Opinion dissidente de M. le juge ad hoc Vinuesa

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135-20060713-ORD-01-04-EN
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135-20060713-ORD-02-00-EN
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147

OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE AD HOC VINUESA

[Traduction]

Accord partiel avec certaines des considérations et conclusions de la Cour —
L’objet du différend n’est pas un conflit entre protection de ressources naturelles
partagées et droit au développement durable — Objet et but du statut du fleuve
Uruguay de 1975 — Conditions requises pour l’indication de mesures conserva-
toires — Droits dont la sauvegarde est demandée — Urgence — Risque immi-

nent de préjudice irréparable — Principe de précaution — Pouvoir de la Cour
d’indiquer des mesures conservatoires autres que celles demandées par les
Parties — Besoin de garantir le respect des engagements pris devant la Cour.

A mon grand regret, je me trouve en complet désaccord avec la déci-
sion majoritaire de la Cour énoncée dans le dispositif de la présente
ordonnance. Même si, dans sa majorité, la Cour n’a pas été convaincue

de la nécessité d’indiquer les mesures conservatoires demandées par la
République argentine, les «circonstances, telles qu’elles se présentent
actuellement à la Cour» (ordonnance, par. 87) et telles qu’elles ont été
exposées par les deux Parties, étaient de nature à inciter la Cour à envi-
sager de prescrire d’autres mesures conservatoires pour préserver les
droits de chaque Partie jusqu’à la décision définitive.

Je souscris partiellement, cependant, à plusieurs des considérations et
conclusions de la majorité de la Cour. C’est ainsi que:

Je conviens avec la majorité que la Cour a compétence prima facie en
vertu de l’article 60 du statut de 1975.
Je conviens avec la majorité que la décision rendue ne préjuge en rien

la question de la compétence de la Cour pour connaître du fond de
l’affaire, ni aucune question relative à la recevabilité de la requête ou au
fond lui-même.
Je conviens avec la majorité que les éléments présentés par l’Argentine
à ce stade ne suffisent pas à prouver que l’autorisation de construire et la
construction des usines en elles-mêmes, et en elles-mêmes seulement, ont

déjà causé un préjudice irréparable à l’environnement.
Cependant, je suis en complet désaccord avec la conclusion de la Cour
selon laquelle la construction des usines constitue une mesure neutre ou
inoffensive, dépourvue de conséquences juridiques, et qui n’aura pas
d’effet sur la préservation de l’environnement pour l’avenir. Dans la

situation actuelle et compte tenu des éléments de preuve présentés par les
deux Parties, l’incertitude quant à l’existence d’un risque imminent de
préjudice irréparable est indissociablement liée aux travaux actuels et
futurs de construction des usines.
Je m’associe à la majorité lorsqu’elle dit avoir «conscience des préoc-

38 USINES DE PÂTE À PAPIER (OP .DISS. VINUESA ) 148

cupations exprimées par [l’Argentine] quant à la nécessité de protéger son

environnement naturel et, en particulier, la qualité des eaux du fleuve
Uruguay» (ordonnance, par. 72).
Je m’associe à la majorité lorsqu’elle rappelle que la Cour a eu dans le
passé l’occasion de souligner la grande importance qu’elle attache au res-
pect de l’environnement, et qu’elle renvoie à cet égard aux paragraphes

pertinents de l’avis consultatif relatif à la Licéité de la menace ou de
l’emploi d’armes nucléaires (C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 241-242, par. 29)
et de l’arrêt relatif au Projet Gaˇíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie)
(C.I.J. Recueil 1997, p. 78, par. 140).
Je conviens avec la majorité que, en maintenant l’autorisation et en

permettant la poursuite de la construction des usines, l’Uruguay assume
nécessairement l’ensemble des risques liés à toute décision au fond que la
Cour pourrait rendre à un stade ultérieur.
Je conviens avec la majorité que la construction des usines sur le site

actuel ne peut être réputée constituer un fait accompli.
Je conviens avec la majorité qu’il n’est pas contesté par les Parties que
le statut de 1975 a créé des mécanismes communs pour l’utilisation et la
protection du fleuve Uruguay et que le mécanisme d’ordre procédural mis
en place par le statut occupe une place très importante dans le régime de

ce traité.
Je conviens avec la majorité que les Parties sont tenues de s’acquitter
des obligations qui sont les leurs en vertu du droit international et je
m’associe à elle lorsqu’elle souligne la nécessité pour l’Argentine et l’Uru-
guay de mettre en Œuvre de bonne foi les procédures de consultation et de

coopération prévues par le statut de 1975, la CARU constituant l’enceinte
prévue à cet effet.
Je m’associe à l’intention exprimée par la majorité d’encourager les
deux Parties à s’abstenir de tout acte qui risquerait de rendre plus difficile
le règlement du présent différend.

Je m’associe à la majorité en ce qui concerne les effets juridiques attri-
bués aux engagements exprimés par l’agent de l’Uruguay devant la Cour
de respecter pleinement le statut de 1975.
Je m’associe à la conclusion de la majorité selon laquelle cette décision
laisse également intact le droit de l’Argentine de présenter à l’avenir une

nouvelle demande en indication de mesures conservatoires en vertu du
paragraphe 3 de l’article 75 du Règlement de la Cour.

**

Malheureusement, je ne peux pas m’associer à la majorité lorsqu’elle
considère que la présente affaire met en évidence l’importance d’assurer
la protection, sur le plan de l’environnement, des ressources naturelles
partagées, tout en permettant un développement économique durable.
Aucune des deux Parties n’a présenté le différend qui les oppose

comme un conflit entre les droits à la protection de l’environnement
d’une part, et le droit des Etats au développement durable d’autre part.

39 USINES DE PÂTE À PAPIER (OP.DISS. VINUESA ) 149

De fait, cette opposition n’existe pas, même dans l’abstrait.

Selon moi, et compte tenu de l’argumentation que les deux Parties ont
présentée au stade des mesures conservatoires, il ne fait pas de doute que

le présent différend porte sur l’étendue des droits et obligations créés par
le statut du fleuve Uruguay de 1975, qui est contraignant à l’égard de
l’Argentine et de l’Uruguay depuis son entrée en vigueur le 18 septembre
1976.
L’Uruguay n’a pas nié que les Parties ont le devoir de protéger l’envi-

ronnement du fleuve Uruguay et l’Argentine de son côté n’a pas nié que
les Parties ont droit à un développement durable.
Les deux Parties sont convenues de la nécessité d’appliquer pleinement
le statut de 1975, mais sont en désaccord sur la portée des droits et
devoirs incombant à chacune dans la mise en Œuvre des

«mécanismes communs nécessaires à l’utilisation rationnelle et opti-

male du fleuve Uruguay, dans le strict respect des droits et obliga-
tions découlant des traités et autres engagements internationaux en
vigueur à l’égard de l’une ou l’autre des parties» (article premier du
statut).

Il importe de relever que le préambule du statut de 1975 du fleuve Uru-
guay proclamait que les Gouvernements de l’Uruguay et de l’Argentine
étaient «animés par l’esprit fraternel qui [avait] inspiré le traité concer-

nant le Río de la Plata et la frontière maritime y afférente signé à Mon-
tevideo le 19 novembre 1973».
Aux termes de l’article premier du statut de 1975, les parties reconnais-
saient aussi que celui-ci donnait effet aux dispositions de l’article 7 du
traité relatif à la frontière sur l’Uruguay signé à Montevideo le 7 avril

1961. Cet article définissait les principaux objectifs et buts du statut de
1975, qui ne sont autres que la définition conjointe d’un régime appli-
cable à la navigation du fleuve, à la protection de ses ressources biolo-
giques et à la prévention de la pollution de ses eaux.

Toutes les considérations qui précèdent sont essentielles s’agissant
d’appliquer le statut de 1975 aux fins de statuer sur le fond du présent
différend, et de déterminer si la Cour peut indiquer des mesures conser-
vatoires en vue de préserver les droits respectifs des Parties.

