Opinion dissidente de M. le juge Cançado Trindade

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329

OPINION DISSIDENTE
DE M. LE JUGE CANÇADO TRINDADE

[Traduction]

TABLE DES MATIÈRES
Paragraphes

I. P ROLÉGOMÈNES 1-3

II. LA GENÈSE DES DEMANDES RECONVENTIONNELLES EN PROCÉDURE
INTERNATIONALE 4-9

III. LA RAISON DÊTRE DES DEMANDES RECONVENTIONNELLES EN PROCÉ -
DURE INTERNATIONALE 10-19

1. Conditions 12-14
2. Autres caractéristiques et effets 15-19

IV. L A QUESTION DE LA RECEVABILITÉ DES DEMANDES RECONVENTION -
NELLES SELON LA JURISPRUDENCE DE LA CIJ 20-27

V. L A QUESTION DE LA RECEVABILITÉ DE LA DEMANDE RECONVENTION -
NELLE EN L’ESPÈCE 28-30

VI. L’ENSEMBLE FACTUEL COMPLEXE EN L ’ESPÈCE ET LES ARGUMENTS
DES PARTIES 31-59

1. La déclaration conjointe de 2008 des Gouvernements italien
et allemand 32-35

2. Les arguments des Parties concernant la demande reconven-
tionnelle 36-59

a) L’étendue du différend 36-42
b) Le fond du différend 43-54
c) La controverse sur la notion de «situation continue» 55-59

VII. L ES ORIGINES DE LA « SITUATION CONTINUE » DANS LA DOCTRINE
INTERNATIONALISTE 60-64

VIII. L A FORMATION ET LES ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS DE LA «SITUATION
CONTINUE » DANS LE CADRE DU CONTENTIEUX ET DE LA JURISPRU -
DENCE INTERNATIONAUX 65-83

1. En droit international public 66-72
2. En droit international des droits de l’homme 73-83

IX. L A FORMATION ET LES ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS DE LA «SITUATION

CONTINUE » COMME CONCEPT DE DROIT INTERNATIONAL AU NIVEAU
NORMATIF 84-91

X. L A «SITUATION CONTINUE » EN LESPÈCE 92-94

XI. L’ÉTENDUE DU PRÉSENT DIFFÉREND SOUMIS À LA C OUR 95-100

23 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ’ÉTAT (OP. DISS.CANÇADO TRINDADE ) 330

XII. L ES VÉRITABLES TITULAIRES DES DROITS INITIALEMENT VIOLÉS ET LES
ÉCUEILS DU VOLONTARISME ÉTATIQUE 101-123

1. La «cause réelle» du présent différend 102-105
2. Les incohérences de la pratique des Etats 106-111
3. Il n’y a pas lieu de sacrifier au volontarisme étatique 112-123

XIII. L’ INCIDENCE DU JUS COGENS :LA PRÉTENDUE RENONCIATION À FAIRE
VALOIR LES DROITS INHÉRENTS À LA PERSONNE HUMAINE EST DÉPOUR -

VUE D’EFFETS JURIDIQUES 124-153
1. Droit international conventionnel 126-135

a) Droit international humanitaire 126-129
b) Conventions internationales du travail 130-133
c) Droit international des droits de l’homme 134-135

2. Droit international général 136-139
3. L’incidence du jus cogens à la lumière des arguments des
Parties 140-153

XIV. C ONCLUSIONS 154-179

24 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ’ÉTAT (OP. DIS. CANÇADO TRINDADE ) 331

I. PROLÉGOMÈNES

1. J’ai le regret de ne pas pouvoir me rallier à la décision prise par la
majorité de la Cour dans la présente ordonnance en l’affaire des Immu-

nités juridictionnelles de l’Etat (Allemagne c. Italie) (demande originaire
et demande reconventionnelle). Je tiens à faire figurer au dossier les
motifs de mon opinion dissidente, à cause de l’importance considérable
que j’attache aux questions soulevées tant par l’Italie que par l’Allemagne
en l’espèce, en ayant à l’esprit non seulement le règlement du différend en

cause (pour ce qui est de la demande reconventionnelle) mais également
la nécessité de clarifier une question (en vue de dire le droit — juris dictio)
qui, à mon avis, revêt une importance cruciale tant pour l’état actuel du
droit des gens que pour son évolution progressive. J’exposerai donc avec
le plus grand soin les motifs de mon opinion dissidente sur la question

examinée par la Cour dans l’ordonnance qui vient d’être adoptée, par res-
pect envers la fonction juridictionnelle internationale à laquelle je suis
très attaché et guidé avant tout par l’objectif ultime de la réalisation de la
justice.

2. Je me pencherai à cette fin sur tous les aspects de la question
soulevée devant la Cour qui fait l’objet de la présente ordonnance.
La première série de considérations porte sur la genèse et la raison
d’être des demandes reconventionnelles en procédure internationale,
y compris les conditions qu’elles doivent remplir, leurs autres carac-

téristiques et leurs effets. Je passerai ensuite à la question de la
recevabilité des demandes reconventionnelles selon la jurisprudence
de la Cour internationale de Justice (ci-après «CIJ») et à la question
de la recevabilité de la demande reconventionnelle de l’Italie en
l’espèce. Après avoir examiné successivement l’ ensemble factuel

complexe dans la présente affaire et les arguments avancés par
l’Allemagne et par l’Italie, je passerai à la deuxième série de consi-
dérations, portant sur la notion de «situation continue», pour
analyser l’origine de cette notion dans la doctrine internationaliste,

sa formation et ses éléments constitutifs dans le cadre du contentieux
et de la jurisprudence internationaux (aussi bien en droit interna-
tional public qu’en droit international des droits de l’homme), ainsi
que sa consécration comme concept de droit international au niveau
normatif.

3. Les jalons seront ainsi posés en vue de l’étude de cette notion en
l’espèce et en vue de l’examen de l’étendue du présent différend porté
devant la Cour. Je passerai ensuite à la dernière série de considéra-
tions, touchant les questions suivantes: a) les véritables titulaires des

droits initialement violés et les écueils du volontarisme étatique (la
détermination de la «cause réelle» du présent différend, les incohérences
de la pratique étatique et la nécessité de ne pas sacrifier au volon-
tarisme étatique); b) l’incidence du jus cogens : la renonciation à faire
valoir des droits inhérents à la personne humaine est dépourvue

d’effets juridiques. J’examinerai ce dernier point aussi bien sur le plan

25 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ÉTAT OP .DISS. CANÇADO TRINDADE ) 332

du droit international conventionnel (droit international humanitaire,
conventions internationales du travail et droit international des droits
de l’homme) que sur celui du droit international général, et analyserai

l’incidence du jus cogens à la lumière des arguments des Parties.
Enfin, mais non par ordre d’importance, je serai en mesure de formu-
ler mes conclusions.

II. L A GENÈSE DES DEMANDES RECONVENTIONNELLES EN PROCÉDURE
INTERNATIONALE

4. D’un point de vue historique, l’institution juridique des demandes

reconventionnelles en droit procédural international constitue un emprunt
au droit procédural interne. On trouve un autre exemple d’une transposi-
tion de ce genre dans l’institution des mesures conservatoires .Or,àa l
différence de ces dernières, les demandes reconventionnelles n’ont, à ce

jour, pas suffisamment retenu l’intérêt de la doctrine. Bien que n’ayant
jamais figuré dans le Statut de la Cour de La Haye (ni celui de la CPJI, ni
celui de la CIJ), les demandes reconventionnelles ne tardèrent pas à appa-

raître dans le premier Règlement de la Cour (article 40 du Règlement de
l’ancienne Cour permanente de Justice internationale [CPJI], datant de
1922) et ne furent pas affectées par les révisions dudit Règlement en 1926
et 1931.

5. Au cours des premières années d’existence de la CPJI, l’institution
de la demande reconventionnelle semblait entourée d’hésitations et
d’incertitudes 2 qui commencèrent à se dissiper progressivement au fur

et à mesure de l’évolution de la jurisprudence de la Cour en la matière.
Dans l’affaire de l’Usine de Chorzów (Allemagne c. Pologne, 1928), par
exemple, la CPJI eut l’occasion de statuer sur de telles demandes recon-

ventionnelles, en insistant sur le «rapport de connexité juridique»
qu’elles devaient entretenir avec la demande principale ( C.P.J.I. série A
n° 17, p. 38). Au cours des années suivantes, la Cour de La Haye se
montra de plus en plus disposée à consacrer davantage d’attention à

cette question.
6. Dans sa version révisée de 1936, le Règlement de la Cour perma-
nente s’occupait effectivement de plus près des demandes reconven-

tionnelles, qui étaient désormais régies par son nouvel article 63. L’ac-
cent était placé sur les conditions qu’une demande reconventionnelle
devait remplir pour relever de la compétence de la CPJI. Elle devait
notamment être présentée dans le contre-mémoire, en conservant

une «connexité directe» avec l’objet de la demande principale.
On estimait que ces premiers développements avaient été influencés, par

1 Comme je l’ai souligné dans mon opinion dissidente en l’affaire relative à des Ques-
tions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal), mesures
conservatoires, ordonnance du 28 mai 2009, C.I.J. Recueil 2009 , p. 165-200.
2 Cf., par exemple, l’exposé de G. Guyomar, Commentaire du Règlement de la Cour
internationale de Justice — Interprétation et pratique , Paris, Pedone, 1973, p. 372-377.

26 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ’ÉTAT (OP. DISS.CANÇADO TRINDADE ) 333

exemple, par un article de Dionisio Anzilotti, juge à la CPJI, intitulé
La riconvenzione nella procedura internazionale , publié à la fin des
années 1920 . En 1930, Anzilotti publia ce même article en français

(l’une des deux langues officielles de la Cour), ce qui apporta quelque
lumière sur la raison d’être des demandes reconventionnelles
(cf. infra).
7. Les étapes suivantes furent l’Œuvre de la Cour internationale de Jus-

tice (CIJ), qui modifia légèrement le libellé de l’article 63 du Règlement
en 1946 et, quatre ans plus tard, statua en la matière dans l’affaire
du Droit d’asile (Colombie/Pérou) , en attirant l’attention sur la condi-
tion de la «connexité directe» ( arrêt, C.I.J. Recueil 1950 , p. 279-280)

entre la demande reconventionnelle et la demande initiale (cf. infra).
Dans la version révisée du Règlement de 1978, la disposition concer-
nant les demandes reconventionnelles devint, après renumérotation,

l’article 80, dans l4 section intitulée «Procédure contentieuse — Procé-
dures incidentes» .
8. Cette disposition, dans sa version modifiée du 5 décembre 2000 qui
est en vigueur depuis le 1 er février 2001, se lit actuellement comme suit:

«1. La Cour ne peut connaître d’une demande reconventionnelle
que si celle-ci relève de sa compétence et est en connexité directe avec
l’objet de la demande de la partie adverse.

2. La demande reconventionnelle est présentée dans le contre-
mémoire et figure parmi les conclusions contenues dans celui-ci. Le
droit qu’a l’autre partie d’exprimer ses vues par écrit sur la demande
reconventionnelle dans une pièce de procédure additionnelle est pré-

servé, indépendamment de toute décision prise par la Cour, confor-
mément au paragraphe 2 de l’article 45 du présent Règlement, quant
au dépôt de nouvelles pièces de procédure.
3. En cas d’objection relative à l’application du paragraphe 1 ou à

tout moment lorsque la Cour le considère nécessaire, la Cour prend
sa décision à cet égard après avoir entendu les parties.»

9. La CIJ n’a eu que rarement l’occasion d’appliquer l’article 80 — tant

dans la version actuelle (de 2000) que dans sa version antérieure (de
1978) — (cf. infra), notamment dans l’affaire relative à l’ Application de
la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie) , ordonnance du 17 décembre 1997;

dans celle des Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c.
Etats-Unis d’Amérique) , ordonnance du 10 mars 1998; dans l’affaire
de la Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria

3 A l’origine dans Scritti della Facoltà Giuridica di Roma in Onore di A. Salandra
(1928), p. 341 et suiv., ainsi que dans la Rivista di Diritto Internazionale , vol. 21, 1929,
p. 309 et suiv.
4 Elle figure désormais dans la section D de la partie III, et non plus seulement dans
le titre consacré aux «Procédures incidentes» introduites uniquement par requête uni-

latérale.

27 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ÉTAT (OP.DISS. CANÇADO TRINDADE ) 334

(Cameroun c. Nigéria), ordonnance du 30 juin 1999; et dans celle des
Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique
du Congo c. Ouganda), ordonnance du 29 novembre 2001. Une décennie

plus tard, la CIJ a maintenant de nouveau l’occasion d’appliquer l’arti-
cle 80 de son Règlement (relatif aux demandes reconventionnelles)
dans l’affaire en cours relative aux Immunités juridictionnelles de l’Etat
(Allemagne c. Italie).

III. LA RAISON D ’ÊTRE DES DEMANDES RECONVENTIONNELLES
EN PROCÉDURE INTERNATIONALE

10. Néanmoins, bien avant cette construction ou évolution préto-

rienne, la raison d’être des demandes reconventionnelles avait progressi-
vement été cernée et clarifiée par la doctrine internationaliste. Ainsi, dans
son article susmentionné, D. Anzilotti relevait:

«une fois admis le système de la requête unilatérale, qui permet

au demandeur d’établir, selon ses propres convenances, les limites
de la contestation, il était naturel que l’on accordât au défendeur
le moyen de demander, dans la même instance, ce qui lui est dû

par le demandeur pour un motif connexe avec la controverse déjà
pendante» . 5

11. A l’origine de cette logique se trouvait la préoccupation d’assurer

l’identité des parties au procès. Comme le relevait Raoul Genet, toujours
dans les années 1930, «le défendeur au procès commencé se mue en
demandeur»: reus in excipiendo fit actor , «le demandeur initial descend

au rôle de défendeur reconventionnel». Un nouveau litige s’ouvre devant
la même juridiction, «avec une parfaite identité dans les comparants».
On assiste à un élargissement des débats devant la même juridiction, qui

doit trancher le litige opposant les mêmes adversaires «sur un problème
quasi unitaire» . De même, d’après R. Genet, il est particulièrement
nécessaire

«que la demande reconventionnelle ait le caractère d’une action

réfléchie, c’est-à-dire: 1) qu’elle serve de défense contre l’action prin-
cipale; 2) qu’elle tende à neutraliser soit la demande elle-même, soit
les mobiles juridiques sur lesquels elle repose. Ces deux traits, nous
7
les trouvons également traduits dans les préoccupations de la Cour.»

5 D. Anzilotti, «La demande reconventionnelle en procédure internationale», Journal
du droit international — Clunet , vol. 57, 1930, p. 870.
6 R. Genet, «Les demandes reconventionnelles et la procédure de la Cour permanente

de Justice internationale», Revue de droit international et de législation comparée , vol. 19,
1978, p. 148.
Ibid., p. 175.

28 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ’ÉTAT OP .DISS. CANÇADO TRINDADE ) 335

1. Conditions

12. Dès que la raison d’être de la demande reconventionnelle fut cer-
née, on se pencha sur ses conditions et ses autres caractéristiques. Quant

aux conditions, il ne faisait point de doute que la première d’entre elles
devait porter sur la compétence elle-même: la demande reconventionnelle
doit relever de la compétence de la juridiction concernée. La seconde

condition tenait à la connexité directe, en fait et en droit: la demande
reconventionnelle devait être en connexité directe avec la demande ini-
tiale de la partie adverse.

13. Dans un article publié en 1975, Adolfo Miaja de la Muela obser-
vait que la demande reconventionnelle était basée sur des «faits consti-
tutifs» qui différaient dans une certaine mesure de ceux allégués par le
demandeur, puisqu’ils n’étaient presque jamais invoqués par ce dernier.

Néanmoins, c’est du «degré de la connexité» exigée en vertu du système
procédural qu’il s’agissait. La demande reconventionnelle était auto-
nome, quoique liée à la demande initiale. Bien que la connexité dût être

directe, cette qualificat8on ne devait pas, avertissait-il, reposer sur des
«critères aprioristes» .
14. La Cour devrait donc examiner les circonstances du cas d’espèce
et la qualification définitive relevait de son pouvoir discrétionnaire. La

«connexité directe» entre la demande initiale et la demande reconven-
tionnelle devait donc être appréciée en fait et en droit, avec la souplesse
nécessaire, à la lumière des circonstances de chaque espèce. Cette pres-
9
cription n’apparaissait pas comme susceptible d’application mécanique .
Les demandes reconventionnelles, allant bien plus loin que les moyens de
défense, visaient à établir — de même que les demandes initiales et dans
le cadre de la même procédure — la responsabilité de l’Etat.

2. Autres caractéristiques et effets

15. En plus des conditions susmentionnées, la doctrine internationaliste
allait également bientôt cerner certains caractéristiques et effets des de-
mandes reconventionnelles. La demande reconventionnelleélargissait,
en quelque sorte, l’objet du différend en cause dont la Cour était saisie

par la demande initiale. Elle élargissait donc la vue d’ensemble de la Cour
quant aux deux demandes (la demande initiale et la demande reconvention-
nelle), en lui permettant de statuer sur elles d’une manière plus cohérente.

La demande reconventionnelle finit donc par être considérée comme un
moyen pour assurer davantage de cohérence dans la décision de la Cour.

8 A. Miaja de la Muela, «La Reconvención ante el Tribunal Internacional de Justicia»,
Boletín Mexicano de Derecho Comparado , vol. 8, 1975, n° 24, p. 757, et cf. p. 751-753 et
760.
9 Déjà en 1930, D. Anzilotti soulignait de son côté, en ce qui concerne la recevabilité
des demandes reconventionnelles, que «la compétence de la Cour [étai]t une condition de
recevabilité, mais d’autres conditions [étaie]nt nécessaires, sans doute, et ... elles d[evai]ent
être établies par voie d’interprétation»: D. Anzilotti, op. cit. supra note 5, p. 868.

29 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ÉTAT (OP. DISS.CANÇADO TRINDADE ) 336

16. Comme l’observait Charles de Visscher au milieu des années 1960,

la demande reconventionnelle permettait à la Cour de «statuer, au cours
d’une même instance, sur les demandes réciproques, ce qui permet au
juge de saisir dans une vue d’ensemble les positions de droit respectives
10
des parties» . C’est ce qui se produisit déjà, entre autres, dans l’affaire
des Prises d’eau à la Meuse (Pays-Bas c. Belgique, 1937), où la CPJI
appliqua la prescription de la «connexité directe» (cf. supra) entre la

demande initiale et la demande reconventionnelle. Comme l’estimait
Raoul Genet au milieu des années 1930, «les demandes reconvention-
nelles ... tendent, par leur nature même, à neutraliser l’action principale

et ... elles supposent, chez le défendeur, un titre équivalent et de sens
contraire à celui dont peut se targuer le demandeur» . 11

17. En dépit de leur connexité directe, chacune des demandes conserve
son identité. La demande reconventionnelle possède une nature auto-
nome, contrairement aux moyens de défense. La CIJ elle-même a fait la

distinction entre une demande reconventionnelle et un moyen de défense,
dans l’affaire des otages (Personnel diplomatique et consulaire des Etats-
Unis à Téhéran (Etats-Unis d’Amérique c. Iran), ordonnance du 15 décem-

bre 1979, C.I.J. Recueil 1979, p. 15, par. 24). La demande reconvention-
nelle n’apparaît pas comme un moyen de défense, mais plutôt comme une
«contre-attaque». Elle est indépendante de la demande initiale (tout en

étant en connexité directe avec celle-ci), elle a une nature autonome.
D’après S. Rosenne, s’il est vrai que, du fait de la «connexité directe»

avec la demande principale, la demande reconventionnelle doit reposer
sur des arguments liés à l’ensemble factuel, il est également certain que
«la demande reconventionnelle représente une institution purement auto-
12
nome ayant une logique, une procédure et des règles propres» .
18. Cela a permis de dégager une autre caractéristique des demandes
reconventionnelles, à savoir qu’elles représentent essentiellement un

moyen pour assurer une économie de procès, en permettant à la Cour
d’avoir «une vue d’ensemble des prétentions respectives» des parties en
13
litige et, partant, de statuer sur elles «de manière plus cohérente» . A cet
égard, c’est toujours D. Anzilotti qui sut entrevoir de manière vision-

10
Ch. de Visscher, Aspects récents du droit procédural de la Cour internationale de Jus-
tice, Paris, Pedone, 1966, p. 114. Dans le même esprit, le rapport de Georges Scelle con-
cernant le modèle de règles sur la procédure arbitrale [de la CDI] (adopté en 1958) disait
que la demande reconventionnelle «éman[ait] de la partie contre laquelle [étai]t dirigée la
demande principale et tend[ait] à obtenir quelque chose de plus que le simple rejet des
conclusions du demandeur» (document des Nations Unies A/CN.4/18, note 78), Union
académique internationale, Dictionnaire de la terminologie du droit international , Paris,
Sirey, 1960, p. 199. Le modèle de règles de la CDI sur la procédure arbitrale est également
mentionné, notamment à propos des demandes reconventionnelles, dans J. Salmon (dir.

pu11.), Dictionnaire de droit international public , Bruxelles, Bruylant, 2001, p. 316.
12 R. Genet, op. cit. supra note 6, p. 155, et cf. p. 165.
S. Rosenne, «Counter-Claims in the International Court of Justice Revisited», dans
C. A. Armas Barea, J. A. Barberis et al. (dir. publ.), Liber Amicorum «In Memoriam» of
Judge J. M. Ruda, La Haye, Kluwer, 2000, p. 476.
13 Cf. ibid., p. 470.

30 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ÉTAT OP .DISS.CANÇADO TRINDADE ) 337

naire, dès le début du fonctionnement de la CPJI, que: «Du principe de

l’autonomie de la demande reconventionnelle dérive également que le
demandeur principal doit avoir, à son égard, les mêmes avantages qui
appartiennent au défendeur à l’égard de la demande principale.» 14
19. Après avoir examiné la raison d’être des demandes reconvention-

nelles en procédure internationale et après avoir cerné leurs caractéristi-
ques et leurs effets, je suis maintenant en mesure de passer à l’étude de
leur recevabilité selon la jurisprudence de la CIJ. Avant d’y procéder, je
me permettrai de récapituler l’analyse effectuée jusqu’à présent. Si je

devais dégager la principale préoccupation des juristes du passé quant à
l’institution juridique des demandes reconventionnelles en procédure
internationale, mon choix porterait sûrement sur la préoccupation sous-
jacente et particulièrement louable d’assurer la réalisation de la justice au

niveau international.

IV. L A QUESTION DE LA RECEVABILITÉ DES DEMANDES

RECONVENTIONNELLES SELON LA JURISPRUDENCE DE LA CIJ

20. Passant maintenant à la question de la recevabilité des demandes
reconventionnelles selon la jurisprudence de la CIJ, je me pencherai sur

les décisions rendues par la Cour en vertu de l’article 80 de son Règle-
ment, tant dans sa version de 1978 que dans sa version révisée de 2000
(en vigueur depuis 2001). La Cour a rendu quatre ordonnances en vertu
de ce texte, avant de rendre cette ordonnance dans la présente affaire des

Immunités juridictionnelles de l’Etat (Allemagne c. Italie) .
Dans la première de ces quatre ordonnances (qui est probablement la
plus détaillée), rendue en l’affaire relative à l’Application de la conven-
tion pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-

Herzégovine c. Yougoslavie) (ordonnance du 17 décembre 1997), la CIJ
a d’abord précisé les contours du concept de demande reconventionnelle.
21. D’après la Cour, une demande reconventionnelle présente «un
double caractère» au regard de la demande principale: elle «en est indé-

pendante» et constitue «un acte juridique autonome», tout en «s’y rat-
tach[ant]». Le «propre» d’une demande reconventionnelle est donc
«d’élargir l’objet initial du litige en poursuivant des avantages autres que
le simple rejet de la prétention du demandeur à l’action». Etant dirigée

contre le demandeur, la demande reconventionnelle, partant, «se dis-
tingue d’un moyen de défense au fond» (C.I.J. Recueil 1997, p. 256,
par. 27). En passant au critère de la recevabilité, la Cour ajoutait:

«Considérant ... qu’une demande doit normalement être portée
devant le juge par la voie d’un acte introductif d’instance; que, s’il

est admis que certains types de demandes soient formulées à titre
incident, c’est-à-dire dans le cadre d’une instance déjà en cours, c’est

14D. Anzilotti, op. cit. supra note 5, p. 876.

31 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ÉTAT OP .DISS.CANÇADO TRINDADE ) 338

aux seules fins d’assurer une meilleure administration de la justice
compte tenu du caractère particulier des demandes en cause; qu’en
ce qui concerne les demandes reconventionnelles il s’agit essentielle-
ment de réaliser une économie de procès tout en permettant au juge

d’avoir une vue d’ensemble des prétentions respectives des parties et
de statuer de façon plus cohérente; et que la recevabilité des deman-
des reconventionnelles est nécessairement fonction des buts ainsi
poursuivis et sujette à des conditions propres à prévenir les abus;
Considérant que le défendeur ne saurait tirer parti de l’action

reconventionnelle pour porter devant le juge international des
demandes qui excéderaient les limites dans lesquelles les parties ont
reconnu sa compétence; et que le défendeur ne saurait davantage
imposer par cette voie au demandeur n’importe quelle demande, au
risque de porter atteinte aux droits de celui-ci et de compromettre la

bonne administration de la justice; et considérant que c’est pour ce
motif qu’il est exigé, au paragraphe 1 de l’article 80 du Règlement,
que la demande reconventionnelle «relève de la compétence de la
Cour» et «soit en connexité directe avec l’objet de la demande de la

partie adverse»; ...
Considérant que le Règlement ne définit pas la notion de
«connexité directe»; qu’il appartient à la Cour d’apprécier souverai-
nement, compte tenu des particularités de chaque espèce, si le lien
qui doit rattacher la demande reconventionnelle à la demande prin-

cipale est suffisant; et que, en règle générale, le degré de connexité
entre ces demandes doit être évalué aussi bien en fait qu’en droit»
(C.I.J. Recueil 1997, p. 257-258, par. 30, 31 et 33).

22. Ainsi, dans l’ordonnance susmentionnée rendue en 1997 en l’affaire

relative à l’Application de la convention pour la prévention et la répression
du crime de génocide, la Cour précisa que, conformément à son cadre
d’analyse, pour statuer sur la recevabilité d’une demande reconvention-
nelle, elle devait tout d’abord déterminer si les conclusions de l’Etat

défendeur constituaient bien une demande reconventionnelle. Dans l’affir-
mative, la Cour devait déterminer si la demande reconventionnelle rele-
vait de sa compétence, telle qu’elle a été déjà établie en vue du règlement
de l’affaire contentieuse en question. Et, dans l’affirmative, la Cour
devait également déterminer si la demande reconventionnelle était en

«connexité directe» avec l’objet de la demande initiale soumise par l’Etat
demandeur. La Cour devait effectuer cette appréciation souverainement,
en général sur la base des «faits et [du] droit», afin de déterminer si les
demandes étaient en connexité directe en fait et en droit.

23. Dans son ordonnance suivante ayant trait à des demandes recon-
ventionnelles (du 10 mars 1998), rendue en l’affaire des Plates-formes
pétrolières (Iran c. Etats-Unis d’Amérique) , la Cour estima qu’il y avait
lieu de procéder à une analyse détaillée pour déterminer si la demande

reconventionnelle était «en connexité directe» avec la demande initiale,

32 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ’ÉTAT (OP.DISS. CANÇADO TRINDADE ) 339

étant donné que son Règlement ne définissait pas le sens de cette condi-
tion (C.I.J. Recueil 1998, p. 196-197, par. 13). Afin d’établir si la demande

reconventionnelle était «en connexité directe», en fait et en droit, avec
l’objet de la demande principale, la Cour devait déterminer, première-
ment, si la demande principale et la demande reconventionnelle repo-
saient sur des «faits de même nature», c’est-à-dire si elles s’inscrivaient

dans le cadre d’un «même ensemble factuel complexe» (ibid., p. 204-205,
par. 37); et, deuxièmement, si la demande principale et la demande
reconventionnelle poursuivaient «le même but juridique», à savoir «l’éta-
blissement d’une responsabilité juridique» (ibid., p. 205, par. 38).
24. La CIJ ajoutait qu’une décision rendue sur la recevabilité d’une

demande reconventionnelle en vertu de l’article 80 du Règlement de la
Cour «ne saurait préjuger aucune question dont la Cour aurait à connaî-
tre dans la suite de la procédure» (ibid., p. 205, par. 41), ce qui vaut
d’ailleurs également pour les mesures conservatoires. Dans cette affaire,

la CIJ concluait, en ce qui concerne la recevabilité de la demande recon-
ventionnelle, que les conclusions des parties reposaient «sur des faits de
même nature» et s’inscrivaient «dans le cadre d’un même ensemble fac-
tuel complexe» (ibid., p. 205, par. 38).

25. Plus d’un an après, en l’affaire de la Frontière terrestre et maritime
entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria) (ordonnance du
30 juin 1999), la CIJ jugea également que les demandes reconvention-
nelles du Nigéria satisfaisaient au critère de la compétence contenu à

l’article 80 du Règlement de la Cour, puisqu’elles reposaient sur des
«faits de même nature» que ceux figurant dans les demandes correspon-
dantes du Cameroun et que les deux parties poursuivaient «le même
but juridique, à savoir l’établissement de la responsabilité juridique et la

détermination de la réparation due à ce titre». Les demandes reconven-
tionnelles étaient donc «en connexité directe» avec les demandes de la
partie adverse et furent dès lors jugées recevables par la Cour (C.I.J.
Recueil 1999 (II), p. 985-986).

26. Ensuite, dans son ordonnance (du 29 novembre 2001) rendue en
l’affaire des Activités armées sur le territoire du Congo (République
démocratique du Congo c. Ouganda) , la CIJ jugea, en insistant sur le cri-
tère de la «connexité directe» (cf. supra) comme condition de la receva-

bilité d’une demande reconventionnelle (C.I.J. Recueil 2001, p. 678,
par. 35-36), que les deux premières demandes reconventionnelles de
l’Ouganda (mais non la troisième), ainsi que les demandes originaires
correspondantes du Congo, portaient sur des «faits de même nature» et
avaient trait à «un conflit existant entre les deux Etats voisins» depuis

1994 et étaient «en connexité directe», poursuivaient «les mêmes buts
juridiques» et, partant, étaient recevables (ibid., p. 678-681, par. 38-45) .
Pour justifier sa décision déclarant les demandes recevables, la Cour indi-
quait que, au vu des circonstances de l’espèce, «une bonne administra-

15Ce qui n’était pas le cas pour la troisième demande reconventionnelle de l’Ouganda.

33 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ÉTAT (OP. DISS.CANÇADO TRINDADE ) 340

tion de la justice et un souci d’économie de procès appel[ai]ent un examen

simultané de ces demandes reconventionnelles et des demandes au prin-
cipal» (C.I.J. Recueil 2001, p. 680, par. 44).
27. Ainsi, dans ces quatre précédents qui existaient avant l’ordonnance

rendue par la Cour dans la présente affaire des Immunités juridiction-
nelles de l’Etat (Allemagne c. Italie) , la Cour a déclaré les demandes

reconventionnelles recevables, comme il a été indiqué ci-dessus, et sans
préjudice des décisions qu’elle rendrait ultérieurement sur le fond des
affaires concernées. Tandis que, dans la présente affaire, l’Allemagne a

contesté la compétence de la CIJ pour connaître de la demande reconven-
tionnelle de l’Italie, dans les quatre affaires précédentes ayant trait à des

demandes reconventionnelles, la compétence de la Cour soit n’avait pas
été contestée par les Etats demandeurs, soit avait été établie par la Cour
elle-même au cours d’une phase incidente avant le dépôt des demandes
16
reconventionnelles . En tout état de cause, leur valeur de précédents
ne saurait être envisagée isolément de l’évolution procédurale dans
laquelle elles s’inscrivent.

V. L A QUESTION DE LA RECEVABILITÉ DE LA DEMANDE
RECONVENTIONNELLE EN L ESPÈCE

28. Cette évolution procédurale révèle que la pratique de la Cour en
matière de demandes reconventionnelles est toujours en voie de forma-

tion. La décision que la Cour vient de prendre en l’affaire des Immunités
juridictionnelles de l’Etat ne contribue en aucune manière à l’évolution de

16 Qu’il me soit permis de rappeler, premièrement, que l’affaire relative à l’Application

de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocfut introduite
devant la CIJ en 1993, la compétence étant basée sur une clause compromissoire (ar-
ticle IX de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide). Deux
demandes en indication de mesures conservatoires avaient été présentées. Le premier volet
de procédures concernant des mesures conservatoires, qui eut lieu en 1993, aboutit à une
ordonnance (du 8 avril 1993) en vertu de laquelle la Cour indiqua trois ensembles de
mesures, confirmés par la suite par une autre ordonnance (du 13 septembre 1993). Dans
son arrêt de 1996 rendu au stade des exceptions préliminaires, la CIJ confirma sa conclu-
sion antérieure concernant sa compétence et rejeta les exceptions de la Yougoslavie (la
Cour se reconnut compétente pour connaître du différend en vertu de l’article IX de la

convention sur le génocide).
La Yougoslavie présenta des demandes reconventionnelles dans son contre-mémoire et
la Bosnie-Herzégovine ne contesta pas la compétence de la Cour pour connaître de ces
demandes; elle contesta seulement la connexité avec l’objet de la procédure initiale. La
Bosnie-Herzégovine soutenait que la demande reconventionnelle en question ne devrait pas
être jointe à la demande principale; elle suggérait que la Yougoslavie pourrait toujours
introduire devant la Cour une requête introductive d’instance par les voies ordinaires.
Par une ordonnance du 17 décembre 1997, la CIJ jugea que les demandes reconvention-
nelles de la Yougoslavie étaient «en connexité directe» avec l’objet des demandes du

demandeur et étaient dès lors recevables (par. 37). Par la suite, en 2001, la Yougoslavie
retira les demandes reconventionnelles présentées dans son contre-mémoire et informa la
Cour qu’elle avait l’intention de déposer une requête en revision de l’arrêt du 11 juillet
1996. C’est bien ce qu’elle fit ultérieurement, le 24 avril 2001, lorsqu’elle demanda à la

34 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ÉTAT (OP .DISS .CANÇADO TRINDADE ) 341

sa jurisprudence en la matière. Elle constitue au contraire une involution,

un pas en arrière, puisqu’elle ajoute à l’incertitude entourant le traitement
des demandes reconventionnelles. A mon avis, la Cour aurait dû, par la
présente ordonnance, déclarer la demande reconventionnelle de l’Italie

recevable et ne statuer sur son bien-fondé que par la suite, au stade du
fond, comme elle a déjà procédé dans deux affaires antérieures 17 à la pré-

sente ordonnance.
29. Ce trait de la pratique antérieure de la Cour en matière de demandes

reconventionnelles avait reçu un accueil favorable en doctrine à cause du
traitement simultané des demandes reconventionnelles et des demandes
principales, élargissant opportunément l’objet du litige et permettant à
18
la CIJ de mieux connaître le différend qu’elle était appelée à trancher.
Sans la demande reconventionnelle de l’Italie portant sur les réparations à

raison des préjudices liés aux crimes de guerre, la Cour devra à présent

Cour de réviser l’arrêt sur les exceptions préliminaires rendu le 11 juillet 1996. Par ordon-
nance du 10 septembre 2001, le président de la Cour prit acte du retrait par la Yougoslavie
des demandes reconventionnelles présentées dans son contre-mémoire.
Deuxièmement, dans l’affaire des Plates-formes pétrolières (Iran c. Etats-Unis) , les
Etats-Unis soulevèrent une exception préliminaire quant à la compétence de la Cour en
vertu du paragraphe 1 de l’article 79 de son Règlement. Par arrêt du 12 décembre 1996, la
CIJ rejeta l’exception préliminaire et se reconnut compétente pour connaître de la demande

principale de l’Iran. Les Etats-Unis déposèrent leur contre-mémoire contenant une
demande reconventionnelle, qui fut contestée par l’Iran au motif qu’elle ne satisferait pas
aux critères (compétence et connexité directe) définis à l’article 80 du Règlement de la
Cour. Par ordonnance du 10 mars 1998, la CIJ se reconnut compétente pour connaître de
la demande reconventionnelle. Sur le plan procédural, la différence par rapport à la
présente espèce tenait à ce que, dans l’affaire des Plates-formes pétrolières , la Cour s’était
déjà reconnue compétente pour connaître de la question ayant par la suite fait l’objet

d’une demande reconventionnelle. En revanche, dans la présente affaire des Immunités
juridictionnelles de l’Etat (Allemagne c. Italie) , la compétence de la Cour n’avait pas
encore été formellement établie.
La Cour avait retenu sa compétence dans un arrêt rendu le 12 décembre 1996 (par. 55,
point 2)) et les parties soulevèrent certaines questions quant à la signification précise ou à
la portée de cet arrêt. Dans son arrêt sur le fond rendu le 6 novembre 2003, la CIJ était
confrontée à de nouvelles exceptions soulevées par l’Iran quant à sa compétence pour con-

naître de la demande reconventionnelle (ou la recevabilité de celle-ci) au stade du fond;
ces exceptions étaient différentes de celles examinées par la Cour dans son ordonnance du
10 mars 1998. La Cour indiqua que, dans son ordonnance antérieure du 10 mars 1998, elle
«ne trait[ait]..., en ce qui concerne la compétence et la recevabilité, d’aucune question qui
ne [fû]t directement liée à l’article 80 du Règlement» (paragraphe 105 de l’arrêt). Enfin, la
Cour jugea, à ce stade, que les demandes reconventionnelles des Etats-Unis ne sauraient

être retenues.
Enfin, troisièmement, dans l’affaire des Activités armées sur le territoire du Congo
(République démocratique du Congo c. Ouganda) (2001), le Congo ne niait pas que les
demandes de l’Ouganda satisfaisaient au critère de la «compétence» prévu au paragraphe 1
de l’article 80 du Règlement de la Cour, et la CIJ se référait principalement à la «connexité
directe» entre les demandes initiales et les demandes reconventionnelles (cfs.upra).
17 Ainsi, par exemple, dans l’affaire des Plates-formes pétrolières (1998) et dans celle de

la18rontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (1999): cf. supra.
S. Torres Bernárdez, «La modification des articles du Règlement de la Cour inter-
nationale de Justice relatifs aux exceptions préliminaires et aux demandes reconvention-
nelles», Annuaire français de droit international , vol. 49, 2003, p. 229, 233-234, 241 et 247.

35 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ÉTAT OP .DISS.CANÇADO TRINDADE ) 342

statuer dans le cadre d’une perspective beaucoup plus étroite sur la

demande (initiale) de l’Allemagne portant sur l’immunité de l’Etat. La
présente décision de la Cour a fait table rase des raisonnements antérieurs
de celle-ci ainsi que de la doctrine juridique plus éclairée en la matière,

qui s’est construite en l’espace de soixante-dix ans, selon laquelle les
demandes reconventionnelles contribuent à la bonne administration de la
justice et aident à assurer l’équilibre nécessaire entre les droits procédu-
raux des parties en litige.

30. En tout état de cause, étant donné que la majorité de la Cour a
décidé sommairement de rejeter la demande reconventionnelle en la
déclarant «irrecevable comme telle» — ce dont je me dissocie énergique-
ment —, elle aurait dû pour le moins s’informer comme il convient en

tenant d’abord des audiences publiques dans le but d’obtenir des préci-
sions supplémentaires des Parties. Elle n’aurait pas dû prendre la présente
décision sans avoir au préalable entendu les Parties en audience publique,
et ce pour les cinq raisons suivantes: a) premièrement, en vertu d’une

prescription fondamentale découlant du principe de la bonne administra-
tion de la justice qui préside au droit procédural international; b) deuxiè-
mement, parce que les demandes reconventionnelles sont autonomes d’un

point de vue ontologique et devraient bénéficier du même traitement que
les demandes principales qu’elles tendent à neutraliser (supra); c) troi-
sièmement, l’examen simultané des demandes principales et des de-
mandes reconventionnelles, qui devraient être en «connexité directe»,
19
exige un strict respect du principe du contradictoire ; d) quatrièmement,
l’égalité procédurale entre les parties (demandeur et défendeur, dont les
rôles s’inversent du fait de la demande reconventionnelle) ne peut être
assurée que moyennant le strict respect du principe du contradictoire; et

e) cinquièmement, mais non par ordre d’importance, les questions sou-
levées devant la Cour par la demande principale et la demande reconven-
tionnelle sont trop importantes — et ce tant pour le règlement de la
présente affaire que pour l’état actuel et futur du droit international —

pour que la Cour puisse les traiter de la manière dont elle a procédé, en
rejetant sommairement le demande reconventionnelle.

VI. L’ ENSEMBLE FACTUEL COMPLEXE EN L ’ESPÈCE
ET LES ARGUMENTS DES P ARTIES

31. Passant maintenant à l’examen de l’ensemble factuel complexe

dans la présente affaire des Immunités juridictionnelles de l’Etat , oppo-
sant l’Italie et l’Allemagne pour ce qui est de la demande reconvention-
nelle, mon analyse portera d’abord sur la déclaration conjointe des Gou-
vernements italien et allemand de 2008. En deuxième lieu, j’examinerai

les arguments des Parties concernant la demande reconventionnelle, en

19
Cf. F. Salerno, «La demande reconventionnelle dans la procédure de la Cour interna-
tionale de Justice»,Revue générale de droit international public, vol. 103, 1999, p. 371-374.

36 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ’ÉTAT (OP. DISS.CANÇADO TRINDADE ) 343

me penchant sur: a) l’étendue du différend; b) le fond du différend; et

c) la controverse entre les Parties sur la notion de «situation continue».

1. La déclaration conjointe de 2008

des Gouvernements italien et allemand

32. Le 18 novembre 2008, l’Italie et l’Allemagne adoptèrent, sur le site
du mémorial de la «Risiera di San Sabba», près de Trieste, une impor-
tante déclaration conjointe annexée aux pièces de procédure déposées par
20
les deux Parties devant la Cour . Aux termes de cette déclaration:
«L’Italie et l’Allemagne déclarent partager les idéaux de réconci-

liation, de solidarité et d’intégration qui forment la base de la cons-
truction européenne, à laquelle les deux Etats ont contribué avec
conviction, à laquelle ils continueront de contribuer et dont ils ne
cesseront de favoriser le développement.

C’est dans ce même esprit de coopération qu’ils entendent revenir
ensemble sur les douloureuses expériences de la seconde guerre mon-
diale; se joignant à l’Italie, l’Allemagne prend pleinement et solen-
nellement acte des souffrances indicibles infligées aux hommes et aux

femmes d’Italie, en particulier lors des massacres, ainsi qu’aux
anciens internés militaires italiens, et Œuvre pour que soit conservée
la mémoire de ces événements tragiques.
Dans cette optique, M. Frank-Walter Steinmeier, vice-chancelier

et ministre fédéral des affaires étrangères, a, en un geste d’une
grande portée morale et humanitaire, visité en compagnie de son
homologue M. Franco Frattini la «Risiera di San Sabba», ce afin de
rendre hommage aux internés militaires italiens qui furent détenus

dans ce camp de transit avant d’être déportés en Allemagne ainsi
qu’à toutes les victimes dont ce lieu vise à honorer la mémoire.
L’Italie respecte la décision de l’Allemagne de s’adresser à la Cour
internationale de Justice pour obtenir une décision sur le principe de

l’immunité de l’Etat. Comme l’Allemagne, elle est partie à la conven-
tion européenne de 1957 pour le règlement pacifique des différends
et se laisse toujours guider dans son action par le droit international.
L’Italie estime dès lors que pareille décision contribuera à faire la

lumière sur cette question complexe.»

33. Il est particulièrement révélateur que l’Italie et l’Allemagne aient
jugé opportun d’adopter le 18 novembre 2008, près de Trieste, cette décla-
ration conjointe à laquelle j’attache une importance considérable. Le fait
que l’Allemagne et l’Italie aient honoré la mémoire de certaines des vic-

times de la déportation et du travail forcé au cours de la seconde guerre
mondiale est particulièrement louable. Le passé vit en nous dans le présent.

20Mémoire de la République fédérale d’Allemagne (12 juin 2009), vol. I, annexe 2; et
contre-mémoire de l’Italie (22 décembre 2009), annexe I.

37 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ÉTAT (OP. DISS. CANÇADO TRINDADE ) 344

En négligeant le passé, nous ne pourrions point affronter l’avenir. Il n’est
guère surprenant que, tout au long de l’histoire de la pensée humaine, la

vie dans le temps qui passe se soit révélée, au cours des siècles, l’une des
plus grandes énigmes de l’existence humaine (comme cela a été reconnu,
par exemple, dans les Œuvres de Platon, Aristote, saint Augustin, Sénèque,

B. Pascal, E. Kant, H. Bergson ou P. RicŒur, entre autres).
34. Le point de départ du présent différend opposant les deux Parties
réside dans les deux accords de 1961 entre l’Allemagne et l’Italie (à

savoir, respectivement, le traité portant règlement de certaines questions
d’ordre patrimonial, économique et financier et le traité relatif à l’indem-
nisation des ressortissants italiens ayant fait l’objet de mesures de persé-

cution sous le régime national-socialiste). Or il ne s’ensuit pas que la
Cour soit de ce fait empêchée de tourner son regard vers le passé, vers

l’une des périodes les plus sombres de l’histoire contemporaine. Il n’en est
rien. Le passé vit inévitablement en chacun de nous. Par leur déclaration
conjointe du 18 novembre 2008, l’Italie et l’Allemagne ont clairement

démontré qu’elles restaient toutes deux disposées à tourner leur regard
vers le passé et à honorer la mémoire de ceux qui furent victimes de la
cruauté humaine, des horreurs du III Reich. Il a fallu bien moins qu’une

déclaration conjointe de ce type pour que fussent tirées des conséquences
juridiques que les Etats se sont estimés obligés de supporter . C’est en
affrontant le passé que l’on peut comprendre et assumer le présent et que

l’avenir devient viable et même prometteur.
35. L’écoulement du temps ne supprime ni n’allège le poids des injus-
tices graves, qui devient au contraire plus accablant et impossible à suppor-

ter. Pour bien vivre dans le temps, on doit tenir compte des impératifs de la
justice et les respecter. Les grandes injustices, les atrocités et les violations

graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire ne
s’effacent pas. Elles ne sauraient être oubliées. Même si le pardon est
accordé, il n’est pas synonyme d’oubli . Quelque négligé par les historiens

qu’ait pu être jusqu’à présent le travail forcé pendant la seconde guerre
mondiale , il reste vivant non seulement dans la mémoire des victimes

21 Comme c’est le cas pour certains actes unilatéraux des Etats au niveau international:
cf. par exemple Erik Suy, Les actes juridiques unilatéraux en droit international public ,
Paris, LGDJ, 1962, p. 44, et cf. p. 1-290; G. Venturini, «La portée et les effets juridiques
des attitudes et des actes unilatéraux des Etats», Recueil des cours de l’Académie de droit
international de La Haye , vol. 112, 1964, p. 387-388, 391 et 400-401; A. Miaja de la
Muela, «Los Actos Unilaterales en las Relaciones Internationales», Revista Española de
Derecho Internacional, vol. 20, 1967, p. 456-459.
22
Sur ce point précis, cf. A. A. Cançado Trindade, «Responsabilidad, Perdón y Justi-
cia como Manifestaciones de la Conciencia Jurídica Universal», Revista de Estudios
Socio-Jurídicos, vol. 8, Universidad del Rosario de Bogotá, vol. 8, 2006, p. 15-36.
23 Cf. généralement, pour ce qui est de la seconde guerre mondiale, par exemple
W. Gruner, Jewish Forced Labour under the Nazis , Cambridge University Press, 2008,
p. 3-295; C. R. Browning, Politique nazie, travailleurs juifs, bourreaux allemands , Paris,
Tallandier, 2009, p. 11-267. Et cf. généralement, pour ce qui est de la première guerre
mondiale, par exemple F. Passelecq, Déportation et travail forcé des ouvriers et de
la population civile de la Belgique occupée (1916-1918) , Paris/New Haven, PUF/Yale

38 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ÉTAT (OP. DISS.CANÇADO TRINDADE ) 345

encore survivantes, mais également dans la mémoire collective ou intergé-

nérationnelle de l’humanité, dans la conscience humaine, ce dont témoigne
la présente affaire introduite devant la Cour internationale de Justice.

2. Les arguments des Parties concernant la demande reconventionnelle

a) L’étendue du différend

36. Un examen de tous les arguments des Parties concernant la pré-

sente espèce, tels qu’ils ont été développés par elles dans le mémoire et
dans le contre-mémoire, irait au-delà des objectifs de la présente opinion
dissidente. Au stade actuel de l’affaire, l’analyse ci-après portera plutôt

sur les arguments que les Parties ont spécialement consacrés à la demande
reconventionnelle faisant l’objet de la présente ordonnance de la Cour.
Une brève remarque préliminaire s’impose néanmoins au sujet des vues
divergentes des Parties quant à l’«étendue réelle» de leur différend.

37. En effet, l’Allemagne considère que le champ du différend est plus
étroit, tandis que l’Italie l’estime plus vaste. Comme l’Allemagne l’in-

dique dans son mémoire, le différend aurait pour objet un arrêt rendu (le
11 mars 2004) par la Corte di Cassazione italienne dans l’affaire Ferrini
c. République fédérale d’Allemagne , par lequel cette juridiction italienne

aurait porté atteinte à ses droits en écartant son immunité dans une pro-
cédure engagée par des ressortissants italiens qui furent astreints au tra-
vail forcé dans l’industrie de l’armement en territoire allemand entre 1943
e
et 1945. Tout en reconnaissant que les actes commis par le III Reich à
l’encontre des «internés militaires» 24 étaient illicites et criminels, l’Alle-
magne estime néanmoins que ces atrocités perpétrées dans le passé ne jus-

tifient pas qu’il soit porté atteinte à l’immunité dont les Etats jouissent en
vertu du droit international général.
38. L’Allemagne ajoute que les réparations de guerre doivent être

convenues a25niveau international et, plus précisément, au «niveau inter-
étatique» , comme elles l’ont effectivement été au moyen de trois accords
internationaux, à savoir a) le traité de paix que l’Italie a conclu avec les
Puissances alliées en 1947, b) le traité de 1961 portant règlement de cer-

taines questions d’ordre patrimonial, économique et financier entre l’Alle-
magne et l’Italie, et c) le traité de 1961 relatif à l’indemnisation des

University Press, 1928, p. 1-404; Captivity, Forced Labour and Forced Migration in
Europe during the First World War (ouvrage collectif, M. Stibbe, dir. publ.), Londres/
New York, Routledge, 2009, p. 1-81.
24
Comme le relève l’Allemagne, il existe en réalité trois catégories de demandeurs, à
savoir: a) les civils capturés en Italie et transportés en Allemagne pour y être astreints au
travail forcé; b) les prisonniers de guerre de nationalité italienne qui se virent de fait
privés du statut que leur garantissent les conventions de La Haye et furent ensuite as-
treints au travail forcé (les «internés militaires», auxquels les Parties se réfèrent souvent);
et c) les victimes des massacres perpétrés par des agents allemands. Cf. mémoire de la
République fédérale d’Allemagne (12 juin 2009), p. 12-13, par. 13.
25 Cf. ibid., p. 9-12, par. 10-12.

39 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ’ÉTAT (OP .DISS. CANÇADO TRINDADE ) 346

ressortissants italiens ayant fait l’objet de mesures de persécution sous le
régime national-socialiste, également conclu entre l’Allemagne et l’Italie.

En conséquence, d’après l’Allemagne, l’étendue du présent différend se
limiterait au refus susmentionné de son immunité.
39. L’Italie invite de son côté la CIJ à rechercher la «cause réelle du

différend» non pas dans l’arrêt rendu par sa Corte di Cassazione dans
l’affaire Ferrini (2004), mais plutôt dans «la question de la réparation
due par l’Allemagne aux victimes italiennes des crimes commis par les
26
autorités nazies» . L’Italie soutient que l’Allemagne n’a pas accordé une
réparation appropriée aux «internés militaires» italiens, en les excluant
entre autres des régimes de réparation institués en vertu de la législation
27
allemande (cf. infra). L’Italie affirme en conséquence que, pour déter-
miner la «cause réelle du différend», les décisions rendues par ses juridic-

tions sur la question de l’immunité de l’Etat allemand «doivent être
considérées comme étant la conséquence de la situation de droit et de fait
découlant du refus de l’Allemagne d’indemniser les victimes italiennes» . 28

C’est en partant de cette vision plus large de l’étendue du présent diffé-
rend que l’Italie a présenté une demande reconventionnelle.
40. Pour ce qui est de la condition de la «connexité directe» à laquelle

est subordonnée la présentation de demandes reconventionnelles (cf.
supra), l’Italie fait valoir qu’il existe manifestement une connexité directe
entre les faits et le droit sur lesquels elle se fonde pour contrer la demande

de l’Allemagne et entre les faits et le droit sur lesquels repose sa demande
reconventionnelle. L’Italie soutient qu’«un Etat qui viole des règles fon-
damentales n’est pas habilité à invoquer l’immunité» si cela aurait pour

effet de le «soustraire aux conséquences juridiques de son comportement
illicite»; elle affirme que, lorsque la Cour examinera ce moyen de défense

concernant la demande initiale de l’Allemagne, elle devra se pencher sur
«bon nombre des questions factuelles et juridiques» sur lesquelles est
basée sa demande reconventionnelle . 29

41. L’Italie conclut sur ce point par deux observations. Elle relève
d’abord que le fait que la demande reconventionnelle élargit l’objet du
différend n’a pas d’incidence sur sa recevabilité, comme cela a été confirmé

par la Cour dans son ordonnance rendue en l’affaire relative à l’Applica-
tion de la convention pour la prévention et la répression du crime de géno-
cide (1997, supra) . Elle affirme en deuxième lieu que, étant donné que

l’Allemagne était «tout à fait consciente du lien étroit existant entre
immunité et réparations en la présente affaire», la question de la répara-
tion fait incontestablement partie de la «question complexe» à laquelle
31
renvoie la déclaration conjointe adoptée par les Parties en 2008 .

26 Contre-mémoire de l’Italie (22 décembre 2009), p. 35, par. 3.11.
27 Cf. ibid., p. 16-18, par. 2.9-2.19.
28 Ibid., p. 36, par. 3.11.
29 Ibid., p. 130, par. 7.6.
30 Ibid., p. 130, par. 7.7.
31 Ibid., p. 130-131, par. 7.8.

40 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ’ÉTAT OP .DISS. CANÇADO TRINDADE ) 347

42. De son côté, l’Allemagne «s’abstient délibérément» de prendre
position sur «la question de la connexité entre la demande qu’elle a for-
mulée contre le défendeur et la demande reconventionnelle de celui-ci»,
32
tout en indiquant qu’elles sont, à son avis, «très différentes» . Premiè-
rement, pour ce qui est de l’absence de connexité directe en droit alléguée
par l’Allemagne, alors même que sa propre demande se réfère à la pra-

tique de juridictions italiennes refusant l’immunité de juridiction, la
demande reconventionnelle de l’Italie porte sur des violations du droit
international commises par les troupes allemandes au cours de la seconde

guerre mondiale. Deuxièmement, pour ce qui est de l’absence alléguée de
connexité directe en fait, les événements au sujet desquels l’Allemagne
invite la Cour à se prononcer sont survenus depuis 2004, tandis que ceux

que l’Italie souhaite soumettre à l’examen de la Cour ont eu lieu entre
1943 et 1945. L’Allemagne déclare néanmoins que, à son avis, la question

de la connexité directe n’est pas pertinente aux fins de la décision de la
Cour sur la recevabilité de la demande reconventionnelle, puisqu’«[i]l
est ... évident que la Cour n’a compétence ni ratione temporis ni ratione
33
materiae» .

b) Le fond du différend

43. Dans le dernier chapitre de son contre-mémoire 3, l’Italie présente

une demande reconventionnelle par laquelle elle prie la CIJ de déclarer
que

«l’Allemagne a violé l’obligation de réparation qui est la sienne à
l’égard des victimes italiennes des crimes commis par l’Allemagne

nazie pendant la seconde guerre mondiale et qu’elle doit, par consé-
quent, mettre fin à son comportement illicite et accorder aux vic-
times une réparation effective et appropriée» . 35

L’Italie se penche ensuite sur les conditions de recevabilité des demandes

reconventionnelles en vertu de l’article 80 du Règlement de la Cour (cf.
supra). Elle soutient d’abord que «le différend concernant l’immunité
soumis par l’Allemagne et celui concernant les réparations soumis par
36
l’Italie découlent des mêmes faits» .
44. Elle estime donc que sa demande reconventionnelle et la demande
originaire sont basées sur le même titre de compétence. L’Italie soutient

en particulier que la Cour est compétente ratione temporis en l’espèce
parce que les événements qui constituent la «cause réelle du différend»
— c’est-à-dire «le régime de réparation institué par les deux accords

conclus entre l’Allemagne et l’Italie en 1961» et l’exclusion des victimes

32Observations écrites de la République fédérale d’Allemagne relatives à la demande
reconventionnelle de l’Italie (10 mars 2010), p. 3, par. 3.
33Ibid., p. 4, par. 3.
34Contre-mémoire de l’Italie (22 décembre 2009), p. 128-133, par. 7.1 à 7.14.
35Ibid., p. 128, par. 7.2.
36Ibid., p. 129, par. 7.4.

41 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ÉTAT (OP. DISS. CANÇADO TRINDADE ) 348

italiennes du régime de réparation mis en place par la fondation «Mé-
moire, responsabilité et avenir» créée en 2000 — sont survenus posté-

rieurement à l’entrée en vigueur de la convention européenne de 1957
pour le règlement pacifique des différends 37 (sur laquelle se fonde la
compétence de la Cour en l’espèce).

45. L’Italie estime que les «décisions plus récentes des autorités alle-
mandes concernant les demandes d’indemnisation présentées» par les
victimes italiennes (en particulier sous les auspices de la fondation
38
«Mémoire, responsabilité et avenir» en 2000 ) constituent autant de
«situations nouvelles» aux fins de l’établissement de la compétence ratione
temporis à l’égard de la présente demande reconventionnelle. Etant donné

que ces décisions ont été prises en partant de l’idée que «les personnes
ayant été victimes de violations graves du droit international humanitaire

ne bénéficieraient pas d’un droit à réparation individuel car, dans ces cas,
la question de la réparation devait être réglée exclusivement au niveau
interétatique», elles constitueraient une source autonome du différend
39
entre les Parties portant sur la question des réparations .
46. L’Italie déclare également qu’elle «ne partage pas l’avis de l’Alle-
magne au sujet de la portée des clauses de renonciation» figurant dans les
40
deux accords de 1961 . Elle nie donc que la «cause réelle du différend»
réside dans les atrocités perpétrées par l’Allemagne nazie au cours de la
seconde guerre mondiale (entre 1943 et 1945), puisque les Parties «par-

tagent clairement le même avis en ce qui concerne la survenance et la
qualification juridique des faits qui sont à l’origine des créances de répa-
ration», à savoir les «violations graves du droit international humani-
41
taire commises par l’Allemagne nazie» .
47. La raison pour laquelle le différend ne découlerait pas non plus du

traité de paix de 1947 (quoique le paragraphe 4 de son article 77, qui
contient la clause de renonciation, nécessite une interprétation) tiendrait
au fait que, en concluant les deux accords de 1961 (cités supra), l’Alle-

magne aurait renoncé à se prévaloir de la clause de renonciation figurant
au paragraphe 4 de l’article 77 dudit traité de paix, créant ainsi une «situ-
ation nouvelle» entre les Parties en ce qui concerne la «question de la répa-
42
ration» . Au vu de cela, l’Italie conclut que le différend ne peut découler
que de l’interprétation des deux accords de 1961. Elle déclare notamment:

«la Cour est compétente pour connaître du différend sur l’immunité

soumis par l’Allemagne ainsi que du différend sur la réparation
soumis par l’Italie. Il n’existe pas de limitation pertinente ratione
temporis de la compétence de la Cour, puisque les deux différends

37
Cf. Contre-mémoire de l’Italie (22 décembre 2009), p. 129, par. 7.4, et cf. également
p. 33-37, par. 3.6-3.13.
38 Ibid., p. 38 et 40, par. 3.16 et 3.19.
39 Ibid., p. 40, par. 3.19.
40 Ibid., p. 39, par. 3.17.
41 Ibid., p. 37-38, par. 3.15.
42 Ibid., p. 39, par. 3.18.

42 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ’ÉTAT (OP .DISS. CANÇADO TRINDADE ) 349

portent sur des faits et situations, à savoir la conclusion des accords

d’indemnisation de 1961 entre l’Italie et l’Allemagne et le refus de
l’Allemagne d’examiner les demandes d’indemnisation des IMI, qui
sont postérieurs à l’entrée en vigueur de la convention européenne
43
entre les parties aux différends.»

48. Dans ses «observations écrites» relatives à la demande reconven-
tionnelle de l’Italie, l’Allemagne soutient pour sa part que la Cour n’est

compétente ni ratione materiae ni ratione temporis pour connaître de
ladite demande reconventionnelle. A son avis, ni sa déclaration du 30 avril
44
2008 (par laquelle elle accepte la juridiction obligatoire de la CIJ) ni la
déclaration conjointe des Gouvernements allemand et italien du
18 novembre 2008 (dont le texte a été reproduit ci-dessus) n’auraient pu

avoir pour effet d’exprimer son consentement en vue de l’exercice par la
Cour de sa compétence à l’égard de la demande reconventionnelle de
45
l’Italie . L’Allemagne fait valoir que le critère temporel énoncé à l’arti-
cle 27 de la convention européenne pour le règlement pacifique des dif-
46
férends ne viserait pas la date à laquelle le différend s’est élevé, mais la
date des «faits ou situations dont a résulté le différend» . Ces faits et
situations, ajoute l’Allemagne, sont les «actes et activités illicites commis

par les forces et autres autorités allemandes pendant les vingt mois au
cours desquels [l’Italie] a été placée sous occupation, et ses forces armées
48
traitées en tant que forces ennemies» .
49. Quant à l’affirmation de l’Italie selon laquelle le différend décou-

lerait de l’interprétation des clauses de renonciation figurant dans les
deux accords de 1961, l’Allemagne considère ces deux accords comme un
«geste de bonne volonté», comme «des étapes d’un processus de norma-

lisation intra-européenne et [qui] avaient pour objet de consolider le par-
tenariat entre l’Allemagne et l’Italie» . L’Allemagne nie avoir été tenue,

en vertu du droit international, de conclure les accords de 1961, qui,

43 Contre-mémoire de l’Italie (22 décembre 2009), p. 40-41, par. 3.20.
44 Observations écrites de la République fédérale d’Allemagne..., op. cit. supra note 32,

p. 4-5, par. 5-6. L’Allemagne relève que la déclaration portant acceptation de la juridic-
tion obligatoire de la CIJ ne s’applique qu’aux différends nés après la date de la signature
de ladite déclaration et, en tout état de cause, exclut les différends liés à l’activité des
forces armées à l’étranger.
45 Pour ce qui est de la déclaration conjointe de 2008, l’Allemagne fait observer qu’elle
constituerait un «document de nature politique» visant à rassurer la communauté inter-
nationale sur le fait que l’introduction de l’instance contre l’Italie ne nuirait en rien aux

bonnes relations entre les Parties. De surcroît, la déclaration indique que la convention
européenne de 1957 est considérée par l’Allemagne comme une preuve du fait que les
Parties partageaient l’avis selon lequel la convention «était le seul fondement juridique de
l’instance à venir devant la Cour»: cf. ibid., p. 9, par. 12.
46 Art. 27: «Les dispositions de la présente Convention ne s’appliquent pas: a) aux
différends concernant des faits ou situations antérieurs à l’entrée en vigueur de la présente
Convention entre les parties au différend...»
47
Observations écrites de la République fédérale d’Allemagne..., op. cit. supra note 32,
p. 9-10, par. 14.
48 Ibid., p. 10, par. 15.
49 Ibid., p. 20-21, par. 32-33.

43 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ’ÉTAT (OP. DISS.CANÇADO TRINDADE ) 350

ajoute-t-elle, «ont été conclus en bonne et due forme» et «n’ont aucune
incidence néfaste sur les droits italiens» . En outre, d’après l’Allemagne,

l’Italie n’a jamais «fait ... mention d’une quelconque irrégularité, incohé-
rence ou autre carence qui entacherait les deux accords de 1961» et, par-
tant, il «n’existe tout simplement aucun différend concernant la perti-
51
nence des traités vis-à-vis de la demande reconventionnelle» .
50. Enfin, l’Allemagne conteste sommairement l’argument de l’Italie
selon lequel l’exclusion des victimes italiennes du régime de réparation de

la fondation «Mémoire, responsabilité et avenir» (2000) constituerait une
nouvelle source de différend. Elle relève que l’Italie a reconnu, dans son
contre-mémoire, que «la promulgation de cette loi n’a[vait] pas été dictée
52
par une obligation de droit international existant entre les deux pays» .
L’Allemagne soutient en conséquence que les événements liés à la mise en

vigueur et à l’application de la loi seraient dénués de pertinence aux fins
de la présente espèce.
51. De son côté, l’Italie affirme de nouveau, dans ses «observations

sur les observations écrites» de l’Allemagne, que cette dernière n’aurait
pas distingué entre la «source des droits dont la violation est alléguée» et
la «source [réelle] du différend» que la Cour est appelée à trancher. Bien

que la source des droits à réparation réside dans les violations graves du
droit international humanitaire commises au cours de la seconde guerre
mondiale, l’Italie soutient que le différend porterait en réalité sur l’inter-

prétation des deux accords de 1961 et relèverait dès lors de la compétence
ratione temporis de la Cour. D’après l’Italie, la Cour est invitée à se pro-
noncer sur les questions de savoir: a) «si, en concluant les deux accords

de 1961, l’Italie a renoncé à toutes ses réclamations en matière de répara-
tion, y compris celles ayant trait aux violations graves du droit interna-

tional humanitaire commises par le Reich allemand au cours de la
seconde guerre mondiale» et b) «si, en refusant d’examiner les demandes
de réparation qui lui ont été soumises après la création de la fondation

«Mémoire, responsabilité et avenir» en 2000, l’Allemagne a manqué à ses
obligations de réparation à l’égard des victimes italiennes des crimes com-
mis par le Reich allemand et, dans l’affirmative, quelles sont les consé-
53
quences juridiques découlant de ce comportement illicite» .

50
Observations écrites de la République fédérale d’Allemagne..., op. cit. supra note 32,
p. 21, par. 33.
51 Ibid., p. 21-22, par. 34-35.
52 Ibid., p. 23, par. 37.
53 Observations écrites de l’Italie sur les observations écrites de l’Allemagne relatives à
la demande reconventionnelle de l’Italie (18 mai 2010), p. 7 et 9-10, par. 14 et 21. Comme
il y est affirmé:

«L’objet du différend soulevé par l’Italie est double quant à sa substance. Première-
ment, il porte sur la question litigieuse de l’existence, à l’époque de la naissance du
présent différend, au cours des années 2000, d’un droit à réparation en faveur de
l’Italie. A cet égard, la Cour doit essentiellement statuer sur la question de savoir si,
en concluant les deux accords de 1961, l’Italie a renoncé à toutes ses réclamations en
matière de réparation, y compris à celles ayant trait aux violations graves du droit

44 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ’ÉTAT (OP. DISS.CANÇADO TRINDADE ) 351

52. Cherchant à démontrer qu’il existe effectivement un différend entre

les Parties quant à la manière dont les deux accords de 1961 doivent être
interprétés, l’Italie mentionne certaines des questions que la Cour aurait à
trancher au cas où elle déciderait de connaître de la demande reconven-

tionnelle. Elle relève que les implications des deux accords de 1961 sont
triples, puisque l’Allemagne: a) aurait «renoncé à la possibilité, qu’elle
considérait comme étant son droit, de se prévaloir de la renonciation à

toute réclamation de la part de l’Italie» en vertu du traité de paix de
1947; b) aurait reconnu «l’existence d’une obligation de réparation envers
l’Italie ... ouvrant la voie à un processus de réparations»; et c) aurait

«reconnu clairement le fait que [les deux accords de 1961] n’avaient pas
épuisé l’ensemble des possibilités de réparation susceptibles d’être offertes

aux victimes italiennes, en reconnaissant expressément que d’autres voies
restaient disponibles (ou le deviendraient) en vertu de la législation alle-
mande» . 54

53. A l’appui de l’argument selon lequel les deux accords de 1961
auraient créé une «situation entièrement nouvelle» en vertu de laquelle
l’Allemagne ne serait plus recevable à se prévaloir de la clause de renon-

ciation du traité de paix de 1947, l’Italie se réfère au texte de l’article 3 du
traité d’indemnisation [le deuxième accord de 1961] (qui suggère que les
deux accords ne préjugent pas des réclamations qui ne relèvent pas de

leur objet spécifique) ainsi qu’à un «échange de lettres» intervenu lors de
la conclusion des accords . L’Italie soutient que les accords de 1961 ne

pouvaient pas, comme le suggère l’Allemagne, régler la question des répa-
rations, en renvoyant à la pratique de plusieurs Etats ayant rejeté la thèse
selon laquelle des clauses de renonciation similaires à celles des deux

accords de 1961 auraient pu avoir pour effet de clore le débat sur les
réparations .56
54. L’Italie conteste également le point de vue de l’Allemagne selon

international humanitaire commises par le Reich allemand au cours de la seconde
guerre mondiale. La deuxième question, étroitement liée à la première, est celle de
savoir si, en refusant d’examiner les demandes de réparation qui lui ont été soumises

après la création de la fondation «Mémoire, responsabilité et avenir» en 2000,
l’Allemagne a manqué à ses obligations de réparation à l’égard des victimes italiennes
des crimes commis par le Reich allemand et, dans l’affirmative, quelles sont les con-
séquences juridiques découlant de ce comportement illicite. Compte tenu de l’objet
du présent différend tel qu’il a été ici défini, on voit bien que les faits ou situations
dont il faut tenir compte aux fins de l’application de la clause de limitation ratione
temporis figurant à l’article 27 a) ne sont pas les événements de la seconde guerre
mondiale. Le différend soulevé par l’Italie concerne une situation déterminée, à
savoir le régime de réparation mis en place par les deux accords de 1961, ainsi que des
faits déterminés, à savoir les événements ayant suivi la création de la fondation
«Mémoire, responsabilité et avenir». Ce sont ces faits et cette situation, et non pas les

événements survenus au cours de la seconde guerre mondiale, qui constituent l’origine
ou la cause réelle du différend sur la réparation.» (Par. 21.)

54 Observations écrites de l’Italie..., op. cit. supra note 53, p. 17, par. 43.
55 Ibid., p. 18-19, par. 45-47.
56 Ibid., p. 20-21, par. 53.

45 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ’ÉTAT (OP .DISS. CANÇADO TRINDADE ) 352

lequel les deux accords de 1961, ainsi que la législation allemande sur les

réparations, constituaient des mesures ex gratia. D’après l’Italie, «aucun
traité ne saurait vraiment être analysé comme un simple geste de bonne
volonté, pas plus qu’il ne saurait être considéré comme un acte unilaté-

ral» et tant les traités que la législation allemande pertinente «étaient le
résultat d’une pression internationale et de négociations intergouverne-
mentales» . L’Italie déclare en résumé que:

«le simple fait que l’Italie et l’Allemagne ont des vues opposées sur

ces questions et sur d’autres questions présentant un rapport direct
avec le sens, la portée et les effets des accords de 1961 (et la pratique

allemande ultérieure) prouve qu’il existe «[u]n désaccord sur un
point de droit ou de fait..., une opposition de thèses...» entre les
Parties et place les accords de 1961 et leurs conséquences au cŒur du
58
différend» .

c) La controverse sur la notion de «situation continue»

55. Un autre sujet de désaccord entre l’Italie et l’Allemagne a trait à

l’importance de la notion de «situation continue» en l’espèce. L’Alle-
magne souligne que «[l]’élément central de la demande reconventionnelle
[de l’Italie] réside ... dans l’argument selon lequel une obligation de ré-

parer les violations du droit international humanitaire commises par les
autorités nazies pendant la période de l’occupation militaire de l’Italie
59
continue d’incomber à l’Allemagne» . D’après l’Allemagne, étant
donné qu’«[a]ucune demande en réparation ni aucune autre demande
contre l’Allemagne ne découle des accords de 1961» , la Cour devrait

s’abstenir de connaître de la demande reconventionnelle car elle serait
incompétente ratione temporis.
56. L’Italie affirme pour sa part dans son contre-mémoire, au sujet de

l’«obligation de réparation» sur laquelle est fondée sa demande recon-
ventionnelle, que «l’Allemagne a manqué et continue de manquer à
61
[cette] obligation ... à l’égard d’un très grand nombre de victimes» .Au
vu de cela, elle soutient que, tandis que «les crimes qui ont fait naître
l’obligation de réparation doivent être analysés comme étant des «faits

instantanés»», «[l]e fait internationalement illicite que constitue la viola-
tion de l’obligation de réparation ne possède nullement un caractère «ins-
tantané»», mais relève de la définition des violations ayant un caractère

continu visées au paragraphe 2 de l’article 14 des Articles de la CDI sur
la responsabilité de l’Etat . 62

57 Observations écrites de l’Italie..., op. cit. supra note 53, p. 21-22, par. 55.
58
59 Ibid., p. 22-23, par. 57.
Observations écrites de la République fédérale d’Allemagne..., op. cit. supra note 32,
p. 22-23, par. 35.
60 Ibid., p. 22-23, par. 35.
61 Contre-mémoire de l’Italie (22 décembre 2009), p. 11, par. 1.17.
62 Ibid., p. 12, par. 1.17.

46 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ’ÉTAT (OP .DISS. CANÇADO TRINDADE ) 353

57. Bien que l’Italie formule cet argument lorsqu’elle examine l’appli-
cabilité des règles actuelles en matière d’immunité des Etats et de droit

international humanitaire à l’obligation alléguée du demandeur d’accor-
der une réparation (cf. supra), l’Allemagne soutient que ce raisonnement

constituerait une tentative de «passer outre aux éléments temporels qui font
obstacle à [l]a demande reconventionnelle [de l’Italie]» . L’Allemagne
invite ensuite la Cour à faire une distinction entre «[l]’ingérence dans

les droits de l’autre partie» — qui s’est produite en l’espèce entre 1943 et
1945, c’est-à-dire au cours d’une période ne relevant pas de la compétence

ratione temporis de la Cour — et «les conséquences qui en résultent»
— c’est-à-dire l’obligation alléguée d’accorder une réparation . 64

58. L’Allemagne rappelle dans ce contexte l’arrêt rendu par la CPJI en
l’affaire des Phosphates du Maroc (Italie c. France, 1938) 65 et soutient
également que, dans l’esprit de la décision de la CPJI, «les griefs formulés

contre la manière et la méthode de règlement n’entrent pas en ligne de
compte aux fins de déterminer l’applicabilité de la clause temporelle per-
66
tinente» en l’espèce . A cet égard, l’Allemagne cite des exemples tirés de
la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) , 67
en insistant sur des espèces telles que l’affaire Malhous c. République

tchèque (2000, concernant la privation du droit de propriété ou de
tout autre droit réel) et l’affaire Kholodov et Kholodova c. Russie (2006,
68
ayant pour objet le décès de M. D. Kholodov) . Or, étant donné que ces
espèces concernaient, comme l’Allemagne le reconnaît, des «actes

instantanés» plutôt que des situations continues, elles ne sont pas per-
tinentes aux fins de la présente affaire introduite devant la CIJ, qui revêt
un caractère différent.

