle M. Samuel Santos López, son ministre des
affaires étrangères, « se félicite » des activités menées par des groupes de
jeunes dans le territoire litigieux. En faisant référence dans sonf ordon -
nance à des «groupes organisés de personnes» (par. 25) ou à des «groupes

organisés de ressortissants nicaraguayens» (par. 37), la Cour ne rend pas
compte de la véritable nature du Guardabarranco en tant que mouvement

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de jeunesse nationaliste entretenant des liens avec le parti sandiniste fau
pouvoir au Nicaragua. Le Guardabarranco n’est peut-être pas un groupe

organisé de fonctionnaires rémunérés du Nicaragua, mais il pfeut assuré -
ment être considéré comme un groupe de personnes employées ofu actives
dans une organisation au service des objectifs et intérêts du Gouvfernement
nicaraguayen. En résumé, il s’agit d’«agents civils» au sens de la première
mesure conservatoire indiquée par la Cour dans son ordonnance de 2011f.

8. Bien que les activités du Guardabarranco apparaissent comme rele -
vant des termes de l’ordonnance de 2011, le Nicaragua nie que tel soit le
cas. Aussi le Costa Rica a-t-il demandé la modification de cette ordonnance
pour qu’il soit précisé que les activités en question tombenft effectivement
sous le coup de ses dispositions. Ce faisant, il a fait valoir que, si lfes activi
tés du Guardabarrancon’entraient pas dans les prévisions expresses de l’o-r

donnance de 2011, elles étaient contraires à l’objet et au but de celle-ci.f
9. L’objet et le but de l’ordonnance de 2011 consistaient à faire en
sorte que toutes les personnes non autorisées, qu’elles soient resfsortis -
santes du Nicaragua ou du Costa Rica, restent en dehors du territoire
litigieux en attendant le règlement de l’affaire au fond. La réfférence faite

aux « agents» des Parties dans la première mesure conservatoire visait
peut-être uniquement les représentants du gouvernement (encore qufe je
conteste cette interprétation, voir par. 4-7), étant donné que, en 2010-
2011, seuls des représentants du Gouvernement et de l’armée du fNicara -
gua étaient entrés dans le territoire contesté et que l’entrfée de personnes

privées dans celui-ci n’avait été envisagée ni par le Cosfta Rica ni par la
Cour (voir les paragraphes 23 et 25 de la présente ordonnance). Toute -
fois, l’intention de la Cour d’exclure toute personne non autoriséfe du ter-
ritoire litigieux ressortait clairement de la deuxième mesure conservfatoire,
qui prévoyait que seuls les agents civils costa-riciens chargés def protéger
l’environnement de ce territoire pourraient s’y rendre, sous réfserve de cer -

taines conditions strictes. Il n’est laissé à entendre nulle pafrt que les
«agents civils » en question devaient être des employés rémunérés du f
Gouvernement costa-ricien : des écologistes liés à des ONG environne -
mentales auraient sans doute pu être mandatés à cette fin. Ce qui était
clair, en revanche, c’est qu’il était interdit au Costa Rica d’envoyer dans

le territoire litigieux une multitude d’étudiants militant pour laf protection
de l’environnement. Il s’ensuit nécessairement que des membres d’un
mouvement costa-ricien semblable au Guardabarranco ne pouvaient
accéder au territoire litigieux afin d’y mener des activités fdestinées à
protéger l’environnement, bien que le titre du Costa Rica eût été jugé

«plausible». Les trois premières mesures conservatoires indiquées dans
l’ordonnance de 2011 ne peuvent donc tout simplement pas être intefrpré -
tées comme autorisant des personnes privées affiliées à unef quelconque
organisation costa-ricienne ou nicaraguayenne à se rendre dans le terfri -
toire litigieux, que ces personnes aient ou non à cœur de défenfdre l’envi -
ronnement. L’accès à ce territoire est, à plus forte raison,f interdit à des

mouvements de jeunesse nationalistes luttant pour protéger l’envirfonne -
ment et l’intérêt national de l’une ou l’autre des Partiefs.

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10. Se pose ensuite la question de savoir si la demande du Costa Rica
tendant à la modification de l’ordonnance de 2011 répond aux conditions

requises pour que des mesures conservatoires puissent être indiquéfes.
11. La Cour a conclu que la présence dans le territoire litigieux de
groupes organisés de personnes n’entrant pas dans les prévisionfs de l’or -
donnance de 2011 constituait « un changement de situation au sens de
l’article 76 du Règlement, que le Costa Rica pou[v]ait être fondé à invo -

quer au soutien de sa demande tendant à la modification de ladite ofrdon-
nance» (voir le paragraphe 25 de l’ordonnance). La Cour a estimé inutile
de réexaminer les exigences relatives à la plausibilité, à tfout le moins, des
droits allégués par le Costa Rica et à l’existence d’un lien entre les droits
faisant l’objet de l’instance pendante devant elle et les mesures fconserva -
toires sollicitées (Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région

frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), mesures conservatoires, ordonnance
du 8 mars 2011, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 19-21, par. 58-62).
12. La Cour a déclaré que le Costa Rica n’avait pas démontré que la
présence de membres du Guardabarranco dans le territoire litigieux
constituait un risque réel et imminent de préjudice irréparablef pour ses

droits à la souveraineté sur ce territoire ou pour l’environnemfent de
celui-ci (voir le paragraphe 35 de l’ordonnance). Je ne suis pas d’accord
avec cette conclusion.
13. La raison de mon désaccord tient à l’appréciation que la Coufr a
faite de la nature du Guardabarranco et du risque posé par ce mouve -

ment pour les droits du Costa Rica sur le territoire en cause. Ainsi qu’ex -
posé ci-dessus (par. 7), le Guardabarranco n’est pas un groupe de jeunes
écologistes sans frontières dont le seul souci serait la protectiofn de l’envi -
ronnement. Il s’agit d’un mouvement de jeunes nationalistes qui esft lié à
la jeunesse sandiniste et dont l’action vise à la fois à protéfger l’environne -
ment et à défendre la patrie nicaraguayenne. Soutenu et encouragéf par le

