Opinion dissidente de M. le juge ad hoc Torres Bernárdez

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135-20070123-ORD-01-03-EN
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OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE AD HOC TORRES
BERNÁRDEZ

Accord et désaccord avec l’ordonnance — Question de la compétence prima
facie de la Cour et de la recevabilité de la demande présentée par l’Uruguay
— Les thèses argentines sur l’incompétence et sur l’irrecevabilité ne trouvent

justification ni dans le faits de l’espèce ni dans le droit applicable — Accord avec
la conclusion de l’ordonnance sur la compétence de la Cour pour connaître de la
demande uruguayenne — Question de l’existence d’un risque de préjudice irré-
parable aux droits en litige de l’Uruguay et de l’urgence d’y remédier — Droit
de l’Uruguay de construire l’usine Orion à Fray Bentos — Droit de l’Uruguay
à ce que la Cour décide du différend — Les arguments uruguayens sur les ques-
tions relatives à la responsabilité internationale de l’Argentine relèvent du fond
du différend et non pas de cette procédure incidente — Existence d’un «risque
actuel» de préjudice irréparable aux droits en cause de l’Uruguay — Pouvoir de
la Cour en vertu de l’article 41 du Statut d’examiner si les circonstances de
l’affaire exigent l’indication de mesures conservatoires — A la lumière de la
situation créée par les faits qui sont à l’origine de la demande uruguayenne, la
Cour aurait dû indiquer dans le dispositif de l’ordonnance deux mesures conser-
vatoires: a) la première, similaire à la première mesure sollicitée par l’Uruguay
indiquant à l’Argentine de faire cesser et de prévenir sur son territoire la fer-

meture, le blocage de la circulation ou l’entrave à celle-ci sur les routes d’accès
aux ponts internationaux qui relient les deux Etats afin de préserver le droit de
l’Uruguay de construire l’usine Orion à Fray Bentos ainsi que l’intégrité du
règlement judiciaire en cours; b) la seconde basée sur le contenu de la deuxième
mesure sollicitée par l’Uruguay afin d’éviter l’aggravation ou l’extension du dif-
férend, mais adressée aux deux Parties — Rejet de la troisième mesure sollicitée
par l’Uruguay.

1. L’Argentine ayant décidé de faire objection à la compétence de la

Cour pour connaître de la demande en indication de mesures conserva-
toires soumise par l’Uruguay, le 29 novembre 2006, dans l’affaire relative
à des Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uru-
guay) ainsi qu’à la recevabilité de la demande uruguayenne, la Cour a dû
trancher tout d’abord la question de la compétence et de la recevabilité

avant de pouvoir se prononcer sur le fond de la demande, c’est-à-dire sur
l’indication ou non des mesures conservatoires sollicitées par l’Uruguay.
Je partage entièrement les motifs et les conclusions de la Cour sur la com-
pétence et la recevabilité. En revanche, je ne partage pas entièrement les
motifs, et certainement pas les conclusions de l’ordonnance en ce qui
concerne la question de fond. C’est pour cela que j’ai voté contre l’ordon-

nance.

*

2727 USINES DE PÂTE À PAPIER (OP. DISS.TORRES BERNÁRDEZ )

2. La demande en indication de mesures conservatoires de l’Uruguay

du 29 novembre 2006 signale dès son introduction qu’elle est soumise en
application de l’article 41 du Statut de la Cour et de l’article 73 de son
Règlement et que les mesures conservatoires demandées «sont requises
d’urgence afin de protéger les droits de l’Uruguay en cause dans la pré-
sente instance contre un préjudice imminent et irréparable, et d’éviter que

le différend ne s’aggrave». Par la suite, la demande développe les motifs
sur lesquels elle se fonde, les conséquences qu’entraînerait son rejet et les
trois mesures conservatoires sollicitées (Règlement, art. 73, par. 2).
D’autre part, dans son paragraphe 25, la demande renvoie à la base de
compétence de la Cour invoquée par l’Argentine dans sa requête intro-

ductive d’instance en l’affaire relative à des Usines de pâte à papier sur le
fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay) du 4 mai 2006 et dans sa demande
en indication de mesures conservatoires de la même date.
3. C’est sur la base de l’article 60 du statut du fleuve Uruguay de 1975

que la Cour avait conclu, dans son ordonnance du 13 juillet 2006, à sa
compétence prima facie pour connaître de l’affaire ci-dessus et, donc,
pour examiner la demande en indication des mesures conservatoires que
lui avait présentée alors l’Argentine. L’Uruguay n’a contesté à aucun
moment la compétence prima facie de la Cour dans l’affaire et sa demande

en indication de mesures conservatoires invoque également l’article 60 du
statut du fleuve Uruguay comme base de la compétence prima facie de la
Cour. En outre, l’Uruguay n’a pas non plus présenté d’objection ou
d’exception relative à la recevabilité de la requête argentine introductive
d’instance. Ainsi, dans l’espèce, ne se pose aucune question préliminaire

pour ce qui est de la recevabilité prima facie de la requête argentine, tout
comme cela avait été le cas dans l’affaire relative à la Frontière terrestre
et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria),
mesures conservatoires, ordonnance du 15 mars 1996 C.I.J. Recueil
1996 (I), p. 21, par. 32-33).

4. Cependant, l’Argentine conteste aujourd’hui la compétence de la
Cour pour connaître de la demande en indication de mesures conserva-
toires de l’Uruguay ainsi que la recevabilité de la demande uruguayenne.
Au cours des audiences, ses conseils ont déployé beaucoup plus d’efforts
pour démontrer l’incompétence de la Cour et l’irrecevabilité de la

demande uruguayenne qu’à réfuter la preuve de l’existence d’un risque de
préjudice irréparable aux droits en cause et de l’urgence. L’on est allé
jusqu’à affirmer que la Cour était «manifestement incompétente» et à
mentionner des exemples de cas d’incompétence manifeste où la Cour
décida la radiation de l’affaire du rôle.

5. Mais, ces efforts ne pouvaient aboutir car la demande uruguayenne
n’est pas une demande principale, c’est-à-dire une requête introductive
d’une nouvelle affaire ni, non plus, une sorte de prétendue demande
reconventionnelle sans connexité directe avec l’objet de la requête argen-
tine introductive d’instance dans l’affaire des Usines de pâte à papier sur

le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay) .
6. Les conseils argentins ont affirmé avec force que la première mesure

2828 USINES DE PÂTE À PAPIER (OP. DISS.TORRES BERNÁRDEZ )

conservatoire demandée par l’Uruguay, à savoir celle qui sollicite que la

Cour indique à l’Argentine
«qu’elle doit prendre toutes les mesures raisonnables et appropriées

qui sont à sa disposition pour prévenir ou faire cesser toute interrup-
tion du transit entre l’Uruguay et l’Argentine, notamment le blocage
de ponts et de routes entre les deux Etats» (demande, par. 28 i)),

équivaudrait à demander à la Cour de se prononcer non pas sur le litige
initial sur le statut du fleuve Uruguay défini par la requête argentine du
4 mars 2006, mais sur un différend relatif à la liberté de circulation et à la
liberté de commerce entre les deux pays, relevant du droit matériel et des

procédures de règlement du Mercosur (traité d’Asunción et protocole
d’Olivos).
7. En outre, il a été plaidé par l’Argentine que le fait que l’Uruguay
avait demandé à un tribunal arbitral ad hoc du Mercosur de se prononcer

sur des anciens blocages de ponts et de routes créait, en vertu des dispo-
sitions des instruments pertinents du Mercosur, une situation de forclu-
sion ou d’estoppel qui rendrait irrecevable la demande en indication de
mesures conservatoires présentée à la Cour par l’Uruguay (voir sentence
du tribunal arbitral ad hoc du Mercosur du 6 septembre 2006, annexe 2 à

la demande en indication de mesures conservatoires de l’Uruguay). A cet
argument la présente ordonnance répond, comme il se doit, que les droits
invoqués par l’Uruguay devant le tribunal ad hoc du Mercosur sont dif-
férents de ceux dont il sollicite la protection en l’espèce (ordonnance,
par. 30).

8. La demande en indication de mesures conservatoires de l’Uruguay a
été décrite par les conseils de l’Argentine comme une demande dépourvue
de tout lien avec le statut du fleuve Uruguay, ainsi qu’avec les droits res-
pectifs des Parties au différend soumis à la Cour par l’Argentine. Elle
relèverait, a-t-on dit, d’une autre problématique, d’un autre traité, d’une

autre juridiction. Ces arguments, je regrette de le dire, ignorent la nature,
le contenu et le but de la demande uruguayenne ainsi que la portée de
l’objet de la requête argentine introductive d’instance. La demande uru-
guayenne se greffe parfaitement sur l’objet de l’affaire soumise à la Cour
par la requête argentine.

9. Tout ce que l’Uruguay demande, dans la première conclusion, c’est
que la Cour indique à l’Argentine, en tant que souverain territorial, de
prendre, en sa qualité de Partie à la présente instance, toutes les mesures
à sa disposition qu’elle considère comme raisonnables et appropriées
pour prévenir ou faire cesser pendente lite toute interruption du transit

entre l’Uruguay et l’Argentine (y compris la fermeture, le blocage de la
circulation ou l’entrave à celle-ci sur les ponts et les routes qui relient les
deux Etats) et ce afin de préserver des droits relevant du statut du fleuve
Uruguay de 1975 qui, d’après l’Uruguay, sont en cause dans le différend,
notamment le droit de construction de l’usine Orion sur la rive uru-

guayenne du fleuve Uruguay à Fray Bentos et le droit à ce que la Cour
décide du différend que lui a soumis l’Argentine. Ainsi donc, la demande

2929 USINES DE PÂTE À PAPIER (OP.DISS. TORRES BERNÁRDEZ )

sollicite de la Cour que celle-ci indique à l’Argentine, Etat demandeur

dans l’affaire, une mesure consistant en une injonction d’agir d’une cer-
taine manière en vue de préserver des droits revendiqués par l’Uruguay
dans sa qualité d’Etat défendeur dans la même affaire. Il n’est nullement
question d’obtenir un jugement provisionnel ou définitif sur le fond des
réclamations de l’une ou de l’autre Partie à l’instance, ou sur des récla-

mations hors sujet, mais de protéger pendente lite la substance des droits
réclamés par l’Uruguay dans l’affaire.
10. D’autre part, la demande de l’Uruguay n’ajoute rien à l’objet du
différend tel qu’il est défini par la requête argentine introductive d’ins-
tance. Elle n’est point une demande reconventionnelle déguisée. Les

droits en litige que l’Uruguay demande à la Cour de préserver moyennant
l’indication de la mesure conservatoire ci-dessus rentrent dans l’objet du
différend tel que délimité par la requête argentine, ses moyens de droit et
ses conclusions. Dans le paragraphe 2 de la requête argentine, l’objet du

différend est défini dans les termes suivants:
«Le différend porte sur la violation par l’Uruguay des obligations

qui découlent du statut du fleuve Uruguay ... au sujet de l’autorisa-
tion de construction, la construction et l’éventuelle mise en service de
deux usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay. Ceci, tout en pre-
nant particulièrement compte des effets desdites activités sur la qua-
lité des eaux du fleuve Uruguay et sa zone d’influence.»

Quant aux moyens de droit invoqués par l’Argentine, le paragraphe 24 de

la requête signale que:
«Le droit applicable au présent différend est le statut de 1975 ainsi

que les principes et règles conventionnels et coutumiers pertinents
aux fins de son interprétation et de son application, en particulier les
traités et autres engagements internationaux en vigueur à l’égard de
l’une ou l’autre des parties auxquelles celui-ci renvoie. En vertu de

ces dispositions, l’Uruguay a violé les obligations internationales
suivantes: ...»

11. Par la suite, le paragraphe 24 de la requête argentine n’énumère
pas moins de huit obligations qui auraient été violées par l’Uruguay, à
savoir:

«a) l’obligation de prendre toute mesure nécessaire à l’utilisation
rationnelle et optimale du fleuve Uruguay;
b) l’obligation d’informer préalablement la CARU et le Gouver-

nement de l’Argentine au sujet de la construction de deux usines
de pâte à papier sur la rive gauche du fleuve Uruguay;
c) l’obligation de poursuivre les procédures prévues par le cha-
pitre II du statut de 1975 en ce qui concerne la réalisation
de «tous ouvrages suffisamment importants pour affecter la

navigation, le régime du fleuve ou la qualité des eaux»;
d) l’obligation de ne pas autoriser la construction des ouvrages

3030 USINES DE PÂTE À PAPIER (OP.DISS. TORRES BERNÁRDEZ )

projetés sans avoir préalablement suivi la procédure prévue par

le statut de 1975;
e) l’obligation de préserver le milieu aquatique et d’empêcher la
pollution, en adoptant les mesures appropriées, y compris en
recourant aux meilleures pratiques environnementales et aux
meilleures technologies disponibles, conformément aux accords

internationaux applicables et en harmonie avec les directives et
recommandations des organismes techniques internationaux;
f) l’obligation de ne pas causer de dommages environnementaux
transfrontaliers sur la rive opposée et les zones d’influence du
fleuve;

g) l’obligation de ne pas frustrer l’utilisation du fleuve à des fins
licites; et
h) autres obligations découlant du droit international général,
conventionnel et coutumier, tant procédurales que de fond,

nécessaires à l’application du statut de 1975».

12. Finalement, «sur la base de l’exposé des faits et des moyens juri-
diques qui précèdent», les conclusions du paragraphe 25 1) de la requête
de l’Argentine demandent à la Cour de dire et juger:

«1. Que l’Uruguay a manqué aux obligations lui incombant en ver-
tu du statut de 1975 et des autres règles de droit international
auxquelles ce statut renvoie, y compris mais pas exclusivement:

a) l’obligation de prendre toute mesure nécessaire à l’utilisa-
tion rationnelle et optimale du fleuve Uruguay;
b) l’obligation d’informer préalablement la CARU et l’Argen-
tine;

c) l’obligation de se conformer aux procédures prévues par le
chapitre II du statut de 1975;
d) l’obligation de prendre toutes mesures nécessaires pour pré-
server le milieu aquatique et d’empêcher la pollution et
l’obligation de protéger la biodiversité et les pêcheries, y

compris l’obligation de procéder à une étude d’impact sur
l’environnement, complète et objective;
e) les obligations de coopération en matière de prévention de
la pollution et de la protection de la biodiversité et des pêche-
ries.»

13. L’objet du différend et les conclusions de la requête sont donc défi-

nis dans la requête par des formules générales très larges qui com-
prennent les droits et obligations des Parties énoncés dans un nombre
de dispositions du statut du fleuve Uruguay. Les droits dont l’Uruguay
demande la protection par l’indication de mesures conservatoires s’ins-
crivent dans cet objet et s’y greffent parfaitement. La solution du litige

au fond comportera nécessairement l’interprétation ou l’application par
la Cour de plusieurs dispositions du statut du fleuve. Cela explique, sans

3131 USINES DE PÂTE À PAPIER (OP.DISS. TORRES BERNÁRDEZ )

doute, que la requête argentine tout comme la demande uruguayenne,

évitent dans leurs conclusions respectives le renvoi à des articles précis du
statut du fleuve Uruguay.

*

14. En matière de mesures conservatoires, la Cour exerce une compé-
tence de base exclusivement statutaire définie à l’article 41 du Statut et
cette remedial jurisdiction de la Cour n’est pas limitée, ou conditionnée,
en quoi que ce soit par le droit matériel applicable au fond du différend
ou par la portée du titre ou des titres juridictionnels gouvernant en

l’espèce la compétence de la Cour au fond. En vertu de ce pouvoir, la
Cour peut, dans les affaires qui lui sont soumises, indiquer à titre provi-
soire toutes sortes de mesures conservatoires lorsqu’elle estime que les
circonstances exigent l’adoption de la mesure en question pour préserver

pendente lite les droits de l’une ou de l’autre partie qui sont en cause dans
l’affaire dont il s’agit. Comme la Cour permanente de Justice internatio-
nale déclara en 1933, dans l’affaire concernant la Réforme agraire polo-
naise et minorité allemande (mesures conservatoires) , d’après le texte de
l’article 41 du Statut, la condition essentielle et nécessaire pour que des

mesures conservatoires puissent, si les circonstances l’exigent, être indi-
quées, est que ces mesures tendent à sauvegarder les droits objets du dif-
férend dont la Cour est saisie (C.P.J.I. série A/B nº 58, p. 177).

