Opinion individuelle de M. le juge Abraham

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135-20060713-ORD-01-02-EN
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137

OPINION INDIVIDUELLE DE M. LE JUGE ABRAHAM

Accord avec le dispositif de l’ordonnance — Caractère insuffisamment expli-
cite de la motivation sur un point — Question des relations entre le bien-fondé
des prétentions du demandeur et le prononcé des mesures conservatoires — Doc-
trine de la séparation tranchée entre les questions relatives à l’étendue et à
l’existence des droits en litige et celles ayant trait à la nécessité des mesures

provisoires — Caractère erroné de cette doctrine — Nécessité pour la Cour de
tenir compte de l’existence de droits opposés — Droit fondamental du défendeur
d’agir comme bon lui semble pourvu que son action soit conforme au droit inter-
national — Lien entre la question discutée et le caractère obligatoire des
mesures conservatoires affirmé par l’arrêt LaGrand — Nécessité d’un mini-
mum de contrôle sur l’existence du droit revendiqué par l’Etat demandeur —
Critère du fumus boni juris, bien connu d’autres juridictions — Les trois condi-
tions nécessaires pour que la Cour ordonne une mesure conservatoire contrai-
gnant le défendeur à adopter un certain comportement — Inutilité de l’examen
de l’ensemble de ces conditions, si l’une d’elles n’est pas remplie.

1. J’approuve pleinement la conclusion à laquelle est parvenue la Cour
dans la présente ordonnance, à savoir qu’il n’était pas justifié, dans les
circonstances actuelles, de prononcer les mesures conservatoires sollici-
tées par le requérant. Il est cependant une question de principe sur

laquelle la motivation de l’ordonnance est, à mes yeux, insuffisamment
explicite: celle des relations entre le bien-fondé, ou l’apparence de bien-
fondé, des prétentions du demandeur quant au droit qu’il revendique, et
qui forme l’objet de la procédure principale, et le prononcé des mesures
d’urgence qu’il demande à la Cour d’ordonner.

2. Je comprends parfaitement qu’il n’était pas indispensable pour la
Cour de traiter en détail cette question controversée, dès lors que, dans
les circonstances de l’espèce, elle pouvait justifier en droit sa décision par
des motifs à la fois nécessaires et suffisants, sans qu’il soit besoin de tran-
cher un point dont les Parties avaient certes débattu, mais qui pouvait
être réservé sans dommage pour la cohérence et le caractère complet du

raisonnement suivi aux fins de la décision à rendre.
Je ne suis certes pas adversaire de l’économie de motifs, et je ne pense
pas qu’il soit dans la mission de la Cour de présenter une théorie générale
sur chacune des questions qui sont débattues devant elle à l’occasion des
affaires qui lui sont soumises.

En l’espèce, cependant, il me semble que la Cour aurait pu, sans
trop déroger à la bonne règle de l’économie de moyens, saisir l’occasion
de la présente ordonnance pour mettre un peu plus de clarté dans
une question qui demeure, il faut bien le reconnaître, passablement
obscure.

28138 USINES DE PÂTE À PAPIER (OP. IND. ABRAHAM )

Je souhaite contribuer, par les observations qui suivent, à un effort de

clarification que la Cour devra bien, tôt ou tard, mener elle-même à son
terme.
3. Le débat n’est pas neuf, et quelques-uns de mes éminents prédéces-
seurs se sont employés, par le passé, à en éclaircir les données essentielles.
A vrai dire, sur la question dont il s’agit, mon avis ne diffère pas sub-

stantiellement de celui qu’a exposé, par exemple, le juge Shahabuddeen
dans son opinion individuelle jointe à l’ordonnance du 29 juillet 1991 ren-
due par la Cour dans l’affaire du Passage par le Grand-Belt (Finlande
c. Danemark) (mesures conservatoires, C.I.J. Recueil 1991 , p. 28-36), à
laquelle je pourrais presque me borner à renvoyer. Qu’il me soit permis,

cependant, d’y ajouter les commentaires suivants, qui tiennent compte,
notamment, de l’évolution de la jurisprudence de la Cour ces dernières
années en matière de mesures conservatoires.
4. Selon une opinion courante, et peut-être majoritaire en doctrine, la

Cour, lorsqu’elle est appelée à statuer sur une demande tendant à ce
qu’elle indique des mesures conservatoires sur le fondement de l’article 41
du Statut, devrait s’abstenir — et s’abstiendrait effectivement — d’exa-
miner, si peu que ce soit, le bien-fondé des prétentions de la partie qui
sollicite de telles mesures, généralement la partie requérante au principal,

quant aux droits qu’elle affirme posséder, et pour la protection desquels
elle sollicite les mesures en question. Elle devrait se borner — et se bor-
nerait effectivement — à rechercher si, dans les circonstances de la cause,
les droits revendiqués, et dont seule l’issue de la procédure principale per-
mettra d’établir s’ils existent effectivement ou non, sont susceptibles de

subir un dommage irréparable, à défaut de mesures tendant à leur protec-
tion provisoire, dans l’attente de la décision finale. En d’autres termes, la
Cour devrait faire comme si les droits revendiqués existaient bel et bien,
et se demander seulement si, à supposer qu’elle en reconnaisse finalement
l’existence dans son arrêt sur le fond, ils risquent de se trouver atteints