Gouvernement nicaraguayen, ce mouvement considère que la patrie
inclut le territoire litigieux. Nous n’avons pas affaire à un peftit groupe
d’écologistes studieux effectuant des visites sérieuses dans le territoire liti-
gieux pour en étudier l’environnement de manière scientifiquef. Il est diffi-
cile de savoir précisément combien de membres du Guardabarranco se

sont rendus dans ce territoire au cours des dernières années, maisf plus
de 6000 se sont livrés à des activités dans la région du fleufve San Juan. Le
Nicaragua ne conteste pas ce chiffre mais précise que ces 6000 membres
du Guardabarranco sont allés dans la région du fleuve San Juan, qui
englobe à la fois des zones nicaraguayennes et le territoire litigieufx. Ces

personnes ne voyagent pas en petits groupes, elles se déplacent en grfand
nombre en brandissant le drapeau nicaraguayen, comme tel est le propre
de tout mouvement nationaliste. Heureusement, le Costa Rica n’a ni
encouragé ni autorisé de jeunes Costa-Riciens à se comporter ainsi. Si le
Costa Rica — qui, à la différence du Nicaragua, a démontré être tituflaire
d’un titre plausible sur le territoire litigieux — avait agi de la sorte, ce

territoire aurait sans nul doute été le théâtre d’affrontements entre groupes
écologistes rivaux.

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14. De mon point de vue, la présence de membres du Guardabarranco

dans le territoire litigieux est l’étincelle qui risque de mettre fle feu aux
poudres. L’histoire abonde en exemples de violences commises par des f
mouvements de jeunesse champions d’une cause nationale. Ces précéf -
dents historiques ne peuvent être tout simplement ignorés. Il exisfte un
risque réel d’atteintes à l’intégrité physique de persfonnes et de dommages

à l’environnement. En effet, si rien n’est fait pour mettre ufn terme à la
situation actuelle, il est raisonnablement permis de craindre une escalafde
et, partant, un préjudice. La situation revêt en outre un caractèfre urgent.
Empêché par l’ordonnance du 8 mars 2011 d’envoyer son armée ou ses
représentants dans le territoire litigieux, le Gouvernement du Nicarafgua a

usé d’un stratagème en faisant appel à une armée de jeunes écologistes
nationalistes pour agir à leur place. En exprimant sa « préoccupation»
(voir le paragraphe 37 de l’ordonnance) sans s’alarmer davantage, la
Cour rejette ce stratagème sans grande fermeté et ne mesure pas laf gravité
de la situation.

15. Dans ces circonstances, j’estime que la Cour aurait dû accéder fà la
demande du Costa Rica tendant à la modification de l’ordonnance du
8 mars 2011 afin de préciser que la présence de membres du Guardabar -
ranco ou d’entités similaires, qu’elles soient nicaraguayennes ou cosfta-
riciennes, était contraire à celle-ci. Ce faisant, la Cour aurait ffait savoir

aux deux Parties qu’elles étaient tenues de contrôler l’accèsf au territoire
litigieux et d’en interdire l’entrée aux groupes de personnes pfrivées, qu’il
s’agisse d’écologistes ou non. Pareille modification aurait éfté conforme
à la première mesure conservatoire indiquée dans l’ordonnance du f
8 mars 2011, prise en son sens large, ainsi qu’à l’objet et au but de fcette

ordonnance. Elle aurait également été conforme à la troisièfme mesure
conservatoire, prescrivant aux deux Parties de « s’abst[enir] de tout acte
qui risquerait d’aggraver ou d’étendre le différend dont lfa Cour est saisie
ou d’en rendre la solution plus difficile ».

(Signé) John Dugard.

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DISSENTING OPINION
OF JUDGE AD HOC DUGARD

Order of 2011 prohibits members of Guardabarranco Environment Movement
(hereinafter GEM) from visiting disputed territory as they qualify as civilian
personnel — Presence of GEM in disputed territory is contrary to object and

purpose of Order of 2011 — Access of GEM to disputed territory poses risk of
irreparable prejudice to Costa Rica.

1. In 2011 after Nicaragua’s armed forces had entered and occupied
the Isla Portillos (henceforth disputed territory), the Court found that

Costa Rica’s claim to sovereignty over the territory was plausible buft
ordered that both Nicaragua and Costa Rica should refrain from sending
to, or maintaining in the disputed territory “any personnel, whether fcivil -
ian, police or security” (Certain Activities Carried Out by Nicaragua in the
Border Area (Costa Rica v. Nicaragua), Provisional Measures, Order of

8 March 2011, I.C.J. Reports 2011 (I), p. 27, para. 86 (1)). The Court’s
intention was to clear the disputed territory of any persons that might f
exacerbate the dispute and interfere with the ultimate finding of the fCourt
on the merits. This explains why the personnel of both Parties were
ordered to keep out of the disputed territory, despite the fact that Costa

