Opinion dissidente de M. Kreca, juge ad hoc (traduction)

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OPINION DISSIDENTE DE M. KRECA

[Traduction]

1.
LA COMPOSITION DE LCOUR EN L'ESPECE
11.LE PROBLEME HUMANITAIRE EN L'ESPECE

111.LES QUESTIONS DE COMPÉTENCE
Compétencede la Cour rurione personae
Compétencede la Cour rutione mutcriue

Compétence de la Cour rutione temporis
IV. UN CHEF SUPPLEMENTAIRE DE COMPETENCE

V. AUTRE SUESTIONS PERTINENTES LICÉITÉ DE L'EMPLOI DE LA FORCE (OP. DISS.KRECA) 217

1. LA COMPOSITION DE LA COUR EN L'ESPÈCE

1. Compte tenu de la différencede principe entre la magistrature inter-
nationale et le système judiciaire interne de chaque Etat, l'institution du
juge ad hoc a fondamentalement un double rôle:

«a) rétablir l'égaliquand la Cour comprend d'ores et déjàsur le
siègeun juge ayant la nationalitéde l'une desparties; et créerune
égalité symboliqueentre deux Etats en litige quand aucun membre
de la Cour n'a la nationalité de l'une des parties)) Rosenne, The
Law and Practice of the International Court, 1920-1996, vol. III,
p. 1124-1125).

En l'espèce,on peut se demander si l'institution du juged hoc a bien
exercé l'unequelconque de ces deux fonctions élémentaires.

Il est possible de distinguer deux éléments.
Le premier est liéà ce rétablissementde l'égalitentre les parties en ce
qui concerne les relations entre le demandeur et les Etats défendeursqui
ont un juge national sur le siège.In concreto, il faut s'intéresseà cet
égard à la position particulière des Etats défendeurs. Ces derniers, en

effet, comparaissenta un double titre:
primo, ils comparaissent individuellement puisque chacun d'eux esten
litige avec la Républiquefédéralede Yougoslavie;

secundo, ce sont en mêmetemps des Etats membres de l'OTAN dans le
cadre institutionnel de laquelle ils ont engagé uneattaque arméecontre la

Républiquefédéralede Yougoslavie. Dans ce cadre de I'OTAN, les Etats
défendeursagissent in corpore,en tant que parties intégrantesd'une orga-
nisation constituant un tout. L'ensemble, le corpus, des volontés des
Etats membres de l'OTAN, quand il s'agit de mener des opérationsmili-
taires, constitue une volonté collective qui est officiellement celle de
I'OTAN.

2. On peut se demander par ailleurs si les Etats défendeurs peuvent
êtreconsidéréscomme faisant cause commune.
Dans l'ordonnance rendue le 20 juillet 1931dans l'affaire du Régime
douanier entre l'Allemagne et l'Autriche, la Cour permanente de Justice
internationale a énoncéle principe suivant:
«tous les gouvernements qui, devant la Cour, arrivent à la même

conclusion, doivent êtreconsidéréscomme faisant cause commune
aux fins de la présenteprocédure))(C.P.J.I. sérieAIB no 41, p. 89).

Dans sa pratique, la Cour a quasiment toujours établi qu'il y avait
«cause commune)) en se fondant sur un critère formel, celui de la
«mêmeconclusion» à laquelle aboutissent les parties comparaissant
devant elle. En l'espèce, il est indubitable que la formulation d'une conclusion
identique est le critère pertinent permettant d'établirque les Etats défen-

deurs font «cause commune)). Il était en quelque sorte inévitablede for-
muler la mêmeconclusion en l'espècepuisque la République fédéralede
Yougoslavie a présenté une requête identiqueà l'encontre de dix Etats
membres de l'OTAN et l'on en a eu la preuve officielle à l'issue de la pro-
cédure qui s'est dérouléedevant la Cour les 10, 11 et 12 mai 1999, les
Etats défendeurs aboutissant tous à une conclusion identique reposant
sur une argumentation pratiquement identique dont les seules variations
concernent la forme et le mode de présentation.
D'où la conclusion inévitable à mon sens que les Etats défendeurs font

tous in concret0cause commune.
3. Quelles incidences faut-il en tirer pour la composition de la Cour en
l'espèce? L'articl3 1,paragraphe 2,du Statut, dispose: «Si la Cour compte
sur le siègeun juge de la nationalité d'une des parties, toute autre partie
peut désigner unepersonne de son choix pour siégeren qualitéde juge.))
Le Statut, donc, définit ainsi le droit de «toute autre partie)), c'est-
à-dire une partie autre que celle qui compte un juge de sa nationalité sur le
siège, et il parle de cette autre partie au singulier. Maisilserait erroné

