Opinion individuelle de M. le juge Bennouna

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135-20060713-ORD-01-03-EN
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135-20060713-ORD-02-00-EN
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142

OPINION INDIVIDUELLE DE M. LE JUGE BENNOUNA

Relations entre l’instance principale et la demande en indication de mesures
conservatoires — Sauvegarde des droits et maintien du statu quo — Violation

des droits et risque de dommage irréparable — Accord des Parties sur l’examen
par la Cour prima facie de l’existence des droits en cause — Circonstances auto-
risant la Cour à se prononcer prima facie sur l’existence des droits en cause —
La Cour a éludé la discussion sur les droits.

1. Si j’ai voté en faveur du dispositif de l’ordonnance rendue par la
Cour, je ne peux pas me rallier, cependant, à l’enchaînement du raison-
nement qui a permis d’y parvenir. Je regrette en particulier que la Cour
n’ait pas saisi l’occasion qui lui était offerte, dans cette affaire, pour cla-

rifier les relations entre l’instance principale, dont elle était saisie, et la
demande en indication de mesures conservatoires.
Que cette relation soit inévitable, ceci a été clairement affirmé par la
Cour dans l’affaire du Personnel diplomatique et consulaire des Etats-
Unis à Téhéran:

«considérant en outre qu’une demande en indication de mesures

conservatoires a nécessairement, par sa nature même, un lien avec la
substance de l’affaire puisque, comme l’article 41 l’indique expressé-
ment, son objet est de protéger le droit de chacun; et qu’en la pré-
sente espèce le but de la demande des Etats-Unis ne paraît pas être

d’obtenir un jugement provisionnel ou définitif, sur le fond des récla-
mations mais de protéger pendente lite la substance des droits invo-
qués» (Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhé-
ran (Etats-Unis c. Iran), mesures conservatoires, ordonnance du

15 décembre 1979, C.I.J. Recueil 1979 , p. 16, par. 28).

2. La jurisprudence a précisé que cette protection des droits de chacun
se faisait au travers de mesures conservatoires adoptées en urgence et des-
tinées à empêcher qu’un dommage irréparable ne vienne annihiler les
droits en cause qui ont été bafoués. Il s’agit certes de maintenir le statu
quo et de faire en sorte qu’on n’assiste pas, selon la terminologie de la

Cour, à «l’aggravation ou à l’extension du différend». Encore faut-il se
demander s’il s’agit du maintien du statu quo au moment de la saisine de
la Cour ou de la restauration de celui qui existait avant l’action préten-
dument illégale du défendeur . 1

1 Même dans ce cas, l’objet de la mesure provisoire demeure la sauvegarde du droit qui
est l’objet du litige devant la Cour, car, à ce stade, il n’est pas question de réparer le dom-
mage. Ainsi que l’avait souligné E. Dumbauld: «interim protection looks to the future»
(Interim Measures of Protection in International Controversies , 1932, p. 164).

33143 USINES DE PÂTE À PAPIER (OP.IND .BENNOUNA )

3. Dans ce dernier cas, la violation des droits protégés porte en elle-

même le risque d’un dommage irréparable et la Cour peut décider à titre
provisoire, comme elle l’a fait dans l’affaire du Personnel diplomatique et
consulaire des Etats-Unis à Téhéran , précitée, de mesures conservatoires
de la situation existant avant l’action prétendument illégale. C’est ainsi
que la Cour s’est prononcée prima facie en faveur de l’existence des droits

invoqués dont la violation représente par elle-même un dommage irrépa-
rable. En d’autres termes, les droits invoqués par les Etats-Unis dans
l’affaire du Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhé-
ran sont présumés et la Cour pouvait d’autant plus aisément parvenir à
cette conclusion prima facie que l’Iran ne s’est pas présenté devant elle et

n’a pas eu l’occasion de contester réellement les droits en question. Il est
plus simple, en effet, pour la Cour, en application de l’article 53 du Sta-
tut, d’adjuger à la partie demanderesse ses conclusions, notamment quant
à la présomption en faveur des droits invoqués.

4. De même, la Cour peut éviter de s’engager dans la discussion sur
l’existence prima facie des droits à protéger, lorsque ce n’est pas leur exis-
tence même qui est en cause mais leur portée.
Ainsi dans l’affaire du Passage par le Grand-Belt :

«la Cour observe qu’il n’est pas contesté qu’il existe, pour la Fin-
lande, un droit de passage par le Grand-Belt, le différend qui oppose
les Parties ayant trait à la nature et à l’étendue de ce droit, et notam-
ment à son applicabilité à certains navires de forage et plates-formes
pétrolières» (Passage par le Grand-Belt (Finlande c. Danemark),

mesures conservatoires, ordonnance du 29 juillet 1991, C.I.J. Recueil
1991, p. 17, par. 22).

D’autre part, dans l’affaire des Essais nucléaires, les juges se sont divi-
sés sur la situation juridique existante qui doit être préservée pendente

lite, notamment sur le contenu du droit de procéder à des essais nu-
cléaires (Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France), mesures conser-
vatoires, ordonnance du 22 juin 1973, C.I.J. Recueil 1973 , p. 135; voir
notamment les opinions dissidentes des juges Forster et Petrén).
Le problème qui nous concerne dans la requête en mesures conserva-

toires introduite par l’Argentine contre l’Uruguay est plus complexe,
puisque les deux Parties ont engagé un véritable débat devant la Cour sur
l’existence même du droit invoqué par l’Argentine à ce que l’autorisation
de construire les usines de pâte à papier ne soit donnée, ni que le lance-
ment des travaux ne soit effectué, sans l’accord préalable des deux pays.

