Opinion dissidente de M. Vereshchetin (traduction)

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110-19990602-ORD-01-08-EN
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110-19990602-ORD-01-00-EN
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OPINION DISSIDENTE DE M. VERESHCHETIN

[Traduction]

Les circonstances extraordinaires dans lesquelles la Yougoslavie a
déposésa requêteen indication de mesures conservatoires imposaient de

réagirimmédiatement. La Cour aurait dû aussitôt exprimer son inquié-
tude profonde face aux multiples drames humains, aux pertes en vies
humaines et aux violations graves du droit international qui, au moment
du dépôtde la requête, étaient d'oreset déjàdu domaine public. Il est
inélégantde la part de l'organe judiciaire principal de l'organisation des
Nations Unies, dont la raison d'êtremême estde présiderau règlement
pacifique des différends internationaux, de garder le silence en pareille
situation. Mêmesi, finalement, la Cour aboutit àla conclusion que, sous
l'effetde contraintes figurant dans son Statut, ellene peut pas indiquer de
mesures conservatoires au sens plein, conformément à l'article 41 de ce
Statut,àl'égardde l'un oul'autre des Etats défendeurs,la Cour est dotée
i tout le moins, par définition,du pouvoir d'en appeler immédiatement
aux parties pour qu'elles s'abstiennent d'aggraver ou d'étendrele conflit
et qu'elles respectent les obligations qui leur incombent en vertu de la
Charte des Nations Unies. Ce pouvoir découlede la responsabilité qui lui
a étéimpartie de préserverle droit international et aussi de considéra-
tions primordiales d'ordre public. Cet appel, fort de l'autoritéqui émane

de la «Cour mondiale)), compatible de surcroît avec l'article 41 de son
Statut et avec l'article 74, paragraphe 4 et l'article 75,paragraphe de
son Règlement, pourrait donner àréfléchiraux Parties i ce conflit mili-
taire, lequel est sans précédentdans l'histoire deurope depuis la fin de
la seconde guerre mondiale.
La Cour a été priée de défendre l'état dedroit face à des violations
flagrantes du droit international qui sont d'une portée considérablecar
elles atteignent aussi la Charte des Nations Unies. Au lieu d'agir avec
diligence et au besoin de sa propre initiative, en sa qualité degardien
principal du droit international)), la majorité des membres de la Cour,
plus d'un mois aprèsledépôtdes requêtes,les a rejetéessans nuance pour
la totalitédes affairesqui lui étaientsoumises, y compris cellesou,mon
avis, la compétence prinzufacirde la Cour aurait pu êtretrèsclairement
établie. En outre, cette décision a étéprise dans une situation dans
laquelle une intensification délibérée debombardements des zones les
plus peupléescause des pertes en vies humaines toujours aussi lourdes

chez les non-combattants et cause également, physiquement et menta-
lement, des dommages a la population de toutes les régionsde Yougo-
slavie.
Pour les motifs ci-dessus, je ne peux pasn1'associertil'inaction de la
Cour en l'occurrence. mêmesi j'admets que, dans certaines des affaires LICÉITÉ DE L'EMPLOI DE LA FORCE (OP.DISS.VERESHCHETIN) 605

introduites par le demandeur, àce stade-ci de la procédure,la Cour n'est
peut-êtrepas compétente, et qu'elle ne l'estpas du tout dans le cas de
l'Espagne et ni dans celui des Etats-Unis.

Mises à part les considérations qui font l'objet de la déclaration de
caractère général ci-dessusj,e voudrais préciser ma position en ce qui
concerne les requêtes déposéepsar la Yougoslavie contre la Belgique, le
Canada, les Pays-Bas et le Portugal.
11ne fait pas de doute pour moi qu'en ce qui concerne ces Etats, la
Cour a bien compétence prima facie en vertu de l'article 36, para-
graphe 2, de son Statut,et, qu'en ce qui concerne en outre la Belgique et
les Pays-Bas, elle est également compétente prima facie en vertu de

l'accord signéentre la Belgique et la Yougoslavie le25 mars 1930et de
l'accord signéentre les Pays-Bas et la Yougoslavie le11mars 1931.
Les thèses en senscontraire qu'ont plaidéesles Etats défendeurset que
la Cour a retenues dans ses ordonnances reposent sur deux propositi6ns
qui ont caractère de pierre angulaire. La première proposition intéresse
les quatre Etats, lesquels reconnaissent la juridiction obligatoire de la
Cour, la seconde proposition n'intéresseque la Belgique et les Pays-Bas.
La première proposition est que le texte de la déclaration yougoslave
acceptant lajuridiction de la Cour, et en particulier l'énode la réserve
rationae temporis qui y figure, ne conférerait pas compétencprima fucie
à la Cour. La seconde proposition est que le moment où la Yougoslavie

a présentéles chefs de compétence supplémentairesne permettrait pas à
la Cour de conclure qu'elle estcompétenteprima facie pour connaître des
affaires introduites contre la Belgique et contre les Pays-Bas. Je ne peux
souscrireà aucune des propositions fondamentales ci-dessus pour les rai-
sons que je vais exposer.
En ce qui concerne l'interprétation de la déclaration yougoslave
d'acceptation de sa juridiction, la Cour place au centre de son raisonne-
ment le délaidéfinidans la réserve ladite déclaration. réserveaux termes
de laquelle la Yougoslavie reconnaît la juridiction de Cour ((pour tous
les différends,surgissant ou pouvant surgir après la signature de la pré-

sente déclaration, qui ont trait des situations ouà des faits postérieurs
à ladite signature)). Le libelléde cette réserveôterait même à la Cour
toute compétence primu faciequant aux différendssoumis ala Cour aux
fins de règlement, puisque les différendsen question, ainsi que les situa-
tions et les faits qui sont l'origine des différends,se sont produits un
mois au moins avant le dépôtdes requêtes.Le texte de la réservede la
Yougoslavie ôterait en outre à la Cour l'élémend t e consensus plausible
qui doit absolument êtreprésent dans la déclaration du demandeur et
dans celle des défendeurspour que la Cour puisse indiquer des mesures
conservatoires. Je ne peux pas souscrire cette interprétation de la décla-
ration yougoslave, pour un certain nombre de motifs.

