Déclaration de M. le juge Buergenthal

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135-20070123-ORD-01-02-EN
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135-20070123-ORD-01-00-EN
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21

DÉCLARATION DE M. LE JUGE BUERGENTHAL

[Traduction]

1. Si je souscris à sa décision de rejeter la demande en indication de
mesures conservatoires soumise par l’Uruguay en la présente affaire, je

regrette que, pour y aboutir, la Cour ait postulé que le pouvoir qu’elle
tient de l’article 41 de son Statut est limité à un certain type de mesures
conservatoires.
2. La Cour a, selon moi, le pouvoir d’indiquer deux types distincts de
mesures conservatoires. En ne prenant en compte que l’un d’entre eux, la

Cour a, en l’espèce, manqué une occasion de mener un examen appro-
fondi du rapport d’ordre juridique entre l’existence de mesures coercitives
extrajudiciaires et son pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires du
second type.
3. L’indication, par la Cour, du premier type de mesures conserva-
toires est subordonnée au constat d’une nécessité urgente liée au risque de

préjudice ou de dommage irréparable pesant sur les droits objets d’un dif-
férend relevant, prima facie, de sa compétence. C’est à une demande en
indication de mesures de ce type, présentée par l’Argentine, que la Cour
a refusé de faire droit en juillet dernier, au motif que l’Argentine n’avait
pas démontré que, en l’absence de telles mesures à ce stade de la procé-
dure, les droits en litige entre les Parties subiraient un préjudice ou un

dommage irréparable. C’est à ce même titre que la Cour refuse d’indiquer
les mesures conservatoires aujourd’hui sollicitées par l’Uruguay.

4. Or, telle n’est pas, selon moi, la seule considération susceptible de
motiver l’indication de mesures conservatoires. En 1939, déjà, la Cour

permanente de Justice internationale, invoquant l’article 41 de son Statut,
libellé en des termes identiques à ceux de l’article 41 du Statut de la
présente Cour, avait indiqué deux types de mesures conservatoires
lorsqu’elle avait prescrit à la Bulgarie de «veille[r] à ce qu’il ne soit pro-
cédé à aucun acte, de quelque nature qu’il soit, susceptible de préjuger des
droits réclamés par le Gouvernement belge ou d’aggraver ou d’étendre

le différend soumis à la Cour» (Compagnie d’électricité de Sofia et de
Bulgarie, ordonnance du 5 décembre 1939, C.P.J.I. série A/B n° 79 ,
p. 199). En faisant valoir son pouvoir d’indiquer les mesures conserva-
toires susmentionnées, la Cour permanente de Justice internationale avait
en outre souligné que l’article 41 de son Statut

«appliqu[ait] le principe universellement admis devant les juridic-
tions internationales ... d’après lequel les parties en cause doivent
s’abstenir de toute mesure susceptible d’avoir une répercussion pré-
judiciable à l’exécution de la décision à intervenir et, en général, ne

22 USINES DE PÂTE À PAPIER (DÉCL .BUERGENTHAL ) 22

laisser procéder à aucun acte, de quelque nature qu’il soit, suscep-
tible d’aggraver ou d’étendre le différend...» (C.P.J.I. série A/B
n 79, p. 199).

5. Par la suite, la Cour internationale de Justice a adopté des mesures
conservatoires semblables à celle indiquée par la Cour permanente de
Justice internationale dans l’affaire précitée. Ainsi la Chambre constituée

en l’affaire Burkina Faso/République du Mali a-t-elle déclaré disposer
«en vertu de l’article 41 du Statut du pouvoir d’indiquer des mesures
conservatoires en vue d’empêcher l’aggravation ou l’extension du

différend quand elle estime que les circonstances l’exigent...» (Diffé-
rend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), mesures conser-
vatoires, ordonnance du 10 janvier 1986, C.I.J. Recueil 1986 ,p .9,
par. 18),

avant de prescrire des mesures conservatoires invitant les deux gouverne-
ments à

«veille[r] l’un et l’autre à éviter tout acte qui risquerait d’aggraver ou
d’étendre le différend dont la Chambre est saisie ou de porter atteinte
au droit de l’autre Partie à obtenir l’exécution de tout arrêt que

la Chambre pourrait rendre en l’affaire...» (ibid., p. 11-12, par. 32,
al. 1), point A)).