*

Aux termes du paragraphe 1 de l’article 41 du Statut de la Cour inter-
nationale de Justice:

«La Cour a le pouvoir d’indiquer, si elle estime que les circons-
tances l’exigent, quelles mesures conservatoires du droit de chacun

doivent être prises à titre provisoire.»
Il découle de cette disposition que, dès lors que la Cour a conclu à sa

compétence prima facie, elle doit examiner la viabilité des droits allégués

40 USINES DE PÂTE À PAPIER (OP.DISS. VINUESA ) 150

qu’il y a lieu de préserver en attendant une décision définitive sur le fond,

et déterminer si des mesures conservatoires sont nécessaires pour empê-
cher qu’il soit porté un préjudice irréparable aux droits en litige et quelle
urgence il y a à le faire. Je vais examiner ces questions successivement.

*

En ce qui concerne les droits revendiqués, il faut rappeler que les me-
sures conservatoires demandées par l’Argentine étaient censées préserver
les droits qu’elle tire du statut de 1975 contre de prétendues violations

par l’Uruguay des obligations procédurales et substantielles découlant
pour lui du statut.
Les obligations dites procédurales qui découlent du statut de 1975 et
que l’Argentine prétend avoir été violées par l’Uruguay concernaient le

défaut de mise en Œuvre par l’Uruguay des mécanismes communs prévus
par le chapitre II (art. 7-12) pour le cas où une partie envisage la cons-
truction d’ouvrages (les usines de pâte à papier) suffisamment importants
pour affecter la navigation, le régime du fleuve ou la qualité de ses eaux.
Les obligations prévues par le statut de 1975 et qualifiées par l’Argen-

tine de substantielles étaient l’obligation de n’autoriser aucuns travaux de
construction avant qu’il ait été satisfait aux conditions du statut, et l’obli-
gation de ne pas causer de pollution à l’environnement ni de préjudice
économique ou social par voie de conséquence.
Dans le cadre du statut de 1975, les relations entre obligations de

nature procédurale et obligations de nature substantielle sont essentielles
dans la mise en Œuvre du principe de précaution. En fait, comme il est dit
clairement à l’article premier, les mécanismes communs envisagés par le
statut de 1975 constituent le moyen nécessaire à l’utilisation rationnelle et
optimale du fleuve Uruguay. Ainsi qu’il est expliqué plus haut, les prin-

cipaux objectifs et buts de ce statut avaient déjà été fixés par l’article 7 du
traité de Montevideo de 1961, qui prévoyait l’établissement du futur sta-
tut réglementant la navigation sur le fleuve, ainsi que la conclusion
d’accords sur les pêcheries et sur la prévention de la pollution des eaux.
Le statut est un exemple clair des nouveaux régimes établis pour les cours

d’eau frontaliers, qui prévoient une procédure détaillée de coopération
entre Etats riverains en vue de mettre en Œuvre les droits et obligations
substantiels nécessaires à l’exploitation et à la préservation d’une res-
source naturelle partagée. Le statut de 1975 est l’expression institution-
nelle d’une communauté d’intérêts, dans laquelle normes et principes de

fond et normes de procédure sont intimement liés. Les règles de procé-
dure et les règles de fond concourent ensemble à la réalisation de l’objet
et du but du statut de 1975.
Une distinction claire s’impose entre les demandes de mesures conser-
vatoires qui ont pour but de sauvegarder un droit allégué et celles qui, en

quelque sorte, visent à réparer une violation alléguée d’une obligation
conventionnelle. Dans ce dernier cas, il est absolument impossible de

41 USINES DE PÂTE À PAPIER (OP.DISS. VINUESA ) 151

réparer une infraction alléguée par l’indication d’une mesure conserva-

toire sans préjuger le fond de l’affaire et la question devra bien évidem-
ment être réglée lors de cette phase ultérieure de la procédure.
Cette considération toutefois ne s’applique pas à la mise en Œuvre
actuelle et future d’un mécanisme conjoint préétabli par le chapitre II du
statut de 1975. A cet égard, l’indication de mesures conservatoires se jus-

tifierait pour sauvegarder le droit procédural en cause, ainsi que le droit
de nature substantielle qui en est indissociable selon le statut, en atten-
dant une solution définitive sur le fond.

*

En ce qui concerne la question de l’urgence, la Cour, dans des affaires
précédentes, a jugé qu’elle n’a le pouvoir d’indiquer des mesures conser-
vatoires que s’il y a nécessité urgente d’empêcher que soit causé un pré-

judice irréparable aux droits en litige avant que la Cour ait été en mesure
de rendre sa décision (voir Passage par le Grand-Belt (Finlande c. Dane-
mark), mesures conservatoires, ordonnance du 29 juillet 1991, C.I.J.
Recueil 1991, p. 17, par. 23; Certaines procédures pénales engagées en
France (République du Congo c. France), mesures conservatoires, ordon-

nance du 17 juin 2003, C.I.J. Recueil 2003 , p. 107, par. 22).
Dans la présente instance, le défendeur a invoqué le précédent consti-
tué par l’affaire du Passage par le Grand-Belt (Finlande c. Danemark)
pour soutenir que la Cour devait refuser d’indiquer des mesures conser-
vatoires, vu l’absence d’urgence. Certes, dans cette autre affaire, la Cour

avait constaté que les circonstances n’étaient pas de nature à exiger l’exer-
cice de son pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires en vertu de
l’article 41. Elle avait estimé que, s’il avait été prévu d’exécuter, avant la
décision de la Cour sur le fond, des travaux de construction du pont sur
le chenal Est susceptibles de faire obstruction à l’exercice du droit de pas-

sage revendiqué, l’indication de mesures conservatoires aurait pu se jus-
tifier. Toutefois, prenant acte des assurances données par le Danemark
selon lesquelles aucune obstruction matérielle du chenal Est ne se produi-
rait avant la fin de 1994 et tenant compte du fait que la procédure sur le
fond en l’affaire devait normalement être menée à son terme auparavant,

elle avait jugé qu’il n’avait pas été établi que les travaux de construction
porteraient atteinte pendente lite au droit revendiqué (Passage par le
Grand-Belt (Finlande c. Danemark), mesures conservatoires, ordonnance
du 29 juillet 1991, C.I.J. Recueil 1991 , p. 18, par. 26-27).
A mon sens, l’application simple et directe de ce même critère aurait dû

conduire la Cour à conclure dans la présente espèce que la condition de
l’«urgence» était remplie et qu’elle devait indiquer des mesures conserva-
toires.
Au minimum, il est de fait que la construction et la mise en exploita-
tion du projet Orion, comme l’a confirmé l’Uruguay, devraient normale-

ment avoir été menées à terme au milieu de 2007, c’est-à-dire de toute
évidence avant que la Cour ait pu rendre une décision sur le fond.

42 USINES DE PÂTE À PAPIER (OP. DISS.VINUESA ) 152

Comme l’Uruguay n’a pas donné l’assurance que les usines ne seront pas

opérationnelles avant la fin de la procédure sur le fond, il s’ensuit que les
droits que l’Argentine cherche à faire préserver seront lésés par les tra-
vaux de construction et l’exploitation des usines pendente lite.

*

En ce qui concerne le risque imminent de préjudice irréparable en tant
que condition de l’indication de mesures conservatoires, la majorité de la
Cour a estimé que

«l’Argentine n’a pas, à l’heure actuelle, fourni d’éléments qui

donnent à penser que la pollution éventuellement engendrée par la
mise en service des usines serait de nature à causer un préjudice irré-
parable au fleuve Uruguay» (ordonnance, par. 75).