d'en déduireque «toute autre partie)) que celle qui compte un juge de sa
nationalité sur le siege ne peut pas, dans certains cas, désigner plusieurs
juges ad hoc. Retenir cette interprétation serait manifestement contraire à
la ratio legis de l'institution du juge aclhoc. lequel en l'espèce a pour
objet «de rétablir l'égalitéquand la Cour comprend d'ores et déjàsur le
siègeun juge ayant la nationalité de I'une des parties)) (S. Rosenne, The
Lair und Practice qfthe Itzternational Court, 1920-1996, vol.III,p. 1124-
1125).L'usage du singulier à l'article31,paragraphe 2, du Statut, quand
il est question de l'institution du jugead hoc, permet donc simplement

d'individualiser ce droit général, intrinsèque,au rétablissement de l'éga-
lité entre les parties en litige en ce qui concerne la composition de la
Cour, quand I'une des parties compte un juge de sa nationalité sur le
siègetandis que l'autre n'en a pas. ConcrPtement,appliqué ù laprésente
instance, ce principe signijieimplicitement que le demandeur a le droit de
clésignerautant dejuges ad hoc qu'illefaut pour rétablirl'égalité entreIr
demandeuret les Etats déjhndeursquicomptent unjuge de leur nationalité
sur le siègeet qui,font cause commune. Concrètement,ce droit,fondumen-

ta1 au rétubli.ssementde l'égalitédans la composition de la Cour, qui
ripond ù la règlefondame~ltulr de I'igulitédes parties, signije que la
République fédérale de Yougo.sla~~id eoit avoir le droitcl résignercinq
juges ad hoc, puisque, sur lesdix Etats ciéjendeurs,il y en a cinq (les
Etats-Unis d'Amérique.le Royaume-Uni, la France, l'Allemagne et les
Pays-Bas) qui comptent un juge national sur le siège.
S'agissant de ce rétablissement de l'égalitéentre la partie autorisée à
désigner un juge ad hoc de son choix, d'une part, et, de l'autre, les parties
qui comptent un juge national sur le siège,le fait est que la République

fédéralede Yougoslavie, comme on peut le constater dans l'ordonnance,
n'a soulevéaucune objection au cas de figure qui se présentait et qui étaitque cinq Etats défendeurs, pas moins, comptaient un juge de leur natio-
nalitésur le siège.Mais il n'est certainement pas possible de considérer
que ce cas de figure ôte toute pertinence à la question, mêmesi la Répu-
blique fédérale de Yougoslaviea tacitement admis une telle dérogation
flagrante à la lettre età l'esprit de l'article 31,paragraphe 2, du Statut.

La Cour a, quant à elle, l'obligation de prendre en considération. ès
qualité, cette question qui est ce point cruciale, qui découledirectement
de l'égalité depsarties et,à l'inverse, qui risque en outre de porter direc-
tement et sensiblement atteinte iil'égalité desparties. La Cour est le gar-
dien de la légalitépour les parties, et, a cette fin, seule est valable la
presumptio juris et de jure - il faut savoir le droit (jura novit curiu).
Comme l'ont dit trois membres de la Cour, MM. Bedjaoui, Guillaume et
Ranjeva, dans la déclaration commune qu'ils ont faite dans l'affaire Loc-
kerhie: «il appartient à la Cour et non aux parties de prendre la décision
requise)) (Questions d'inferprétationet d'application de la conventioizde
Montrkul de 1971 résultantde l'incidentaérien deLockerhie (Jamalziriyu

arabe libyenne c. Royaume-Uni), C.I.J. Recueil 1998, p. 36, par. 11).
A contrario, la Cour risquerait, alors que la question relèvevéritable-
ment de sa raison d'être. dese cantonner dans l'attitude de l'observateur
passif, qui se contente de prendre connaissance des thèses des parties,
mis se Drononce.
4. Le second élément à étudierest celui du rétablissementde l'égalité
dans les relations entre le demandeur et les Etats défendeurs qui ne
comptent pas de juge national sur le siège.
Les Etats défendeursne comptant pas de juge national sur le siègeont,
suivant la procédurehabituelle, désignéun juge ud hoc de leur choix (Bel-
gique, Canada, Espagne et Italie). Seul le Portugal n'a pas désignédejuge

(rdhoc. Le demandeur a successivement soulevé desobjections à la dési-
gnation de cesjuges ad hoc des Etats demandeurs en invoquant le para-
graphe 5 de l'article 31 du Statut de la Cour. Chaque fois, la Cour a
répondu par la formule habituelle: «La Cour, ...est parvenue à la
conclusion que la désignationd'un juge ad hoc par [ledéfendeur] sejus-
tifiait dans la présente phasede l'affaire)).
Certes, la formule est laconique, trop peu détailléepour permettre
d'analyser le raisonnement juridique suivi par la Cour. Le seul élément
qui se prêteà une interprétation téléologique estle membre de phrase ser-
vant a qualifier la désignationd'un juge ad hoc. laquelle serait «justifi[ée]
dans la présentephase de l'affaire)). A contrurio, il est donc possible que

cette déSignationde juges ad hoc ne soit «pas justifiée))dans certaines
autres phases de l'affaire. Cette qualification peut s'interpréter comme
une réserve,de la part de la Cour, quant a la désignationde juges ad hoc
par les Etats défendeurs,réservequi s'expliquerait par l'impossibilité ou
se trouverait la Cour de voir, avant qu'elles définissent leurposition, quel
est l'intérêt depsarties- font-elles ou non cause commune?