Dans l’affaire de la Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et
le Nigéria (Cameroun c. Nigéria) , la Cour a repris mot pour mot la
conclusion à laquelle était parvenue la Chambre, à savoir que

«la Cour dispose, en vertu de l’article 41 de son Statut, du pouvoir
d’indiquer des mesures conservatoires en vue d’empêcher l’aggra-
vation ou l’extension du différend quand elle estime que les cir-

constances l’exigent...» (C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 22-23, par. 41).
De même a-t-elle, en l’affaire Congo c. Ouganda, cité le passage de l’arrêt
Cameroun c. Nigéria (par. 44) et indiqué notamment les mesures conser-

vatoires suivantes:
«Les deux Parties doivent, immédiatement, prévenir et s’abstenir de

tout acte, et en particulier de toute action armée, qui risquerait de por-
ter atteinte aux droits de l’autre Partie au regard de tout arrêt que
la Cour pourrait rendre en l’affaire, ou qui risquerait d’aggraver ou
d’étendre le différend porté devant elle ou d’en rendre la solution plus

difficile...» (Activités armées sur le territoire du Congo (République
démocratique du Congo c. Ouganda), mesures conservatoires, ordon-
nance du 1 er juillet 2000, C.I.J. Recueil 2000, p. 129, par. 47, al. 1).)

6. Il ne s’agit là que de quelques exemples de décisions prises en ce sens
par la présente Cour, reposant sur le postulat que celle-ci dispose, en
vertu de l’article 41, du pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires
aux fins d’empêcher une partie à un différend dont elle est saisie d’influen-

cer ou d’entraver la procédure judiciaire par des méthodes coercitives

23 USINES DE PÂTE À PAPIER (DÉCL .BUERGENTHAL ) 23

extrajudiciaires, sans rapport avec les droits spécifiques en litige et ten-

dant, ou sciemment destinées, à saper la bonne administration de la jus-
tice dans une affaire en cours. Et, de fait, c’est son droit de ne pas être
soumis à une telle ingérence que l’Uruguay a cherché à faire valoir en
invoquant celui de voir trancher, en la présente affaire, la question des
droits qu’il tire du statut du fleuve Uruguay de 1975 sans être soumis à

des mesures économiques coercitives de nature extrajudiciaire.
7. Incontestablement, la Cour n’a pas compétence à l’égard du blocage
des ponts en tant que tel, puisque le statut du fleuve Uruguay de 1975, en
vertu duquel elle semble compétente prima facie pour connaître du pré-
sent différend, porte exclusivement sur le régime du fleuve. Il paraît tou-

tefois difficilement concevable que la Cour ne dispose pas des pouvoirs
— reconnus aux instances judiciaires en général et qui trouvent, d’après
moi, leur expression dans l’article 41 de son Statut — nécessaires pour
éviter que le recours, par l’une des parties, à des mesures coercitives

extrajudiciaires contre la partie adverse ne mette en péril ni ne rende plus
difficile un règlement conforme à une bonne administration de la justice
des différends dont elle est saisie. Tel est, du reste, ce que la Cour semble
avoir affirmé dans les affaires précitées, lorsqu’elle s’est prévalue du pou-
voir d’indiquer des mesures conservatoires en vue d’empêcher l’aggrava-

tion du différend.
8. Il est vrai que la Cour a eu tendance, lorsqu’elle a indiqué de telles
mesures, à joindre les deux types de mesures conservatoires dans un
même paragraphe du dispositif, et qu’elle n’a pas, jusqu’à présent, eu
l’occasion d’en indiquer dans une affaire où n’étaient pas aussi prescrites

des mesures du premier type. S’il ne s’ensuit pas nécessairement qu’elle ne
puisse le faire, il a pu en être déduit que les mesures conservatoires du
second type étaient simplement subordonnées aux premières et que, en
conséquence, la Cour n’avait pas, dans le cadre de l’article 41, le pouvoir
d’indiquer celles-là indépendamment de celles-ci.

9. Telle est au fond la manière de voir adoptée par la Cour en la présente
instance. Ainsi note-t-elle, au paragraphe 31 de son ordonnance, que

«le pouvoir ... d’indiquer des mesures conservatoires en vertu de
l’article 41 du Statut vise à lui permettre de sauvegarder le droit de
chacune des parties à une affaire «[e]n attendant l’arrêt définitif»,
pourvu que de telles mesures soient nécessaires pour empêcher que
soit causé un préjudice irréparable aux droits en litige».

Au paragraphe suivant, la Cour souligne que ce pouvoir «d’indiquer des
mesures conservatoires ne peut être exercé que s’il y a nécessité urgente

d’empêcher que soit causé un préjudice irréparable à de tels droits, avant
[qu’elle] n’ait eu l’occasion de rendre sa décision définitive». Cela posé, la
Cour conclut qu’elle ne saurait indiquer aucune des trois mesures conser-
vatoires demandées par l’Uruguay (paragraphe 13 de l’ordonnance), au
motif que celui-ci n’a pas démontré que les actions qu’il attribue à

l’Argentine font peser sur les droits qui lui sont contestés un risque immi-
nent de préjudice irréparable.