Cependant, comme je l’ai dit plus haut, je considère que l’autorisation
de construire et la construction des usines, ou l’autorisation future de
construire et la construction future d’autres usines, sur les bords du fleuve
Uruguay ne sont des mesures ni neutres ni inoffensives. Les travaux de

construction tendent vers un effet direct, à savoir en définitive la mise en
service et la pleine exploitation des usines.
En l’espèce, la majorité de la Cour a aussi conclu que l’Argentine
n’avait pas fourni d’éléments prouvant que l’exploitation future des
usines causera un préjudice irréparable à l’environnement. Je suis en

complet désaccord avec cette conclusion. Pour conclure dans ce sens, la
majorité de la Cour aurait dû indiquer expressément dans l’ordon-
nance la valeur qu’elle attribuait à la documentation produite par les
Parties. Ce que l’Argentine doit prouver, et ce qu’elle a prouvé en effet,
c’est que les autorisations de construire et la construction effective des ou-

vrages engendrent une incertitude suffisante quant aux effets négatifs
probables de ces ouvrages sur l’environnement. Il n’y aurait là qu’une
simple application du principe de précaution, qui est indiscutablement
au cŒur du droit de l’environnement. De mon point de vue, le principe
de précaution n’est pas une abstraction, ni un élément constitutif théo-

rique d’un droit souhaitable émergent, mais bien une règle du droit
international général positif.
Cependant, il n’est pas nécessaire, en l’espèce, de rechercher davantage
l’existence d’une règle générale de droit incorporant le principe de pré-
caution, puisque ce principe a déjà été incorporé conventionnellement

par l’Uruguay et l’Argentine dans le statut de 1975 aux fins de la protec-
tion de l’environnement du fleuve Uruguay. Comme l’indique clairement
son article premier, le but et l’objectif de ce statut étaient «d’établir les
mécanismes communs nécessaires à l’utilisation rationnelle et optimale
du fleuve Uruguay». La condition prévoyant la participation de la com-

mission administrative du fleuve Uruguay (CARU) au processus d’éva-
luation de l’impact sur l’environnement du fleuve Uruguay, ressource

43 USINES DE PÂTE À PAPIER (OP. DISS.VINUESA ) 153

naturelle partagée reconnue, dans le cadre de mécanismes conjoints préé-

tablis et de caractère obligatoire, constitue la garantie juridique et contrai-
gnante essentielle de la bonne application dudit principe de précaution.
L’existence d’une incertitude suffisante quant au risque de préjudice
irréparable à l’environnement du fleuve a été reconnue par l’Uruguay
lorsque, dans les audiences sur les mesures conservatoires, celui-ci a

affirmé qu’il n’y avait pas eu d’évaluation environnementale définitive
concernant l’exploitation des usines et qu’aucune autorisation n’avait
encore été accordée pour la construction de l’usine CMB.

**

La République argentine a demandé deux séries de mesures conserva-
toires. La première concerne, de manière générale, la suspension de la
construction des ouvrages jusqu’à la décision définitive de la Cour. La

seconde concerne, de manière générale, la mise en Œuvre complète et adé-
quate des droits et obligations créés par le statut de 1975.

La majorité de la Cour a conclu que, dans les circonstances présentes,
il n’est pas nécessaire que la Cour indique les mesures conservatoires

requises par l’Argentine. Dans l’exposé des motifs de sa décision, la Cour
a conclu que la construction des ouvrages sur le site actuel ne pouvait pas
être réputée constituer un fait accompli. Elle a aussi considéré que l’Uru-
guay assume l’ensemble des risques liés à toute décision au fond par
laquelle la Cour pourrait conclure ultérieurement que la construction des

ouvrages porte atteinte à un droit de l’Argentine, et ordonnerait soit de
cesser les travaux, soit de modifier ou démanteler les usines. En outre, en
examinant les circonstances de l’espèce telles qu’elles se présentent actuel-
lement, la Cour a pris acte des engagements exprimés par l’Uruguay à la
clôture de la procédure orale sur les mesures conservatoires. Je crois

cependant que la Cour aurait dû aller plus loin et garantir ces engage-
ments unilatéraux en indiquant d’autres mesures conservatoires que celles
que l’Argentine avait demandées.
Il ne fait pas de doute que la Cour a le pouvoir d’indiquer des mesures
conservatoires autres que celles que les parties ont demandées (voir

Anglo-Iranian Oil Co., mesures conservatoires, ordonnance du 5 juillet
1951, C.I.J. Recueil 1951 , p. 93-94; Compétence en matière de pêcheries
(Royaume-Uni c. Islande), mesures conservatoires, ordonnance du 17 août
1972, C.I.J. Recueil 1972 , p. 17-18; Compétence en matière de pêcheries
(République fédérale d’Allemagne c. Islande), mesures conservatoires,

ordonnance du 17 août 1972, C.I.J. Recueil 1972 , p. 35-36; Essais nu-
cléaires (Australie c. France), mesures conservatoires, ordonnance du
22 juin 1973, C.I.J. Recueil 1973 , p. 106; Essais nucléaires (Nouvelle-
Zélande c. France), mesures conservatoires, ordonnance du 22 juin
1973, C.I.J. Recueil 1973 , p. 142; Personnel diplomatique et consulaire

des Etats-Unis à Téhéran, mesures conservatoires, ordonnance du 15 dé-
cembre 1979, C.I.J. Recueil 1979 ,p.21;Activités militaires et paramili-

44 USINES DE PÂTE À PAPIER (OP.DISS. VINUESA ) 154

taires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amé-
rique), mesures conservatoires, ordonnance du 10 mai 1984, C.I.J. Re-
cueil 1984, p. 187; Différend frontalier (Burkina Faso/République du
Mali), mesures conservatoires, ordonnance du 10 janvier 1986, C.I.J.

Recueil 1986, p. 12-13; Application de la convention pour la prévention
et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougo-
slavie (Serbie et Monténégro)), mesures conservatoires, ordonnance
du 8 avril 1993, C.I.J. Recueil 1993 , p. 24).
Comme il est rappelé ci-dessus, dans la présente espèce, l’Uruguay a

unilatéralement reconnu les obligations que lui impose le statut de 1975
et assuré à la Cour qu’il les respectera. Je considère que cet engagement
unilatéral aurait dû être complété par l’indication par la majorité de la
Cour de mesures conservatoires visant à préserver les droits de nature
procédurale et substantielle qu’ont les deux Parties à la pleine mise en

Œuvre des mécanismes conjoints prévus au chapitre II du statut de 1975.
A cette fin, la majorité de la Cour aurait dû ordonner à titre de mesure
conservatoire que l’Uruguay suspende temporairement la construction
des usines, jusqu’à ce qu’il fasse savoir à la Cour qu’il s’est acquitté de ses

obligations en vertu du statut. Si l’Argentine ne s’était pas elle-même
acquittée des obligations identiques que lui impose le statut de 1975,
l’Uruguay aurait toujours la possibilité de demander à la Cour de lever la
suspension temporaire ainsi ordonnée.
En outre, la majorité de la Cour aurait dû encourager les Parties,

compte tenu de l’histoire de leurs relations et de l’esprit de fraternité qui
y préside, à s’efforcer de résoudre le présent différend conformément au
statut de 1975 en attendant la décision définitive sur le fond, comme elle
l’a fait dans l’affaire du Passage par le Grand-Belt (Finlande c. Dane-
mark) (mesures conservatoires, ordonnance du 29 juillet 1991, C.I.J.

Recueil 1991, p. 20, par. 35).
Enfin, la majorité de la Cour aurait dû reconnaître qu’il est manifeste-
ment dans l’intérêt des deux Parties que leurs droits et obligations res-
pectifs soient déterminés au plus tôt; il aurait donc été bon que, avec la

coopération des Parties, elle fasse en sorte que la décision sur le fond soit
prise aussi rapidement que possible, comme elle l’avait fait aussi dans
l’affaire du Passage par le Grand-Belt (Finlande c. Danemark) (mesures
conservatoires, ordonnance du 29 juillet 1991, C.I.J. Recueil 1991 ,p.20,
par. 36).

(Signé) Raúl Emilio V INUESA .

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147

DISSENTING OPINION OF JUDGE AD HOC VINUESA

Partial agreement with certain of Court’s considerations and findings — The
dispute does not concern a confrontation between environmental protection of
shared natural resources and the right of sustainable development — Objective
and purpose of the 1975 Statute of the River Uruguay — Requirements for the
indication of provisional measures — Rights claimed to be preserved —

Urgency — Imminent threat of irreparable damage — Precautionary prin-
ciple — The Court’s power to indicate other provisional measures than the ones
requested by the Parties — Need to guarantee commitments affirmed before the
Court.

I regret to fully disagree with the decision of the majority of the Court
in the operative part of the present Order. Even if the majority of the
Court was not persuaded to indicate the provisional measures as requested

by the Republic of Argentina, the “circumstances, as they now present
themselves to the Court” (Order, para. 87), and as argued by both
Parties, are such that the Court should have considered the indication of
alternative provisional measures in order to preserve the rights of each
Party until final judgment.

