Opinion dissidente de M. Kreca, juge ad hoc (traduction)

Document Number
113-19990602-ORD-01-09-EN
Parent Document Number
113-19990602-ORD-01-00-EN
Document File
Bilingual Document File

(Traduction]

Paragraphes
1. LA COMPOSITION DE LACOUR EN L'ESPÈCE 1-4

II. LE PROBLEME HUMANITAIRE EN L'ESPÈCE 5-7
III. LESQUESTIONS DE COMPETENCE 8-14

Compétence de la Cour ratione personae 8-1O
Compétencede la Cour ratione materiae 11-13
14-17
IV. AUTRE SUESTIONS PERTINENTES LICÉITÉ DE L'EMPLOI DE LA FORCE (OP. DISS. KRECA) 887

1. Compte tenu de la différencede principe entre la magistrature inter-
nationale et le systèmejudiciaire interne de chaque Etat, l'institution du
juge ad hoc a fondamentalement un double rôle:

«a) rétablir l'égalitéquand la Cour comprend d'ores et déjàsur le
siègeun juge ayant la nationalité del'une desparties; et créer une
égalitésymbolique entre deux Etats en litige quand aucun membre
de la Cour n'a la nationalité de l'une desarties)) (S. Rosenne, The
Luw und Practice of the International Court, 1920-1996, vol. III,
p. 1124-1125).

En l'espèce.on peut se demander si l'institution du jugead hoc a bien
exercé l'unequelconque de ces deux fonctions élémentaires.

Il est possible de distinguer deux éléments.
Le premier est liéà ce rétablissementde l'égalitentre les parties en ce
qui concerne les relations entre le demandeur et les Etats défendeurs qui
ont un juge national sur le siège. In concreto, il faut s'intéressàrcet
égard à la position particulière des Etats défendeurs. Ces derniers, en
effet, comparaissentà un double titre:

primo, ils comparaissent individuellement puisque chacun d'eux esten
litige avec la République fédéralede Yougoslavie;

secundo, ce sont en mêmetemps des Etats membres de l'OTAN dans le
cadre institutionnel de laquelle ils ont engagé uneattaque arméecontre la
Républiquefédéralede Yougoslavie. Dans ce cadre de I'OTAN, les Etats
défendeursagissent in corpore, en tant que parties intégrantesd'une orga-
nisation constituant un tout. L'ensemble, le corpus, des volontés des
Etats membres de I'OTAN, quand il s'agit de mener des opérations mili-

taires, constitue une volonté collective qui est officiellement celle de
I'OTAN.
2. On peut se demander par ailleurs si les Etats défendeurs peuvent
êtreconsidéréscomme faisant cause commune.
Dans l'ordonnance rendue le 20juillet 1931dans l'affaire du Régime
douanier entre l'Allemagne et l'Autriche, la Cour permanente de Justice

internationale a énoncéle principe suivant:
((tous les gouvernements qui, devant la Cour, arrivent à la même
conclusion, doivent êtreconsidéréscomme faisant cause commune
aux fins de la présenteprocédure))(C.P.J.I. sérieAIB no41, p. 89).

Dans sa pratique, la Cour a quasiment toujours établi qu'il y avait
((cause commune)) en se fondant sur un critère formel, celui de la
«même conclusion» à laquelle aboutissent les parties comparaissant
devant elle. En l'espèce, il est indubitable que la formulation d'une conclusion
identique est le critère pertinent permettant d'établirque les Etats défen-
deurs font ((cause commune)). Il était enquelque sorte inévitablede for-
muler la même conclusion enl'espècepuisque la République fédéralede

Yougoslavie a présentéune requête identique à l'encontre de dix Etats
membres de l'OTAN et l'on en a eu la preuve officiellà l'issuede la pro-
cédureaui s'est dérouléedevant la Cour les 10. 11 et 12 mai 1999. les
Etats difendeurs aboutissant tous à une conclusion identique reposant
sur une argumentation pratiquement identique dont les seules variations
concernent la forme et le mode de présentation.
D'où la conclusion inévitableà mon sens que les Etats défendeurs font
tous in concreto cause commune.
3. Quelles incidences faut-il en tirer pour la composition de la Cour en
l'espèce? L'article 31, paragraphe 2, du Statut, dispose: «Si la Cour
compte sur le siègeunjuge de la nationalité d'unedes parties, toute autre

partie peut désigner unepersonne de son choix pour siéger enqualité de
juge.»
Le Statut, donc, définit ainsile droit de «toute autre partie», c'est-
à-dire une partie autre que cellequi compte unjuge de sa nationalitésur le
siège, et il parle de cette autre partie au singulier. Mais il serait erroné
d'en déduire que«toute autre partie)) que celle qui compte un juge de sa
nationalité sur le siègene peut pas, dans certains cas, désigner plusieurs
juges ad hoc. Retenir cette interprétation serait manifestement contrairà
la rcitio legide l'institution du juge ad hoc, lequel en l'espècea pour
objet «de rétablirl'égalitéquand la Cour comprend d'ores et déjàsur le

siègeun juge ayant la nationalité del'une desparties» (S. Rosenne, The
Luw and Practice of the International Court, 1920-1996, vol. III, p. 1124-
1125).L'usage du singulier à l'article 31, paragraphe 2, du Statut,quand
il est question de l'institution du jugead hoc, permet donc simplement
d'individualiser ce droit général,intrinsèque, au rétablissementde l'éga-
litéentre les parties en litige en ce qui concerne la composition de la
Cour, quand l'une des parties compte un juge de sa nationalité sur le
siègetandis que l'autre n'en a pas. ConcrètePrrent,appliqué Ù In présente
instimce, ceprincipe signijïe implicitement que le demandeur u le droit de
désigner uutunt dejuges ad hoc qu'il lefaut pour rétablirl'égalité entrele

demandeur et les Etuts dkjendeurs quicomptent unjuge de leur nationuliré
sur le siège et quifont cause comtnune. Concrètement, ce droit Jbndamen-
ta1 au rétublissement de I'égalit4dans la composition de la Cour, qui
répond ù la rggle fondamentale de I'kgulitP (l'esparties, signifie que la
République fédércllede Yougosbvie doit avoir le droit de désigner cinq
juges ad hoc, puisque, sur les di.\- Etats défendeurs, il y en a cinq (les
Etuts-Unis d'Amérique, le Royaume-Uni, la France. l'Allenia,pne et les
Pujs-Bas) qui comptent un juge national sur le siège.
S'agissant de ce rétablissement de l'égalitéentre la partie autoriséeà
désignerun juge ad hoc de son choix, d'une part, et, de l'autre, les parties

qui comptent un juge national sur le siège,le fait est que la République
fédéralede Yougoslavie, comme on peut le constater dans l'ordonnance,n'a soulevéaucune objection au cas de figure qui se présentaitet qui était
que cinq Etats défendeurs, pas moins, comptaient un juge de leur natio-
nalitésur le siège.Mais il n'est certainement pas possible de considérer
que ce cas de figure ôte toute pertinence à la question, mêmesi la Répu-
blique fédéralede Yougoslavie a tacitement admis une telle dérogation

flagrante à la lettre età l'esprit de l'article 31, paragraphe 2, du Statut.
La Cour a, quant à elle, l'obligation de prendre en considération, ès
qualité, cette question qui estàce point cruciale, qui découledirectement
de l'égalité desparties et,à l'inverse, qui risque en outre de porter direc-
tement et sensiblement atteinte à l'égalité depsarties. La Cour est le gar-
dien de la légalitépour les parties, et, à cette fin, seule est valable la
presumptio jziris et de jure - il faut savoir le droit (jura novit curia).
Comme l'ont dit trois membres de la Cour, MM. Bedjaoui, Guillaume
et Ranjeva, dans la déclaration commune qu'ils ont faite dans l'affaire
Lockerhie: «il appartient àla Cour et non aux parties de prendre la déci-
sion requise))(Questions d'interprétationet d'application de la convention
de Montréul de 1971 résultantde l'incident aérien deLockerbie (Jamu-

hiriyu arabe libyenne c.Royaume- Uni),C.I.J. Recueil 1998,p. 36,par. 11).
A contrurio, la Cour risquerait, alors que la question relèvevéritable-
ment de sa raison d'être, dese cantonner dans l'attitude de l'observateur
passif, qui se contente de prendre connaissance des thèses des parties,
puis se prononce.
4. Le second élément à étudierest celui du rétablissementde l'égalité
dans les relations entre le demandeur et les Etats défendeurs qui ne
comptent pas de juge national sur le siège.
Les Etats défendeursne comptant pas dejuge national sur le siègeont,
suivant la procédurehabituelle, désigné un juge ud hoc de leur choix (Bel-
gique, Canada, Espagne et Italie). Seulle Portugal n'a pas désigné dejuge
ad hoc. Le demandeur a successivement soulevé desobjections à la dési-

gnation de cesjuges ad hoc des Etats demandeurs en invoquant le para-
graphe 5 de l'article 31 du Statut de la Cour. Chaque fois, la Cour a
répondu par la formule habituelle: «La Cour, ...est parvenue à la
conclusion que la désignationd'un juge ad hoc par [le défendeur] sejus-
tifiait dans la présente phasede l'affaire)).
Certes, la formule est laconique, trop peu détailléepour permettre
d'analyser le raisonnement juridique suivi par la Cour. Le seul élément
qui se prêteiiune interprétation téléologique eslte membre de phrase ser-
vant à qualifier la désignationd'un juge ud hoc, laquelle serait <(justifi[ée]
dans la présentephase de l'affaire)). A contrurio, il est donc possible que
cette désignation de juges ad hoc ne soit «pas justifiée))dans certaines

autres phases de l'affaire. Cette qualification peut s'interpréter comme
une réserve,de la part de la Cour, quant iila désignation dejuges ad hoc
par les Etats défendeurs,réservequi s'expliquerait par l'impossibilitéoù
se trouverait la Cour de voir, avant qu'elles définissent leurposition, quel
est l'intérêt depsarties- font-elles ou non cause commune?

Le sens à donner au rétablissementde l'égalité entre les parties, puisquec'est la raison d'êtrede l'institution du juge ud hoc dans le cas de figure
ou le demandeur et les Etats défendeurs qui font cause commune ne
comptent pas de juge ad hoc de leur nationalité sur le siège, a étédéfini
dans la pratique de la Cour de façon très claire, sans la moindre ambi-
guïté.
Dans I'affaire du Sud-Ouest ajiicain (1961), il a étédécidéque, au cas
où ni I'une ni l'autre des Parties faisant cause commune ne compterait de

juge de sa nationalité sur le siège,lesdites Parties auraient la faculté de
désigner d'un commun accord un seul juge ad hoc (Sud-Ouest ufricuin,
C.I.J. Recueil 1961, p.3).
Si, en revanche, la Cour compte parmi ses membres un juge ayant la
nationalité d'une des parties, ne serait-ce que de I'une d'elles,ilne sera
pas désignéde juge ad hoc (Juridiction territoriale de lu Commission

internationale de l'Oder, C.P.J.I. sérieC no 17 (II), p. 8; Rkgime doua-
nier entre l'Allemagne et l'Autriche. 1931, C.P.J.I. série AIB n" 41,
p. 88).
Si l'on applique à la présente instance cette jurisprudence parfuitement
cohérentede lu Cour. aucun des Etuts défendeursn'étaithabilitéà dési-
gner unjuge ad hoc.
On peut donc dire qu'en l'espèce, nil'une ni l'autre des deux fonctions

élémentairesde l'institution du juge ad hoc n'a été remplie de façon satis-
faisante du point de vue de la composition de la Cour. A mon sens, la
question revêtun intérêttout particulier parce que, manifestement, son
importance ne se limite pas à la procédure et pourrait avoir une portée
concrète de très grande ampleur.

II.LE PROBLÈME HUMANITAIRE EN L'ESPÈCE

5. Les problèmes humanitaires en tant que motif d'indication de me-
sures conservatoires revêtentune importance primordiale dans la pra-
tique la plus récentede la Cour.
En la matière, la Cour suit deux voies parallèles:

a) L'intérêp tarticulier de la personnp

A cet égard, l'affaire LuCrund (Allemagne c. Etats-Unis d'Amérique)
et l'affaire relativa la Convention de Vienne sur les relations consulaires
(Puraguuy c. Etats-Unis ~1'Amérique)sont caractéristiques.
Dans les deux affaires, la Cour s'est montrée extrêmementsensible a
l'aspect humanitaire de la question a examiner, ce qu'exprime probable-
ment au mieux la requêteprésentéepar l'Allemagne le 2 mars 1999:

((L'importance et le caractère sacré de la vie humaine sont des
principes bien établis du droit international. Comme le reconnaît
l'article 6 du pacte international relatif aux droits civils et politiques,
le droit à la vie est inhérent à la personne humaine et ce droit doit LICÉITE DE L'EMPLOI DE LA FORCE (OP.DISS.KRECA) 891

êtreprotégépar la loi.))(LaCrand (Allemagne c. Etats-Unis d'Amé-
rique), mesures conservatoires, ordonnance du 3 murs 1999, C.I. J.
Recueil 1999, p. 12, par. 8.)

Dèsle lendemain, a l'unanimité,la Cour a indiquédes mesures conser-
vatoires parce que les circonstances exigeaient qu'elle les «indique» de
toute urgence (ibid, p. 15,par. 26), de sorte qu'il lui incombait de mettre
en train le mécanisme vouluconformément a l'article 41 de son Statut et
de l'article 75, paragraphe 1, de son Règlement, «pour que M. Walter

LaGrand ne soit pas exécuté tant que la décision définitive enla présente
instance n'aura pas étérendue)) (ibid.p. 16, par. 29).
La Cour a indiqué des mesures conservatoires quasiment identiques
dans le différendopposant le Paraguay et les Etats-Unis d'Amérique à la
suite de la requêteprésentéepar le Paraguay le 3 avril 1998. Le même
jour, le Paraguay a également présenté ((une demande urgente en indica-
tion de mesures conservatoires a l'effet de protégerses droits)(Conven-
tion de Vienne sur les relutions consuluirrs (Puruguuy c. Etuts-Unis
d'Amérique), ordonnance du 9 uvril 1998, C.I. J. Recueil 1998, p. 251,
par. 6). Et dèsle 9 avril 1998,à l'unanimité,la Cour a indiquédes me-
sures conservatoires «pour que M. Angel Francisco Breard ne soit pas
exécutétant que la décision définitive enla présente instancen'aura pas
étérendue)) (ibid,p. 258, par. 41).
Il est évidentque c'esàcause de l'aspect humanitaire du problèmeque

l'unanimitéa étéréaliséeau sein de la Cour. On en voit clairement la
meuve non seulement dans la lettre et l'es~ritdes deux ordonnances ren-
dues dans ces deux affaires, mais aussi dans les déclarations ainsi que
dans l'o~inion individuelle aui leur ont été iointes. Enl'occurrence. les
considé;ations humanitaires'ont été,semble:t-il, assez fortes pour lever
lesobstacles qui s'opposaient àl'indication de mesuresconservatoires. Le
raisonnement du doyen de la Cour, M. Oda, et celui de son président,
M. Schwebel, sont significatifs.
Au paragraphe 7 de la déclarationqu'il joina l'ordonnance du 3 mars
1999 dans l'affaire LaCrand (Allemagne c. Etuts- Unis d'Amkrique),
M. Oda énoncede façon convaincante une sériede motifs d'ordre théo-
rique qui l'«ont conduit à penser qu'il n'y avait pas lieu d'indiquer les
mesures conservatoires demandéespar l'Allemagne,eu égardau caractère

fondamental de telles mesures)).Mais, M. Oda tient à «rappel[er] avec
force [que s'il a] votéen faveur de l'ordonnance, c'est uniquement pour
des motifs humanitaires)) (C.I.J. Recueil 1999, p. 20).
Dans son opinion individuelle, le présidentde la Cour, M. Schwebel,
n'a pas expressémentdéclaréqu'il s'était inspiréde considérationshuma-
nitaires pour voter en faveur de l'ordonnance, mais il est raisonnable de
penser que ce sont les seules considérations qui ont prévalu en l'espèce,
puisqu'il avait (<deprofondes réservesquant à la manière de procéder
tant de la Partie requérante que de la Cour» (LuGranc/ (Allrmagrze
c. Etats- Unis d'Amkrique), mesures conscrvutoires, or-donnunctdu 3 mars
1999, C.I.J. Recueil 1999, p. 22). LICÉITE DE L'EMPLOI DE LA FORCE (OP. DISS.KRECA) 892

Et, en ce qui concerne le demandeur, M. Schwebel a dit ceci:

((L'Allemagneaurait pu présentersa requête des années, des mois,
des semaines, voire quelquesjours plus tôt. L'eût-ellefait, la Cour eut
pu procédercomme ellelefait depuis 1922et tenir des audiencessur la
demande en indication de mesures conservatoires. Mais l'Allemagne
a attendu la veille de l'exécutionpour présentersa requêteet sa de-
mande en indication de mesures conservatoires, en faisant valoir
par la mêmeoccasion que la Cour n'avait plus le temps d'entendre

les Etats-Unis et devrait agir d'office.)).I.J. Recueil 1999, p. 22.)
De son côté, la Cour a indiqué des mesures conservatoires en
s'appuyant, comme le dit M. Schwebel, présidentdela Cour, «exclusive-
ment)) sur la requêtede l'Allemagne.

b) L'intérêctollectif d'un groupe ou d'une population en tant qu'élément
constitutf de I'Erut

La protection de la population nationale est devenue question litigieuse
dans l'affaire relative auxActivités militaires et paramilitaires au Nica-
ragua et ù l'encontre de celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d'Amérique):

«Dans sa conclusion, le Nicaragua a insistésur les morts, sur les
dommages que les actes allégués ont causéschez les Nicaraguayens et
a demandé à la Cour de soutenir, au moyen de mesuresconservatoires,
«les droits des citoyens nicaraguayenà la vie,à la libertéeà la sécu-
rité.» (R. Higgins, « Interim Measures for the Protection of Human
Rightsn, dans Charney, Anton, O'Connel1(dir. publ.), Politics, Values
und Functions. International Lahi in the 21st Century,1997,p. 96.)

Dans l'affaire du Diffbrend ,fiontalier (Burkitzu FusolRkpublique du
Mali), la Cour, pour indiquer des mesures conservatoires, s'est fondée
sur des:

((incidentsqui, non seulement sont susceptibles d'étendreou d'aggra-
ver le différend, maiscomportent un recours àla force inconciliable
avec le principe du règlement pacifique desdifférends internatio-
naux)) (Différendfrontalier, mesures conservatoires, ordonnance du
10janvier 1986, C.I. J.Recueil 1986, p. 9, par. 19).

En l'espèce, lapréoccupation humanitaire était motivéepar le risque de
prkjudice irréparable:
«les faits qui sonà l'origine desdemandes des deux Parties en indi-
cation de mesures conservatoires exposent les personnes et les biens
se trouvant dans la zone litigieuse, ainsi que les intérêts des deux
Etats dans cette zone, à un risque sérieuxde préjudiceirréparable))

(ibid,p. 10,par. 21).
On peut dire que, dans les affaires évoquéesci-dessus, en particulier
celles dans lesquelles des individus étaient directement concernés, la LICÉITE DE L'EMPLOI DE LA FORCE (OP.DISS.KRECA) 893

Cour s'est appuyéesur une norme humanitaire supérieuredans le cadre
de la procédure en indication de mesures conservatoires, une norme qui
avait suffisamment de force intrinsèque pour que l'on déroge à
certaines règles pertinentes, règles de procédure et règles de fond, qui

régissentl'institution des mesures conservatoires. En somme, les considé-
rations humanitaires, indépendamment des normes du droit internatio-
nal qui règlent les droits de l'homme et ses libertés,ont en quelque sorte
acquis un rôle juridique autonome; ces considérations ont désormais
franchi leslimitesdu domaine moral et philanthropique pour entrer dans le
domaine du droit.
6. En l'espèce,il semble pourtant que la préoccupation ((humanitaire))
ait perdu l'autonomie acquise sur le plan juridique. Vu les circonstances
particulières de l'instance, il convient de s'arrêter surce fait.
A la différence des affaires évoquées précédemmentl,e «problème
humanitaire)) porte ici, littéralement, sur le sort de toute une nation.
Nous aboutissons a cette conclusion à partir de deux élémentsau moins:

En premier lieu, la Républiquefédéralede Yougoslavie et ses groupes
nationaux et ethniques sont soumis depuis plus de deux mois a présent
aux attaques constantes d'une armada aériennetrès forte, extrêmement
organisée,appartenant aux Etats les plus puissants du monde. La finalité

de cette attaque a de quoi horrifier, si'on enjuge par les paroles du com-
mandant en chef, le généralWesleyClark, et il n'y a pas lieu de douter de
ce qu'il dit
((Systématiquement et progressivement, nous allons attaquer,

ébranler, dégrader, dévaster,et finalement, sauf si le président
Milosevic se plie aux exigences de la communauté internationale,
nous allons détruire intégralement ses forces armées et leur ôter
toutes leurs infrastructures et toutes leurs bases de soutien)) (BBC
News, 1zttp:llne~i.bc.co.uklenglishlstatiNATOgallerylairdefault.stml
14mai 1999).

En l'occurrence,le terme ((soutien))revêt un senstrès large,au point que
l'on peut se demander quel est vraiment l'objet des attaques aériennes.
Dans un article intitulé «La population de Belgrade doit souffrir)),
Michael Gordon cite le généralShort qui dit ((espérerque la détressede
la population va saper, qu'elle doit saper, le soutien dont bénéficientles
autoritésde Belgrade)) (International Herald Tribune, 16mai 1999,p. 6)
et il poursuit:

((11n'y aura plus d'électricitépour votre frigo, plus de gaz pour
votre cuisinière, vous ne pourrez plus aller au travail parce que le
pont est démoli - ce pont sur lequel vous avez organisévos concerts
rock et sur lequel vous vous êtes massés avec des cibles sur la tête.
Tout cela disparaît à 3 heures du matin.>> (Ibid.)

Il ne s'agissait pas là de paroles en l'air, comme en témoignentles ponts
démolis,la disparition de centrales électriques,de l'adduction d'eau, desproductions alimentaires indispensables à la vie; comme en témoigne la
destruction de routes, d'immeubles résidentiels, de maisons d'habitation
unifamiliales; comme en témoignent les hôpitaux privés d'électricitéet
d'eau et, par-dessus tout, ces êtreshumains qui sont exposésaux bom-

bardements et qui, comme le disait si bien la requête dans l'affaire
LaCrund (Allemagne c. Etats-Unis d'Amérique), ont un ((droit à la vie
inhérent à la personne humaine)) (pacte international relatif aux droits
civils et politiques, a6), dont l'importance et le caractère sacrésont des
principes bien établisdu droit international. Dans l'enfer de la violence,
ce ne sont plus là que des «dommages collatéraux)).

En second lieu, l'arsenal qui sert aux attaques lancéescontre la You-
goslavie contient certaines armes dont les effets sont quasi illimitésdans
l'espace et dans le temps. Au cours de la procédure orale, l'agent des
Etats-Unis a nettement préciséque I'uranium appauvri est régulièrement
utilisépar l'arméedes Etats-Unis (CR 99/24, p. 17).
11convient de laisser les scientifiques évaluer les effets de I'uranium
appauvri. Le rapport de Marvin Resnikoff, qui travaille pour Radio-

active Management Associates (NMI) dit quels sont ces effets:
«Une fois inhalées,de fines particules d'uranium peuvent se loger

dans les alvéolesdu poumon et y rester jusqu'a la fin de votre vie. La
dose inhalée est cumulative. Une certaine fraction des particules
inhalées peut êtreexpectorée puis avalée et ingérée.Si l'intéressé
fume, il faut prendre cet élémenten considération. Comme fumer
détruit les franges ciliaires, les particules capturées dans les passages
bronchiques du fumeur ne peuvent pas être expulsées. Gofman
estime que, chez les fumeurs, le risque dû à l'irradiation est ainsi

multiplié par dix. L'uranium émet une particule alpha, analogue a
un noyau d'héliumamputé de deux électrons. Lesrayonnements de
ce type ne pénètrentpas très profondément, mais, une fois à I'inté-
rieur du corps, ils causent beaucoup de dommages aux tissus. Quand
il est inhalé, I'uranium accroît les probabilités de cancer du poumon.
Quand il est ingéré,I'uranium se concentre dans les os. A l'intérieur

des os, il augmente les probabilités de cancer des os, ou bien, dans la
moelle, les probabilités de leucémie.L'uranium réside aussidans les
tissus mous, y compris les gonades, ce qui accroît les probabilités de
conséquences génétiques,sous forme notamment d'anomalies géné-
tiques et d'avortements spontanés. Le rapport qui existe entre l'ura-
nium ingéréet les doses d'irradiation qui en résultent pour la moelle

osseuse et certains organes ... figurent dans beaucoup d'étudescitées
en référence.
Les effets de l'uranium sur la santé sont également fonction de
l'âge.Pour une mêmedose, l'enfant court de plus grands risques de can-
cer que l'adulte.)) (Uruniun~Buttlqfields Homc & Ahroud: Depleted
Uruniurn Use 6-vthe U.S. Depurtrnent of'Dqfense. Rural Alliance for
Military Accountability, cfal., mars 1993, p. 47-48.)

L'Office fédéral allemand de l'environnement (Umweltbundesamt) a LICEITE DE L'EMPLOI DE LA FORCE (OP. DISS. KRECA) 895

présenté une analysescientifique des effets concrets imputables aux opé-
rations arméescontre la Yougoslavie. Ce rapport d'expert dit essentielle-
ment ceci ' :

[Traduction du Greffe]

((Plusla guerre en Yougoslavie dure et plus le risque de dommages
à long terme à l'environnements'aggrave. Cesdommages menacentde
s'étendre au-delàdes frontières de la Yougoslavie etpeut-êtreest-il
déjàtrop tard pour qu'on puisse leséradiquer.C'est à cette conclusion
que parvient l'Officefédéral allemand del'environnement (Umiveltbun-

desamt) dans un document interne examinant les conséquencespour
l'environnement de la guerre en Yougoslavie, établi envue de la réu-
nion des ministres européensde l'environnementdébutmai à Weimar.
Des catastrophes du type de cellesde Sevesoet de Sandoz constituent,
selon l'office, «un scénario éminemmenp trobable)).

' «Je langer der Krieg in Jugoslawien dauert. desto grosser wird die Gefahr von lang-
fristigen Schadigungen der Umwelt. Diese drohen sich über die Landesgrenzen
hinaus auszubreiten und konnen moglicherweisenicht mehr vollstandig beseitigt wer-
den. Zu dieser Einschatzung kommt das Umweltbundesamt (UBA) in einem internen
Papier, das sich mit den okologischen Auswirkungen des Krieges in Jugoslawien
befasst und fur die Vorbereitung des Treffens europaischer Umweltminister Anfang
Mai in Weimar erstellt wurde. Katastrophen 'wie Seveso und Sandoz' Sind nach
Ansicht des Amtes 'ein durchaus wahrscheinliches Schadensszenario'.
.....................................
Umweltgifte, die nach Zerstorungen von Industrieanlagen austreten, konnten sich
weiter ausbreiten. 'Bei Sicherstellung sofortigen Handelns, das unter Kriegsbedin-
gungen aber unmoglich ist. bleibt die Wirkung dieser Umweltschadigungen lokal
begrenzt. Langere Verzogerungen führen zu einem übertritt der Schadstoffe in die
Schutzgüter Boden, Grund- und Oberflachenwasser, erhohen das Gefahrdungspoten-
tial für den Menschen und den Sanierungsaufwand betrachtlich.'
Diese Folgen müssen nicht auf Jugoslawien beschrankt sein. Schadstoffe aus
Grossbranden konnten grenzüberschreitend verteilt werden. Weiter heisst es in dem
Papier: 'Die Einleitung der Gefahrstoffe in Oberflachenwasser kann zur weitraumi-
gen Schadigung der Okosysteme führen. Die Deposition von Gefahrstoffen in Boden
kann je nach Eigenschaft der Stoffe und Boden zu langanhaltenden Versuchungen
mit weitgehenden Nutzungseinschriiukungen führen. '
Die Gefahr einer tiefgreifenden Zerstorung wesentlicher Bestandteile von Trink-
wasserversorgungssystemen' sei für mittlere und grosse Stadte sowie Ballungsgebiete
am grossten. Schon geringe Mengen von Substanzen der petrochemischen Industrie
konnten 'grosse Grundwasservorrate unbrauchbar inachen'.
Wie gefahrlich die freigesetzten Stoffe insgesamt sind. Iasst sich nach Ansicht der
UBA-Experten nur schwer abschatzen, 'weil durch die Zerstorung ganzer Industrie-
komplexe Mischkontaminationen verschiedenster Schadstoffe gebildet werden', die
noch wenig erforscht seien. Noch komplizierter sei die Beurteilung von Umwelt-
schaden durch Brande und Explosionen. 'Hier treten bezogen auf Schadstoff-
inventar und Ausbreitung weit weniger kalkulierbare, zum Teil grossflachige Umwelt-
schadigungen ein.'
Die Verbreunungsprodukte seien 'zum Teil hoch toxisch und kanzerogen'. Je nach
klimatischen Bedingungen konne es 'zu einer grossflachigen Verteilung dieserStoffe'
kommen, 'die eine vollstandige Beseitiguug nahezu unmoglich macht...'
unbekannt' sein.)) (TAZ. Die Tagrszeiturig. Berlin. 20 mai 1999.)ürften 'vollig LICEITÉ DE L'EMPLOI DE LA FORCE (OP. DISS.KRECA) 896

Les substances toxiques pour I'environnement libérée s la suite de
la destruction d'installations industrielles pourraient se propager
une plus grande distance. L'adoption de mesures immédiates -
impossible toutefois en temps de guerre - permettrait de contenir

localement ces atteintesa I'environnement. Plus le temps s'écoulera
et plus ces substances se répandront dans le sol, leseaux souterraines
et les eaux de surface, d'où une augmentation considérabledes ris-
ques pour l'homme et du coût des opérations de nettoyage.
Ces conséquences ne sont pas nécessairement limitées à la You-
goslavie. Les substances toxiques dégagées a la suite d'incendies
majeurs peuvent se répandre au-delà des frontières. Et l'auteur du
document d'ajouter: «La migration de substances dangereuses
dans les eaux de surface peut causer de graves dommages aux éco-
systèmes. Le dépôt de substances dangereuses dans le sol peut

entraîner, selon la nature des substances et des sols, une contami-
nation à long terme, faisant radicalement obstacle à l'utilisation
des sols.
Le risque d'une ccdestruction a grande échelle des éléments essen-
tiels du réseaud'approvisionnement en eau potable)) est plus lourd
pour les villesmoyennes, les grandes villes et les zones de concentra-
tion urbaine. De faibles quantitésde substances émanant d'installa-
tions pétrochimiques suffisent a rendre inutilisables d'importantes
réserves d'eauxsouterraines)).
Selon les experts de l'Officefédéralde l'environnement, il est très

difficile d'apprécier dans son ensemble le risque que représentent
les substances libéréesdans I'environnement, «car la destruction de
complexes industriels entiers entraîne une pollution provoquée par
un véritable cocktail de substances toxiques)), sur laquelle les re-
cherches n'ont guère porté jusqu'à présent. L'évaluation desdom-
mages causés à I'environnement par les incendies et les explosions
est encore plus délicate, estiment les experts.1est beaucoup plus
difficile en pareil cas, du fait des problèmes liésà l'identification
des substances toxiques et au risque de les voir se répandre, de pré-
dire les dommages à l'environnement, qui seront parfois considé-
rables.))