entre-temps dans des conditions telles que l’arrêt serait privé, au moins en
partie, de son efficacité.
5. Une telle manière de définir l’office du juge de l’urgence — ce qu’est
la Cour lorsqu’elle exerce le pouvoir que lui confère l’article 41 de son
Statut — postule une séparation nette et tranchée entre les questions rela-

tives à l’existence et à l’étendue des droits qui sont en litige, questions qui
ne pourraient faire l’objet d’aucun examen, même prima facie, ni d’aucune
détermination, fût-elle provisoire, avant la phase de l’examen du fond, et
les questions relatives à la nécessité des mesures provisoires, laquelle
pourrait et devrait être appréciée par la Cour sans toucher le moins du

monde au bien-fondé des thèses en présence dans le différend principal.
C’est cette séparation que je crois illusoire; serait-elle même possible,
elle ne serait pas souhaitable. Voici pourquoi je considère la doctrine que
je viens de résumer comme fausse.
6. La raison principale est que la Cour n’est jamais, et ne peut jamais

être, par construction logique, en présence seulement de droits revendi-
qués par l’une des parties, qu’elle pourrait (provisoirement) supposer éta-

29139 USINES DE PÂTE À PAPIER (OP. IND. ABRAHAM )

blis, aux seules fins de se prononcer sur la question de savoir s’ils ont

besoin d’être protégés.
Quand elle est saisie d’une demande de mesures provisoires, la Cour est
forcément en présence de droits (ou de prétendus droits) opposés, ceux
que les deux parties revendiquent, qu’elle ne peut pas éviter de confronter
les uns aux autres. Il y a, d’un côté, le(s) droit(s) revendiqué(s) par le

demandeur, que celui-ci prétend menacé(s), et dont il réclame la protec-
tion provisoire. Mais il y a aussi, de l’autre, le(s) droit(s) du défendeur, et
au moins, dans tous les cas, le droit fondamental qui appartient à toute
entité souveraine d’agir comme bon lui semble pourvu que son action ne
soit pas contraire au droit international. Or, la mesure sollicitée de la

Cour par le demandeur consiste souvent — comme dans la présente
affaire — à enjoindre au défendeur d’accomplir un acte qu’il ne souhaite
pas accomplir, ou de s’abstenir — provisoirement — d’accomplir un acte
qu’il souhaite, et entendait bien, accomplir. En adressant de telles injonc-

tions, la Cour interfère nécessairement avec les droits souverains du
défendeur, dont elle limite l’exercice. Certes, il n’y a rien que de très nor-
mal à ce qu’un organe judiciaire impose à une partie une certaine obliga-
tion de comportement. Encore faut-il, spécialement quand la partie en
cause est un Etat souverain, que l’obligation ainsi imposée repose sur une

base juridique suffisamment solide. En d’autres termes, il est à mes yeux
impensable que la Cour impose à un Etat d’agir d’une certaine manière
s’il n’y a pas quelque raison d’estimer que l’action prescrite correspond à
une obligation juridique incombant à cet Etat (et préexistant à la décision
de la Cour), ou qu’elle ordonne à un Etat de s’abstenir d’une action, de la

suspendre ou de l’interrompre, s’il n’y a pas quelque raison de croire que
ladite action est, ou serait, entachée d’illicéité.
7. A cet égard, on ne peut pas s’empêcher d’établir un lien entre la
question qui est ici discutée et l’affirmation par la Cour, dans son arrêt du
27 juin 2001 en l’affaire LaGrand (Allemagne c. Etats-Unis d’Amérique)

(arrêt, C.I.J. Recueil 2001 , p. 466), du caractère obligatoire des mesures
prescrites par la Cour dans ses ordonnances prises en application de
l’article 41 du Statut.
8. Jusqu’à cet arrêt, un grand nombre d’Etats, pour ne pas dire la plu-
part, ainsi qu’une partie très substantielle de la doctrine, pensaient que les

mesures provisoires indiquées par la Cour étaient des recommandations
dépourvues de valeur contraignante. Quoique l’on puisse sérieusement
douter que la Cour, même avant l’arrêt LaGrand, était en pratique indif-
férente au bien-fondé apparent des arguments que les parties soutenaient
devant elle relativement au litige principal quand elle rendait une ordon-

nance comportant l’indication de mesures provisoires, l’on pouvait à la
rigueur accepter, à l’époque, la thèse selon laquelle la juridiction ne pro-
cédait à aucun examen du fond avant d’adresser aux parties des invita-
tions à agir — ou à s’abstenir d’agir — que l’on croyait couramment,
bien qu’à tort, dépourvues de caractère obligatoire. Point n’est besoin,

pour adresser à un Etat une simple suggestion, de s’assurer que celle-ci ne
risque pas de froisser ses droits souverains, puisque le destinataire de la

30140 USINES DE PÂTE À PAPIER (OP. IND. ABRAHAM )

recommandation, libre de lui donner la suite qu’il estimera convenir,

pourra intégrer à son appréciation le jugement qu’il porte quant à la cer-
titude, plus ou moins ferme, de son bon droit et au caractère plus ou
moins éminent des intérêts qui sont en jeu. En somme, la doctrine de la
séparation tranchée entre les questions de fond et celles relatives à la pro-
tection provisoire, que je crois avoir toujours été erronée, pouvait passer