24 USINES DE PÂTE À PAPIER DÉCL . BUERGENTHAL ) 24

10. Ces conclusions s’appuient sur une interprétation de l’article 41

selon laquelle la Cour n’aurait pas le pouvoir d’indiquer des mesures
conservatoires dès lors qu’il n’a pas été établi que pèserait sur l’objet du
différend entre les parties — celui-là même à l’égard duquel la Cour est à
tout le moins compétente prima facie — un risque imminent de préjudice
irréparable. La Cour, aux paragraphes 40 et 41 de son ordonnance, en

conclut dès lors, concernant la première demande en indication de me-
sures conservatoires de l’Uruguay:

«40. Considérant que la Cour, ayant entendu les Parties en leurs
plaidoiries, estime que, en dépit des barrages, la construction de
l’usine Botnia a considérablement progressé depuis l’été 2006, deux
nouvelles autorisations ayant été accordées, et qu’elle est à présent

bien avancée; que la construction de l’usine se poursuit donc;

41. Considérant que la Cour, sans examiner la question de savoir
si les barrages peuvent avoir causé ou peuvent continuer de causer
des dommages à l’économie uruguayenne, n’est pas convaincue, au

vu de ce qui précède, que ces barrages risquent de causer un préju-
dice irréparable aux droits que l’Uruguay prétend en l’espèce tirer du
statut de 1975 en tant que tels...»

La Cour rejette les deuxième et troisième mesures conservatoires sollici-
tées par l’Uruguay pour les mêmes motifs.
11. D’après moi, ces conclusions de la Cour ne tiennent pas compte du
libellé de l’article 41 et des pouvoirs conférés à toute institution judiciaire.

L’article 41 se lit comme suit:
«La Cour a le pouvoir d’indiquer, si elle estime que les circons-

tances l’exigent, quelles mesures conservatoires du droit de chacun
doivent être prises à titre provisoire.»

Cette formulation autorise une interprétation moins restrictive, reflétée
dans les affirmations répétées de la Cour selon lesquelles elle

«dispose, en vertu de l’article 41 de son Statut, du pouvoir d’indi-
quer des mesures conservatoires en vue d’empêcher l’aggravation
ou l’extension du différend quand elle estime que les circonstances
l’exigent».

Si la Cour, ainsi qu’elle le souligne au paragraphe 49 de son ordonnance,
a, dans tous les précédents qu’elle cite, également indiqué des mesures
conservatoires du premier type, il n’en reste pas moins que l’article 41 du

Statut subordonne la décision d’indiquer ou non des mesures conserva-
toires aux «circonstances» susceptibles de rendre de telles mesures néces-
saires. Ces circonstances peuvent recouvrir un risque imminent de préju-
dice irréparable pesant sur les droits en litige. Mais, indépendamment de
ce cas de figure, rien dans la jurisprudence de la Cour n’amène à exclure

formellement qu’elles puissent aussi recouvrir des situations dans les-
quelles une partie à l’affaire recourt à des mesures coercitives extrajudi-

25 USINES DE PÂTE À PAPIER (DÉCL .BUERGENTHAL ) 25

ciaires sans rapport avec l’objet du différend, qui entraînent l’aggravation
de ce dernier en tant qu’elles sont prises dans le dessein de saper ou d’entra-

ver les droits dont dispose la partie adverse pour assurer sa défense devant
la Cour. Le critère ne consisterait pas alors à savoir si un risque imminent
de dommage irréparable pèse sur l’objet du différend, mais si les actions
en cause ont des répercussions particulièrement préjudiciables sur l’apti-

tude de la partie sollicitant les mesures conservatoires à protéger pleine-
ment ses droits dans le cadre de la procédure judiciaire.
12. S’il ne saurait être nié que le blocage des ponts a entraîné, pour
l’Uruguay, un préjudice économique considérable, ce qui est fort regret-
table, les éléments versés au dossier ne nous permettent pas de conclure

que ces actions ont sérieusement compromis l’aptitude de celui-ci à pro-
téger effectivement ses droits en général dans la procédure judiciaire pen-
dante devant la Cour.

(Signé) Thomas B UERGENTHAL .

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21

DECLARATION OF JUDGE BUERGENTHAL

1. Although I agree with the Court’s decision to deny Uruguay’s
request for provisional measures in this case, I regret that in doing so the

Court assumed that its power under Article 41 of its Statute is limited to
only one type of provisional measures.