15. Ainsi, dans l’affaire du Différend frontalier (Burkina Faso/Répu-

blique du Mali), le titre juridictionnel applicable était un compromis qui
octroyait compétence à une chambre de la Cour seulement pour définir le
tracé de la frontière entre les deux pays dans une zone contestée définie
par le compromis, le droit appliqué par la Chambre pour trancher le dif-
férend étant les principes et les règles de droit international relatifs aux

délimitations terrestres. Lorsque l’affaire était en délibéré, des incidents
graves ont opposé les forces armées des deux pays et la Chambre a été
appelée à indiquer des mesures conservatoires. Ce faisant, elle n’a été nul-
lement limitée dans cette tâche par la portée de sa compétence au fond ni
par le droit matériel applicable au différend frontalier en question, comme

le montrent bien les mesures énoncées dans le dispositif de l’ordonnance
du 10 janvier 1986 (C.I.J. Recueil 1986, p. 11-12). Or, personne n’a
jamais contesté la compétence de la Chambre pour ce faire sur la seule
base de l’article 41 du Statut de la Cour.
16. Dans l’affaire de la Frontière terrestre et maritime entre le Came-

roun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria) , la compétence de la Cour était
fondée sur des déclarations faites par les deux Etats en application du
paragraphe 2 de l’article 36 du Statut de la Cour, mais l’objet du diffé-
rend soumis par le Cameroun fut défini par les requêtes du demandeur
comme étant seulement une délimitation de la frontière terrestre et mari-

time entre les deux pays. Lorsque, pendente lite, des actions armées
graves se sont produites sur l’un des territoires qui était l’objet de la pro-

3232 USINES DE PÂTE À PAPIER (OP. DISS.TORRES BERNÁRDEZ )

cédure devant la Cour, le Cameroun demanda que l’on indique les mesures

conservatoires suivantes:
«1) [que] les forces armées des Parties se retireront à l’emplacement

qu’elles occupaient avant l’attaque armée nigériane...;
2) les Parties s’abstiendront de toute activité militaire le long de la
frontière jusqu’à l’intervention de l’arrêt de la Cour;
3) les Parties s’abstiendront de tout acte ou action qui pourrait
entraver la réunion des éléments de preuve dans la présente ins-

tance» (C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 18, par. 20).
Le fait que l’objet des mesures conservatoires demandées par le Came-

roun ne correspondait pas avec la définition de l’objet du différend au
fond n’a pas été considéré comme étant une cause d’irrecevabilité de sa
demande en indication de mesures conservatoires car le but des mesures
sollicitées était la préservation, à titre provisoire, des droits du Cameroun

au fond. Et ces exemples pourraient être multipliés.
17. Ainsi, la recevabilité matérielle d’une demande en indication de
mesures conservatoires n’est fonction, en règle générale, que de la vérifi-
cation par la Cour de ce que le but de la mesure sollicitée soit véritable-
ment la conservation à titre provisoire du droit ou des droits en cause

dans le différend, car l’exercice par la Cour du pouvoir qu’elle tient de
l’article 41 du Statut vise seulement à protéger les droits en litige devant
le juge en attendant l’arrêt définitif sur le fond. La jurisprudence confirme
cette conclusion. Par exemple, dans l’affaire concernant la Réforme
agraire polonaise et minorité allemande (mesures conservatoires) ,al

demande du Gouvernement allemand fut rejetée parce que les mesures
sollicitées ne tendaient uniquement à sauvegarder l’objet du différend ou
l’objet de la demande principale elle-même, tels qu’ils avaient été soumis
à la Cour par la requête allemande introductive d’instance. Devant la
Cour actuelle, la demande en indication de mesures conservatoires de la

Guinée-Bissau dans l’affaire relative à la Sentence arbitrale du 31 juillet
1989 fut rejetée du fait que «les droits allégués dont il est demandé qu’ils
fassent l’objet de mesures conservatoires [n’étaient] pas l’objet de l’ins-
tance pendante devant la Cour sur le fond de l’affaire» (C.I.J. Recueil
1990, p. 70, par. 26). Pour d’autres exemples, voir aussi l’affaire du Pla-

teau continental de la mer Egée (C.I.J. Recueil 1976, p. 11, par. 34) et
l’affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Mon-
ténégro) (C.I.J. Recueil 1993 , p. 19, par. 35).
18. La situation décrite ci-dessus ne se présente point dans cette pro-

cédure incidente. Le lien nécessaire entre la demande en indication de
mesures conservatoires de l’Uruguay et la substance de l’affaire soumise
par l’Argentine est clair. Aucune autre question matérielle de «connexité»,
juridique ou de fait, qui entraverait la recevabilité d’une demande comme
la demande uruguayenne n’existant, il ne reste qu’à traiter de l’argument

argentin de la «connexité» formelle basée sur l’invocation d’un défaut de
précision de la demande uruguayenne sur «les droits dont la conservation

3333 USINES DE PÂTE À PAPIER (OP. DISS.TORRES BERNÁRDEZ )

serait à assurer par les mesures sollicitées». Il suffit de rappeler à ce pro-

pos que cette formule, incorporée aux Règlements de 1936, 1946 et 1972,
ne figure plus au paragraphe 2 de l’article 73 du Règlement en vigueur où
elle a été sciemment remplacée par l’expression «la demande indique les
motifs sur lesquels elle se fonde», ce que fait certainement la demande
uruguayenne dans ses paragraphes 2 à 23.

19. Les thèses juridiques à la base des plaidoiries argentines relatives à
l’incompétence de la Cour et/ou l’irrecevabilité de la demande uru-
guayenne ne nous paraissent pas non plus acceptables du fait qu’en der-
nière analyse elles conduisent à un découpage du pouvoir que la Cour
tient de l’article 41 du Statut, sans aucun avantage apparent pour les

Etats, pris dans leur ensemble, ou pour l’exercice par la Cour de sa juri-
diction conservatoire ou d’urgence.
20. A la lumière de l’ensemble des considérations précédentes, ainsi
que des motifs pertinents de l’ordonnance, je suis entièrement d’accord

avec la conclusion de la Cour sur la question de la compétence, receva-
bilité y comprise, qui est énoncée au paragraphe 30 de l’ordonnance.

*

21. Le rejet par la Cour des exceptions soulevées par l’Argentine à la
compétence de la Cour et à la recevabilité de la demande en indication de
mesures conservatoires de l’Uruguay implique évidemment que les droits
que l’Uruguay invoque, en tant que partie au statut du fleuve Uruguay
de 1975 — et dont il demanda la préservation moyennant l’indication de

mesures conservatoires par la Cour —, ne sont pas prima facie des droits
inexistants ou des droits hors litige. Ils sont des droits en litige, bien plau-
sibles, suffisamment importants et sérieux pour mériter d’être éventuelle-
ment l’objet de mesures de protection face à des comportements d’une
partie qui risqueraient de leur porter atteinte. Je considère donc que la

demande uruguayenne en indication de mesures conservatoires satisfait le
critère dit du fumus boni juris ou du fumus non mali juris (voir l’opinion
individuelle du juge Abraham jointe à l’ordonnance du 13 juillet 2006
dans l’affaire relative à des Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay
(Argentine c. Uruguay), C.I.J. Recueil 2006, p. 24).

22. Il ne s’agit maintenant plus que de voir si, compte tenu des circons-
tances de l’affaire telles qu’elles se présentent aujourd’hui d’après les
informations en possession de la Cour, la conservation des droits invo-
qués par l’Uruguay dans sa demande exige ou non l’indication des me-
sures conservatoires sollicitées ou, éventuellement, d’autres mesures

conservatoires.

*

23. La Cour a déclaré maintes fois que son pouvoir d’indiquer des

mesures conservatoires, conformément à l’article 41 de son Statut, pré-
suppose qu’un «préjudice irréparable» ne doit pas être causé aux droits

3434 USINES DE PÂTE À PAPIER (OP. DISS. TORRES BERNÁRDEZ )

en litige au cours de la procédure judiciaire et qu’il s’ensuit que «la Cour
doit se préoccuper de sauvegarder par de telles mesures les droits que
l’arrêt qu’elle aura ultérieurement à rendre pourrait éventuellement recon-
naître, soit au demandeur soit au défendeur» (voir, par exemple, Applica-

tion de la convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie et Monténégro), mesures conser-
vatoires, ordonnance du 8 avril 1993, C.I.J. Recueil 1993 , p. 19, par. 34).
Mais évidemment il n’est pas nécessaire pour indiquer des mesures conser-
vatoires que le «préjudice» lui-même se soit déjà produit, car la finalité

des mesures conservatoires est essentiellement «préventive».
24. Il suffit qu’il existe un «risque» sérieux de préjudice irréparable
aux droits en cause, qu’au vu des circonstances de l’affaire — y compris
la situation de l’Etat en danger de le subir —, pour que la Cour inter-
vienne. C’est pour cela qu’il est bien établi dans la jurisprudence de la

Cour que les mesures conservatoires ont pour objet de faire face non pas
au «préjudice irréparable» comme tel, mais au «risque d’un préjudice
irréparable» aux droits en cause. Et c’est bien ce «risque» et l’«urgence»
d’y remédier qui doivent être démontrés lorsqu’il s’agit des mesures sol-

licitées par l’une ou l’autre des parties à l’affaire.
25. Avant d’aborder la question centrale de l’existence ou non d’un
«risque de préjudice irréparable» en l’espèce, il convient de rappeler que
les conseils de l’Uruguay ont parfois soulevé des questions de responsa-
bilité internationale qui, à mon avis, relèvent du fond du différend. Par

exemple, en rapport avec l’imputabilité de certains faits à l’Argentine ou
avec la qualification d’un comportement déterminé de l’Argentine comme
un fait international illicite. Je ne tiens donc pas compte de ces observa-
tions et déclarations dans mes considérations ci-dessous sur l’existence en
l’espèce d’un «risque de préjudice irréparable» aux droits en cause de

l’Uruguay. Dans cette procédure incidente, ce sont les faits qui comptent.
Je tâcherai donc de répondre à la question relative à l’existence du risque
en m’appuyant essentiellement sur des éléments de faits.

*

26. La notion de «préjudice irréparable» n’a pas fait l’objet d’une défi-
nition abstraite par la Cour. Mais elle se dégage de la jurisprudence et
l’on peut aussi en trouver des définitions dans les plaidoiries et dans la

doctrine (voir, par exemple, CR 2006/54, p. 46 et suiv.). Pour ce qui esmede
l’«irréparabilité», je suis d’accord avec la conclusion générale de M le
juge Higgins, dans sa déclaration au nom du Royaume-Uni dans l’affaire
relative à des Questions d’interprétation et d’application de la convention

de Montréal de 1971 résultant de l’incident aérien de Lockerbie, dans le
sens que «préserver l’intégrité et l’effectivité de la décision sur le fond
semble donc bien être l’élément central des réflexions de la Cour lorsqu’elle
se demande si les circonstances appellent l’indication de mesures conser-
vatoires» (ibid., CR 92/3 du 26 mars 1992). Quant au «préjudice», la

jurisprudence de la Cour emploie le terme dans un sens plutôt large et

3535 USINES DE PÂTE À PAPIER (OP .DISS. TORRES BERNÁRDEZ )

flexible. Certainement, il ne se réduit pas, il s’en faut, à des préjudices ou

des dommages d’ordre économique.
27. Pour la majorité des juges dans l’affaire, l’Uruguay n’aurait pas
démontré le risque du préjudice irréparable aux droits en cause et/ou
l’imminence de ce risque, c’est-à-dire l’urgence. C’est le motif sur lequel
se fonde la Cour dans la présente ordonnance afin de rejeter au fond la

première mesure conservatoire demandée par l’Uruguay (ordonnance,
par. 40-43). Je suis en désaccord avec cette conclusion. Les événements
décrits dans l’ordonnance emportent pour moi un risque, bien actuel et
grave, de préjudice irréparable non seulement à des droits déterminés
revendiqués par l’Uruguay dans l’instance, mais aussi à la bonne admi-

nistration de la justice internationale. Dans cette affaire, les «circons-
tances» dont il est question à l’article 41 du Statut de la Cour consti-
tuent vraiment un unicum. Elles exigent l’indication de mesures bien
adaptées à l’espèce, c’est-à-dire fortement particularisées. En effet, il

n’arrive pas souvent que l’Etat défendeur se trouve exposé à subir, en
tant que «litigant», des préjudices économiques, sociaux et politiques
comme résultat des mesures ayant un but coercitif adoptées par des res-
sortissants de l’Etat demandeur dans le territoire de ce dernier. Ces me-
sures coercitives ont en effet, en l’espèce, le but déclaré de causer l’arrêt

de la construction de l’usine de pâte à papier Orion ou sa délocalisation,
c’est-à-dire de porter préjudice au principal droit en cause pour l’Uru-
guay dans l’affaire.
28. Et il n’est pas non plus fréquent qu’un Etat demandeur «tolère»
une telle situation, en invoquant une politique interne de persuasion

et non pas de répression à l’égard de ses mouvements sociaux et en s’abs-
tenant, par ce motif, d’adopter les mesures de «due diligence» que le
droit international général impose en la matière au souverain territorial
et, en tout premier lieu, l’obligation de ne pas laisser utiliser son terri-
toire aux fins d’actes contraires aux droits d’autres Etats (Détroit de

Corfou, fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1949 , p. 22). Le fait que, dans
l’espèce, les droits revendiqués par l’Uruguay, que visent les asam-
bleístas de Gualeguaychú et de sa zone environnante, soient des «droits
en litige» devant la Cour, ne change point lesdites obligations
de l’Argentine.

29. D’autre part, en tant que Partie à l’instance, l’Argentine a l’obliga-
tion de procédure d’adopter un comportement vis-à-vis de l’autre Partie
qui n’anticipe pas la décision finale de la Cour sur les «droits en litige»
dans l’affaire qu’elle-même a soumise à la Cour. En tout cas, la situation
se dégrade trop de jour en jour pour que la Cour puisse mettre fin à la

présente procédure incidente en déclarant tout simplement — comme
dans l’ordonnance du 13 juillet 2006 — que les circonstances, telles
qu’elles se présentent actuellement à la Cour, ne sont pas de nature à exi-
ger l’exercice de son pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires en
vertu de l’article 41 du Statut. Depuis la fin novembre 2006, les circons-

tances sont bien différentes. Elles appellent à l’exercice par la Cour de son
pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires pour préserver les droits

3636 USINES DE PÂTE À PAPIER (OP.DISS. TORRES BERNÁRDEZ )

de l’Uruguay en cause et pour renverser la tendance prononcée à l’aggra-

vation et à l’extension du différend.

*
30. Malgré les considérations précédentes, la Cour, au paragraphe 43

de l’ordonnance, conclut que les circonstances de l’espèce ne sont pas de
nature à exiger l’indication de la première mesure conservatoire deman-
dée par l’Uruguay, tendant à «prévenir ou faire cesser l’interruption de la
circulation» entre les deux Etats, et notamment le «blocage des ponts et
des routes» qui les relient.

31. Cette conclusion est motivée dans les paragraphes 40 et 42 de
l’ordonnance par les considérations suivantes:

1) en dépit des barrages, la construction de l’usine Botnia a considéra-
blement progressé depuis l’été 2006 et est à présent à un stade avancé;

2) il a été également démontré que d’autres itinéraires avaient été utilisés

pour la circulation des touristes et le transport des marchandises, y
compris des matériaux nécessaires aux ouvrages de l’usine Botnia;
3) la construction de l’usine se poursuit;
4) la Cour — sans examiner la question de savoir si les barrages peuvent
avoir causé ou peuvent continuer de causer des dommages à l’écono-

mie uruguayenne — n’est pas convaincue, au vu de ce qui précède,
que ces barrages pourraient causer un préjudice irréparable aux droits
que l’Uruguay prétend en l’espèce tirer du statut de 1975 en tant que
tels; et
5) il n’a pas été démontré que, quand bien même il existerait un risque de

préjudice aux droits allégués par l’Uruguay en l’espèce, celui-ci serait
imminent.