5. La Cour ne devait-elle pas saisir cette occasion et se demander si,
dans certaines circonstances, elle n’est pas tenue d’examiner prima facie
l’existence du droit en cause? D’autant plus que cette question a divisé
jusqu’à présent les juges et la doctrine (voir l’opinion individuelle du juge
Shahabuddeen jointe à l’ordonnance précitée de la Cour du 29 juillet

1991 dans l’affaire du Passage par le Grand-Belt (Finlande c. Dane-
mark), C.I.J. Recueil 1991 , notamment p. 29 et suiv.).

34144 USINES DE PÂTE À PAPIER (OP .IND .BENNOUNA )

6. Je pense que la Cour pouvait s’engager dans cette voie, en prenant
toutes les précautions indispensables pour ne pas être taxée d’avoir, ce
faisant, préjugé du fond de l’affaire. L’Argentine, au demeurant, n’a pas
demandé à la Cour de décider définitivement sur une partie de ses deman-

des; elle lui a proposé seulement de geler la situation en attendant l’arrêt
au fond (dans l’affaire de l’Usine de Chorzów, la Cour a considéré que

«la demande du Gouvernement allemand ne peut être considérée
comme visant l’indication des mesures conservatoires, mais comme
tendant à obtenir un jugement provisionnel adjugeant une partie des
conclusions de la susdite requête» (ordonnance du 21 novembre
o
1927, C.P.J.I. série A n 12, p. 10)).
7. D’ailleurs les Parties elles-mêmes étaient d’accord pour que la Cour

se prononçât prima facie sur l’existence du droit revendiqué, à savoir le
droit à ce que les ouvrages ne soient pas construits sans leur accord com-
mun préalable, droit dit procédural. En effet, l’Argentine a tout d’abord
énuméré, parmi les droits qu’elle cherche à sauvegarder, dans sa demande

du 4 mai 2006 en indication de mesures conservatoires:
«le droit à ce que l’Uruguay n’autorise ni n’entreprenne la construc-

tion d’ouvrages susceptibles de causer des préjudices sensibles au
fleuve Uruguay — bien juridique dont l’intégrité doit être préser-
vée — ou à l’Argentine».

8. La question de savoir qui, en dernière analyse, autorise cette cons-
truction, en cas de divergences entre les Parties sur les «préjudices sen-
sibles», restait cependant posée.

Dans ses plaidoiries, l’Argentine devait préciser son interprétation du
statut:

«[S]i l’Argentine a fait des objections à un projet soumis à ces
conditions énoncées par le statut — comme elle l’a fait en l’espèce à
de multiples reprises — l’Uruguay ne peut construire aucun
ouvrage... L’Argentine a un droit indéniable à ce qu’il soit interdit à

l’Uruguay de réaliser tout ouvrage. L’article 9 [du statut] établit une
obligation de «non construction». C’est aussi simple que cela.»
(CR 2006/46, p. 31, par. 12 (Sands).)

9. En quelque sorte, l’Argentine estime que si les Parties divergent sur
le point de savoir si un projet est susceptible de causer des préjudices sen-
sibles au fleuve Uruguay, il s’ensuit une obligation pour l’Uruguay de ne

pas l’autoriser et un droit pour l’Argentine qu’il ne le soit pas. Celle-ci en
conclut que

«la poursuite de la construction ... cause un préjudice irréparable
non seulement aux droits de l’Argentine mais également ... au bon
fonctionnement de la Cour qui joue un rôle très important dans le
système établi par le statut» (CR 2006/46, p. 32, par. 14 (Sands)).

35145 USINES DE PÂTE À PAPIER (OP.IND .BENNOUNA )

10. L’Uruguay, de son côté, admet que là se situe le centre du débat

entre les Parties sur l’indication des mesures conservatoires:
«Le débat de ces derniers jours a été clarificateur parce qu’il a mis

à nu le vrai objet, ou plutôt le cŒur même du différend qui oppose
les parties. Le cŒur du différend est justement représenté par la ques-
tion de savoir si, oui ou non, un droit de veto subsiste d’après le sta-
tut qui nous intéresse: tout se résume en fin de compte à cela.
Or il va de soi qu’un tel différend fondamental ne saurait être

tranché par la Cour à ce stade de la procédure. Il n’en reste pas
moins que votre Cour est bien obligée d’en connaître sommairement
maintenant parce que — il faut le dire — elle ne pourrait pas accor-
der les mesures conservatoires demandées qu’à condition de recon-

naître, tout au moins prima facie, que le statut confère effectivement
aux parties un droit de veto. Si par contre la Cour devait constater
qu’il y a des raisons sérieuses pour en douter, alors l’octroi des me-
sures conservatoires ne se justifierait pas...» (CR 2006/49, p. 19-20,
par. 8-9 (Condorelli).)

