Opinion individuelle de Mme Higgins (traduction)

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OPINION INDIVIDUELLE DE MM" HIGGINS

[Traduction]

Limitations ratione temporis des déclarationsfaites au titre de l'article36,
paragraphe 2, du Statut - ((Différends))- ((Situations oufaits» - Récipro-
cité - Evénements«continus» ou violations du droit - Compétenceprima
facieau.ujn.s de /I'arlic41 du Statut - Questions citrancher /ors de laphase
des tnesures conservatoires et questions u réservera un exarnrn ultérieur plus

approfondi - Deu-Ycoriséquences soufsorme d'alternativedu défautde compé-
tence prima facie - L'autoritéde mêmeque lacréativité judiciaires sont trihu-
taires de la compétence.

1. Quand un Etat a accepté la juridiction de la Cour en vertu de I'ar-

ticle 36, paragraphe 2, du Statut, sous réserve d'une limitation ratione
temporis et que l'autre Etat a accepté la juridiction de la Cour sans
joindre de limitation de cet ordre,

«il est [néanmoins] reconnu que, par l'effet de la condition de réci-
procité,inscrite au paragraphe 2 de l'article 36, du Statut de la Cour,

cette limitation fait droit entre les Parties)) (Phosphates du Mavoc,
arrêt,1938, C.P. J.I. sérieAIB no 74, p. 22).

2. Dans la déclaration par laquelle elle accepte la juridiction obliga-
toire de la Cour, la République fédéralede Yougoslavie dit notamment,
le 25 avril 1999:

«Je déclarepar la présente que le Gouvernement de la République

fédéralede Yougoslavie, conformément au paragraphe 2 de l'article
36 du Statut de la Cour internationale de Justice, reconnaît comme
obligatoire de plein droit et sans convention spéciale, à l'égardde
tout autre Etat acceptant la mêmeobligation, c'est-à-dire sous condi-
tion de réciprocité,la juridiction de la Cour pour tous les différends,

surgissant ou pouvant surgir après la signature de la présente décla-
ration, qui ont trait à des situations ou à des faits postérieurs a ladite
signature, à l'exception des affaires pour lesquelles les parties ont
convenu ou conviendront d'avoir recours à une autre procédure ou à
une autre méthode de règlement pacifique ..»

A une légèrevariation prés,ce texte suit un prkcédentbien connu, le texte

de ce qu'on appelle «la déclaration belge)) de 1925, qui exclut ratione
teniporis toute compétence rétroactive de la Cour, tant pour les diffé-
rends que pour les situations et les faits.
3. La déclaration d'acceptation du Royaume-Uni ne contient pas de

limitation de ce type, mais celle-ci s'applique entre les Parties pour déter- LICÉITÉ DE L'EMPLOI DE LA FORCE (OP.IND.HIGGINS) 867

miner la portée ratione temporis de la juridiction de la Cour, pour la rai-
son que j'expose au paragraphe 1 ci-dessus.
4. Il peut évidemmentarriver que, mêmesi le différenda manifeste-
ment surgi postérieurement a la date critique pour l'attribution de la
compétence, les situations ou les faits qui sont à l'origine du différend

paraissent être antérieursa cette date. Ce fut là exactement la situation
dans l'affaire desPhosphates du Maroc ou la Cour permanente a analysé
la possibilitéque des actes ((accomplis après la date critique)), lorsqu'ils
sont «mis en rapport avec des faits antérieurs auxquels ils sont intime-
ment unis ...constituent dans leur ensemble un seul fait illicite continu et
progressif, qui n'est arrivé à sa perfection qu'après la date critique»
(Phosphutes du Maroc, arrêt. 1938, C.P.J.I.série AIB no 74,p. 23). De
même,il est possible que certains faits, bien que réalisés à une époque
antérieure à la date critique «donne[nt] naissanceà une situation perma-
nente contraire au droit international ... qui s'est prolongée au-delà de
cettedate)) (ibid). D'ailleurs, la Commission du droit international tient
compte de cette dernière éventualitédans son projet d'article 25 sur la
responsabilitédes Etats (Annuaire de lu Commission du droit internatio-
nal,vol. II, deuxièmepartie, p. 101).

5. La Cour n'est pas seule àavoir dû constituer une jurisprudence sur
la notion d'«événementcontinu)) ou de ((fait ayant un caractère de conti-
nuité)):la Cour européenne des droits de l'homme a dû en faire autant
(voir l'affaireYagci et Sargin c. Turquie, Recueil de jurisprudence dela
Cour européennedes droits de l'homme, 1995, p. 505); et le Comitédes
droits de l'homme a également dû en faire autant (voir Guye et al.
c. France,communication no 19611 985, 3 avril 1989,trente-cinquième ses-
sion); et Sinzinek c. la République tchèque(communication no 51611 992,
31juillet 1995,cinquante-quatrième session).
6. La Cour a donnéses propres réponses à cette question dans l'affaire
des Phosphatesdu Muroc. Ellea expliqué qu'ilfaut examiner dans le cadre
particulier de chaque affaire leroblème de savoir s'il existe des ((événe-
ments continus)) qui sont àl'origine de l'action intentée postérieuremeàt
la date critique. Mais il y a deux élémenta nejamais oublier. Le premier

est que:
«il faut toutefois garder toujours présente à l'esprit la volonté de
1'Etat qui, n'ayant acceptéla juridiction obligatoire que dans cer-
taines limites,«n'a entendu y soumettre que les seuls différends
qui sont réellementnésde situations ou de faits postérieurs à son
acceptation» (Plzosphutesdu Muroc, arrêt, 1938, C.P.J.1.sérieAIB
no 74,p. 24).

Et le second élément est qu'ilfaut voir si les faits sont simplement une
conséquence nécessaire et logique defaitsantérieursque la réserved'ordre
temporel a empêchéd'examiner. S'agissant des faits particuliers de
I'affaire desPhosphates du Maroc, la Cour a estiméque les faits et les
situations invoquées nepouvaient pas êtreconsidéréscomme «le terme
final et le couronnement)) des événementsantérieurs (ibid., p. 26) et qu'ils LICÉITE DE L'EMPLOI DE LA FORCE (OP.IND.HIGGINS) 868

ne «modifi[aient] aucunement l'étatde choses créé à cet égard» par les évé-
nements antérieurs (C.P.J.I. sérieAIB no 74, p.27). Il n'était pasnon plus
possible de séparerles faits et les situations invoquésde ceux qui étaient
antérieurs à la date critique.
7. La Cour permanente a donc déclarédans l'affaire des Plîosplzutesdu
Muror que ce problème particulier de compétence impose, comme
n'importe quel autre problème dans ce domaine, de considérer avecsoin

l'intention de 1'Etatqui assortit sa déclaration d'acceptation de la juridic-
tion de la Cour de certaines limitations ou réserveset la Cour actuelle l'a
récemment affirmé aussidans l'affaire de la Compétenc,een mutiérede
pêc3heric.(sEspugne c. Cunudu), compPtence delu Cour, urrst, (C.I.J.
Recueil 1998, p. 454, par. 49). Il est étonnant que la Yougoslavie n'ait pas
plaidédevant la Cour soit le caractère continu de certains événements, soit

le caractère continu du différend (ce dernier point n'ayant pas fait pro-
blèmedans l'affaire des Pllosphutes du Muroc). La Yougoslavie s'est fer-
mement appuyée sur un différend perçu comme ayant surgi et sur des
situations et des faits perçus comme s'étant produits après la date critique
du 25 avril. L,aYougoslavie ne voulait pas que tout différendqui aurait pu
exister entre elle-même etle Royaume-Uni antérieurement au 25 avril
relève de la compétence de la Cour, non plus que certaines situations et

certains faits en rapport avec ce différend, élémentsusceptibles d'êtrecou-
verts par les dispositicms de la première partie de l'alinéaiii) de l'arti1le
de la déclarationdu Royaume-Uni. C'était là l'intention de la Yougoslavie
et cette intention était claire. Mais cette intention renfermait aussi un
espoir - l'espoir qu'il serait possible d'établir l'existence d'un différend
qui n'aurait surgi que postc;rieuren~cntau 25 avril. Certes, il s'est produit
postérieurement au 25 avril des événements quifont bien l'objet de la

plainte de la Yougoslavie (encore que cesévénements n'aient pas étédéfinis
par leur date ni par des détails). Mais la Cour n'a pas été en mesurede
constater la présencecl'undifférendqui n'aurait surgi que postérieurement
au 25 avril. La plainte suivant laquelle les bombardements aériens de
l'OTAN et des Etats membres de l'OTAN étaientillicitesa étéformuléeau
Conseil de sécuritéles 24 et 26 mars et a étérécuséeau Conseil. Les condi-
tions à réunir pour qu'existe un différend telles qu'elles ont étédéfinies

dans l'affaire~uvrommutis (Concessions Muilrommatis en Palestine, arrêt
no2. 1924, C:P.J.I. skrieA no2) ont donc été réunieà s ce moment-là.
8. Incontestablement, la poursuite des bombardements et les frappes
atteignant leurs objectifs postérieurement au 25 avril ont aggravé et
intensifié le différend. Mais chacun des bombardements aériens posté-
rieurs au 25 avril ne constitue pas un différend nouveau. En résumé,il y

a des situations et des faits qui se produisent postérieurement à la date
critique, mais il n'existe pas actuellement de différend en train de surgir
postérieurement à cette date. Tout en concrétisant bien l'intention mise
dans sa déclaration d'acceptation (intention que la Cour se doit de res-
pecter). la République fédéralede Yougoslavie n'a pas étéen mesure de
concrétiser en outre l'espoir qu'elle y mettait aussi. En conséquence, sa
déclaration ne donne pas compétence à la Cour. LICEITÉ DE L'EMPLOI DE LA FORCE (OP.IND.HIGGINS) 869