2. The Court has the power, in my opinion, to indicate two distinct
types or categories of provisional measures. By focusing only on one

type, the Court has missed an opportunity in this case to fully address the
legal implications of extrajudicial coercive measures as far as its power to
indicate the second type of provisional measures is concerned.

3. The first type of provisional measures order requires a finding that
there is an urgent need for the Court to indicate such measures because

of the risk of irreparable prejudice or harm to the rights that are the sub-
ject of the dispute over which the Court has prima facie jurisdiction. This
was the type of provisional measures order the Court refused to grant
Argentina last July because it found that Argentina had failed to
demonstrate that it would suffer irreparable harm or prejudice to the
rights in dispute between the Parties if the order were not indicated at

that stage of the proceedings. And this is the ground upon which the
Court relies in declining to indicate the provisional measures requested
by Uruguay in the present case.
4. But in my view this is not the only ground that may justify the grant
of provisional measures. As early as 1939, the Permanent Court of Inter-

national Justice, invoking Article 41 of its Statute, which was identical to
the wording of Article 41 of the Statute of this Court, indicated two types
of provisional measures when it required Bulgaria to “ensure that no step
of any kind is taken capable of prejudicing the rights claimed by the Bel-
gian Government or of aggravating or extending the dispute submitted to
the Court” (Electricity Company of Sofia and Bulgaria, Order of 5 Decem-

ber 1939, P.C.I.J., Series A/B, No. 79 , p. 199). In asserting its power to
order the aforementioned provisional measures, the Permanent Court
of International Justice emphasized, moreover, that Article 41 of its
Statute

“applies the principle universally accepted by international
tribunals . . . to the effect that the parties to a case must abstain from
any measure capable of exercising a prejudicial effect in regard to
the execution of the decision to be given and, in general, not allow

22 21

DÉCLARATION DE M. LE JUGE BUERGENTHAL

[Traduction]

1. Si je souscris à sa décision de rejeter la demande en indication de
mesures conservatoires soumise par l’Uruguay en la présente affaire, je

regrette que, pour y aboutir, la Cour ait postulé que le pouvoir qu’elle
tient de l’article 41 de son Statut est limité à un certain type de mesures
conservatoires.
2. La Cour a, selon moi, le pouvoir d’indiquer deux types distincts de
mesures conservatoires. En ne prenant en compte que l’un d’entre eux, la

Cour a, en l’espèce, manqué une occasion de mener un examen appro-
fondi du rapport d’ordre juridique entre l’existence de mesures coercitives
extrajudiciaires et son pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires du
second type.
3. L’indication, par la Cour, du premier type de mesures conserva-
toires est subordonnée au constat d’une nécessité urgente liée au risque de

préjudice ou de dommage irréparable pesant sur les droits objets d’un dif-
férend relevant, prima facie, de sa compétence. C’est à une demande en
indication de mesures de ce type, présentée par l’Argentine, que la Cour
a refusé de faire droit en juillet dernier, au motif que l’Argentine n’avait
pas démontré que, en l’absence de telles mesures à ce stade de la procé-
dure, les droits en litige entre les Parties subiraient un préjudice ou un

dommage irréparable. C’est à ce même titre que la Cour refuse d’indiquer
les mesures conservatoires aujourd’hui sollicitées par l’Uruguay.

4. Or, telle n’est pas, selon moi, la seule considération susceptible de
motiver l’indication de mesures conservatoires. En 1939, déjà, la Cour

permanente de Justice internationale, invoquant l’article 41 de son Statut,
libellé en des termes identiques à ceux de l’article 41 du Statut de la
présente Cour, avait indiqué deux types de mesures conservatoires
lorsqu’elle avait prescrit à la Bulgarie de «veille[r] à ce qu’il ne soit pro-
cédé à aucun acte, de quelque nature qu’il soit, susceptible de préjuger des
droits réclamés par le Gouvernement belge ou d’aggraver ou d’étendre

le différend soumis à la Cour» (Compagnie d’électricité de Sofia et de
Bulgarie, ordonnance du 5 décembre 1939, C.P.J.I. série A/B n° 79 ,
p. 199). En faisant valoir son pouvoir d’indiquer les mesures conserva-
toires susmentionnées, la Cour permanente de Justice internationale avait
en outre souligné que l’article 41 de son Statut

«appliqu[ait] le principe universellement admis devant les juridic-
tions internationales ... d’après lequel les parties en cause doivent
s’abstenir de toute mesure susceptible d’avoir une répercussion pré-
judiciable à l’exécution de la décision à intervenir et, en général, ne

2222 PULP MILLS (DECL .BUERGENTHAL )

any step of any kind to be taken which might aggravate or extend

the dispute” (P.C.I.J., Series A/B, No. 79 , p. 199).