11. Dans ces conditions, la Cour devait se poser la question de l’exis-
tence de ce droit prima facie. Il est vrai cependant qu’il n’est pas appro-

prié de la trancher, même prima facie, lorsque le doute subsiste, du fait de
la complexité, de l’ambiguïté, ou du silence éventuels des documents en
cause (en particulier le statut de 1975 du fleuve Uruguay) qui ne permet-
traient pas d’arbitrer à ce stade entre les interprétations divergentes des
Parties. Dans cette hypothèse, le renvoi de toute la discussion à la phase

du fond s’imposerait. Et c’est précisément la situation dans laquelle la
Cour s’est trouvée face à la demande de l’Argentine de se voir reconnaître
un droit à ce que les travaux soient autorisés d’un commun accord. Une
fois l’appréciation faite des droits en présence, le risque d’un préjudice
irréparable et l’indication ou non de mesures conservatoires devraient en

découler. Il manque donc, à notre sens, un chaînon dans le raisonnement
de la Cour, celui relatif à l’existence ou non prima facie du droit invoqué.

12. En effet, ce chaînon du raisonnement est important, comme l’ont
perçu les Parties elles-mêmes, puisqu’il détermine la réponse qui sera

apportée à la demande en indication de mesures conservatoires, tout au
moins dans la partie relative à la suspension des travaux. S’il est établi
prima facie que l’Uruguay ne peut les entreprendre sans que l’Argentine
y ait consenti, alors il convient d’urgence de préserver ce droit de l’Argen-
tine par le retrait des autorisations qui ont été données et le gel de la

situation sur le terrain. Par contre, si de prime abord, le statut de 1975,
interprété correctement, selon les méthodes admises en la matière, et
d’éventuels accords subséquents, ne permettent pas de répondre positive-
ment à la question, alors le débat sera reporté à la discussion au fond de
l’affaire.

13. La Cour a choisi d’éluder cette discussion (alors que les deux
Parties s’y étaient engagées), en se contentant d’affirmer que même si le

36146 USINES DE PÂTE À PAPIER OP .IND .BENNOUNA )

droit invoqué par l’Argentine avait été violé, cela ne signifie pas qu’il ne

sera pas toujours possible d’y remédier au stade du fond (paragraphes 70
et 71 de l’ordonnance), autrement dit, il ne s’agirait pas d’un préjudice
irréparable. Mais ce n’est là qu’une pétition de principe de la Cour, car si
la fonction des mesures conservatoires est de préserver les droits en pré-

sence, la Cour devrait veiller à ce que ceux-ci ne soient pas purement et
simplement annihilés. Or que devient le droit éventuel de l’Argentine de
consentir aux travaux si ceux-ci, une fois autorisés sans son accord, pou-
vaient se poursuivre jusqu’à leur terme, alors que la Cour était saisie ?Le

droit aurait bel et bien disparu et on ne voit pas quelle mesure de répara-
tion pourrait le ressusciter. Certes, la construction de ces usines colossales
de pâte à papier n’est pas un «fait accompli», comme l’a souligné la
Cour, mais que sait-on des effets qu’elle pourrait avoir à court et à

moyen terme sur le site considéré, promis à une vocation touristique du
côté argentin?
14. La Cour n’a pas osé lever le voile qui, dans sa jurisprudence,
recouvre pudiquement les droits en cause à cette phase de la procédure.

On peut estimer qu’elle le fait implicitement, sans le dire; mais, comme en
toutes choses, sa fonction ne pourrait que gagner à être expressément cla-
rifiée.
15. Est-ce que cela signifie qu’il y a un risque d’un glissement du débat

à ce niveau vers des questions qui devraient être traitées au stade du
fond? Je ne le pense pas. Les Parties n’ont-elles pas dans cette affaire
débattu du droit en litige et demandé à la Cour de se prononcer à son
sujet prima facie, tout en restant dans les limites du temps qui leur était

imparti et sans jamais aborder réellement le fond? Et encore une fois, il
s’agit d’une question de dosage, de degré dans le traitement des pro-
blèmes et non de leur nature, tant il est vrai qu’on ne peut séparer tota-
lement l’instance en indication de mesures conservatoires de l’instance au

fond, les droits en cause formant le lien indissoluble entre elles. La diffé-
rence est que d’un côté on veut les préserver à titre provisoire et que, de
l’autre, on vise le règlement définitif des différends nés à leur sujet.

16. C’est pour cela que je regrette cette occasion manquée par la Cour
de clarifier cet aspect des mesures conservatoires. Il n’en demeure pas
moins qu’ayant considéré que les éléments mis à la disposition de la Cour
ne lui permettaient pas de se prononcer, prima facie, au sujet du droit

invoqué par l’Argentine et, partageant le reste du raisonnement de la
Cour, j’ai voté en faveur de l’ordonnance.

(Signé) Mohamed B ENNOUNA .

2 Karin Oellers-Frahm a souligné, dans son commentaire de l’article 41 du Statut:
«what is to be preserved is the subject-matter of the right, the factual use of the right
which would be impossible if the subject-matter were irreparably destroyed» (The Statute
of the International Court of Justice , dir. publ. A. Zimmermann et al., 2006, p. 931).

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142

OPINION INDIVIDUELLE DE M. LE JUGE BENNOUNA

Relations entre l’instance principale et la demande en indication de mesures
conservatoires — Sauvegarde des droits et maintien du statu quo — Violation

des droits et risque de dommage irréparable — Accord des Parties sur l’examen
par la Cour prima facie de l’existence des droits en cause — Circonstances auto-
risant la Cour à se prononcer prima facie sur l’existence des droits en cause —
La Cour a éludé la discussion sur les droits.