9. Certes, dans l'affaire desPhosphates du Maroc, la Cour examinait
les limitations d'ordre temporel de la déclaration d'acceptation au stade
des exceptions préliminaires. Mais la Cour devant s'assurer qu'elle est
compétente,tout au moins primafacie, avant d'examiner si lesconditions
prescritesà l'article 41 du Statut pour I'indication de mesures conserva-
toires sont bien réunies,il faut en l'espècetraiter la questionce stade-ci,
a titre provisoire toutefois.
10. Des questions complexes se posent à la Cour quand elle veut
s'assurer qu'elle est compétente, ne serait-ce qu'assez compétente pour

envisager d'indiquer des mesures conservatoires conformément à l'ar-
ticle 41 du Statut.
11. Le Statut et le lièglement de la Cour ne donnent qu'un minimum
d'indications quant aux conditions d'ordre juridique qui président à la
prescription de mesures conservatoires. L'article 41 du Statut stipule
simplement que la Cour «a le pouvoir d'indiquer, si elle estime que les
circonstances l'exigent, quelles mesures conservatoires du droit de cha-
cun doivent être prises à titre provisoire)). Cela dit quel est le rôle des
mesures conservatoires et cela dit aussi que la Cour jouit d'une certaine
latitude auant ë I'indication de telles mesures - mais cela ne dit rien
d'autre. Le Règlement, dans ses versions successives, ne fournit pas
beaucoup d'élémentsutiles sur l'application de l'article 41 du Statut, les
versions de 1936 et de 1978 montrant a cet égard les points les plus

importants de l'évolution de la pratique (pour avoir des détails, voir
Guyomar, Commentaire du RRPglementdelu Cour internationale de Jus-
tice, 2c éd.).C'est à travers la jurisprudence de la Cour que les nom-
breux éléments différentsd'ordre juridique concernant les mesures
conservatoires ont évolué(il ne faut pas rendre d'arrêt provisoire:
affaire de I'iJsine de Chorzow, C.P.J.I. sérieA no 12; le lien entre les
droits à protéger et les mesures demandées: Statut juridique du terri-
toire du sud-est du Grcîënland, C.P.J. l. sérieAIB no48; Réjormeagraire
polonaise et minorité allemande, C.P.J.I. sérieAIB no 58; signijication
de lu protection des droits de chacun; question de l'extension et de
l'aggravation du différend: Compagnie d'4lectricitt. de Sofia et de Bul-
garie, C.P.J.l. sérieAIB no 79).
12. C'est égalementpar sa pratique que la Cour a dû examiner les pro-

blèmesdejuridiction qui se posent quand elleest saisied'une demande en
indication de mesures conservatoires avant d'avoir établidéfinitivement
qu'elle estcompétentepour connaître de l'affaire.
13. Dans l'affaire deI'Anglo-lranian Oil Co., la Cour a dit que, parce
qu'con ne saurait admettre apriori)) qu'une demande «échappe complè-
tement a la juridiction internationale)), la Cour pouvait examiner la
demande en indication de mesures conservatoires (mesures conservu-
foires, ordontzancedu S juillet 1951, C.I.J. Recueil 1951, p. 93). En même
temps, la Cour a considéré que l'indication detelles mesures «ne préjuge
en rien la compétence de la Cour pour connaître du fond de l'affaire et
laisse intact le droit du défendeur de fairevaloir ses moyensàl'effetde la
contester)) (ibid). 14. Cette dernière déclaration de principe relative aux conséquences
d'une ordonnance wrescrivant des mesures conservatoires vour la suitede
la procédure est restée pratiquement inchangée avec le temps. En re-
vanche, les préalables d'ordre juridictionnel autorisant à prescrire des
mesures conservatoires ont beaucoup évoluédans la jurisprudence de la
Cour. Au reste, le débats'étaitd'ores et déjà activement engagé avec l'af-
faire de 1'Anglo-lranian Oil Co. elle-même.Dans leur opinion dissidente

commune, les juges Winiarski et Badawi Pasha constatent que la Cour
estime pouvoir indiquer des mesures conservatoires «si primu fucie l'in-
compétence totale n'est pas évidente, donc s'il existe une possibilité, si
faible soit-elle, de compétence pour la Cour)) (C.I.J. Recueil 1951,
p. 97). Mais les mêmesauteurs font observer qu'en droit international,
ces mesures ont un caractère exceptionnel à un plus haut degréencore
qu'en droit interne car elles représentent<uneingérence à peine tolérable
dans les affaires d'un Etat souverain)), de sorte qu'il ne faut pas indiquer
de telles mesures sauf si la compétence de la Cour est ((raisonnablement
probable ».
15. Dans l'affaire dela Compétenceen matière de pêcheries(Royaume-
Uni c. Islunde), la Cour a affiné la formule,déclarant que, lorsqu'elle est

saisie d'une demande en indication de mesures conservatoires, elle n'a pas
besoin «de s'assurer de manière concluante de sa compétence quant au
fond de l'afpaire, mais..ne doit cependant pas appliquer l'article 41 du
Statut lorsque son incompétenceau fond est manifeste)) (mesures conser-
vatoires, ordonnance du 17 août 1972, C.I.J. Recueil 1972, p. 15).
16. Dans l'affaire des Essais nuclt.uires (1973), la France a dit avec
fermeté que la Cour était manifestement ((incompétente en l'espèce)).
S'écartant légèrementde la formule qu'elle avait employée l'annéepré-
cédentedans l'affaire de la Compétenceen matière de pêcheries, la Cour
a dit alors au'elle «n'a vas besoin...de s'assurer de facon concluante de
sa compétencequant au fond de l'affaire)), mais qu'elle nedoit pas indi-

querde telles mesures «si les dispositions invoquées par le demandeur ne
se présentent pas comme constituant, prima fucie, une base sur laquelle
la compétence de la Cour pourrait êtrefondée)) (Essais nucléuires (Aus-
trulir c. Frunce). mesures conservatoires,or~ionnancedu 22juin 1973, C.I.J.
Recueil 1973., .. 101).Dans aucune des trois affaires de mesures conser-
vatoires qui ont suivi(Procès de prisonniers de guerre pukistanuis, ordon-
nnnce du 13juillet 1973, C.I.J. Recueil 1973, p. 328; Pluteau continental
de IL m(er Egée,ordonnance du Il sep~emhrc 1976, C.1.J. Reczreil 1976,
p. 3; Personnel diplomutiyue et consulaire des Etuts- Unis à Téhérun,
ordonnance du 15 dkcemhre 1979. C.I.J. Recueil 1979, p. 7), la question
de la compétence n'a constitué le principal fondement de l'ordonnance.
17. Dans l'affaire des Activités milituires et paramilituires au Nicura-

guu et contre celui-ci, mesures conservatoires, (ordonnunce du 10 nzui
1984, C.I.J. Recueil 1984, p. 179) la Cour est revenue sur la question,
reprenant exactement la formule qu'elle avait employéedans l'affaire des
Ess~~isnucléizires.Cette formule est désormais solidement établie (Sen-
tence arbitrule du 31 diuillet1989, nzesures conservutoires, ordonnunce du2 murs 1990, C.I.J. Recueil 1990, p. 68-69; Passage par le Grand-Belt
(Finlande c. Danemark), mesures conservatoires, ordonnancedu29juillet
1991, C.I.J Recueil 1991, p. 17)Application de la convention pour lapré-
vention et la répressiondu crime de génocide, mesures conservatoires,
ordonnance du 8 avril 1993, C.I.J. Recueil 1993, p. 11,et ordonnance du
13septembre 1993, ibid., p. 16-17; Frontièreterrestre et maritime entre le
Cameroun et le Nigéria, mesuresconservatoires, ordonnance du 15 murs
1996. C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 12; Convention de Vienne sur les relu-
tions consulaires (Paraguay c. Ëtats-unis d'Amérique), mesures conser-

vatoires, ordonnance du 9 avril 1998, C.I.J. Recueil 1998, p. 255, par. ;3
et Lc~Grand,mesures c~onservatoires,ordonnance du 3 murs 1999, C.1.J.
Recueil 1999, p. 13,par. 13).
18. Donc, quand l'une des parties présenteune demande en indication
de mesures conservatoires, elle doit montrer qu'il existeprima facie une
base sur laquelle la compétencede la Cour pourrait êtrefondée. Celadit,
il se pose encore plusieurs questions(qui intéressenttout particulièrement
la présenteespèce). Qu'est-cequi suffità montrer l'existencede la base de
compétence prima facie dont on a besoin? Et quelles questions juridic-
tionnelles la Cour va-t-elle examiner au stade des mesures conservatoires
parce qu'ellessont indispensables pour fonder la compétence primafacie,
et quelles questionsd'ordre juridictionnel va-t-elle réserver,lecas échéant,
à un examen ultérieursur la compétence?
19. Dans sa pratique, la Cour n'examine habituellement pas au stade

des mesures conservatoires les fortes raisons et les thèsescomplexes qui
lui sont présentéesau sujet de sa compétence,elle attend plutôt pour sta-
tuer à cet égard la phase des exceptions préliminaires.Dans l'affaire de
l'lntr~rhandel,le coagent du Gouvernement suisse a émisl'idéeque, au
stade des mesures conservatoires, la Cour ne voudrait pas se prononcer
«sur une question aussi complexe et délicateque la validitéde la réserve
américaine)) (Interhandel, mesures conserllatoires, ordonnance du 24 oc-
tobre 1957, C:I.J Recueil 1957, p. 111).La Cour, qui pouvait en l'espèce
faire appelà d'autres inotifs pour refuser d'indiquer des mesures conser-
vatoires, n'a pas répondu à cette question. Dans l'affaire des Essais
nuc1r;airesde 1973, l'Australie a présentéune argumentation détaillée,
alléguantque l'Actegénéralde 1928était encoreen vigueur et applicable,
constituant ainsi un fondement de compétenceindépendant. Sans faire

de distinction entre l'Acte généralet l'article 36 du Statut, la Cour a
conclu que «les dispositions invoquéespar le demandeur se présent[ai]ent
comme constituant, prima jacie, une base sur laquelle la compétencede
la Cour pourrait être fondée))(Essais nucléaires(Australie c. France),
mesures conservutoire.~,ordonnance du 22juin 1973, C.1.J. Recueil 1973,
p. 102).
20. Dans l'affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicara-
gua et contre celui-ci (1984), la Cour s'est trouvée,au stade des mesures
conservatoires, face à des thèses extrêmement complexesportant sur
l'effetjuridique de la déclaration d'acceptation de la juridiction obliga-
toire de la Cour faite le avril 1984par les Etats-Unis, d'une part, et, de l'autre, sur le fait qu'apparemment le Nicaragua n'avait pas déposéd'ins-
trument de ratification du protocole pour rendre effective son adhésion

au Statut de la Cour permanente de Justice internationale. La Cour a
rapidement fait le point des problèmes d'ordre juridique liésà chacune de
ces dispositions et elle a considéré qu'elle:
«n'entend[ait] pas se prononcer définitivement pour l'instant sur la

question de savoir si la déclaration du 24 septembre 1929est valable
ou non et si en conséquence le Nicaragua est ou n'est pas, aux
fins de l'article 36, paragraphe 2, du Statut de la Cour, un «Etat
acceptant la mêmeobligation)) que les Etats-Unis d'Amérique à la
date du dépôt de la requête,de manière à pouvoir se prévaloir de la
déclaration américaine du 26 août 1946, ni sur celle de savoir si, du
fait de la déclaration du 6 avril 1984,la présente requête n'entreplus

dans le cadre de l'acceptation par les Etats-Unis de la juridiction
obligatoire de la Cour ... » (ordonnunce du 10 mui 1984, C.I.J.
Recueil 1984, p. 180).