59. L’Italie relève de son côté qu’elle «n’a pas de difficulté à recon-
naître que la notion de fait illicite continu est dénuée de pertinence aux

fins de la détermination de la compétence ratione temporis de la Cour»

63
Observations écrites de la République fédérale d’Allemagne..., op. cit. supra note 32,
p. 12-13, par. 20.
64 Ibid., p. 13, par. 21.
65 Dans cette affaire, l’Italie soutenait que la Cour était compétente ratione temporis
pour connaître de demandes liées à une décision prise par l’administration marocaine six
ans avant que la France n’ait accepté la juridiction obligatoire de la Cour parce que: a) le
déni de justice de la part de la France constituait en soi un fait internationalement illicite;

et b) la décision de l’exécutif et le déni de justice constituaient «un seul fait illicite con-
tinué et progressif, qui n’[étai]t arrivé à sa perfection qu’après la date critique» (p. 23). La
CPJI écarta ces arguments aux motifs que: a) «le grief de déni de justice ne saurait être
séparé de la critique que le Gouvernement italien entend[ait] faire de la décision du Service
des Mines intervenue le 8 janvier 1925»; b) le déni de justice allégué ne faisait que «laisser
subsister le fait illicite», mais n’exerçait «aucune influence ni sur sa consommation, ni sur
la responsabilité qui en dériv[ait]» (p. 28).
66
Observations écrites de la République fédérale d’Allemagne..., op. cit. supra note 32,
p.673-15, par. 22.
Cf. ibid., p. 15-18, par. 23-28 (renvoyant aux affaires Malhous c. République tchèque
[2000], Bleˇ´ c. Croatie [2006], Preussische Treuhand c. Pologne [2008], Kholodov et
Kholodova c. Russie [2006] et Varnava et autres c. Turquie [2009]).
68 Cf. ibid., p. 15-17, par. 24 et 26.

47 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ’ÉTAT (OP. DIS. CANÇADO TRINDADE ) 354

et affirme qu’elle «n’a jamais eu l’intention de se fonder sur cet argu-
69
ment» . Néanmoins, elle fait grief à l’Allemagne d’invoquer à cette fin
l’affaire desPhosphates du Maroc et les exemples provenant de la jurispru-
dence de la Cour européenne des droits de l’homme . D’après l’Italie,

«à la différence de la situation dans l’affaire des Phosphates du

Maroc, l’objet du présent différend n’est pas la question de savoir si,
lors de la seconde guerre mondiale, les autorités allemandes ont
commis des violations graves du droit humanitaire engageant la res-

ponsabilité internationale de l’Allemagne à l’égard de l’Italie. Ces
faits ne constituent pas l’objet du présent différend, tout simplement
parce qu’ils ne font pas l’objet d’une contestation entre les Parties.
Bien que le présent différend concerne la question de la réparation

due par l’Allemagne à la suite des crimes commis par les autorités
allemandes au cours de la période allant de 1943 à 1945, le point cen-
tral du différend — son fait générateur — correspond à des faits et

situations postérieurs à la date critique. En conséquence, la tentative
de l’Allemagne de suggérer que le présent différend se caractérise par
la même situation que celle dans l’affaire des Phosphates du Maroc
71
n’est tout simplement pas convaincante.»

VII. L ES ORIGINES DE LA « SITUATION CONTINUE »
DANS LA DOCTRINE INTERNATIONALISTE

60. Les origines de la notion de «situation continue» sont passées qua-
siment inaperçues dans la doctrine contemporaine. Ce n’est que lorsque
cette notion a d’abord pris corps dans le contentieux international et a

ensuite été consacrée comme concept de droit international (cf. infra)
qu’elle a enfin bénéficié d’une certaine attention, quoique insuffisante, de
la part de la doctrine. Or, par coïncidence, c’est précisément dans la riche
tradition des doctrines internationalistes allemande et italienne que cette

notion trouve ses racines et a commencé à se développer. Mon propos
n’étant pas, dans le cadre de la présente opinion dissidente, de procéder à
une analyse approfondie de cette question particulière, je n’évoquerai que

la genèse de cette notion dans la doctrine internationaliste.
61. Dans son ouvrage Völkerrecht und Landesrecht publié l’année de
la première conférence de la paix de La Haye (1899), Heinrich Triepel

avait déjà cerné la question:

«Völkerrechtlich geboten nennen wir einmal alles Landesrecht,
dessen Schöpfung sich als Erfüllung völkerrechtlicher Pflicht dars-
tellt, ferner aber das, das der Staat zwar ohne solche Verpflichtung

69
Observations écrites de l’Italie..., op. cit. supra note 53, p. 11, par. 25.
70Ibid., p. 11-13, par. 26-29.
71Ibid., p. 12, par. 27.

48 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ’ÉTAT OP .DISS. CANÇADO TRINDADE ) 355

geschaffen hat, aber nachmals aufrechtzuerhalten verpflichtet wird.
Dort besteht die Staatspflicht in Erlass und Aufrechterhaltung des
Rechts, hier allein in dieser. Umgekehrt — wenn die Staaten zu bes-

timmtem Zeitpunkte völkerrechtlich verpflichtet werden, ein Recht
bestimmten Inhalts zu haben, so verletzt der Staat, der das entspre-
chende Recht besitzt, seine Pflicht durch dessen Abschaffung und die

fortgesetzte Unterlassung der Wiedereinführung, der von vornherein
des gebotenen Rechts ermangelnde nur durch die Nichteinführung;
beide aber begehen ein, wenn ich so sagen darf, völkerrechtliches
72
«Dauerdelikt».»

62. Bien que H. Triepel n’ait pas approfondi cet argument, il a laissé
transparaître son intuition, qui était de le situer non seulement dans le

cadre du rapport entre le droit international et le droit interne, mais éga-
lement dans sa dimension temporelle. Quatorze ans plus tard, peu avant
l’éclatement de la première guerre mondiale, son ouvrage connut une édi-

tion italienne dans laquelle on retrouvait le même paragraphe:

«Imposto dal diritto internazionale è per noi anzitutto il diritto
interno la cui creazione rappresenta l’adempimento di un obbligo

internazionale, ed in secondo luogo il diritto interno che fu creato
dallo Stato senza esservi internazionalmente obbligato, ma che pos-
teriormente lo Stato si è obbligato a conservare in vigore. Nel primo

caso il dovere dello Stato consiste nell’emanazione e nel manteni-
miento in vigore di determinate norme di diritto, nel secondo caso
soltanto nell’ultimo obbligo. Reciprocamente, si a un determinato

momento gli Stati sono internazionalmente obbligatti ad avere norme
di diritto di un dato contenuto, lo Stato ce già le possiede viola il suo
dovere se le abolisce e trascura di introdurle nuovamente, mentre lo

Stato che non le possiede ancora lo viola soltanto col non intro-
durle; ambedue peraltro commettono, se mi è lecito usare questa
espressione, un «reato continuato» internazionale.» 73

72
H. Triepel, Völkerrecht und Landesrecht , Leipzig, Verlag von C. L. Hirschfeld, 1899,
p. 289:
«Par l’expression «exigée par le droit international» (völkerrechtlich geboten) ,
nous entendons toute loi interne édictée en exécution d’une obligation internationale,

mais également celle que l’Etat a édictée en l’absence d’une telle obligation, mais qu’il
est par la suite tenu de maintenir en vigueur. Dans la première hypothèse, l’obligation
de l’Etat comporte la mise en vigueur de la loi et le devoir de ne pas l’abroger, tandis
que, dans la seconde, elle n’inclut que ce dernier devoir. Inversement, si, à un
moment donné, les Etats sont internationalement obligés de se doter de règles de
droit ayant un contenu déterminé, l’Etat qui possède déjà de telles lois viole son obli-
gation s’il les abroge et ne les rétablit pas, tandis que l’Etat qui ne possède pas encore
de telles lois viole son obligation du simple fait de leur non-adoption; les deux Etats
commettent, si je peux m’exprimer ainsi, un manquement continu au droit interna-
tional (völkerrechtliches Dauerdelikt). » [Traduction libre.]

73H. Triepel, Diritto Internazionale e Diritto Interno (trad. G. C. Buzzati), Turin,
Unione Tipografico-Editrice Torinese, 1913, p. 286. Une décennie plus tard, dans son

49 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ÉTAT (OP. DISS.CANÇADO TRINDADE ) 356

63. C’est en réalité au cours de l’entre-deux-guerres que les contours
de la notion de «situation continue» se précisèrent, dans les premiers
écrits de Roberto Ago. Dans son cours dispensé à l’Académie de La Haye

en 1939, l’année de l’éclatement de la seconde guerre mondiale, R. Ago
soutenait qu’il existait, en droit international, des situations caracté-

risées par un acte illicite ou une omission uniques (délit international
simple), ainsi que d’autres qui étaient constituées par une série d’actes ou
omissions ainsi que par l’effet dans le temps de ce comportement humain

illicite (délit international complexe ou continu). Dans ce dernier cas, on
observe un prolongement dans le temps du tempus commissi delicti 74.
64. L’élément essentiel de la distinction entre ces deux concepts réside

«dans l’instantanéité ou dans la permanence» de l’action ou omission.
Un exemple de manquement qui se prolonge dans le temps peut être

trouvé dans la promulgation d’une loi (interne) en violation du droit des
gens, donnant lieu à un délit continu . R. Ago ajoutait, en ce qui
concerne l’obligation de réparation, que cette dernière «ne se manifes-

t[ait] pas du tout comme une obligation subsidiaire», mais plutôt comme
«une obligation primaire, établie par une règle coutumière» . 76

A cette époque, la notion de «situation continue» constitutive d’une
violation du droit international était déjà invoquée dans le contentieux
international (cf. infra).

VIII. L A FORMATION ET LES ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS
DE LA « SITUATION CONTINUE » DANS LE CADRE DU CONTENTIEUX
ET DE LA JURISPRUDENCE INTERNATIONAUX

65. Etant donné que la Cour ne semble pas avoir jugé nécessaire de se
prononcer, dans sa présente ordonnance, sur la notion de «situation

cours dispensé dans le cadre des leçons inaugurales de l’Académie de droit international
de La Haye (1923), H. Triepel réitéra son point de vue:

«Nous nommons internationalement ordonné , d’abord tout le droit interne dont la
création se présente comme l’accomplissement d’un devoir international, et en outre
le droit que l’Etat a créé sans y être tenu, mais qu’il est obligé maintenant de conser-
ver. Dans la première hypothèse, le devoir de l’Etat consiste à créer et à conserver le
droit, dans la seconde, il ne consiste qu’à le conserver. Inversement, quand les Etats
sont internationalement astreints à avoir, à une certaine époque, un droit d’un conte-
nu déterminé, l’Etat qui possède le droit dont il s’agit viole son devoir s’il abroge ce
droit et s’il s’abstient ensuite de le réintroduire; tandis que celui qui ne possède point

dès le début le droit internationalement ordonné ne viole son devoir que s’il ne
l’introduit pas. Mais tous les deux commettent, pour ainsi dire, un «délit permanent
international» (Dauerdelikt, comme on dit en allemand).» (H. Triepel, «Les rapports
entre le droit interne et le droit international», Recueil des cours de l’Académie de
droit international de La Haye , vol. 1, 1923, p. 109.)

74 R. Ago, «Le délit international», Recueil des cours de l’Académie de droit interna-
tional de La Haye, vol. 68, 1939, p. 512, 514, 517-519 et 523.
75 Ibid., p. 519-520.
76
Ibid., p. 529.

50 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ’ÉTAT (OP .DISS. CANÇADO TRINDADE ) 357

continue», je me sens dans l’obligation de le faire car j’estime que cette

question présente de l’importance pour l’état actuel et futur du droit
international. Elle était présente tant dans les affirmations de l’Italie
que dans celles de l’Allemagne et a souvent été invoquée devant les

juridictions internationales contemporaines (telles que la CIJ et les
Cours européenne et interaméricaine des droits de l’homme). Bien
qu’il ait été clarifié, à l’issue des controverses récentes des Parties dans

la présente affaire devant la CIJ (lors de la phase écrite ayant pré-
cédé la présente ordonnance de la Cour), que la notion en cause ne
constituait pas le fondement principal de leurs positions, elle a non
seulement été invoquée par les deux Parties devant la Cour mais

conserve également, à mon avis, son importance pour la compréhension
correcte de la dimension temporelle des affaires de ce type. Je m’attar-
derai donc sur cette notion, aussi bien dans le domaine du droit inter-

national public que dans celui du droit international des droits de
l’homme.

1. En droit international public

66. Qu’il me soit d’abord permis de remonter à l’époque de la CPJI.
Dans le cadre de son exposé devant la CPJI en l’affaire des Phosphates du

Maroc (Italie c. France), lors de la séance publique du 12 mai 1938,
Roberto Ago avait soutenu, en qualité de conseil de l’Italie, que les faits
de ce différend soumis à la CPJI remontaient à un texte législatif de 1920

(instituant le «monopole des phosphates») et s’étendaient à une décision
prise en 1925 (concernant le «cartel phosphatier») ainsi qu’à un déni de
justice survenu en 1931-1933 . Cette succession de faits comportait

donc, ajoutait-il, des éléments qui étaient antérieurs à la date d’accepta-
tion de la juridiction obligatoire de la CPJI . 78
67. A son avis, les faits, et en particulier ceux qui s’étaient prolongés

de 1925 à 1933, avaient donné lieu à une «violation parfaite du droit des
gens» . D’après la plaidoirie de Roberto Ago:

«L’ensemble de ces faits, intimement liés par une connexion néces-
saire, ... visant à un même but, représente, du point de vue logique et

téléologique, aux effets pratiques et juridiques un seul fait illicite
international continué et progressif.
On y retrouve ... tous les éléments constitutifs du délit continué:
pluralité d’actions, unité du droit violé, unité de résolution et de but

chez l’agent.
Le fait illicite continué, ... étant composé à la fois par une succes-
sion de faits illicites particuliers, doit être regardé nécessairement

77 os
Phosphates du Maroc, C.P.J.I. série C n 84-85, p. 1218, 1220, 1230-1231. A son
avis, l’infraction au droit international «prolonge son existence dans le temps et se renou-
velle à chaque instant»: ibid., p. 1240-1241, et cf. p. 1237.
78Ibid., p. 1233, et cf. p. 1231.
79Ibid., p. 1233, et cf. p. 1229.

51 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ÉTAT (OP.DISS. CANÇADO TRINDADE ) 358

comme étant un délit unique. … Le fait illicite progressif doit être
qualifié juridiquement comme un fait illicite unique.» 80

68. Ce dernier se caractérise par le fait qu’il se prolonge continuelle-

ment, en violation d’une obligation internationale. Dès lors,

«[l]a violation du droit international ne s’est pas achevée au
moment où elle a commencé; elle continue à se produire à chaque

moment successif tant qu’elle ne cesse pas. Ce qui se prolonge dans
le temps, ce ne sont pas des conséquences d’une violation initiale,
achevée et épuisée, mais c’est précisément la violation même qui se

renouvelle continuellement et qui, par là, continue à se consommer
aussi longtemps que durent la même volonté et la même activité de
l’agent.
C’est précisément pour cette raison qu’en droit interne, lorsqu’on

est en présence d’un état délictueux qui se prolonge dans le temps,
on ne fait partir la prescription que du moment où l’état délictueux
a pris fin.» 81

69. La CPJI jugea cependant, dans son arrêt du 14 juin 1938 (excep-
tions préliminaires) en l’affaire des Phosphates du Maroc, que, en ce qui
concerne la situation ou les actes continus allégués, censés former un tout

(C.P.J.I. série A/B n° 74, p. 22-23), le facteur déterminant était en fin de
compte «la volonté de l’Etat qui, n’ayant accepté la juridiction obliga-
toire que dans certaines limites, n’a entendu y soumettre que les seuls dif-
férends qui sont réellement nés de situations ou de faits postérieurs à son

acceptation» (ibid., p. 24).
70. En l’espèce, les actes et situations mentionnés n’étaient pas, d’après
la CPJI, le point culminant d’événements antérieurs et ne modifiaient pas
davantage (pour ce qui est de l’«accaparement» des phosphates du

Maroc) la situation déjà établie. La Cour écartait donc l’argument de
l’Italie selon lequel les actes successifs de l’Etat défendeur constitueraient
un «délit continué et progressif» (ibid., p. 25-27). La CPJI a donc sous-

crit, d’un point de vue conceptuel, à la thèse volontariste traditionnelle
quant à sa compétence et a embrassé une vision statique et fragmentaire
de l’ensemble de la question dont elle devait connaître.
71. Je n’ai pas ici l’intention de disserter sur cette décision, plus de sept

décennies après, mais seulement d’y renvoyer aux fins de la présente
opinion dissidente. S’agissant de l’époque de la CIJ, qu’il me soit permis
de rappeler que, dans son avis consultatif de 1971 relatif aux Consé-

quences juridiques pour les Etats de la présence continue de l’Afrique du
Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du
Conseil de sécurité, la CIJ s’est prononcée sur la responsabilité interna-
tionale de l’Afrique du Sud découlant d’une violation continue (le «main-

80Phosphates du Maroc, C.P.J.I. Série C ns84-85, p. 1234-1235, et cf. p. 1238.
81
Ibid., p. 1239.

52 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ÉTAT (OP .DISS. CANÇADO TRINDADE ) 359

tien de la présence sud-africaine en Namibie» qui «se prolonge[ait] en
violation du droit international») . La CIJ déclarait que, «[t]ant qu’elle

laiss[ait] subsister cette situation illégale et occup[ait] le territoire sans
titre, l’Afrique du Sud encour[ai]t des responsabilités internationales pour
violation persistante d’une obligation internationale» . Elle affirmait

ensuite l’obligation des Etats Membres des Nations Unies de «recon-
naître l’illégalité et le défaut de validité du maintien de la présence sud-
84
africaine en Namibie» .
72. Ce que je tiens à faire observer ici, c’est que, en dépit du fait que les
racines de la notion de situation continue dans la pensée internationaliste
e
remontent à la première moitié du XX siècle, cette notion était passée
quasiment inaperçue et reste encore pratiquement inexplorée dans les

écrits doctrinaux de droit international public. Néanmoins, elle a bénéfi-
cié d’une certaine attention dans le domaine particulier du droit interna-
tional des droits de l’homme , de la part tant de la Cour européenne que

de la Cour interaméricaine des droits de l’homme. En outre, comme sa
reconnaissance prétorienne s’est également doublée, au cours de ces der-

nières années, d’une consécration au niveau normatif, ce concept ne sau-
rait plus être négligé.

2. En droit international des droits de l’homme

73. En jurisprudence, la notion de «situation continue» a retenu de
bonne heure l’attention de la Cour européenne des droits de l’homme

(CEDH) — ainsi que celle de l’ancienne Commission européenne des
droits de l’homme —, en ce qui concerne l’application de la règle de
l’épuisement des recours internes en matière de détention provisoire .La 86

CEDH a ensuite porté son attention sur la longueur ou sur la durée réelle
des détentions en question, en tant que «situations continues» .Aufil 87

des ans, la CEDH a parfois été confrontée à des situations continues dans
des circonstances différentes.

74. Il n’est pas surprenant de constater que la notion de situation
continue a été développée en particulier dans le domaine du droit inter-
national des droits de l’homme, étant donné la nature spécifique des trai-

82
C.I.J. Recueil 1971, p. 56, par. 126.
83 Ibid., p. 54, par. 118; cf. également ibid., p. 47, par. 95, où la Cour se réfère à une
«violation ... persistante d’obligations».
84 Ibid., p. 54, par. 119.
85 Parmi les très rares articles consacrés à ce jour à cette question, cf. en particulier:
J. Pauwelyn, «The Concept of a «Continuing Violation» of an International Obligation:

Selected Problems», British Year Book of International Law , vol. 66, 1995, p. 415-450;
A. Buyse, «A Lifeline in Time — Non-Retroactivity and Continuing Violations under the
ECHR», Nordic Journal of International Law , vol. 75, 2006, p. 63-88; A. Van Pachten-
beke et Y. Haeck, «From De Becker to Varnava : The State of Continuing Situations in
the Strasbourg Case Law», European Human Rights Law Review , vol. 1, 2010, p. 47-58.
86 A. A. Cançado Trindade, The Application of the Rule of Exhaustion of Local Rem-
edies in International Law , Cambridge University Press, 1983, p. 221-228.
87 Cf. ibid., p. 223 et 225.

53 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ’ÉTAT (OP. DIS. CANÇADO TRINDADE ) 360

tés relatifs à la protection des droits de l’homme qui créent, dans le cadre
de l’univers conceptuel du droit international, des mécanismes de protec-

tion des droits inhérents aux êtres humains, ainsi que des obligations
positives (de protection) à la charge de l’Etat, dont la responsabilité peut
être engagée à la suite d’actes illicites ou omissions successifs. Il peut exis-
ter un lien de causalité entre les faits d’origine (un terme qui n’est pas

synonyme de celui d’actes) et les actes ou omissions ultérieurs de l’Etat en
question, constituant une situation continue.
75. Dans une affaire récente, celle de Varnava et autres c. Turquie
(2009), les faits dont la CEDH était saisie concernaient la disparition for-
cée de neuf hommes en 1974. La Cour était compétente pour connaître de

requêtes déposées contre la Turquie portant sur des faits survenus après
le 28 janvier 1987. Dans son arrêt du 18 septembre 2009, la Grande
chambre de la CEDH indiquait que la dépouille de l’une des victimes
fatales avait été découverte dans un charnier en 2007, mais que les huit

autres hommes portés disparus n’avaient plus été vus depuis la fin de
1974 (par. 112).
76. La Grande chambre de la CEDH citait la jurisprudence de son
homologue, la Cour interaméricaine des droits de l’homme (CIDH),

concernant la compétence ratione temporis, en particulier son arrêt de
principe rendu dans l’affaireBlake c. Guatemala (1998) (par. 93-96, 138 et
147). La CEDH jugea qu’il y avait violation continue de l’article 2 (droit
à la vie) et de l’article 5 (droit à la liberté et à la sûreté) de la conven-

tion européenne des droits de l’homme, à raison de la non-réalisation
par les autorités de l’Etat défendeur d’une enquête effective sur le sort
des neuf hommes disparus dans des circonstances mettant leur vie en
danger (dispositif, par. 4 et 6).

77. La Cour constata en outre une violation continue de l’article 3
(interdiction de la torture et des autres traitements ou peines inhumains
ou dégradants) de la convention européenne à l’égard des requérants (dis-
positif, par. 5) . En examinant les souffrances continues des proches des

personnes disparues, la CEDH déclara:
«Une disparition ... se caractérise par une situation où les proches

sont confrontés de manière continue à l’incertitude et au manque
d’explications et d’informations sur ce qui s’est passé, les éléments
pertinents à cet égard pouvant parfois même être délibérément dis-
simulés ou obscurcis. ... Cette situation dure souvent très longtemps,

prolongeant par là même le tourment des proches de la victime. Dès
lors, on ne saurait ramener une disparition à un acte ou événement
«instantané»; l’élément distinctif supplémentaire que constitue le
défaut ultérieur d’explications sur ce qu’il est advenu de la personne

disparue et sur le lieu où elle se trouve engendre une situation conti-
nue.» (Par. 148.)

88Cf. également par. 194 et 208 de l’arrêt.

54 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ’ÉTAT (OP.DISS. CANÇADO TRINDADE ) 361

78. Dans le même arrêt, la CEDH observait ensuite, en ce qui concerne
la violation continue de l’article 3 de la convention:

«Compte tenu de la durée des épreuves subies par les proches des
disparus et de l’attitude d’indifférence que les autorités opposent à
leur angoisse extrême quant au sort des intéressés, la Cour estime
que la situation atteint un niveau de gravité suffisant pour tomber

sous le coup de l’article 3. Partant, elle conclut à la violation de cette
disposition dans le chef des requérants.» (Par. 202.)

La CEDH insistait sur sa mise en garde, dans le contexte de l’espèce,
quant à l’incidence de l’écoulement du temps dans les rapports juridiques
(par. 161) et énonçait l’obligation de «prendre les mesures voulues pour
protéger la vie des blessés, prisonniers de guerre et civils dans les zones de
conflit international», un devoir qui englobait «l’obligation de mener une

enquête effective concernant les personnes disparues en pareilles circons-
tances» (ce qui n’avait pas été fait en l’espèce: par. 174).
79. Avant cela, de l’autre côté de l’Atlantique, dans l’affaireBlake
c. Guatemala (1996-1999), où elle rendit son arrêt de principe en matière de

compétenceratione temporis cité par son homologue européenne, la CEDH
(supra), la Cour interaméricaine des droits de l’homme (CIDH) eut à
connaître de la disparition forcée d’une personne (M. N. C. Blake), qui
avait commencé en mars 1985 et s’était poursuivie jusqu’en juin 1992, lors-
que sa dépouille fut découverte. Entre-temps, le 9 mars 1987, l’Etat défen-

deur avait reconnu la juridiction obligatoire de la Cour pour des faits
postérieurs à cette date. L’Etat défendeur souleva une exception prélimi-
naire en faisant valoir le défaut de compétenceratione temporis de la Cour.
80. Dans son arrêt sur les exceptions préliminaires (du 2 juillet 1996),
la CIDH jugea que la disparition forcée impliquait des violations de plu-

sieurs droits de l’homme, dont certaines «p[ouvai]ent se prolonger de
manière continue ou permanente jusqu’au moment où le sort de la vic-
time ou le lieu où elle se trouv[ait] ser[aie]nt déterminés» (par. 39). La
CIDH se reconnut compétente ratione temporis pour connaître non pas

des violations des droits à la vie et à la liberté individuelle de la personne
disparue, mais de leurs effets ultérieurs sur les proches de cette dernière.
Ainsi, dans son arrêt sur le fond (du 24 janvier 1998), la CIDH considéra
la disparition forcée de M. N. C. Blake comme le point de départ d’une
«situation continue» constitutive d’une violation du droit de ses proches

à une protection juridictionnelle (accès à la justice) et à un procès équi-
table; la Cour retint la responsabilité de l’Etat défendeur à raison de ces
manquements, à cause de l’absence d’enquête, de poursuites et de sanc-
tions effectives concernant les personnes responsables de la disparition et

de la mort de M. N. C. Blake.
81. Dans mon opinion individuelle jointe aux arrêts de la CIDH sur
les exceptions préliminaires (par. 14) et sur les réparations (par. 24),
j’avais cru devoir attirer l’attention sur l’incidence de la consécration de
la «situation continue» comme concept juridique sur les postulats tradi-

tionnels du droit des traités et avais appelé à l’humanisation du droit

55 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ’ÉTAT (OP.DISS.CANÇADO TRINDADE ) 362

international, qui devait commencer et progresser précisément dans ce

domaine si marqué par le volontarisme étatique et par l’importance indû-
ment attachée aux formes et aux manifestations du consentement qu’était
le droit des traités. En tout état de cause, ajoutais-je dans mon opinion
individuelle jointe à l’arrêt de la CIDH sur les réparations (du 22 janvier

1999), ce processus d’humanisation était déjà en cours suite à l’insertion,
dans la première convention de Vienne sur le droit des traités (de 1969,
ainsi que dans la seconde, de 1986), des dispositions sur le jus cogens
(art. 53 et 64), ainsi que de la disposition humanitaire de l’article 60,

paragraphe 5, une véritable clause de sauvegarde visant à la protection de
l’être humain (par. 30-32).
82. De surcroît, dans mon opinion individuelle jointe à l’arrêt de la
CIDH sur le fond (par. 38) dans ladite affaireBlake, j’attirais également

l’attention sur l’élargissement de la notion devictime des violations des
droits protégés (du fait de la souffrance continue des proches de la per-
sonne ayant fait l’objet d’une disparition forcée: par. 38). Enfin, dans mon
opinion individuelle jointe à l’arrêt rendu ultérieurement sur les répara-

tions, j’attirais également l’attention sur l’élémentintemporel propre à la
protection internationale des droits inhérents à la personne humaine, une
protection qui a dès lors vocation à s’appliquer en toutes circonstances et à
tout moment, sans limitations temporelles (par. 4 et 45).

83. En somme, tant dans la jurisprudence de la CEDH que dans celle
de la CIDH, la notion de situation continue a été retenue sur la base d’un
examen attentif des circonstances de chaque espèce. Les deux juridictions
internationales en matière de droits de l’homme ont fait preuve de pru-

dence en évitant les généralisations et en définissant des critères généraux
pour l’identification des situations continues. Néanmoins, elles ont toutes
deux parfois constaté l’existence de situations continues sans préjudice
de la sécurité juridique. Elles ont de ce fait contribué à la réalisation de

l’objet et du but des conventions européenne et américaine des droits de
l’homme. Etant donné la nature de certaines espèces, telles que la pré-
sente affaire des Immunités juridictionnelles de l’Etat (opposant l’Alle-
magne à l’Italie) dont la CIJ est actuellement saisie, qui ne concernent

pas uniquement les droits des Etats mais ont également des incidences
directes sur les droits fondamentaux de la personne humaine, j’estime
qu’il est grand temps que la Cour de La Haye, également appelée
«Cour mondiale», prête davantage d’attention à la notion de situation

continue telle qu’elle a évolué en droit international public et en droit
international des droits de l’homme au cours de ces dernières décennies.

IX. L A FORMATION ET LES ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS
DE LA «SITUATION CONTINUE » COMME CONCEPT
DE DROIT INTERNATIONAL AU NIVEAU NORMATIF

84. La notion de «situation continue» est apparue non seulement en
jurisprudence, mais également au niveau normatif. Deux éléments ont

56 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ’ÉTAT (OP. DIS. CANÇADO TRINDADE ) 363

caractérisé sa consécration dans le cadre des activités normatives, à

savoir, premièrement, la reconnaissance du facteur temporel, la dimen-
sion intertemporelle qui se prolonge depuis le fait générateur sur toute la
période pendant laquelle la situation continue perdure; et, deuxième-
ment, les effets possibles d’une telle situation sur les victimes, qui cons-

tituent une circonstance aggravante en présence de violations graves des
droits de l’homme. Néanmoins, une analyse de ce deuxième élément irait
au-delà du but de la présente opinion dissidente. Des exemples de la
consécration du concept de «situation continue» sur le terrain normatif

existent tant au niveau régional qu’au niveau universel (Nations Unies).
85. Au niveau régional, la convention interaméricaine de 1994 sur la
disparition forcée des personnes définit le concept de disparition forcée
des personnes comme constituant, entre autres, un délit qui «est consi-

déré comme continu ou permanent tant que la destination de la victime
ou le lieu où elle se trouve n’ont pas été déterminés» (article III). En
tenant compte de cette disposition de la convention interaméricaine de
1994, je formulais les réflexions suivantes dans mon opinion individuelle

susmentionnée jointe à l’arrêt de la CIDH sur le fond dans l’affaire Blake
(du 24 janvier 1998):

«la disparition forcée d’une personne représente, tout d’abord, une
forme complexe de violation des droits de l’homme; deuxièmement,
une violation particulièrement grave; et, troisièmement, une viola-
tion continue ou permanente (qui se poursuit tant que le sort de la

victime ou le lieu où elle se trouve n’ont pas été déterminés). En réa-
lité, la situation continue ... est patente dans le cadre de l’infraction
de disparition forcée de personnes. Comme il fut souligné à cet égard
dans le cadre des travaux préparatoires de la convention interamé-

ricaine sur la disparition forcée de personnes:

«Cette infraction est continue dans la mesure où elle n’a pas été
commise de manière instantanée mais de façon permanente et se
prolonge tant que la personne est portée disparue» . 89

Cette considération se trouvait dûment reflétée à l’article III de la
convention (supra).» (Par. 9.)

86. De même, au niveau international, la convention des Nations
Unies de 2006 pour la protection de toutes les personnes contre les dis-

paritions forcées se réfère de son côté expressément au «caractère
continu» du crime de disparition forcée de personnes (art. 8, par. 1,
al. b)). La même conception avait été retenue, quatorze ans plus tôt, dans
le cadre de la déclaration des Nations Unies de 1992 sur la protection de

toutes les personnes contre les disparitions forcées qui, après avoir sou-
ligné la gravité du crime de disparition forcée de personnes (art. 1,

89OEA/CP-CAJP, Informe del Presidente del Grupo de Trabajo Encargado de Analizar
el Proyecto de Convención Interamericana sobre Desaparición Forzada de Personas ,
doc. OEA/Ser.G/CP/CAJP-925/93 rev.1, du 25 janvier 1994, p. 10.

57 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ÉTAT (OP. DISS.CANÇADO TRINDADE ) 364

par. 1), relevait également que l’acte en question devrait «continue[r]
d’être considéré comme un crime aussi longtemps que ses auteurs dissi-

mule[raie]nt le sort réservé à la personne disparue et le lieu où elle se trou-
v[ait] et que les faits n’[auraie]nt pas été élucidés» (art. 17, par. 1).
87. Il convient également de rappeler que, deux décennies plus tôt,

toujours au niveau des Nations Unies, la résolution 1503 (XLVIII) du
Conseil économique et social du 27 mai 1970 avait mis en place une pro-
cédure (confidentielle) en vue de la conduite d’enquêtes sur des situations

faisant état d’un «ensemble de violations ... des droits de l’homme». Ces
violations représentaient pour l’essentiel des situations continues (comme,
par exemple, celles causées par des politiques de discrimination raciale

des Etats). Cela constitue un exemple de plus de la consécration, au
niveau normatif, de la notion de «situation continue» de violations des

droits de l’homme comme concept de droit international.
88. Pourtant, pour ce qui est de la notion de «situation continue», en
particulier en droit international des droits de l’homme, la jurisprudence

internationale a précédé l’Œuvre normative . Toujours dans mon opinion
individuelle dans l’affaire Blake (fond), je soulignais également que

«Bien avant la consécration de la disparition forcée de personnes

en droit international des droits de l’homme, la notion de «situation
continue» avait été accueillie dans la jurisprudence internationale en
matière de droits de l’homme. Ainsi, par exemple, dans l’affaire De

Becker c. Belgique (1960), la Commission européenne des droits de
l’homme avait déjà reconnu l’existence d’une «situation continue»
(continuing situation/situación continuada) 9. Depuis lors, la notion

de «situation continue» a réapparu à de nombreuses reprises dans la
jurisprudence de la Commission européenne .Le caractère continu
de chaque situation est considéré, comme la Commission euro-

péenne l’a expressément relevé dans l’affaire Chypre c. Turquie
(1983), comme une circonstance aggravante de la violation des droits
de l’homme prouvée dans le cas d’espèce.» 92 (Par. 11.)

89. Si une «situation continue» peut se présenter dans le cas de cer-

90 Cf. Cour européenne des droits de l’homme, affaire De Becker (série B: Mémoires,
Plaidoiries et Documents ), Strasbourg, C.E., 1962, p. 48-49 (Rapport de la Commission du
8 janvier 1960).
91 Cf. par exemple, entre autres, les décisions de l’ancienne Commission européenne des
droits de l’homme concernant les requêtes ns7202/75, 7379/76, 8007/77, 7742/76, 6852/
74, 8560/79, 8613/79, 8701/79, 8317/78, 8206/78, 9348/81, 9360/81, 9816/82, 10448/83,

9991/82, 9833/82, 9310/81, 10537/83, 10454/83, 11381/85, 9303/81, 11192/84, 11844/85,
12925/86 et 11600/85.
Dans son rapport du 4 octobre 1983 en l’affaire Chypre c. Turquie (requête n° 8007/
77), la Commission européenne a conclu que la séparation persistante des familles (à la
suite du refus de la Turquie d’autoriser le retour des Chypriotes grecs souhaitant rejoindre
leurs proches dans le Nord) constituait un «facteur aggravant» d’une situation continue
constitutive d’une violation de l’article 8 de la convention européenne des droits de
l’homme. Commission européenne des droits de l’homme, Décisions et rapports, vol. 72,
p. 6 et 41-42.

58 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ÉTAT (OP.DISS. CANÇADO TRINDADE ) 365

taines violations des droits de l’homme, cela ne vaut pas pour toutes les
violations de tels droits. Un grand nombre de ces violations constituent
des «actes instantanés», comme par exemple les exécutions sommaires

et extrajudiciaires. Or il est des violations qui sont continues et la dispari-
tion forcée de personnes n’est pas le seul manquement de ce type. Un
déni de justice continu est également possible. Ces situations, plutôt fré-

quentes, représentent des retards déraisonnables et prolongés aboutissant
à un déni de justice continu. Le temps des êtres humains n’étant pas celui
de la justice humaine , il n’est point rare que les justiciables aient à

attendre de longues années — souvent toute une vie humaine — pour
voir éventuellement la justice triompher. Les juristes, fussent-ils natio-
naux ou internationaux, ne le savent que trop bien.
90. En somme, aucune juridiction, fût-elle nationale ou internationale,

ne saurait de nos jours négliger la notion de «situation continue», y com-
pris la Cour internationale de Justice. Cette notion a été consacrée, au
cours de ces dernières années, comme concept de droit international non

seulement dans le domaine de la protection internationale des droits de
l’homme, mais également dans les domaines du droit international public.
Pour ne citer qu’un exemple, l’article 14 («Extension dans le temps de la
violation d’une obligation internationale») des Articles sur la responsa-

bilité de l’Etat (2001) de la Commission du droit international des
Nations Unies (CDI) prévoit:

«1. La violation d’une obligation internationale par le fait de

l’Etat n’ayant pas un caractère continu a lieu au moment où le fait se
produit, même si ses effets perdurent.
2. La violation d’une obligation internationale par le fait de l’Etat

ayant un caractère continu s’étend sur toute la période durant laquelle
le fait continue et reste non conforme à l’obligation internationale.

3. La violation d’une obligation internationale requérant de l’Etat

qu’il prévienne un événement donné a lieu au moment où l’événe-
ment survient et s’étend sur toute la période durant laquelle l’événe-
ment continue et reste non conforme à cette obligation.»

91. Les travaux de la CDI concernant les Articles sur la responsabilité
de l’Etat qu’elle a adoptés ont dûment tenu compte à cet égard de
l’apport de l’arrêt de la CIDH en l’affaire Blake (supra) 94 sur cette ques-

tion. La CDI a en outre reconnu l’élément temporel (l’extension dans le
temps) lorsqu’elle a examiné les conséquences d’une violation grave d’une

93Sur ce point précis (et à propos de la compétence universelle), cf. mon opinion dis-
sidente dans l’affaire des Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader
(Belgique c. Sénégal), ordonnance du 28 mai 2009, C.I.J. Recueil 2009 , p. 179-180 et 182-
188, par. 39 et 46-64.
94Cf. J. Crawford, The International Law Commission’s Articles on State Responsibil-
ity — Introduction, Text and Commentaries , Cambridge University Press, 2005 (réimpr.),
p. 136, et cf. p. 251-252.

59 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ’ÉTAT (OP. DIS. CANÇADO TRINDADE ) 366

obligation prévue par le droit international (art. 41, par. 3), ayant des
incidences directes sur le devoir d’un Etat de mettre fin à ces consé-
quences et d’accorder une réparation.

X. L A « SITUATION CONTINUE » EN L ESPÈCE

92. Dans la présente affaire portée devant la CIJ (demande initiale et
demande reconventionnelle), il n’existe pas de différend entre l’Alle-
magne et l’Italie au sujet des faits de la seconde guerre mondiale et des

faits se prolongeant jusqu’à la conclusion des deux accords de 1961 entre
ces deux pays. Pour cette raison, la clause de renonciation prévue au
paragraphe 4 de l’article 77 du traité de paix de 1947 entre les Puissances

alliées et l’Italie ne saurait être invoquée comme établissant le défaut de
compétence ratione temporis de la CIJ pour connaître de la demande
reconventionnelle de l’Italie. D’après cette dernière , ladite demande a
trait au différend concernant les faits qui se prolongent depuis la conclu-

sion des deux accords de 1961 jusqu’à présent.
93. Comme c’était là le point de départ de la «situation continue»
alléguée en l’espèce, la disposition de l’alinéa a) de l’article 27 96 de la

convention de 1957 pour le règlement pacifique des différends ne saurait
davantage être invoquée comme cause d’incompétence ratione temporis
de la CIJ pour connaître de la demande reconventionnelle de l’Italie. La

notion de «situation continue» n’a point été invoquée pour affirmer que
le point de départ remonterait aux événements de 1943-1945, pendant la
seconde guerre mondiale; elle touchait, bien au contraire, le droit à répa-
ration à raison des crimes de guerre, qui constitue un élément devant être

pris en compte par la Cour à partir de la nouvelle situation continue créée
par la conclusion des deux accords à compter de 1961, comme il ressort
des affirmations des Parties dans la demande initiale et dans la demande

reconventionnelle et de tous les arguments y afférents.
94. La conclusion de la majorité en faveur de l’incompétence ratione
temporis de la Cour et, partant, de l’irrecevabilité de la demande recon-
ventionnelle nécessite donc d’être démontrée. Les conclusions contenues

dans la demande reconventionnelle de l’Italie et les moyens de droit invo-
qués par les Parties devant la Cour relèvent, à mon avis, pleinement de la
compétence ratione temporis de celle-ci. J’estime dès lors que la Cour

aurait dû déclarer la demande reconventionnelle recevable. Afin de bien
clarifier ma position, j’examinerai ci-après l’étendue du présent différend
soumis à la Cour et je porterai ensuite mon attention sur ceux que je
considère comme les véritables titulaires des droits initialement violés,

dans le contexte de ce que j’appelle «les écueils du volontarisme
étatique».

95Observations écrites de l’Italie..., op. cit. supra note 53, p. 7, 9-10, 15 et 25, par. 13,
21, 35 et 64; contre-mémoire de l’Italie (22 décembre 2009), p. 129, par. 7.4.
96Cf. texte cité supra, note 46.

60 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ’ÉTAT (OP. DIS. CANÇADO TRINDADE ) 367

XI. L’ ÉTENDUE DU PRÉSENT DIFFÉREND SOUMIS À LA COUR

95. Déjà à ses débuts, dans le célèbre obiter dictum de son arrêt du

20 août 1924 rendu en l’affaire des Concessions Mavrommatis en Pales-
tine (Grèce c. Royaume-Uni), la CPJI avait donné la définition suivante
de la notion de «différend»: «Un différend est un désaccord sur un point

de droit ou de fait, une contradiction,97ne opposition de thèses juridiques
ou d’intérêts entre deux personnes.» La présente affaire (demande ini-
tiale et demande reconventionnelle) opposant l’Allemagne à l’Italie cor-
respond bien à cette définition. Il existe en l’espèce un différend entre

l’Italie et l’Allemagne concernant un point de droit (et non pas les faits).
Ces derniers ne sont pas contestés. Ce sont les conceptions juridiques des
Parties quant à l’invocation de l’immunité de l’Etat en présence de reven-

dications concernant des réparations de guerre qui divergent en l’espèce.
C’est là que réside le désaccord entre l’Allemagne et l’Italie.
96. Un litige en matière de réparations ne revêt pas un caractère
«subsidiaire» par rapport aux faits générateurs de la responsabilité inter-

nationale des Etats. Il possède sa dynamique propre. Ainsi, à part
l’engagement initial de la responsabilité de l’Etat à raison de ses faits
générateurs (les événements de 1943-1945, qui ne sont pas contestés en

l’espèce), la responsabilité peut encore, par hypothèse, être engagée
à raison de l’absence de la réparation due, constituant un manque-
ment distinct et supplémentaire au droit international. La question de

savoir si l’immunité de l’Etat existe ou non sera un facteur à cette fin;
or elle se trouve en dehors du champ de la présente ordonnance de la
CIJ. Nous sommes néanmoins confrontés, dans le cadre du champ
de la présente ordonnance, à un litige opposant une revendication en

matière d’immunités de l’Etat à des revendications en matière de
réparations de guerre. La demande initiale et la demande reconven-
tionnelle sont inévitablement liées.

97. Le devoir de réparation découle d’un principe fondamental du
droit international reconnu par la CPJI à ses débuts, dans l’affaire de
l’Usine de Chorzów (Allemagne c. Pologne). Dans son arrêt sur la com-
pétence du 26 juillet 1927, elle affirmait que «[c]’[étai]t un principe de

droit international que la violation d’un engagement entraîn[ait] l’obliga-
tion de réparer dans une forme adéquate» . Et, dans son arrêt sur le
fond (dans la même affaire) du 13 septembre 1928, elle déclarait de nou-

veau: «c’est un principe du droit international, voire une conception
générale du droit, que toute violation d’un engagement comporte l’obli-
gation de réparer» .99
98. La CIJ eut également de bonne heure l’occasion de réaffirmer

ce «principe de droit international» (comportant un devoir de répara-
tion). Dans son avis consultatif historique sur la Réparation des dom-

97Arrêt n° 2, 1924, C.P.J.I. série A n° 2 ,p.11.
98Compétence, arrêt n° 8, 1927, C.P.J.I. série A n° 9 , p. 21.
99Fond, arrêt n° 13, 1928, C.P.J.I. série A n° 17 , p. 29.

61 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ÉTAT OP .DISS. CANÇADO TRINDADE ) 368

mages subis au service des Nations Unies (du 11 avril 1949), elle ajoutait
que, «[e]n demandant une réparation fondée sur le préjudice subi par
son agent, l’organisation ne représent[ait] pas cet agent; elle affir-

m[ait] son propre droit, le droit de garantir le respect des engagements
contractés envers l’organisation» (C.I.J. Recueil 1949, p. 184). L’orga-
nisation fait valoir son propre droit de réparation, et non pas celui de
son agent. Son droit propre est distinct de celui de ses agents. De

même, le droit d’un Etat est distinct des droits des individus relevant
de sa juridiction.
99. D’autres juridictions internationales contemporaines ont également
eu l’occasion de reconnaître qu’un différend en matière de réparation

possédait sa dynamique propre, distincte de celle du différend sur le fond
des affaires en question, quoique complémentaire. Au cours de ces der-
nières années, la Cour interaméricaine des droits de l’homme eut à

connaître d’affaires dans lesquelles les Etats défendeurs avaient reconnu
(intégralement ou en partie) leur responsabilité internationale, ce qui,
dans les cas de reconnaissance totale ou intégrale, avait permis à la Cour
de s’occuper directement du contentieux sur les réparations 10. Ce dernier

possédait sa dynamique propre, nettement distincte des faits générateurs
originaires de la responsabilité de l’Etat concerné, qui n’étaient plus en
litige. Un différend n’existait que par rapport aux revendications concer-

nant la réparation due.
100. La présente affaire des Immunités juridictionnelles de l’Etat intro-
duite devant la CIJ représente un différend interétatique entre l’Alle-
magne et l’Italie, concernant la demande originaire et la demande recon-

ventionnelle des Parties portant respectivement sur l’immunité de l’Etat
et les réparations de guerre. De telles demandes étroitement liées repré-
sentent les deux facettes d’un même problème. En écartant l’une de ces

demandes par la présente ordonnance, la majorité a privé la Cour de la
possibilité d’examiner et de régler le différend dans sa totalité. Ce ne sont
pas les événements de la seconde guerre mondiale (1943-1945) qui se
trouvent à l’origine de l’espèce, mais l’initiative prise au cours de ces der-

nières années par des personnes lésées de saisir les juridictions internes
pour chercher à ce que justice soit rendue.

XII. L ES VÉRITABLES TITULAIRES DES DROITS INITIALEMENT VIOLÉS
ET LES ÉCUEILS DU VOLONTARISME ÉTATIQUE

101. Les droits de ces personnes ne se confondent pas avec celui de
leur Etat. La question de savoir comment ces individus doivent faire

100Cf., par exemple, Cour interaméricaine des droits de l’homme (CIDH), affaire Aloe-
boetoe et autres c. Suriname (réparations, arrêt du 10 septembre 1993), série C, n° 15;
CIDH, Trujillo Oroza c. Bolivie (réparations, arrêt du 27 février 2002), série C, n° 92;
CIDH, Goiburú et autres c. Paraguay ([fond et] réparations, arrêt du 22 septembre 2006),

série C, n° 153.

62 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ’ÉTAT (OP .DISS. CANÇADO TRINDADE ) 369

valoir leurs droits est différente et se situe en dehors du champ de la pré-

sente décision de la CIJ concernant la demande reconventionnelle de
l’Italie. Suite au rejet malencontreux de la demande reconventionnelle
par la majorité de la Cour qui l’a déclarée «irrecevable comme telle»,

cette question restera aussi, désormais, en dehors du champ du présent
différend devant être tranché par la Cour au stade du fond. La Cour
n’examinera dorénavant, de façon isolée, que la demande de l’Allemagne

concernant l’immunité de l’Etat. Il est à mon avis fort regrettable que
la Cour ait laissé passé l’occasion unique qui s’offrait à elle de régler
l’affaire tout en contribuant au développement progressif du droit inter-
national dans ce domaine encore entouré d’incertitudes en dépit de son

importance cruciale pour le droit des gens contemporain.

1. La «cause réelle» du présent différend

102. Dans la présente ordonnance, la majorité de la Cour se fonde sur
la clause de renonciation générale du paragraphe 4 de l’article 77 du

traité de paix de 1947 entre les Puissances alliées et l’Italie. Il s’agissait là
d’un traité de paix général, conclu entre les Puissances alliées et l’Italie et
auquel l’Allemagne n’est d’ailleurs pas partie. Le traité de 1947 avait un

domaine général et vaste et était le fruit de son époque, le lendemain de la
seconde guerre mondiale. La clause de renonciation contenue au para-
graphe 4 de son article 77, qui visait manifestement des revendications de

nature patrimoniale, possède une portée générale, ma non troppo. Quel-
que générale qu’elle puisse être, elle n’est pas absolue.
103. La clause de renonciation du traité de paix de 1947 visait, comme
101
son libellé l’indique , des revendications de nature patrimoniale et non
pas toutes sortes de revendications. A l’époque où cette clause de renon-
ciation (le paragraphe 4 de l’article 77) fut incluse par les Puissances
alliées et l’Italie dans le traité de paix de 1947, les Etats contractants

n’étaient pas à même de prévoir que, quelque générale que fût son inten-
tion, la renonciation ne saurait couvrir tous les aspects complexes des
persécutions à l’époque du III Reich, tels que les déportations et le tra-

vail forcé auxquels les ressortissants italiens (les individus, et non leur
Etat) furent soumis par l’Allemagne nazie entre 1943 et 1945.
104. Cette intention se trouve confirmée par les autres paragraphes de

101Aux termes du paragraphe 4 de l’article 77 du traité de paix de 1947:
«Sans préjudice de ces dispositions et de toutes autres qui seraient prises en faveur
de l’Italie et des ressortissants italiens par les Puissances occupant l’Allemagne,

l’Italie renonce, en son nom et au nom des ressortissants italiens, à toutes réclama-
tions contre l’Allemagne et les ressortissants allemands qui n’étaient pas réglées au
8 mai 1945, à l’exception de celles qui résultent de contratsert d’autres obligations qui
étaient en vigueur ainsi que de droits qui étaient acquis avant le 1mbre 1939.
Cette renonciation sera considérée comme s’appliquant aux créances, à toutes les
réclamations de caractère intergouvernemental relatives à des accords conclus au
cours de la guerre et à toutes les réclamations portant sur des pertes ou des dom-
mages survenus pendant la guerre.»

63 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ÉTAT OP .DISS. CANÇADO TRINDADE ) 370

l’article 77 du traité de paix de 1947, concernant: lesbiens italiens en Alle-
magne qui n’étaient pas des biens ennemis (art. 77, par. 1); lesbiens ita-

liens emportés en Allemagne qui devaient être restitués à l’Italie (art. 77,
par. 2); de nouveau des biens italiens en Allemagne (art. 77, par. 3); le
transfert à l’Allemagne des biens allemands se trouvant en Italie. C’est
dans ce contexte que fut insérée la prétendue renonciation du paragra-

phe 4 de l’article 77, dans une disposition ayant essentiellement un carac-
tère patrimonial. Aucun élément de l’article 77 du traité de paix de 1947,
ni même du traité dans son ensemble (auquel l’Allemagne n’était pas par-
tie), ne saurait étayer le point de vue de la majorité de la Cour selon lequel
il existerait une «continuité» entre la prétendue renonciation de 1947 et

les clauses de renonciation des deux accords de 1961 ou, pire encore,
celles-ci constitueraient une «amélioration» non démontrable de celle-là.
105. L’adoption ultérieure des deux accords de 1961, conclus cette
fois-ci entre l’Allemagne elle-même et l’Italie, en témoigne. La CPJI avait

déjà eu l’occasion de préciser qu’un différend pouvait présupposer «l’exis-
tence d’une situation ou d’un fait antérieur», non contestés par les
parties. C’est la situation ou le fait au sujet duquel on prétend que s’est
élevé le différend qui doit être considéré comme en étant «réellement la
102
cause» . La conclusion des deux accords de 1961 constitue, à mon avis,
le point de départ d’une nouvelle situation continue , renfermant la «cause
réelle du différend» et se prolongeant depuis ce moment-là jusqu’à pré-
sent. Ce différend entre l’Allemagne et l’Italie relève donc manifestement

de la compétence ratione temporis de la Cour, en vertu de l’alinéa a) de
l’article 27 de la convention européenne de 1957 pour le règlement paci-
fique des différends.

2. Les incohérences de la pratique des Etats

106. Les revendications de ressortissants italiens en vertu de la législa-
tion allemande sur l’indemnisation des victimes de la persécution nazie
n’étaient pas visées par la renonciation contenue au paragraphe 4 de
l’article 77 du traité de paix de 1947, à cause des termes «[s]ans préjudice

de ces dispositions et de toutes autres qui seraient prises en faveur de
l’Italie et des ressortissants italiens par les Puissances occupant l’Alle-
magne». Comme nous venons de l’indiquer, cette disposition visait des
revendications de nature patrimoniale (cf. supra). La responsabilité de

l’Etat à raison de crimes de guerre subsistait.
107. En fait, à cet égard, le Bundesgerichtshof (Cour suprême alle-
mande) interpréta lui-même, dans une décision du 14 décembre 1955, le
champ d’application restreint de la clause de renonciation de 1947 en esti-

mant que cette dernière ne portait pas règlement définitif de la question,
étant donné le libellé de la clause «[s]ans préjudice de ... toutes [disposi-
tions] qui seraient prises en faveur de l’Italie et des ressortissants italiens

102Compagnie d’électricité de Sofia et de Bulgarie, arrêt, 1939, C.P.J.I. série A/B
n° 77,p.82.

64 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ÉTAT (OP. DISS.CANÇADO TRINDADE ) 371

par les Puissances occupant l’Allemagne» (Décisions du Bundesgerichts-

hof en matière civile, vol. 19, p. 258 et suiv.). Le Bundesgerichtshof recon-
naissait dès lors que les réclamations italiennes et les obligations alle-
mandes correspondantes existaient toujours . En 1947, dans le cadre d’un

traité de paix auquel l’Allemagne n’était pas partie, les Puissances alliées
ne demandèrent la renonciation italienne «que dans leur propre intérêt»
et cette renonciation ne visait pas les réclamations concernant des répa-
104
rations à raison de crimes de guerre . J’ai du mal à comprendre pour-
quoi la majorité de la Cour a attaché une importance si grande à cette
renonciation, au point de tenter de fonder sur elle l’intégralité de son rai-
sonnement succinct.

108. La conclusion des deux accords de 1961, cette fois-ci par l’Alle-
magne elle-même et l’Italie, révélait la reconnaissance par l’Allemagne du
fait que des obligations de réparation existaient en 1961. Cela marque, à

mon avis, le point de départ d’une nouvelle situation continue se pour-
suivant à l’heure actuelle, qui fait l’objet du différend porté devant la
Cour (la demande principale concernant l’immunité de l’Etat et la

demande reconventionnelle concernant les réparations de guerre pen-
dantes). Les deux traités, conclus le 2 juin 1961 entre l’Allemagne et l’Ita-
lie, étaient: a) le traité portant règlement de certaines questions d’ordre

patrimonial, économique et financier (le «traité de règlement»); et b) le
traité relatif à l’indemnisation des ressortissants italiens ayant fait l’objet
de mesures de persécution sous le régime national-socialiste (le «traité

d’indemnisation»).
109. Aux termes de l’échange de lettres entre l’Allemagne et l’Italie
annexé au traité d’indemnisation de 1961 105, les «demandes présentées

par des ressortissants italiens, qui avaient été rejetées par acte définitif sur
le fondement du paragraphe 4 de l’article 77 du traité de paix italien [de
1947], f[erai]ent l’objet d’un nouvel examen». Ainsi, les nouvelles deman-
des présentées en vertu de la Loi fédérale d’indemnisation de 1953 (Bun-

desentschädigungsgesetz ou BEG) devaient, semble-t-il, être traitées sans
se voir opposer des objections au titre du paragraphe 4 de l’article 77 du
traité de paix de 1947. De surcroît, dans un mémorandum (Denkschrift)
106
présenté devant le pouvoir législatif le 30 mai 1962 , le Gouvernement
allemand rappelait le paragraphe 4 de l’article 77 du traité de paix de
1947 et donnait pour instruction aux autorités compétentes allemandes

de ne pas opposer d’objections en vertu de cette disposition aux demandes
de restitution. Aux termes du mémorandum (Denkschrift) :

«[L]a nature particulière des créances d’indemnisation à raison
des mesures de persécution national-socialistes (Ansprüche auf Wie-

103
104Contre-mémoire de l’Italie (22 décembre 2009), p. 108, par. 5.53 et note 223.
105Cf. ibid., p. 108, par. 5.53 et note 223.
106Cf. ibid., annexe 4.
Cf. ibid., par. 5.56 (photocopie du texte intégral du mémorandum en allemand,
obtenue auprès de la bibliothèque du Bundestag à Berlin, Drucksache des Deutschen Bun-
destages IV/438, p. 9).

65 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ÉTAT OP .DISS. CANÇADO TRINDADE ) 372

dergutmachung nationalsozialistischer Verfolgungsmaßnahmen) jus-

tifie que l’on ne soulève pas d’objections sur le fondement de l’ar-
ticle 77, paragraphe 4, en ce qui concerne les demandes présentées en
vertu du Bundesentschädigungsgesetz ... En ce qui concerne le Bun-
desrückerstattungsgesetz du 19 juillet 1957, le gouvernement fédé-

ral ... a donné instruction aux autorités allemandes compétentes de
ne pas soulever d’objections en vertu de l’article 77, paragraphe 4,
du traité de paix avec l’Italie du 10 février 1947, en présence de
demandes de restitution.» 107

110. Il ressort de tout ce qui précède que, dans le cadre de sa pratique,

l’Allemagne partait du principe que la clause de renonciation contenue au
paragraphe 4 de l’article 77 du traité de paix de 1947 ne visait pas les
réparations à raison de crimes de guerre. Il en ressort également que la
prétendue renonciation figurant au paragraphe 4 de l’article 77 du traité

de paix de 1947 n’était pas si générale que la majorité de la Cour pourrait
le faire croire dans la présente ordonnance — et n’était certainement pas
absolue —, même en tenant compte de la pratique de l’Etat allemand! A
mon avis, le raisonnement adopté par la majorité de la Cour dans la pré-

sente ordonnance tente en vain de se fonder sur le droit, mais ne trouve
d’appui ni dans celui-ci ni même dans la pratique étatique!
111. Or cela n’est pas tout. A une époque plus récente, en Allemagne,
la loi de 2000 relative à la fondation «Mémoire, responsabilité et avenir»

institue une indemnisation pour certaines victimes des crimes de guerre
du III Reich, en excluant toutefois de son champ d’application les pri-
sonniers de guerre (en vertu de l’article 11.3). Dès lors, du moins pour
certaines victimes, le droit à réparation était réputé avoir subsisté. Il res-

sort de tout cela que le différend pendant entre l’Allemagne et l’Italie
(demande principale et demande reconventionnelle prises ensemble) reste
effectivement entouré d’incertitudes et que la pratique des Etats, avec ses
incohérences habituelles, ne saurait à elle seule constituer un repère cer-

tain pour l’activité juridictionnelle internationale.

3. Il n’y a pas lieu de sacrifier au volontarisme étatique

112. Contrairement à la majorité de la Cour, j’estime qu’il n’y a point
lieu en l’espèce de sacrifier instinctivement au volontarisme étatique. A
mon sens, la Cour ne saurait et ne devrait pas tenter de développer un

raisonnement solide sur la base de renonciations aux revendications
concernant des violations de droits fondamentaux de l’homme. Les faits
soumis à la Cour démontrent en quelque sorte que la conscience était
supérieure à la volonté: dans leurs demande principale et demande recon-

ventionnelle respectives, l’Allemagne et l’Italie ont exposé devant la Cour
leurs vues divergentes concernant l’affaire ou la situation continue en

107Drucksache des Deutschen Bundestages IV/438, p. 9, cité dans Observations écrites
de l’Italie..., op. cit. supra note 53, p. 19, par. 47.

66 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ’ÉTAT (OP. DISS.CANÇADO TRINDADE ) 373

question. Ces deux demandes sont inextricablement liées et relèvent mani-
festement de la compétence ratione temporis de la Cour.
113. La Cour a été invitée à examiner la présente espèce à la hauteur

de ses responsabilités, et cette mission ne pourrait, à mon avis, être
accomplie comme il convient que si la demande principale et la demande
reconventionnelle sont examinées ensemble. En l’espèce, sans la
demande reconventionnelle concernant les réparations de guerre, l’exa-

men de la question de base soulevée dans la demande originaire perd
irrémédiablement de son efficacité et devient incomplet. En empêchant
la Cour d’examiner ensemble la demande originaire et la demande
reconventionnelle suite à la présente ordonnance qu’elle vient d’adop-

ter, la majorité a fini, à mon avis, par priver la Cour de la possibilité de
s’acquitter convenablement et pleinement de ses attributions dans
l’accomplissement de sa mission. J’estime que, dans la présente ordon-

nance de la Cour, la poursuite de la réalisation de la justice au niveau
international a cédé devant une recherche instinctive de manifestations
de la volonté (ou du consentement) des Etats 108, attribuant une impor-
tance indue aux renonciations à des revendications concernant des

droits violés qui ne sont pas les leurs.
114. Je suis personnellement d’avis qu’un Etat est libre de renoncer à
des revendications en son propre nom, mais non au nom d’êtres humains

(fussent-ils ou non ses ressortissants) qui furent victimes d’atrocités heur-
tant la conscience de l’humanité. Ce sont les victimes individuelles, et non
leurs Etats, qui sont les titulaires des droits violés peu avant le traité de
paix de 1947 (entre 1943 et 1945), à commencer par le droit au respect de

leur dignité en tant qu’êtres humains. Les droits inhérents à la personne
humaine possèdent un élément intemporel. Aucun Etat ne saurait renon-
cer à les faire valoir comme il lui plairait.

115. Le présent différend opposant l’Italie à l’Allemagne permet de
constater, déjà à ce stade, que les droits des victimes italiennes de viola-
tions graves du droit international humanitaire (crimes de guerre et

crimes contre l’humanité) ont subsisté. Leur invocation par les «internés
militaires italiens» (IMI, c’est-à-dire des soldats qui avaient été détenus
et, après s’être vu refuser le statut de prisonniers de guerre, avaient été
transférés dans des camps d’internement et astreints au travail forcé),

ainsi que par des civils ayant également été détenus et transférés dans des
camps d’internement et astreints au travail forcé, et par d’autres victimes
faisant partie des populations civiles dans le contexte des massacres,
109
«dans le cadre d’une stratégie de terreur» , a résisté à l’érosion du

108Ce phénomène n’est pas nouveau; pour des exemples regrettables antérieurs, cf., par
exemple, affaire du Timor oriental (Portugal c. Australie), arrêt, C.I.J. Recueil 1995 ,
p. 90-106; affaire des Activités armées sur le territoire du Congo (nouvelle requête: 2002)
(République démocratique du Congo c. Rwanda), compétence et recevabilité, arrêt,
C.I.J. Recueil 2006, p. 6-53.
109
Cf. Contre-mémoire de l’Italie (22 décembre 2009), p. 15, par. 2.8.

67 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ÉTAT (OP .DISS. CANÇADO TRINDADE ) 374

temps. Les revendications concernant les droits fondamentaux de l’homme
ne sauraient tout simplement faire l’objet de renonciations de la part des
Etats, fût-ce au travers de traités de paix ou d’autres sortes de traités,

ou par tout autre moyen. On peut également s’en rendre compte dans une
perspective plus large.

116. A l’époque de la deuxième conférence de la paix historique,
tenue ici, à La Haye, les Etats participants décidèrent d’instituer une
obligation générale d’accorder des réparations, incombant à toutes les

parties à un conflit armé (et non seulement aux Etats vaincus en faveur
des puissances victorieuses, comme dans le cadre de la pratique éta-
tique antérieure). Cette idée fut réalisée sur la base d’une proposition
110
allemande qui aboutit à l’article 3 de la convention IV de La Haye ,
la première disposition prévoyant expressément un régime de réparation
111
à raison de violations du droit international humanitaire . Grâce à
la proposition rassurante de l’Allemagne, l’article 3 de la convention IV
de La Haye de 1907 indiquait clairement qu’il entendait conférer des
112
droits directement aux individus , aux êtres humains , plutôt qu’aux
Etats.

117. Cet héritage de la deuxième conférence de la paix de La Haye
de 1907 conserve son empreinte jusqu’à nos jours 113. Le prolongement
temporel des souffrances de ceux qui furent déportés et astreints au tra-

vail forcé au cours de la seconde guerre mondiale (pendant la période
allant de 1943 à 1945) a été souligné en doctrine, également en ce qui

concerne les longs efforts des victimes en vue d’obtenir réparation.

110
Aux termes de l’article 3:
«La Partie belligérante qui violerait les dispositions dudit Règlement [Règlement

concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre, annexé à la convention IV de
La Haye] sera tenue à indemnité, s’il y a lieu. Elle sera responsable de tous actes com-
mis par les personnes faisant partie de sa force armée.»
111Cet article de la convention IV de La Haye de 1907 finit par être considéré comme

relevant également du droit international coutumier et fut repris à l’article 91 du protocole
additionnel I (de 1977) aux conventions de Genève de 1949 sur le droit international
humanitaire. Aux termes de l’article 91 («Responsabilité») du protocole I: «La Partie au
conflit qui violerait les dispositions des Conventions ou du présent Protocole sera tenue à
indemnité, s’il y a lieu. Elle sera responsable de tous actes commis par les personnes fai-
sant partie de ses forces armées.»
112Cf., en ce sens, Eric David, «The Direct Effect of Article 3 of the Fourth Hague
Convention of 18 October 1907 Respecting the Laws and Customs of War on Land»,
War and the Rights of Individuals — Renaissance of Individual Compensation (H. Fujita,

I. Suzuki et K. Nagano, dir. publ.), Tokyo, Nippon Hyoron-sha Co. Publs., 1999,
p. 50-53; cf. également, par exemple, F. Kalshoven, «State Responsibility for Warlike
Acts of the Armed Forces», International and Comparative Law Quarterly ,evol. 40, 1991,
p. 831-833; D. Shelton, Remedies in International Human Rights Law ,2 éd., Oxford
University Press, 2006, p. 400.
113Pour un réexamen général de cette conférence de 1907, à l’occasion de la commé-
moration de son centenaire en 2007, cf. Actualité de la conférence de La Haye de 1907,
deuxième Conférence de la paix/Topicality of the 1907 Hague Conference, the Second
Peace Conference (ouvrage collectif, Yves Daudet, dir. publ.), Leyde, Nijhoff/Académie

de droit international de La Haye, 2008, p. 3-302.

68 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ’ÉTAT (OP. DISS.CANÇADO TRINDADE ) 375

Ainsi, au début des années 1970, on a pu observer:
«il est à la fois surprenant et alarmant que, vingt-cinq ans après la

[seconde] guerre [mondiale], de nombreuses affaires de restitution et
d’indemnisation soient toujours pendantes. Il est particulièrement
troublant que certaines de ces affaires soient en instance depuis plus
114
de vingt ans.»
118. Plus près de nous, on rappela de nouveau, après la mise en

vigueur de la loi allemande d’indemnisation du 2 août 2000, que la sou-
mission des prisonniers de guerre au travail forcé se caractérisait par «les
conditions inhumaines» de la détention, «l’alimentation insuffisante» et
«l’absence de soins médicaux». On releva également que:

«D’après les recherches historiques, ces conditions épouvantables
prévalaient pour les internés militaires italiens [IMI] en Alle-

magne. ... Les Italiens n’étaient pas des prisonniers de guerre qui se
trouvaient également, par ailleurs, assujettis au travail forcé. Leur
exploitation comme main-d’Œuvre était le motif principal de la pour-

suite de leur détention en Allemagne. ...
Enfin, on ne peut que déplorer profondément le caractère tardif de
la législation, qui ne fut adoptée qu’en 2000, cinquante-cinq longues
années après la fin de la seconde guerre mondiale. Ce retard fut

dûment reconnu par le parlement allemand lui-même qui soulignait,
dans le préambule du Stiftungsgesetz, que «l’adoption de la présente
loi [étai]t trop tardive pour ceux qui [avaie]nt perdu leur vie en tant

que victimes du r115me national-socialiste ou qui [étaie]nt décédés
entre-temps».»

Non seulement ces victimes subirent un traitement inhumain et dégra-
dant, mais elles arrivèrent par la suite au bout de leur vie ingrate après
avoir assisté à l’impunité, sans obtenir de réparation et dans une situation
d’injustice flagrante. Le temps de la justice humaine n’est décidément pas

celui des êtres humains.
119. En envisageant les violations graves du droit commises au cours
de la seconde guerre mondiale dans une dimension plus vaste, Gustav

Radbruch, l’éminent professeur de l’Université de Heidelberg, dénonça
de manière éloquente, au lendemain de la seconde guerre mondiale et peu
avant son décès en 1949, les écueils du volontarisme étatique caractéri-
sant la pensée positiviste. En proclamant sa conversion personnelle aux

idées jusnaturalistes, il déclarait que le positivisme avait laissé les autori-
tés judiciaires allemandes immobilisées et sans défense face à toutes les
atrocités perpétrées dans le III Reich, considérées par les détenteurs du
pouvoir comme conformes à leur jus positum (ou, plutôt, à leurs lois

imposées). A l’issue d’«un siècle de positivisme juridique», cela représen-

114K. Schwerin, «German Compensation for Victims of Nazi Persecution», North-
western University Law Review , vol. 67, 1972, p. 518, et cf. p. 519-523.
115B. Fassbender, «Compensation for Forced Labour in World War II», Journal of
International Criminal Justice , vol. 3, 2005, p. 251-252.

69 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ’ÉTAT (OP. DISS.CANÇADO TRINDADE ) 376

tait, ajoutait G. Radbruch, une illustration tragique du fait que toutes les
lois devraient être conformes au droit qui leur est supérieur, c’est-à-dire
au droit naturel 116.

120. En insistant sur la distinction entre le Sein et le Sollen, il soutenait
que, lorsque le droit législatif niait manifestement — jusqu’à un point
extrême et intolérable — l’égalité qui se trouve au cŒur de toute justice,
les juges devaient l’écarter au nom des principes fondamentaux de la jus-

tice. La profession juridique internationale actuelle, marquée par une
adhésion prépondérante et irréfléchie au positivisme juridique, ne devrait
pas oublier les mises en garde de ce professeur allemand, tourmenté par
e
les horreurs du III Reich qui furent perpétrées dans l’impunité. Le prin-
cipal enseignement que G. Radbruch en avait tiré, c’était que la convic-
tion positiviste selon laquelle «la loi, c’est la loi» (dura lex sed lex,o u

encore Gesetz ist Gesetz) avait laissé les juristes allemands de l’époque
sans défense face à l’arbitraire de lois «criminelles» (verbrecherische).
121. Il ajoutait que le positivisme n’était pas en mesure de fonder par

ses propres moyens la validité des lois et qu’il reposait sur le postulat
selon lequel cette validité découlait du fait que ces lois avaient eu le pou-
voir de s’imposer. Néanmoins, c’est la justice qui représente la valeur

suprême. Dès lors, un droit non juste qui doit en principe être respecté
devient un «droit injuste» (unrichtiges Recht) lorsqu’il entre en conflit
avec la justice, et se trouve écarté par celle-ci. Lorsque ce droit n’aspire

même pas à servir la justice — en négligeant l’égalité qui est au cŒur de
celle-ci —, il constitue non seulement un «droit injuste» mais n’accède
jamais au statut de droit, car le but ultime de celui-ci est de servir la jus-
117
tice .
122. Dans un essai posthume, G. Radbruch, déplorant une fois de plus
le triste héritage du positivisme, insistait sur son opinion selon laquelle il

existe un droit supérieur aux lois, un droit naturel, un droit de la raison
(ratio) supralégal (ein übergesetzliches Recht) . Et, gardant à l’esprit les
horreurs alors récentes du III Reich, il exprimait son espoir qu’un jour le

monde se verrait doté d’une multitude d’organisations internationales au
sein desquelles des groupes de personnes ne seraient plus rattachés à leurs
Etats-nations respectifs, mais ne se consacreraient au lieu de cela qu’à la

cause de l’humanité dans son ensemble. D’après ses prévisions, ces êtres
humains «supranationaux» (übernationale Menschen) seraient à même
d’édicter un droit véritablement international et de trancher des litiges
118
internationaux .

116G. Radbruch, Introducción a la Filosofía del Derecho (3 éd. espagnole de Vorschule
der Rechtsphilosophie), Mexique/Buenos Aires, Fondo de Cultura Económica, 1965,
p. 178 et 180.
117G. Radbruch, «Gesetzliches Unrecht und übergesetzliches Recht» (1946), dans
G. Radbruch, Rechtsphilosophie (E. Wolf, dir. publ.), Stuttgart, K. F. Koehler Verlag,
1950, p. 352-353, et cf. p. 347-357.
118
G. Radbruch, «Die Erneuerung des Rechts», Naturrecht oder Rechtspositivismus?
(W. Maihofer, dir. publ.), Bad Homburg vor der Höhe, H. Gentner Verlag, 1962, p. 2 et
6-7, et cf. p. 1-10.