32. Ces considérations ne mettent pas en cause la matérialité des faits
comme tels concernant les barrages des routes d’accès aux ponts interna-
tionaux. Cependant, la Cour n’y voit pas un «risque imminent» de pré-
judice irréparable au droit de l’Uruguay de construire pendente lite
l’usine Orion à Fray Bentos. Je suis en désaccord avec cette conclusion de

l’ordonnance parce qu’elle est fondée sur un «réductionnisme» du concept
de «risque imminent d’un préjudice irréparable» (les italiques sont de
moi) ainsi que de la portée des «droits de l’Uruguay en cause» dans
l’affaire.
33. Ce «réductionnisme» s’explique par le fait que la Cour s’est abs-

tenue — à tort, à mon avis — d’examiner la question de savoir si les bar-
rages ont causé et/ou peuvent continuer de causer des préjudices écono-
miques et sociaux à l’Uruguay. Pourtant, c’était la raison d’être de la
demande en indication de mesures conservatoires de l’Uruguay. L’Uru-
guay a demandé l’indication de mesures conservatoires justement pour se

protéger des dommages considérables causés au commerce et au tourisme
uruguayens inhérents à la situation créée par les barrages. Pourquoi dis-je

3737 USINES DE PÂTE À PAPIER (OP.DISS. TORRES BERNÁRDEZ )

à tort? Parce que les barrages ont été établis par leurs auteurs dans le but

de ce que l’Uruguay paie un prix pour permettre la continuation de la
construction de l’usine Orion à Fray Bentos, c’est-à-dire un «péage».
L’Uruguay est en effet placé par ces événements — tolérés par l’Argen-
tine — devant le dilemme suivant: soit il arrête la construction de l’usine,
soit il paie un «péage» de nature économique et sociale pour continuer la

construction de l’usine.
34. Les choses étant ce qu’elles sont, le fait que la construction de
l’usine se poursuive n’est pas de nature à écarter le «risque de préjudice»
aux droits de l’Uruguay mis en cause par les barrages. Au contraire, le
préjudice représenté par ledit «péage» devient, chaque jour qui passe,

plus lourd. D’autre part, il y a une relation, indubitable et reconnue,
entre les faits qui créent objectivement le «péage» et le «droit» revendi-
qué par l’Uruguay de construire l’usine à Fray Bentos en attendant la
décision finale de la Cour. Or, la défense de ce droit par l’Uruguay n’est

nullement assujettie à aucune sorte de «péage» par le statut du fleuve
Uruguay de 1975 ou par la procédure de la Cour. En outre, le «péage»
soulève un problème de sécurité car les agissements des asambleístas sont
une source d’alarme et de tension sociale pouvant éventuellement être la
cause d’incidents frontaliers et transfrontaliers.

35. Le «péage» en question s’analyse essentiellement comme un lucre
cessant pour l’économie de l’Uruguay qui est porteur d’un «risque de
préjudice» pour les droits qu’il défend dans la présente affaire sur la base
du statut du fleuve Uruguay, notamment le droit à continuer à construire
l’usine Orion à Fray Bentos et le droit à ce que le différend juridique qui

divise l’Argentine et l’Uruguay à propos des usines de pâte à papier soit
décidé en conformité avec l’article 60 du statut du fleuve. Comme il a été
reconnu par la Cour «il se peut [en effet] que des événements privent
ensuite la requête de son objet» (Actions armées frontalières et transfron-
talières (Nicaragua c. Honduras), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J.

Recueil 1988, p. 95, par. 66). Par exemple, certaines conclusions de la
requête argentine du 4 mai 2006 sont déjà dépassées par les événements,
le projet de l’usine CMB de ENCE ayant déménagé à Punta Pereyra sur
la rive uruguayenne du Rio de la Plata. Voilà le «risque du préjudice»
aux droits en cause pour l’Uruguay dans l’affaire. La paix sociale est très

appréciée par les entreprises industrielles. Les asambleístas en sont bien
au courant, comme le prouve le fait qu’ils ont commencé le blocage
actuel de routes et de ponts peu après l’approbation du projet Orion de
Botnia par la Banque mondiale et ses institutions de crédit.
36. Le préjudice en question est, par sa nature même, irréparable car,

comme cela a été déclaré au cours des audiences par les conseils de l’Uru-
guay, l’arrêt de la Cour ne pourra faire revenir Orion à Fray Bentos si
Botnia décidait de partir. Ce n’est pas le cas en ce moment même, mais la
question n’est pas là. Ce qui compte c’est le «risque du préjudice» et ce
risque est bien présent. L’Argentine n’a pas pris les mesures qui s’im-

posent pour mettre fin à la situation créée objectivement par les barrages
et pour en empêcher la répétition à l’avenir. En outre, il est urgent d’élimi-

3838 USINES DE PÂTE À PAPIER (OP.DISS. TORRES BERNÁRDEZ )

ner le «préjudice irréparable» étant donné qu’il y a bien plus qu’un

«risque plus ou moins imminent». Il s’agit en effet d’un «risque actuel»
pour l’Uruguay qui existe et se développe d’une façon continue depuis la
fin de novembre 2006 avec les conséquences fâcheuses que l’on peut ima-
giner pour un développement économique soutenable du pays.
37. Ce «risque actuel» porte également atteinte au droit invoqué par

l’Uruguay à ce que le différend soit décidé par la Cour conformément à
l’article 60 du statut du fleuve Uruguay et non pas unilatéralement. La
nécessité de protéger ce droit dès maintenant n’est pas douteuse pour moi
car la durée du préjudice créé par le «péage» menace l’intégrité même du
règlement judiciaire du différend. Il n’est écrit nulle part qu’un Etat

défendeur doit supporter une telle situation pour faire valoir son droit
dans une affaire devant la Cour. D’ailleurs, dans la pratique de la Cour,
il y a des exemples de mesures conservatoires indiquées en application du
principe de la bonne administration de la justice internationale.

38. Ajoutons que le préjudice causé à l’économie uruguayenne par les
barrages n’est nullement un préjudice que l’Uruguay est censé subir en
vertu du droit matériel applicable au différend juridique devant la
Cour — c’est-à-dire le statut du fleuve Uruguay de 1975 — ni non plus en
vertu du Statut ou du Règlement de la Cour ou d’une décision de celle-ci,

étant donné que l’ordonnance du 13 juillet 2006 rejeta la demande en
indication de mesures conservatoires soumise par l’Argentine le 4 mai 2006
lors du dépôt de sa requête.
39. En outre, l’on n’est pas prima facie devant une hypothèse de dam-
num sine injuria esse potest . L’Uruguay a un droit d’action pour deman-

der que cessent les barrages et les agissements des asambleístas qui
causent le préjudice signalé à son économie, et l’Argentine a des obliga-
tions particulières en la matière en tant qu’Etat sur le territoire duquel les
faits en question sont commis ainsi qu’en tant qu’Etat partie à la présente
instance. Il est surprenant que, pour le moment, ces deux qualités n’aient

pas poussé les autorités argentines à mettre fin aux barrages des routes
argentines d’accès aux ponts internationaux placés par des groupes de
citoyens argentins organisés qui déclarent ouvertement que l’objectif
poursuivi par leur action est que l’Uruguay arrête la construction d’Orion
à Fray Bentos ou qu’il délocalise l’usine ailleurs. Les devoirs de l’Argen-

tine en la matière existent objectivement comme résultat de la localisation
géographique des événements générateurs du risque d’un préjudice irré-
parable en territoire de la République argentine et de la nationalité des
asambleístas.
40. La question de la construction d’Orion à Fray Bentos est un des

éléments du différend juridique sur l’interprétation et l’application du
statut du fleuve Uruguay de 1975 que la République argentine a demandé
à la Cour de régler. Or, si l’on se place, comme il se doit, dans le contexte
de ce statut, qui est un traité bilatéral entre l’Argentine et l’Uruguay, on
constate prima facie, dès son article premier, que l’utilisation rationnelle

et optimale du fleuve, dans le strict respect des droits et des obligations
découlant des traités et autres engagements internationaux en vigueur à

3939 USINES DE PÂTE À PAPIER (OP .DISS. TORRES BERNÁRDEZ )

l’égard de l’une ou l’autre des Parties, est un principe de base du traité et

un objectif du statut du fleuve.
41. Cela étant, je ne peux que conclure prima facie qu’il existe égale-
ment une relation juridique entre: 1) les faits relatifs aux barrages de
routes et de ponts par les asambleístas, tolérés par les autorités argen-
tines, 2) le risque actuel d’un préjudice irréparable pour les droits de l’Uru-

guay en cause, 3) le principe de l’utilisation rationnelle et optimale du
fleuve Uruguay et de ses eaux, y compris à des fins industrielles dans le
respect du régime du fleuve et la qualité de ses eaux (statut de 1975,
art. 27), et 4) le règlement judiciaire des différends du statut. Cette rela-
tion juridique est pour moi largement suffisante dans cette procédure

incidente pour que la Cour puisse indiquer des mesures conservatoires en
vue de mettre fin aux barrages en question. Ma conclusion est confirmée
par les conclusions de la requête introductive d’instance dans lesquelles
l’Argentine prie la Cour de dire et juger que «l’Uruguay a manqué aux

obligations lui incombant en vertu du statut de 1975 et des autres règles
de droit international auxquelles ce statut renvoie, y compris mais pas
seulement...» (ordonnance, par. 3).
42. A la lumière des considérations précédentes, et compte tenu des
arguments et de la documentation présentés par les Parties, j’estime que

les circonstances de l’espèce sont de nature à indiquer la première mesure
conservatoire sollicitée par l’Uruguay, à savoir que l’Argentine doit
prendre:

«toutes les mesures raisonnables et appropriées qui sont à sa disposi-
tion pour prévenir ou faire cesser l’interruption de la circulation
entre l’Uruguay et l’Argentine, notamment le blocage de ponts et de
routes entre les deux Etats».

*

43. Ainsi, je suis en désaccord avec le rejet par l’ordonnance de la pre-
mière mesure conservatoire demandée par l’Uruguay. Et je le suis égale-
ment en ce qui concerne la non-indication dans le dispositif de l’ordon-
nance d’une mesure conservatoire tendant à éviter l’aggravation ou
l’extension du différend ou d’en rendre le règlement plus difficile, ques-

tion posée par la deuxième mesure conservatoire sollicitée par l’Uruguay.
En tout cas, le motif (ordonnance, par. 49 et 50) sur la base duquel
l’ordonnance rejette l’indication de la deuxième mesure conservatoire
demandée par l’Uruguay ne m’empêche pas de le faire, car je viens de
conclure ci-dessus que je considère que les circonstances et les conditions

pour l’indication de la première mesure conservatoire demandée par
l’Uruguay sont remplies.
44. J’estime que les circonstances particulières de l’affaire — y compris
celles postérieures aux audiences qui sont dans le domaine public —
appellent l’indication urgente de mesures provisoires relatives à la non-

aggravation et à la non-extension du différend adressées aux deux Parties.
Sur ce dernier aspect, je m’éloigne donc de la formulation donnée par

4040 USINES DE PÂTE À PAPIER (OP. DISS.TORRES BERNÁRDEZ )

l’Uruguay à la deuxième mesure qu’il sollicite. Je le fais en application de

l’article 75, paragraphe 2, du Règlement de la Cour.
45. La jurisprudence de la Cour des dernières années a souligné toute
l’importance du pouvoir de la Cour d’indiquer des mesures conserva-
toires en vue d’empêcher l’aggravation ou l’extension du différend indé-
pendamment des demandes des parties. Par exemple, en 1996 — avant

donc l’arrêt en l’affaire LaGrand —, les motifs de l’ordonnance indiquant
des mesures conservatoires dans l’affaire de la Frontière terrestre et mari-
time entre le Cameroun et le Nigéria disaient déjà:

«indépendamment des demandes en indication de mesures conserva-
toires présentées par les parties à l’effet de sauvegarder des droits

déterminés, la Cour dispose, en vertu de l’article 41 de son Statut, du
pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires en vue d’empêcher
l’aggravation ou l’extension du différend quand elle estime que les
circonstances l’exigent (cf. Différend frontalier, mesures conserva-
toires, ordonnance du 10 janvier 1986, C.I.J. Recueil 1986 ,p .,

par. 18)» (C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 22, par. 41).

Des déclarations similaires ont été également incorporées dans les motifs
d’autres ordonnances postérieures à l’affaire LaGrand (voir C.I.J. Recueil
2003, p. 111, par. 39).
46. En tout cas, les circonstances de la présente affaire tendant à

s’aggraver, la Cour aurait dû indiquer des mesures conservatoires à la
charge des deux Parties pour éviter l’aggravation et l’extension du diffé-
rend. Si le rejet par la Cour de la première mesure sollicitée par l’Uruguay
créait un obstacle quelconque pour indiquer une mesure de ce genre dans
le dispositif de la présente ordonnance, la Cour aurait pu s’appuyer sur le

droit international, à savoir sur le

««principe universellement admis devant les juridictions internatio-
nales et consacré d’ailleurs dans maintes conventions ... d’après
lequel les parties en cause doivent s’abstenir de toute mesure sus-
ceptible d’avoir une répercussion préjudiciable à l’exécution de la

décision à intervenir et, en général, ne laisser procéder à aucun acte,
de quelque nature qu’il soit, susceptible d’aggraver ou d’étendre le
différend» (Compagnie d’électricité de Sofia et de Bulgarie, ordonnance
du 5 décembre 1939, C.P.J.I. série A/B nº 79 , p. 199)» (LaGrand
(Allemagne c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2001 ,

p. 503, par. 103).

*

47. Finalement, je suis d’accord avec l’ordonnance pour ce qui est du
rejet de la troisième mesure conservatoire sollicitée par l’Uruguay, mais

non pas pour le motif indiqué (ordonnance, par. 51). Je rejette la troi-
sième mesure parce qu’elle manque de précision et qu’elle n’est pas suf-

4141 USINES DE PÂTE À PAPIER (OP. DISS.TORRES BERNÁRDEZ )

fisamment concrète et parce que j’estime que les circonstances de l’affaire
à l’heure actuelle n’exigent pas l’indication d’une mesure d’une portée
aussi vaste.

*

48. En bref, je suis d’accord avec la conclusion de l’ordonnance concer-

nant la compétence prima facie de la Cour pour connaître de la demande
en indication de mesures conservatoires de l’Uruguay et sur le rejet de la
troisième mesure sollicitée. En revanche, je suis en désaccord avec l’ordon-
nance en ce qui concerne le rejet de la première mesure sollicitée ainsi que

sur le rejet de la deuxième mesure reformulée de façon à l’adresser aux
deux Parties. Ces deux points de désaccord m’ont empêché de voter en
faveur de l’ordonnance.

(Signé) Santiago T ORRES B ERNÁRDEZ .

42

Bilingual Content

26

OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE AD HOC TORRES
BERNÁRDEZ

Accord et désaccord avec l’ordonnance — Question de la compétence prima
facie de la Cour et de la recevabilité de la demande présentée par l’Uruguay
— Les thèses argentines sur l’incompétence et sur l’irrecevabilité ne trouvent

justification ni dans le faits de l’espèce ni dans le droit applicable — Accord avec
la conclusion de l’ordonnance sur la compétence de la Cour pour connaître de la
demande uruguayenne — Question de l’existence d’un risque de préjudice irré-
parable aux droits en litige de l’Uruguay et de l’urgence d’y remédier — Droit
de l’Uruguay de construire l’usine Orion à Fray Bentos — Droit de l’Uruguay
à ce que la Cour décide du différend — Les arguments uruguayens sur les ques-
tions relatives à la responsabilité internationale de l’Argentine relèvent du fond
du différend et non pas de cette procédure incidente — Existence d’un «risque
actuel» de préjudice irréparable aux droits en cause de l’Uruguay — Pouvoir de
la Cour en vertu de l’article 41 du Statut d’examiner si les circonstances de
l’affaire exigent l’indication de mesures conservatoires — A la lumière de la
situation créée par les faits qui sont à l’origine de la demande uruguayenne, la
Cour aurait dû indiquer dans le dispositif de l’ordonnance deux mesures conser-
vatoires: a) la première, similaire à la première mesure sollicitée par l’Uruguay
indiquant à l’Argentine de faire cesser et de prévenir sur son territoire la fer-

meture, le blocage de la circulation ou l’entrave à celle-ci sur les routes d’accès
aux ponts internationaux qui relient les deux Etats afin de préserver le droit de
l’Uruguay de construire l’usine Orion à Fray Bentos ainsi que l’intégrité du
règlement judiciaire en cours; b) la seconde basée sur le contenu de la deuxième
mesure sollicitée par l’Uruguay afin d’éviter l’aggravation ou l’extension du dif-
férend, mais adressée aux deux Parties — Rejet de la troisième mesure sollicitée
par l’Uruguay.