However, I partially agree with several of the considerations and find-
ings of the majority of the Court, as follows:

I do agree with the majority of the Court on the existence of prima
facie jurisdiction under Article 60 of the 1975 Statute.
I do agree with the majority of the Court that the decision given in no

way prejudges the question of the jurisdiction of the Court to deal with
the merits of the case or any questions relating to the admissibility of the
Application, or relating to the merits themselves.
I do agree with the majority’s finding that the evidence presented by
Argentina at this stage is not sufficient to prove that the authorization
and subsequent construction of the plants, in themselves, and just in

themselves, have already caused irreparable harm to the environment.
However, I strongly disagree with the Court’s finding that the con-
struction of the plants constitutes a neutral or innocent step without legal
consequences that shall not affect the future preservation of the environ-
ment. As things stand today, and taking into account the evidence pro-

vided by both Parties, the uncertainty of a risk of an imminent threat of
irreparable harm is inexorably linked to the present and continuing con-
struction of the mills.

I do agree with the majority of the Court when it “recognizes the con-

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OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE AD HOC VINUESA

[Traduction]

Accord partiel avec certaines des considérations et conclusions de la Cour —
L’objet du différend n’est pas un conflit entre protection de ressources naturelles
partagées et droit au développement durable — Objet et but du statut du fleuve
Uruguay de 1975 — Conditions requises pour l’indication de mesures conserva-
toires — Droits dont la sauvegarde est demandée — Urgence — Risque immi-

nent de préjudice irréparable — Principe de précaution — Pouvoir de la Cour
d’indiquer des mesures conservatoires autres que celles demandées par les
Parties — Besoin de garantir le respect des engagements pris devant la Cour.

A mon grand regret, je me trouve en complet désaccord avec la déci-
sion majoritaire de la Cour énoncée dans le dispositif de la présente
ordonnance. Même si, dans sa majorité, la Cour n’a pas été convaincue

de la nécessité d’indiquer les mesures conservatoires demandées par la
République argentine, les «circonstances, telles qu’elles se présentent
actuellement à la Cour» (ordonnance, par. 87) et telles qu’elles ont été
exposées par les deux Parties, étaient de nature à inciter la Cour à envi-
sager de prescrire d’autres mesures conservatoires pour préserver les
droits de chaque Partie jusqu’à la décision définitive.

Je souscris partiellement, cependant, à plusieurs des considérations et
conclusions de la majorité de la Cour. C’est ainsi que:

Je conviens avec la majorité que la Cour a compétence prima facie en
vertu de l’article 60 du statut de 1975.
Je conviens avec la majorité que la décision rendue ne préjuge en rien

la question de la compétence de la Cour pour connaître du fond de
l’affaire, ni aucune question relative à la recevabilité de la requête ou au
fond lui-même.
Je conviens avec la majorité que les éléments présentés par l’Argentine
à ce stade ne suffisent pas à prouver que l’autorisation de construire et la
construction des usines en elles-mêmes, et en elles-mêmes seulement, ont

déjà causé un préjudice irréparable à l’environnement.
Cependant, je suis en complet désaccord avec la conclusion de la Cour
selon laquelle la construction des usines constitue une mesure neutre ou
inoffensive, dépourvue de conséquences juridiques, et qui n’aura pas
d’effet sur la préservation de l’environnement pour l’avenir. Dans la

situation actuelle et compte tenu des éléments de preuve présentés par les
deux Parties, l’incertitude quant à l’existence d’un risque imminent de
préjudice irréparable est indissociablement liée aux travaux actuels et
futurs de construction des usines.
Je m’associe à la majorité lorsqu’elle dit avoir «conscience des préoc-

38148 PULP MILLS (DISS.OP .VINUESA )

cerns expressed by Argentina for the need to protect its natural environ-

ment and, in particular, the quality of the water of the River Uruguay”
(Order, para. 72).
I do agree with the majority of the Court when it recalls that the Court
has had occasion in the past to stress the great significance it attaches to
respect for the environment, and when it refers in this respect to the rele-

vant paragraphs of the Advisory Opinion on the Legality of the Threat
or Use of Nuclear Weapons (I.C.J. Reports 1996 (I), pp. 241-242,
para. 29) and the Judgment in the Gabc ˇíkovo-Nagymaros Project (Hun-
gary/Slovakia) case (I.C.J. Reports 1997, p. 78, para. 140).
I do agree with the majority of the Court that, in proceeding with the

authorization and construction of the mills, Uruguay necessarily bears all
risks relating to any finding on the merits that the Court might later
make.
I do agree with the majority of the Court that the construction of the

mills at the current site cannot be deemed to create a fait accompli.
I do agree with the majority of the Court that it is not disputed
between the Parties that the 1975 Statute establishes a joint machinery
for the use and conservation of the River Uruguay and that the pro-
cedural mechanism provided for in the Statute constitutes a very impor-

tant part of the treaty régime.
I do agree with the finding by the majority of the Court that the Parties
are required to fulfil their obligations under international law, stressing
the necessity for Argentina and Uruguay to implement in good faith the
consultation and co-operation procedures provided for by the 1975

Statute, and that CARU constitutes the envisaged forum for that pur-
pose.
I do agree with the intention expressed by the majority of the Court to
encourage both Parties to refrain from any actions which might render
more difficult the resolution of the present dispute.

I do agree with the majority of the Court on the legal effects attributed
to the commitments, made by the Agent of Uruguay before the Court, to
comply in full with the 1975 Statute.
I do agree with the finding of the majority of the Court that the deci-
sion leaves unaffected the right of Argentina to submit in the future a

new request for the indication of provisional measures under Article 75,
paragraph 3, of the Rules of Court.

**

To my regret, I could not agree with the assessment by the majority of
the Court that the present case highlights the importance of the need to
ensure environmental protection of shared natural resources while allow-
ing sustainable economic development.
Neither of the two Parties has addressed the present dispute as a con-

frontation between environmental protection rights, on the one hand,
and the right of States to pursue sustainable development, on the other

39 USINES DE PÂTE À PAPIER (OP .DISS. VINUESA ) 148

cupations exprimées par [l’Argentine] quant à la nécessité de protéger son

environnement naturel et, en particulier, la qualité des eaux du fleuve
Uruguay» (ordonnance, par. 72).
Je m’associe à la majorité lorsqu’elle rappelle que la Cour a eu dans le
passé l’occasion de souligner la grande importance qu’elle attache au res-
pect de l’environnement, et qu’elle renvoie à cet égard aux paragraphes

pertinents de l’avis consultatif relatif à la Licéité de la menace ou de
l’emploi d’armes nucléaires (C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 241-242, par. 29)
et de l’arrêt relatif au Projet Gaˇíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie)
(C.I.J. Recueil 1997, p. 78, par. 140).
Je conviens avec la majorité que, en maintenant l’autorisation et en

permettant la poursuite de la construction des usines, l’Uruguay assume
nécessairement l’ensemble des risques liés à toute décision au fond que la
Cour pourrait rendre à un stade ultérieur.
Je conviens avec la majorité que la construction des usines sur le site

actuel ne peut être réputée constituer un fait accompli.
Je conviens avec la majorité qu’il n’est pas contesté par les Parties que
le statut de 1975 a créé des mécanismes communs pour l’utilisation et la
protection du fleuve Uruguay et que le mécanisme d’ordre procédural mis
en place par le statut occupe une place très importante dans le régime de

ce traité.
Je conviens avec la majorité que les Parties sont tenues de s’acquitter
des obligations qui sont les leurs en vertu du droit international et je
m’associe à elle lorsqu’elle souligne la nécessité pour l’Argentine et l’Uru-
guay de mettre en Œuvre de bonne foi les procédures de consultation et de

coopération prévues par le statut de 1975, la CARU constituant l’enceinte
prévue à cet effet.
Je m’associe à l’intention exprimée par la majorité d’encourager les
deux Parties à s’abstenir de tout acte qui risquerait de rendre plus difficile
le règlement du présent différend.