Certaines des substances libéréesdans l'atmosphère à la suite des
incendies sont qualifiéesde«très toxiques et cancérigènes)).En fonc-
tion des conditions climatiques ambiantes, «ces substances poiir-
raient diffuser très largement)), de sorte qu'«une décontamination
complète serait quasi impossible)).
Quant à l'interaction de ces produits avec lesarmes utilisées,on en
ignorerait totalement» les effet».(TAZ, Die Tugeszeitung, Berlin,
numérodu 20 mai 1999.)

Je suis par conséquent profondément convaincuque la Cour se trouve

concrètement face à une affaire imposant incontestablement d'agir «de
toute urgence)) et où l'on court le risque d'un ((préjudiceirréparable)),affaire qui répond parfaitement, quant au fond, aux normes humanitaires
que la Cour a retenues dans certains précédents; à cet égard,la présente
instance se situe même àun niveau nettement supérieur.
7. Pour être franc,je dois dire que je trouve totalement inexplicable
que la Cour veuille s'abstenir d'étudiersérieusement la possibilité d'indi-
quer des mesures conservatoires alors que la situation impose de façon
aussi criante de tenterà tout le moins, indépendamment des effets pra-
tiques éventuelsde la tentative, d'atténuer, sinon de supprimer, un dan-
ger incontestable de catastrophe humanitaire. Je n'envisage pas ici des

mesures conservatoires qui prendraient concrètement la forme proposée
par la Républiquefédérale de Yougoslavie, j'envisage des mesures conser-
vatoires en général:la Cour peut proposer d'office d'autres mesures
conservatoires que celles qui sont proposées par la République fédérale
de Yougoslavie, ou elle peut se contenter d'un appel lancépar le pré-
sident, comme elle l'a fait si souvent déjà,dans des situations moins diffi-
ciles, en s'inspirant de l'article 74,paragraphe 4, de son Règlement.
Sans le vouloir, on a ici l'impression que, pour la Cour en l'espèce,
l'indication de mesures conservatoires, sous quelque forme que ce soit, lui
a sembléinterdite. Par exemple, au paragraphe 19 de l'ordonnance, la
Cour:

((estime nécessairede souligner que toutes les parties qui se pré-
sentent devant elle doivent agir conformément à leurs obligations
en vertu de la Charte des Nations Unies et des autres règles du
droit international, y compris du droit humanitaire)),
ou bien elle dit, au paragraphe 49, que les Parties: ((doivent veiller a ne
pas aggraver ni étendre le différend)),et ilest manifeste que, dans les

deux cas, la Cour s'est inspirée d'un typede mesures conservatoires de
caractère général etindépendant.

III. LES QUESTIONS DE COMPÉTENCE

La compétencede la Cour ratione personae

8. La qualité d'Etat Membre des Nations Unies de la République
fédéralede Yougoslavie est, dans la présente instance, l'une des ques-
tions cruciales qui se posent pour la compétence dela Cour ratione prr-
sonue.

L'Etat défendeur, invoquant la résolution 777 (1992) [du Conseil de
sécurité]en date du 19 septembre 1992 ainsi que la résolution 4711de
l'Assemblée générale deN sations Unies en date du 22 septembre 1992,
soutient que la République fédérale de Yougoslavin ee peut pas êtreconsi-
dérée,contrairement à ce qu'elle prétend, comme1'Etat successeur de
l'ancienne République fédérative socialiste de Yougoslavie eqtue, n'ayant
pas dûment adhéré à l'organisation, elle n'en est pas Etat Membre,
n'est pas partie au Statut de la Cour et ne peut pas comparaître devant
celle-ci. Il y a lieu de noter que 1'Etatdéfendeurn'a pas invoquéle mêmeargu-
ment au sujet de la convention sur le génocidequi est pour le demandeur
une autre base de compétence,alors qu'il y a manifestement un lien entre
l'identité etla continuité, sur le plan juridique, de la République fédérale
de Yougoslavie, d'une part, et, de l'autre, son statut de partie contrac-
tante à la convention sur le génocide (voir paragraphe 12 ci-après).
On peut deviner les raisons qui expliquent cette attitude de 1'Etat de-

mandeur.
Sedes materiae, la question de la qualitéd'Etat Membre de l'Organisa-
tion des Nations Unies dont jouit ou non la Républiquefédéralede You-
goslavie peut se ramener à deux éléments.

8.1. La résolution 4711 de l'Assembléegénéralea été adoptéù e desjns
pragwiatiques et politiques

II est impossibleà mon avis de dissocier l'adoption de cette résolution
du grand courant politique qui animait les organisations internationales
lors du conflit arméqui a éclatdans l'ex-Yougoslavie. En tant qu'organe
politique, l'Assembléegénérale des Nations Unies, de mêmeque leConseil
de sécuritéqui a recommandéque l'Assembléeadopte la résolution4711,
a, semble-t-il, conçu cette résolution comme un moyen politique de par-
venir à résoudrela crise sous ses différents aspects.

J'en donnerai pour preuve qu'en adoptant la résolution4711, I'Assem-

bléegénérale aessentiellement suiviles avis de ce qu'on a appeléla com-
mission Badinter, laquelle a servi d'organe consultatif pendant les tra-
vaux de la conférencesur la Yougoslavie et étaitchargéede trouver une
solution pacifique aux différents problèmes.Dans ses avis no I et no 8,
la commission développe la question des transformations territoriales
dans l'ex-Yougoslavie, lesquellesaboutissent à l'apparition de six entités
étatiques égaleset indépendantes correspondant du point de vue terri-
torial aux républiques qui étaient des élémentsconstitutifs de la Fédé-
ration yougoslave. Dans son avis no 9, la commission part de cette désin-
tégration définitive de l'ancienne République fédérativesocialiste de
Yougoslavie et dit en détail quelseffets il faut en attendredu point de vue
de la succession d'Etats. Elle dit notamment à ce sujet que:

(cilfaut mettre fià la qualitéd'Etat membre de la Républiquefédé-
rative socialiste de Yougoslavie dans les organisations internatio-
nales, conformément au statut de ces dernières, et qu'aucun Etat
successeur ne pourra se prévaloir des droits qu'exerçait jusqu'alors
l'ex-République fédérativs eocialiste de Yougoslavie en cette qualité
d'Etat membre» (conférencede la paix sur la Yougoslavie, commis-
sion arbitrale, avis no, par. 4).

En présentant le projet de résolution47lL.1, sir David Hannay (repré-
sentant du Royaume-Uni) a notamment trouvé
((significatifle fait que le Conseil àirevoir la questionà nouveau dans les trois moisà venir. La situation tragique dans l7ex-Yougo-
slavie est une source de profonde inquiétude pour tous les membres
de la communauté internationale. La conférenceinternationale sur
l'ancienne Yougoslavie qui s'est ouverteà Londres le 26 août et qui
se réunit actuellement à Genève conjugue les efforts de l'ONU et
ceux de la Communauté européenne. Nous ne devons rien négliger

pour encourager les parties, uvec l'aide des coprésidentsde la confé-
rence, ù réglerleurs dorends ù la tuble de négociation, et non pas
sur le champ de butuille. Le fait que le Conseil a décidéde réexumi-
ner lu question uvunt lu,fin de l'annéesera, nous en sommes certuins,
un moyen d'encourager toutes les parties intéresséeset d'appuyer
ejficucement les coprésidents de la conjsrence sur lu Yougosluvie
duns leur tâche dijjîcile.(Nations Unies, doc. Al47lPV.7, p. 142-
143; les italiques sont de moi.)

8.2. Du point devuejuridique, larésolution 4711 est illogique et contru-
dictoire

Le dispositif de la résolution4711se lit comme suit:

«L'Assemblée générule,

1. Considère que la République fédérative de Yougoslavie (Serbie
et Monténégro)ne peut pas assumer automatiquement la qualité de
Membre de l'organisation des Nations Unies àla place de l'ancienne
République fédérativesocialiste de Yougoslavie et, par conséquent,
décide que la République fédérativede Yougoslavie (Serbie et
Monténégro) devraitprésenterune demande d'admission à l'Orga-
nisation et qu'elle ne participera pas aux travaux de l'Assemblée
générale.»

Les principaux élémentsde la solution préconiséepar la résolution4711
de l'Assemblée généralse ont les suivants:

Il est d'abord énoncéun avis, qui est que la République fédéralede
Yougoslavie ne peut pas assumer automatiquement la qualitéde Membre
de l'Organisation des Nations Unies à la place de la Républiquefédéra-
tive socialiste de Yougoslavie. La position des principaux organes politi-
ques des Nations Unies (leConseil de sécuritéetl'Assembléegénérale) est
définiesous la forme d'un «avis»; c'est la conclusion qui s'impose quand
on constate que l'extrait pertinent de la résolution4711commence par le

mot «considère». Mais il convient de relever que cet avis de l'Assemblée
générale necorrespond pas parfaitement à ce qu'il faut déduiredes avis
nos 1,8 et 9 de la commission arbitrale dite commission Badinter. Dans
ses avisnos 1et 8, la commission tire les conclusions de la désintégration
de la République fédérativesocialiste de Yougoslavie qui aboutit, pour
elle,à produire six entitésétatiques indépendanteset égalesdont le terri-
toire est celui des républiquesqui étaient auparavant des éléments cons-
titutifs de la Fédérationyougoslave. La résolution4711prend Lindépart LICEITE DE L'EMPLOI DE LA FORCE (OP. DISS.KRECA) 900

plus modéré;apparemment, elle ne met pas fin à la qualitéde Membre de
l'organisation des Nations Unies de la République fédéralede Yougo-
slavie. Elle dit simplement que «la République fédérativede Yougoslavie
ne peut pas assumer uutornutiquement lu qualiti. de Membre de l'organi-

sation...)) (les italiques sont de moi).A contrario, cela signifie que la
République fédéralede Yougoslavie peut encore assumer la qualité de
Membre de l'organisation, mais non pas automatiquement. Certes, la
résolution n'expose pas en détailcomment cela peut êtreréalisé,mais, si
nous l'interprétons systématiquement, en lui associant les résolutions757
et 777 du Conseil de sécurité,nous aboutissons à la conclusion que la
République fédéralede Yougoslavie peut encore assumer la qualité de

Membre de l'organisation à condition que la demande présentéeà cette
fin soit ((généralement acceptée)).Que la résolution ne met donc pas
implicitement fin, sur le plan juridique, à la qualitéde Membre de I'Orga-
nisation de la République fédéralede Yougoslavie apparaît aussi claire-
ment dans la lettre que le Secrétaire généraladjoint et conseiller juridique
des Nations Unies a adresséele 29 septembre 1992aux représentants per-

manents de la Bosnie-Herzégovine et de la Croatie auprès des Nations
Unies, lettre dans laquelleildéclarait notamment ceci:

«la résolution ne met pas fin à l'uppartenance de la Yougoslavie a
l'organisation et ne la suspend pas. En conséquence, le siègeet la
plaque portant le nom de la Yougoslavie subsistent ... La mission de
la Yougoslavie auprès du Siègede l'organisation des Nations Unies
ainsi que les bureaux occupés par celle-ci peuvent poursuivre leurs
activités,ils peuvent recevoir et distribuer des documents. Au Siège,
le Secrétariat continuera de hisser le drapeau de l'ancienne Yougo-

slavie.»

8.3. Lu purticipation aux travaux de l'Organisation est interdite

Il est clair que l'extrait pertinent de la résolution correspond à une
interdiction, car la forme verbale utiliséeest une forme impérative («ne

participera pas))). Mais cette interdiction est limitéeratione muieriue, à
deux points de vue:

a) I'interdiction vise la participation directe aux travaux de l'Assemblée
générale, mais n'exclutpas une participation indirecte. Cette partici-
pation indirecte est évoquée implicitementpar le fait que la mission
de la République fédérativede Yougoslavie auprès des Nations Unies
peut continuer ses activitéset en particulier, «peut recevoir et distri-
buer des documents)). Le Secrétaire généraladjoint a donc utilisé
dans la résolution l'expression «Assemblée générale))au sens géné-

rique, qui s'étend aux organes auxiliaires de l'Assemblée générale
ainsi qu'aux conférences et réunions organiséespar l'Assemblée;

b) I'interdiction ne vise pas la participation aux débats d'autres organes
de l'Organisation des Nations Unies. 8.4. 11est décidéque lu République fédérad le Yougoslavie devraitpré-
senter une demanded'admission irI'Organisution

Cette partie de la résolution4711est ambiguë du point de vuejuridique
et contradictoire dans la forme comme au fond.
Du simple point de vue formel, «décider» que la République fédérale
de Yougoslavie doit présenterune demande d'admission à I'Organisation

procède d'une hypothèse irréfutable, qui est que la République fédérale
tient à avoir la qualité de Membre de I'Organisation mêmesi elle n'est
peut-êtrepas autorisée à rester Membre de I'Organisation. Cette hypo-
thèse est illogique, mêmesi elle se vérifiedans les faits. C'est volontaire-
ment que ses Membres adhèrent à I'Organisation, et par conséquent
aucun Etat n'est tenu de demander son admission. A cet égard, par
conséquent, le libelléde la résolution n'est pas correct du point de vue
juridique ni du point de vue technique, parce qu'il évoquecette hypothèse
qui serait irréfutable. eut été plusjuste d'énoncer uneréservequi aurait
subordonné la décision à la volontéexpresse de la Yougoslavie faisant
savoir qu'elle voulait devenir Membre de I'Organisation au cas où cette
qualité lui aurait étéretiréede façon irrévocable.
D'un point de vue concret, on ne voit pas bien pourquoi la République
fédéralede Yougoslavie devrait présenter une demande d'admission si
«la résolutionne met pas fin àl'appartenancede la Yougoslavie à I'Orga-
nisation..» Une demande d'admission, par définition,estprésentéequand

un Etat non membre veut entrer à I'Organisation. Sur le plan des rela-
tions concrètes, quelle serait l'issuede la procédurequ'engagerait la You-
goslavie en présentant une demande d'admission? Si la procédure doit
aboutir à conférerla qualité de Membre, il serait en bonne logique super-
flu que l'Assembléegénérale prenne cette décision, puisquela résolu-
tion 4711n'a pas mis fin, pour la Yougoslavie,à sa qualité de Membre de
l'Organisation. On peut présumer que les auteurs de la résolution 4711
envisageaient donc une autre issue. Ils voulaient peut-être confirmer ou
renforcer au moyen de cette procédure la qualitéde Membre de I'Orga-
nisation qu'avait la Yougoslavie. C'est ce que laisse deviner l'énoncé
de la résolution quand celle-ci dit:<laRépublique fédérativede Yougo-
slavie ..ne peut pas assumer automatiquement la qualité de Membre de
I'Organisation ...àla place...)) Cette formule signifie littéralement que la
procédure viserait à réaffirmer ou renforcer, pour la République fédé-
rale de Yougoslavie, sa qualité de Membre de l'organisation, mais la
confirmation de la qualité de Membre n'aurait guère de sens juridique
dans ce cas de figure particulier, car un Etat est Membre ou il ne l'est

pas. La signification de l'acte en question ne peut être que non juridique;
c'est-à-dire qu'elle serait politique. En dernier lieu, la résolutionconseille
à la République fédéralede Yougoslavie de présenter une demande
d'admission à I'Organisation et il faut alors, logiquement, se poser la
question suivante: pourquoi un Etat à l'égard duquel l'organisation
elle-même n'estimepas avoir mis fin à sa qualité de Membre présente-
rait-il une demande dont l'objet lui est déjà incontestablement acquis? LICÉITE DE L'EMPLOI DE LA FORCE (OP.DISS.KRECA) 902

En dernier lieu, il faut tenir dûment compte aussi du dernier para-
graphe de la résolution 4711, aux termes duquel l'Assemblée générale
prend acte «de l'intention du Conseil de sécuritéde reconsidérerla ques-
tion avant la fin de la partie principale de la quarante-septième session de
l'Assembléegénérale))U . ne telle déclarationest inutile si lesauteurs de la

résolution avaient l'intentiondemettre fin, au moyen de son adoption, au
débat sur la continuité de la qualitéd'Etat Membre des Nations Unies
de la République fédérativede Yougoslavie. Cette déclaration donne,
semble-t-il, entendre que la résolution4711a en fait pour objet, au sein de
l'Organisation, de préserver ladynamique du débatpolitique qui permet
de faire régulièrementle point de la crise yougoslave et, dans le cadre de
ce débat,cette question de la qualitéde Membre de l'Organisation de la
République fédéralede Yougoslavie va elle-même jusqu'à acquérir, aux
yeux de l'organisation, un certain poids. Cette question a un caractère
formel et elle se pose officiellement depuis l'adoption par le Conseil de
sécuritéde sa résolution 757 du 30 mai 1992,qui met en branle dans son
dispositif le mécanismede mesures prévuesau chapitre VI1de la Charte
des Nations Unies après avoir constaté que «la situation en Bosnie-
Herzégovine etdans d'autres parties de l'ex-République fédérative socia-

liste de Yougoslavie constitue une menace pour la paix et la sécurité...))
11n'est donc pas difficile d'adhérerau jugement de MmeHiggins qui
était encore professeur quand elle disait que, du point de vue juridique,
cette résolution4711produit un effet ((anormal au point d'êtreabsurde))
(Rosalyn Higgins, «The United Nations and the Former Yugoslavia)),
International Ajfairs,vol. 69, p. 479).

8.5. La pratique de l'Organisation 6.nce qui concerne les questionsque

soulève la teneur de la rGsoluti4711

Un petit nombre de faits pertinents intéressant la pratique suivie par
l'organisation au sujet de la qualité d'Etat Membre de la République
fédéralede Yougoslavie soulèvent la question de savoir si celle-ci a agi
contra fuctum proprium du moment que:

a) la résolution 4711 a été adoptée à la quarante-septième session de
l'Assembléegénérale.La délégationde la République fédéralede
Yougoslavie a participé activement,en qualitéd'Etat Membre à part
entière,aux travaux de la quarante-sixième session, et la commission
de vérificationdes pouvoirs a recommandé à l'unanimitéd'approuver
lespouvoirs de la Républiquefédérale de Yougoslavie (Nations Unies,
doc. Al461563en date du 11 octobre 1991).Comme la Croatie et la
Slovénieont fait sécessionet ont quitté la Fédération à la veille de
ladite session, l'attitude adoptée par l'organisation l'égardde la
participation de la République fédéralede Yougoslavie aux travaux
de la quarante-sixième session signifieque l'organisation acceptait la
République fédéralede Yougoslavie comme un Etat prédécesseur
amputéd'une partie de son territoire, conformément à des LICÉITÉ DE L'EMPLOI DE LA FORCE (OP. DISS. KRECA) 903

((critèresdéfinis la suite de la partition de l'Inde en 1947et régu-

lièrement appliquésdepuis - des critères qui, dans l'ensemble, ont
étéfort utiles aux Nations Unies et à la communauté internationale
au cours des dernières décennies))(Yehuda Z. Blum, «UN Mem-
bership of the cNew» Yugoslavia :Continuity or Break?)), Ameri-
can Journal of Internationul Law (1992), vol. 86, p. 833);

h) la délégationde la République fédéralede Yougoslavie a également
pris part aux travaux de la quarante-septième session de l'Assemblée
généralequi a adopté la résolutioncontestant à la République fédé-
rale de Yougoslavie le droit d'assumer automatiquement la qualité de
Membre de l'organisation à la place de l'ancienne République fédé-
rative socialistedeYougoslavie.Pas une seuledélégation n'a émisd'ob-
jection au fait que la République fédérativede Yougoslavie occupe,

à l'Assembléegénérale,le siègede la Républiquefédérativesocialiste
de Yougoslavie. Il faut en déduireque lesdélégationsont ((tacitement
du moins acceptéque les ((autoritésde Belgrade)) aient le droit de
demander àoccuper le siègede la Yougoslavie - le siègede l'un des
Membres originaires des Nations Unies » (ihid., p. 830;
c) pendant tout le temps qui s'est écoulé depuisl'adoption de la résolu-
tion 4711par l'Assemblée générale l, République fédéralede You-
goslavie a continué de payer sa contribution financière à l'Organisa-
tion (voir les annexes au CR99125). La Yougoslavie est citéeparmi
les Etats Membres dans le document intitulé «Etat des contributions

versées aii 30 novembre 1998))publiépar le Secrétariat desNations
Unies dans le document portant la cote STlADMlSER.Bl533 daté du
8 décembre 1998. Dans la lettre adressée a Vladislav Jovanovié,
chargéd'affaires de la mission permanente de la Républiquefédérale
de Yougoslavie auprès des Nations Unies, les autorités compétentes
de l'Organisation citaient l'article 19de la Charte des Nations Unies
et accompagnaient la citation de la formule ci-après :

«pour que votre gouvernement ne tombe pas sous le coup des dis-
positions de l'article 19 de la Charte pendant l'une quelconque des
réunions del'Assembléegénérale quise tiendront en 1998,il faudrait
verser a l'organisation un montant minimum de 11776400 dollars
des Etats-Unis pour ramener les arriérésen question à un montant

inférieurau montant prévu à l'article 19» (ibid);

d) dans la pratique suivie par le Secrétairegénéral des Nations Unies en
qualité de dépositairedes traités multilatéraux, la Yougoslavie est
citéecomme Etat Membre originaire partie aux traités multilatéraux
déposésauprès du Secrétaire général.La date à laquelle la Répu-
blique fédérativesocialiste de Yougoslavie a exprimé son consente-
ment à êtreliéeest indiquée commela date à laquelle la Yougoslavie
est effectivement liéepar l'instrument considéré.Par exemple, si l'on
considère l'état des((traités multilatéraux déposésauprès du Secré-
taire général))pour 1992,il y figure la listedes «partiesà la Conven- LICÉITEDE L'EMPLOI DE LA FORCE (OP. DISS. KRECA) 904

tion pour la prévention et la répression du crime de génocide, la
Yougoslavie figure sur cette liste et le 29 août 1950est la date qui est
indiquée comme étant celle de l'acceptation de l'obligation corres-

pondante, c'est-à-dire la date a laquelle la République fédérative
socialiste de Yougoslavie a ratifié la convention. Ce modèle s'ap-
plique, mututis mutandis, aux autres conventions multilatérales dé-
poséesauprès du Secrétaire général desNations Unies.

Compte tenu de la pratique existante, on trouve dans le ((précisde la
pratique du Secrétaire général entant que dépositaire de traités multi-
latéraux » la conclusion ci-après :

«[l']indépendancedu nouvel Etat successeur, qui exerce désormaisla
souveraineté sur son territoire, est naturellement sans effet sur les

droits et obligations d'origine conventionnelle deI'Etat prédécesseur
se rapportant à ce qui lui reste de son territoire. Ainsi, après la sépa-
ration de parties du territoire de l'union des républiques socialistes
soviétiques (qui ont acquis le statut d'Etats indépendants). la Fédé-
ration de Russie a conservé tous les droits et obligations d'origine
conventionnelle de I'Etat prédécesseur.II en va de mêmepour la

République fédérativede Yougoslavie (Serbie et Monténégro),qui
reste1'Etat prédécesseuraprès la sécession de certaines parties du
territoire de l'ancienne Yougoslavie. La résolution 4711de I'Assem-
bléegénérale endate du 22 septembre 1992,aux termes de laquelle la
République fédérativede Yougoslavie ne peut pas assumer automa-

tiquement la qualité de Membre de l'organisation des Nations Unies
à la place de I'ancienne Yougoslavie, a étéadoptée dans le cadre des
Nations Unies et celui de la Charte des Nations Unies, et non pas
pour signaler que la République fédérativede Yougoslavie ne devait
pas êtreconsidérée commeun Etat prédécesseur. >>(STlLEG.8, p. 89,
par. 297.)

Le 9 avril 1996, à la suite de protestations émanant d'un petit nombre

d'Etats Membres des Nations Unies, le conseiller juridique des Nations
Unies a publié des ((errata » (doc. LLA4 1TRl220) consistant notam-
ment à supprimer, au paragraphe 297 dudit «précis», le qualificatif
d'Etat successeur accordé à la République fédéralede Yougoslavie. A
mon sens, cette suppression ne revêtaucun intérêt juridique puisqu'un
«précis» n'a pas en soi la valeur d'un document autonome, d'un docu-

ment qui établit ou constitue quelque chose. Il s'agit simplement de
l'expression ramassée, de l'affirmation lapidaire par un observateur
extérieur d'un fait qui existe en dehors du résumé ettout à fait indépen-
damment de lui. En ce sens, ilest dit, dans l'introduction au «précis» de
la pratique du Secrétaire généralen tant que dépositaire de traités mul-
tilatéraux))que «le présent document a pour objet d'exposer dans ses

grandes lignes la pratique suivie en la matière par le Secrétaire général))
(p. 1;les italiques sont de moi) mais il n'a pas pour objet de constituer
la pratique elle-même. 9. En ce qui concerne la qualité de Membre de l'organisation des
Nations Unies de la République fédéralede Yougoslavie, la Cour consi-
dèreque:

«eu égard a la conclusion a laquelle elle est parvenue au para-
graphe 25 ci-dessus, la Cour n'a pas a examiner cette question ri
l'effet de décidersi elle peut ou non indiquer des mesures conserva-
toires dans le cas d'espèce))(ordonnance, par. 28).

La Cour adopte donc un stratagème ingénieux (elegantiue juris proces-
suulis)mais, aux finsde la présente instance,ilest peu fructueux. La compé-
tence de la Cour ratione personaeest directement tributaire de la réponsea
la question de savoir si la République fédéralede Yougoslavie peut
êtreconsidérée commeun Etat Membre des Nations Unies, tant àl'égard
de la clause facultative qu'à l'égardde la convention sur le génocide.
II serait évidemmentdéraisonnable de compter que la Cour statue sur
la question proprement dite de l'appartenance de la Républiquefédérale
de Yougoslavie a l'Organisation. Pareille attente ne serait guèreconforme
a la nature de la fonction judiciaire et reviendrait par ailleursimmiscer
dans le domaine propre des principaux organes politiques de l'organisa-
tion mondiale, le Conseil de sécurité etl'Assembléegénérale.
Maisje suis profondément convaincu que la Cour aurait dû répondre à
la question de savoir si la République fédéralede Yougoslavie peut ou

non, eu égard à la teneur de la résolution4711de l'Assembléegénérale et
à la pratique de l'organisation mondiale, êtreconsidéréecomme un Etat
Membre des Nations Unies et tout particulièrement comme étant partie
au Statut de la Cour; car le texte de la résolution4711ne fait pas mention
de la qualité de partie au Statut de la Cour internationale de Justice dont
peut se prévaloir la République fédéralede Yougoslavie. C'est là que
résidel'importance de la résolution4711 rutione muteriae. Et il n'y a rien
d'autre que cela. A cet égard,la situation de la Cour est exactement celle
des autres organes des Nations Unies. Dans le cas contraire, il serait par
exemple inutile que l'Assembléegénéraleformule une recommandation,
comme elle le fait dans sa résolution471229,concernant la participation
de la Républiquefédéralede Yougoslavie aux travaux du Conseil écono-
mique et social. Autrement dit, la résolution4711ne fait aucune mention

ni expresse ni tacite de la Cour internationale de Justice; il en va de même
pour les autres documents adoptés sur la base de ladite résolution.Il faut
en déduireque cette résolution 4711de l'Assemblée généralne'a produit
aucun effet sur la qualitéde partie au Statut dont peut se prévaloir la
République fédéralede Yougoslavie et c'est bien ce que confirment
notamment tous les numéros de l'Annuaire de la Cour internationale de
Justice publiésdepuis 1992.
Je suis égalementconvaincu que tant la teneur de la résolution,celle-ci
représentant une contrudictio in adiecto,que la pratique particulière sui-
vie pendant prèsde sept ans par l'organisation mondiale après son adop-
tion apportent beaucoup d'élémentsqui autorisent la Cour a se pronon-
cer sur cette question. LICÉITÉ DE L'EMPLOI DE LA FORCE (OP. DISS. KRECA) 906

10. Or, en ce qui concerne la qualité'Etat Membre de l'organisation
des Nations Unies dont la République fédéralede Yougoslavie peut se
prévaloir,on peut dire que la Cour a conservédans ses grandes lignes la
position qu'elle a adoptée dans son ordonnance du 8 avril 1993 dans
l'affaire de laonvention sur le génocide en statuant sur la demande en
indication de mesures conservatoires.
Au paragraphe 18de ladite ordonnance, la Cour considère que:

«si la solution adoptée ne laisse pas de susciter des difficultés juri-
diques, la Cour n'a pasà statuer définitivementau stade actuel de la
procédure sur la question de savoir si la Yougoslavie est ou non
membre de l'organisation des Nations Unies et, à ce titre, partie au
Statut de laCour» (Application de la convention pour laprévention
et lu répression du crime de génocide,mesures conservatoires, ordon-
nance n'rr8avril 1993, C.Z.J.Recueil 1993, p. 14).