Le sens à donner au rétablissement de l'égalitéentre les parties,
puisque c'est la raison d'être de l'institutiondu juged hoc dans le cas defigure où le demandeur et les Etats défendeursqui font cause commune
ne comptent pas dejuge ud hoc de leur nationalitésur le siège,a été défini
dans la pratique de la Cour de façon très claire, sans la moindre ambi-

guïté.
Dans I'affaire du Sud-Ouest ajiicain (1961), il a été décidéue, au cas
où ni I'uneni l'autre des Partiesfaisant cause commune ne compterait de
juge de sa nationalité sur le siège,lesdites Parties auraient la faculté de
désignerd'un commun accord un seul juge ad hoc (Sud-Ouest africain.
C.I.J. Recueil 1961, p. 3).
Si, en revanche, la Cour compte parmi ses membres un juge ayant la
nationalité d'une des parties, ne serait-ce que de I'une d'elles,l ne sera
pas désignéde juge ad hoc (Juridiction territoriale de la Commission
internationale de l'Oder. 1929, C.P.J. I.série Cno 17 (II), p. 8 ;Régime
douunier entre I'Allemugne et l'Autriche. 1931, C.P.J.I.skrie AIB no 41,
p. 88).

Si l'onapplique à lu présenteinstance cette jurisprudence purjaitement
cohérentede lu Cour, aucun des Etuts defendeurs n'étuithabilité à dési-
gner un jugc ad hoc.
On peut donc dire qu'en l'espèce,ni l'une nil'autre des deux fonctions
élémentairesde l'institution du juge ad hoc n'a été rempliede façon satis-
faisante du point de vue de la composition de la Cour. A mon sens, la
question revêtun intérêttout particulier parce que, manifestement, son
importance ne se limite pas à la procédure et pourrait avoir une portée
concrète de trèsgrande ampleur.

II. LE PROBLEME HUMANITAIRE EN L'ESPÈCE

5. Les problèmes humanitaires en tant que motif d'indication de me-

sures conservatoires revêtent uneimportance primordiale dans la pra-
tique la plus récentede la Cour.
En la matière, la Cour suit deux voies parallèles:

a) L'intérêptarticulier de lu personne

A cet égard,l'affaire LaCrund (Allemagne c.Etuts-Unis d'ilrnérique)
et l'affaire relatiàela Convention de Viennesur 1e.srelutions con.vu1aire.r
(Purugua)~ c. Etats-Unis d'Amérique)sont caractéristiques.
Dans les deux affaires, la Cour s'est montrée extrêmementsensible à
l'aspect humanitaire de la question à examiner, ce qu'exprime probable-
ment au mieux la requêteprésentéepar l'Allemagne le 2 mars 1999:

((L'importance et le caractère sacréde la vie humaine sont des
principes bien établis du droit international. Comme le reconnaît
l'article du pacte international relatif aux droits civilset politiques,
le droità la vieest inhérent à la personne humaine et ce droit doit LICÉITÉDE L'EMPLOI DE LA FORCE (OP. DISS.KRECA) 221

être protégépar la loi))(LaGrand (Allemagne c. Etats-Unis d'Amé-
rique), mesures conservatoires, ordonnancedu 3 mars 1999, C.I.J.
Recueil 1999, p. 12, par. 8.)

Dès le lendemain, à l'unanimité,la Cour a indiquédes mesures conser-
vatoires parce que les circonstances exigeaient qu'elle les «indique» de
toute urgence (ihid., p. 15,par. 26), de sorte qu'il lui incombait de mettre
en train le mécanisme vouluconformément à l'article 41 de son Statut et
de l'article 75, paragraphe 1, de son Règlement, «pour que M. Walter
LaGrand ne soit pas exécutétant que la décision définitiveen la présente

instance n'aura pas étérendue)) (ihid., p. 16, par. 29).
La Cour a indiqué des mesures conservatoires quasiment identiques
dans le différendopposant le Paraguay et les Etats-Unis d'Amérique à la
suite de la requêteprésentéepar le Paraguay le 3 avril 1998. Le même
jour, le Paraguay a également présenté «une demande urgente en indica-
tion de mesures conservatoires à l'effet de protéger ses droits)) (Conven-
tion de Vienne sur les relations consulaires (Paraguay c. Etats-Unis
d'Amérique), ordonnance du 9 avril 1998, C.I.J. Recueil 1998, p. 251,
par. 6). Et dès le 9 avril 1998à l'unanimité,la Cour a indiquédes me-
sures conservatoires «pour que M. Ange1 Francisco Breard ne soit pas
exécutétant que la décision définitiveen la présenteinstance n'aura pas
été rendue)) (ibid., p. 258, par. 41).