à la rigueur pour être en harmonie avec la croyance répandue, avant
l’arrêt LaGrand, de l’absence de caractère contraignant des ordonnances
de la Cour.
Tel ne peut plus être le cas depuis l’arrêt du 27 juin 2001. L’on sait
désormais que la Cour ne suggère pas: elle ordonne. Or, et c’est là le

point essentiel, elle ne peut pas ordonner à un Etat d’adopter un certain
comportement simplement parce qu’un autre Etat prétend qu’un tel com-
portement est nécessaire pour préserver ses propres droits, sans exercer
un minimum de contrôle sur le point de savoir si les droits ainsi revendi-

qués existent, et s’ils risquent d’être méconnus — et de l’être de manière
irrémédiable — en l’absence des mesures conservatoires qu’il lui est
demandé de prescrire; sans jeter, par conséquent, un regard sur le fond
du litige.
9. Exercer un minimum de contrôle, jeter un regard, ne signifie pas,

bien évidemment, se faire une opinion complète et définitive sur le fond
du différend qu’elle aura — peut-être — à trancher ultérieurement. Il va
de soi qu’il n’est ni possible ni souhaitable que la Cour se forme une
conviction sur l’affaire, et encore moins qu’elle l’exprime, dès le premier
stade de la procédure. Mais en se livrant à un contrôle, par nature res-

treint, de l’apparence de bon droit attribuable à la partie demanderesse,
elle ne sort pas de sa mission de juge de l’urgence; elle l’exerce, au
contraire, raisonnablement. Le critère du fumus boni juris comme condi-
tion du prononcé de mesures conservatoires à caractère obligatoire est
bien connu de certaines juridictions internationales (par exemple la Cour

de Justice des Communautés européennes; voir entre autres l’intéressante
ordonnance du président de la CJCE du 19 juillet 1995, Commission c.
Atlantic Container Line AB e.a ., C-149/95), ainsi que de nombreux sys-
tèmes judiciaires nationaux. Il s’impose, en vérité, comme une sorte de
nécessité logique.

10. Il est vrai que cette condition peut être définie de manière plus ou
moins stricte.
L’on peut exiger du demandeur qu’il établisse prima facie le bien-fondé
de ses prétentions sur le fond du différend, c’est-à-dire qu’il démontre,
d’une part, qu’il possède, avec un certain degré de probabilité, le droit

qu’il revendique comme étant le sien, et, d’autre part, que ce droit risque
d’être méconnu, également avec un certain degré de probabilité, par le
comportement du défendeur. C’est une approche plutôt exigeante; je ne
suis pas sûr qu’il faille aller jusque là.
On peut aussi se satisfaire du constat que le droit revendiqué n’est pas

manifestement inexistant, et qu’il n’est pas manifestement exclu, en l’état
des informations dont dispose la Cour au stade de la procédure où elle se

31141 USINES DE PÂTE À PAPIER (OP. IND. ABRAHAM )

trouve, qu’il risque d’être porté atteinte à ce droit par le comportement
du défendeur. Le critère du fumus boni juris cède alors la place à celui du
fumus non mali juris. Mais ce sont là, à vrai dire, des nuances, et il existe
toute une variété de degrés intermédiaires, chacun d’entre eux pouvant

s’exprimer en une formule plus ou moins imprécise: que le demandeur
établisse la possibilité du droit qu’il revendique, ou l’apparence d’un tel
droit, etc.
L’essentiel, à mes yeux, est que le juge soit convaincu d’être en présence
d’une argumentation qui, sur le fond, présente un caractère suffisamment

sérieux — faute de quoi il ne saurait entraver le droit du défendeur d’agir
comme il l’entend, dans les limites fixées par le droit international.

11. Pour me résumer, je dirais qu’avant d’ordonner une mesure consis-
tant en une injonction faite au défendeur d’agir ou de s’abstenir d’agir

d’une certaine manière, en vue de préserver un droit revendiqué par le
demandeur, la Cour doit s’assurer de trois choses.

En premier lieu, que le droit en cause existe de façon plausible.
En deuxième lieu, que l’on peut raisonnablement soutenir que le com-
portement du défendeur porte atteinte, ou risque de porter atteinte de
façon imminente, au droit en question.

En troisième lieu et enfin, que dans les circonstances de l’espèce
l’urgence justifie une mesure de protection afin de mettre le droit dont il
s’agit à l’abri d’un dommage irréparable.

12. Les trois conditions qui précèdent étant cumulatives, il n’est pas
toujours nécessaire que la Cour se prononce sur la réalisation de chacune
d’entre elles: que l’une d’elles ne soit pas satisfaite, en effet, et la Cour est
dispensée d’examiner les deux autres.

13. Tel est le cas, tout particulièrement, lorsque la troisième condition
fait défaut: en l’absence d’urgence démontrée, il importe peu que le
défendeur viole ou non les droits du demandeur, cette question ne rede-
venant pertinente qu’au stade de l’examen du fond. Dans la présente

affaire, la Cour fonde essentiellement sa décision sur le défaut d’urgence
et l’absence de risque démontré de dommage irréparable, ce qui lui per-
met d’éviter la plupart des questions de fond, et je ne suis nullement en
désaccord avec cette démarche.

(Signé) Ronny A BRAHAM .