1. L’Argentine ayant décidé de faire objection à la compétence de la

Cour pour connaître de la demande en indication de mesures conserva-
toires soumise par l’Uruguay, le 29 novembre 2006, dans l’affaire relative
à des Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uru-
guay) ainsi qu’à la recevabilité de la demande uruguayenne, la Cour a dû
trancher tout d’abord la question de la compétence et de la recevabilité

avant de pouvoir se prononcer sur le fond de la demande, c’est-à-dire sur
l’indication ou non des mesures conservatoires sollicitées par l’Uruguay.
Je partage entièrement les motifs et les conclusions de la Cour sur la com-
pétence et la recevabilité. En revanche, je ne partage pas entièrement les
motifs, et certainement pas les conclusions de l’ordonnance en ce qui
concerne la question de fond. C’est pour cela que j’ai voté contre l’ordon-

nance.

*

27 26

DISSENTING OPINION OF JUDGE AD HOC TORRES
BERNÁRDEZ

[Translation]

Agreement and disagreement with the Order — The question of the prima
facie jurisdiction of the Court and of the admissibility of the request submitted
by Uruguay — Argentina’s arguments based on a lack of jurisdiction and on

inadmissibility are not justified either by the facts of the case or by the appli-
cable law — Agreement with the Order’s conclusion that the Court has jurisdic-
tion to entertain Uruguay’s request — The question of the existence of a risk of
irreparable prejudice to Uruguay’s disputed rights and of the urgency of rem-
edying it — Uruguay’s right to build the Orion mill at Fray Bentos — Uru-
guay’s right that the Court determine the dispute — Uruguay’s arguments on
matters concerning Argentina’s international responsibility relate to the merits
of the dispute and not to these incidental proceedings — Existence of a “present
risk” of irreparable prejudice to Uruguay’s rights in issue — The Court’s power
under Article 41 of the Statute to establish whether the circumstances of the
case require the indication of provisional measures — In light of the situation
created by the facts underlying Uruguay’s request, the Court should have indi-
cated, in the operative part of the Order, two provisional measures; (a) the first,
similar to the first measure requested by Uruguay, indicating that Argentina
should end and prevent on its territory the closure, blockading or obstructing of

traffic on access roads to the international bridges linking the two countries in
order to preserve Uruguay’s right to build the Orion mill at Fray Bentos and
also the integrity of the pending legal settlement; (b) the second based on the
content of the second measure requested by Uruguay to avoid the aggravation or
extension of the dispute, but addressed to both Parties — Dismissal of the third
measure requested by Uruguay.

1. Argentina having decided to object to the jurisdiction of the Court

to entertain the request for provisional measures submitted by Uruguay,
on 29 November 2006, in the case concerning Pulp Mills on the River
Uruguay (Argentina v. Uruguay) and to the admissibility of Uruguay’s
request, the Court first had to resolve the question of jurisdiction and
admissibility before being able to rule on the merits of the request, in

other words on whether or not to indicate the provisional measures
requested by Uruguay. I fully share the Court’s reasoning and conclu-
sions on jurisdiction and admissibility. On the other hand, I do not
wholly share the reasoning, and certainly not the conclusions in the
Order on the merits. This is why I voted against the Order.

*

2727 USINES DE PÂTE À PAPIER (OP. DISS.TORRES BERNÁRDEZ )

2. La demande en indication de mesures conservatoires de l’Uruguay

du 29 novembre 2006 signale dès son introduction qu’elle est soumise en
application de l’article 41 du Statut de la Cour et de l’article 73 de son
Règlement et que les mesures conservatoires demandées «sont requises
d’urgence afin de protéger les droits de l’Uruguay en cause dans la pré-
sente instance contre un préjudice imminent et irréparable, et d’éviter que

le différend ne s’aggrave». Par la suite, la demande développe les motifs
sur lesquels elle se fonde, les conséquences qu’entraînerait son rejet et les
trois mesures conservatoires sollicitées (Règlement, art. 73, par. 2).
D’autre part, dans son paragraphe 25, la demande renvoie à la base de
compétence de la Cour invoquée par l’Argentine dans sa requête intro-

ductive d’instance en l’affaire relative à des Usines de pâte à papier sur le
fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay) du 4 mai 2006 et dans sa demande
en indication de mesures conservatoires de la même date.
3. C’est sur la base de l’article 60 du statut du fleuve Uruguay de 1975

que la Cour avait conclu, dans son ordonnance du 13 juillet 2006, à sa
compétence prima facie pour connaître de l’affaire ci-dessus et, donc,
pour examiner la demande en indication des mesures conservatoires que
lui avait présentée alors l’Argentine. L’Uruguay n’a contesté à aucun
moment la compétence prima facie de la Cour dans l’affaire et sa demande

en indication de mesures conservatoires invoque également l’article 60 du
statut du fleuve Uruguay comme base de la compétence prima facie de la
Cour. En outre, l’Uruguay n’a pas non plus présenté d’objection ou
d’exception relative à la recevabilité de la requête argentine introductive
d’instance. Ainsi, dans l’espèce, ne se pose aucune question préliminaire

pour ce qui est de la recevabilité prima facie de la requête argentine, tout
comme cela avait été le cas dans l’affaire relative à la Frontière terrestre
et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria),
mesures conservatoires, ordonnance du 15 mars 1996 C.I.J. Recueil
1996 (I), p. 21, par. 32-33).

4. Cependant, l’Argentine conteste aujourd’hui la compétence de la
Cour pour connaître de la demande en indication de mesures conserva-
toires de l’Uruguay ainsi que la recevabilité de la demande uruguayenne.
Au cours des audiences, ses conseils ont déployé beaucoup plus d’efforts
pour démontrer l’incompétence de la Cour et l’irrecevabilité de la

demande uruguayenne qu’à réfuter la preuve de l’existence d’un risque de
préjudice irréparable aux droits en cause et de l’urgence. L’on est allé
jusqu’à affirmer que la Cour était «manifestement incompétente» et à
mentionner des exemples de cas d’incompétence manifeste où la Cour
décida la radiation de l’affaire du rôle.

5. Mais, ces efforts ne pouvaient aboutir car la demande uruguayenne
n’est pas une demande principale, c’est-à-dire une requête introductive
d’une nouvelle affaire ni, non plus, une sorte de prétendue demande
reconventionnelle sans connexité directe avec l’objet de la requête argen-
tine introductive d’instance dans l’affaire des Usines de pâte à papier sur

le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay) .
6. Les conseils argentins ont affirmé avec force que la première mesure

28 PULP MILLS DISS. OP. TORRES BERNÁRDEZ ) 27

2. Uruguay’s request for the indication of provisional measures of

29 November 2006 indicates in the introduction that it was submitted
pursuant to Article 41 of the Statute of the Court and Article 73 of its
Rules and that the provisional measures “are urgently needed to protect
the rights of Uruguay that are at issue in these proceedings from immi-
nent and irreparable injury, and to prevent the aggravation of the present

dispute”. The request goes on to set out the grounds on which it is based,
the consequences which would ensue from its dismissal and the three pro-
visional measures requested (Art. 73, para. 2, of the Rules). In para-
graph 25, the request also refers to the basis of the jurisdiction of the
Court relied on by Argentina in its Application instituting proceedings in

the case concerning Pulp Mills on the River Uruguay (Argentina v. Uru-
guay) of 4 May 2006 and its request for the indication of provisional
measures of the same date.
3. It was on the basis of Article 60 of the 1975 Statute of the River

Uruguay that the Court concluded, in its Order of 13 July 2006, that it
had prima facie jurisdiction to hear the above case and, therefore, to con-
sider the request for the indication of provisional measures which had
then been submitted to it by Argentina. At no time has Uruguay disputed
the prima facie jurisdiction of the Court in the case and its request for the

indication of provisional measures also relies on Article 60 of the Statute
of the River Uruguay as basis for the prima facie jurisdiction of the
Court. Nor has Uruguay objected to the admissibility of Argentina’s
Application instituting proceedings. Hence, in the present case, no pre-
liminary question arises as regards the prima facie admissibility of Argen-

tina’s Application, just as in the case concerning Land and Maritime
Boundary between Cameroon and Nigeria (Cameroon v. Nigeria), Pro-
visional Measures, Order of 15 March 1996, I.C.J. Reports 1996 (I) ,
p. 21, paras. 32 and 33).

4. However, Argentina now disputes the jurisdiction of the Court to
entertain Uruguay’s request for the indication of provisional measures
and the admissibility of that request. During the oral hearings, its counsel
expended much more effort demonstrating the Court’s lack of jurisdic-
tion and the inadmissibility of Uruguay’s request than on refuting the

proof of the existence of a risk of irreparable prejudice to the rights in
issue and of urgency. They even went so far as to assert that the Court
“manifestly lacked jurisdiction” and to mention examples of cases where
the Court manifestly lacked jurisdiction and decided to remove the case
concerned from its List.

5. But these efforts were fruitless because Uruguay’s request is not a
principal request, in other words, an application introducing a new case,
nor is it a sort of would-be counter-claim not directly connected with the
object of Argentina’s Application instituting proceedings in the case con-
cerning Pulp Mills on the River Uruguay (Argentina v. Uruguay).

6. Counsel of Argentina forcefully asserted that the first provisional

2828 USINES DE PÂTE À PAPIER (OP. DISS.TORRES BERNÁRDEZ )

conservatoire demandée par l’Uruguay, à savoir celle qui sollicite que la

Cour indique à l’Argentine
«qu’elle doit prendre toutes les mesures raisonnables et appropriées

qui sont à sa disposition pour prévenir ou faire cesser toute interrup-
tion du transit entre l’Uruguay et l’Argentine, notamment le blocage
de ponts et de routes entre les deux Etats» (demande, par. 28 i)),

équivaudrait à demander à la Cour de se prononcer non pas sur le litige
initial sur le statut du fleuve Uruguay défini par la requête argentine du
4 mars 2006, mais sur un différend relatif à la liberté de circulation et à la
liberté de commerce entre les deux pays, relevant du droit matériel et des

procédures de règlement du Mercosur (traité d’Asunción et protocole
d’Olivos).
7. En outre, il a été plaidé par l’Argentine que le fait que l’Uruguay
avait demandé à un tribunal arbitral ad hoc du Mercosur de se prononcer

sur des anciens blocages de ponts et de routes créait, en vertu des dispo-
sitions des instruments pertinents du Mercosur, une situation de forclu-
sion ou d’estoppel qui rendrait irrecevable la demande en indication de
mesures conservatoires présentée à la Cour par l’Uruguay (voir sentence
du tribunal arbitral ad hoc du Mercosur du 6 septembre 2006, annexe 2 à

la demande en indication de mesures conservatoires de l’Uruguay). A cet
argument la présente ordonnance répond, comme il se doit, que les droits
invoqués par l’Uruguay devant le tribunal ad hoc du Mercosur sont dif-
férents de ceux dont il sollicite la protection en l’espèce (ordonnance,
par. 30).

8. La demande en indication de mesures conservatoires de l’Uruguay a
été décrite par les conseils de l’Argentine comme une demande dépourvue
de tout lien avec le statut du fleuve Uruguay, ainsi qu’avec les droits res-
pectifs des Parties au différend soumis à la Cour par l’Argentine. Elle
relèverait, a-t-on dit, d’une autre problématique, d’un autre traité, d’une

autre juridiction. Ces arguments, je regrette de le dire, ignorent la nature,
le contenu et le but de la demande uruguayenne ainsi que la portée de
l’objet de la requête argentine introductive d’instance. La demande uru-
guayenne se greffe parfaitement sur l’objet de l’affaire soumise à la Cour
par la requête argentine.

9. Tout ce que l’Uruguay demande, dans la première conclusion, c’est
que la Cour indique à l’Argentine, en tant que souverain territorial, de
prendre, en sa qualité de Partie à la présente instance, toutes les mesures
à sa disposition qu’elle considère comme raisonnables et appropriées
pour prévenir ou faire cesser pendente lite toute interruption du transit

entre l’Uruguay et l’Argentine (y compris la fermeture, le blocage de la
circulation ou l’entrave à celle-ci sur les ponts et les routes qui relient les
deux Etats) et ce afin de préserver des droits relevant du statut du fleuve
Uruguay de 1975 qui, d’après l’Uruguay, sont en cause dans le différend,
notamment le droit de construction de l’usine Orion sur la rive uru-

guayenne du fleuve Uruguay à Fray Bentos et le droit à ce que la Cour
décide du différend que lui a soumis l’Argentine. Ainsi donc, la demande

29 PULP MILLS (DISS. OP.TORRES BERNÁRDEZ ) 28

measure requested by Uruguay, namely the one calling upon the Court to

indicate to Argentina that it
“shall take all reasonable and appropriate steps at its disposal to

prevent or end the interruption of transit between Uruguay and
Argentina, including the blockading of bridges and roads between
the two States” (Application, para. 28 (i)),

would be tantamount to calling upon the Court to rule not on the initial
dispute regarding the Statute of the River Uruguay as set out by Argen-
tina’s Application of 4 March 2006, but on a dispute relating to freedom
of transport and freedom of commerce between the two countries

covered by substantive law and the settlement procedures of Mercosur
(Treaty of Asunción and Protocol of Olivos).
7. Further, it has been argued by Argentina that the fact that Uruguay
had called for an ad hoc Mercosur Arbitral Tribunal to rule on previous

blockades of bridges and roads, under the provisions of the relevant Mer-
cosur instruments, created a situation of estoppel which rendered the
request for the indication of provisional measures submitted to the Court
by Uruguay inadmissible (see the Award of the ad hoc Mercosur Tribu-
nal of 6 September 2006, Annex 2 of Uruguay’s request for the indication

of provisional measures). The present Order replies to this argument, and
rightly so, that the rights relied on by Uruguay before the ad hoc
Mercosur Tribunal are different from those whose protection it is calling
for in the present case (Order, para. 30).

8. Uruguay’s request for the indication of provisional measures was
described by counsel for Argentina as a request totally unconnected with
the Statute of the River Uruguay, and also with the respective rights
of the Parties to the dispute submitted to the Court by Argentina. It
allegedly concerns other problems, another treaty, another court. These

arguments, I regret to say, overlook the nature, content and purpose
of Uruguay’s request as well as the purpose of Argentina’s Application
instituting proceedings. Uruguay’s request sits perfectly well with the
subject of the case brought before the Court by Argentina’s Application.

9. All Uruguay is asking for, in its first submission, is for the Court to
indicate to Argentina, as territorial sovereign, to take what it considers to
be all reasonable and appropriate steps at its disposal, as a Party to the
present proceedings, to prevent or end, pendente lite, the interruption of
transit between Uruguay and Argentina (including the blockading of

bridges and roads between the two States) and to do so in order to pre-
serve rights under the 1975 Statute of the River Uruguay which, accord-
ing to Uruguay, are at issue in the dispute, in particular the right to build
the Orion mill on the Uruguayan bank of the River Uruguay at Fray
Bentos and the right for the Court to determine the dispute submitted to

it by Argentina. Hence, the request asks the Court to indicate to Argen-
tina, the Applicant in this case, a measure consisting of an injunction on

2929 USINES DE PÂTE À PAPIER (OP.DISS. TORRES BERNÁRDEZ )

sollicite de la Cour que celle-ci indique à l’Argentine, Etat demandeur

dans l’affaire, une mesure consistant en une injonction d’agir d’une cer-
taine manière en vue de préserver des droits revendiqués par l’Uruguay
dans sa qualité d’Etat défendeur dans la même affaire. Il n’est nullement
question d’obtenir un jugement provisionnel ou définitif sur le fond des
réclamations de l’une ou de l’autre Partie à l’instance, ou sur des récla-

mations hors sujet, mais de protéger pendente lite la substance des droits
réclamés par l’Uruguay dans l’affaire.
10. D’autre part, la demande de l’Uruguay n’ajoute rien à l’objet du
différend tel qu’il est défini par la requête argentine introductive d’ins-
tance. Elle n’est point une demande reconventionnelle déguisée. Les

droits en litige que l’Uruguay demande à la Cour de préserver moyennant
l’indication de la mesure conservatoire ci-dessus rentrent dans l’objet du
différend tel que délimité par la requête argentine, ses moyens de droit et
ses conclusions. Dans le paragraphe 2 de la requête argentine, l’objet du

différend est défini dans les termes suivants:
«Le différend porte sur la violation par l’Uruguay des obligations

qui découlent du statut du fleuve Uruguay ... au sujet de l’autorisa-
tion de construction, la construction et l’éventuelle mise en service de
deux usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay. Ceci, tout en pre-
nant particulièrement compte des effets desdites activités sur la qua-
lité des eaux du fleuve Uruguay et sa zone d’influence.»