Il faut admettre que le libelléde la déclaration yougoslave n'est pasdépourvu d'ambiguïtéet, à strictement parler, ce libelléôtà la Cour la
possibilitéde connaître de différends, de situations et de faits qui seraient
antérieurs à ce qu'on appelle la «date critique)), c'est-à-dire le 25 avril
1999,date à laquelle la déclarationa étésignée.On ne peut toutefois pas
en déduireque les différendsportés devant la Cour par la Yougoslavie
dans des requêtes distinctes doivent êtreconsidérés commene consti-

tuant qu'un seul et mêmedifférendou bien comme constituant des diffé-
rends existant antérieurement au 25 avril 1999, ni en déduire non plus
que la Cour ne peut pas, en raison de cette exclusion, examiner des situa-
tions et des faits ayant traitces différendss'ilssont postérieursà ladite
date.
Postérieurement au début des bombardements de la Yougoslavie par
l'alliance militaire de I'OTAN, le différenddans son ensemble a été traité
et est toujours traité divers échelons politiquesy compris le Conseil de
sécurité desNations Unies, comme un différendopposant la Yougoslavie
et I'OTAN ou bien comme un différendopposant la Yougoslavie et la
totalitédes dix-neuf Etats membres de I'OTAN. La solution de ce diffé-
rend politique de caractère généraltranscende le champ de compétence

de la Cour. Celle-ci se penche sur les différendsd'ordre juridique oppo-
sant la Yougoslavie à chacun des Etats défendeurs.Ces divers différends
peuvent avoir chacun la mêmeorigine mais ils ne sont devenus des dif-
férendsd'ordre juridique bilatéraux distincts entre Etats considérés indi-
viduellement qu'une fois présentés comme «la réclamation de l'une des
parties seheurt[ant]à l'opposition manifeste de l'autre)) (Sud-Ouest afri-
cain, exceptions préliminaires,arrêt,C.I.J. Recueil 1962, p. 328). Dans
les affaires l'examen,cela a coïncidéavec le dépôtpar la Yougoslavie de
requêtesdirigées contre dix Etats pris individuellement. La Cour a
reconnu qu'il y avait ainsi individualisation des différends, laquelle est
postérieure à la «date critique)), quand elle a affirméque les Etats défen-
deurs non représentés en permanencesur le siègeavaient le droit de dési-

gner un juge ad hoc.
Considérant la situation sous un autre angle, la Yougoslavie s'est très
justement, mêmepostérieurement à «la date critique)), plainte d'un cer-
tain nombre de nouvelles violations flagrantes du droit international par
les Etats membres de I'OTAN. Chacune de ces nouvelles violations fla-
grantes alléguéesd, ont les Etats membres de l'OTAN ont nié l'existence,
peut êtreconsidéréecomme constituant un différendparticulier entre les
parties intéressées,différends qui ont manifestement surgi postérieure-
ment au 25 avril 1999.
Dans une affaire récente, laCour a admis qu'il étaitpossible de faire
une distinction entre un ((différendde nature générale))d'une part et, de
l'autre, des «différend[s] spécifique[s]»(Questions d'interprétation et

d'application dela convention de Montréalde 1971 résultant de l'incident
aériende Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. Royaume-Uni), excep-
tions préliminaires,arrêt,C.I.J. Recueil 1998, p. 21, par. 29). Rien dans
sa jurisprudence ne justifie l'idéeque la Cour serait empêchée de con-
naître d'un différendd'ordre juridique spécifiqueentre les partiesnique-ment parce que ce différendse rattache à un différend exclude sajuridic-
tion ou au'il en fait ~artie.
Je m'écarteaussi de la majoritéquand celle-cidécidede ne tenir stric-
tement aucun compte de l'intention manifeste de la Yougoslavie. Très
récemment, laCour a eu l'occasion de dire une fois de plus qu'il fallait
tenir compte de I'intention de 1'Etat qui fait une déclaration d'accepta-
tion de la juridiction de la Cour. Dans l'affaire de la Compétenceen
matière de pêcheries(Espagne c. Canada), la Cour a interprétéle libellé
pertinent de la déclaration en question ((en tenant dûment compte de
I'intention deI'Etat concerné à l'époqueou ce dernier a acceptélajuridic-

tion obligatoire de la Cour)) (arrêt,C.I.J. Recueil 1998, p. 454, par. 49,
voir également Temple de Préah Vihkar, C.I.J. Recueil 1961, p. 31).
Dans les ordonnances qu'elle rend dans les présentes affaires, laCour,
en refusant de prendre en compte I'intention que la Yougoslavie a clai-
rement manifestée, adopte vis-à-vis de la déclaration yougoslave une
approche susceptible de débouchersur une conclusion absurde: la You-
goslavie aurait, par sa déclaration d'acceptation de la juridiction de la
Cour, voulu exclure cettejuridiction en cequi concerne les requêtesintro-
ductives d'instance dirigéescontre les défendeurs.
Pour la Belgique et les Pays-Bas, en sus de la juridiction conféréepar
l'article 36, paragraphe 2, du Statut de la Cour, la Yougoslavie a invoqué
des chefs supplémentaires de compétence, à savoir la convention de
conciliation, de règlement judiciaire et d'arbitrage signéele 25 mars 1930

par la Yougoslavie et la Belgique, et, par ailleurs, le traitéde règlement
judiciaire, d'arbitrage et de conciliation signéleI mars 1931par la You-
goslavie et les Pays-Bas.
Les deux instruments habilitent les ~arties. sous réservede certaines
conditions, à porter unilatéralement le& différendsdevant la Cour per-
manente de Justice internationale. En outre. les accords en auestion sti-
pulent que, dans tous lescas où la question au sujet de laquelle les parties
sont divisées résulted'actes déjàeffectuésou sur le point de l'être,la
Cour permanente de Justice internationale ((indiquera dans le plus bref
délai possible))les mesures provisoires qui doivent être prises))(article33
de la convention passéeentre la Belgique et la Yougoslavie; article 20 du
traité conclu entre les Pays-Bas et la Yougoslavie). Et les accords dis-
posent de surcroît, ce qui est important, qu'ils serontapplicable[s] entre

les Hautes Parties contractantes encore qu'une tierce puissance ait un
intérêtdans le différend)) (articles 35 et 21 respectivement). En dernier
lieu, les accords en question comprennent une disposition prévoyant de
soumettre à la Cour permanente de Justice internationale les différends
relatifsà leur interprétation (articles 36 et 22 respectivement).
Au cours des audiences, les Etats défendeurs ont soulevéun certain
nombre d'objections tendant à empêcher laCour de fonder sa compé-
tence sur les accords en question. Je vais simplement évoquerla princi-
pale de ces objections, celle que la majoritédes membres de la Cour ont
finalement retenue. 11s'agit du moment où la Yougoslavie a invoquéces
chefs supplémentaires de compétence. Il faut se rappeler qu'en déposant ses requêtes,la Yougoslavie s'est
réservéle droit de les modifier et de les compléter. Cette réserve,dans le
cadre d'une requête introductive d'instance,est courante. et, s'agissant de
chefs de compétence, la Cour l'interprète depuis fort longtemps comme
autorisant le demandeur a en ajouter un, a condition que le demandeur
indique bien qu'il va procéder de cette façon, et a condition également
que la démarchen'ait paspour résultat de transformer le différendporté
devant la Cour par la requête enun autre différendqui n'aurait plus le