70 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ’ÉTAT (OP. DISS.CANÇADO TRINDADE ) 377

123. A mon avis, le principal enseignement que G. Radbruch avait tiré
des violations graves des droits de l’homme et du droit international
humanitaire perpétrées durant la longue nuit obscure 119 des années du
e
III Reich possède une valeur éternelle. Parmi ces brutalités se détache
celle du travail forcé dans l’industrie de la guerre, qui a beacoup moins
retenu l’attention des historiens que d’autres aspects de cette époque

sombre. Pour nous qui avons le privilège de servir la cause de la justice, il
est impératif de ne pas perdre de vue, en ce qui concerne cette pratique
abominable, le fait que les victimes titulaires des droits initialement violés

n’étaient pas les Etats, mais des êtres humains en chair et en os, doués
d’une âme. L’invocation de leurs droits se situe à l’arrière-plan du droit à
l’immunité invoqué par l’Etat. Dans la présente affaire portée devant la
Cour, la demande reconventionnelle et la demande initiale forment un

tout indivisible.

XIII. L’ INCIDENCE DU JUS COGENS : LA PRÉTENDUE RENONCIATION
À FAIRE VALOIR LES DROITS INHÉRENTS À LA PERSONNE HUMAINE

EST DÉPOURVUE D ’EFFETS JURIDIQUES

124. En tout état de cause, toute prétendue renonciation par un Etat
aux droits inhérents à la personne humaine serait, à mon avis, contraire à

l’ordre public international et dépourvue de tout effet juridique. Soutenir
que cela n’était pas encore reconnu à l’époque de la seconde guerre mon-
diale et du traité de paix de 1947 — un point de vue rappelant l’ancienne

conception positiviste et sa servilité inéluctable envers le pouvoir établi —
serait à mon avis infondé. Cela reviendrait à reconnaître que les Etats
pourraient perpétrer des crimes contre l’humanité en toute impunité,
qu’ils pourraient systématiquement commettre des actes d’homicide,

humilier les personnes, les réduire en esclavage, les déporter et les astrein-
dre au travail forcé, pour s’abriter ensuite derrière une clause de renon-
ciation négociée avec un ou plusieurs autres Etats, en essayant de régler

toute revendication au moyen de traités de paix avec l’Etat ou les Etats
respectif(s).
125. A l’époque du III Reich, comme avant celle-ci, cette impossibi-

lité était déjà profondément ancrée dans la conscience humaine, dans la
conscience juridique universelle qui représente à mon avis la source maté-
rielle ultime de tout le droit. Déclarer que le travail forcé n’était pas inter-
dit à l’époque du III Reich allemand ne serait pas tenable (cf. infra),

même en vertu des anciens dogmes positivistes. Une telle affirmation
n’est point tenable, ni en temps de conflit armé ni en temps de paix. Les
restrictions progressives ayant abouti à l’interdiction du travail forcé, de

manière à éviter et à condamner les abus commis contre la personne
humaine dans le passé, se manifestèrent non seulement dans le domaine
du droit international humanitaire, mais également dans celui de la régle-

119Pour paraphraser certains penseurs du Moyen Age.

71 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ’ÉTAT (OP. DISS.CANÇADO TRINDADE ) 378

mentation des relations de travail (propre aux conventions internatio-
nales de l’Organisation internationale du Travail ou OIT). A mon avis,
même avant l’apparition de tous ces instruments (infra), l’esclavage et le

travail forcé étaient proscrits par la conscience humaine, qui était trop
marquée par le poids des abus flagrants du passé.

1. Droit international conventionnel

a) Droit international humanitaire

126. Pour ce qui est du droit international humanitaire, il convient de
rappeler que, bien avant l’époque sinistre du III Reich, le règlement

concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre, annexé à la conven-
tion IV de La Haye concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre
adoptée lors de la deuxième conférence de la paix de La Haye de 1907,
dans le but de «servir encore, dans cette hypothèse extrême, les intérêts

de l’humanité» (préambule, deuxième alinéa), imposait en des termes
clairs des restrictions au travail des prisonniers de guerre (art. 6) et inter-
disait l’enfermement de ces derniers (art. 5). La convention IV de La
Haye contient, en son préambule, la célèbre clause de Martens (cf. infra)
en vertu de laquelle, dans les cas non compris dans les dispositions régle-

mentaires adoptées et annexées à la convention,

«les populations et les belligérants restent sous la sauvegarde et sous
l’empire des principes du droit des gens, tels qu’ils résultent des
usages établis entre nations civilisées, des lois de l’humanité et des
exigences de la conscience publique» (huitième alinéa).

127. Deux décennies plus tard, dans la convention de Genève de 1926
relative à l’esclavage, les hautes parties contractantes reconnaissaient

qu’il était «nécessaire d’empêcher que le travail forcé n’am[enât] des
conditions analogues à celles de l’esclavage» (préambule, cinquième ali-
néa). Elles mettaient également en garde contre le fait que «le recours au
travail forcé ou obligatoire p[ouvai]t avoir de graves conséquences», et

s’engageaient
«chacune en ce qui concerne les territoires soumis à sa souveraineté,

juridiction, protection, suzeraineté ou tutelle, à prendre des mesures
utiles pour éviter que le travail forcé ou obligatoire n’am[enât] des
conditions analogues à l’esclavage» (art. 5).

128. Trois ans plus tard et toujours une décennie avant l’éclatement de
la seconde guerre mondiale, la convention de Genève de 1929 relative au
traitement des prisonniers de guerre imposait de nouveau des restrictions

au travail des prisonniers de guerre (art. 28-30 et 32-34) et interdisait for-
mellement «d’employer des prisonniers à la fabrication et au transport
d’armes ou de munitions de toute nature, ainsi qu’au transport de maté-
riel destiné à des unités combattantes» (art. 31). De même, au lendemain

72 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ÉTAT (OP. DISS. CANÇADO TRINDADE ) 379

de la seconde guerre mondiale, le Statut du Tribunal militaire internatio-
nal de Nuremberg de 1945 énumérait, parmi les «crimes de guerre», la
«déportation pour des travaux forcés ou pour tout autre but, des popu-

lations civiles dans les territoires occupés» (art. 6, al. b)) et, parmi les
«crimes contre l’humanité», «la réduction en esclavage, la déportation,
et tout autre acte inhumain commis contre toutes populations civiles,
avant ou pendant la guerre» (art. 6, al. c)).

129. En tout état de cause, bien au-delà des dispositions des traités
susmentionnés conclus plusieurs années avant la seconde guerre mondiale
tout comme au lendemain de celle-ci, le travail forcé dans l’industrie de la

guerre — analogue à l’esclavage — est prohibé par la conscience juridique
universelle, la source matérielle ultime du droit international. Il n’est pas
nécessaire, à cet égard, de se livrer à l’opération positiviste superficielle

consistant à découvrir des interdictions expresses dans le texte des traités
(le jus positum). Le travail des esclaves et le travail forcé dans l’industrie
de l’armement étaient prohibés par le droit international général bien
e
avant le cauchemar et les horreurs du III Reich.

b) Conventions internationales du travail

130. Pour ce qui est des instruments internationaux de l’Organisation
internationale du Travail (OIT), il convient de rappeler que la convention
sur le travail forcé (n° 29) de l’OIT fut adoptée en 1930, près de dix ans

avant l’éclatement de la seconde guerre mondiale. En outre, même bien
avant cela, le travail forcé était également proscrit par la conscience
humaine. Le Bureau international du Travail lui-même a attiré l’attention

sur le fait que la convention (n° 29) sur le travail forcé de 1930 et la
convention (n° 105) sur l’abolition du travail forcé de 1957 qui l’a suivie
jouissent d’une reconnaissance quasi universelle 120 (étant «les plus large-
121
ment ratifiées de toutes les conventions internationales du travail» ), et
les principes qui y sont consacrés ont été repris dans plusieurs instru-
ments internationaux, tant au niveau universel qu’au niveau régional. Le

Bureau international du Travail a dès lors déclaré: «L’interdiction de
recourir au travail forcé ou obligatoire sous toutes ses formes est consi-
dérée comme une norme impérative du droit international moderne en
matière de droits de l’homme» 122.

131. Le BIT est allé même au-delà du domaine du droit international

120A ce jour, ces deux conventions ont reçu respectivement 170 et 164 ratifications:
cf. op. cit. infra note 122, p. 12.
121Cf. op. cit. infra note 122, p. 1 et 34. Néanmoins, en dépit de cette condamnation
universelle du travail forcé, le problème persiste de nos jours puisque «des millions de
personnes dans le monde y sont encore assujetties», ce qui représente véritablement une
«injure à la dignité humaine» (ibid., p. 1), comme l’illustrent la persistance de pratiques
analogues à l’esclavage, la traite des personnes à des fins d’exploitation et les formes illi-

ci122 de travail obligatoire (cf. ibid., p. 35-47).
Bureau international du Travail, Eradiquer le travail forcé , Genève, BIT, 2007,
p. XI.

73 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ÉTAT (OP. DISS. CANÇADO TRINDADE ) 380

des droits de l’homme en réitérant, dans son étude récente sur cette ques-
tion (publiée près de huit décennies après la convention [n° 29] sur le tra-
vail forcé de 1930), le point de vue selon lequel:

«Le droit de ne pas être astreint à un travail forcé ou obligatoire

est l’un des premiers des droits fondamentaux de l’homme relevant
du mandat de l’Organisation qui a fait l’objet de normes internatio-

nales du travail. Les principes consacrés par les conventions de l’OIT
dans ce domaine ont été incorporés dans divers instruments inter-
nationaux, de portée universelle ou régionale, et sont devenus des
123
normes impératives du droit international.»

132. Ce n’est pas là la seule affirmation en ce sens. Dans une autre
étude publiée il y a sept ans par le BIT, il est de nouveau déclaré que,
étant donné la lettre et l’esprit de la convention de 1930 sur le travail

forcé (n° 29), suivie de la convention de 1957 sur l’abolition du travail
forcé (n° 105), l’évolution de cette question particulière avait abouti au
«statut de l’abolition du travail forcé et obligatoire en droit international

général, en tant que norme impérative à laquelle aucune dérogation n’est
admise» 124.
133. Il convient de ne pas oublier que ce résultat ne fut acquis qu’à

l’issue de beaucoup de souffrances humaines, subies par des générations
successives. Comme il fut observé à l’époque de la conclusion de la
convention de 1957 sur l’abolition du travail forcé (n° 105), il existe «des

preuves historiques humiliantes» attestant que «l’abolition formelle de
l’esclavage ne fut réalisée qu’à contrecŒur, petit à petit, au cours du
XIX siècle»; vu que «des formes de servage occultes ou même ouvertes»

subsistaient dans certains pays, il fut donc nécessaire, au milieu du
XX siècle, de conclure la convention (n° 105) de l’OIT de 1957 sur l’abo-
lition du travail forcé. De surcroît, à la même époque, la conférence des

Nations Unies de 1958 sur le droit de la mer «dut s’occuper de la traite
infâme des esclaves, ce fléau hérité du passé» 125.

c) Droit international des droits de l’homme

134. Ces divers développements — l’évolution du nouveau jus gentium
contemporain — montrent bien que la prohibition du travail forcé en
toutes circonstances, aussi bien en temps de conflit armé qu’en temps de

123
Eradiquer le travail forcé, op. cit. supra note 122, p. 111. Pour une étude du contexte
historique de la convention de 1930 sur le travail forcé (n° 29) et de l’engagement du
BIT et de la Société des Nations dans ce domaine dès un stade précoce, cf. Jean
Bastet, Le travail forcé et l’organisation internationale (SDN et BIT) , Paris, LGDJ,
1932, p. 1-181.
124M. Kern et C. Sottas, «Abolition du travail forcé ou obligatoire», Droits fonda-
mentaux au travail et normes internationales du travail, Genève, BIT, 2003, p. 47, et cf.
p. 35.
125J. H. W. Verzijl, Human Rights in Historical Perspective , Haarlem, Haarlem Press,
1958, p. 6.

74 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ÉTAT (OP. DISS.CANÇADO TRINDADE ) 381

paix (cf. supra), existe depuis longtemps en droit des gens. Comme le pro-
clamait, au lendemain de la seconde guerre mondiale, la Déclaration uni-
verselle des droits de l’homme de 1948, «tous les êtres humains naissent

libres et égaux en dignité et en droits» (art. 1). La prohibition en cause
découle du principe fondamental d’égalité et de non-discrimination. Dans
son avis consultatif n° 18 concernant le statut juridique et les droits des
migrants sans papiers (du 17 septembre 2003), la Cour interaméricaine

des droits de l’homme (CIDH) a considéré que ce principe fondamental
relevait du jus cogens.
135. Dans cet avis qui fait date, la CIDH soulignait, dans le droit-fil de

l’enseignement humaniste des «pères fondateurs» du droit des gens (jus
gentium), que, en vertu de ce principe fondamental, l’élément de l’égalité
ne saurait guère être séparé de celui de la non-discrimination et que l’éga-

lité devait être garantie sans discrimination d’aucune sorte. Cela est étroi-
tement lié à la dignité inhérente à la personne humaine, découlant de
l’unité du genre humain. Le principe fondamental de l’égalité devant la

loi et de la non-discrimination imprègne l’ensemble du fonctionnement
du pouvoir étatique et relève de nos jours du jus cogens 126. Dans une
opinion concordante, il fut souligné que le principe fondamental de l’éga-

lité et de la non-discrimination pénétrait l’ensemble du corpus juris du
droit international des droits de l’homme, avait des incidences en droit
international public, se répercutait sur le droit international général ou

coutumier lui-même et faisait désormais partie des normes toujours plus
nombreuses relevant du jus cogens 127.

2. Droit international général

136. J’ai déjà mentionné la clause de Martens (par. 126 supra) insérée
dans le préambule de la convention IV de La Haye de 1907 (cf. supra) et,
même avant cela, également dans le préambule de la convention II de La

Haye de 1899 (neuvième alinéa), adoptée lors de la première conférence
de la paix de La Haye de 1899 128, concernant toutes deux les lois et cou-
tumes de la guerre sur terre. Son objectif était d’étendre juridiquement la

protection nécessaire aux civils et aux combattants en toutes situations,

126CIDH, avis consultatif n° 18 (17 septembre 2003), Condition juridique et droits des
migrants sans papiers, série A, n° 18, par. 83, 97-99 et 100-101.

127Ibid., opinion concordante de M. le juge A. A. Cançado Trindade, par. 59-64 et
65-73. Ces derniers temps, la CIDH ainsi que le Tribunal pénal international pour
l’ex-Yougoslavie ont été les deux juridictions internationales contemporaines à avoir le
plus contribué, par leur jurisprudence, à l’évolution conceptuelle du jus cogens (bien au-
delà du droit des traités) et à l’élargissement progressif de son contenu matériel: cf.
A. A. Cançado Trindade, «Jus Cogens : The Determination and the Gradual Expansion
of Its Material Content in Contemporary International Case Law», XXXV Curso de
Derecho Internacional Organizado por el Comité Jurídico Interamericano — OAS , 2008,

p.12829.
Elle fut à l’origine proposée par le délégué de la Russie (Friedrich von Martens) lors
de la première conférence de la paix de La Haye (1899).

75 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ÉTAT (OP. DISS. CANÇADO TRINDADE ) 382

même si elle n’était pas prévue par les normes conventionnelles; la clause
de Martens invoquait à cette fin «les principes du droit des gens» décou-

lant des usages «établis», ainsi que les «lois de l’humanité» et les «exi-
gences de la conscience publique». Plus tard, la clause de Martens appa-
raissait également dans la disposition commune aux quatre conventions

de Genève relatives au droit international humanitaire de 1949 (respecti-
vement articles 62, 63, 142 et 158), concernant la dénonciation, ainsi que
dans le protocole additionnel I (de 1977) à ces conventions (article pre-

mier, par. 2), pour citer quelques-unes des principales conventions en
matière de droit international humanitaire.
137. La clause de Martens s’est donc vue dotée, pendant plus d’un siè-

cle, d’une validité permanente, du fait de son invocation de la conscience
publique 129, et elle continue de mettre en garde contre l’hypothèse selon

laquelle tout ce qui n’est pas expressément interdit par les conventions en
matière de droit international humanitaire serait autorisé. La clause de
Martens postule, bien au contraire, que les principes du droit des gens, les

lois de l’humanité et les exigences de la conscience publique continuent de
s’appliquer, indépendamment de l’apparition de situations nouvelles 130.
Dès lors, la clause de Martens permet d’éviter un non liquet et joue un

rôle important dans le cadre de l’herméneutique et de l’application des
normes humanitaires.
138. Le fait que les rédacteurs des conventions de 1899, 1907 et 1949 et

du protocole I de 1977 aient repris plus d’une fois les éléments de la
clause de Martens dans ces instruments internationaux révèle que cette
clause constitue une émanation de la source matérielle du droit interna-
131
tional humanitaire et du droit international en général. Elle exerce de
ce fait une influence permanente dans le cadre de la formation spontanée

du contenu de règles nouvelles de droit international humanitaire.
139. En associant les lois de l’humanité aux exigences de la conscience
publique, la clause de Martens institue une «interdépendance organique»

entre la légalité de la protection et sa légitimité, au bénéfice de tous les
êtres humains 132. L’héritage de Martens a également trait à la préémi-
nence du droit dans le cadre du règlement des différends et de la recher-
133
che de la paix . La doctrine juridique contemporaine a elle aussi traité

129Car, quelque avancée que puisse être la codification des normes humanitaires, elle ne
saurait être considérée comme véritablement complète.
130B. Zimmermann, «Protocole I — article premier», Commentaire sur les protocoles
additionnels du 8 juin 1977 aux conventions de Genève du 12 août 1949 (Y. Sandoz,
Ch. Swinarski et B. Zimmermann, dir. publ.), Genève, CICR/Nijhoff, 1987, p. 39.
131
H. Meyrowitz, «Réflexions sur le fondement du droit de la guerre», Etudes et
essais sur le droit international humanitaire et sur les principes de la Croix-Rouge en
l’honneur de Jean Pictet (Ch. Swinarski, dir. publ.), Genève/La Haye, CICR/Nijhoff,
1984, p. 423-424; et cf. H. Strebel, «Martens’ Clause», Encyclopedia of Public Interna-
tional Law (R. Bernhardt, dir. publ.), vol. 3, Amsterdam, North-Holland Publ. Co., 1982,
p. 252-253.
132Ch. Swinarski, «Préface», dans V. V. Pustogarov, op. cit. infra note 133, p. XI.
133V. V. Pustogarov, Fedor Fedorovitch Martens — Jurist i Diplomat , Moscou, éd.
Mejdunarodnie Otnosheniya, 1999, p. 1-287.

76 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ÉTAT (OP. DISS. CANÇADO TRINDADE ) 383

la clause de Martens com134constituant elle-même une source du droit
international général , et personne n’oserait de nos jours nier que les
«lois de l’humanité» et les «exigences de la conscience publique» invo-
135
quées par la clause de Martens relèvent du jus cogens . D’une manière
générale, cette clause fut conçue et réaffirmée à plusieurs reprises pour le
bénéfice ultime de l’humanité dans son ensemble, ce qui lui permet de res-
ter d’actualité. La clause peut être considérée comme une expression de la

raison d’humanité imposant des limites à la raison d’Etat.

3. L’incidence du jus cogens à la lumière des arguments
des Parties

140. Les considérations qui précèdent m’inspirent une dernière série de

brèves réflexions sur l’incidence du jus cogens, à la lumière des arguments
de l’Italie et de l’Allemagne dans la présente affaire des Immunités juri-
dictionnelles de l’Etat . Sur cette question en particulier, ainsi que dans le

contexte de l’espèce, leurs argumentations ne sont pas si divergentes que
l’on pourrait peut-être s’y attendre. Certes, dans son mémoire, l’Alle-
magne se livre d’abord à une critique des motifs de la Corte di Cassazione

italienne dans son arrêt de 2004 en l’affaire Ferrini car, d’après elle:

«Le jus cogens en tant que concept juridique n’existait pas à l’épo-
que de la survenance des violations dont les demandeurs tentent de
tirer grief. Dès lors, appliquer le critère du jus cogens aux événe-

ments tragiques de la seconde guerre mondiale ne correspond pas
aux règles générales relatives à l’application du droit international
dans le temps. Tout comportement doit être apprécié au regard des
136
critères en vigueur au moment où il était pratiqué.»

Elle ajoutait ensuite que, «puisque le droit international repose essentiel-
lement sur le consentement des Etats», c’est dans la «pratique générale»

de ces derniers que devaient être cherchées les réponses quant aux consé-
quences «découlant d’une violation d’une règle de jus cogens » 137.
141. De telles affirmations ne résistent pas à un examen plus appro-

fondi. L’antinomie entre le consentement des Etats et le jus cogens est on
ne peut plus grande. La pratique des Etats, marquée, comme elle l’est
habituellement, par l’incohérence, ne saurait à elle seule servir de repère

lorsqu’il s’agit de tirer les conséquences de la violation d’une norme impé-
rative du droit international général (jus cogens), au sens des articles 53

134F. Münch, «Le rôle du droit spontané», Pensamiento Jurídico y Sociedad Interna-
cional — Libro-Homenaje al Prof. D. A. Truyol y Serra , vol. II, Madrid, Univ. Com-
plutense, 1986, p. 836.
135S. Miyazaki, «The Martens Clause and International Humanitarian Law», Etudes
et essais sur le droit international humanitaire et sur les principes de la Croix-Rouge en

l’136neur de Jean Pictet, op. cit. supra note 131, p. 438 et 440.
137Mémoire de la République fédérale d’Allemagne (12 juin 2009), p. 52-53, par. 85.
Ibid., p. 54, par. 87.

77 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ’ÉTAT (OP .DISS. CANÇADO TRINDADE ) 384

et 64 des deux conventions de Vienne sur le droit des traités (de 1969 et

de 1986). L’adoption de la première de ces conventions marqua l’émer-
gence du jus cogens uniquement dans le domaine du droit des traités.
Pendant les débats officiels de la conférence de Vienne de 1986, lors de

laquelle fut adoptée la seconde convention de Vienne, j’avais cru néces-
saire de mettre en garde contre l’incompatibilité manifeste entre le jus
cogens et la conception statique, positiviste et volontariste du droit inter-
138
national (mettant l’accent sur la volonté ou le consentement des Etats) .
142. En réalité, le jus cogens va bien au-delà du droit des traités, ce qui
n’est pas nouveau. Toujours dans son mémoire, l’Allemagne affirme que
«sans doute», le jus cogens «interdit le génocide», et reconnaît aussitôt,

à cet égard, que: «Cette interdiction trouve son fondement juridique tant
dans la convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime
de génocide que dans des règles générales (plus anciennes) du droit inter-
139
national.»
Ainsi, l’Allemagne elle-même reconnaît à juste titre — ce qui est loua-
ble — l’incidence du jus cogens, qui remonte assez loin dans le passé et

qui est largement antérieure aux dispositions pertinentes (art. 53 et 64) de
la convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités. Elle finit par
reconnaître que le jus cogens (en droit international général) interdisait
e
déjà le génocide à l’époque des crimes du III Reich, qui heertèrent la
conscience de l’humanité. Même avant la fin du XIX siècle (à l’occasion
de la première conférence de la paix de La Haye de 1899), l’interdiction

du génocide était profondément ancrée dans la conscience juridique
universelle ou, pour paraphraser la clause de Martens (supra), dans les
«exigences de la conscience publique».

143. La convention de 1948 contre le génocide a consacré cette inter-
diction, après les horreurs du III Reich. Néanmoins, bien avant cette
convention, toute personne saine d’esprit savait parfaitement que la per-
pétration d’actes de génocide constitue un acte illicite, un crime, qu’elle

est contraire à la loi. Pour ce qui est du traitement des personnes déte-
nues, l’Italie estime de son côté, dans son contre-mémoire déposé dans la
présente affaire, à propos du jus cogens, que:

«Le fait que, même avant la seconde guerre mondiale, les dispo-

sitions concernant le traitement des prisonniers n’étaient pas suscep-
tibles de dérogation semble universellement reconnu. ... Le Statut du
Tribunal militaire international de Nuremberg annexé à l’accord du

8 août 1945 qualifiait de crimes de guerre les violations des lois et
coutumes de la guerre. Le Tribunal jugea qu’en 1939 les règles
humanitaires figurant dans le règlement annexé à la IV convention

138
Cf. Nations Unies, Documents officiels de la conférence des Nations Unies sur le
droit des traités entre Etats et organisations internationales ou entre organisations inter-
nationales (Vienne, 18 février-21 mars 1986), vol. I, New York, Nations Unies, 1995,
p. 193-194 (intervention de M. Cançado Trindade (Brésil)).
139Mémoire de la République fédérale d’Allemagne (12 juin 2009), p. 53, par. 86.

78 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ÉTAT (OP. DISS.CANÇADO TRINDADE ) 385

de La Haye de 1907 «étaient admises par tous les Etats civilisés et

regardées par eux comme l’expression, codifiée, des lois et coutumes
de la guerre».
En 1946, la résolution 95 (I) de l’Assemblée générale de l’ONU a

confirmé les principes de Nuremberg en ce qui concerne les crimes
internationaux. Même si le contexte était celui de la responsabilité
pénale individuelle, et non pas celui de la responsabilité de l’Etat et

de la définition du jus cogens, on ne saurait nier que la pénalisation
des violations du droit humanitaire commises au cours de la seconde
guerre mondiale exprime l’idée que ces violations étaient déjà consi-
dérées à l’époque comme portant atteinte aux valeurs les plus fon-
140
damentales de la communauté internationale.»

144. En réalité, on peut remonter — même avant la deuxième confé-
rence de la paix de La Haye (1907) — à l’époque de la première confé-

rence de la paix de La Haye (1899), conformément aux vues exprimées
devant la Cour tant par l’Allemagne que par l’Italie et qui ne divergent
pas nécessairement sur ce point. A la fin du XIX siècle, on estimait, lors

de la première conférence de la paix de La Haye, que les Etats pourraient
voir leur responsabilité délictuelle engagée en cas de mauvais traitements
infligés à des personnes (à raison, par exemple, du transfert de civils pour

travail forcé); cela annonçait l’époque de la responsabilité pénale des
agents individuels de l’Etat qui suivit, avec la consécration des concepts
de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité.

145. L’éveil progressif de la conscience humaine conduisit à l’évolution
allant de la consécration du concept des delicta juris gentium à celle des
violations du droit international humanitaire (sous la forme des crimes de

guerre et des crimes contre l’humanité) — représentant l’héritage de
Nuremberg — suivie de celle des violations graves du droit international
humanitaire (avec les quatre conventions de Genève sur le droit interna-
tional humanitaire de 1949 et leur protocole additionnel I de 1977) 141.A

la suite de cet éveil progressif de la conscience humaine, les êtres humains
cessèrent également d’être un objet de protection pour être considérés
comme des sujets de droits, à commencer par le droit fondamental à la

vie, comportant le droit de vivre dignement.
146. Les êtres humains furent reconnus commesujets de droits en toutes

140Contre-mémoire de l’Italie (22 décembre 2009), p. 62-63, par. 4.62-4.63.
141Première convention de Genève, art. 49 et 50; deuxième convention de Genève,
art. 50 et 51; troisième convention de Genève, art. 129 et 130; quatrième convention de
Genève, art. 146 et 147; protocole additionnel I, art. 85 à 88. Le protocole additionnel I

de 1977 (art. 85) a préféré s’en tenir à cet égard à la terminologie des quatre conventions
de Genève de 1949 et a conservé l’expression d’«infractions graves» au droit international
humanitaire, étant donné les «objectifs purement humanitaires» de ces traités humani-
taires; il a néanmoins jugé nécessaire de préciser que les «infractions graves» à ces traités
(les quatre conventions de Genève et le protocole additionnel I) «[étaie]nt considérées
comme des crimes de guerre» (art. 85, par. 5). Cf. Y. Sandoz, Ch. Swinarski et B. Zim-
mermann (dir. publ.), Commentaire sur les protocoles additionnels du 8 juin 1977 aux
conventions de Genève du 12 août 1949 , Genève, CICR/Nijhoff, 1987, p. 1016 et 1027.

79 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ÉTAT (OP. DISS. CANÇADO TRINDADE ) 386

circonstances, en temps de paix comme en temps de conflit armé. Pour ce
qui est du temps de paix, il convient de rappeler brièvement que, bien

avant la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, les expé-
riences pionnières du système des minorités et du système des mandats
mis en place dans le cadre de la Société des Nations au cours de l’entre-

deux-guerres octroyaient un accès direct aux individus concernés aux ins-
tances internationales (respectivement les Comités des minorités et la
Commission permanente des mandats) pour leur permettre de faire valoir

les droits découlant directement du droit des gens (le jus gentium en évo-
lution). Pour ce qui est de ce dernier également, à partir de la deuxième
conférence de la paix de La Haye, les êtres humains se voyaient recon-

naître le droit de revendiquer des réparations de guerre.
147. Dans un récit factuel détaillé publié en 1928, décrivant la cruauté

et les souffrances humaines indicibles causées par la déportation et la
soumission au travail forcé des travailleurs et de la population civile (de
la Belgique occupée) 142, déjà au cours de la première guerre mondiale

(1916-1918), il était observé:

«Le système de déportation institué à l’automne de 1916 consiste
essentiellement dans la réquisition généralisée ou levée en masse de

la classe ouvrière masculine pour les besoins de main-d’Œuvre de
l’organisme de guerre allemand...
Pareille réquisition est formellement contraire au droit des gens,
143
tant traditionnel que codifié par les Conventions de La Haye.»

Deux décennies plus tard, la quatrième convention de144nève (1949)
interdisait expressément les transferts forcés , en plus des restrictions
antérieures prévues dans le règlement de La Haye de 1907 (convention IV

de La Haye). Ces instruments internationaux finirent par être regardés
comme déclaratoires du droit coutumier évolutif en la matière 145.
148. Le règlement de La Haye de 1907 (convention IV de La Haye)

contenait des reetrictions plutôt qu’une interdiction impérative car, au
début du XX siècle, la pratique des déportations était déjà considérée
comme «tombée en désuétude». Or, le pire était à venir, avec l’institution

imposée, pendant les deux guerres mondiales, d’un «service de travail
forcé» aux traits épouvantables qui n’a toujours pas été suffisamment

142Cf. F. Passelecq, Déportation et travail forcé des ouvriers et de la population civile...,
op. cit. supra note 23, p. 318-320, 329-330, 334-335, 374-376 et 394. L’auteur termine son

ouvrage (consacré aux grandes souffrances de ceux qui furent déportés et astreints au tra-
vail forcé pendant la période de 1916 à 1918) par les mots suivants: «Nous ne formu-
lerons pas de conclusion. Pour plusieurs raisons, il est préférable que le lecteur reste
immédiatement en présence des faits et entende leur leçon muette sans interposition de
personne» (ibid., p. 404). Il laissait les faits parler d’eux-mêmes.
143Ibid., p. 374.
144Art. 49, par. 1, en plus de l’article 147 relatif aux déportations ou transferts illégaux.
145Cf., par exemple, J.-M. Henckaerts, «Deportation and Transfer of Civilians in Time
of War», Vanderbilt Journal of Transnational Law , vol. 26, 1993, p. 469-519.

80 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ÉTAT (OP. DISS. CANÇADO TRINDADE ) 387

étudié par les historiens: «des millions d’êtres humains ont été arrachés à
leur foyer, séparés de leur famille et déportés hors de leur pays, le plus
souvent dans des conditions inhumaines» 146.

Ils ont ainsi été astreints au travail forcé dans l’industrie de la guerre.
De tels événements ont mis en évidence la nécessité de «précisions» sur ce
point afin d’énoncer une prohibition qui existait déjà dans la conscience

humaine. En conséquence, dans la quatrième convention de Genève de
1949, ««la déportation ou le transfert illégaux» ont été inclus parmi les
crimes définis à l’article 147 de la Convention et désignés comme appe-
147
lant les sanctions pénales les plus graves» .
149. Ainsi, vers le milieu du XX siècle, il ne subsistait plus aucun
doute quant au fait que les interdictions de ce genre avaient fini par être
148
considérées comme «incorporées au droit des gens» . En ce qui concerne
l’idée du jus cogens, elle avait trouvé son expression même avant cela, à

propos de situations différentes, en gardant à l’esprit le droit internatio-
nal général et les fondements mêmes de l’ordre juridique international.
L’expression de «jus cogens» fut employée par le juge Schücking, de la
149
CPJI, dans son opinion individuelle en l’affaire Oscar Chinn .Unan
plus tard, dans son cours dispensé à l’Académie de droit international de
La Haye, A. Verdross évoquait également le «jus cogens» et renvoyait à
150
l’opinion individuelle susmentionnée du juge Schücking .
150. Toujours en 1935, un autre auteur, J. H. W. Verzijl, souscrivant
aux vues du juge Schücking qui invoquait le jus cogens dans l’affaire

Oscar Chinn (pour reprendre ses termes: «M. Schücking, le juge alle-
mand, me paraît avoir parfaitement raison»), se référait également au jus
cogens et se montrait assez critique quant à l’arrêt de la CPJI dans

l’affaire Oscar Chinn, à cause de l’approche essentiellement volontariste
et positiviste qu’elle avait retenue (et qui est malheureusement toujours
en vogue de nos jours). Pour reprendre les termes de J. H. W. Verzijl:

«A une question fondamentale du droit international public, l’arrêt

a donné une solution des plus regrettables. En effet, il s’agissait de
savoir quelle était la tâche de la Cour dans le cas d’un traité accusé
par quelques-uns de ses membres d’être entaché de nullité absolue

pour cause de violation de certaines normes antérieures ayant le
caractère de droit impératif (jus cogens). ...
La situation est assez simple: lorsqu’elle reconnaît que l’acte pos-

térieur est contraire aux normes antérieures, revêtues du caractère de

146Jean S. Pictet et al. (dir. publ.), Commentaire sur la convention IV de Genève relative
à la protection des personnes civiles en temps de guerre, Genève, CICR, 1958, p. 300.
147Ibid., p. 301.
148Ibid., p. 301.
149Oscar Chinn (Royaume-Uni c. Belgique), arrêt, 1934, C.P.J.I. série A/B n° 63 ,
p. 148-150, spécialement p. 149.
150Cf. A. Verdross, «Les principes généraux du droit dans la jurisprudence interna-
tionale», Recueil des cours de l’Académie de droit international de La Haye, vol. 52, 1935,
p. 206 et 243.

81 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ÉTAT (OP.DISS. CANÇADO TRINDADE ) 388

jus cogens, la Cour est obligée de le laisser hors application, comme
étant absolument nul, quand même aucune des parties litigantes
n’invoque cette nullité. Dans une hypothèse pareille, la nullité est de

droit et doit être constatée d’office.
Mais la Cour permanente n’a pas fait ainsi. ... Je n’hésite pas à
qualifier cet arrêt de pessimi exempli. Car, en effet, en se soumettant
à la volonté des parties litigantes, la Cour a, par cet arrêt regrettable,

ouvert la porte à toutes sortes de fraudes au droit des gens impéra-
tif. ... N’a-t-elle pas, par cet arrêt, préparé aux Etats les voies pour se
dérober impunément, voire même sous sa sanction tacite, aux règles
de droit reconnues antérieurement comme devant constituer pour
151
l’avenir la base inébranlable des rapports internationaux?»

151. J’estime, comme je l’ai déjà fait savoir, que les Etats ne sauraient
renoncer aux revendications portant sur des violations des droits fonda-
mentaux inhérents à la personne humaine et que toute prétendue renoncia-

tion en ce sens serait dépourvue d’effets juridiques. Il en est ainsi, à plus
forte raison, si ces violations (visées par le droit international des droits de
l’homme) représentent également des violations graves du droit internatio-

nal humanitaire et constitueet des crimes de guerre. Cela avait déjà été
reconnu au milieu du XX siècle, en ce qui concerne la déportation en vue
du travail forcé. Ainsi, le Statut [de Londres] de 1945 du Tribunal militaire
international (de Nuremberg) faisait figurer la «déportation pour travail

forcé» parmi les «crimes de guerre, c’est-à-dire les violations deslois et
coutumes de la guerre» (art. 6, al.b)). Le Statut du Tribunal de Nurem-
berg de 1945 rangeait également la «réduction en esclavage» et la «dépor-
tation» parmi les«crimes contre l’humanité» (art. 6, al. c)).

152. Peu après l’adoption du Statut du Tribunal de Nuremberg, la
Commission du droit international des Nations Unies (CDI) fut chargée
par l’Assemblée générale des Nations Unies, aux termes de l’alinéa a) de

sa résolution 177 (II), de «formuler les principes de droit international
reconnus par le Statut de la Cour de Nuremberg et dans l’arrêt de cette
Cour». Conformément à la résolution de l’Assemblée générale, la CDI
procéda à l’examen de la question dès sa toute première session. La CDI

était d’avis que:

«les principes de Nuremberg ayant été reconnus par l’Assemblée
générale, la tâche confiée à la Commission aux termes de l’alinéa a)

de la résolution 177 (II) ne consistait pas à porter un jugement sur
ces principes en tant que principes du droit international, mais pure-
ment et simplement à les formuler» 152.

151J. H. W. Verzijl, «La validité et la nullité des actes juridiques internationaux»,
Revue de droit international , vol. 15, 1935, p. 321-322.
152
ONU, Annuaire de la Commission du droit international , 1950, vol. II, p. 374.

82 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ÉTAT OP .DISS. CANÇADO TRINDADE ) 389

Ce point de vue fut approuvé par l’Assemblée générale en 1949 et, après
avoir examiné le rapport présenté sur cette question (par le rapporteur
Jean Spiropoulos), la CDI adopta, à sa session de 1950, une formulation

des principes du droit international consacrés par le 153tut du Tribunal
de Nuremberg et dans le jugement de ce tribunal .
153. Dans le cadre des principes de Nuremberg formulés par la CDI, le
principe VI rangeait parmi les «crimes de guerre» «la déportation pour

les travaux forcés, ou pour tout autre but, des populations civiles dans les
territoires occupés»; il incluait pareillement, parmi les «crimes contre
l’humanité», la «réduction en esclavage» et la «déportation» de «toutes
populations civiles» 15. En somme, la CDI n’avait fait que formuler les

principes en question, qui avaient déjà été reconnus par la communauté
internationale et avaient été dûment affirmés par l’Assemblée générale de
l’ONU. Les «exigences de la conscience publique», pour paraphraser la

clause de Martens, avaient déjà trouvé un écho à l’Assemblée générale des
Nations Unies. La communauté internationale reconnaissait déjà lejus
cogens. Les créances de réparation à raison de crimes de guerre pouvaient-
elles faire l’objet d’une renonciation en 1947? Non, elles ne le pouvaient

point. Les créances de réparation à raison de crimes contre l’humanité
pouvaient-elles faire l’objet d’une renonciation en 1947? Non, elles ne le
pouvaient point. Les créances de réparation à raison de violations graves

du droit international humanitaire (codifiées deux ans plus tard comme
«infractions graves») pouvaient-elles faire l’objet d’une renonciation en
1947? Elles ne le pouvaient point, à mon sens et d’après mes conceptions.

XIV. C ONCLUSIONS

154. Qu’il me soit maintenant permis, pour conclure, de récapituler les
fondements de ma position, que j’ai pris le soin d’exposer dans la pré-
sente opinion dissidente, contrairement à la décision prise par la majorité
de la Cour dans la présente ordonnance. Lorsqu’elle a écarté sommaire-

ment la demande reconventionnelle italienne en la déclarant «irrecevable
comme telle», la Cour aurait dû pour le moins instruire comme il
convient le dossier de l’affaire en tenant, avant de statuer, des audiences
publiques pour obtenir davantage de précisions des Parties. Une rigou-

reuse égalité de traitement doit être assurée entre la demande originaire et
la demande reconventionnelle, dans l’intérêt d’une bonne administration
de la justice. Les deux demandes sont autonomes et devraient être traitées

sur un pied d’égalité, dans le strict respect du principe du contradictoire.
Ce n’est que de cette manière que l’égalité procédurale des parties (deman-
deur et défendeur, dont les rôles s’inversent du fait de la demande recon-
ventionnelle) peut être assurée.

153ONU, Annuaire de la Commission du droit international , 1950, vol. II, p. 374.
154
Ibid., p. 377.

83 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ÉTAT OP .DISS. CANÇADO TRINDADE ) 390

155. Etant une institution juridique que le droit procédural internatio-

nal a empruntée au droit procédural interne, les demandes reconvention-
nelles possèdent déjà une histoire, mais la construction jurisprudentielle
de la CIJ est toujours en voie de formation. Le paragraphe 1 de l’ar-
ticle 80 du Règlement de la Cour permet à la CIJ de connaître d’une

demande reconventionnelle si «celle-ci relève de sa compétence» et «est
en connexité directe avec l’objet de la demande de la partie adverse». La
présente ordonnance de la Cour n’est pas conforme aux précédents en
matière de traitement par la Cour de demandes reconventionnelles (cf.

supra). En outre, la Cour a estimé qu’il suffisait de n’examiner que l’une
des conditions du paragraphe 1 de l’article 80 en partant, data venia,
d’hypothèses erronées sur le plan factuel et juridique, n’observant dès lors
pas in toto cette disposition de son propre Règlement.

156. L’ordonnance que la Cour vient d’adopter fait abstraction de la
consécration de la notion de «situation continue» dans la pensée inter-
nationaliste, tant dans le contentieux et dans la jurisprudence internatio-
naux que comme concept de droit international au niveau normatif. De

surcroît, elle n’a pas examiné la situation des véritables titulaires des
droits initialement violés, oubliant les écueils du volontarisme étatique.
Elle n’a placé l’accent que sur la renonciation aux revendications, négli-
geant également l’incidence du jus cogens en vertu duquel certaines

renonciations à des revendications sont dépourvues de tout effet juridi-
que (supra).
157. La Cour a écarté la demande reconventionnelle de l’Italie sur la
base d’une motivation succincte contenue dans deux brefs paragraphes

de la présente ordonnance, les paragraphes 28 et 29. Le second de ces
textes représente tout simplement une pétition de principe. La ratio deci-
dendi figure au paragraphe 28 de l’ordonnance, où il est affirmé que les
deux accords de 1961 ont offert à l’Italie, pour certains de ses ressortis-

sants, des formes de réparation allant au-delà du régime institué au len-
demain de la seconde guerre mondiale, et que ces accords n’ont pas
affecté ou modifié la situation juridique des ressortissants italiens dont il
est question dans la présente instance. Il y est ajouté que la situation juri-

dique de ces ressortissants italiens est «inextricablement liée» à une
«appréciation» de la portée et de l’effet de la renonciation contenue au
paragraphe 4 de l’article 77 du traité de paix de 1947 et aux «divergences
de vues entre les Parties quant à la possibilité pour l’Allemagne de se fon-

der sur cette disposition».
158. Il s’agit là, en réalité, d’une nouvelle pétition de principe, cher-
chant à faire croire à l’existence d’une continuité entre le traité de paix de
1947 entre les Puissances alliées 155 et l’Italie et les accords de 1961. Cette

155A savoir: Union des Républiques socialistes soviétiques, Royaume-Uni de Grande-
Bretagne et d’Irlande du Nord, Etats-Unis d’Amérique, Chine, France, Australie, Belgique,
République socialiste soviétique biélorusse, Brésil, Canada, Tchécoslovaquie, Ethiopie,
Grèce, Inde, Pays-Bas, Nouvelle-Zélande, Pologne, République socialiste soviétique
ukrainienne, Union sud-africaine et République populaire fédérative de Yougoslavie.

84 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ’ÉTAT (OP .DISS. CANÇADO TRINDADE ) 391

pétition de principe amène en fin de compte la Cour à déclarer que la
demande reconventionnelle porte sur des faits et situations qui existaient

déjà avant l’entrée en vigueur de la convention européenne de 1957 pour
le règlement pacifique des différends et, partant, ne relevaient pas de sa
compétence ratione temporis, ce qui lui permettait de déclarer la demande

reconventionnelle «irrecevable comme telle». Or la question tranchée
sommairement en vertu de la présente ordonnance n’est pas si claire et
évidente que la majorité de la Cour semble le penser. Sur la base des

considérations et des réflexions exposées dans la présente opinion dissi-
dente, je suis amené à conclure que la position de la majorité de la Cour
n’est pas tenable et ne trouve de fondement ni en fait ni en droit. Elle ne

constitue qu’une pétition de principe.
159. L’Allemagne reconnaît expressément qu’«il existe effectivement

une certaine divergen156de vues quant à la signification juridique des deux
accords de 1961» , sur le point de savoir s’ils ont ou non institué un
«régime de réparation» 15. L’Allemagne et l’Italie avaient également des

divergences sur la question de savoir si la conclusion des deux accords de
1961 représentait un geste de bonne volonté de la part de l’Allemagne ou
un processus obligatoire de règlement de revendications en matière de
158
réparation . Même si l’obligation de l’Allemagne de fournir une répara-
tion effective pour ce qui est des revendications des victimes italiennes de
violations graves du droit international humanitaire se trouve unie par un
e
lien de causalité historique aux crimes commis par le III Reich, elle
découle en réalité, sur le plan juridique, de décisions de l’Allemagne
d’après guerre qui ont trouvé une expression formelle dans les deux
159
accords de 1961 .
160. A cet égard, les deux Parties ont exclu de l’objet du présent dif-

férend les événements de la période antérieure à l’entrée en vigueur de la
convention européenne de 1957 pour le règlement pacifique des diffé-
rends, pour ce qui est de l’examen de la demande reconventionnelle 160.

L’Italie déclare en des termes assez clairs que «[c]’est la question de la
réparation, et non pas l’appréciation de fait et de droit des événements de
la seconde guerre mondiale, qui constitue l’élément central du diffé-
161
rend» . Les événements tragiques de la seconde guerre mondiale ne
constituent pas la cause réelle du présent différend portant sur les reven-
dications en matière de réparation. Ce sont les accords de 1961 qui en

sont la cause réelle et qui représentent le point de départ d’une situation
continue se poursuivant à l’heure actuelle.

156
Observations écrites de la République fédérale d’Allemagne..., op. cit. supra note 32,
p. 22, par. 35.
157Cf. Observations écrites de l’Italie..., op. cit. supra note 53, p. 20 et 25, par. 52 et 65.
158Ibid., p. 22-23, par. 56-57.
159Cf. Contre-mémoire de l’Italie (22 décembre 2009), p. 111, par. 5.63.
160Mémoire de la République fédérale d’Allemagne (12 juin 2009), p. 8-9, par. 7;
contre-mémoire de l’Italie (22 décembre 2009), p. 37-38, par. 3.14-3.15.
161Contre-mémoire de l’Italie (22 décembre 2009), p. 37-38, par. 3.15.

85 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ’ÉTAT (OP. DISS.CANÇADO TRINDADE ) 392

161. Comme il a déjà été indiqué, il existe des éléments de preuve attes-
tant que, à partir de 1961, l’Allemagne a décidé de ne plus se prévaloir de
la clause de renonciation du paragraphe 4 de l’article 77 du traité de paix

de 1947, même rétroactivement; à compter de ce moment, les demandes
de ressortissants italiens ne seraient plus rejetées (contrairement à ce qui
se produisait avant 1961, sur la base du paragraphe 4 de l’article 77 du

traité de paix). Nous avons déjà mentionné, premièrement, l’échange
de lettres (entre le secrétaire d’Etat allemand aux affaires étrangères et
l’ambassadeur d’Italie à Bonn) du 2 juin 1961 (date qui est également
162
celle de la signature des deux accords , tenant compte de cet échange
de lettres), indiquant qu’une obligation nouvelle était née, et,
deuxièmement, le mémorandum présenté devant les assemblées
législatives par le Gouvernement fédéral allemand le 30 mai 1962,

indiquant que ce dernier était disposé à examiner des demandes de
réparation de ressortissants italiens (découlant de crimes de guerre
commis pendant la seconde guerre mondiale) 163. Ces accords

consacraient une obligation164 droit international et non un simple
geste de bonne volonté .
162. En tout état de cause, même si cela n’était pas le cas, la Cour
n’est en principe pas liée par les conclusions des parties. Lorsqu’elle se

prononce sur sa compétence, en vue de dire le droit (juris dictio), elle
est parfaitement autorisée à aller au-delà des conclusions des parties
en litige. La Cour est le maître de sa compétence. En l’espèce, elle n’a

pas besoin de se livrer à un exercice de la sorte, motu proprio , étant
donné que les conclusions des Parties ne laissent pas de doute quant
au fait que la compétence ratione temporis de la Cour est bien établie,
ce qui permettait à celle-ci de déclarer la demande reconventionnelle

recevable.
163. La présente ordonnance semble s’empresser de reconnaître que
les deux accords bilatéraux de 1961 prévoyaient des formes de compensa-

tion allant au-delà du «régime» institué au lendemain de la seconde
guerre mondiale. En vérité, les deux «régimes» (celui de 1947 et celui de
1961) sont indépendants et doivent être examinés séparément. Qu’il me

soit permis de rappeler que la conclusion de l’accord de 1961 sur l’indem-
nisation était accompagnée d’un échange de lettres entre l’Allemagne et
l’Italie (cf. supra) — qui ne saurait ici passer inaperçu —, dans le cadre
duquel l’Allemagne elle-même déclarait que toutes les demandes qui

avaient auparavant été rejetées au cours des années 1950 sur le fonde-
ment du paragraphe 4 de l’article 77 du traité de paix de 1947 seraient

162Observations écrites de l’Italie..., op. cit. supra note 53, p. 18-19, par. 46; et cf.
contre-mémoire de l’Italie (22 décembre 2009), annexe 4.
163Le gouvernement allemand avait clairement donné pour instruction à ses autorités
législatives de ne pas objecter aux demandes de restitution sur la base de la renonciation
contenue au paragraphe 4 de l’article 77 du traité de paix de 1947; cf. également contre-
mémoire de l’Italie (22 décembre 2009), p. 108-109, par. 5.56.
164Observations écrites de l’Italie..., op. cit. supra note 53, p. 21-22, par. 55.

86 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ’ÉTAT (OP. DISS.CANÇADO TRINDADE ) 393

réexaminées, et que les nouvelles demandes de ressortissants italiens en
165
vertu de la loi fédérale d’indemnisation de 1953 et de la loi fédérale de
restitution seraient examinées sans se voir opposer d’objections sur la base
du paragraphe 4 de l’article 77 du traité de paix de 1947.
164. Le nouveau régime de réparation légal mis en place en vertu des

deux accords de 1961 — comme l’expliquait l’Allemagne elle-même dans
cet échange de lettres — ne se confond pas avec les régimes antérieurs
établis en 1947 en vertu du traité de paix et rendait le paragraphe 4
de l’article 77 du traité de paix de 1947 désuet. Une situation nouvelle

a pris naissance en 1961, ne présentant pas de continuité avec celle du
traité de paix de 1947. Cela est dû à plusieurs facteurs. Tout d’abord,
l’Allemagne n’était pas partie au traité de paix de 1947 conclu entre les
Puissances alliées et l’Italie. L’intention de ce traité de 1947 au domaine

vaste (qui fait partie de l’histoire contemporaine du monde) était d’assu-
rer un équilibre entre la volonté des Puissances alliées d’imposer un lourd
tribut à l’Allemagne et leur souci parallèle de ne pas compromettre leurs
chances de faire appel en temps utile au potentiel économique et à la sol-

vabilité de l’Allemagne. La question de la réparation avait été traitée
selon une approche fragmentaire, de façon indirecte, et son règlement
approprié avait été réservé à un stade ultérieur.
165. L’intention des deux accords de 1961 était tout à fait différente,

comme leurs titres l’indiquent et comme le confirme clairement leur
contenu (cf. supra), et leur conclusion constitue le point de départ d’une
situation nouvelle, une situation continue en ce qui concerne les réclama-
tions en matière de réparations de guerre, qui se poursuit actuellement.

Cette situation continue a commencé en 1961, au sujet de faits postérieurs
à l’entrée en vigueur de la convention européenne de 1957 pour le règle-
ment pacifique des différends et relevant donc pleinement de la compé-
tence ratione temporis de la Cour, ce qui permet à celle-ci de déclarer la

demande reconventionnelle «recevable comme telle». C’est ce que la
Cour aurait dû faire.
166. La présente ordonnance a elle-même désigné les ressortissants
italiens dont il s’agit en l’espèce par l’expression «certaines victimes

italiennes de violations sérieuses du droit humanitaire commises par
l’Allemagne nazie entre 1943 et 1945» (par. 26), c’est-à-dire des êtres
humains en chair et en os et doués d’une âme. Au cours des années
1950, plusieurs Etats commencèrent à s’engager dans des processus

politiques avec l’Allemagne en concluant des traités du type des deux
accords de 1961. L’Italie entama des négociations avec l’Allemagne qui
débouchèrent sur la conclusion de ces deux accords bilatéraux de 1961.
167. Ce fut la première initiative bilatérale qui aboutit en fin de compte

au règlement de certaines réclamations bilatérales pendantes portant sur

165Cette loi fut modifiée à plusieurs reprises; la loi fédérale d’indemnisation de 1965
(loi BEG finale) est toujours en vigueur. Cf. contre-mémoire de l’Italie (22 décembre
2009), annexes 5 et 6.

87 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ÉTAT OP .DISS.CANÇADO TRINDADE ) 394

des réparations à raison de crimes de guerre. Peu après, dans le cadre de
l’échange de lettres susmentionné ayant suivi la conclusion du traité
d’indemnisation de 1961, l’Allemagne interpréta la clause de renonciation
et déclara expressément qu’elle n’était pas applicable (cf. supra). Les

accords de 1961 sont ceux auxquels tant l’Allemagne que l’Italie sont
parties, et la Cour ne saurait dès lors «lier» (et encore moins «inextrica-
blement»!) la situation des réclamations des ressortissants italiens por-
tant sur des réparations de guerre en question à celle créée entre l’Italie et
les Puissances alliées (et non l’Allemagne). Or cela n’est pas tout.

168. Qu’il me soit également permis de rappeler que la conception de
l’Allemagne au sujet de la clause de renonciation contenue au paragra-
phe 4 de l’article 77 du traité de paix de 1947 fut clarifiée une seconde fois
en 1962. Le Gouvernement fédéral donna pour instruction aux autorités
compétentes allemandes, le 30 mai 1962, de ne pas opposer d’objections

basées sur le paragraphe 4 de l’article 77 du traité de paix de 1947 aux
demandes de restitution, à cause de la nature particulière des créances de
réparation à raison des mesures de persécution nazies (cf. supra). Contrai-
rement à ce qu’estime la majorité de la Cour, le «régime» du traité de

paix de 1947 ne fut pas «continué» ou parachevé par les accords de 1961,
mais fut tout simplement remplacé. Le paragraphe 4 de l’article 77 du
traité de paix de 1947 était tombé en désuétude et n’était plus applicable.
169. Le rapport entre le traité de paix de 1947 et les deux accords de
1961 ne saurait être analysé comme une relation de continuité. Il n’existe

entre eux qu’un lien de causalité historique, qui n’a pas pour effet
d’exclure la compétence ratione temporis de la Cour à l’égard de la
demande reconventionnelle de l’Italie. Comme je l’ai précédemment
observé, le différend international en matière de réparations possède sa
dynamique propre et le contentieux international offre de nos jours de

nombreux exemples en ce sens. Au vu de cela, il n’est pas nécessaire que
la Cour «apprécie» (pour reprendre les termes de l’ordonnance) la portée
et l’effet de la renonciation contenue au paragraphe 4 de l’article 77 du
traité de paix de 1947 afin de décider si la demande reconventionnelle

relève de sa compétence.
170. C’est en tout cas l’Allemagne elle-même qui a procédé à cette
«appréciation», déjà en 1961 et 1962, en privant la clause de renonciation
de sa raison d’être. Dans son ordonnance, la Cour cherche à établir un
«lien inextricable» (n’existant que dans son imagination) entre la renon-

ciation de 1947, tombée en désuétude, et la situation juridique des vic-
times italiennes concernées, afin de conclure que le présent différend porte
sur des faits ou situations antérieurs à 1961 pour se déclarer incompétente
ratione temporis. Or la position de l’Allemagne au sujet de cette clause de

renonciation ne fut établie qu’en 1961, et non avant, et tendait à priver
d’effet la clause de renonciation en question.
171. L’Allemagne reconnaissait que la renonciation contenue au para-
graphe 4 de l’article 77 du traité de paix de 1947 ne produisait plus aucun
effet. Les demandes (d’indemnisation) qui avaient auparavant été rejetées

au cours des années 1950 sur le fondement du paragraphe 4 de l’article 77

88 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ’ÉTAT OP .DISS. CANÇADO TRINDADE ) 395

seraient réexaminées, et les nouvelles demandes (de ressortissants italiens)

en vertu de la loi fédérale d’indemnisation de 1953 et de la loi fédérale de
restitution seraient examinées sans se voir opposer d’objections tirées du
paragraphe 4 de l’article 77 du traité de paix de 1947. La position de

l’Allemagne révélait que celle-ci était convaincue, sur le plan juridique,
que la prétendue renonciation de 1947 concernant les revendications diri-
gées contre elle ne devrait plus produire d’effets de droit car elle était
tombée en désuétude. L’Allemagne laissait entendre qu’elle ne s’estimait

pas tenue par la clause de renonciation de 1947. Sa pratique ultérieure, à
savoir l’échange de lettres susmentionné et le mémorandum (Denk-
schrift) du 30 mai 1962, affectait directement la clause de renonciation
du traité de paix de 1947.

172. Une nouvellesituation continuea donc pris naissance en 1961, en ce
qui concerne les revendications portant sur des réparations de guerre, qui
s’est prolongée jusqu’à la mise en place en 2000 de la fondation «Mémoire,
responsabilité et avenir» et se poursuit depuis ce moment-là jusqu’à présent.
166
C’est en réalité ce que l’Italie a déclaré devant la Cour, en ajoutant que,
«puisque l’Allemagne a[vait] toujours reconnu sa responsabilité inter-

nationale découlant du comportement du Reich allemand, ... le pré-
sent différend n’[étai]t pas né du comportement illicite des autorités
allemandes au cours de la seconde guerre mondiale ... [i]l ne consti-
167
tu[ait] pas l’origine ni la cause réelle du présent différend» .
Le point de départ de ce dernier remonte à un moment sensiblement pos-

térieur, à savoir la conclusion des deux accords de 1961 entre l’Allemagne
et l’Italie.
173. En outre, à mon grand regret, la décision prise par la Cour dans
la présente ordonnance semble davantage à l’écoute de la sensibilité des

Etats que de celle des êtres humains victimes qui furent déportés et
astreints au travail forcé. Or, il n’est pas rare que les Etats semblent
encore plus sensibles que les êtres humains et il est dès lors peu probable
qu’ils seront satisfaits en tout état de cause, ce qui ne vient pas à l’appui

de la position de la Cour. La recherche obstinée par celle-ci de la volonté
des Etats avant toute chose mérite également, à mon avis, d’être vivement
déplorée. La décision qu’elle a prise dans la présente ordonnance n’est
toutefois pas tenable, à mon avis, même dans le cadre de son optique

volontariste. L’Allemagne elle-même avait tenu à montrer, par sa nou-
velle position (à compter de 1961) concernant la renonciation de 1947,
qu’essayer de construire un raisonnement juridique sur une renonciation

de ce genre équivalait à construire un château sur du sable.
174. Après tout, la conscience humaine est supérieure à la volonté.
Guidées par cette conscience, les Parties au différend, à savoir l’Alle-
magne et l’Italie, sont convenues de porter le présent différend (demande

initiale et demande reconventionnelle) devant la Cour. Par la demande

166
167Observations écrites de l’Italie..., op. cit. supra note 53, p. 9-10, par. 21.
Ibid., p. 9, par. 20.

89 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ’ÉTAT (OP. DIS. CANÇADO TRINDADE ) 396

originaire et la demande reconventionnelle, l’Italie et l’Allemagne ont de
façon louable fourni à la Cour l’occasion unique de statuer sur une ques-
tion — celle de l’immunité des Etats en relation avec les créances de répa-
ration à raison de crimes de guerre — qui revêt une importance cruciale

pour l’état actuel et futur du droit des gens (le jus gentium). La Cour a
malheureusement laissé passer cette occasion unique, pour des raisons
qui m’échappent.
175. La présente affaire des Immunités juridictionnelles de l’Etat ne
concerne pas les immunités de l’Etat in abstracto ou de façon isolée, mais

porte sur l’immunité de l’Etat en connexité directe avec les réparations à
raison des crimes de guerre. Les arguments des Parties, exposés au cours
de la phase écrite ayant précédé la présente ordonnance de la CIJ, ne lais-
sent à mon avis subsister aucun doute quant à l’existence d’une connexité
directe entre la demande originaire de l’Allemagne et la demande recon-

ventionnelle de l’Italie, conformément au paragraphe 1 de l’article 80 du
Règlement de la Cour. Cette connexité directe existe inévitablement.
176. Pour ce qui est de la condition concernant la compétence, les
conclusions des Parties, aussi bien celles de l’Allemagne concernant les

immunités de l’Etat que celles de l’Italie concernant les revendications
liées aux réparations de guerre, à partir des deux accords de 1961, relè-
vent à mon avis manifestement de la compétence ratione temporis de la
Cour, en vertu de l’alinéa a) de l’article 27 de la convention européenne
de 1957 pour le règlement pacifique des différends. Toute affirmation

contraire devrait être prouvée; or je n’ai point trouvé une telle démons-
tration dans la présente ordonnance de la Cour.
177. Le fait que, par la présente ordonnance, la Cour a décliné sa com-
pétence ratione temporis et a déclaré la demande reconventionnelle «irre-
cevable comme telle» ne signifie pas qu’elle ne soit réellement pas com-

pétente pour en connaître. Bien que la majorité de la Cour ait statué en ce
sens, il existe, data venia, des arguments convaincants militant en faveur
du contraire. Il s’ensuit que c’est la conception du droit international à
laquelle la majorité de la Cour a adhéré dans la présente ordonnance qui

l’a amenée à sa conclusion. Elle ne correspond pas à ma conception, qui
va bien au-delà de la stricte perspective interétatique pour toucher les
titulaires ultimes des droits, les êtres humains, confrontés à la renoncia-
tion à leurs créances concernant la réparation des violations graves de
leurs droits par les Etats censés les protéger, et non les opprimer.

178. Les Etats sont libres de renoncer à des revendications portant sur
leurs propres droits. Mais ils ne sauraient renoncer aux revendications
portant sur la réparation de violations graves de droits qui ne sont pas les
leurs, de droits qui sont inhérents à la personne humaine. Toute préten-

due renonciation en ce sens est contraire à l’ordre public international et
constitue une violation du jus cogens. Cette perspective plus large, dans le
cadre d’une échelle de valeurs supérieure, est conforme à la vision des
«pères fondateurs» du droit des gens (le jus gentium), ainsi qu’à ce qui
représente à mon avis le courant le plus lucide de la pensée internationa-

liste contemporaine.

90 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ’ÉTAT (OP.DISS. CANÇADO TRINDADE ) 397

179. On ne saurait bâtir (et tenter de maintenir) un ordre juridique
international sur la souffrance d’êtres humains, sur le silence des inno-

cents voués à l’oubli. A l’époque où des civils furent déportés en masse et
furent envoyés au travail forcé au cours des deux guerres mondiales (en
1916-1918 et en 1943-1945) du XX siècle (et non pas uniquement pen-

dant la seconde guerre mondiale), nul n’ignorait qu’il s’agissait là d’un
acte illicite, d’une atrocité, d’une violation grave des droits de l’homme et
du droit international humanitaire, qui finit par être reconnu comme un

crime de guerre et un crime contre l’humanité. La conscience, supérieure
à la volonté, fait progresser le droit, dont elle est la source matérielle
ultime, en éliminant l’injustice manifeste.

(Signé) Antônio Augusto C ANÇADO T RINDADE .

91

Bilingual Content

329

DISSENTING OPINION

OF JUDGE CANÇADO TRINDADE

TABLE OF CONTENTS
Paragraphs

I. P ROLEGOMENA 1-3

II. THE EMERGENCE OF COUNTER-CLAIMS ININTERNATIONALL EGAL
PROCEDURE 4-9

III. HE RATIONALE OFC OUNTER-CLAIMS ININTERNATIONALL EGAL
PROCEDURE 10-19

1. Prerequisites 12-14
2. Other characteristics and effects 15-19

IV. THEQ UESTION OF THA DMISSIBILITY COUNTER-CLAIMS IN THE

CASEL AW OF THEICJ 20-27

V. T HE QUESTION OF THEADMISSIBILITY OF TCOUNTER-C LAIM IN
THEPRESENT CASE 28-30

VI. THE FACTUAL COMPLEX OF THE PRESENTC ASE AND THEA RGU-
MENTS OF THC ONTENDINGP ARTIES 31-59

1. The 2008 Joint Declaration of Italy and Germany 32-35

2. The Parties’ arguments on the counter-claim 36-59

(a) The scope of the dispute 36-42

(b) The substance of the dispute 43-54
(c) The debate on the notion of “continuing situation”55-59

VII. THE ORIGINS OF A“CONTINUING SITUATIO” ININTERNATIONAL
LEGALD OCTRINE 60-64

VIII. THE CONFIGURATION OF “C ONTINUINGSITUATIO” ININTERNA-
TIONALLITIGATION ANC ASELAW 65-83

1. In public international law 66-72
2. In the international law of human rights 73-83

IX. THE CONFIGURATION OF “C ONTINUINGSITUATIO” ININTERNA-
TIONALLEGAL CONCEPTUALIZATION AN ORMATIVELEVEL 84-91

X. T HE “CONTINUINGSITUATIO” IN THEPRESENTC ASE 92-94

XI. THE SCOPE OF THPRESENT DISPUTE BEFORE THCOURT 95-100

23 329

OPINION DISSIDENTE
DE M. LE JUGE CANÇADO TRINDADE

[Traduction]

TABLE DES MATIÈRES
Paragraphes

I. P ROLÉGOMÈNES 1-3

II. LA GENÈSE DES DEMANDES RECONVENTIONNELLES EN PROCÉDURE
INTERNATIONALE 4-9

III. LA RAISON DÊTRE DES DEMANDES RECONVENTIONNELLES EN PROCÉ -
DURE INTERNATIONALE 10-19

1. Conditions 12-14
2. Autres caractéristiques et effets 15-19

IV. L A QUESTION DE LA RECEVABILITÉ DES DEMANDES RECONVENTION -
NELLES SELON LA JURISPRUDENCE DE LA CIJ 20-27

V. L A QUESTION DE LA RECEVABILITÉ DE LA DEMANDE RECONVENTION -
NELLE EN L’ESPÈCE 28-30

VI. L’ENSEMBLE FACTUEL COMPLEXE EN L ’ESPÈCE ET LES ARGUMENTS
DES PARTIES 31-59

1. La déclaration conjointe de 2008 des Gouvernements italien
et allemand 32-35

2. Les arguments des Parties concernant la demande reconven-
tionnelle 36-59

a) L’étendue du différend 36-42
b) Le fond du différend 43-54
c) La controverse sur la notion de «situation continue» 55-59

VII. L ES ORIGINES DE LA « SITUATION CONTINUE » DANS LA DOCTRINE
INTERNATIONALISTE 60-64

VIII. L A FORMATION ET LES ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS DE LA «SITUATION
CONTINUE » DANS LE CADRE DU CONTENTIEUX ET DE LA JURISPRU -
DENCE INTERNATIONAUX 65-83

1. En droit international public 66-72
2. En droit international des droits de l’homme 73-83

IX. L A FORMATION ET LES ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS DE LA «SITUATION

CONTINUE » COMME CONCEPT DE DROIT INTERNATIONAL AU NIVEAU
NORMATIF 84-91

X. L A «SITUATION CONTINUE » EN LESPÈCE 92-94

XI. L’ÉTENDUE DU PRÉSENT DIFFÉREND SOUMIS À LA C OUR 95-100

23330 JURISDICTIONAL IMMUNITIES OF THE STAT(DIS. OP.CANÇADO TRINDADE )

XII. THE TRUE B EARERS(T ITULAIRE)OF THE O RIGINALLYVIOLATED
RIGHTS AND THEP ITFALLS OSTATE VOLUNTARISM 101-123

1. The “real cause” of the present dispute 102-105
2. Inconsistencies of State practice 106-111
3. No lip service to State voluntarism 112-123

XIII. THE INCIDENCE OFJUSC OGENS:P URPORTEDW AIVER OFV INDIC-
TION OFRIGHTS NHERENT TO THE HUMAN PERSON BEING DEVOID
OFJURIDICAL EFFECTS 124-153

1. Conventional international law 126-135

(a) International humanitarian law 126-129
(b) International labour Conventions 130-133
(c) International law of human rights 134-135

2. General international law 136-139
3. The incidence of jus cogens, in the light of the submissions

of the contending Parties 140-153

XIV. C ONCLUSIONS 154-179

24 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ’ÉTAT (OP. DISS.CANÇADO TRINDADE ) 330

XII. L ES VÉRITABLES TITULAIRES DES DROITS INITIALEMENT VIOLÉS ET LES
ÉCUEILS DU VOLONTARISME ÉTATIQUE 101-123

1. La «cause réelle» du présent différend 102-105
2. Les incohérences de la pratique des Etats 106-111
3. Il n’y a pas lieu de sacrifier au volontarisme étatique 112-123

XIII. L’ INCIDENCE DU JUS COGENS :LA PRÉTENDUE RENONCIATION À FAIRE
VALOIR LES DROITS INHÉRENTS À LA PERSONNE HUMAINE EST DÉPOUR -

VUE D’EFFETS JURIDIQUES 124-153
1. Droit international conventionnel 126-135

a) Droit international humanitaire 126-129
b) Conventions internationales du travail 130-133
c) Droit international des droits de l’homme 134-135

2. Droit international général 136-139
3. L’incidence du jus cogens à la lumière des arguments des
Parties 140-153

XIV. C ONCLUSIONS 154-179

24331 JURISDICTIONAL IMMUNITIES OF THE STATE (DISS.OP .CANÇADO TRINDADE )

I. PROLEGOMENA

1. I regret not to be able to follow the Court’s majority in the decision
which the Court has just adopted in the present Order, in the case con-

cerning Jurisdictional Immunities of the State (Germany v. Italy) (origi-
nal claim and counter-claim). I care to leave on the records the founda-
tions of my dissenting position, in view of the considerable importance
that I attach to the issues raised by both Italy and Germany in the cas
d’espèce, bearing in mind not only the settlement of the dispute at issue

(in respect of the counter-claim), but also the need to clarify a matter (in
order to say what the law is — juris dictio) which I regard as of the
utmost importance for the present state as well as the progressive develop-
ment of the law of nations (the jus gentium). I thus present with care the
foundations of my dissenting position on the matter dealt with by the

Court in the Order which it has just adopted, out of respect for, and zeal
in, the exercise of the international judicial function, guided above all by
the ultimate goal of the realization of justice.

2. To that effect, I shall dwell on all the aspects concerning the issue
brought before the Court which form the object of the present Order of
the Court. My first line of consideration concerns the emergence and
rationale of counter-claims in international legal procedure, including
their prerequisites, other characteristics and effects. I shall next turn to

the question of the admissibility of counter-claims in the case law of the
International Court of Justice (ICJ), and the question of the admissibility
of the Italian counter-claim in the present case. After examining, in
sequence, the factual complex of the present case and the arguments sub-
mitted by Germany and Italy, I shall turn to my following line of con-

sideration concerning the notion of a “continuing situation”: its origins
in international legal doctrine, its configuration in international litigation
and case law (in public international law and in international law of
human rights), as well as in international legal conceptualization at nor-

mative level.

3. The way will thus be paved for a consideration of that notion in the
present case, as well as of the scope of the present dispute lodged with
the Court. Next, I shall turn to my remaining line of considerations, on
the following points: (a) the true bearers (titulaires) of the originally

violated rights and the pitfalls of State voluntarism (the identification of
the “real cause” of the present dispute, the inconsistencies of State practice,
and the need to avoid paying lip service to State voluntarism); (b) the
incidence of jus cogens : waiver of vindication of rights inherent to the
human person being devoid of juridical effects. I shall consider this last

point in the light of both conventional international law (international

25 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ’ÉTAT (OP. DIS. CANÇADO TRINDADE ) 331

I. PROLÉGOMÈNES

1. J’ai le regret de ne pas pouvoir me rallier à la décision prise par la
majorité de la Cour dans la présente ordonnance en l’affaire des Immu-

nités juridictionnelles de l’Etat (Allemagne c. Italie) (demande originaire
et demande reconventionnelle). Je tiens à faire figurer au dossier les
motifs de mon opinion dissidente, à cause de l’importance considérable
que j’attache aux questions soulevées tant par l’Italie que par l’Allemagne
en l’espèce, en ayant à l’esprit non seulement le règlement du différend en

cause (pour ce qui est de la demande reconventionnelle) mais également
la nécessité de clarifier une question (en vue de dire le droit — juris dictio)
qui, à mon avis, revêt une importance cruciale tant pour l’état actuel du
droit des gens que pour son évolution progressive. J’exposerai donc avec
le plus grand soin les motifs de mon opinion dissidente sur la question

examinée par la Cour dans l’ordonnance qui vient d’être adoptée, par res-
pect envers la fonction juridictionnelle internationale à laquelle je suis
très attaché et guidé avant tout par l’objectif ultime de la réalisation de la
justice.

2. Je me pencherai à cette fin sur tous les aspects de la question
soulevée devant la Cour qui fait l’objet de la présente ordonnance.
La première série de considérations porte sur la genèse et la raison
d’être des demandes reconventionnelles en procédure internationale,
y compris les conditions qu’elles doivent remplir, leurs autres carac-

téristiques et leurs effets. Je passerai ensuite à la question de la
recevabilité des demandes reconventionnelles selon la jurisprudence
de la Cour internationale de Justice (ci-après «CIJ») et à la question
de la recevabilité de la demande reconventionnelle de l’Italie en
l’espèce. Après avoir examiné successivement l’ ensemble factuel

complexe dans la présente affaire et les arguments avancés par
l’Allemagne et par l’Italie, je passerai à la deuxième série de consi-
dérations, portant sur la notion de «situation continue», pour
analyser l’origine de cette notion dans la doctrine internationaliste,

sa formation et ses éléments constitutifs dans le cadre du contentieux
et de la jurisprudence internationaux (aussi bien en droit interna-
tional public qu’en droit international des droits de l’homme), ainsi
que sa consécration comme concept de droit international au niveau
normatif.

3. Les jalons seront ainsi posés en vue de l’étude de cette notion en
l’espèce et en vue de l’examen de l’étendue du présent différend porté
devant la Cour. Je passerai ensuite à la dernière série de considéra-
tions, touchant les questions suivantes: a) les véritables titulaires des

droits initialement violés et les écueils du volontarisme étatique (la
détermination de la «cause réelle» du présent différend, les incohérences
de la pratique étatique et la nécessité de ne pas sacrifier au volon-
tarisme étatique); b) l’incidence du jus cogens : la renonciation à faire
valoir des droits inhérents à la personne humaine est dépourvue

d’effets juridiques. J’examinerai ce dernier point aussi bien sur le plan

25332 JURISDICTIONAL IMMUNITIES OF THE STATE (DIS. OP. CANÇADO TRINDADE )

humanitarian law, international labour Conventions, and the interna-

tional law of human rights) and general international law, and assess the
incidence of jus cogens in the light of the submissions of the contending
Parties. The way will then be paved, last but not least, for the presenta-

tion of my conclusions.