La Cour s'est contentée de dire: cles deux déclarations paraissent cons-
tituer néanmoins une base sur laquelle la compétence de la Cour pourrait
être fondée» (ihid. 1.
21. Dans 1; espèce, la Cour ne s'est pas non plus prononcée
définitivement sur la question de savoir si la République fédéralede You-
goslavie était toujours ou non Membre des Nations Unies et, dans I'affir-
mative, partie ce titre au Statut ayant le droit de faire une déclaration

en vertu de l'article 36,paragraphe 2, dudit Statut. Il s'agit la d'une ques-
tion extrêmement complexe et importante et ilest compréhensible qu'elle
n'ait pas fait l'objet d'exposés approfondis et systématiques lors de la
procédure orale récente portant sur l'indication de mesures conserva-
toires.
22. Bien sûr, tout comme il en fut pour la question de la ratification
par le Nicaragua de son adhésion au Statut de la Cour permanente dans
l'affaire des Activitis militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre

celui-ci,on peut penser qu'en l'espèce,le statut de la République fédérale
de Yougoslavie constituait un préalable indispensable à tout le reste.
Mais. ,a.and elle se ~enche sur une demande en indication de mesures
conservatoires, la Cour est aux prises avec d'inévitables tensions entre les
exigences de la logique et l'impossibilitéoù elle se trouve de se prononcer
à titre définitifquand elle est en proie à l'urgence. Pour pouvoir agir, le
principe qu'elle adopte est que les questions d'une grande complexité

seront, s'il est possible, laisséesde côtéquand elle établit si elle a pritna
jacie compétence aux fins de l'article 41 de son Statut.
23. Dans les affaires des Essais nucléaires et dans celle des Activitis
milituires ef paramilitaires, la Cour a, chaque fois, laisséde mêmeen sus-
pens certaines thèsesconcernant les déclarations faites en vertu du Statut.
Par opposition, dans la présente espèce,la Cour, aux fins de l'indication
de mesures conservatoires, a examiné le texte même desdéclarations dela République fédéralede Yougoslavie et du Royaume-Uni ainsi que
l'interaction de cesdeux déclarations dela Républiquefédérale de Yougo-
slavie et du Royaume-Uni.

24. Le critère de la compétence prima facie ne permet pas de se
contenter de prendre acte de l'existencede deux déclarations a ce stade.
Ce n'est pas ce qu'il faut déduire del'extrait de l'ordonnance que la Cour
rend au stade des mesures conservatoires dans I'affaire Cameroun c. Nigé-
ria, quand elle dit que «les déclarations faites par les Parties conformé-
ment au paragraphe 2 de l'article 36 de son Statut constitue prima facie
une base sur laquelle sa compétence pourrait être fondéeen l'espèce»
(C.I.J. Recueil 1996 (Il, p. 21, par. 31). Le Nigéria souhaitait voir la
Cour revenir sur la règlede I'affaire du Droit de passage, parce que cela
avait une incidence sur l'interprétationà donner à sa propre déclaration,

mais cette demande relevait manifestement de cette catégorie d'excep-
tions à la compétencefort complexes et lourdes de conséquences dont il
fallait différertout examen véritablejusqu'au stade des exceptions préli-
minaires. Adoptant cette optique particulière, (et aussi parce que le prin-
cipe de l'affaire duDroit de passage étaitsolidement ancrédans sa juris-
prudence), la Cour a décidéde traiter entre-temps les déclarations en
question comme lui donnant compétence prima jàcie.
25. Les mêmes principesdirecteurs s'appliquent aux traitéscensésfon-
der la juridiction de la Cour. C'est pourquoi plusieurs thèses complexes
présentéesau sujet de l'article IX de la convention sur le génociden'ont

pas étéexaminéesau stade des mesures conservatoires lors des affairesde
1993relatives à l'Application deh convention sur le génocide; et c'est sur
cette toile de fond que la Cour a dit alorsque l'article IXde la convention
semblait ccconstituer une base sur laquelle la compétence de la Cour
pourrait être fondée» (Applicationde la convention pour la prévention et
lu répressiondu crime de génocide, mesures conservatoires, ordonnance
du 8 uvril1993, C.1.J. Recueil 1993, p. 16,et ordonnance du 13 septembre
1993, ibid, p. 342).
26. Mais il ne faudrait pas penser pour autant qu'il suffit d'invoquer

une clause juridictionnelle, sans plus, pour constituer en faveur de la
Cour une base de compétence prima facie. Il ne peut en êtreautrement
parce que la compétence dela Cour - quand bien mêmeon regretterait
cet étatde choses à la veilledu XXIe siècle - repose sur le consentement.
Et le consentement à la compétencene peut pas êtreétabli,fût-ce prima
facie,quand ilressort clairement du texte mêmede la déclarationd'accep-
tation de la juridiction que ce consentement indispensable n'existe pas
prima ,farie,ou plus simplement encore, n'existe pas. Comme l'a dit sir
Hersch Lauterpacht dans son opinion individuelle à l'issuede l'affaire de
l'lnterhundel. les critères de la compétence prima facie de la Cour sont

remplis quand il n'existe dans les instruments pertinents «aucune réserve
excluant manifestement cette compétence)) (C.I.J. Recueil 1957, p. 119).
Les réservespertinentes à cette fin sont à la fois celles qui figurent dans
la propre déclaration d'un Etat et celles sur lesquelles ledit Etat peut
compter par voie de réciprocité. 27. La Yougoslavie n'a formulé àl'intention de la Cour aucune conclu-
sion sur la déclaration faite par le Royaume-Uni au titre de la clause
facultative ni sur le fait que cette déclaration pourrait intervenir dans
l'application de sa propre réserve.Elle n'a pas expliquépourquoi les dis-
positions de l'alinéa iii)du paragraphe 1de la déclaration du Royaume-
Uni n'excluaient pas que la Cour soit compétentepour connaître des faits
particuliers de l'espèce.De son côté,le Royaume-Uni n'a pas tablépar
voie de réciprocitésur la déclarationyougoslave, estimant sans doute que
celle-cin'était pas compatibleavec la position qu'il adopte, qui est que la
déclarationyougoslave n'est pas valable. Mais la Cour ne peut pas s'abs-

tenir de considérerces auestionset aucune d'elles n'esta ce a oint obscure
et complexe qu'elle ne puisse pasêtreexaminée à ce stade; la Yougoslavie
n'a pas non plus laisséentendre que tel étaitle cas.
28. Comme la Cour l'a dit dans I'affaire de Certains emprunts norvé-
giens, quand «il s'agit de deux déclarations unilatérales, ... compétence
lui est conférée[par voie de réciprocité] seulementdans la mesure où elles
coïncident pour la lui conférer))(arrEt, C1.J. Recueil1957, p. 23). Dans
l'affaire de laompétenceen matiPrede pêcheries(Espagne c. Canada),
la Cour a déclarénettement:

«les conditions ou réserves,de par leur libellé,n'ont donc pas pour
effet de déroger à une acceptation de caractère plus large déjàdon-
née. Ellesservent plutôt à déterminer l'étenduede l'acceptation par
1'Etatde la juridiction obligatoire de la Cour.» (C.I.J. Recuei1998,
p. 453, par. 44.)

Chacun de ces prononcés,de la part de la Cour, figure dans des décisions
relatives à la compétence, car il ne s'agissait pas d'affaires relativesà
l'indication de mesures conservatoires. Mais ilfaut que 1'Etatqui demande
à la Cour d'adopter des mesures conservatoires montre qu'elle estprima
facie compétente, indépendammentdes conditions ou des réservesaccom-
pagnant les déclarations et du jeu de la réciprocitéd'une déclaration à
l'autre.
29. Les restrictionsà la libertéd'action d'un Etat qui accompagnent
obligatoirement l'indication de mesures conservatoires ne seront pas tolé-
rées à moins qu'il n'yait compétenceprima facie. Mais l'absence de com-
pétence prima facie à ce stade et à cette fin ne veut pas nécessairement
dire qu'il nesera pas possible, le cas échéant, d'établir ultérieurement que

la Cour est compétente. Toutefois, si, quand on examine si la Cour est
compétente prima facie aux fins de l'article 41 du Statut, il apparaît clai-
rement, sans l'ombre d'un doute, qu'elle n'est pas compétente pour
connaître d'une affaire donnée, la bonne administration de la justice
impose de rayer immédiatement I'affaire du rôle in limine.

30. Un dernier mot: il ne faudrait pas non plus penser que, parce
qu'elle a dû examiner la question de sa compétence prima .facie dans LICÉITE DE L'EMPLOI DE LA FORCE (OP. IND. HIGGINS) 875

l'affaire introduite par la République fédéralede Yougoslavie. la Cour
reste indifférenteaux souffrances enduréespar le Kosovo et par la You-
goslavie. Du reste, le préambule de son ordonnance montre que tel n'est

pas le cas. Elle ne cherche pas non plus éviterde participeà la solution
des problèmes de droit qui se posent et qui donnent lieu à d'intenses
débats. Maisla Cour ne peut assumer ses responsabilitésdans le cadre du
systèmedes Nations Unies et faire appel à son autorité età sa créativité
judiciaires que lorsqu'elle est compétente. Dans la présente affaire, la
compétencede la Cour est encore à établir,fût-ceprima facie.

(Signé) Rosalyn HIGGINS.

Bilingual Content

SEPARATE OPINION OF JUDGE HIGGINS

Limitations ratione temporis to declarutions made under Article 36, para-
graph 2. of the Statute - "Disputes" - "Situations or Facts" - Reciprocity
- "Continuing" events or violations of lait'- Primufacie jurisdiction for pur-
poses of Article 41 of the Stutute - Mutters to be decidedut provisional meas-

uresphase andmatters to he reservedfor more thorough luter consideration -
Tktoalternative consequeneesof an absenceifprima facie jurisdiction - Judi-
cial authority and creativity dependent onjurisdiction.