mêmecaractère. La Cour a clairement définil'approche qu'elle adopte
ainsià l'égard des chefssupplémentaires de compétence.
Par exemple, la Cour fait observer dans l'arrêt rendule 26 novembre
1984dans l'affaire des Activitésmilitaires etparamilitaires au Nicuragucl:
«La Cour considèreque le fait de ne pas avoir invoquéle traité de
1956comme titre de compétence dans la requêten'empêchepas en
soi de s'appuyer sur cet instrument dans le mémoire.La Cour devant

toujours s'assurer de sa compétenceavant d'examiner uneaffaire au
fond, il est certainement souhaitable que «les moyens de droit sur
lesquels le demandeur prétend fonder la compétence de la Cour»
soient indiquésdans les premiers stades de la procédure,et l'article
38 du Règlementspécifiequ'ils doivent l'être((autant que possible))
dans la requête. Unautre motif de compétencepeut néanmoins être
portéultérieurement a l'attention de la Cour, et celle-cipeut en tenir
compte à condition que ledemandeurait clairement manifesté l'inten-
tion de procédersur cette base(Certains emprunts norvkgiens, C.I.J.
Recueil 1957, p. 25), à condition aussi que le différendportédevant
la Cour par requêtene se trouve pas transformé en un autre diffé-
rend dont le caractère ne serait pas le mêmeSociétécommerciale de
Belgique, C.P.J.1. sérieAIB no 78, p. 173).» (Activitésmilitaires et
paramilitaires au Nicaraguu et contre celui-ci (Nicaragua c. Etuts-
Unis d'Amérique), compétence et recevabilité,C.I.J. Recueil 1984,
p. 426-427, par. 80.)

Dans l'ordonnance qu'elle a rendue le 13septembre 1993dans l'affaire
relativeà la Convention sur legénocide,la Cour a fait observer ceci:

((Considérant que le demandeur ne saurait, en se réservant «le
droit de réviser,compléterou modifier)) sa requêteou ses demandes
en indication de mesures conservatoires, se donner par la mêmeun
droit d'invoquer des bases supplémentaires de compétence nonmen-
tionnéesdans la requête introductive d'instance; et qu'il appartien-
dra à la Cour, au stade approprié de la procédure, de se prononcer
éventuellementsur la validitéde telles prétentions; considérant tou-
tefois qu'un motif de compétence non spécifié dans la requête peut,
ainsi que la Cour l'a reconnu,

«êtreportéultérieurementa l'attention de la Cour. et [que]celle-ci
peut en tenir compte a condition que le demandeur ait clairement manifesté l'intention de procéder sur cette base ... à condition
aussi que le différend porté devant la Cour par requêtene se
trouve pas transformé en un autre différenddont le caractère ne
serait pas le même...)) (Activités militaires et paramilitaires au
Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats- Unis d'Améri-
que), compétenceet recevabilité,arrêt, C.I.J. Recueil 1984,p. 427,
par. 80);

considérant dès lors qu'aux fins d'une demande en indication de
mesures conservatoires la Cour ne doit pas se refuser a priori d'exa-
miner de telles bases supplémentaires de compétence,mais qu'elle
doit se demander si, compte tenu de toutes les circonstances, y com-
pris les considérations énoncéesdans la décision précitée, les textes
invoquéspourraient constituer une base sur laquelle sa compétence
pour connaîtredu différendpourrait primafacie êtrefondée .(Appli-
cation de la conventionpour la prévention etla répression du crime
de génocide.C.I.J. Recueil 1993, p. 338-339, par. 28.)
J'estime que les conditions définiespar l'article 38 du Règlementde la
Cour ainsi que dans la jurisprudence y relative sont parfaitement rem-
plies dans les présentes affaires.ajurisprudence de la Cour montre clai-
rement qu'aux jïns d'une demande en indication de mesures conserva-

toires,des chefs supplémentaires de compétencepeuvent être portés à
l'attention de la Cour postérieurement au dépôtde la requête.En pareil
cas. la Cour doit chercher avant tout a établirobiectivement si ces chefs
supplémentaires de compétence ((pourraient constituer une base sur
laquelle sa compétencepour connaître du différendpourrait prima facie
être fondée)).
La Cour tient fort légitimementa garantir le respect du ((principe du
contradictoire et la bonne administration de la justice)) mais elle ne doit
pas cultiver ce souci au point d'exclure a priori de son examen un chef
supplémentairede compétence simplementparce que les Etats défendeurs
n'ont pas eu assez de temps pour préparer leur contre-argumentation.
Certes, il n'est pas normal qu'un nouveau chef de compétence soit
invoqué lors du second tour de plaidoiries. Toutefois, les Etats défen-

deurs ont eu la possibilité de présenter leur contre-argumentation a la
Cour et ont exploitécette possibilitépour présenter diversesobservations
et objections a ce nouveau chef de compétence. Ils auraient pu le cas
échéantdemander la prolongation des audiences. De son côté,le deman-
deur peut raisonnablement soutenir que l'invocation tardive des nou-
veaux chefs de compétence s'explique par la situation extraordinaire
qui règne en Yougoslavie, où la mise au point des requêtes a dû être
réaliséesous les bombardements quotidiens opéréspar les défendeurs.11
ne faut pas non plus oublier qu'il appartient a la Cour d'établir si le
nouveau chef de compétence invoquéest valable ou non, et la décision a
cet égard,au stade actuel de la procédure,ne peut pas et ne doit pas être
concluante.
Quand la majoritédes membres de la Cour refuse de prendre en consi-

dération les nouveaux chefs de compétence invoqués,elle va très nette-ment à l'encontre de l'article 38 du Règlement de la Cour et de la juris-
prudence y relative. Le refus de prendre dûment en considérationI'inten-
tion de 1'Etatqui fait une déclarationd'acceptation de lajuridiction de la
Cour est, lui aussi, incompatible avec la pratique de la Cour et avec les
règlescoutumières de l'interprétationdes instruments juridiques. J'estime
pour ma part que toutes lesconditions de l'indication de mesures conser-
vatoires découlant de l'article 41 du Statut de la Cour et de la jurispru-
dence y relative qui est parfaitement établieont été réunies tue la Cour
aurait incontestablement dû indiquer de telles mesures en ce qui concerne
les quatre Etats visés ici.

(Signé) Vladlen S. VERESHCHETIN.