On peut objecter que le libellédu paragraphe 18ci-dessus a un carac-
tère technique, que ce n'est pas une réponse pertinente à la question de
savoir si la République fédéralede Yougoslavie est ou non membre de
l'organisation des Nations Unies; toutefois, il est incontestable que cet
énoncé aeu concrètement l'effet voulu parce que, semble-t-il,

«la Cour voulait se déclarer compétentedans cette affaire{Applicu-
tion de la convention pour la prévention et lu r6pression du crime de
génocide] tout en évitanten mêmetemps de se prononcer sur cer-
tains problèmes délicats,du reste assez graves, concernant la situa-
tion de 1'Etat défendeur face à la Charte et au Statut)) (M. C. R.
Craven, «The Genocide Case, the Law of Treaties and State Succes-
sion)),British Year Book of International LUMI, 1997,p. 137).

La Cour a tacitement conservécette mêmeposition lors des nouvelles
demandes en indication de mesures conservatoires (Application de la
convention pour lu prévention et la répression du critne de génocide,
ordonnunce du 13 septembre 19931, de mêmeque dans l'arrêt rendule
Il juillet 1996sur les exceptions préliminaires.

On peut sans doute estimer que cette position est compréhensible lors
de la seconde procédure en indication de mesures conservatoires, mais
elle soulève des questions fort complexes dans le cadre de la procédure
relative aux exceptions préliminairesémanant de la Yougoslavie.
Dans ladite procédure, la Cour était notamment face, là aussi,à la
question de savoir si la Yougoslavie est partie à la convention sur le
génocide. 11n'est guère besoin de rappeler que la qualité de partie
contractante A ladite convention était la conditionsine qua non permet-
tant à la Cour de se déclarercompétentedans l'affaire relative à 1'Appli-
cution de lu convention pour lu prévention et lu répressiondu crime de
génocide.
La Cour s'est déclarée comwétent ratione uersonae en donnant à ce

sujet une explication que je trouve peu solide et peu convaincante (voir
mon opinion dissidente (C.I.J. Recueil 1996 (II)p. 755-760,par. 91-95). LICÉITÉ DE L'EMPLOI DE LA FORCE (OP.DISS.KRECA) 907

Aux fins de la présenteinstance, il est intéressant de noter que la Cour
avait observé a cette première occasion «qu'il n'a pas étécontesté quela
Yougoslavie soit partie à la Convention sur le génocide)) (Application de
la conventiotl pour la prévention et lu répressiondu crime de génocide,
e'cceptionspréliminaires, arrtt, C.1J. Recueil 1996 (II), p. 610, par. 17).
Et l'absence decontestation a représentépour la Cour l'argument décisif
qui lui permettait de dire que <(laYougoslavie étaitliéepar les disposi-

tions de la convention à la date du dépôt de la requêteen la présente
affaire))(ihir).
La Cour s'est abstenue, délibérémenjte présume,de dire qui n'avait
pas contestéque la Yougoslavie soit partie à la convention sur le géno-
cide. Si elle pensait au demandeur (la Bosnie-Herzégovine),il n'est guère
besoin de rappeler que 1'Etatintroduisant une instance devant la Cour ne
va pas nier l'existencedu titre de compétence voulu; et, dans l'affaire en
question, la convention sur le génocideétait, pour la Cour, le seul chef de
compétencepossible. Si toutefois la Cour pensait à des Etats tiers, alors
la réalité necorrespond pas a l'absence de contestation dont la Cour
parle. En refusant de reconnaitre la Républiquefédéralede Yougoslavie
et d'admettre qu'elle continuait d'assumer automatiquement la qualité

d'Etat Membre de l'organisation des Nations Unies, les Etats Membres
de ladite organisation mondiale contestaient eo ipso que la République
fédéralede Yougoslavie soit automatiquement partie aux traités multila-
téraux conclus sous l'égide des Nations Unies et, soit par consé-
quent aussi partie à la convention sur le génocide.La République fédé-
rale de Yougoslavie ne peut êtreconsidéréecomme étant partie a la
convention sur le génocideque s'ily a, du point de vuejuridique, identité
et continuité entre elle et la République fédérative socialistede Yougo-
slavie, car, s'il enva autrement, la République fédéralede Yougoslavie
constitue un Etat nouveau et elle n'a pas donnéson consentement a être
liéepar la convention sur le génocidede la façon qui est prescrite à I'ar-
ticle XI de ladite convention et elle n'a pas fait tenir au Secrétaire général

des Nations Unies la notification de succession voulue. Il n'y a tout sim-
plement pas de tertium quid,notamment du point de vue de l'arrêt rendu
le 11juillet 1996dans l'affaire de lConvention sur le génocide, arrêtdans
lequel la Cour ne s'est pas prononcée sur ce qu'on appelle la succession
automatique dans le cas de certains traités multilatéraux (Applicarion de
la c.oni~entionpour la prévention et la répression du crime de génocide,
exceptions préliminaires,arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (Il), p. 612, par. 23).
Tout bien considéré,dans la présenteordonnance, la Cour est restée
fidèleà sa volonté d'abstention. disant à nouveau au'elle «n'a pas a exa-
miner cette question à l'effet dédécidersi elle peu; ou non indiquer des
mesures conservatoires dans le cas d'espèce)).
Ce silence de la Cour alors qu'il serait si utile de répondre à la ques-

tion, cette hésitationà prendre position risquent de donner une impres-
sion très différentede celle qu'envisage Craven lors de l'affaire relative
l'Application de la conventionpour laprévention etla répression ducrime de
génocide, quand il dit que «la Cour voulait se déclarercompétente touten voulant éviter enmêmetemps de se prononcer sur les problémesdéli-
cats, d'ailleurs assez sérieux,qui se posent au sujet de la situation)) de la
Yougoslavie face a la Charte et au Statut, et les inévitablesconséquences
juridiques de cette situation sur une affaire portée devant la Cour.

Compétencede lu Cour ratione materiae

11. Je suis d'avis qu'en l'espèce laposition adoptée par la Cour prête
fortement à critiques.

La Cour considère:
((que le recours ou la menace du recours à l'emploi de la force contre

un Etat ne sauraient en soi constituer un acte de génocideau sens de
l'articleII de la convention sur le génocide; et que, de l'avis de la
Cour, il n'apparaît pas au présentstade de la procédure que les bom-
bardements qui constituent l'objet de la requête yougoslave «corn-
porte[nt] effectivement l'élémentd'intentionnalité, dirigécontre un

groupe comme tel, que requiert la disposjtion sus-citée))(Licéiti. u'p
lu menuce ou de l'emploi d'armes nucléuires,ul1i.sconsultatif: C.I.J.
Recueil 1996 (I), p. 240, par. 26))) (ordonnance, par. 35).

L'intentionnalité est incontestablement I'élémens tubjectif qui est cons-
titutif du crime de génocide comme du reste de n'importe quel autre
crime. Mais cette question n'est pas l'objet de la prise de décisiondans la
procédure incidente de l'indication de mesures conservatoires et, par sa
nature même,elle ne peut pas l'être.

IIfaut à cet égard chercher une preuve fiable dans le différendqui, par
ses principaux traits, est pour l'essentiel identique au différend examiné
ici: il s'agit de l'affaire relative l'Application de lu conijention pour lu
prévention et lu répressiondu crime di génocide.
Dans l'ordonnance qu'elle a rendue le 8 avril 1993 sur I'indication de
mesures conservatoires, souscrivant a l'affirmation du défendeur qui dit

notamment c<n'apport[er]aucun appui ni n'encourag[er], d'une façon ou
d'une autre, la perpétration des crimes mentionnés dans la requête... [et]
que les griefs exposésdans la requêtesont dénuésde fondement ))(Appli-
ctrtion de lu c.onventiot?pour lu prc;vc~ntiont2tlu répressiondir crime de
gi.noc.ide, nzesures con.seriutoires, orclonnunce du 8 uuijril1993, C. I.J.
Recu~lil1993, p. 21. par. 42), la Cour a considéréque:

«dans le contexte de la présente procédure concernant I'indication
de mesures conservatoires, [elle]doit, conformément à l'article 41 du

Statut, examiner si les circonstances portées à son attention exigent
l'indication de mesures conservatoires, mais n'est pas habilitée à
conclure définitivement sur les faits ou leur imputabilité et que sa
décisiondoit laisser intact le droit de chacune des Parties de contes-
ter les faits alléguéscontre elle, ainsi que la responsabilité qui lui est
imputée quant à ces faits et de faire valoir ses moyens sur le fond))

(ihid, p. 22, par. 44)et que:

«[elle] n'est pas appeléeà ce stade à établirl'existencede violations
de la convention sur legénocide))(C.1.J. Recueil 1993, p. 22, par. 46).

La raison d'êtredes mesures conservatoires est par conséquentlimitée
à la préservation des droits des parties pendente lite qui sont l'objet du
différend,droits qui peuvent ultérieurement fairel'objet de la décisionde
la Cour. Comme celle-ci le dit de nouveau dans l'affaire de la Frontière
terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria:

((Considérantque la Cour, dans le cadre de la présenteprocédure
concernant l'indication de mesures conservatoires, n'est pas habilitée
à conclure définitivementsur les faits ou leur imputabilitéet que sa
décisiondoit laisser intact le droit de chacune des Parties de contes-
ter les faits allégucontre elle, ainsi que la responsabilité qui lui est
imputée quant à ces faits, et de faire valoir, le cas échéant,ses
moyens sur le fond.)) (Frontière terrestre et maritime entre le Came-

roun et le Nigeria, ordonnance du 15 mars 1996, C.I.J. Recueil 1996
(l), p. 23, par. 43.)
12. Sur ce point en particulier, il se pose des questions fondamentales

au sujet de la position de la Cour.
On peut considérer de deux façons le lien entre le recours à la force
arméeet le génocide:

a) est-ce que I'emploide la force est un acte de génocide per se ou non?
h) l'emploi de la force favorise-t-il le génocide et, dans l'affirmative,
qu'est-ce alors au sens juridique?
Indéniablement, l'emploi de la force, en soi et par définition, necons-

titue pas un acte de génocide. Nul besoin d'enfaire la preuve. Toutefois,
il n'est pas possible d'en déduireque l'emploi de la force est sans rapport
avec la commission du crime de génocide et qu'il n'estpas possible d'éta-
blir un tel rapport. Pareille conclusion serait contrairela logique la plus
élémentaire.
L'articleII de la convention pour la prévention et la répression du
crime de génocide définit lesactes de génocidecomme

«l'un quelconque des actes ci-après, commis dans l'intention de
détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial
ou religieux, comme tel:

a) meurtre de membres du groupe;
b) atteinte grave à l'intégrité physiqueou mentale de membres du
groupe;
cj soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence
devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle; LICÉITÉ DE L'EMPLOI DE LA FORCE (OP.DISS.KRECA) 910

d) mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe;
e) transfert forcéd'enfants du groupe à un autre groupe)).

N'importe lequel des actes ci-dessus peut être commis également au

moyen de la force. L'emploi de la force est par conséquent l'un des
moyens possibles de commettre des actes de génocide.Et, il convient de le
signaler, c'est l'un des moyens les plus efficaces, étant donné les carac-
tères propres de la force armée.
L'emploi étendu de la force armée,en particulier s'il visedes objets et

des infrastructures constituant les conditions de la vie normale, peut
aboutir à ((soumettre le groupe à des conditions d'existence)) entraînant
bel et bien «sa destruction physique)).
On peut bien entendu objecter que les actes en question ont pour rôle
d'affaiblir la puissance militaire de la République fédéralede Yougosla-
vie. Mais pareille explication peut difficilement représenter un argument

valable. Le raisonnement, en effet, va rapidement emprunter un cercle
vicieux: la puissance militaire étant après tout composée d'hommes, il est
possible d'aller jusqu'à prétendre que le meurtre collectif d'une foule de
civils tient en quelque sorte lieu de mesure de précaution de nature à
empêcherd'entretenir la puissance militaire de I'Etat, voire de I'augmen-

ter en cas de mobilisation.
Certes, pour pouvoir parler de génocide, il faut une intention, c'est-
à-dire qu'il faut vouloir «soumettre intentionnellement le groupe à des
conditions d'existence)) entraînant «sa destruction physique totale ou
partielleD.
Lors de procédures incidentes, la Cour ne peut pas - et ne doit

d'ailleurs pas - chercher iiétablir de façon définitive qu'elle esten pré-
sence d'une volonté de soumettre le groupe à des conditions d'existence
de nature à menacer sa survie. Eu égard à l'objet des mesures conserva-
toires, on peut dire qu'à ce stade de la procédure, il suffit d'établirque, le
groupe étant soumis à des bombardements intensifs, on court objective-

ment le risque de voir cette situation aboutir à menacer sa survie.
La Cour a précisémentadopté cette position dans l'ordonnance qu'elle
a rendue le 8 avril 1993 au sujet de l'indication de mesures conservatoires
dans l'affaire relative à l'Application de la convention pour laprévention
et la répressiondu crime de génocide.
Le paragraphe 44 de cette ordonnance se lit comme suit:

((Considérant que la Cour, dans le contexte de la présente procé-
dure concernant I'indication de mesures conservatoires, doit, confor-
mémentà l'article 41 du Statut, examiner si les circonstances portées
à son attention exigent l'indication de mesures conservatoires, mais

n'est pas habilitée à conclure définitivement sur les faits ou leur
imputabilité et que sa décisiondoit laisser intact le droit de chacune
des Parties de contester les faits alléguéscontre elle, ainsi que la res-
ponsabilité qui lui est imputéequant à ces faits et de faire valoir ses
moyens sur le fond. ))(C. 1J. Recueil 1993. p. 22.) La question de l'«intentionnalité» est extrêmement complexe. L'inten-
tion appartient au domaine subjectif, c'est une catégoriepsychologique,
mais, dans la législation pénalecontemporaine, l'intention est également

établieà partir de circonstances objectives. L'intention présuméede com-
mettre l'acte fait très communément partie du systèmejuridique. Par
exemple, aux Etats-Unis d'Amérique, la jurisprudence autorise la pré-
somption plausible par opposition à la présomption concluante. mêmeen
matière Dénale.
De toute façon, les Parties s'opposent très clairement, semble-t-il, au
sujet de l'«intentionnalité» en tant qu'élémentconstitutif du crime de

Le demandeur affirme que l'«intention» peut êtreprésuméetandis
que le défendeursoutient qu'en tant qu'élémentconstitÜtif du crime de
génocide, l'«intention» doit être clairement établie sous formede do1

spécial.Cette opposition de vues entre les Parties constitue un différend
relatifà l'interprétation, l'application ou l'exécutionde la...convention
[sur le génocide])), les différendsde ce type comprenant aussi les diffé-
rends relatifs à la responsabilité d'un Etat en matière de génocideou
de l'un quelconque des autres actes énumérés à l'article III de ladite
convention.
13. En mêmetemps, il ne faut pas oublier que, «dans certains cas,
surtout dans le génocidepar la soumission à des conditions inhumaines
de vie, le crime peut être perpétrépar omission» (Stanislas Plawski,
Etude des principes fondumentaux du droit internationa/ pPnal, 1972,

p. 115. Cité dans Nations Unies, doc. E/CN.4/Sub.2/416 daté du
4 juillet 1978,p. 28).
En effet.

«[l]'expérienceprouve que l'état de guerreou le régimed'occupation
de guerre sont un prétexte facilepour les autoritésresponsables pour
ne pas fournir àune population ou àun groupe ce qui leur est néces-
saire pour subsister: vivres, médicaments, vêtementsh ,abitations ...
On nous dira aue c'est la soumission du grouDe à des conditions
d'existence susceptiblesd'entraîner sa destruction physique totale ou

partielle.))J. Y. Dautricourt, <(La prévention du génocide et ses
fondements juridiques)), Etudes internutionules de psychosocio-
logie criminelle,nos 14-15, 1969, p. 22-23.Citédans Nations Unies,
doc. E/CN.4/Sub.2/416 datédu 4 juillet 1978,p. 28.)

Il est donc d'une importance primordiale de savoir que, lors de procé-
dures incidentes, la Cour ne peut pas - et ne doit d'ailleurs pa- cher-
cher à établir defaçon définitive unevolonté de soumettre le groupe ades
conditions d'existence de nature à menacer sa survie. Eu égard à l'objet
des mesures conservatoires, on peut dire qu'à ce stade de la procédure, il
suffit d'établir que,le groupe étant soumis à des bombardements inten-

sifs, on court objectivement le risque de voir cette situation aboutir à
menacer sa survie. LICÉITE DE L'EMPLOI DE LA FORCE (OP. DISS. KRECA) 912

IV. AUTRE QUESTIONS PERTINENTES

14. Au paragraphe 15 de son ordonnance, la Cour dit

((Considérant que la Cour est profondément préoccupéepar le
drame humain, lespertes en vieshumaines et lesterribles souffrances
que connaît le Kosovo et qui constituent la toile de fond du présent
différend,ainsi que par les victimes et les souffrances humaines que
l'on déplorede façon continue dans l'ensemble de la Yougoslavie.»

Le libelléde cette déclaration me paraît inacceptable pour plusieurs
raisons. La première est que cet énoncéfait part d'une préoccupation
humanitaire double. La Cour dit être((profondément préoccupée))et
évoqueen même temps «les pertes en vies humaines)) et «les victimes)).
De sorte qu'en ce qui concerne «l'ensemble de la Yougoslavie>),la Cour
évoque techniquement ((lesvictimes))comme un fait qui ne cause pas de
«préoccupation profonde)). En outre, l'énoncé permet également de
l'interprétercomme signifiant que le Kosovo ne fait pas partie de la You-

goslavie. C'est-à-dire qu'aprèsavoir mis en reliefla situation auosovo-
Metohija, la Cour utilise l'expression «dans l'ensemble de la Yougosla-
vie». Compte tenu de la situation de fait et de la situation de droit, il
aurait fallu dire «dans le reste de la Yougoslavie». De surcroît, faire allu-
sion au «Kosovo» et à «l'ensemble de la Yougoslavie)) non seulement
n'a aucun fondement juridique dans la situation actuelle, mais ne repose
pas sur les faits non plus. C'est l'ensemblede la Yougoslavie qui est atta-
qué.Les souffrances et les pertes en vies humaines sont malheureusement
un fait s'appliquant en généralau pays tout entier; dans ces conditions,
mêmesi elle avait eu a sa disposition des chiffres précisconcernant le
nombre des victimes et l'ampleur des souffrances de la population de la
Yougoslavie, la Cour n'aurait de toute façon pas eu le droit moral d'éta-

blir la moindre discrimination a cet égard.De plus, dire que «le drame
humain ...et les terribles souffrances que connaît le Kosovo et qui cons-
tituent la toile de fond du présentdifférend))non seulement est une indi-
cation de caractère politique mais représente, ou pourrait représenter,
une sorte dejustification de l'attaque arméemenéecontre la Yougoslavie.
11suffit de rappelerà ce propos que I'Etat défendeurqualifie son action
armée d'intervention humanitaire.
Il appartient à la Cour d'établir à un stade ultérieur de la procédure
quelle est véritablement la situation en droit, c'est-à-dire quels sont les
faits pertinents. Au stade actuel, la question des raisons profondes de
l'attaque arméedirigéecontre la Républiquefédéralede Yougoslavie fait
l'objet d'allégations politiques. Le défendeur soutient qu'il s'agit d'une

intervention humanitaire provoquéepar «le drame humain et les terribles
souffrances)),tandis que le demandeur estime que sedes materiae les rai-
sons profondes sont a chercher ailleurs - dans le soutien apporté à
l'organisation terroristà l'Œuvreau Kosovo et dans la volonté politique
de sécessionqui anime le Kosovo-Metohija.
Nous avons donc affaire ici à des qualifications politiques opposées LICÉITE DE L'EMPLOI DE LA FORCE (OP.DISS.KRECA) 913

dans lesauelles la Cour ne devrait Dasentrer. cela lui est mêmeinterdit à
mon avis, si ce n'est dans le cadre d'une procédurejudiciaire normale.
15. L'énoncédu paragraphe 42 de l'ordonnance donne l'impression
que la Cour cherche assez élégamment à renvoyer la balle dans lejardin

du Conseil de sécurité.Pour l'essentiel, c'estinutile, parce que, sous sa
forme actuelle, cet énoncén'est qu'une simple paraphrase d'une donnée
élémentairequi est que «le Conseil de sécurité est investide responsa-
bilités spéciales envertu du chapitre VI1de la Charte)). Il est possible,
certes, de l'interpréter aussi comme un appel lancé à l'organe des Na-
tions Unies qui est très précisémencthargéde prendre des mesures en cas
de menace contre la paix, de rupture de la paix ou d'acte d'agression et qui
a d'ailleurs étéconçu à cet effet; mais, en l'occurrence, la Cour devrait
rappeler aussi une autre donnéeélémentaire:en vertu de l'article36, para-
graphe 3, de la Charte des Nations Unies, un différendjuridique doit être
soumis à la Cour internationale de Justice.

16. En utilisant l'appellation «Kosovo » au lieu de l'appellation offi-
cielle de«Kosovo-Metohija)), la Cour a continué de suivre la pratique
des organes politiques des Nations Unies, pratique dont, d'ailleurs, les
Etats défendeursne se départissent jamais.
Il est difficile de justifier pareille pratique, sauf, bien entendu, si nous
admettons que l'opportunité politique, les intérêts politiqueset concrets
sont à cet égarddes arguments valables. C'est ce que montre également
de façon éloquentela pratique suivie pour désignerla République fédé-
rale de Yougoslavie. A la suite de la sécessionde certaines parties de
l'ancienne Fédérationyougoslave, les organes des Nations Unies et les
Etats défendeurseux-mêmesont utilisé laformule «Yougoslavie (Serbie
et Monténégro))).Mais, depuis le 22 novembre 1995, le Conseil de sécu-

rité utilise,dans ses résolutions 1021 et 1022, la formule ((République
fédéralede Yougoslavie)) au lieu de l'ancienne formule ((République
fédérative deYougoslavie (Serbie et Monténégro))),sans qu'il y ait eu de
décision expresse àcet égardet dans une situation de droit inchangéepar
rapport à celle dans laquelle le Conseil, comme d'autres organes des
Nations Unies, se servait de la formule ((Républiquefédérative de You-
goslavie (Serbie et Monténégro))).Le fait que ce changement de pratique
du Conseil de sécuritédate du lendemain du jour ou a étéparaphé
l'accord de paix de Dayton autorise à soutenir avec assez de fermetéque
cette pratique concrète ne s'inspire pas de critères juridiques objectifs
mais plutôt de critères politiques.

En utilisant le terme«Kosovo)) au lieu du nom «Kosovo-Metohija )),
la Cour, en fait, fait deux chosesà la fois:

a) elle adopte l'appellation courante et populaire servantà désignerles
unitésterritoriales d'un Etat indépendant;
b) elle laisse de côté l'appellation officielle de la province méridionale
de Serbie, appellation consacrée par les actes constitutionnels et juri-
diques tant de la Serbie que de la République fédéralede Yougosla-
vie. En outre, la Cour agit ainsi contrairementla pratique établiepar LICÉITÉ DE L'EMPLOI DE LA FORCE (OP.DISS.KRECA) 914

les organisations internationales compétentes. Par exemple, la dési-
gnation officielle de la province méridionale de Serbie «Kosovo-
Metohijan est cellequi figure dans l'accord conclu par la République
fédéralede Yougoijlavieet l'organisation pour la sécuritéetlacoopéra-
tion en Europe (Iirternutional Legal Materials, 1999,vol. 38, p. 24).

Mêmesi pareille pratique, laquelle, à mon sens, est totalement incor-
recte, non seulement :surle plan du droit mais aussi du point de vue du
bon usage, pouvait se défendre quand elle émane d'entités qui situent
l'intérêett la commoditéau-dessus de la loi, elle est inexplicable quand
elle émane d'un organe judiciaire.
17. L'expression «droit humanitaire)) que la Cour utilise aux para-
graphes 18 et 40 de son ordonnance prêteégalement a confusion, pour
une double raison :d'un côté, laCour ne manifeste pas une parfaite cohé-
rence dans l'emploi de cette formule. Dans l'affaire de l'Application rlr
la convention sur le g,tnocide,la Cour a dit que ladite convention faisait
partie du droit humanitaire, alors qu'il estmanifeste qu'en raison de sa
nature même, laditeconvention relèvedu droit pénalinternational (voir

l'opinion dissidente di: M. Kreca dans I'affaire relative l'Application de
la convention pour la prkvention et lu répression du crime de génocide,
e-uceptionsprkliminuires, C.I.J. Recueil 1996 (Il),p. 774-775,par. 108).
D'un autre côté, il me semble que dans la présenteordonnance, la for-
mule «droit humanitaire)) est employéeen un sens différentplus proche
du sens généralement accepté aujourd'hui. Et il convient de faire précisé-
ment état de l'extrait pertinent de l'ordonnance en raison mêmedu libellé
des paragraphes 18et 40. En isolant le droit humanitaire parmi les règles
de droit international que les parties sont tenues de respecter, il est pos-
sible que la Cour veuille, discrètement, voire timidement, justifier impli-
citement l'attaque arméedirigéecontre la République fédéralede You-

goslavie ou tout au moins en atténuer les conséquencessur le plan du
droit.
Dans son premier sens juridique, le droit humanitaire correspond
implicitement aux règlesdu jus in bello.Si la Cour s'inspirait, comme
je n'en doute nullerrient, de considérations humanitaires quand elle a
souligné la nécessitéde respecter les règles du droit humanitaire, elle
aurait dû souligner expressémentaussi l'importance fondamentale que
revêt la règlée noncée à l'article 2, paragraphe 4, de la Charte, laquelle
trace la ligne de démarcation entre une sociétéinternationale primitive,
où le droit fait défaut, et une communauté internationale organiséeoù
règnele droit.

(Signé) Milenko KRECA

Bilingual Content

DISSENTING OPINION OF JUDGE KRECA

TABLE OF CONTENTS

Paragraphs
1-4

II. HUMANITAR CIANCERN INTHISPARTICULC ARSE 5-7
III. JURISDICTIOISSUES 8-14

Jurisdiction of the Courtne personae 8-10
Jurisdiction of the Court ratione materiae 11-13
IV. OTHERRELEVAN ITSUES 15-17(Traduction]

Paragraphes
1. LA COMPOSITION DE LACOUR EN L'ESPÈCE 1-4

II. LE PROBLEME HUMANITAIRE EN L'ESPÈCE 5-7
III. LESQUESTIONS DE COMPETENCE 8-14

Compétence de la Cour ratione personae 8-1O
Compétencede la Cour ratione materiae 11-13
14-17
IV. AUTRE SUESTIONS PERTINENTES887 LEGALlTY OF USE OF FORCE (DISS .P. KRECA)

1. In the context of the conceptual difference between the interna-
tional magistrature and the interna1 judicial system within a State, the
institution of judge ad hoc has two basic functions:

"(a) to equalize the situation when the Bench already includes a
Member of the Court having the nationality of one of the parties;
and (b) to create a nominal equality between two litigating States
when there is no Member of the Court having the nationality of
either party" (S. Rosenne, The Law and Practice of the International
Court, 1920-1996, Vol. III, pp. 1124-1125).

In this particular case room is open for posing the question as to
whether either of these two basic functions of the institution of judge ad
hoc has been fulfilled at all.
Itis possible to draw the line between two things.
The first is associated with equalization of the Parties in the parton-
cerning the relations between the Applicant and the respondent States

which have a national judge on the Bench. In concreto, of special interest
is the specific position of the respondent States. They appear in a dual
capacity in these proceedings :
primo, they appear individually in the proceedings considering that
each one of them is in dispute with the Federal Republic of Yugoslavia:

and,
secondo, they are at the same time member States of NATO under
whose institutional umbrella they have undertaken the armed attack on
the Federal Republic of Yugoslavia. Within the framework of NATO,
these respondent States are acting in corpore, as integral parts of an
organizational whole. The corpus of willsof NATO member States, when
the undertaking of military operations is in question, is constituted into a
collective will which is, formally, the will of NATO.