Il est évidentque c'esàcause de l'aspect humanitairedu problèmeque
l'unanimité a été réaliséeau sein de la Cour. On en voit clairement la
preuve non seulement dans la lettre et l'esprit des deux ordonnances ren-
dues dans ces deux affaires, mais aussi dans les déclarations ainsi que
dans l'opinion individuelle qui leur ont étéjointes. En l'occurrence, les
considérations humanitaires ont été,semble-t-il, assez fortes pour lever
les obstaclesqui s'opposaientà l'indication de mesures conservatoires. Le
raisonnement du doyen de la Cour, M. Oda, et celui de son président,
M. Schwebel, sont significatifs.
Au paragraphe 7 de la déclarationqu'iljointà I'ordonnance du 3 mars
1999 dans l'affaire LaGrand (Allemagne c. Etuts- Unis d'Amérique),
M. Oda énoncede façon convaincante une sériede motifs d'ordre théo-
rique qui l'«ont conduit à penser qu'il n'y avait pas lieu d'indiquer les

mesures conservatoires demandéespar l'Allemagne, eu égardau caractère
fondamental de telles mesures)). Mais, M. Oda tient à «rappel[er] avec
force [que s'il a] votéen faveur de I'ordonnance, c'est uniquement pour
des motifs humanitaires)) (C.I.J. Recueil 1999, p. 20).
Dans son opinion individuelle, le présidentde la Cour, M. Schwebel,
n'a pas expressément déclaré qu'il s'était inspdireéconsidérationshuma-
nitaires pour voter en faveur de I'ordonnance, mais il est raisonnable de
penser que ce sont les seules considérations qui ont prévaluen l'espèce,
puisqu'il avait «de profondes réservesquant à la manière de procéder
tant de la Partie requérante que de la Cour» (LaGrand (Allemagne
c. Etats-Unis d'Amérique),mesures conservatoires, ordonnancedu 3 mars
1999, C.I.J. Recueil 1999, p. 22). LICÉITE DE L'EMPLOI DE LA FORCE (OP. DISS. KRECA) 222

Et, en ce qui concerne le demandeur, M. Schwebel a dit ceci:

((L'Allemagne aurait pu présentersa requêtedes années, desmois,
des semaines, voire quelques jours plus tôt. L'eût-elle fait, la Cour eut
pu procédercomme elle lefait depuis 1922et tenir des audiences sur la
demande en indication de mesures conservatoires. Mais l'Allemagne
a attendu la veille de l'exécutionpour présenter sa requête etsa de-
mande en indication de mesures conservatoires, en faisant valoir

par la mêmeoccasion que la Cour n'avait plus le temps d'entendre
les Etats-Unis et devrait agir d'office.)) (C.I.J. Recueil 1999, p. 22.)

De son côté, la Cour a indiqué des mesures conservatoires en
s'appuyant, comme le dit M. Schwebel, président de la Cour, «exclusive-
ment » sur la requêtede l'Allemagne.

b) L'intéret collectij'd'uri groupe ou d'une population en tant qu'élPment

con.stitutif de I'Etut

La protection de la population nationale est devenue question litigieuse
dans l'affaire relative aux Activités militaires et paramilitaires au Nica-
ragua et u l'encontre de celui-ci (Nicaragua c.Etats-Unis d'Amérique) :

((Dans sa conclusion, le Nicaragua a insistésur les morts, sur les
dommages que les actes alléguésont causéschez les Nicaraguayens et
a demandé iila Cour de soutenir, au moyen de mesures conservatoires,
«les droits des citoyens nicaraguayens ila vie, à la liberté età la sécu-

rité)).(R. Higgins, «Interim Measures for the Protection of Human
Rights)), dans Charney, Anton, O'Connell, (dir. publ.) poli tic.Values
und Functions, Intrrnational Law in the 21.st Century, 1997, p. 96.

Dans l'affaire du DiffPrend ,frontalier (Burkina Fu.rolRépubliquedu
Mali), la Cour, pour indiquer des mesures conservatoires, s'est fondée
sur des:

((incidents qui, non seulement sont susceptibles d'étendreou d'aggra-
ver le différend, mais comportent un recours à la force inconciliable
avec le principe du règlement pacifique des différends internatio-
naux» (Difirend frontalier, mesures conseri~atoires,ordonnance du

10janvier 1986, C.1.J. Recueil 1986. p. 9, par. 19).
En l'espèce.la préoccupation humanitaire était motivéepar le risque de

préjudice irréparable :
cles faits qui sont à l'origine des demandes des deux Parties en indi-
cation de mesures conservatoires exposent les personnes et les biens

se trouvant dans la zone litigieuse, ainsi que les intérêts desdeux
Etats dans cette zone, à un risque sérieuxde préjudice irréparable))
(ihid, p. 10, par. 21).