II. THE E MERGENCE OF C OUNTER -C LAIMS IN INTERNATIONAL L EGAL

PROCEDURE

4. Counter-claims are a juridical institute historically transposed from
domestic procedural law into international procedural law. Another

example of a transp1sition of the kind is afforded by provisional meas-
ures of protection . But unlike these latter, counter-claims have not
receivedsufficientattentionfromexpertwritingtodate.Althoughcounter-

claims were never set forth in the Statute of The Hague Court (PCIJ and
ICJ), they were promptly provided for in the first Rules of Court (of 1922,
of the old Permanent Court of International Justice [PCIJ], Article 40),
and remained unchanged in the revised Rules of 1926 and 1931.

5. In the early days of the PCIJ, the institute of counter-claims
appeared to be surrounded by hesitations and uncertainties , which
began to dissipate gradually with the Court’s practice on the matter. In

the Factory at Chorzów (Germany v. Poland) case (1928), for example,
the PCIJ had the occasion to pronounce such counter-claims, stressing
their need to be “juridically connected” (P.C.I.J., Series A, No. 17 ,p.38)

to the original claim. In the years that followed, the Hague Court showed
increasing preparedness to dwell further on the matter.

6. The next revised Rules of Court, of 1936, looked in fact more

closely at counter-claims, which became regulated by the new Article 63.
Emphasis was put on the requisites that a counter-claim was to fall
under the jurisdiction of the PCIJ, and was to be presented in the
Counter-Memorial, guarding a “direct connection” with the subject

of the original claim. Such early developments were regarded as
having been influenced, e.g., by an article by Judge Dionisio Anzilotti,
of the PCIJ, on “La riconvenzione nella procedura internazionale” ,

1
As I pointed out in my dissenting opinion in the case concerning Questions relating to
the Obligation to Prosecute or to Extradite (Belgium v. Senegal), Provisional Measures,
Order of 28 May 2009, I.C.J. Reports 2009 , pp. 165-200.
2Cf., e.g., the account by G. Guyomar, Commentaire du Règlement de la Cour Inter-
nationale de Justice — Interprétation et pratique , Paris, Pedone, 1973, pp. 372-377.

26 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ÉTAT OP .DISS. CANÇADO TRINDADE ) 332

du droit international conventionnel (droit international humanitaire,
conventions internationales du travail et droit international des droits
de l’homme) que sur celui du droit international général, et analyserai

l’incidence du jus cogens à la lumière des arguments des Parties.
Enfin, mais non par ordre d’importance, je serai en mesure de formu-
ler mes conclusions.

II. L A GENÈSE DES DEMANDES RECONVENTIONNELLES EN PROCÉDURE
INTERNATIONALE

4. D’un point de vue historique, l’institution juridique des demandes

reconventionnelles en droit procédural international constitue un emprunt
au droit procédural interne. On trouve un autre exemple d’une transposi-
tion de ce genre dans l’institution des mesures conservatoires .Or,àa l
différence de ces dernières, les demandes reconventionnelles n’ont, à ce

jour, pas suffisamment retenu l’intérêt de la doctrine. Bien que n’ayant
jamais figuré dans le Statut de la Cour de La Haye (ni celui de la CPJI, ni
celui de la CIJ), les demandes reconventionnelles ne tardèrent pas à appa-

raître dans le premier Règlement de la Cour (article 40 du Règlement de
l’ancienne Cour permanente de Justice internationale [CPJI], datant de
1922) et ne furent pas affectées par les révisions dudit Règlement en 1926
et 1931.

5. Au cours des premières années d’existence de la CPJI, l’institution
de la demande reconventionnelle semblait entourée d’hésitations et
d’incertitudes 2 qui commencèrent à se dissiper progressivement au fur

et à mesure de l’évolution de la jurisprudence de la Cour en la matière.
Dans l’affaire de l’Usine de Chorzów (Allemagne c. Pologne, 1928), par
exemple, la CPJI eut l’occasion de statuer sur de telles demandes recon-

ventionnelles, en insistant sur le «rapport de connexité juridique»
qu’elles devaient entretenir avec la demande principale ( C.P.J.I. série A
n° 17, p. 38). Au cours des années suivantes, la Cour de La Haye se
montra de plus en plus disposée à consacrer davantage d’attention à

cette question.
6. Dans sa version révisée de 1936, le Règlement de la Cour perma-
nente s’occupait effectivement de plus près des demandes reconven-

tionnelles, qui étaient désormais régies par son nouvel article 63. L’ac-
cent était placé sur les conditions qu’une demande reconventionnelle
devait remplir pour relever de la compétence de la CPJI. Elle devait
notamment être présentée dans le contre-mémoire, en conservant

une «connexité directe» avec l’objet de la demande principale.
On estimait que ces premiers développements avaient été influencés, par

1 Comme je l’ai souligné dans mon opinion dissidente en l’affaire relative à des Ques-
tions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal), mesures
conservatoires, ordonnance du 28 mai 2009, C.I.J. Recueil 2009 , p. 165-200.
2 Cf., par exemple, l’exposé de G. Guyomar, Commentaire du Règlement de la Cour
internationale de Justice — Interprétation et pratique , Paris, Pedone, 1973, p. 372-377.

26333 JURISDICTIONAL IMMUNITIES OF THE STATE (DISS. OP. CANÇADO TRINDADE )

3
published in the late 1920s . In 1930 he republished it in French (one of
the two official languages of the Court), shedding some light into the
rationale of counter-claims (cf. infra).

7. The next steps were taken by the International Court of Justice

(ICJ), which slightly amended the phrasing of Article 63 of the Rules of
Court in 1946, and, four years later, pronounced on the matter in the
(right of) Asylum case (Colombia/Peru), drawing attention to the require-
ment of “connexité directe” (Judgment, I.C.J. Reports 1950 , pp. 279-280)

between the counter-claim and the original claim (cf. infra). In the 1978
revised Rules of Court, the provision on counter-claims was renumbered
as Article 80, under “Proceedings in Contentious Cases — Incidental
4
Proceedings” .

8. That provision, as amended on 5 December 2000, and in force as
from 1 February 2001, reads today as follows:

“1. The Court may entertain a counter-claim only if it comes
within the jurisdiction of the Court and is directly connected with
the subject-matter of the claim of the other party.

2. A counter-claim shall be made in the Counter-Memorial and
shall appear as part of the submissions contained therein. The right
of the other party to present its views in writing on the counter-
claim, in an additional pleading, shall be preserved, irrespective of

any decision of the Court, in accordance with Article 45 (2) of these
Rules, concerning the filing of further written pleadings.

3. Where an objection is raised concerning the application of

paragraph 1 or whenever the Court deems necessary, the Court shall
take its decision thereon after hearing the parties.”

9. Both in its present (2000) version and in its prior (1978) drafting,

the ICJ had the occasion to apply Article 80 in a few cases (cf. infra),
notably in the case concerning the Application of the Convention on the
Prevention and Punishment of the Crime of Genocide (Bosnia and Herze-
govina v. Yugoslavia), Order of 17 December 1997, in the case of the Oil

Platforms (Islamic Republic of Iran v. United States of America) , Order
of 10 March 1998, in the case of the Land and Maritime Boundary
between Cameroon and Nigeria (Cameroon v. Nigeria), Order of 30 June

3 Originally in Scritti della Facoltà Giuridica di Roma in Onore di A. Salandra (1928),
pp. 341 et seq., and in Rivista di Diritto Internazionale , 1929, Vol. 21, pp. 309 et seq.

4 Part III, section D; and no longer presented solely in “Incidental Proceedings” insti-
tuted only by unilateral applications.

27 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ’ÉTAT (OP. DISS.CANÇADO TRINDADE ) 333

exemple, par un article de Dionisio Anzilotti, juge à la CPJI, intitulé
La riconvenzione nella procedura internazionale , publié à la fin des
années 1920 . En 1930, Anzilotti publia ce même article en français

(l’une des deux langues officielles de la Cour), ce qui apporta quelque
lumière sur la raison d’être des demandes reconventionnelles
(cf. infra).
7. Les étapes suivantes furent l’Œuvre de la Cour internationale de Jus-

tice (CIJ), qui modifia légèrement le libellé de l’article 63 du Règlement
en 1946 et, quatre ans plus tard, statua en la matière dans l’affaire
du Droit d’asile (Colombie/Pérou) , en attirant l’attention sur la condi-
tion de la «connexité directe» ( arrêt, C.I.J. Recueil 1950 , p. 279-280)

entre la demande reconventionnelle et la demande initiale (cf. infra).
Dans la version révisée du Règlement de 1978, la disposition concer-
nant les demandes reconventionnelles devint, après renumérotation,

l’article 80, dans l4 section intitulée «Procédure contentieuse — Procé-
dures incidentes» .
8. Cette disposition, dans sa version modifiée du 5 décembre 2000 qui
est en vigueur depuis le 1 er février 2001, se lit actuellement comme suit:

«1. La Cour ne peut connaître d’une demande reconventionnelle
que si celle-ci relève de sa compétence et est en connexité directe avec
l’objet de la demande de la partie adverse.

2. La demande reconventionnelle est présentée dans le contre-
mémoire et figure parmi les conclusions contenues dans celui-ci. Le
droit qu’a l’autre partie d’exprimer ses vues par écrit sur la demande
reconventionnelle dans une pièce de procédure additionnelle est pré-

servé, indépendamment de toute décision prise par la Cour, confor-
mément au paragraphe 2 de l’article 45 du présent Règlement, quant
au dépôt de nouvelles pièces de procédure.
3. En cas d’objection relative à l’application du paragraphe 1 ou à

tout moment lorsque la Cour le considère nécessaire, la Cour prend
sa décision à cet égard après avoir entendu les parties.»

9. La CIJ n’a eu que rarement l’occasion d’appliquer l’article 80 — tant

dans la version actuelle (de 2000) que dans sa version antérieure (de
1978) — (cf. infra), notamment dans l’affaire relative à l’ Application de
la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie) , ordonnance du 17 décembre 1997;

dans celle des Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c.
Etats-Unis d’Amérique) , ordonnance du 10 mars 1998; dans l’affaire
de la Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria

3 A l’origine dans Scritti della Facoltà Giuridica di Roma in Onore di A. Salandra
(1928), p. 341 et suiv., ainsi que dans la Rivista di Diritto Internazionale , vol. 21, 1929,
p. 309 et suiv.
4 Elle figure désormais dans la section D de la partie III, et non plus seulement dans
le titre consacré aux «Procédures incidentes» introduites uniquement par requête uni-

latérale.

27334 JURISDICTIONAL IMMUNITIES OF THE STATE DISS. OP.CANÇADO TRINDADE )

1999, and in the case of Armed Activities on the Territory of the Congo
(Democratic Republic of the Congo v. Uganda), Order of 29 November
2001. And the ICJ has now, one decade later, another occasion to apply

Article 80 (on counter-claims) of its Rules, in the current and pending
case concerning Jurisdictional Immunities of the State (Germany v.
Italy).

III. THE R ATIONALE OF C OUNTER -C LAIMS IN NTERNATIONAL
L EGAL PROCEDURE

10. Yet, well before this jurisprudential construction or development,

the rationale of counter-claims was gradually identified and clarified by
international legal doctrine. Thus, in his aforementioned article, D. Anzi-
lotti pondered that

“(. . .) once the system of unilateral application had been accepted,

which allows the Applicant to establish the limits of the dispute as it
sees fit, it was only natural that the Respondent be given the means
to claim, in the same proceedings, that which is owed to it by the
5
Applicant for a reason related to the dispute already pending” .
[Translation by the Registry.]

11. Underlying this outlook was the concern to ensure that the con-

tending parties shared identity in the process. As pointed out by Raoul
Genet still in the 1930s, “the Respondent in the initiated proceedings
becomes the Applicant”: reus in excipiendo fit actor , “the original Appli-

cant falls back into the role of counter-claim Respondent”. A new front
of litigation is opened before the same jurisdiction, “but the parties
remain precisely the same”. These latter conduct an enlarged debate

before the same tribunal, which is to settle the dispute opposing the same
adversaries “on what is virtually one and the same issue” . And R. Genet
considered that it was particularly necessary

“that the counter-claim should be in the nature of an act having seri-

ous intent, that is to say, (1) that it serve as a defence against the
principal action; (2) that its purpose is to neutralize either the claim
itself or the legal grounds on which the claim is based. These two
7
features are also reflected in the concerns of the Court.” [Transla-
tions by the Registry.]

5D. Anzilotti, “La demande reconventionnelle en procédure internationale”, 57 Jour-
nal du droit international — Clunet (1930), p. 870.
6R. Genet, “Les demandes reconventionnelles et la procédure de la Cour Permanente

de Justice Internationale”, 19 Revue de droit international et de législation comparée
(1738), p. 148.
Ibid., p. 175.

28 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ÉTAT (OP.DISS. CANÇADO TRINDADE ) 334

(Cameroun c. Nigéria), ordonnance du 30 juin 1999; et dans celle des
Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique
du Congo c. Ouganda), ordonnance du 29 novembre 2001. Une décennie

plus tard, la CIJ a maintenant de nouveau l’occasion d’appliquer l’arti-
cle 80 de son Règlement (relatif aux demandes reconventionnelles)
dans l’affaire en cours relative aux Immunités juridictionnelles de l’Etat
(Allemagne c. Italie).

III. LA RAISON D ’ÊTRE DES DEMANDES RECONVENTIONNELLES
EN PROCÉDURE INTERNATIONALE

10. Néanmoins, bien avant cette construction ou évolution préto-

rienne, la raison d’être des demandes reconventionnelles avait progressi-
vement été cernée et clarifiée par la doctrine internationaliste. Ainsi, dans
son article susmentionné, D. Anzilotti relevait:

«une fois admis le système de la requête unilatérale, qui permet

au demandeur d’établir, selon ses propres convenances, les limites
de la contestation, il était naturel que l’on accordât au défendeur
le moyen de demander, dans la même instance, ce qui lui est dû

par le demandeur pour un motif connexe avec la controverse déjà
pendante» . 5

11. A l’origine de cette logique se trouvait la préoccupation d’assurer

l’identité des parties au procès. Comme le relevait Raoul Genet, toujours
dans les années 1930, «le défendeur au procès commencé se mue en
demandeur»: reus in excipiendo fit actor , «le demandeur initial descend

au rôle de défendeur reconventionnel». Un nouveau litige s’ouvre devant
la même juridiction, «avec une parfaite identité dans les comparants».
On assiste à un élargissement des débats devant la même juridiction, qui

doit trancher le litige opposant les mêmes adversaires «sur un problème
quasi unitaire» . De même, d’après R. Genet, il est particulièrement
nécessaire

«que la demande reconventionnelle ait le caractère d’une action

réfléchie, c’est-à-dire: 1) qu’elle serve de défense contre l’action prin-
cipale; 2) qu’elle tende à neutraliser soit la demande elle-même, soit
les mobiles juridiques sur lesquels elle repose. Ces deux traits, nous
7
les trouvons également traduits dans les préoccupations de la Cour.»

5 D. Anzilotti, «La demande reconventionnelle en procédure internationale», Journal
du droit international — Clunet , vol. 57, 1930, p. 870.
6 R. Genet, «Les demandes reconventionnelles et la procédure de la Cour permanente

de Justice internationale», Revue de droit international et de législation comparée , vol. 19,
1978, p. 148.
Ibid., p. 175.

28335 JURISDICTIONAL IMMUNITIES OF THE STATE (DISS. OP. CANÇADO TRINDADE )

1. Prerequisites

12. Once the raison d’être of the counter-claim was identified, atten-
tion was turned to its prerequisites and other characteristics. As to the

former, it was beyond doubt that the first requirement had to do with
jurisdiction itself: the counter-claim had to come within the jurisdiction
of the Court concerned. And, secondly, there was the requirement of

direct connection, both in fact and in law: the counter-claim had to be
directly connected with the original claim of the contending party.

13. In an article published in 1975, Adolfo Miaja de la Muela observed
that the counter-claim was based upon “constitutive facts” somewhat dis-
tinct from those alleged by the complainant, almost always not raised by
this latter; yet, there was “the degree of connection” between them

required by the procedural system at issue. The counter-claim was
endowed with autonomy, though related to the original claim. Although
the qualification of the “connection” should be direct, it could not be
8
undertaken, he warned, on the basis of “aprioristic criteria” .

14. The Court should thus examine the circumstances of the cas
d’espèce, and the final qualification was at the discretion of the Court.

The “direct connection” between the original claim and the counter-claim
was thus to be assessed, both in fact and in law, with the needed flexibil-
ity, in the light of the circumstances of each case. This requisite did not
9
appear as one of mechanical application . Counter-claims, going much
further than defences, aimed at establishing — just like the original
claims and in the same process — State responsibility.

2. Other Characteristics and Effects

15. In addition to the aforementioned prerequisites, international legal
doctrine was soon to identify also certain characteristics and effects of
counter-claims. The counter-claim in a way enlarged the object of the
contentious case at issue, lodged with the Court by the original claim. It

thus widened the overview of the Court, as to both claims (the original
and the counter-claim), enabling it to decide them more consistently. The
counter-claim came thus to be regarded as a means of achieving more

consistency in the Court’s decision.

8 A. Miaja de la Muela, “La Reconvención ante el Tribunal Internacional de Justicia”,
8 Boletín Mexicano de Derecho Comparado (1975), No. 24, p. 757, and cf., pp. 751-753
and 760.
9 As early as in 1930, for his part, D. Anzilotti pointed out, in relation to the admissi-
bility of counter-claims, that “the jurisdiction of the Court is one condition for admissibil-
ity, but other conditions are undoubtedly necessary and . . . must be established through
interpretation” [translation by the Registry], D. Anzilotti, op. cit. supra note 5, p. 868.

29 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ’ÉTAT OP .DISS. CANÇADO TRINDADE ) 335

1. Conditions

12. Dès que la raison d’être de la demande reconventionnelle fut cer-
née, on se pencha sur ses conditions et ses autres caractéristiques. Quant

aux conditions, il ne faisait point de doute que la première d’entre elles
devait porter sur la compétence elle-même: la demande reconventionnelle
doit relever de la compétence de la juridiction concernée. La seconde

condition tenait à la connexité directe, en fait et en droit: la demande
reconventionnelle devait être en connexité directe avec la demande ini-
tiale de la partie adverse.

13. Dans un article publié en 1975, Adolfo Miaja de la Muela obser-
vait que la demande reconventionnelle était basée sur des «faits consti-
tutifs» qui différaient dans une certaine mesure de ceux allégués par le
demandeur, puisqu’ils n’étaient presque jamais invoqués par ce dernier.

Néanmoins, c’est du «degré de la connexité» exigée en vertu du système
procédural qu’il s’agissait. La demande reconventionnelle était auto-
nome, quoique liée à la demande initiale. Bien que la connexité dût être

directe, cette qualificat8on ne devait pas, avertissait-il, reposer sur des
«critères aprioristes» .
14. La Cour devrait donc examiner les circonstances du cas d’espèce
et la qualification définitive relevait de son pouvoir discrétionnaire. La

«connexité directe» entre la demande initiale et la demande reconven-
tionnelle devait donc être appréciée en fait et en droit, avec la souplesse
nécessaire, à la lumière des circonstances de chaque espèce. Cette pres-
9
cription n’apparaissait pas comme susceptible d’application mécanique .
Les demandes reconventionnelles, allant bien plus loin que les moyens de
défense, visaient à établir — de même que les demandes initiales et dans
le cadre de la même procédure — la responsabilité de l’Etat.

2. Autres caractéristiques et effets

15. En plus des conditions susmentionnées, la doctrine internationaliste
allait également bientôt cerner certains caractéristiques et effets des de-
mandes reconventionnelles. La demande reconventionnelleélargissait,
en quelque sorte, l’objet du différend en cause dont la Cour était saisie

par la demande initiale. Elle élargissait donc la vue d’ensemble de la Cour
quant aux deux demandes (la demande initiale et la demande reconvention-
nelle), en lui permettant de statuer sur elles d’une manière plus cohérente.

La demande reconventionnelle finit donc par être considérée comme un
moyen pour assurer davantage de cohérence dans la décision de la Cour.

8 A. Miaja de la Muela, «La Reconvención ante el Tribunal Internacional de Justicia»,
Boletín Mexicano de Derecho Comparado , vol. 8, 1975, n° 24, p. 757, et cf. p. 751-753 et
760.
9 Déjà en 1930, D. Anzilotti soulignait de son côté, en ce qui concerne la recevabilité
des demandes reconventionnelles, que «la compétence de la Cour [étai]t une condition de
recevabilité, mais d’autres conditions [étaie]nt nécessaires, sans doute, et ... elles d[evai]ent
être établies par voie d’interprétation»: D. Anzilotti, op. cit. supra note 5, p. 868.

29336 JURISDICTIONAL IMMUNITIES OF THE STATE (DISS. OP. CANÇADO TRINDADE )

16. The counter-claim — in the observation of Charles de Visscher in
the mid-1960s — enabled the Court to “rule on the reciprocal claims in

the course of the same proceedings, affording the Court an overview of
the parties’ respective legal positions” 10 [translation by the Registry] .
This is what happened, inter alia, as early as in the case of Diversion of

Water from the Meuse (the Netherlands v. Belgium, 1937), wherein the
PCIJ applied the requisite of the “direct connection” (cf. supra) between
the original claim and the counter-claim. In the perception of Raoul

Genet in the mid-1930s, “counter-claims (. . .) are by their very nature
aimed at neutralizing the principal action and (. . .) imply that the
Respondent has an equivalent and counter entitlement to that which the
11
Applicant may invoke” [translation by the Registry] .
17. Directly connected as they are, each of them maintains its identity.

The counter-claim has an autonomous nature, as opposed to defences.
The ICJ itself differentiated a counter-claim from a defence, in the United
States Diplomatic and Consular Staff in Tehran (Hostages) case (United

States of America v. Iran), Order of 15 December 1979, I.C.J. Reports
1979, p. 15, para. 24). Rather than a defence, a counter-claim appears as
a counter-attack. The counter-claim is independent from the original

claim (though directly connected with it), it has an autonomous charac-
ter. In S. Rosenne’s view, while it is true that the counter-claim, by means
of the “direct connection” with the original claim, has to rely on argu-

ments related to the factual complex, it is also certain that “the counter-
claim is a purely self-standing institution following its own logic, its own
procedure, and its own rules” . 12

18. This led to yet another characteristic of counter-claims, namely,
they constitute a means of achieving essentially procedural economy, in
enabling the Court to have “an overview of the respective claims” of the
13
contending parties, and thereby to decide them “more consistently” .In
this respect, once again D. Anzilotti anticipated, with foresight, in the
early stage of operation of the PCIJ, that: “The principle of the autonamy

10 Ch. de Visscher, Aspects récents du droit procédural de la Cour Internationale de Jus-
tice, Paris, Pedone, 1966, p. 114. In the same line of thinking, the Report of Georges Scelle
for the [ILC’s] Model Rules on Arbitral Procedure (adopted in 1958) stated that the counter-
claim “emanates from the party against which the principal claim is directed and seeks
to obtain more than the straightforward rejection of the Applicant’s submissions” [trans-
lation by the Registry] (UN doc. A/CN.4/18, note 78), in: Union Académique Interna-

tionale, Dictionnaire de la terminologie du droit international , Paris, Sirey, 1960, p. 199.
The ILC’s Model Rules on Arbitral Procedure are also mentioned, in connection specifi-
cally with counter-claims, in: J. Salmon (dir.), Dictionnaire de droit international public ,
Brussels, Bruylant, 2001, p. 316.
11 R. Genet, op. cit. supra note 6, p. 155, and cf. p. 165.
12 S. Rosenne, “Counter-Claims in the International Court of Justice Revisited”, in
Liber Amicorum ‘In Memoriam’ of Judge J. M. Ruda (C. A. Armas Barea, J. A. Barberis
et al. (eds.)), The Hague, Kluwer, 2000, p. 476.
13 Cf. ibid., p. 470.

30 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ÉTAT (OP. DISS.CANÇADO TRINDADE ) 336

16. Comme l’observait Charles de Visscher au milieu des années 1960,

la demande reconventionnelle permettait à la Cour de «statuer, au cours
d’une même instance, sur les demandes réciproques, ce qui permet au
juge de saisir dans une vue d’ensemble les positions de droit respectives
10
des parties» . C’est ce qui se produisit déjà, entre autres, dans l’affaire
des Prises d’eau à la Meuse (Pays-Bas c. Belgique, 1937), où la CPJI
appliqua la prescription de la «connexité directe» (cf. supra) entre la

demande initiale et la demande reconventionnelle. Comme l’estimait
Raoul Genet au milieu des années 1930, «les demandes reconvention-
nelles ... tendent, par leur nature même, à neutraliser l’action principale

et ... elles supposent, chez le défendeur, un titre équivalent et de sens
contraire à celui dont peut se targuer le demandeur» . 11

17. En dépit de leur connexité directe, chacune des demandes conserve
son identité. La demande reconventionnelle possède une nature auto-
nome, contrairement aux moyens de défense. La CIJ elle-même a fait la

distinction entre une demande reconventionnelle et un moyen de défense,
dans l’affaire des otages (Personnel diplomatique et consulaire des Etats-
Unis à Téhéran (Etats-Unis d’Amérique c. Iran), ordonnance du 15 décem-

bre 1979, C.I.J. Recueil 1979, p. 15, par. 24). La demande reconvention-
nelle n’apparaît pas comme un moyen de défense, mais plutôt comme une
«contre-attaque». Elle est indépendante de la demande initiale (tout en

étant en connexité directe avec celle-ci), elle a une nature autonome.
D’après S. Rosenne, s’il est vrai que, du fait de la «connexité directe»

avec la demande principale, la demande reconventionnelle doit reposer
sur des arguments liés à l’ensemble factuel, il est également certain que
«la demande reconventionnelle représente une institution purement auto-
12
nome ayant une logique, une procédure et des règles propres» .
18. Cela a permis de dégager une autre caractéristique des demandes
reconventionnelles, à savoir qu’elles représentent essentiellement un

moyen pour assurer une économie de procès, en permettant à la Cour
d’avoir «une vue d’ensemble des prétentions respectives» des parties en
13
litige et, partant, de statuer sur elles «de manière plus cohérente» . A cet
égard, c’est toujours D. Anzilotti qui sut entrevoir de manière vision-

10
Ch. de Visscher, Aspects récents du droit procédural de la Cour internationale de Jus-
tice, Paris, Pedone, 1966, p. 114. Dans le même esprit, le rapport de Georges Scelle con-
cernant le modèle de règles sur la procédure arbitrale [de la CDI] (adopté en 1958) disait
que la demande reconventionnelle «éman[ait] de la partie contre laquelle [étai]t dirigée la
demande principale et tend[ait] à obtenir quelque chose de plus que le simple rejet des
conclusions du demandeur» (document des Nations Unies A/CN.4/18, note 78), Union
académique internationale, Dictionnaire de la terminologie du droit international , Paris,
Sirey, 1960, p. 199. Le modèle de règles de la CDI sur la procédure arbitrale est également
mentionné, notamment à propos des demandes reconventionnelles, dans J. Salmon (dir.

pu11.), Dictionnaire de droit international public , Bruxelles, Bruylant, 2001, p. 316.
12 R. Genet, op. cit. supra note 6, p. 155, et cf. p. 165.
S. Rosenne, «Counter-Claims in the International Court of Justice Revisited», dans
C. A. Armas Barea, J. A. Barberis et al. (dir. publ.), Liber Amicorum «In Memoriam» of
Judge J. M. Ruda, La Haye, Kluwer, 2000, p. 476.
13 Cf. ibid., p. 470.

30337 JURISDICTIONAL IMMUNITIES OF THE STATE (DISS.OP. CANÇADO TRINDADE )

of the counter-claim also entails a requirement that the principal Appli-
cant have the same advantages in respect of the counter-claim as enjoyed
by the Respondent in respect of the principal claim.” 14 [Translation by

the Registry.]
19. Having considered the rationale of counter-claims in international
legal procedure, and having identified its characteristics and effects, the
way is now paved for me to move on the consideration of their admissi-

bility in the case law of the ICJ. Before doing so, I allow myself to sum
up what I have examined so far. If I were to single out the major concern
of jurists of the past with the juridical institute of counter-claims in inter-
national legal procedure, I would surely elect the underlying and most

commendable preoccupation to secure the realization of justice at inter-
national level.

IV. T HE QUESTION OF THE A DMISSIBILITY OF C OUNTER -C LAIMS
IN THE CASE LAW OF THE ICJ

20. Turning now to the issue of the admissibility of counter-claims in
the case law of the ICJ, I shall concentrate on the Court’s decisions under

Article 80 of its Rules, both under its 1978 version and under its revised
2000 version (in force as from 2001). Four Orders of the Court had been
issued thereunder, before the Court’s present Order in the pending case
concerning Jurisdictional Immunities of the State (Germany v. Italy).

In the first of those four Orders (and probably the most elaborate one),
in the case concerning the Application of the Convention on the Preven-

tion and Punishment of the Crime of Genocide (Bosnia and Herzegovina
v. Yugoslavia), Order of 17 December 1997, the ICJ began by conceptu-
alizing the counter-claim.
21. In the Court’s view, a counter-claim has a “dual character” in rela-

tion to the original claim; it is both “independent of the principal claim”,
it is “an autonomous legal act”, while, at the same time, it is “linked” to
the original claim. The “thrust” of a counter-claim is thus “to widen the
original subject-matter of the dispute by pursuing objectives other than

the mere dismissal of the claim of the Applicant in the main proceed-
ings”. Filed against the Applicant, the counter-claim is thus “distinguish-
able from a defence on the merits” (I.C.J. Reports 1997, p. 256, para. 27).

Moving on to the criteria of admissibility, the Court added:

“Whereas, (. . .) a claim should normally be made before the
Court by means of an application instituting proceedings; whereas,
although it is permitted for certain types of claim to be set out as
incidental proceedings, that is to say, within the context of a case

14
D. Anzilotti, op. cit. supra note 5, p. 876.

31 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ÉTAT OP .DISS.CANÇADO TRINDADE ) 337

naire, dès le début du fonctionnement de la CPJI, que: «Du principe de

l’autonomie de la demande reconventionnelle dérive également que le
demandeur principal doit avoir, à son égard, les mêmes avantages qui
appartiennent au défendeur à l’égard de la demande principale.» 14
19. Après avoir examiné la raison d’être des demandes reconvention-

nelles en procédure internationale et après avoir cerné leurs caractéristi-
ques et leurs effets, je suis maintenant en mesure de passer à l’étude de
leur recevabilité selon la jurisprudence de la CIJ. Avant d’y procéder, je
me permettrai de récapituler l’analyse effectuée jusqu’à présent. Si je

devais dégager la principale préoccupation des juristes du passé quant à
l’institution juridique des demandes reconventionnelles en procédure
internationale, mon choix porterait sûrement sur la préoccupation sous-
jacente et particulièrement louable d’assurer la réalisation de la justice au

niveau international.

IV. L A QUESTION DE LA RECEVABILITÉ DES DEMANDES

RECONVENTIONNELLES SELON LA JURISPRUDENCE DE LA CIJ

20. Passant maintenant à la question de la recevabilité des demandes
reconventionnelles selon la jurisprudence de la CIJ, je me pencherai sur

les décisions rendues par la Cour en vertu de l’article 80 de son Règle-
ment, tant dans sa version de 1978 que dans sa version révisée de 2000
(en vigueur depuis 2001). La Cour a rendu quatre ordonnances en vertu
de ce texte, avant de rendre cette ordonnance dans la présente affaire des

Immunités juridictionnelles de l’Etat (Allemagne c. Italie) .
Dans la première de ces quatre ordonnances (qui est probablement la
plus détaillée), rendue en l’affaire relative à l’Application de la conven-
tion pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-

Herzégovine c. Yougoslavie) (ordonnance du 17 décembre 1997), la CIJ
a d’abord précisé les contours du concept de demande reconventionnelle.
21. D’après la Cour, une demande reconventionnelle présente «un
double caractère» au regard de la demande principale: elle «en est indé-

pendante» et constitue «un acte juridique autonome», tout en «s’y rat-
tach[ant]». Le «propre» d’une demande reconventionnelle est donc
«d’élargir l’objet initial du litige en poursuivant des avantages autres que
le simple rejet de la prétention du demandeur à l’action». Etant dirigée

contre le demandeur, la demande reconventionnelle, partant, «se dis-
tingue d’un moyen de défense au fond» (C.I.J. Recueil 1997, p. 256,
par. 27). En passant au critère de la recevabilité, la Cour ajoutait:

«Considérant ... qu’une demande doit normalement être portée
devant le juge par la voie d’un acte introductif d’instance; que, s’il

est admis que certains types de demandes soient formulées à titre
incident, c’est-à-dire dans le cadre d’une instance déjà en cours, c’est

14D. Anzilotti, op. cit. supra note 5, p. 876.

31338 JURISDICTIONAL IMMUNITIES OF THE STATE (DISS.OP .CANÇADO TRINDADE )

which is already in progress, this is merely in order to ensure better

administration of justice, given the specific nature of the claims in
question; whereas, as far as counter-claims are concerned, the idea is
essentially to achieve a procedural economy whilst enabling the
Court to have an overview of the respective claims of the parties and
to decide them more consistently; and whereas the admissibility of

the counter-claims must necessarily relate to the aims thus pursued
and be subject to conditions designed to prevent abuse;
Whereas the Respondent cannot use a counter-claim as a means
of referring to an international court claims which exceed the limits
of its jurisdiction as recognized by the parties; and whereas the

Respondent cannot use that means either to impose on the Appli-
cant any claim it chooses, at the risk of infringing the Applicant’s
rights and of compromising the proper administration of justice;
and whereas it is for that reason that paragraph 1 of Article 80 of the

Rules of Court requires that the counter-claim ‘comes within the
jurisdiction of the Court’ and ‘that it is directly connected with the
subject-matter of the claim of the other party’; (. . .)

Whereas the Rules of Court do not define what is meant by

‘directly connected’; whereas it is for the Court, in its sole discretion,
to assess whether the counter-claim is sufficiently connected to the
principal claim, taking account of the particular aspects of each
case; and whereas, as a general rule, the degree of connection
between the claims must be assessed both in fact and in law” (I.C.J.

Reports 1997, pp. 257-258, paras. 30-31 and 33).

22. Thus, it was clarified by the Court, in its aforementioned Order in
the case concerning the Application of the Convention on the Prevention
and Punishment of the Crime of Genocide (1997), that, pursuant to its own

analytical framework, in order to rule on the admissibility of a counter-
claim, it was incumbent upon it, first of all, to determine whether the
submissions presented by the Respondent State constituted a true
counter-claim; in the affirmative, the Court was to ascertain whether the
counter-claim fell under its own jurisdiction, already established for the

adjudication of the contentious case at issue. And, in the affirmative,
the Court was further to ascertain whether the counter-claim was “directly
connected” with the subject-matter of the original claim, submitted
by the Applicant State. The Court was to proceed to this assessment in
the exercise of its own discretion, as a general rule on the basis of “fact

and law”; in order to determine whether the claims are directly connected
in fact and law.
23. In its following Order concerning counter-claims (of 10 March
1998), in the case concerning Oil Platforms (Iran v. United States of
America), the Court saw it fit to dwell upon the exercise of determining

whether the counter-claim was “directly connected” with the original
claim, since the Rules of Court did not define what was meant by that

32 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ÉTAT OP .DISS.CANÇADO TRINDADE ) 338

aux seules fins d’assurer une meilleure administration de la justice
compte tenu du caractère particulier des demandes en cause; qu’en
ce qui concerne les demandes reconventionnelles il s’agit essentielle-
ment de réaliser une économie de procès tout en permettant au juge

d’avoir une vue d’ensemble des prétentions respectives des parties et
de statuer de façon plus cohérente; et que la recevabilité des deman-
des reconventionnelles est nécessairement fonction des buts ainsi
poursuivis et sujette à des conditions propres à prévenir les abus;
Considérant que le défendeur ne saurait tirer parti de l’action

reconventionnelle pour porter devant le juge international des
demandes qui excéderaient les limites dans lesquelles les parties ont
reconnu sa compétence; et que le défendeur ne saurait davantage
imposer par cette voie au demandeur n’importe quelle demande, au
risque de porter atteinte aux droits de celui-ci et de compromettre la

bonne administration de la justice; et considérant que c’est pour ce
motif qu’il est exigé, au paragraphe 1 de l’article 80 du Règlement,
que la demande reconventionnelle «relève de la compétence de la
Cour» et «soit en connexité directe avec l’objet de la demande de la

partie adverse»; ...
Considérant que le Règlement ne définit pas la notion de
«connexité directe»; qu’il appartient à la Cour d’apprécier souverai-
nement, compte tenu des particularités de chaque espèce, si le lien
qui doit rattacher la demande reconventionnelle à la demande prin-

cipale est suffisant; et que, en règle générale, le degré de connexité
entre ces demandes doit être évalué aussi bien en fait qu’en droit»
(C.I.J. Recueil 1997, p. 257-258, par. 30, 31 et 33).

22. Ainsi, dans l’ordonnance susmentionnée rendue en 1997 en l’affaire

relative à l’Application de la convention pour la prévention et la répression
du crime de génocide, la Cour précisa que, conformément à son cadre
d’analyse, pour statuer sur la recevabilité d’une demande reconvention-
nelle, elle devait tout d’abord déterminer si les conclusions de l’Etat

défendeur constituaient bien une demande reconventionnelle. Dans l’affir-
mative, la Cour devait déterminer si la demande reconventionnelle rele-
vait de sa compétence, telle qu’elle a été déjà établie en vue du règlement
de l’affaire contentieuse en question. Et, dans l’affirmative, la Cour
devait également déterminer si la demande reconventionnelle était en

«connexité directe» avec l’objet de la demande initiale soumise par l’Etat
demandeur. La Cour devait effectuer cette appréciation souverainement,
en général sur la base des «faits et [du] droit», afin de déterminer si les
demandes étaient en connexité directe en fait et en droit.

23. Dans son ordonnance suivante ayant trait à des demandes recon-
ventionnelles (du 10 mars 1998), rendue en l’affaire des Plates-formes
pétrolières (Iran c. Etats-Unis d’Amérique) , la Cour estima qu’il y avait
lieu de procéder à une analyse détaillée pour déterminer si la demande

reconventionnelle était «en connexité directe» avec la demande initiale,

32339 JURISDICTIONAL IMMUNITIES OF THE STATE (DIS. OP. CANÇADO TRINDADE )

requirement (I.C.J. Reports 1998, pp. 196-197, para. 13). In order to
determine whether the counter-claim was “directly connected”, on the

basis of fact and law, with the subject-matter of the original claim, the
Court was to ascertain, first, whether the claim and the counter-claim
rested on “facts of the same nature”, i.e., whether they formed part of
“the same factual complex” (ibid., pp. 204-205, para. 37); and, secondly,

whether the claim and counter-claim pursued “the same legal aim”,
namely, the establishment of legal responsibility (ibid., p. 205, para. 38).

24. The ICJ added that a decision on the admissibility of a counter-

claim, under Article 80 of the Rules of Court, “in no way prejudges any
question which the Court will be called upon to hear during the remain-
der of the proceedings” (ibid., p. 205, para. 41), a point which, by the
way, also applies to provisional measures of protection. In that case, the

ICJ concluded, as to the admissibility of the counter-claim, that the con-
tending parties’ submissions rested on “facts of the same nature”, and
formed “part of the same factual complex” (ibid., p. 205, para. 38).

25. Over a year later, in the case of the Land and Maritime Boundary
between Cameroon and Nigeria (Cameroon v. Nigeria), Order of 30 June
1999, the ICJ again found that the counter-claims of Nigeria met the
requirement of jurisdiction set out in Article 80 of the Rules of Court, as

they rested on “facts of the same nature” as those in the corresponding
claims of Cameroon, and both parties pursued “the same legal aim,
namely the establishment of legal responsibility and the determination of
the reparation due on this account”. The counter-claims were thus

“directly connected” with the subject-matter of the claims of the other
party, and were therefore found admissible (I.C.J. Reports 1999 (II) ,
pp. 985-986) by the Court.

26. Subsequently, in its Order (of 29 November 2001) in the case of
the Armed Activities on the Territory of the Congo (Democratic Repub-
lic of the Congo v. Uganda), the ICJ, stressing the requirement of “direct
connection” (cf. supra) as a condition of admissibility of a counter-

claim (I.C.J. Reports 2001, p. 678, paras. 35-36), decided that the
first two of Uganda’s counter-claims (but not the third one) and the
respective original claims of Congo related to “facts of the same nature”
and concerned “a conflict in existence between the two neighbouring
States” since 1994, and were thus “directly connected”, pursuing “the

same legal aims”, being thus admissible (ibid., pp. 678-681, paras. 38-
45) . The Court pondered, in support of its decision of admissibility,
that, in view of the circumstances of the case, “the sound administration
of justice and the interests of procedural economy call for the simultane-

15Which was not the case with Uganda’s third counter-claim.

33 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ’ÉTAT (OP.DISS. CANÇADO TRINDADE ) 339

étant donné que son Règlement ne définissait pas le sens de cette condi-
tion (C.I.J. Recueil 1998, p. 196-197, par. 13). Afin d’établir si la demande

reconventionnelle était «en connexité directe», en fait et en droit, avec
l’objet de la demande principale, la Cour devait déterminer, première-
ment, si la demande principale et la demande reconventionnelle repo-
saient sur des «faits de même nature», c’est-à-dire si elles s’inscrivaient

dans le cadre d’un «même ensemble factuel complexe» (ibid., p. 204-205,
par. 37); et, deuxièmement, si la demande principale et la demande
reconventionnelle poursuivaient «le même but juridique», à savoir «l’éta-
blissement d’une responsabilité juridique» (ibid., p. 205, par. 38).
24. La CIJ ajoutait qu’une décision rendue sur la recevabilité d’une

demande reconventionnelle en vertu de l’article 80 du Règlement de la
Cour «ne saurait préjuger aucune question dont la Cour aurait à connaî-
tre dans la suite de la procédure» (ibid., p. 205, par. 41), ce qui vaut
d’ailleurs également pour les mesures conservatoires. Dans cette affaire,

la CIJ concluait, en ce qui concerne la recevabilité de la demande recon-
ventionnelle, que les conclusions des parties reposaient «sur des faits de
même nature» et s’inscrivaient «dans le cadre d’un même ensemble fac-
tuel complexe» (ibid., p. 205, par. 38).

25. Plus d’un an après, en l’affaire de la Frontière terrestre et maritime
entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria) (ordonnance du
30 juin 1999), la CIJ jugea également que les demandes reconvention-
nelles du Nigéria satisfaisaient au critère de la compétence contenu à

l’article 80 du Règlement de la Cour, puisqu’elles reposaient sur des
«faits de même nature» que ceux figurant dans les demandes correspon-
dantes du Cameroun et que les deux parties poursuivaient «le même
but juridique, à savoir l’établissement de la responsabilité juridique et la

détermination de la réparation due à ce titre». Les demandes reconven-
tionnelles étaient donc «en connexité directe» avec les demandes de la
partie adverse et furent dès lors jugées recevables par la Cour (C.I.J.
Recueil 1999 (II), p. 985-986).

26. Ensuite, dans son ordonnance (du 29 novembre 2001) rendue en
l’affaire des Activités armées sur le territoire du Congo (République
démocratique du Congo c. Ouganda) , la CIJ jugea, en insistant sur le cri-
tère de la «connexité directe» (cf. supra) comme condition de la receva-

bilité d’une demande reconventionnelle (C.I.J. Recueil 2001, p. 678,
par. 35-36), que les deux premières demandes reconventionnelles de
l’Ouganda (mais non la troisième), ainsi que les demandes originaires
correspondantes du Congo, portaient sur des «faits de même nature» et
avaient trait à «un conflit existant entre les deux Etats voisins» depuis

1994 et étaient «en connexité directe», poursuivaient «les mêmes buts
juridiques» et, partant, étaient recevables (ibid., p. 678-681, par. 38-45) .
Pour justifier sa décision déclarant les demandes recevables, la Cour indi-
quait que, au vu des circonstances de l’espèce, «une bonne administra-

15Ce qui n’était pas le cas pour la troisième demande reconventionnelle de l’Ouganda.

33340 JURISDICTIONAL IMMUNITIES OF THE STATE (DISS.OP .CANÇADO TRINDADE )

ous consideration of those counter-claims and the principal claims”

(I.C.J. Reports 2001, p. 680, para. 44).

27. Thus, in those four precedents of the Court’s present Order in the

pending case concerning Jurisdictional Immunities of the State (Germany
v. Italy), the Court found in favour of the admissibility of the counter-
claims, as above reported, and without prejudice to the subsequent deci-

sions on the merits of the respective cases. While in the present case,
Germany has challenged the jurisdiction of the ICJ over Italy’s counter-
claim, in the four preceding cases concerning counter-claims, the Court’s

jurisdiction had either not been contested by the Applicant States, or else
the Court had had the opportunity to establish its own jurisdiction in an
16
incidental phase, previous to the filing of the counter-claims .I nay
case, their significance as precedents cannot be separated from their pro-
cedural history.

V. T HE Q UESTION OF THE A DMISSIBILITY OF THE C OUNTER -CLAIM

IN THE P RESENT CASE

28. Such history shows that the Court’s practice in relation to counter-

claims is still in the making. The decision that the Court has just taken in
the present case in no way contributes to the evolution of its own case
law on the subject. It is, quite on the contrary, an involution, a step back-

16May it be recalled, first, that the case of the Application of the Convention on the
Prevention and Punishment of the Crime of Genocide was lodged with the ICJ in 1993,
jurisdiction having been based on a compromissory clause (Article IX of the Convention
against Genocide). There were two requests for provisional measures. The first set of pro-
visional measures proceedings which took place in 1993 culminated in an Order (of
8 April 1993) whereby the Court indicated three sets of measures, later confirmed by
another Order (of 13 September 1993). In its Judgment of 1996 in the preliminary objec-

tions phase, the ICJ confirmed its previous finding on jurisdiction and rejected Yugosla-
via’s objections (the Court decided that it had jurisdiction to adjudicate upon the dispute
on the basis of Article IX of the Genocide Convention).

Yugoslavia included counter-claims in its Counter-Memorial, and Bosnia and Herze-
govina did not challenge the Court’s jurisdiction over the counter-claims; it only chal-
lenged the connection with the subject-matter of the initial proceedings. Bosnia and
Herzegovina argued that the counter-claim at issue should not be joined to the principal
claim; it suggested that Yugoslavia could always submit to the ICJ an Application insti-
tuting proceedings through the normal channels. By an Order of 17 December 1997, the

ICJ found that Yugoslavia’s counter-claims were “directly connected” with the subject-
matter of the Applicant’s claims and were thus admissible (para. 37). But later on Yugo-
slavia, in 2001, withdrew the counter-claims submitted in its Counter-Memorial, and
informed the Court that it intended to submit an Application for revision of the Judgment
of 11 July 1996. It did so later on, on 24 April 2001, when it requested the Court to revise
the Judgment on Preliminary Objections delivered on 11 July 1996. By an Order of

34 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ÉTAT (OP. DISS.CANÇADO TRINDADE ) 340

tion de la justice et un souci d’économie de procès appel[ai]ent un examen

simultané de ces demandes reconventionnelles et des demandes au prin-
cipal» (C.I.J. Recueil 2001, p. 680, par. 44).
27. Ainsi, dans ces quatre précédents qui existaient avant l’ordonnance

rendue par la Cour dans la présente affaire des Immunités juridiction-
nelles de l’Etat (Allemagne c. Italie) , la Cour a déclaré les demandes

reconventionnelles recevables, comme il a été indiqué ci-dessus, et sans
préjudice des décisions qu’elle rendrait ultérieurement sur le fond des
affaires concernées. Tandis que, dans la présente affaire, l’Allemagne a

contesté la compétence de la CIJ pour connaître de la demande reconven-
tionnelle de l’Italie, dans les quatre affaires précédentes ayant trait à des

demandes reconventionnelles, la compétence de la Cour soit n’avait pas
été contestée par les Etats demandeurs, soit avait été établie par la Cour
elle-même au cours d’une phase incidente avant le dépôt des demandes
16
reconventionnelles . En tout état de cause, leur valeur de précédents
ne saurait être envisagée isolément de l’évolution procédurale dans
laquelle elles s’inscrivent.

V. L A QUESTION DE LA RECEVABILITÉ DE LA DEMANDE
RECONVENTIONNELLE EN L ESPÈCE

28. Cette évolution procédurale révèle que la pratique de la Cour en
matière de demandes reconventionnelles est toujours en voie de forma-

tion. La décision que la Cour vient de prendre en l’affaire des Immunités
juridictionnelles de l’Etat ne contribue en aucune manière à l’évolution de

16 Qu’il me soit permis de rappeler, premièrement, que l’affaire relative à l’Application

de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocfut introduite
devant la CIJ en 1993, la compétence étant basée sur une clause compromissoire (ar-
ticle IX de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide). Deux
demandes en indication de mesures conservatoires avaient été présentées. Le premier volet
de procédures concernant des mesures conservatoires, qui eut lieu en 1993, aboutit à une
ordonnance (du 8 avril 1993) en vertu de laquelle la Cour indiqua trois ensembles de
mesures, confirmés par la suite par une autre ordonnance (du 13 septembre 1993). Dans
son arrêt de 1996 rendu au stade des exceptions préliminaires, la CIJ confirma sa conclu-
sion antérieure concernant sa compétence et rejeta les exceptions de la Yougoslavie (la
Cour se reconnut compétente pour connaître du différend en vertu de l’article IX de la

convention sur le génocide).
La Yougoslavie présenta des demandes reconventionnelles dans son contre-mémoire et
la Bosnie-Herzégovine ne contesta pas la compétence de la Cour pour connaître de ces
demandes; elle contesta seulement la connexité avec l’objet de la procédure initiale. La
Bosnie-Herzégovine soutenait que la demande reconventionnelle en question ne devrait pas
être jointe à la demande principale; elle suggérait que la Yougoslavie pourrait toujours
introduire devant la Cour une requête introductive d’instance par les voies ordinaires.
Par une ordonnance du 17 décembre 1997, la CIJ jugea que les demandes reconvention-
nelles de la Yougoslavie étaient «en connexité directe» avec l’objet des demandes du

demandeur et étaient dès lors recevables (par. 37). Par la suite, en 2001, la Yougoslavie
retira les demandes reconventionnelles présentées dans son contre-mémoire et informa la
Cour qu’elle avait l’intention de déposer une requête en revision de l’arrêt du 11 juillet
1996. C’est bien ce qu’elle fit ultérieurement, le 24 avril 2001, lorsqu’elle demanda à la

34341 JURISDICTIONAL IMMUNITIES OF THE STATE (DISS. OP .CANÇADO TRINDADE )

wards, as it surrounds the handling of counter-claims with greater uncer-

tainties. In my understanding, the Court should have decided for the
admissibility of Italy’s counter-claim in the present Order, and should
have left for its subsequent decision on merits the determination as to

whether the counter-claim was well-founded or not, as it did in a couple
of precedents 17 of the present Order.

29. This feature of the previous practice of the Court in the handling

of counter-claims had been favourably acknowledged in expert-writing,
for having thereby treated the counter-claims together with the main
claims, duly enlarging the object of the dispute and enabling the ICJ to

have a better knowledge of the dispute it had been called upon to adju-
dicate . Without Italy’s counter-claim of reparations for damages aris-

ing from war crimes, the Court will now have a much narrower horizon

10 September 2001, the Court’s President placed on record the withdrawal by Yugoslavia
of the counter-claims submitted in its Counter-Memorial.

Secondly, in the Oil Platforms case (Iran v. United States of America), the United
States raised a preliminary objection to the jurisdiction of the Court pursuant to Arti-
cle 79 (1) of the Rules of Court. In a Judgment of 12 December 1996, the ICJ dismissed
the preliminary objection and found that it had jurisdiction to entertain the main claim

interposed by Iran. The United States filed its Counter-Memorial, which included a counter-
claim, challenged by Iran for allegedly failing to meet the requirements (of jurisdiction
and of direct connection) set out by Article 80 of the Rules of Court. By an Order of
10 March 1998, the ICJ found that it had jurisdiction to entertain the counter-claim; the
procedural difference with the present case was that, in the Oil Platforms case, the ICJ
had already stated its jurisdiction with regard to the subject which became later an issue
of a counter-claim. Yet, in the present and pending case of Jurisdictional Immunities of

the State (Germany v. Italy), the Court’s jurisdiction had not been formally established.

The Court had established its jurisdiction in a Judgment rendered on 12 December 1996
(para. 55 (2)), and the parties raised certain questions as to the precise significance or
scope of that Judgment. In its Judgment on the merits of 6 November 2003, the ICJ was
faced with new objections by Iran to its jurisdiction to entertain the counter-claim (or to

its admissibility) at the merits phase of the case; such objections were different from those
addressed by the Court’s Order of 10 March 1998. The Court pointed out that, in its pre-
vious Order of 10 March 1998, it did “not address any other question relating to jurisdic-
tion and admissibility, not directly linked to Article 80 of the Rules” (para. 105 of the
Judgment). At last, the Court found, at that stage, that the counter-claims of the United
States could not be upheld.

And thirdly, in the case of the Armed Activities on the Territory of the Congo (Demo-
cratic Republic of the Congo v. Uganda) (2001), Congo did not deny that Uganda’s
claims fulfilled the “jurisdictional” requirement of Article 80 (1) of the Rules of Court,
and the ICJ referred mainly to the “direct connection” between the original claims and the
counter-claims (cf. supra).
17 E.g., those concerning the case of the Oil Platforms (1998) and the case of the Land

an18Maritime Boundary between Cameroon and Nigeria (1999), supra.
S. Torres Bernárdez, “La modification des articles du Règlement de la Cour Inter-
nationale de Justice relatifs aux exceptions préliminaires et aux demandes reconvention-
nelles”, 49 Annuaire français de droit international (2003), pp. 229, 233-234, 241 and 247.

35 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ÉTAT (OP .DISS .CANÇADO TRINDADE ) 341

sa jurisprudence en la matière. Elle constitue au contraire une involution,

un pas en arrière, puisqu’elle ajoute à l’incertitude entourant le traitement
des demandes reconventionnelles. A mon avis, la Cour aurait dû, par la
présente ordonnance, déclarer la demande reconventionnelle de l’Italie

recevable et ne statuer sur son bien-fondé que par la suite, au stade du
fond, comme elle a déjà procédé dans deux affaires antérieures 17 à la pré-

sente ordonnance.
29. Ce trait de la pratique antérieure de la Cour en matière de demandes

reconventionnelles avait reçu un accueil favorable en doctrine à cause du
traitement simultané des demandes reconventionnelles et des demandes
principales, élargissant opportunément l’objet du litige et permettant à
18
la CIJ de mieux connaître le différend qu’elle était appelée à trancher.
Sans la demande reconventionnelle de l’Italie portant sur les réparations à

raison des préjudices liés aux crimes de guerre, la Cour devra à présent

Cour de réviser l’arrêt sur les exceptions préliminaires rendu le 11 juillet 1996. Par ordon-
nance du 10 septembre 2001, le président de la Cour prit acte du retrait par la Yougoslavie
des demandes reconventionnelles présentées dans son contre-mémoire.
Deuxièmement, dans l’affaire des Plates-formes pétrolières (Iran c. Etats-Unis) , les
Etats-Unis soulevèrent une exception préliminaire quant à la compétence de la Cour en
vertu du paragraphe 1 de l’article 79 de son Règlement. Par arrêt du 12 décembre 1996, la
CIJ rejeta l’exception préliminaire et se reconnut compétente pour connaître de la demande

principale de l’Iran. Les Etats-Unis déposèrent leur contre-mémoire contenant une
demande reconventionnelle, qui fut contestée par l’Iran au motif qu’elle ne satisferait pas
aux critères (compétence et connexité directe) définis à l’article 80 du Règlement de la
Cour. Par ordonnance du 10 mars 1998, la CIJ se reconnut compétente pour connaître de
la demande reconventionnelle. Sur le plan procédural, la différence par rapport à la
présente espèce tenait à ce que, dans l’affaire des Plates-formes pétrolières , la Cour s’était
déjà reconnue compétente pour connaître de la question ayant par la suite fait l’objet

d’une demande reconventionnelle. En revanche, dans la présente affaire des Immunités
juridictionnelles de l’Etat (Allemagne c. Italie) , la compétence de la Cour n’avait pas
encore été formellement établie.
La Cour avait retenu sa compétence dans un arrêt rendu le 12 décembre 1996 (par. 55,
point 2)) et les parties soulevèrent certaines questions quant à la signification précise ou à
la portée de cet arrêt. Dans son arrêt sur le fond rendu le 6 novembre 2003, la CIJ était
confrontée à de nouvelles exceptions soulevées par l’Iran quant à sa compétence pour con-

naître de la demande reconventionnelle (ou la recevabilité de celle-ci) au stade du fond;
ces exceptions étaient différentes de celles examinées par la Cour dans son ordonnance du
10 mars 1998. La Cour indiqua que, dans son ordonnance antérieure du 10 mars 1998, elle
«ne trait[ait]..., en ce qui concerne la compétence et la recevabilité, d’aucune question qui
ne [fû]t directement liée à l’article 80 du Règlement» (paragraphe 105 de l’arrêt). Enfin, la
Cour jugea, à ce stade, que les demandes reconventionnelles des Etats-Unis ne sauraient

être retenues.
Enfin, troisièmement, dans l’affaire des Activités armées sur le territoire du Congo
(République démocratique du Congo c. Ouganda) (2001), le Congo ne niait pas que les
demandes de l’Ouganda satisfaisaient au critère de la «compétence» prévu au paragraphe 1
de l’article 80 du Règlement de la Cour, et la CIJ se référait principalement à la «connexité
directe» entre les demandes initiales et les demandes reconventionnelles (cfs.upra).
17 Ainsi, par exemple, dans l’affaire des Plates-formes pétrolières (1998) et dans celle de

la18rontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (1999): cf. supra.
S. Torres Bernárdez, «La modification des articles du Règlement de la Cour inter-
nationale de Justice relatifs aux exceptions préliminaires et aux demandes reconvention-
nelles», Annuaire français de droit international , vol. 49, 2003, p. 229, 233-234, 241 et 247.

35342 JURISDICTIONAL IMMUNITIES OF THE STATE DISS.OP .CANÇADO TRINDADE )

to pronounce on Germany’s (original) claim of State immunity. The
present decision of the Court made tabula rasa of its own previous rea-
sonings, and of 70 years of the more enlightened legal doctrine on the

matter, to the effect that counter-claims do assist in achieving the sound
administration of justice (la bonne administration de la justice) and in
securing the needed equilibrium between the procedural rights of the con-

tending parties.

30. In any case, as the Court’s majority decided summarily to discard

the counter-claim as “inadmissible as such” — with my firm dissent — it
should at least have instructed itself properly by holding, first, public
hearings to obtain further clarifications from the contending Parties. It
should not have taken the present decision without first having heard the

contending Parties in a public sitting, for five reasons, namely: (a) first,
as a basic requirement ensuing from the principle of international proce-
dural law, of the sound administration of justice (la bonne administration

de la justice) ; (b) secondly, because counter-claims are ontologically
endowed with autonomy, and ought to be treated on the same footing as
the original claims, that they intend to neutralize (supra); (c) thirdly,
claims and counter-claims, “directly connected” as they ought to be,

require a strict observance of the principe du contradictoire in their han-
dling altogether ; (d) fourthly, only with the faithful observance of the
principe du contradictoire can the procedural equality of the parties

(Applicant and Respondent, rendered Respondent and Applicant by the
counter-claim) be secured; and fifthly, and (e) last but not least, the
issues raised by the original claim and the counter-claim before the Court
are far too important — for the settlement of the case as well as for the

present and the future of international law — to have been dealt with by
the Court in the way it did, summarily rejecting the counter-claim.

VI. T HE FACTUAL C OMPLEX OF THE PRESENT CASE
AND THE A RGUMENTS OF THE CONTENDING PARTIES

31. Turning now to the consideration of the factual complex of the
present case concerning Jurisdictional Immunities of the State , opposing
Italy to Germany in so far as the counter-claim submitted to the Court is

concerned, I shall at first consider and assess the 2008 Joint Declaration
of Italy and Germany. Secondly, I shall review the arguments of the con-
tending Parties on the counter-claim, focusing on: (a) the scope of the

19Cf. F. Salerno, “La demande reconventionnelle dans la procédure de la Cour Inter-
nationale de Justice”, 103 Revue générale de droit international public (1999), pp. 371-374.

36 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ÉTAT OP .DISS.CANÇADO TRINDADE ) 342

statuer dans le cadre d’une perspective beaucoup plus étroite sur la

demande (initiale) de l’Allemagne portant sur l’immunité de l’Etat. La
présente décision de la Cour a fait table rase des raisonnements antérieurs
de celle-ci ainsi que de la doctrine juridique plus éclairée en la matière,

qui s’est construite en l’espace de soixante-dix ans, selon laquelle les
demandes reconventionnelles contribuent à la bonne administration de la
justice et aident à assurer l’équilibre nécessaire entre les droits procédu-
raux des parties en litige.

30. En tout état de cause, étant donné que la majorité de la Cour a
décidé sommairement de rejeter la demande reconventionnelle en la
déclarant «irrecevable comme telle» — ce dont je me dissocie énergique-
ment —, elle aurait dû pour le moins s’informer comme il convient en

tenant d’abord des audiences publiques dans le but d’obtenir des préci-
sions supplémentaires des Parties. Elle n’aurait pas dû prendre la présente
décision sans avoir au préalable entendu les Parties en audience publique,
et ce pour les cinq raisons suivantes: a) premièrement, en vertu d’une

prescription fondamentale découlant du principe de la bonne administra-
tion de la justice qui préside au droit procédural international; b) deuxiè-
mement, parce que les demandes reconventionnelles sont autonomes d’un

point de vue ontologique et devraient bénéficier du même traitement que
les demandes principales qu’elles tendent à neutraliser (supra); c) troi-
sièmement, l’examen simultané des demandes principales et des de-
mandes reconventionnelles, qui devraient être en «connexité directe»,
19
exige un strict respect du principe du contradictoire ; d) quatrièmement,
l’égalité procédurale entre les parties (demandeur et défendeur, dont les
rôles s’inversent du fait de la demande reconventionnelle) ne peut être
assurée que moyennant le strict respect du principe du contradictoire; et

e) cinquièmement, mais non par ordre d’importance, les questions sou-
levées devant la Cour par la demande principale et la demande reconven-
tionnelle sont trop importantes — et ce tant pour le règlement de la
présente affaire que pour l’état actuel et futur du droit international —

pour que la Cour puisse les traiter de la manière dont elle a procédé, en
rejetant sommairement le demande reconventionnelle.

VI. L’ ENSEMBLE FACTUEL COMPLEXE EN L ’ESPÈCE
ET LES ARGUMENTS DES P ARTIES

31. Passant maintenant à l’examen de l’ensemble factuel complexe

dans la présente affaire des Immunités juridictionnelles de l’Etat , oppo-
sant l’Italie et l’Allemagne pour ce qui est de la demande reconvention-
nelle, mon analyse portera d’abord sur la déclaration conjointe des Gou-
vernements italien et allemand de 2008. En deuxième lieu, j’examinerai

les arguments des Parties concernant la demande reconventionnelle, en

19
Cf. F. Salerno, «La demande reconventionnelle dans la procédure de la Cour interna-
tionale de Justice»,Revue générale de droit international public, vol. 103, 1999, p. 371-374.

36343 JURISDICTIONAL IMMUNITIES OF THE STATE DISS. OP. CANÇADO TRINDADE )

dispute; (b) the substance of the dispute; and (c) the debate of the con-

tending Parties on the notion of “continuing situation”.

1. The 2008 Joint Declaration

of Italy and Germany

32. On 18 November 2008, Italy and Germany adopted a significant
Joint Declaration at the memorial site “La Risiera di San Sabba” close to
Trieste, included in the documentary Annexes of both contending Parties
20
filed with this Court . In that
“Italy and Germany share the ideals of reconciliation, solidarity

and integration, which form the basis of the European construction
that both countries have contributed to with conviction, will con-
tinue to contribute to and drive forward.

In this spirit of co-operation they also jointly address the painful
experiences of the Second World War; together with Italy, Germany
fully acknowledges the untold suffering inflicted on Italian men and
women in particular during massacres and on former Italian military

internees, and keeps alive the memory of these terrible events.

With this in mind, Deputy Chancellor and Federal Minister for

Foreign Affairs Frank-Walter Steinmeier, accompanied by Foreign
Minister Franco Frattini, visited the Risiera di San Sabba in what
can be considered a gesture of great moral and humanitarian value
to pay tribute to the Italian military internees who were kept in this

transit camp before being deported to Germany, as well as to all the
victims for whom this place stands.
Italy respects Germany’s decision to apply to the International
Court of Justice for a ruling on the principle of State immunity.

Italy, like Germany, is a State Party to the European Convention of
1957 for the Peaceful Settlement of Disputes and considers interna-
tional law to be a guiding principle for its actions. Italy is thus of the
view that the ICJ’s ruling on State immunity will help to clarify this

complex issue”.

33. Italy and Germany have seen it fit, very significantly, to issue this
Joint Declaration of 18 November 2008, near Trieste, to which I attach
much importance. It is highly commendable of Germany and Italy to
have honoured the memory of some of the victims, subjected to deporta-

tion and forced labour, in the Second World War. The past lies within us
in the present, and we can hardly face the future if we overlook it. It is

20Annexes to the Memorial of the Federal Republic of Germany, Vol. I, of 12 June
2009, Annex 2; and Annexes to the Counter-Memorial of Italy, of 22 December 2009,
Annex I.

37 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ’ÉTAT (OP. DISS.CANÇADO TRINDADE ) 343

me penchant sur: a) l’étendue du différend; b) le fond du différend; et

c) la controverse entre les Parties sur la notion de «situation continue».

1. La déclaration conjointe de 2008

des Gouvernements italien et allemand

32. Le 18 novembre 2008, l’Italie et l’Allemagne adoptèrent, sur le site
du mémorial de la «Risiera di San Sabba», près de Trieste, une impor-
tante déclaration conjointe annexée aux pièces de procédure déposées par
20
les deux Parties devant la Cour . Aux termes de cette déclaration:
«L’Italie et l’Allemagne déclarent partager les idéaux de réconci-

liation, de solidarité et d’intégration qui forment la base de la cons-
truction européenne, à laquelle les deux Etats ont contribué avec
conviction, à laquelle ils continueront de contribuer et dont ils ne
cesseront de favoriser le développement.

C’est dans ce même esprit de coopération qu’ils entendent revenir
ensemble sur les douloureuses expériences de la seconde guerre mon-
diale; se joignant à l’Italie, l’Allemagne prend pleinement et solen-
nellement acte des souffrances indicibles infligées aux hommes et aux

femmes d’Italie, en particulier lors des massacres, ainsi qu’aux
anciens internés militaires italiens, et Œuvre pour que soit conservée
la mémoire de ces événements tragiques.
Dans cette optique, M. Frank-Walter Steinmeier, vice-chancelier

et ministre fédéral des affaires étrangères, a, en un geste d’une
grande portée morale et humanitaire, visité en compagnie de son
homologue M. Franco Frattini la «Risiera di San Sabba», ce afin de
rendre hommage aux internés militaires italiens qui furent détenus

dans ce camp de transit avant d’être déportés en Allemagne ainsi
qu’à toutes les victimes dont ce lieu vise à honorer la mémoire.
L’Italie respecte la décision de l’Allemagne de s’adresser à la Cour
internationale de Justice pour obtenir une décision sur le principe de

l’immunité de l’Etat. Comme l’Allemagne, elle est partie à la conven-
tion européenne de 1957 pour le règlement pacifique des différends
et se laisse toujours guider dans son action par le droit international.
L’Italie estime dès lors que pareille décision contribuera à faire la

lumière sur cette question complexe.»

33. Il est particulièrement révélateur que l’Italie et l’Allemagne aient
jugé opportun d’adopter le 18 novembre 2008, près de Trieste, cette décla-
ration conjointe à laquelle j’attache une importance considérable. Le fait
que l’Allemagne et l’Italie aient honoré la mémoire de certaines des vic-

times de la déportation et du travail forcé au cours de la seconde guerre
mondiale est particulièrement louable. Le passé vit en nous dans le présent.

20Mémoire de la République fédérale d’Allemagne (12 juin 2009), vol. I, annexe 2; et
contre-mémoire de l’Italie (22 décembre 2009), annexe I.

37344 JURISDICTIONAL IMMUNITIES OF THE STATE (DISS.OP .CANÇADO TRINDADE )

hardly surprising that, in the history of human thinking, to live within the
passing of time has, for centuries, proven to be one of the greatest enig-
mas of human existence (as acknowledged in the writings, e.g., of Plato,

Aristotle, Augustine, Seneca, B. Pascal, I. Kant, H. Bergson, P. Ricoeur,
among others).

34. The triggering point of the present case opposing the two contend-
ing Parties lies in the two 1961 Agreements between Germany and Italy
(respectively, the Agreement on the Settlement of Certain Property-

Related, Economic and Financial Questions, and the Agreement on
Indemnity in Favour of Italian Nationals Affected by National-Socialist
Measures of Persecution). This point should not be taken as a blindfold,

so as to prevent or avoid the Court looking into the past, into one of the
darkest periods in contemporary history. Not at all. The past is ineluctably

within each one of us. By their Joint Declaration of 18 November 2008,
Italy and Germany have clearly demonstrated that they both remain pre-
pared to look into the past, and to honour the memory of those victim-

ized by human cruelty, by the horrors of the Third Reich. From much
less than a Joint Declaration of the kind, legal consequences have been
extracted, that States have felt themselves bound to bear . Facing the

past renders the present understandable and bearable, and the future
viable, if not promising.

35. The weight of grave injustice does not dissipate nor lighten with
the passing of time; instead, it becomes heavier and more unbearable. To
live well within time, one has to reckon, and abide by, the imperatives of

justice. Great injustices, atrocities, grave violations of human rights and
international humanitarian law, do not fade away. They can hardly be
forgotten. Even if one meets with forgiveness, this latter is not a synonym
22
of forgetfulness . However overlooked it has been by historians to date,
forced labour in the Second World War 23 is alive not only in the memory
of the surviving victims in our days, but also in collective or inter-

21 Such is the case of certain unilateral acts of States in international law; cf., e.g., Erik
Suy, Les actes juridiques unilatéraux en droit international public , Paris, LGDJ, 1962,
p. 44, and cf. pp. 1-290; G. Venturini, “La portée et les effets juridiques des attitudes et des

actes unilatéraux des Etats”, 112 Recueil des cours de l’Académie de droit international de
La Haye (1964), pp. 387-388, 391 and 400-401; A. Miaja de la Muela, “Los Actos Uni-
laterales en las Relaciones Internationales”, 20 Revista Española de Derecho Internacional
(1967), pp. 456-459.
22 On this specific point, cf. A. A. Cançado Trindade, “Responsabilidad, Perdón y Jus-
ticia como Manifestaciones de la Conciencia Jurídica Universal”, 8 Revista de Estudios
Socio-Jurídicos, Universidad del Rosario de Bogotá (2006), pp. 15-36.
23 Cf., generally, as to the Second World War, e.g., W. Gruner, Jewish Forced Labour
under the Nazis, Cambridge University Press, 2008, pp. 3-295; C. R. Browning, Politique
nazie, travailleurs juifs, bourreaux allemands , Paris, Ed. Tallandier, 2009, pp. 11-267. And
cf. generally, as to the First World War, e.g., F. Passelecq, Déportation et travail forcé des
ouvriers et de la population civile de la Belgique occupée (1916-1918) , Paris/New Haven,
P.U.F./Yale University Press, 1928, pp. 1-404; [Various Authors], Captivity, Forced

38 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ÉTAT (OP. DISS. CANÇADO TRINDADE ) 344

En négligeant le passé, nous ne pourrions point affronter l’avenir. Il n’est
guère surprenant que, tout au long de l’histoire de la pensée humaine, la

vie dans le temps qui passe se soit révélée, au cours des siècles, l’une des
plus grandes énigmes de l’existence humaine (comme cela a été reconnu,
par exemple, dans les Œuvres de Platon, Aristote, saint Augustin, Sénèque,

B. Pascal, E. Kant, H. Bergson ou P. RicŒur, entre autres).
34. Le point de départ du présent différend opposant les deux Parties
réside dans les deux accords de 1961 entre l’Allemagne et l’Italie (à

savoir, respectivement, le traité portant règlement de certaines questions
d’ordre patrimonial, économique et financier et le traité relatif à l’indem-
nisation des ressortissants italiens ayant fait l’objet de mesures de persé-

cution sous le régime national-socialiste). Or il ne s’ensuit pas que la
Cour soit de ce fait empêchée de tourner son regard vers le passé, vers

l’une des périodes les plus sombres de l’histoire contemporaine. Il n’en est
rien. Le passé vit inévitablement en chacun de nous. Par leur déclaration
conjointe du 18 novembre 2008, l’Italie et l’Allemagne ont clairement

démontré qu’elles restaient toutes deux disposées à tourner leur regard
vers le passé et à honorer la mémoire de ceux qui furent victimes de la
cruauté humaine, des horreurs du III Reich. Il a fallu bien moins qu’une

déclaration conjointe de ce type pour que fussent tirées des conséquences
juridiques que les Etats se sont estimés obligés de supporter . C’est en
affrontant le passé que l’on peut comprendre et assumer le présent et que

l’avenir devient viable et même prometteur.
35. L’écoulement du temps ne supprime ni n’allège le poids des injus-
tices graves, qui devient au contraire plus accablant et impossible à suppor-

ter. Pour bien vivre dans le temps, on doit tenir compte des impératifs de la
justice et les respecter. Les grandes injustices, les atrocités et les violations

graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire ne
s’effacent pas. Elles ne sauraient être oubliées. Même si le pardon est
accordé, il n’est pas synonyme d’oubli . Quelque négligé par les historiens

qu’ait pu être jusqu’à présent le travail forcé pendant la seconde guerre
mondiale , il reste vivant non seulement dans la mémoire des victimes

21 Comme c’est le cas pour certains actes unilatéraux des Etats au niveau international:
cf. par exemple Erik Suy, Les actes juridiques unilatéraux en droit international public ,
Paris, LGDJ, 1962, p. 44, et cf. p. 1-290; G. Venturini, «La portée et les effets juridiques
des attitudes et des actes unilatéraux des Etats», Recueil des cours de l’Académie de droit
international de La Haye , vol. 112, 1964, p. 387-388, 391 et 400-401; A. Miaja de la
Muela, «Los Actos Unilaterales en las Relaciones Internationales», Revista Española de
Derecho Internacional, vol. 20, 1967, p. 456-459.
22
Sur ce point précis, cf. A. A. Cançado Trindade, «Responsabilidad, Perdón y Justi-
cia como Manifestaciones de la Conciencia Jurídica Universal», Revista de Estudios
Socio-Jurídicos, vol. 8, Universidad del Rosario de Bogotá, vol. 8, 2006, p. 15-36.
23 Cf. généralement, pour ce qui est de la seconde guerre mondiale, par exemple
W. Gruner, Jewish Forced Labour under the Nazis , Cambridge University Press, 2008,
p. 3-295; C. R. Browning, Politique nazie, travailleurs juifs, bourreaux allemands , Paris,
Tallandier, 2009, p. 11-267. Et cf. généralement, pour ce qui est de la première guerre
mondiale, par exemple F. Passelecq, Déportation et travail forcé des ouvriers et de
la population civile de la Belgique occupée (1916-1918) , Paris/New Haven, PUF/Yale

38345 JURISDICTIONAL IMMUNITIES OF THE STATE (DISS.OP .CANÇADO TRINDADE )

generational human memory, in human conscience, and the present case

before this World Court bears witness of that.