2. The question may be raised whether the respondent States can
qualify as parties in the same interest.
In itsrder of 20 July 1931in the caseconcerning the Customs Régime
betiveen Germany and Austriu, the Permanent Court of International Jus-
tice established that:

"al1governments which, in the proceedings before the Court, come
to the same conclusion, must be held to be in the same interest for
the purposes of the present case" (P. C.I.J., Srries AIB, No. 41,
p. 88).

The question of qualification of the "same interest", in the practice of
the Court, has almost uniformly been based on a formal criterion, the
criterion of "thesame conclusion" to which the parties have come in the
proceedings before the Court. LICÉITÉ DE L'EMPLOI DE LA FORCE (OP. DISS. KRECA) 887

1. Compte tenu de la différencede principe entre la magistrature inter-
nationale et le systèmejudiciaire interne de chaque Etat, l'institution du
juge ad hoc a fondamentalement un double rôle:

«a) rétablir l'égalitéquand la Cour comprend d'ores et déjàsur le
siègeun juge ayant la nationalité del'une desparties; et créer une
égalitésymbolique entre deux Etats en litige quand aucun membre
de la Cour n'a la nationalité de l'une desarties)) (S. Rosenne, The
Luw und Practice of the International Court, 1920-1996, vol. III,
p. 1124-1125).

En l'espèce.on peut se demander si l'institution du jugead hoc a bien
exercé l'unequelconque de ces deux fonctions élémentaires.

Il est possible de distinguer deux éléments.
Le premier est liéà ce rétablissementde l'égalitentre les parties en ce
qui concerne les relations entre le demandeur et les Etats défendeurs qui
ont un juge national sur le siège. In concreto, il faut s'intéressàrcet
égard à la position particulière des Etats défendeurs. Ces derniers, en
effet, comparaissentà un double titre:

primo, ils comparaissent individuellement puisque chacun d'eux esten
litige avec la République fédéralede Yougoslavie;

secundo, ce sont en mêmetemps des Etats membres de l'OTAN dans le
cadre institutionnel de laquelle ils ont engagé uneattaque arméecontre la
Républiquefédéralede Yougoslavie. Dans ce cadre de I'OTAN, les Etats
défendeursagissent in corpore, en tant que parties intégrantesd'une orga-
nisation constituant un tout. L'ensemble, le corpus, des volontés des
Etats membres de I'OTAN, quand il s'agit de mener des opérations mili-

taires, constitue une volonté collective qui est officiellement celle de
I'OTAN.
2. On peut se demander par ailleurs si les Etats défendeurs peuvent
êtreconsidéréscomme faisant cause commune.
Dans l'ordonnance rendue le 20juillet 1931dans l'affaire du Régime
douanier entre l'Allemagne et l'Autriche, la Cour permanente de Justice

internationale a énoncéle principe suivant:
((tous les gouvernements qui, devant la Cour, arrivent à la même
conclusion, doivent êtreconsidéréscomme faisant cause commune
aux fins de la présenteprocédure))(C.P.J.I. sérieAIB no41, p. 89).

Dans sa pratique, la Cour a quasiment toujours établi qu'il y avait
((cause commune)) en se fondant sur un critère formel, celui de la
«même conclusion» à laquelle aboutissent les parties comparaissant
devant elle. In the present case, the question of "the same conclusion" as the rele-
vant criterion for the existence of "the same interest" of the respondent
States is, in my opinion, unquestionable. The same conclusion was, in a
way, inevitable in the present case in view of the identical Application
which the Federal Republic of Yugoslavia has submitted against ten
NATO member States, and was formally consecrated by the outcome of
the proceedings before the Court held on 10, 11 and 12 May 1999, in

which al1the respondent States came to the identical conclusion resting
on the foundation of practically identical argumentation which differed
only in the fashion and style of presentation.
Hence, the inevitable conclusion follows, it appears to me, that al1the
respondent States are in concreto parties in the same interest.
3. What are the implications of this fact for the composition of the

Court in the present case? Article 31, paragraph 2, of the Statute says:
"If the Court includes upon the Bench ajudge of the nationality of one of
the parties, any other party may choose a person to sit as judge."

The Statute, accordingly, refers to the right of "any other party",
namely, a party other than the party which has ajudge of its nationality,

in the singular. But, it would be erroneous to draw the conclusion from
the above that "any other party", other than the party which has a judge
of its nationality,cannot, under certain circumstances, choose several
judges ad hoc. Such an interpretation would clearly be in sharp contra-
diction with ratio legis of the institution of judge ud hoc, which, in this
particular case, consists of the function "to equalize the situation when

the Bench already includes a Member of the Court having the nationality
of one of the parties" (S. Rosenne, The Lu~vund Pructice of the Internu-
tionul Court, 1920-1996, Vol. III, pp. 1124-1125). The singular used in
Article 31, paragraph 2, of the Statute with reference to the institution of
judges ud hoc is, consequently, but individualization of the general, inher-
ent right to equalization in the composition of the Bench in the relations

between litigating parties, one of which has a judge of its nationality on
the Bench, while the other has not. Thepractical meuning of thisprinciple
applied in casum tvould imply the right of the Applicunt to choose us
muny judges ad hoc to sit on the Bench us is necessury to equulize the
position of the Applicunt und thut of those respondent States bvhichhave
judges of their nationality on the Bench und ~vhichshare the same interest.
In concreto. the inlrerent right to equalization in the composition of the

Bench, us un expression of fundurncntul rule of equality ofpurties, meuns
thut the Federul Republic of Yugoslavia should have the right to choose
,fivejudges ad hoc, since evenfive out of ten respondent States (the United
Stutc.~ of Atnericu, the United Kingdom, France, Germany and the
Netherlunds) huve tlzeir.nutionul judges sitting on the Bench.
Regarding the notion of equalization which concerns the relation

between the party entitled to choose its judge ud hoc and the parties
which have their national judges on the Bench, the fact is that the Federal
Republic of Yugoslavia, as can be seen from the Order, did not raise any En l'espèce, il est indubitable que la formulation d'une conclusion
identique est le critère pertinent permettant d'établirque les Etats défen-
deurs font ((cause commune)). Il était enquelque sorte inévitablede for-
muler la même conclusion enl'espècepuisque la République fédéralede

Yougoslavie a présentéune requête identique à l'encontre de dix Etats
membres de l'OTAN et l'on en a eu la preuve officiellà l'issuede la pro-
cédureaui s'est dérouléedevant la Cour les 10. 11 et 12 mai 1999. les
Etats difendeurs aboutissant tous à une conclusion identique reposant
sur une argumentation pratiquement identique dont les seules variations
concernent la forme et le mode de présentation.
D'où la conclusion inévitableà mon sens que les Etats défendeurs font
tous in concreto cause commune.
3. Quelles incidences faut-il en tirer pour la composition de la Cour en
l'espèce? L'article 31, paragraphe 2, du Statut, dispose: «Si la Cour
compte sur le siègeunjuge de la nationalité d'unedes parties, toute autre

partie peut désigner unepersonne de son choix pour siéger enqualité de
juge.»
Le Statut, donc, définit ainsile droit de «toute autre partie», c'est-
à-dire une partie autre que cellequi compte unjuge de sa nationalitésur le
siège, et il parle de cette autre partie au singulier. Mais il serait erroné
d'en déduire que«toute autre partie)) que celle qui compte un juge de sa
nationalité sur le siègene peut pas, dans certains cas, désigner plusieurs
juges ad hoc. Retenir cette interprétation serait manifestement contrairà
la rcitio legide l'institution du juge ad hoc, lequel en l'espècea pour
objet «de rétablirl'égalitéquand la Cour comprend d'ores et déjàsur le

siègeun juge ayant la nationalité del'une desparties» (S. Rosenne, The
Luw and Practice of the International Court, 1920-1996, vol. III, p. 1124-
1125).L'usage du singulier à l'article 31, paragraphe 2, du Statut,quand
il est question de l'institution du jugead hoc, permet donc simplement
d'individualiser ce droit général,intrinsèque, au rétablissementde l'éga-
litéentre les parties en litige en ce qui concerne la composition de la
Cour, quand l'une des parties compte un juge de sa nationalité sur le
siègetandis que l'autre n'en a pas. ConcrètePrrent,appliqué Ù In présente
instimce, ceprincipe signijïe implicitement que le demandeur u le droit de
désigner uutunt dejuges ad hoc qu'il lefaut pour rétablirl'égalité entrele

demandeur et les Etuts dkjendeurs quicomptent unjuge de leur nationuliré
sur le siège et quifont cause comtnune. Concrètement, ce droit Jbndamen-
ta1 au rétublissement de I'égalit4dans la composition de la Cour, qui
répond ù la rggle fondamentale de I'kgulitP (l'esparties, signifie que la
République fédércllede Yougosbvie doit avoir le droit de désigner cinq
juges ad hoc, puisque, sur les di.\- Etats défendeurs, il y en a cinq (les
Etuts-Unis d'Amérique, le Royaume-Uni, la France. l'Allenia,pne et les
Pujs-Bas) qui comptent un juge national sur le siège.
S'agissant de ce rétablissement de l'égalitéentre la partie autoriséeà
désignerun juge ad hoc de son choix, d'une part, et, de l'autre, les parties

qui comptent un juge national sur le siège,le fait est que la République
fédéralede Yougoslavie, comme on peut le constater dans l'ordonnance,objections to the circumstance that as many as five respondent States
have judges of their nationality on the Bench. However, this circum-
stance surely cannot be looked upon as something making the question
irrelevant, or, even as the tacit consent of the Federal Republic of Yugo-
slavia to such an outright departure from the letter and spirit of
Article 31, paragraph 2, of the Statute.

The Court has, namely, the obligation to take account ex officioof the
question of such a fundamental importance, which directly derives from,
and vice versa, may directly and substantially affect, the equality of the
parties. The Court is the guardian of legality for the parties to the case,
for which presurnptio juris et de jure alone is valid - to know the law
(,jura novit curia).As pointed out by Judges Bedjaoui, Guillaume and
Ranjeva in their joint declaration in the Lockerbie case: "that is for the
Court - not the parties - to take the necessary decision" (Questions of
Interpretution und Application of the 1971 Montreul Convention arising
fromthe Aeriul Incident ut Lockrrbie (Libyan Arab Jumahiriya v. United

Kingdom), I.C. J. Reports 1998, p. 36, para. 11 ).

A contrario, the Court would risk, in a matter which is ratio legis
proper of the Court's existence, bringing itself into the position of a pas-
sive observer, who only takes cognizance of the arguments of the parties
and, then, proceeds to the passing of a decision.
4. The other function is associated with equalization in the part which
is concerned with the relations between the Applicant and those respon-
dent States which have no national judges on the Bench.
The respondent States having no judge of their nationality on the

Bench have chosen, in the usual procedure, their judges ad hoc (Belgium,
Canada, Italy and Spain). Only Portugal has not designated its judge ad
hoc. The Applicant successively raised objections to the appointment of
the respondent States' judges ad hoc invoking Article 3 1,paragraph 5, of
the Statute of the Court. The responses of the Court with respect to this
question invariably contained the standard phrase "that the Court . . .
found that the choice of a judge ad hoc by the Respondent isjustified in
the present phase of the case".
Needless to Say, the above formulation is laconic and does not offer
sufficient ground for the analysis of the Court's legal reasoning. The only

element which is subject to the possibility of teleological interpretation
is the qualification that the choice of a judge ad hoc is "justified in the
present phase of the case". A contrario, it is, consequently, possible that
such an appointment of a judge ud hoc would 'hot be justified" in some
other phases of the case. The qualification referred to above could be
interpreted as the Court's reserve with respect to the choice of judges ad
hoc by the respondent States, a reserve which could be justifiable on
account of the impossibility for the Court to perceive the nature of their
interest - whether it is the "same" or "separate" - before the parties set
out their positions on the case.
The meanings of equalization as a ratio legi.7institution of judges adn'a soulevéaucune objection au cas de figure qui se présentaitet qui était
que cinq Etats défendeurs, pas moins, comptaient un juge de leur natio-
nalitésur le siège.Mais il n'est certainement pas possible de considérer
que ce cas de figure ôte toute pertinence à la question, mêmesi la Répu-
blique fédéralede Yougoslavie a tacitement admis une telle dérogation

flagrante à la lettre età l'esprit de l'article 31, paragraphe 2, du Statut.
La Cour a, quant à elle, l'obligation de prendre en considération, ès
qualité, cette question qui estàce point cruciale, qui découledirectement
de l'égalité desparties et,à l'inverse, qui risque en outre de porter direc-
tement et sensiblement atteinte à l'égalité depsarties. La Cour est le gar-
dien de la légalitépour les parties, et, à cette fin, seule est valable la
presumptio jziris et de jure - il faut savoir le droit (jura novit curia).
Comme l'ont dit trois membres de la Cour, MM. Bedjaoui, Guillaume
et Ranjeva, dans la déclaration commune qu'ils ont faite dans l'affaire
Lockerhie: «il appartient àla Cour et non aux parties de prendre la déci-
sion requise))(Questions d'interprétationet d'application de la convention
de Montréul de 1971 résultantde l'incident aérien deLockerbie (Jamu-

hiriyu arabe libyenne c.Royaume- Uni),C.I.J. Recueil 1998,p. 36,par. 11).
A contrurio, la Cour risquerait, alors que la question relèvevéritable-
ment de sa raison d'être, dese cantonner dans l'attitude de l'observateur
passif, qui se contente de prendre connaissance des thèses des parties,
puis se prononce.
4. Le second élément à étudierest celui du rétablissementde l'égalité
dans les relations entre le demandeur et les Etats défendeurs qui ne
comptent pas de juge national sur le siège.
Les Etats défendeursne comptant pas dejuge national sur le siègeont,
suivant la procédurehabituelle, désigné un juge ud hoc de leur choix (Bel-
gique, Canada, Espagne et Italie). Seulle Portugal n'a pas désigné dejuge
ad hoc. Le demandeur a successivement soulevé desobjections à la dési-

gnation de cesjuges ad hoc des Etats demandeurs en invoquant le para-
graphe 5 de l'article 31 du Statut de la Cour. Chaque fois, la Cour a
répondu par la formule habituelle: «La Cour, ...est parvenue à la
conclusion que la désignationd'un juge ad hoc par [le défendeur] sejus-
tifiait dans la présente phasede l'affaire)).
Certes, la formule est laconique, trop peu détailléepour permettre
d'analyser le raisonnement juridique suivi par la Cour. Le seul élément
qui se prêteiiune interprétation téléologique eslte membre de phrase ser-
vant à qualifier la désignationd'un juge ud hoc, laquelle serait <(justifi[ée]
dans la présentephase de l'affaire)). A contrurio, il est donc possible que
cette désignation de juges ad hoc ne soit «pas justifiée))dans certaines

autres phases de l'affaire. Cette qualification peut s'interpréter comme
une réserve,de la part de la Cour, quant iila désignation dejuges ad hoc
par les Etats défendeurs,réservequi s'expliquerait par l'impossibilitéoù
se trouverait la Cour de voir, avant qu'elles définissent leurposition, quel
est l'intérêt depsarties- font-elles ou non cause commune?

Le sens à donner au rétablissementde l'égalité entre les parties, puisquehoc, in the case concerning the Applicant and respondent States which
are parties in thesame interest, and which do not have a judge ad hoc of
their nationality on the Bench, have been dealt with in the practice of the
Court, in a clear and unambiguous manner.

In theSouth West Africa case (1961) it was established that, if neither
of the parties in thesame interest has ajudge of its nationality among the
Members of the Court, those parties, acting in concert, will be entitled to
appoint a singlejudge ad hoc (South West Africa, 1.C.J. Reports 1961,
P 3).
If, on the otherhand,among the Members of the Court there is ajudge
having the nationality of even one of those parties, then no judge ad hoc
will be appointed (Territorial Jurisdiction of the International Commis-
sion of the River Oder, P.C.I.J., Series C, No. 17-11, p. 8; Customs

Régime between Germany and Austria, 1931, P.C.1.J., Series AIB,
No. 41, p. 88).
This perfectly coherentjurisprudence of the Court applied to this par-
ticular case meuns that none of the respondent States were entitled to
appoint ajudge ad hoc.
Consequently, it may be said that in the present case neither of the two
basic functions of the institution of judge ad hoc has been applied in the
composition of the Court in a satisfactory way. In my opinion, it is a
question of the utmost specificweight in viewof the fact that, obviously,
its meaning is not restricted to the procedure, but that it may have a far-
reaching concrete meaning.

5. Humanitarian concern, as a basis for the indication of provisional
measures, has assumed primary importance in the more recent practice of
the Court.
Humanitarian concern has been applied on two parallel tracks in the
Court's practice :

(a) In respect of the individual

In this regard the cases concerning LaGrand (Germany v. United
States of America) and the Vienna Convention on Consular Relations
(Paruguay v. United States of America) are characteristic.
In both cases the Court evinced the highest degreeof sensibilityfor the
humanitarian aspect of the matter, whichprobably found its full expression

in the part of the Application submitted by Germany on 2 March 1999:
"The importance and sanctity of an individual human lifeare well
established in international law. As recognized by Article 6 of the
International Covenant on Civil and Political Rights, every human
being has the inherent right to life and this right shall be protectedc'est la raison d'êtrede l'institution du juge ud hoc dans le cas de figure
ou le demandeur et les Etats défendeurs qui font cause commune ne
comptent pas de juge ad hoc de leur nationalité sur le siège, a étédéfini
dans la pratique de la Cour de façon très claire, sans la moindre ambi-
guïté.
Dans I'affaire du Sud-Ouest ajiicain (1961), il a étédécidéque, au cas
où ni I'une ni l'autre des Parties faisant cause commune ne compterait de

juge de sa nationalité sur le siège,lesdites Parties auraient la faculté de
désigner d'un commun accord un seul juge ad hoc (Sud-Ouest ufricuin,
C.I.J. Recueil 1961, p.3).
Si, en revanche, la Cour compte parmi ses membres un juge ayant la
nationalité d'une des parties, ne serait-ce que de I'une d'elles,ilne sera
pas désignéde juge ad hoc (Juridiction territoriale de lu Commission

internationale de l'Oder, C.P.J.I. sérieC no 17 (II), p. 8; Rkgime doua-
nier entre l'Allemagne et l'Autriche. 1931, C.P.J.I. série AIB n" 41,
p. 88).
Si l'on applique à la présente instance cette jurisprudence parfuitement
cohérentede lu Cour. aucun des Etuts défendeursn'étaithabilitéà dési-
gner unjuge ad hoc.
On peut donc dire qu'en l'espèce, nil'une ni l'autre des deux fonctions

élémentairesde l'institution du juge ad hoc n'a été remplie de façon satis-
faisante du point de vue de la composition de la Cour. A mon sens, la
question revêtun intérêttout particulier parce que, manifestement, son
importance ne se limite pas à la procédure et pourrait avoir une portée
concrète de très grande ampleur.

II.LE PROBLÈME HUMANITAIRE EN L'ESPÈCE

5. Les problèmes humanitaires en tant que motif d'indication de me-
sures conservatoires revêtentune importance primordiale dans la pra-
tique la plus récentede la Cour.
En la matière, la Cour suit deux voies parallèles:

a) L'intérêp tarticulier de la personnp

A cet égard, l'affaire LuCrund (Allemagne c. Etats-Unis d'Amérique)
et l'affaire relativa la Convention de Vienne sur les relations consulaires
(Puraguuy c. Etats-Unis ~1'Amérique)sont caractéristiques.
Dans les deux affaires, la Cour s'est montrée extrêmementsensible a
l'aspect humanitaire de la question a examiner, ce qu'exprime probable-
ment au mieux la requêteprésentéepar l'Allemagne le 2 mars 1999:

((L'importance et le caractère sacré de la vie humaine sont des
principes bien établis du droit international. Comme le reconnaît
l'article 6 du pacte international relatif aux droits civils et politiques,
le droit à la vie est inhérent à la personne humaine et ce droit doit by law." (LaCrand (Germany v. United States of America), Provi-
sional Measures, Order of 3 March 1999, I.C.J. Reports 1999, p. 12,
para. 8).

The following day, the Court already unanimously indicated provisional
measures because it found that in question was "a matter of the greatest
urgency" (ibid.p. 15,para. 26),which makes it incumbent upon the Court
to activate the mechanism of provisional measuresin accordance with Ar-
ticle 41 of the Statute of the Court and Article 75, paragraph 1, of the

Rules of Court in order: "to ensure that Walter LaGrand is not executed
pending the final decision in these proceedings" (ibid.p. 16,para. 29).
Almost identical provisional measures were indicated by the Court in
the dispute between Paraguay and the United States of America which
had arisen on the basis of the Application submitted by Paraguay on
3 April 1998. On the same day, Paraguay also submitted an "urgent
request for the indication of provisional measures in order to protect its
rights" (Vienna Convention on Consular Relations (Paraguay v. United
States of'America), Order of 9 April 1998, I. C.J. Reports 1998, p. 251,
para. 6). As early as 9 April 1998the Court unanimously indicated pro-
visional measures so as to: "ensure that Ange1Francisco Breard is not
executed pending the final decision in these proceedings" (ibid.,p. 258,
para. 41).

It is evident that humanitarian concern represented an aspect which
brought about unanimity in the Court's deliberations. This is clearly
shown not only by the letter and spirit of both Orders in the above-
mentioned cases, but also by the respective declarations and the separate
opinion appended to those Orders. In the process, humanitarian consid-
erations seem to have been sufficiently forceful to put aside obstacles
standing in the way of the indication of provisional measures. In this
respect, the reasoning of the Court's seniorjudge, Judge Oda, and that of
its President, Judge Schwebel, are indicative.
In paragraph 7 of his declaration appended to the Order of 3 March
1999 in the case concerning LaGrand (Germany v. United States of
America), Judge Oda convincingly put forward a series of reasons of a
conceptual nature which explained why he "formed the view that, given
the fundamental nature of provisional measures, those measures should

not have been indicated upon Germany's request". But, Judge Oda goes
on to "reiterate and emphasize" that he "voted in favour of the Order
solely for humanitarian reasons" (1.C.J. Reports 1999, p. 20).
President Schwebel, in his separate opinion, has not explicitly stated
humanitarian considerations as the reason that guided him in voting for
the Order; however, it is reasonable to assume that those were the only
considerations which prevailed in this particular case in view of his"pro-
found reservations about the procedures followed both by the Applicant
and the Court" (LaCrand (Germany v. United States of'dmericu), Pro-
visional Measures, Order of 3 March 1999, I.C.J. Reports 1999, p. 22). LICÉITE DE L'EMPLOI DE LA FORCE (OP.DISS.KRECA) 891

êtreprotégépar la loi.))(LaCrand (Allemagne c. Etats-Unis d'Amé-
rique), mesures conservatoires, ordonnance du 3 murs 1999, C.I. J.
Recueil 1999, p. 12, par. 8.)

Dèsle lendemain, a l'unanimité,la Cour a indiquédes mesures conser-
vatoires parce que les circonstances exigeaient qu'elle les «indique» de
toute urgence (ibid, p. 15,par. 26), de sorte qu'il lui incombait de mettre
en train le mécanisme vouluconformément a l'article 41 de son Statut et
de l'article 75, paragraphe 1, de son Règlement, «pour que M. Walter

LaGrand ne soit pas exécuté tant que la décision définitive enla présente
instance n'aura pas étérendue)) (ibid.p. 16, par. 29).
La Cour a indiqué des mesures conservatoires quasiment identiques
dans le différendopposant le Paraguay et les Etats-Unis d'Amérique à la
suite de la requêteprésentéepar le Paraguay le 3 avril 1998. Le même
jour, le Paraguay a également présenté ((une demande urgente en indica-
tion de mesures conservatoires a l'effet de protégerses droits)(Conven-
tion de Vienne sur les relutions consuluirrs (Puruguuy c. Etuts-Unis
d'Amérique), ordonnance du 9 uvril 1998, C.I. J. Recueil 1998, p. 251,
par. 6). Et dèsle 9 avril 1998,à l'unanimité,la Cour a indiquédes me-
sures conservatoires «pour que M. Angel Francisco Breard ne soit pas
exécutétant que la décision définitive enla présente instancen'aura pas
étérendue)) (ibid,p. 258, par. 41).
Il est évidentque c'esàcause de l'aspect humanitaire du problèmeque

l'unanimitéa étéréaliséeau sein de la Cour. On en voit clairement la
meuve non seulement dans la lettre et l'es~ritdes deux ordonnances ren-
dues dans ces deux affaires, mais aussi dans les déclarations ainsi que
dans l'o~inion individuelle aui leur ont été iointes. Enl'occurrence. les
considé;ations humanitaires'ont été,semble:t-il, assez fortes pour lever
lesobstacles qui s'opposaient àl'indication de mesuresconservatoires. Le
raisonnement du doyen de la Cour, M. Oda, et celui de son président,
M. Schwebel, sont significatifs.
Au paragraphe 7 de la déclarationqu'il joina l'ordonnance du 3 mars
1999 dans l'affaire LaCrand (Allemagne c. Etuts- Unis d'Amkrique),
M. Oda énoncede façon convaincante une sériede motifs d'ordre théo-
rique qui l'«ont conduit à penser qu'il n'y avait pas lieu d'indiquer les
mesures conservatoires demandéespar l'Allemagne,eu égardau caractère

fondamental de telles mesures)).Mais, M. Oda tient à «rappel[er] avec
force [que s'il a] votéen faveur de l'ordonnance, c'est uniquement pour
des motifs humanitaires)) (C.I.J. Recueil 1999, p. 20).
Dans son opinion individuelle, le présidentde la Cour, M. Schwebel,
n'a pas expressémentdéclaréqu'il s'était inspiréde considérationshuma-
nitaires pour voter en faveur de l'ordonnance, mais il est raisonnable de
penser que ce sont les seules considérations qui ont prévalu en l'espèce,
puisqu'il avait (<deprofondes réservesquant à la manière de procéder
tant de la Partie requérante que de la Cour» (LuGranc/ (Allrmagrze
c. Etats- Unis d'Amkrique), mesures conscrvutoires, or-donnunctdu 3 mars
1999, C.I.J. Recueil 1999, p. 22). As far as the Applicant is concerned:
"Germany could have brought its Application years ago, months

ago, weeks ago or days ago. Had it done so, the Court could have
proceeded as it has proceeded since 1922and held hearings on the
request for provisional measures. But Germany waited until the eve
of execution and then brought its Application and request for pro-
visional measures, at the same time arguingthat no time remained to
hear the United States and that the Court should act proprio motu."
(I.C.J. Reports 1999, p. 22.)

The Court, for its part, indicated provisional measures, as President
Schwebel put it, "on the basis only of Germany's Application".

(b) In respect of a group of individuuls or the population as a consti-
tutive element of the Stute

The protection of the citizens emerged as an issue in the case concern-
ing Military und Paramilitury Activities in und uguinst Nicaragua (Nica-
ruguu v. United States of America) :

"In its submission, Nicaragua emphasized the death and harm
that the alleged acts had caused to Nicaraguans and asked theCourt
to support, by provisional measures, 'the rights of Nicaraguan citi-
zens to life, liberty and security'." (R. Higgins, "Interim Measures
for the Protection of Human Rights", in Politics, Values and Func-
tions, International Luiv in the 21st Century, 1997,Charney, Anton,
O'Connell, eds., p. 96.)

In the Frontier Dispute (Burkina FasolRepublic of Mali) case, the
Court found the source for provisional measures in:

"incidents . . which not merely are likely to extend or aggravatethe
dispute but comprise a resort to force which is irreconcilable with
the principle of the peaceful settlement of international disputes"
(Frontier Dispute, Provisionul Measure.~,Order of 10 Januury 1986,
1.C.J. Reports 1986, p. 9, para. 19).

Humanitarian concern in this particular case was motivated by the risk
of irreparable damage :
"the facts that have given rise to the requests of both Parties for the
indication of provisional measures expose the persons and property
in the disputed area, as well as the interests of both States within

that area, to serious risk of irreparable damage" (ihid., p. 10,
para. 21).
It can be said that in the cases referred to above, in particular those in
which individuals were directly affected, the Court formed a high stand- LICÉITE DE L'EMPLOI DE LA FORCE (OP. DISS.KRECA) 892

Et, en ce qui concerne le demandeur, M. Schwebel a dit ceci:

((L'Allemagneaurait pu présentersa requête des années, des mois,
des semaines, voire quelquesjours plus tôt. L'eût-ellefait, la Cour eut
pu procédercomme ellelefait depuis 1922et tenir des audiencessur la
demande en indication de mesures conservatoires. Mais l'Allemagne
a attendu la veille de l'exécutionpour présentersa requêteet sa de-
mande en indication de mesures conservatoires, en faisant valoir
par la mêmeoccasion que la Cour n'avait plus le temps d'entendre

les Etats-Unis et devrait agir d'office.)).I.J. Recueil 1999, p. 22.)
De son côté, la Cour a indiqué des mesures conservatoires en
s'appuyant, comme le dit M. Schwebel, présidentdela Cour, «exclusive-
ment)) sur la requêtede l'Allemagne.

b) L'intérêctollectif d'un groupe ou d'une population en tant qu'élément
constitutf de I'Erut

La protection de la population nationale est devenue question litigieuse
dans l'affaire relative auxActivités militaires et paramilitaires au Nica-
ragua et ù l'encontre de celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d'Amérique):

«Dans sa conclusion, le Nicaragua a insistésur les morts, sur les
dommages que les actes allégués ont causéschez les Nicaraguayens et
a demandé à la Cour de soutenir, au moyen de mesuresconservatoires,
«les droits des citoyens nicaraguayenà la vie,à la libertéeà la sécu-
rité.» (R. Higgins, « Interim Measures for the Protection of Human
Rightsn, dans Charney, Anton, O'Connel1(dir. publ.), Politics, Values
und Functions. International Lahi in the 21st Century,1997,p. 96.)