Je m’associe à la majorité en ce qui concerne les effets juridiques attri-
bués aux engagements exprimés par l’agent de l’Uruguay devant la Cour
de respecter pleinement le statut de 1975.
Je m’associe à la conclusion de la majorité selon laquelle cette décision
laisse également intact le droit de l’Argentine de présenter à l’avenir une

nouvelle demande en indication de mesures conservatoires en vertu du
paragraphe 3 de l’article 75 du Règlement de la Cour.

**

Malheureusement, je ne peux pas m’associer à la majorité lorsqu’elle
considère que la présente affaire met en évidence l’importance d’assurer
la protection, sur le plan de l’environnement, des ressources naturelles
partagées, tout en permettant un développement économique durable.
Aucune des deux Parties n’a présenté le différend qui les oppose

comme un conflit entre les droits à la protection de l’environnement
d’une part, et le droit des Etats au développement durable d’autre part.

39149 PULP MILLS (DISS.OP .VINUESA )

hand. As a matter of fact, such a confrontation does not exist even in
abstract terms.
To my understanding, and taking into account what both Parties have
argued at the stage of provisional measures, there is no doubt that the

present dispute concerns the scope of rights and duties established by the
1975 Statute of the River Uruguay, which is binding upon Argentina and
Uruguay since its entry into force on 18 September 1976.

Uruguay has not denied the duty of the Parties to protect the environ-

ment of the River Uruguay, and Argentina, for its part, has not denied
the right of the Parties to sustainable development.
Both Parties agreed on the need for the 1975 Statute to be fully
applied, but differed on the scope of the respective rights and duties with
regard to the implementation of

“the joint machinery necessary for the optimum and rational utiliza-

tion of the River Uruguay, in strict observance of the rights and
obligations arising from treaties and other international agreements
in force for each of the Parties” (Article 1 of the Statute).

It is important to take into account that the Preamble of the 1975
Statute of the River Uruguay proclaimed that the Governments of Uru-
guay and Argentina were “motivated by the fraternal spirit inspiring the

Treaty concerning the Río de la Plata and the Corresponding Maritime
Boundary signed in Montevideo on 19 November 1973”.
Under Article 1 of the 1975 Statute, the Parties also recognized that
this Statute was the result of the implementation of Article 7 of the
Treaty concerning the Boundary of the River Uruguay, signed in Monte-

video on 7 April 1961. The latter provision established the main objec-
tives and purposes of the 1975 Statute, which are no other than the joint
regulation of a régime for the navigation of the river, the conservation of
its living resources and the avoidance of pollution of the river waters.

All the above considerations are vital for the application of the 1975
Statute in deciding the merits of the present dispute, as well as in deter-
mining the possibility for the Court to indicate provisional measures in
order to preserve the respective rights of the Parties.

*

Article 41, paragraph 1, of the Statute of the International Court of
Justice provides that:

“The Court shall have the power to indicate, if it considers that
circumstances so require, any provisional measures which ought to

be taken to preserve the respective rights of either party.”
It follows from this provision that, once the Court has satisfied itself of

the existence of its prima facie jurisdiction, it has to consider the viability

40 USINES DE PÂTE À PAPIER (OP.DISS. VINUESA ) 149

De fait, cette opposition n’existe pas, même dans l’abstrait.

Selon moi, et compte tenu de l’argumentation que les deux Parties ont
présentée au stade des mesures conservatoires, il ne fait pas de doute que

le présent différend porte sur l’étendue des droits et obligations créés par
le statut du fleuve Uruguay de 1975, qui est contraignant à l’égard de
l’Argentine et de l’Uruguay depuis son entrée en vigueur le 18 septembre
1976.
L’Uruguay n’a pas nié que les Parties ont le devoir de protéger l’envi-

ronnement du fleuve Uruguay et l’Argentine de son côté n’a pas nié que
les Parties ont droit à un développement durable.
Les deux Parties sont convenues de la nécessité d’appliquer pleinement
le statut de 1975, mais sont en désaccord sur la portée des droits et
devoirs incombant à chacune dans la mise en Œuvre des

«mécanismes communs nécessaires à l’utilisation rationnelle et opti-

male du fleuve Uruguay, dans le strict respect des droits et obliga-
tions découlant des traités et autres engagements internationaux en
vigueur à l’égard de l’une ou l’autre des parties» (article premier du
statut).

Il importe de relever que le préambule du statut de 1975 du fleuve Uru-
guay proclamait que les Gouvernements de l’Uruguay et de l’Argentine
étaient «animés par l’esprit fraternel qui [avait] inspiré le traité concer-

nant le Río de la Plata et la frontière maritime y afférente signé à Mon-
tevideo le 19 novembre 1973».
Aux termes de l’article premier du statut de 1975, les parties reconnais-
saient aussi que celui-ci donnait effet aux dispositions de l’article 7 du
traité relatif à la frontière sur l’Uruguay signé à Montevideo le 7 avril

1961. Cet article définissait les principaux objectifs et buts du statut de
1975, qui ne sont autres que la définition conjointe d’un régime appli-
cable à la navigation du fleuve, à la protection de ses ressources biolo-
giques et à la prévention de la pollution de ses eaux.

Toutes les considérations qui précèdent sont essentielles s’agissant
d’appliquer le statut de 1975 aux fins de statuer sur le fond du présent
différend, et de déterminer si la Cour peut indiquer des mesures conser-
vatoires en vue de préserver les droits respectifs des Parties.

*

Aux termes du paragraphe 1 de l’article 41 du Statut de la Cour inter-
nationale de Justice:

«La Cour a le pouvoir d’indiquer, si elle estime que les circons-
tances l’exigent, quelles mesures conservatoires du droit de chacun

doivent être prises à titre provisoire.»
Il découle de cette disposition que, dès lors que la Cour a conclu à sa

compétence prima facie, elle doit examiner la viabilité des droits allégués

40150 PULP MILLS (DISS.OP .VINUESA )

of the alleged rights that need to be preserved, pending a final decision on

the merits, and determine whether provisional measures are necessary to
prevent irreparable harm to the rights that are in dispute, and that there
is a degree of urgency in indicating them. I will address these matters in
turn.

*

With regard to the rights claimed, it should be recalled that the pro-
visional measures requested by Argentina were intended to preserve
its rights under the 1975 Statute from alleged violations by Uruguay of

procedural and substantive obligations imposed on it by the Statute.

The so-called procedural obligations under the 1975 Statute alleged
by Argentina to have been violated by Uruguay concerned the non-

implementation by Uruguay of the joint machinery that is required by
Chapter II (Arts. 7 to 12) when one party plans to carry out works
(the pulp mills) which are liable to affect navigation, the régime of the
river or the quality of its waters.
What Argentina calls the substantive obligations under the 1975

Statute concerned the obligation not to allow any construction before
the requirements of the 1975 Statute have been met, and the obligation
not to cause environmental pollution or consequential economic or social
harm.
Within the 1975 Statute, the relationship of obligations of a procedural

and of a substantive character is essential in the implementation of the
precautionary principle. Indeed, as clearly stated by Article 1, the joint
mechanism envisaged by the 1975 Statute is the necessary venue to obtain
an optimum and rational utilization of the River Uruguay. As explained
above, the main objectives and purposes of the 1975 Statute were pre-

determined by Article 7 of the 1961 Montevideo Treaty, which conditioned
the establishment of the future Statute to regulate the navigation of the
river, the achievement of agreements on fisheries and the achievement of
agreements to avoid water pollution. The Statute is a clear example of the
new boundary river régimes that have developed a detailed procedure of

co-operation among riparian States, in order to implement substantial
rights and obligations for the use and conservation of a shared natural
resource. The 1975 Statute constitutes the institutional expression of a
community of interests in which substantive norms and principles are
interwoven with procedural norms. Procedures and substantive rules are

melded in the accomplishment of the objective and purpose of the 1975
Statute.

A clear distinction must be made between requests for provisional
measures which aim at preserving an alleged right, and those which, in a

sense, aim at repairing an alleged violation of a treaty obligation. In the
latter case, there is no chance to repair an alleged breach through the

41 USINES DE PÂTE À PAPIER (OP.DISS. VINUESA ) 150

qu’il y a lieu de préserver en attendant une décision définitive sur le fond,

et déterminer si des mesures conservatoires sont nécessaires pour empê-
cher qu’il soit porté un préjudice irréparable aux droits en litige et quelle
urgence il y a à le faire. Je vais examiner ces questions successivement.