On peut direque, dans les affairesévoquéesci-dessus, en particulier celles
dans lesquelles des individus étaient directement concernés. la Cour s'est LICÉITE DE L'EMPLOI DE LA FORCE (OP. DISS. KRECA) 223

appuyéesur une norme humanitaire supérieuredans le cadre de la pro-
cédureen indication de mesures conservatoires, une norme qui avait suf-
fisamment de force intrinsèque pour que l'on déroge a certaines règles
pertinentes, règlesde procédureet règlesde fond, qui régissentl'institu-
tion des mesures conservatoires. En somme, les considérations humani-
taires, indépendamment des normes du droit international qui règlentles
droits de l'homme et seslibertés,ont en quelque sorte acquis un rôlejuri-
dique autonome; ces considérations ont désormais franchi les limites
du domaine moral et philanthropique pour entrer dans le domaine du
droit.

6. En l'espèce, il semble pourtant que la préoccupation ((humanitaire))
ait perdu l'autonomie acquise sur le plan juridique. Vu les circonstances
particulières de l'instance,l convient de s'arrêtersur ce fait.

A la différence desaffaires évoquées précédemmentl,e ((problème
humanitaire)) porte ici, littéralement, sur le sort de toute une nation.
Nous aboutissons àcette conclusion à partir de deux élémentsau moins:
En premier lieu, la République fédéralede Yougoslavie et ses
groupes nationaux et ethniques sont soumis depuis plus de deux mois
à présent aux attaques constantes d'une armada aérienne très forte,

extrêmement organisée, appartenant aux Etats les plus puissants du
monde. La finalitéde cette attaque a dequoi horrifier, si l'on en juge par
les paroles du commandant en chef, le généralWesley Clark, et il n'y a
pas lieu de douter de ce qu'il dit:
((Systématiquement et progressivement, nous allons attaquer,
ébranler, dégrader, dévaster, et finalement, sauf si le président

Milosevic se plie aux exigences de la communauté internationale,
nous allons détruire intégralement ses forces armées et leur ôter
toutes leurs infrastructures et toutes leurs bases de soutien)) (BBC
News, htip:llnrics.hhc.COu.klrnglishlstr. ATOgciller~luird~fuuIi..strnl
14mai 1999).
En l'occurrence, le terme «soutien)>revêtun sens très large, au point

que l'on peut se demander quel est vraiment l'objet des attaques
aériennes. Dans un article intitulé «La population de Belgrade doit
souffrir)), Michael Gordon cite le généralShort qui dit ((espérerque la
détressede la population va saper, qu'elle doit saper, le soutien dont
bénéficient lesautorités de Belgrade)) (Intrrnutionul Hrrrrld Tribune,
16mai 1999.p. 6) et ilpoursuit:

«II n'y aura plus d'électricitépour votre frigo, plus de gaz pour
votre cuisinière, vous ne pourrez plus aller au travail parce que le
pont est démoli - ce pont sur lequel vous avez organisé vos concerts
rock et sur lequel vous vous êtes massés aved ces cibles sur la tête.
Tout cela disparaît à 3 heures du matin. » (Ihid.)
II ne s'agissait pas là de paroles en l'air, comme en témoignentles ponts

démolis, la disparition de centrales électriques,de l'adduction d'eau, desproductions alimentaires indispensables à la vie; comme en témoigne la
destruction de routes. d'immeubles résidentiels, de maisons d'habitation

unifamiliales; comme en témoignent les hôpitaux privés d'électricité et
d'eau et, par-dessus tout, ces êtreshumains qui sont exposésaux bom-
bardements et qui, comme le disait si bien la requête dans l'affaire
LaGrand (Allemagne c. Etufs-Unis d'Amérique), ont un ((droit a la vie
inhérent à la personne humaine)) (pacte international relatif aux droits
civils et politiques, ar6),dont l'importance et le caractère sacrésont des
principes bien établisdu droit international. Dans l'enfer de la violence,

ce ne sont plus là que des ((dommagescollatéraux)).
En second lieu, l'arsenal qui sert aux attaques lancéescontre la You-
goslavie contient certaines armes dont les effets sont quasi illimitésdans
l'espace et dans le temps. Au cours de la procédure orale. l'agent des
Etats-Unis a nettement préciséque l'uranium appauvri est régulièrement
utilisépar l'arméedes Etats-Unis (CR 99/24, p. 17).