Dans l'affaire du Diffbrend ,fiontalier (Burkitzu FusolRkpublique du
Mali), la Cour, pour indiquer des mesures conservatoires, s'est fondée
sur des:

((incidentsqui, non seulement sont susceptibles d'étendreou d'aggra-
ver le différend, maiscomportent un recours àla force inconciliable
avec le principe du règlement pacifique desdifférends internatio-
naux)) (Différendfrontalier, mesures conservatoires, ordonnance du
10janvier 1986, C.I. J.Recueil 1986, p. 9, par. 19).

En l'espèce, lapréoccupation humanitaire était motivéepar le risque de
prkjudice irréparable:
«les faits qui sonà l'origine desdemandes des deux Parties en indi-
cation de mesures conservatoires exposent les personnes et les biens
se trouvant dans la zone litigieuse, ainsi que les intérêts des deux
Etats dans cette zone, à un risque sérieuxde préjudiceirréparable))

(ibid,p. 10,par. 21).
On peut dire que, dans les affaires évoquéesci-dessus, en particulier
celles dans lesquelles des individus étaient directement concernés, laard of humanitarian concern in the proceedings for the indication of
interim measures, a standard which commanded sufficient inherent
strength to brush aside also some relevant, both procedural and material,
rules governing the institution of provisional measures. Thus, humanitar-
ian considerations, independently from the norms of international law

regulating human rights and liberties, have, in a way, gained autonomous
legal significance; they have transcended the moral and philanthropic
sphere, and entered the sphere of law.

6. In the case at hand, it seems that "humanitarian concern" has lost
the acquired autonomous legal position. This fact needs to be stressed in
view of the special circumstances of this case.
Unlike the cases referred to previously, "humanitarian concern" has as
itsobject the fate of an entire nation, in the literal sense. Such a conclu-
sion may be inferred from at least two elements:

-primo, the Federal Republic of Yugoslavia and its national and eth-
nie groups have been subjected for more than two months now to con-
tinued attacks of a very strong, highly organized air armada of the most
powerful States of the world. The aim of the attack is horrifying, judging
by the words of the Commander-in-Chief, General Wesley Clark, and he
ought to be believed:

"We're going to systematically and progressively attack, disrupt,
degrade, devastate, and ultimately, unless President Miloseviccom-
plies with the demands of the international community, we're going
to completely destroy his forces and their facilities and support."
(BBC News, http://news.bbc.co.uk/english/static.NATOgallery/air
default.stm/l4 May 1999.)

"Support" is interpreted, in broad terms, extensively; to the point
which raises the question of the true object of the air attacks. In an
article entitled "Belgrade People Must Suffer" Michael Gordon quotes
the words of General Short that he "hopes the distress of the public will,
must undermine support for the authorities in Belgrade" (International

Heruld Tribune, 16 May 1999,p. 6) and he continued:

"1 think no power to your refrigerator, no gas to your stove, you
can't get to work because bridge is down - the bridge on which you
held your rock concerts and you al1 stood with targets on your

heads. That needs to disappear at three o'clock in the morning."
(Ibid. )
That these arenot empty words is testifiedto by destroyed bridges, power
plants without which there is no electricity, water supply and production LICÉITE DE L'EMPLOI DE LA FORCE (OP.DISS.KRECA) 893

Cour s'est appuyéesur une norme humanitaire supérieuredans le cadre
de la procédure en indication de mesures conservatoires, une norme qui
avait suffisamment de force intrinsèque pour que l'on déroge à
certaines règles pertinentes, règles de procédure et règles de fond, qui

régissentl'institution des mesures conservatoires. En somme, les considé-
rations humanitaires, indépendamment des normes du droit internatio-
nal qui règlent les droits de l'homme et ses libertés,ont en quelque sorte
acquis un rôle juridique autonome; ces considérations ont désormais
franchi leslimitesdu domaine moral et philanthropique pour entrer dans le
domaine du droit.
6. En l'espèce,il semble pourtant que la préoccupation ((humanitaire))
ait perdu l'autonomie acquise sur le plan juridique. Vu les circonstances
particulières de l'instance, il convient de s'arrêter surce fait.
A la différence des affaires évoquées précédemmentl,e «problème
humanitaire)) porte ici, littéralement, sur le sort de toute une nation.
Nous aboutissons a cette conclusion à partir de deux élémentsau moins:

En premier lieu, la Républiquefédéralede Yougoslavie et ses groupes
nationaux et ethniques sont soumis depuis plus de deux mois a présent
aux attaques constantes d'une armada aériennetrès forte, extrêmement
organisée,appartenant aux Etats les plus puissants du monde. La finalité

de cette attaque a de quoi horrifier, si'on enjuge par les paroles du com-
mandant en chef, le généralWesleyClark, et il n'y a pas lieu de douter de
ce qu'il dit
((Systématiquement et progressivement, nous allons attaquer,

ébranler, dégrader, dévaster,et finalement, sauf si le président
Milosevic se plie aux exigences de la communauté internationale,
nous allons détruire intégralement ses forces armées et leur ôter
toutes leurs infrastructures et toutes leurs bases de soutien)) (BBC
News, 1zttp:llne~i.bc.co.uklenglishlstatiNATOgallerylairdefault.stml
14mai 1999).

En l'occurrence,le terme ((soutien))revêt un senstrès large,au point que
l'on peut se demander quel est vraiment l'objet des attaques aériennes.
Dans un article intitulé «La population de Belgrade doit souffrir)),
Michael Gordon cite le généralShort qui dit ((espérerque la détressede
la population va saper, qu'elle doit saper, le soutien dont bénéficientles
autoritésde Belgrade)) (International Herald Tribune, 16mai 1999,p. 6)
et il poursuit:

((11n'y aura plus d'électricitépour votre frigo, plus de gaz pour
votre cuisinière, vous ne pourrez plus aller au travail parce que le
pont est démoli - ce pont sur lequel vous avez organisévos concerts
rock et sur lequel vous vous êtes massés avec des cibles sur la tête.
Tout cela disparaît à 3 heures du matin.>> (Ibid.)

Il ne s'agissait pas là de paroles en l'air, comme en témoignentles ponts
démolis,la disparition de centrales électriques,de l'adduction d'eau, desof foodstuffs essential for life; destroyed roads and residential blocks and
family homes; hospitals without electricity and water and, above all,
human beings who are exposed to bombing raids and who, as is rightly
stressed in the Application in the LuCrund (Germany v. United States of
America) case, have the "inherent right to life" (International Covenant
on Civil and Political Rights, Art. 6), whose importance and sanctity are
well established in international law. In the inferno of violence, they are
but "collateral damage".

- secundo, the arsenal used in the attacks on Yugoslavia contains also
weapons whose effects have no limitations either in space or in time. In
the oral proceedings before the Court, the Agent of the United States
explicitly stressed that depleted uranium is in standard use of the United
States Army (CR99124, p. 21).
The assessment of the effects of depleted uranium should be left to
science. The report by Marvin Resnikoff of Radioactive Management
Associates on NMI elaborated upon these effects:

"Once inhaled, fine uranium particles can lodge in the lung alveo-
lar and reside there for the remainder of one's life. The dose due to
uranium inhalation is cumulative. A percentage of inhaled particu-
lates may be coughed up, then swallowed and ingested. Smoking is
an additional factor that needs to be taken into account. Since
smoking destroys the cilia, particles caught in a smoker's branchial
passages cannot be expelled. Gofman estimates that smoking
increases the radiation risk by a factor of 10. Uranium emits an
alpha particle, similar to a helium nucleus, with two electrons
removed. Though this type of radiation is not very penetrating, it
causes tremendous tissue damage when internalized. When inhaled,

uranium increases the probability of lung cancer. When ingested,
uranium concentrates in the bone. Within the bone, it increases the
probability of bone cancer, or, in the bone marrow, leukemia. Ura-
nium also resides in soft tissue, including the gonads, increasing the
probability of genetic health effects, including birth defects and
spontaneous abortions. The relationship between uranium ingested
and the resultant radiation doses to the bone marrow and specific
organs .. .are listed in numerous references.

The health effects are also age-specific. For the same dose, chil-
dren have a greater likelihood than adults of developing cancer."
(Uranium Batflefields Home & Ahroud: Depketed Urcrniun~Use hj>
the U.S. Departrnent of Definse, Rural Alliance for Military

Accountability et crl.March 1993,pp. 47-48.)
A scientificanalysis of the concrete effects of armed operations againstproductions alimentaires indispensables à la vie; comme en témoigne la
destruction de routes, d'immeubles résidentiels, de maisons d'habitation
unifamiliales; comme en témoignent les hôpitaux privés d'électricitéet
d'eau et, par-dessus tout, ces êtreshumains qui sont exposésaux bom-

bardements et qui, comme le disait si bien la requête dans l'affaire
LaCrund (Allemagne c. Etats-Unis d'Amérique), ont un ((droit à la vie
inhérent à la personne humaine)) (pacte international relatif aux droits
civils et politiques, a6), dont l'importance et le caractère sacrésont des
principes bien établisdu droit international. Dans l'enfer de la violence,
ce ne sont plus là que des «dommages collatéraux)).

En second lieu, l'arsenal qui sert aux attaques lancéescontre la You-
goslavie contient certaines armes dont les effets sont quasi illimitésdans
l'espace et dans le temps. Au cours de la procédure orale, l'agent des
Etats-Unis a nettement préciséque I'uranium appauvri est régulièrement
utilisépar l'arméedes Etats-Unis (CR 99/24, p. 17).
11convient de laisser les scientifiques évaluer les effets de I'uranium
appauvri. Le rapport de Marvin Resnikoff, qui travaille pour Radio-

active Management Associates (NMI) dit quels sont ces effets:
«Une fois inhalées,de fines particules d'uranium peuvent se loger

dans les alvéolesdu poumon et y rester jusqu'a la fin de votre vie. La
dose inhalée est cumulative. Une certaine fraction des particules
inhalées peut êtreexpectorée puis avalée et ingérée.Si l'intéressé
fume, il faut prendre cet élémenten considération. Comme fumer
détruit les franges ciliaires, les particules capturées dans les passages
bronchiques du fumeur ne peuvent pas être expulsées. Gofman
estime que, chez les fumeurs, le risque dû à l'irradiation est ainsi

multiplié par dix. L'uranium émet une particule alpha, analogue a
un noyau d'héliumamputé de deux électrons. Lesrayonnements de
ce type ne pénètrentpas très profondément, mais, une fois à I'inté-
rieur du corps, ils causent beaucoup de dommages aux tissus. Quand
il est inhalé, I'uranium accroît les probabilités de cancer du poumon.
Quand il est ingéré,I'uranium se concentre dans les os. A l'intérieur

des os, il augmente les probabilités de cancer des os, ou bien, dans la
moelle, les probabilités de leucémie.L'uranium réside aussidans les
tissus mous, y compris les gonades, ce qui accroît les probabilités de
conséquences génétiques,sous forme notamment d'anomalies géné-
tiques et d'avortements spontanés. Le rapport qui existe entre l'ura-
nium ingéréet les doses d'irradiation qui en résultent pour la moelle

osseuse et certains organes ... figurent dans beaucoup d'étudescitées
en référence.
Les effets de l'uranium sur la santé sont également fonction de
l'âge.Pour une mêmedose, l'enfant court de plus grands risques de can-
cer que l'adulte.)) (Uruniun~Buttlqfields Homc & Ahroud: Depleted
Uruniurn Use 6-vthe U.S. Depurtrnent of'Dqfense. Rural Alliance for
Military Accountability, cfal., mars 1993, p. 47-48.)

L'Office fédéral allemand de l'environnement (Umweltbundesamt) aYugoslavia has been presented by Umweltbundesamt (UBA). The essen-

tials of the expertise are as follows' :

[Translation by the Rrgistry]
"The longer the war in Yugoslavia lasts, the greater the risk of

long-term damage to the environment. Such damage threatens to
extend beyond national frontiers, and it may no longer be possible
fully to make it good. The Federal Environmental Agency [Umwelt-
bundesamt (UBA)] comes to this conclusion in an interna1 paper
examining the ecological consequences of the war in Yugoslavia,

prepared for the meeting of European Environment Ministers at the
beginning of May in Weimar. Catastrophes 'like Sevesoand Sandoz'
are, in the opinion of the Agency, 'a perfectly probable damage sce-
nario'.

' "Je langer der Krieg in Jugoslawien dauert, desto grosser wird die Gefahr von
langfristigen Schadigungen der Umwelt. Diese drohen sich über die Landesgrenzen
hinaus auszubreiten und konnen moglicherweisenicht mehr vollstandig beseitigt wer-
den. Zu dieser Einschatzung kommt das Umweltbundesamt (UBA) in einem internen
Papier, das sich mit den okologischen Auswirkungen des Krieges in Jugoslawien
befasst und für die Vorbereitung des Treffens europaischer Umweltminister Anfang
Mai in Weimar erstellt wurde. Katastrophen 'wie Seveso und Sandoz' sind nach
Ansicht des Amtes 'ein durchaus wahrscheinliches Schadensszenario'.

Umweltgifte, die nach Zerstorungen von Industrieanlagen austreten, konnten sich
weiter ausbreiten. 'BeiSicherstellung sofortigen Handelns. das unter Krieasbedingun-
gen aber unmoglich ist, bleibt $e wirk;ng dieser ~mweltschadig$gen gkal
begrenzt. Langere Verzogerungen führen zu einem übertritt der Schadstoffe in die
Schutzgüter Boden, Grund- und Oberflachenwasser, erhohen das Gefahrdungspoten-
tial für den Menschen und den Sanierungsaufwand betrachtlich.'
Diese Folgen müssen nicht auf Ju~oslawien beschrankt sein. Schadstoffe aus
GrossbrindG konnten grenzüberschrezend verteilt werden. Weiter heisst esin dem
Papier: 'Die Einleitung der Gefahrstoffe in Oberflachenwasser kann zur weitraumi-
gen Schadigung der OkOsystemeführen. Die Deposition von Gefahrstoffen in Boden
kann je nach Eigenschaft der Stoffe und Boden zu langanhaltenden Versuchungen
mit weitgehenden Nutzungseinschrankungen führen.'
Die Gefahr einer 'tiefgreifenden Zerstorung wesentlicher Bestandteile von Trink-
wasserversorgungssystemen' sei für mittlere und grosse Stadte sowie Ballungsgebiete
am grossten. Schon geringe Mengen von Substanzen der petrochemischen Industrie
konnten 'grosse Grundwasservorrate unbrauchbar machen'.
Wie gefahrlich die freigesetzten Stoffe insgesamt sind, Iiisstsich nach Ansicht der
UBA-Experten nur schwer abschatzen, 'weildurch die Zerstorung ganzer Industrie-
komplexe Mischkontaminationen verschiedenster Schadstoffe gebildet werden', die
noch wenig erforscht seien. Noch komplizierter sei die Beurteilung von Umwelt-
sund Ausbreitung weit weniger kalkulierbare, zum Teil grossflachige Umweltschadi-
gungen ein.'
Die Verbrennungsprodukte seien 'zum Teil hoch toxisch und kanzerogen'. Je nach
klimatischen Bedingungen konne es 'zueiner grossflichigen Verteilung dieser Stoffe'
kommen, 'die einevollstandige Beseitigung nahezu unmoglich macht' . .
Die Wechselwirkungen der Produkte mit den eingesetzten Waffen dürften 'vollig
unbekannt' sein." (TAZ. Die Tugeszeitun Ber,lin, 20 May 1999.) LICEITE DE L'EMPLOI DE LA FORCE (OP. DISS. KRECA) 895

présenté une analysescientifique des effets concrets imputables aux opé-
rations arméescontre la Yougoslavie. Ce rapport d'expert dit essentielle-
ment ceci ' :

[Traduction du Greffe]

((Plusla guerre en Yougoslavie dure et plus le risque de dommages
à long terme à l'environnements'aggrave. Cesdommages menacentde
s'étendre au-delàdes frontières de la Yougoslavie etpeut-êtreest-il
déjàtrop tard pour qu'on puisse leséradiquer.C'est à cette conclusion
que parvient l'Officefédéral allemand del'environnement (Umiveltbun-

desamt) dans un document interne examinant les conséquencespour
l'environnement de la guerre en Yougoslavie, établi envue de la réu-
nion des ministres européensde l'environnementdébutmai à Weimar.
Des catastrophes du type de cellesde Sevesoet de Sandoz constituent,
selon l'office, «un scénario éminemmenp trobable)).

' «Je langer der Krieg in Jugoslawien dauert. desto grosser wird die Gefahr von lang-
fristigen Schadigungen der Umwelt. Diese drohen sich über die Landesgrenzen
hinaus auszubreiten und konnen moglicherweisenicht mehr vollstandig beseitigt wer-
den. Zu dieser Einschatzung kommt das Umweltbundesamt (UBA) in einem internen
Papier, das sich mit den okologischen Auswirkungen des Krieges in Jugoslawien
befasst und fur die Vorbereitung des Treffens europaischer Umweltminister Anfang
Mai in Weimar erstellt wurde. Katastrophen 'wie Seveso und Sandoz' Sind nach
Ansicht des Amtes 'ein durchaus wahrscheinliches Schadensszenario'.
.....................................
Umweltgifte, die nach Zerstorungen von Industrieanlagen austreten, konnten sich
weiter ausbreiten. 'Bei Sicherstellung sofortigen Handelns, das unter Kriegsbedin-
gungen aber unmoglich ist. bleibt die Wirkung dieser Umweltschadigungen lokal
begrenzt. Langere Verzogerungen führen zu einem übertritt der Schadstoffe in die
Schutzgüter Boden, Grund- und Oberflachenwasser, erhohen das Gefahrdungspoten-
tial für den Menschen und den Sanierungsaufwand betrachtlich.'
Diese Folgen müssen nicht auf Jugoslawien beschrankt sein. Schadstoffe aus
Grossbranden konnten grenzüberschreitend verteilt werden. Weiter heisst es in dem
Papier: 'Die Einleitung der Gefahrstoffe in Oberflachenwasser kann zur weitraumi-
gen Schadigung der Okosysteme führen. Die Deposition von Gefahrstoffen in Boden
kann je nach Eigenschaft der Stoffe und Boden zu langanhaltenden Versuchungen
mit weitgehenden Nutzungseinschriiukungen führen. '
Die Gefahr einer tiefgreifenden Zerstorung wesentlicher Bestandteile von Trink-
wasserversorgungssystemen' sei für mittlere und grosse Stadte sowie Ballungsgebiete
am grossten. Schon geringe Mengen von Substanzen der petrochemischen Industrie
konnten 'grosse Grundwasservorrate unbrauchbar inachen'.
Wie gefahrlich die freigesetzten Stoffe insgesamt sind. Iasst sich nach Ansicht der
UBA-Experten nur schwer abschatzen, 'weil durch die Zerstorung ganzer Industrie-
komplexe Mischkontaminationen verschiedenster Schadstoffe gebildet werden', die
noch wenig erforscht seien. Noch komplizierter sei die Beurteilung von Umwelt-
schaden durch Brande und Explosionen. 'Hier treten bezogen auf Schadstoff-
inventar und Ausbreitung weit weniger kalkulierbare, zum Teil grossflachige Umwelt-
schadigungen ein.'
Die Verbreunungsprodukte seien 'zum Teil hoch toxisch und kanzerogen'. Je nach
klimatischen Bedingungen konne es 'zu einer grossflachigen Verteilung dieserStoffe'
kommen, 'die eine vollstandige Beseitiguug nahezu unmoglich macht...'
unbekannt' sein.)) (TAZ. Die Tagrszeiturig. Berlin. 20 mai 1999.)ürften 'vollig Environmental toxins released by the destruction of industrial
plant could spread further. 'If immediate action is taken, which is,
however, impossible under war conditions, the effect of this environ-
mental damage will remain restricted to local level. Longer delays
will result in toxic substances passing into the soil, groundwater and
surface water, and substantially increase the potential danger to

man, and the cost of cleansing operations.'

These consequences are not necessarily limited to Yugoslavia.
Harmful substances deriving from major conflagrations can be dif-
fused beyond frontiers. The paper continues: 'Passage of harmful
substances into surface water can lead to extensive damage to eco-
systems. The deposition of hazardous substances in the soi1 can,
depending on the nature of those substances and of the soil, result in
long-term contamination, imposing far-reaching limitations upon
utilization.'

The danger of 'extensivedestruction of essential components of
drinking-water supply networks' is biggest with regard to middle-
sized and large cities and conurbations. Even small amounts of sub-

stances from the petrochemical industry can render 'extensive
groundwater reserves unusable'.

According to the Federal Environmental Agency experts, the over-
al1risk posed by the substances released isdifficultto assess,'because
the destruction of entire industrial complexes results in mixed con-
tamination by a wide variety of harmful substances' - an area in
which there has as yet been little research. Even more problematic,
in the experts' view, is the assessment of environmental damage
caused by fires and explosions. 'Here, in terms of identification of
the harmful substances involved and the possibility of their diffu-
sion, environmental damage is far harder to predict, but will on
occasion be extensive.'

The substances produced by the fires are described as 'in part
highly toxic and carcinogenic'. Depending on climatic conditions,
'widespread diffusionof these substances' could occur, 'whichwould
render full cleansing almost impossible'.

The effects of the interaction of those substances with the
weapons employed were said to be 'completely unknown'." (TAZ,
Die Tugc~.szritung,Berlin, 20 May 1999.)

Therefore, it is my profound conviction, that the Court is, in concrcto,
confronted with an uncontestable case of "extreme urgency" and "irrepa-
rable harm", which perfectly coincides, and significantly transcends the LICEITÉ DE L'EMPLOI DE LA FORCE (OP. DISS.KRECA) 896

Les substances toxiques pour I'environnement libérée s la suite de
la destruction d'installations industrielles pourraient se propager
une plus grande distance. L'adoption de mesures immédiates -
impossible toutefois en temps de guerre - permettrait de contenir

localement ces atteintesa I'environnement. Plus le temps s'écoulera
et plus ces substances se répandront dans le sol, leseaux souterraines
et les eaux de surface, d'où une augmentation considérabledes ris-
ques pour l'homme et du coût des opérations de nettoyage.
Ces conséquences ne sont pas nécessairement limitées à la You-
goslavie. Les substances toxiques dégagées a la suite d'incendies
majeurs peuvent se répandre au-delà des frontières. Et l'auteur du
document d'ajouter: «La migration de substances dangereuses
dans les eaux de surface peut causer de graves dommages aux éco-
systèmes. Le dépôt de substances dangereuses dans le sol peut

entraîner, selon la nature des substances et des sols, une contami-
nation à long terme, faisant radicalement obstacle à l'utilisation
des sols.
Le risque d'une ccdestruction a grande échelle des éléments essen-
tiels du réseaud'approvisionnement en eau potable)) est plus lourd
pour les villesmoyennes, les grandes villes et les zones de concentra-
tion urbaine. De faibles quantitésde substances émanant d'installa-
tions pétrochimiques suffisent a rendre inutilisables d'importantes
réserves d'eauxsouterraines)).
Selon les experts de l'Officefédéralde l'environnement, il est très

difficile d'apprécier dans son ensemble le risque que représentent
les substances libéréesdans I'environnement, «car la destruction de
complexes industriels entiers entraîne une pollution provoquée par
un véritable cocktail de substances toxiques)), sur laquelle les re-
cherches n'ont guère porté jusqu'à présent. L'évaluation desdom-
mages causés à I'environnement par les incendies et les explosions
est encore plus délicate, estiment les experts.1est beaucoup plus
difficile en pareil cas, du fait des problèmes liésà l'identification
des substances toxiques et au risque de les voir se répandre, de pré-
dire les dommages à l'environnement, qui seront parfois considé-
rables.))

Certaines des substances libéréesdans l'atmosphère à la suite des
incendies sont qualifiéesde«très toxiques et cancérigènes)).En fonc-
tion des conditions climatiques ambiantes, «ces substances poiir-
raient diffuser très largement)), de sorte qu'«une décontamination
complète serait quasi impossible)).
Quant à l'interaction de ces produits avec lesarmes utilisées,on en
ignorerait totalement» les effet».(TAZ, Die Tugeszeitung, Berlin,
numérodu 20 mai 1999.)

Je suis par conséquent profondément convaincuque la Cour se trouve

concrètement face à une affaire imposant incontestablement d'agir «de
toute urgence)) et où l'on court le risque d'un ((préjudiceirréparable)),897 LEGALlTY OF USE OF FORCE (DISSO. P.KRECA)

substance of humanitarian standards which the Court has accepted in
previous cases.

7. 1must admit that 1find entirely inexplicable the Court's reluctance
to enter intoserious consideration of indicating provisional measures in a
situation such as this crying out with the need to make an attempt,
regardless of possible practical effects, to at least alleviate, if not elimi-
nate, an undeniable humanitarian catastrophe. 1 do not have in mind
provisional measures in concrete terms as proposed by the Federal
Republic of Yugoslavia, but provisional measures in general: be they
provisional measures proprio motu, different from those proposed by the

Federal Republic of Yugoslavia or, simply, an appeal by the President
of the Court, as was issued on so many occasions in the past, in less
difficult situations, on the basis of the spirit of Article 74, paragraph 4,
of the Rules of Court.

One, unwillingly, acquires the impression that for the Court in thisar-
ticular case the indication of any provisional measures whatever has been
terra prohibita. Exempli causa, the Court, in paragraph 18of the Order,
says that it:

"deems it necessary to emphasize that al1parties appearing before it
must act in conformity with their obligations under the United
Nations Charter and other rules of international law including
humanitarian law",
or, in paragraph 41 of the Order, that the Parties: "should take care not
to aggravate or extend the dispute", and it is obvious that both the above
pronouncements of the Court have been designed within the mode1 of

general, independent provisional measures.

III. JURISDICTIONIA SSUES

Jurisdiction of the Court Ratione Personae

8. The membership of Federal Republic of Yugoslavia in the United
Nations is in the present case one of the crucial issueswithin thejurisdic-
tion of the Court rcrtionepersonae.

The respondent State, when referring to the United Nations resolu-
tion 777 (1992)of 19September 1992and to the United Nations General
Assembly resolution 4711of 22 September 1992,also contends that "the

Federal Republic of Yugoslavia cannot be considered, as it claims, to be
the continuator State of the former Socialist Federative Republic of
Yugoslavia", and that, not having duly acceded to the Organization, it is
not a Member thereof, is not a party to the Statute of the Court and can-
not appear before the Court.affaire qui répond parfaitement, quant au fond, aux normes humanitaires
que la Cour a retenues dans certains précédents; à cet égard,la présente
instance se situe même àun niveau nettement supérieur.
7. Pour être franc,je dois dire que je trouve totalement inexplicable
que la Cour veuille s'abstenir d'étudiersérieusement la possibilité d'indi-
quer des mesures conservatoires alors que la situation impose de façon
aussi criante de tenterà tout le moins, indépendamment des effets pra-
tiques éventuelsde la tentative, d'atténuer, sinon de supprimer, un dan-
ger incontestable de catastrophe humanitaire. Je n'envisage pas ici des

mesures conservatoires qui prendraient concrètement la forme proposée
par la Républiquefédérale de Yougoslavie, j'envisage des mesures conser-
vatoires en général:la Cour peut proposer d'office d'autres mesures
conservatoires que celles qui sont proposées par la République fédérale
de Yougoslavie, ou elle peut se contenter d'un appel lancépar le pré-
sident, comme elle l'a fait si souvent déjà,dans des situations moins diffi-
ciles, en s'inspirant de l'article 74,paragraphe 4, de son Règlement.
Sans le vouloir, on a ici l'impression que, pour la Cour en l'espèce,
l'indication de mesures conservatoires, sous quelque forme que ce soit, lui
a sembléinterdite. Par exemple, au paragraphe 19 de l'ordonnance, la
Cour:

((estime nécessairede souligner que toutes les parties qui se pré-
sentent devant elle doivent agir conformément à leurs obligations
en vertu de la Charte des Nations Unies et des autres règles du
droit international, y compris du droit humanitaire)),
ou bien elle dit, au paragraphe 49, que les Parties: ((doivent veiller a ne
pas aggraver ni étendre le différend)),et ilest manifeste que, dans les

deux cas, la Cour s'est inspirée d'un typede mesures conservatoires de
caractère général etindépendant.

III. LES QUESTIONS DE COMPÉTENCE

La compétencede la Cour ratione personae

8. La qualité d'Etat Membre des Nations Unies de la République
fédéralede Yougoslavie est, dans la présente instance, l'une des ques-
tions cruciales qui se posent pour la compétence dela Cour ratione prr-
sonue.

L'Etat défendeur, invoquant la résolution 777 (1992) [du Conseil de
sécurité]en date du 19 septembre 1992 ainsi que la résolution 4711de
l'Assemblée générale deN sations Unies en date du 22 septembre 1992,
soutient que la République fédérale de Yougoslavin ee peut pas êtreconsi-
dérée,contrairement à ce qu'elle prétend, comme1'Etat successeur de
l'ancienne République fédérative socialiste de Yougoslavie eqtue, n'ayant
pas dûment adhéré à l'organisation, elle n'en est pas Etat Membre,
n'est pas partie au Statut de la Cour et ne peut pas comparaître devant
celle-ci. It is worth noting that the respondent State did not invoke this argu-
ment with respect to the Genocide Convention as another basis of juris-
diction invoked by the Applicant, although the connection between the
legal identity and continuity of the Federal Republic of Yugoslavia with
the status of the Contracting Party of the Genocide Convention is obvi-
ous (see para. 12,below). One can guess the reasons for the State to take
such a position.