2. The Parties’ Arguments on the Counter-Claim

(a) The scope of the dispute

36. It is beyond the purposes of the present dissenting opinion to

examine all the arguments of the contending Parties on the cas d’espèce,
as developed by them in the Memorial and Counter-Memorial. Instead,
at the present stage of consideration of the present case, I shall concen-

trate the examination that follows on the Parties’ arguments specifically
devoted to the counter-claim, which forms the object of the present Order
of the Court. Yet, a brief preliminary remark is called for, concerning the
distinct understanding of the contending Parties as to the “real scope” of

their dispute.
37. In fact, Germany attributes to it a narrower, and Italy a broader,
scope. Germany describes the dispute, in its Memorial, as one relating to

a judgment rendered (on 11 March 2004) by Italy’s Corte di Cassazione
in the case Ferrini v. Federal Republic of Germany , whereby that Italian
Court allegedly breached violating its rights by denying it immunity in

proceedings instituted by Italian citizens who had been subjected to
forced labour in the armaments industries on German territory from
1943 to 1945. While Germany recognizes that the Third Reich’s action
24
towards the so-called “military internees” was unlawful and criminal, it
is of the opinion that such past atrocities do not justify the breach of the
immunity that States enjoy under general international law.

38. To that, Germany adds that war reparations are to be agreed upon
25
on the international level, and, more precisely, on an “inter-State level” ,
as they have in fact been, through three international agreements, namely:
(a) the Peace Agreement that Italy celebrated with the Allied Powers in
1947; (b) the 1961 Treaty on the Settlement of Certain Property-Related,

Economic and Financial Questions between Germany and Italy; and (c)
the 1961 Treaty on Indemnity in Favour of Italian Nationals Subjected

Labour and Forced Migration in Europe during the First World War (M. Stibbe, ed.),
London/N.Y., Routledge, 2009, pp. 1-81.

24
As Germany points out, there are actually three categories of claimants, namely:
(a) civilians abducted in Italy and taken to Germany to perform forced labour;(b)
prisoners of war of Italian nationality who were factually deprived of their status under
the Hague Conventions and then subjected to forced labour (the “military internees”,
whom the Parties frequently refer to); and (c) victims of massacres perpetrated by Ger-
man officials. Cf. Memorial of the Federal Republic of Germany, of 12 June 2009,
pp. 12-13, para. 13.
25Cf. ibid., pp. 9-12, paras. 10-12.

39 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ÉTAT (OP. DISS.CANÇADO TRINDADE ) 345

encore survivantes, mais également dans la mémoire collective ou intergé-

nérationnelle de l’humanité, dans la conscience humaine, ce dont témoigne
la présente affaire introduite devant la Cour internationale de Justice.

2. Les arguments des Parties concernant la demande reconventionnelle

a) L’étendue du différend

36. Un examen de tous les arguments des Parties concernant la pré-

sente espèce, tels qu’ils ont été développés par elles dans le mémoire et
dans le contre-mémoire, irait au-delà des objectifs de la présente opinion
dissidente. Au stade actuel de l’affaire, l’analyse ci-après portera plutôt

sur les arguments que les Parties ont spécialement consacrés à la demande
reconventionnelle faisant l’objet de la présente ordonnance de la Cour.
Une brève remarque préliminaire s’impose néanmoins au sujet des vues
divergentes des Parties quant à l’«étendue réelle» de leur différend.

37. En effet, l’Allemagne considère que le champ du différend est plus
étroit, tandis que l’Italie l’estime plus vaste. Comme l’Allemagne l’in-

dique dans son mémoire, le différend aurait pour objet un arrêt rendu (le
11 mars 2004) par la Corte di Cassazione italienne dans l’affaire Ferrini
c. République fédérale d’Allemagne , par lequel cette juridiction italienne

aurait porté atteinte à ses droits en écartant son immunité dans une pro-
cédure engagée par des ressortissants italiens qui furent astreints au tra-
vail forcé dans l’industrie de l’armement en territoire allemand entre 1943
e
et 1945. Tout en reconnaissant que les actes commis par le III Reich à
l’encontre des «internés militaires» 24 étaient illicites et criminels, l’Alle-
magne estime néanmoins que ces atrocités perpétrées dans le passé ne jus-

tifient pas qu’il soit porté atteinte à l’immunité dont les Etats jouissent en
vertu du droit international général.
38. L’Allemagne ajoute que les réparations de guerre doivent être

convenues a25niveau international et, plus précisément, au «niveau inter-
étatique» , comme elles l’ont effectivement été au moyen de trois accords
internationaux, à savoir a) le traité de paix que l’Italie a conclu avec les
Puissances alliées en 1947, b) le traité de 1961 portant règlement de cer-

taines questions d’ordre patrimonial, économique et financier entre l’Alle-
magne et l’Italie, et c) le traité de 1961 relatif à l’indemnisation des

University Press, 1928, p. 1-404; Captivity, Forced Labour and Forced Migration in
Europe during the First World War (ouvrage collectif, M. Stibbe, dir. publ.), Londres/
New York, Routledge, 2009, p. 1-81.
24
Comme le relève l’Allemagne, il existe en réalité trois catégories de demandeurs, à
savoir: a) les civils capturés en Italie et transportés en Allemagne pour y être astreints au
travail forcé; b) les prisonniers de guerre de nationalité italienne qui se virent de fait
privés du statut que leur garantissent les conventions de La Haye et furent ensuite as-
treints au travail forcé (les «internés militaires», auxquels les Parties se réfèrent souvent);
et c) les victimes des massacres perpétrés par des agents allemands. Cf. mémoire de la
République fédérale d’Allemagne (12 juin 2009), p. 12-13, par. 13.
25 Cf. ibid., p. 9-12, par. 10-12.

39346 JURISDICTIONAL IMMUNITIES OF THE STATE (DISS. OP. CANÇADO TRINDADE )

to National-Socialist Measures of Prosecution, also between Germany

and Italy. Accordingly, in Germany’s view, the scope of the present dis-
pute is limited to the aforementioned denial of its immunity.

39. On its part, Italy invites the ICJ to identify the “real cause of the
dispute” not in the judgment of its Corte di Cassazione in the Ferrini case
(2004), but rather in “the issue of reparation owed by Germany to the
26
Italian victims of the crimes committed by Nazi authorities” . Italy con-
tends that Germany has failed to provide Italian “military internees”
with the appropriate compensation, by inter alia excluding them from
27
reparation schemes established under German law (cf. infra). Accord-
ingly, Italy submits that for the purposes of determining the “real cause

of the dispute”, its courts’ decisions with regard to the issue of the immu-
nity of the German State “have to be regarded as being a consequence of
the legal and factual situation created by Germany’s refusal to compen-
28
sate Italian victims” . It is on the basis of this broader view of the scope
of the present dispute that Italy introduced a counter-claim.

40. As to the “direct connection” requirement for the interposition of
counter-claims (cf. supra), Italy advances the view that there is a manifest
connection between the facts and the law that it referred to, to the effect

of responding to Germany’s claim, and the facts and the law that sub-
stantiate the present counter-claim. Italy argues that “a State responsible

for violations of fundamental rules is not entitled to immunity” if this
would exonerate it from “bearing the consequences of its unlawful con-
duct”; in order to analyse this defence to Germany’s original claim, it

submits that the Court will have to deal with “many of the same factual
and legal issues” that serve as a basis for the counter-claim . 29

41. On this point, Italy concludes with two remarks. First, it points

out that the fact that the counter-claim widens the object of the dispute in
no way affects its admissibility, as confirmed by the Court in its Order in
the case of the Application of the Convention on the Prevention and Pun-
30
ishment of the Crime of Genocide case (1997, supra) . And secondly,
Italy asserts that, Germany having been “well aware of the strict link
existing in the present case between immunity and reparation”, it is

undeniable that the reparation issue is part of the “complex issue” to
which the Joint Declaration adopted by the Parties in 2008 alludes . 31

26
27 Counter-Memorial of Italy (22 December 2009), p. 35, para. 3.11.
28 Cf. ibid., pp. 16-18, paras. 2.9-2.19.
Ibid., p. 36, para. 3.11.
29 Ibid., p. 130, para. 7.6.
30 Ibid., p. 130, para. 7.7.
31 Ibid., pp. 130-131, para. 7.8.

40 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ’ÉTAT (OP .DISS. CANÇADO TRINDADE ) 346

ressortissants italiens ayant fait l’objet de mesures de persécution sous le
régime national-socialiste, également conclu entre l’Allemagne et l’Italie.

En conséquence, d’après l’Allemagne, l’étendue du présent différend se
limiterait au refus susmentionné de son immunité.
39. L’Italie invite de son côté la CIJ à rechercher la «cause réelle du

différend» non pas dans l’arrêt rendu par sa Corte di Cassazione dans
l’affaire Ferrini (2004), mais plutôt dans «la question de la réparation
due par l’Allemagne aux victimes italiennes des crimes commis par les
26
autorités nazies» . L’Italie soutient que l’Allemagne n’a pas accordé une
réparation appropriée aux «internés militaires» italiens, en les excluant
entre autres des régimes de réparation institués en vertu de la législation
27
allemande (cf. infra). L’Italie affirme en conséquence que, pour déter-
miner la «cause réelle du différend», les décisions rendues par ses juridic-

tions sur la question de l’immunité de l’Etat allemand «doivent être
considérées comme étant la conséquence de la situation de droit et de fait
découlant du refus de l’Allemagne d’indemniser les victimes italiennes» . 28

C’est en partant de cette vision plus large de l’étendue du présent diffé-
rend que l’Italie a présenté une demande reconventionnelle.
40. Pour ce qui est de la condition de la «connexité directe» à laquelle

est subordonnée la présentation de demandes reconventionnelles (cf.
supra), l’Italie fait valoir qu’il existe manifestement une connexité directe
entre les faits et le droit sur lesquels elle se fonde pour contrer la demande

de l’Allemagne et entre les faits et le droit sur lesquels repose sa demande
reconventionnelle. L’Italie soutient qu’«un Etat qui viole des règles fon-
damentales n’est pas habilité à invoquer l’immunité» si cela aurait pour

effet de le «soustraire aux conséquences juridiques de son comportement
illicite»; elle affirme que, lorsque la Cour examinera ce moyen de défense

concernant la demande initiale de l’Allemagne, elle devra se pencher sur
«bon nombre des questions factuelles et juridiques» sur lesquelles est
basée sa demande reconventionnelle . 29

41. L’Italie conclut sur ce point par deux observations. Elle relève
d’abord que le fait que la demande reconventionnelle élargit l’objet du
différend n’a pas d’incidence sur sa recevabilité, comme cela a été confirmé

par la Cour dans son ordonnance rendue en l’affaire relative à l’Applica-
tion de la convention pour la prévention et la répression du crime de géno-
cide (1997, supra) . Elle affirme en deuxième lieu que, étant donné que

l’Allemagne était «tout à fait consciente du lien étroit existant entre
immunité et réparations en la présente affaire», la question de la répara-
tion fait incontestablement partie de la «question complexe» à laquelle
31
renvoie la déclaration conjointe adoptée par les Parties en 2008 .

26 Contre-mémoire de l’Italie (22 décembre 2009), p. 35, par. 3.11.
27 Cf. ibid., p. 16-18, par. 2.9-2.19.
28 Ibid., p. 36, par. 3.11.
29 Ibid., p. 130, par. 7.6.
30 Ibid., p. 130, par. 7.7.
31 Ibid., p. 130-131, par. 7.8.

40347 JURISDICTIONAL IMMUNITIES OF THE STATE (DISS.OP .CANÇADO TRINDADE )

42. On its turn, Germany “deliberately refrains” from taking a stance
on “the inter-relatedness of the claim brought by it against the Respon-

dent and the counter-claim”, although it does indicate that there is, in its
view, “a significant disparity” between both claims . First, as to the lack
it sustains of direct connection in law, whereas its own claim refers to the

judicial practice of Italian courts in denying immunity of jurisdiction,
Italy’s counter-claim relates to violations of international law committed
by German troops during the Second World War. And second, in so far

as the alleged lack of direct connection in facts is concerned, the events
Germany wishes the Court to rule upon have taken place from 2004 onwards,
while those Italy wants the Court to examine took place in 1943-1945.

Germany takes the position, however, that the direct connection issue is
not relevant for the Court’s decision on admissibility of the counter-

claim, since “the lack 33 jurisdiction ratione temporis as well as ratione
materiae is evident” .

(b) The substance of the dispute

43. In the last chapter of its Counter-Memorial , Italy introduces a
counter-claim whereby it asks the ICJ to adjudge and declare that

“Germany has violated its obligation of reparation owed to Italian
victims of the crimes committed by Nazi Germany during the Sec-
ond World War and that, accordingly, Germany must cease its

wrongful conduct and offer effective and appropriate reparation to
these victims” . 35

Italy then concentrates on the prerequisites of admissibility of counter-
claims, under Article 80 of the Rules of Court (cf. supra). It begins by

arguing that “the dispute on immunity brought by Germany and the dis-
pute on reparation brought by Italy originate out of the same facts” . 36

44. Its counter-claim, in its view, thus shares with the original claim
the same jurisdictional ground. In particular, Italy sustains that the
Court has jurisdiction ratione temporis in the present case, because the

events that constitute the “real cause of the dispute” — i.e., “the repara-
tion regime established by the two 1961 Agreements between Germany
and Italy” and the exclusion of Italian victims from the reparation

32 Preliminary Objections of Germany regarding Italy’s Counter-Claim (10 March
2010), p. 4, para. 3.
33 Ibid., p. 4, para. 3.
34 Counter-Memorial of Italy (22 December 2009), pp. 128-133, paras. 7.1-7.14.
35 Ibid., p. 128, para. 7.2.
36 Ibid., p. 129, para. 7.4.

41 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ’ÉTAT OP .DISS. CANÇADO TRINDADE ) 347

42. De son côté, l’Allemagne «s’abstient délibérément» de prendre
position sur «la question de la connexité entre la demande qu’elle a for-
mulée contre le défendeur et la demande reconventionnelle de celui-ci»,
32
tout en indiquant qu’elles sont, à son avis, «très différentes» . Premiè-
rement, pour ce qui est de l’absence de connexité directe en droit alléguée
par l’Allemagne, alors même que sa propre demande se réfère à la pra-

tique de juridictions italiennes refusant l’immunité de juridiction, la
demande reconventionnelle de l’Italie porte sur des violations du droit
international commises par les troupes allemandes au cours de la seconde

guerre mondiale. Deuxièmement, pour ce qui est de l’absence alléguée de
connexité directe en fait, les événements au sujet desquels l’Allemagne
invite la Cour à se prononcer sont survenus depuis 2004, tandis que ceux

que l’Italie souhaite soumettre à l’examen de la Cour ont eu lieu entre
1943 et 1945. L’Allemagne déclare néanmoins que, à son avis, la question

de la connexité directe n’est pas pertinente aux fins de la décision de la
Cour sur la recevabilité de la demande reconventionnelle, puisqu’«[i]l
est ... évident que la Cour n’a compétence ni ratione temporis ni ratione
33
materiae» .

b) Le fond du différend

43. Dans le dernier chapitre de son contre-mémoire 3, l’Italie présente

une demande reconventionnelle par laquelle elle prie la CIJ de déclarer
que

«l’Allemagne a violé l’obligation de réparation qui est la sienne à
l’égard des victimes italiennes des crimes commis par l’Allemagne

nazie pendant la seconde guerre mondiale et qu’elle doit, par consé-
quent, mettre fin à son comportement illicite et accorder aux vic-
times une réparation effective et appropriée» . 35

L’Italie se penche ensuite sur les conditions de recevabilité des demandes

reconventionnelles en vertu de l’article 80 du Règlement de la Cour (cf.
supra). Elle soutient d’abord que «le différend concernant l’immunité
soumis par l’Allemagne et celui concernant les réparations soumis par
36
l’Italie découlent des mêmes faits» .
44. Elle estime donc que sa demande reconventionnelle et la demande
originaire sont basées sur le même titre de compétence. L’Italie soutient

en particulier que la Cour est compétente ratione temporis en l’espèce
parce que les événements qui constituent la «cause réelle du différend»
— c’est-à-dire «le régime de réparation institué par les deux accords

conclus entre l’Allemagne et l’Italie en 1961» et l’exclusion des victimes

32Observations écrites de la République fédérale d’Allemagne relatives à la demande
reconventionnelle de l’Italie (10 mars 2010), p. 3, par. 3.
33Ibid., p. 4, par. 3.
34Contre-mémoire de l’Italie (22 décembre 2009), p. 128-133, par. 7.1 à 7.14.
35Ibid., p. 128, par. 7.2.
36Ibid., p. 129, par. 7.4.

41348 JURISDICTIONAL IMMUNITIES OF THE STATE (DISS.OP .CANÇADO TRINDADE )

scheme instituted by the Foundation “Remembrance, Responsibility and
Future” set up in 2000 — took place after the entry into force of the 1957
37
European Convention for the Peaceful Settlement of Disputes (which
provides the jurisdictional basis for the adjudication of the present case).

45. Italy considers the “more recent decisions of German authorities
regarding the claims of reparation put forward” by Italian victims (espe-
cially under the auspices of the “Remembrance, Responsibility and
38
Future” Foundation in 2000 ) to be additional “new situations” to the
end of establishing jurisdiction ratione temporis over the present counter-
claim. Since such decisions were taken upon the view that “individuals

who are victims of grave violations of international humanitarian law
would not be entitled to an individual right of reparation because the

issue of reparation in such cases has to be dealt with exclusively at the inter-
State level”, they would constitute an autonomous source of the Parties’
dispute in relation to the issue of reparations . 39

46. Furthermore, Italy states that it “disagrees with Germany about
the scope of the waiver clauses” contained in the two Agreements of
40
1961 . Accordingly, Italy denies that the “real cause of the dispute”
would lie in the atrocities committed by Nazi Germany during the Sec-
ond World War (between 1943 and 1945), as the contending Parties are

already “in clear agreement concerning the occurrence and the legal
qualification of facts which gave rise to the claims of reparation”, namely,
the “grave violations of international humanitarian law committed by
41
Nazi Germany” .
47. The reason why the dispute does not originate in the 1947 Peace

Treaty either (although Article 77, paragraph 4, of which, containing the
waiver clause, calls for interpretation), is that, by celebrating the two
1961 Treaties (cit. supra), Germany allegedly renounced to invoke the

waiver clause of Article 77, paragraph 4, of the former Peace Treaty, thus
giving rise to a “new situation” between the Parties with regard to “the
issue of reparation” . For these reasons, Italy concludes that the dispute

can only arise from the interpretation of the two 1961 Treaties. In its own
words,

“(. . .) [T]he Court has jurisdiction to deal with the dispute on immu-

nity brought by Germany as well as with the dispute on reparation
brought by Italy. There is no relevant temporal limitation on the
Court’s jurisdiction since both disputes relate to facts and situa-

37
Cf. Counter-Memorial of Italy (22 December 2009), p. 129, para. 7.4, and cf. also
pp. 33-37, paras. 3.6-3.13.
38 Ibid., pp. 38 and 40, paras. 3.16 and 3.19.
39 Ibid., p. 40, para. 3.19.
40 Ibid., p. 39, para. 3.17.
41 Ibid., pp. 37-38, para. 3.15.
42 Ibid., p. 39, para. 3.18.

42 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ÉTAT (OP. DISS. CANÇADO TRINDADE ) 348

italiennes du régime de réparation mis en place par la fondation «Mé-
moire, responsabilité et avenir» créée en 2000 — sont survenus posté-

rieurement à l’entrée en vigueur de la convention européenne de 1957
pour le règlement pacifique des différends 37 (sur laquelle se fonde la
compétence de la Cour en l’espèce).

45. L’Italie estime que les «décisions plus récentes des autorités alle-
mandes concernant les demandes d’indemnisation présentées» par les
victimes italiennes (en particulier sous les auspices de la fondation
38
«Mémoire, responsabilité et avenir» en 2000 ) constituent autant de
«situations nouvelles» aux fins de l’établissement de la compétence ratione
temporis à l’égard de la présente demande reconventionnelle. Etant donné

que ces décisions ont été prises en partant de l’idée que «les personnes
ayant été victimes de violations graves du droit international humanitaire

ne bénéficieraient pas d’un droit à réparation individuel car, dans ces cas,
la question de la réparation devait être réglée exclusivement au niveau
interétatique», elles constitueraient une source autonome du différend
39
entre les Parties portant sur la question des réparations .
46. L’Italie déclare également qu’elle «ne partage pas l’avis de l’Alle-
magne au sujet de la portée des clauses de renonciation» figurant dans les
40
deux accords de 1961 . Elle nie donc que la «cause réelle du différend»
réside dans les atrocités perpétrées par l’Allemagne nazie au cours de la
seconde guerre mondiale (entre 1943 et 1945), puisque les Parties «par-

tagent clairement le même avis en ce qui concerne la survenance et la
qualification juridique des faits qui sont à l’origine des créances de répa-
ration», à savoir les «violations graves du droit international humani-
41
taire commises par l’Allemagne nazie» .
47. La raison pour laquelle le différend ne découlerait pas non plus du

traité de paix de 1947 (quoique le paragraphe 4 de son article 77, qui
contient la clause de renonciation, nécessite une interprétation) tiendrait
au fait que, en concluant les deux accords de 1961 (cités supra), l’Alle-

magne aurait renoncé à se prévaloir de la clause de renonciation figurant
au paragraphe 4 de l’article 77 dudit traité de paix, créant ainsi une «situ-
ation nouvelle» entre les Parties en ce qui concerne la «question de la répa-
42
ration» . Au vu de cela, l’Italie conclut que le différend ne peut découler
que de l’interprétation des deux accords de 1961. Elle déclare notamment:

«la Cour est compétente pour connaître du différend sur l’immunité

soumis par l’Allemagne ainsi que du différend sur la réparation
soumis par l’Italie. Il n’existe pas de limitation pertinente ratione
temporis de la compétence de la Cour, puisque les deux différends

37
Cf. Contre-mémoire de l’Italie (22 décembre 2009), p. 129, par. 7.4, et cf. également
p. 33-37, par. 3.6-3.13.
38 Ibid., p. 38 et 40, par. 3.16 et 3.19.
39 Ibid., p. 40, par. 3.19.
40 Ibid., p. 39, par. 3.17.
41 Ibid., p. 37-38, par. 3.15.
42 Ibid., p. 39, par. 3.18.

42349 JURISDICTIONAL IMMUNITIES OF THE STATE (DISS. OP. CANÇADO TRINDADE )

tions — the conclusion of the 1961 Compensation Agreements

between Italy and Germany and Germany’s refusal to address the
claims for reparation by IMIs — which took place after the entry
into force of the European Convention as between the parties to the
43
disputes.”

48. On its part, in its “preliminary objections” to Italy’s counter-claim,
Germany argues that the Court has neither jurisdiction ratione materiae,

nor jurisdiction ratione temporis, to entertain it. In its view, neither its
declaration of 30 April 2008 (accepting the compulsory jurisdiction of the
44
ICJ) , nor the German-Italian Joint Declaration of 18 November 2008
(reproduced supra) could have had the effect of expressing its consent on
the exercise of jurisdiction by the Court over the Italian counter-claim . 45

Germany expresses the view that the temporal criterion established by
Article 27 of the European Convention for the Peaceful Settlement of
46
Disputes pertains not to the date the dispute arises, but instead to the
date of “the facts or situations that entailed the dispute” . These facts

and situations — Germany adds — are “the unlawful acts and activities
committed by Germany by the German forces and other authorities dur-
ing the 20 months when Italy was placed under occupation and Italian
48
armed forces were treated as enemy forces” .

49. As to Italy’s contention that the dispute arises from the interpreta-

tion of the waiver clauses of the two 1961 Agreements, Germany sees the
two 1961 Agreements as a “gesture of good will”, as “steps in a process
of inner-European normalization, intended to consolidate even further
49
the good partnership between Germany and Italy” ; Germany denies to
have been required by international law to celebrate the 1961 Agree-

ments, which, it adjoins, “were validly concluded” and “do not negatively

43 Counter-Memorial of Italy (22 December 2009), pp. 40-41, para. 3.20.
44 Preliminary Objections of Germany . . ., op. cit. supra note 32, pp. 4-5, paras. 5-6.

Germany points out that the declaration accepting the compulsory jurisdiction of the ICJ
applies only to disputes arising after the date of its issuing, and, in any case, excludes
disputes relating to the activity of armed forces abroad.

45 As to the 2008 Joint Declaration, Germany points out that it consists of a “political
document” issued for the purpose of reassuring the international community that the
institution of proceedings against Italy did not adversely affect the good relations between

the Parties. Moreover, the declaration mentions the European Convention of 1957 is seen
by Germany as proof that the Parties agreed that the Convention “was the only legal
foundation of the forthcoming proceedings before the Court”; cf. ibid., p. 9, para. 12.

46 Article 27: “The provisions of this Convention shall not apply to: (. . .) 1. disputes
relating to facts or situations prior to the entry into force of this Convention as between
the parties to the dispute. (. . .)”.
47
Preliminary Objections of Germany (. . .), op. cit. supra note 32, pp. 9-10, para. 14.

48 Ibid., p. 10, para. 15.
49 Ibid., pp. 20-21, paras. 32-33.

43 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ’ÉTAT (OP .DISS. CANÇADO TRINDADE ) 349

portent sur des faits et situations, à savoir la conclusion des accords

d’indemnisation de 1961 entre l’Italie et l’Allemagne et le refus de
l’Allemagne d’examiner les demandes d’indemnisation des IMI, qui
sont postérieurs à l’entrée en vigueur de la convention européenne
43
entre les parties aux différends.»

48. Dans ses «observations écrites» relatives à la demande reconven-
tionnelle de l’Italie, l’Allemagne soutient pour sa part que la Cour n’est

compétente ni ratione materiae ni ratione temporis pour connaître de
ladite demande reconventionnelle. A son avis, ni sa déclaration du 30 avril
44
2008 (par laquelle elle accepte la juridiction obligatoire de la CIJ) ni la
déclaration conjointe des Gouvernements allemand et italien du
18 novembre 2008 (dont le texte a été reproduit ci-dessus) n’auraient pu

avoir pour effet d’exprimer son consentement en vue de l’exercice par la
Cour de sa compétence à l’égard de la demande reconventionnelle de
45
l’Italie . L’Allemagne fait valoir que le critère temporel énoncé à l’arti-
cle 27 de la convention européenne pour le règlement pacifique des dif-
46
férends ne viserait pas la date à laquelle le différend s’est élevé, mais la
date des «faits ou situations dont a résulté le différend» . Ces faits et
situations, ajoute l’Allemagne, sont les «actes et activités illicites commis

par les forces et autres autorités allemandes pendant les vingt mois au
cours desquels [l’Italie] a été placée sous occupation, et ses forces armées
48
traitées en tant que forces ennemies» .
49. Quant à l’affirmation de l’Italie selon laquelle le différend décou-

lerait de l’interprétation des clauses de renonciation figurant dans les
deux accords de 1961, l’Allemagne considère ces deux accords comme un
«geste de bonne volonté», comme «des étapes d’un processus de norma-

lisation intra-européenne et [qui] avaient pour objet de consolider le par-
tenariat entre l’Allemagne et l’Italie» . L’Allemagne nie avoir été tenue,

en vertu du droit international, de conclure les accords de 1961, qui,

43 Contre-mémoire de l’Italie (22 décembre 2009), p. 40-41, par. 3.20.
44 Observations écrites de la République fédérale d’Allemagne..., op. cit. supra note 32,

p. 4-5, par. 5-6. L’Allemagne relève que la déclaration portant acceptation de la juridic-
tion obligatoire de la CIJ ne s’applique qu’aux différends nés après la date de la signature
de ladite déclaration et, en tout état de cause, exclut les différends liés à l’activité des
forces armées à l’étranger.
45 Pour ce qui est de la déclaration conjointe de 2008, l’Allemagne fait observer qu’elle
constituerait un «document de nature politique» visant à rassurer la communauté inter-
nationale sur le fait que l’introduction de l’instance contre l’Italie ne nuirait en rien aux

bonnes relations entre les Parties. De surcroît, la déclaration indique que la convention
européenne de 1957 est considérée par l’Allemagne comme une preuve du fait que les
Parties partageaient l’avis selon lequel la convention «était le seul fondement juridique de
l’instance à venir devant la Cour»: cf. ibid., p. 9, par. 12.
46 Art. 27: «Les dispositions de la présente Convention ne s’appliquent pas: a) aux
différends concernant des faits ou situations antérieurs à l’entrée en vigueur de la présente
Convention entre les parties au différend...»
47
Observations écrites de la République fédérale d’Allemagne..., op. cit. supra note 32,
p. 9-10, par. 14.
48 Ibid., p. 10, par. 15.
49 Ibid., p. 20-21, par. 32-33.

43350 JURISDICTIONAL IMMUNITIES OF THE STATE (DISS.OP .CANÇADO TRINDADE )

affect Italian rights” . Moreover — Germany adds — Italy has never
mentioned “alleged defect, inconsistency or other failure of the two 1961

Agreements”, so that there is “simply no dispute about the relevance of
the Treaties with regard to the counter-claim” . 51

50. Lastly, Germany briefly dismisses Italy’s argument that the exclu-
sion of Italian victims from the reparation scheme of the Foundation

“Remembrance, Responsibility and Future” (2000) constitutes a new
source of dispute. It points out that Italy admitted, in its Counter-
Memorial, that “the enactment of the law was not dictated by an existing
52
obligation under international law between two countries” ; accord-
ingly, it submits that the events related to the enactment and execution of

the statute are not relevant to the present case.

51. In turn, in its “Observations on the Preliminary Objections” of

Germany, Italy reiterates that Germany has failed to distinguish between
the “source of the rights alleged to have been breached” and the “[real]
source of the dispute” that the Court is being called to adjudicate upon.

Although the source of the rights to receive reparation lies on grave vio-
lations of international humanitarian law committed during the Second
World War, it submits that the dispute in reality concerns the interpreta-

tion of the two 1961 Agreements, thus falling within the jurisdiction
ratione temporis of the Court. According to Italy, what the Court is
asked to decide is: (a) “whether or not Italy, by concluding the two 1961

Settlement Agreements, waived all its claims for reparation, including the
claims relating to the grave violations of international humanitarian law

committed by the German Reich during the Second World War”; and
(b) “whether Germany, by refusing to address the claims for reparation
submitted to it after the establishment in 2000 of the ‘Remembrance,

Responsibility and Future’ Foundation, failed to comply with its obliga-
tions concerning reparation for the Italian victims of the crimes commit-
ted by the German Reich, and if so, what the legal consequences arising
53
from such wrongful conduct are” .

50
Preliminary Objections of Germany . . ., op. cit. supra note 32, p. 21, para. 33.

51 Ibid., pp. 21-22, paras. 34-35.
52 Ibid., p. 23, para. 37.
53 Observations of Italy on the Preliminary Objections of the Federal Republic of Ger-
many regarding Italy’s Counter-Claim, 18 May 2010, pp. 7 and 9-10, paras. 14 and 21. In
its own words:

“The dispute submitted by Italy has substantially a twofold object. First, there is
the disputed question of the existence, at the time when, in the 2000s, the present
dispute was triggered, of a right of reparation in favour of Italy. In this respect, what
the Court has to decide is essentially whether or not Italy, by concluding the two
1961 Settlement Agreements, waived all its claims for reparation, including the claims
relating to the grave violations of international humanitarian law committed by the

44 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ’ÉTAT (OP. DISS.CANÇADO TRINDADE ) 350

ajoute-t-elle, «ont été conclus en bonne et due forme» et «n’ont aucune
incidence néfaste sur les droits italiens» . En outre, d’après l’Allemagne,

l’Italie n’a jamais «fait ... mention d’une quelconque irrégularité, incohé-
rence ou autre carence qui entacherait les deux accords de 1961» et, par-
tant, il «n’existe tout simplement aucun différend concernant la perti-
51
nence des traités vis-à-vis de la demande reconventionnelle» .
50. Enfin, l’Allemagne conteste sommairement l’argument de l’Italie
selon lequel l’exclusion des victimes italiennes du régime de réparation de

la fondation «Mémoire, responsabilité et avenir» (2000) constituerait une
nouvelle source de différend. Elle relève que l’Italie a reconnu, dans son
contre-mémoire, que «la promulgation de cette loi n’a[vait] pas été dictée
52
par une obligation de droit international existant entre les deux pays» .
L’Allemagne soutient en conséquence que les événements liés à la mise en

vigueur et à l’application de la loi seraient dénués de pertinence aux fins
de la présente espèce.
51. De son côté, l’Italie affirme de nouveau, dans ses «observations

sur les observations écrites» de l’Allemagne, que cette dernière n’aurait
pas distingué entre la «source des droits dont la violation est alléguée» et
la «source [réelle] du différend» que la Cour est appelée à trancher. Bien

que la source des droits à réparation réside dans les violations graves du
droit international humanitaire commises au cours de la seconde guerre
mondiale, l’Italie soutient que le différend porterait en réalité sur l’inter-

prétation des deux accords de 1961 et relèverait dès lors de la compétence
ratione temporis de la Cour. D’après l’Italie, la Cour est invitée à se pro-
noncer sur les questions de savoir: a) «si, en concluant les deux accords

de 1961, l’Italie a renoncé à toutes ses réclamations en matière de répara-
tion, y compris celles ayant trait aux violations graves du droit interna-

tional humanitaire commises par le Reich allemand au cours de la
seconde guerre mondiale» et b) «si, en refusant d’examiner les demandes
de réparation qui lui ont été soumises après la création de la fondation

«Mémoire, responsabilité et avenir» en 2000, l’Allemagne a manqué à ses
obligations de réparation à l’égard des victimes italiennes des crimes com-
mis par le Reich allemand et, dans l’affirmative, quelles sont les consé-
53
quences juridiques découlant de ce comportement illicite» .

50
Observations écrites de la République fédérale d’Allemagne..., op. cit. supra note 32,
p. 21, par. 33.
51 Ibid., p. 21-22, par. 34-35.
52 Ibid., p. 23, par. 37.
53 Observations écrites de l’Italie sur les observations écrites de l’Allemagne relatives à
la demande reconventionnelle de l’Italie (18 mai 2010), p. 7 et 9-10, par. 14 et 21. Comme
il y est affirmé:

«L’objet du différend soulevé par l’Italie est double quant à sa substance. Première-
ment, il porte sur la question litigieuse de l’existence, à l’époque de la naissance du
présent différend, au cours des années 2000, d’un droit à réparation en faveur de
l’Italie. A cet égard, la Cour doit essentiellement statuer sur la question de savoir si,
en concluant les deux accords de 1961, l’Italie a renoncé à toutes ses réclamations en
matière de réparation, y compris à celles ayant trait aux violations graves du droit

44351 JURISDICTIONAL IMMUNITIES OF THE STATE DISS .OP . CANÇADO TRINDADE )

52. Seeking to demonstrate that there is indeed a dispute between the

Parties as to how the two 1961 Agreements are to be interpreted, Italy
refers to some of the questions the Court will have to address if it decides
to entertain the counter-claim. It notes that the two 1961 Agreements

have threefold implications, in the sense that Germany is said to have:
(a) “waived what it considered to be its right to avail itself of the Italian
waiver of all claims” under the 1947 Peace Treaty; (b) recognized that

“an obligation of reparation towards Italy existed (. . .) opening the way
for a process of reparations”; and (c) “made it clear that [the two 1961
Agreements] did not exhaust the range of reparations which could be

provided to Italian victims, by explicitly recognizing that other avenues
remained available (or would become available) under German legis-
54
lation” .

53. In order to substantiate the argument that the two 1961 Agree-
ments created a “radically new situation” so that Germany became pre-
cluded from resorting to the waiver clause of the 1947 Peace Treaty,

Italy refers to the text of Article 3 of the Indemnity Treaty [the second
1961 Agreement] (which suggests that the agreements are without preju-
dice to claims not falling within their specific subject-matter) and to an

“exchange of letters” that took place at the time of the Agreements’ celeb-
ration . Italy maintains that the 1961 Agreements could not have

solved the reparations issue as suggested by Germany, pointing to the
practice of several States that denied that, waiver clauses similar to
those of the two 1961 Agreements, could have the effect of closing the
56
debate on reparations .

54. Italy further objects to Germany’s position that the two 1961

German Reich during World War II. Secondly, and strictly linked to the first issue,
there is the question of whether Germany, by refusing to address the claims for repa-
ration submitted to it after the establishment in 2000 of the ‘Remembrance, Respon-

sibility and Future’ Foundation, failed to comply with its obligations concerning
reparation for the Italian victims of the crimes committed by the German Reich, and
if so, what the legal consequences arising from such wrongful conduct are. Taking
into account the subject-matter of the present dispute as here defined, it is clear that
the facts or situations to which regard must be had for the purposes of applying the
temporal limitation clause set forth in Article 27 (a) [of the 1957 European Conven-
tion] are not the occurrences of World War II. The dispute submitted by Italy is one
with regard to a certain situation — the reparation regime established by the two
1961 Settlement Agreements — and with regard to certain facts, the events following
the establishment of the ‘Remembrance, Responsibility and Future’ Foundation.
These facts and situation, and not the occurrences during World War II, constitute

the source or real cause of the dispute on reparation.” (Para. 21.)

54 Observations of Italy . . ., op. cit. supra note 53, p. 17, para. 43.
55 Ibid., pp. 18-19, paras. 45-47.
56 Ibid., pp. 20-21, para. 53.

45 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ’ÉTAT (OP. DISS.CANÇADO TRINDADE ) 351

52. Cherchant à démontrer qu’il existe effectivement un différend entre

les Parties quant à la manière dont les deux accords de 1961 doivent être
interprétés, l’Italie mentionne certaines des questions que la Cour aurait à
trancher au cas où elle déciderait de connaître de la demande reconven-

tionnelle. Elle relève que les implications des deux accords de 1961 sont
triples, puisque l’Allemagne: a) aurait «renoncé à la possibilité, qu’elle
considérait comme étant son droit, de se prévaloir de la renonciation à

toute réclamation de la part de l’Italie» en vertu du traité de paix de
1947; b) aurait reconnu «l’existence d’une obligation de réparation envers
l’Italie ... ouvrant la voie à un processus de réparations»; et c) aurait

«reconnu clairement le fait que [les deux accords de 1961] n’avaient pas
épuisé l’ensemble des possibilités de réparation susceptibles d’être offertes

aux victimes italiennes, en reconnaissant expressément que d’autres voies
restaient disponibles (ou le deviendraient) en vertu de la législation alle-
mande» . 54

53. A l’appui de l’argument selon lequel les deux accords de 1961
auraient créé une «situation entièrement nouvelle» en vertu de laquelle
l’Allemagne ne serait plus recevable à se prévaloir de la clause de renon-

ciation du traité de paix de 1947, l’Italie se réfère au texte de l’article 3 du
traité d’indemnisation [le deuxième accord de 1961] (qui suggère que les
deux accords ne préjugent pas des réclamations qui ne relèvent pas de

leur objet spécifique) ainsi qu’à un «échange de lettres» intervenu lors de
la conclusion des accords . L’Italie soutient que les accords de 1961 ne

pouvaient pas, comme le suggère l’Allemagne, régler la question des répa-
rations, en renvoyant à la pratique de plusieurs Etats ayant rejeté la thèse
selon laquelle des clauses de renonciation similaires à celles des deux

accords de 1961 auraient pu avoir pour effet de clore le débat sur les
réparations .56
54. L’Italie conteste également le point de vue de l’Allemagne selon

international humanitaire commises par le Reich allemand au cours de la seconde
guerre mondiale. La deuxième question, étroitement liée à la première, est celle de
savoir si, en refusant d’examiner les demandes de réparation qui lui ont été soumises

après la création de la fondation «Mémoire, responsabilité et avenir» en 2000,
l’Allemagne a manqué à ses obligations de réparation à l’égard des victimes italiennes
des crimes commis par le Reich allemand et, dans l’affirmative, quelles sont les con-
séquences juridiques découlant de ce comportement illicite. Compte tenu de l’objet
du présent différend tel qu’il a été ici défini, on voit bien que les faits ou situations
dont il faut tenir compte aux fins de l’application de la clause de limitation ratione
temporis figurant à l’article 27 a) ne sont pas les événements de la seconde guerre
mondiale. Le différend soulevé par l’Italie concerne une situation déterminée, à
savoir le régime de réparation mis en place par les deux accords de 1961, ainsi que des
faits déterminés, à savoir les événements ayant suivi la création de la fondation
«Mémoire, responsabilité et avenir». Ce sont ces faits et cette situation, et non pas les

événements survenus au cours de la seconde guerre mondiale, qui constituent l’origine
ou la cause réelle du différend sur la réparation.» (Par. 21.)

54 Observations écrites de l’Italie..., op. cit. supra note 53, p. 17, par. 43.
55 Ibid., p. 18-19, par. 45-47.
56 Ibid., p. 20-21, par. 53.

45352 JURISDICTIONAL IMMUNITIES OF THE STATE (DISS. OP. CANÇADO TRINDADE )

Agreements, as well as the German legislation on reparations, consisted

of ex gratia measures; in Italy’s view, “no treaty can be really seen simply
as a gesture of good will and cannot be considered a unilateral act”, and
both the treaties and the relevant German legislation “were the result of
57
international pressure and intergovernmental negotiations” . Italy sums
up that

“the mere fact that Italy and Germany have opposing views on these
and other issues directly linked to the meaning and scope, as well as

the effects, of the 1961 Agreements (and subsequent German prac-
tice) proves that there is ‘. . . a disagreement on a point of law or
fact, a conflict of views. . .’ between the Parties, and places the 1961
58
Agreements and their consequence at the heart of the dispute” .

(c) The debate on the notion of “continuing situation”

55. Another bone of contention between Germany and Italy concerns
the incidence in the cas d’espèce of the notion of “continuing situation”.

Germany stresses that “the core of the counter-claim [of Italy] is epito-
mized by the contention that Germany has a continuing obligation to
provide reparation for the violations of international humanitarian law

committed by the authorities of the Nazi regime during the time of the
military occupation of Italy” . In Germany’s view, since “[n]o tort claim
or other claims against Germany flows from the 1961 Agreements” , the 60

Court should abstain from entertaining the counter-claim for lack of
jurisdiction ratione temporis.

56. Italy, on its part, affirms in its Counter-Memorial that the “obliga-
tion of reparation” on which its counter-claim is based, “has been and

continues today to be breached by the German side in relation to a great
number of victims” . That being so, it argues that, while “the crimes

from which the obligation of reparation takes its origins have to
be assessed as ‘faits instantanés’”, “the internationally wrongful act con-
sisting in breach of the obligation of reparation is by no means instant-

aneous”, falling within the definition of breaches having a continuing
character envisaged by Article 14, paragraph 2, of the ILC Articles on State
Responsibility . 62

57 Observations of Italy . . ., op cit. supra note 53, pp. 21-22, para. 55.
58 Ibid., pp. 22-23, para. 57.
59 Preliminary Objections of Germany . . ., op. cit. supra note 32, pp. 22-23, para. 35.

60
61 Ibid., pp. 22-23, para. 35.
Counter-Memorial of Italy (22 December 2009), p. 11, para. 1.17.
62 Ibid., p. 12, para. 1.17.

46 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ’ÉTAT (OP .DISS. CANÇADO TRINDADE ) 352

lequel les deux accords de 1961, ainsi que la législation allemande sur les

réparations, constituaient des mesures ex gratia. D’après l’Italie, «aucun
traité ne saurait vraiment être analysé comme un simple geste de bonne
volonté, pas plus qu’il ne saurait être considéré comme un acte unilaté-

ral» et tant les traités que la législation allemande pertinente «étaient le
résultat d’une pression internationale et de négociations intergouverne-
mentales» . L’Italie déclare en résumé que:

«le simple fait que l’Italie et l’Allemagne ont des vues opposées sur

ces questions et sur d’autres questions présentant un rapport direct
avec le sens, la portée et les effets des accords de 1961 (et la pratique

allemande ultérieure) prouve qu’il existe «[u]n désaccord sur un
point de droit ou de fait..., une opposition de thèses...» entre les
Parties et place les accords de 1961 et leurs conséquences au cŒur du
58
différend» .

c) La controverse sur la notion de «situation continue»

55. Un autre sujet de désaccord entre l’Italie et l’Allemagne a trait à

l’importance de la notion de «situation continue» en l’espèce. L’Alle-
magne souligne que «[l]’élément central de la demande reconventionnelle
[de l’Italie] réside ... dans l’argument selon lequel une obligation de ré-

parer les violations du droit international humanitaire commises par les
autorités nazies pendant la période de l’occupation militaire de l’Italie
59
continue d’incomber à l’Allemagne» . D’après l’Allemagne, étant
donné qu’«[a]ucune demande en réparation ni aucune autre demande
contre l’Allemagne ne découle des accords de 1961» , la Cour devrait

s’abstenir de connaître de la demande reconventionnelle car elle serait
incompétente ratione temporis.
56. L’Italie affirme pour sa part dans son contre-mémoire, au sujet de

l’«obligation de réparation» sur laquelle est fondée sa demande recon-
ventionnelle, que «l’Allemagne a manqué et continue de manquer à
61
[cette] obligation ... à l’égard d’un très grand nombre de victimes» .Au
vu de cela, elle soutient que, tandis que «les crimes qui ont fait naître
l’obligation de réparation doivent être analysés comme étant des «faits

instantanés»», «[l]e fait internationalement illicite que constitue la viola-
tion de l’obligation de réparation ne possède nullement un caractère «ins-
tantané»», mais relève de la définition des violations ayant un caractère

continu visées au paragraphe 2 de l’article 14 des Articles de la CDI sur
la responsabilité de l’Etat . 62

57 Observations écrites de l’Italie..., op. cit. supra note 53, p. 21-22, par. 55.
58
59 Ibid., p. 22-23, par. 57.
Observations écrites de la République fédérale d’Allemagne..., op. cit. supra note 32,
p. 22-23, par. 35.
60 Ibid., p. 22-23, par. 35.
61 Contre-mémoire de l’Italie (22 décembre 2009), p. 11, par. 1.17.
62 Ibid., p. 12, par. 1.17.

46353 JURISDICTIONAL IMMUNITIES OF THE STATE (DISS. OP. CANÇADO TRINDADE )

57. Although Italy makes this point when it discusses the applicability
of contemporary rules on State immunity and international humanitarian

law to the Applicant’s alleged obligation to provide reparation (cf. supra),
Germany argues that this line of reasoning consists in an attempt to
“overcome the temporal hurdles standing in the way of [Italy’s] counter-
63
claim” . Germany then invites the Court to make a distinction between
“the interference with the rights of the other party”, which, in the present

case, took place in 1943-1945 — i.e., in a period falling outside the juris-
diction ratione temporis of the Court — and “the consequences entailed
thereby” — i.e., the alleged obligation to provide reparation . 64

58. Germany recalls, in this context, the decision of the PCIJ in the
65
Phosphates in Morocco case (Italy v. France, 1938) , and further con-
tends that, in the line of what has been decided by the PCIJ, “the com-
plaints raised against the way and method of settlement do not count

with regard to determining the applicability of the relevant time clause”
in the present case 66. In this connection, Germany refers to examples

taken from the case law of the European Court of Human Rights
(ECHR) , singling out cases such as those of Malhous v. Czech Repub-
lic case (2000, concerning deprivation of ownership or any other right in

rem), and the Kholodov and Kholodova v. Russia case (2006, concerning
Mr. D. Kholodov’s death) 68; yet, as these cases pertained admittedly to

“instantaneous acts” rather than continuing situations , they do not bear
relevance to the present case before the ICJ, which is of a distinct
nature.

59. Italy, in turn, points out that it has “no difficulty in admitting that

the notion of a continuing wrongful act has no relevance for the purposes
of determining the jurisdiction ratione temporis of the Court”, and affirms

63 Preliminary Objections of Germany . . ., op. cit. supra note 32, pp. 12-13, para. 20.

64 Ibid., p. 13, para. 21.
65 In that case, Italy submitted that the Court had jurisdiction ratione temporis to enter-

tain claims related to an executive decision taken by the Moroccan administration six
years before France accepted the compulsory jurisdiction of the Court because: (a) the
denial of justice on the part of France constituted in itself an internationally wrongful act;
and (b) the executive decision and the denial of justice constituted “a single, progressive
illegal act which [had not been] fully accomplished until after the crucial date” (p. 23). The
PCIJ rejected these arguments, pondering that: (a) a complaint of a denial of justice
[could not] be separated from the criticism which the Italian Government [directed]
against the decision of the Department of Mines of 8 January 1925”; (b) the alleged

denial of justice merely allowed “the unlawful to subsist”, exercising “no influence either
on66he accomplishment of the act or on the responsibility ensuing from it” (p. 28).
Preliminary Objections of Germany . . ., op. cit. supra note 32, pp. 13-15, para. 22.

67 Cf. ibid., pp. 15-18, paras. 23-28 (references to the cases Malhous v. Czech Republic
[2000], Bleˇ´ v. Croatia [2006], Preussische Treuhand v. Poland [2008], Kholodov and
Kholodova v. Russia [2006], and Varnava and Others v. Turkey [2009]).
68 Cf. ibid., pp. 15-17, paras. 24 and 26.

47 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ’ÉTAT (OP .DISS. CANÇADO TRINDADE ) 353

57. Bien que l’Italie formule cet argument lorsqu’elle examine l’appli-
cabilité des règles actuelles en matière d’immunité des Etats et de droit

international humanitaire à l’obligation alléguée du demandeur d’accor-
der une réparation (cf. supra), l’Allemagne soutient que ce raisonnement

constituerait une tentative de «passer outre aux éléments temporels qui font
obstacle à [l]a demande reconventionnelle [de l’Italie]» . L’Allemagne
invite ensuite la Cour à faire une distinction entre «[l]’ingérence dans

les droits de l’autre partie» — qui s’est produite en l’espèce entre 1943 et
1945, c’est-à-dire au cours d’une période ne relevant pas de la compétence

ratione temporis de la Cour — et «les conséquences qui en résultent»
— c’est-à-dire l’obligation alléguée d’accorder une réparation . 64

58. L’Allemagne rappelle dans ce contexte l’arrêt rendu par la CPJI en
l’affaire des Phosphates du Maroc (Italie c. France, 1938) 65 et soutient
également que, dans l’esprit de la décision de la CPJI, «les griefs formulés

contre la manière et la méthode de règlement n’entrent pas en ligne de
compte aux fins de déterminer l’applicabilité de la clause temporelle per-
66
tinente» en l’espèce . A cet égard, l’Allemagne cite des exemples tirés de
la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) , 67
en insistant sur des espèces telles que l’affaire Malhous c. République

tchèque (2000, concernant la privation du droit de propriété ou de
tout autre droit réel) et l’affaire Kholodov et Kholodova c. Russie (2006,
68
ayant pour objet le décès de M. D. Kholodov) . Or, étant donné que ces
espèces concernaient, comme l’Allemagne le reconnaît, des «actes

instantanés» plutôt que des situations continues, elles ne sont pas per-
tinentes aux fins de la présente affaire introduite devant la CIJ, qui revêt
un caractère différent.

59. L’Italie relève de son côté qu’elle «n’a pas de difficulté à recon-
naître que la notion de fait illicite continu est dénuée de pertinence aux

fins de la détermination de la compétence ratione temporis de la Cour»

63
Observations écrites de la République fédérale d’Allemagne..., op. cit. supra note 32,
p. 12-13, par. 20.
64 Ibid., p. 13, par. 21.
65 Dans cette affaire, l’Italie soutenait que la Cour était compétente ratione temporis
pour connaître de demandes liées à une décision prise par l’administration marocaine six
ans avant que la France n’ait accepté la juridiction obligatoire de la Cour parce que: a) le
déni de justice de la part de la France constituait en soi un fait internationalement illicite;

et b) la décision de l’exécutif et le déni de justice constituaient «un seul fait illicite con-
tinué et progressif, qui n’[étai]t arrivé à sa perfection qu’après la date critique» (p. 23). La
CPJI écarta ces arguments aux motifs que: a) «le grief de déni de justice ne saurait être
séparé de la critique que le Gouvernement italien entend[ait] faire de la décision du Service
des Mines intervenue le 8 janvier 1925»; b) le déni de justice allégué ne faisait que «laisser
subsister le fait illicite», mais n’exerçait «aucune influence ni sur sa consommation, ni sur
la responsabilité qui en dériv[ait]» (p. 28).
66
Observations écrites de la République fédérale d’Allemagne..., op. cit. supra note 32,
p.673-15, par. 22.
Cf. ibid., p. 15-18, par. 23-28 (renvoyant aux affaires Malhous c. République tchèque
[2000], Bleˇ´ c. Croatie [2006], Preussische Treuhand c. Pologne [2008], Kholodov et
Kholodova c. Russie [2006] et Varnava et autres c. Turquie [2009]).
68 Cf. ibid., p. 15-17, par. 24 et 26.

47354 JURISDICTIONAL IMMUNITIES OF THE STATE (DIS. OP. CANÇADO TRINDADE )

69
that it “has never intended to rely on this argument” . Yet, Italy criti-
cizes Germany’s invocation, to its purpose, of the Phosphates in Morocco
case and of the examples taken from the case law of the European Court
70
of Human Rights . In Italy’s view,

“Unlike the situation in the Phosphates in Morocco case, the subject-
matter of the present dispute is not whether during the Second
World War German authorities committed grave violations of inter-
national humanitarian law giving rise to Germany’s international

responsibility vis-à-vis Italy. These facts do not constitute the subject-
matter of the present dispute simply because they are not in dispute
between the Parties. Although the present dispute concerns the issue

of the reparation owed by Germany as a consequence of the
crimes committed by German authorities in the period between 1943
and 1945, the focal point of the dispute — le fait générateur —isto

be found in facts and situations subsequent to the critical date. Thus,
Germany’s attempt to suggest that the present dispute presents the
same situation as in the Phosphates in Morocco case is simply
71
unconvincing”.

VII. T HE O RIGINS OF A “C ONTINUING SITUATION ” IN INTERNATIONAL
LEGAL D OCTRINE

60. The origins of the notion of a “continuing situation” have passed
virtually unnoticed in expert writing of our times. It was necessary to

wait for its configuration, first, in international litigation, and then, in
international legal conceptualization (cf. infra), for the notion to begin to
attract some, but not much, attention on the part of expert writing. Coin-

cidentally, it was precisely in the rich tradition of German as well as Ital-
ian international legal thinking that the origin and early development of
that notion lie. It is not my intention, within the confines of the present

dissenting opinion, to proceed to an in-depth study of this specific point;
I shall only refer to the earliest elaboration of this notion in international
legal doctrine.

61. Already in the year of the First Hague Peace Conference, in his
book Völkerrecht und Landesrecht (1899), Heinrich Triepel identified the
point at issue:

“Völkerrechtlich geboten nennen wir einmal alles Landesrecht,

dessen Schöpfung sich als Erfüllung völkerrechtlicher Pflicht
darstellt, ferner aber das, das der Staat zwar ohne solche Verpflich-

69
70Observations of Italy . . ., op. cit. supra note 53, p. 11, para. 25.
71 Ibid., pp. 11-13, paras. 26-29.
Ibid., p. 12, para. 27.

48 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ’ÉTAT (OP. DIS. CANÇADO TRINDADE ) 354

et affirme qu’elle «n’a jamais eu l’intention de se fonder sur cet argu-
69
ment» . Néanmoins, elle fait grief à l’Allemagne d’invoquer à cette fin
l’affaire desPhosphates du Maroc et les exemples provenant de la jurispru-
dence de la Cour européenne des droits de l’homme . D’après l’Italie,

«à la différence de la situation dans l’affaire des Phosphates du

Maroc, l’objet du présent différend n’est pas la question de savoir si,
lors de la seconde guerre mondiale, les autorités allemandes ont
commis des violations graves du droit humanitaire engageant la res-

ponsabilité internationale de l’Allemagne à l’égard de l’Italie. Ces
faits ne constituent pas l’objet du présent différend, tout simplement
parce qu’ils ne font pas l’objet d’une contestation entre les Parties.
Bien que le présent différend concerne la question de la réparation

due par l’Allemagne à la suite des crimes commis par les autorités
allemandes au cours de la période allant de 1943 à 1945, le point cen-
tral du différend — son fait générateur — correspond à des faits et

situations postérieurs à la date critique. En conséquence, la tentative
de l’Allemagne de suggérer que le présent différend se caractérise par
la même situation que celle dans l’affaire des Phosphates du Maroc
71
n’est tout simplement pas convaincante.»

VII. L ES ORIGINES DE LA « SITUATION CONTINUE »
DANS LA DOCTRINE INTERNATIONALISTE

60. Les origines de la notion de «situation continue» sont passées qua-
siment inaperçues dans la doctrine contemporaine. Ce n’est que lorsque
cette notion a d’abord pris corps dans le contentieux international et a

ensuite été consacrée comme concept de droit international (cf. infra)
qu’elle a enfin bénéficié d’une certaine attention, quoique insuffisante, de
la part de la doctrine. Or, par coïncidence, c’est précisément dans la riche
tradition des doctrines internationalistes allemande et italienne que cette

notion trouve ses racines et a commencé à se développer. Mon propos
n’étant pas, dans le cadre de la présente opinion dissidente, de procéder à
une analyse approfondie de cette question particulière, je n’évoquerai que

la genèse de cette notion dans la doctrine internationaliste.
61. Dans son ouvrage Völkerrecht und Landesrecht publié l’année de
la première conférence de la paix de La Haye (1899), Heinrich Triepel

avait déjà cerné la question:

«Völkerrechtlich geboten nennen wir einmal alles Landesrecht,
dessen Schöpfung sich als Erfüllung völkerrechtlicher Pflicht dars-
tellt, ferner aber das, das der Staat zwar ohne solche Verpflichtung

69
Observations écrites de l’Italie..., op. cit. supra note 53, p. 11, par. 25.
70Ibid., p. 11-13, par. 26-29.
71Ibid., p. 12, par. 27.

48355 JURISDICTIONAL IMMUNITIES OF THE STATE (DISS. OP. CANÇADO TRINDADE )

tung geschaffen hat, aber nachmals aufrechtzuerhalten verpflichtet
wird. Dort besteht die Staatspflicht in Erlass und Aufrechterhaltung
des Rechts, hier allein in dieser. Umgekehrt — wenn die Staaten zu

bestimmtem Zeitpunkte völkerrechtlich verpflichtet werden, ein
Recht bestimmten Inhalts zu haben, so verletzt der Staat, der das
entsprechende Recht besitzt, seine Pflicht durch dessen Abschaffung
und die fortgesetzte Unterlassung der Wiedereinführung, der von

vornherein des gebotenen Rechts ermangelnde nur durch die Nich-
teinführung; beide aber begehen ein, wenn ich so sagen darf, völk-
errechtliches ‘Dauerdelikt’.” 72

62. Although H. Triepel did not go deeper into the argument, he dis-
played his intuition as to situate it not only in the relationship between
international law and domestic law, but also in its temporal dimension.

Fourteen years later, shortly before the outbreak of the First World War,
his book came out in an Italian edition, where the same paragraph
appeared:

“Imposto dal diritto internazionale è per noi anzitutto il diritto
interno la cui creazione rappresenta l’adempimento di un obbligo
internazionale, ed in secondo luogo il diritto interno che fu creato

dallo Stato senza esservi internazionalmente obbligato, ma che pos-
teriormente lo Stato si è obbligato a conservare in vigore. Nel primo
caso il dovere dello Stato consiste nell’emanazione e nel manten-

imiento in vigore di determinate norme di diritto, nel secondo caso
soltanto nell’ultimo obbligo. Reciprocamente, si a un determinato
momento gli Stati sono internazionalmente obbligatti ad avere norme

di diritto di un dato contenuto, lo Stato ce già le possiede viola il suo
dovere se le abolisce e trascura di introdurle nuovamente, mentre lo
Stato che non le possiede ancora lo viola soltanto col non intro-

durle; ambedue peraltro commettono, se mi è lecito usare 73esta
espressione, un ‘reato continuato’ internazionale.”

72H. Triepel, Völkerrecht und Landesrecht , Leipzig, Verlag von C. L. Hirschfeld, 1899,
p. 289:

“We call ‘required by international law’ (völkerrechtlich geboten) all domestic law,
the creation of which represents the fulfillment of an international obligation, but
also that which the State has created absent such an obligation, but subsequently
becomes obligated to uphold. In one case the obligation of the State comprises the
enactment and the duty not to repeal the law, in the other only the latter. Conversely,
if at a given time States are internationally obliged to have rules of law with a given
content, the State which already has such laws is breaching its obligation if it repeals
them and fails to re-enact them, whereas the State which does not yet have such laws
breaches its obligation merely by not introducing them: both States thus commit, if
I may say so, a continuous violation of international law (völkerrechtliches Dauer-
delikt).” [Free translation.]

73
H. Triepel, Diritto Internazionale e Diritto Interno (trad. G. C. Buzzati), Turin,
Unione Tipografico-Editrice Torinese, 1913, p. 286. One decade later, lecturing in the

49 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ’ÉTAT OP .DISS. CANÇADO TRINDADE ) 355

geschaffen hat, aber nachmals aufrechtzuerhalten verpflichtet wird.
Dort besteht die Staatspflicht in Erlass und Aufrechterhaltung des
Rechts, hier allein in dieser. Umgekehrt — wenn die Staaten zu bes-

timmtem Zeitpunkte völkerrechtlich verpflichtet werden, ein Recht
bestimmten Inhalts zu haben, so verletzt der Staat, der das entspre-
chende Recht besitzt, seine Pflicht durch dessen Abschaffung und die

fortgesetzte Unterlassung der Wiedereinführung, der von vornherein
des gebotenen Rechts ermangelnde nur durch die Nichteinführung;
beide aber begehen ein, wenn ich so sagen darf, völkerrechtliches
72
«Dauerdelikt».»

62. Bien que H. Triepel n’ait pas approfondi cet argument, il a laissé
transparaître son intuition, qui était de le situer non seulement dans le

cadre du rapport entre le droit international et le droit interne, mais éga-
lement dans sa dimension temporelle. Quatorze ans plus tard, peu avant
l’éclatement de la première guerre mondiale, son ouvrage connut une édi-

tion italienne dans laquelle on retrouvait le même paragraphe:

«Imposto dal diritto internazionale è per noi anzitutto il diritto
interno la cui creazione rappresenta l’adempimento di un obbligo

internazionale, ed in secondo luogo il diritto interno che fu creato
dallo Stato senza esservi internazionalmente obbligato, ma che pos-
teriormente lo Stato si è obbligato a conservare in vigore. Nel primo

caso il dovere dello Stato consiste nell’emanazione e nel manteni-
miento in vigore di determinate norme di diritto, nel secondo caso
soltanto nell’ultimo obbligo. Reciprocamente, si a un determinato

momento gli Stati sono internazionalmente obbligatti ad avere norme
di diritto di un dato contenuto, lo Stato ce già le possiede viola il suo
dovere se le abolisce e trascura di introdurle nuovamente, mentre lo

Stato che non le possiede ancora lo viola soltanto col non intro-
durle; ambedue peraltro commettono, se mi è lecito usare questa
espressione, un «reato continuato» internazionale.» 73

72
H. Triepel, Völkerrecht und Landesrecht , Leipzig, Verlag von C. L. Hirschfeld, 1899,
p. 289:
«Par l’expression «exigée par le droit international» (völkerrechtlich geboten) ,
nous entendons toute loi interne édictée en exécution d’une obligation internationale,

mais également celle que l’Etat a édictée en l’absence d’une telle obligation, mais qu’il
est par la suite tenu de maintenir en vigueur. Dans la première hypothèse, l’obligation
de l’Etat comporte la mise en vigueur de la loi et le devoir de ne pas l’abroger, tandis
que, dans la seconde, elle n’inclut que ce dernier devoir. Inversement, si, à un
moment donné, les Etats sont internationalement obligés de se doter de règles de
droit ayant un contenu déterminé, l’Etat qui possède déjà de telles lois viole son obli-
gation s’il les abroge et ne les rétablit pas, tandis que l’Etat qui ne possède pas encore
de telles lois viole son obligation du simple fait de leur non-adoption; les deux Etats
commettent, si je peux m’exprimer ainsi, un manquement continu au droit interna-
tional (völkerrechtliches Dauerdelikt). » [Traduction libre.]

73H. Triepel, Diritto Internazionale e Diritto Interno (trad. G. C. Buzzati), Turin,
Unione Tipografico-Editrice Torinese, 1913, p. 286. Une décennie plus tard, dans son

49356 JURISDICTIONAL IMMUNITIES OF THE STATE (DIS. OP. CANÇADO TRINDADE )

63. It was during the inter-war period that the notion of “continuing
situation” was in fact elaborated in the early writings of Roberto Ago. In
his Hague Academy lectures of 1939, with the outbreak of the Second

World War, R. Ago argued that, in international law, there are situations
which are conformed by a sole wrongful act or omission (délit interna-

tional simple), and others which are conformed by a series of them, and
the effect of such wrongful human conduct in time (délit international
complexe or continu). In the case of these latter, there is a prolongation in
74
time of the tempus commissi delicti .

64. The essential element in the distinction between them lies in whether

the action or omission is “transient or permanent”. An example of a
breach prolonged in time is afforded by the promulgation of a (domestic)
75
law in breach of the law of nations, thereby generating a délit continu .
And R. Ago added, as to the obligation of reparation, that this latter “in
no way manifests itself as a subsidiary obligation”, but rather as “a pri-
76
mary obligation, established by a customary rule” [translation by the
Registry].

By that time, the notion of a “continuing situation” in breach of inter-
national law was already being pleaded in international litigation (cf.
infra).

VIII. T HE CONFIGURATION OF A “C ONTINUING S ITUATION ”
IN INTERNATIONAL L ITIGATION
AND C ASE L AW

65. As the Court, in its present Order, appears not to have deemed it
necessary to pronounce on the notion of a “continuing situation”, I feel

opening courses of the Hague Academy of International Law (1923), Triepel reiterated his
view:

“Nous nommons internationalement ordonné , d’abord tout le droit interne dont la
creation se présente comme l’accomplissement d’un devoir international, et en outre
le droit que l’Etat a créé sans y être tenu, mais qu’il est obligé maintenant de conser-
ver. Dans la première hypothèse, le devoir de l’Etat consiste à créer et à conserver le
droit, dans la seconde, il ne consiste qu’à le conserver. Inversement, quand les Etats
sont internationalement astreints à avoir, à une certaine époque, un droit d’un conte-
nu déterminé, l’Etat, qui possède le droit dont il s’agit, viole son devoir s’il abroge ce
droit et s’il s’abstient ensuite de le réintroduire; tandis que celui qui ne possède point

dès le début le droit internationalement ordonné, ne viole son devoir que s’il ne
l’introduit pas. Mais tous les deux commettent, pour ainsi dire, un ‘délit permanent
international’ (Dauerdelikt, comme on dit en allemand)”; H. Triepel, “Les rapports
entre le droit interne et le droit international”, 1 Recueil des cours de l’Académie de
droit international de La Haye (1923), p. 109.

74R. Ago, “Le délit international”, 68 Recueil des cours de l’Académie de droit inter-
national de La Haye (1939), pp. 512, 514, 517-519 and 523.
75 Ibid., pp. 519-520.
76
Ibid., p. 529.

50 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ÉTAT (OP. DISS.CANÇADO TRINDADE ) 356

63. C’est en réalité au cours de l’entre-deux-guerres que les contours
de la notion de «situation continue» se précisèrent, dans les premiers
écrits de Roberto Ago. Dans son cours dispensé à l’Académie de La Haye

en 1939, l’année de l’éclatement de la seconde guerre mondiale, R. Ago
soutenait qu’il existait, en droit international, des situations caracté-

risées par un acte illicite ou une omission uniques (délit international
simple), ainsi que d’autres qui étaient constituées par une série d’actes ou
omissions ainsi que par l’effet dans le temps de ce comportement humain

illicite (délit international complexe ou continu). Dans ce dernier cas, on
observe un prolongement dans le temps du tempus commissi delicti 74.
64. L’élément essentiel de la distinction entre ces deux concepts réside

«dans l’instantanéité ou dans la permanence» de l’action ou omission.
Un exemple de manquement qui se prolonge dans le temps peut être

trouvé dans la promulgation d’une loi (interne) en violation du droit des
gens, donnant lieu à un délit continu . R. Ago ajoutait, en ce qui
concerne l’obligation de réparation, que cette dernière «ne se manifes-

t[ait] pas du tout comme une obligation subsidiaire», mais plutôt comme
«une obligation primaire, établie par une règle coutumière» . 76

A cette époque, la notion de «situation continue» constitutive d’une
violation du droit international était déjà invoquée dans le contentieux
international (cf. infra).

VIII. L A FORMATION ET LES ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS
DE LA « SITUATION CONTINUE » DANS LE CADRE DU CONTENTIEUX
ET DE LA JURISPRUDENCE INTERNATIONAUX

65. Etant donné que la Cour ne semble pas avoir jugé nécessaire de se
prononcer, dans sa présente ordonnance, sur la notion de «situation

cours dispensé dans le cadre des leçons inaugurales de l’Académie de droit international
de La Haye (1923), H. Triepel réitéra son point de vue:

«Nous nommons internationalement ordonné , d’abord tout le droit interne dont la
création se présente comme l’accomplissement d’un devoir international, et en outre
le droit que l’Etat a créé sans y être tenu, mais qu’il est obligé maintenant de conser-
ver. Dans la première hypothèse, le devoir de l’Etat consiste à créer et à conserver le
droit, dans la seconde, il ne consiste qu’à le conserver. Inversement, quand les Etats
sont internationalement astreints à avoir, à une certaine époque, un droit d’un conte-
nu déterminé, l’Etat qui possède le droit dont il s’agit viole son devoir s’il abroge ce
droit et s’il s’abstient ensuite de le réintroduire; tandis que celui qui ne possède point

dès le début le droit internationalement ordonné ne viole son devoir que s’il ne
l’introduit pas. Mais tous les deux commettent, pour ainsi dire, un «délit permanent
international» (Dauerdelikt, comme on dit en allemand).» (H. Triepel, «Les rapports
entre le droit interne et le droit international», Recueil des cours de l’Académie de
droit international de La Haye , vol. 1, 1923, p. 109.)

74 R. Ago, «Le délit international», Recueil des cours de l’Académie de droit interna-
tional de La Haye, vol. 68, 1939, p. 512, 514, 517-519 et 523.
75 Ibid., p. 519-520.
76
Ibid., p. 529.

50357 JURISDICTIONAL IMMUNITIES OF THE STATE (DISS. OP. CANÇADO TRINDADE )

obliged to do so, as I regard the matter of importance for the present and
future of international law. It has been the object of contentions on the

part of both Italy and Germany, and has not seldom been raised before
contemporary international tribunals (such as the ICJ, and the European
and Inter-American Courts of Human Rights). Although, in the present

case before the ICJ, at the end of their recent debates (in the written
phase which preceded the present Order of the Court), it was clarified
that the notion at issue did not provide the main basis for the positions of

the contending Parties, yet not only was it invoked by both before the
Court, but it remains, in my view, important for a proper understanding
of the time dimension of cases of the kind. I shall thus dwell upon it, in
the domain of public international law, as well as in that of the interna-

tional law of human rights proper.

1. In Public International Law

66. May I first refer to the era of the PCIJ. On one occasion, in his
oral arguments before the PCIJ in the public sitting of 12 May 1938, in
the case of Phosphates in Morocco (Italy v. France), counsel for Italy,

Roberto Ago, argued that the facts of that dispute before the PCIJ went
back to a legislative act of 1920 (establishing the “monopole des phos-
phates”), extended to a decision taken in 1925 (pertaining to the “cartel
77
phosphatier”), and to a déni de justice which occurred in 1931-1933 .In
this succession of facts, there were thus — he added — elements which
were prior to the date of acceptance of the compulsory jurisdiction of the
PCIJ .78

67. In his view, the facts, in particular, which extended from 1925 to
1933, gave origin to a “clear violation of international law” . In the oral
argument of Roberto Ago,

“In their entirety, those facts, which are intimately linked by a

necessary connection (. . .) with a common aim, represent logically
and teleologically — in terms of their practical and legal effects — a
single continuing and progressive internationally wrongful act.
Therein are contained (. . .) all the constituent elements of a con-

tinuing offence: the plurality of actions, the unity of the law vio-
lated, the unity of aim and purpose of the agent.
(. . .) The continuing wrongful act, (. . .) which is simultaneously

composed of a series of individual wrongful acts, must be regarded

77Phosphates in Morocco, P.C.I.J., Series C, Nos. 84-85 , pp. 1218, 1220, 1230-1231.
According to Ago, the breach of international law incurred into, “prolonge son existence
dans le temps et se renouvelle à chaque instant”; ibid., pp. 1240-1241, and cf. p. 1237.
78Ibid., p. 1233, and cf. p. 1231.
79 Ibid., p. 1233, and cf. p. 1229.

51 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ’ÉTAT (OP .DISS. CANÇADO TRINDADE ) 357

continue», je me sens dans l’obligation de le faire car j’estime que cette

question présente de l’importance pour l’état actuel et futur du droit
international. Elle était présente tant dans les affirmations de l’Italie
que dans celles de l’Allemagne et a souvent été invoquée devant les

juridictions internationales contemporaines (telles que la CIJ et les
Cours européenne et interaméricaine des droits de l’homme). Bien
qu’il ait été clarifié, à l’issue des controverses récentes des Parties dans

la présente affaire devant la CIJ (lors de la phase écrite ayant pré-
cédé la présente ordonnance de la Cour), que la notion en cause ne
constituait pas le fondement principal de leurs positions, elle a non
seulement été invoquée par les deux Parties devant la Cour mais

conserve également, à mon avis, son importance pour la compréhension
correcte de la dimension temporelle des affaires de ce type. Je m’attar-
derai donc sur cette notion, aussi bien dans le domaine du droit inter-

national public que dans celui du droit international des droits de
l’homme.