Rica’s claim to sovereignty had been adjudged “plausible” (ibid., p. 20,
para. 59). This also explains why only Costa Rica’s civilian personnel
charged with the protection of the environment were permitted to enter
the disputed territory, and then only under very strict conditions (ibid.,
p. 27, para. 86 (2)). Someone had to ensure that the environment was

protected pending the settlement of the dispute and the Court had no
alternative but to allocate this task to Costa Rica because it alone had
been adjudged to have a plausible title to the territory ; and it alone was
accountable for the environmental protection of the disputed territory
under the Ramsar Convention. The Court’s third provisional measure

calling on Parties to “refrain from any action which might aggravate or
extend the dispute before the Court” (ibid., p. 27, para. 86 (3) ; emphasis
added), should be construed as emphasizing that the disputed territory f
was to be cleared of all persons except those specifically authorized fto be
there. While the present Order expresses “concerns” that “the pfresence of

organized groups of Nicaraguan nationals in the disputed area carries thfe
risk of incidents which might aggravate the present dispute” (see pafra -
graph 37 of the Order), it fails to modify its Order of 8 March 2011
to make it clear that the presence of such organized groups in the
disputed territory is incompatible with this Order. The failure to clarify

this matter may result in further incursions by organized groups of

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OPINION DISSIDENTE
DE M. LE JUGE AD HOC DUGARD

[Traduction]

Membres du Mouvement Guardabarranco de défense de l’environnement ▯
interdits d’accès au territoire litigieux en application de l’ordonnance de 2011, en
tant que pouvant être considérés comme des agents civils — Incompatibilité de leur

présence avec l’objet et le but de l’ordonnance de 2011 — Risque de préjudice
irréparable pesant sur le Costa Rica du fait de leur accès au territoire litigieux.

1. En 2011, à la suite de l’entrée des forces armées du Nicaragfua à Isla
Portillos et de leur occupation de ce territoire (ci-après le « territoire liti

gieux»), la Cour, tout en déclarant que la souveraineté revendiquéfe par
le Costa Rica sur celui-ci était plausible, a ordonné aux deux Parties de
s’abstenir d’y envoyer ou d’y maintenir «des agents, qu’ils soient civils, de
police ou de sécurité » (Certaines activités menées par le Nicaragua dans la
région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), mesures conservatoires,

ordonnance du 8 mars 2011, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 27, par. 86, point 1).
La Cour entendait ainsi exclure du territoire litigieux toute personne sfus -
ceptible d’aggraver le différend ou dont la présence aurait pfu avoir une
incidence sur sa décision définitive quant au fond. Telle est laf raison pour
laquelle, tout en jugeant « plausible» la souveraineté revendiquée par le

Costa Rica, elle a ordonné aux agents des deux Parties de rester en dehors f
de ce territoire (ibid., p. 20, par. 59). Telle est également la raison pour
laquelle elle n’a autorisé que les agents civils costa-riciens chafrgés de la
protection de l’environnement à entrer dans le territoire litigieufx — encore
cette autorisation est-elle assortie de conditions très strictes (ibid., p. 27,

par. 86, point 2). Il fallait en effet assurer la protection de l’environne -
ment en attendant que le différend soit réglé et la Cour ne pfouvait assi -
gner cette tâche qu’au Costa Rica, lui seul ayant été réputé détenir un
titre plausible sur le territoire en question, et lui seul étant respfonsable
d’en protéger l’environnement au titre de la convention de Ramsfar. La

troisième mesure conservatoire, qui prescrit aux Parties de « s’abst[enir]
de tout acte qui risquerait d’aggraver ou d’étendre le différend fdont la
Cour est saisie » (ibid., p. 27, par. 86, point 3 ; les italiques sont de moi),
doit être interprétée comme soulignant la nécessité d’fempêcher la pré -
sence dans le territoire litigieux de toute autre personne que celles exfpres-

sément autorisées à s’y trouver. Si, dans la présente ordfonnance, la Cour
exprime sa « préoccupation» quant au fait que « la présence de groupes
organisés de ressortissants nicaraguayens dans le territoire litigieufx com -
porte un risque d’incidents susceptibles d’aggraver le … différend »
(ordonnance, par. 37), elle ne modifie toutefois pas son ordonnance du

8 mars 2011 pour préciser que la présence de tels groupes organisés esft

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8 CIJ1048.indb 87 13/06/14 12:44 272 certain activities ; construction of a roafd (diss. op. dugard)

Nicaraguan nationals into the disputed territory with consequent irrepa -
rable prejudice to Costa Rica. For this reason, I dissent from the Order of

the Court.

2. In its present Application Costa Rica asks the Court to modify its
Order on provisional measures of 2011 to make it clear that all persons,

other than environmental officials of Costa Rica specially authorized by
the Order of 2011 to enter the disputed territory, are to be prevented bfy
both Parties from accessing the disputed territory, in order to prevent f
irreparable harm being caused to both persons and the environment,
pending the Court’s determination on the merits. It may be that such an
Order is unnecessary, at least as far as it concerns the activities of efnvi -

ronmental youth groups supported by either Government, on the ground
that such groups are already prohibited from accessing the territory in f
terms of the 2011 Order. However, in order to clarify this issue, Costa Rica
seeks a modification of the 2011 Order.
3. Before examining Costa Rica’s Application under Article 76 of the

Rules of the Court to modify the Order of 2011, it is necessary to consifder
the question whether the prohibition imposed on both Parties by the fifrst
provisional measure ordered in 2011 requiring them to “refrain from
sending to, or maintaining in the disputed territory, including the caño,
any personnel, whether civilian, police or security” applies to the Gfuarda-

barranco Environment Movement (hereinafter GEM). Strictly, this is a
matter for determination on the merits of the case. However, as
Costa Rica’s Application for modification of the Order is essentially a
request for clarification and interpretation of the scope of the Orderf of
2011 it is necessary to examine this issue at this stage. Furthermore, afs
Costa Rica’s Application aims to ensure that irreparable prejudice is not

caused to Costa Rica’s plausible right to the disputed territory by the
incursion of members of GEM pending a decision on the merits, it is
impossible to avoid consideration of this matter as it is essential to af deci-
sion on the modification of the existing provisional measures.