Sedes materiue the question of the Federal Republic of Yugoslavia's
membership in the United Nations can be reduced to a couple of quali-

fications:

8.1. General Assemb1,v resolution 4711 ,vas adopted for pragmutic,
political purposes

The adoption of that resolution cannot, in my opinion, be divorced
from the main political stream taking place in international institutions
during the armed conflict in the former Yugoslavia. It appears that as a
political body the General Assembly of the United Nations, as wellas the
Security Council which recommended that the Assembly adopt resolu-
tion 4711,perceived such a resolution asone of political means to achieve
the desirable solution to the relevant issues in the crisis unfolding in the
former Yugoslavia.
Such a conclusion relies on the fact that in adopting resolution 4711,
the General Assembly basically followed the opinions of the so-called
Badinter Commission engaged as an advisory body in the work of the
Conference on Yugoslavia with the aim of finding a peaceful solution to
the relevant issues. In its Opinions No. 1 and No. 8,the Commission
elaborates the point on territorial changes in the former Yugoslavia

which has, in its opinion, resulted in the emergence of six equal, inde-
pendent State entities corresponding in territory to the Republics as the
constituent parts of the Yugoslav Federation. In its Opinion No. 9 the
Commission proceeds from the point of finalization of the "process of
break up of SFRY" and elaborates on the effects of the alleged break up
from the standpoint of succession of States. In that context, it, inter aliu,
established
"the need to terminate SFRY's membership status in international

organizations in keeping with their statutes and that not a singlesuc-
cessor state may claim for itself the rights enjoyed until then by the
former SFRY as its member state" (The Peace Conference on Yugo-
slavia, Arbitration Commission, Opinion No. 9, para. 4).

Introducing draft resolution 47lL.1, Sir David Hannay (United King-
dom) said, inter uliu,

"the fact that the Council is ready to consider the matter again Il y a lieu de noter que 1'Etatdéfendeurn'a pas invoquéle mêmeargu-
ment au sujet de la convention sur le génocidequi est pour le demandeur
une autre base de compétence,alors qu'il y a manifestement un lien entre
l'identité etla continuité, sur le plan juridique, de la République fédérale
de Yougoslavie, d'une part, et, de l'autre, son statut de partie contrac-
tante à la convention sur le génocide (voir paragraphe 12 ci-après).
On peut deviner les raisons qui expliquent cette attitude de 1'Etat de-

mandeur.
Sedes materiae, la question de la qualitéd'Etat Membre de l'Organisa-
tion des Nations Unies dont jouit ou non la Républiquefédéralede You-
goslavie peut se ramener à deux éléments.

8.1. La résolution 4711 de l'Assembléegénéralea été adoptéù e desjns
pragwiatiques et politiques

II est impossibleà mon avis de dissocier l'adoption de cette résolution
du grand courant politique qui animait les organisations internationales
lors du conflit arméqui a éclatdans l'ex-Yougoslavie. En tant qu'organe
politique, l'Assembléegénérale des Nations Unies, de mêmeque leConseil
de sécuritéqui a recommandéque l'Assembléeadopte la résolution4711,
a, semble-t-il, conçu cette résolution comme un moyen politique de par-
venir à résoudrela crise sous ses différents aspects.

J'en donnerai pour preuve qu'en adoptant la résolution4711, I'Assem-

bléegénérale aessentiellement suiviles avis de ce qu'on a appeléla com-
mission Badinter, laquelle a servi d'organe consultatif pendant les tra-
vaux de la conférencesur la Yougoslavie et étaitchargéede trouver une
solution pacifique aux différents problèmes.Dans ses avis no I et no 8,
la commission développe la question des transformations territoriales
dans l'ex-Yougoslavie, lesquellesaboutissent à l'apparition de six entités
étatiques égaleset indépendantes correspondant du point de vue terri-
torial aux républiques qui étaient des élémentsconstitutifs de la Fédé-
ration yougoslave. Dans son avis no 9, la commission part de cette désin-
tégration définitive de l'ancienne République fédérativesocialiste de
Yougoslavie et dit en détail quelseffets il faut en attendredu point de vue
de la succession d'Etats. Elle dit notamment à ce sujet que:

(cilfaut mettre fià la qualitéd'Etat membre de la Républiquefédé-
rative socialiste de Yougoslavie dans les organisations internatio-
nales, conformément au statut de ces dernières, et qu'aucun Etat
successeur ne pourra se prévaloir des droits qu'exerçait jusqu'alors
l'ex-République fédérativs eocialiste de Yougoslavie en cette qualité
d'Etat membre» (conférencede la paix sur la Yougoslavie, commis-
sion arbitrale, avis no, par. 4).

En présentant le projet de résolution47lL.1, sir David Hannay (repré-
sentant du Royaume-Uni) a notamment trouvé
((significatifle fait que le Conseil àirevoir la questionà nouveau899 LEGALlTY OF USE OF FORCE (DISSO. P.KRECA)

within the next three months is significant. The tragic situation in the
former Yugoslavia is a matter of the highest concern to al1members
of the international community. The International Conference on
the Former Yugoslavia, which opened in London on 26 August and
which now meets in Geneva, brings together the efforts of the
United Nations and the European Community. We must do every-
thing in our power to encourage theparties, with the assistance of the
Conference Co-Chairman, to settle their dijferences ut the negotiat-
ing tuhle, not on the battlejeld. That the Council has decided to con-
sider the mattrr again hefore the end of the year will, we trust, be
concerned, as an effective meuns of
helpful incentive to-al1the-
supporting the Co-Chuirman of the Conference on Yugoslavia in
their heavy task."(United Nations doc. Al471Pv.7,p. 161 ;emphasis
added).

8.2. From a legal aspect, resolution 4711 i.7inconsistent and contra-
dictory

The operative part of resolution 4711reads as follows:
"The General Assembly,

1. Considers the Federal Republic of Yugoslavia (Serbia and
Montenegro) cannot automatically continue the membership of the
former Socialist Federal Republic of Yugoslavia in the United
Nations; and, therefore, decides that the Federal Republic of Yugo-
slavia should apply for membership in the United Nations and shall
not participate in the work of the General Assembly."

The main elements of the solution in General Assembly resolution 4711
are the following :

The opinion that the Federal Republicof Yugoslavia cannot automati-
cally continue the membership of the SFRY in the United Nations. The
stand of the main political bodies of the United Nations (the Security
Council and the General Assembly) was formulated in terms of an "opin-
ion"; namely, such a conclusion clearly stems from the fact that the rele-
vant part of General Assembly resolution 4711 begins with the words
"considers". It is significant to note that the General Assembly'sopinion
does not conform Sullywith the meaning of the Opinions Nos. 1,8 and 9
of the so-called Badinter Arbitration Commission. Namely, in its Opin-
ions 1 and 8 the Commission elaborates the point on the break up of
SFRY which has, in its opinion, resulted in the emergence of six equal,
independent State entities corresponding in territory to the Republics as

the constituent parts of the Yugoslav Federation. Resolution 4711 pro-
ceeds from a more moderate starting point. It apparently does not termi-
nate the Federal Republic of Yugoslavia's membership in the Organi- dans les trois moisà venir. La situation tragique dans l7ex-Yougo-
slavie est une source de profonde inquiétude pour tous les membres
de la communauté internationale. La conférenceinternationale sur
l'ancienne Yougoslavie qui s'est ouverteà Londres le 26 août et qui
se réunit actuellement à Genève conjugue les efforts de l'ONU et
ceux de la Communauté européenne. Nous ne devons rien négliger

pour encourager les parties, uvec l'aide des coprésidentsde la confé-
rence, ù réglerleurs dorends ù la tuble de négociation, et non pas
sur le champ de butuille. Le fait que le Conseil a décidéde réexumi-
ner lu question uvunt lu,fin de l'annéesera, nous en sommes certuins,
un moyen d'encourager toutes les parties intéresséeset d'appuyer
ejficucement les coprésidents de la conjsrence sur lu Yougosluvie
duns leur tâche dijjîcile.(Nations Unies, doc. Al47lPV.7, p. 142-
143; les italiques sont de moi.)

8.2. Du point devuejuridique, larésolution 4711 est illogique et contru-
dictoire

Le dispositif de la résolution4711se lit comme suit:

«L'Assemblée générule,

1. Considère que la République fédérative de Yougoslavie (Serbie
et Monténégro)ne peut pas assumer automatiquement la qualité de
Membre de l'organisation des Nations Unies àla place de l'ancienne
République fédérativesocialiste de Yougoslavie et, par conséquent,
décide que la République fédérativede Yougoslavie (Serbie et
Monténégro) devraitprésenterune demande d'admission à l'Orga-
nisation et qu'elle ne participera pas aux travaux de l'Assemblée
générale.»

Les principaux élémentsde la solution préconiséepar la résolution4711
de l'Assemblée généralse ont les suivants:

Il est d'abord énoncéun avis, qui est que la République fédéralede
Yougoslavie ne peut pas assumer automatiquement la qualitéde Membre
de l'Organisation des Nations Unies à la place de la Républiquefédéra-
tive socialiste de Yougoslavie. La position des principaux organes politi-
ques des Nations Unies (leConseil de sécuritéetl'Assembléegénérale) est
définiesous la forme d'un «avis»; c'est la conclusion qui s'impose quand
on constate que l'extrait pertinent de la résolution4711commence par le

mot «considère». Mais il convient de relever que cet avis de l'Assemblée
générale necorrespond pas parfaitement à ce qu'il faut déduiredes avis
nos 1,8 et 9 de la commission arbitrale dite commission Badinter. Dans
ses avisnos 1et 8, la commission tire les conclusions de la désintégration
de la République fédérativesocialiste de Yougoslavie qui aboutit, pour
elle,à produire six entitésétatiques indépendanteset égalesdont le terri-
toire est celui des républiquesqui étaient auparavant des éléments cons-
titutifs de la Fédérationyougoslave. La résolution4711prend Lindépartzation. It simply establishes that "the Federal Republic of Yugoslavia
cannot automatically continue the membership ...in the United Nations
Organization" (emphasis added). A contrario, this means that the Fed-
eral Republic of Yugoslavia's membership in the Organization can be
continued but not automatically. True, the resolution does not elaborate
how that can be achieved but, if we interpret it systematically and
together with Security Council resolutions 757 and 777, we will come to
the conclusion that the Federal Republic of Yugoslavia's membership in
the Organization can be continued in case such a request is "generally
accepted". That the legal meaning of the resolution does not imply the
termination of the Federal Republic of Yugoslavia's membership in the
Organization is also clear from the letter of the Under-Secretary-Ceneral

and Legal Counsel of the United Nations addressed on 29 September
1992to the Permanent Representatives to the United Nations of Bosnia
and Herzegovina and Croatia in which he stated, inter alia,

"the resolution does not terminate nor suspends Yugoslavia's mem-

bership in the Organization. Consequently, the seat and the name-
plate remain as before . . .Yugoslav mission at United Nations
Headquarters and officesmay continue to function and may receive
and circulate documents. At Headquarters, the Secretariat will con-
tinue to fly the flag of the old Yugoslavia."

8.3. A ban on participation in the Organization's work

That the relevant part of the resolution refers to a ban is borne out by
the use of the imperative wording ("shall not participate"). This ban is,
ratione materiae, limited along two different lines:

(a) it refers to the direct participation in the General Assembly. Indirect
participation in the work of the General Assembly is not excluded.
Elements of indirect participation are implied given that the Mission
of the Federal Republic of Yugoslavia to the United Nations con-
tinues to operate and, in particular, "may receive and circulate
documents". It follows from the Under-Secretary-General's inter-
pretation that the term "General Assembly" has been used in the
resolution in its genericsense, considering that it also includes the
auxiliary bodies of the Ceneral Assembly and conferences and meet-
ings convened by the Assembly;

(6) the ban does not apply to participation in the deliberations of other
bodies in the United Nations Organization. LICEITE DE L'EMPLOI DE LA FORCE (OP. DISS.KRECA) 900

plus modéré;apparemment, elle ne met pas fin à la qualitéde Membre de
l'organisation des Nations Unies de la République fédéralede Yougo-
slavie. Elle dit simplement que «la République fédérativede Yougoslavie
ne peut pas assumer uutornutiquement lu qualiti. de Membre de l'organi-

sation...)) (les italiques sont de moi).A contrario, cela signifie que la
République fédéralede Yougoslavie peut encore assumer la qualité de
Membre de l'organisation, mais non pas automatiquement. Certes, la
résolution n'expose pas en détailcomment cela peut êtreréalisé,mais, si
nous l'interprétons systématiquement, en lui associant les résolutions757
et 777 du Conseil de sécurité,nous aboutissons à la conclusion que la
République fédéralede Yougoslavie peut encore assumer la qualité de

Membre de l'organisation à condition que la demande présentéeà cette
fin soit ((généralement acceptée)).Que la résolution ne met donc pas
implicitement fin, sur le plan juridique, à la qualitéde Membre de I'Orga-
nisation de la République fédéralede Yougoslavie apparaît aussi claire-
ment dans la lettre que le Secrétaire généraladjoint et conseiller juridique
des Nations Unies a adresséele 29 septembre 1992aux représentants per-

manents de la Bosnie-Herzégovine et de la Croatie auprès des Nations
Unies, lettre dans laquelleildéclarait notamment ceci:

«la résolution ne met pas fin à l'uppartenance de la Yougoslavie a
l'organisation et ne la suspend pas. En conséquence, le siègeet la
plaque portant le nom de la Yougoslavie subsistent ... La mission de
la Yougoslavie auprès du Siègede l'organisation des Nations Unies
ainsi que les bureaux occupés par celle-ci peuvent poursuivre leurs
activités,ils peuvent recevoir et distribuer des documents. Au Siège,
le Secrétariat continuera de hisser le drapeau de l'ancienne Yougo-

slavie.»

8.3. Lu purticipation aux travaux de l'Organisation est interdite

Il est clair que l'extrait pertinent de la résolution correspond à une
interdiction, car la forme verbale utiliséeest une forme impérative («ne

participera pas))). Mais cette interdiction est limitéeratione muieriue, à
deux points de vue:

a) I'interdiction vise la participation directe aux travaux de l'Assemblée
générale, mais n'exclutpas une participation indirecte. Cette partici-
pation indirecte est évoquée implicitementpar le fait que la mission
de la République fédérativede Yougoslavie auprès des Nations Unies
peut continuer ses activitéset en particulier, «peut recevoir et distri-
buer des documents)). Le Secrétaire généraladjoint a donc utilisé
dans la résolution l'expression «Assemblée générale))au sens géné-

rique, qui s'étend aux organes auxiliaires de l'Assemblée générale
ainsi qu'aux conférences et réunions organiséespar l'Assemblée;

b) I'interdiction ne vise pas la participation aux débats d'autres organes
de l'Organisation des Nations Unies. 8.4. The decision that the Frderal Republic of Yugoslavia should
apply for membership

This part of resolution 4711 is legally ambiguous and contradictory
both in form and in substance.
From the formal point of view, the "decision" that the Federal Repub-
lic of Yugoslavia should apply for membership in the Organization pro-
ceeds from the irrefutable assumption that the Federal Republic of

Yugoslavia wishes to have the status of a member even if it may not con-
tinue the membership in the Organization. Such an assumption is illogi-
cal, although it may prove correct in fact. Membership in the Organiza-
tion is voluntary and therefore no State is under obligation to seek
admission. The relevant wording in the resolution has not been correctly
drafted from a legal and technical point of view for it has a connotation
of such an irrefutable assumption. A correct wording would have to state
a reservation which would make such a decision conditional upon Yugo-
slavia'sexplicitly expressed wish to become a member in case it is irrevo-
cably disallowed from continuing its membership in the Organization.

From the actual point of view, it is unclear why the Federal Republic
of Yugoslavia should submit an application for membership if "the reso-
lution does not terminate . . Yugoslavia's membership in the Organiza-

tion". An application for admission to membership is, ex de$nitione,
made if a non-member State wishes to join the Organization. What could
in terms of concrete relations be the outcome of a procedure initiated by
Yugoslavia by way of application for membership? If the outcome of the
procedure were admission to membership, such a decision by the General
Assembly would be superfluous from the point of view of logic, given
that resolution 4711has not terminated Yugoslavia's membership in the
Organization. Presumably, the authors of resolution 4711have another
outcome in mind. Maybe to confirm or to strengthen Yugoslavia's mem-
bership in the Organization by such a procedure. This could be guessed
from the wording in the resolution which saysthat "the Federal Republic
of Yugoslavia cannot automatically continue the membership". This
term or phrase literally means that the idea behind the procedure would
be to re-assert or strengthen the Federal Republic of Yugoslavia's mem-

bership in the Organization but, confirmation of membership could
hardly have any legal meaning in this particular case - for a State is
either a member or not. It appears that the meaning of such an act could
be only non-legal; namely, political. Finally, the resolution advises the
Federal Republic of Yugoslavia to apply for admission to membership.
The logical question arises: why would a State whose membership in the
Organization has, in that very same Organization's view, not been termi-
nated, submit a request for the establishment of something that is in the
nature of an indisputable fact? 8.4. 11est décidéque lu République fédérad le Yougoslavie devraitpré-
senter une demanded'admission irI'Organisution

Cette partie de la résolution4711est ambiguë du point de vuejuridique
et contradictoire dans la forme comme au fond.
Du simple point de vue formel, «décider» que la République fédérale
de Yougoslavie doit présenterune demande d'admission à I'Organisation

procède d'une hypothèse irréfutable, qui est que la République fédérale
tient à avoir la qualité de Membre de I'Organisation mêmesi elle n'est
peut-êtrepas autorisée à rester Membre de I'Organisation. Cette hypo-
thèse est illogique, mêmesi elle se vérifiedans les faits. C'est volontaire-
ment que ses Membres adhèrent à I'Organisation, et par conséquent
aucun Etat n'est tenu de demander son admission. A cet égard, par
conséquent, le libelléde la résolution n'est pas correct du point de vue
juridique ni du point de vue technique, parce qu'il évoquecette hypothèse
qui serait irréfutable. eut été plusjuste d'énoncer uneréservequi aurait
subordonné la décision à la volontéexpresse de la Yougoslavie faisant
savoir qu'elle voulait devenir Membre de I'Organisation au cas où cette
qualité lui aurait étéretiréede façon irrévocable.
D'un point de vue concret, on ne voit pas bien pourquoi la République
fédéralede Yougoslavie devrait présenter une demande d'admission si
«la résolutionne met pas fin àl'appartenancede la Yougoslavie à I'Orga-
nisation..» Une demande d'admission, par définition,estprésentéequand

un Etat non membre veut entrer à I'Organisation. Sur le plan des rela-
tions concrètes, quelle serait l'issuede la procédurequ'engagerait la You-
goslavie en présentant une demande d'admission? Si la procédure doit
aboutir à conférerla qualité de Membre, il serait en bonne logique super-
flu que l'Assembléegénérale prenne cette décision, puisquela résolu-
tion 4711n'a pas mis fin, pour la Yougoslavie,à sa qualité de Membre de
l'Organisation. On peut présumer que les auteurs de la résolution 4711
envisageaient donc une autre issue. Ils voulaient peut-être confirmer ou
renforcer au moyen de cette procédure la qualitéde Membre de I'Orga-
nisation qu'avait la Yougoslavie. C'est ce que laisse deviner l'énoncé
de la résolution quand celle-ci dit:<laRépublique fédérativede Yougo-
slavie ..ne peut pas assumer automatiquement la qualité de Membre de
I'Organisation ...àla place...)) Cette formule signifie littéralement que la
procédure viserait à réaffirmer ou renforcer, pour la République fédé-
rale de Yougoslavie, sa qualité de Membre de l'organisation, mais la
confirmation de la qualité de Membre n'aurait guère de sens juridique
dans ce cas de figure particulier, car un Etat est Membre ou il ne l'est

pas. La signification de l'acte en question ne peut être que non juridique;
c'est-à-dire qu'elle serait politique. En dernier lieu, la résolutionconseille
à la République fédéralede Yougoslavie de présenter une demande
d'admission à I'Organisation et il faut alors, logiquement, se poser la
question suivante: pourquoi un Etat à l'égard duquel l'organisation
elle-même n'estimepas avoir mis fin à sa qualité de Membre présente-
rait-il une demande dont l'objet lui est déjà incontestablement acquis? Finally, due regard should be paid to the concluding paragraph of
resolution 4711which says that the General Assembly takes note "of the
Security Council's intention to review the matter before the end of the
main part of the 47th Session of the General Assembly". A statement like
this is unnecessary if it was the intention of the authors of the resolution
to bring, by its adoption, to an end the debate on the continuity of the
Federal Republic of Yugoslavia's membership in the Organization. It
seems to sumest that the idea behind resolution 4711was to maintain the
pace of updavtingthe Organization's political approach to the Yugoslav
crisis in the framework of which eventhe question of the Federal Repub-
lic of Yugoslavia's membership in the Organization carries, in the latter's
opinion, a certain specific weight. The question of the Federal Repub-
lie of Yugoslavia's membership in the United Nations Organization is a

forma1oneand was opened by Security Council resolution 757of 30 May
1992, which in its operative part has set into motion the mechanism of
measures stipulated in Chapter VI1of the United Nations Charter relying
on the assessrnent that "the situation in Bosnia-Herzegovina and in other
parts of the former Socialist Federal Republic of Yugoslavia poses a
threat to peace and security".

It is not difficult to agree with Professor Higgins (as she then was) that,
judged from the legal point of view, the consequence arising out of reso-
lution 4711"is abnormal to absurdity" (Rosalyn Higgins, "The United
Nations and the Former Yugoslavia", International Affairs, Vol. 69,
p. 479).

8.5. The practice of the Organization relating to the issues raised by
the content of resolution 4711

A couple of relevant facts regarding the practice of the Organization
concerning membership of the Federal Republic of Yugoslavia raise the
question of whether the Organization acted contrufactum proprium if:

(a) resolution 4711 was adopted at the 47th Session of the General
Assembly. The delegation of the Federal Republic of Yugoslavia
took an active part as a full member in the proceedings of the 46th
Session, and the Credentials Committee unanimously recommended
approval of the credentials of the Federal Republic of Yugoslavia
(United Nations doc. Al461563,dated 11October 1991).In the light
of the fact that Croatia and Slovenia had seceded from Yugoslavia
on the eve of that Session,the Organization's attitude to the Federal
Republic of Yugoslavia's participation in the 46th Session means
that the Organization accepted the Federal Republic of Yugoslavia
as a territorially diminished predecessor State according to LICÉITE DE L'EMPLOI DE LA FORCE (OP.DISS.KRECA) 902

En dernier lieu, il faut tenir dûment compte aussi du dernier para-
graphe de la résolution 4711, aux termes duquel l'Assemblée générale
prend acte «de l'intention du Conseil de sécuritéde reconsidérerla ques-
tion avant la fin de la partie principale de la quarante-septième session de
l'Assembléegénérale))U . ne telle déclarationest inutile si lesauteurs de la

résolution avaient l'intentiondemettre fin, au moyen de son adoption, au
débat sur la continuité de la qualitéd'Etat Membre des Nations Unies
de la République fédérativede Yougoslavie. Cette déclaration donne,
semble-t-il, entendre que la résolution4711a en fait pour objet, au sein de
l'Organisation, de préserver ladynamique du débatpolitique qui permet
de faire régulièrementle point de la crise yougoslave et, dans le cadre de
ce débat,cette question de la qualitéde Membre de l'Organisation de la
République fédéralede Yougoslavie va elle-même jusqu'à acquérir, aux
yeux de l'organisation, un certain poids. Cette question a un caractère
formel et elle se pose officiellement depuis l'adoption par le Conseil de
sécuritéde sa résolution 757 du 30 mai 1992,qui met en branle dans son
dispositif le mécanismede mesures prévuesau chapitre VI1de la Charte
des Nations Unies après avoir constaté que «la situation en Bosnie-
Herzégovine etdans d'autres parties de l'ex-République fédérative socia-

liste de Yougoslavie constitue une menace pour la paix et la sécurité...))
11n'est donc pas difficile d'adhérerau jugement de MmeHiggins qui
était encore professeur quand elle disait que, du point de vue juridique,
cette résolution4711produit un effet ((anormal au point d'êtreabsurde))
(Rosalyn Higgins, «The United Nations and the Former Yugoslavia)),
International Ajfairs,vol. 69, p. 479).

8.5. La pratique de l'Organisation 6.nce qui concerne les questionsque

soulève la teneur de la rGsoluti4711

Un petit nombre de faits pertinents intéressant la pratique suivie par
l'organisation au sujet de la qualité d'Etat Membre de la République
fédéralede Yougoslavie soulèvent la question de savoir si celle-ci a agi
contra fuctum proprium du moment que:

a) la résolution 4711 a été adoptée à la quarante-septième session de
l'Assembléegénérale.La délégationde la République fédéralede
Yougoslavie a participé activement,en qualitéd'Etat Membre à part
entière,aux travaux de la quarante-sixième session, et la commission
de vérificationdes pouvoirs a recommandé à l'unanimitéd'approuver
lespouvoirs de la Républiquefédérale de Yougoslavie (Nations Unies,
doc. Al461563en date du 11 octobre 1991).Comme la Croatie et la
Slovénieont fait sécessionet ont quitté la Fédération à la veille de
ladite session, l'attitude adoptée par l'organisation l'égardde la
participation de la République fédéralede Yougoslavie aux travaux
de la quarante-sixième session signifieque l'organisation acceptait la
République fédéralede Yougoslavie comme un Etat prédécesseur
amputéd'une partie de son territoire, conformément à des "criteria laid down in the wake in the partitioning of India in 1947
and consistently applied ever since - criteria that by and large
have served the United Nations and the international community
well over the past decades" (Yehuda Z. Blum, "UN Membership
of the 'New'Yugoslavia: Continuity or Break?", American Jour-
nul of International Law (1992), Vol. 86, p. 833);

(b) the delegation of the Federal Republic of Yugoslavia also took part
in the 47th Session of the General Assembly whichadopted the reso-
lution contesting the right of Federal Republic of Yugoslavia to
continue automatically membership in the Organization. Not one

delegation made any objection to the delegation of Federal Republic
of Yugoslavia taking the seat of SFRY in the General Assembly. It
follows from that that the delegations had "at least tacitly accepted
the right of the 'Belgradeauthorities' to request Yugoslavia's seat -
the seat of one of the founding members of the United Nations"
(ibid., p. 830);

(c) during al1the time since the General Assembly passed resolution
4711,the Federal Republic of Yugoslavia has continued to pay its
financial contributions to the Organization (see Annexes to CR 991
25). Yugoslavia is mentioned as a Member State in the document
entitled "Status of contributions to the United Nations regular
budget as at 30 November 1998" published by the United Nations

Secretariat in its document STlADMlSER.Bl533 of 8 December
1998. In the letter addressed to Vladislav Jovanovic, Chargé
d'Affaires of the Permanent Mission of the Federal Republic of
Yugoslavia to the United Nations, the competent authorities of the
Organization cited Article 19 of the United Nations Charter and
accompanied the citation with the formulation:

"in order for your Government not to fall under the provisions of
Article 19 of the Charter during any meetings of the General
Assembly to be held in 1998, it would be necessary that a mini-
mum payment of $11,776,400be received by the Organization to
bring such arrears to an amount below that specified under the
terms of Article 19" (ibid.);

(d) in the practice of the United Nations Secretary-General as the
depositary of multilateral treaties, Yugoslavia figures as a party to
the multilateral treaties deposited with the Secretary-General as an
original party. The date when the SFRY expressed its consent to be
bound is mentioned as a day on which Yugoslavia is bound by that
specificinstrument. Exampli causain the "multilateral treaties depos-
ited with the Secretary-General" for 1992,and in the list of "partici-
pants" of the Convention on the Prevention and Punishment of the
Crime of Genocide, Yugoslavia is included and 29 August 1950 is LICÉITÉ DE L'EMPLOI DE LA FORCE (OP. DISS. KRECA) 903

((critèresdéfinis la suite de la partition de l'Inde en 1947et régu-

lièrement appliquésdepuis - des critères qui, dans l'ensemble, ont
étéfort utiles aux Nations Unies et à la communauté internationale
au cours des dernières décennies))(Yehuda Z. Blum, «UN Mem-
bership of the cNew» Yugoslavia :Continuity or Break?)), Ameri-
can Journal of Internationul Law (1992), vol. 86, p. 833);

h) la délégationde la République fédéralede Yougoslavie a également
pris part aux travaux de la quarante-septième session de l'Assemblée
généralequi a adopté la résolutioncontestant à la République fédé-
rale de Yougoslavie le droit d'assumer automatiquement la qualité de
Membre de l'organisation à la place de l'ancienne République fédé-
rative socialistedeYougoslavie.Pas une seuledélégation n'a émisd'ob-
jection au fait que la République fédérativede Yougoslavie occupe,

à l'Assembléegénérale,le siègede la Républiquefédérativesocialiste
de Yougoslavie. Il faut en déduireque lesdélégationsont ((tacitement
du moins acceptéque les ((autoritésde Belgrade)) aient le droit de
demander àoccuper le siègede la Yougoslavie - le siègede l'un des
Membres originaires des Nations Unies » (ihid., p. 830;
c) pendant tout le temps qui s'est écoulé depuisl'adoption de la résolu-
tion 4711par l'Assemblée générale l, République fédéralede You-
goslavie a continué de payer sa contribution financière à l'Organisa-
tion (voir les annexes au CR99125). La Yougoslavie est citéeparmi
les Etats Membres dans le document intitulé «Etat des contributions

versées aii 30 novembre 1998))publiépar le Secrétariat desNations
Unies dans le document portant la cote STlADMlSER.Bl533 daté du
8 décembre 1998. Dans la lettre adressée a Vladislav Jovanovié,
chargéd'affaires de la mission permanente de la Républiquefédérale
de Yougoslavie auprès des Nations Unies, les autorités compétentes
de l'Organisation citaient l'article 19de la Charte des Nations Unies
et accompagnaient la citation de la formule ci-après :

«pour que votre gouvernement ne tombe pas sous le coup des dis-
positions de l'article 19 de la Charte pendant l'une quelconque des
réunions del'Assembléegénérale quise tiendront en 1998,il faudrait
verser a l'organisation un montant minimum de 11776400 dollars
des Etats-Unis pour ramener les arriérésen question à un montant

inférieurau montant prévu à l'article 19» (ibid);

d) dans la pratique suivie par le Secrétairegénéral des Nations Unies en
qualité de dépositairedes traités multilatéraux, la Yougoslavie est
citéecomme Etat Membre originaire partie aux traités multilatéraux
déposésauprès du Secrétaire général.La date à laquelle la Répu-
blique fédérativesocialiste de Yougoslavie a exprimé son consente-
ment à êtreliéeest indiquée commela date à laquelle la Yougoslavie
est effectivement liéepar l'instrument considéré.Par exemple, si l'on
considère l'état des((traités multilatéraux déposésauprès du Secré-
taire général))pour 1992,il y figure la listedes «partiesà la Conven- mentioned as the date of the acceptance of the obligation - the date
on which SFRY ratified that Convention. Such a mode1is applied,
mutatis mutandis, to other multilateral conventions deposited with
the Secretary-General of the United Nations.