*

En ce qui concerne les droits revendiqués, il faut rappeler que les me-
sures conservatoires demandées par l’Argentine étaient censées préserver
les droits qu’elle tire du statut de 1975 contre de prétendues violations

par l’Uruguay des obligations procédurales et substantielles découlant
pour lui du statut.
Les obligations dites procédurales qui découlent du statut de 1975 et
que l’Argentine prétend avoir été violées par l’Uruguay concernaient le

défaut de mise en Œuvre par l’Uruguay des mécanismes communs prévus
par le chapitre II (art. 7-12) pour le cas où une partie envisage la cons-
truction d’ouvrages (les usines de pâte à papier) suffisamment importants
pour affecter la navigation, le régime du fleuve ou la qualité de ses eaux.
Les obligations prévues par le statut de 1975 et qualifiées par l’Argen-

tine de substantielles étaient l’obligation de n’autoriser aucuns travaux de
construction avant qu’il ait été satisfait aux conditions du statut, et l’obli-
gation de ne pas causer de pollution à l’environnement ni de préjudice
économique ou social par voie de conséquence.
Dans le cadre du statut de 1975, les relations entre obligations de

nature procédurale et obligations de nature substantielle sont essentielles
dans la mise en Œuvre du principe de précaution. En fait, comme il est dit
clairement à l’article premier, les mécanismes communs envisagés par le
statut de 1975 constituent le moyen nécessaire à l’utilisation rationnelle et
optimale du fleuve Uruguay. Ainsi qu’il est expliqué plus haut, les prin-

cipaux objectifs et buts de ce statut avaient déjà été fixés par l’article 7 du
traité de Montevideo de 1961, qui prévoyait l’établissement du futur sta-
tut réglementant la navigation sur le fleuve, ainsi que la conclusion
d’accords sur les pêcheries et sur la prévention de la pollution des eaux.
Le statut est un exemple clair des nouveaux régimes établis pour les cours

d’eau frontaliers, qui prévoient une procédure détaillée de coopération
entre Etats riverains en vue de mettre en Œuvre les droits et obligations
substantiels nécessaires à l’exploitation et à la préservation d’une res-
source naturelle partagée. Le statut de 1975 est l’expression institution-
nelle d’une communauté d’intérêts, dans laquelle normes et principes de

fond et normes de procédure sont intimement liés. Les règles de procé-
dure et les règles de fond concourent ensemble à la réalisation de l’objet
et du but du statut de 1975.
Une distinction claire s’impose entre les demandes de mesures conser-
vatoires qui ont pour but de sauvegarder un droit allégué et celles qui, en

quelque sorte, visent à réparer une violation alléguée d’une obligation
conventionnelle. Dans ce dernier cas, il est absolument impossible de

41151 PULP MILLS (DISS.OP .VINUESA )

indication of a provisional measure without prejudging the merits. It is

obvious that such a question remains to be solved at that later stage.

However, that does not apply for the actual and future implementation
of a joint mechanism pre-established by Chapter II of the 1975 Statute.
In this regard, the indication of provisional measures would be appro-

priate to preserve the said procedural right, as well as the substantive
right that is intrinsically associated with it under the Statute, pending a
final solution on the merits.

*

Turning now to the question of urgency, the Court, in previous cases,
has determined that it is only empowered to indicate provisional meas-
ures if there is an urgent need to prevent irreparable harm to rights that

are the subject of the dispute, before the Court has had the opportunity
to render its decision (see Passage through the Great Belt (Finland v.
Denmark), Provisional Measures, Order of 29 July 1991, I.C.J. Reports
1991, p. 17, para. 23; Certain Criminal Proceedings in France (Republic
of the Congo v. France), Provisional Measure, Order of 17 June 2003,

I.C.J. Reports 2003, p. 107, para. 22).
In the present proceedings, the precedent of the Passage through the
Great Belt (Finland v. Denmark) case has been invoked to allege that the
Court should deny the indication of provisional measures, given the
absence of urgency. It is true that, in that case, the Court found that the

circumstances were not such as to require the exercise of its power under
Article 41. The Court considered that if the construction works contem-
plated by Denmark on the East Channel Bridge, which, it was claimed,
would obstruct Finland’s right of passage, had been expected to be car-
ried out prior to the decision of the Court on the merits, this might have

justified the indication of provisional measures. However, the Court,
placing on record the assurances given by Denmark that no physical
obstruction of the East Channel would occur before the end of 1994, and
considering that the proceedings on the merits in the case would, in the
normal course, be completed before that time, found that it had not been

shown that the claimed right of passage would have been infringed by
those construction works during the pendency of the proceedings (Pas-
sage through the Great Belt (Finland v. Denmark), Provisional Meas-
ures, Order of 29 July 1991, I.C.J. Reports 1991 , p. 18, paras. 26-27).
To my understanding, the simple and straightforward application

of this same criterion should have led the Court to conclude that the
requisite of “urgency” is fulfilled in the present case and that the Court
should proceed to indicate provisional measures.
It is a fact that, at the very least, the construction and operation of the
Orion project, as confirmed by Uruguay, is expected to be carried out by

the middle of 2007, obviously prior to any decision of this Court on the
merits. Inasmuch as there are no assurances by Uruguay that the mills

42 USINES DE PÂTE À PAPIER (OP.DISS. VINUESA ) 151

réparer une infraction alléguée par l’indication d’une mesure conserva-

toire sans préjuger le fond de l’affaire et la question devra bien évidem-
ment être réglée lors de cette phase ultérieure de la procédure.
Cette considération toutefois ne s’applique pas à la mise en Œuvre
actuelle et future d’un mécanisme conjoint préétabli par le chapitre II du
statut de 1975. A cet égard, l’indication de mesures conservatoires se jus-

tifierait pour sauvegarder le droit procédural en cause, ainsi que le droit
de nature substantielle qui en est indissociable selon le statut, en atten-
dant une solution définitive sur le fond.

*

En ce qui concerne la question de l’urgence, la Cour, dans des affaires
précédentes, a jugé qu’elle n’a le pouvoir d’indiquer des mesures conser-
vatoires que s’il y a nécessité urgente d’empêcher que soit causé un pré-

judice irréparable aux droits en litige avant que la Cour ait été en mesure
de rendre sa décision (voir Passage par le Grand-Belt (Finlande c. Dane-
mark), mesures conservatoires, ordonnance du 29 juillet 1991, C.I.J.
Recueil 1991, p. 17, par. 23; Certaines procédures pénales engagées en
France (République du Congo c. France), mesures conservatoires, ordon-

nance du 17 juin 2003, C.I.J. Recueil 2003 , p. 107, par. 22).
Dans la présente instance, le défendeur a invoqué le précédent consti-
tué par l’affaire du Passage par le Grand-Belt (Finlande c. Danemark)
pour soutenir que la Cour devait refuser d’indiquer des mesures conser-
vatoires, vu l’absence d’urgence. Certes, dans cette autre affaire, la Cour

avait constaté que les circonstances n’étaient pas de nature à exiger l’exer-
cice de son pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires en vertu de
l’article 41. Elle avait estimé que, s’il avait été prévu d’exécuter, avant la
décision de la Cour sur le fond, des travaux de construction du pont sur
le chenal Est susceptibles de faire obstruction à l’exercice du droit de pas-

sage revendiqué, l’indication de mesures conservatoires aurait pu se jus-
tifier. Toutefois, prenant acte des assurances données par le Danemark
selon lesquelles aucune obstruction matérielle du chenal Est ne se produi-
rait avant la fin de 1994 et tenant compte du fait que la procédure sur le
fond en l’affaire devait normalement être menée à son terme auparavant,

elle avait jugé qu’il n’avait pas été établi que les travaux de construction
porteraient atteinte pendente lite au droit revendiqué (Passage par le
Grand-Belt (Finlande c. Danemark), mesures conservatoires, ordonnance
du 29 juillet 1991, C.I.J. Recueil 1991 , p. 18, par. 26-27).
A mon sens, l’application simple et directe de ce même critère aurait dû

conduire la Cour à conclure dans la présente espèce que la condition de
l’«urgence» était remplie et qu’elle devait indiquer des mesures conserva-
toires.
Au minimum, il est de fait que la construction et la mise en exploita-
tion du projet Orion, comme l’a confirmé l’Uruguay, devraient normale-

ment avoir été menées à terme au milieu de 2007, c’est-à-dire de toute
évidence avant que la Cour ait pu rendre une décision sur le fond.