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OPINION INDIVIDUELLE DE M. LE JUGE ABRAHAM

Accord avec le dispositif de l’ordonnance — Caractère insuffisamment expli-
cite de la motivation sur un point — Question des relations entre le bien-fondé
des prétentions du demandeur et le prononcé des mesures conservatoires — Doc-
trine de la séparation tranchée entre les questions relatives à l’étendue et à
l’existence des droits en litige et celles ayant trait à la nécessité des mesures

provisoires — Caractère erroné de cette doctrine — Nécessité pour la Cour de
tenir compte de l’existence de droits opposés — Droit fondamental du défendeur
d’agir comme bon lui semble pourvu que son action soit conforme au droit inter-
national — Lien entre la question discutée et le caractère obligatoire des
mesures conservatoires affirmé par l’arrêt LaGrand — Nécessité d’un mini-
mum de contrôle sur l’existence du droit revendiqué par l’Etat demandeur —
Critère du fumus boni juris, bien connu d’autres juridictions — Les trois condi-
tions nécessaires pour que la Cour ordonne une mesure conservatoire contrai-
gnant le défendeur à adopter un certain comportement — Inutilité de l’examen
de l’ensemble de ces conditions, si l’une d’elles n’est pas remplie.

1. J’approuve pleinement la conclusion à laquelle est parvenue la Cour
dans la présente ordonnance, à savoir qu’il n’était pas justifié, dans les
circonstances actuelles, de prononcer les mesures conservatoires sollici-
tées par le requérant. Il est cependant une question de principe sur

laquelle la motivation de l’ordonnance est, à mes yeux, insuffisamment
explicite: celle des relations entre le bien-fondé, ou l’apparence de bien-
fondé, des prétentions du demandeur quant au droit qu’il revendique, et
qui forme l’objet de la procédure principale, et le prononcé des mesures
d’urgence qu’il demande à la Cour d’ordonner.

2. Je comprends parfaitement qu’il n’était pas indispensable pour la
Cour de traiter en détail cette question controversée, dès lors que, dans
les circonstances de l’espèce, elle pouvait justifier en droit sa décision par
des motifs à la fois nécessaires et suffisants, sans qu’il soit besoin de tran-
cher un point dont les Parties avaient certes débattu, mais qui pouvait
être réservé sans dommage pour la cohérence et le caractère complet du

raisonnement suivi aux fins de la décision à rendre.
Je ne suis certes pas adversaire de l’économie de motifs, et je ne pense
pas qu’il soit dans la mission de la Cour de présenter une théorie générale
sur chacune des questions qui sont débattues devant elle à l’occasion des
affaires qui lui sont soumises.

En l’espèce, cependant, il me semble que la Cour aurait pu, sans
trop déroger à la bonne règle de l’économie de moyens, saisir l’occasion
de la présente ordonnance pour mettre un peu plus de clarté dans
une question qui demeure, il faut bien le reconnaître, passablement
obscure.

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SEPARATE OPINION OF JUDGE ABRAHAM

[Translation]

Agreement with the dispositif of the Order — Reasoning insufficiently explicit
on one point — Relationship between the merit of the requesting party’s claims
and the ordering of the provisional measures — Writers’ view as to a clear sepa-
ration between issues regarding the existence and extent of the disputed rights
and issues concerning the need for provisional measures — Misguided nature of

this view — Need for the Court to take account of the existence of conflicting
rights — Respondent’s fundamental right to act as it chooses provided that its
actions are in compliance with international law — Connection between the
issue under discussion and the mandatory nature of provisional measures, as
affirmed in the LaGrand Judgment — Need for some minimum review in respect
of the existence of the right claimed by the requesting State — Criterion of
fumus boni juris well known to other courts — Three requirements to be met to
enable the Court to impose a provisional measure ordering the respondent to
adopt a certain course of conduct — Futility of considering all these require-
ments where any one of them is unmet.

1. I fully subscribe to the conclusion reached by the Court in the
present Order, i.e., that indicating the provisional measures requested by
the Applicant would not have been justified under the circumstances as
they now stand. There is however a question of principle in respect of

which I do not find the reasoning in the Order sufficiently explicit: the
question of the relationship between the merit, or prima facie merit, of
the arguments asserted by the party requesting the measures in respect of
the right that it claims, which is the subject-matter of the main proceed-
ings, and the ordering of the urgent measures it seeks from the Court.

2. I am well aware that the Court was not required to address this
much-debated issue in detail, since the circumstances of the case are such
that it could base its decision in law on grounds which were both neces-
sary and sufficient, without the need to decide a point which, while
argued by the Parties, could be deferred without impairing the coherence
or completeness of the reasoning adopted in reaching the decision

rendered.
I am of course not opposed to a certain economy of reasoning, and I
do not think it within the Court’s duties to propound a general theory on
each and every issue argued in the cases before it.

Yet I think that the Court, without departing too far from the sound
rule mandating good husbandry of resources, could in the present
case have seized the opportunity presented by this Order to shed some
light on a question which — it must be admitted — remains quite
abstruse.