5. The International Court of Justice has over the years adopted pro-
visional measures similar to the one the Permanent Court of Interna-
tional Justice indicated in the above case. Thus, for example, in the
Burkina Faso/Republic of Mali case, the ICJ Chamber declared that

“the Court or, accordingly, the chamber possesses by virtue of
Article 41 of the Statute the power to indicate provisional measures
with a view to preventing the aggravation or extension of the dis-

pute whenever it considers that circumstances so require” (Frontier
Dispute (Burkina Faso/Republic of Mali), Provisional Measures,
Order of 10 January 1986, I.C.J. Reports 1986 , p. 9, para. 18).

The Chamber then entered provisional measures that called on both
Governments to

“ensure that no action of any kind is taken which might aggravate or
extend the dispute submitted to the Chamber or prejudice the rights
of the other Party to compliance with whatever judgment the Cham-
ber may render in the case” (ibid., pp. 11-12, para. 32 (1) (A).)

In the Land and Maritime Boundary between Cameroon and Nigeria
(Cameroon v. Nigeria) case, the Court repeated verbatim the conclusion

of the Chamber that
“the Court possesses by virtue of Article 41 of the Statute the power

to indicate provisional measures with a view to preventing the aggra-
vation or extension of the dispute whenever it considers that circum-
stances so require” (I.C.J. Reports 1996 (I), pp. 22-23, para. 41).

Again, in the Congo v. Uganda case, the Court quoted the language from
the Cameroon v. Nigeria case (para. 44) and indicated the following pro-
visional measures, inter alia :

“Both Parties must, forthwith, prevent and refrain from any action,
and in particular any armed action, which might prejudice the rights
of the other Party in respect of whatever judgment the Court may
render in the case, or which might aggravate or extend the dispute

before the Court or make it more difficult to resolve.” (Armed
Activities on the Territory of the Congo (Democratic Republic of
the Congo v. Uganda), Order of 1 July 2000, I.C.J. Reports 2000 ,
p. 129, para. 47 (1).)

6. These are only a few of similar pronouncements by this Court that
are predicated on the assumption that it has the power under Article 41
to order provisional measures to prevent a party to a dispute before it

from interfering with or obstructing the judicial proceedings by coercive
extrajudicial means, unrelated to the specific rights in dispute, that seek

23 USINES DE PÂTE À PAPIER (DÉCL .BUERGENTHAL ) 22

laisser procéder à aucun acte, de quelque nature qu’il soit, suscep-
tible d’aggraver ou d’étendre le différend...» (C.P.J.I. série A/B
n 79, p. 199).

5. Par la suite, la Cour internationale de Justice a adopté des mesures
conservatoires semblables à celle indiquée par la Cour permanente de
Justice internationale dans l’affaire précitée. Ainsi la Chambre constituée

en l’affaire Burkina Faso/République du Mali a-t-elle déclaré disposer
«en vertu de l’article 41 du Statut du pouvoir d’indiquer des mesures
conservatoires en vue d’empêcher l’aggravation ou l’extension du

différend quand elle estime que les circonstances l’exigent...» (Diffé-
rend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), mesures conser-
vatoires, ordonnance du 10 janvier 1986, C.I.J. Recueil 1986 ,p .9,
par. 18),

avant de prescrire des mesures conservatoires invitant les deux gouverne-
ments à

«veille[r] l’un et l’autre à éviter tout acte qui risquerait d’aggraver ou
d’étendre le différend dont la Chambre est saisie ou de porter atteinte
au droit de l’autre Partie à obtenir l’exécution de tout arrêt que

la Chambre pourrait rendre en l’affaire...» (ibid., p. 11-12, par. 32,
al. 1), point A)).

Dans l’affaire de la Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et
le Nigéria (Cameroun c. Nigéria) , la Cour a repris mot pour mot la
conclusion à laquelle était parvenue la Chambre, à savoir que

«la Cour dispose, en vertu de l’article 41 de son Statut, du pouvoir
d’indiquer des mesures conservatoires en vue d’empêcher l’aggra-
vation ou l’extension du différend quand elle estime que les cir-

constances l’exigent...» (C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 22-23, par. 41).
De même a-t-elle, en l’affaire Congo c. Ouganda, cité le passage de l’arrêt
Cameroun c. Nigéria (par. 44) et indiqué notamment les mesures conser-

vatoires suivantes:
«Les deux Parties doivent, immédiatement, prévenir et s’abstenir de

tout acte, et en particulier de toute action armée, qui risquerait de por-
ter atteinte aux droits de l’autre Partie au regard de tout arrêt que
la Cour pourrait rendre en l’affaire, ou qui risquerait d’aggraver ou
d’étendre le différend porté devant elle ou d’en rendre la solution plus

difficile...» (Activités armées sur le territoire du Congo (République
démocratique du Congo c. Ouganda), mesures conservatoires, ordon-
nance du 1 er juillet 2000, C.I.J. Recueil 2000, p. 129, par. 47, al. 1).)