1. Where one State has accepted the jurisdiction of the Court under
Article 36, paragraph 2,of the Statute with a limitation ratione temporis
and the other State has accepted the jurisdiction without such a limita-
tion,

"nevertheless, as a consequence of the condition of reciprocity stipu-

lated in paragraph 2 of Article 36 of the Statute of the Court, it is
recognized that this limitation holds good as between the Parties"
(Phosphutes in Morocco, Judgment, 1938, P. C.I.J., Series AIB.
No. 74, p. 22).

2. The declaration accepting the Court's compulsory jurisdiction made
by the Federal Republic of Yugoslavia on 25 April 1999 states in part

that :

"1 hereby declare that the Government of the Federal Republic of
Yugoslavia recognizes, in accordance with Article 36, paragraph 2,
of the Statute of the International Court of Justice, as compulsory
ipso jucto and without special agreement, in relation to any other

State accepting the same obligation, that is on condition of recipro-
city, the jurisdiction of the said Court in al1disputes arising or which
may arise after the signature of the present Declaration, with regard
to the situations or facts subsequent to this signature, except in cases

where the parties have agreed or shall agree to have recourse to
another procedure or to another method of pacific settlement . . ."

This follows, with a small variation, the well-known so-called "Belgian
declaration" of 1925 by which any retrospective jurisdiction of the Court
ratione temporis was precluded both as to disputes and as to situations

and facts.
3. The declaration made by the United Kingdom contains no such
limitation, but it applies inter se to identify the scope rutionr trmporis of OPINION INDIVIDUELLE DE MM" HIGGINS

[Traduction]

Limitations ratione temporis des déclarationsfaites au titre de l'article36,
paragraphe 2, du Statut - ((Différends))- ((Situations oufaits» - Récipro-
cité - Evénements«continus» ou violations du droit - Compétenceprima
facieau.ujn.s de /I'arlic41 du Statut - Questions citrancher /ors de laphase
des tnesures conservatoires et questions u réservera un exarnrn ultérieur plus

approfondi - Deu-Ycoriséquences soufsorme d'alternativedu défautde compé-
tence prima facie - L'autoritéde mêmeque lacréativité judiciaires sont trihu-
taires de la compétence.

1. Quand un Etat a accepté la juridiction de la Cour en vertu de I'ar-

ticle 36, paragraphe 2, du Statut, sous réserve d'une limitation ratione
temporis et que l'autre Etat a accepté la juridiction de la Cour sans
joindre de limitation de cet ordre,

«il est [néanmoins] reconnu que, par l'effet de la condition de réci-
procité,inscrite au paragraphe 2 de l'article 36, du Statut de la Cour,

cette limitation fait droit entre les Parties)) (Phosphates du Mavoc,
arrêt,1938, C.P. J.I. sérieAIB no 74, p. 22).

2. Dans la déclaration par laquelle elle accepte la juridiction obliga-
toire de la Cour, la République fédéralede Yougoslavie dit notamment,
le 25 avril 1999:

«Je déclarepar la présente que le Gouvernement de la République

fédéralede Yougoslavie, conformément au paragraphe 2 de l'article
36 du Statut de la Cour internationale de Justice, reconnaît comme
obligatoire de plein droit et sans convention spéciale, à l'égardde
tout autre Etat acceptant la mêmeobligation, c'est-à-dire sous condi-
tion de réciprocité,la juridiction de la Cour pour tous les différends,

surgissant ou pouvant surgir après la signature de la présente décla-
ration, qui ont trait à des situations ou à des faits postérieurs a ladite
signature, à l'exception des affaires pour lesquelles les parties ont
convenu ou conviendront d'avoir recours à une autre procédure ou à
une autre méthode de règlement pacifique ..»

A une légèrevariation prés,ce texte suit un prkcédentbien connu, le texte

de ce qu'on appelle «la déclaration belge)) de 1925, qui exclut ratione
teniporis toute compétence rétroactive de la Cour, tant pour les diffé-
rends que pour les situations et les faits.
3. La déclaration d'acceptation du Royaume-Uni ne contient pas de

limitation de ce type, mais celle-ci s'applique entre les Parties pour déter-the Court's jurisdiction, for the reason set out in paragraph 1 of this
opinion.
4. It may, of course, be the case that, while the dispute has clearly
arisen subsequent to the critical date for jurisdiction, the situations or
facts giving rise to the dispute appear to have occurred before that date.
That was exactly the situation in the Phosphates in Moroccocase, where
the Permanent Court addressed the possibility that acts "accomplished
after the crucial date", when "taken in conjunction with earlier acts to
which they are closely linked, constitute as a whole a single, continuing

and progressive illegal act which was not fully accomplished until after
the crucial date" (Phosphates in Morocco, Judgment, 1938, P.C. IJ.,
Series AIB, No. 74, p. 23). Equally, there exists the possibility that acts
carried out prior to the crucial date "nevertheless gave rise to a perma-
nent situation inconsistent with international law which has continued to
exist after thesaid date" (ibid). This latter eventuality is indeed reflected
in the International Law Commission's Draft Article 25 on State Respon-
sibility (Yearbook of the International Law Commission, Vol. II, Part II,
p. 80).

5. It is not the Court alone which has had to formulate jurisprudence
on the concept of "continuing events": so has the European Court of
Human Rights (see Yagciand Sargin v.Turkey, European Human Rights
Reports, 1995, p. 505); and so also has the Human Rights Committee
(see Guye et al.v. France, No. 19611985,3 April 1989,35th Session); and
Siminek v. The Czech Republic(No. 51611992,3 1July 1995,54th Session).

6. The Court gave its own answers to this issue in Phosphates in
Morocco. It explained that the problem of whether there were "continu-
ing events" that gave rise to a cause of action after the crucial date must
be examined in the particular context of each case. But two factors
always have to be borne in mind: the first is that

"it is necessary always to bear in mind the will of the State which
only accepted the compulsory jurisdiction within specified limits,

and consequently only intended to submit to that jurisdiction dis-
putes having actuaily arisen from situations or facts subsequent to
its acceptance" (Phosphates in Morocco, Judgment, 1938, P.C.I.J.,
Series AIB, No. 74, p. 24).
And second, it was necessary to see if the facts were merely a neces-
sary and logical consequence of earlier ones which were barred from
scrutiny by the temporal reservation. On the particular facts of the
Phosphates case, the Court found that the cited facts and situations
could not be viewed as "a final step and crowning point" of the
earlier events (ibid., p. 26) nor did they "alter the situation which had LICÉITÉ DE L'EMPLOI DE LA FORCE (OP.IND.HIGGINS) 867

miner la portée ratione temporis de la juridiction de la Cour, pour la rai-
son que j'expose au paragraphe 1 ci-dessus.
4. Il peut évidemmentarriver que, mêmesi le différenda manifeste-
ment surgi postérieurement a la date critique pour l'attribution de la
compétence, les situations ou les faits qui sont à l'origine du différend

paraissent être antérieursa cette date. Ce fut là exactement la situation
dans l'affaire desPhosphates du Maroc ou la Cour permanente a analysé
la possibilitéque des actes ((accomplis après la date critique)), lorsqu'ils
sont «mis en rapport avec des faits antérieurs auxquels ils sont intime-
ment unis ...constituent dans leur ensemble un seul fait illicite continu et
progressif, qui n'est arrivé à sa perfection qu'après la date critique»
(Phosphutes du Maroc, arrêt. 1938, C.P.J.I.série AIB no 74,p. 23). De
même,il est possible que certains faits, bien que réalisés à une époque
antérieure à la date critique «donne[nt] naissanceà une situation perma-
nente contraire au droit international ... qui s'est prolongée au-delà de
cettedate)) (ibid). D'ailleurs, la Commission du droit international tient
compte de cette dernière éventualitédans son projet d'article 25 sur la
responsabilitédes Etats (Annuaire de lu Commission du droit internatio-
nal,vol. II, deuxièmepartie, p. 101).

5. La Cour n'est pas seule àavoir dû constituer une jurisprudence sur
la notion d'«événementcontinu)) ou de ((fait ayant un caractère de conti-
nuité)):la Cour européenne des droits de l'homme a dû en faire autant
(voir l'affaireYagci et Sargin c. Turquie, Recueil de jurisprudence dela
Cour européennedes droits de l'homme, 1995, p. 505); et le Comitédes
droits de l'homme a également dû en faire autant (voir Guye et al.
c. France,communication no 19611 985, 3 avril 1989,trente-cinquième ses-
sion); et Sinzinek c. la République tchèque(communication no 51611 992,
31juillet 1995,cinquante-quatrième session).
6. La Cour a donnéses propres réponses à cette question dans l'affaire
des Phosphatesdu Muroc. Ellea expliqué qu'ilfaut examiner dans le cadre
particulier de chaque affaire leroblème de savoir s'il existe des ((événe-
ments continus)) qui sont àl'origine de l'action intentée postérieuremeàt
la date critique. Mais il y a deux élémenta nejamais oublier. Le premier

est que:
«il faut toutefois garder toujours présente à l'esprit la volonté de
1'Etat qui, n'ayant acceptéla juridiction obligatoire que dans cer-
taines limites,«n'a entendu y soumettre que les seuls différends
qui sont réellementnésde situations ou de faits postérieurs à son
acceptation» (Plzosphutesdu Muroc, arrêt, 1938, C.P.J.1.sérieAIB
no 74,p. 24).

Et le second élément est qu'ilfaut voir si les faits sont simplement une
conséquence nécessaire et logique defaitsantérieursque la réserved'ordre
temporel a empêchéd'examiner. S'agissant des faits particuliers de
I'affaire desPhosphates du Maroc, la Cour a estiméque les faits et les
situations invoquées nepouvaient pas êtreconsidéréscomme «le terme
final et le couronnement)) des événementsantérieurs (ibid., p. 26) et qu'ilsalready been established" (P.C.I.J., Series AIB, No. 74, p. 27). Nor
could they be separated from those that had arisen before the crucial
date.