Bilingual Content

DISSENTING OPINION OF JUDGE VERESHCHETIN

The extraordinary circumstances in which Yugoslavia made its request
for interim measures of protection imposed a need to react immediately.
The Court should have promptly expressed its profound concern over the
unfolding human misery, loss of life and serious violations of interna-
tional law which by the time of the request were already a matter of pub-
lic knowledge. It is unbecoming for the principal judicial organ of the
United Nations, whose very raison d'être is the peaceful resolution of
international disputes, to maintain silence in such a situation. Even if
ultimately the Court may come to the conclusion that, due to constraints
in its Statute, it cannot indicate fully fledged provisional measures in
accordance with Article 41 of the Statute in relation to one or another of
the respondent States, the Court is inherently empowered, at the very
least, immediately to cal1 upon the Parties neither to aggravate nor to
extend the conflict and to act in accordance with their obligations under
the Charter of the United Nations. This power flows from its responsi-
bility for the safeguarding of international law and from major consid-
erations of public order. Such an authoritative appeal by the "World
Court", which would also be consistent with Article 41 of its Statute and

Article 74, paragraph 4, and Article 75, paragraph 1, of its Rules, could
have a sobering effect on the Parties involved in the military conflict,n-
precedented in European history since the end of the Second World War.

The Court was urged to uphold the rule of law in the context of large-
scale grossviolations of international law, including of the Charter of the
United Nations. Instead of acting expeditiously and, if necessary, proprio
motu, in its capacity as "the principal guardian of international law", the
majority of the Court, more than one month after the requests were
made, rejected them in a sweepingway in relation to al1the cases brought
before the Court, including those where, in my view, the prima faciejuris-
diction of the Court could have been clearly established. Moreover, this
decision has been taken in a situation in which deliberate intensification
of bombardment of the most heavily populated areas iscausingunabated
loss of lifeamongstnon-combatants and physical and mental harm to the
population in al1parts of Yugoslavia.

For the foregoing reasons, 1 cannot concur with the inaction of the
Court in this matter, although 1concede that in some of the cases insti- OPINION DISSIDENTE DE M. VERESHCHETIN

[Traduction]

Les circonstances extraordinaires dans lesquelles la Yougoslavie a
déposésa requêteen indication de mesures conservatoires imposaient de

réagirimmédiatement. La Cour aurait dû aussitôt exprimer son inquié-
tude profonde face aux multiples drames humains, aux pertes en vies
humaines et aux violations graves du droit international qui, au moment
du dépôtde la requête, étaient d'oreset déjàdu domaine public. Il est
inélégantde la part de l'organe judiciaire principal de l'organisation des
Nations Unies, dont la raison d'êtremême estde présiderau règlement
pacifique des différends internationaux, de garder le silence en pareille
situation. Mêmesi, finalement, la Cour aboutit àla conclusion que, sous
l'effetde contraintes figurant dans son Statut, ellene peut pas indiquer de
mesures conservatoires au sens plein, conformément à l'article 41 de ce
Statut,àl'égardde l'un oul'autre des Etats défendeurs,la Cour est dotée
i tout le moins, par définition,du pouvoir d'en appeler immédiatement
aux parties pour qu'elles s'abstiennent d'aggraver ou d'étendrele conflit
et qu'elles respectent les obligations qui leur incombent en vertu de la
Charte des Nations Unies. Ce pouvoir découlede la responsabilité qui lui
a étéimpartie de préserverle droit international et aussi de considéra-
tions primordiales d'ordre public. Cet appel, fort de l'autoritéqui émane

de la «Cour mondiale)), compatible de surcroît avec l'article 41 de son
Statut et avec l'article 74, paragraphe 4 et l'article 75,paragraphe de
son Règlement, pourrait donner àréfléchiraux Parties i ce conflit mili-
taire, lequel est sans précédentdans l'histoire deurope depuis la fin de
la seconde guerre mondiale.
La Cour a été priée de défendre l'état dedroit face à des violations
flagrantes du droit international qui sont d'une portée considérablecar
elles atteignent aussi la Charte des Nations Unies. Au lieu d'agir avec
diligence et au besoin de sa propre initiative, en sa qualité degardien
principal du droit international)), la majorité des membres de la Cour,
plus d'un mois aprèsledépôtdes requêtes,les a rejetéessans nuance pour
la totalitédes affairesqui lui étaientsoumises, y compris cellesou,mon
avis, la compétence prinzufacirde la Cour aurait pu êtretrèsclairement
établie. En outre, cette décision a étéprise dans une situation dans
laquelle une intensification délibérée debombardements des zones les
plus peupléescause des pertes en vies humaines toujours aussi lourdes

chez les non-combattants et cause également, physiquement et menta-
lement, des dommages a la population de toutes les régionsde Yougo-
slavie.
Pour les motifs ci-dessus, je ne peux pasn1'associertil'inaction de la
Cour en l'occurrence. mêmesi j'admets que, dans certaines des affairestuted by the Applicant the basis of the Court's jurisdiction, at this stage
of the proceedings, is open to doubt, and in relation to Spain and the
United States is non-existent.

Apart from the considerations set out in the preceding general state-
ment, 1would like to clarify my position with regard to the Applications
by Yugoslavia instituted against Belgium, Canada, the Netherlands and
Portugal.
1have no doubtthat the prima faciejurisdiction under Article 36,para-

graph 2, of the Statute of the Court does exist in respect of these States
and, as far as Belgium and the Netherlands are concerned, the Court also
has prima facie jurisdiction under the Agreements signed between Bel-
gium and Yugoslavia on 25 March 1930 and between the Netherlands
and Yugoslavia on 11 March 1931.
The arguments to the contrary advanced by the respondent States and
upheld in the Orders of the Court rest upon two cornerstone proposi-
tions. The first concernsal1of the four States recognizing the compulsory
jurisdiction of the Court, the second relates only to Belgium and the
Netherlands. The first proposition is that the text of the Yugoslav decla-
ration accepting the jurisdiction of the Court, and in particular the word-
ing of the ratione temporis reservation contained therein, allegedly does
not grant prima faciejurisdiction to the Court.The second proposition is
that the timing of the presentation by Yugoslavia of the additional bases
for jurisdiction allegedlyoes not allow the Court to conclude that it has
prima faciejurisdiction in respect of the cases instituted against Belgium
and the Netherlands. 1 cannot give my support to either of the above

basic propositions, for the following reasons.

As concerns the interpretation of the Yugoslav declaration of accept-
ance of the Court's jurisdiction, the reasoning of the Court centres upon
the time-limit in the reservation to the above declaration, which stipu-
lates that Yugoslavia recognizes the jurisdiction of the Court "in al1dis-
putes arising or which may arise after the signature of the present Dec-
laration, with regard to the situations or facts subsequent to this
signature". The wording of this reservation is said to exclude even the
prima faciejurisdiction of the Court over the disputes submitted for the
Court's resolution, since the disputes in question, as wellas the situations
and facts generating the disputes, arose at least one month before the
filing of the Applications. It is also suggested that the text of theugo-
slav reservation deprives the Court of the plausible consensual element in
the declarations made by the Applicant and by the Respondents which
is indispensable for the indication of provisional measures. 1cannot agree
with such an interpretation of the Yugoslav declaration, on a number of
grounds.