1. Si j’ai voté en faveur du dispositif de l’ordonnance rendue par la
Cour, je ne peux pas me rallier, cependant, à l’enchaînement du raison-
nement qui a permis d’y parvenir. Je regrette en particulier que la Cour
n’ait pas saisi l’occasion qui lui était offerte, dans cette affaire, pour cla-

rifier les relations entre l’instance principale, dont elle était saisie, et la
demande en indication de mesures conservatoires.
Que cette relation soit inévitable, ceci a été clairement affirmé par la
Cour dans l’affaire du Personnel diplomatique et consulaire des Etats-
Unis à Téhéran:

«considérant en outre qu’une demande en indication de mesures

conservatoires a nécessairement, par sa nature même, un lien avec la
substance de l’affaire puisque, comme l’article 41 l’indique expressé-
ment, son objet est de protéger le droit de chacun; et qu’en la pré-
sente espèce le but de la demande des Etats-Unis ne paraît pas être

d’obtenir un jugement provisionnel ou définitif, sur le fond des récla-
mations mais de protéger pendente lite la substance des droits invo-
qués» (Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhé-
ran (Etats-Unis c. Iran), mesures conservatoires, ordonnance du

15 décembre 1979, C.I.J. Recueil 1979 , p. 16, par. 28).

2. La jurisprudence a précisé que cette protection des droits de chacun
se faisait au travers de mesures conservatoires adoptées en urgence et des-
tinées à empêcher qu’un dommage irréparable ne vienne annihiler les
droits en cause qui ont été bafoués. Il s’agit certes de maintenir le statu
quo et de faire en sorte qu’on n’assiste pas, selon la terminologie de la

Cour, à «l’aggravation ou à l’extension du différend». Encore faut-il se
demander s’il s’agit du maintien du statu quo au moment de la saisine de
la Cour ou de la restauration de celui qui existait avant l’action préten-
dument illégale du défendeur . 1

1 Même dans ce cas, l’objet de la mesure provisoire demeure la sauvegarde du droit qui
est l’objet du litige devant la Cour, car, à ce stade, il n’est pas question de réparer le dom-
mage. Ainsi que l’avait souligné E. Dumbauld: «interim protection looks to the future»
(Interim Measures of Protection in International Controversies , 1932, p. 164).

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SEPARATE OPINION OF JUDGE BENNOUNA

[Translation]

Relationship between the principal proceedings and the request for the indica-
tion of provisional measures — Safeguard of rights and preservation of status

quo — Violation of rights and risk of irreparable prejudice — Parties’ agree-
ment to a prima facie examination by the Court of the existence of the rights
at issue — Circumstances authorizing the Court to rule prima facie on the
existence of the rights at issue — The Court avoided a debate on the rights.

1. Although I voted in favour of the operative part of the Order
adopted by the Court, I cannot fully accept the process of reasoning from
which it sprang. In particular, I regret that the Court did not take the
opportunity offered to it in this case to clarify the relationship between

the principal proceedings and the request for the indication of pro-
visional measures.
That relationship is inescapable, as was clearly stated by the Court in
the case concerning United States Diplomatic and Consular Staff in
Tehran:

“whereas, moreover, a request for provisional measures must by its

very nature relate to the substance of the case since, as Article 41
expressly states, their object is to preserve the respective rights of
either party; and whereas in the present case the purpose of the
United States request appears to be not to obtain a judgment,

interim or final, on the merits of its claims but to preserve the sub-
stance of the rights which it claims pendente lite”( United States Dip-
lomatic and Consular Staff in Tehran (United States of America v.
Iran), Provisional Measures, Order of 15 December 1979, I.C.J.

Reports 1979, p. 16, para. 28).

2. The Court’s jurisprudence has made it clear that the protection of
the rights of each party is ensured by means of provisional measures
adopted as a matter of urgency with a view to preventing irreparable
prejudice from nullifying the rights at issue which have been flouted. The
aim is undoubtedly to preserve the status quo and to make sure that there

is no “aggravation or extension of the dispute”, to use the Court’s termi-
nology. Yet we have to ask ourselves whether this is to preserve the status
quo prevailing at the time of the seisin of the Court or to restore that
which existed prior to the Respondent’s allegedly unlawful act . 1

1Even in this instance, the purpose of the provisional measure is still to safeguard the
right at issue in the dispute before the Court, since there is no question of reparation for
the prejudice at that stage, as was pointed out by E. Dumbauld: “interim protection looks
to the future” (Interim Measures of Protection in International Controversies, 1932, p. 164).

33143 USINES DE PÂTE À PAPIER (OP.IND .BENNOUNA )

3. Dans ce dernier cas, la violation des droits protégés porte en elle-

même le risque d’un dommage irréparable et la Cour peut décider à titre
provisoire, comme elle l’a fait dans l’affaire du Personnel diplomatique et
consulaire des Etats-Unis à Téhéran , précitée, de mesures conservatoires
de la situation existant avant l’action prétendument illégale. C’est ainsi
que la Cour s’est prononcée prima facie en faveur de l’existence des droits

invoqués dont la violation représente par elle-même un dommage irrépa-
rable. En d’autres termes, les droits invoqués par les Etats-Unis dans
l’affaire du Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhé-
ran sont présumés et la Cour pouvait d’autant plus aisément parvenir à
cette conclusion prima facie que l’Iran ne s’est pas présenté devant elle et

n’a pas eu l’occasion de contester réellement les droits en question. Il est
plus simple, en effet, pour la Cour, en application de l’article 53 du Sta-
tut, d’adjuger à la partie demanderesse ses conclusions, notamment quant
à la présomption en faveur des droits invoqués.