1. En droit international public

66. Qu’il me soit d’abord permis de remonter à l’époque de la CPJI.
Dans le cadre de son exposé devant la CPJI en l’affaire des Phosphates du

Maroc (Italie c. France), lors de la séance publique du 12 mai 1938,
Roberto Ago avait soutenu, en qualité de conseil de l’Italie, que les faits
de ce différend soumis à la CPJI remontaient à un texte législatif de 1920

(instituant le «monopole des phosphates») et s’étendaient à une décision
prise en 1925 (concernant le «cartel phosphatier») ainsi qu’à un déni de
justice survenu en 1931-1933 . Cette succession de faits comportait

donc, ajoutait-il, des éléments qui étaient antérieurs à la date d’accepta-
tion de la juridiction obligatoire de la CPJI . 78
67. A son avis, les faits, et en particulier ceux qui s’étaient prolongés

de 1925 à 1933, avaient donné lieu à une «violation parfaite du droit des
gens» . D’après la plaidoirie de Roberto Ago:

«L’ensemble de ces faits, intimement liés par une connexion néces-
saire, ... visant à un même but, représente, du point de vue logique et

téléologique, aux effets pratiques et juridiques un seul fait illicite
international continué et progressif.
On y retrouve ... tous les éléments constitutifs du délit continué:
pluralité d’actions, unité du droit violé, unité de résolution et de but

chez l’agent.
Le fait illicite continué, ... étant composé à la fois par une succes-
sion de faits illicites particuliers, doit être regardé nécessairement

77 os
Phosphates du Maroc, C.P.J.I. série C n 84-85, p. 1218, 1220, 1230-1231. A son
avis, l’infraction au droit international «prolonge son existence dans le temps et se renou-
velle à chaque instant»: ibid., p. 1240-1241, et cf. p. 1237.
78Ibid., p. 1233, et cf. p. 1231.
79Ibid., p. 1233, et cf. p. 1229.

51358 JURISDICTIONAL IMMUNITIES OF THE STATE (DISS. OP. CANÇADO TRINDADE )

as a single offence . . . . The progressive wrongful act must be treated
80
in law as a single wrongful act.” [Translation by the Registry.]

68. This latter is represented by its being continuously maintained, in
breach of an international obligation; in this way,

“The violation of international law does not end at its first occur-
rence; it continues until the violation has ceased. What continues are
not the effects of the initial, completed and concluded violation, but

rather the violation itself, which is continuously renewed, and which
thus continues to be perpetrated for as long as the will and actions of
the agent remain unchanged.

It is precisely for this reason that, in domestic law, in the face of a
continuing criminal act, the prescription period only begins to run
81
when the criminal act has ended.” [Translation by the Registry.]

69. In its Judgment of 14 June 1938 (Preliminary Objections) in the
Phosphates in Morocco case, the PCIJ was, however, of the view that, as

to the alleged continuing situation or acts, presumably constituting a
single whole (P.C.I.J., Series A/B. No. 74, pp. 22-23), what was ultimately
a determining factor was “the will of the State which only accepted

the compulsory jurisdiction within specified limits, and consequently
only intended to submit to that jurisdiction disputes having actually arisen
from situations or facts subsequent to its acceptance” (ibid., p. 24).
70. In the cas d’espèce, the cited acts and situations were not, in the

view of the PCIJ, the culmination of earlier events, nor did they alter the
situation (as to the “monopolization” of Moroccan phosphates) which
had already been established. The Court thus dismissed the argument of
Italy of a “continuing and progressive violation” constituted by succes-

sive acts of the Respondent State (ibid., pp. 25-27). Conceptually, thus,
the PCIJ subscribed to the traditional voluntarist conception of its own
jurisdiction, and espoused a static and atomized view of the whole matter
brought into its cognizance.

71. It is not my intention here to take this decision into discussion,
more than seven decades later, but rather to refer to it, for the purposes
of the present dissenting opinion. As to the ICJ era, may it be recalled

that, in its Advisory Opinion of 1971 on Legal Consequences for States
of the Continued Presence of South Africa in Namibia (South West
Africa) notwithstanding Security Council Resolution 276 (1970) , the ICJ
pronounced on South Africa’s international responsibility arising from a

continuing violation (its “continued presence in Namibia”, which was

80
81Phosphates in Morocco, P.C.I.J., Series C, Nos. 84-85, pp. 1234-1235, and cf. p. 1238.
Ibid., p. 1239.

52 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ÉTAT (OP.DISS. CANÇADO TRINDADE ) 358

comme étant un délit unique. … Le fait illicite progressif doit être
qualifié juridiquement comme un fait illicite unique.» 80

68. Ce dernier se caractérise par le fait qu’il se prolonge continuelle-

ment, en violation d’une obligation internationale. Dès lors,

«[l]a violation du droit international ne s’est pas achevée au
moment où elle a commencé; elle continue à se produire à chaque

moment successif tant qu’elle ne cesse pas. Ce qui se prolonge dans
le temps, ce ne sont pas des conséquences d’une violation initiale,
achevée et épuisée, mais c’est précisément la violation même qui se

renouvelle continuellement et qui, par là, continue à se consommer
aussi longtemps que durent la même volonté et la même activité de
l’agent.
C’est précisément pour cette raison qu’en droit interne, lorsqu’on

est en présence d’un état délictueux qui se prolonge dans le temps,
on ne fait partir la prescription que du moment où l’état délictueux
a pris fin.» 81

69. La CPJI jugea cependant, dans son arrêt du 14 juin 1938 (excep-
tions préliminaires) en l’affaire des Phosphates du Maroc, que, en ce qui
concerne la situation ou les actes continus allégués, censés former un tout

(C.P.J.I. série A/B n° 74, p. 22-23), le facteur déterminant était en fin de
compte «la volonté de l’Etat qui, n’ayant accepté la juridiction obliga-
toire que dans certaines limites, n’a entendu y soumettre que les seuls dif-
férends qui sont réellement nés de situations ou de faits postérieurs à son

acceptation» (ibid., p. 24).
70. En l’espèce, les actes et situations mentionnés n’étaient pas, d’après
la CPJI, le point culminant d’événements antérieurs et ne modifiaient pas
davantage (pour ce qui est de l’«accaparement» des phosphates du

Maroc) la situation déjà établie. La Cour écartait donc l’argument de
l’Italie selon lequel les actes successifs de l’Etat défendeur constitueraient
un «délit continué et progressif» (ibid., p. 25-27). La CPJI a donc sous-

crit, d’un point de vue conceptuel, à la thèse volontariste traditionnelle
quant à sa compétence et a embrassé une vision statique et fragmentaire
de l’ensemble de la question dont elle devait connaître.
71. Je n’ai pas ici l’intention de disserter sur cette décision, plus de sept

décennies après, mais seulement d’y renvoyer aux fins de la présente
opinion dissidente. S’agissant de l’époque de la CIJ, qu’il me soit permis
de rappeler que, dans son avis consultatif de 1971 relatif aux Consé-

quences juridiques pour les Etats de la présence continue de l’Afrique du
Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du
Conseil de sécurité, la CIJ s’est prononcée sur la responsabilité interna-
tionale de l’Afrique du Sud découlant d’une violation continue (le «main-

80Phosphates du Maroc, C.P.J.I. Série C ns84-85, p. 1234-1235, et cf. p. 1238.
81
Ibid., p. 1239.

52359 JURISDICTIONAL IMMUNITIES OF THE STATE (DISS. OP. CANÇADO TRINDADE )

82
being “maintained in violation of international law”) . The ICJ found
that “[b]y maintaining the present illegal situation, and occupying the

territory without title, South Africa incurs international responsibilities
arising from a continuing violation of an international obligation” .It 83
then asserted the obligation of the UN member States “to recognize the

illegality and invalidity of South Africa’s continued presence in
Namibia” . 84

72. The point I wish to make here is that, although the notion of con-
tinuing situation has roots in the international legal thinking of as early

as the first half of the twentieth century, it has passed almost unnoticed,
and remains virtually unexplored, in doctrinal writings to date, in public

international law. Yet, the notion has received some attention in the par-
ticular domain of the international law of human rights , on the part of
both the European and the Inter-American Courts of Human Rights. It

has further been acknowledged at not only the jurisprudential level but
also at the normative level in recent years, and can no longer be

overlooked.

2. In the International Law of Human Rights

73. At jurisprudential level, the notion of “situation continue” was
early to become the object of attention on the part of the European

Court of Human Rights (ECHR) — as well as of the former European
Commission of Human Rights — in relation to the application of the
rule of exhaustion of local remedies in cases of detention [while] on
86
remand . Attention was then turned by the ECHR to the length or
actual duration of the detentions at issue, as “continuing situations” . 87

Over the years, the ECHR has at times been faced with continuing situ-
ations in distinct circumstances.

74. It is not surprising to find that the notion of continuing situation
has been developed particularly in the domain of the international law of
human rights, given the special character of human rights treaties, which

82
I.C.J. Reports 1971, p. 56, para. 126.
83 Ibid., p. 54, para. 118; and cf. ibid., p. 47, para. 95, for the Court’s reference to a
“persistent violation of obligations”.
84 Ibid., p. 54, para. 119.
85 Among the very few articles devoted to the issue to date, cf., in particular: J. Pau-
welyn, “The Concept of a ‘Continuing Violation’ of an International Obligation: Selected

Problems”, 66 British Year Book of International Law (1995), pp. 415-450; A. Buyse, “A
Lifeline in Time — Non-Retroactivity and Continuing Violations under the ECHR”,
75 Nordic Journal of International Law (2006), pp. 63-88; A. Van Pachtenbeke and
Y. Haeck, “From De Becker to Varnava : The State of Continuing Situations in the Stras-
bourg Case Law”, 1 European Human Rights Law Review (2010), pp. 47-58.
86 A. A. Cançado Trindade, The Application of the Rule of Exhaustion of Local Rem-
edies in International Law , Cambridge University Press, 1983, pp. 221-228.
87 Cf. ibid., pp. 223 and 225.

53 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ÉTAT (OP .DISS. CANÇADO TRINDADE ) 359

tien de la présence sud-africaine en Namibie» qui «se prolonge[ait] en
violation du droit international») . La CIJ déclarait que, «[t]ant qu’elle

laiss[ait] subsister cette situation illégale et occup[ait] le territoire sans
titre, l’Afrique du Sud encour[ai]t des responsabilités internationales pour
violation persistante d’une obligation internationale» . Elle affirmait

ensuite l’obligation des Etats Membres des Nations Unies de «recon-
naître l’illégalité et le défaut de validité du maintien de la présence sud-
84
africaine en Namibie» .
72. Ce que je tiens à faire observer ici, c’est que, en dépit du fait que les
racines de la notion de situation continue dans la pensée internationaliste
e
remontent à la première moitié du XX siècle, cette notion était passée
quasiment inaperçue et reste encore pratiquement inexplorée dans les

écrits doctrinaux de droit international public. Néanmoins, elle a bénéfi-
cié d’une certaine attention dans le domaine particulier du droit interna-
tional des droits de l’homme , de la part tant de la Cour européenne que

de la Cour interaméricaine des droits de l’homme. En outre, comme sa
reconnaissance prétorienne s’est également doublée, au cours de ces der-

nières années, d’une consécration au niveau normatif, ce concept ne sau-
rait plus être négligé.

2. En droit international des droits de l’homme

73. En jurisprudence, la notion de «situation continue» a retenu de
bonne heure l’attention de la Cour européenne des droits de l’homme

(CEDH) — ainsi que celle de l’ancienne Commission européenne des
droits de l’homme —, en ce qui concerne l’application de la règle de
l’épuisement des recours internes en matière de détention provisoire .La 86

CEDH a ensuite porté son attention sur la longueur ou sur la durée réelle
des détentions en question, en tant que «situations continues» .Aufil 87

des ans, la CEDH a parfois été confrontée à des situations continues dans
des circonstances différentes.

74. Il n’est pas surprenant de constater que la notion de situation
continue a été développée en particulier dans le domaine du droit inter-
national des droits de l’homme, étant donné la nature spécifique des trai-

82
C.I.J. Recueil 1971, p. 56, par. 126.
83 Ibid., p. 54, par. 118; cf. également ibid., p. 47, par. 95, où la Cour se réfère à une
«violation ... persistante d’obligations».
84 Ibid., p. 54, par. 119.
85 Parmi les très rares articles consacrés à ce jour à cette question, cf. en particulier:
J. Pauwelyn, «The Concept of a «Continuing Violation» of an International Obligation:

Selected Problems», British Year Book of International Law , vol. 66, 1995, p. 415-450;
A. Buyse, «A Lifeline in Time — Non-Retroactivity and Continuing Violations under the
ECHR», Nordic Journal of International Law , vol. 75, 2006, p. 63-88; A. Van Pachten-
beke et Y. Haeck, «From De Becker to Varnava : The State of Continuing Situations in
the Strasbourg Case Law», European Human Rights Law Review , vol. 1, 2010, p. 47-58.
86 A. A. Cançado Trindade, The Application of the Rule of Exhaustion of Local Rem-
edies in International Law , Cambridge University Press, 1983, p. 221-228.
87 Cf. ibid., p. 223 et 225.

53360 JURISDICTIONAL IMMUNITIES OF THE STATE (DISS.OP .CANÇADO TRINDADE )

create, within the conceptual universe of international law, mechanisms
of protection of the rights inherent to human beings, and positive obli-

gations (of protection) on the part of the State, whose responsibility may
be engaged by successive wrongful acts as well as omissions. There may
well exist a causal connection between the original facts (a term which is
not a synonym of acts) and subsequent acts or omissions of the State at

issue, conforming a continuing situation.

75. In a recent case, that of Varnava and Others v. Turkey (2009), the
ECHR was seized of a case concerning the forced disappearance of nine
men in 1974. The Court was competent to examine complaints against

Turkey pertaining to facts having occurred after 28 January 1987. In its
judgment of 18 September 2009, the Grand Chamber of the ECHR
pointed out that the mortal remains of one of the fatal victims were dis-
covered in a mass grave in 2007, but there were no sighting or news of the

other eight missing men since late 1974 until the present (para. 112).

76. The ECHR’s Grand Chamber cross-referred to the case law on
jurisdiction ratione temporis of its homologue, the Inter-American Court

of Human Rights (IACtHR), in particular the leading case of this latter,
the case Blake v. Guatemala (1998) (paras. 93-96, 138 and 147). The
ECHR decided that there had been a continuing violation of Article 2
(right to life) and of Article 5 (right to liberty and security of the person)

of the European Convention of Human Rights, on the account of the
failure of the authorities of the Respondent State to conduct an effective
investigation of the fate of the nine men who had disappeared in life-
threatening circumstances (dispositif, paras. 4 and 6).

77. The Court, furthermore, found a continuing violation of Article 3
(freedom from torture and other inhuman or degrading treatment or
punishment) of the European Convention, in respect of the Applicants
(Operative Clause, para. 5) . In addressing the continuing suffering of

the relatives of the disappeared persons, the ECHR pondered:
“A disappearance is (. . .) characterized by an ongoing situation of

uncertainty and unaccountability in which there is a lack of informa-
tion or even a deliberate concealment and obfuscation of what has
occurred (. . .). This situation is very often drawn out over time, pro-
longing the torment of the victim’s relatives. It cannot therefore be

said that a disappearance is, simply, an ‘instantaneous’ act or event;
the additional distinctive element of subsequent failure to account
for the whereabouts and fate of the missing person gives rise to a
continuing situation.” (Para. 148.)

88And cf. paras. 194 and 208 of the judgment.

54 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ’ÉTAT (OP. DIS. CANÇADO TRINDADE ) 360

tés relatifs à la protection des droits de l’homme qui créent, dans le cadre
de l’univers conceptuel du droit international, des mécanismes de protec-

tion des droits inhérents aux êtres humains, ainsi que des obligations
positives (de protection) à la charge de l’Etat, dont la responsabilité peut
être engagée à la suite d’actes illicites ou omissions successifs. Il peut exis-
ter un lien de causalité entre les faits d’origine (un terme qui n’est pas

synonyme de celui d’actes) et les actes ou omissions ultérieurs de l’Etat en
question, constituant une situation continue.
75. Dans une affaire récente, celle de Varnava et autres c. Turquie
(2009), les faits dont la CEDH était saisie concernaient la disparition for-
cée de neuf hommes en 1974. La Cour était compétente pour connaître de

requêtes déposées contre la Turquie portant sur des faits survenus après
le 28 janvier 1987. Dans son arrêt du 18 septembre 2009, la Grande
chambre de la CEDH indiquait que la dépouille de l’une des victimes
fatales avait été découverte dans un charnier en 2007, mais que les huit

autres hommes portés disparus n’avaient plus été vus depuis la fin de
1974 (par. 112).
76. La Grande chambre de la CEDH citait la jurisprudence de son
homologue, la Cour interaméricaine des droits de l’homme (CIDH),

concernant la compétence ratione temporis, en particulier son arrêt de
principe rendu dans l’affaireBlake c. Guatemala (1998) (par. 93-96, 138 et
147). La CEDH jugea qu’il y avait violation continue de l’article 2 (droit
à la vie) et de l’article 5 (droit à la liberté et à la sûreté) de la conven-

tion européenne des droits de l’homme, à raison de la non-réalisation
par les autorités de l’Etat défendeur d’une enquête effective sur le sort
des neuf hommes disparus dans des circonstances mettant leur vie en
danger (dispositif, par. 4 et 6).

77. La Cour constata en outre une violation continue de l’article 3
(interdiction de la torture et des autres traitements ou peines inhumains
ou dégradants) de la convention européenne à l’égard des requérants (dis-
positif, par. 5) . En examinant les souffrances continues des proches des

personnes disparues, la CEDH déclara:
«Une disparition ... se caractérise par une situation où les proches

sont confrontés de manière continue à l’incertitude et au manque
d’explications et d’informations sur ce qui s’est passé, les éléments
pertinents à cet égard pouvant parfois même être délibérément dis-
simulés ou obscurcis. ... Cette situation dure souvent très longtemps,

prolongeant par là même le tourment des proches de la victime. Dès
lors, on ne saurait ramener une disparition à un acte ou événement
«instantané»; l’élément distinctif supplémentaire que constitue le
défaut ultérieur d’explications sur ce qu’il est advenu de la personne

disparue et sur le lieu où elle se trouve engendre une situation conti-
nue.» (Par. 148.)

88Cf. également par. 194 et 208 de l’arrêt.

54361 JURISDICTIONAL IMMUNITIES OF THE STATE DISS. OP.CANÇADO TRINDADE )

78. In the same judgment, the ECHR further observed, in relation to

the continuing violation of Article 3 of the Convention, that
“The length of time over which the ordeal of the relatives has been

dragged out and the attitude of official indifference in face of their
acute anxiety to know the fate of their close family members dis-
closes a situation attaining the requisite level of severity, There has,
accordingly, been a breach of Article 3 in respect of the applicants.”
(Para. 202.)

The ECHR insisted on its warning, in the context of the case at issue, as
to the impact of the passing of time in legal relations (para. 161), and

asserted the obligation “to take due measures to protect the lives of the
wounded, prisoners of war, or civilians in zones of international con-
flict”, a duty which extends to “providing an effective investigation for
those who disappeared in such circumstances” (which had not been pro-

vided in the cas d’espèce — para. 174).
79. Earlier on, on the other side of the Atlantic, the Inter-American
Court of Human Rights (IACtHR), in its leading case on competence
ratione temporis, that of Blake v. Guatemala (1996-1999), referred to by
its European homologue, the ECHR (supra), was faced with the case of

a forced disappearance of a person (Mr. N. C. Blake), which began
in March 1985 and extended to June 1992, when his mortal remains were
found. In the meantime, the Respondent State recognized the compul-
sory jurisdiction of the Court on 9 March 1987, with regard to facts sub-
sequent to this date. The Respondent State raised a preliminary objection

of the Court’s lack of competence ratione temporis.
80. The IACtHR, in its judgment on preliminary objections (of 2 July
1996), considered that the forced disappearance implied violations of sev-
eral human rights, some of which “may be prolonged continuously or
permanently until such time as the victim’s fate or whereabouts are estab-

lished” (para. 39). The IACtHR found itself competent ratione temporis
to examine, not the violations of the rights to life and personal liberty of
the disappeared person, but their subsequent effects on their close rela-
tives. Thus, in its judgment on the merits of the case (of 24 January 1998),
the IACtHR considered the forced disappearance of Mr. N. C. Blake as

marking the beginning of a “continuing situation” in breach of his close
relatives’ right to judicial protection (access to justice) and to a fair trial;
the Court established the Respondent State’s responsibility for those
breaches — for lack of effective investigation, prosecution and sanction,
of those responsible for Mr. N. C. Blake’s disappearance and death.

81. In my separate opinion in the IACtHR’s judgments on preliminary
objections (para. 14) as well as on reparations (para. 24), I deemed it fit
to draw attention to the impact of the legal conceptualization of a “con-

tinuing situation” upon traditional postulates of the law of treaties, and
called for the humanization of international law, to start and advance

55 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ’ÉTAT (OP.DISS. CANÇADO TRINDADE ) 361

78. Dans le même arrêt, la CEDH observait ensuite, en ce qui concerne
la violation continue de l’article 3 de la convention:

«Compte tenu de la durée des épreuves subies par les proches des
disparus et de l’attitude d’indifférence que les autorités opposent à
leur angoisse extrême quant au sort des intéressés, la Cour estime
que la situation atteint un niveau de gravité suffisant pour tomber

sous le coup de l’article 3. Partant, elle conclut à la violation de cette
disposition dans le chef des requérants.» (Par. 202.)

La CEDH insistait sur sa mise en garde, dans le contexte de l’espèce,
quant à l’incidence de l’écoulement du temps dans les rapports juridiques
(par. 161) et énonçait l’obligation de «prendre les mesures voulues pour
protéger la vie des blessés, prisonniers de guerre et civils dans les zones de
conflit international», un devoir qui englobait «l’obligation de mener une

enquête effective concernant les personnes disparues en pareilles circons-
tances» (ce qui n’avait pas été fait en l’espèce: par. 174).
79. Avant cela, de l’autre côté de l’Atlantique, dans l’affaireBlake
c. Guatemala (1996-1999), où elle rendit son arrêt de principe en matière de

compétenceratione temporis cité par son homologue européenne, la CEDH
(supra), la Cour interaméricaine des droits de l’homme (CIDH) eut à
connaître de la disparition forcée d’une personne (M. N. C. Blake), qui
avait commencé en mars 1985 et s’était poursuivie jusqu’en juin 1992, lors-
que sa dépouille fut découverte. Entre-temps, le 9 mars 1987, l’Etat défen-

deur avait reconnu la juridiction obligatoire de la Cour pour des faits
postérieurs à cette date. L’Etat défendeur souleva une exception prélimi-
naire en faisant valoir le défaut de compétenceratione temporis de la Cour.
80. Dans son arrêt sur les exceptions préliminaires (du 2 juillet 1996),
la CIDH jugea que la disparition forcée impliquait des violations de plu-

sieurs droits de l’homme, dont certaines «p[ouvai]ent se prolonger de
manière continue ou permanente jusqu’au moment où le sort de la vic-
time ou le lieu où elle se trouv[ait] ser[aie]nt déterminés» (par. 39). La
CIDH se reconnut compétente ratione temporis pour connaître non pas

des violations des droits à la vie et à la liberté individuelle de la personne
disparue, mais de leurs effets ultérieurs sur les proches de cette dernière.
Ainsi, dans son arrêt sur le fond (du 24 janvier 1998), la CIDH considéra
la disparition forcée de M. N. C. Blake comme le point de départ d’une
«situation continue» constitutive d’une violation du droit de ses proches

à une protection juridictionnelle (accès à la justice) et à un procès équi-
table; la Cour retint la responsabilité de l’Etat défendeur à raison de ces
manquements, à cause de l’absence d’enquête, de poursuites et de sanc-
tions effectives concernant les personnes responsables de la disparition et

de la mort de M. N. C. Blake.
81. Dans mon opinion individuelle jointe aux arrêts de la CIDH sur
les exceptions préliminaires (par. 14) et sur les réparations (par. 24),
j’avais cru devoir attirer l’attention sur l’incidence de la consécration de
la «situation continue» comme concept juridique sur les postulats tradi-

tionnels du droit des traités et avais appelé à l’humanisation du droit

55362 JURISDICTIONAL IMMUNITIES OF THE STATE(DIS. OP.CANÇADO TRINDADE )

precisely in that chapter, so much impregnated with State voluntarism

and with undue weight attributed to the forms and manifestations of con-
sent as the law of treaties has been. In any case, I added, in my separate
opinion in the IACtHR’s judgment on reparations (of 22 January 1999),

that that process of humanization was already in course, with the inser-
tion, into the first Vienna Convention on the Law of Treaties (1969, and
also into the second, 1986), of the provisions on jus cogens (Articles 53
and 64), as well as the humanitarian provision of Article 60, paragraph 5,

a true safeguard clause in defence of the human being (paras. 30-32).

82. Moreover, in my separate opinion in the IACtHR’s judgment on

the merits (para. 38) of the same Blake case, I further turned attention to
the enlargement of the notion of victim of violations of the protected
rights (due to the continuing suffering of the close relatives of the force-
fully disappeared person, para. 38). At last, in my separate opinion in the

following judgment on reparations, I turned attention also to the element
of intemporality proper to the international protection of rights inherent
to the human person, a protection which is thus intended to apply in all

circumstances and at all times, without temporal limitations (paras. 4 and
45).
83. In sum, the notion of continuing situation has been upheld in the
case law of both the ECHR and the IACtHR, on the basis of a careful

examination of the circumstances of each cas d’espèce. The two interna-
tional human rights tribunals have been careful to avoid generalizations
and to set up general criteria for the identification of continuing situa-
tions. Notwithstanding, they have both at times established the existence

of continuing situations, without prejudice of juridical security. They
have thereby contributed to the fulfillment of the object and purpose of
the European and the American Conventions on Human Rights. Given
the nature of certain cases — such as the present case concerning Juris-

dictional Immunities of the State (opposing Germany to Italy) — nowa-
days lodged with the ICJ, which concern not only the rights of States, but
have a direct incidence also on the fundamental rights of the human per-

son, it is, in my view, high time for the Hague Court, also known as the
World Court, to become more attentive to the notion of continuing situa-
tion as it has been developing in public international law and the inter-
national law of human rights over the last decades.

IX. T HE C ONFIGURATION OF A “C ONTINUING SITUATION”

IN INTERNATIONAL L EGAL C ONCEPTUALIZATION
AT N ORMATIVE LEVEL

84. The notion of a “continuing situation” has marked its presence not

only at jurisprudential level, but also at normative level. Two elements

56 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ’ÉTAT (OP.DISS.CANÇADO TRINDADE ) 362

international, qui devait commencer et progresser précisément dans ce

domaine si marqué par le volontarisme étatique et par l’importance indû-
ment attachée aux formes et aux manifestations du consentement qu’était
le droit des traités. En tout état de cause, ajoutais-je dans mon opinion
individuelle jointe à l’arrêt de la CIDH sur les réparations (du 22 janvier

1999), ce processus d’humanisation était déjà en cours suite à l’insertion,
dans la première convention de Vienne sur le droit des traités (de 1969,
ainsi que dans la seconde, de 1986), des dispositions sur le jus cogens
(art. 53 et 64), ainsi que de la disposition humanitaire de l’article 60,

paragraphe 5, une véritable clause de sauvegarde visant à la protection de
l’être humain (par. 30-32).
82. De surcroît, dans mon opinion individuelle jointe à l’arrêt de la
CIDH sur le fond (par. 38) dans ladite affaireBlake, j’attirais également

l’attention sur l’élargissement de la notion devictime des violations des
droits protégés (du fait de la souffrance continue des proches de la per-
sonne ayant fait l’objet d’une disparition forcée: par. 38). Enfin, dans mon
opinion individuelle jointe à l’arrêt rendu ultérieurement sur les répara-

tions, j’attirais également l’attention sur l’élémentintemporel propre à la
protection internationale des droits inhérents à la personne humaine, une
protection qui a dès lors vocation à s’appliquer en toutes circonstances et à
tout moment, sans limitations temporelles (par. 4 et 45).

83. En somme, tant dans la jurisprudence de la CEDH que dans celle
de la CIDH, la notion de situation continue a été retenue sur la base d’un
examen attentif des circonstances de chaque espèce. Les deux juridictions
internationales en matière de droits de l’homme ont fait preuve de pru-

dence en évitant les généralisations et en définissant des critères généraux
pour l’identification des situations continues. Néanmoins, elles ont toutes
deux parfois constaté l’existence de situations continues sans préjudice
de la sécurité juridique. Elles ont de ce fait contribué à la réalisation de

l’objet et du but des conventions européenne et américaine des droits de
l’homme. Etant donné la nature de certaines espèces, telles que la pré-
sente affaire des Immunités juridictionnelles de l’Etat (opposant l’Alle-
magne à l’Italie) dont la CIJ est actuellement saisie, qui ne concernent

pas uniquement les droits des Etats mais ont également des incidences
directes sur les droits fondamentaux de la personne humaine, j’estime
qu’il est grand temps que la Cour de La Haye, également appelée
«Cour mondiale», prête davantage d’attention à la notion de situation

continue telle qu’elle a évolué en droit international public et en droit
international des droits de l’homme au cours de ces dernières décennies.

IX. L A FORMATION ET LES ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS
DE LA «SITUATION CONTINUE » COMME CONCEPT
DE DROIT INTERNATIONAL AU NIVEAU NORMATIF

84. La notion de «situation continue» est apparue non seulement en
jurisprudence, mais également au niveau normatif. Deux éléments ont

56363 JURISDICTIONAL IMMUNITIES OF THE STATE (DISS.OP .CANÇADO TRINDADE )

marked their presence in its configuration in law-making exercises,

namely, first, the acknowledgment of the time factor, the inter-temporal
dimension, stretching from the fait générateur to the whole period of per-
sistence of the continuing situation; and, secondly, the effects that such a
situation may have on the victims, which, in case of grave breaches of

human rights, constitute an aggravating circumstance. It is, however,
beyond the purpose of the present dissenting opinion to embark on an
examination of this second element. Examples of the conceptualization of
a “continuing situation” at normative level exist in regional as well as

universal (United Nations) levels.
85. At regional level, the 1994 Inter-American Convention on Forced
Disappearance of Persons conceptualizes the forced disappearance of
persons as, inter alia, an offence which “shall be deemed continuous or

permanent as long as the fate or whereabouts of the victim has not been
determined” (Article III). Taking this provision of the 1994 Inter-American
Convention into account, in my aforementioned separate opinion in the
IACtHR’s Judgment on the merits of theBlake case (of 24 January 1998),

I pondered that

“forced disappearance of person is, first of all, a complex form of
violation of human rights; secondly, a particularly grave violation;
and thirdly, a continuing or permanent violation (until the fate or
whereabouts of the victim is established). In fact, the continuing

situation (. . .) is manifest in the crime of forced disappearance of
persons. As pointed out in this respect, in the travaux préparatoires
of the Inter-American Convention on Forced Disappearance of
Persons,

‘This crime is permanent in so far as it is committed not in an
instantaneous way but permanently, and is prolonged as long as
the person remains disappeared’ . 89

Such consideration was duly reflected in Article III of the Con-
vention (supra).” (Para. 9).

86. At universal level, likewise, the 2006 UN International Convention
for the Protection of All Persons from Enforced Disappearance, on its

part, expressly refers to the “continuous nature” of the offence of enforced
disappearance of persons (Article 8, paragraph 1 (b)). The same concep-
tion was adopted, fourteen years earlier, in the 1992 UN Declaration on
the Protection of All Persons against Forced Disappearances of 1992,

which, after pointing out the gravity of the crime of forced disappearance
of person (Article 1 (1)), likewise warned that this latter ought to be

89OEA/CP-CAJP, Informe del Presidente del Grupo de Trabajo Encargado de Analizar
el Proyecto de Convención Interamericana sobre Desaparición Forzada de Personas ,
doc. OEA/Ser.G/CP/CAJP-925/93 rev.1, of 25 January 1994, p. 10.

57 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ’ÉTAT (OP. DIS. CANÇADO TRINDADE ) 363

caractérisé sa consécration dans le cadre des activités normatives, à

savoir, premièrement, la reconnaissance du facteur temporel, la dimen-
sion intertemporelle qui se prolonge depuis le fait générateur sur toute la
période pendant laquelle la situation continue perdure; et, deuxième-
ment, les effets possibles d’une telle situation sur les victimes, qui cons-

tituent une circonstance aggravante en présence de violations graves des
droits de l’homme. Néanmoins, une analyse de ce deuxième élément irait
au-delà du but de la présente opinion dissidente. Des exemples de la
consécration du concept de «situation continue» sur le terrain normatif

existent tant au niveau régional qu’au niveau universel (Nations Unies).
85. Au niveau régional, la convention interaméricaine de 1994 sur la
disparition forcée des personnes définit le concept de disparition forcée
des personnes comme constituant, entre autres, un délit qui «est consi-

déré comme continu ou permanent tant que la destination de la victime
ou le lieu où elle se trouve n’ont pas été déterminés» (article III). En
tenant compte de cette disposition de la convention interaméricaine de
1994, je formulais les réflexions suivantes dans mon opinion individuelle

susmentionnée jointe à l’arrêt de la CIDH sur le fond dans l’affaire Blake
(du 24 janvier 1998):

«la disparition forcée d’une personne représente, tout d’abord, une
forme complexe de violation des droits de l’homme; deuxièmement,
une violation particulièrement grave; et, troisièmement, une viola-
tion continue ou permanente (qui se poursuit tant que le sort de la

victime ou le lieu où elle se trouve n’ont pas été déterminés). En réa-
lité, la situation continue ... est patente dans le cadre de l’infraction
de disparition forcée de personnes. Comme il fut souligné à cet égard
dans le cadre des travaux préparatoires de la convention interamé-

ricaine sur la disparition forcée de personnes:

«Cette infraction est continue dans la mesure où elle n’a pas été
commise de manière instantanée mais de façon permanente et se
prolonge tant que la personne est portée disparue» . 89

Cette considération se trouvait dûment reflétée à l’article III de la
convention (supra).» (Par. 9.)

86. De même, au niveau international, la convention des Nations
Unies de 2006 pour la protection de toutes les personnes contre les dis-

paritions forcées se réfère de son côté expressément au «caractère
continu» du crime de disparition forcée de personnes (art. 8, par. 1,
al. b)). La même conception avait été retenue, quatorze ans plus tôt, dans
le cadre de la déclaration des Nations Unies de 1992 sur la protection de

toutes les personnes contre les disparitions forcées qui, après avoir sou-
ligné la gravité du crime de disparition forcée de personnes (art. 1,

89OEA/CP-CAJP, Informe del Presidente del Grupo de Trabajo Encargado de Analizar
el Proyecto de Convención Interamericana sobre Desaparición Forzada de Personas ,
doc. OEA/Ser.G/CP/CAJP-925/93 rev.1, du 25 janvier 1994, p. 10.

57364 JURISDICTIONAL IMMUNITIES OF THE STATE (DISS. OP. CANÇADO TRINDADE )

“considered a permanent crime while its authors continue concealing the
fate or whereabouts of the disappeared person and while the facts have
not been clarified” (Article 17 (1)).

87. May it further be recalled that, two decades earlier, still at the UN
level, ECOSOC resolution 1503 (XLVIII), of 27 May 1970, established a

(confidential) procedure to investigate situations revealing a “consistent
pattern of violations of human rights”. These latter were essentially
continuing situations (e.g., those brought about State policies of racial

discrimination). This is yet another example of the international legal
conceptualization, at normative level, of the configuration of a “contin-
uing situation” in breach of human rights.

88. Yet, in so far as the notion of “continuing situation” is concerned,
in the international law of human rights, in particular, international case
law preceded law-making . Once again, in my same separate opinion in the

Blake case (merits), I further pointed out that

“Long before the typification of the forced disappearance of
person in the international law of human rights, the notion of
‘continuing situation’ found support in the international case law in

the domain of human rights. Thus, already in thD ee Beckerv. Belgium
case (1960), the European Commission of Human Rights, for exam-
ple, recognized the existence of a ‘continuing situation’ (situation
90
continue/situación continuada) . Ever since, the notion of ‘continu-
ing situation’ has marked presence in the case law of the European
91
Commission, on numerous occasions . The continuity of each situa-
tion appears — as the European Commission has expressly warned
in the Cyprus v. Turkey case (1983) — as an aggravating circum-
92
stance of the violation of human rights proven in the cas d’espèce.”
(Para. 11.)

89. A “continuing situation” may well occur with certain breaches of

90Cf., Cour européenne des droits de l’homme, Affaire De Becker (série B: Mémoires,
Plaidoiries et Documents ), Strasbourg, C.E., 1962, pp. 48-49 (Rapport de la Commission ,

8 91nuary 1960).
Cf., e.g., the decisions of the former European Commission of Human Rights con-
cerning the petitions Nos. 7202/75, 7379/76, 8007/77, 7742/76, 6852/74, 8560/79, 8613/79,
8701/79, 8317/78, 8206/78, 9348/81, 9360/81, 9816/82, 10448/83, 9991/82, 9833/82, 9310/81,
10537/83, 10454/83, 11381/85, 9303/81, 11192/84, 11844/85, 12015/86, and 11600/85, among
others.
92In its Report of 4 October 1983 in the Cyprus v. Turkey case (petition No. 8007/77)
the European Commission concluded that the continuing separation of families (as a
result of the refusal of Turkey to allow the return of Greek Cypriots in order to reunite
themselves with their next of kin in the North) constituted an “aggravating factor” of a
continuing situation in violation of Article 8 of the European Convention of Human
Rights. European Commission of Human Rights, Decisions and Reports, Vol. 72, pp. 6
and 41-42.

58 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ÉTAT (OP. DISS.CANÇADO TRINDADE ) 364

par. 1), relevait également que l’acte en question devrait «continue[r]
d’être considéré comme un crime aussi longtemps que ses auteurs dissi-

mule[raie]nt le sort réservé à la personne disparue et le lieu où elle se trou-
v[ait] et que les faits n’[auraie]nt pas été élucidés» (art. 17, par. 1).
87. Il convient également de rappeler que, deux décennies plus tôt,

toujours au niveau des Nations Unies, la résolution 1503 (XLVIII) du
Conseil économique et social du 27 mai 1970 avait mis en place une pro-
cédure (confidentielle) en vue de la conduite d’enquêtes sur des situations

faisant état d’un «ensemble de violations ... des droits de l’homme». Ces
violations représentaient pour l’essentiel des situations continues (comme,
par exemple, celles causées par des politiques de discrimination raciale

des Etats). Cela constitue un exemple de plus de la consécration, au
niveau normatif, de la notion de «situation continue» de violations des

droits de l’homme comme concept de droit international.
88. Pourtant, pour ce qui est de la notion de «situation continue», en
particulier en droit international des droits de l’homme, la jurisprudence

internationale a précédé l’Œuvre normative . Toujours dans mon opinion
individuelle dans l’affaire Blake (fond), je soulignais également que

«Bien avant la consécration de la disparition forcée de personnes

en droit international des droits de l’homme, la notion de «situation
continue» avait été accueillie dans la jurisprudence internationale en
matière de droits de l’homme. Ainsi, par exemple, dans l’affaire De

Becker c. Belgique (1960), la Commission européenne des droits de
l’homme avait déjà reconnu l’existence d’une «situation continue»
(continuing situation/situación continuada) 9. Depuis lors, la notion

de «situation continue» a réapparu à de nombreuses reprises dans la
jurisprudence de la Commission européenne .Le caractère continu
de chaque situation est considéré, comme la Commission euro-

péenne l’a expressément relevé dans l’affaire Chypre c. Turquie
(1983), comme une circonstance aggravante de la violation des droits
de l’homme prouvée dans le cas d’espèce.» 92 (Par. 11.)

89. Si une «situation continue» peut se présenter dans le cas de cer-

90 Cf. Cour européenne des droits de l’homme, affaire De Becker (série B: Mémoires,
Plaidoiries et Documents ), Strasbourg, C.E., 1962, p. 48-49 (Rapport de la Commission du
8 janvier 1960).
91 Cf. par exemple, entre autres, les décisions de l’ancienne Commission européenne des
droits de l’homme concernant les requêtes ns7202/75, 7379/76, 8007/77, 7742/76, 6852/
74, 8560/79, 8613/79, 8701/79, 8317/78, 8206/78, 9348/81, 9360/81, 9816/82, 10448/83,

9991/82, 9833/82, 9310/81, 10537/83, 10454/83, 11381/85, 9303/81, 11192/84, 11844/85,
12925/86 et 11600/85.
Dans son rapport du 4 octobre 1983 en l’affaire Chypre c. Turquie (requête n° 8007/
77), la Commission européenne a conclu que la séparation persistante des familles (à la
suite du refus de la Turquie d’autoriser le retour des Chypriotes grecs souhaitant rejoindre
leurs proches dans le Nord) constituait un «facteur aggravant» d’une situation continue
constitutive d’une violation de l’article 8 de la convention européenne des droits de
l’homme. Commission européenne des droits de l’homme, Décisions et rapports, vol. 72,
p. 6 et 41-42.

58365 JURISDICTIONAL IMMUNITIES OF THE STATE (DISS. OP. CANÇADO TRINDADE )

human rights, but not all of them. Many of such breaches are “instanta-
neous acts”, such as, e.g., summary and extra-legal executions. But there
are some breaches which are continuous, and forced disappearance of

persons is not the only one. There may also occur a continuing denial of
justice: rather often, there are unreasonable and prolonged delays that
end up constituting a continuing denial of justice. As the time of human
93
beings is not the time of human justice , rather often the justiciable ones
have to wait a great many years — not seldom a whole lifetime — for
justice to be done, if at all. Lawyers, nationally and internationally, know

this far too well.

90. In sum, no tribunal — national or international — can today over-

look the notion of a “continuing situation”, not even the World Court.
This notion has in recent years found international legal conceptualiza-
tion not only in international human rights protection, but also in

domains of public international law. To recall but one example, Article 14
(on “Extension in time of the breach of an international obligation”) of
the Articles on State Responsibility (2001) of the UN International Law
Commission (ILC) provides that

“1. The breach of an international obligation by an act of a State

not having a continuing character occurs at the moment when the
act is performed, even if its effects continue.
2. The breach of an international obligation by an act of a State

having a continuing character extends over the entire period during
which the act continues and remains not in conformity with the
international obligation.
3. The breach of an international obligation requiring a State to

prevent a given event occurs when the event occurs and extends over
the entire period during which the event continues and remains not
in conformity with that obligation.”

91. The work of the ILC on its adopted Articles on State Responsibil-
ity, in this particular respect, took due note of the contribution of the
IACtHR’s decision in the Blake case (supra) 94 on the matter at issue.

The ILC, furthermore, acknowledged the temporal element (the exten-
sion in time) when it addressed the consequences of a serious breach of

93On this specific point (and in relation to universal jurisdiction), cf. my dissenting
opinion in the case concerning Questions relating to the Obligation to Prosecute or Extra-
dite (Belgium v. Senegal), Order of 28 May 2009, I.C.J. Reports 2009 , pp. 179-180 and
182-188, paras. 39 and 46-64.
94Cf. J. Crawford, The International Law Commission’s Articles on State Responsibil-
ity — Introduction, Text and Commentaries , Cambridge University Press, 2005 [reprint],
p. 136, and cf., pp. 251-252.

59 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ÉTAT (OP.DISS. CANÇADO TRINDADE ) 365

taines violations des droits de l’homme, cela ne vaut pas pour toutes les
violations de tels droits. Un grand nombre de ces violations constituent
des «actes instantanés», comme par exemple les exécutions sommaires

et extrajudiciaires. Or il est des violations qui sont continues et la dispari-
tion forcée de personnes n’est pas le seul manquement de ce type. Un
déni de justice continu est également possible. Ces situations, plutôt fré-

quentes, représentent des retards déraisonnables et prolongés aboutissant
à un déni de justice continu. Le temps des êtres humains n’étant pas celui
de la justice humaine , il n’est point rare que les justiciables aient à

attendre de longues années — souvent toute une vie humaine — pour
voir éventuellement la justice triompher. Les juristes, fussent-ils natio-
naux ou internationaux, ne le savent que trop bien.
90. En somme, aucune juridiction, fût-elle nationale ou internationale,

ne saurait de nos jours négliger la notion de «situation continue», y com-
pris la Cour internationale de Justice. Cette notion a été consacrée, au
cours de ces dernières années, comme concept de droit international non

seulement dans le domaine de la protection internationale des droits de
l’homme, mais également dans les domaines du droit international public.
Pour ne citer qu’un exemple, l’article 14 («Extension dans le temps de la
violation d’une obligation internationale») des Articles sur la responsa-

bilité de l’Etat (2001) de la Commission du droit international des
Nations Unies (CDI) prévoit:

«1. La violation d’une obligation internationale par le fait de

l’Etat n’ayant pas un caractère continu a lieu au moment où le fait se
produit, même si ses effets perdurent.
2. La violation d’une obligation internationale par le fait de l’Etat

ayant un caractère continu s’étend sur toute la période durant laquelle
le fait continue et reste non conforme à l’obligation internationale.

3. La violation d’une obligation internationale requérant de l’Etat

qu’il prévienne un événement donné a lieu au moment où l’événe-
ment survient et s’étend sur toute la période durant laquelle l’événe-
ment continue et reste non conforme à cette obligation.»

91. Les travaux de la CDI concernant les Articles sur la responsabilité
de l’Etat qu’elle a adoptés ont dûment tenu compte à cet égard de
l’apport de l’arrêt de la CIDH en l’affaire Blake (supra) 94 sur cette ques-

tion. La CDI a en outre reconnu l’élément temporel (l’extension dans le
temps) lorsqu’elle a examiné les conséquences d’une violation grave d’une

93Sur ce point précis (et à propos de la compétence universelle), cf. mon opinion dis-
sidente dans l’affaire des Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader
(Belgique c. Sénégal), ordonnance du 28 mai 2009, C.I.J. Recueil 2009 , p. 179-180 et 182-
188, par. 39 et 46-64.
94Cf. J. Crawford, The International Law Commission’s Articles on State Responsibil-
ity — Introduction, Text and Commentaries , Cambridge University Press, 2005 (réimpr.),
p. 136, et cf. p. 251-252.

59366 JURISDICTIONAL IMMUNITIES OF THE STATE (DISS.OP .CANÇADO TRINDADE )

an obligation under international law (Article 41 (3)), with a direct bear-
ing on the State’s duty to cease such consequences and to provide repara-
tion.

X. T HE “C ONTINUING S ITUATION ” IN THE P RESENT CASE

92. In the present case before the ICJ (original claim and counter-
claim), there is no dispute between Germany and Italy concerning the
facts of the Second World War and the facts extending up to the celebra-

tion of the two 1961 Agreements celebrated between them. Therefore, the
waiver of Article 77 (4) of the 1947 Peace Treaty between the Allied Powers
and Italy cannot possibly be invoked as a ground for establishing the lack

of jurisdiction ratione temporis of the ICJ to entertain Italy’s counter-
claim. This latter, according to Italy , pertains to the dispute as to the
facts ranging from the celebration of the two 1961 Agreements onwards
until the present time.

93. This being the triggering point of the alleged “continuing situa-
tion” in the cas d’espèce, nor can the provision of Article 27 (a) 96 of the

1957 European Convention for the Peaceful Settlement of Disputes be
possibly invoked as a ground for determining the lack of jurisdiction
ratione temporis of the ICJ to entertain Italy’s counter-claim. The notion

of “continuing situation” was not at all invoked to bring the triggering
point back to the occurrences of 1943-1945 in the Second World War;
quite on the contrary, it pertained to the right to reparation for war
crimes, being an element to be taken into account by the Court as from

the new continuing situation generated by the celebration of the two
Agreements of 1961 onwards, as it ensues from the contentions of the
Parties in the original claim and the counter-claim and all arguments

relating thereto.
94. The finding of the Court’s majority of lack of jurisdiction ratione
temporis leading to the admissibility of the counter-claim thus requires
demonstration. The submissions contained in Italy’s counter-claim, and

the arguments as to the law submitted by the contending Parties to this
Court, in my understanding fall entirely within the Court’s jurisdiction
ratione temporis, and the Court should, thereby, in my view, have declared

the counter-claim admissible. To make my own position quite clear, I
shall next examine the scope of the present dispute before the ICJ, and
turn then attention to those I regard as the true bearers (titulaires) of the
originally violated rights, against the background of what I devise as the

pitfalls of State voluntarism.

95Observations of Italy . . ., op. cit. supra note 53, pp. 7, 9-10, 15 and 25, paras. 13, 21,
35 and 64; Counter-Memorial of Italy (22 December 2009), p. 129, para. 7.4.
96Cf., text cit. in note 46, supra.

60 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ’ÉTAT (OP. DIS. CANÇADO TRINDADE ) 366

obligation prévue par le droit international (art. 41, par. 3), ayant des
incidences directes sur le devoir d’un Etat de mettre fin à ces consé-
quences et d’accorder une réparation.

X. L A « SITUATION CONTINUE » EN L ESPÈCE

92. Dans la présente affaire portée devant la CIJ (demande initiale et
demande reconventionnelle), il n’existe pas de différend entre l’Alle-
magne et l’Italie au sujet des faits de la seconde guerre mondiale et des

faits se prolongeant jusqu’à la conclusion des deux accords de 1961 entre
ces deux pays. Pour cette raison, la clause de renonciation prévue au
paragraphe 4 de l’article 77 du traité de paix de 1947 entre les Puissances

alliées et l’Italie ne saurait être invoquée comme établissant le défaut de
compétence ratione temporis de la CIJ pour connaître de la demande
reconventionnelle de l’Italie. D’après cette dernière , ladite demande a
trait au différend concernant les faits qui se prolongent depuis la conclu-

sion des deux accords de 1961 jusqu’à présent.
93. Comme c’était là le point de départ de la «situation continue»
alléguée en l’espèce, la disposition de l’alinéa a) de l’article 27 96 de la

convention de 1957 pour le règlement pacifique des différends ne saurait
davantage être invoquée comme cause d’incompétence ratione temporis
de la CIJ pour connaître de la demande reconventionnelle de l’Italie. La

notion de «situation continue» n’a point été invoquée pour affirmer que
le point de départ remonterait aux événements de 1943-1945, pendant la
seconde guerre mondiale; elle touchait, bien au contraire, le droit à répa-
ration à raison des crimes de guerre, qui constitue un élément devant être

pris en compte par la Cour à partir de la nouvelle situation continue créée
par la conclusion des deux accords à compter de 1961, comme il ressort
des affirmations des Parties dans la demande initiale et dans la demande

reconventionnelle et de tous les arguments y afférents.
94. La conclusion de la majorité en faveur de l’incompétence ratione
temporis de la Cour et, partant, de l’irrecevabilité de la demande recon-
ventionnelle nécessite donc d’être démontrée. Les conclusions contenues

dans la demande reconventionnelle de l’Italie et les moyens de droit invo-
qués par les Parties devant la Cour relèvent, à mon avis, pleinement de la
compétence ratione temporis de celle-ci. J’estime dès lors que la Cour

aurait dû déclarer la demande reconventionnelle recevable. Afin de bien
clarifier ma position, j’examinerai ci-après l’étendue du présent différend
soumis à la Cour et je porterai ensuite mon attention sur ceux que je
considère comme les véritables titulaires des droits initialement violés,

dans le contexte de ce que j’appelle «les écueils du volontarisme
étatique».

95Observations écrites de l’Italie..., op. cit. supra note 53, p. 7, 9-10, 15 et 25, par. 13,
21, 35 et 64; contre-mémoire de l’Italie (22 décembre 2009), p. 129, par. 7.4.
96Cf. texte cité supra, note 46.

60367 JURISDICTIONAL IMMUNITIES OF THE STATE DISS. OP.CANÇADO TRINDADE )

XI. T HE S COPE OF THE P RESENT D ISPUTE BEFORE THE COURT

95. Already in the dawn of its era, the PCIJ spelled out its characteri-
zation of a “dispute”, in the well-known obiter dictum in its Judgment of

20 August 1924 in the case of the Mavrommatis Palestine Concessions
case (Greece v. United Kingdom), in the following terms: “A dispute is a
disagreement on a point of law or fact, a conflict of legal views or of
interests between two persons.” 97 The present case (original claim and

counter-claim), opposing Germany to Italy, fits well into this characteri-
zation. There is here a dispute between Italy and Germany concerning
the law (not the facts). The facts are not in dispute. There is here a con-

flict of their legal views on a claim of State immunity in face of claims of
war reparations. This is the bone of contention between Germany and
Italy.

96. A contentieux on reparations does not have a “subsidiary” nature
in relation to the faits générateurs of the international responsibility of

States. It has a dynamic of its own. Thus, besides the initial engagement
of State responsibility by its faits générateurs (the events of 1943-1945,
not controverted here), responsibility may ex hypothesi be again engaged

in case of lack of due reparation, as a separate and additional breach of
international law. It will depend whether there is State immunity or not,
a point which is beyond the scope of the present Order. Yet, we are here,

within the scope of the present Order, before a contentieux opposing a
vindication of State immunities to vindications of war reparations. The
original claim and the counter-claim are ineluctably intertwined.

97. The duty of reparation emanates from a fundamental principle of
international law, acknowledged by the PCIJ in its early years in the Fac-
tory at Chorzów case (Germany v. Poland). In its Judgment on jurisdic-

tion of 26 July 1927, it asserted that “it is a principle of international law
that the breach of an engagement involves an obligation to make repara-
tion in an adequate form” . And in its Judgment on the merits (in the

same case) of 13 September 1928, it reiterated that “it is a principle of
international law, and even a general conception of law, that any breach
of an engagement involves an obligation to make reparation” . 99

98. Likewise, early in its era, the ICJ itself had the occasion to reassert
this “principle of international law” (involving a duty to provide repara-

tion). In its historical Advisory Opinion on Reparation for Injuries Suf-

97
Judgment No. 2, 1924, P.C.I.J. Series A, No. 2 ,p.11.
98Jurisdiction, Judgment No. 8, 1927, P.C.I.J. Series A, No. 9 ,p.21.
99Merits, Judgment No. 13, 1928, P.C.I.J. Series A, No. 17 , p. 29.

61 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ’ÉTAT (OP. DIS. CANÇADO TRINDADE ) 367

XI. L’ ÉTENDUE DU PRÉSENT DIFFÉREND SOUMIS À LA COUR

95. Déjà à ses débuts, dans le célèbre obiter dictum de son arrêt du

20 août 1924 rendu en l’affaire des Concessions Mavrommatis en Pales-
tine (Grèce c. Royaume-Uni), la CPJI avait donné la définition suivante
de la notion de «différend»: «Un différend est un désaccord sur un point

de droit ou de fait, une contradiction,97ne opposition de thèses juridiques
ou d’intérêts entre deux personnes.» La présente affaire (demande ini-
tiale et demande reconventionnelle) opposant l’Allemagne à l’Italie cor-
respond bien à cette définition. Il existe en l’espèce un différend entre

l’Italie et l’Allemagne concernant un point de droit (et non pas les faits).
Ces derniers ne sont pas contestés. Ce sont les conceptions juridiques des
Parties quant à l’invocation de l’immunité de l’Etat en présence de reven-

dications concernant des réparations de guerre qui divergent en l’espèce.
C’est là que réside le désaccord entre l’Allemagne et l’Italie.
96. Un litige en matière de réparations ne revêt pas un caractère
«subsidiaire» par rapport aux faits générateurs de la responsabilité inter-

nationale des Etats. Il possède sa dynamique propre. Ainsi, à part
l’engagement initial de la responsabilité de l’Etat à raison de ses faits
générateurs (les événements de 1943-1945, qui ne sont pas contestés en

l’espèce), la responsabilité peut encore, par hypothèse, être engagée
à raison de l’absence de la réparation due, constituant un manque-
ment distinct et supplémentaire au droit international. La question de

savoir si l’immunité de l’Etat existe ou non sera un facteur à cette fin;
or elle se trouve en dehors du champ de la présente ordonnance de la
CIJ. Nous sommes néanmoins confrontés, dans le cadre du champ
de la présente ordonnance, à un litige opposant une revendication en

matière d’immunités de l’Etat à des revendications en matière de
réparations de guerre. La demande initiale et la demande reconven-
tionnelle sont inévitablement liées.

97. Le devoir de réparation découle d’un principe fondamental du
droit international reconnu par la CPJI à ses débuts, dans l’affaire de
l’Usine de Chorzów (Allemagne c. Pologne). Dans son arrêt sur la com-
pétence du 26 juillet 1927, elle affirmait que «[c]’[étai]t un principe de

droit international que la violation d’un engagement entraîn[ait] l’obliga-
tion de réparer dans une forme adéquate» . Et, dans son arrêt sur le
fond (dans la même affaire) du 13 septembre 1928, elle déclarait de nou-

veau: «c’est un principe du droit international, voire une conception
générale du droit, que toute violation d’un engagement comporte l’obli-
gation de réparer» .99
98. La CIJ eut également de bonne heure l’occasion de réaffirmer

ce «principe de droit international» (comportant un devoir de répara-
tion). Dans son avis consultatif historique sur la Réparation des dom-

97Arrêt n° 2, 1924, C.P.J.I. série A n° 2 ,p.11.
98Compétence, arrêt n° 8, 1927, C.P.J.I. série A n° 9 , p. 21.
99Fond, arrêt n° 13, 1928, C.P.J.I. série A n° 17 , p. 29.

61368 JURISDICTIONAL IMMUNITIES OF THE STATE(DISS.OP. CANÇADO TRINDADE )

fered in the Service of the United Nations (of 11 April 1949); it added
therein that in “claiming reparation based on the injury suffered by its

agent, the Organization does not represent the agent, but is asserting its
own right, the right to secure respect for undertakings entered into
towards the Organization” (I.C.J. Reports 1949, p. 184). The Organiza-

tion vindicates its own right to reparation, not that of its agent. Its own
right is distinct from those of its agents. Likewise, a State’s right is dis-
tinct from the rights of individuals subject to its jurisdiction.

99. Other contemporary international jurisdictions have also had the
occasion to acknowledge that a contentieux of reparations has its own
dynamics, distinct from that of the contentieux as to the merits of the

cases at issue, however complementary they may be. In recent years, the
Inter-American Court of Human Rights has faced successive cases of
(total or partial) recognition of international responsibility by the Respon-

dent States, which, in cases of total or integral recognition, has allowed
the Court to move on straight to the contentieux of reparations10. This
latter followed its own dynamics, clearly separate from the original faits

générateurs of the international responsibility of the State concerned, in
relation to which controversy had ceased to exist. Controversy existed
only in relation to the claims as to the reparations due.

100. The present case concerning Jurisdictional Immunities of the State
before the ICJ is an inter-State contentieux between Germany and Italy,
concerning their opposing claim and counter-claim, of State immunity

and war reparations, respectively. Such interrelated claims are two faces
of the same coin. By dismissing one of the claims by means of the present
Order, the Court’s majority deprived the Court of the examination and

settlement of the dispute in its entirety. The cas d’espèce originated not in
the events of the Second World War (1943-1945), but in the initiative of
aggrieved individuals, in recent years, to seek justice before domestic tri-

bunals.

XII. T HE T RUE BEARERS (T ITULAIRES) OF THE O RIGINALLY VIOLATED

R IGHTS AND THE PITFALLS OF STATE VOLUNTARISM

101. Individuals’ rights are not the same as their State’s right. How

those individuals are to vindicate their rights is another matter, beyond

100Cf., e.g., Inter-American Court of Human Rights (IACtHR), Aloeboetoe and Others
v. Suriname case (Reparations, Judgment of 10 September 1993), Series C, No. 15; IAC-
tHR, Trujillo Oroza v. Bolivia case (Reparations, Judgment of 27 February 2002), Series C,
No. 92; IACtHR, Goiburú and Others v. Paraguay case ([Merits and] Reparations,
Judgment of 22 September 2006), Series C, No. 153.

62 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ÉTAT OP .DISS. CANÇADO TRINDADE ) 368

mages subis au service des Nations Unies (du 11 avril 1949), elle ajoutait
que, «[e]n demandant une réparation fondée sur le préjudice subi par
son agent, l’organisation ne représent[ait] pas cet agent; elle affir-

m[ait] son propre droit, le droit de garantir le respect des engagements
contractés envers l’organisation» (C.I.J. Recueil 1949, p. 184). L’orga-
nisation fait valoir son propre droit de réparation, et non pas celui de
son agent. Son droit propre est distinct de celui de ses agents. De

même, le droit d’un Etat est distinct des droits des individus relevant
de sa juridiction.
99. D’autres juridictions internationales contemporaines ont également
eu l’occasion de reconnaître qu’un différend en matière de réparation

possédait sa dynamique propre, distincte de celle du différend sur le fond
des affaires en question, quoique complémentaire. Au cours de ces der-
nières années, la Cour interaméricaine des droits de l’homme eut à

connaître d’affaires dans lesquelles les Etats défendeurs avaient reconnu
(intégralement ou en partie) leur responsabilité internationale, ce qui,
dans les cas de reconnaissance totale ou intégrale, avait permis à la Cour
de s’occuper directement du contentieux sur les réparations 10. Ce dernier

possédait sa dynamique propre, nettement distincte des faits générateurs
originaires de la responsabilité de l’Etat concerné, qui n’étaient plus en
litige. Un différend n’existait que par rapport aux revendications concer-

nant la réparation due.
100. La présente affaire des Immunités juridictionnelles de l’Etat intro-
duite devant la CIJ représente un différend interétatique entre l’Alle-
magne et l’Italie, concernant la demande originaire et la demande recon-

ventionnelle des Parties portant respectivement sur l’immunité de l’Etat
et les réparations de guerre. De telles demandes étroitement liées repré-
sentent les deux facettes d’un même problème. En écartant l’une de ces

demandes par la présente ordonnance, la majorité a privé la Cour de la
possibilité d’examiner et de régler le différend dans sa totalité. Ce ne sont
pas les événements de la seconde guerre mondiale (1943-1945) qui se
trouvent à l’origine de l’espèce, mais l’initiative prise au cours de ces der-

nières années par des personnes lésées de saisir les juridictions internes
pour chercher à ce que justice soit rendue.

XII. L ES VÉRITABLES TITULAIRES DES DROITS INITIALEMENT VIOLÉS
ET LES ÉCUEILS DU VOLONTARISME ÉTATIQUE

101. Les droits de ces personnes ne se confondent pas avec celui de
leur Etat. La question de savoir comment ces individus doivent faire

100Cf., par exemple, Cour interaméricaine des droits de l’homme (CIDH), affaire Aloe-
boetoe et autres c. Suriname (réparations, arrêt du 10 septembre 1993), série C, n° 15;
CIDH, Trujillo Oroza c. Bolivie (réparations, arrêt du 27 février 2002), série C, n° 92;
CIDH, Goiburú et autres c. Paraguay ([fond et] réparations, arrêt du 22 septembre 2006),

série C, n° 153.

62369 JURISDICTIONAL IMMUNITIES OF THE STATE (DISS. OP. CANÇADO TRINDADE )

the scope of the present decision of the ICJ on the Italian counter-claim.
And it is a question which, as a result of the unfortunate dismissal by the
Court’s majority of the counter-claim as “inadmissible as such”, will

now fall beyond the scope of the present dispute to be adjudicated by the
Court at the merits stage. The Court will now address only the German
claim of State immunity, in isolation. This is, in my view, much to be

regretted, for the unique occasion which the Court has just failed to take
up to settle the case while at the same time contributing to the progres-
sive development of international law in this domain still surrounded by

uncertainties, despite its utmost relevance for the jus gentium of our
times.

1. The “Real Cause” of the Present Dispute

102. In the present Order, the Court’s majority relies on the general

waiver of Article 77 (4) the 1947 Peace Treaty between the Allied Powers
and Italy. That was a general Peace Treaty, to which, by the way, Ger-
many was not a party. The 1947 Treaty was general and wide in scope, a
product of its time, of the aftermath of the Second World War. The

waiver clause of its Article 7 (4), clearly turned to claims of a patrimonial
character, is in general, ma non troppo : as general as it may be, it is not
absolute.

103. The waiver clause in the 1947 Peace Treaty was directed, as its
drafting terms disclose 101, to claims of a patrimonial nature, rather than

to all kinds of claims. By the time that waiver (Article 77 (4)) was
enshrined by the Allied Powers and Italy into the Peace Treaty in 1947,
they could not have anticipated that that waiver, however general it

intended to be, could not extend over all the complexities of victimization
in the Third Reich, such as the deportations and forced labour to which
Italian nationals (individuals and not their State) had been subjected to

by Nazi Germany between 1943 and 1945.

104. This mens rea is confirmed by the other paragraphs of Article 77

101Article 77 (4) of the 1947 Peace Treaty states:

“Without prejudice to these and to any other dispositions in favour of Italy and
Italian nationals by the Powers occupying Germany, Italy waives on its own behalf
and on behalf of Italian nationals all claims against Germany and German nationals
outstanding on May 8, 1945, except those arising out of contracts and other obliga-
tions entered into, and rights acquired, before September 1, 1939. This waiver shall
be deemed to include debts, all inter-governmental claims in respect of arrangements
entered into in the course of the war, and all claims for loss or damage arising during
the war.”

63 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ’ÉTAT (OP .DISS. CANÇADO TRINDADE ) 369

valoir leurs droits est différente et se situe en dehors du champ de la pré-

sente décision de la CIJ concernant la demande reconventionnelle de
l’Italie. Suite au rejet malencontreux de la demande reconventionnelle
par la majorité de la Cour qui l’a déclarée «irrecevable comme telle»,

cette question restera aussi, désormais, en dehors du champ du présent
différend devant être tranché par la Cour au stade du fond. La Cour
n’examinera dorénavant, de façon isolée, que la demande de l’Allemagne

concernant l’immunité de l’Etat. Il est à mon avis fort regrettable que
la Cour ait laissé passé l’occasion unique qui s’offrait à elle de régler
l’affaire tout en contribuant au développement progressif du droit inter-
national dans ce domaine encore entouré d’incertitudes en dépit de son

importance cruciale pour le droit des gens contemporain.

1. La «cause réelle» du présent différend

102. Dans la présente ordonnance, la majorité de la Cour se fonde sur
la clause de renonciation générale du paragraphe 4 de l’article 77 du

traité de paix de 1947 entre les Puissances alliées et l’Italie. Il s’agissait là
d’un traité de paix général, conclu entre les Puissances alliées et l’Italie et
auquel l’Allemagne n’est d’ailleurs pas partie. Le traité de 1947 avait un

domaine général et vaste et était le fruit de son époque, le lendemain de la
seconde guerre mondiale. La clause de renonciation contenue au para-
graphe 4 de son article 77, qui visait manifestement des revendications de

nature patrimoniale, possède une portée générale, ma non troppo. Quel-
que générale qu’elle puisse être, elle n’est pas absolue.
103. La clause de renonciation du traité de paix de 1947 visait, comme
101
son libellé l’indique , des revendications de nature patrimoniale et non
pas toutes sortes de revendications. A l’époque où cette clause de renon-
ciation (le paragraphe 4 de l’article 77) fut incluse par les Puissances
alliées et l’Italie dans le traité de paix de 1947, les Etats contractants

n’étaient pas à même de prévoir que, quelque générale que fût son inten-
tion, la renonciation ne saurait couvrir tous les aspects complexes des
persécutions à l’époque du III Reich, tels que les déportations et le tra-

vail forcé auxquels les ressortissants italiens (les individus, et non leur
Etat) furent soumis par l’Allemagne nazie entre 1943 et 1945.
104. Cette intention se trouve confirmée par les autres paragraphes de

101Aux termes du paragraphe 4 de l’article 77 du traité de paix de 1947:
«Sans préjudice de ces dispositions et de toutes autres qui seraient prises en faveur
de l’Italie et des ressortissants italiens par les Puissances occupant l’Allemagne,

l’Italie renonce, en son nom et au nom des ressortissants italiens, à toutes réclama-
tions contre l’Allemagne et les ressortissants allemands qui n’étaient pas réglées au
8 mai 1945, à l’exception de celles qui résultent de contratsert d’autres obligations qui
étaient en vigueur ainsi que de droits qui étaient acquis avant le 1mbre 1939.
Cette renonciation sera considérée comme s’appliquant aux créances, à toutes les
réclamations de caractère intergouvernemental relatives à des accords conclus au
cours de la guerre et à toutes les réclamations portant sur des pertes ou des dom-
mages survenus pendant la guerre.»

63370 JURISDICTIONAL IMMUNITIES OF THE STATE (DISS.OP .CANÇADO TRINDADE )

of the 1947 Peace Treaty, referring to: Italian property in Germany not
being enemy property (Article 77 (1)); Italian property removed to Ger-

many to be restituted to Italy (Article 77 (2)); new reference to Italian
property in Germany (Article 77 (3)); transfer of German assets in Italy
to Germany. This is the context into which the purported waiver of Arti-
cle 77 (4) was inserted, in a provision endowed with an essentially patri-

monial character. There is nothing whatsoever in Article 77 of the 1947
Peace Treaty, or in this latter as a whole (to which Germany was not a
party), that can provide a basis for the Court’s majority view that there is
a “continuity” between the 1947 purported waiver and the waiver clauses
in the two 1961 Agreements, or, worse still, that these latter would be an

indemonstrable “improvement” of the former.

105. The subsequent adoption of the two 1961 Agreements, this time
between Germany itself and Italy, bears witness of that. The PCIJ had

already had the occasion to clarify that a dispute may well presuppose
“the existence of some prior situation or fact”, not controverted by the
parties. A situation or fact in respect of which a dispute is considered to
have arisen is to be seen as “the real cause of the dispute” 102. The celebra-

tion of the two 1961 Agreements constitutes, in my view, the triggering
point of a new continuing situation , containing the “real cause of the dis-
pute”, and projecting itself from then onwards into our days. Such dis-
pute between Germany and Italy thus clearly falls within the jurisdiction

of the Court ratione temporis, on the basis of Article 27 (a) of the 1957
European Convention for the Peaceful Settlement of Disputes.

2. Inconsistencies of State Practice

106. Claims of Italian nationals on the basis of German legislation on
compensation for Nazi persecution victims were not encompassed by the
waiver of Article 77 (4) of the 1947 Peace Treaty, because of the provi-
sion “without prejudice to these and to any other dispositions in favour

of Italy and Italian nationals by the Powers occupying Germany”. This
provision, as just pointed out, was intended to apply to claims of a patri-
monial nature (cf. supra). State responsibility for war crimes subsisted.

107. In fact, in this regard, the German Bundesgerichtshof (Supreme
Court) itself, in a decision of 14 December 1955, interpreted the limited
scope of the 1947 waiver clause, by reckoning that this latter had not

brought about a final settlement of the matter given the wording of the
clause, “without prejudice to (. . .) any (. . .) dispositions in favour of
Italy and Italian nationals by the Powers occupying Germany” [Decisions

102Electricity Company of Sofia and Bulgaria, Judgment, 1939, P.C.I.J. Series A/B,
No. 77,p.82.

64 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ÉTAT OP .DISS. CANÇADO TRINDADE ) 370

l’article 77 du traité de paix de 1947, concernant: lesbiens italiens en Alle-
magne qui n’étaient pas des biens ennemis (art. 77, par. 1); lesbiens ita-

liens emportés en Allemagne qui devaient être restitués à l’Italie (art. 77,
par. 2); de nouveau des biens italiens en Allemagne (art. 77, par. 3); le
transfert à l’Allemagne des biens allemands se trouvant en Italie. C’est
dans ce contexte que fut insérée la prétendue renonciation du paragra-

phe 4 de l’article 77, dans une disposition ayant essentiellement un carac-
tère patrimonial. Aucun élément de l’article 77 du traité de paix de 1947,
ni même du traité dans son ensemble (auquel l’Allemagne n’était pas par-
tie), ne saurait étayer le point de vue de la majorité de la Cour selon lequel
il existerait une «continuité» entre la prétendue renonciation de 1947 et

les clauses de renonciation des deux accords de 1961 ou, pire encore,
celles-ci constitueraient une «amélioration» non démontrable de celle-là.
105. L’adoption ultérieure des deux accords de 1961, conclus cette
fois-ci entre l’Allemagne elle-même et l’Italie, en témoigne. La CPJI avait

déjà eu l’occasion de préciser qu’un différend pouvait présupposer «l’exis-
tence d’une situation ou d’un fait antérieur», non contestés par les
parties. C’est la situation ou le fait au sujet duquel on prétend que s’est
élevé le différend qui doit être considéré comme en étant «réellement la
102
cause» . La conclusion des deux accords de 1961 constitue, à mon avis,
le point de départ d’une nouvelle situation continue , renfermant la «cause
réelle du différend» et se prolongeant depuis ce moment-là jusqu’à pré-
sent. Ce différend entre l’Allemagne et l’Italie relève donc manifestement

de la compétence ratione temporis de la Cour, en vertu de l’alinéa a) de
l’article 27 de la convention européenne de 1957 pour le règlement paci-
fique des différends.

2. Les incohérences de la pratique des Etats

106. Les revendications de ressortissants italiens en vertu de la législa-
tion allemande sur l’indemnisation des victimes de la persécution nazie
n’étaient pas visées par la renonciation contenue au paragraphe 4 de
l’article 77 du traité de paix de 1947, à cause des termes «[s]ans préjudice

de ces dispositions et de toutes autres qui seraient prises en faveur de
l’Italie et des ressortissants italiens par les Puissances occupant l’Alle-
magne». Comme nous venons de l’indiquer, cette disposition visait des
revendications de nature patrimoniale (cf. supra). La responsabilité de

l’Etat à raison de crimes de guerre subsistait.
107. En fait, à cet égard, le Bundesgerichtshof (Cour suprême alle-
mande) interpréta lui-même, dans une décision du 14 décembre 1955, le
champ d’application restreint de la clause de renonciation de 1947 en esti-

mant que cette dernière ne portait pas règlement définitif de la question,
étant donné le libellé de la clause «[s]ans préjudice de ... toutes [disposi-
tions] qui seraient prises en faveur de l’Italie et des ressortissants italiens

102Compagnie d’électricité de Sofia et de Bulgarie, arrêt, 1939, C.P.J.I. série A/B
n° 77,p.82.

64371 JURISDICTIONAL IMMUNITIES OF THE STATE (DISS. OP. CANÇADO TRINDADE )

of the Bundesgerichtshof in Civil Matters , Vol. 19, pp. 258 et seq.];

accordingly, the Bundesgerichtshof admitted that the Italian claims and
the corresponding German obligations still existed 10. In 1947, in a Peace
Treaty to which Germany was not a party, the Allied Powers demanded

the waiver from Italy “exclusively in their own inter104”, and that waiver
did not cover claims of war crimes reparations . I cannot see why the
Court’s majority gave so much importance to that waiver, to the point of

trying to base its whole and succinct reasoning on it.