On the basis of existing practice, the "Summary of practice of the
Secretary-General as depositary of multilateral treaties" concludes:

"[tlhe independence of the new successor State, which then exercises
its sovereignty on its territory, is of course without effect as concerns
the treaty rights and obligations of the predecessor State as concerns
its own (remaining) territory. Thus, after the separation of parts of
the territory of the Union of Soviet Socialist Republics (which
became independent States),the Union of Soviet Socialist Republics
(as the Russian Federation) continued to exist as a predecessor
State, and al1its treaty rights and obligations continued in force in
respect of its territory. Thesame applies to the Federal Republic of
Yugoslavia (Serbia and Montenegro), which remains as the pre-
decessor State upon separation of parts of the territory of the former

Yugoslavia. General Assembly resolution 4711of 22 September 1992,
to the effect that the Federal Republic of Yugoslavia could not auto-
matically continue the membership of the former Yugoslavia in the
United Nations .. was adopted within the framework of the United
Nations and the context of the Charter of the United Nations, and
not as an indication that the Federal Republic of Yugoslavia was
not to be considered a predecessor State." (STlLEG.8, p. 89,
para. 297.)

On 9 April 1996,on the basis of protest raised by a few Members of the
United Nations, the Legal Counsel of the United Nations issued under
"Errata" (doc. LLA41TRl220) which, inter alia, deleted the qualification
of the Federal Republic of Yugoslavia as a predecessor State contained
in paragraph 297 of the "Summary". In my view, such a deletion is
devoid of any legal relevance since a "Summary" by itself does not have
the value of an autonomous document, a document which determines or
constitutes something. It is just the condensed expression, the external
lapidary assertion of a fact which exists outside it and independently
from it. In that sense, the Introduction to the "Summary of the practice
of the Secretary-General as the depositary of multilateral treaties" says,
inter alia, that "the purpose of the present summary is to highlight the
main features of the practice followed by the Secretary-General in this
field" (p.1, emphasis added) but not to constitute the practice itself. LICÉITEDE L'EMPLOI DE LA FORCE (OP. DISS. KRECA) 904

tion pour la prévention et la répression du crime de génocide, la
Yougoslavie figure sur cette liste et le 29 août 1950est la date qui est
indiquée comme étant celle de l'acceptation de l'obligation corres-

pondante, c'est-à-dire la date a laquelle la République fédérative
socialiste de Yougoslavie a ratifié la convention. Ce modèle s'ap-
plique, mututis mutandis, aux autres conventions multilatérales dé-
poséesauprès du Secrétaire général desNations Unies.

Compte tenu de la pratique existante, on trouve dans le ((précisde la
pratique du Secrétaire général entant que dépositaire de traités multi-
latéraux » la conclusion ci-après :

«[l']indépendancedu nouvel Etat successeur, qui exerce désormaisla
souveraineté sur son territoire, est naturellement sans effet sur les

droits et obligations d'origine conventionnelle deI'Etat prédécesseur
se rapportant à ce qui lui reste de son territoire. Ainsi, après la sépa-
ration de parties du territoire de l'union des républiques socialistes
soviétiques (qui ont acquis le statut d'Etats indépendants). la Fédé-
ration de Russie a conservé tous les droits et obligations d'origine
conventionnelle de I'Etat prédécesseur.II en va de mêmepour la

République fédérativede Yougoslavie (Serbie et Monténégro),qui
reste1'Etat prédécesseuraprès la sécession de certaines parties du
territoire de l'ancienne Yougoslavie. La résolution 4711de I'Assem-
bléegénérale endate du 22 septembre 1992,aux termes de laquelle la
République fédérativede Yougoslavie ne peut pas assumer automa-

tiquement la qualité de Membre de l'organisation des Nations Unies
à la place de I'ancienne Yougoslavie, a étéadoptée dans le cadre des
Nations Unies et celui de la Charte des Nations Unies, et non pas
pour signaler que la République fédérativede Yougoslavie ne devait
pas êtreconsidérée commeun Etat prédécesseur. >>(STlLEG.8, p. 89,
par. 297.)

Le 9 avril 1996, à la suite de protestations émanant d'un petit nombre

d'Etats Membres des Nations Unies, le conseiller juridique des Nations
Unies a publié des ((errata » (doc. LLA4 1TRl220) consistant notam-
ment à supprimer, au paragraphe 297 dudit «précis», le qualificatif
d'Etat successeur accordé à la République fédéralede Yougoslavie. A
mon sens, cette suppression ne revêtaucun intérêt juridique puisqu'un
«précis» n'a pas en soi la valeur d'un document autonome, d'un docu-

ment qui établit ou constitue quelque chose. Il s'agit simplement de
l'expression ramassée, de l'affirmation lapidaire par un observateur
extérieur d'un fait qui existe en dehors du résumé ettout à fait indépen-
damment de lui. En ce sens, ilest dit, dans l'introduction au «précis» de
la pratique du Secrétaire généralen tant que dépositaire de traités mul-
tilatéraux))que «le présent document a pour objet d'exposer dans ses

grandes lignes la pratique suivie en la matière par le Secrétaire général))
(p. 1;les italiques sont de moi) mais il n'a pas pour objet de constituer
la pratique elle-même.905 LEGALlTY OF USE OF FORCE (DISS .P. KRECA)

9. As regards the metnbership of the Federal Republic of Yugoslavia
of the United Nations, the Court takes the position that

"Whereas, in view of its finding in paragraph 25 above, the Court
need not consider this question for the purpose of deciding whether
or not it can indicate provisional measures in the present case"
(Order, para. 28).
The Court retained the position of an ingenious but, for the purposes of

the present proceedings, unproductive elegantiaejuris processualis. The
Court's jurisdiction rationepersonae is directly dependent on the answer
to the question whether the Federal Republic of Yugoslavia can be con-
sidered to be a member state of the United Nations, both vis-à-vis the
optional clause and vis-à-vis the Genocide Convention.
It would of course be unreasonable to expect the Court to decide on
whether or not the Federal Republic of Yugoslavia is a Member of the
United Nations. Such an expectation would not be in accord with the
nature of the judicial function and would mean entering the province of
the main political organs of the world Organization - the Security
Council and the General Assembly.
But it is my profound conviction that the Court should have answered
the question whether the Federal Republic of Yugoslavia can or cannot,
in thelight of the content of General Assembly resolution 4711and of the

practice of the world Organization, be considered to be a Member of the
United Nations and especially party to the Statute of the Court; namely,
the text of resolution 4711makes no mention of the status of the Federal
Republic of Yugoslavia as a party to the Statute of the International
Court of Justice. That is the import of resolution 4711ratione materiae.
And nothing beyond that. In that respect the position of the Court is
identical to the position of other organs of the United Nations. A con-
trurio there would, exempli causa, be no need for a General Assembly
recommendation by resolution 471229concerning the participation of the
Federal Republic of Yugoslavia in the work of the Economic and Social
Council. In other words, resolution 4711makes no mention, explicitly or
tacitly, of the International Court of Justice; theame is true of the other
documents adopted on the basis of the above-mentioned resolution. It
follows from this that General Assembly resolution 4711has produced no

effect on the status of the Federal Republic of Yugoslavia as a party to
the Statute and this is confirmed, inter alia, by al1issues of the Yearbook
of the International Court of Justice since 1992.

1am equally convinced that, both the content of the resolution, which
represents contradictio inadiecto, and the particular practice of the world
Organization after its adoption over a period of nearly seven years,
offered ample arguments for it to pronounce itself on this matter. 9. En ce qui concerne la qualité de Membre de l'organisation des
Nations Unies de la République fédéralede Yougoslavie, la Cour consi-
dèreque:

«eu égard a la conclusion a laquelle elle est parvenue au para-
graphe 25 ci-dessus, la Cour n'a pas a examiner cette question ri
l'effet de décidersi elle peut ou non indiquer des mesures conserva-
toires dans le cas d'espèce))(ordonnance, par. 28).

La Cour adopte donc un stratagème ingénieux (elegantiue juris proces-
suulis)mais, aux finsde la présente instance,ilest peu fructueux. La compé-
tence de la Cour ratione personaeest directement tributaire de la réponsea
la question de savoir si la République fédéralede Yougoslavie peut
êtreconsidérée commeun Etat Membre des Nations Unies, tant àl'égard
de la clause facultative qu'à l'égardde la convention sur le génocide.
II serait évidemmentdéraisonnable de compter que la Cour statue sur
la question proprement dite de l'appartenance de la Républiquefédérale
de Yougoslavie a l'Organisation. Pareille attente ne serait guèreconforme
a la nature de la fonction judiciaire et reviendrait par ailleursimmiscer
dans le domaine propre des principaux organes politiques de l'organisa-
tion mondiale, le Conseil de sécurité etl'Assembléegénérale.
Maisje suis profondément convaincu que la Cour aurait dû répondre à
la question de savoir si la République fédéralede Yougoslavie peut ou

non, eu égard à la teneur de la résolution4711de l'Assembléegénérale et
à la pratique de l'organisation mondiale, êtreconsidéréecomme un Etat
Membre des Nations Unies et tout particulièrement comme étant partie
au Statut de la Cour; car le texte de la résolution4711ne fait pas mention
de la qualité de partie au Statut de la Cour internationale de Justice dont
peut se prévaloir la République fédéralede Yougoslavie. C'est là que
résidel'importance de la résolution4711 rutione muteriae. Et il n'y a rien
d'autre que cela. A cet égard,la situation de la Cour est exactement celle
des autres organes des Nations Unies. Dans le cas contraire, il serait par
exemple inutile que l'Assembléegénéraleformule une recommandation,
comme elle le fait dans sa résolution471229,concernant la participation
de la Républiquefédéralede Yougoslavie aux travaux du Conseil écono-
mique et social. Autrement dit, la résolution4711ne fait aucune mention

ni expresse ni tacite de la Cour internationale de Justice; il en va de même
pour les autres documents adoptés sur la base de ladite résolution.Il faut
en déduireque cette résolution 4711de l'Assemblée généralne'a produit
aucun effet sur la qualitéde partie au Statut dont peut se prévaloir la
République fédéralede Yougoslavie et c'est bien ce que confirment
notamment tous les numéros de l'Annuaire de la Cour internationale de
Justice publiésdepuis 1992.
Je suis égalementconvaincu que tant la teneur de la résolution,celle-ci
représentant une contrudictio in adiecto,que la pratique particulière sui-
vie pendant prèsde sept ans par l'organisation mondiale après son adop-
tion apportent beaucoup d'élémentsqui autorisent la Cour a se pronon-
cer sur cette question. 10. The position of the Court with respect to the Federal Republic of
Yugoslavia membership of the United Nations can be said to have
remained within the framework of the position taken in the Order on the
indication of provisional measures in the Genocidecase of 8 April 1993.

Paragraph 18 of that Order states :

"Whereas, while the solution adopted is not free from legal diffi-
culties, the question whether or not Yugoslavia is a Member of the
United Nations and as such a party to the Statute of the Court is
one which the Court does not need to determine definitively at the
present stage of the proceedings" (Applicution of the Convention on
the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide, Provi-
sional Meusures, Order of 8 April 1993, 1.C.J. Reports 1993, p. 14).

The objection may be raised that the wording of paragraph 18is of a
technical nature, that it is not a relevant answer to the question of Fed-
eral Republic of Yugoslavia membership of the United Nations; how-
ever, it is incontestable that it has served its practical purpose because, it
seems,
"the Court was determined to establish its jurisdiction in this case
[Application of the Convention on the Prevention und Punishment of

the Crime of Genocide] whilst at the same time avoidingsome of the
more delicate, and indeed profound, concerns about the position of
the respondent State vis-à-vis the Charter and Statute" (M. C. R.
Craven, "The Genocide Case, the Law of Treaties and State Succes-
sion", British Year Book of lnternutionul Law, 1997, p. 137).
The Court tacitly persisted in maintaining this position also in the
further requests for the indication of provisional measures (Application
of the Convention on the Prevention und Punishment of the Crime of

Genocide, Order of'13 Septemher 1993), as well as in the Judgment on
preliminary objections of 11July 1996.
Even if such a position can be considered to be understandable in the
second proceedings for the indication of provisional measures, it never-
theless gives rise to some complicated questions in the proceedings con-
ducted in the wake of the preliminary objections raised by Yugoslavia.
In these proceedings, the Court was confronted, inter uliu, also with
the question as to whether Yugoslavia is a party to the Genocide Con-
vention. It is hardly necessary to mention that the status of a Contracting
Party to the Genocide Convention was conditio sine qua non for the
Court to proclaim its jurisdiction in the case concerning Application of
the Convention on the Preileiîtionund Punislzment of the Crime of Geno-
cide.
The Court found that it has jurisdiction ratione pcrsonae, supporting
this position, in my opinion, with a shaky, unconvincing explanation (see
dissenting opinion of Judge KreCa, I.C.J. Reports 1996, pp. 755-760, LICÉITÉ DE L'EMPLOI DE LA FORCE (OP. DISS. KRECA) 906

10. Or, en ce qui concerne la qualité'Etat Membre de l'organisation
des Nations Unies dont la République fédéralede Yougoslavie peut se
prévaloir,on peut dire que la Cour a conservédans ses grandes lignes la
position qu'elle a adoptée dans son ordonnance du 8 avril 1993 dans
l'affaire de laonvention sur le génocide en statuant sur la demande en
indication de mesures conservatoires.
Au paragraphe 18de ladite ordonnance, la Cour considère que:

«si la solution adoptée ne laisse pas de susciter des difficultés juri-
diques, la Cour n'a pasà statuer définitivementau stade actuel de la
procédure sur la question de savoir si la Yougoslavie est ou non
membre de l'organisation des Nations Unies et, à ce titre, partie au
Statut de laCour» (Application de la convention pour laprévention
et lu répression du crime de génocide,mesures conservatoires, ordon-
nance n'rr8avril 1993, C.Z.J.Recueil 1993, p. 14).

On peut objecter que le libellédu paragraphe 18ci-dessus a un carac-
tère technique, que ce n'est pas une réponse pertinente à la question de
savoir si la République fédéralede Yougoslavie est ou non membre de
l'organisation des Nations Unies; toutefois, il est incontestable que cet
énoncé aeu concrètement l'effet voulu parce que, semble-t-il,

«la Cour voulait se déclarer compétentedans cette affaire{Applicu-
tion de la convention pour la prévention et lu r6pression du crime de
génocide] tout en évitanten mêmetemps de se prononcer sur cer-
tains problèmes délicats,du reste assez graves, concernant la situa-
tion de 1'Etat défendeur face à la Charte et au Statut)) (M. C. R.
Craven, «The Genocide Case, the Law of Treaties and State Succes-
sion)),British Year Book of International LUMI, 1997,p. 137).

La Cour a tacitement conservécette mêmeposition lors des nouvelles
demandes en indication de mesures conservatoires (Application de la
convention pour lu prévention et la répression du critne de génocide,
ordonnunce du 13 septembre 19931, de mêmeque dans l'arrêt rendule
Il juillet 1996sur les exceptions préliminaires.

On peut sans doute estimer que cette position est compréhensible lors
de la seconde procédure en indication de mesures conservatoires, mais
elle soulève des questions fort complexes dans le cadre de la procédure
relative aux exceptions préliminairesémanant de la Yougoslavie.
Dans ladite procédure, la Cour était notamment face, là aussi,à la
question de savoir si la Yougoslavie est partie à la convention sur le
génocide. 11n'est guère besoin de rappeler que la qualité de partie
contractante A ladite convention était la conditionsine qua non permet-
tant à la Cour de se déclarercompétentedans l'affaire relative à 1'Appli-
cution de lu convention pour lu prévention et lu répressiondu crime de
génocide.
La Cour s'est déclarée comwétent ratione uersonae en donnant à ce

sujet une explication que je trouve peu solide et peu convaincante (voir
mon opinion dissidente (C.I.J. Recueil 1996 (II)p. 755-760,par. 91-95).paras. 91-95). For the purposes of this case, of particular interest is the
position of the Court "that it has not been contested that Yugoslavia was
party to the Genocide Convention" (Applicationof the Conventionon the
Prevention and Punishment ofthe Crime of Grnocide, Preliminaïy Objec-
tions, Judgment, I.C.J. Reports f996 (II), p. 610, para. 17).The absence
of contest was the decisive argument for the Court to state that "Yugo-
slavia was bound by the provisions of the Convention on the date of the
filing of the Application in the present case" (ihid.).

The Court has, deliberately, 1presume, failed to state who did not con-
test that Yugoslavia is a party to the Genocide Convention. If it had in
mind the Applicant (Bosnia and Herzegovina), it is hardly necessary to
note that the State which is initiating proceedings before the Court would

not deny the existence ofthe title ofjurisdiction; and, in the case in ques-
tion, the Genocide Convention was the only possible ground of the
Court's jurisdiction. If, however, the Court had third States in mind, then
things do not stand as described by the Court, stating that "it has not
been contested". By refusing to recognize the Federal Republic of Yugo-
slavia and its automatic continuation of membership of the United
Nations, the member States of the world Organization contested eo ipso
that the Federal Republic of Yugoslavia is automatically a party to
multilateral treaties concluded under the aegis of the United Nations
and, consequently, also a party to the Genocide Convention. The Federal
Republic of Yugoslavia can be considered to be a party to the Genocide
Convention only on the grounds of legal identity and continuity with the
Socialist Federal Republic of Yugoslavia because, otherwise, it consti-
tutes a new State, and it did not express its consent to be bound by the

Genocide Convention in the manner prescribed by Article XI of the Con-
vention, nor did it send to the Secretary-General of the United Nations
the notification of succession. A tertium quid is simply non-existent, in
particular from the standpoint of the Judgment of 11 July 1996 in the
Genocidecase. in which the Court did not declare its position on the so-
called automatic succession in relation to certain multilateral treaties
(Application of the Convention on the Prevention and Punishment of the
Crime of Genocide, Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports
1996 (II), p. 612, para. 23).

All in all, the Court in the present Order remained consistent with its
"avoidance" position, persisting in its statement that it "need not con-
sider this question for the purpose of deciding whether or not it can indi-
cate provisional measures in the present case".
Such is the Court's restraint with respect to this highly relevant issue

and its reluctance to make its position known may wellcreate the impres-
sion quite differently from that expressed by Craven in regard to the
Application of the Convention on the Prevention and Punishment of the
Crime of'Genocidecase - that "the Court was determined to establish its LICÉITÉ DE L'EMPLOI DE LA FORCE (OP.DISS.KRECA) 907

Aux fins de la présenteinstance, il est intéressant de noter que la Cour
avait observé a cette première occasion «qu'il n'a pas étécontesté quela
Yougoslavie soit partie à la Convention sur le génocide)) (Application de
la conventiotl pour la prévention et lu répressiondu crime de génocide,
e'cceptionspréliminaires, arrtt, C.1J. Recueil 1996 (II), p. 610, par. 17).
Et l'absence decontestation a représentépour la Cour l'argument décisif
qui lui permettait de dire que <(laYougoslavie étaitliéepar les disposi-

tions de la convention à la date du dépôt de la requêteen la présente
affaire))(ihir).
La Cour s'est abstenue, délibérémenjte présume,de dire qui n'avait
pas contestéque la Yougoslavie soit partie à la convention sur le géno-
cide. Si elle pensait au demandeur (la Bosnie-Herzégovine),il n'est guère
besoin de rappeler que 1'Etatintroduisant une instance devant la Cour ne
va pas nier l'existencedu titre de compétence voulu; et, dans l'affaire en
question, la convention sur le génocideétait, pour la Cour, le seul chef de
compétencepossible. Si toutefois la Cour pensait à des Etats tiers, alors
la réalité necorrespond pas a l'absence de contestation dont la Cour
parle. En refusant de reconnaitre la Républiquefédéralede Yougoslavie
et d'admettre qu'elle continuait d'assumer automatiquement la qualité

d'Etat Membre de l'organisation des Nations Unies, les Etats Membres
de ladite organisation mondiale contestaient eo ipso que la République
fédéralede Yougoslavie soit automatiquement partie aux traités multila-
téraux conclus sous l'égide des Nations Unies et, soit par consé-
quent aussi partie à la convention sur le génocide.La République fédé-
rale de Yougoslavie ne peut êtreconsidéréecomme étant partie a la
convention sur le génocideque s'ily a, du point de vuejuridique, identité
et continuité entre elle et la République fédérative socialistede Yougo-
slavie, car, s'il enva autrement, la République fédéralede Yougoslavie
constitue un Etat nouveau et elle n'a pas donnéson consentement a être
liéepar la convention sur le génocidede la façon qui est prescrite à I'ar-
ticle XI de ladite convention et elle n'a pas fait tenir au Secrétaire général

des Nations Unies la notification de succession voulue. Il n'y a tout sim-
plement pas de tertium quid,notamment du point de vue de l'arrêt rendu
le 11juillet 1996dans l'affaire de lConvention sur le génocide, arrêtdans
lequel la Cour ne s'est pas prononcée sur ce qu'on appelle la succession
automatique dans le cas de certains traités multilatéraux (Applicarion de
la c.oni~entionpour la prévention et la répression du crime de génocide,
exceptions préliminaires,arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (Il), p. 612, par. 23).
Tout bien considéré,dans la présenteordonnance, la Cour est restée
fidèleà sa volonté d'abstention. disant à nouveau au'elle «n'a pas a exa-
miner cette question à l'effet dédécidersi elle peu; ou non indiquer des
mesures conservatoires dans le cas d'espèce)).
Ce silence de la Cour alors qu'il serait si utile de répondre à la ques-

tion, cette hésitationà prendre position risquent de donner une impres-
sion très différentede celle qu'envisage Craven lors de l'affaire relative
l'Application de la conventionpour laprévention etla répression ducrime de
génocide, quand il dit que «la Cour voulait se déclarercompétente toutjurisdiction [over the] case whilst at the same time avoiding some of more
delicate, and indeed profound, concerns about the position" of Yugosla-
via vis-à-vis the Charter and the Statute and its inevitable legal conse-
quences upon proceedings pending before the Court.

Jurisdiction of the Court Ratione Materiae

11. 1 am of the opinion that in the matter in hand the Court's position
is strongly open to criticism.
The Court finds:

"whereas the threat or use of force against a State cannot in itself
constitute an act of genocide within the meaning of Article II of the
Genocide Convention; and whereas, in the opinion of the Court, it

does not appear at the present stage of the proceedings that the
bombings which form the subject of the Yugoslav Application
'indeed entail the element ofintent,towards a groupas such, required
by the provision quoted above' (Legulity of'the Threat or Use of
Nuclear Weupons, Advisory Opinion, 1. C.J. Reports 1996 (I), p. 240,
para. 26)" (Order, para. 35).

The intent is, without doubt, the subjective element of the being of the
crime of genocide as, indeed, of any other crime. But, this question is not
and cannot, by its nature, be the object of decision-making in the inci-

dental proceedings of the indication of provisional measures.

In this respect, a reliableproof should be sought in the dispute which,
by its salient features, is essentially identical to the dispute under consid-
eration - the case concerning Applicution of the Convention on the Pre-
venrion und Punishrnent of the Crime of Genocide.

In its Order on the indication of provisional measures of 8 April 1993,
in support of the assertion of the Respondent that, inter uliu, "it does not
support or abet in any way the commission of crimes cited in the Appli-
cation . ..and that the claims presented in the Application are without
foundation" (Applicution of the Convention on the Preiwwtion and Pun-
ishment of the Crime of Genocide. ProvisiorzcrlMecrsures,Order of8 April
1993, I.C.J. Reporfs 1993, p. 21, para. 42), the Court stated:

"Whereas the Court, in the context of the present proceedings on

a request for provisional measures, has in accordance with Article 41
of the Statute to consider the circumstances drawn to its attention as
requiring the indication of provisional measures, but cannot make
definitive findings of fact or of imputability, and the right of each
Party to dispute the facts alleged against it, to challenge the attribu-
tion to it of responsibility for those facts, and to submit arguments

in respect of the merits, must remain unaffected by the Court's deci-
sion" (ihid, p. 22, para. 44)en voulant éviter enmêmetemps de se prononcer sur les problémesdéli-
cats, d'ailleurs assez sérieux,qui se posent au sujet de la situation)) de la
Yougoslavie face a la Charte et au Statut, et les inévitablesconséquences
juridiques de cette situation sur une affaire portée devant la Cour.

Compétencede lu Cour ratione materiae

11. Je suis d'avis qu'en l'espèce laposition adoptée par la Cour prête
fortement à critiques.

La Cour considère:
((que le recours ou la menace du recours à l'emploi de la force contre

un Etat ne sauraient en soi constituer un acte de génocideau sens de
l'articleII de la convention sur le génocide; et que, de l'avis de la
Cour, il n'apparaît pas au présentstade de la procédure que les bom-
bardements qui constituent l'objet de la requête yougoslave «corn-
porte[nt] effectivement l'élémentd'intentionnalité, dirigécontre un

groupe comme tel, que requiert la disposjtion sus-citée))(Licéiti. u'p
lu menuce ou de l'emploi d'armes nucléuires,ul1i.sconsultatif: C.I.J.
Recueil 1996 (I), p. 240, par. 26))) (ordonnance, par. 35).

L'intentionnalité est incontestablement I'élémens tubjectif qui est cons-
titutif du crime de génocide comme du reste de n'importe quel autre
crime. Mais cette question n'est pas l'objet de la prise de décisiondans la
procédure incidente de l'indication de mesures conservatoires et, par sa
nature même,elle ne peut pas l'être.

IIfaut à cet égard chercher une preuve fiable dans le différendqui, par
ses principaux traits, est pour l'essentiel identique au différend examiné
ici: il s'agit de l'affaire relative l'Application de lu conijention pour lu
prévention et lu répressiondu crime di génocide.
Dans l'ordonnance qu'elle a rendue le 8 avril 1993 sur I'indication de
mesures conservatoires, souscrivant a l'affirmation du défendeur qui dit

notamment c<n'apport[er]aucun appui ni n'encourag[er], d'une façon ou
d'une autre, la perpétration des crimes mentionnés dans la requête... [et]
que les griefs exposésdans la requêtesont dénuésde fondement ))(Appli-
ctrtion de lu c.onventiot?pour lu prc;vc~ntiont2tlu répressiondir crime de
gi.noc.ide, nzesures con.seriutoires, orclonnunce du 8 uuijril1993, C. I.J.
Recu~lil1993, p. 21. par. 42), la Cour a considéréque:

«dans le contexte de la présente procédure concernant I'indication
de mesures conservatoires, [elle]doit, conformément à l'article 41 du

Statut, examiner si les circonstances portées à son attention exigent
l'indication de mesures conservatoires, mais n'est pas habilitée à
conclure définitivement sur les faits ou leur imputabilité et que sa
décisiondoit laisser intact le droit de chacune des Parties de contes-
ter les faits alléguéscontre elle, ainsi que la responsabilité qui lui est
imputée quant à ces faits et de faire valoir ses moyens sur le fond))

(ihid, p. 22, par. 44)and

"Whereas the Court is not called upon, for the purpose of its deci-
sion on the present request for the indication of provisional mea-
sures, now to establish the existence of breaches of the Genocide
Convention" (I.C.J. Reports 1993, p. 22, para. 46).

The rationale of provisional measures is, consequently, limited to the
preservation of the respective rights of the partiespendente lire which are
the object of the dispute, rights which may subsequently be adjudged by
the Court. As the Court stated in the Lund und Maritime Boundary
between Cameroon and Nigeria case:

"Whereas the Court, in the context of the proceedings concerning
the indication of provisional measures, cannot make definitive find-
ings of fact or of imputability, and the right of each Party to dispute
the facts alleged against it, to challenge the attribution to it of
responsibility forthose facts, and to submit arguments, if appropri-
ate, in respect of the merits, must remain unaffected by the Court's
decision" (Land und Maritime Boundarjl betiveen Cumeroon and

Nigeria, Provisional Measures, Order of 15 Murch 1996, I.C.J.
Reports 1996 (I), p. 23, para. 43).
12. Fundamental questions arise regarding the position of the Court
on this particular matter.