4. De même, la Cour peut éviter de s’engager dans la discussion sur
l’existence prima facie des droits à protéger, lorsque ce n’est pas leur exis-
tence même qui est en cause mais leur portée.
Ainsi dans l’affaire du Passage par le Grand-Belt :

«la Cour observe qu’il n’est pas contesté qu’il existe, pour la Fin-
lande, un droit de passage par le Grand-Belt, le différend qui oppose
les Parties ayant trait à la nature et à l’étendue de ce droit, et notam-
ment à son applicabilité à certains navires de forage et plates-formes
pétrolières» (Passage par le Grand-Belt (Finlande c. Danemark),

mesures conservatoires, ordonnance du 29 juillet 1991, C.I.J. Recueil
1991, p. 17, par. 22).

D’autre part, dans l’affaire des Essais nucléaires, les juges se sont divi-
sés sur la situation juridique existante qui doit être préservée pendente

lite, notamment sur le contenu du droit de procéder à des essais nu-
cléaires (Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France), mesures conser-
vatoires, ordonnance du 22 juin 1973, C.I.J. Recueil 1973 , p. 135; voir
notamment les opinions dissidentes des juges Forster et Petrén).
Le problème qui nous concerne dans la requête en mesures conserva-

toires introduite par l’Argentine contre l’Uruguay est plus complexe,
puisque les deux Parties ont engagé un véritable débat devant la Cour sur
l’existence même du droit invoqué par l’Argentine à ce que l’autorisation
de construire les usines de pâte à papier ne soit donnée, ni que le lance-
ment des travaux ne soit effectué, sans l’accord préalable des deux pays.

5. La Cour ne devait-elle pas saisir cette occasion et se demander si,
dans certaines circonstances, elle n’est pas tenue d’examiner prima facie
l’existence du droit en cause? D’autant plus que cette question a divisé
jusqu’à présent les juges et la doctrine (voir l’opinion individuelle du juge
Shahabuddeen jointe à l’ordonnance précitée de la Cour du 29 juillet

1991 dans l’affaire du Passage par le Grand-Belt (Finlande c. Dane-
mark), C.I.J. Recueil 1991 , notamment p. 29 et suiv.).

34 PULP MILLS (SEP. OP. BENNOUNA ) 143

3. If the latter is the case, the violation of protected rights of itself

carries the risk of irreparable prejudice and the Court can indicate pro-
visionally, as it did in the case concerning United States Diplomatic and
Consular Staff in Tehran , measures to restore the situation existing
before the allegedly unlawful act. The Court thus acknowledged prima
facie the existence of the rights claimed, the violation of which in itself

represented irreparable prejudice. In other words, the rights claimed by
the United States in the United States Diplomatic and Consular Staff in
Tehran case were presumed to exist, and the Court could more readily
come to this prima facie conclusion since Iran did not appear before it
and did not have the opportunity effectively to contest the rights con-

cerned; and indeed Article 53 of the Statute makes it easier for the
Court to decide in favour of the Applicant, in particular as regards the
presumption in favour of the rights claimed.

4. Similarly, the Court can avoid a debate as to the prima facie
existence of the rights to be protected, when it is not their actual existence
but their extent which is at issue.
Thus in the case concerning Passage through the Great Belt :

“the Court notes that the existence of a right of Finland of passage
through the Great Belt is not challenged, the dispute between the
Parties being over the nature and extent of that right, including its
applicability to certain drill ships and oil rigs” (Passage through the
Great Belt (Finland v. Denmark), Provisional Measures, Order of

29 July 1991, I.C.J. Reports 1991 , p. 17, para. 22).

In the Nuclear Tests case, the Court was divided as to the existing legal
situation which needed to be preserved pendente lite, inter alia on the

scope of the right to carry out nuclear tests (Nuclear Tests (New Zealand
v. France), Interim Protection, Order of 22 June 1973, I.C.J Reports
1973, p. 135; see notably the dissenting opinions of Judges Forster and
Petrén).
The issue raised by the request for the indication of provisional meas-

ures filed by Argentina against Uruguay is more complex, since the two
Parties engaged in a full-scale debate before the Court as to the very
existence of the right claimed by Argentina, namely that authorization to
build the pulp mills could not be given, nor could work on the sites begin,
without the prior agreement of both States.

5. Should the Court not have taken this opportunity to consider
whether, in certain circumstances, it is not obliged to examine prima facie
the existence of the right concerned? Especially as this is an issue on
which both judges and doctrine are still divided (see the separate opinion
of Judge Shahabuddeen appended to the above Order of 29 July 1991 in

the case concerning Passage through the Great Belt (Finland v. Den-
mark), I.C.J. Reports 1991 , notably pp. 29 et seq.)