Quant aux moyens de droit invoqués par l’Argentine, le paragraphe 24 de

la requête signale que:
«Le droit applicable au présent différend est le statut de 1975 ainsi

que les principes et règles conventionnels et coutumiers pertinents
aux fins de son interprétation et de son application, en particulier les
traités et autres engagements internationaux en vigueur à l’égard de
l’une ou l’autre des parties auxquelles celui-ci renvoie. En vertu de

ces dispositions, l’Uruguay a violé les obligations internationales
suivantes: ...»

11. Par la suite, le paragraphe 24 de la requête argentine n’énumère
pas moins de huit obligations qui auraient été violées par l’Uruguay, à
savoir:

«a) l’obligation de prendre toute mesure nécessaire à l’utilisation
rationnelle et optimale du fleuve Uruguay;
b) l’obligation d’informer préalablement la CARU et le Gouver-

nement de l’Argentine au sujet de la construction de deux usines
de pâte à papier sur la rive gauche du fleuve Uruguay;
c) l’obligation de poursuivre les procédures prévues par le cha-
pitre II du statut de 1975 en ce qui concerne la réalisation
de «tous ouvrages suffisamment importants pour affecter la

navigation, le régime du fleuve ou la qualité des eaux»;
d) l’obligation de ne pas autoriser la construction des ouvrages

30 PULP MILLS DISS. OP. TORRES BERNÁRDEZ ) 29

acting in a certain way in order to preserve the rights claimed by Uru-

guay as Respondent in the same case. By no means is it a question of
obtaining a provisional or final ruling on the merits of the claims of either
of the Parties to the case, or on unrelated claims, but of protecting
pendente lite the substance of the rights claimed by Uruguay in the
case.

10. Uruguay’s request also adds nothing new to the subject-matter of
the dispute as set out in Argentina’s Application instituting proceedings.
By no means is it a counter-claim in disguise. The disputed rights which

Uruguay requests the Court to safeguard by indicating the provisional
measure concerned form part of the subject-matter of the dispute as
determined by Argentina’s Application, its legal grounds and submis-
sions. In paragraph 2 of Argentina’s Application, the subject-matter of

the dispute is set out in the following terms:
“The dispute concerns the breach by Uruguay of obligations

under the Statute of the River Uruguay . . . in respect of the authori-
zation, construction and future commissioning of two pulp mills on
the River Uruguay, having regard in particular to the effects of such
activities on the quality of the waters of the River Uruguay and on
the areas affected by the river.”

As for the legal grounds invoked by Argentina, paragraph 24 of the

Application indicates that:
“The law applicable to the present dispute is the 1975 Statute and

the conventional and customary principles and rules relevant to its
interpretation and application, and in particular the treaties and
other international obligations in force for either party to which the
Statute refers. By virtue of these provisions, Uruguay is in breach of

the following international obligations: . . .”

11. Paragraph 24 of Argentina’s Application later goes on to list no
fewer than eight obligations which Uruguay is said to have breached,
these being:

“(a) the obligation to take all necessary measures for the optimum
and rational utilization of the River Uruguay;
(b) the obligation to provide prior notification to CARU and to

the Government of Argentina in respect of the construction of
two pulp mills on the left bank of the River Uruguay;
(c) the obligation to comply with the procedures prescribed by
Chapter II of the 1975 Statute in regard to the carrying out of
‘y...rshibitf,te

régime of the river or the quality of its waters’;
(d) the obligation not to authorize construction of the proposed

3030 USINES DE PÂTE À PAPIER (OP.DISS. TORRES BERNÁRDEZ )

projetés sans avoir préalablement suivi la procédure prévue par

le statut de 1975;
e) l’obligation de préserver le milieu aquatique et d’empêcher la
pollution, en adoptant les mesures appropriées, y compris en
recourant aux meilleures pratiques environnementales et aux
meilleures technologies disponibles, conformément aux accords

internationaux applicables et en harmonie avec les directives et
recommandations des organismes techniques internationaux;
f) l’obligation de ne pas causer de dommages environnementaux
transfrontaliers sur la rive opposée et les zones d’influence du
fleuve;

g) l’obligation de ne pas frustrer l’utilisation du fleuve à des fins
licites; et
h) autres obligations découlant du droit international général,
conventionnel et coutumier, tant procédurales que de fond,

nécessaires à l’application du statut de 1975».

12. Finalement, «sur la base de l’exposé des faits et des moyens juri-
diques qui précèdent», les conclusions du paragraphe 25 1) de la requête
de l’Argentine demandent à la Cour de dire et juger:

«1. Que l’Uruguay a manqué aux obligations lui incombant en ver-
tu du statut de 1975 et des autres règles de droit international
auxquelles ce statut renvoie, y compris mais pas exclusivement:

a) l’obligation de prendre toute mesure nécessaire à l’utilisa-
tion rationnelle et optimale du fleuve Uruguay;
b) l’obligation d’informer préalablement la CARU et l’Argen-
tine;

c) l’obligation de se conformer aux procédures prévues par le
chapitre II du statut de 1975;
d) l’obligation de prendre toutes mesures nécessaires pour pré-
server le milieu aquatique et d’empêcher la pollution et
l’obligation de protéger la biodiversité et les pêcheries, y

compris l’obligation de procéder à une étude d’impact sur
l’environnement, complète et objective;
e) les obligations de coopération en matière de prévention de
la pollution et de la protection de la biodiversité et des pêche-
ries.»

13. L’objet du différend et les conclusions de la requête sont donc défi-

nis dans la requête par des formules générales très larges qui com-
prennent les droits et obligations des Parties énoncés dans un nombre
de dispositions du statut du fleuve Uruguay. Les droits dont l’Uruguay
demande la protection par l’indication de mesures conservatoires s’ins-
crivent dans cet objet et s’y greffent parfaitement. La solution du litige

au fond comportera nécessairement l’interprétation ou l’application par
la Cour de plusieurs dispositions du statut du fleuve. Cela explique, sans

31 PULP MILLS (DISS. OP.TORRES BERNÁRDEZ ) 30

works without having first followed the procedure prescribed

by the 1975 Statute;
(e) the obligation to preserve the aquatic environment and to pre-
vent its pollution, by adopting appropriate measures, includ-
ing recourse to best environmental practice and best available
technology, in accordance with applicable international agree-

ments and in keeping with the guidelines and recommenda-
tions of international technical bodies;
(f) the obligation not to cause transboundary environmental
damage to the opposing bank of the river, or to areas affected
by the river;

(g) the obligation not to prevent use of the river for lawful pur-
poses; and
(h) other obligations deriving from the procedural and substan-
tive provisions of general, conventional and customary inter-

national law which are necessary for the application of the
1975 Statute.”

12. Finally, “[o]n the basis of the foregoing statement of facts and
law”, the submissions in paragraph 25 (1) of Argentina’s Application
request the Court to adjudge and declare:

“1. that Uruguay has breached the obligations incumbent upon it
under the 1975 Statute and the other rules of international law
to which that instrument refers, including but not limited to:

(a) the obligation to take all necessary measures for the opti-
mum and rational utilization of the River Uruguay;
(b) the obligation of prior notification to CARU and to Argen-
tina;

(c) the obligation to comply with the procedures prescribed in
Chapter II of the 1975 Statute;
(d) the obligation to take all necessary measures to preserve
the aquatic environment and prevent pollution and the
obligation to protect biodiversity and fisheries, including

the obligation to prepare a full and objective environmen-
tal impact study;
(e) the obligation to co-operate in the prevention of pollution
and the protection of biodiversity and of fisheries.”

13. The subject-matter of the dispute and the submissions of the

Application are thus defined in the Application in very broad general
terms covering the rights and duties of the Parties set out in a number of
the provisions of the Statute of the River Uruguay. The rights of which
Uruguay requests protection through the indication of provisional
measures fall within that subject-matter and sit perfectly well with it.

The resolution of the dispute on the merits will necessarily involve the
interpretation or application by the Court of several provisions of the

3131 USINES DE PÂTE À PAPIER (OP.DISS. TORRES BERNÁRDEZ )

doute, que la requête argentine tout comme la demande uruguayenne,

évitent dans leurs conclusions respectives le renvoi à des articles précis du
statut du fleuve Uruguay.

*

14. En matière de mesures conservatoires, la Cour exerce une compé-
tence de base exclusivement statutaire définie à l’article 41 du Statut et
cette remedial jurisdiction de la Cour n’est pas limitée, ou conditionnée,
en quoi que ce soit par le droit matériel applicable au fond du différend
ou par la portée du titre ou des titres juridictionnels gouvernant en

l’espèce la compétence de la Cour au fond. En vertu de ce pouvoir, la
Cour peut, dans les affaires qui lui sont soumises, indiquer à titre provi-
soire toutes sortes de mesures conservatoires lorsqu’elle estime que les
circonstances exigent l’adoption de la mesure en question pour préserver

pendente lite les droits de l’une ou de l’autre partie qui sont en cause dans
l’affaire dont il s’agit. Comme la Cour permanente de Justice internatio-
nale déclara en 1933, dans l’affaire concernant la Réforme agraire polo-
naise et minorité allemande (mesures conservatoires) , d’après le texte de
l’article 41 du Statut, la condition essentielle et nécessaire pour que des

mesures conservatoires puissent, si les circonstances l’exigent, être indi-
quées, est que ces mesures tendent à sauvegarder les droits objets du dif-
férend dont la Cour est saisie (C.P.J.I. série A/B nº 58, p. 177).

15. Ainsi, dans l’affaire du Différend frontalier (Burkina Faso/Répu-

blique du Mali), le titre juridictionnel applicable était un compromis qui
octroyait compétence à une chambre de la Cour seulement pour définir le
tracé de la frontière entre les deux pays dans une zone contestée définie
par le compromis, le droit appliqué par la Chambre pour trancher le dif-
férend étant les principes et les règles de droit international relatifs aux

délimitations terrestres. Lorsque l’affaire était en délibéré, des incidents
graves ont opposé les forces armées des deux pays et la Chambre a été
appelée à indiquer des mesures conservatoires. Ce faisant, elle n’a été nul-
lement limitée dans cette tâche par la portée de sa compétence au fond ni
par le droit matériel applicable au différend frontalier en question, comme

le montrent bien les mesures énoncées dans le dispositif de l’ordonnance
du 10 janvier 1986 (C.I.J. Recueil 1986, p. 11-12). Or, personne n’a
jamais contesté la compétence de la Chambre pour ce faire sur la seule
base de l’article 41 du Statut de la Cour.
16. Dans l’affaire de la Frontière terrestre et maritime entre le Came-

roun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria) , la compétence de la Cour était
fondée sur des déclarations faites par les deux Etats en application du
paragraphe 2 de l’article 36 du Statut de la Cour, mais l’objet du diffé-
rend soumis par le Cameroun fut défini par les requêtes du demandeur
comme étant seulement une délimitation de la frontière terrestre et mari-

time entre les deux pays. Lorsque, pendente lite, des actions armées
graves se sont produites sur l’un des territoires qui était l’objet de la pro-

32 PULP MILLS (DISS. OP.TORRES BERNÁRDEZ ) 31

Statute of the River Uruguay. This probably explains why the submissions

of both Argentina’s Application and Uruguay’s request avoid any
reference to particular articles of the Statute of the River Uruguay.

*

14. As regards provisional measures, the Court exercises a basic, purely
statutory jurisdiction defined in Article 41 of its Statute and that remedial
jurisdiction of the Court is not limited or conditioned in any respect by
either the substantive law applicable to the merits of the dispute or by the
scope of the jurisdictional title or titles governing the Court’s jurisdiction

on the merits in the case concerned. By virtue of that power, the Court
may, in the cases submitted to it, provisionally indicate all manner of
protective measures, when it considers that circumstances require the
adoption of the measure concerned in order to safeguard pendente lite

the rights of either of the Parties at issue in the dispute at hand. As the
Permanent Court of International Justice stated in 1933 in the case con-
cerning the Polish Agrarian Reform and the German Minority (Interim
Measures of Protection) , according to the text of Article 41 of the
Statute, the essential condition which must necessarily be fulfilled in order

to justify a request for the indication of provisional measures, should
circumstances so require, is that such measures should have the effect
of protecting the rights forming the subject of the dispute submitted to
the Court (P.C.I.J., Series A/B, No. 58 , p. 177).
15. Thus, for example, in the Frontier Dispute (Burkina Faso/Republic

of Mali) case, the applicable jurisdictional title was a special agreement
granting a Chamber of the Court jurisdiction only to determine the fron-
tier line between the two countries in a disputed area defined by the
special agreement, the law applied by the Chamber to settle the dispute
being the principles and rules of international law concerning land delimi-

tations. When the case was in deliberation, serious incidents occurred
between the armed forces of the two countries and the Chamber was
asked to indicate provisional measures. In so doing, it was not at all
limited in this task either by the scope of its jurisdiction on the merits
or by the substantive law applicable to the boundary dispute concerned,

as is clearly apparent from the measures set out in the operative part
of the Order of 10 January 1986 (I.C.J. Reports 1986, pp. 11-12). The
Chamber’s jurisdiction to do so, on the sole basis of Article 41 of the
Statute of the Court, was, moreover, never challenged.
16. In the case concerning the Land and Maritime Boundary between

Cameroon and Nigeria (Cameroon v. Nigeria), the Court’s jurisdiction
was founded upon the declarations made by the two States under
Article 36, paragraph 2, of the Statute of the Court, whereas the object
of the dispute submitted by Cameroon was defined by that country’s
claims as solely a delimitation of the land and maritime boundary

between the two countries. When, pendente lite, serious armed incidents
took place in one of the territories forming the subject of the proceedings

3232 USINES DE PÂTE À PAPIER (OP. DISS.TORRES BERNÁRDEZ )

cédure devant la Cour, le Cameroun demanda que l’on indique les mesures

conservatoires suivantes:
«1) [que] les forces armées des Parties se retireront à l’emplacement

qu’elles occupaient avant l’attaque armée nigériane...;
2) les Parties s’abstiendront de toute activité militaire le long de la
frontière jusqu’à l’intervention de l’arrêt de la Cour;
3) les Parties s’abstiendront de tout acte ou action qui pourrait
entraver la réunion des éléments de preuve dans la présente ins-

tance» (C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 18, par. 20).
Le fait que l’objet des mesures conservatoires demandées par le Came-

roun ne correspondait pas avec la définition de l’objet du différend au
fond n’a pas été considéré comme étant une cause d’irrecevabilité de sa
demande en indication de mesures conservatoires car le but des mesures
sollicitées était la préservation, à titre provisoire, des droits du Cameroun

au fond. Et ces exemples pourraient être multipliés.
17. Ainsi, la recevabilité matérielle d’une demande en indication de
mesures conservatoires n’est fonction, en règle générale, que de la vérifi-
cation par la Cour de ce que le but de la mesure sollicitée soit véritable-
ment la conservation à titre provisoire du droit ou des droits en cause

dans le différend, car l’exercice par la Cour du pouvoir qu’elle tient de
l’article 41 du Statut vise seulement à protéger les droits en litige devant
le juge en attendant l’arrêt définitif sur le fond. La jurisprudence confirme
cette conclusion. Par exemple, dans l’affaire concernant la Réforme
agraire polonaise et minorité allemande (mesures conservatoires) ,al

demande du Gouvernement allemand fut rejetée parce que les mesures
sollicitées ne tendaient uniquement à sauvegarder l’objet du différend ou
l’objet de la demande principale elle-même, tels qu’ils avaient été soumis
à la Cour par la requête allemande introductive d’instance. Devant la
Cour actuelle, la demande en indication de mesures conservatoires de la

Guinée-Bissau dans l’affaire relative à la Sentence arbitrale du 31 juillet
1989 fut rejetée du fait que «les droits allégués dont il est demandé qu’ils
fassent l’objet de mesures conservatoires [n’étaient] pas l’objet de l’ins-
tance pendante devant la Cour sur le fond de l’affaire» (C.I.J. Recueil
1990, p. 70, par. 26). Pour d’autres exemples, voir aussi l’affaire du Pla-

teau continental de la mer Egée (C.I.J. Recueil 1976, p. 11, par. 34) et
l’affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Mon-
ténégro) (C.I.J. Recueil 1993 , p. 19, par. 35).
18. La situation décrite ci-dessus ne se présente point dans cette pro-

cédure incidente. Le lien nécessaire entre la demande en indication de
mesures conservatoires de l’Uruguay et la substance de l’affaire soumise
par l’Argentine est clair. Aucune autre question matérielle de «connexité»,
juridique ou de fait, qui entraverait la recevabilité d’une demande comme
la demande uruguayenne n’existant, il ne reste qu’à traiter de l’argument

argentin de la «connexité» formelle basée sur l’invocation d’un défaut de
précision de la demande uruguayenne sur «les droits dont la conservation

33 PULP MILLS (DISS. OP.TORRES BERNÁRDEZ ) 32

before the Court, Cameroon requested the indication of the following

provisional measures:
“(1) the armed forces of the Parties shall withdraw to the position

they were occupying before the Nigerian armed attack . . .;
(2) the Parties shall abstain from all military activity along the
entire boundary until the judgment of the Court takes place;
(3) the Parties shall abstain from any act or action which might
hamper the gathering of evidence in the present case” (I.C.J.