4. The answer to the question whether the members of GEM are cov -
ered by the Order of 2011 depends on the meaning to be attached to the
term “personnel”. In the present Order, the Court does not examinef the
meaning of the term “personnel” but seems to assume that the term “per -
sonnel” applies to government employees, because in 2011 Costa Rica

complained only about the presence of the army, and possibly police (sefe
paragraph 80 of the Order of 2011), and made no mention of the presence
of private persons in the disputed territory (see paragraph 23 of the
Order). The term “personnel” should, however, be given a broader fmean -
ing to include the members of the GEM for the following reasons.

5. First, the term “personnel” may be interpreted as applying to per -
sons forming part of an organization employed in some service. The Free

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8 CIJ1048.indb 88 13/06/14 12:44 certaines activitésf; construction d’une rfoute (op. diss. dugard) 272

incompatible avec celle-ci. L’absence de toute précision à cet égard ouvre
la voie à de nouvelles incursions de groupes organisés de ressortifssants

nicaraguayens dans le territoire litigieux et, partant, à un préjudice irrépa-
rable pour le Costa Rica. Pour cette raison, je ne puis souscrire à la pré -
sente ordonnance.
2. Dans sa demande, le Costa Rica priait la Cour de modifier son
ordonnance en indication de mesures conservatoires de 2011 afin de pré -

ciser que, dans l’attente de sa décision au fond, les deux Partiesf ne devaient
laisser quiconque, si ce n’est les agents environnementaux costa-riciens
spécialement autorisés par cette ordonnance, se rendre dans le terfritoire
litigieux afin d’empêcher qu’un préjudice irréparable nfe puisse être causé
tant à des personnes qu’à l’environnement. Une telle précfision n’était
peut-être pas nécessaire, du moins en ce qui concerne les activitéfs de

groupes de jeunes écologistes soutenus par l’un ou l’autre des fdeux gou -
vernements, si l’on considère que l’ordonnance de 2011 leur barre déjà
l’accès au territoire litigieux. Toutefois, pour que ce point soitf bien clair,
le Costa Rica demandait la modification de l’ordonnance de 2011.
3. Avant d’examiner la demande de modification présentée par le f

Costa Rica au titre de l’article 76 du Règlement de la Cour, il y a lieu de
se poser la question de savoir si l’interdiction imposée aux deux fParties
dans le cadre de la première mesure conservatoire de 2011, qui leur pres -
crit de « s’abst[enir] d’envoyer ou de maintenir sur le territoire litigieuxf, y
compris le caño, des agents, qu’ils soient civils, de police ou de sécurité »,

s’applique aux membres du Mouvement Guardabarranco de défense de
l’environnement (ci-après le « Guardabarranco »).Il s’agit là d’une ques -
tion qui, en toute rigueur, relève du fond. Néanmoins, la demande fde
modification du Costa Rica visant pour l’essentiel à obtenir de la Cour
des précisions et une interprétation quant à la portée de sofn ordonnance
de 2011, cette question doit être examinée à ce stade. Elle est mêfme incon -

tournable puisqu’elle est essentielle pour apprécier l’opportunfité de mod- i
fier ou non les mesures conservatoires existantes, le Costa Rica cherchant
par sa demande à faire en sorte que, en attendant la décision au ffond,
aucun préjudice irréparable ne soit causé à son droit plausible sur le terri -
toire litigieux du fait de l’incursion de membres du Guardabarranco.

4. La réponse à la question de savoir si les membres du Guardabar -
ranco entrent dans les prévisions de l’ordonnance de 2011 dépend de l’in -
terprétation du terme « agents». Dans la présente ordonnance, la Cour
n’examine pas le sens de ce terme mais semble tenir pour acquis que
celui-ci désigne les employés gouvernementaux étant donné qufe, en 2011,

le Costa Rica tirait uniquement grief de la présence de forces armées,
voire de police (paragraphe 80 de l’ordonnance de 2011), sans faire
aucune mention de la présence de personnes privées dans le territoire liti -
gieux (voir le paragraphe 23 de la présente ordonnance). Le terme
«agents» doit toutefois s’entendre en un sens plus large afin d’englober
les membres du Guardabarranco, pour les raisons suivantes.

5. Tout d’abord, le terme « agents» (personnel en anglais) peut s’inter -
préter comme englobant les personnes qui font partie d’une organisfation

46

8 CIJ1048.indb 89 13/06/14 12:44 273 certain activities ; construction of a roafd (diss. op. dugard)

Dictionary [Online] defines personnel as “the body of persons employed
by or active in an organization, business or service”. The Concise Oxford

Dictionary defines personnel as a “body of persons engaged in some pub -
lic service”. GEM is clearly an organization employed in the service fof
protecting the environment of what it perceives to be Nicaraguan terri -
tory. Its members could therefore be described as constituting “any civil -
ian personnel” falling within the prohibition contained in the firsft

provisional measure in the Order of 2011.

6. It may be argued that the fact the Order requires each Party to
refrain from sending “any personnel, whether civilian, police or security”
into the disputed territory indicates that the civilian personnel shouldf at
least be employed in the service of Nicaragua — although there is no sug -

gestion that this employment should take the form of work for remunera-
tion. However, on the facts before the Court, it is clear that GEM and ifts
members are engaged in a public service on behalf of Nicaragua.