108. The celebration of the two 1961 Agreements, this time by Ger-
many itself with Italy, disclosed Germany’s recognition that reparation
obligations existed in 1961. This marks, in my view, the triggering point

of a new continuing situation, from then onwards, up to the present,
which forms the object of the dispute before the Court (claim of State
immunity and counter-claim of pending war reparations). The two Agree-

ments, celebrated on 2 June 1961 between Germany and Italy, were: (a)
the Agreement on the Settlement of Certain Property-Related, Economic
and Financial Questions (the so-called “Settlement Agreement”); and

(b) the Agreement on Indemnity in Favour of Italian Nationals Affected
by National-Socialist Measures of Persecution (the so-called “Indemnity
Agreement”).

109. The exchange of letters between Germany and Italy attached to
the 1961 Indemnity Agreement 105stated that “claims brought by Italian

nationals which had been rejected with final and binding effect on the
basis of Article 77 (4) of the Italian Peace Treaty [of 1947] were to be
re-examined”. Thus, new applications under the 1953 Federal Restitution
Law (Bundesentschädigungsgesetz -BEG) were seemingly to be treated

without objections on the basis of Article 77 (4) of the 1947 Peace Treaty.
Furthermore, in a memorandum (Denkschrift) submitted to the Legis-
lative on 30 May 1962 106, the German Federal Government recalled

Article 77 (4) of the 1947 Peace Treaty, and instructed the German autho-
rities in charge not to raise objections on the basis of that provision, in
case of claims to restitution. In the words of the memorandu(m Denkschrift):

“[. . .] [T]he special character of the claims to compensation for
measures of National Socialist persecution (Ansprüche auf Wieder-

103
104Counter-Memorial of Italy (22 December 2009), p. 108, para. 5.53, note 223.
105Cf. ibid., p. 108, para. 5.53, and note 223.
106Cf. ibid., Annex 4.
Cf. ibid., para. 5.56 (photocopy of whole memorandum in German, as obtained
from the library of the Bundestag in Berlin, Drucksache des Deutschen Bundestages
IV/438, p. 9).

65 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ÉTAT (OP. DISS.CANÇADO TRINDADE ) 371

par les Puissances occupant l’Allemagne» (Décisions du Bundesgerichts-

hof en matière civile, vol. 19, p. 258 et suiv.). Le Bundesgerichtshof recon-
naissait dès lors que les réclamations italiennes et les obligations alle-
mandes correspondantes existaient toujours . En 1947, dans le cadre d’un

traité de paix auquel l’Allemagne n’était pas partie, les Puissances alliées
ne demandèrent la renonciation italienne «que dans leur propre intérêt»
et cette renonciation ne visait pas les réclamations concernant des répa-
104
rations à raison de crimes de guerre . J’ai du mal à comprendre pour-
quoi la majorité de la Cour a attaché une importance si grande à cette
renonciation, au point de tenter de fonder sur elle l’intégralité de son rai-
sonnement succinct.

108. La conclusion des deux accords de 1961, cette fois-ci par l’Alle-
magne elle-même et l’Italie, révélait la reconnaissance par l’Allemagne du
fait que des obligations de réparation existaient en 1961. Cela marque, à

mon avis, le point de départ d’une nouvelle situation continue se pour-
suivant à l’heure actuelle, qui fait l’objet du différend porté devant la
Cour (la demande principale concernant l’immunité de l’Etat et la

demande reconventionnelle concernant les réparations de guerre pen-
dantes). Les deux traités, conclus le 2 juin 1961 entre l’Allemagne et l’Ita-
lie, étaient: a) le traité portant règlement de certaines questions d’ordre

patrimonial, économique et financier (le «traité de règlement»); et b) le
traité relatif à l’indemnisation des ressortissants italiens ayant fait l’objet
de mesures de persécution sous le régime national-socialiste (le «traité

d’indemnisation»).
109. Aux termes de l’échange de lettres entre l’Allemagne et l’Italie
annexé au traité d’indemnisation de 1961 105, les «demandes présentées

par des ressortissants italiens, qui avaient été rejetées par acte définitif sur
le fondement du paragraphe 4 de l’article 77 du traité de paix italien [de
1947], f[erai]ent l’objet d’un nouvel examen». Ainsi, les nouvelles deman-
des présentées en vertu de la Loi fédérale d’indemnisation de 1953 (Bun-

desentschädigungsgesetz ou BEG) devaient, semble-t-il, être traitées sans
se voir opposer des objections au titre du paragraphe 4 de l’article 77 du
traité de paix de 1947. De surcroît, dans un mémorandum (Denkschrift)
106
présenté devant le pouvoir législatif le 30 mai 1962 , le Gouvernement
allemand rappelait le paragraphe 4 de l’article 77 du traité de paix de
1947 et donnait pour instruction aux autorités compétentes allemandes

de ne pas opposer d’objections en vertu de cette disposition aux demandes
de restitution. Aux termes du mémorandum (Denkschrift) :

«[L]a nature particulière des créances d’indemnisation à raison
des mesures de persécution national-socialistes (Ansprüche auf Wie-

103
104Contre-mémoire de l’Italie (22 décembre 2009), p. 108, par. 5.53 et note 223.
105Cf. ibid., p. 108, par. 5.53 et note 223.
106Cf. ibid., annexe 4.
Cf. ibid., par. 5.56 (photocopie du texte intégral du mémorandum en allemand,
obtenue auprès de la bibliothèque du Bundestag à Berlin, Drucksache des Deutschen Bun-
destages IV/438, p. 9).

65372 JURISDICTIONAL IMMUNITIES OF THE STATE DISS. OP. CANÇADO TRINDADE )

gutmachung nationalsocialistischer Verfolgungsmaßnahmen) justifies
not raising objections based on Article 77 (4) to applications pursu-

ant to the Bundesentschädigungsgesetz . [. . .] Regarding the Bun-
desrückerstattungsgesetz of 19 July 1957, the Federal Government
[. . .] instructed the German authorities in charge not to raise objec-
tions based on Article 77 (4) of the Peace Treaty with Italy of
107
10 February 1947 in the case of claims to restitution.”

110. All this shows that Germany reckoned, in its practice, that the
waiver clause contained in Article 77 (4) of the 1947 Peace Treaty did not
cover war crimes reparations. It further shows that the purported waiver

of Article 77 (4) of the 1947 Peace Treaty was not as general — and cer-
tainly not absolute at all — as the Court’s majority in the present Order
would make one believe, not even on the basis of German State practice!
The reasoning of the Court’s majority in the present Order, in my percep-

tion, tries in vain to find a basis in law, and finds none, not even on State
practice!

111. And this is not all. More recently, the 2000 Law on the “Remem-
brance, Responsibility and Future” Foundation in Germany, provided
compensation to some victims of the war crimes of the Third Reich,
excluding, however, prisoners of war from its field of application (on the

basis of Section 11.3); the right to reparation of at least some victims was
thus reckoned to subsist. All this shows that the pending dispute between
Germany and Italy (claim and counter-claim together) remains indeed
surrounded by uncertainties, and that State practice alone — with its

usual inconsistencies — cannot provide secure guidance to the work of
international adjudication.

3. No Lip Service to State Voluntarism

112. Unlike the Court’s majority, I am of the view that there is no
room at all for paying an instinctive lip service to State voluntarism in

the present case. The Court, in my understanding, cannot — and
should not — try to develop a sound reasoning on the basis of waivers
of claims of breaches of fundamental human rights. The facts before
the Court in a way show that conscience has stood above the will:

Germany and Italy have presented to the Court their distinct views of
the case or continuing situation at issue, in their respective original
claim and counter-claim. These two are inextricably interconnected,

107 Drucksache des Deutschen Bundestages IV/438, p. 9, in: Observations of Italy . . .,
op. cit. supra note 53, p. 19, para. 47.

66 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ÉTAT OP .DISS. CANÇADO TRINDADE ) 372

dergutmachung nationalsozialistischer Verfolgungsmaßnahmen) jus-

tifie que l’on ne soulève pas d’objections sur le fondement de l’ar-
ticle 77, paragraphe 4, en ce qui concerne les demandes présentées en
vertu du Bundesentschädigungsgesetz ... En ce qui concerne le Bun-
desrückerstattungsgesetz du 19 juillet 1957, le gouvernement fédé-

ral ... a donné instruction aux autorités allemandes compétentes de
ne pas soulever d’objections en vertu de l’article 77, paragraphe 4,
du traité de paix avec l’Italie du 10 février 1947, en présence de
demandes de restitution.» 107

110. Il ressort de tout ce qui précède que, dans le cadre de sa pratique,

l’Allemagne partait du principe que la clause de renonciation contenue au
paragraphe 4 de l’article 77 du traité de paix de 1947 ne visait pas les
réparations à raison de crimes de guerre. Il en ressort également que la
prétendue renonciation figurant au paragraphe 4 de l’article 77 du traité

de paix de 1947 n’était pas si générale que la majorité de la Cour pourrait
le faire croire dans la présente ordonnance — et n’était certainement pas
absolue —, même en tenant compte de la pratique de l’Etat allemand! A
mon avis, le raisonnement adopté par la majorité de la Cour dans la pré-

sente ordonnance tente en vain de se fonder sur le droit, mais ne trouve
d’appui ni dans celui-ci ni même dans la pratique étatique!
111. Or cela n’est pas tout. A une époque plus récente, en Allemagne,
la loi de 2000 relative à la fondation «Mémoire, responsabilité et avenir»

institue une indemnisation pour certaines victimes des crimes de guerre
du III Reich, en excluant toutefois de son champ d’application les pri-
sonniers de guerre (en vertu de l’article 11.3). Dès lors, du moins pour
certaines victimes, le droit à réparation était réputé avoir subsisté. Il res-

sort de tout cela que le différend pendant entre l’Allemagne et l’Italie
(demande principale et demande reconventionnelle prises ensemble) reste
effectivement entouré d’incertitudes et que la pratique des Etats, avec ses
incohérences habituelles, ne saurait à elle seule constituer un repère cer-

tain pour l’activité juridictionnelle internationale.

3. Il n’y a pas lieu de sacrifier au volontarisme étatique

112. Contrairement à la majorité de la Cour, j’estime qu’il n’y a point
lieu en l’espèce de sacrifier instinctivement au volontarisme étatique. A
mon sens, la Cour ne saurait et ne devrait pas tenter de développer un

raisonnement solide sur la base de renonciations aux revendications
concernant des violations de droits fondamentaux de l’homme. Les faits
soumis à la Cour démontrent en quelque sorte que la conscience était
supérieure à la volonté: dans leurs demande principale et demande recon-

ventionnelle respectives, l’Allemagne et l’Italie ont exposé devant la Cour
leurs vues divergentes concernant l’affaire ou la situation continue en

107Drucksache des Deutschen Bundestages IV/438, p. 9, cité dans Observations écrites
de l’Italie..., op. cit. supra note 53, p. 19, par. 47.

66373 JURISDICTIONAL IMMUNITIES OF THE STATE (DISS. OP. CANÇADO TRINDADE )

and fall quite clearly under the jurisdiction of the Court ratione tem-
poris.
113. The Court has been invited to proceed to the consideration of the

cas d’espèce at the height of its responsibilities, and in my view the only
way to do this properly is by taking cognizance of the original claim and
the counter-claim altogether. In the present case, without the counter-
claim on war reparations, the examination of the basic issue raised in the

original claim becomes irremediably mitigated and incomplete. By depriv-
ing the Court of the consideration of the original claim and the counter-
claim altogether, by means of the present Order it has just adopted, the
Court’s majority ended up, in my view, depriving the Court of the pos-

sibility of the proper and full exercise of its functions in the realization of
its mission. In my understanding, the pursuit of the realization of justice
at international level has, in the present Order of the Court, succumbed

to an i108inctive search for manifestations of the will (or consent) of
States , in attributing an undue weight to waivers of claims of violated
rights which are not theirs.

114. My own personal understanding is that a State can waive claims
on its own behalf, if it so decides, but not on behalf of human beings

(whether its nationals or not) who have been victims of atrocities which
shock the conscience of humankind. The individual victims, and not their
State, are the bearers (titulaires) of the rights which had been violated
shortly before the 1947 Peace Treaty (between 1943 and 1945), starting

with the right to respect for their own dignity as human beings. Rights
inherent to the human person are endowed with an element of timeless-
ness. Their vindication cannot be waived at will, by any State whatso-

ever.
115. The present dispute between Italy and Germany shows, already
at this stage, that the rights of Italian victims of serious violations of
international humanitarian law (war crimes and crimes against human-

ity) have subsisted. Their vindication, by so-called “Italian Military
Internees” (IMIs, i.e., soldiers who were detained, denied the status of
prisoners of war, transferred to detention camps and sent to forced
labour), as well as civilians likewise detained and transferred to detention

camps and sent to forced labour, and other victims of the civilian popu-
lations in the context of massacres, “as part of a strategy of terror” 109,
has resisted the erosion of time. Fundamental human rights are simply

not amenable to waivers of their claims by States, by means of peace

108This is nothing new; for earlier unfortunate examples, cf., e.g., East Timor (Portu-
gal v. Australia), Judgment, I.C.J. Reports 1995 , pp. 90-106; case concerning Armed
Activities on the Territory of the Congo (New Application: 2002) (Democratic Republic
of the Congo v. Rwanda), Jurisdiction and Admissibility, Judgment, I.C.J. Reports 2006 ,
pp. 6-53.
109
Cf. Counter-Memorial of Italy (22 December 2009), p. 15, para. 2.8.

67 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ’ÉTAT (OP. DISS.CANÇADO TRINDADE ) 373

question. Ces deux demandes sont inextricablement liées et relèvent mani-
festement de la compétence ratione temporis de la Cour.
113. La Cour a été invitée à examiner la présente espèce à la hauteur

de ses responsabilités, et cette mission ne pourrait, à mon avis, être
accomplie comme il convient que si la demande principale et la demande
reconventionnelle sont examinées ensemble. En l’espèce, sans la
demande reconventionnelle concernant les réparations de guerre, l’exa-

men de la question de base soulevée dans la demande originaire perd
irrémédiablement de son efficacité et devient incomplet. En empêchant
la Cour d’examiner ensemble la demande originaire et la demande
reconventionnelle suite à la présente ordonnance qu’elle vient d’adop-

ter, la majorité a fini, à mon avis, par priver la Cour de la possibilité de
s’acquitter convenablement et pleinement de ses attributions dans
l’accomplissement de sa mission. J’estime que, dans la présente ordon-

nance de la Cour, la poursuite de la réalisation de la justice au niveau
international a cédé devant une recherche instinctive de manifestations
de la volonté (ou du consentement) des Etats 108, attribuant une impor-
tance indue aux renonciations à des revendications concernant des

droits violés qui ne sont pas les leurs.
114. Je suis personnellement d’avis qu’un Etat est libre de renoncer à
des revendications en son propre nom, mais non au nom d’êtres humains

(fussent-ils ou non ses ressortissants) qui furent victimes d’atrocités heur-
tant la conscience de l’humanité. Ce sont les victimes individuelles, et non
leurs Etats, qui sont les titulaires des droits violés peu avant le traité de
paix de 1947 (entre 1943 et 1945), à commencer par le droit au respect de

leur dignité en tant qu’êtres humains. Les droits inhérents à la personne
humaine possèdent un élément intemporel. Aucun Etat ne saurait renon-
cer à les faire valoir comme il lui plairait.

115. Le présent différend opposant l’Italie à l’Allemagne permet de
constater, déjà à ce stade, que les droits des victimes italiennes de viola-
tions graves du droit international humanitaire (crimes de guerre et

crimes contre l’humanité) ont subsisté. Leur invocation par les «internés
militaires italiens» (IMI, c’est-à-dire des soldats qui avaient été détenus
et, après s’être vu refuser le statut de prisonniers de guerre, avaient été
transférés dans des camps d’internement et astreints au travail forcé),

ainsi que par des civils ayant également été détenus et transférés dans des
camps d’internement et astreints au travail forcé, et par d’autres victimes
faisant partie des populations civiles dans le contexte des massacres,
109
«dans le cadre d’une stratégie de terreur» , a résisté à l’érosion du

108Ce phénomène n’est pas nouveau; pour des exemples regrettables antérieurs, cf., par
exemple, affaire du Timor oriental (Portugal c. Australie), arrêt, C.I.J. Recueil 1995 ,
p. 90-106; affaire des Activités armées sur le territoire du Congo (nouvelle requête: 2002)
(République démocratique du Congo c. Rwanda), compétence et recevabilité, arrêt,
C.I.J. Recueil 2006, p. 6-53.
109
Cf. Contre-mémoire de l’Italie (22 décembre 2009), p. 15, par. 2.8.

67374 JURISDICTIONAL IMMUNITIES OF THE STATE (DISS. OP. CANÇADO TRINDADE )

treaties, of other kinds of treaties, or by any other means. This can be
further appreciated in a wider horizon.

116. In the days of the historical Second Peace Conference, held here
in The Hague, the participating States decided to set forth a general

obligation, incumbent on all parties to an armed conflict, to make
reparations (not only on the part of the defeated States in favour of the
victorious powers, as was the case in previous State practice). This was

done on the basis of a German proposal , which resulted in Article 3
of the Fourth Hague Convention 110 and is the first provision dealing

specifically with a reparation regime for violations of international human-
itarian law 111. Thanks to the reassuring German proposal, Article 3
of the Fourth Hague Convention of 1907 clarified that it was intended to
112
confer rights directly upon individuals , human beings, rather than
States.

117. This legacy of the Second Hague Peace Conference of 1907
projects itself to our days 113. The time projection of the suffering of

those subjected to deportation and sent to forced labour in the Second
World War (period 1943-1945) has been pointed out in expert writing,

also in relation to the prolonged endeavours of the victims to obtain
reparation.

110Article 3 states:

“A belligerent Party which violates the provisions of the said Regulations [Regu-
lations respecting the laws and customs of war on land, annexed to the Fourth Hague
Convention] shall, if the case demands, be liable to pay compensation. It shall be
responsible for all acts committed by persons forming part of its armed forces.”

111This Article of the Fourth Hague Convention of 1907 came to be regarded as being
also customary international law, and it was reiterated in Article 91 of the I Additional
Protocol (of 1977) to the 1949 Geneva Conventions on international humanitarian law.
Article 91 (Responsibility) of the I Protocol states: “A Party to the conflict which violates

the provisions of the Conventions or of this Protocol shall, if the case demands, be liable
to pay compensation. It shall be responsible for all acts committed by persons forming
part of its armed forces.”
112Cf., to this effect, Eric David, “The Direct Effect of Article 3 of the Fourth Hague
Convention of 18 October 1907 Respecting the Laws and Customs of War on Land”, in
War and the Rights of Individuals — Renaissance of Individual Compensation (H. Fujita,
I. Suzuki and K. Nagano, eds.), Tokyo, Nippon Hyoron-sha Co. Publs., 1999, pp. 50-53;
and cf. also, e.g., F. Kalshoven, “State Responsibility for Warlike Acts of the Armed

Forces”, 40 International and Comparative Law Quarterly (1991), pp. 831-833; D. Shel-
ton, Remedies in International Human Rights Law , 2nd ed., Oxford University Press,
2006, p. 400.
113For a general reassessment of that 1907 Conference, on the occasion of its centen-
nial commemoration in 2007, cf. [Various Authors], Actualité de la Conférence de La
Haye de 1907, Deuxième Conférence de la paix/Topicality of the 1907 Hague Conference,
the Second Peace Conference (Yves Daudet, ed.), Leiden, Nijhoff/The Hague Academy of
International Law, 2008, pp. 3-302.

68 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ÉTAT (OP .DISS. CANÇADO TRINDADE ) 374

temps. Les revendications concernant les droits fondamentaux de l’homme
ne sauraient tout simplement faire l’objet de renonciations de la part des
Etats, fût-ce au travers de traités de paix ou d’autres sortes de traités,

ou par tout autre moyen. On peut également s’en rendre compte dans une
perspective plus large.

116. A l’époque de la deuxième conférence de la paix historique,
tenue ici, à La Haye, les Etats participants décidèrent d’instituer une
obligation générale d’accorder des réparations, incombant à toutes les

parties à un conflit armé (et non seulement aux Etats vaincus en faveur
des puissances victorieuses, comme dans le cadre de la pratique éta-
tique antérieure). Cette idée fut réalisée sur la base d’une proposition
110
allemande qui aboutit à l’article 3 de la convention IV de La Haye ,
la première disposition prévoyant expressément un régime de réparation
111
à raison de violations du droit international humanitaire . Grâce à
la proposition rassurante de l’Allemagne, l’article 3 de la convention IV
de La Haye de 1907 indiquait clairement qu’il entendait conférer des
112
droits directement aux individus , aux êtres humains , plutôt qu’aux
Etats.

117. Cet héritage de la deuxième conférence de la paix de La Haye
de 1907 conserve son empreinte jusqu’à nos jours 113. Le prolongement
temporel des souffrances de ceux qui furent déportés et astreints au tra-

vail forcé au cours de la seconde guerre mondiale (pendant la période
allant de 1943 à 1945) a été souligné en doctrine, également en ce qui

concerne les longs efforts des victimes en vue d’obtenir réparation.

110
Aux termes de l’article 3:
«La Partie belligérante qui violerait les dispositions dudit Règlement [Règlement

concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre, annexé à la convention IV de
La Haye] sera tenue à indemnité, s’il y a lieu. Elle sera responsable de tous actes com-
mis par les personnes faisant partie de sa force armée.»
111Cet article de la convention IV de La Haye de 1907 finit par être considéré comme

relevant également du droit international coutumier et fut repris à l’article 91 du protocole
additionnel I (de 1977) aux conventions de Genève de 1949 sur le droit international
humanitaire. Aux termes de l’article 91 («Responsabilité») du protocole I: «La Partie au
conflit qui violerait les dispositions des Conventions ou du présent Protocole sera tenue à
indemnité, s’il y a lieu. Elle sera responsable de tous actes commis par les personnes fai-
sant partie de ses forces armées.»
112Cf., en ce sens, Eric David, «The Direct Effect of Article 3 of the Fourth Hague
Convention of 18 October 1907 Respecting the Laws and Customs of War on Land»,
War and the Rights of Individuals — Renaissance of Individual Compensation (H. Fujita,

I. Suzuki et K. Nagano, dir. publ.), Tokyo, Nippon Hyoron-sha Co. Publs., 1999,
p. 50-53; cf. également, par exemple, F. Kalshoven, «State Responsibility for Warlike
Acts of the Armed Forces», International and Comparative Law Quarterly ,evol. 40, 1991,
p. 831-833; D. Shelton, Remedies in International Human Rights Law ,2 éd., Oxford
University Press, 2006, p. 400.
113Pour un réexamen général de cette conférence de 1907, à l’occasion de la commé-
moration de son centenaire en 2007, cf. Actualité de la conférence de La Haye de 1907,
deuxième Conférence de la paix/Topicality of the 1907 Hague Conference, the Second
Peace Conference (ouvrage collectif, Yves Daudet, dir. publ.), Leyde, Nijhoff/Académie

de droit international de La Haye, 2008, p. 3-302.

68375 JURISDICTIONAL IMMUNITIES OF THE STATE (DIS. OP. CANÇADO TRINDADE )

In the early 1970s it was pointed out, for example, that
“it is both surprising and alarming that twenty-five years after the

[Second World] War many restitution and compensation cases are
still pending. It is especially disturbing that some of these cases have
been pending for more than twenty years.” 114

118. More recently, after the enactment of the German Compensation

Law of 2 August 2000, it was again recalled that the subjection of pris-
oners of war to forced labour was characterized by “inhuman condi-
tions” of detention, “insufficient nutrition” and “lack of medical care”.
And,

“According to historical research, these appalling conditions were
predominant for Italian military internees [IMIs] in Germany. (. . .)

The Italians were not prisoners of war who happened also to be sub-
jected to forced labour. Instead, the exploitation of their labour
force was the principal reason for their continued detention in Ger-

many. (. . .)
Lastly, one can only deeply regret the tardiness of the legislation
passed only in the year 2000, 55 long years after the end of the
Second World War. This tardiness was properly recognized by the

German Parliament itself when, in the Stiftungsgesetz Statute’s pre-
amble, it emphasized that ‘the law comes too late for those who lost
their life as victims of the National Socialist regime, or died in the
115
meantime’.”

Not only had those victims to endure inhuman and degrading treatment,
but later crossed the final limit of their ungrateful lives living with impu-
nity, without reparation and amidst manifest injustice. The time of
human justice is definitively not the time of human beings.

119. Looking at the serious breaches of the law during the Second
World War in a wider dimension, the pitfalls of State voluntarism —

proper of the positivist legal thinking — were eloquently denounced by
the learned professor at the University of Heidelberg, Gustav Rad-
bruch, in the aftermath of the Second World War, and shortly before
his death in 1949. In announcing his own personal conversion to the

thinking of natural law, he pondered that positivism left the German
judiciary immobilized and defenceless in face of all the atrocities
perpetrated in the Third Reich, seen by the power-holders as in con-
formity with their jus positum (or rather, their imposed laws). That

tragically showed, after “a century of legal positivism”, added Rad-

114K. Schwerin, “German Compensation for Victims of Nazi Persecution”, 67 North-
western University Law Review (1972), p. 518, and cf. pp. 519-523.
115B. Fassbender, “Compensation for Forced Labour in World War II”, 3 Journal of
International Criminal Justice (2005), pp. 251-252.

69 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ’ÉTAT (OP. DISS.CANÇADO TRINDADE ) 375

Ainsi, au début des années 1970, on a pu observer:
«il est à la fois surprenant et alarmant que, vingt-cinq ans après la

[seconde] guerre [mondiale], de nombreuses affaires de restitution et
d’indemnisation soient toujours pendantes. Il est particulièrement
troublant que certaines de ces affaires soient en instance depuis plus
114
de vingt ans.»
118. Plus près de nous, on rappela de nouveau, après la mise en

vigueur de la loi allemande d’indemnisation du 2 août 2000, que la sou-
mission des prisonniers de guerre au travail forcé se caractérisait par «les
conditions inhumaines» de la détention, «l’alimentation insuffisante» et
«l’absence de soins médicaux». On releva également que:

«D’après les recherches historiques, ces conditions épouvantables
prévalaient pour les internés militaires italiens [IMI] en Alle-

magne. ... Les Italiens n’étaient pas des prisonniers de guerre qui se
trouvaient également, par ailleurs, assujettis au travail forcé. Leur
exploitation comme main-d’Œuvre était le motif principal de la pour-

suite de leur détention en Allemagne. ...
Enfin, on ne peut que déplorer profondément le caractère tardif de
la législation, qui ne fut adoptée qu’en 2000, cinquante-cinq longues
années après la fin de la seconde guerre mondiale. Ce retard fut

dûment reconnu par le parlement allemand lui-même qui soulignait,
dans le préambule du Stiftungsgesetz, que «l’adoption de la présente
loi [étai]t trop tardive pour ceux qui [avaie]nt perdu leur vie en tant

que victimes du r115me national-socialiste ou qui [étaie]nt décédés
entre-temps».»

Non seulement ces victimes subirent un traitement inhumain et dégra-
dant, mais elles arrivèrent par la suite au bout de leur vie ingrate après
avoir assisté à l’impunité, sans obtenir de réparation et dans une situation
d’injustice flagrante. Le temps de la justice humaine n’est décidément pas

celui des êtres humains.
119. En envisageant les violations graves du droit commises au cours
de la seconde guerre mondiale dans une dimension plus vaste, Gustav

Radbruch, l’éminent professeur de l’Université de Heidelberg, dénonça
de manière éloquente, au lendemain de la seconde guerre mondiale et peu
avant son décès en 1949, les écueils du volontarisme étatique caractéri-
sant la pensée positiviste. En proclamant sa conversion personnelle aux

idées jusnaturalistes, il déclarait que le positivisme avait laissé les autori-
tés judiciaires allemandes immobilisées et sans défense face à toutes les
atrocités perpétrées dans le III Reich, considérées par les détenteurs du
pouvoir comme conformes à leur jus positum (ou, plutôt, à leurs lois

imposées). A l’issue d’«un siècle de positivisme juridique», cela représen-

114K. Schwerin, «German Compensation for Victims of Nazi Persecution», North-
western University Law Review , vol. 67, 1972, p. 518, et cf. p. 519-523.
115B. Fassbender, «Compensation for Forced Labour in World War II», Journal of
International Criminal Justice , vol. 3, 2005, p. 251-252.

69376 JURISDICTIONAL IMMUNITIES OF THE STATE (DISS. OP. CANÇADO TRINDADE )

bruch, that all laws ought to be in conformity with the law superior to
116
them, that is, natural law .

120. Stressing the cleavage between the Sein and the Sollen, he argued

that, where statutory law manifestly negates — to an extreme and intol-
erable degree — the equality at the core of all justice, it must be disre-
garded by judges in favour of the fundamental principles of justice. The

international legal profession nowadays, marked by a preponderant and
thoughtless adherence to legal positivism, should not forget the warnings
of that German professor, tormented as he became by the horrors, per-
petrated with impunity, of the Third Reich. The main lesson which Rad-

bruch drew was that the positivist conviction that “a law is a law” (dura
lex sed lex, or else Gesetz ist Gesetz) rendered German jurists of the time
defenceless against arbitrary or “criminal” (verbrecherische) laws.

121. He added that positivism is incapable of establishing the validity
of laws on its own, and it had assumed that such validity follows from the

fact that such laws had the power to come into being. Notwithstanding,
it is justice which constitutes the highest value, and an unjust law, in prin-
ciple to be observed, when it comes to be in tension with justice, becomes

an “incorrect law” (unrichtiges Recht), which is displaced by justice.
When that law does not even aspire to serve justice, oblivious of equality
which is at its centre, it is not only “incorrect law”, it never achieves the
117
quality of law at all, the ultimate purpose of which is to serve justice .

122. In an essay published posthumously, G. Radbruch, again regret-
ting the sad legacy of positivism, insisted on his view that there exists a
law higher than the laws, a natural law, a law of reason (ratio), which is
above the laws (ein übergesetzliches Recht) . And he expressed the hope —

keeping in mind the then recent horrors of the Third Reich — that one
day the world will see a whole array of international organizations
wherein groups of people are no longer attached to their respective

nation States, but rather dedicated solely to the cause of humanity as a
whole. These human beings “beyond nationality” (übernationale Men-
schen), in his forecast, would be capable to create properly a true inter-
118
national law, and to adjudicate international disputes .

116G. Radbruch, Introducción a la Filosofía del Derecho [3rd Spanish edition of Vor-

schule der Rechtsphilosophie ], Mexico/Buenos Aires, Fondo de Cultura Económica, 1965,
pp11778 and 180.
G. Radbruch, “Gesetzliches Unrecht und übergesetzliches Recht” (1946), in G. Rad-
bruch, Rechtsphilosophie (E. Wolf, ed.), Stuttgart, K. F. Koehler Verlag, 1950, pp. 352-
35118and cf. pp. 347-357.
G. Radbruch, “Die Erneuerung des Rechts”, in Naturrecht oder Rechtspositivis-
mus? (W. Maihofer, ed.), Bad Homburg vor der Höhe, H. Gentner Verlag, 1962, pp. 2
and 6-7, and cf. pp. 1-10.

70 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ’ÉTAT (OP. DISS.CANÇADO TRINDADE ) 376

tait, ajoutait G. Radbruch, une illustration tragique du fait que toutes les
lois devraient être conformes au droit qui leur est supérieur, c’est-à-dire
au droit naturel 116.

120. En insistant sur la distinction entre le Sein et le Sollen, il soutenait
que, lorsque le droit législatif niait manifestement — jusqu’à un point
extrême et intolérable — l’égalité qui se trouve au cŒur de toute justice,
les juges devaient l’écarter au nom des principes fondamentaux de la jus-

tice. La profession juridique internationale actuelle, marquée par une
adhésion prépondérante et irréfléchie au positivisme juridique, ne devrait
pas oublier les mises en garde de ce professeur allemand, tourmenté par
e
les horreurs du III Reich qui furent perpétrées dans l’impunité. Le prin-
cipal enseignement que G. Radbruch en avait tiré, c’était que la convic-
tion positiviste selon laquelle «la loi, c’est la loi» (dura lex sed lex,o u

encore Gesetz ist Gesetz) avait laissé les juristes allemands de l’époque
sans défense face à l’arbitraire de lois «criminelles» (verbrecherische).
121. Il ajoutait que le positivisme n’était pas en mesure de fonder par

ses propres moyens la validité des lois et qu’il reposait sur le postulat
selon lequel cette validité découlait du fait que ces lois avaient eu le pou-
voir de s’imposer. Néanmoins, c’est la justice qui représente la valeur

suprême. Dès lors, un droit non juste qui doit en principe être respecté
devient un «droit injuste» (unrichtiges Recht) lorsqu’il entre en conflit
avec la justice, et se trouve écarté par celle-ci. Lorsque ce droit n’aspire

même pas à servir la justice — en négligeant l’égalité qui est au cŒur de
celle-ci —, il constitue non seulement un «droit injuste» mais n’accède
jamais au statut de droit, car le but ultime de celui-ci est de servir la jus-
117
tice .
122. Dans un essai posthume, G. Radbruch, déplorant une fois de plus
le triste héritage du positivisme, insistait sur son opinion selon laquelle il

existe un droit supérieur aux lois, un droit naturel, un droit de la raison
(ratio) supralégal (ein übergesetzliches Recht) . Et, gardant à l’esprit les
horreurs alors récentes du III Reich, il exprimait son espoir qu’un jour le

monde se verrait doté d’une multitude d’organisations internationales au
sein desquelles des groupes de personnes ne seraient plus rattachés à leurs
Etats-nations respectifs, mais ne se consacreraient au lieu de cela qu’à la

cause de l’humanité dans son ensemble. D’après ses prévisions, ces êtres
humains «supranationaux» (übernationale Menschen) seraient à même
d’édicter un droit véritablement international et de trancher des litiges
118
internationaux .

116G. Radbruch, Introducción a la Filosofía del Derecho (3 éd. espagnole de Vorschule
der Rechtsphilosophie), Mexique/Buenos Aires, Fondo de Cultura Económica, 1965,
p. 178 et 180.
117G. Radbruch, «Gesetzliches Unrecht und übergesetzliches Recht» (1946), dans
G. Radbruch, Rechtsphilosophie (E. Wolf, dir. publ.), Stuttgart, K. F. Koehler Verlag,
1950, p. 352-353, et cf. p. 347-357.
118
G. Radbruch, «Die Erneuerung des Rechts», Naturrecht oder Rechtspositivismus?
(W. Maihofer, dir. publ.), Bad Homburg vor der Höhe, H. Gentner Verlag, 1962, p. 2 et
6-7, et cf. p. 1-10.

70377 JURISDICTIONAL IMMUNITIES OF THE STAT(DIS. OP.CANÇADO TRINDADE )

123. I find of perennial value the main lesson extracted by G. Rad-
bruch from the grave violations of human rights and international
119
humanitarian law perpetrated during the long dark night of the years
of the Third Reich. Among those brutalities stands that of forced labour
in war industry, which has received much less attention from historians

than other aspects of those somber times. For those of us who have the
privilege to serve the cause of justice, it is imperative not to lose sight, in
regard to that abominable practice, that the ultimate bearers (titulaires)

of the originally violated rights were not States, but human beings, of
flesh and bones and soul. The vindication of their rights stand in the
background of the vindicated State right to immunity. In the present case
before the Court, counter-claim and original claim form an indivisible

whole.

XIII. T HE INCIDENCE OF JUS C OGENS :PURPORTED W AIVER OF
VINDICATION OF R IGHTS INHERENT TO THE H UMAN PERSON B EING
D EVOID OF JURIDICAL E FFECTS

124. In any case, any purported waiver by a State of the rights inher-
ent to the human person would, in my understanding, be against the
international ordre public, and would be deprived of any juridical effects.

To hold that this was not yet recognized at the time of the Second World
War and the 1947 Peace Treaty — a view remindful of the old positivist
posture, with its ineluctable subservience to the established power —
would be, in my view, without foundation. It would amount to conceding

that States could perpetrate crimes against humanity with total impunity,
that they could systematically perpetrate manslaughter, humiliate and
enslave people, deport them and subject them to forced labour, and then

hide themselves behind the shield of a waiver clause negotiated with other
State(s), and try to settle all claims by means of peace treaties with their
counterpart State(s).

125. Already in the times of the Third Reich, and before them, this
impossibility was deeply-engraved in human conscience, in the universal
juridical conscience, which is, in my understanding, the ultimate material

source of all law. To hold that enforced labour was not prohibited at the
time of the German Third Reich would not stand (cf. infra), not even on
the basis of the old positivist dogmas. It does not stand at all, neither in

times of armed conflict, nor in times of peace. The gradual restrictions
leading to its prohibition, so as to avoid and condemn abuses of the past
against the human person, became manifest not only in the domain of

international humanitarian law, but also in that of the regulation of
labour relations (proper of the international Conventions of the Interna-

11To paraphrase some medieval thinkers.

71 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ’ÉTAT (OP. DISS.CANÇADO TRINDADE ) 377

123. A mon avis, le principal enseignement que G. Radbruch avait tiré
des violations graves des droits de l’homme et du droit international
humanitaire perpétrées durant la longue nuit obscure 119 des années du
e
III Reich possède une valeur éternelle. Parmi ces brutalités se détache
celle du travail forcé dans l’industrie de la guerre, qui a beacoup moins
retenu l’attention des historiens que d’autres aspects de cette époque

sombre. Pour nous qui avons le privilège de servir la cause de la justice, il
est impératif de ne pas perdre de vue, en ce qui concerne cette pratique
abominable, le fait que les victimes titulaires des droits initialement violés

n’étaient pas les Etats, mais des êtres humains en chair et en os, doués
d’une âme. L’invocation de leurs droits se situe à l’arrière-plan du droit à
l’immunité invoqué par l’Etat. Dans la présente affaire portée devant la
Cour, la demande reconventionnelle et la demande initiale forment un

tout indivisible.

XIII. L’ INCIDENCE DU JUS COGENS : LA PRÉTENDUE RENONCIATION
À FAIRE VALOIR LES DROITS INHÉRENTS À LA PERSONNE HUMAINE

EST DÉPOURVUE D ’EFFETS JURIDIQUES

124. En tout état de cause, toute prétendue renonciation par un Etat
aux droits inhérents à la personne humaine serait, à mon avis, contraire à

l’ordre public international et dépourvue de tout effet juridique. Soutenir
que cela n’était pas encore reconnu à l’époque de la seconde guerre mon-
diale et du traité de paix de 1947 — un point de vue rappelant l’ancienne

conception positiviste et sa servilité inéluctable envers le pouvoir établi —
serait à mon avis infondé. Cela reviendrait à reconnaître que les Etats
pourraient perpétrer des crimes contre l’humanité en toute impunité,
qu’ils pourraient systématiquement commettre des actes d’homicide,

humilier les personnes, les réduire en esclavage, les déporter et les astrein-
dre au travail forcé, pour s’abriter ensuite derrière une clause de renon-
ciation négociée avec un ou plusieurs autres Etats, en essayant de régler

toute revendication au moyen de traités de paix avec l’Etat ou les Etats
respectif(s).
125. A l’époque du III Reich, comme avant celle-ci, cette impossibi-

lité était déjà profondément ancrée dans la conscience humaine, dans la
conscience juridique universelle qui représente à mon avis la source maté-
rielle ultime de tout le droit. Déclarer que le travail forcé n’était pas inter-
dit à l’époque du III Reich allemand ne serait pas tenable (cf. infra),

même en vertu des anciens dogmes positivistes. Une telle affirmation
n’est point tenable, ni en temps de conflit armé ni en temps de paix. Les
restrictions progressives ayant abouti à l’interdiction du travail forcé, de

manière à éviter et à condamner les abus commis contre la personne
humaine dans le passé, se manifestèrent non seulement dans le domaine
du droit international humanitaire, mais également dans celui de la régle-

119Pour paraphraser certains penseurs du Moyen Age.

71378 JURISDICTIONAL IMMUNITIES OF THE STATE (DISS.OP .CANÇADO TRINDADE )

tional Labour Organization — ILO). In my own perception, even before
all those instruments (infra), enslavement and forced labour were pro-
scribed by human conscience, as the gross abuses of the past weighed too
heavily on this latter.

1. Conventional International Law

(a) International humanitarian law

126. As to international humanitarian law, may it be recalled that,
well before the sinister epoch of the Third Reich, the Regulations Respect-
ing the Laws and Customs of War on Land, Annex to the (IV) Hague
Convention Respecting the Laws and Customs of War on Land, adopted

at the Second Hague Peace Conference of 1907, with the aim “to serve,
even in this extreme case, the interests of humanity” (preamble, para. 2),
imposed clear restrictions on the labour of prisoners of war (Article 6),
and prohibited the confinement of these latter (Article 5). The Fourth

Hague Convention of 1907 contained, in its preamble, thecélèbre Martens
clause (cf. infra), whereby in cases not included in the adopted Regula-
tions annexed to it,

“the inhabitants and the belligerents remain under the protection
and the rule of the principles of the law of nations, as they result
from the usages established among civilized peoples, from the prin-

ciples of humanity, and the dictates of the public conscience”
(para. 8).

127. Two decades later, by means of the 1926 Geneva Anti-Slavery
Convention, the States parties recognized that it was “necessary to pre-
vent forced labour from developing into conditions analogous to slavery”
(preamble, para. 5). They further warned that “recourse to compulsory

or forced labour may have grave consequences”, and thereby they
undertook,

“each in respect of the territories placed under its sovereignty, juris-
diction, protection, suzerainty or tutelage, to take all measures to
prevent compulsory or forced labour from developing into condi-
tions analogous to slavery” (Article 5).

128. Three years later, and still one decade before the outbreak of the

Second World War, the 1929 Geneva Convention Relative to the Treat-
ment of Prisoners of War, again imposed restrictions on the labour of
prisoners of war (Articles 28-30 and 32-34), and categorically prohibited
“to employ prisoners in the manufacture or transport of arms or muni-
tions of any kind, or on the transport of material destined for combatant

units” (Article 31). And, promptly at the end of the Second World War,

72 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ’ÉTAT (OP. DISS.CANÇADO TRINDADE ) 378

mentation des relations de travail (propre aux conventions internatio-
nales de l’Organisation internationale du Travail ou OIT). A mon avis,
même avant l’apparition de tous ces instruments (infra), l’esclavage et le

travail forcé étaient proscrits par la conscience humaine, qui était trop
marquée par le poids des abus flagrants du passé.

1. Droit international conventionnel

a) Droit international humanitaire

126. Pour ce qui est du droit international humanitaire, il convient de
rappeler que, bien avant l’époque sinistre du III Reich, le règlement

concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre, annexé à la conven-
tion IV de La Haye concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre
adoptée lors de la deuxième conférence de la paix de La Haye de 1907,
dans le but de «servir encore, dans cette hypothèse extrême, les intérêts

de l’humanité» (préambule, deuxième alinéa), imposait en des termes
clairs des restrictions au travail des prisonniers de guerre (art. 6) et inter-
disait l’enfermement de ces derniers (art. 5). La convention IV de La
Haye contient, en son préambule, la célèbre clause de Martens (cf. infra)
en vertu de laquelle, dans les cas non compris dans les dispositions régle-

mentaires adoptées et annexées à la convention,

«les populations et les belligérants restent sous la sauvegarde et sous
l’empire des principes du droit des gens, tels qu’ils résultent des
usages établis entre nations civilisées, des lois de l’humanité et des
exigences de la conscience publique» (huitième alinéa).

127. Deux décennies plus tard, dans la convention de Genève de 1926
relative à l’esclavage, les hautes parties contractantes reconnaissaient

qu’il était «nécessaire d’empêcher que le travail forcé n’am[enât] des
conditions analogues à celles de l’esclavage» (préambule, cinquième ali-
néa). Elles mettaient également en garde contre le fait que «le recours au
travail forcé ou obligatoire p[ouvai]t avoir de graves conséquences», et

s’engageaient
«chacune en ce qui concerne les territoires soumis à sa souveraineté,

juridiction, protection, suzeraineté ou tutelle, à prendre des mesures
utiles pour éviter que le travail forcé ou obligatoire n’am[enât] des
conditions analogues à l’esclavage» (art. 5).

128. Trois ans plus tard et toujours une décennie avant l’éclatement de
la seconde guerre mondiale, la convention de Genève de 1929 relative au
traitement des prisonniers de guerre imposait de nouveau des restrictions

au travail des prisonniers de guerre (art. 28-30 et 32-34) et interdisait for-
mellement «d’employer des prisonniers à la fabrication et au transport
d’armes ou de munitions de toute nature, ainsi qu’au transport de maté-
riel destiné à des unités combattantes» (art. 31). De même, au lendemain

72379 JURISDICTIONAL IMMUNITIES OF THE STATE (DISS.OP .CANÇADO TRINDADE )

the 1945 Charter of the International Military Tribunal of Nuremberg

listed among “war crimes” the “deportation to slave labour or for any
other purpose of civilian population of or in occupied territory” (Article
6 (b)), and among “crimes against humanity” the “enslavement, depor-

tation, and other inhumane acts committed against any civilian popula-
tion, before or during the war” (Article 6 (c)).

129. In any case, well beyond the provisions of the aforementioned
treaties, celebrated years before, and shortly after, the Second World
War, forced labour — analogous to slavery — in the war industry was
prohibited by the universal juridical conscience , the ultimate material

source of international law. In this respect, we do not need to indulge
into the superficial positivist exercise of spotting express prohibitions in
the text of treaties (the jus positum). Slave work, forced labour in arma-

ments industry, was prohibited by general international law well before
the nightmare and the horrors of the Third Reich.

(b) International labour Conventions

130. As to the international instruments of the International Labour
Organization (ILO), may it be recalled that the Forced Labour Conven-

tion (No. 29) of the ILO was adopted in 1930, almost one decade before
the outbreak of the Second World War. And even well before then,
forced labour was proscribed by human conscience. The International

Labour Office itself has drawn attention to the fact that the 1930 Forced
Labour Convention (No. 29), followed by the 1957 Abolition of Forced
Labour Convention (No. 105), have practically found universal accept-
120
ance (being “the most widely ratified of all international labour
conventions” 121), and the principles embodied therein have been incor-
porated in several international instruments at both universal and regional

levels. The International Labour Office has, accordingly, propounded the
view that “[T]he prohibition of the use of forced or compulsory labour in
all its forms is considered now as a peremptory norm of modern inter-
122
national law of human rights” .

131. It has gone even beyond the domain of the international law of

120Counting nowadays on 170 and 164 ratifications, respectively; cf. op. cit. note 122,
infra,p.12.
121
Cf. op. cit. note 122, infra, pp. 1 and 34. Yet, despite this universal condemnation of
forced labour, the problem remains in our days, as “millions of people around the world
are still subjected to it”, in a true “affront to human dignity” (ibid., p. 1), as illustrated by
the persistence of slavery-like practices, trafficking in persons for the purpose of exploita-
tion, and illegal forms of compulsion to work (cf. ibid., pp. 35-47).

122International Labour Office, Eradication of Forced Labour , Geneva, ILO, 2007,
p. XI.

73 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ÉTAT (OP. DISS. CANÇADO TRINDADE ) 379

de la seconde guerre mondiale, le Statut du Tribunal militaire internatio-
nal de Nuremberg de 1945 énumérait, parmi les «crimes de guerre», la
«déportation pour des travaux forcés ou pour tout autre but, des popu-

lations civiles dans les territoires occupés» (art. 6, al. b)) et, parmi les
«crimes contre l’humanité», «la réduction en esclavage, la déportation,
et tout autre acte inhumain commis contre toutes populations civiles,
avant ou pendant la guerre» (art. 6, al. c)).

129. En tout état de cause, bien au-delà des dispositions des traités
susmentionnés conclus plusieurs années avant la seconde guerre mondiale
tout comme au lendemain de celle-ci, le travail forcé dans l’industrie de la

guerre — analogue à l’esclavage — est prohibé par la conscience juridique
universelle, la source matérielle ultime du droit international. Il n’est pas
nécessaire, à cet égard, de se livrer à l’opération positiviste superficielle

consistant à découvrir des interdictions expresses dans le texte des traités
(le jus positum). Le travail des esclaves et le travail forcé dans l’industrie
de l’armement étaient prohibés par le droit international général bien
e
avant le cauchemar et les horreurs du III Reich.

b) Conventions internationales du travail

130. Pour ce qui est des instruments internationaux de l’Organisation
internationale du Travail (OIT), il convient de rappeler que la convention
sur le travail forcé (n° 29) de l’OIT fut adoptée en 1930, près de dix ans

avant l’éclatement de la seconde guerre mondiale. En outre, même bien
avant cela, le travail forcé était également proscrit par la conscience
humaine. Le Bureau international du Travail lui-même a attiré l’attention

sur le fait que la convention (n° 29) sur le travail forcé de 1930 et la
convention (n° 105) sur l’abolition du travail forcé de 1957 qui l’a suivie
jouissent d’une reconnaissance quasi universelle 120 (étant «les plus large-
121
ment ratifiées de toutes les conventions internationales du travail» ), et
les principes qui y sont consacrés ont été repris dans plusieurs instru-
ments internationaux, tant au niveau universel qu’au niveau régional. Le

Bureau international du Travail a dès lors déclaré: «L’interdiction de
recourir au travail forcé ou obligatoire sous toutes ses formes est consi-
dérée comme une norme impérative du droit international moderne en
matière de droits de l’homme» 122.

131. Le BIT est allé même au-delà du domaine du droit international

120A ce jour, ces deux conventions ont reçu respectivement 170 et 164 ratifications:
cf. op. cit. infra note 122, p. 12.
121Cf. op. cit. infra note 122, p. 1 et 34. Néanmoins, en dépit de cette condamnation
universelle du travail forcé, le problème persiste de nos jours puisque «des millions de
personnes dans le monde y sont encore assujetties», ce qui représente véritablement une
«injure à la dignité humaine» (ibid., p. 1), comme l’illustrent la persistance de pratiques
analogues à l’esclavage, la traite des personnes à des fins d’exploitation et les formes illi-

ci122 de travail obligatoire (cf. ibid., p. 35-47).
Bureau international du Travail, Eradiquer le travail forcé , Genève, BIT, 2007,
p. XI.

73380 JURISDICTIONAL IMMUNITIES OF THE STATE (DISS. OP. CANÇADO TRINDADE )

human rights, in reiterating, in its recent study on the matter (published
almost eight decades after the 1930 Forced Labour Convention [No. 29]),
the view that

“Freedom from forced or compulsory labour was among the first

basic human rights subjects within the Organization’s mandate to be
dealt with in international labour standards. The principles embod-
ied in the ILO Conventions in this field have since been incorporated

in various international instruments, both universal and regional,
and have therefore become a peremptory norm of international
law.” 123

132. This is not the only assertion to this effect; in yet another study

published seven years ago by the ILO, the view is restated that, as from
the letter and the spirit of the 1930 Forced Labour Convention (No. 29),
followed by the 1957 Abolition of Forced Labour Convention (No. 105),

the evolution of this particular matter has attained “the status of the abo-
lition of forced or compulsory labour in general international law as a
peremptory norm from which no derogation is permitted” 124.

133. It should not be forgotten that this was achieved only after much
human suffering of succeeding generations. As observed at the time of

the celebration of the 1957 Abolition of Forced Labour Convention
(No. 105), there is “humiliating historical evidence” that “the formal abo-
lition of slavery was only reluctantly achieved, little by little, during the

nineteenth century”; as “hidden or even overt forms of serfdom” still
persisted in some countries, in the mid-twentieth century it was thus nec-
essary to conclude the 1957 ILO Convention on Abolition of Forced

Labour (No. 105). At that same time, moreover, the 1958 UN Confer-
ence on the Law of the Sea “found itself faced with the infamous slave
trade to deal with as a still existing evil surviving from the past” 125.

(c) International law of human rights

134. Keeping in mind all the aforementioned developments — the evo-
lution of the new jus gentium of our times — it is clear that, a long time

ago, the prohibition of forced labour in all circumstances became estab-

123Eradication of Forced Labour, op. cit. supra note 122, p. 111. For a study of the
historical background of the 1930 Forced Labour Convention (No. 29), and the early
engagement in the matter on the part of the ILO and the League of Nations, cf. Jean
Bastet, Le travail forcé et l’organisation internationale (SDN et BIT) , Paris, LGDJ, 1932,
pp. 1-181.
124M. Kern and C. Sottas, “The Abolition of Forced or Compulsory Labour”, in
Fundamental Rights at Work and International Labour Standards , Geneva, ILO, 2003,

p.125, and cf. p. 33.
J. H. W. Verzijl, Human Rights in Historical Perspective , Haarlem, Haarlem Press,
1958, p. 6.

74 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ÉTAT (OP. DISS. CANÇADO TRINDADE ) 380

des droits de l’homme en réitérant, dans son étude récente sur cette ques-
tion (publiée près de huit décennies après la convention [n° 29] sur le tra-
vail forcé de 1930), le point de vue selon lequel:

«Le droit de ne pas être astreint à un travail forcé ou obligatoire

est l’un des premiers des droits fondamentaux de l’homme relevant
du mandat de l’Organisation qui a fait l’objet de normes internatio-

nales du travail. Les principes consacrés par les conventions de l’OIT
dans ce domaine ont été incorporés dans divers instruments inter-
nationaux, de portée universelle ou régionale, et sont devenus des
123
normes impératives du droit international.»

132. Ce n’est pas là la seule affirmation en ce sens. Dans une autre
étude publiée il y a sept ans par le BIT, il est de nouveau déclaré que,
étant donné la lettre et l’esprit de la convention de 1930 sur le travail

forcé (n° 29), suivie de la convention de 1957 sur l’abolition du travail
forcé (n° 105), l’évolution de cette question particulière avait abouti au
«statut de l’abolition du travail forcé et obligatoire en droit international

général, en tant que norme impérative à laquelle aucune dérogation n’est
admise» 124.
133. Il convient de ne pas oublier que ce résultat ne fut acquis qu’à

l’issue de beaucoup de souffrances humaines, subies par des générations
successives. Comme il fut observé à l’époque de la conclusion de la
convention de 1957 sur l’abolition du travail forcé (n° 105), il existe «des

preuves historiques humiliantes» attestant que «l’abolition formelle de
l’esclavage ne fut réalisée qu’à contrecŒur, petit à petit, au cours du
XIX siècle»; vu que «des formes de servage occultes ou même ouvertes»

subsistaient dans certains pays, il fut donc nécessaire, au milieu du
XX siècle, de conclure la convention (n° 105) de l’OIT de 1957 sur l’abo-
lition du travail forcé. De surcroît, à la même époque, la conférence des

Nations Unies de 1958 sur le droit de la mer «dut s’occuper de la traite
infâme des esclaves, ce fléau hérité du passé» 125.

c) Droit international des droits de l’homme

134. Ces divers développements — l’évolution du nouveau jus gentium
contemporain — montrent bien que la prohibition du travail forcé en
toutes circonstances, aussi bien en temps de conflit armé qu’en temps de

123
Eradiquer le travail forcé, op. cit. supra note 122, p. 111. Pour une étude du contexte
historique de la convention de 1930 sur le travail forcé (n° 29) et de l’engagement du
BIT et de la Société des Nations dans ce domaine dès un stade précoce, cf. Jean
Bastet, Le travail forcé et l’organisation internationale (SDN et BIT) , Paris, LGDJ,
1932, p. 1-181.
124M. Kern et C. Sottas, «Abolition du travail forcé ou obligatoire», Droits fonda-
mentaux au travail et normes internationales du travail, Genève, BIT, 2003, p. 47, et cf.
p. 35.
125J. H. W. Verzijl, Human Rights in Historical Perspective , Haarlem, Haarlem Press,
1958, p. 6.

74381 JURISDICTIONAL IMMUNITIES OF THE STATE (DISS. OP. CANÇADO TRINDADE )

lished in the law of nations, in times of armed conflict as well as of peace
(cf. supra). As proclaimed, in the aftermath of the Second World War,
by the 1948 Universal Declaration of Human Rights, “[a]ll human beings

are born free and equal in dignity and rights” (Article 1). This
prohibition derives from the fundamental principle of equality and non-
discrimination. This fundamental principle, according to Advisory
Opinion No. 18 of the Inter-American Court of Human Rights (IACtHR)

on the Juridical Condition and Rights of Undocumented Migrants (of
17 September 2003), belongs to the domain of jus cogens.
135. In that transcendental Advisory Opinion of 2003, the IACtHR, in

line with the humanist teachings of the “founding fathers” of the droit
des gens (jus gentium), pointed out that, under that fundamental princi-
ple, the element of equality can hardly be separated from non-discrimina-

tion, and equality is to be guaranteed without discrimination of any kind.
This is closely linked to the essential dignity of the human person, ensu-
ing from the unity of human kind. The basic principle of equality before

the law and non-discrimination permeates the whole operation of the
State power, having nowadays entered the domain of jus cogens 126.Ina
concurring opinion, it was stressed that the fundamental principle of

equality and non-discrimination permeates the whole corpus juris of the
international law of human rights, has an impact in public international
law, and projects itself onto general or customary international law itself,
127
and integrates nowadays the expanding material content of jus cogens .

2. General International Law

136. I have already referred to the Martens clause (para. 126, supra)
inserted into the preamble of the Fourth Hague Convention of 1907 (cf.
supra), and, even before that, also in the preamble of the Second Hague

Convention of 1899 (para. 9), adopted at the First Hague Peace Confer-
ence of 1899 128, both pertaining to the laws and customs of land warfare.
Its purpose was to extend juridically needed protection to civilians and

combatants in all situations, even though not contemplated by the con-

126IACtHR, Advisory Opinion No. 18 (of 17 September 2003), on the Juridical Condi-
tion and Rights of Undocumented Migrants , Series A, No. 18, paras. 83, 97-99 and 100-
101.
127 Ibid., concurring opinion of Judge A. A. Cançado Trindade, paras. 59-64 and
65-73. In recent years, the IACtHR, together with the ad hoc International Criminal Tri-
bunal for the former Yugoslavia, have been the contemporary international tribunals
which have most contributed, in their case law, to the conceptual evolution of jus cogens
(well beyond the law of treaties), and to the gradual expansion of its material content; cf.
A. A. Cançado Trindade, “Jus Cogens : The Determination and the Gradual Expansion
of Its Material Content in Contemporary International Case Law”, in XXXV Curso de
Derecho Internacional Organizado por el Comité Jurídico Interamericano — OAS (2008)

pp128-29.
It was originally presented by the Delegate of Russia (Friedrich von Martens) to the
First Hague Peace Conference (1899).

75 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ÉTAT (OP. DISS.CANÇADO TRINDADE ) 381

paix (cf. supra), existe depuis longtemps en droit des gens. Comme le pro-
clamait, au lendemain de la seconde guerre mondiale, la Déclaration uni-
verselle des droits de l’homme de 1948, «tous les êtres humains naissent

libres et égaux en dignité et en droits» (art. 1). La prohibition en cause
découle du principe fondamental d’égalité et de non-discrimination. Dans
son avis consultatif n° 18 concernant le statut juridique et les droits des
migrants sans papiers (du 17 septembre 2003), la Cour interaméricaine

des droits de l’homme (CIDH) a considéré que ce principe fondamental
relevait du jus cogens.
135. Dans cet avis qui fait date, la CIDH soulignait, dans le droit-fil de

l’enseignement humaniste des «pères fondateurs» du droit des gens (jus
gentium), que, en vertu de ce principe fondamental, l’élément de l’égalité
ne saurait guère être séparé de celui de la non-discrimination et que l’éga-

lité devait être garantie sans discrimination d’aucune sorte. Cela est étroi-
tement lié à la dignité inhérente à la personne humaine, découlant de
l’unité du genre humain. Le principe fondamental de l’égalité devant la

loi et de la non-discrimination imprègne l’ensemble du fonctionnement
du pouvoir étatique et relève de nos jours du jus cogens 126. Dans une
opinion concordante, il fut souligné que le principe fondamental de l’éga-

lité et de la non-discrimination pénétrait l’ensemble du corpus juris du
droit international des droits de l’homme, avait des incidences en droit
international public, se répercutait sur le droit international général ou

coutumier lui-même et faisait désormais partie des normes toujours plus
nombreuses relevant du jus cogens 127.

2. Droit international général

136. J’ai déjà mentionné la clause de Martens (par. 126 supra) insérée
dans le préambule de la convention IV de La Haye de 1907 (cf. supra) et,
même avant cela, également dans le préambule de la convention II de La

Haye de 1899 (neuvième alinéa), adoptée lors de la première conférence
de la paix de La Haye de 1899 128, concernant toutes deux les lois et cou-
tumes de la guerre sur terre. Son objectif était d’étendre juridiquement la

protection nécessaire aux civils et aux combattants en toutes situations,

126CIDH, avis consultatif n° 18 (17 septembre 2003), Condition juridique et droits des
migrants sans papiers, série A, n° 18, par. 83, 97-99 et 100-101.

127Ibid., opinion concordante de M. le juge A. A. Cançado Trindade, par. 59-64 et
65-73. Ces derniers temps, la CIDH ainsi que le Tribunal pénal international pour
l’ex-Yougoslavie ont été les deux juridictions internationales contemporaines à avoir le
plus contribué, par leur jurisprudence, à l’évolution conceptuelle du jus cogens (bien au-
delà du droit des traités) et à l’élargissement progressif de son contenu matériel: cf.
A. A. Cançado Trindade, «Jus Cogens : The Determination and the Gradual Expansion
of Its Material Content in Contemporary International Case Law», XXXV Curso de
Derecho Internacional Organizado por el Comité Jurídico Interamericano — OAS , 2008,

p.12829.
Elle fut à l’origine proposée par le délégué de la Russie (Friedrich von Martens) lors
de la première conférence de la paix de La Haye (1899).

75382 JURISDICTIONAL IMMUNITIES OF THE STATE (DISS. OP. CANÇADO TRINDADE )

ventional norms; to that end, the Martens clause invoked the “principles
of the law of nations” derived from “established” custom, as well as the

“principles of humanity” and the “dictates of the public conscience”.
Subsequently, the Martens clause was again to appear in the common
provision, concerning denunciation, of the four Geneva Conventions of

international humanitarian law of 1949 (Articles 62, 63, 142 and 158), as
well as in the Additional Protocol I (of 1977) to those Conventions (Arti-
cle 1, paragraph 2), to quote some of the main Conventions of interna-

tional humanitarian law.

137. The Martens clause has thus been endowed, for more than a cen-
129
tury, with continuing validity, in its invocation of public conscience ,
and it keeps on warning against the assumption that whatever is not

expressly prohibited by the Conventions on international humanitarian
law would be allowed; quite on the contrary, the Martens clause sustains
the continued applicability of the principles of the law of nations, the

principles of humanity, and the dictates of the public conscience, inde-
pendently of the emergence of new situations 130. The Martens clause
impedes, thus, the non liquet, and exerts an important role in the herm-

eneutics and the application of humanitarian norms.

138. The fact that the draftsmen of the Conventions of 1899, 1907 and

1949 and of Protocol I of 1977 have repeatedly asserted the elements of
the Martens clause in those international instruments reckons that clause
as an emanation of the material source of international humanitarian
131
law and of international law in general. In this way, it exerts a con-
tinuous influence in the spontaneous formation of the contents of new

rules of international humanitarian law.
139. By intertwining the principles of humanity and the dictates of
public conscience, the Martens clause establishes an “organic inter-

dependence” of the legality of protection with its legitimacy, to the ben-
efit of all human beings 132. The legacy of Martens is also related to the
primacy of law in the settlement of disputes and the search for peace 133.

Contemporary juridical doctrine has also characterized the Martens clause

129As, however advanced may the codification of humanitarian norms be, it will hardly
be considered as being truly complete.
130B. Zimmermann, “Protocol I — Article 1”, in Commentary on the Additional Pro-
tocols of 8 June 1977 to the Geneva Conventions of 12 August 1949 (Y. Sandoz, Ch. Swi-
narski and B. Zimmermann, eds.), Geneva, ICRC/Nijhoff, 1987, p. 39.
131
H. Meyrowitz, “Réflexions sur le fondement du droit de la guerre”, in Etudes et
essais sur le droit international humanitaire et sur les principes de la Croix-Rouge en
l’honneur de Jean Pictet (Ch. Swinarski, ed.), Geneva/The Hague, CICR/Nijhoff, 1984,
pp. 423-424; and cf., H. Strebel, “Martens’ Clause”, in Encyclopedia of Public Interna-
tional Law (R. Bernhardt, ed.), Vol. 3, Amsterdam, North-Holland Publ. Co., 1982,
pp. 252-253.
132Ch. Swinarski, “Préface”, in V. V. Pustogarov, op. cit. infra note 133, p. XI.
133V. V. Pustogarov, Fedor Fedorovich Martens — Jurist i Diplomat , Moscow, Ed.
Mejdunarodnie Otnosheniya, 1999, pp. 1-287.

76 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ÉTAT (OP. DISS. CANÇADO TRINDADE ) 382

même si elle n’était pas prévue par les normes conventionnelles; la clause
de Martens invoquait à cette fin «les principes du droit des gens» décou-

lant des usages «établis», ainsi que les «lois de l’humanité» et les «exi-
gences de la conscience publique». Plus tard, la clause de Martens appa-
raissait également dans la disposition commune aux quatre conventions

de Genève relatives au droit international humanitaire de 1949 (respecti-
vement articles 62, 63, 142 et 158), concernant la dénonciation, ainsi que
dans le protocole additionnel I (de 1977) à ces conventions (article pre-

mier, par. 2), pour citer quelques-unes des principales conventions en
matière de droit international humanitaire.
137. La clause de Martens s’est donc vue dotée, pendant plus d’un siè-

cle, d’une validité permanente, du fait de son invocation de la conscience
publique 129, et elle continue de mettre en garde contre l’hypothèse selon

laquelle tout ce qui n’est pas expressément interdit par les conventions en
matière de droit international humanitaire serait autorisé. La clause de
Martens postule, bien au contraire, que les principes du droit des gens, les

lois de l’humanité et les exigences de la conscience publique continuent de
s’appliquer, indépendamment de l’apparition de situations nouvelles 130.
Dès lors, la clause de Martens permet d’éviter un non liquet et joue un

rôle important dans le cadre de l’herméneutique et de l’application des
normes humanitaires.
138. Le fait que les rédacteurs des conventions de 1899, 1907 et 1949 et

du protocole I de 1977 aient repris plus d’une fois les éléments de la
clause de Martens dans ces instruments internationaux révèle que cette
clause constitue une émanation de la source matérielle du droit interna-
131
tional humanitaire et du droit international en général. Elle exerce de
ce fait une influence permanente dans le cadre de la formation spontanée

du contenu de règles nouvelles de droit international humanitaire.
139. En associant les lois de l’humanité aux exigences de la conscience
publique, la clause de Martens institue une «interdépendance organique»

entre la légalité de la protection et sa légitimité, au bénéfice de tous les
êtres humains 132. L’héritage de Martens a également trait à la préémi-
nence du droit dans le cadre du règlement des différends et de la recher-
133
che de la paix . La doctrine juridique contemporaine a elle aussi traité

129Car, quelque avancée que puisse être la codification des normes humanitaires, elle ne
saurait être considérée comme véritablement complète.
130B. Zimmermann, «Protocole I — article premier», Commentaire sur les protocoles
additionnels du 8 juin 1977 aux conventions de Genève du 12 août 1949 (Y. Sandoz,
Ch. Swinarski et B. Zimmermann, dir. publ.), Genève, CICR/Nijhoff, 1987, p. 39.
131
H. Meyrowitz, «Réflexions sur le fondement du droit de la guerre», Etudes et
essais sur le droit international humanitaire et sur les principes de la Croix-Rouge en
l’honneur de Jean Pictet (Ch. Swinarski, dir. publ.), Genève/La Haye, CICR/Nijhoff,
1984, p. 423-424; et cf. H. Strebel, «Martens’ Clause», Encyclopedia of Public Interna-
tional Law (R. Bernhardt, dir. publ.), vol. 3, Amsterdam, North-Holland Publ. Co., 1982,
p. 252-253.
132Ch. Swinarski, «Préface», dans V. V. Pustogarov, op. cit. infra note 133, p. XI.
133V. V. Pustogarov, Fedor Fedorovitch Martens — Jurist i Diplomat , Moscou, éd.
Mejdunarodnie Otnosheniya, 1999, p. 1-287.

76383 JURISDICTIONAL IMMUNITIES OF THE STATE (DISS.OP .CANÇADO TRINDADE )

134
as source of general international law itself ; and no one would dare
today deny that the “principles of humanity” and the “dictates of the
public conscience” invoked by the Martens clause belong to the domain
135
of jus cogens . The aforementioned clause, as a whole, has been con-
ceived and reiteratedly affirmed, ultimately, to the benefit of humankind
as a whole, thus maintaining its topicality. The clause may be considered
as an expression of the raison d’humanité imposing limits on the raison

d’Etat.

3. The Incidence of Jus Cogens, in the Light of the Submissions of the
Contending Parties

140. The previous considerations bring me to a remaining line of brief

reflections on the incidence of jus cogens, in the light of the submissions
of Italy and Germany in the present case concerning Jurisdictional Immu-
nities of the State. Their submissions, on this specific issue, and in the

context of the cas d’espèce, are not so diverging as one might perhaps
expect them to be. It is certain that, in its Memorial, Germany begins by
criticizing the arguments of Italy’s Corte di Cassazione in its 2004 Judg-

ment in the Ferrini case, as, in Germany’s view,

“(. . .) As a legal concept, jus cogens did not exist at the time when
the violations occurred from which the plaintiffs attempt to derive
their claims. Thus, to apply the standard of jus cogens to the tragic

events of the Second World War does not correspond to the general
rules of temporal applicability of international law. Any conduct
must be appraised by the standards in force at the time it was prac-
136
tice.”

It then added that, “since international law is essentially based on the
consent of States”, it is in their “general practice” that answers must be

sought as to the consequences “entailed by a breach of a jus cogens
rule” 137.
141. Such assertions do not resist closer examination. State consent

and jus cogens are as antithetical as they could possibly be. The practice
of States alone, permeated with incongruencies as it usually is, cannot at
all provide sole guidance for extracting the consequences of a breach of a

peremptory norm of general international law (jus cogens), in the sense
of Articles 53 and 64 of the two Vienna Conventions on the Law of Trea-

134F. Münch, “Le rôle du droit spontané”, in Pensamiento Jurídico y Sociedad Inter-
nacional — Libro-Homenaje al Prof. D. A. Truyol y Serra , Vol. II, Madrid, Univ. Com-
plutense, 1986, p. 836.
135S. Miyazaki, “The Martens Clause and International Humanitarian Law”, in Etudes
et essais sur le droit international humanitaire et sur les principes de la Croix-Rouge en

l’136neur de Jean Pictet, op. cit. supra note 131, pp. 438 and 440.
137Memorial of Germany (12 June 2009), pp. 52-53, para. 85.
Ibid., p. 54, para. 87.

77 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ÉTAT (OP. DISS. CANÇADO TRINDADE ) 383

la clause de Martens com134constituant elle-même une source du droit
international général , et personne n’oserait de nos jours nier que les
«lois de l’humanité» et les «exigences de la conscience publique» invo-
135
quées par la clause de Martens relèvent du jus cogens . D’une manière
générale, cette clause fut conçue et réaffirmée à plusieurs reprises pour le
bénéfice ultime de l’humanité dans son ensemble, ce qui lui permet de res-
ter d’actualité. La clause peut être considérée comme une expression de la

raison d’humanité imposant des limites à la raison d’Etat.

3. L’incidence du jus cogens à la lumière des arguments
des Parties

140. Les considérations qui précèdent m’inspirent une dernière série de

brèves réflexions sur l’incidence du jus cogens, à la lumière des arguments
de l’Italie et de l’Allemagne dans la présente affaire des Immunités juri-
dictionnelles de l’Etat . Sur cette question en particulier, ainsi que dans le

contexte de l’espèce, leurs argumentations ne sont pas si divergentes que
l’on pourrait peut-être s’y attendre. Certes, dans son mémoire, l’Alle-
magne se livre d’abord à une critique des motifs de la Corte di Cassazione

italienne dans son arrêt de 2004 en l’affaire Ferrini car, d’après elle:

«Le jus cogens en tant que concept juridique n’existait pas à l’épo-
que de la survenance des violations dont les demandeurs tentent de
tirer grief. Dès lors, appliquer le critère du jus cogens aux événe-

ments tragiques de la seconde guerre mondiale ne correspond pas
aux règles générales relatives à l’application du droit international
dans le temps. Tout comportement doit être apprécié au regard des
136
critères en vigueur au moment où il était pratiqué.»

Elle ajoutait ensuite que, «puisque le droit international repose essentiel-
lement sur le consentement des Etats», c’est dans la «pratique générale»

de ces derniers que devaient être cherchées les réponses quant aux consé-
quences «découlant d’une violation d’une règle de jus cogens » 137.
141. De telles affirmations ne résistent pas à un examen plus appro-

fondi. L’antinomie entre le consentement des Etats et le jus cogens est on
ne peut plus grande. La pratique des Etats, marquée, comme elle l’est
habituellement, par l’incohérence, ne saurait à elle seule servir de repère

lorsqu’il s’agit de tirer les conséquences de la violation d’une norme impé-
rative du droit international général (jus cogens), au sens des articles 53

134F. Münch, «Le rôle du droit spontané», Pensamiento Jurídico y Sociedad Interna-
cional — Libro-Homenaje al Prof. D. A. Truyol y Serra , vol. II, Madrid, Univ. Com-
plutense, 1986, p. 836.
135S. Miyazaki, «The Martens Clause and International Humanitarian Law», Etudes
et essais sur le droit international humanitaire et sur les principes de la Croix-Rouge en

l’136neur de Jean Pictet, op. cit. supra note 131, p. 438 et 440.
137Mémoire de la République fédérale d’Allemagne (12 juin 2009), p. 52-53, par. 85.
Ibid., p. 54, par. 87.

77384 JURISDICTIONAL IMMUNITIES OF THE STATE (DIS. OP. CANÇADO TRINDADE )

ties (1969 and 1986). When the first of those Vienna Conventions was
adopted, it marked the emergence of jus cogens only in the domain of the
law of treaties. In the course of the official debates of the Vienna Con-

ference of 1986, which adopted the second Vienna Convention, I deemed
it fit to warn of the manifest incompatibility between jus cogens and the
static positivist-voluntarist conception of international law (with empha-
sis on the will or consent of States) 138.