7. That this particular jurisdictional problem, as any other, requires
close attention to be given to the intention of the State issuing its declara-

tion with limitations or reservations was stated by the Permanent Court
in the Plzosphates in Morocco case and recently affirmed by this Court in
the case of Fisherirs Jurisdiction (Spain v. Cunada), Jurisdiction of'the
Court, Judgment (1.C.J. Reports 1998, p. 454, para. 49). It is striking that
the Federal Republic of Yugoslavia did not advance arguments before
the Court suggesting eithercontinuing events or a continuing dispute (the
latter not having been an issue in Phosphates in Morocco). It squarely

based itself on a dispute it perceived as arising, and situations and facts
that it perceived as occurring, after the crucial date of5 April. It did not
wish any dispute there may have been between itself and the United
Kingdom prior to 25 April to be subject to the Court's jurisdiction, nor
any situations and facts relating to such dispute; which element may be
thought to have been covered by the first part of paragraph 1 (iii) of the
United Kingdom's own declaration. That was the intention of the Fed-

eral Republic of Yugoslavia and it was clear. But within that intent there
was also a hope - the hope that there could be identified a dispute that
arose only after 25 April. Certainly there were events, occurring after
25 April, that were the subject of the Federal Republic of Yugoslavia's
cornplaint (though these were not specified by date or in any detail). But
the Court has not been able to see a dispute arising only after 25 April.
The claim that aerial bombing by NATO, and NATO States, was illegal,

was made in the Security Council on 24 March and 26 March, and rebut-
ted there. The conditions specified in the Muvrommatis case (Muilrom-
niutis Palestine Concessions, Juclgment No. 2, 1924, P.C.I.J., Scries A,
No. 2) for the existence of a dispute were thus met at that time.

8. No doubt the continuation of the bombing and the targets hit after
25 April has aggravated and intensified the dispute. But every aerial bom-
bardment subsequent to 25 April does not constitute a new dispute. In
short, there are situations and facts occurring subsequent to the crucial
date, but there is not at the present time a dispute urixing subsequent to

that date. In effectively realizing the intention (which the Court must
respect) of its declaration, the Federal Republic of Yugoslavia was not
able also to realize its hope. Its declaration accordingly fails to invest the
Court with jurisdiction. LICÉITE DE L'EMPLOI DE LA FORCE (OP.IND.HIGGINS) 868

ne «modifi[aient] aucunement l'étatde choses créé à cet égard» par les évé-
nements antérieurs (C.P.J.I. sérieAIB no 74, p.27). Il n'était pasnon plus
possible de séparerles faits et les situations invoquésde ceux qui étaient
antérieurs à la date critique.
7. La Cour permanente a donc déclarédans l'affaire des Plîosplzutesdu
Muror que ce problème particulier de compétence impose, comme
n'importe quel autre problème dans ce domaine, de considérer avecsoin

l'intention de 1'Etatqui assortit sa déclaration d'acceptation de la juridic-
tion de la Cour de certaines limitations ou réserveset la Cour actuelle l'a
récemment affirmé aussidans l'affaire de la Compétenc,een mutiérede
pêc3heric.(sEspugne c. Cunudu), compPtence delu Cour, urrst, (C.I.J.
Recueil 1998, p. 454, par. 49). Il est étonnant que la Yougoslavie n'ait pas
plaidédevant la Cour soit le caractère continu de certains événements, soit

le caractère continu du différend (ce dernier point n'ayant pas fait pro-
blèmedans l'affaire des Pllosphutes du Muroc). La Yougoslavie s'est fer-
mement appuyée sur un différend perçu comme ayant surgi et sur des
situations et des faits perçus comme s'étant produits après la date critique
du 25 avril. L,aYougoslavie ne voulait pas que tout différendqui aurait pu
exister entre elle-même etle Royaume-Uni antérieurement au 25 avril
relève de la compétence de la Cour, non plus que certaines situations et

certains faits en rapport avec ce différend, élémentsusceptibles d'êtrecou-
verts par les dispositicms de la première partie de l'alinéaiii) de l'arti1le
de la déclarationdu Royaume-Uni. C'était là l'intention de la Yougoslavie
et cette intention était claire. Mais cette intention renfermait aussi un
espoir - l'espoir qu'il serait possible d'établir l'existence d'un différend
qui n'aurait surgi que postc;rieuren~cntau 25 avril. Certes, il s'est produit
postérieurement au 25 avril des événements quifont bien l'objet de la

plainte de la Yougoslavie (encore que cesévénements n'aient pas étédéfinis
par leur date ni par des détails). Mais la Cour n'a pas été en mesurede
constater la présencecl'undifférendqui n'aurait surgi que postérieurement
au 25 avril. La plainte suivant laquelle les bombardements aériens de
l'OTAN et des Etats membres de l'OTAN étaientillicitesa étéformuléeau
Conseil de sécuritéles 24 et 26 mars et a étérécuséeau Conseil. Les condi-
tions à réunir pour qu'existe un différend telles qu'elles ont étédéfinies

dans l'affaire~uvrommutis (Concessions Muilrommatis en Palestine, arrêt
no2. 1924, C:P.J.I. skrieA no2) ont donc été réunieà s ce moment-là.
8. Incontestablement, la poursuite des bombardements et les frappes
atteignant leurs objectifs postérieurement au 25 avril ont aggravé et
intensifié le différend. Mais chacun des bombardements aériens posté-
rieurs au 25 avril ne constitue pas un différend nouveau. En résumé,il y

a des situations et des faits qui se produisent postérieurement à la date
critique, mais il n'existe pas actuellement de différend en train de surgir
postérieurement à cette date. Tout en concrétisant bien l'intention mise
dans sa déclaration d'acceptation (intention que la Cour se doit de res-
pecter). la République fédéralede Yougoslavie n'a pas étéen mesure de
concrétiser en outre l'espoir qu'elle y mettait aussi. En conséquence, sa
déclaration ne donne pas compétence à la Cour. 9. Of course, in thePhosphates in Morocco case the Court was address-
ing temporal limits at the phase of preliminary objections. But because
the Court must be satisfied that it has jurisdiction, at least prima facie,
before consideringwhether the conditions of Article 41 of the Statute are
met for the indication of interim measures of protection, the question
must be dealt with here at this stage, albeit on a provisional basis.

10. Complex issues arise for the Court in satisfying itself that it has a
jurisdiction at least sufficient toonsider indicating provisional measures
under Article 41 of the Statute.

I1. Minimal guidance is provided in the Statute and in the Rules of
Court as to legal requirements relating to the indication of provisional
measures. Article 41 of the Statute merely provides that the Court "shall
have the power to indicate, if it considers that circumstances so require,
any provisional measures which ought to be taken to preserve the respec-
tive rights of either party". This shows both the function of interim meas-
ures and the fact that the Court has a discretion as to their indication -

but nothing else. The Rules of Procedure in their successiveversions have
provided little guidance on the application of Article 41 of the Statute,
with those of 1936and 1978 reflectingthe most significant developments
in the practice (for details, see Guyomar, Commentaire du Règlement de
la Cour Internationale de Justice, 2nd ed.). It has been through the case
law of the Court that the many different legal elements relating to pro-
visional measures have evolved (no interim judgment to be given: case
concerning the Fuctory ut Chorzoiv, P.C.I.J., Series A, No. 12; nexus
between rights to be protected and the measures sought: Lcgul Status of
the South-Eustern Territory of Greenland, P.C.I.J., Series AIB, No. 48;
Polish Agrariun Reform and Gcrman Minouity, P.C.1.J., Series AIB,
No. 58; meaning of the protection of the rights of the parties; the ques-

tion of extension and aggravation of the dispute: Electricity Company of
Soja and Bulgaria, P.C.1.J.,Series AIB, No. 79).

12. It is equally through its case law that the Court has had to address
the jurisdictional problems that arise when a request for the indication of
provisional measures is made before the Court has definitively estab-
lished its jurisdiction in a case.
13. In the Anglo-lranian Oil Co. case, the Court stated that, because
"it cannot be accepted a priori" that the claim "falls completely outside
the scope of international jurisdiction" the Court could entertain the

request for interim measures of protection (Interim Protection, Order of
5 July 1951, I.C.J. Reports 1951, p. 93). At the same time, the Court
noted that the indication of such measures "in no way prejudges the
question of the jurisdiction of the Court to deal with the merits of the
case and leaves unaffected the right of the Respondent to submit argu-
ments against such jurisdiction" (ibid ). LICEITÉ DE L'EMPLOI DE LA FORCE (OP.IND.HIGGINS) 869

9. Certes, dans l'affaire desPhosphates du Maroc, la Cour examinait
les limitations d'ordre temporel de la déclaration d'acceptation au stade
des exceptions préliminaires. Mais la Cour devant s'assurer qu'elle est
compétente,tout au moins primafacie, avant d'examiner si lesconditions
prescritesà l'article 41 du Statut pour I'indication de mesures conserva-
toires sont bien réunies,il faut en l'espècetraiter la questionce stade-ci,
a titre provisoire toutefois.
10. Des questions complexes se posent à la Cour quand elle veut
s'assurer qu'elle est compétente, ne serait-ce qu'assez compétente pour

envisager d'indiquer des mesures conservatoires conformément à l'ar-
ticle 41 du Statut.
11. Le Statut et le lièglement de la Cour ne donnent qu'un minimum
d'indications quant aux conditions d'ordre juridique qui président à la
prescription de mesures conservatoires. L'article 41 du Statut stipule
simplement que la Cour «a le pouvoir d'indiquer, si elle estime que les
circonstances l'exigent, quelles mesures conservatoires du droit de cha-
cun doivent être prises à titre provisoire)). Cela dit quel est le rôle des
mesures conservatoires et cela dit aussi que la Cour jouit d'une certaine
latitude auant ë I'indication de telles mesures - mais cela ne dit rien
d'autre. Le Règlement, dans ses versions successives, ne fournit pas
beaucoup d'élémentsutiles sur l'application de l'article 41 du Statut, les
versions de 1936 et de 1978 montrant a cet égard les points les plus

importants de l'évolution de la pratique (pour avoir des détails, voir
Guyomar, Commentaire du RRPglementdelu Cour internationale de Jus-
tice, 2c éd.).C'est à travers la jurisprudence de la Cour que les nom-
breux éléments différentsd'ordre juridique concernant les mesures
conservatoires ont évolué(il ne faut pas rendre d'arrêt provisoire:
affaire de I'iJsine de Chorzow, C.P.J.I. sérieA no 12; le lien entre les
droits à protéger et les mesures demandées: Statut juridique du terri-
toire du sud-est du Grcîënland, C.P.J. l. sérieAIB no48; Réjormeagraire
polonaise et minorité allemande, C.P.J.I. sérieAIB no 58; signijication
de lu protection des droits de chacun; question de l'extension et de
l'aggravation du différend: Compagnie d'4lectricitt. de Sofia et de Bul-
garie, C.P.J.l. sérieAIB no 79).
12. C'est égalementpar sa pratique que la Cour a dû examiner les pro-

blèmesdejuridiction qui se posent quand elleest saisied'une demande en
indication de mesures conservatoires avant d'avoir établidéfinitivement
qu'elle estcompétentepour connaître de l'affaire.
13. Dans l'affaire deI'Anglo-lranian Oil Co., la Cour a dit que, parce
qu'con ne saurait admettre apriori)) qu'une demande «échappe complè-
tement a la juridiction internationale)), la Cour pouvait examiner la
demande en indication de mesures conservatoires (mesures conservu-
foires, ordontzancedu S juillet 1951, C.I.J. Recueil 1951, p. 93). En même
temps, la Cour a considéré que l'indication detelles mesures «ne préjuge
en rien la compétence de la Cour pour connaître du fond de l'affaire et
laisse intact le droit du défendeur de fairevaloir ses moyensàl'effetde la
contester)) (ibid).870 LEGALlTY OF USE OF FORCE (SEP. OP. HIGGINS)