6. Il ne s’agit là que de quelques exemples de décisions prises en ce sens
par la présente Cour, reposant sur le postulat que celle-ci dispose, en
vertu de l’article 41, du pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires
aux fins d’empêcher une partie à un différend dont elle est saisie d’influen-

cer ou d’entraver la procédure judiciaire par des méthodes coercitives

2323 PULP MILLS (DECL .BUERGENTHAL )

or are calculated to undermine the orderly administration of justice in a

pending case. In fact, it was its right to be free from such interference that
Uruguay has sought to vindicate when it claimed that it was entitled to
have its rights under the 1975 Uruguay River Statute determined in these
proceedings without being subjected to extrajudicial economic coercion.

7. It is undisputed that the Court has no jurisdiction over the block-
ading of the bridges as such, since the 1975 Uruguay River Statute under
which the Court appears to have prima facie jurisdiction with regard to
the present litigation deals only with the régime of the River Uruguay.

The Court must nevertheless be deemed to have the requisite powers
vested in courts generally, powers that in my view find expression in
Article 41 of its Statute, to ensure that the orderly adjudication of cases
pending before it is not aggravated or undermined by extrajudicial

coercive measures resorted to by one party to the dispute against the other.
That, moreover, is what the Court appears to have asserted in the
aforementioned cases when it claimed the power to indicate provisional
measures to prevent the aggravation of the dispute.

8. It is true that the Court has tended to combine the two types of pro-
visional measures in one single paragraph in the dispositif when indi-
cating such measures, and that it has thus far not had occasion to indi-
cate the second type of provisional measures in a case in which the first

type was not also indicated. That does not necessarily prove that it lacks
the power to do so, although it has given rise to the suggestion that the
second type of provisional measures is merely ancillary to the first and
that the Court consequently lacks the power under Article 41 to grant the
second independently of the first.

9. This, basically, is the approach the Court adopts in the instant case.
Thus, in paragraph 31 of the Order, the Court notes that its

“power . . . to indicate provisional measures under Article 41 of the
Statute has as its object to preserve the respective rights of each
party to the proceedings ‘[p]ending the final decision’, providing that
such measures are justified to prevent irreparable prejudice to the
rights which are the subject of the dispute”.

In the next paragraph of the Order, the Court emphasizes that its power
“to indicate provisional measures can be exercised only if there is an

urgent necessity to prevent irreparable prejudice to such rights, before
the Court has given its final decision”. Having laid this groundwork,
the Court concludes that all three provisional measures requested by
Uruguay (para. 13 of the Order) cannot be granted because Uruguay
has failed to show that the actions attributed by Uruguay to Argentina

pose an imminent threat of irreparable prejudice to Uruguay’s rights
in dispute.

24 USINES DE PÂTE À PAPIER (DÉCL .BUERGENTHAL ) 23

extrajudiciaires, sans rapport avec les droits spécifiques en litige et ten-

dant, ou sciemment destinées, à saper la bonne administration de la jus-
tice dans une affaire en cours. Et, de fait, c’est son droit de ne pas être
soumis à une telle ingérence que l’Uruguay a cherché à faire valoir en
invoquant celui de voir trancher, en la présente affaire, la question des
droits qu’il tire du statut du fleuve Uruguay de 1975 sans être soumis à

des mesures économiques coercitives de nature extrajudiciaire.
7. Incontestablement, la Cour n’a pas compétence à l’égard du blocage
des ponts en tant que tel, puisque le statut du fleuve Uruguay de 1975, en
vertu duquel elle semble compétente prima facie pour connaître du pré-
sent différend, porte exclusivement sur le régime du fleuve. Il paraît tou-

tefois difficilement concevable que la Cour ne dispose pas des pouvoirs
— reconnus aux instances judiciaires en général et qui trouvent, d’après
moi, leur expression dans l’article 41 de son Statut — nécessaires pour
éviter que le recours, par l’une des parties, à des mesures coercitives

extrajudiciaires contre la partie adverse ne mette en péril ni ne rende plus
difficile un règlement conforme à une bonne administration de la justice
des différends dont elle est saisie. Tel est, du reste, ce que la Cour semble
avoir affirmé dans les affaires précitées, lorsqu’elle s’est prévalue du pou-
voir d’indiquer des mesures conservatoires en vue d’empêcher l’aggrava-