42152 PULP MILLS (DISS.OP .VINUESA )

will not be in operation before the completion of the proceedings on the
merits in the present case, it follows that the rights the preservation of
which is requested by Argentina will be infringed by the construction
works and by the operation of the mills during the pendency of the pro-

ceedings.

*

With regard to the imminent threat of irreparable damage as a require-

ment for the indication of provisional measures, the majority of the
Court considered that

“Argentina has not provided evidence at present that suggests that
any pollution resulting from the commissioning of the mills would
be of a character to cause irreparable damage to the River Uruguay”
(Order, para. 75).

However, as stated above, I consider that the authorization and the
construction of the mills, or future authorizations and constructions of

other plants on the River Uruguay, are neither neutral nor innocent
steps. The constructions are meant to have a direct effect, which is the
final implementation and full operation of the mills.

In the present case, the majority of the Court has also found that

Argentina has not produced evidence to prove that the future operation
of the mills will cause irreparable harm to the environment. I completely
disagree. To reach such a conclusion, the majority of the Court should
have made explicit reference in the Order to how it evaluated the docu-
mentation produced by the Parties. What Argentina has to prove, and

what it has proved, is that the work authorizations and the actual execu-
tion of the works have generated a reasonable basis of uncertainty on the
probable negative effects to the environment of the works. This would be
no more than a direct application of the precautionary principle, which

indisputably is at the core of environmental law. In my opinion, the pre-
cautionary principle is not an abstraction or an academic component of
desirable soft law, but a rule of law within general international law as it
stands today.

However, there is no need, in the present case, to enquire further into
the existence of a general rule of law embodying the precautionary prin-
ciple, since the said principle has, on a treaty-law basis, already been
incorporated by Uruguay and Argentina in the 1975 Statute for the pur-

poses of protecting the environment of the River Uruguay. As clearly
stated by Article 1, the objective and purpose of the 1975 Statute was
“to establish a joint machinery necessary for the optimum and rational
utilization of the River Uruguay”. The necessary participation of the
Administrative Commission of the River Uruguay (CARU) in the

process of assessing environmental impacts on the River Uruguay, as a

43 USINES DE PÂTE À PAPIER (OP. DISS.VINUESA ) 152

Comme l’Uruguay n’a pas donné l’assurance que les usines ne seront pas

opérationnelles avant la fin de la procédure sur le fond, il s’ensuit que les
droits que l’Argentine cherche à faire préserver seront lésés par les tra-
vaux de construction et l’exploitation des usines pendente lite.

*

En ce qui concerne le risque imminent de préjudice irréparable en tant
que condition de l’indication de mesures conservatoires, la majorité de la
Cour a estimé que

«l’Argentine n’a pas, à l’heure actuelle, fourni d’éléments qui

donnent à penser que la pollution éventuellement engendrée par la
mise en service des usines serait de nature à causer un préjudice irré-
parable au fleuve Uruguay» (ordonnance, par. 75).

Cependant, comme je l’ai dit plus haut, je considère que l’autorisation
de construire et la construction des usines, ou l’autorisation future de
construire et la construction future d’autres usines, sur les bords du fleuve
Uruguay ne sont des mesures ni neutres ni inoffensives. Les travaux de

construction tendent vers un effet direct, à savoir en définitive la mise en
service et la pleine exploitation des usines.
En l’espèce, la majorité de la Cour a aussi conclu que l’Argentine
n’avait pas fourni d’éléments prouvant que l’exploitation future des
usines causera un préjudice irréparable à l’environnement. Je suis en

complet désaccord avec cette conclusion. Pour conclure dans ce sens, la
majorité de la Cour aurait dû indiquer expressément dans l’ordon-
nance la valeur qu’elle attribuait à la documentation produite par les
Parties. Ce que l’Argentine doit prouver, et ce qu’elle a prouvé en effet,
c’est que les autorisations de construire et la construction effective des ou-

vrages engendrent une incertitude suffisante quant aux effets négatifs
probables de ces ouvrages sur l’environnement. Il n’y aurait là qu’une
simple application du principe de précaution, qui est indiscutablement
au cŒur du droit de l’environnement. De mon point de vue, le principe
de précaution n’est pas une abstraction, ni un élément constitutif théo-

rique d’un droit souhaitable émergent, mais bien une règle du droit
international général positif.
Cependant, il n’est pas nécessaire, en l’espèce, de rechercher davantage
l’existence d’une règle générale de droit incorporant le principe de pré-
caution, puisque ce principe a déjà été incorporé conventionnellement

par l’Uruguay et l’Argentine dans le statut de 1975 aux fins de la protec-
tion de l’environnement du fleuve Uruguay. Comme l’indique clairement
son article premier, le but et l’objectif de ce statut étaient «d’établir les
mécanismes communs nécessaires à l’utilisation rationnelle et optimale
du fleuve Uruguay». La condition prévoyant la participation de la com-

mission administrative du fleuve Uruguay (CARU) au processus d’éva-
luation de l’impact sur l’environnement du fleuve Uruguay, ressource

43153 PULP MILLS (DIS. OP. VINUESA )

recognized shared natural resource, within a pre-established binding joint

machinery, constitutes the essential legal and binding guarantee for the
proper implementation of the said precautionary principle.
The existence of a reasonable uncertainty as to a risk of irreparable
harm to the river environment has been recognized by Uruguay when, at
the hearings on provisional measures, it affirmed that there was no final

environmental assessment in relation to the operation of the mills and
that no authorization had yet been issued for the construction of the
CMB plant.

**

The Republic of Argentina has requested two different sets of provi-
sional measures. The first set refers, in general terms, to suspension of the
construction of the works until a final decision has been reached by the

Court. The second set of provisional measures refers in general terms to
the full and adequate implementation of rights and obligations under the
1975 Statute.
The majority of the Court has found that, in the present circumstances,
there is no need for the Court to indicate the provisional measures

requested by Argentina. In the motivation of its decision, the Court
found that the construction of the works at the current site could not be
deemed to create a fait accompli. It further considered that Uruguay
bears all the risks of any subsequent finding on the merits whereby it
would be found that the construction of the works breached a legal right

of Argentina, and that such works could not be continued or that the
mills would have to be modified or dismantled. In addition, in consider-
ing the present circumstances of the case, the Court took particular note
of the commitments undertaken by Uruguay at the closing session of the
hearings on provisional measures. I believe, however, that the Court

should have proceeded to guarantee those unilateral commitments by
indicating provisional measures alternative to the ones requested by
Argentina.
There is no doubt that the Court has the power to indicate provisional
measures other than those requested by the parties (see Anglo-Iranian Oil

Co., Interim Protection, Order of 5 July 1951, I.C.J. Reports 1951 ,
pp. 93-94; Fisheries Jurisdiction (United Kingdom v. Iceland), Interim
Protection, Order of 17 August 1972, I.C.J. Reports 1972 , pp. 17-18;
Fisheries Jurisdiction (Federal Republic of Germany v. Iceland), Interim
Protection, Order of 17 August 1972, I.C.J. Reports 1972 , pp. 35-36;

Nuclear Tests (Australia v. France), Interim Protection, Order of 22 June
1973, I.C.J. Reports 1973 , p. 106; Nuclear Tests (New Zealand v.
France), Interim Protection, Order of 22 June 1973, I.C.J. Reports 1973 ,
p. 142; United States Diplomatic and Consular Staff in Tehran (United
States of America v. Iran), Provisional Measures, Order of 15 December

1979, I.C.J. Reports 1979 ,p.21; Military and Paramilitary Activities in
and against Nicaragua (Nicaragua v. United States of America), Provi-

44 USINES DE PÂTE À PAPIER (OP. DISS.VINUESA ) 153

naturelle partagée reconnue, dans le cadre de mécanismes conjoints préé-

tablis et de caractère obligatoire, constitue la garantie juridique et contrai-
gnante essentielle de la bonne application dudit principe de précaution.
L’existence d’une incertitude suffisante quant au risque de préjudice
irréparable à l’environnement du fleuve a été reconnue par l’Uruguay
lorsque, dans les audiences sur les mesures conservatoires, celui-ci a

affirmé qu’il n’y avait pas eu d’évaluation environnementale définitive
concernant l’exploitation des usines et qu’aucune autorisation n’avait
encore été accordée pour la construction de l’usine CMB.