Il convient de laisser les scientifiques évaluer les effets de I'uranium
appauvri. Le rapport de Marvin Resnikoff, qui travaille pour Radio-
active Management Associates (NMI) dit quels sont ces effets:

«Une fois inhalées,de fines particules d'uranium peuvent se loger
dans les alvéolesdu poumon et y rester jusqu'à la fin de votre vie. La
dose inhalée est cumulative. Une certaine fraction des particules
inhalées peut être expectoréepuis avalée et ingérée.Si l'intéressé
fume. il faut rendre cet élément enconsidération. Comme fumer
détruit les franges ciliaires, les particules capturées dans les passages
bronchiques du fumeur ne peuvent pas être expulsées. Gofman

estime que, chez les fumeurs, le risque dû à l'irradiation est ainsi
multiplié par dix. L'uranium émet une particule alpha, analogue à
un noyau d'héliumamputé de deux électrons. Les rayonnements de
ce type ne pénètrentpas très profondément, mais, une fois A l'inté-
rieur du corps, ils causent beaucoup de dommages aux tissus. Quand
il est inhalé, I'uranium accroît les probabilités de cancer du poumon.

Quand il est ingéré,I'uranium se concentre dans les os. A l'intérieur
des os, il augmente les probabilités de cancer des os, ou bien, dans la
moelle, les probabilités de leucémie.L'uranium résideaussi dans les
tissus mous, y compris les gonades, ce qui accroît les probabilités de
conséquences génétiques,sous forme notamment d'anomalies géné-
tiques et d'avortements spontanés. Le rapport qui existe entre l'ura-
nium ingéréet les doses d'irradiation qui en résultent pour la moelle

osseuse et certains organes ... figurent dans beaucoup d'études citées
en référence.
Les effets de I'uranium sur la santésontégalementfonction de l'âge.
Pour une mêmedose, l'enfant court de plus grands risques de can-
cer que l'adulte.)) (Uruniurn Bufflefields Home & Ahroad: Depleted
Uruniwn Use by the U.S. Department of'Defense, Rural Alliance for

Military Accountability, et ul., mars 1993,p.47-48.)
L'Office fédéralallemand de l'environnement (Umweltbundesamt) a pré-sentéune analyse scientifiquedes effetsconcrets imputables aux opérations
arméescontrela Yougoslavie.Ce rapport d'expertdit essentiellementceci ':

(Traduction du Greffe]

«Plus la guerre en Yougoslavie dure et plus le risque de dommages
a long terme à I'environnement s'aggrave.Ces dommages menacent

de s'étendre au-delà des frontièred se la Yougoslavieet peut-êtreest-il
déjàtrop tard pour qu'on puisseleséradiquer.C'est à cette conclusion
que parvient l'Officefédéral allemandde I'environnement (Umicelt-
bundesamt) dans un document interne examinant les conséquences
pour I'environnement de la guerre en Yougoslavie, établien vue de

la réuniondes ministres européensde I'environnement débutmai a
Weimar. Des catastrophes du type de celles de Seveso et de Sandoz
constituent, selon l'Office, ((un scénario éminemmenp trobable)).

' ((Jelanger der Krieg in Jugoslawien dauert, desto grosser wird die Gefahr von lang-
fi-istigen Schadigungen der Umwelt. Diese drohen sich über die Landesgrenzen
hinaus auszubreiten und konnen moglicherweisenicht mehr vollstandig beseitigt wer-
den.Zu dieser Einschatzung kommt das Umweltbundesamt (UBA) in einem internen
Papier. das sich mit den okologischen Auswirkungen des Krieges in Jugoslawien
befasst und für die Vorbereitung des Treffens europaischer Umweltminister Anfang
Mai in Weimar erstellt wurde. Katastrophen 'wie Seveso und Sandoz' sind nach
Ansicht des Amtes 'ein durchaus wahrscheinliches Schadensszenario'.
.....................................
Umweltgifte. die nach Zerstorungen von lndustrieanlagen austreten, konnten sich
weiter ausbreiten. 'BeiSicherstellung sofortigen Handelns, das unter Kriegsbedingun-
gen aber unmoglich ist, bleibt die Wirkung dieser Umweltschadigungen lokal
beerenzt. Laneere Verzoeeruneen führen zu einem übertritt der Schadstoffe in die
~chutzgüter siden, ~runld- un; Oberflachenwasser, erhohen das Gefàhrdungspoten-
tial für den Menschen und den Sanierunesaufwand betfichtlich.'
Diese Folgen müssen nicht auf ~ug~slawien beschrankt sein. Schadstoffe aus
Grossbranden konnten grenzüberschreitend verteilt werden. Weiter heisst es in dem
Papier: 'Die Einleitung der Gefahrstoffe in Oberflachenwasser kann zur weitraumi-
gen Schadigung der Okosysteme führen. Die Deposition von Gefahrstoffen in Boden
kann je nach Eigenschaft der Stoffe und Boden zu langanhaltenden Versuchungen
mit weitgehenden Nutzungseinschrankungen führen.'
Die Gefahr einer 'tiefgreifenden Zerstorung wesentlicher Bestandteile von Trink-
wasserversorgungssystemen' sei für mittlere und grosse Stadte sowie Ballungsgebiete
am grossten. Schon geringe Mengen von Substanzen der petrochemischen Industrie
konnten 'grosse Grundwasservorrate unbrauchbar machen'.
Wie gefahrlich die freigesetzten Stoffe insgesamt sind, Iiisst sich nach Ansicht der
UBA-Experten nur schwer abschatzen. 'weildurch die Zerstorung ganzer Industrie-
komplexe Mischkontaminationen verschiedenster Schadstoffe gebildgt werden'. die
noch wenig erforscht seien. Noch komplizierter sei die Beurteilung von Umwelt-
schaden durch Brande und Explosionen. 'Hier treten bezogen auf Schadstoff-
inventar und Ausbreitung weit weniger kalkulierbare, zum Teil grossflachige
UmDie Verbrennungsprodukte seien 'zumTeil hoch toxisch und kanzerogen'. Je nach
klimatischen Bedingungen konne es 'zu einer grossflachigen Verteilung dieser Stoffe'
kommen, 'die einevollstandige Beseitigung nahezu unmoglich macht' ...
Die Wechselwirkungen der Produkte mit den eingesetzten Waffen dürften 'vollig
unbekannt' sein.» (TAZ. Di12T~~grsz~itung.Berlin, 20 mai 1999.) Les substances toxiques pour I'environnement libérées à la suite de
la destruction d'installations industrielles pourraient se propager à
une plus grande distance. L'adoption de mesures immédiates -