It has to be admitted that the wording of the Yugoslav declaration is LICÉITÉ DE L'EMPLOI DE LA FORCE (OP.DISS.VERESHCHETIN) 605

introduites par le demandeur, àce stade-ci de la procédure,la Cour n'est
peut-êtrepas compétente, et qu'elle ne l'estpas du tout dans le cas de
l'Espagne et ni dans celui des Etats-Unis.

Mises à part les considérations qui font l'objet de la déclaration de
caractère général ci-dessusj,e voudrais préciser ma position en ce qui
concerne les requêtes déposéepsar la Yougoslavie contre la Belgique, le
Canada, les Pays-Bas et le Portugal.
11ne fait pas de doute pour moi qu'en ce qui concerne ces Etats, la
Cour a bien compétence prima facie en vertu de l'article 36, para-
graphe 2, de son Statut,et, qu'en ce qui concerne en outre la Belgique et
les Pays-Bas, elle est également compétente prima facie en vertu de

l'accord signéentre la Belgique et la Yougoslavie le25 mars 1930et de
l'accord signéentre les Pays-Bas et la Yougoslavie le11mars 1931.
Les thèses en senscontraire qu'ont plaidéesles Etats défendeurset que
la Cour a retenues dans ses ordonnances reposent sur deux propositi6ns
qui ont caractère de pierre angulaire. La première proposition intéresse
les quatre Etats, lesquels reconnaissent la juridiction obligatoire de la
Cour, la seconde proposition n'intéresseque la Belgique et les Pays-Bas.
La première proposition est que le texte de la déclaration yougoslave
acceptant lajuridiction de la Cour, et en particulier l'énode la réserve
rationae temporis qui y figure, ne conférerait pas compétencprima fucie
à la Cour. La seconde proposition est que le moment où la Yougoslavie

a présentéles chefs de compétence supplémentairesne permettrait pas à
la Cour de conclure qu'elle estcompétenteprima facie pour connaître des
affaires introduites contre la Belgique et contre les Pays-Bas. Je ne peux
souscrireà aucune des propositions fondamentales ci-dessus pour les rai-
sons que je vais exposer.
En ce qui concerne l'interprétation de la déclaration yougoslave
d'acceptation de sa juridiction, la Cour place au centre de son raisonne-
ment le délaidéfinidans la réserve ladite déclaration. réserveaux termes
de laquelle la Yougoslavie reconnaît la juridiction de Cour ((pour tous
les différends,surgissant ou pouvant surgir après la signature de la pré-

sente déclaration, qui ont trait des situations ouà des faits postérieurs
à ladite signature)). Le libelléde cette réserveôterait même à la Cour
toute compétence primu faciequant aux différendssoumis ala Cour aux
fins de règlement, puisque les différendsen question, ainsi que les situa-
tions et les faits qui sont l'origine des différends,se sont produits un
mois au moins avant le dépôtdes requêtes.Le texte de la réservede la
Yougoslavie ôterait en outre à la Cour l'élémend t e consensus plausible
qui doit absolument êtreprésent dans la déclaration du demandeur et
dans celle des défendeurspour que la Cour puisse indiquer des mesures
conservatoires. Je ne peux pas souscrire cette interprétation de la décla-
ration yougoslave, pour un certain nombre de motifs.

Il faut admettre que le libelléde la déclaration yougoslave n'est pas606 LEGALITY OF USE OF FORCE (DISSO. P.VERESHCHETIN)

not without ambiguity and, strictly speaking, it excludes from the Court's
consideration disputes, situations and facts which occurred before the so-
called "critical date", ie., 25 April 1999,when the declaration was signed.
On this basis one cannot, however, conclude that each and every dispute
presented for resolution by the Court in the separate Applications of
Yugoslavia must be viewed by the Court as a single dispute or disputes
which existed before 25 April 1999 or, for that matter, that the Court

cannot consider situations and facts relating to these disputes which
arose after that date.

After the beginning of the bombardment of Yugoslavia by the NATO
military alliance the dispute as a whole was treated and is being treated at
various political levels,including the United Nations Security Council, as
a dispute between Yugoslavia and NATO or as a dispute between Yugo-
slavia and al1the 19member States of NATO. The resolution of this gen-
eral political dispute transcends the scope of the Court's competence. The
Court is dealing with the specific legal disputes of Yugoslavia with the
individual respondent States. Each of these separate disputes may have
the same origin but they became distinct bilateral legal disputes between

individual States only after they had been presented as "the claim of one
party . . .positively opposed by the other" (South West Africa, Prelimi-
nary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 1962, p. 328). In the cases
under consideration, it coincided with the filing of the Applications by
Yugoslavia against ten individual States. This individualization of the
disputes, which occurred after "the critical date", was recognized by the
Court when it affirmed the right of those respondent States whose
nationals were not permanently represented on the bench to appoint
judges ad hoc.

From a different perspective, even after "the critical date" Yugoslavia

has, with good reason, complained of a number of new major breaches of
international law by the NATO States. Each of these alleged new major
breaches, whose existence was denied by the NATO States, may be seen
as constituting specific disputes between the Parties concerned, disputes
which clearly occurred after 25 April 1999.

The possibility ofdistinguishing between a "dispute of a general nature"
on the one hand, and "specific disputes" on the other, was admitted by
the Court in one of its recent cases (Questions of Interpretation und
Application of the 1971 Montreal Convention arising from the Aerial
Incident ut Lockerhie (Libyun Arab Jamahiriya v. United Kingdom),
Preliminary Objections, Judgment, 1. C.J. Reports 1998, p. 21, para. 29).
Nothing in the jurisprudence of the Court justifies the suggestion that a

specific legal dispute between the Parties may not be considered by thedépourvu d'ambiguïtéet, à strictement parler, ce libelléôtà la Cour la
possibilitéde connaître de différends, de situations et de faits qui seraient
antérieurs à ce qu'on appelle la «date critique)), c'est-à-dire le 25 avril
1999,date à laquelle la déclarationa étésignée.On ne peut toutefois pas
en déduireque les différendsportés devant la Cour par la Yougoslavie
dans des requêtes distinctes doivent êtreconsidérés commene consti-

tuant qu'un seul et mêmedifférendou bien comme constituant des diffé-
rends existant antérieurement au 25 avril 1999, ni en déduire non plus
que la Cour ne peut pas, en raison de cette exclusion, examiner des situa-
tions et des faits ayant traitces différendss'ilssont postérieursà ladite
date.
Postérieurement au début des bombardements de la Yougoslavie par
l'alliance militaire de I'OTAN, le différenddans son ensemble a été traité
et est toujours traité divers échelons politiquesy compris le Conseil de
sécurité desNations Unies, comme un différendopposant la Yougoslavie
et I'OTAN ou bien comme un différendopposant la Yougoslavie et la
totalitédes dix-neuf Etats membres de I'OTAN. La solution de ce diffé-
rend politique de caractère généraltranscende le champ de compétence