14. This latter statement of the consequences for subsequent phases of
an Order for interim measures has remained essentially unchanged over
the years. However, the jurisdictional prerequisites for the issuance of
interim measures of protection have undergone important developments
in thejurisprudence. Indeed, the debate had already been heavilyengaged
within the Anglo-lraniun Oil Co. case itself. In their dissenting opinions,
Judges Winiarski and Badawi Pasha viewed the Court as finding that it
was competent to indicate interim measures of protection "if prima facie

the total lack of jurisdiction of the Court is not patent, that is. . there
is a possibility, however remote, that the Court may be competent"
(1.C.J. Reports 1951, p. 97). But observing that interim measures of pro-
tection were in international law even more exceptional than in municipal
law, as they were "a scarcely tolerable interference in the affairs of aov-
ereign State", they ought not to be indicated unless the Court's jurisdic-
tion was "reasonably probable".

15. In Fisheries Jurisdiction (United Kingdom v. Iceland), the Court
refined the formula, stating that when considering a request for the indi-

cation of provisional measures, it had no need "finally to satisfy itself
that it has jurisdiction on the merits of the case, yet it ought not to act
under Article 41 of the Statute if the absence ofjurisdiction on the merits
is manifest" (Interim Protection, Order of17 August 1972, 1.C.J. Reports
1972, p. 15).
16. In the Nuclear Tests case (1973), France insisted that the Court
was "manifestly not competent in the case". The Court, departing in part
from the formula it had used the year before in the Fisheries Jurisdiction
case, stated that it "need not . . finally satisfy itself that it has jurisdic-
tion on the merits of the case", but that it ought not to indicate provi-
sional measures "unless the provisions invoked by the Applicant appear,

prima facie, to afford a basis on which thejurisdiction of the Court might
be founded" (Nuclear Tests (Austruliu V. France), Interim Protection,
Order of22 June 1973, I.C.J. Reports 1973, p. 101).In none of the next
three provisional measures cases (Trial of Pakistani Prisoners of War,
Order of 13 July 1973, I.C.J. Reports 1993, p. 328; Aegean Seu Conti-
nental ShelJ Order of Il September 1976, I.C.J. Reports 1976, p. 3;
United States Diplornatic and Consulur Stajf in Tehran, Order of
17 December 1979, 1.C. J. Reports 1979, p. 7) was the question of juris-
diction the main basis for the order.

17. In Militury und Puramilitary Activities in and aguinst Nicaragua,
Provisional Measures (Order of 10 May 1984, I.C.J. Reports 1984,
p. 179)the Court came back to the issue, repeating the exact formula of
the Nuclear Tests case. That formula is now firmly established (Arbitrul
Aivard of 31 July 1989, Provisional Meusures, Order of 2 March 1990.
1.C.J. Reports 1990, pp. 68-69; Passage through thr Great Belt (Finland 14. Cette dernière déclaration de principe relative aux conséquences
d'une ordonnance wrescrivant des mesures conservatoires vour la suitede
la procédure est restée pratiquement inchangée avec le temps. En re-
vanche, les préalables d'ordre juridictionnel autorisant à prescrire des
mesures conservatoires ont beaucoup évoluédans la jurisprudence de la
Cour. Au reste, le débats'étaitd'ores et déjà activement engagé avec l'af-
faire de 1'Anglo-lranian Oil Co. elle-même.Dans leur opinion dissidente

commune, les juges Winiarski et Badawi Pasha constatent que la Cour
estime pouvoir indiquer des mesures conservatoires «si primu fucie l'in-
compétence totale n'est pas évidente, donc s'il existe une possibilité, si
faible soit-elle, de compétence pour la Cour)) (C.I.J. Recueil 1951,
p. 97). Mais les mêmesauteurs font observer qu'en droit international,
ces mesures ont un caractère exceptionnel à un plus haut degréencore
qu'en droit interne car elles représentent<uneingérence à peine tolérable
dans les affaires d'un Etat souverain)), de sorte qu'il ne faut pas indiquer
de telles mesures sauf si la compétence de la Cour est ((raisonnablement
probable ».
15. Dans l'affaire dela Compétenceen matière de pêcheries(Royaume-
Uni c. Islunde), la Cour a affiné la formule,déclarant que, lorsqu'elle est

saisie d'une demande en indication de mesures conservatoires, elle n'a pas
besoin «de s'assurer de manière concluante de sa compétence quant au
fond de l'afpaire, mais..ne doit cependant pas appliquer l'article 41 du
Statut lorsque son incompétenceau fond est manifeste)) (mesures conser-
vatoires, ordonnance du 17 août 1972, C.I.J. Recueil 1972, p. 15).
16. Dans l'affaire des Essais nuclt.uires (1973), la France a dit avec
fermeté que la Cour était manifestement ((incompétente en l'espèce)).
S'écartant légèrementde la formule qu'elle avait employée l'annéepré-
cédentedans l'affaire de la Compétenceen matière de pêcheries, la Cour
a dit alors au'elle «n'a vas besoin...de s'assurer de facon concluante de
sa compétencequant au fond de l'affaire)), mais qu'elle nedoit pas indi-

querde telles mesures «si les dispositions invoquées par le demandeur ne
se présentent pas comme constituant, prima fucie, une base sur laquelle
la compétence de la Cour pourrait êtrefondée)) (Essais nucléuires (Aus-
trulir c. Frunce). mesures conservatoires,or~ionnancedu 22juin 1973, C.I.J.
Recueil 1973., .. 101).Dans aucune des trois affaires de mesures conser-
vatoires qui ont suivi(Procès de prisonniers de guerre pukistanuis, ordon-
nnnce du 13juillet 1973, C.I.J. Recueil 1973, p. 328; Pluteau continental
de IL m(er Egée,ordonnance du Il sep~emhrc 1976, C.1.J. Reczreil 1976,
p. 3; Personnel diplomutiyue et consulaire des Etuts- Unis à Téhérun,
ordonnance du 15 dkcemhre 1979. C.I.J. Recueil 1979, p. 7), la question
de la compétence n'a constitué le principal fondement de l'ordonnance.
17. Dans l'affaire des Activités milituires et paramilituires au Nicura-

guu et contre celui-ci, mesures conservatoires, (ordonnunce du 10 nzui
1984, C.I.J. Recueil 1984, p. 179) la Cour est revenue sur la question,
reprenant exactement la formule qu'elle avait employéedans l'affaire des
Ess~~isnucléizires.Cette formule est désormais solidement établie (Sen-
tence arbitrule du 31 diuillet1989, nzesures conservutoires, ordonnunce duv. Denmark), Provisional Measures, Orderof29 July 1991,I.C.J. Reports
1991, p. 17;Application of the Convention on the Prevention and Punish-
ment of the Crime of Genocide, Provisional Meusures, Order of 8 April
1993, 1.C.J. Reports 1993, p. 11, and Order of 13 September 1993, ibid.,
pp. 16-17 ;Land and Maritime Boundary between Cameroon and Nigeria,
Provisional Measures, Order of 15March 1996, 1.C.J. Reports 1996 (I),
p. 12; Vienna Convention on Consular Relations (Paraguay v. United
States of America), Provisional Measures, Order of 9 Ayril 1998, I.C.J.
Reports 1998, p. 255, para. 23; and LaGrand, Provisional Measures,
Order of 3 March 1999, I.C.J. Reports 1999, p. 13,para. 13).

18. Thus a party seeking the indication of provisional measures must
show a prima facie basis upon which the Court's jurisdiction in the case
might be founded. That being said, several questions (which have a par-
ticular relevance in the present case) remain. What is sufficient to show

the required "prima facie" basis forjurisdiction? And what jurisdictional
matters will the Court look at, as necessary for this purpose, at the pro-
visional measures stage, and what will it reserve for any further hearings
on jurisdiction?

19. It is the practice of the Court that weighty and complex arguments
relating to itsjurisdiction will notsually be addressed at the provisional
measures phase but rather will be regarded as appropriate for resolution
only at the preliminary objections phase. The Co-Agent of the Swiss
Government in the Interhandel case suggested that the Court would not
wish, at the interim measures phase, to adjudicate "upon so complex and
delicate a question as the validity of the American reservation" (Inter-
handrl, Interim Protection, Order of 24 Octobrr 1957, I.C.J. Reports
1957, p. 111). The Court, there being able to base its refusal to indicate
provisional measures on other grounds, gave no answer to this question.
In the Nuclear Tests case of 1973,Australia advanced detailed arguments
alleging the continued validity and applicability of the General Act of

1928as a separate basis for jurisdiction. Without distinguishing the Gen-
eral Act from Article 36 of the Statute, the Court satisfied itself with say-
ing that "the provisions invoked by the Applicant appear, prima facie, to
afford a basis on which the jurisdiction of the Court might be founded"
(Nuclear Tests (Austrulia v. France), Interim Protection, Order of
22 June 1973, I.C.J. Reports 1973. p. 102).