tion du différend.
8. Il est vrai que la Cour a eu tendance, lorsqu’elle a indiqué de telles
mesures, à joindre les deux types de mesures conservatoires dans un
même paragraphe du dispositif, et qu’elle n’a pas, jusqu’à présent, eu
l’occasion d’en indiquer dans une affaire où n’étaient pas aussi prescrites

des mesures du premier type. S’il ne s’ensuit pas nécessairement qu’elle ne
puisse le faire, il a pu en être déduit que les mesures conservatoires du
second type étaient simplement subordonnées aux premières et que, en
conséquence, la Cour n’avait pas, dans le cadre de l’article 41, le pouvoir
d’indiquer celles-là indépendamment de celles-ci.

9. Telle est au fond la manière de voir adoptée par la Cour en la présente
instance. Ainsi note-t-elle, au paragraphe 31 de son ordonnance, que

«le pouvoir ... d’indiquer des mesures conservatoires en vertu de
l’article 41 du Statut vise à lui permettre de sauvegarder le droit de
chacune des parties à une affaire «[e]n attendant l’arrêt définitif»,
pourvu que de telles mesures soient nécessaires pour empêcher que
soit causé un préjudice irréparable aux droits en litige».

Au paragraphe suivant, la Cour souligne que ce pouvoir «d’indiquer des
mesures conservatoires ne peut être exercé que s’il y a nécessité urgente

d’empêcher que soit causé un préjudice irréparable à de tels droits, avant
[qu’elle] n’ait eu l’occasion de rendre sa décision définitive». Cela posé, la
Cour conclut qu’elle ne saurait indiquer aucune des trois mesures conser-
vatoires demandées par l’Uruguay (paragraphe 13 de l’ordonnance), au
motif que celui-ci n’a pas démontré que les actions qu’il attribue à

l’Argentine font peser sur les droits qui lui sont contestés un risque immi-
nent de préjudice irréparable.

2424 PULP MILLS (DECL .BUERGENTHAL )

10. The foregoing findings are based on the conclusion that the Court

lacks the power under Article 41 to indicate any provisional measures in
a case in which there has been no showing of an imminent risk of irrepa-
rable prejudice to the subject-matter in dispute between the parties, that
is, the subject-matter over which the Court has at least prima facie juris-
diction. Thus, for example, in paragraphs 40 and 41 of its Order the

Court makes the following findings with regard to Uruguay’s first provi-
sional measure request:

“40. Whereas the Court, having heard the arguments of the
Parties, is of the view that, notwithstanding the blockades, the
construction of the Botnia plant progressed significantly since the
summer of 2006 with two further authorizations being granted and

that it is now well advanced; whereas the construction of the plant is
thus continuing;
41. Whereas the Court, without addressing whether the road-
blocks may have caused or may continue to cause damage to the
Uruguayan economy, is not convinced, in view of the foregoing, that

those blockades risk prejudicing irreparably the rights which Uru-
guay claims in the present case from the 1975 Statute as such”.

The Court denies the second and third provisional measures requested by
Uruguay on the same grounds.
11. In my view, these rulings by the Court fail to take the language of
Article 41 into account and the inherent powers of judicial institutions

generally. Article 41 reads as follows:
“The Court shall have the power to indicate, if it considers that

circumstances so require, any provisional measures which ought to
be taken to preserve the respective rights of either party.”

This language permits a less restrictive interpretation, an interpretation
that finds expression in the Court’s repeated assertions that it

“possesses by virtue of Article 41 of the Statute the power to indicate
provisional measures with a view to preventing the aggravation or
extension of the dispute whenever it considers that circumstances so
require”.

The fact that the Court, as it emphasizes in paragraph 49 of its Order,
has in all these prior cases also indicated the first type of provisional
measures, does not detract from the wording of Article 41 of the Statute,

which makes the decision whether or not to indicate provisional meas-
ures dependent upon the “circumstances” that may require it. These cir-
cumstances may involve an imminent threat of irreparable prejudice to
the rights in dispute. But, independently thereof, no compelling reason
has been advanced by the Court why they may not also apply to situa-

tions in which one party to the case resorts to extrajudicial coercive meas-
ures, unrelated to the subject-matter in dispute, that aggravate a dispute