de la Cour. Celle-ci se penche sur les différendsd'ordre juridique oppo-
sant la Yougoslavie à chacun des Etats défendeurs.Ces divers différends
peuvent avoir chacun la mêmeorigine mais ils ne sont devenus des dif-
férendsd'ordre juridique bilatéraux distincts entre Etats considérés indi-
viduellement qu'une fois présentés comme «la réclamation de l'une des
parties seheurt[ant]à l'opposition manifeste de l'autre)) (Sud-Ouest afri-
cain, exceptions préliminaires,arrêt,C.I.J. Recueil 1962, p. 328). Dans
les affaires l'examen,cela a coïncidéavec le dépôtpar la Yougoslavie de
requêtesdirigées contre dix Etats pris individuellement. La Cour a
reconnu qu'il y avait ainsi individualisation des différends, laquelle est
postérieure à la «date critique)), quand elle a affirméque les Etats défen-
deurs non représentés en permanencesur le siègeavaient le droit de dési-

gner un juge ad hoc.
Considérant la situation sous un autre angle, la Yougoslavie s'est très
justement, mêmepostérieurement à «la date critique)), plainte d'un cer-
tain nombre de nouvelles violations flagrantes du droit international par
les Etats membres de I'OTAN. Chacune de ces nouvelles violations fla-
grantes alléguéesd, ont les Etats membres de l'OTAN ont nié l'existence,
peut êtreconsidéréecomme constituant un différendparticulier entre les
parties intéressées,différends qui ont manifestement surgi postérieure-
ment au 25 avril 1999.
Dans une affaire récente, laCour a admis qu'il étaitpossible de faire
une distinction entre un ((différendde nature générale))d'une part et, de
l'autre, des «différend[s] spécifique[s]»(Questions d'interprétation et

d'application dela convention de Montréalde 1971 résultant de l'incident
aériende Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. Royaume-Uni), excep-
tions préliminaires,arrêt,C.I.J. Recueil 1998, p. 21, par. 29). Rien dans
sa jurisprudence ne justifie l'idéeque la Cour serait empêchée de con-
naître d'un différendd'ordre juridique spécifiqueentre les partiesnique-Court solely on the ground that it is linked with, or part of, a dispute
excluded from the Court's jurisdiction.
Another ground on which I disagree with the majority is their complete
disregard of the clear intention of Yugoslavia. Quite recently the Court
had occasion to reiterate its position on the necessityto take into account
the intention of a Statemaking a declaration. In the FisheriesJurisdiction
(Spain v. Canada) case the Court interpreted the relevant words of the
declaration in question "having due regard to the intention of the State
concerned at the time when it accepted the compulsory jurisdiction of the
Court" (Judgment, I.C.J. Reports 1998, p. 454, para. 49; seealso Temple
of Preah Vihear, I.C.J. Reports 1961, p. 31).

In its Orders in the present cases, the Court, by refusing to take into

account the clear intention of Yugoslavia, has taken an approach to the
Yugoslav declaration which could lead to the absurd conclusion that
Yugoslavia intended by its declaration of acceptance of the Court's juris-
diction to exclude the jurisdiction of the Court over its Applications insti-
tuting proceedings against the Respondents.

In relation to Belgiumand the Netherlands, apart from the jurisdiction
under Article 36,paragraph 2, of the Court's Statute, Yugoslavia invoked
additional grounds of jurisdiction, namely the Convention on Concilia-
tion, Judicial Settlement and Arbitration signed on 25 March 1930 by
Yugoslavia and Belgium and the Treaty of Judicial Settlement, Arbitra-
tion and Conciliation signed on ll March 1931 by Yugoslavia and the
Netherlands.
Both instruments provide for the right of the parties, under certain
conditions, to apply unilaterally to the Permanent Court of International
Justice for the resolution of their disputes. Moreover, the Agreements
stipulate that if the question on which the parties differ arises out of acts
already committed or on the point of being committed, the Permanent
Court of International Justice "shall indicate within the shortest possible

time the provisional measures to be adopted" (Art. 30 of the Convention
between Belgium and Yugoslavia; Art. 20 of the Treaty between the
Netherlands and Yugoslavia). Also, significantly, the Agreements pro-
vide that they "shall be applicable between the High Contracting Parties
even though a third power has an interest in the dispute" (Art. 35 and
Art. 21 respectively). Finally, the Agreements contain a clause whereby
disputes relating to their interpretation shall be submitted to the Perma-
nent Court of International Justice (Art. 36 and Art. 22 respectively).

In the course of the hearings, a number of objections were raised by
the respondent States against reliance on these agreements by the Court
in order to establish itsjurisdiction. 1propose to deal only with the prin-
cipal objection finally upheld by the majority of the Court. It concerns
the timing of the invocation by Yugoslavia of the additional bases of
jurisdiction.ment parce que ce différendse rattache à un différend exclude sajuridic-
tion ou au'il en fait ~artie.
Je m'écarteaussi de la majoritéquand celle-cidécidede ne tenir stric-
tement aucun compte de l'intention manifeste de la Yougoslavie. Très
récemment, laCour a eu l'occasion de dire une fois de plus qu'il fallait
tenir compte de I'intention de 1'Etat qui fait une déclaration d'accepta-
tion de la juridiction de la Cour. Dans l'affaire de la Compétenceen
matière de pêcheries(Espagne c. Canada), la Cour a interprétéle libellé
pertinent de la déclaration en question ((en tenant dûment compte de
I'intention deI'Etat concerné à l'époqueou ce dernier a acceptélajuridic-

tion obligatoire de la Cour)) (arrêt,C.I.J. Recueil 1998, p. 454, par. 49,
voir également Temple de Préah Vihkar, C.I.J. Recueil 1961, p. 31).
Dans les ordonnances qu'elle rend dans les présentes affaires, laCour,
en refusant de prendre en compte I'intention que la Yougoslavie a clai-
rement manifestée, adopte vis-à-vis de la déclaration yougoslave une
approche susceptible de débouchersur une conclusion absurde: la You-
goslavie aurait, par sa déclaration d'acceptation de la juridiction de la
Cour, voulu exclure cettejuridiction en cequi concerne les requêtesintro-
ductives d'instance dirigéescontre les défendeurs.
Pour la Belgique et les Pays-Bas, en sus de la juridiction conféréepar
l'article 36, paragraphe 2, du Statut de la Cour, la Yougoslavie a invoqué
des chefs supplémentaires de compétence, à savoir la convention de
conciliation, de règlement judiciaire et d'arbitrage signéele 25 mars 1930