**

La République argentine a demandé deux séries de mesures conserva-
toires. La première concerne, de manière générale, la suspension de la
construction des ouvrages jusqu’à la décision définitive de la Cour. La

seconde concerne, de manière générale, la mise en Œuvre complète et adé-
quate des droits et obligations créés par le statut de 1975.

La majorité de la Cour a conclu que, dans les circonstances présentes,
il n’est pas nécessaire que la Cour indique les mesures conservatoires

requises par l’Argentine. Dans l’exposé des motifs de sa décision, la Cour
a conclu que la construction des ouvrages sur le site actuel ne pouvait pas
être réputée constituer un fait accompli. Elle a aussi considéré que l’Uru-
guay assume l’ensemble des risques liés à toute décision au fond par
laquelle la Cour pourrait conclure ultérieurement que la construction des

ouvrages porte atteinte à un droit de l’Argentine, et ordonnerait soit de
cesser les travaux, soit de modifier ou démanteler les usines. En outre, en
examinant les circonstances de l’espèce telles qu’elles se présentent actuel-
lement, la Cour a pris acte des engagements exprimés par l’Uruguay à la
clôture de la procédure orale sur les mesures conservatoires. Je crois

cependant que la Cour aurait dû aller plus loin et garantir ces engage-
ments unilatéraux en indiquant d’autres mesures conservatoires que celles
que l’Argentine avait demandées.
Il ne fait pas de doute que la Cour a le pouvoir d’indiquer des mesures
conservatoires autres que celles que les parties ont demandées (voir

Anglo-Iranian Oil Co., mesures conservatoires, ordonnance du 5 juillet
1951, C.I.J. Recueil 1951 , p. 93-94; Compétence en matière de pêcheries
(Royaume-Uni c. Islande), mesures conservatoires, ordonnance du 17 août
1972, C.I.J. Recueil 1972 , p. 17-18; Compétence en matière de pêcheries
(République fédérale d’Allemagne c. Islande), mesures conservatoires,

ordonnance du 17 août 1972, C.I.J. Recueil 1972 , p. 35-36; Essais nu-
cléaires (Australie c. France), mesures conservatoires, ordonnance du
22 juin 1973, C.I.J. Recueil 1973 , p. 106; Essais nucléaires (Nouvelle-
Zélande c. France), mesures conservatoires, ordonnance du 22 juin
1973, C.I.J. Recueil 1973 , p. 142; Personnel diplomatique et consulaire

des Etats-Unis à Téhéran, mesures conservatoires, ordonnance du 15 dé-
cembre 1979, C.I.J. Recueil 1979 ,p.21;Activités militaires et paramili-

44154 PULP MILLS (DISS. OP. VINUESA )

sional Measures, Order of 10 May 1984, I.C.J. Reports 1984 , p. 187;
Frontier Dispute (Burkina Faso/Republic of Mali), Provisional Measures,
Order of 10 January 1986, I.C.J. Reports 1986 , pp. 12-13; Application of
the Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of

Genocide (Bosnia and Herzegovina v. Yugoslavia (Serbia and Monte-
negro)), Provisional Measures, Order of 8 April 1993, I.C.J. Reports
1993, p. 24).

As recalled above, in the present case, Uruguay has unilaterally recog-

nized its obligations under the 1975 Statute and assured the Court that it
will abide by them. I consider that this unilateral commitment should
have been complemented by the indication by the majority of the Court
of provisional measures aimed at preserving the procedural and substan-
tial rights of both Parties to full implementation of the joint machinery

provided for under Chapter II of the 1975 Statute. For that purpose, the
majority of the Court should have indicated, as a provisional measure,
the temporary suspension of the construction of the mills until Uruguay
notifies the Court of its fulfilment of the above-mentioned Statute obli-

gations. In the event that Argentina might have failed to fulfil its own
identical obligations under the 1975 Statute, Uruguay would always
have the possibility to ask the Court to set aside the indicated temporary
suspension.
In addition, the majority of the Court should have encouraged the

Parties, in the spirit of their historical and fraternal relationship, to make
an effort to try to solve the present dispute in accordance with the 1975
Statute, pending the final decision on the merits, as it did in the Passage
through the Great Belt (Finland v. Denmark) (Provisional Measures,
Order of 29 July 1991, I.C.J. Reports 1991 , p. 20, para. 35).

Finally, the majority of the Court should have recognized that it is
clearly in the interest of both Parties that their respective rights and obli-
gations be determined definitively as early as possible; it would therefore

have been appropriate for the majority of the Court, with the co-opera-
tion of the Parties, to ensure that the decision on the merits be reached
with all possible expedition, as it also did in the Passage through the
Great Belt (Finland v. Denmark) (Provisional Measures, Order of 29 July
1991, I.C.J. Reports 1991 , p. 20, para. 36).

(Signed) Raúl Emilio V INUESA .

45 USINES DE PÂTE À PAPIER (OP.DISS. VINUESA ) 154

taires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amé-
rique), mesures conservatoires, ordonnance du 10 mai 1984, C.I.J. Re-
cueil 1984, p. 187; Différend frontalier (Burkina Faso/République du
Mali), mesures conservatoires, ordonnance du 10 janvier 1986, C.I.J.

Recueil 1986, p. 12-13; Application de la convention pour la prévention
et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougo-
slavie (Serbie et Monténégro)), mesures conservatoires, ordonnance
du 8 avril 1993, C.I.J. Recueil 1993 , p. 24).
Comme il est rappelé ci-dessus, dans la présente espèce, l’Uruguay a

unilatéralement reconnu les obligations que lui impose le statut de 1975
et assuré à la Cour qu’il les respectera. Je considère que cet engagement
unilatéral aurait dû être complété par l’indication par la majorité de la
Cour de mesures conservatoires visant à préserver les droits de nature
procédurale et substantielle qu’ont les deux Parties à la pleine mise en

Œuvre des mécanismes conjoints prévus au chapitre II du statut de 1975.
A cette fin, la majorité de la Cour aurait dû ordonner à titre de mesure
conservatoire que l’Uruguay suspende temporairement la construction
des usines, jusqu’à ce qu’il fasse savoir à la Cour qu’il s’est acquitté de ses

obligations en vertu du statut. Si l’Argentine ne s’était pas elle-même
acquittée des obligations identiques que lui impose le statut de 1975,
l’Uruguay aurait toujours la possibilité de demander à la Cour de lever la
suspension temporaire ainsi ordonnée.
En outre, la majorité de la Cour aurait dû encourager les Parties,

compte tenu de l’histoire de leurs relations et de l’esprit de fraternité qui
y préside, à s’efforcer de résoudre le présent différend conformément au
statut de 1975 en attendant la décision définitive sur le fond, comme elle
l’a fait dans l’affaire du Passage par le Grand-Belt (Finlande c. Dane-
mark) (mesures conservatoires, ordonnance du 29 juillet 1991, C.I.J.

Recueil 1991, p. 20, par. 35).
Enfin, la majorité de la Cour aurait dû reconnaître qu’il est manifeste-
ment dans l’intérêt des deux Parties que leurs droits et obligations res-
pectifs soient déterminés au plus tôt; il aurait donc été bon que, avec la

coopération des Parties, elle fasse en sorte que la décision sur le fond soit
prise aussi rapidement que possible, comme elle l’avait fait aussi dans
l’affaire du Passage par le Grand-Belt (Finlande c. Danemark) (mesures
conservatoires, ordonnance du 29 juillet 1991, C.I.J. Recueil 1991 ,p.20,
par. 36).

(Signé) Raúl Emilio V INUESA .

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Opinion dissidente de M. le juge ad hoc Vinuesa

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