7. The precise nature of GEM is not clear. It appears to have a dual

purpose: the protection of the environment and the defence of the home -
land of Nicaragua. According to an article by Tim Rogers in the Nicara ‑
gua Dispatch of 26 September 2012, the authenticity of which has not
been challenged by Nicaragua, Oscar Garcia, a forestry engineer with the
Ministry of Environment and Natural Resources, described GEM as

being “about creating ecological awareness, building nationalism and f
defence of the homeland”. It is common cause that there is a close cofn -
nection between GEM and the Sandinista Youth, the youth movement of
the governing party of Nicaragua. Furthermore, Nicaragua has not
denied that members of GEM have placed Nicaraguan flags in the dis -
puted territory and that they fly Nicaraguan flags on their missionsf into

the disputed territory. It may be true, as asserted by Nicaragua that GEfM
does not act under the direction or control of Nicaragua. Moreover it isf
unnecessary to decide at this stage whether the acts of GEM may be
attributed to Nicaragua, as this is an issue for determination on the mer -
its. This does not, however, detract from the fact that GEM is a nationafl-

istic youth movement, linked with the Sandinista Youth, which is
concerned both with protecting the environment of the disputed territoryf
and with asserting that it is Nicaraguan territory. The line between tolfera -
tion of the presence of GEM in the disputed territory on the part of Nicfa -
ragua and sponsorship of their presence is very thin. That Nicaragua’fs

support for GEM goes beyond mere toleration is clear from the letter of f
Samuel Santos López of the Nicaraguan Foreign Ministry in which he
“sees with great pleasure” the work of youth groups in the disputed terri -
tory. The Court’s description of GEM in its Order as “organized groups
of persons” (see paragraph 25 of the Order) and “organized groups of
Nicaraguan nationals” (see paragraph 37 of the Order) fails to capture

the true nature of GEM as a nationalistic youth movement, with ties to
the governing Sandinista Party of Nicaragua. Although GEM may not be

47

8 CIJ1048.indb 90 13/06/14 12:44 certaines activitésf; construction d’une rfoute (op. diss. dugard) 273

assurant un service donné. Le Free Online Dictionary définit ce terme
anglais comme l’« ensemble des personnes employées ou actives dans une

organisation, une entreprise ou un service ». Pour le Concise Oxford Dic ‑
tionary, il s’agit d’un « groupe de personnes engagées dans une mission de
service public ». Le Guardabarranco est manifestement une organisation
engagée au service de la protection de l’environnement du territoifre qu’il
considère comme nicaraguayen. Ses membres pourraient donc être vusf

comme « des agents civils » frappés par l’interdiction contenue dans la
première mesure conservatoire indiquée dans l’ordonnance de 2011.
6. Cette ordonnance prescrivant à chaque Partie de s’abstenir d’enf -
voyer dans le territoire litigieux « des agents, qu’ils soient civils, de police
ou de sécurité », il pourrait en être déduit que les agents civils doivent au f
moins être des personnes engagées au service du Nicaragua — encore

qu’il ne soit suggéré nulle part que leur action doive prendre la forme
d’un engagement rémunéré. Or, à en juger par les faits prfésentés à la
Cour, il est clair que le Guardabarranco et ses membres sont engagés
dans une mission de service public pour le compte du Nicaragua.
7. La nature précise du Guardabarranco n’est pas claire. Ce mouve -

ment semble poursuivre deux objectifs : la protection de l’environnement
et la défense de la patrie nicaraguayenne. Selon un article de M. Tim Rogers
publié dans le Nicaragua Dispatch du 26 septembre 2012, dont le Nicara -
gua n’a pas contesté l’authenticité, M.Oscar Garcia, un ingénieur forestier
du ministère de l’environnement et des ressources naturelles, a prfésenté le

Guardabarrancocomme ayant vocation à «susciter une prise de conscience
écologique, [à] créer un sentiment de fierté nationale et fde défense de la
patrie». Il est généralement admis que le Guardabarranco entretient des
liens étroits avec la jeunesse sandiniste, l’aile jeune du parti afu pouvoir au
Nicaragua. Le Nicaragua n’a pas davantage nié que des membres du
Guardabarranco avaient hissé le drapeau nicaraguayen en plusieurs

endroits du territoire litigieux et qu’ils arboraient celui-ci lors dfe leurs mis
sions dans ce territoire. Peut-être le Nicaragua a-t-il raison de relfever que
le Guardabarranco n’agit pas sous sa direction ou son contrôle. Il n’est
d’ailleurs pas nécessaire de déterminer à ce stade si les acftes des membres
de ce mouvement peuvent être attribués au Nicaragua, cette questiofn rele -

vant du fond. Il n’en reste pas moins que le Guardabarranco est un mou-
vement de jeunes nationalistes lié à la jeunesse sandiniste dont lf’action vise
à la fois à protéger l’environnement du territoire litigieuxf et à y affirmer la
souveraineté du Nicaragua. La frontière est très ténue entref, d’une part,
une simple tolérance du Nicaragua à l’égard de la présencfe de ces per -

sonnes dans le territoire litigieux et, de l’autre, des encouragementfs de sa
part. Son soutien va manifestement au-delà de la simple tolérance à en
juger par la lettre dans laquelle M. Samuel Santos López, son ministre des
affaires étrangères, « se félicite » des activités menées par des groupes de
jeunes dans le territoire litigieux. En faisant référence dans sonf ordon -
nance à des «groupes organisés de personnes» (par. 25) ou à des «groupes

organisés de ressortissants nicaraguayens» (par. 37), la Cour ne rend pas
compte de la véritable nature du Guardabarranco en tant que mouvement

47

8 CIJ1048.indb 91 13/06/14 12:44 274 certain activities ; construction of a roafd (diss. op. dugard)

an organized group of paid Nicaraguan officials, it surely qualifies fas a

body of persons employed by or active in an organization engaged in
furthering the objects and interests of the Nicaraguan Government. In
short, it constitutes “civilian personnel” within the meaning of tfhe first
provisional measure in the Court’s Order of 2011.