par la Yougoslavie et la Belgique, et, par ailleurs, le traitéde règlement
judiciaire, d'arbitrage et de conciliation signéleI mars 1931par la You-
goslavie et les Pays-Bas.
Les deux instruments habilitent les ~arties. sous réservede certaines
conditions, à porter unilatéralement le& différendsdevant la Cour per-
manente de Justice internationale. En outre. les accords en auestion sti-
pulent que, dans tous lescas où la question au sujet de laquelle les parties
sont divisées résulted'actes déjàeffectuésou sur le point de l'être,la
Cour permanente de Justice internationale ((indiquera dans le plus bref
délai possible))les mesures provisoires qui doivent être prises))(article33
de la convention passéeentre la Belgique et la Yougoslavie; article 20 du
traité conclu entre les Pays-Bas et la Yougoslavie). Et les accords dis-
posent de surcroît, ce qui est important, qu'ils serontapplicable[s] entre

les Hautes Parties contractantes encore qu'une tierce puissance ait un
intérêtdans le différend)) (articles 35 et 21 respectivement). En dernier
lieu, les accords en question comprennent une disposition prévoyant de
soumettre à la Cour permanente de Justice internationale les différends
relatifsà leur interprétation (articles 36 et 22 respectivement).
Au cours des audiences, les Etats défendeurs ont soulevéun certain
nombre d'objections tendant à empêcher laCour de fonder sa compé-
tence sur les accords en question. Je vais simplement évoquerla princi-
pale de ces objections, celle que la majoritédes membres de la Cour ont
finalement retenue. 11s'agit du moment où la Yougoslavie a invoquéces
chefs supplémentaires de compétence.608 LEGALITY OF USE OF FORCE (DISSO. P.VERESHCHETIN)

It will be noted that, in filing its Applications, Yugoslavia reserved the
right to amend and supplement them. Such a reservation to an applica-
tion instituting proceedings is standard, and in relation to grounds of
jurisdiction has for a long time been interpreted by the Court as permit-
ting the addition of a basis of jurisdiction, provided that the Applicant
makes it clear that it intends to proceed upon that basis, and also pro-
vided that the result is not to transform the dispute brought before the
Court by the Application into another dispute, different in character. The
above approach to the additional grounds of jurisdiction is clearly

expressed in the following pronouncements of the Court.
In the Judgment of 26 November 1984 in the Nicaragua case, the
Court observed that :
"The Court considers that the fact that the 1956Treaty was not
invoked in the Application as a title of jurisdiction does not in itself
constitute a bar to reliance being placed upon it in the Memorial.

Since the Court must always be satisfied that it has jurisdiction
before proceeding to examine the merits of a case, it is certainly
desirable that 'the legal grounds upon which the jurisdiction of the
Court is said to be based' should be indicated atan early stage in the
proceedings, and Article 38 of the Rules of Court therefore provides
for these to be specified 'as far as possible' in the application. An
additional ground of jurisdiction may however be brought to the
Court's attention later, and the Court may take it into account pro-
vided the Applicant makes it clear that it intends to proceed upon
that basis (Certain Norwegiun Louns, I.C.J. Reports 1957, p. 25),
and provided also that the result is not to transform the dispute
brought before the Court by the application into another dispute
which is different in character (Sociétb Commerciale de Belgique,

P.C.I. J., Series AIB, No. 78, p. 173)." (Militury und Purumilitary
Activities in und against Nicuragua (Nicaragua v. United States
of America), Jurisdiction and Adrnissibility, I.C.J. Reports 1984,
pp. 426-427, para. 80.)
In its Order dated 13September 1993in the Genocide case, the Court

pointed out that :
"Whereas the Applicant cannot, simply by reserving 'the right to
revise, supplement or amend' its Application or requests for provi-
sional measures, confer on itself a right to invoke additional grounds
ofjurisdiction, not referred to in the Application instituting proceed-
ings; whereas it will be for the Court, at an appropriate stage of the

proceedings, to determine, if necessary, the validity of such claims;
whereas however, as the Court has recognized, 'Anadditional ground
ofjurisdiction may . .be brought to the Court's attention' after the
filing of the Application,
'and the Court may take it into account provided the Applicant
makes it clear that itintends to proceed upon that basis .. .and Il faut se rappeler qu'en déposant ses requêtes,la Yougoslavie s'est
réservéle droit de les modifier et de les compléter. Cette réserve,dans le
cadre d'une requête introductive d'instance,est courante. et, s'agissant de
chefs de compétence, la Cour l'interprète depuis fort longtemps comme
autorisant le demandeur a en ajouter un, a condition que le demandeur
indique bien qu'il va procéder de cette façon, et a condition également
que la démarchen'ait paspour résultat de transformer le différendporté
devant la Cour par la requête enun autre différendqui n'aurait plus le

mêmecaractère. La Cour a clairement définil'approche qu'elle adopte
ainsià l'égard des chefssupplémentaires de compétence.
Par exemple, la Cour fait observer dans l'arrêt rendule 26 novembre
1984dans l'affaire des Activitésmilitaires etparamilitaires au Nicuragucl:
«La Cour considèreque le fait de ne pas avoir invoquéle traité de
1956comme titre de compétence dans la requêten'empêchepas en
soi de s'appuyer sur cet instrument dans le mémoire.La Cour devant

toujours s'assurer de sa compétenceavant d'examiner uneaffaire au
fond, il est certainement souhaitable que «les moyens de droit sur
lesquels le demandeur prétend fonder la compétence de la Cour»
soient indiquésdans les premiers stades de la procédure,et l'article
38 du Règlementspécifiequ'ils doivent l'être((autant que possible))
dans la requête. Unautre motif de compétencepeut néanmoins être
portéultérieurement a l'attention de la Cour, et celle-cipeut en tenir
compte à condition que ledemandeurait clairement manifesté l'inten-
tion de procédersur cette base(Certains emprunts norvkgiens, C.I.J.
Recueil 1957, p. 25), à condition aussi que le différendportédevant
la Cour par requêtene se trouve pas transformé en un autre diffé-
rend dont le caractère ne serait pas le mêmeSociétécommerciale de
Belgique, C.P.J.1. sérieAIB no 78, p. 173).» (Activitésmilitaires et
paramilitaires au Nicaraguu et contre celui-ci (Nicaragua c. Etuts-
Unis d'Amérique), compétence et recevabilité,C.I.J. Recueil 1984,
p. 426-427, par. 80.)