Reports 1996, p. 18, para. 20).
The fact that the subject-matter of the provisional measures requested by

Cameroon did not correspond to the definition of the subject-matter of
the dispute on the merits of the case was not regarded as a ground of the
inadmissibility of the request for provisional measures, as the purpose of
the measures sought was the interim protection of Cameroon’s rights on

the merits. And there are many other examples.
17. Thus the substantive admissibility of a request for the indication of
provisional measures as a general rule depends solely on the Court’s
appraisal of whether the purpose of the measure sought really is the
interim protection of the right or rights at issue in the dispute, as the

exercise by the Court of the power conferred on it by Article 41 of the
Statute is aimed solely at safeguarding the rights at issue before the Court
pending a final decision on the merits. This conclusion is borne out by the
case law. For example, in the case concerning the Polish Agrarian Reform
and the German Minority (Interim Measures of Protection) , the German

Government’s request was dismissed because the measures sought were
not aimed solely at the protection of the subject-matter of the dispute or
the subject-matter of the principal Application itself, as they had been
submitted to the Court by Germany’s Application instituting proceed-
ings. Before the present Court, the request for the indication of provi-

sional measures by Guinea-Bissau in the case concerning the Arbitral
Award of 31 July 1989 was dismissed because “the alleged rights sought
to be made the subject of provisional measures [were] not the subject of
the proceedings before the Court on the merits of the case” (I.C.J.
Reports 1990, p. 70, para. 26). For other examples, see also the Aegean

Sea Continental Shelf case (I.C.J. Reports 1976, p. 11, para. 34) and the
case concerning Application of the Convention on the Prevention and
Punishment of the Crime of Genocide (Bosnia and Herzegovina v. Serbia
and Montenegro) (I.C.J. Reports 1993, p. 19, para. 35).
18. The situation described above simply does not arise in these inci-

dental proceedings. The necessary link between the request for the indica-
tion of provisional measures by Uruguay and the substance of the case
submitted by Argentina is clear. Since there is no other substantive issue
of connection, of law or of fact, to prevent the admissibility of a request
such as Uruguay’s, all that remains is to address Argentina’s argument

concerning the formal “connection”, based on an “alleged” lack of preci-
sion in the Uruguayan request regarding “the rights to be protected and

3333 USINES DE PÂTE À PAPIER (OP. DISS.TORRES BERNÁRDEZ )

serait à assurer par les mesures sollicitées». Il suffit de rappeler à ce pro-

pos que cette formule, incorporée aux Règlements de 1936, 1946 et 1972,
ne figure plus au paragraphe 2 de l’article 73 du Règlement en vigueur où
elle a été sciemment remplacée par l’expression «la demande indique les
motifs sur lesquels elle se fonde», ce que fait certainement la demande
uruguayenne dans ses paragraphes 2 à 23.

19. Les thèses juridiques à la base des plaidoiries argentines relatives à
l’incompétence de la Cour et/ou l’irrecevabilité de la demande uru-
guayenne ne nous paraissent pas non plus acceptables du fait qu’en der-
nière analyse elles conduisent à un découpage du pouvoir que la Cour
tient de l’article 41 du Statut, sans aucun avantage apparent pour les

Etats, pris dans leur ensemble, ou pour l’exercice par la Cour de sa juri-
diction conservatoire ou d’urgence.
20. A la lumière de l’ensemble des considérations précédentes, ainsi
que des motifs pertinents de l’ordonnance, je suis entièrement d’accord

avec la conclusion de la Cour sur la question de la compétence, receva-
bilité y comprise, qui est énoncée au paragraphe 30 de l’ordonnance.

*

21. Le rejet par la Cour des exceptions soulevées par l’Argentine à la
compétence de la Cour et à la recevabilité de la demande en indication de
mesures conservatoires de l’Uruguay implique évidemment que les droits
que l’Uruguay invoque, en tant que partie au statut du fleuve Uruguay
de 1975 — et dont il demanda la préservation moyennant l’indication de

mesures conservatoires par la Cour —, ne sont pas prima facie des droits
inexistants ou des droits hors litige. Ils sont des droits en litige, bien plau-
sibles, suffisamment importants et sérieux pour mériter d’être éventuelle-
ment l’objet de mesures de protection face à des comportements d’une
partie qui risqueraient de leur porter atteinte. Je considère donc que la

demande uruguayenne en indication de mesures conservatoires satisfait le
critère dit du fumus boni juris ou du fumus non mali juris (voir l’opinion
individuelle du juge Abraham jointe à l’ordonnance du 13 juillet 2006
dans l’affaire relative à des Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay
(Argentine c. Uruguay), C.I.J. Recueil 2006, p. 24).

22. Il ne s’agit maintenant plus que de voir si, compte tenu des circons-
tances de l’affaire telles qu’elles se présentent aujourd’hui d’après les
informations en possession de la Cour, la conservation des droits invo-
qués par l’Uruguay dans sa demande exige ou non l’indication des me-
sures conservatoires sollicitées ou, éventuellement, d’autres mesures

conservatoires.

*

23. La Cour a déclaré maintes fois que son pouvoir d’indiquer des

mesures conservatoires, conformément à l’article 41 de son Statut, pré-
suppose qu’un «préjudice irréparable» ne doit pas être causé aux droits

34 PULP MILLS (DISS. OP.TORRES BERNÁRDEZ ) 33

the interim measures of which the indication is proposed”. It need only
be noted in this respect that this phrase, included in the Rules of 1936,
1946 and 1972, no longer features in Article 73, paragraph 2, of the
current Rules, in which it was purposely replaced by the expression

“[t]he request shall specify the reason therefor”, which the Uruguayan
request certainly does in paragraphs 2 to 23.
19. The legal contentions on which Argentina’s oral arguments con-
cerning the Court’s lack of jurisdiction and/or the inadmissibility of the
Uruguayan request are based do not seem to us acceptable either, as they

would ultimately entail partitioning the power held by the Court under
Article 41 of the Statute, with no apparent advantage for States overall,
or for the Court in the exercise of its protective or emergency jurisdiction.

20. In light of all the aforementioned considerations, as well as the

relevant reasons in the Order, I wholly concur with the Court on the
question of jurisdiction, including admissibility, as stated in paragraph 30
of the Order.

*

21. The Court’s dismissal of Argentina’s objections to its jurisdiction
and to the admissibility of Uruguay’s request for the indication of pro-
visional measures clearly implies that the rights claimed by Uruguay, as a

party to the 1975 Statute of the River Uruguay — and for which it
requested protection through the indication of provisional measures by
the Court — are not prima facie non-existent rights or rights not germane
to the dispute. They are rights in dispute, very plausible, sufficiently
important and serious to warrant potentially being the object of protec-

tive measures against conduct by a party which could prejudice them. I
therefore consider that Uruguay’s request for the indication of provi-
sional measures meets the criterion of fumus boni juris or fumus non mali
juris (see the separate opinion of Judge Abraham appended to the Order

of 13 July 2006 in the case concerning Pulp Mills on the River Uruguay
(Argentina v. Uruguay), I.C.J. Reports 2006 , p. 24).

22. All that remains now is to ascertain whether, in view of the cir-
cumstances of the case as they now present themselves based on the

information in the Court’s possession, the safeguarding of the rights
invoked by Uruguay in its request does or does not require the indication
of the provisional measures sought or, possibly, other provisional
measures.

*

23. The Court has many times declared that its power to indicate pro-
visional measures under Article 41 of its Statute presupposes that “irrepa-

rable prejudice” should not be caused to the rights which are the subject

3434 USINES DE PÂTE À PAPIER (OP. DISS. TORRES BERNÁRDEZ )

en litige au cours de la procédure judiciaire et qu’il s’ensuit que «la Cour
doit se préoccuper de sauvegarder par de telles mesures les droits que
l’arrêt qu’elle aura ultérieurement à rendre pourrait éventuellement recon-
naître, soit au demandeur soit au défendeur» (voir, par exemple, Applica-

tion de la convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie et Monténégro), mesures conser-
vatoires, ordonnance du 8 avril 1993, C.I.J. Recueil 1993 , p. 19, par. 34).
Mais évidemment il n’est pas nécessaire pour indiquer des mesures conser-
vatoires que le «préjudice» lui-même se soit déjà produit, car la finalité

des mesures conservatoires est essentiellement «préventive».
24. Il suffit qu’il existe un «risque» sérieux de préjudice irréparable
aux droits en cause, qu’au vu des circonstances de l’affaire — y compris
la situation de l’Etat en danger de le subir —, pour que la Cour inter-
vienne. C’est pour cela qu’il est bien établi dans la jurisprudence de la

Cour que les mesures conservatoires ont pour objet de faire face non pas
au «préjudice irréparable» comme tel, mais au «risque d’un préjudice
irréparable» aux droits en cause. Et c’est bien ce «risque» et l’«urgence»
d’y remédier qui doivent être démontrés lorsqu’il s’agit des mesures sol-

licitées par l’une ou l’autre des parties à l’affaire.
25. Avant d’aborder la question centrale de l’existence ou non d’un
«risque de préjudice irréparable» en l’espèce, il convient de rappeler que
les conseils de l’Uruguay ont parfois soulevé des questions de responsa-
bilité internationale qui, à mon avis, relèvent du fond du différend. Par

exemple, en rapport avec l’imputabilité de certains faits à l’Argentine ou
avec la qualification d’un comportement déterminé de l’Argentine comme
un fait international illicite. Je ne tiens donc pas compte de ces observa-
tions et déclarations dans mes considérations ci-dessous sur l’existence en
l’espèce d’un «risque de préjudice irréparable» aux droits en cause de

l’Uruguay. Dans cette procédure incidente, ce sont les faits qui comptent.
Je tâcherai donc de répondre à la question relative à l’existence du risque
en m’appuyant essentiellement sur des éléments de faits.

*

26. La notion de «préjudice irréparable» n’a pas fait l’objet d’une défi-
nition abstraite par la Cour. Mais elle se dégage de la jurisprudence et
l’on peut aussi en trouver des définitions dans les plaidoiries et dans la

doctrine (voir, par exemple, CR 2006/54, p. 46 et suiv.). Pour ce qui esmede
l’«irréparabilité», je suis d’accord avec la conclusion générale de M le
juge Higgins, dans sa déclaration au nom du Royaume-Uni dans l’affaire
relative à des Questions d’interprétation et d’application de la convention

de Montréal de 1971 résultant de l’incident aérien de Lockerbie, dans le
sens que «préserver l’intégrité et l’effectivité de la décision sur le fond
semble donc bien être l’élément central des réflexions de la Cour lorsqu’elle
se demande si les circonstances appellent l’indication de mesures conser-
vatoires» (ibid., CR 92/3 du 26 mars 1992). Quant au «préjudice», la

jurisprudence de la Cour emploie le terme dans un sens plutôt large et

35 PULP MILLS (DISS.OP. TORRES BERNÁRDEZ ) 34

of judicial proceedings and that it follows that “the Court must be con-

cerned to preserve by such measures the rights which may be subse-
quently adjudged by the Court to belong either to the Applicant or to the
Respondent” (see, for example, the Order of 8 April 1993 in the case con-
cerning Application of the Convention on the Prevention and Punishment
of the Crime of Genocide (Bosnia and Herzegovina v. Serbia and Mon-

tenegro), Provisional Measures, I.C.J. Reports 1993 , p. 19, para. 34).
Yet the prejudice itself clearly does not need to have already occurred for
provisional measures to be indicated, as the purpose of such measures is
essentially “preventative”.
24. There need only be a serious “risk” of irreparable prejudice to the

rights in dispute, in the particular circumstances of the case — including
the situation of the State in danger of suffering such prejudice — for the
Court to act. This is why it is well established in the case law of the Court
that the purpose of provisional measures is not to address “irreparable

prejudice” per se, but the “risk of irreparable prejudice” to the rights in
dispute. And it is indeed this “risk” and the “urgency” of remedying it
which must be demonstrated when either of the parties to the proceedings
seeks such measures.
25. Before turning to the central issue of the existence or not of a “risk

of irreparable prejudice” in the present case, it should be noted that
counsel of Uruguay sometimes raised questions of international respon-
sibility which, in my opinion, relate to the substance of the dispute. For
example, regarding the imputability of certain acts to Argentina or the
characterization of a particular conduct of Argentina as an interna-

tionally wrongful act. I do not therefore consider those observations and
declarations in my discussion below on the existence in the present case
of a “risk of irreparable prejudice” to Uruguay’s disputed rights. In these
incidental proceedings, it is the facts which count. I will therefore
try to answer the question of the existence of the risk essentially on the

basis of factual elements.

*

26. The notion of “irreparable prejudice” has not been given an

abstract definition by the Court. However, it emerges from the case law
and definitions can also be found in the oral pleadings and doctrine (see,
for example, CR 2006/54, pp. 46 et seq.). As far as the “irreparability” of
the prejudice is concerned, I concur with the general conclusion of Pro-
fessor Higgins in her statement on behalf of the United Kingdom in the

case concerning Questions of Interpretation and Application of the 1971
Montreal Convention arising from the Aerial Incident at Lockerbie to the
effect that “the preservation of the integrity and efficacy of the judgment
would certainly seem to be the central element in the Court’s considera-
tion of whether circumstances require the indication of interim measures”

(ibid., CR 92/3 of 26 March 1992). As for the “prejudice”, in the Court’s
case law the term has been used in a fairly broad and elastic manner. It

3535 USINES DE PÂTE À PAPIER (OP .DISS. TORRES BERNÁRDEZ )

flexible. Certainement, il ne se réduit pas, il s’en faut, à des préjudices ou

des dommages d’ordre économique.
27. Pour la majorité des juges dans l’affaire, l’Uruguay n’aurait pas
démontré le risque du préjudice irréparable aux droits en cause et/ou
l’imminence de ce risque, c’est-à-dire l’urgence. C’est le motif sur lequel
se fonde la Cour dans la présente ordonnance afin de rejeter au fond la

première mesure conservatoire demandée par l’Uruguay (ordonnance,
par. 40-43). Je suis en désaccord avec cette conclusion. Les événements
décrits dans l’ordonnance emportent pour moi un risque, bien actuel et
grave, de préjudice irréparable non seulement à des droits déterminés
revendiqués par l’Uruguay dans l’instance, mais aussi à la bonne admi-

nistration de la justice internationale. Dans cette affaire, les «circons-
tances» dont il est question à l’article 41 du Statut de la Cour consti-
tuent vraiment un unicum. Elles exigent l’indication de mesures bien
adaptées à l’espèce, c’est-à-dire fortement particularisées. En effet, il

n’arrive pas souvent que l’Etat défendeur se trouve exposé à subir, en
tant que «litigant», des préjudices économiques, sociaux et politiques
comme résultat des mesures ayant un but coercitif adoptées par des res-
sortissants de l’Etat demandeur dans le territoire de ce dernier. Ces me-
sures coercitives ont en effet, en l’espèce, le but déclaré de causer l’arrêt

de la construction de l’usine de pâte à papier Orion ou sa délocalisation,
c’est-à-dire de porter préjudice au principal droit en cause pour l’Uru-
guay dans l’affaire.
28. Et il n’est pas non plus fréquent qu’un Etat demandeur «tolère»
une telle situation, en invoquant une politique interne de persuasion

et non pas de répression à l’égard de ses mouvements sociaux et en s’abs-
tenant, par ce motif, d’adopter les mesures de «due diligence» que le
droit international général impose en la matière au souverain territorial
et, en tout premier lieu, l’obligation de ne pas laisser utiliser son terri-
toire aux fins d’actes contraires aux droits d’autres Etats (Détroit de

Corfou, fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1949 , p. 22). Le fait que, dans
l’espèce, les droits revendiqués par l’Uruguay, que visent les asam-
bleístas de Gualeguaychú et de sa zone environnante, soient des «droits
en litige» devant la Cour, ne change point lesdites obligations
de l’Argentine.