8. Although the activities of GEM appear to fall within the terms of
the Order of 2011, Nicaragua denies that this is the case. Costa Rica has
accordingly sought to have this Order modified in order to make it clefar
that these activities are covered. In doing so, it argues that if the acftivities

of GEM do not fall within the letter of the Order of 2011, they are con -
trary to the object and purpose of the Order.

9. The object and purpose of the Order of 2011 was to keep all unau -
thorized persons, whether nationals of Nicaragua or Costa Rica, out of

the disputed territory pending the determination of the merits of the cafse.
The first provisional measure referred to “any personnel” of thef Parties,
perhaps suggesting government officials only (although this interpretaftion
is challenged above, paras. 4-7), because in 2010-2011 only Nicaraguan
Government officials and military had entered the territory and the entfry

of private persons into the territory was not considered by either Costa Rica
or the Court (see paragraphs 23 and 25 of the Order). But the intention
of the Order to keep all unauthorized persons out of the disputed terri -
tory was made clear by the second provisional measure which provided
that only Costa Rican civilian personnel charged with the protection of

the environment of the disputed territory — might enter the territory —
subject to strict conditions. There was no suggestion that such “civiflian
personnel” were to be in the paid employment of the Costa Rican Gov -
ernment: presumably environmentalists attached to environmental
NGO’s might be selected for this purpose. But it is clear that Costa Rica

was barred from dispatching student activist environmentalists into the f
disputed territory in large numbers. By necessary implication Costa Rica’s
equivalent of GEM was prohibited from accessing the disputed territory
to carry out activities to protect the environment of the territory, desfpite
the fact that Costa Rica’s title to the territory had been adjudged “plau -

sible”. It is therefore simply not possible to interpret provisional fmeasures 1
to 3 of the Order of 2011 as allowing private persons belonging to an
organization of either Costa Rica or Nicaragua to access the disputed ter -
ritory, whether such persons were motivated by a concern for the environ-f
ment or not. A fortiori it prohibited nationalistic youth movements

committed to protecting the environment and the national interest of
either Party from accessing the territory.

48

8 CIJ1048.indb 92 13/06/14 12:44 certaines activitésf; construction d’une rfoute (op. diss. dugard) 274

de jeunesse nationaliste entretenant des liens avec le parti sandiniste fau
pouvoir au Nicaragua. Le Guardabarranco n’est peut-être pas un groupe

organisé de fonctionnaires rémunérés du Nicaragua, mais il pfeut assuré -
ment être considéré comme un groupe de personnes employées ofu actives
dans une organisation au service des objectifs et intérêts du Gouvfernement
nicaraguayen. En résumé, il s’agit d’«agents civils» au sens de la première
mesure conservatoire indiquée par la Cour dans son ordonnance de 2011f.

8. Bien que les activités du Guardabarranco apparaissent comme rele -
vant des termes de l’ordonnance de 2011, le Nicaragua nie que tel soit le
cas. Aussi le Costa Rica a-t-il demandé la modification de cette ordonnance
pour qu’il soit précisé que les activités en question tombenft effectivement
sous le coup de ses dispositions. Ce faisant, il a fait valoir que, si lfes activi
tés du Guardabarrancon’entraient pas dans les prévisions expresses de l’o-r

donnance de 2011, elles étaient contraires à l’objet et au but de celle-ci.f
9. L’objet et le but de l’ordonnance de 2011 consistaient à faire en
sorte que toutes les personnes non autorisées, qu’elles soient resfsortis -
santes du Nicaragua ou du Costa Rica, restent en dehors du territoire
litigieux en attendant le règlement de l’affaire au fond. La réfférence faite

aux « agents» des Parties dans la première mesure conservatoire visait
peut-être uniquement les représentants du gouvernement (encore qufe je
conteste cette interprétation, voir par. 4-7), étant donné que, en 2010-
2011, seuls des représentants du Gouvernement et de l’armée du fNicara -
gua étaient entrés dans le territoire contesté et que l’entrfée de personnes

privées dans celui-ci n’avait été envisagée ni par le Cosfta Rica ni par la
Cour (voir les paragraphes 23 et 25 de la présente ordonnance). Toute -
fois, l’intention de la Cour d’exclure toute personne non autoriséfe du ter-
ritoire litigieux ressortait clairement de la deuxième mesure conservfatoire,
qui prévoyait que seuls les agents civils costa-riciens chargés def protéger
l’environnement de ce territoire pourraient s’y rendre, sous réfserve de cer -

taines conditions strictes. Il n’est laissé à entendre nulle pafrt que les
«agents civils » en question devaient être des employés rémunérés du f
Gouvernement costa-ricien : des écologistes liés à des ONG environne -
mentales auraient sans doute pu être mandatés à cette fin. Ce qui était
clair, en revanche, c’est qu’il était interdit au Costa Rica d’envoyer dans

le territoire litigieux une multitude d’étudiants militant pour laf protection
de l’environnement. Il s’ensuit nécessairement que des membres d’un
mouvement costa-ricien semblable au Guardabarranco ne pouvaient
accéder au territoire litigieux afin d’y mener des activités fdestinées à
protéger l’environnement, bien que le titre du Costa Rica eût été jugé

«plausible». Les trois premières mesures conservatoires indiquées dans
l’ordonnance de 2011 ne peuvent donc tout simplement pas être intefrpré -
tées comme autorisant des personnes privées affiliées à unef quelconque
organisation costa-ricienne ou nicaraguayenne à se rendre dans le terfri -
toire litigieux, que ces personnes aient ou non à cœur de défenfdre l’envi -
ronnement. L’accès à ce territoire est, à plus forte raison,f interdit à des

mouvements de jeunesse nationalistes luttant pour protéger l’envirfonne -
ment et l’intérêt national de l’une ou l’autre des Partiefs.