impossible toutefois en temps de guerre - permettrait de contenir
localement ces atteintes à l'environnement. Plus le temps s'écoulera
et plus ces substances se répandront dans le sol, les eaux souterraines
et les eaux de surface. d'où une augmentation considérable des ris-
ques pour l'homme et du coût des opérations de nettoyage.

Ces conséquences ne sont pas nécessairement limitées à la You-
goslavie. Les substances toxiques dégagées à la suite d'incendies
majeurs peuvent se répandre au-delà des frontières. Et l'auteur
du document d'ajouter: «La migration de substances dangereuses
dans les eaux de surface peut causer de graves dommages aux éco-

systèmes. Le dépôt de substances dangereuses dans le sol peut en-
traîner, selon la nature des substances et des sols, une contamina-
tion à long terme, faisant radicalement obstacle à l'utilisation des
sols.))

Le risque d'une ((destruction à grande échelledes élémentsessen-
tiels du réseaud'approvisionnement en eau potable)) est plus lourd
pour les villes moyennes, les grandes villes et les zones de concentra-
tion urbaine. De faibles quantités de substances émanant d'installa-
tions pétrochimiques suffisent à rendre inutilisables d'importantes

réservesd'eaux souterraines ».
Selon les experts de l'Office fédéralde l'environnement, il est très
difficile d'apprécier dans son ensemble le risque que représentent
les substances libéréesdans l'environnement, «car la destruction de
complexes industriels entiers entraîne une pollution provoquée

par un véritable cocktail de substances toxiques)), sur laquelle les
recherches n'ont guère porté jusqu'à présent. L'évaluation des
dommages causés à l'environnement par les incendies et les explo-
sions est encore plus délicate, estiment les experts. «Il est beaucoup
plus difficile en pareil cas, du fait des problèmes liésà l'identifi-

cation des substances toxiques et au risque de les voir se répandre,
de prédireles dommages à I'environnement, qui seront parfois consi-
dérables. »
Certaines des substances libéréesdans l'atmosphère à la suite des
incendies sont qualifiéesde «très toxiques et cancérigènes)).En fonc-

tion des conditions climatiques ambiantes, «ces substances pour-
raient diffuser trés largement)), de sorte qu'«une décontamination
complète serait quasi impossible)).
Quant à l'interaction de ces produits avec les armes utilisées,on en
((ignoreraittotalement)) les effets.(TAZ, Die Tage.vzeitung, Berlin,

numéro du 20 mai 1999).