Dans l'ordonnance qu'elle a rendue le 13septembre 1993dans l'affaire
relativeà la Convention sur legénocide,la Cour a fait observer ceci:

((Considérant que le demandeur ne saurait, en se réservant «le
droit de réviser,compléterou modifier)) sa requêteou ses demandes
en indication de mesures conservatoires, se donner par la mêmeun
droit d'invoquer des bases supplémentaires de compétence nonmen-
tionnéesdans la requête introductive d'instance; et qu'il appartien-
dra à la Cour, au stade approprié de la procédure, de se prononcer
éventuellementsur la validitéde telles prétentions; considérant tou-
tefois qu'un motif de compétence non spécifié dans la requête peut,
ainsi que la Cour l'a reconnu,

«êtreportéultérieurementa l'attention de la Cour. et [que]celle-ci
peut en tenir compte a condition que le demandeur ait clairement provided also that the result is not to transform the dispute
brought before the Court by the application into another dispute
which is different in character . . .'(Military and Paramilitary
Activities in and against Nicaragua (Nicaragua v. United States
of America), Jurisdicfion and Admissibility, Judgmenf, I.C.J.
Reports 1984, p. 427, para. 80);

whereas the Court thus concludes that, for the purposes of a request
for indication of provisional measures, it should therefore notexclude

apriori such additional bases ofjurisdiction from consideration, but
that it should consider whether the texts relied on may, in al1the cir-
cumstances, including the considerations stated in the decision
quoted above, afford a basis on which the jurisdiction of the Court
to entertain the Application might prima facie be established."
(Application of the Convention on the PreveritionarzdPunislnner~tof
the Crime of Genocide, I.C.J. Reports 1993, pp. 338-339,para. 28.)
In my view, the conditions set out by Article 38 of the Rules of Court
and in its jurisprudence are fully satisfied in the present cases. The juris-
prudence of the Court clearly shows that for thepurposes of a requestfor
indication of provisional measures additional grounds ofjurisdiction may
be brought to the Court's attention after filingof the Application. In such
a case, the Court should be primarily concerned with determining objec-
tively whether the additional grounds ofjurisdiction "afford[s] a basis on
which the jurisdiction of the Court to entertain the Application might
prima facie be established".

The legitimate concern of the Court over the observance of "the prin-
ciple of procedural fairness and the sound administration ofjustice" can-
not be stretched to such an extent as to exclude a priori the additional
basis ofjurisdiction from its consideration, solely because the respondent
States have not been given adequate time to prepare their counter-
arguments. Admittedly, it cannot be considered normal for a new basis
of jurisdiction to be invoked in the second round of the hearings. How-
ever, the respondent States were given the possibility of presenting their
counter-arguments to the Court, and they used this possibility to make
various observations and objections to the new basis of jurisdiction. If
necessary, they could have asked for the prolongation of the hearings. In
turn, the Applicant may reasonably claim that the belated invocation of
the new titles ofjurisdiction was caused by the extraordinary situation in
Yugoslavia, in which the preparation of the Applications had been
carried out under conditions of daily aerial bombardment by the Res-
pondents. It will also be recalled that it is for the Court to determine
the validity of the new basis of jurisdiction, which at this stage of the

proceedings may not and should not be decided conclusively.

The refusa1of the majority to take into consideration the new bases of
jurisdiction clearly goes contrary to Article 38 ofthe Rules of Court and manifesté l'intention de procéder sur cette base ... à condition
aussi que le différend porté devant la Cour par requêtene se
trouve pas transformé en un autre différenddont le caractère ne
serait pas le même...)) (Activités militaires et paramilitaires au
Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats- Unis d'Améri-
que), compétenceet recevabilité,arrêt, C.I.J. Recueil 1984,p. 427,
par. 80);

considérant dès lors qu'aux fins d'une demande en indication de
mesures conservatoires la Cour ne doit pas se refuser a priori d'exa-
miner de telles bases supplémentaires de compétence,mais qu'elle
doit se demander si, compte tenu de toutes les circonstances, y com-
pris les considérations énoncéesdans la décision précitée, les textes
invoquéspourraient constituer une base sur laquelle sa compétence
pour connaîtredu différendpourrait primafacie êtrefondée .(Appli-
cation de la conventionpour la prévention etla répression du crime
de génocide.C.I.J. Recueil 1993, p. 338-339, par. 28.)
J'estime que les conditions définiespar l'article 38 du Règlementde la
Cour ainsi que dans la jurisprudence y relative sont parfaitement rem-
plies dans les présentes affaires.ajurisprudence de la Cour montre clai-
rement qu'aux jïns d'une demande en indication de mesures conserva-

toires,des chefs supplémentaires de compétencepeuvent être portés à
l'attention de la Cour postérieurement au dépôtde la requête.En pareil
cas. la Cour doit chercher avant tout a établirobiectivement si ces chefs
supplémentaires de compétence ((pourraient constituer une base sur
laquelle sa compétencepour connaître du différendpourrait prima facie
être fondée)).
La Cour tient fort légitimementa garantir le respect du ((principe du
contradictoire et la bonne administration de la justice)) mais elle ne doit
pas cultiver ce souci au point d'exclure a priori de son examen un chef
supplémentairede compétence simplementparce que les Etats défendeurs
n'ont pas eu assez de temps pour préparer leur contre-argumentation.
Certes, il n'est pas normal qu'un nouveau chef de compétence soit
invoqué lors du second tour de plaidoiries. Toutefois, les Etats défen-

deurs ont eu la possibilité de présenter leur contre-argumentation a la
Cour et ont exploitécette possibilitépour présenter diversesobservations
et objections a ce nouveau chef de compétence. Ils auraient pu le cas
échéantdemander la prolongation des audiences. De son côté,le deman-
deur peut raisonnablement soutenir que l'invocation tardive des nou-
veaux chefs de compétence s'explique par la situation extraordinaire
qui règne en Yougoslavie, où la mise au point des requêtes a dû être
réaliséesous les bombardements quotidiens opéréspar les défendeurs.11
ne faut pas non plus oublier qu'il appartient a la Cour d'établir si le
nouveau chef de compétence invoquéest valable ou non, et la décision a
cet égard,au stade actuel de la procédure,ne peut pas et ne doit pas être
concluante.
Quand la majoritédes membres de la Cour refuse de prendre en consi-

dération les nouveaux chefs de compétence invoqués,elle va très nette-its jurisprudence. The refusa1 to have due regard to the intention of a
State making a declaration of acceptance of the Court's jurisdiction is
also incompatible with the case-law of the Court and customary rules of
interpreting legal instruments. In my view, al1the requirements for the
indication of provisional measures, flowingfrom Article 41 of the Court's
Statute and from its well-established jurisprudence, have been met, and
the Court should undoubtedly have indicated such measures so far as the
above four States are concerned.

(Signed) Vladlen S. VERESHCHETIN.ment à l'encontre de l'article 38 du Règlement de la Cour et de la juris-
prudence y relative. Le refus de prendre dûment en considérationI'inten-
tion de 1'Etatqui fait une déclarationd'acceptation de lajuridiction de la
Cour est, lui aussi, incompatible avec la pratique de la Cour et avec les
règlescoutumières de l'interprétationdes instruments juridiques. J'estime
pour ma part que toutes lesconditions de l'indication de mesures conser-
vatoires découlant de l'article 41 du Statut de la Cour et de la jurispru-
dence y relative qui est parfaitement établieont été réunies tue la Cour
aurait incontestablement dû indiquer de telles mesures en ce qui concerne
les quatre Etats visés ici.

(Signé) Vladlen S. VERESHCHETIN.

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Opinion dissidente de M. Vereshchetin (traduction)

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