28138 USINES DE PÂTE À PAPIER (OP. IND. ABRAHAM )

Je souhaite contribuer, par les observations qui suivent, à un effort de

clarification que la Cour devra bien, tôt ou tard, mener elle-même à son
terme.
3. Le débat n’est pas neuf, et quelques-uns de mes éminents prédéces-
seurs se sont employés, par le passé, à en éclaircir les données essentielles.
A vrai dire, sur la question dont il s’agit, mon avis ne diffère pas sub-

stantiellement de celui qu’a exposé, par exemple, le juge Shahabuddeen
dans son opinion individuelle jointe à l’ordonnance du 29 juillet 1991 ren-
due par la Cour dans l’affaire du Passage par le Grand-Belt (Finlande
c. Danemark) (mesures conservatoires, C.I.J. Recueil 1991 , p. 28-36), à
laquelle je pourrais presque me borner à renvoyer. Qu’il me soit permis,

cependant, d’y ajouter les commentaires suivants, qui tiennent compte,
notamment, de l’évolution de la jurisprudence de la Cour ces dernières
années en matière de mesures conservatoires.
4. Selon une opinion courante, et peut-être majoritaire en doctrine, la

Cour, lorsqu’elle est appelée à statuer sur une demande tendant à ce
qu’elle indique des mesures conservatoires sur le fondement de l’article 41
du Statut, devrait s’abstenir — et s’abstiendrait effectivement — d’exa-
miner, si peu que ce soit, le bien-fondé des prétentions de la partie qui
sollicite de telles mesures, généralement la partie requérante au principal,

quant aux droits qu’elle affirme posséder, et pour la protection desquels
elle sollicite les mesures en question. Elle devrait se borner — et se bor-
nerait effectivement — à rechercher si, dans les circonstances de la cause,
les droits revendiqués, et dont seule l’issue de la procédure principale per-
mettra d’établir s’ils existent effectivement ou non, sont susceptibles de

subir un dommage irréparable, à défaut de mesures tendant à leur protec-
tion provisoire, dans l’attente de la décision finale. En d’autres termes, la
Cour devrait faire comme si les droits revendiqués existaient bel et bien,
et se demander seulement si, à supposer qu’elle en reconnaisse finalement
l’existence dans son arrêt sur le fond, ils risquent de se trouver atteints

entre-temps dans des conditions telles que l’arrêt serait privé, au moins en
partie, de son efficacité.
5. Une telle manière de définir l’office du juge de l’urgence — ce qu’est
la Cour lorsqu’elle exerce le pouvoir que lui confère l’article 41 de son
Statut — postule une séparation nette et tranchée entre les questions rela-

tives à l’existence et à l’étendue des droits qui sont en litige, questions qui
ne pourraient faire l’objet d’aucun examen, même prima facie, ni d’aucune
détermination, fût-elle provisoire, avant la phase de l’examen du fond, et
les questions relatives à la nécessité des mesures provisoires, laquelle
pourrait et devrait être appréciée par la Cour sans toucher le moins du

monde au bien-fondé des thèses en présence dans le différend principal.
C’est cette séparation que je crois illusoire; serait-elle même possible,
elle ne serait pas souhaitable. Voici pourquoi je considère la doctrine que
je viens de résumer comme fausse.
6. La raison principale est que la Cour n’est jamais, et ne peut jamais

être, par construction logique, en présence seulement de droits revendi-
qués par l’une des parties, qu’elle pourrait (provisoirement) supposer éta-

29 PULP MILLS SEP .OP. ABRAHAM ) 138

By means of the following observations, I wish to contribute to the

exercise in clarification which the Court itself will inevitably be required
sooner or later to see through to completion.
3. The debate is not new and several of my distinguished predecessors
have endeavoured in the past to elucidate the crux of it. In truth, my view
of the question is not significantly at variance with, for example, that set

out by Judge Shahabuddeen in his separate opinion appended to the
Order of 29 July 1991 made by the Court in the case concerning Passage
through the Great Belt (Finland v. Denmark) (Provisional Measures,
I.C.J. Reports 1991, pp. 28-36), and I could nearly confine myself to
referring the reader to that opinion. I should like however to add the fol-

lowing comments, which take account in particular of developments in
the Court’s jurisprudence on provisional measures over recent years.

4. According to a widespread view, and perhaps even that of a major-

ity of the writers, the Court, when called upon to rule on a request for the
indication of provisional measures under Article 41 of the Statute,
should — and does in fact — refrain from all consideration of the merit
of the arguments by the party requesting the measures, usually the Appli-
cant in the main action, in respect of the claimed rights for which it seeks

protection through the measures. The Court should — and does in
fact — confine itself to ascertaining whether the circumstances are such
that the rights claimed, the existence or non-existence of which cannot be
determined until the conclusion of the main action, are in danger of
irreparable injury in the absence of measures for their interim protection

pending the final decision. In other words, the Court should proceed on
the basis that the claimed rights do in fact exist and it should consider
solely whether, on the assumption that it will ultimately uphold them in
its decision on the merits, they are liable to be violated in the interim in
such way that the final judgment will be rendered ineffective, at least

in part.

5. This definition of the role of a court asked to grant interim relief —
which describes the Court when exercising its power under Article 41 of
the Statute — is premised on a sharp, clear separation between, on the

one hand, issues as to the existence and extent of the disputed rights,
issues which cannot be considered, even prima facie, or resolved, even
provisionally, before the merits phase, and, on the other, questions as to
the need for provisional measures, which can and should be assessed by
the Court without any thought to the merit of the arguments advanced in

the main proceedings.
I find this separation illusory; even if it were possible, it would be
undesirable. Here is why I consider the writers’ view I have just sum-
marized to be wrong.
6. The main reason is that the Court is never, and in all logic can never

be, confronted solely with rights asserted by only one of the parties,
rights which it could (provisionally) assume to be established exclusively