20. In the Military and Paramilitary Activities in and against Nicara-
gua case (1984), the Court was faced, at the provisional measures stage,
with very complicated arguments relating both to the legal effect of the
United States declaration of 6 April 1984and to the apparent failure of
Nicaragua to have deposited an instrument of ratification of the protocol2 murs 1990, C.I.J. Recueil 1990, p. 68-69; Passage par le Grand-Belt
(Finlande c. Danemark), mesures conservatoires, ordonnancedu29juillet
1991, C.I.J Recueil 1991, p. 17)Application de la convention pour lapré-
vention et la répressiondu crime de génocide, mesures conservatoires,
ordonnance du 8 avril 1993, C.I.J. Recueil 1993, p. 11,et ordonnance du
13septembre 1993, ibid., p. 16-17; Frontièreterrestre et maritime entre le
Cameroun et le Nigéria, mesuresconservatoires, ordonnance du 15 murs
1996. C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 12; Convention de Vienne sur les relu-
tions consulaires (Paraguay c. Ëtats-unis d'Amérique), mesures conser-

vatoires, ordonnance du 9 avril 1998, C.I.J. Recueil 1998, p. 255, par. ;3
et Lc~Grand,mesures c~onservatoires,ordonnance du 3 murs 1999, C.1.J.
Recueil 1999, p. 13,par. 13).
18. Donc, quand l'une des parties présenteune demande en indication
de mesures conservatoires, elle doit montrer qu'il existeprima facie une
base sur laquelle la compétencede la Cour pourrait êtrefondée. Celadit,
il se pose encore plusieurs questions(qui intéressenttout particulièrement
la présenteespèce). Qu'est-cequi suffità montrer l'existencede la base de
compétence prima facie dont on a besoin? Et quelles questions juridic-
tionnelles la Cour va-t-elle examiner au stade des mesures conservatoires
parce qu'ellessont indispensables pour fonder la compétence primafacie,
et quelles questionsd'ordre juridictionnel va-t-elle réserver,lecas échéant,
à un examen ultérieursur la compétence?
19. Dans sa pratique, la Cour n'examine habituellement pas au stade

des mesures conservatoires les fortes raisons et les thèsescomplexes qui
lui sont présentéesau sujet de sa compétence,elle attend plutôt pour sta-
tuer à cet égard la phase des exceptions préliminaires.Dans l'affaire de
l'lntr~rhandel,le coagent du Gouvernement suisse a émisl'idéeque, au
stade des mesures conservatoires, la Cour ne voudrait pas se prononcer
«sur une question aussi complexe et délicateque la validitéde la réserve
américaine)) (Interhandel, mesures conserllatoires, ordonnance du 24 oc-
tobre 1957, C:I.J Recueil 1957, p. 111).La Cour, qui pouvait en l'espèce
faire appelà d'autres inotifs pour refuser d'indiquer des mesures conser-
vatoires, n'a pas répondu à cette question. Dans l'affaire des Essais
nuc1r;airesde 1973, l'Australie a présentéune argumentation détaillée,
alléguantque l'Actegénéralde 1928était encoreen vigueur et applicable,
constituant ainsi un fondement de compétenceindépendant. Sans faire

de distinction entre l'Acte généralet l'article 36 du Statut, la Cour a
conclu que «les dispositions invoquéespar le demandeur se présent[ai]ent
comme constituant, prima jacie, une base sur laquelle la compétencede
la Cour pourrait être fondée))(Essais nucléaires(Australie c. France),
mesures conservutoire.~,ordonnance du 22juin 1973, C.1.J. Recueil 1973,
p. 102).
20. Dans l'affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicara-
gua et contre celui-ci (1984), la Cour s'est trouvée,au stade des mesures
conservatoires, face à des thèses extrêmement complexesportant sur
l'effetjuridique de la déclaration d'acceptation de la juridiction obliga-
toire de la Cour faite le avril 1984par les Etats-Unis, d'une part, et, deto bring its adherence to the Statute of the Permanent Court of Interna-

tional Justice into effect. The Court briefly recounted the legal problems
associated with each of these provisions and stated that it:

"will not now make any final determination of the question of the
present validity or invalidity of the declaration of 24 September
1929, and the question whether or not Nicaragua accordingly was
or was not, for the purpose of Article 36, paragraph 2, of the Stat-
ute of the Court a 'State accepting the same obligation' as the
United States of America at the date of filing of the Application, so

as to be able to rely on the United States declaration of 26 August
1946, nor of the question whether, as a result of the declaration of
6 April 1984, the present Application is excluded from the scope of
the acceptance by the United States of the compulsory jurisdiction
of the Court . . ." (Oru'rr of' 10 Muy 1984, I.C.J. Reports 1984,
p. 180).

The Court satisfied itself with saying that "the two declarations do
nevertheless appear to afford a basis on which the jurisdiction of the
Court might be founded" (ibid.).

21. In the present case the Court has also not made any final determi-
nation upon the question of the Federal Republic of Yugoslavia's status
or otherwise as a Member of the United Nations and thus as a party to
the Statute having the right to make a declaration under Article 36, para-
graph 2, thereof. This is clearly a matter of the greatest complexity and
importance and was, understandably, not the subject of comprehensive
and systematic submissions in the recent oral hearings on provisional

measures.

22. Of course, just as with the question of Nicaragua's ratification of
its adherence to the Statute of the Permanent Court in the Militury und
Puramilitury Actiilities in und uguinst Nicuruguu case, it might be thought
that the status of the Federal Republic of Yugoslavia was a necessary
"préalable" to everything else. But when dealing with provisional meas-

ures the Court is faced with unavoidable tensions between the demands
of logic and the inability to determine with finality when operating under
urgency in response to a request for provisional measures. The opera-
tional principle is that matters of deep complexity will if possible be left
to one side in determining the prima facie jurisdiction of the Court for
purposes of Article 41.

23. In the Nucleur Tests cases and in the Militury und Puramilitury
Activities case, the Court equally held over certain arguments relating to
declarations under the Statute. By contrast, the Court in this case has
addressed, for purposes of provisional measures, both the terms of the
declarations of the Federal Republic of Yugoslavia and the United King- l'autre, sur le fait qu'apparemment le Nicaragua n'avait pas déposéd'ins-
trument de ratification du protocole pour rendre effective son adhésion

au Statut de la Cour permanente de Justice internationale. La Cour a
rapidement fait le point des problèmes d'ordre juridique liésà chacune de
ces dispositions et elle a considéré qu'elle:
«n'entend[ait] pas se prononcer définitivement pour l'instant sur la

question de savoir si la déclaration du 24 septembre 1929est valable
ou non et si en conséquence le Nicaragua est ou n'est pas, aux
fins de l'article 36, paragraphe 2, du Statut de la Cour, un «Etat
acceptant la mêmeobligation)) que les Etats-Unis d'Amérique à la
date du dépôt de la requête,de manière à pouvoir se prévaloir de la
déclaration américaine du 26 août 1946, ni sur celle de savoir si, du
fait de la déclaration du 6 avril 1984,la présente requête n'entreplus

dans le cadre de l'acceptation par les Etats-Unis de la juridiction
obligatoire de la Cour ... » (ordonnunce du 10 mui 1984, C.I.J.
Recueil 1984, p. 180).

La Cour s'est contentée de dire: cles deux déclarations paraissent cons-
tituer néanmoins une base sur laquelle la compétence de la Cour pourrait
être fondée» (ihid. 1.
21. Dans 1; espèce, la Cour ne s'est pas non plus prononcée
définitivement sur la question de savoir si la République fédéralede You-
goslavie était toujours ou non Membre des Nations Unies et, dans I'affir-
mative, partie ce titre au Statut ayant le droit de faire une déclaration

en vertu de l'article 36,paragraphe 2, dudit Statut. Il s'agit la d'une ques-
tion extrêmement complexe et importante et ilest compréhensible qu'elle
n'ait pas fait l'objet d'exposés approfondis et systématiques lors de la
procédure orale récente portant sur l'indication de mesures conserva-
toires.
22. Bien sûr, tout comme il en fut pour la question de la ratification
par le Nicaragua de son adhésion au Statut de la Cour permanente dans
l'affaire des Activitis militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre

celui-ci,on peut penser qu'en l'espèce,le statut de la République fédérale
de Yougoslavie constituait un préalable indispensable à tout le reste.
Mais. ,a.and elle se ~enche sur une demande en indication de mesures
conservatoires, la Cour est aux prises avec d'inévitables tensions entre les
exigences de la logique et l'impossibilitéoù elle se trouve de se prononcer
à titre définitifquand elle est en proie à l'urgence. Pour pouvoir agir, le
principe qu'elle adopte est que les questions d'une grande complexité

seront, s'il est possible, laisséesde côtéquand elle établit si elle a pritna
jacie compétence aux fins de l'article 41 de son Statut.
23. Dans les affaires des Essais nucléaires et dans celle des Activitis
milituires ef paramilitaires, la Cour a, chaque fois, laisséde mêmeen sus-
pens certaines thèsesconcernant les déclarations faites en vertu du Statut.
Par opposition, dans la présente espèce,la Cour, aux fins de l'indication
de mesures conservatoires, a examiné le texte même desdéclarations dedom and the interaction of the declarations of the Federal Republic of
Yugoslavia and the United Kingdom.

24. The prima facie test of jurisdiction does not make it sufficient
merely to note the very existence of two declarations at this stage.This is
not to be deduced from the statement of the Court in the Cameroon
v. Nigeria provisional measures case that "the declarations made by the
Parties in accordance with Article 36, paragraph 2, of the Statute con-
stitute a prima facie basis upon which its jurisdiction in the present
case might be founded" (I.C.J. Reports 1996 (I), p. 21, para. 31). The
Nigerian request for a reconsideration of the rule in the Rights of
Passage case, as it bore on the interpretation of its own declaration,

clearly fell into that category of complex and weighty objections to juris-
diction that had to be deferred for proper consideration until the prelimi-
nary objections phase. In that particular light (and because the Rights
of Passuge principle was well established in the Court's case law), the
declarations would in the meantime be treated as establishing prima facie
jurisdiction.

25. The same guiding principles apply to treaties said to provide a
basis for the Court's jurisdiction. Thus the several complicated argu-
ments that had been advanced in connection with Article IX of the Geno-
cide Convention were not addressed in the provisional measures phase of
the Genocide case of 1993; and it was against that background that the
Court said that Article IX of the Convention appeared to "afford a basis

on which the jurisdiction of the Court might be founded" (Applicationof
the Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of Geno-
cide, Provisional Measures, Order of 8 April 1993, I.C.J. Reports 1993,
p. 16; and Order of 13 September 1993, I.C.J. Reports 1993. p. 342).