142. The truth is that jus cogens goes well beyond the law of treaties,
and this is not new. Still in its Memorial, Germany asserts that, “undoubt-
edly”, jus cogens “prohibits genocide”; and it promptly concedes, in this

connection, that: “This ban has its legal foundation both in the 1948
Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide
and in (earlier) general rules of international law.” 139

Thus, Germany itself rightly — and commendably — recognizes the
incidence of jus cogens going well back into the past, and well before the
relevant provisions (Articles 53 and 64) of the 1969 Vienna Convention

on the Law of Treaties. It ends up by recognizing that jus cogens (in gen-
eral international law) prohibited genocide already at the times of the
crimes of the Third Reich, which shocked the conscience of humankind.

Even before the end of the nineteenth century (on the occasion of the
First Hague Peace Conference of 1899), the prohibition of genocide was
deeply-rooted in the universal juridical conscience, or in “the dictates of
the public conscience”, to paraphrase the Martens clause (supra).

143. The 1948 Convention against Genocide went on to put that on
paper, after the horrors of the Third Reich. But well before that Conven-

tion, everyone with a sane mind knew perfectly well that the perpetration
of genocide is a wrongful act, is a crime, it goes against the law. As to the
treatment of detained persons, in its Counter-Memorial in the present
case, Italy, on its turn, in relation to jus cogens, considers that

“It seems to be universally accepted that, even before the Second
World War, provisions concerning the treatment of prisoners had a
non-derogable character. (. . .) The Charter annexed to the Agree-
ment of 8 August 1945 establishing the Nuremberg International

Military Tribunal qualified as war crimes the violations of the laws
or customs of war. The Tribunal found that, by 1939, the humani-
tarian rules included in the Regulations annexed to the Hague Con-

138Cf. Official Records of the United Nations Conference on the Law of Treaties
between States and International Organizations or between International Organization
(Vienna, 18 February-21 March 1986), Vol. I, N.Y., 1995, pp. 187-188 [intervention by
Mr. Cançado Trindade (Brazil)].
139
Memorial of Germany (12 June 2009), p. 53, para. 86.

78 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ’ÉTAT (OP .DISS. CANÇADO TRINDADE ) 384

et 64 des deux conventions de Vienne sur le droit des traités (de 1969 et

de 1986). L’adoption de la première de ces conventions marqua l’émer-
gence du jus cogens uniquement dans le domaine du droit des traités.
Pendant les débats officiels de la conférence de Vienne de 1986, lors de

laquelle fut adoptée la seconde convention de Vienne, j’avais cru néces-
saire de mettre en garde contre l’incompatibilité manifeste entre le jus
cogens et la conception statique, positiviste et volontariste du droit inter-
138
national (mettant l’accent sur la volonté ou le consentement des Etats) .
142. En réalité, le jus cogens va bien au-delà du droit des traités, ce qui
n’est pas nouveau. Toujours dans son mémoire, l’Allemagne affirme que
«sans doute», le jus cogens «interdit le génocide», et reconnaît aussitôt,

à cet égard, que: «Cette interdiction trouve son fondement juridique tant
dans la convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime
de génocide que dans des règles générales (plus anciennes) du droit inter-
139
national.»
Ainsi, l’Allemagne elle-même reconnaît à juste titre — ce qui est loua-
ble — l’incidence du jus cogens, qui remonte assez loin dans le passé et

qui est largement antérieure aux dispositions pertinentes (art. 53 et 64) de
la convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités. Elle finit par
reconnaître que le jus cogens (en droit international général) interdisait
e
déjà le génocide à l’époque des crimes du III Reich, qui heertèrent la
conscience de l’humanité. Même avant la fin du XIX siècle (à l’occasion
de la première conférence de la paix de La Haye de 1899), l’interdiction

du génocide était profondément ancrée dans la conscience juridique
universelle ou, pour paraphraser la clause de Martens (supra), dans les
«exigences de la conscience publique».

143. La convention de 1948 contre le génocide a consacré cette inter-
diction, après les horreurs du III Reich. Néanmoins, bien avant cette
convention, toute personne saine d’esprit savait parfaitement que la per-
pétration d’actes de génocide constitue un acte illicite, un crime, qu’elle

est contraire à la loi. Pour ce qui est du traitement des personnes déte-
nues, l’Italie estime de son côté, dans son contre-mémoire déposé dans la
présente affaire, à propos du jus cogens, que:

«Le fait que, même avant la seconde guerre mondiale, les dispo-

sitions concernant le traitement des prisonniers n’étaient pas suscep-
tibles de dérogation semble universellement reconnu. ... Le Statut du
Tribunal militaire international de Nuremberg annexé à l’accord du

8 août 1945 qualifiait de crimes de guerre les violations des lois et
coutumes de la guerre. Le Tribunal jugea qu’en 1939 les règles
humanitaires figurant dans le règlement annexé à la IV convention

138
Cf. Nations Unies, Documents officiels de la conférence des Nations Unies sur le
droit des traités entre Etats et organisations internationales ou entre organisations inter-
nationales (Vienne, 18 février-21 mars 1986), vol. I, New York, Nations Unies, 1995,
p. 193-194 (intervention de M. Cançado Trindade (Brésil)).
139Mémoire de la République fédérale d’Allemagne (12 juin 2009), p. 53, par. 86.

78385 JURISDICTIONAL IMMUNITIES OF THE STATE (DIS. OP. CANÇADO TRINDADE )

vention IV of 1907 ‘were recognized by all civilized nations and were

regarded as being declaratory of the laws and customs of war’.

In 1946, General Assembly resolution 95 (I) confirmed the Nurem-

berg Principles as regards international crimes. Even if the context
was that of individual criminal responsibility and not of State respon-
sibility and jus cogens definition, it cannot be denied that the crimi-

nalization of violations of humanitarian law committed during the
Second World War is indicative of the idea that such violations were
considered, already at that time, as affecting the most fundamental
values of the international community.” 140

144. In fact, we can go back — even before the Second Hague Peace
Conference (1907) — to the time of the First Hague Peace Conference

(1899), in the line of the viewpoints submitted to the Court by both
Germany and Italy, not necessarily diverging herein. By the end of the
nineteenth century, in the days of the First Hague Peace Conference,

there was a sense that States could incur delictual responsibility for
mistreatment of persons (e.g., for transfer of civilians for forced labour);
this heralded the subsequent age of criminal responsibility of individual

State officials, with the typification of war crimes and crimes against
humanity.

145. The gradual awakening of human conscience led to the evolution
from the conceptualization of the delicta juris gentium to that of the
violations of international humanitarian law (in the form of war crimes

and crimes against humanity) — the Nuremberg legacy — and from these
latter to that of the grave violations of international humanitarian law
(with the four Geneva Conventions on international humanitarian law of
1949,andtheirIAdditionalProtocolof1977) 14.Withthatgradualawaken-

ing of human conscience, likewise, human beings ceased to be objects of
protection and became reckoned as subjects of rights, starting with the
fundamental right to life, encompassing the right of living in dignified

conditions.
146. Human beings were recognized as subjects of rights in all circum-

140Counter-Memorial of Italy (22 December 2009), pp. 62-63, paras. 4.62-4.63.
141I Geneva Convention, Articles 49-50; II Geneva Convention, Articles 50-51;
III Geneva Convention, Articles 129-130; IV Geneva Convention, Articles 146-147;
I Additional Protocol, Articles 85-88. The I Additional Protocol of 1977 (Article 85)

preferred to stick to the terminology of the four Geneva Conventions of 1949 in this
particular respect, and maintained the expression of “grave breaches” on international
humanitarian law, in view of the “purely humanitarian objectives” of those humanitarian
treaties; yet, it saw it fit to state that “grave breaches” of those treaties (the four Geneva
Conventions and the I Additional Protocol) “shall be regarded as war crimes” (Arti-
cle 85 (5)). Cf. Y. Sandoz, Ch. Swinarski and B. Zimmermann (eds.), Commentary on the
Additional Protocols of 8 June 1977 to the Geneva Conventions of 12 August 1949 , Gen-
eva, ICRC/Nijhoff, 1987, pp. 990 and 1003.

79 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ÉTAT (OP. DISS.CANÇADO TRINDADE ) 385

de La Haye de 1907 «étaient admises par tous les Etats civilisés et

regardées par eux comme l’expression, codifiée, des lois et coutumes
de la guerre».
En 1946, la résolution 95 (I) de l’Assemblée générale de l’ONU a

confirmé les principes de Nuremberg en ce qui concerne les crimes
internationaux. Même si le contexte était celui de la responsabilité
pénale individuelle, et non pas celui de la responsabilité de l’Etat et

de la définition du jus cogens, on ne saurait nier que la pénalisation
des violations du droit humanitaire commises au cours de la seconde
guerre mondiale exprime l’idée que ces violations étaient déjà consi-
dérées à l’époque comme portant atteinte aux valeurs les plus fon-
140
damentales de la communauté internationale.»

144. En réalité, on peut remonter — même avant la deuxième confé-
rence de la paix de La Haye (1907) — à l’époque de la première confé-

rence de la paix de La Haye (1899), conformément aux vues exprimées
devant la Cour tant par l’Allemagne que par l’Italie et qui ne divergent
pas nécessairement sur ce point. A la fin du XIX siècle, on estimait, lors

de la première conférence de la paix de La Haye, que les Etats pourraient
voir leur responsabilité délictuelle engagée en cas de mauvais traitements
infligés à des personnes (à raison, par exemple, du transfert de civils pour

travail forcé); cela annonçait l’époque de la responsabilité pénale des
agents individuels de l’Etat qui suivit, avec la consécration des concepts
de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité.

145. L’éveil progressif de la conscience humaine conduisit à l’évolution
allant de la consécration du concept des delicta juris gentium à celle des
violations du droit international humanitaire (sous la forme des crimes de

guerre et des crimes contre l’humanité) — représentant l’héritage de
Nuremberg — suivie de celle des violations graves du droit international
humanitaire (avec les quatre conventions de Genève sur le droit interna-
tional humanitaire de 1949 et leur protocole additionnel I de 1977) 141.A

la suite de cet éveil progressif de la conscience humaine, les êtres humains
cessèrent également d’être un objet de protection pour être considérés
comme des sujets de droits, à commencer par le droit fondamental à la

vie, comportant le droit de vivre dignement.
146. Les êtres humains furent reconnus commesujets de droits en toutes

140Contre-mémoire de l’Italie (22 décembre 2009), p. 62-63, par. 4.62-4.63.
141Première convention de Genève, art. 49 et 50; deuxième convention de Genève,
art. 50 et 51; troisième convention de Genève, art. 129 et 130; quatrième convention de
Genève, art. 146 et 147; protocole additionnel I, art. 85 à 88. Le protocole additionnel I

de 1977 (art. 85) a préféré s’en tenir à cet égard à la terminologie des quatre conventions
de Genève de 1949 et a conservé l’expression d’«infractions graves» au droit international
humanitaire, étant donné les «objectifs purement humanitaires» de ces traités humani-
taires; il a néanmoins jugé nécessaire de préciser que les «infractions graves» à ces traités
(les quatre conventions de Genève et le protocole additionnel I) «[étaie]nt considérées
comme des crimes de guerre» (art. 85, par. 5). Cf. Y. Sandoz, Ch. Swinarski et B. Zim-
mermann (dir. publ.), Commentaire sur les protocoles additionnels du 8 juin 1977 aux
conventions de Genève du 12 août 1949 , Genève, CICR/Nijhoff, 1987, p. 1016 et 1027.

79386 JURISDICTIONAL IMMUNITIES OF THE STATE (DISS.OP .CANÇADO TRINDADE )

stances, in times of peace as well as of armed conflict. As to the former,
may it here be briefly recalled that, well before the 1948 Universal Decla-
ration of Human Rights, in the inter-war period, the pioneering experi-

ments of the minorities system and the mandates system under the
League of Nations granted direct access to the individuals concerned to
international instances (the Minorities Committees and the Permanent

Mandates Commission, respectively), in order to vindicate the rights
emanated directly from the law of nations (the evolving jus gentium). As
to the latter, likewise, as from the Second Hague Peace Conference of

1907 onwards, human beings were recognized as being entitled to war
reparations claims.

147. A detailed factual account of the cruelty and the untold human
suffering of deportation and forced labour of workers and of the civilian
142
population (of occupied Belgium) , already in the First World War
(period 1916-1918), published in 1928, observed that

“The system of deportation set up in the autumn of 1916 essen-
tially consisted in the widespread requisitioning or mass conscription
of working-class males, in order to meet the labour requirements of

the German war machine (. . .)
Such requisitioning is clearly in breach of international law, both
traditional and as codified by the Hague Conventions.” 143 [Transla-

tion by the Registry.]

Two decades later, the IV Geneva Convention (1949) expressly prohib-
ited forcible transfers 144, in addition to the earlier restrictions set forth in

the 1907 Hague Regulations (IV Hague Convention). Those interna-
tional instruments came to be regarded as declaratory of the evolving
customary law on the matter 14.

148. The 1907 Hague Regulations (IV Hague Convention) contained
restrictions, rather than a peremptory prohibition, because at the begin-
ning of the twentieth century the practice of deporting persons came to

be regarded as “having fallen into abeyance”. But the worst was still to
come, with the imposed formation of a “forced labour service”, over two
World Wars, with its appalling features, insufficiently examined by his-

142
Cf. F. Passelecq, Déportation et travail forcé des ouvriers et de la population civ-
ile...,op.cit.supranote 23, pp. 318-320, 329-330, 334-335, 374-376 and 394. The author
ends his book (on the considerable suffering of those subjected to deportation and forced
labour from 1916-1918) with these words: “We will not draw any conclusions. For a
number of reasons, it is preferable that the reader be left directly confronted with the
facts, to hear their silent message without human intervention” [translation by the Reg-
istry] ; ibid., p. 404. He let the facts speak for themselves.
143 Ibid., p. 374.
144Article 49 (1), in addition to Article 147 on unlawful deportations or transfers.
145Cf., e.g., J.-M. Henckaerts, “Deportation and Transfer of Civilians in Time of
War”, 26 Vanderbilt Journal of Transnational Law (1993), pp. 469-519.

80 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ÉTAT (OP. DISS. CANÇADO TRINDADE ) 386

circonstances, en temps de paix comme en temps de conflit armé. Pour ce
qui est du temps de paix, il convient de rappeler brièvement que, bien

avant la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, les expé-
riences pionnières du système des minorités et du système des mandats
mis en place dans le cadre de la Société des Nations au cours de l’entre-

deux-guerres octroyaient un accès direct aux individus concernés aux ins-
tances internationales (respectivement les Comités des minorités et la
Commission permanente des mandats) pour leur permettre de faire valoir

les droits découlant directement du droit des gens (le jus gentium en évo-
lution). Pour ce qui est de ce dernier également, à partir de la deuxième
conférence de la paix de La Haye, les êtres humains se voyaient recon-

naître le droit de revendiquer des réparations de guerre.
147. Dans un récit factuel détaillé publié en 1928, décrivant la cruauté

et les souffrances humaines indicibles causées par la déportation et la
soumission au travail forcé des travailleurs et de la population civile (de
la Belgique occupée) 142, déjà au cours de la première guerre mondiale

(1916-1918), il était observé:

«Le système de déportation institué à l’automne de 1916 consiste
essentiellement dans la réquisition généralisée ou levée en masse de

la classe ouvrière masculine pour les besoins de main-d’Œuvre de
l’organisme de guerre allemand...
Pareille réquisition est formellement contraire au droit des gens,
143
tant traditionnel que codifié par les Conventions de La Haye.»

Deux décennies plus tard, la quatrième convention de144nève (1949)
interdisait expressément les transferts forcés , en plus des restrictions
antérieures prévues dans le règlement de La Haye de 1907 (convention IV

de La Haye). Ces instruments internationaux finirent par être regardés
comme déclaratoires du droit coutumier évolutif en la matière 145.
148. Le règlement de La Haye de 1907 (convention IV de La Haye)

contenait des reetrictions plutôt qu’une interdiction impérative car, au
début du XX siècle, la pratique des déportations était déjà considérée
comme «tombée en désuétude». Or, le pire était à venir, avec l’institution

imposée, pendant les deux guerres mondiales, d’un «service de travail
forcé» aux traits épouvantables qui n’a toujours pas été suffisamment

142Cf. F. Passelecq, Déportation et travail forcé des ouvriers et de la population civile...,
op. cit. supra note 23, p. 318-320, 329-330, 334-335, 374-376 et 394. L’auteur termine son

ouvrage (consacré aux grandes souffrances de ceux qui furent déportés et astreints au tra-
vail forcé pendant la période de 1916 à 1918) par les mots suivants: «Nous ne formu-
lerons pas de conclusion. Pour plusieurs raisons, il est préférable que le lecteur reste
immédiatement en présence des faits et entende leur leçon muette sans interposition de
personne» (ibid., p. 404). Il laissait les faits parler d’eux-mêmes.
143Ibid., p. 374.
144Art. 49, par. 1, en plus de l’article 147 relatif aux déportations ou transferts illégaux.
145Cf., par exemple, J.-M. Henckaerts, «Deportation and Transfer of Civilians in Time
of War», Vanderbilt Journal of Transnational Law , vol. 26, 1993, p. 469-519.

80387 JURISDICTIONAL IMMUNITIES OF THE STATE (DISS.OP .CANÇADO TRINDADE )

torians to date: “millions of human beings were torn from their homes,
separated from their families and deported from their country, usually
under inhumane conditions” 146.

They were in this way sent to forced labour in the war industry. Such
events disclosed the necessity of “more detailed provisions” on the mat-
ter, giving expression to a prohibition which was already present in

human conscience. Accordingly, in the IV Geneva Convention of 1949,
“‘unlawful deportation or transfer’ was introduced among the grave
breaches, defined in Article 147 of the Convention as calling for the most
147
severe penal sanctions” .
149. Thus, by the mid-twentieth century any doubt was dispelled that
prohibitions of the kind had come to be regarded as “having been
148
embodied in international law” . As to the idea of jus cogens,tih ad
found expression even earlier, in relation to distinct situations, keeping in

mind general international law and the very foundations of the interna-
tional legal order. The expression “jus cogens” was utilized by Judge
Schücking, of the PCIJ, in his separate opinion in the Oscar Chinn
149
case . One year later, in his course at the Hague Academy of Interna-
tional Law, A. Verdross also evoked the expression “jus cogens”, and
referred himself to the aforementioned separate opinion of Judge Schück-
150
ing .
150. In the same year of 1935, another scholar, J. H. W. Verzijl,
endorsing the views of Judge Schücking in his invocation of jus cogens in

the Oscar Chinn case (in his own words, “M. Schücking, le juge alle-
mand, me paraît avoir parfaitement raison”), also referred to jus cogens,
and was quite critical of the decision of the PCIJ in the Oscar Chinn case

for having pursued an essentially voluntarist-positivist approach (unfor-
tunately still en vogue in our days). In the words of J. H. W. Verzijl,

“(. . .) To a fundamental question of public international law, the

Judgment gave a highly regrettable response. At issue was what the
Court should do when a treaty is claimed by some of its parties to be
totally null and void because it violates certain pre-existing jus

cogens norms (. . .)

The position is quite simple: if the Court accepts that the later text

infringes pre-existing norms of a jus cogens character, it cannot

146Jean S. Pictet et al. (eds.), Commentary on the IV Geneva Convention Relative to the
Protection of Civilian Persons in Time of War, Geneva, ICRC, 1958, p. 278.
147 Ibid., p. 280.
148 Ibid., p. 279.
149Oscar Chinn (United Kingdom v. Belgium), Judgment, 1934, P.C.I.J., Series A/B,
No. 63, pp. 148-150, esp. p. 149.
150Cf., A. Verdross, “Les principes généraux du droit dans la jurisprudence interna-
tionale”,52Recueil des cours de l’Académie de droit international de La Haye(1935),
pp. 206 and 243.

81 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ÉTAT (OP. DISS. CANÇADO TRINDADE ) 387

étudié par les historiens: «des millions d’êtres humains ont été arrachés à
leur foyer, séparés de leur famille et déportés hors de leur pays, le plus
souvent dans des conditions inhumaines» 146.

Ils ont ainsi été astreints au travail forcé dans l’industrie de la guerre.
De tels événements ont mis en évidence la nécessité de «précisions» sur ce
point afin d’énoncer une prohibition qui existait déjà dans la conscience

humaine. En conséquence, dans la quatrième convention de Genève de
1949, ««la déportation ou le transfert illégaux» ont été inclus parmi les
crimes définis à l’article 147 de la Convention et désignés comme appe-
147
lant les sanctions pénales les plus graves» .
149. Ainsi, vers le milieu du XX siècle, il ne subsistait plus aucun
doute quant au fait que les interdictions de ce genre avaient fini par être
148
considérées comme «incorporées au droit des gens» . En ce qui concerne
l’idée du jus cogens, elle avait trouvé son expression même avant cela, à

propos de situations différentes, en gardant à l’esprit le droit internatio-
nal général et les fondements mêmes de l’ordre juridique international.
L’expression de «jus cogens» fut employée par le juge Schücking, de la
149
CPJI, dans son opinion individuelle en l’affaire Oscar Chinn .Unan
plus tard, dans son cours dispensé à l’Académie de droit international de
La Haye, A. Verdross évoquait également le «jus cogens» et renvoyait à
150
l’opinion individuelle susmentionnée du juge Schücking .
150. Toujours en 1935, un autre auteur, J. H. W. Verzijl, souscrivant
aux vues du juge Schücking qui invoquait le jus cogens dans l’affaire

Oscar Chinn (pour reprendre ses termes: «M. Schücking, le juge alle-
mand, me paraît avoir parfaitement raison»), se référait également au jus
cogens et se montrait assez critique quant à l’arrêt de la CPJI dans

l’affaire Oscar Chinn, à cause de l’approche essentiellement volontariste
et positiviste qu’elle avait retenue (et qui est malheureusement toujours
en vogue de nos jours). Pour reprendre les termes de J. H. W. Verzijl:

«A une question fondamentale du droit international public, l’arrêt

a donné une solution des plus regrettables. En effet, il s’agissait de
savoir quelle était la tâche de la Cour dans le cas d’un traité accusé
par quelques-uns de ses membres d’être entaché de nullité absolue

pour cause de violation de certaines normes antérieures ayant le
caractère de droit impératif (jus cogens). ...
La situation est assez simple: lorsqu’elle reconnaît que l’acte pos-

térieur est contraire aux normes antérieures, revêtues du caractère de

146Jean S. Pictet et al. (dir. publ.), Commentaire sur la convention IV de Genève relative
à la protection des personnes civiles en temps de guerre, Genève, CICR, 1958, p. 300.
147Ibid., p. 301.
148Ibid., p. 301.
149Oscar Chinn (Royaume-Uni c. Belgique), arrêt, 1934, C.P.J.I. série A/B n° 63 ,
p. 148-150, spécialement p. 149.
150Cf. A. Verdross, «Les principes généraux du droit dans la jurisprudence interna-
tionale», Recueil des cours de l’Académie de droit international de La Haye, vol. 52, 1935,
p. 206 et 243.

81388 JURISDICTIONAL IMMUNITIES OF THE STATE (DIS. OP. CANÇADO TRINDADE )

apply the treaty, and must consider it null and void in its totality,

even if that nullity is not invoked by any of the parties to the dis-
pute. In such a situation, nullity is automatic and the Court must
make a finding to that effect proprio motu.

The Permanent Court, however, failed to do this (. . .) I have no
hesitation in describing this Judgment as a pessimi exempli. Because,
by submitting to the will of the parties to the dispute, the Court, by
this unfortunate Judgment, has opened the door to all manner of

evasions of peremptory norms of international law. Through this
Judgment, it has prepared the ground for States to escape — with
impunity, and indeed with its tacit approval — the application of
rules of law previously recognized as necessarily representing for the
151
future an unshakeable basis for international relations.” [Trans-
lation by the Registry.]

151. My own view, as I have already pointed out, is that States cannot

waive claims of violations of the fundamental rights inherent to the
human person, and any purported waiver to that effect would be deprived
of any juridical effects. This applies even more forcefully if those viola-

tions (under the international law of human rights) are also serious or
grave breaches of international humanitarian law and amount to war
crimes. This was already recognized in the mid-twentieth century, in
respect of deportation to slave labour. Thus, the 1945 [London] Charter

of the International Military Tribunal (of Nuremberg) included “depor-
tation to slave labour” among “war crimes, namely, violations of the laws
or customs of war” (Article 6 (b)). The 1945 Charter of the Nuremberg
Tribunal further included “enslavement” and “deportation” among

“crimes against humanity ” (Article 6 (c)).

152. Shortly after the adoption of the Charter of the Nuremberg Tri-
bunal, the UN International Law Commission (ILC) was directed by the

UN General Assembly resolution 177 (II), paragraph (a), to “formulate
the principles of international law recognized in the Charter of the
Nuremberg Tribunal and in the judgment of the Tribunal”. In pursuance

of the General Assembly resolution, the ILC started considering the sub-
ject at its very first session. The ILC espoused the view that

“since the Nuremberg principles had been affirmed by the General
Assembly, the task entrusted to the Commission by paragraph (a)
of resolution 177 (II) was not to express any appreciation of these
principles as principles of international law but merely to formulate
152
them” .

151
J. H. W. Verzijl, “La validité et la nullité des actes juridiques internationaux”,
15152vue de droit international (1935), pp. 321-322.
UN, Yearbook of the International Law Commission (1950), Vol. II, p. 374.

82 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ÉTAT (OP.DISS. CANÇADO TRINDADE ) 388

jus cogens, la Cour est obligée de le laisser hors application, comme
étant absolument nul, quand même aucune des parties litigantes
n’invoque cette nullité. Dans une hypothèse pareille, la nullité est de

droit et doit être constatée d’office.
Mais la Cour permanente n’a pas fait ainsi. ... Je n’hésite pas à
qualifier cet arrêt de pessimi exempli. Car, en effet, en se soumettant
à la volonté des parties litigantes, la Cour a, par cet arrêt regrettable,

ouvert la porte à toutes sortes de fraudes au droit des gens impéra-
tif. ... N’a-t-elle pas, par cet arrêt, préparé aux Etats les voies pour se
dérober impunément, voire même sous sa sanction tacite, aux règles
de droit reconnues antérieurement comme devant constituer pour
151
l’avenir la base inébranlable des rapports internationaux?»

151. J’estime, comme je l’ai déjà fait savoir, que les Etats ne sauraient
renoncer aux revendications portant sur des violations des droits fonda-
mentaux inhérents à la personne humaine et que toute prétendue renoncia-

tion en ce sens serait dépourvue d’effets juridiques. Il en est ainsi, à plus
forte raison, si ces violations (visées par le droit international des droits de
l’homme) représentent également des violations graves du droit internatio-

nal humanitaire et constitueet des crimes de guerre. Cela avait déjà été
reconnu au milieu du XX siècle, en ce qui concerne la déportation en vue
du travail forcé. Ainsi, le Statut [de Londres] de 1945 du Tribunal militaire
international (de Nuremberg) faisait figurer la «déportation pour travail

forcé» parmi les «crimes de guerre, c’est-à-dire les violations deslois et
coutumes de la guerre» (art. 6, al.b)). Le Statut du Tribunal de Nurem-
berg de 1945 rangeait également la «réduction en esclavage» et la «dépor-
tation» parmi les«crimes contre l’humanité» (art. 6, al. c)).

152. Peu après l’adoption du Statut du Tribunal de Nuremberg, la
Commission du droit international des Nations Unies (CDI) fut chargée
par l’Assemblée générale des Nations Unies, aux termes de l’alinéa a) de

sa résolution 177 (II), de «formuler les principes de droit international
reconnus par le Statut de la Cour de Nuremberg et dans l’arrêt de cette
Cour». Conformément à la résolution de l’Assemblée générale, la CDI
procéda à l’examen de la question dès sa toute première session. La CDI

était d’avis que:

«les principes de Nuremberg ayant été reconnus par l’Assemblée
générale, la tâche confiée à la Commission aux termes de l’alinéa a)

de la résolution 177 (II) ne consistait pas à porter un jugement sur
ces principes en tant que principes du droit international, mais pure-
ment et simplement à les formuler» 152.

151J. H. W. Verzijl, «La validité et la nullité des actes juridiques internationaux»,
Revue de droit international , vol. 15, 1935, p. 321-322.
152
ONU, Annuaire de la Commission du droit international , 1950, vol. II, p. 374.

82389 JURISDICTIONAL IMMUNITIES OF THE STATE DISS. OP. CANÇADO TRINDADE )

This view was approved by the General Assembly in 1949, and, after the

consideration of the report on the matter (rapporteur, Jean Spiropoulos),
the ILC adopted, in its session of 1950, a formulation of the principles of
international law formulated in the Charter of the Nuremberg Tribunal
153
and in the judgment of the Tribunal .
153. Principle VI of the ILC’s formulation of the Nuremberg Princi-
ples included, among “ war crimes”, the “deportation to slave labour or
for any purpose of civilian population of or in occupied territories”;

and it likewise included, among “ crimes against humanity ”, “enslave-
ment” and “deportation” of “any civilian population” 15. In sum, the
ILC only formulated the principles at issue, which had already been rec-
ognized by the international community, and duly asserted by the UN

General Assembly. The “dictates of the public conscience” — to para-
phrase the Martens clause — had already echoed in the UN General
Assembly. The international community already recognized jus cogens.
Could claims of war crimes reparations be waived in 1947? Not at all.

Could claims of reparations of crimes against humanity be waived in
1947? Not at all. Could claims of reparations of serious breaches (two
years later codified as “grave breaches”) of international humanitarian

law be waived in 1947? Not at all; not in my perception, not in my
conception.

XIV. C ONCLUSIONS

154. May I now, at last, proceed to a summary of the foundations I
have cared to lay, in the present dissenting opinion, of my own position,
contrary to the decision taken by the Court’s majority in the present

Order. In summarily discarding the Italian counter-claim as “inadmis-
sible as such”, the Court should have at least instructed properly the
dossier of the cas d’espèce , by holding, prior to the decision it has just

taken, public hearings to obtain further clarifications from the con-
tending Parties. The same treatment is to be rigorously dispensed to the
original claim and the counter-claim as a requirement of the sound
administration of justice (la bonne administration de la justice) . They

are, both, autonomous, and should be treated on the same foot-
ing, with a strict observance of the principe du contradictoire . Only in
this way the procedural equality of the parties (Applicant and Respond-
ent, rendered Respondent and Applicant by the counter-claim) is

secured.

153
154Yearbook of the International Law Commission (1950), Vol. II, p. 374.
Ibid., p. 377.

83 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ÉTAT OP .DISS. CANÇADO TRINDADE ) 389

Ce point de vue fut approuvé par l’Assemblée générale en 1949 et, après
avoir examiné le rapport présenté sur cette question (par le rapporteur
Jean Spiropoulos), la CDI adopta, à sa session de 1950, une formulation

des principes du droit international consacrés par le 153tut du Tribunal
de Nuremberg et dans le jugement de ce tribunal .
153. Dans le cadre des principes de Nuremberg formulés par la CDI, le
principe VI rangeait parmi les «crimes de guerre» «la déportation pour

les travaux forcés, ou pour tout autre but, des populations civiles dans les
territoires occupés»; il incluait pareillement, parmi les «crimes contre
l’humanité», la «réduction en esclavage» et la «déportation» de «toutes
populations civiles» 15. En somme, la CDI n’avait fait que formuler les

principes en question, qui avaient déjà été reconnus par la communauté
internationale et avaient été dûment affirmés par l’Assemblée générale de
l’ONU. Les «exigences de la conscience publique», pour paraphraser la

clause de Martens, avaient déjà trouvé un écho à l’Assemblée générale des
Nations Unies. La communauté internationale reconnaissait déjà lejus
cogens. Les créances de réparation à raison de crimes de guerre pouvaient-
elles faire l’objet d’une renonciation en 1947? Non, elles ne le pouvaient

point. Les créances de réparation à raison de crimes contre l’humanité
pouvaient-elles faire l’objet d’une renonciation en 1947? Non, elles ne le
pouvaient point. Les créances de réparation à raison de violations graves

du droit international humanitaire (codifiées deux ans plus tard comme
«infractions graves») pouvaient-elles faire l’objet d’une renonciation en
1947? Elles ne le pouvaient point, à mon sens et d’après mes conceptions.

XIV. C ONCLUSIONS

154. Qu’il me soit maintenant permis, pour conclure, de récapituler les
fondements de ma position, que j’ai pris le soin d’exposer dans la pré-
sente opinion dissidente, contrairement à la décision prise par la majorité
de la Cour dans la présente ordonnance. Lorsqu’elle a écarté sommaire-

ment la demande reconventionnelle italienne en la déclarant «irrecevable
comme telle», la Cour aurait dû pour le moins instruire comme il
convient le dossier de l’affaire en tenant, avant de statuer, des audiences
publiques pour obtenir davantage de précisions des Parties. Une rigou-

reuse égalité de traitement doit être assurée entre la demande originaire et
la demande reconventionnelle, dans l’intérêt d’une bonne administration
de la justice. Les deux demandes sont autonomes et devraient être traitées

sur un pied d’égalité, dans le strict respect du principe du contradictoire.
Ce n’est que de cette manière que l’égalité procédurale des parties (deman-
deur et défendeur, dont les rôles s’inversent du fait de la demande recon-
ventionnelle) peut être assurée.

153ONU, Annuaire de la Commission du droit international , 1950, vol. II, p. 374.
154
Ibid., p. 377.

83390 JURISDICTIONAL IMMUNITIES OF THE STATE (DIS. OP. CANÇADO TRINDADE )

155. Counter-claims, as a juridical institute transposed from domestic

procedural law into international procedural law, already have their his-
tory, but the ICJ’s jurisprudential construction on the matter is still in the
making. Article 80 (1) of the Rules of Court entitles the ICJ to entertain
a counter-claim if “it comes within the jurisdiction of the Court” and “is

directly connected with the subject-matter of the claim of the other
party”. The present Order of the Court is not in line with the procedural
history of the Court’s handling of counter-claims (cf. supra). The Court,
furthermore, felt it sufficient to examine only one of the requisites of

Article 80 (1), on the basis, data venia, of erroneous assumptions as to the
facts and as to the law, and failing thus to comply in toto with that provi-
sion of its own Rules.

156. The Order that the Court has just adopted has made abstraction
of the configuration of the notion of “continuing situation” in interna-
tional legal thinking, in both international litigation and case law, and in
international legal conceptualization at normative level. Furthermore, it

has not addressed the position of the true bearers (titulaires) of the origi-
nally violated rights, oblivious of the pitfalls of State voluntarism. Its
emphasis fell solely on waiver of claims, again oblivious of the incidence
of jus cogens, rendering certain waivers of claims devoid of any juridical

effects (supra).

157. The Court has discarded the Italian counter-claim on the basis of
succinct considerations in the two brief paragraphs 28 and 29, of the

present Order. Paragraph 29 is a petitio principii, simply begging the
question. The ratio decidendi lies in paragraph 28 of the Order: it argues
that the two 1961 Agreements provided Italy with forms of compensation
for certain of its nationals going beyond the “regime” established shortly

after the Second World War, and that they did not affect or change the
legal situation of the Italian nationals at issue in the present case. It adds
that the legal situation of those Italian nationals is “inextricably linked”
to an “appreciation” of the scope and effect of the waiver contained in

Article 77 (4) of the 1947 Peace Treaty and “the different views of the
Parties as to the ability of Germany to rely upon that provision”.

158. This is, in fact, another petitio principii, trying to make one
believe that there is continuity between the 1947 Peace Treaty between
the Allied Powers 155 and Italy, and the 1961 Agreements. This petitio

155Namely: Union of Soviet Socialist Republics, United Kingdom of Great Britain and
Northern Ireland, United States of America, China, France, Australia, Belgium, Byelorus-
sian Soviet Socialist Republic, Brazil, Canada, Czechoslovakia, Ethiopia, Greece, India,
the Netherlands, New Zealand, Poland, the Ukrainian Soviet Socialist Republic, Union of
South Africa, and the People’s Federal Republic of Yugoslavia.

84 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ÉTAT OP .DISS. CANÇADO TRINDADE ) 390

155. Etant une institution juridique que le droit procédural internatio-

nal a empruntée au droit procédural interne, les demandes reconvention-
nelles possèdent déjà une histoire, mais la construction jurisprudentielle
de la CIJ est toujours en voie de formation. Le paragraphe 1 de l’ar-
ticle 80 du Règlement de la Cour permet à la CIJ de connaître d’une

demande reconventionnelle si «celle-ci relève de sa compétence» et «est
en connexité directe avec l’objet de la demande de la partie adverse». La
présente ordonnance de la Cour n’est pas conforme aux précédents en
matière de traitement par la Cour de demandes reconventionnelles (cf.

supra). En outre, la Cour a estimé qu’il suffisait de n’examiner que l’une
des conditions du paragraphe 1 de l’article 80 en partant, data venia,
d’hypothèses erronées sur le plan factuel et juridique, n’observant dès lors
pas in toto cette disposition de son propre Règlement.

156. L’ordonnance que la Cour vient d’adopter fait abstraction de la
consécration de la notion de «situation continue» dans la pensée inter-
nationaliste, tant dans le contentieux et dans la jurisprudence internatio-
naux que comme concept de droit international au niveau normatif. De

surcroît, elle n’a pas examiné la situation des véritables titulaires des
droits initialement violés, oubliant les écueils du volontarisme étatique.
Elle n’a placé l’accent que sur la renonciation aux revendications, négli-
geant également l’incidence du jus cogens en vertu duquel certaines

renonciations à des revendications sont dépourvues de tout effet juridi-
que (supra).
157. La Cour a écarté la demande reconventionnelle de l’Italie sur la
base d’une motivation succincte contenue dans deux brefs paragraphes

de la présente ordonnance, les paragraphes 28 et 29. Le second de ces
textes représente tout simplement une pétition de principe. La ratio deci-
dendi figure au paragraphe 28 de l’ordonnance, où il est affirmé que les
deux accords de 1961 ont offert à l’Italie, pour certains de ses ressortis-

sants, des formes de réparation allant au-delà du régime institué au len-
demain de la seconde guerre mondiale, et que ces accords n’ont pas
affecté ou modifié la situation juridique des ressortissants italiens dont il
est question dans la présente instance. Il y est ajouté que la situation juri-

dique de ces ressortissants italiens est «inextricablement liée» à une
«appréciation» de la portée et de l’effet de la renonciation contenue au
paragraphe 4 de l’article 77 du traité de paix de 1947 et aux «divergences
de vues entre les Parties quant à la possibilité pour l’Allemagne de se fon-

der sur cette disposition».
158. Il s’agit là, en réalité, d’une nouvelle pétition de principe, cher-
chant à faire croire à l’existence d’une continuité entre le traité de paix de
1947 entre les Puissances alliées 155 et l’Italie et les accords de 1961. Cette

155A savoir: Union des Républiques socialistes soviétiques, Royaume-Uni de Grande-
Bretagne et d’Irlande du Nord, Etats-Unis d’Amérique, Chine, France, Australie, Belgique,
République socialiste soviétique biélorusse, Brésil, Canada, Tchécoslovaquie, Ethiopie,
Grèce, Inde, Pays-Bas, Nouvelle-Zélande, Pologne, République socialiste soviétique
ukrainienne, Union sud-africaine et République populaire fédérative de Yougoslavie.

84391 JURISDICTIONAL IMMUNITIES OF THE STATE DISS .OP . CANÇADO TRINDADE )

principii ultimately leads the Court to declare that the counter-claim
relates to facts and situations which already existed prior to the entry into

force of the 1957 European Convention for the Peaceful Settlement of
Disputes, thus falling outside its jurisdiction ratione temporis, and ena-
bling it to declare the counter-claim “inadmissible as such”. The matter

summarily disposed of, in the present Order, is not so clear and self-
evident as the Court’s majority seems to believe. On the basis of the con-
siderations and reflections developed in the present dissenting opinion, I

am led to conclude that the Court’s majority position does not stand, and
finds no basis, neither as to the facts nor as to the law, to rely upon.
It is nothing but a petitio principii.

159. Germany expressly acknowledges that “there exists in fact a cer-

tain divergence of op156ons regarding the legal connotation of the two 157
1961 Agreements” , whether they set up or not a “reparation regime” .
Germany and Italy further disagreed as to whether the celebration of the

two 1961 Agreements represented a gesture of good will on the part of
Germany, or else a mandatory process of settlement of reparations
claims 15. Germany’s obligation of effective reparation in respect of Ital-

ian victims’ claims of serious international humanitarian law violations,
though finding a historical causal nexus in the crimes committed by
the Third Reich, actually derives juridically from decisions of post-war
159
Germany, formalized through the two 1961 Agreements .

160. In this connection, both Parties have excluded occurrences of the

period preceding the entry into force of the 1957 European Convention
for the Peaceful Settlement of Disputes from the subject-matter of the
present dispute, in so far as consideration of the counter-claim is con-
160
cerned . Italy makes it quite clear that “it is the issue of reparation, and
not the factual and legal assessment of events of the Second World War,
which forms the central point of the dispute” 161. The tragic occurrences

of the Second World War do not constitute the real cause of the present
dispute on reparation claims; the 1961 Agreements do, and form the trig-
gering point of a continuing situation persisting to date.

156
Preliminary Objections of Germany..., op. cit. supra note 32, p. 22, para. 35.

157Cf. Observations of Italy . . ., op. cit. supra note 53, pp. 20 and 25, paras. 52 and 65.
158Ibid., pp. 22-23, paras. 56-57.
159Cf. Counter-Memorial of Italy (22 December 2009), p. 111, para. 5.63.
160Memorial of Germany (12 June 2009), pp. 8-9, para. 7; Counter-Memorial of Italy
(22 December 2009), pp. 37-38, paras. 3.14-3.15.
161Counter-Memorial of Italy (22 December 2009), pp. 37-38, para. 3.15.

85 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ’ÉTAT (OP .DISS. CANÇADO TRINDADE ) 391

pétition de principe amène en fin de compte la Cour à déclarer que la
demande reconventionnelle porte sur des faits et situations qui existaient

déjà avant l’entrée en vigueur de la convention européenne de 1957 pour
le règlement pacifique des différends et, partant, ne relevaient pas de sa
compétence ratione temporis, ce qui lui permettait de déclarer la demande

reconventionnelle «irrecevable comme telle». Or la question tranchée
sommairement en vertu de la présente ordonnance n’est pas si claire et
évidente que la majorité de la Cour semble le penser. Sur la base des

considérations et des réflexions exposées dans la présente opinion dissi-
dente, je suis amené à conclure que la position de la majorité de la Cour
n’est pas tenable et ne trouve de fondement ni en fait ni en droit. Elle ne

constitue qu’une pétition de principe.
159. L’Allemagne reconnaît expressément qu’«il existe effectivement

une certaine divergen156de vues quant à la signification juridique des deux
accords de 1961» , sur le point de savoir s’ils ont ou non institué un
«régime de réparation» 15. L’Allemagne et l’Italie avaient également des

divergences sur la question de savoir si la conclusion des deux accords de
1961 représentait un geste de bonne volonté de la part de l’Allemagne ou
un processus obligatoire de règlement de revendications en matière de
158
réparation . Même si l’obligation de l’Allemagne de fournir une répara-
tion effective pour ce qui est des revendications des victimes italiennes de
violations graves du droit international humanitaire se trouve unie par un
e
lien de causalité historique aux crimes commis par le III Reich, elle
découle en réalité, sur le plan juridique, de décisions de l’Allemagne
d’après guerre qui ont trouvé une expression formelle dans les deux
159
accords de 1961 .
160. A cet égard, les deux Parties ont exclu de l’objet du présent dif-

férend les événements de la période antérieure à l’entrée en vigueur de la
convention européenne de 1957 pour le règlement pacifique des diffé-
rends, pour ce qui est de l’examen de la demande reconventionnelle 160.

L’Italie déclare en des termes assez clairs que «[c]’est la question de la
réparation, et non pas l’appréciation de fait et de droit des événements de
la seconde guerre mondiale, qui constitue l’élément central du diffé-
161
rend» . Les événements tragiques de la seconde guerre mondiale ne
constituent pas la cause réelle du présent différend portant sur les reven-
dications en matière de réparation. Ce sont les accords de 1961 qui en

sont la cause réelle et qui représentent le point de départ d’une situation
continue se poursuivant à l’heure actuelle.

156
Observations écrites de la République fédérale d’Allemagne..., op. cit. supra note 32,
p. 22, par. 35.
157Cf. Observations écrites de l’Italie..., op. cit. supra note 53, p. 20 et 25, par. 52 et 65.
158Ibid., p. 22-23, par. 56-57.
159Cf. Contre-mémoire de l’Italie (22 décembre 2009), p. 111, par. 5.63.
160Mémoire de la République fédérale d’Allemagne (12 juin 2009), p. 8-9, par. 7;
contre-mémoire de l’Italie (22 décembre 2009), p. 37-38, par. 3.14-3.15.
161Contre-mémoire de l’Italie (22 décembre 2009), p. 37-38, par. 3.15.

85392 JURISDICTIONAL IMMUNITIES OF THE STATE (DISS.OP .CANÇADO TRINDADE )

161. As already pointed out, there is evidence to the effect that, from
1961 onwards, Germany decided no longer to avail itself of the waiver

clause of Article 77 (4) of the 1947 Peace Treaty, even retroactively; from
then onwards, applications of Italian nationals would no longer be dis-
carded (unlike what used to happen before 1961, on the basis of Article

77 (4) of the Peace Treaty). Reference has already been made, first, to the
exchange of letters (between the Secretary of State of the German For-
eign Office and the Italian Ambassador in Bonn) of 2 June 1961 (on the
162
same day as the two Agreements were signed , taking into account that
exchange of letters), indicating that a new obligation had emerged, and,
secondly, to the memorandum submitted to the legislative bodies by the
German Federal Government on 30 May 1962, indicating its prepared-

ness to consider claims of reparations (arising out of war crimes in the
Second World War) of Italian victims 163. These Agreements embodied an
obligation under international law, representing not only a simple gesture
164
of good will .

162. Be that as it may, even if that would not be the case, the Court is
not in principle bound by the submissions of the parties. In the determi-
nation of its own jurisdiction, so as to say what the law is (juris dictio) ,
it is perfectly entitled to go beyond the submissions of the contending

parties. The Court is the master of its own jurisdiction. In the present
case, it does not need to embark on an exercise of the kind, motu proprio,
as the submissions of the contending Parties leave no room for doubt

that the Court’s jurisdiction ratione temporis is well-established, and the
way was thus paved for it to declare the admissibility of the counter-claim.

163. The present Order seems to be at pains to concede that the two
1961 bilateral Agreements provided forms of compensation extending
beyond (allant au-delà) the “regime” established in the aftermath of the

Second World War. The truth is that the two “regimes” (of 1947 and
1961) are independent from each other, and are to be considered sepa-
rately. May I recall that the celebration of the 1961 Indemnity Agreement
was accompanied by an exchange of letters between Germany and Italy

(cf. supra) — which cannot pass unnoticed here — wherein Germany
itself held that all applications which had previously been rejected in the
1950s because of Article 77 (4) of the 1947 Peace Treaty would be recon-

sidered, and new applications of Italian nationals under the Federal

162Observations of Italy . . .,op. cit. supra note 53, pp. 18-19, para. 46; and cf. Counter-
Memorial of Italy (22 December 2009), Annex 4.
163There was a clear instruction of the German Government to its legislative authori-
ties not to object to claims to restitution on the basis of the waiver of Article 77 (4) of the
1947 Peace Treaty; cf. also Counter-Memorial of Italy (22 December 2009), pp. 108-109,
para. 5.56.
164Observations of Italy . . ., op. cit. supra note 53, pp. 21-22, para. 55.

86 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ’ÉTAT (OP. DISS.CANÇADO TRINDADE ) 392

161. Comme il a déjà été indiqué, il existe des éléments de preuve attes-
tant que, à partir de 1961, l’Allemagne a décidé de ne plus se prévaloir de
la clause de renonciation du paragraphe 4 de l’article 77 du traité de paix

de 1947, même rétroactivement; à compter de ce moment, les demandes
de ressortissants italiens ne seraient plus rejetées (contrairement à ce qui
se produisait avant 1961, sur la base du paragraphe 4 de l’article 77 du

traité de paix). Nous avons déjà mentionné, premièrement, l’échange
de lettres (entre le secrétaire d’Etat allemand aux affaires étrangères et
l’ambassadeur d’Italie à Bonn) du 2 juin 1961 (date qui est également
162
celle de la signature des deux accords , tenant compte de cet échange
de lettres), indiquant qu’une obligation nouvelle était née, et,
deuxièmement, le mémorandum présenté devant les assemblées
législatives par le Gouvernement fédéral allemand le 30 mai 1962,

indiquant que ce dernier était disposé à examiner des demandes de
réparation de ressortissants italiens (découlant de crimes de guerre
commis pendant la seconde guerre mondiale) 163. Ces accords

consacraient une obligation164 droit international et non un simple
geste de bonne volonté .
162. En tout état de cause, même si cela n’était pas le cas, la Cour
n’est en principe pas liée par les conclusions des parties. Lorsqu’elle se

prononce sur sa compétence, en vue de dire le droit (juris dictio), elle
est parfaitement autorisée à aller au-delà des conclusions des parties
en litige. La Cour est le maître de sa compétence. En l’espèce, elle n’a

pas besoin de se livrer à un exercice de la sorte, motu proprio , étant
donné que les conclusions des Parties ne laissent pas de doute quant
au fait que la compétence ratione temporis de la Cour est bien établie,
ce qui permettait à celle-ci de déclarer la demande reconventionnelle

recevable.
163. La présente ordonnance semble s’empresser de reconnaître que
les deux accords bilatéraux de 1961 prévoyaient des formes de compensa-

tion allant au-delà du «régime» institué au lendemain de la seconde
guerre mondiale. En vérité, les deux «régimes» (celui de 1947 et celui de
1961) sont indépendants et doivent être examinés séparément. Qu’il me

soit permis de rappeler que la conclusion de l’accord de 1961 sur l’indem-
nisation était accompagnée d’un échange de lettres entre l’Allemagne et
l’Italie (cf. supra) — qui ne saurait ici passer inaperçu —, dans le cadre
duquel l’Allemagne elle-même déclarait que toutes les demandes qui

avaient auparavant été rejetées au cours des années 1950 sur le fonde-
ment du paragraphe 4 de l’article 77 du traité de paix de 1947 seraient

162Observations écrites de l’Italie..., op. cit. supra note 53, p. 18-19, par. 46; et cf.
contre-mémoire de l’Italie (22 décembre 2009), annexe 4.
163Le gouvernement allemand avait clairement donné pour instruction à ses autorités
législatives de ne pas objecter aux demandes de restitution sur la base de la renonciation
contenue au paragraphe 4 de l’article 77 du traité de paix de 1947; cf. également contre-
mémoire de l’Italie (22 décembre 2009), p. 108-109, par. 5.56.
164Observations écrites de l’Italie..., op. cit. supra note 53, p. 21-22, par. 55.

86393 JURISDICTIONAL IMMUNITIES OF THE STATE (DISS.OP .CANÇADO TRINDADE )

Compensation Law of 1953 165and Federal Restitution Law would be

dealt without raising objections based on Article 77 (4) of the 1947 Peace
Treaty.

164. The new legal reparation regime, started with the two 1961 Agree-

ments — as explained by Germany itself in that exchange of letters —
does not match the previous one established in 1947 by the Peace Treaty
and that rendered Article 77 (4) of the 1947 Peace Treaty obsolete. A new
situation emerged in 1961, without continuity with that of the 1947 Peace

Treaty. This is owed to several factors. To start with, Germany was not
a party to the 1947 Peace Treaty between the Allied Powers and Italy.
The mens rea of that extensive 1947 Treaty (a piece of contemporary
world history) was to strike a balance between the will of the Allied Pow-

ers to impose a heavy toll on Germany and the concomitant attempt by
the Allied Powers not to undermine their chances to resort in due course
to Germany’s economic potential and solvency. The issue of reparation
was dealt with in a piecemeal approach, tangentially, and was postponed

for proper regulation at a later time.

165. The mens rea of the two 1961 Agreements was quite different, as

their titles indicate themselves, and their contents clearly confirm it (cf.
supra), and the celebration of the two 1961 Agreements constitutes the
triggering point of a new situation, a continuing situation in respect of
claims of war reparations which extends up to the present time. This con-

tinuing situation started in 1961, relating to facts subsequent to the entry
into force of the 1957 European Convention for the Peaceful Settlement
of Disputes, thus falling entirely within the Court’s jurisdiction ratione
temporis, what enabled it to declare the counter-claim “admissible as

such”. That is what the Court should have done.

166. The present Order itself identified the Italian nationals at issue in
the present case as “certain Italian victims of serious violations of humani-

tarian law committed by Nazi Germany between 1943 and 1945”
(para. 26), that is, human beings of flesh and bones, and soul. During the
1950s, several States started to engage in political processes with Germany
through the celebration of Treaties such as the two 1961 Agreements.

Italy started negotiations with Germany which led to the conclusion of
their two bilateral 1961 Agreements.

167. This was the first bilateral step which eventually led to the settle-

ment of certain pending bilateral claims of reparation for war crimes.

165This law has been amended many times; the Federal Compensation Law of 1965
(BEG Final Law) is still in force. Cf. Counter-Memorial of Italy (22 December 2009),
Annexes 5 and 6.

87 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ’ÉTAT (OP. DISS.CANÇADO TRINDADE ) 393

réexaminées, et que les nouvelles demandes de ressortissants italiens en
165
vertu de la loi fédérale d’indemnisation de 1953 et de la loi fédérale de
restitution seraient examinées sans se voir opposer d’objections sur la base
du paragraphe 4 de l’article 77 du traité de paix de 1947.
164. Le nouveau régime de réparation légal mis en place en vertu des

deux accords de 1961 — comme l’expliquait l’Allemagne elle-même dans
cet échange de lettres — ne se confond pas avec les régimes antérieurs
établis en 1947 en vertu du traité de paix et rendait le paragraphe 4
de l’article 77 du traité de paix de 1947 désuet. Une situation nouvelle

a pris naissance en 1961, ne présentant pas de continuité avec celle du
traité de paix de 1947. Cela est dû à plusieurs facteurs. Tout d’abord,
l’Allemagne n’était pas partie au traité de paix de 1947 conclu entre les
Puissances alliées et l’Italie. L’intention de ce traité de 1947 au domaine

vaste (qui fait partie de l’histoire contemporaine du monde) était d’assu-
rer un équilibre entre la volonté des Puissances alliées d’imposer un lourd
tribut à l’Allemagne et leur souci parallèle de ne pas compromettre leurs
chances de faire appel en temps utile au potentiel économique et à la sol-

vabilité de l’Allemagne. La question de la réparation avait été traitée
selon une approche fragmentaire, de façon indirecte, et son règlement
approprié avait été réservé à un stade ultérieur.
165. L’intention des deux accords de 1961 était tout à fait différente,

comme leurs titres l’indiquent et comme le confirme clairement leur
contenu (cf. supra), et leur conclusion constitue le point de départ d’une
situation nouvelle, une situation continue en ce qui concerne les réclama-
tions en matière de réparations de guerre, qui se poursuit actuellement.

Cette situation continue a commencé en 1961, au sujet de faits postérieurs
à l’entrée en vigueur de la convention européenne de 1957 pour le règle-
ment pacifique des différends et relevant donc pleinement de la compé-
tence ratione temporis de la Cour, ce qui permet à celle-ci de déclarer la

demande reconventionnelle «recevable comme telle». C’est ce que la
Cour aurait dû faire.
166. La présente ordonnance a elle-même désigné les ressortissants
italiens dont il s’agit en l’espèce par l’expression «certaines victimes

italiennes de violations sérieuses du droit humanitaire commises par
l’Allemagne nazie entre 1943 et 1945» (par. 26), c’est-à-dire des êtres
humains en chair et en os et doués d’une âme. Au cours des années
1950, plusieurs Etats commencèrent à s’engager dans des processus

politiques avec l’Allemagne en concluant des traités du type des deux
accords de 1961. L’Italie entama des négociations avec l’Allemagne qui
débouchèrent sur la conclusion de ces deux accords bilatéraux de 1961.
167. Ce fut la première initiative bilatérale qui aboutit en fin de compte

au règlement de certaines réclamations bilatérales pendantes portant sur

165Cette loi fut modifiée à plusieurs reprises; la loi fédérale d’indemnisation de 1965
(loi BEG finale) est toujours en vigueur. Cf. contre-mémoire de l’Italie (22 décembre
2009), annexes 5 et 6.

87394 JURISDICTIONAL IMMUNITIES OF THE STATE (DIS. OP. CANÇADO TRINDADE )

Shortly afterwards, in the aforementioned exchange of letters following

the celebration of the 1961 Indemnity Agreement, Germany interpreted
the waiver clause and explicitly held that it was not applicable (cf. supra).
The 1961 Agreements are the ones to which both Germany and Italy are
parties, and the Court cannot thus “link” (even less so “inextricably”!)
the situation of war reparation claims of the Italian victims at issue here,

with the one established between Italy and the Allied Powers (not Ger-
many). But this is not all.

168. May I further recall that Germany’s conception of the waiver
clause contained in Article 77 (4) of the 1947 Peace Treaty was again, for

a second time, clarified in 1962. The Federal Government instructed the
German authorities in charge, on 30 May 1962, not to raise objections
based on Article 77 (4) of the 1947 Peace Treaty in case of claims of res-
titution, due to the special character of the claims to compensation for

measures of Nazi persecution (cf. supra). Unlike what the Court’s major-
ity assumes, the “regime” of the 1947 Peace Treaty was not “continued”
or perfected by the 1961 Agreements: it was simply replaced. Article 77
(4) of the 1947 Peace Treaty had become obsolete, and thus no longer
applicable.

169. The relationship between the Peace Treaty of 1947 and the two
Agreements of 1961 cannot at all be described as one of continuity. There
is merely a historical causal nexus, which does not entail the exclusion of
the Court’s jurisdiction ratione temporis over the Italian counter-claim.

As I previously observed, the international contentieux of reparations is
endowed with a dynamics of its own, and there are nowadays many
examples in international litigation to that effect (cf. supra). Under these
circumstances, the Court does not need to “appreciate” (as the Order
says), the scope and effect of the waiver contained in Article 77 (4) of the

1947 Peace Treaty in order to decide whether the counter-claim falls
within its jurisdiction.

170. This “appreciation” was, in any case, undertaken by Germany
itself, already in 1961 and 1962, and deprived that waiver clause of its

raison d’être. The Court’s Order seeks to establish an “inextricable link”
(only in its imagination) between the 1947 waiver, fallen into desuetudo,
and the legal situation of the victimized Italian nationals concerned, in
order to conclude that the present dispute relates to facts or situations
existing prior to 1961, so as to find itself deprived of jurisdiction ratione

temporis. However, Germany’s position as to that waiver clause had only
been established in 1961, and not earlier, in the sense of rendering the
waiver clause at issue inapplicable.
171. Germany recognized that the waiver of Article 77 (4) of the 1947
Peace Treaty had no longer any effect. Applications (for compensation)

which had been previously rejected in the 1950s on the ground of Article
77 (4) would be reconsidered, and new applications (of Italian nationals)

88 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ÉTAT OP .DISS.CANÇADO TRINDADE ) 394

des réparations à raison de crimes de guerre. Peu après, dans le cadre de
l’échange de lettres susmentionné ayant suivi la conclusion du traité
d’indemnisation de 1961, l’Allemagne interpréta la clause de renonciation
et déclara expressément qu’elle n’était pas applicable (cf. supra). Les

accords de 1961 sont ceux auxquels tant l’Allemagne que l’Italie sont
parties, et la Cour ne saurait dès lors «lier» (et encore moins «inextrica-
blement»!) la situation des réclamations des ressortissants italiens por-
tant sur des réparations de guerre en question à celle créée entre l’Italie et
les Puissances alliées (et non l’Allemagne). Or cela n’est pas tout.

168. Qu’il me soit également permis de rappeler que la conception de
l’Allemagne au sujet de la clause de renonciation contenue au paragra-
phe 4 de l’article 77 du traité de paix de 1947 fut clarifiée une seconde fois
en 1962. Le Gouvernement fédéral donna pour instruction aux autorités
compétentes allemandes, le 30 mai 1962, de ne pas opposer d’objections

basées sur le paragraphe 4 de l’article 77 du traité de paix de 1947 aux
demandes de restitution, à cause de la nature particulière des créances de
réparation à raison des mesures de persécution nazies (cf. supra). Contrai-
rement à ce qu’estime la majorité de la Cour, le «régime» du traité de

paix de 1947 ne fut pas «continué» ou parachevé par les accords de 1961,
mais fut tout simplement remplacé. Le paragraphe 4 de l’article 77 du
traité de paix de 1947 était tombé en désuétude et n’était plus applicable.
169. Le rapport entre le traité de paix de 1947 et les deux accords de
1961 ne saurait être analysé comme une relation de continuité. Il n’existe

entre eux qu’un lien de causalité historique, qui n’a pas pour effet
d’exclure la compétence ratione temporis de la Cour à l’égard de la
demande reconventionnelle de l’Italie. Comme je l’ai précédemment
observé, le différend international en matière de réparations possède sa
dynamique propre et le contentieux international offre de nos jours de

nombreux exemples en ce sens. Au vu de cela, il n’est pas nécessaire que
la Cour «apprécie» (pour reprendre les termes de l’ordonnance) la portée
et l’effet de la renonciation contenue au paragraphe 4 de l’article 77 du
traité de paix de 1947 afin de décider si la demande reconventionnelle

relève de sa compétence.
170. C’est en tout cas l’Allemagne elle-même qui a procédé à cette
«appréciation», déjà en 1961 et 1962, en privant la clause de renonciation
de sa raison d’être. Dans son ordonnance, la Cour cherche à établir un
«lien inextricable» (n’existant que dans son imagination) entre la renon-

ciation de 1947, tombée en désuétude, et la situation juridique des vic-
times italiennes concernées, afin de conclure que le présent différend porte
sur des faits ou situations antérieurs à 1961 pour se déclarer incompétente
ratione temporis. Or la position de l’Allemagne au sujet de cette clause de

renonciation ne fut établie qu’en 1961, et non avant, et tendait à priver
d’effet la clause de renonciation en question.
171. L’Allemagne reconnaissait que la renonciation contenue au para-
graphe 4 de l’article 77 du traité de paix de 1947 ne produisait plus aucun
effet. Les demandes (d’indemnisation) qui avaient auparavant été rejetées

au cours des années 1950 sur le fondement du paragraphe 4 de l’article 77

88395 JURISDICTIONAL IMMUNITIES OF THE STATE (DIS. OP. CANÇADO TRINDADE )

under the Federal Compensation Law of 1953 and Federal Restitution

Law would be dealt without raising objections based on Article 77 (4) of
the 1949 Peace Treaty. Germany’s position disclosed a juridical convic-
tion that the 1947 purported waiver of claims against it was no longer to

have legal effects, on ground of obsolescence. Germany expressed its
belief not to be obliged by the waiver clause of 1947. Its subsequent prac-
tice — the aforementioned exchange of letters, and the memorandum
(Denkschrift) of 30 May 1962 — affected directly the waiver clause of

the 1947 Peace Treaty.

172. A new continuing situation thus emerged in 1961 as to war repa-
ration claims, extending to the establishment in 2000 of the “Remem-
brance, Responsibility and Future” Foundation, and from then to date.
This is what Italy actually expressed before the Court 16, adding that

“as Germany has always (. . .) acknowledged its international respon-

sibility deriving from the conduct of the German Reich, (. . .) the
present dispute did not arise because of the unlawful conduct of
German authorities during the Second World War. (. . .) It does not
167
constitute the source or real cause of the present dispute” .
This was triggered much later, with the celebration of the two 1961 German-

Italian Agreements.

173. In addition, and much to my regret, the Court’s decision in the
present Order seems more open and receptive to the sensitivity of States

than to that of the victimized human beings, subjected to deportation
and sent to forced labour. Unfortunately for its posture, not seldom
States appear to be even more sensitive than human beings, so they are
unlikely to be pleased, anyway. The Court’s tenacious search to identify,

above all, the will of States, is also, in my view, much to be regretted. Its
decision in the present Order, in my view, does not stand, however, even
from its voluntarist outlook. Germany itself cared to show, in its new
posture (as from 1961 onwards) in relation to the 1947 waiver, that to try

to build a legal reasoning on a waiver of the kind is like trying to build a
castle in the sand.

174. After all, above the will stands human conscience. Moved by this
latter, the contending Parties, Germany and Italy, agreed to submit their
present dispute (original claim and counter-claim) to this Court. By

means of their respective original claim and counter-claim, Italy and Ger-

166
167Observations of Italy..., op. cit. supra note 53, pp. 9-10, para. 21.
Ibid., p. 9, para. 20.

89 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ’ÉTAT OP .DISS. CANÇADO TRINDADE ) 395

seraient réexaminées, et les nouvelles demandes (de ressortissants italiens)

en vertu de la loi fédérale d’indemnisation de 1953 et de la loi fédérale de
restitution seraient examinées sans se voir opposer d’objections tirées du
paragraphe 4 de l’article 77 du traité de paix de 1947. La position de

l’Allemagne révélait que celle-ci était convaincue, sur le plan juridique,
que la prétendue renonciation de 1947 concernant les revendications diri-
gées contre elle ne devrait plus produire d’effets de droit car elle était
tombée en désuétude. L’Allemagne laissait entendre qu’elle ne s’estimait

pas tenue par la clause de renonciation de 1947. Sa pratique ultérieure, à
savoir l’échange de lettres susmentionné et le mémorandum (Denk-
schrift) du 30 mai 1962, affectait directement la clause de renonciation
du traité de paix de 1947.

172. Une nouvellesituation continuea donc pris naissance en 1961, en ce
qui concerne les revendications portant sur des réparations de guerre, qui
s’est prolongée jusqu’à la mise en place en 2000 de la fondation «Mémoire,
responsabilité et avenir» et se poursuit depuis ce moment-là jusqu’à présent.
166
C’est en réalité ce que l’Italie a déclaré devant la Cour, en ajoutant que,
«puisque l’Allemagne a[vait] toujours reconnu sa responsabilité inter-

nationale découlant du comportement du Reich allemand, ... le pré-
sent différend n’[étai]t pas né du comportement illicite des autorités
allemandes au cours de la seconde guerre mondiale ... [i]l ne consti-
167
tu[ait] pas l’origine ni la cause réelle du présent différend» .
Le point de départ de ce dernier remonte à un moment sensiblement pos-

térieur, à savoir la conclusion des deux accords de 1961 entre l’Allemagne
et l’Italie.
173. En outre, à mon grand regret, la décision prise par la Cour dans
la présente ordonnance semble davantage à l’écoute de la sensibilité des

Etats que de celle des êtres humains victimes qui furent déportés et
astreints au travail forcé. Or, il n’est pas rare que les Etats semblent
encore plus sensibles que les êtres humains et il est dès lors peu probable
qu’ils seront satisfaits en tout état de cause, ce qui ne vient pas à l’appui

de la position de la Cour. La recherche obstinée par celle-ci de la volonté
des Etats avant toute chose mérite également, à mon avis, d’être vivement
déplorée. La décision qu’elle a prise dans la présente ordonnance n’est
toutefois pas tenable, à mon avis, même dans le cadre de son optique

volontariste. L’Allemagne elle-même avait tenu à montrer, par sa nou-
velle position (à compter de 1961) concernant la renonciation de 1947,
qu’essayer de construire un raisonnement juridique sur une renonciation

de ce genre équivalait à construire un château sur du sable.
174. Après tout, la conscience humaine est supérieure à la volonté.
Guidées par cette conscience, les Parties au différend, à savoir l’Alle-
magne et l’Italie, sont convenues de porter le présent différend (demande

initiale et demande reconventionnelle) devant la Cour. Par la demande

166
167Observations écrites de l’Italie..., op. cit. supra note 53, p. 9-10, par. 21.
Ibid., p. 9, par. 20.

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many commendably provided the Court with a unique opportunity to
pronounce on a matter — that of State immunity in relation to claims of
war crimes reparation — of the utmost importance for the present state
and the future of the law of nations (the jus gentium); the Court regret-

tably dropped this unique occasion for reasons which escape my
comprehension.

175. The present case concerning Jurisdictional Immunities of the State
does not concern State immunities in abstracto, or in isolation: it pertains

to State immunity in direct connection with reparations for war crimes.
The arguments of the contending Parties, in the written phase which pre-
ceded the present Order of the ICJ, in my perception leave no doubt that
there is a direct connection between Germany’s original claim and Italy’s
counter-claim, in conformity with Article 80 (1) of the Rules of Court.

Such direct connection is inescapable.

176. As to the jurisdictional requirement, the vindications of the con-
tending Parties, both that of Germany as to State immunities, and that of

Italy as to war reparation claims, as from the two 1961 Agreements, in
my perception fall clearly within the Court’s jurisdiction ratione tempo-
ris, on the basis of Article 27 (a) of the 1957 European Convention for
the Peaceful Settlement of Disputes. Any assertion to the contrary would
require demonstration, which I have not at all found in the present Order

of the Court.

177. The fact that the Court found itself, in the present Order, without
jurisdiction ratione temporis and declared the counter-claim “inadmissi-
ble as such”, does not mean that it really does not have jurisdiction to

entertain it: the Court’s majority has found it so, but there are, data
venia, cogent reasons to the contrary. All it means is that the conception
of international law espoused by the Court’s majority in the present
Order led it to its finding. It is not my own conception, which goes well

beyond the strict inter-State outlook, so as to reach the ultimate bearers
(titulaires) of rights, the human beings, confronted with waiver of their
claims of reparation of serious breaches of their rights by States supposed
to protect, rather than to oppress, them.

178. States may, if they so wish, waive claims as to their own rights.
But they cannot waive claims for reparation of serious breaches of rights
that are not theirs, rights that are inherent to the human person. Any
purported waiver to this effect runs against the international ordre pub-

lic; is in breach of jus cogens. This broader outlook, in a higher scale of
values, is in line with the vision of the so-called “founding fathers” of the
law of nations (the droit des gens, the jus gentium), and with what I
regard as the most lucid trend of contemporary international legal
thinking.

90 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ’ÉTAT (OP. DIS. CANÇADO TRINDADE ) 396

originaire et la demande reconventionnelle, l’Italie et l’Allemagne ont de
façon louable fourni à la Cour l’occasion unique de statuer sur une ques-
tion — celle de l’immunité des Etats en relation avec les créances de répa-
ration à raison de crimes de guerre — qui revêt une importance cruciale

pour l’état actuel et futur du droit des gens (le jus gentium). La Cour a
malheureusement laissé passer cette occasion unique, pour des raisons
qui m’échappent.
175. La présente affaire des Immunités juridictionnelles de l’Etat ne
concerne pas les immunités de l’Etat in abstracto ou de façon isolée, mais

porte sur l’immunité de l’Etat en connexité directe avec les réparations à
raison des crimes de guerre. Les arguments des Parties, exposés au cours
de la phase écrite ayant précédé la présente ordonnance de la CIJ, ne lais-
sent à mon avis subsister aucun doute quant à l’existence d’une connexité
directe entre la demande originaire de l’Allemagne et la demande recon-

ventionnelle de l’Italie, conformément au paragraphe 1 de l’article 80 du
Règlement de la Cour. Cette connexité directe existe inévitablement.
176. Pour ce qui est de la condition concernant la compétence, les
conclusions des Parties, aussi bien celles de l’Allemagne concernant les

immunités de l’Etat que celles de l’Italie concernant les revendications
liées aux réparations de guerre, à partir des deux accords de 1961, relè-
vent à mon avis manifestement de la compétence ratione temporis de la
Cour, en vertu de l’alinéa a) de l’article 27 de la convention européenne
de 1957 pour le règlement pacifique des différends. Toute affirmation

contraire devrait être prouvée; or je n’ai point trouvé une telle démons-
tration dans la présente ordonnance de la Cour.
177. Le fait que, par la présente ordonnance, la Cour a décliné sa com-
pétence ratione temporis et a déclaré la demande reconventionnelle «irre-
cevable comme telle» ne signifie pas qu’elle ne soit réellement pas com-

pétente pour en connaître. Bien que la majorité de la Cour ait statué en ce
sens, il existe, data venia, des arguments convaincants militant en faveur
du contraire. Il s’ensuit que c’est la conception du droit international à
laquelle la majorité de la Cour a adhéré dans la présente ordonnance qui

l’a amenée à sa conclusion. Elle ne correspond pas à ma conception, qui
va bien au-delà de la stricte perspective interétatique pour toucher les
titulaires ultimes des droits, les êtres humains, confrontés à la renoncia-
tion à leurs créances concernant la réparation des violations graves de
leurs droits par les Etats censés les protéger, et non les opprimer.

178. Les Etats sont libres de renoncer à des revendications portant sur
leurs propres droits. Mais ils ne sauraient renoncer aux revendications
portant sur la réparation de violations graves de droits qui ne sont pas les
leurs, de droits qui sont inhérents à la personne humaine. Toute préten-

due renonciation en ce sens est contraire à l’ordre public international et
constitue une violation du jus cogens. Cette perspective plus large, dans le
cadre d’une échelle de valeurs supérieure, est conforme à la vision des
«pères fondateurs» du droit des gens (le jus gentium), ainsi qu’à ce qui
représente à mon avis le courant le plus lucide de la pensée internationa-

liste contemporaine.

90397 JURISDICTIONAL IMMUNITIES OF THE STATE (DIS. OP. CANÇADO TRINDADE )

179. One cannot build (and try to maintain) an international legal
order over the suffering of human beings, over the silence of the innocent
destined to oblivion. At the time of mass deportation of civilians, sent to

forced labour during the two World Wars (in 1916-1918 and in 1943-
1945) of the twentieth century (and not only the Second World War),
everyone already knew that that was a wrongful act, an atrocity, a serious
violation of human rights and of international humanitarian law, which

came to be reckoned as amounting also to a war crime and a crime
against humanity. Above the will stands conscience, which is, after all,
what moves the law ahead, as its ultimate material source, removing
manifest injustice.

(Signed) Antônio Augusto C ANÇADO TRINDADE .

91 IMMUNITÉS JURIDICTIONNELLES DE L ’ÉTAT (OP.DISS. CANÇADO TRINDADE ) 397

179. On ne saurait bâtir (et tenter de maintenir) un ordre juridique
international sur la souffrance d’êtres humains, sur le silence des inno-

cents voués à l’oubli. A l’époque où des civils furent déportés en masse et
furent envoyés au travail forcé au cours des deux guerres mondiales (en
1916-1918 et en 1943-1945) du XX siècle (et non pas uniquement pen-

dant la seconde guerre mondiale), nul n’ignorait qu’il s’agissait là d’un
acte illicite, d’une atrocité, d’une violation grave des droits de l’homme et
du droit international humanitaire, qui finit par être reconnu comme un

crime de guerre et un crime contre l’humanité. La conscience, supérieure
à la volonté, fait progresser le droit, dont elle est la source matérielle
ultime, en éliminant l’injustice manifeste.

(Signé) Antônio Augusto C ANÇADO T RINDADE .

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Opinion dissidente de M. le juge Cançado Trindade

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