29139 USINES DE PÂTE À PAPIER (OP. IND. ABRAHAM )

blis, aux seules fins de se prononcer sur la question de savoir s’ils ont

besoin d’être protégés.
Quand elle est saisie d’une demande de mesures provisoires, la Cour est
forcément en présence de droits (ou de prétendus droits) opposés, ceux
que les deux parties revendiquent, qu’elle ne peut pas éviter de confronter
les uns aux autres. Il y a, d’un côté, le(s) droit(s) revendiqué(s) par le

demandeur, que celui-ci prétend menacé(s), et dont il réclame la protec-
tion provisoire. Mais il y a aussi, de l’autre, le(s) droit(s) du défendeur, et
au moins, dans tous les cas, le droit fondamental qui appartient à toute
entité souveraine d’agir comme bon lui semble pourvu que son action ne
soit pas contraire au droit international. Or, la mesure sollicitée de la

Cour par le demandeur consiste souvent — comme dans la présente
affaire — à enjoindre au défendeur d’accomplir un acte qu’il ne souhaite
pas accomplir, ou de s’abstenir — provisoirement — d’accomplir un acte
qu’il souhaite, et entendait bien, accomplir. En adressant de telles injonc-

tions, la Cour interfère nécessairement avec les droits souverains du
défendeur, dont elle limite l’exercice. Certes, il n’y a rien que de très nor-
mal à ce qu’un organe judiciaire impose à une partie une certaine obliga-
tion de comportement. Encore faut-il, spécialement quand la partie en
cause est un Etat souverain, que l’obligation ainsi imposée repose sur une

base juridique suffisamment solide. En d’autres termes, il est à mes yeux
impensable que la Cour impose à un Etat d’agir d’une certaine manière
s’il n’y a pas quelque raison d’estimer que l’action prescrite correspond à
une obligation juridique incombant à cet Etat (et préexistant à la décision
de la Cour), ou qu’elle ordonne à un Etat de s’abstenir d’une action, de la

suspendre ou de l’interrompre, s’il n’y a pas quelque raison de croire que
ladite action est, ou serait, entachée d’illicéité.
7. A cet égard, on ne peut pas s’empêcher d’établir un lien entre la
question qui est ici discutée et l’affirmation par la Cour, dans son arrêt du
27 juin 2001 en l’affaire LaGrand (Allemagne c. Etats-Unis d’Amérique)

(arrêt, C.I.J. Recueil 2001 , p. 466), du caractère obligatoire des mesures
prescrites par la Cour dans ses ordonnances prises en application de
l’article 41 du Statut.
8. Jusqu’à cet arrêt, un grand nombre d’Etats, pour ne pas dire la plu-
part, ainsi qu’une partie très substantielle de la doctrine, pensaient que les

mesures provisoires indiquées par la Cour étaient des recommandations
dépourvues de valeur contraignante. Quoique l’on puisse sérieusement
douter que la Cour, même avant l’arrêt LaGrand, était en pratique indif-
férente au bien-fondé apparent des arguments que les parties soutenaient
devant elle relativement au litige principal quand elle rendait une ordon-

nance comportant l’indication de mesures provisoires, l’on pouvait à la
rigueur accepter, à l’époque, la thèse selon laquelle la juridiction ne pro-
cédait à aucun examen du fond avant d’adresser aux parties des invita-
tions à agir — ou à s’abstenir d’agir — que l’on croyait couramment,
bien qu’à tort, dépourvues de caractère obligatoire. Point n’est besoin,

pour adresser à un Etat une simple suggestion, de s’assurer que celle-ci ne
risque pas de froisser ses droits souverains, puisque le destinataire de la

30 PULP MILLS (SEP. OP. ABRAHAM ) 139

for purposes of ruling as to whether they require protection.

When acting on a request for the indication of provisional measures,
the Court is necessarily faced with conflicting rights (or alleged rights),
those claimed by the two parties, and it cannot avoid weighing those
rights against each other. On one side stands (stand) the right (rights)

asserted by the requesting party, which it claims to be under threat and
for which it seeks provisional protection, and on the other the right(s) of
the opposing party, consisting at a minimum in every case of the funda-
mental right of each and every sovereign entity to act as it chooses pro-
vided that its actions are not in breach of international law. Yet the

measure sought by the first party from the Court often — as in the
present case — consists of enjoining the other party to take an action
which it does not wish to take or to refrain — temporarily — from taking
an action which it wishes, and indeed intended, to take. In issuing such

injunctions, the Court necessarily encroaches upon the respondent’s sov-
ereign rights, circumscribing their exercise. True, there is nothing out of
the ordinary about a judicial body imposing on a party a specific obliga-
tion as to conduct, but the obligation thus imposed must rest on suffi-
ciently solid legal ground, especially when the party in question is a sov-

ereign State. In other words, I find it unthinkable that the Court should
require particular action by a State unless there is reason to believe that
the prescribed conduct corresponds to a legal obligation (and one pre-
dating the Court’s decision) of that State, or that it should order a State
to refrain from a particular action, to hold it in abeyance or to cease and

desist from it, unless there is reason to believe that it is, or would be,
unlawful.
7. In this regard one cannot help but see a connection between the
issue under discussion here and the Court’s affirmation in its Judgment of
27 June 2001 in LaGrand (Germany v. United States of America) (Judg-

ment, I.C.J. Reports 2001 , p. 466) of the mandatory nature of measures
prescribed by the Court in its Orders under Article 41 of the Statute.