26. But it should not be thought that mere invocation of a jurisdic-
tional clause, with nothing more, sufficesto establish a prima facie basis
of the Court's jurisdiction. It cannot be otherwise, because the jurisdic-
tion of the Court - even if one might regret this state of affairs as we
approach the twenty-first century - is based on consent. And consent to
jurisdiction cannot be established, even prima facie, when it is clear from
the terms of the declarations themselves-that the necessary consent is not
prima facie present, or simply is not present, simpliciter. As Sir Hersch
Lauterpacht put it in his separate opinion in the Interhandel case, the test

of jurisdiction of the Court prima facie is met if, in the relevant instru-
ments, there are "no reservations obviously excluding its jurisdiction"
(I.C.J. Reports 1957, pp. 118-119).Reservations relevant for this purpose
are both those in a State's own declaration and those that it may rely on
reciprocally.la République fédéralede Yougoslavie et du Royaume-Uni ainsi que
l'interaction de cesdeux déclarations dela Républiquefédérale de Yougo-
slavie et du Royaume-Uni.

24. Le critère de la compétence prima facie ne permet pas de se
contenter de prendre acte de l'existencede deux déclarations a ce stade.
Ce n'est pas ce qu'il faut déduire del'extrait de l'ordonnance que la Cour
rend au stade des mesures conservatoires dans I'affaire Cameroun c. Nigé-
ria, quand elle dit que «les déclarations faites par les Parties conformé-
ment au paragraphe 2 de l'article 36 de son Statut constitue prima facie
une base sur laquelle sa compétence pourrait être fondéeen l'espèce»
(C.I.J. Recueil 1996 (Il, p. 21, par. 31). Le Nigéria souhaitait voir la
Cour revenir sur la règlede I'affaire du Droit de passage, parce que cela
avait une incidence sur l'interprétationà donner à sa propre déclaration,

mais cette demande relevait manifestement de cette catégorie d'excep-
tions à la compétencefort complexes et lourdes de conséquences dont il
fallait différertout examen véritablejusqu'au stade des exceptions préli-
minaires. Adoptant cette optique particulière, (et aussi parce que le prin-
cipe de l'affaire duDroit de passage étaitsolidement ancrédans sa juris-
prudence), la Cour a décidéde traiter entre-temps les déclarations en
question comme lui donnant compétence prima jàcie.
25. Les mêmes principesdirecteurs s'appliquent aux traitéscensésfon-
der la juridiction de la Cour. C'est pourquoi plusieurs thèses complexes
présentéesau sujet de l'article IX de la convention sur le génociden'ont

pas étéexaminéesau stade des mesures conservatoires lors des affairesde
1993relatives à l'Application deh convention sur le génocide; et c'est sur
cette toile de fond que la Cour a dit alorsque l'article IXde la convention
semblait ccconstituer une base sur laquelle la compétence de la Cour
pourrait être fondée» (Applicationde la convention pour la prévention et
lu répressiondu crime de génocide, mesures conservatoires, ordonnance
du 8 uvril1993, C.1.J. Recueil 1993, p. 16,et ordonnance du 13 septembre
1993, ibid, p. 342).
26. Mais il ne faudrait pas penser pour autant qu'il suffit d'invoquer

une clause juridictionnelle, sans plus, pour constituer en faveur de la
Cour une base de compétence prima facie. Il ne peut en êtreautrement
parce que la compétence dela Cour - quand bien mêmeon regretterait
cet étatde choses à la veilledu XXIe siècle - repose sur le consentement.
Et le consentement à la compétencene peut pas êtreétabli,fût-ce prima
facie,quand ilressort clairement du texte mêmede la déclarationd'accep-
tation de la juridiction que ce consentement indispensable n'existe pas
prima ,farie,ou plus simplement encore, n'existe pas. Comme l'a dit sir
Hersch Lauterpacht dans son opinion individuelle à l'issuede l'affaire de
l'lnterhundel. les critères de la compétence prima facie de la Cour sont

remplis quand il n'existe dans les instruments pertinents «aucune réserve
excluant manifestement cette compétence)) (C.I.J. Recueil 1957, p. 119).
Les réservespertinentes à cette fin sont à la fois celles qui figurent dans
la propre déclaration d'un Etat et celles sur lesquelles ledit Etat peut
compter par voie de réciprocité. 27. Yugoslavia made no submission at al1to the Court on either the
Optional Clause declaration of the United Kingdom or on its interplay
with its own reservation. It did not explain why the provisions of para-
graph 1 (iii) of the declaration of the United Kingdom did not exclude
the jurisdiction of the Court on the particular facts of this case. Nor did
the United Kingdom rely reciprocally on Yugoslavia's declaration, no
doubt deeming that to be inconsistent with the position it took alleging
the declaration to be invalid. But the Court cannot fail to consider these
matters, and none of them is so obscure and complicated that it could
not be dealt with at this stage; and nor was that suggested by Yugo-
slavia.

28. As the Court stated in the Norwegian Loans case: "since two

unilateral declarations are involved [reciprocal]jurisdiction is conferred
upon the Court only to the extent to which the Declarations coincide in
conferring it" (Judgment, I.C.J. Reports 1957, p. 23). And the Court
clearly stated inFisheries Jurisdiction (Spain v. Canada) that:

"conditions or reservations thus do not by their terms derogate
from a wider acceptance already given. Rather, they operate to
define the parameters of the State's acceptance of the compulsory

jurisdiction of the Court." (I.C.J. Reports 1998, p. 453, para. 44.)

Each of these dicta appears in the judgments on jurisdiction, these not
having been provisional measures cases. But a State seeking the introduc-
tion of provisional measures must show that jurisdiction prima facie
exists, notwithstanding conditions, reservations and the operation of reci-
procity between declarations.

29. The restraint upon the liberty of action of a State that necessarily
follows from the indication of provisional measures will not be counte-
nanced unless, prima facie, there isjurisdiction. But an absence of prima
facie jurisdiction at this stage and for thispurpose does not necessarily
mean that jurisdiction may not, in the event, later be established. How-
ever, if in considering whether there is jurisdiction prima facie for pur-
poses of Article 41 of the Statute, it is clear beyond doubt that no juris-
diction exists in a particular case, good administration of justice requires
that the case be immediately struck off the List in limine.

30. Finally, it should not be thought that the Court, because it has had
to address the question of its prima faciejurisdiction in the case brought 27. La Yougoslavie n'a formulé àl'intention de la Cour aucune conclu-
sion sur la déclaration faite par le Royaume-Uni au titre de la clause
facultative ni sur le fait que cette déclaration pourrait intervenir dans
l'application de sa propre réserve.Elle n'a pas expliquépourquoi les dis-
positions de l'alinéa iii)du paragraphe 1de la déclaration du Royaume-
Uni n'excluaient pas que la Cour soit compétentepour connaître des faits
particuliers de l'espèce.De son côté,le Royaume-Uni n'a pas tablépar
voie de réciprocitésur la déclarationyougoslave, estimant sans doute que
celle-cin'était pas compatibleavec la position qu'il adopte, qui est que la
déclarationyougoslave n'est pas valable. Mais la Cour ne peut pas s'abs-

tenir de considérerces auestionset aucune d'elles n'esta ce a oint obscure
et complexe qu'elle ne puisse pasêtreexaminée à ce stade; la Yougoslavie
n'a pas non plus laisséentendre que tel étaitle cas.
28. Comme la Cour l'a dit dans I'affaire de Certains emprunts norvé-
giens, quand «il s'agit de deux déclarations unilatérales, ... compétence
lui est conférée[par voie de réciprocité] seulementdans la mesure où elles
coïncident pour la lui conférer))(arrEt, C1.J. Recueil1957, p. 23). Dans
l'affaire de laompétenceen matiPrede pêcheries(Espagne c. Canada),
la Cour a déclarénettement:

«les conditions ou réserves,de par leur libellé,n'ont donc pas pour
effet de déroger à une acceptation de caractère plus large déjàdon-
née. Ellesservent plutôt à déterminer l'étenduede l'acceptation par
1'Etatde la juridiction obligatoire de la Cour.» (C.I.J. Recuei1998,
p. 453, par. 44.)

Chacun de ces prononcés,de la part de la Cour, figure dans des décisions
relatives à la compétence, car il ne s'agissait pas d'affaires relativesà
l'indication de mesures conservatoires. Mais ilfaut que 1'Etatqui demande
à la Cour d'adopter des mesures conservatoires montre qu'elle estprima
facie compétente, indépendammentdes conditions ou des réservesaccom-
pagnant les déclarations et du jeu de la réciprocitéd'une déclaration à
l'autre.
29. Les restrictionsà la libertéd'action d'un Etat qui accompagnent
obligatoirement l'indication de mesures conservatoires ne seront pas tolé-
rées à moins qu'il n'yait compétenceprima facie. Mais l'absence de com-
pétence prima facie à ce stade et à cette fin ne veut pas nécessairement
dire qu'il nesera pas possible, le cas échéant, d'établir ultérieurement que

la Cour est compétente. Toutefois, si, quand on examine si la Cour est
compétente prima facie aux fins de l'article 41 du Statut, il apparaît clai-
rement, sans l'ombre d'un doute, qu'elle n'est pas compétente pour
connaître d'une affaire donnée, la bonne administration de la justice
impose de rayer immédiatement I'affaire du rôle in limine.

30. Un dernier mot: il ne faudrait pas non plus penser que, parce
qu'elle a dû examiner la question de sa compétence prima .facie dans875 LEGALITY OF USE OF FORCE (SEP.OP. HIGGINS)

by the Federal Republic of Yugoslavia, is indifferent to the great suffer-
ing in Kosovo and Yugoslavia. Indeed, the preambular paragraphs to its
Order show otherwise. Nor does it seek to avoid making its contribution
to an elucidation of the heavily contested issues of law. But the Court
take on its responsibilities within the United Nations system and use its

judicial authority and creativity only when it has jurisdiction. In this case,
the Court's jurisdiction has yet to be established even prima facie.

(Signed) Rosalyn HIGGINS. LICÉITE DE L'EMPLOI DE LA FORCE (OP. IND. HIGGINS) 875

l'affaire introduite par la République fédéralede Yougoslavie. la Cour
reste indifférenteaux souffrances enduréespar le Kosovo et par la You-
goslavie. Du reste, le préambule de son ordonnance montre que tel n'est

pas le cas. Elle ne cherche pas non plus éviterde participeà la solution
des problèmes de droit qui se posent et qui donnent lieu à d'intenses
débats. Maisla Cour ne peut assumer ses responsabilitésdans le cadre du
systèmedes Nations Unies et faire appel à son autorité età sa créativité
judiciaires que lorsqu'elle est compétente. Dans la présente affaire, la
compétencede la Cour est encore à établir,fût-ceprima facie.

(Signé) Rosalyn HIGGINS.

Document file FR
Document Long Title

Opinion individuelle de Mme Higgins (traduction)

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