48

8 CIJ1048.indb 93 13/06/14 12:44 275 certain activities ; construction of a roafd (diss. op. dugard)

10. It is necessary next to consider whether Costa Rica’s request for
modifications of the Order of 2011 complies with the requirements for fan

order for provisional measures.
11. The Court has found that the presence of organized groups of per -
sons in the disputed territory which was not contemplated in 2011, constf-i
tutes “a change in the situation within the meaning of Article 76 of the
Rules of the Court, upon which Costa Rica may be entitled to rely in

support of its request for the modification of the said Order” (sefe para -
graph 25 of the Order). The Court has found it unnecessary to reconsider
the requirements that the rights asserted by Costa Rica should at least be
plausible and that there should be a link between the rights which form f
the subject of the proceedings before the Court and the provisional mea -
sures being sought (Certain Activities Carried Out by Nicaragua in the

Border Area (Costa Rica v. Nicaragua), Provisional Measures, Order of
8 March 2011, I.C.J. Reports 2011 (I), pp. 19-21, paras. 58-62).
12. The Court has found that Costa Rica has failed to show that the
presence of GEM in the disputed territory constitutes a real and immi -
nent risk of irreparable prejudice to Costa Rica’s rights to territorial sov -

ereignty over the disputed territory or to the preservation of the
environment of the territory (see paragraph 35 of the Order). I disagree
with the Court’s finding.
13. My disagreement with the Court relates to its assessment of the
nature of GEM and the risk it poses to Costa Rica’s rights in the disputed

territory. As I have shown above (para. 7), GEM is not a body of young
environmentalists sans frontières, concerned solely with the preservation
of the environment. Instead it is a nationalistic youth movement, linkedf
to the Sandinista Youth Movement, committed to both the protection of
the environment and the defence of the homeland of Nicaragua. With the
support and encouragement of the Government of Nicaragua, it sees the

Nicaraguan homeland as including the disputed territory. It is not a smafll
group of studious environmentalists who make serious visits to the dis -
puted territory to study the environment in a scientific manner. It isf not
clear how many have visited the disputed territory over the past years, f
but over 6,000 have carried out activities in the region of the San Juanf

River. Nicaragua does not deny the figure of 6,000 but explains that this
number of GEM members have visited the San Juan River region, com -
prising both Nicaraguan territory and the disputed territory. Members off
GEM do not travel in small groups. Instead they travel in large groups, f
waving the Nicaraguan flag, as befits a nationalistic movement. Fortu -

nately, Costa Rica has neither encouraged nor allowed its youth to behave
in a similar fashion. Had Costa Rica which, unlike Nicaragua, has dem -
onstrated a plausible right to territorial title of the disputed territofry,
done so there would in all probability have been clashes between rival
environmentalist groups in the disputed territory.

49

8 CIJ1048.indb 94 13/06/14 12:44 certaines activitésf; construction d’une rfoute (op. diss. dugard) 275

10. Se pose ensuite la question de savoir si la demande du Costa Rica
tendant à la modification de l’ordonnance de 2011 répond aux conditions

requises pour que des mesures conservatoires puissent être indiquéfes.
11. La Cour a conclu que la présence dans le territoire litigieux de
groupes organisés de personnes n’entrant pas dans les prévisionfs de l’or -
donnance de 2011 constituait « un changement de situation au sens de
l’article 76 du Règlement, que le Costa Rica pou[v]ait être fondé à invo -

quer au soutien de sa demande tendant à la modification de ladite ofrdon-
nance» (voir le paragraphe 25 de l’ordonnance). La Cour a estimé inutile
de réexaminer les exigences relatives à la plausibilité, à tfout le moins, des
droits allégués par le Costa Rica et à l’existence d’un lien entre les droits
faisant l’objet de l’instance pendante devant elle et les mesures fconserva -
toires sollicitées (Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région

frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), mesures conservatoires, ordonnance
du 8 mars 2011, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 19-21, par. 58-62).
12. La Cour a déclaré que le Costa Rica n’avait pas démontré que la
présence de membres du Guardabarranco dans le territoire litigieux
constituait un risque réel et imminent de préjudice irréparablef pour ses

droits à la souveraineté sur ce territoire ou pour l’environnemfent de
celui-ci (voir le paragraphe 35 de l’ordonnance). Je ne suis pas d’accord
avec cette conclusion.
13. La raison de mon désaccord tient à l’appréciation que la Coufr a
faite de la nature du Guardabarranco et du risque posé par ce mouve -

ment pour les droits du Costa Rica sur le territoire en cause. Ainsi qu’ex -
posé ci-dessus (par. 7), le Guardabarranco n’est pas un groupe de jeunes
écologistes sans frontières dont le seul souci serait la protectiofn de l’envi -
ronnement. Il s’agit d’un mouvement de jeunes nationalistes qui esft lié à
la jeunesse sandiniste et dont l’action vise à la fois à protéfger l’environne -
ment et à défendre la patrie nicaraguayenne. Soutenu et encouragéf par le