25 USINES DE PÂTE À PAPIER DÉCL . BUERGENTHAL ) 24

10. Ces conclusions s’appuient sur une interprétation de l’article 41

selon laquelle la Cour n’aurait pas le pouvoir d’indiquer des mesures
conservatoires dès lors qu’il n’a pas été établi que pèserait sur l’objet du
différend entre les parties — celui-là même à l’égard duquel la Cour est à
tout le moins compétente prima facie — un risque imminent de préjudice
irréparable. La Cour, aux paragraphes 40 et 41 de son ordonnance, en

conclut dès lors, concernant la première demande en indication de me-
sures conservatoires de l’Uruguay:

«40. Considérant que la Cour, ayant entendu les Parties en leurs
plaidoiries, estime que, en dépit des barrages, la construction de
l’usine Botnia a considérablement progressé depuis l’été 2006, deux
nouvelles autorisations ayant été accordées, et qu’elle est à présent

bien avancée; que la construction de l’usine se poursuit donc;

41. Considérant que la Cour, sans examiner la question de savoir
si les barrages peuvent avoir causé ou peuvent continuer de causer
des dommages à l’économie uruguayenne, n’est pas convaincue, au

vu de ce qui précède, que ces barrages risquent de causer un préju-
dice irréparable aux droits que l’Uruguay prétend en l’espèce tirer du
statut de 1975 en tant que tels...»

La Cour rejette les deuxième et troisième mesures conservatoires sollici-
tées par l’Uruguay pour les mêmes motifs.
11. D’après moi, ces conclusions de la Cour ne tiennent pas compte du
libellé de l’article 41 et des pouvoirs conférés à toute institution judiciaire.

L’article 41 se lit comme suit:
«La Cour a le pouvoir d’indiquer, si elle estime que les circons-

tances l’exigent, quelles mesures conservatoires du droit de chacun
doivent être prises à titre provisoire.»

Cette formulation autorise une interprétation moins restrictive, reflétée
dans les affirmations répétées de la Cour selon lesquelles elle

«dispose, en vertu de l’article 41 de son Statut, du pouvoir d’indi-
quer des mesures conservatoires en vue d’empêcher l’aggravation
ou l’extension du différend quand elle estime que les circonstances
l’exigent».

Si la Cour, ainsi qu’elle le souligne au paragraphe 49 de son ordonnance,
a, dans tous les précédents qu’elle cite, également indiqué des mesures
conservatoires du premier type, il n’en reste pas moins que l’article 41 du

Statut subordonne la décision d’indiquer ou non des mesures conserva-
toires aux «circonstances» susceptibles de rendre de telles mesures néces-
saires. Ces circonstances peuvent recouvrir un risque imminent de préju-
dice irréparable pesant sur les droits en litige. Mais, indépendamment de
ce cas de figure, rien dans la jurisprudence de la Cour n’amène à exclure

formellement qu’elles puissent aussi recouvrir des situations dans les-
quelles une partie à l’affaire recourt à des mesures coercitives extrajudi-

2525 PULP MILLS (DECL .BUERGENTHAL )

by seeking to undermine or interfere with the rights of the other party in

defending its case before the Court. In such situations the test would not
be whether there is an imminent threat of irreparable harm to the subject-
matter of the dispute, but whether the challenged actions are having a
serious adverse effect on the ability of the party seeking the provisional

measures to fully protect its rights in the judicial proceedings.

12. While it cannot be denied that the blockades of the bridges

have caused considerable economic harm to Uruguay, which is most
regrettable, the record before us does not demonstrate that these
actions have seriously undermined the ability of Uruguay effectively
to protect its rights generally in the judicial proceedings pending in this

Court.

(Signed) Thomas B UERGENTHAL .

26 USINES DE PÂTE À PAPIER (DÉCL .BUERGENTHAL ) 25

ciaires sans rapport avec l’objet du différend, qui entraînent l’aggravation
de ce dernier en tant qu’elles sont prises dans le dessein de saper ou d’entra-

ver les droits dont dispose la partie adverse pour assurer sa défense devant
la Cour. Le critère ne consisterait pas alors à savoir si un risque imminent
de dommage irréparable pèse sur l’objet du différend, mais si les actions
en cause ont des répercussions particulièrement préjudiciables sur l’apti-

tude de la partie sollicitant les mesures conservatoires à protéger pleine-
ment ses droits dans le cadre de la procédure judiciaire.
12. S’il ne saurait être nié que le blocage des ponts a entraîné, pour
l’Uruguay, un préjudice économique considérable, ce qui est fort regret-
table, les éléments versés au dossier ne nous permettent pas de conclure

que ces actions ont sérieusement compromis l’aptitude de celui-ci à pro-
téger effectivement ses droits en général dans la procédure judiciaire pen-
dante devant la Cour.

(Signé) Thomas B UERGENTHAL .

26

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Déclaration de M. le juge Buergenthal

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