The relationship between the use of anned force and genocide can be
looked upon in two ways:

(a) is the use of force per se an act of genocide or not? and,
(b) is the use of force conducive to genocide and, if the answer is in the
affirmative, what is it then, in the legal sense?
It is incontrovertible that the use of force per se et deJinitione does
not constitute an act of genocide. It is a matter that needs no particular

proving. However, it could not be inferred from this that the use of
force isunrelated and cannot have any relationship with the commission
of the crime of genocide. Such a conclusion would be contrary to ele-
mentary logic.
Article II of the Convention on the Prevention and Punishment of the
Crime of Genocide defines the acts of genocide as

"any of the following acts committed with intent to destroy, in
whole or in part, a national, ethnical, racial or religious group, as
such :

(a) Killing members of the group;
(b) Causing serious bodily or mental harm to members of the
group;
(c) Deliberately inflicting on the group conditions of lifecalculated
to bring about its physical destruction in whole or in part;et que:

«[elle] n'est pas appeléeà ce stade à établirl'existencede violations
de la convention sur legénocide))(C.1.J. Recueil 1993, p. 22, par. 46).

La raison d'êtredes mesures conservatoires est par conséquentlimitée
à la préservation des droits des parties pendente lite qui sont l'objet du
différend,droits qui peuvent ultérieurement fairel'objet de la décisionde
la Cour. Comme celle-ci le dit de nouveau dans l'affaire de la Frontière
terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria:

((Considérantque la Cour, dans le cadre de la présenteprocédure
concernant l'indication de mesures conservatoires, n'est pas habilitée
à conclure définitivementsur les faits ou leur imputabilitéet que sa
décisiondoit laisser intact le droit de chacune des Parties de contes-
ter les faits allégucontre elle, ainsi que la responsabilité qui lui est
imputée quant à ces faits, et de faire valoir, le cas échéant,ses
moyens sur le fond.)) (Frontière terrestre et maritime entre le Came-

roun et le Nigeria, ordonnance du 15 mars 1996, C.I.J. Recueil 1996
(l), p. 23, par. 43.)
12. Sur ce point en particulier, il se pose des questions fondamentales

au sujet de la position de la Cour.
On peut considérer de deux façons le lien entre le recours à la force
arméeet le génocide:

a) est-ce que I'emploide la force est un acte de génocide per se ou non?
h) l'emploi de la force favorise-t-il le génocide et, dans l'affirmative,
qu'est-ce alors au sens juridique?
Indéniablement, l'emploi de la force, en soi et par définition, necons-

titue pas un acte de génocide. Nul besoin d'enfaire la preuve. Toutefois,
il n'est pas possible d'en déduireque l'emploi de la force est sans rapport
avec la commission du crime de génocide et qu'il n'estpas possible d'éta-
blir un tel rapport. Pareille conclusion serait contrairela logique la plus
élémentaire.
L'articleII de la convention pour la prévention et la répression du
crime de génocide définit lesactes de génocidecomme

«l'un quelconque des actes ci-après, commis dans l'intention de
détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial
ou religieux, comme tel:

a) meurtre de membres du groupe;
b) atteinte grave à l'intégrité physiqueou mentale de membres du
groupe;
cj soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence
devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle; (Li) Imposing measures intended to prevent births within thegroup;
(e) Forcibly transferring children of the group to another group."

Any of these acts can be committed also by the use of force. The use of
force is, consequently, one of the possible means of committing acts of
genocide. And, it should be pointed out, one of the most efficient means,
due to the immanent characteristics of armed force.

Extensive use of armed force, in particular if it is used against objects
and means constituting conditions of normal life, can be conducive to
"inflicting on the group conditions of life" bringing about "its physical
destruction".
Of course, itcan be argued that such acts are in the function of degrad-
ing the military capacity of the Federal Republic of Yugoslavia. But such
an explanation can hardly be regarded as a serious argument. For, the
spiral ofsuch a line of thinking may easily come to a point when, having
in mind that military power is after al1comprised of people, even mass

killing of civiliansan be claimed to constitutesome sort of a precaution-
ary measure that should prevent the maintenance or, in case of mobiliza-
tion, the increase of military power of the State.

Of course, to be able to speak about genocide it is necessary that there
is an intent, namely, of "deliberately inflicting on the group conditions of
life" bringing about "its physical destruction in whole or in part".

In the incidental proceedings the Court cannot and should not concern
itself with the definitive qualification of the intent to impose upon the
group conditions in which the survival of the group is threatened. Having
in mind the purpose of provisional measures, it can be said that at this
stage of the proceedings it is sufficient to establish that, in the conditions
of intensive bombing, there is an objective risk of bringing about condi-
tions in which the survival of the group is threatened.
TheCourt took just such a position in the Order of 8April 1993on the
indication of provisional measures in the Application of the Convention
on the Prevention and Punishment of the Cvirneof Genocide case.

Paragraph 44 of that Order stated:

"Whereas the Court, in the context of the present proceedings on
a request for provisional measures, has in accordance with Article 41
of the Statute to consider the circumstances drawn to its attention as
requiring the indication of provisional measures, but cannot make
definitive findings of fact or of imputability, and the right of each
Party to dispute the facts alleged against it, to challenge the attribu-
tion to it of responsibility forthose facts, and to submit arguments
in respect of the merits, must remain unaffected by the Court's deci-
sion" (1.C.J. Reports 1993, p. 22). LICÉITÉ DE L'EMPLOI DE LA FORCE (OP.DISS.KRECA) 910

d) mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe;
e) transfert forcéd'enfants du groupe à un autre groupe)).

N'importe lequel des actes ci-dessus peut être commis également au

moyen de la force. L'emploi de la force est par conséquent l'un des
moyens possibles de commettre des actes de génocide.Et, il convient de le
signaler, c'est l'un des moyens les plus efficaces, étant donné les carac-
tères propres de la force armée.
L'emploi étendu de la force armée,en particulier s'il visedes objets et

des infrastructures constituant les conditions de la vie normale, peut
aboutir à ((soumettre le groupe à des conditions d'existence)) entraînant
bel et bien «sa destruction physique)).
On peut bien entendu objecter que les actes en question ont pour rôle
d'affaiblir la puissance militaire de la République fédéralede Yougosla-
vie. Mais pareille explication peut difficilement représenter un argument

valable. Le raisonnement, en effet, va rapidement emprunter un cercle
vicieux: la puissance militaire étant après tout composée d'hommes, il est
possible d'aller jusqu'à prétendre que le meurtre collectif d'une foule de
civils tient en quelque sorte lieu de mesure de précaution de nature à
empêcherd'entretenir la puissance militaire de I'Etat, voire de I'augmen-

ter en cas de mobilisation.
Certes, pour pouvoir parler de génocide, il faut une intention, c'est-
à-dire qu'il faut vouloir «soumettre intentionnellement le groupe à des
conditions d'existence)) entraînant «sa destruction physique totale ou
partielleD.
Lors de procédures incidentes, la Cour ne peut pas - et ne doit

d'ailleurs pas - chercher iiétablir de façon définitive qu'elle esten pré-
sence d'une volonté de soumettre le groupe à des conditions d'existence
de nature à menacer sa survie. Eu égard à l'objet des mesures conserva-
toires, on peut dire qu'à ce stade de la procédure, il suffit d'établirque, le
groupe étant soumis à des bombardements intensifs, on court objective-

ment le risque de voir cette situation aboutir à menacer sa survie.
La Cour a précisémentadopté cette position dans l'ordonnance qu'elle
a rendue le 8 avril 1993 au sujet de l'indication de mesures conservatoires
dans l'affaire relative à l'Application de la convention pour laprévention
et la répressiondu crime de génocide.
Le paragraphe 44 de cette ordonnance se lit comme suit:

((Considérant que la Cour, dans le contexte de la présente procé-
dure concernant I'indication de mesures conservatoires, doit, confor-
mémentà l'article 41 du Statut, examiner si les circonstances portées
à son attention exigent l'indication de mesures conservatoires, mais

n'est pas habilitée à conclure définitivement sur les faits ou leur
imputabilité et que sa décisiondoit laisser intact le droit de chacune
des Parties de contester les faits alléguéscontre elle, ainsi que la res-
ponsabilité qui lui est imputéequant à ces faits et de faire valoir ses
moyens sur le fond. ))(C. 1J. Recueil 1993. p. 22.)911 LEGALITY OF USE OF FORCE (DISSO. P.KRECA)

The question of "intent" is a highly complicated one. Although the
intent is a subjective matter, a psychological category, in contemporary
criminal legislation it is established also on the basis of objective circum-
stances. Inferences of intent to commit an act are widely incorporated in
legal systems. Exempli causa, permissive inferences as opposed to a man-
datory presumption in thejurisprudence of the United States of America
may be drawn even in a criminal case.

In any event, there appears to be a clear dispute between the Parties
regarding "intent" as the constitutive element of the crime of genocide.

The Applicant asserts that "intent" can be presumed and, on the other
hand, the Respondent maintains that "intent", as an element of the crime
of genocide, should be clearly established as dolus specialis. Such a con-
frontation of views of the Parties concerned leads to a dispute related to
"the interpretation, application or fulfilment ofthe Convention", includ-
ing disputes relating to the responsibility of a State for genocide or for
any of the other acts enumerated in Article III of the Convention.

13. At the same time, one should have in mind that whether "in cer-
tain cases, particularly that by the infliction of inhuman conditions of
life, the crime may be perpetrated by omission" (Stanislas Plawski, Etude
des principes fondamentaux du droit international pénal, 1972, p. 115.
Cited in United Nations doc. E/CN.4/Sub.2/415 of 4 July 1978,p. 22).

Since.

"Experience provides that a state of war or a military operations
régime givesauthorities a convenient pretext not to provide a popu-
lation or a group with what they need to subsist - food, medicines,
clothing, housing . .. It will be argued that this is inflicting on the
group conditions of lifecalculated to bring about its physical destruc-
tion in whole or in part." (J. Y. Dautricourt, "La prévention du
génocide et ses fondements juridiques", Etudes internationales de
psychosociologie criminelle, Nos. 14-15, 1969, pp. 22-23. Cited in
United Nations doc. E/CN.4/Sub.2/415 of 4 July 1978,p. 27.)

Of the utmost importance is the fact that, in the incidental proceedings,
the Court cannot and should not concern itself with the definitive quali-

fication of the intent to impose upon the group conditions in which the
survival of the group is threatened. Having in mind the purpose of pro-
visional measures, it can be said that at this stage of the proceedings it is
sufficient to establish that, in the conditions of intensive bombing, there
is an objective risk of bring about conditions in which the survival of the
group is threatened. La question de l'«intentionnalité» est extrêmement complexe. L'inten-
tion appartient au domaine subjectif, c'est une catégoriepsychologique,
mais, dans la législation pénalecontemporaine, l'intention est également

établieà partir de circonstances objectives. L'intention présuméede com-
mettre l'acte fait très communément partie du systèmejuridique. Par
exemple, aux Etats-Unis d'Amérique, la jurisprudence autorise la pré-
somption plausible par opposition à la présomption concluante. mêmeen
matière Dénale.
De toute façon, les Parties s'opposent très clairement, semble-t-il, au
sujet de l'«intentionnalité» en tant qu'élémentconstitutif du crime de

Le demandeur affirme que l'«intention» peut êtreprésuméetandis
que le défendeursoutient qu'en tant qu'élémentconstitÜtif du crime de
génocide, l'«intention» doit être clairement établie sous formede do1

spécial.Cette opposition de vues entre les Parties constitue un différend
relatifà l'interprétation, l'application ou l'exécutionde la...convention
[sur le génocide])), les différendsde ce type comprenant aussi les diffé-
rends relatifs à la responsabilité d'un Etat en matière de génocideou
de l'un quelconque des autres actes énumérés à l'article III de ladite
convention.
13. En mêmetemps, il ne faut pas oublier que, «dans certains cas,
surtout dans le génocidepar la soumission à des conditions inhumaines
de vie, le crime peut être perpétrépar omission» (Stanislas Plawski,
Etude des principes fondumentaux du droit internationa/ pPnal, 1972,

p. 115. Cité dans Nations Unies, doc. E/CN.4/Sub.2/416 daté du
4 juillet 1978,p. 28).
En effet.

«[l]'expérienceprouve que l'état de guerreou le régimed'occupation
de guerre sont un prétexte facilepour les autoritésresponsables pour
ne pas fournir àune population ou àun groupe ce qui leur est néces-
saire pour subsister: vivres, médicaments, vêtementsh ,abitations ...
On nous dira aue c'est la soumission du grouDe à des conditions
d'existence susceptiblesd'entraîner sa destruction physique totale ou

partielle.))J. Y. Dautricourt, <(La prévention du génocide et ses
fondements juridiques)), Etudes internutionules de psychosocio-
logie criminelle,nos 14-15, 1969, p. 22-23.Citédans Nations Unies,
doc. E/CN.4/Sub.2/416 datédu 4 juillet 1978,p. 28.)

Il est donc d'une importance primordiale de savoir que, lors de procé-
dures incidentes, la Cour ne peut pas - et ne doit d'ailleurs pa- cher-
cher à établir defaçon définitive unevolonté de soumettre le groupe ades
conditions d'existence de nature à menacer sa survie. Eu égard à l'objet
des mesures conservatoires, on peut dire qu'à ce stade de la procédure, il
suffit d'établir que,le groupe étant soumis à des bombardements inten-

sifs, on court objectivement le risque de voir cette situation aboutir à
menacer sa survie. IV. OTHERRELEVANIT SSUES

14. In paragraph 15 of the Order the Court states:

"Whereas the Court is deeply concerned with the human tragedy,
the loss of life, and theenormous suffering in Kosovo which form
the background of the present dispute, and with the continuing loss
of life and human suffering in al1parts of Yugoslavia."

The phrasing of the statement seems to me unacceptable for a number

of reasons. First, the formulation introduces dual humanitarian concern.
The Court is, it is stated, "deeply concerned", while at the same time the
Court states "the loss of life". So, it turns out that in the case of "al1parts
of Yugoslavia" the Court technically states "the loss of life" as a fact
which does not cause "deep concern". Furthermore, the wordiilg of the
formulation may also be construed as meaning that Kosovo is not a part

of Yugoslavia. Namely, after emphasizing the situation in Kosovo and
Metohija, the Court uses the phrase "in al1parts of Yugoslavia". Having
in mind the factual and legal state of affairs, the appropriate wording
would be "in al1other parts of Yugoslavia". Also, particular reference to
"Kosovo" and "al1 parts of Yugoslavia", in the present circumstances,
has not only no legal, but has no factual basis either. Yugoslavia, as a

whole. is the object of attack. Human suffering and loss of life are, un-
fortunately, a fact, generally applicable to the country as a whole; so, the
Court, even if it had at its disposal the accurate data on the number of
victims and the scale of suffering of the people of Yugoslavia, it would
still have no moral right to discriminate between them. Further, the
qualification that "human tragedy and the enormous suffering in Kosovo

. ..form the background of the present dispute" not only is political, by
its nature, but has, or may have, an overtone ofjustification of the armed
attack on Yugoslavia. Suffice it to recall the fact that the respondent
State refers to its armed action as humanitarian intervention.

It is up to the Court to establish, at a later stage of the proceedings, the
real legal state of affairs, namely, the relevant facts. At the present stage,
the question of the underlying reasons for the armed attack on the Fed-
eral Republic of Yugoslavia is the object of political allegations. While

the Respondent argues that what is involved is a humanitarian interven-
tion provoked by the "human tragedy and the enormous suffering", the
Applicant finds that scdes muteriue the underlying reasons are to be
sought elsewhere - in the support to the terrorist organization in
Kosovo and in the political aim of secession of Kosovo and Metohija
from Y ugoslavia.

Consequently, we are dealing here with opposed political qualifications LICÉITE DE L'EMPLOI DE LA FORCE (OP. DISS. KRECA) 912

IV. AUTRE QUESTIONS PERTINENTES

14. Au paragraphe 15 de son ordonnance, la Cour dit

((Considérant que la Cour est profondément préoccupéepar le
drame humain, lespertes en vieshumaines et lesterribles souffrances
que connaît le Kosovo et qui constituent la toile de fond du présent
différend,ainsi que par les victimes et les souffrances humaines que
l'on déplorede façon continue dans l'ensemble de la Yougoslavie.»

Le libelléde cette déclaration me paraît inacceptable pour plusieurs
raisons. La première est que cet énoncéfait part d'une préoccupation
humanitaire double. La Cour dit être((profondément préoccupée))et
évoqueen même temps «les pertes en vies humaines)) et «les victimes)).
De sorte qu'en ce qui concerne «l'ensemble de la Yougoslavie>),la Cour
évoque techniquement ((lesvictimes))comme un fait qui ne cause pas de
«préoccupation profonde)). En outre, l'énoncé permet également de
l'interprétercomme signifiant que le Kosovo ne fait pas partie de la You-

goslavie. C'est-à-dire qu'aprèsavoir mis en reliefla situation auosovo-
Metohija, la Cour utilise l'expression «dans l'ensemble de la Yougosla-
vie». Compte tenu de la situation de fait et de la situation de droit, il
aurait fallu dire «dans le reste de la Yougoslavie». De surcroît, faire allu-
sion au «Kosovo» et à «l'ensemble de la Yougoslavie)) non seulement
n'a aucun fondement juridique dans la situation actuelle, mais ne repose
pas sur les faits non plus. C'est l'ensemblede la Yougoslavie qui est atta-
qué.Les souffrances et les pertes en vies humaines sont malheureusement
un fait s'appliquant en généralau pays tout entier; dans ces conditions,
mêmesi elle avait eu a sa disposition des chiffres précisconcernant le
nombre des victimes et l'ampleur des souffrances de la population de la
Yougoslavie, la Cour n'aurait de toute façon pas eu le droit moral d'éta-

blir la moindre discrimination a cet égard.De plus, dire que «le drame
humain ...et les terribles souffrances que connaît le Kosovo et qui cons-
tituent la toile de fond du présentdifférend))non seulement est une indi-
cation de caractère politique mais représente, ou pourrait représenter,
une sorte dejustification de l'attaque arméemenéecontre la Yougoslavie.
11suffit de rappelerà ce propos que I'Etat défendeurqualifie son action
armée d'intervention humanitaire.
Il appartient à la Cour d'établir à un stade ultérieur de la procédure
quelle est véritablement la situation en droit, c'est-à-dire quels sont les
faits pertinents. Au stade actuel, la question des raisons profondes de
l'attaque arméedirigéecontre la Républiquefédéralede Yougoslavie fait
l'objet d'allégations politiques. Le défendeur soutient qu'il s'agit d'une

intervention humanitaire provoquéepar «le drame humain et les terribles
souffrances)),tandis que le demandeur estime que sedes materiae les rai-
sons profondes sont a chercher ailleurs - dans le soutien apporté à
l'organisation terroristà l'Œuvreau Kosovo et dans la volonté politique
de sécessionqui anime le Kosovo-Metohija.
Nous avons donc affaire ici à des qualifications politiques opposées913 LEGALITY OF USE OF FORCE (DISSO. P.KRECA)

in which the Court should not, and, in my view,must not, enter except in
the regular court proceedings.
15. The formulation of paragraph 42 of the Order leaves the impres-
sion that the Court iselegantly attempting todrop the bal1in the Security
Council's court. Essentially, it is superfluousbecause, as it stands now, it
only paraphrases a basic fact that "the Security Council has special
responsibilitiesunder Chapter VI1of the Charter". It can be interpreted,
it is true, also as an appeal to the United Nations organ, specifically

entrusted with the duty and designed to take measures in case of threat to
the peace, breach of the peace or act of aggression; but, in that case the
Court would need to stress also another basic fact - that a legal dispute
should be referred to the International Court of Justice on the basis of
Article 36, paragraph 3, of the United Nations Charter.

16. The Court, by using the term "Kosovo" instead of the official
name of "Kosovo and Metohija", continued to follow the practice of the
political organs of the United Nations, which, by the way, was also
strictly followed by the respondent States.
Itis hard to find a justifiable reason for such a practice. Except of
course ifwe assume political opportuneness and involved practical, politi-
cal interests to be a justified reason for this practice. This is eloquently
shown also by the practice of the designation of the Federal Republic of

Yugoslavia. After the succession of the former Yugoslav federal units,
the organs of the United Nations, and the respondent States themselves,
have used the term Yugoslavia (Serbia and Montenegro). However, since
22 November 1995,the Security Council uses in its resolutions 1021and
1022 the term "Federal Republic of Yugoslavia" instead of the former
''Federal Republic of Yugoslavia (Serbiaand Montenegro)" without any
express decision and in a legally unchanged situation in relation to the
one in which it, like other organs of the United Nations, employed the
term "Federal Republic of Yugoslavia (Serbia and Montenegro)". The
fact that this change in the practice of the Security Council appeared on
the day following the initialling of the Peace Agreement in Dayton gives
a strong basis for the conclusion that the concrete practice is not based
on objective, legal criteria but rather on political criteria.

By using the word "Kosovo" instead of the name "Kosovo and Meto-
hija", the Court, in fact, is doing two things:

(a) it gives into the colloquial use of the names of territorial units of an
independent State; and
(6) it ignores the officia1name of Serbia's southern province, a name
embodied both in the constitutional and legal acts of Serbia and
of the Federal Republic of Yugoslavia. Furthermore, it runs
contrary to the established practice in appropriate international orga- LICÉITE DE L'EMPLOI DE LA FORCE (OP.DISS.KRECA) 913

dans lesauelles la Cour ne devrait Dasentrer. cela lui est mêmeinterdit à
mon avis, si ce n'est dans le cadre d'une procédurejudiciaire normale.
15. L'énoncédu paragraphe 42 de l'ordonnance donne l'impression
que la Cour cherche assez élégamment à renvoyer la balle dans lejardin

du Conseil de sécurité.Pour l'essentiel, c'estinutile, parce que, sous sa
forme actuelle, cet énoncén'est qu'une simple paraphrase d'une donnée
élémentairequi est que «le Conseil de sécurité est investide responsa-
bilités spéciales envertu du chapitre VI1de la Charte)). Il est possible,
certes, de l'interpréter aussi comme un appel lancé à l'organe des Na-
tions Unies qui est très précisémencthargéde prendre des mesures en cas
de menace contre la paix, de rupture de la paix ou d'acte d'agression et qui
a d'ailleurs étéconçu à cet effet; mais, en l'occurrence, la Cour devrait
rappeler aussi une autre donnéeélémentaire:en vertu de l'article36, para-
graphe 3, de la Charte des Nations Unies, un différendjuridique doit être
soumis à la Cour internationale de Justice.

16. En utilisant l'appellation «Kosovo » au lieu de l'appellation offi-
cielle de«Kosovo-Metohija)), la Cour a continué de suivre la pratique
des organes politiques des Nations Unies, pratique dont, d'ailleurs, les
Etats défendeursne se départissent jamais.
Il est difficile de justifier pareille pratique, sauf, bien entendu, si nous
admettons que l'opportunité politique, les intérêts politiqueset concrets
sont à cet égarddes arguments valables. C'est ce que montre également
de façon éloquentela pratique suivie pour désignerla République fédé-
rale de Yougoslavie. A la suite de la sécessionde certaines parties de
l'ancienne Fédérationyougoslave, les organes des Nations Unies et les
Etats défendeurseux-mêmesont utilisé laformule «Yougoslavie (Serbie
et Monténégro))).Mais, depuis le 22 novembre 1995, le Conseil de sécu-

rité utilise,dans ses résolutions 1021 et 1022, la formule ((République
fédéralede Yougoslavie)) au lieu de l'ancienne formule ((République
fédérative deYougoslavie (Serbie et Monténégro))),sans qu'il y ait eu de
décision expresse àcet égardet dans une situation de droit inchangéepar
rapport à celle dans laquelle le Conseil, comme d'autres organes des
Nations Unies, se servait de la formule ((Républiquefédérative de You-
goslavie (Serbie et Monténégro))).Le fait que ce changement de pratique
du Conseil de sécuritédate du lendemain du jour ou a étéparaphé
l'accord de paix de Dayton autorise à soutenir avec assez de fermetéque
cette pratique concrète ne s'inspire pas de critères juridiques objectifs
mais plutôt de critères politiques.

En utilisant le terme«Kosovo)) au lieu du nom «Kosovo-Metohija )),
la Cour, en fait, fait deux chosesà la fois:

a) elle adopte l'appellation courante et populaire servantà désignerles
unitésterritoriales d'un Etat indépendant;
b) elle laisse de côté l'appellation officielle de la province méridionale
de Serbie, appellation consacrée par les actes constitutionnels et juri-
diques tant de la Serbie que de la République fédéralede Yougosla-
vie. En outre, la Cour agit ainsi contrairementla pratique établiepar nizations. E'cempli causa, the official designation of the southern
Serbian province "Kosovo and Metohija" has been used in the
Agreement concluded by the Federal Republic of Yugoslavia and
the Organisation for Security and Co-operation in Europe (Inter-
national Legal Mareriais, 1999,Vol. 38, p. 24).

Even if such a practice- which, in my opinion, is completely inappro-
priate not only in terms of the law but also in terms of proper usage -
could be understood wben resorted to by entities placing interest and
expediency above the law, it is inexplicable in the case of ajudicial organ.

17. A certain confusion isalso created by the term "humanitarian law"
referred to in paragraphs 18 and 40 of the Order. The reasons for the
confusion are dual: on the one hand, the Court has not shown great con-
sistency in using this term. In the Genocide case the Court qualified the
Genocide Convention as a part of humanitarian law, although it is obvi-
ous that, by its nature, the Genocide Convention falls within the field of
international criminal law (see dissenting opinion of Judge KreCain the
case concerning Application of the Convention on the Prevention und
Punishment of the Crime of Genocide, Preliminary Objections, I.C.J.
Reports 1996 (II), pp. 774-775,para. 108).
On the other hand, it seems that in this Order the term "humanitarian
law" has been used with a different meaning, more appropriate to the

generally accepted terminology. The relevant passage in the Order should
be mentioned precisely because of the wording of its paragraphs 18 and
40. The singling out of humanitarian law from the rules of international
law which the Parties are bound to respect may imply low-key and timid
overtones of vindication or at least of diminishment of the legal implica-
tions of the armed attack on the Federal Republic of Yugoslavia.

Humanitarian law, in its legal, original meaning implies the rules ofjus
in bello.If, by stressing the need to respect the rules of humanitarian law,
which 1do not doubt, the Court was guided by humanitarian considera-
tions, then it should have stressed expressis verhis also the fundamental

importance of the rule contained in Article 2, paragraph 4, of the Char-
ter, which constitutes a dividing line between non-legal, primitive inter-
national society and an organized, dejure, international community.

(Signrd) Milenko KRECA LICÉITÉ DE L'EMPLOI DE LA FORCE (OP.DISS.KRECA) 914

les organisations internationales compétentes. Par exemple, la dési-
gnation officielle de la province méridionale de Serbie «Kosovo-
Metohijan est cellequi figure dans l'accord conclu par la République
fédéralede Yougoijlavieet l'organisation pour la sécuritéetlacoopéra-
tion en Europe (Iirternutional Legal Materials, 1999,vol. 38, p. 24).

Mêmesi pareille pratique, laquelle, à mon sens, est totalement incor-
recte, non seulement :surle plan du droit mais aussi du point de vue du
bon usage, pouvait se défendre quand elle émane d'entités qui situent
l'intérêett la commoditéau-dessus de la loi, elle est inexplicable quand
elle émane d'un organe judiciaire.
17. L'expression «droit humanitaire)) que la Cour utilise aux para-
graphes 18 et 40 de son ordonnance prêteégalement a confusion, pour
une double raison :d'un côté, laCour ne manifeste pas une parfaite cohé-
rence dans l'emploi de cette formule. Dans l'affaire de l'Application rlr
la convention sur le g,tnocide,la Cour a dit que ladite convention faisait
partie du droit humanitaire, alors qu'il estmanifeste qu'en raison de sa
nature même, laditeconvention relèvedu droit pénalinternational (voir

l'opinion dissidente di: M. Kreca dans I'affaire relative l'Application de
la convention pour la prkvention et lu répression du crime de génocide,
e-uceptionsprkliminuires, C.I.J. Recueil 1996 (Il),p. 774-775,par. 108).
D'un autre côté, il me semble que dans la présenteordonnance, la for-
mule «droit humanitaire)) est employéeen un sens différentplus proche
du sens généralement accepté aujourd'hui. Et il convient de faire précisé-
ment état de l'extrait pertinent de l'ordonnance en raison mêmedu libellé
des paragraphes 18et 40. En isolant le droit humanitaire parmi les règles
de droit international que les parties sont tenues de respecter, il est pos-
sible que la Cour veuille, discrètement, voire timidement, justifier impli-
citement l'attaque arméedirigéecontre la République fédéralede You-

goslavie ou tout au moins en atténuer les conséquencessur le plan du
droit.
Dans son premier sens juridique, le droit humanitaire correspond
implicitement aux règlesdu jus in bello.Si la Cour s'inspirait, comme
je n'en doute nullerrient, de considérations humanitaires quand elle a
souligné la nécessitéde respecter les règles du droit humanitaire, elle
aurait dû souligner expressémentaussi l'importance fondamentale que
revêt la règlée noncée à l'article 2, paragraphe 4, de la Charte, laquelle
trace la ligne de démarcation entre une sociétéinternationale primitive,
où le droit fait défaut, et une communauté internationale organiséeoù
règnele droit.

(Signé) Milenko KRECA

Document file FR
Document Long Title

Opinion dissidente de M. Kreca, juge ad hoc (traduction)

Links