Gouvernement nicaraguayen, ce mouvement considère que la patrie
inclut le territoire litigieux. Nous n’avons pas affaire à un peftit groupe
d’écologistes studieux effectuant des visites sérieuses dans le territoire liti-
gieux pour en étudier l’environnement de manière scientifiquef. Il est diffi-
cile de savoir précisément combien de membres du Guardabarranco se

sont rendus dans ce territoire au cours des dernières années, maisf plus
de 6000 se sont livrés à des activités dans la région du fleufve San Juan. Le
Nicaragua ne conteste pas ce chiffre mais précise que ces 6000 membres
du Guardabarranco sont allés dans la région du fleuve San Juan, qui
englobe à la fois des zones nicaraguayennes et le territoire litigieufx. Ces

personnes ne voyagent pas en petits groupes, elles se déplacent en grfand
nombre en brandissant le drapeau nicaraguayen, comme tel est le propre
de tout mouvement nationaliste. Heureusement, le Costa Rica n’a ni
encouragé ni autorisé de jeunes Costa-Riciens à se comporter ainsi. Si le
Costa Rica — qui, à la différence du Nicaragua, a démontré être tituflaire
d’un titre plausible sur le territoire litigieux — avait agi de la sorte, ce

territoire aurait sans nul doute été le théâtre d’affrontements entre groupes
écologistes rivaux.

49

8 CIJ1048.indb 95 13/06/14 12:44 276 certain activities ; construction of a roafd (diss. op. dugard)

14. In my opinion, the presence of GEM in the disputed territory is a

recipe for disaster. History is replete with instances of violence commiftted
by youth movements committed to a national cause. These historical
precedents cannot be ignored. There is a real risk of personal injury and
damage to the environment. This arises from the likelihood of future
harm based on the reasonable prospect that the present situation, if

allowed to continue, will escalate. Moreover the matter is urgent. Unable
to send its army or officials into the disputed territory by reason of fthe
Order of 8 March 2011, the Government of Nicaragua has resorted to the
stratagem of employing a surrogate force comprising young nationalistic f
environmentalists to carry out this task. The Court’s expression of “fcon -

cerns” (see paragraph 37 of the Order), falling short of serious concerns,
is a gentle rebuke of this stratagem that fails to grasp the gravity of fthe
situation.

15. In these circumstances I believe that the Court should have acceded
to Costa Rica’s request for modification of the Order of 2011 to make it
clear that the presence of GEM or similar bodies, belonging to either
Nicaragua or Costa Rica, is contrary to the Order of 8 March 2011. Such
a modification would send out a message to both Parties that they are f

required to police access to the disputed territory and to prevent groupfs
of private persons, whether they be environmentalists or not, from enter -
ing the disputed territory. This would be in line with a broad interpretfa -
tion of the first provisional measure in the Order of 8 March 2011 and the
object and purpose of the Order of 8 March 2011. Moreover it would

accord with the third provisional measure calling on both Parties to
“refrain from any action which might aggravate or extend the dispute f
before the Court or make it more difficult to resolve”.

(Signed) John Dugard.

50

8 CIJ1048.indb 96 13/06/14 12:44 certaines activitésf; construction d’une rfoute (op. diss. dugard) 276

14. De mon point de vue, la présence de membres du Guardabarranco

dans le territoire litigieux est l’étincelle qui risque de mettre fle feu aux
poudres. L’histoire abonde en exemples de violences commises par des f
mouvements de jeunesse champions d’une cause nationale. Ces précéf -
dents historiques ne peuvent être tout simplement ignorés. Il exisfte un
risque réel d’atteintes à l’intégrité physique de persfonnes et de dommages

à l’environnement. En effet, si rien n’est fait pour mettre ufn terme à la
situation actuelle, il est raisonnablement permis de craindre une escalafde
et, partant, un préjudice. La situation revêt en outre un caractèfre urgent.
Empêché par l’ordonnance du 8 mars 2011 d’envoyer son armée ou ses
représentants dans le territoire litigieux, le Gouvernement du Nicarafgua a

usé d’un stratagème en faisant appel à une armée de jeunes écologistes
nationalistes pour agir à leur place. En exprimant sa « préoccupation»
(voir le paragraphe 37 de l’ordonnance) sans s’alarmer davantage, la
Cour rejette ce stratagème sans grande fermeté et ne mesure pas laf gravité
de la situation.

15. Dans ces circonstances, j’estime que la Cour aurait dû accéder fà la
demande du Costa Rica tendant à la modification de l’ordonnance du
8 mars 2011 afin de préciser que la présence de membres du Guardabar -
ranco ou d’entités similaires, qu’elles soient nicaraguayennes ou cosfta-
riciennes, était contraire à celle-ci. Ce faisant, la Cour aurait ffait savoir

aux deux Parties qu’elles étaient tenues de contrôler l’accèsf au territoire
litigieux et d’en interdire l’entrée aux groupes de personnes pfrivées, qu’il
s’agisse d’écologistes ou non. Pareille modification aurait éfté conforme
à la première mesure conservatoire indiquée dans l’ordonnance du f
8 mars 2011, prise en son sens large, ainsi qu’à l’objet et au but de fcette

ordonnance. Elle aurait également été conforme à la troisièfme mesure
conservatoire, prescrivant aux deux Parties de « s’abst[enir] de tout acte
qui risquerait d’aggraver ou d’étendre le différend dont lfa Cour est saisie
ou d’en rendre la solution plus difficile ».

(Signé) John Dugard.

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8 CIJ1048.indb 97 13/06/14 12:44

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Document Long Title

Opinion dissidente de M. le juge <i>ad hoc</i> Dugard

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