29. D’autre part, en tant que Partie à l’instance, l’Argentine a l’obliga-
tion de procédure d’adopter un comportement vis-à-vis de l’autre Partie
qui n’anticipe pas la décision finale de la Cour sur les «droits en litige»
dans l’affaire qu’elle-même a soumise à la Cour. En tout cas, la situation
se dégrade trop de jour en jour pour que la Cour puisse mettre fin à la

présente procédure incidente en déclarant tout simplement — comme
dans l’ordonnance du 13 juillet 2006 — que les circonstances, telles
qu’elles se présentent actuellement à la Cour, ne sont pas de nature à exi-
ger l’exercice de son pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires en
vertu de l’article 41 du Statut. Depuis la fin novembre 2006, les circons-

tances sont bien différentes. Elles appellent à l’exercice par la Cour de son
pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires pour préserver les droits

36 PULP MILLS DISS. OP. TORRES BERNÁRDEZ ) 35

can certainly not be limited to economic injury or loss alone.

27. For the majority of the judges in this case, Uruguay has not dem-
onstrated the risk of irreparable prejudice to the rights in dispute and/or

the imminence, that is to say urgency, of that risk. This is the ground on
which the Court relies in the present Order to dismiss the first interim
measure requested by Uruguay outright (paras. 40-43 of the Order). I
disagree with this finding. The events described in the Order in my view
entail a present and serious risk of irreparable prejudice not just to par-

ticular rights claimed by Uruguay, but also to the sound administration
of international justice. In this case, the “circumstances” referred to in
Article 41 of the Statute of the Court are really unique. They require the
indication of measures tailored to the case, that is to say highly specific.
It is rare for a respondent State to find itself exposed, as a litigant, to

economic, social and political injury as a result of measures aimed at
coercion adopted by nationals of the applicant State inside the latter’s
territory. The avowed purpose of those coercive actions in the present
case is to put an end to construction of the Orion mill or have it

relocated, that is, to prejudice the principal right at issue for Uruguay
in the case.

28. Nor does an applicant State often “tolerate” such a situation by
relying on a domestic policy of persuasion rather than repression as
regards social movements, for that reason refraining from adopting the
measures of due diligence imposed by international law on the territorial
sovereign in that domain, including first and foremost the obligation not

to allow its territory to be used for acts contrary to the rights of other
States (Corfu Channel, Merits, Judgment, I.C.J. Reports 1949 , p. 22).
The fact that, in the present case, the rights claimed by Uruguay, which
are the target of the demonstrators of Gualeguaychú and the surround-

ing area, are “rights in dispute” before the Court, does not alter the
aforementioned obligations of Argentina at all.

29. Further, as a Party to the proceedings, Argentina is procedurally
bound to conduct itself towards the other Party so as not to anticipate

the final decision of the Court on the “rights in dispute” in the case which
Argentina itself referred to the Court. In any event, the situation is
deteriorating too fast by the day for the Court to be able to end the
present incidental proceedings by simply declaring — as it did in the

Order of 13 July 2006 —that the circumstances, as they now present
themselves to the Court, are not such as to require the exercise of its
power under Article 41 of the Statute to indicate provisional measures.
Since the end of November 2006 the circumstances have been very
different. They call for the Court to exercise its power to indicate pro-

visional measures in order to preserve Uruguay’s disputed rights and

3636 USINES DE PÂTE À PAPIER (OP.DISS. TORRES BERNÁRDEZ )

de l’Uruguay en cause et pour renverser la tendance prononcée à l’aggra-

vation et à l’extension du différend.

*
30. Malgré les considérations précédentes, la Cour, au paragraphe 43

de l’ordonnance, conclut que les circonstances de l’espèce ne sont pas de
nature à exiger l’indication de la première mesure conservatoire deman-
dée par l’Uruguay, tendant à «prévenir ou faire cesser l’interruption de la
circulation» entre les deux Etats, et notamment le «blocage des ponts et
des routes» qui les relient.

31. Cette conclusion est motivée dans les paragraphes 40 et 42 de
l’ordonnance par les considérations suivantes:

1) en dépit des barrages, la construction de l’usine Botnia a considéra-
blement progressé depuis l’été 2006 et est à présent à un stade avancé;

2) il a été également démontré que d’autres itinéraires avaient été utilisés

pour la circulation des touristes et le transport des marchandises, y
compris des matériaux nécessaires aux ouvrages de l’usine Botnia;
3) la construction de l’usine se poursuit;
4) la Cour — sans examiner la question de savoir si les barrages peuvent
avoir causé ou peuvent continuer de causer des dommages à l’écono-

mie uruguayenne — n’est pas convaincue, au vu de ce qui précède,
que ces barrages pourraient causer un préjudice irréparable aux droits
que l’Uruguay prétend en l’espèce tirer du statut de 1975 en tant que
tels; et
5) il n’a pas été démontré que, quand bien même il existerait un risque de

préjudice aux droits allégués par l’Uruguay en l’espèce, celui-ci serait
imminent.

32. Ces considérations ne mettent pas en cause la matérialité des faits
comme tels concernant les barrages des routes d’accès aux ponts interna-
tionaux. Cependant, la Cour n’y voit pas un «risque imminent» de pré-
judice irréparable au droit de l’Uruguay de construire pendente lite
l’usine Orion à Fray Bentos. Je suis en désaccord avec cette conclusion de

l’ordonnance parce qu’elle est fondée sur un «réductionnisme» du concept
de «risque imminent d’un préjudice irréparable» (les italiques sont de
moi) ainsi que de la portée des «droits de l’Uruguay en cause» dans
l’affaire.
33. Ce «réductionnisme» s’explique par le fait que la Cour s’est abs-

tenue — à tort, à mon avis — d’examiner la question de savoir si les bar-
rages ont causé et/ou peuvent continuer de causer des préjudices écono-
miques et sociaux à l’Uruguay. Pourtant, c’était la raison d’être de la
demande en indication de mesures conservatoires de l’Uruguay. L’Uru-
guay a demandé l’indication de mesures conservatoires justement pour se

protéger des dommages considérables causés au commerce et au tourisme
uruguayens inhérents à la situation créée par les barrages. Pourquoi dis-je

37 PULP MILLS (DISS.OP .TORRES BERNÁRDEZ ) 36

to reverse the clear slide towards the aggravation and extension of the
dispute.

*

30. Despite the foregoing considerations, the Court, in paragraph 43
of the Order, has found that the circumstances of the present case are not
such as to require the indication of the first provisional measure requested
by Uruguay, to “prevent or end the interruption of transit” between the

two States and particularly “the blockading of [the] bridges and roads”
linking them.
31. The reasoning behind this finding is set out in paragraphs 40 to 42
of the Order as follows:

(1) notwithstanding the blockades, the construction of Botnia mill pro-
gressed significantly since the summer of 2006 and is now well

advanced;
(2) it has also been shown that other routes have been used for the
transit of tourists and goods, including the supplies required for the
Botnia mill’s installations;
(3) the construction of the plant is continuing;

(4) the Court — without addressing whether the roadblocks may have
caused or may continue to cause damage to the Uruguayan
economy — is not convinced, in view of the foregoing, that the
blockades risk prejudicing irreparably the rights which Uruguay
claims in the present case from the 1975 Statute as such; and

(5) it has not been shown that, were there such a risk of prejudice to the
rights claimed by Uruguay in the case, that risk is imminent.

32. These points do not cast any doubt on the substance of the facts as
such concerning the blockading of the access roads to the international

bridges. However, the Court does not see in this “an imminent risk” of
irreparable prejudice to Uruguay’s right pendente lite to construct the
Orion mill in Fray Bentos. I disagree with this conclusion of the Order, as
it is based on a “reductionist” approach to the concept of “imminent risk
of irreparable prejudice” and to the scope of “Uruguay’s rights in dis-

pute” in this case.

33. This “reductionism” is explained by the fact that the Court has
refrained — wrongly in my view — from considering the issue of whether

the roadblocks have caused and/or may continue to cause economic and
social prejudice to Uruguay. Yet that was the raison d’être of Uruguay’s
request for the indication of provisional measures. Uruguay requested
the indication of provisional measures precisely to protect itself from the
considerable harm caused to its trade and tourist industry inherent in the

situation created by the blockades. Why do I say wrongly? Because

3737 USINES DE PÂTE À PAPIER (OP.DISS. TORRES BERNÁRDEZ )

à tort? Parce que les barrages ont été établis par leurs auteurs dans le but

de ce que l’Uruguay paie un prix pour permettre la continuation de la
construction de l’usine Orion à Fray Bentos, c’est-à-dire un «péage».
L’Uruguay est en effet placé par ces événements — tolérés par l’Argen-
tine — devant le dilemme suivant: soit il arrête la construction de l’usine,
soit il paie un «péage» de nature économique et sociale pour continuer la

construction de l’usine.
34. Les choses étant ce qu’elles sont, le fait que la construction de
l’usine se poursuive n’est pas de nature à écarter le «risque de préjudice»
aux droits de l’Uruguay mis en cause par les barrages. Au contraire, le
préjudice représenté par ledit «péage» devient, chaque jour qui passe,

plus lourd. D’autre part, il y a une relation, indubitable et reconnue,
entre les faits qui créent objectivement le «péage» et le «droit» revendi-
qué par l’Uruguay de construire l’usine à Fray Bentos en attendant la
décision finale de la Cour. Or, la défense de ce droit par l’Uruguay n’est

nullement assujettie à aucune sorte de «péage» par le statut du fleuve
Uruguay de 1975 ou par la procédure de la Cour. En outre, le «péage»
soulève un problème de sécurité car les agissements des asambleístas sont
une source d’alarme et de tension sociale pouvant éventuellement être la
cause d’incidents frontaliers et transfrontaliers.

35. Le «péage» en question s’analyse essentiellement comme un lucre
cessant pour l’économie de l’Uruguay qui est porteur d’un «risque de
préjudice» pour les droits qu’il défend dans la présente affaire sur la base
du statut du fleuve Uruguay, notamment le droit à continuer à construire
l’usine Orion à Fray Bentos et le droit à ce que le différend juridique qui

divise l’Argentine et l’Uruguay à propos des usines de pâte à papier soit
décidé en conformité avec l’article 60 du statut du fleuve. Comme il a été
reconnu par la Cour «il se peut [en effet] que des événements privent
ensuite la requête de son objet» (Actions armées frontalières et transfron-
talières (Nicaragua c. Honduras), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J.

Recueil 1988, p. 95, par. 66). Par exemple, certaines conclusions de la
requête argentine du 4 mai 2006 sont déjà dépassées par les événements,
le projet de l’usine CMB de ENCE ayant déménagé à Punta Pereyra sur
la rive uruguayenne du Rio de la Plata. Voilà le «risque du préjudice»
aux droits en cause pour l’Uruguay dans l’affaire. La paix sociale est très

appréciée par les entreprises industrielles. Les asambleístas en sont bien
au courant, comme le prouve le fait qu’ils ont commencé le blocage
actuel de routes et de ponts peu après l’approbation du projet Orion de
Botnia par la Banque mondiale et ses institutions de crédit.
36. Le préjudice en question est, par sa nature même, irréparable car,

comme cela a été déclaré au cours des audiences par les conseils de l’Uru-
guay, l’arrêt de la Cour ne pourra faire revenir Orion à Fray Bentos si
Botnia décidait de partir. Ce n’est pas le cas en ce moment même, mais la
question n’est pas là. Ce qui compte c’est le «risque du préjudice» et ce
risque est bien présent. L’Argentine n’a pas pris les mesures qui s’im-

posent pour mettre fin à la situation créée objectivement par les barrages
et pour en empêcher la répétition à l’avenir. En outre, il est urgent d’élimi-

38 PULP MILLS DISS. OP. TORRES BERNÁRDEZ ) 37

the aim of those responsible for the blockades was to make Uruguay

pay a price for being able to continue the building of the Orion mill in
Fray Bentos, in other words a “toll”. Through these events — tolerated
by Argentina — Uruguay is faced with the following dilemma: either it
halts construction of the mill or it pays an economic and social “toll” to
continue building it.

34. Things being as they are, the fact that the construction of the mill
is continuing is not of itself apt to dispel the “risk of prejudice” to Uru-
guay’s rights which are affected by the blockades. On the contrary, the
prejudice represented by the so-called “toll” grows with every passing

day. Further, there is an undoubtable and acknowledged relationship
between the facts which have objectively created the “toll” and the
“right” claimed by Uruguay to build the mill in Fray Bentos pending the
final decision by the Court. In no way is the defence of this right by Uru-

guay subject to the imposition of any form of “toll” by virtue of the
1975 Statute of the River Uruguay or of the procedure of the Court.
Also, the “toll” raises a security problem, as the acts of the protestors are
a source of alarm and social tension, which could trigger border or trans-
border incidents.

35. The “toll” in question may essentially be viewed as lost profit for
the Uruguayan economy, one which carries “a risk of prejudice” for the
rights that the country is defending in the instant case on the basis of the
Statute of the River Uruguay, particularly the right to continue construc-
tion of the Orion mill in Fray Bentos and the right to have the legal dis-

pute between Argentina and Uruguay over the pulp mills decided in
accordance with Article 60 of the Statute of the River. As the Court has
acknowledged “subsequent events may [in fact] render an application
without object” (Border and Transborder Armed Actions (Nicaragua v.
Honduras), Jurisdiction and Admissibility, Judgment, I.C.J. Reports

1988, p. 95, para. 66). For example, certain submissions in Argentina’s
Application of 4 May 2006 have been overtaken by events, ENCE’s
planned CMB mill having been relocated to Punta Pereyra on the Uru-
guayan bank of the River Plate. Therein lies the “risk of prejudice” to the
rights in dispute for Uruguay in this case. Social peace is much appre-

ciated by industrial concerns. The protestors are well aware of this, as
proved by the fact that they began the current road and bridge blockades
shortly after Botnia’s Orion project was approved by the World Bank
and its lending institutions.
36. The prejudice in question is, by its very nature, irreparable, since,

as stated by counsel of Uruguay during the hearings, the Court’s judg-
ment will not be able to restore the Orion project to Fray Bentos should
Botnia decide to leave. Although this is not so for the moment, it is not
the point. What matters is the “risk of prejudice” and this risk is a real
and present one. Argentina has not taken the measures necessary to put

an end to the situation objectively caused by the blockades, or to prevent
a repetition of them in future. The “irreparable prejudice” also urgently

3838 USINES DE PÂTE À PAPIER (OP.DISS. TORRES BERNÁRDEZ )

ner le «préjudice irréparable» étant donné qu’il y a bien plus qu’un

«risque plus ou moins imminent». Il s’agit en effet d’un «risque actuel»
pour l’Uruguay qui existe et se développe d’une façon continue depuis la
fin de novembre 2006 avec les conséquences fâcheuses que l’on peut ima-
giner pour un développement économique soutenable du pays.
37. Ce «risque actuel» porte également atteinte au droit invoqué par

l’Uruguay à ce que le différend soit décidé par la Cour conformément à
l’article 60 du statut du fleuve Uruguay et non pas unilatéralement. La
nécessité de protéger ce droit dès maintenant n’est pas douteuse pour moi
car la durée du préjudice créé par le «péage» menace l’intégrité même du
règlement judiciaire du différend. Il n’est écrit nulle part qu’un Etat

défendeur doit supporter une telle situation pour faire valoir son droit
dans une affaire devant la Cour. D’ailleurs, dans la pratique de la Cour,
il y a des exemples de mesures conservatoires indiquées en application du
principe de la bonne administration de la justice internationale.