34144 USINES DE PÂTE À PAPIER (OP .IND .BENNOUNA )

6. Je pense que la Cour pouvait s’engager dans cette voie, en prenant
toutes les précautions indispensables pour ne pas être taxée d’avoir, ce
faisant, préjugé du fond de l’affaire. L’Argentine, au demeurant, n’a pas
demandé à la Cour de décider définitivement sur une partie de ses deman-

des; elle lui a proposé seulement de geler la situation en attendant l’arrêt
au fond (dans l’affaire de l’Usine de Chorzów, la Cour a considéré que

«la demande du Gouvernement allemand ne peut être considérée
comme visant l’indication des mesures conservatoires, mais comme
tendant à obtenir un jugement provisionnel adjugeant une partie des
conclusions de la susdite requête» (ordonnance du 21 novembre
o
1927, C.P.J.I. série A n 12, p. 10)).
7. D’ailleurs les Parties elles-mêmes étaient d’accord pour que la Cour

se prononçât prima facie sur l’existence du droit revendiqué, à savoir le
droit à ce que les ouvrages ne soient pas construits sans leur accord com-
mun préalable, droit dit procédural. En effet, l’Argentine a tout d’abord
énuméré, parmi les droits qu’elle cherche à sauvegarder, dans sa demande

du 4 mai 2006 en indication de mesures conservatoires:
«le droit à ce que l’Uruguay n’autorise ni n’entreprenne la construc-

tion d’ouvrages susceptibles de causer des préjudices sensibles au
fleuve Uruguay — bien juridique dont l’intégrité doit être préser-
vée — ou à l’Argentine».

8. La question de savoir qui, en dernière analyse, autorise cette cons-
truction, en cas de divergences entre les Parties sur les «préjudices sen-
sibles», restait cependant posée.

Dans ses plaidoiries, l’Argentine devait préciser son interprétation du
statut:

«[S]i l’Argentine a fait des objections à un projet soumis à ces
conditions énoncées par le statut — comme elle l’a fait en l’espèce à
de multiples reprises — l’Uruguay ne peut construire aucun
ouvrage... L’Argentine a un droit indéniable à ce qu’il soit interdit à

l’Uruguay de réaliser tout ouvrage. L’article 9 [du statut] établit une
obligation de «non construction». C’est aussi simple que cela.»
(CR 2006/46, p. 31, par. 12 (Sands).)

9. En quelque sorte, l’Argentine estime que si les Parties divergent sur
le point de savoir si un projet est susceptible de causer des préjudices sen-
sibles au fleuve Uruguay, il s’ensuit une obligation pour l’Uruguay de ne

pas l’autoriser et un droit pour l’Argentine qu’il ne le soit pas. Celle-ci en
conclut que

«la poursuite de la construction ... cause un préjudice irréparable
non seulement aux droits de l’Argentine mais également ... au bon
fonctionnement de la Cour qui joue un rôle très important dans le
système établi par le statut» (CR 2006/46, p. 32, par. 14 (Sands)).

35 PULP MILLS (SEP. OP.BENNOUNA ) 144

6. In my opinion, the Court could have addressed this issue, while
taking all necessary precautions to avoid being accused of having, in so
doing, prejudged the merits of the case. Argentina had not in any case
asked the Court to rule finally on part of its claims; it had merely pro-

posed that the status quo be maintained pending final judgment (in the
Factory at Chorzów case, the Court held that

“the request of the German Government cannot be regarded as
relating to the indication of measures of interim protection, but as
designed to obtain an interim judgment in favour of a part of the
claim formulated in the Application above mentioned” (Order of

21 November 1927, P.C.I.J., Series A, No. 12 , p. 10)).
7. The Parties were, moreover, agreed that the Court should rule

prima facie on the existence of the right claimed, that is to say the right
whereby construction work could not be commenced without their prior
agreement — a right described as “procedural”. And indeed, foremost of
the rights that Argentina sought to safeguard in its request for provi-

sional measures of 4 May 2006 was
“the right to ensure that Uruguay shall not authorize or undertake

the construction of works liable to cause significant damage to the
River Uruguay — a legal asset whose integrity must be safe-
guarded — or to Argentina”.

8. However, the issue of who, in the final analysis, authorizes such
construction, in the event of disagreement between the Parties as to what
constitutes “significant damage”, remained unanswered.

In oral argument, Argentina expressed its interpretation of the Statute
more precisely:

“[W]here Argentina has objected to a project that is subject to the
requirements of the Statute — and it has, time and time again, in the
present case — Uruguay is not entitled to carry out any work at
all...ArgentinahastheclearrightthatUruguaymaynotcarryout

any works. Article 9 establishes a ‘no construction’ obligation. It is
as simple as that.” (CR 2006/46, p. 31, para. 12 (Sands).)

9. Argentina effectively takes the view that, if the Parties differ over
the issue of whether a project is liable to cause significant damage to the
River Uruguay, there is a consequential obligation on Uruguay not to

authorize that project and a right on the part of Argentina that it should
not be authorized. Argentina accordingly argued that

“[t]he fact that Uruguay has allowed construction to continue . . .
causes irreparable damage not only to Argentina’s rights but also . . .
to the effective functioning of this Court, which has a very signifi-
cant role in the scheme established by the Statute” (CR 2006/46,

p. 32, para. 14 (Sands)).

35145 USINES DE PÂTE À PAPIER (OP.IND .BENNOUNA )

10. L’Uruguay, de son côté, admet que là se situe le centre du débat

entre les Parties sur l’indication des mesures conservatoires:
«Le débat de ces derniers jours a été clarificateur parce qu’il a mis

à nu le vrai objet, ou plutôt le cŒur même du différend qui oppose
les parties. Le cŒur du différend est justement représenté par la ques-
tion de savoir si, oui ou non, un droit de veto subsiste d’après le sta-
tut qui nous intéresse: tout se résume en fin de compte à cela.
Or il va de soi qu’un tel différend fondamental ne saurait être

tranché par la Cour à ce stade de la procédure. Il n’en reste pas
moins que votre Cour est bien obligée d’en connaître sommairement
maintenant parce que — il faut le dire — elle ne pourrait pas accor-
der les mesures conservatoires demandées qu’à condition de recon-

naître, tout au moins prima facie, que le statut confère effectivement
aux parties un droit de veto. Si par contre la Cour devait constater
qu’il y a des raisons sérieuses pour en douter, alors l’octroi des me-
sures conservatoires ne se justifierait pas...» (CR 2006/49, p. 19-20,
par. 8-9 (Condorelli).)