8. Until that Judgment was handed down, many, if not most, States,
along with a very substantial body of scholarly opinion, thought that

provisional measures indicated by the Court were recommendations lack-
ing binding force. Although serious doubt can be entertained as to the
proposition that even before the LaGrand Judgment the Court, in
making an order indicating provisional measures, was in practice
indifferent to the prima facie merit of the parties’ arguments in the main

dispute, it could conceivably have been accepted at that time that the
Court did not consider the merits before serving the parties with invita-
tions to act — or to refrain from acting — which were commonly but
wrongly thought to be without mandatory force. Where a mere sugges-
tion is being made to a State, there is hardly any need to ensure that

it is not liable to trespass upon the sovereign rights of the State: the
recipient of the recommendation is free to act upon it as it deems

30140 USINES DE PÂTE À PAPIER (OP. IND. ABRAHAM )

recommandation, libre de lui donner la suite qu’il estimera convenir,

pourra intégrer à son appréciation le jugement qu’il porte quant à la cer-
titude, plus ou moins ferme, de son bon droit et au caractère plus ou
moins éminent des intérêts qui sont en jeu. En somme, la doctrine de la
séparation tranchée entre les questions de fond et celles relatives à la pro-
tection provisoire, que je crois avoir toujours été erronée, pouvait passer

à la rigueur pour être en harmonie avec la croyance répandue, avant
l’arrêt LaGrand, de l’absence de caractère contraignant des ordonnances
de la Cour.
Tel ne peut plus être le cas depuis l’arrêt du 27 juin 2001. L’on sait
désormais que la Cour ne suggère pas: elle ordonne. Or, et c’est là le

point essentiel, elle ne peut pas ordonner à un Etat d’adopter un certain
comportement simplement parce qu’un autre Etat prétend qu’un tel com-
portement est nécessaire pour préserver ses propres droits, sans exercer
un minimum de contrôle sur le point de savoir si les droits ainsi revendi-

qués existent, et s’ils risquent d’être méconnus — et de l’être de manière
irrémédiable — en l’absence des mesures conservatoires qu’il lui est
demandé de prescrire; sans jeter, par conséquent, un regard sur le fond
du litige.
9. Exercer un minimum de contrôle, jeter un regard, ne signifie pas,

bien évidemment, se faire une opinion complète et définitive sur le fond
du différend qu’elle aura — peut-être — à trancher ultérieurement. Il va
de soi qu’il n’est ni possible ni souhaitable que la Cour se forme une
conviction sur l’affaire, et encore moins qu’elle l’exprime, dès le premier
stade de la procédure. Mais en se livrant à un contrôle, par nature res-

treint, de l’apparence de bon droit attribuable à la partie demanderesse,
elle ne sort pas de sa mission de juge de l’urgence; elle l’exerce, au
contraire, raisonnablement. Le critère du fumus boni juris comme condi-
tion du prononcé de mesures conservatoires à caractère obligatoire est
bien connu de certaines juridictions internationales (par exemple la Cour

de Justice des Communautés européennes; voir entre autres l’intéressante
ordonnance du président de la CJCE du 19 juillet 1995, Commission c.
Atlantic Container Line AB e.a ., C-149/95), ainsi que de nombreux sys-
tèmes judiciaires nationaux. Il s’impose, en vérité, comme une sorte de
nécessité logique.

10. Il est vrai que cette condition peut être définie de manière plus ou
moins stricte.
L’on peut exiger du demandeur qu’il établisse prima facie le bien-fondé
de ses prétentions sur le fond du différend, c’est-à-dire qu’il démontre,
d’une part, qu’il possède, avec un certain degré de probabilité, le droit

qu’il revendique comme étant le sien, et, d’autre part, que ce droit risque
d’être méconnu, également avec un certain degré de probabilité, par le
comportement du défendeur. C’est une approche plutôt exigeante; je ne
suis pas sûr qu’il faille aller jusque là.
On peut aussi se satisfaire du constat que le droit revendiqué n’est pas

manifestement inexistant, et qu’il n’est pas manifestement exclu, en l’état
des informations dont dispose la Cour au stade de la procédure où elle se

31 PULP MILLS (SEP.OP .ABRAHAM ) 140

appropriate and, in determining its response, can factor in its assessment

of the strength of its position and the importance of the interests at stake.
In summary, the doctrine as to a clear separation of the issues on the
merits from those concerning provisional protection, which I have
always found to be misguided, might conceivably have been seen as in
keeping with the widespread belief, before the LaGrand Judgment, that

the Court’s orders were not binding.

With the Judgment of 27 June 2001, that ceased to be the case. It is
now clear that the Court does not suggest: it orders. Yet, and this is the

crucial point, it cannot order a State to conduct itself in a certain way
simply because another State claims that such conduct is necessary to
preserve its own rights, unless the Court has carried out some minimum
review to determine whether the rights thus claimed actually exist and

whether they are in danger of being violated — and irreparably so — in
the absence of the provisional measures the Court has been asked to
prescribe: thus, unless the Court has given some thought to the merits
of the case.
9. Carrying out some minimum review, or giving some thought to the

substance, obviously does not mean arriving at a complete, final view as
to the merits of the dispute which the Court will — perhaps — later have
to decide. It is self-evident that it is neither possible nor desirable for the
Court to develop a firm opinion about the case, let alone to express one,
during the first phase of the proceedings. But, in conducting some review,

by nature limited, of the prima facie validity of the requesting party’s
case, the Court does not overstep the bounds of its mission as a jurisdic-
tion appealed to for interim relief; on the contrary, it is sensibly fulfilling
that mission. The existence of fumus boni juris as a requisite for the
ordering of binding provisional measures is firmly recognized by some

international courts (for example, the Court of Justice of the European
Communities; see, inter alia, the interesting order of the President of the
CJEC dated 19 July 1995 in Commission v. Atlantic Container Line AB
and Others, C-149/95), as well as in many national judicial systems. In
fact, it is inescapable, mandated as it were by logic.