38. Ajoutons que le préjudice causé à l’économie uruguayenne par les
barrages n’est nullement un préjudice que l’Uruguay est censé subir en
vertu du droit matériel applicable au différend juridique devant la
Cour — c’est-à-dire le statut du fleuve Uruguay de 1975 — ni non plus en
vertu du Statut ou du Règlement de la Cour ou d’une décision de celle-ci,

étant donné que l’ordonnance du 13 juillet 2006 rejeta la demande en
indication de mesures conservatoires soumise par l’Argentine le 4 mai 2006
lors du dépôt de sa requête.
39. En outre, l’on n’est pas prima facie devant une hypothèse de dam-
num sine injuria esse potest . L’Uruguay a un droit d’action pour deman-

der que cessent les barrages et les agissements des asambleístas qui
causent le préjudice signalé à son économie, et l’Argentine a des obliga-
tions particulières en la matière en tant qu’Etat sur le territoire duquel les
faits en question sont commis ainsi qu’en tant qu’Etat partie à la présente
instance. Il est surprenant que, pour le moment, ces deux qualités n’aient

pas poussé les autorités argentines à mettre fin aux barrages des routes
argentines d’accès aux ponts internationaux placés par des groupes de
citoyens argentins organisés qui déclarent ouvertement que l’objectif
poursuivi par leur action est que l’Uruguay arrête la construction d’Orion
à Fray Bentos ou qu’il délocalise l’usine ailleurs. Les devoirs de l’Argen-

tine en la matière existent objectivement comme résultat de la localisation
géographique des événements générateurs du risque d’un préjudice irré-
parable en territoire de la République argentine et de la nationalité des
asambleístas.
40. La question de la construction d’Orion à Fray Bentos est un des

éléments du différend juridique sur l’interprétation et l’application du
statut du fleuve Uruguay de 1975 que la République argentine a demandé
à la Cour de régler. Or, si l’on se place, comme il se doit, dans le contexte
de ce statut, qui est un traité bilatéral entre l’Argentine et l’Uruguay, on
constate prima facie, dès son article premier, que l’utilisation rationnelle

et optimale du fleuve, dans le strict respect des droits et des obligations
découlant des traités et autres engagements internationaux en vigueur à

39 PULP MILLS (DISS.OP. TORRES BERNÁRDEZ ) 38

needs to be eliminated as there is much more than a “more or less

imminent risk”. It is indeed a “present risk” for Uruguay, one which
exists and has steadily increased since the end of November 2006 with the
regrettable consequences that can be readily imagined for the sustain-
able economic development of the country.
37. This “present risk” also impairs the right relied on by Uruguay to

have the dispute settled by the Court in accordance with Article 60 of the
Statute of the River Uruguay and not unilaterally. The need to protect
that right immediately is not in doubt in my view for the continuation of
the prejudice created by the “toll” threatens the very integrity of the legal
settlement of the dispute. Nowhere is it stated that the Respondent must

tolerate such a situation in order to assert its right in a case before the
Court. Moreover, in the practice of the Court, there are examples of pro-
visional measures indicated in accordance with the principle of the sound
administration of international justice.

38. I would add that the prejudice caused to Uruguay’s economy by
the blockades is by no means a prejudice which Uruguay is supposed to
suffer under the substantive law applicable to the legal dispute before the
Court — in other words, the 1975 Statute of the River Uruguay — nor
under the Court’s Statute or Rules or a decision of the Court, given that

the Order of 13 July 2006 dismissed the request for the indication of pro-
visional measures submitted by Argentina on 4 May 2006 when filing its
Application instituting proceedings.
39. Further, this is not prima facie a situation of damnum sine injuria
esse potest. Uruguay has a right of action to request the cessation of the

blockades and actions of the protesters, which are causing the said preju-
dice to its economy and Argentina has particular obligations here as the
State on whose territory the acts in question are being committed, and
also as a State party to the present case. It is surprising that, hitherto,
these two obligations have not prompted the Argentine authorities to put

an end to the blockading of the Argentinian access roads to the interna-
tional bridges by organized groups of Argentine nationals, who openly
state that the object of their action is to halt Uruguay’s construction of
the Orion mill at Fray Bentos or for it to site the mill elsewhere. Argen-
tina’s duties here do indeed objectively exist by virtue of the geographical

location of the events which are the cause of the risk of irreparable preju-
dice in the territory of the Argentine Republic and also by virtue of the
nationality of the protesters.

40. The question of the building of the Orion mill at Fray Bentos is

one of the elements of the legal dispute on the interpretation and applica-
tion of the 1975 Statute of the River Uruguay which the Argentine
Republic has asked the Court to settle. If, as we should, we view matters
in the context of that Statute, which is a bilateral treaty between Argen-
tina and Uruguay, we note prima facie, in Article 1, that the optimum

and rational utilization of the river, strictly respecting the rights and obli-
gations deriving from the treaties and other international instruments in

3939 USINES DE PÂTE À PAPIER (OP .DISS. TORRES BERNÁRDEZ )

l’égard de l’une ou l’autre des Parties, est un principe de base du traité et

un objectif du statut du fleuve.
41. Cela étant, je ne peux que conclure prima facie qu’il existe égale-
ment une relation juridique entre: 1) les faits relatifs aux barrages de
routes et de ponts par les asambleístas, tolérés par les autorités argen-
tines, 2) le risque actuel d’un préjudice irréparable pour les droits de l’Uru-

guay en cause, 3) le principe de l’utilisation rationnelle et optimale du
fleuve Uruguay et de ses eaux, y compris à des fins industrielles dans le
respect du régime du fleuve et la qualité de ses eaux (statut de 1975,
art. 27), et 4) le règlement judiciaire des différends du statut. Cette rela-
tion juridique est pour moi largement suffisante dans cette procédure

incidente pour que la Cour puisse indiquer des mesures conservatoires en
vue de mettre fin aux barrages en question. Ma conclusion est confirmée
par les conclusions de la requête introductive d’instance dans lesquelles
l’Argentine prie la Cour de dire et juger que «l’Uruguay a manqué aux

obligations lui incombant en vertu du statut de 1975 et des autres règles
de droit international auxquelles ce statut renvoie, y compris mais pas
seulement...» (ordonnance, par. 3).
42. A la lumière des considérations précédentes, et compte tenu des
arguments et de la documentation présentés par les Parties, j’estime que

les circonstances de l’espèce sont de nature à indiquer la première mesure
conservatoire sollicitée par l’Uruguay, à savoir que l’Argentine doit
prendre:

«toutes les mesures raisonnables et appropriées qui sont à sa disposi-
tion pour prévenir ou faire cesser l’interruption de la circulation
entre l’Uruguay et l’Argentine, notamment le blocage de ponts et de
routes entre les deux Etats».

*

43. Ainsi, je suis en désaccord avec le rejet par l’ordonnance de la pre-
mière mesure conservatoire demandée par l’Uruguay. Et je le suis égale-
ment en ce qui concerne la non-indication dans le dispositif de l’ordon-
nance d’une mesure conservatoire tendant à éviter l’aggravation ou
l’extension du différend ou d’en rendre le règlement plus difficile, ques-

tion posée par la deuxième mesure conservatoire sollicitée par l’Uruguay.
En tout cas, le motif (ordonnance, par. 49 et 50) sur la base duquel
l’ordonnance rejette l’indication de la deuxième mesure conservatoire
demandée par l’Uruguay ne m’empêche pas de le faire, car je viens de
conclure ci-dessus que je considère que les circonstances et les conditions

pour l’indication de la première mesure conservatoire demandée par
l’Uruguay sont remplies.
44. J’estime que les circonstances particulières de l’affaire — y compris
celles postérieures aux audiences qui sont dans le domaine public —
appellent l’indication urgente de mesures provisoires relatives à la non-

aggravation et à la non-extension du différend adressées aux deux Parties.
Sur ce dernier aspect, je m’éloigne donc de la formulation donnée par

40 PULP MILLS (DISS. OP.TORRES BERNÁRDEZ ) 39

force with respect to either of the Parties, is a basic principle of the treaty

and one of the objectives of the Statute of the River.
41. This being so, I can only conclude prima facie that there is also a
legal relation between: (1) the facts relating to the blockades of roads and
bridges by the protesters, tolerated by the Argentine authorities, (2) the
present risk of irreparable prejudice to the rights of Uruguay in issue,

(3) the principle of the optimum and rational utilization of the River
Uruguay and its waters, including for industrial purposes, respecting the
régime of the river or the quality of its waters (Art. 27 of the 1975 Stat-
ute), and (4) the legal settlement of disputes arising under the Statute.
For me, this legal relation is more than adequate in these incidental pro-

ceedings for the Court to be able to indicate provisional measures in
order to put an end to the blockades concerned. My conclusion is con-
firmed by the submissions in the Application instituting proceedings,
in which Argentina requests the Court to adjudge and declare that

“Uruguay has breached the obligations incumbent upon it under the 1975
Statute and the other rules of international law to which that instru-
ment refers, including but not limited to . . .” (Order, para. 3).
42. In light of the above considerations, and bearing in mind the argu-
ments of the Parties and the documentation presented by them, I con-

sider that the circumstances of the case are such as to support the indica-
tion of the first provisional measure requested by Uruguay, namely that
Argentina:

“shall take all reasonable and appropriate steps at its disposal to
prevent or end the interruption of transit between Uruguay and
Argentina, including the blockading of bridges and roads between
the two States”.

*

43. I therefore disagree with the dismissal in the Order of the first pro-
visional measure requested by Uruguay. And I also disagree with the fail-
ure to indicate, in the operative paragraph of the Order, a provisional
measure seeking to prevent the aggravation or extension of the dispute or
render its settlement more difficult, which is the question posed by the

second provisional measure requested by Uruguay. In any event, the
ground (paras. 49 and 50 of the Order) on which the Order dismisses the
indication of the second provisional measure requested by Uruguay does
not prevent me from supporting it, for I have just concluded above that
the circumstances and conditions for the indication of the first pro-

visional measure requested by Uruguay are satisfied in my view.

44. I consider that the particular circumstances of the case — includ-
ing those subsequent to the hearings which are in the public domain —
urgently call for the indication of provisional measures relating to the

non-aggravation and non-extension of the dispute addressed to both
Parties. On the latter aspect, I therefore diverge from Uruguay’s wording

4040 USINES DE PÂTE À PAPIER (OP. DISS.TORRES BERNÁRDEZ )

l’Uruguay à la deuxième mesure qu’il sollicite. Je le fais en application de

l’article 75, paragraphe 2, du Règlement de la Cour.
45. La jurisprudence de la Cour des dernières années a souligné toute
l’importance du pouvoir de la Cour d’indiquer des mesures conserva-
toires en vue d’empêcher l’aggravation ou l’extension du différend indé-
pendamment des demandes des parties. Par exemple, en 1996 — avant

donc l’arrêt en l’affaire LaGrand —, les motifs de l’ordonnance indiquant
des mesures conservatoires dans l’affaire de la Frontière terrestre et mari-
time entre le Cameroun et le Nigéria disaient déjà:

«indépendamment des demandes en indication de mesures conserva-
toires présentées par les parties à l’effet de sauvegarder des droits

déterminés, la Cour dispose, en vertu de l’article 41 de son Statut, du
pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires en vue d’empêcher
l’aggravation ou l’extension du différend quand elle estime que les
circonstances l’exigent (cf. Différend frontalier, mesures conserva-
toires, ordonnance du 10 janvier 1986, C.I.J. Recueil 1986 ,p .,

par. 18)» (C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 22, par. 41).

Des déclarations similaires ont été également incorporées dans les motifs
d’autres ordonnances postérieures à l’affaire LaGrand (voir C.I.J. Recueil
2003, p. 111, par. 39).
46. En tout cas, les circonstances de la présente affaire tendant à

s’aggraver, la Cour aurait dû indiquer des mesures conservatoires à la
charge des deux Parties pour éviter l’aggravation et l’extension du diffé-
rend. Si le rejet par la Cour de la première mesure sollicitée par l’Uruguay
créait un obstacle quelconque pour indiquer une mesure de ce genre dans
le dispositif de la présente ordonnance, la Cour aurait pu s’appuyer sur le

droit international, à savoir sur le

««principe universellement admis devant les juridictions internatio-
nales et consacré d’ailleurs dans maintes conventions ... d’après
lequel les parties en cause doivent s’abstenir de toute mesure sus-
ceptible d’avoir une répercussion préjudiciable à l’exécution de la

décision à intervenir et, en général, ne laisser procéder à aucun acte,
de quelque nature qu’il soit, susceptible d’aggraver ou d’étendre le
différend» (Compagnie d’électricité de Sofia et de Bulgarie, ordonnance
du 5 décembre 1939, C.P.J.I. série A/B nº 79 , p. 199)» (LaGrand
(Allemagne c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2001 ,

p. 503, par. 103).

*

47. Finalement, je suis d’accord avec l’ordonnance pour ce qui est du
rejet de la troisième mesure conservatoire sollicitée par l’Uruguay, mais

non pas pour le motif indiqué (ordonnance, par. 51). Je rejette la troi-
sième mesure parce qu’elle manque de précision et qu’elle n’est pas suf-

41 PULP MILLS (DISS. OP.TORRES BERNÁRDEZ ) 40

of the second measure it requests. I do so pursuant to Article 75, para-
graph 2, of the Rules of Court.
45. The case law of the Court in recent years has stressed the full
importance of the Court’s power to indicate provisional measures with a

view to preventing the aggravation or extension of a dispute indepen-
dently of the parties’ requests. For example, in 1996 — in other words,
before the Judgment in the LaGrand case — the reasoning in the Order
indicating provisional measures in the case concerning the Land and
Maritime Boundary between Cameroon and Nigeria stated:

“independently of the requests for the indication of provisional
measures submitted by the Parties to preserve specific rights, the
Court possess by virtue of Article 41 of the Statute the power to
indicate provisional measures with a view to preventing the aggrava-
tion or extension of the dispute (cf. Frontier Dispute, Provisional

Measures, Order of 10 January 1986, I.C.J. Reports 1986 ,p .,
para. 18)” (I.C.J. Reports 1996 (I) , pp. 22-23, para. 41).

Similar statements have also been incorporated into the reasoning in
other Orders after the LaGrand case (see I.C.J. Reports 2003, p. 111,

para. 39).
46. In any event, as the circumstances of the present case are
deteriorating, the Court should have indicated provisional measures
for both Parties to avoid the aggravation and extension of the dispute.

If the Court’s dismissal of the first measure requested by Uruguay
created any impediment whatever to the indication of such a measure
in the operative paragraph of the present Order, the Court could have
relied on international law, namely, on the

“‘principle universally accepted by international tribunals and like-

wise laid down in many conventions . . . to the effect that the parties
to a case must abstain from any measure capable of exercising a
prejudicial effect in regard to the execution of the decision to be
given and, in general, not allow any step of any kind to be taken
which might aggravate or extend the dispute’ (Electricity Company

of Sofia and Bulgaria, Order of 5 December 1939, P.C.I.J.,
Series A/B, No. 79, p. 199)” (LaGrand (Germany v. United States of
America), Judgment, I.C.J. Reports 2001, p. 503, para. 103).

*

47. Lastly, I concur with the Order as regards its dismissal of the third
provisional measure requested by Uruguay, but not for the reason indi-
cated (Order, para. 51). I reject the third measure because it is too vague

and insufficiently specific and because I consider that the circumstances

4141 USINES DE PÂTE À PAPIER (OP. DISS.TORRES BERNÁRDEZ )

fisamment concrète et parce que j’estime que les circonstances de l’affaire
à l’heure actuelle n’exigent pas l’indication d’une mesure d’une portée
aussi vaste.

*

48. En bref, je suis d’accord avec la conclusion de l’ordonnance concer-

nant la compétence prima facie de la Cour pour connaître de la demande
en indication de mesures conservatoires de l’Uruguay et sur le rejet de la
troisième mesure sollicitée. En revanche, je suis en désaccord avec l’ordon-
nance en ce qui concerne le rejet de la première mesure sollicitée ainsi que

sur le rejet de la deuxième mesure reformulée de façon à l’adresser aux
deux Parties. Ces deux points de désaccord m’ont empêché de voter en
faveur de l’ordonnance.

(Signé) Santiago T ORRES B ERNÁRDEZ .

42 PULP MILLS (DISS.OP .TORRES BERNÁRDEZ ) 41

of the case do not currently require the indication of a measure so broad
in scope.

*

48. In short, I concur with the conclusion in the Order regarding the

prima facie jurisdiction of the Court to entertain Uruguay’s request for
the indication of provisional measures and with the dismissal of the third
measure requested. On the other hand, I disagree with the Order as
regards its dismissal of the first measure requested and as regards its

dismissal of the second measure reformulated so as to be addressed to
both Parties. These two points of disagreement have prevented me from
voting in favour of the Order.

(Signed) Santiago T ORRES BERNÁRDEZ .

42

Document file FR
Document Long Title

Opinion dissidente de M. le juge ad hoc Torres Bernárdez

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