11. Dans ces conditions, la Cour devait se poser la question de l’exis-
tence de ce droit prima facie. Il est vrai cependant qu’il n’est pas appro-

prié de la trancher, même prima facie, lorsque le doute subsiste, du fait de
la complexité, de l’ambiguïté, ou du silence éventuels des documents en
cause (en particulier le statut de 1975 du fleuve Uruguay) qui ne permet-
traient pas d’arbitrer à ce stade entre les interprétations divergentes des
Parties. Dans cette hypothèse, le renvoi de toute la discussion à la phase

du fond s’imposerait. Et c’est précisément la situation dans laquelle la
Cour s’est trouvée face à la demande de l’Argentine de se voir reconnaître
un droit à ce que les travaux soient autorisés d’un commun accord. Une
fois l’appréciation faite des droits en présence, le risque d’un préjudice
irréparable et l’indication ou non de mesures conservatoires devraient en

découler. Il manque donc, à notre sens, un chaînon dans le raisonnement
de la Cour, celui relatif à l’existence ou non prima facie du droit invoqué.

12. En effet, ce chaînon du raisonnement est important, comme l’ont
perçu les Parties elles-mêmes, puisqu’il détermine la réponse qui sera

apportée à la demande en indication de mesures conservatoires, tout au
moins dans la partie relative à la suspension des travaux. S’il est établi
prima facie que l’Uruguay ne peut les entreprendre sans que l’Argentine
y ait consenti, alors il convient d’urgence de préserver ce droit de l’Argen-
tine par le retrait des autorisations qui ont été données et le gel de la

situation sur le terrain. Par contre, si de prime abord, le statut de 1975,
interprété correctement, selon les méthodes admises en la matière, et
d’éventuels accords subséquents, ne permettent pas de répondre positive-
ment à la question, alors le débat sera reporté à la discussion au fond de
l’affaire.

13. La Cour a choisi d’éluder cette discussion (alors que les deux
Parties s’y étaient engagées), en se contentant d’affirmer que même si le

36 PULP MILLS SEP .OP. BENNOUNA ) 145

10. Uruguay, for its part, acknowledged that this is the crux of the

debate between the Parties over the indication of provisional measures:
“The last few days’ proceedings have been revealing, because they

have shown up the real subject, or rather the very heart, of the
dispute between the Parties. The heart of the dispute is represented
by the question whether, yes or no, a right of veto exists under this
Statute: in the last analysis everything comes down to this.
However, it goes without saying that such a fundamental differ-

ence of opinion cannot be settled by the Court at this stage of pro-
ceedings. The fact remains that your Court is obliged to deal with it
summarily now because — it has to be said — it could not grant the
provisional measures requested unless it recognized, at least prima

facie, that the Statute did give the Parties a right of veto. If on the
other hand, the Court were to find that there were serious reasons
for doubting this, the granting of provisional measures would not be
justified . . .” (CR 2006/49, pp. 19-20, paras. 8-9 (Condorelli).)

11. In these circumstances, the Court should have examined the issue
of the prima facie existence of this right. It is, however, true that it would

not have been appropriate to settle the issue, even prima facie, if doubt
subsisted as a result of the possible complexity, ambiguity or silence of
the texts concerned (in particular the 1975 Statute of the River Uruguay),
making it impossible to decide at this stage between the Parties’ differing
interpretations. In that case, all discussion would have to be postponed

until the merits stage. And that was precisely the situation in which the
Court found itself when faced with Argentina’s request for a finding that
it had a right to make the works subject to joint authorization. Once a
decision had been reached as to the existence of the rights at issue, the
risk of irreparable prejudice and the indication or otherwise of provi-

sional measures should then have followed from this. There is therefore,
in my opinion, a link missing in the Court’s reasoning, namely as to the
prima facie existence of the right claimed.
12. This link in the reasoning is significant, as the Parties themselves
recognized, since it determined the answer to be given to the request for

the indication of provisional measures, at least as far as the suspension of
construction was concerned. If the Court found prima facie that Uruguay
could not initiate the works without Argentina’s consent, then Argen-
tina’s right would need to be safeguarded urgently by the withdrawal
of the authorizations granted and the freezing of the situation on the

ground. If, however, the 1975 Statute — correctly interpreted in accord-
ance with accepted methods — and any later agreements did not permit
of such a response, then debate on the issue would be postponed until
consideration of the merits of the case.