10. Admittedly, this requirement can be defined in terms of varying
strictness.
The party requesting the measures might be required to show the
prima facie validity of its claims on the merits, i.e., to establish a particu-
lar degree of probability that it holds the right claimed and a particular

degree of probability that the right is likely to be infringed through the
other party’s conduct. This is a rather exacting approach and I am not
sure of the need to go this far.

It might be enough to ascertain that the claimed right is not patently

non-existent and that, according to the information available to the
Court at the particular stage in the proceedings, the possibility of the

31141 USINES DE PÂTE À PAPIER (OP. IND. ABRAHAM )

trouve, qu’il risque d’être porté atteinte à ce droit par le comportement
du défendeur. Le critère du fumus boni juris cède alors la place à celui du
fumus non mali juris. Mais ce sont là, à vrai dire, des nuances, et il existe
toute une variété de degrés intermédiaires, chacun d’entre eux pouvant

s’exprimer en une formule plus ou moins imprécise: que le demandeur
établisse la possibilité du droit qu’il revendique, ou l’apparence d’un tel
droit, etc.
L’essentiel, à mes yeux, est que le juge soit convaincu d’être en présence
d’une argumentation qui, sur le fond, présente un caractère suffisamment

sérieux — faute de quoi il ne saurait entraver le droit du défendeur d’agir
comme il l’entend, dans les limites fixées par le droit international.

11. Pour me résumer, je dirais qu’avant d’ordonner une mesure consis-
tant en une injonction faite au défendeur d’agir ou de s’abstenir d’agir

d’une certaine manière, en vue de préserver un droit revendiqué par le
demandeur, la Cour doit s’assurer de trois choses.

En premier lieu, que le droit en cause existe de façon plausible.
En deuxième lieu, que l’on peut raisonnablement soutenir que le com-
portement du défendeur porte atteinte, ou risque de porter atteinte de
façon imminente, au droit en question.

En troisième lieu et enfin, que dans les circonstances de l’espèce
l’urgence justifie une mesure de protection afin de mettre le droit dont il
s’agit à l’abri d’un dommage irréparable.

12. Les trois conditions qui précèdent étant cumulatives, il n’est pas
toujours nécessaire que la Cour se prononce sur la réalisation de chacune
d’entre elles: que l’une d’elles ne soit pas satisfaite, en effet, et la Cour est
dispensée d’examiner les deux autres.

13. Tel est le cas, tout particulièrement, lorsque la troisième condition
fait défaut: en l’absence d’urgence démontrée, il importe peu que le
défendeur viole ou non les droits du demandeur, cette question ne rede-
venant pertinente qu’au stade de l’examen du fond. Dans la présente

affaire, la Cour fonde essentiellement sa décision sur le défaut d’urgence
et l’absence de risque démontré de dommage irréparable, ce qui lui per-
met d’éviter la plupart des questions de fond, et je ne suis nullement en
désaccord avec cette démarche.

(Signé) Ronny A BRAHAM .

32 PULP MILLS SEP .OP. ABRAHAM ) 141

other party’s conduct infringing that right is not manifestly to be ruled
out. The requirement of fumus boni juris then gives way to that of fumus
non mali juris. But, in all honesty, these are subtleties and there exists a

great range of intermediate degrees, each capable of expression in some-
what vague terms: the requesting party should establish the possible
existence of the right claimed, or the apparent existence of such right, etc.

In my view, the most important point is that the Court must be satis-

fied that the arguments are sufficiently serious on the merits — failing
which it cannot impede the exercise by the respondent to the request for
provisional measures of its right to act as it sees fit, within the limits set
by international law.

11. To sum up, I would say that the Court must satisfy itself of three
things before granting a measure ordering the respondent to act or to
refrain from acting in a particular way, so as to safeguard a right claimed
by the applicant.

Firstly, that there is a plausible case for the existence of the right.
Secondly, that it may reasonably be argued that the respondent’s con-

duct is causing injury, or is liable to cause imminent injury, to the right.

Thirdly and finally, that the circumstances of the case are such
that urgency justifies a protective measure to safeguard the right from

irreparable harm.
12. As these three requirements are cumulative, the Court is not

always compelled to rule on the satisfaction of each: where any one
remains unmet, the Court is relieved of the need to examine the other
two.
13. This is especially the case when the third requirement is not
satisfied: where urgency has not been shown, it does not matter whether

the respondent is violating the applicant’s rights; that issue does not
reacquire relevance until the merits are considered. In the present
case, the Court has essentially based its decision on the lack of urgency
and the absence of any demonstrated danger of irreparable harm, thus

making it possible to avoid most of the issues on the merits, and I am in
full agreement with this approach.

(Signed) Ronny A BRAHAM .

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Document Long Title

Opinion individuelle de M. le juge Abraham

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