13. The Court has chosen to evade the issue (whereas both Parties had
addressed it) by confining itself to stating that, if the right claimed by

36146 USINES DE PÂTE À PAPIER OP .IND .BENNOUNA )

droit invoqué par l’Argentine avait été violé, cela ne signifie pas qu’il ne

sera pas toujours possible d’y remédier au stade du fond (paragraphes 70
et 71 de l’ordonnance), autrement dit, il ne s’agirait pas d’un préjudice
irréparable. Mais ce n’est là qu’une pétition de principe de la Cour, car si
la fonction des mesures conservatoires est de préserver les droits en pré-

sence, la Cour devrait veiller à ce que ceux-ci ne soient pas purement et
simplement annihilés. Or que devient le droit éventuel de l’Argentine de
consentir aux travaux si ceux-ci, une fois autorisés sans son accord, pou-
vaient se poursuivre jusqu’à leur terme, alors que la Cour était saisie ?Le

droit aurait bel et bien disparu et on ne voit pas quelle mesure de répara-
tion pourrait le ressusciter. Certes, la construction de ces usines colossales
de pâte à papier n’est pas un «fait accompli», comme l’a souligné la
Cour, mais que sait-on des effets qu’elle pourrait avoir à court et à

moyen terme sur le site considéré, promis à une vocation touristique du
côté argentin?
14. La Cour n’a pas osé lever le voile qui, dans sa jurisprudence,
recouvre pudiquement les droits en cause à cette phase de la procédure.

On peut estimer qu’elle le fait implicitement, sans le dire; mais, comme en
toutes choses, sa fonction ne pourrait que gagner à être expressément cla-
rifiée.
15. Est-ce que cela signifie qu’il y a un risque d’un glissement du débat

à ce niveau vers des questions qui devraient être traitées au stade du
fond? Je ne le pense pas. Les Parties n’ont-elles pas dans cette affaire
débattu du droit en litige et demandé à la Cour de se prononcer à son
sujet prima facie, tout en restant dans les limites du temps qui leur était

imparti et sans jamais aborder réellement le fond? Et encore une fois, il
s’agit d’une question de dosage, de degré dans le traitement des pro-
blèmes et non de leur nature, tant il est vrai qu’on ne peut séparer tota-
lement l’instance en indication de mesures conservatoires de l’instance au

fond, les droits en cause formant le lien indissoluble entre elles. La diffé-
rence est que d’un côté on veut les préserver à titre provisoire et que, de
l’autre, on vise le règlement définitif des différends nés à leur sujet.

16. C’est pour cela que je regrette cette occasion manquée par la Cour
de clarifier cet aspect des mesures conservatoires. Il n’en demeure pas
moins qu’ayant considéré que les éléments mis à la disposition de la Cour
ne lui permettaient pas de se prononcer, prima facie, au sujet du droit

invoqué par l’Argentine et, partageant le reste du raisonnement de la
Cour, j’ai voté en faveur de l’ordonnance.

(Signé) Mohamed B ENNOUNA .

2 Karin Oellers-Frahm a souligné, dans son commentaire de l’article 41 du Statut:
«what is to be preserved is the subject-matter of the right, the factual use of the right
which would be impossible if the subject-matter were irreparably destroyed» (The Statute
of the International Court of Justice , dir. publ. A. Zimmermann et al., 2006, p. 931).

37 PULP MILLS (SEP. OP. BENNOUNA ) 146

Argentina had been violated, this did not mean that redress would not be

possible at the merits stage (paras. 70 and 71 of the Order) — in other
words, that the prejudice would not be irreparable. That, however, begs
the question, since, if the purpose of provisional measures is to preserve
the rights at issue, the Court must ensure that these are not simply ren-

dered nugatory. What, then, would be the fate of Argentina’s possible
right of consent in respect of the works if, having been authorized with-
out its agreement, these could be continued to completion at a time when
the Court was already seised of the matter ? That right would have

simply ceased to exist and it is difficult to see what measure of redress
could bring it back to life again. True, the construction of these massive
pulp mills is not a “fait accompli” — as the Court has emphasized — but
what do we know of the short- and medium-term impact it will have on

the area concerned, which on the Argentine side of the border is due to
be developed for tourism?
14. The Court preferred not to raise the veil which, in its jurispru-
dence, modestly conceals the rights at issue at this stage of the proceed-

ings. We may conclude that it did so implicitly, without actually saying as
much; but, as in all things, its task could only benefit from being made
explicit.
15. Would that involve a risk of the Court addressing now issues

which should properly be dealt with at the merits stage? I do not think
so. Did not the Parties debate the right at issue and request a decision
from the Court on a prima facie basis, while keeping within the time-
limits allotted to them, without ever effectively addressing the merits?

And, once again, it is all a question of dosage, of the extent to which the
issues are addressed, rather than a matter of their nature, given that the
proceedings on the request for provisional measures cannot be totally
severed from the principal proceedings, as the rights at issue form an

indissoluble link between them. The difference is that, in the case of
the former, it is sought to safeguard rights on a temporary basis while,
for the latter, the aim is to arrive at a final settlement of the disputes
having arisen regarding them.

16. That is why I regret that the Court failed to take this opportunity
to clarify that aspect of provisional measures. The fact remains that,
since I also considered that the evidence presented to the Court was
insufficient for it to determine prima facie whether the right claimed by

Argentina existed and I agreed with the rest of the Court’s reasoning,
I voted in favour of the Order.

(Signed) Mohamed B ENNOUNA .

2In her commentary on Article 41 of the Statute, Karin Oellers-Frahm pointed out that
“what is to be preserved is the subject-matter of the right, the factual use of the right
which would be impossible if the subject-matter were irreparably destroyed” (The Statute
of the International Court of Justice , ed. A. Zimmermann et al., 2006, p. 931).

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Opinion individuelle de M. le juge Bennouna

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