Je suis par conséquent profondément convaincu que la Cour se trouve
concrètement face à une affaire imposant incontestablement d'agir «de
toute urgence» et où l'on court le risque d'un ((préjudiceirréparable)),affairequi répond parfaitement, quant au fond, aux normes humanitaires
que la Cour a retenues dans certains précédents; àcet égard,la présente
instance se situe même à un niveau nettement supérieur.
7. Pour êtrefranc, je dois dire que je trouve totalement inexplicable
que la Cour veuille s'abstenir d'étudiersérieusementla possibilitéd'indi-
quer des mesures conservatoires alors que la situation impose de façon
aussi criante de tenterà tout le moins, indépendamment des effets pra-
tiques éventuelsde la tentative, d'atténuer, sinon de supprimer, un dan-
ger incontestable de catastrophe humanitaire. Je n'envisage pas ici des
mesures conservatoires qui prendraient concrètement la forme proposée

par la Républiquefédérale de Yougoslavie, j'envisage des mesures conser-
vatoires en général:la Cour peut proposer d'office d'autres mesures
conservatoires que celles qui sont proposéespar la République fédérale
de Yougoslavie, ou elle peut se contenter d'un appel lancépar le pré-
sident, comme elle l'afait si souventdéjà,dans des situationsmoins diffi-
ciles, en s'inspirant de l'article 74,paragraphe 4, de son Règlement.
Sans le vouloir, on a ici l'impression que, pour la Cour en l'espèce,
l'indication de mesures conservatoires, sous quelque forme que ce soit, lui
a sembléinterdite. Par exemple, au paragraphe 19 de l'ordonnance, la
Cour:

((estime nécessairede souligner que toutes les parties qui se pré-
sentent devant elle doivent agir conformément à leurs obligations
en vertu de la Charte des Nations Unies et des autres règles du
droit international, y compris du droit humanitaire)),

ou bien elle dit, au paragraphe 49, que les Parties: ((doivent veillere
pas aggraver ni étendre le différend)),et il est manifeste que, dans les
deux cas, la Cour s'est inspiréed'un type de mesures conservatoires de
caractère généralet indépendant.

III. LESQUESTIONS DE COMPÉTENCE

Lu compétencede Iu Couï ratione personae
8. La qualitéd'Etat Membre des Nations Unies de la Républiquefédé-
rale de Yougoslavie est, dans la présente instance, l'une des questions

cruciales qui se posent pour la compétencede la Cour rationr personue.
L'Etat défendeur, invoquant la résolution 777 (1992) [du Conseil de
sécurité]en date du 19 septembre 1992 ainsi que la résolution 4711 de
l'Assembléegénéraledes Nations Unies en date du 22 septembre 1992,
soutient que la Républiquefédéralede Yougoslavie ne peut pas êtreconsi-
dérée,contrairement à ce qu'elle prétend, comme 1'Etat successeur de
l'ancienne Républiquefédérative socialiste de Yougoslavie et que, n'ayant
pas dûment adhéré à l'organisation, elle n'en est pas Etat Membre, n'est
pas partie au Statut de la Cour et ne peut pas comparaître devant celle-ci.
Il y a lieu de noter que 1'Etatdéfendeurn'a pas invoquéle mêmeargu-
ment au sujet de la convention sur le génocidequi est pour le demandeur LICEITÉ DE L'EMPLOI DE LA FORCE (OP. DISS .RECA) 228

une autre base de compétence,alors qu'il y a manifestement un lien entre
l'identité etla continuité, sur le plan juridique, de la République fédérale
de Yougoslavie, d'une part, et, de l'autre, son statut de partie contrac-
tante à la convention sur le génocide(voir paragraphe 12ci-dessous). On
peut deviner les raisons qui expliquent cette attitude detat demandeur.
Sedes materiae, la question de la qualitéd'Etat Membre de I'Organisa-
tion des Nations Unies dont jouit ou non la Républiquefédéralede You-
goslavie peut se ramener à deux éléments.

8.1. Lu résolution4711 de l'Assembléegdnéralea étéadoptée ù des
jns pragmatiques et politiques

11est impossible à mon avis de dissocier l'adoption de cette résolution
du grand courant politique qui animait les organisations internationales
lors du conflit arméqui a éclatédans l'ex-Yougoslavie. En tant qu'organe
politique, l'Assembléegénéraledes Nations Unies, de mêmeque leConseil
de sécuritéqui a recommandé que l'Assembléeadopte la résolution4711,
a, semble-t-il, conçu cette résolution comme un moyen politique de par-
venir à résoudrela crise sous ses différents aspects.

J'en donnerai pour preuve qu'en adoptant la résolution4711,I'Assem-
bléegénéralea essentiellement suiviles avis de ce qu'on a appeléla com-
mission Badinter, laquelle a servi d'organe consultatif pendant les tra-

vaux de la conférencesur la Yougoslavie et étaitchargéede trouver une
solution pacifique aux différents problèmes.Dans ses avis no I et no 8,
la commission développe la question des transformations territoriales
dans l'ex-Yougoslavie, lesquelles aboutissentà l'apparition de six entités
étatiques égaleset indépendantes correspondant du point de vue terri-
torial aux républiques qui étaient des éléments constitutifs de la Fédé-
ration yougoslave. Dans son avis no 9, la commission part de cette désin-
tégration définitive de l'ancienne République fédérativesocialiste de
Yougoslavie et dit en détailquels effets il faut en attendre du point de
vue de la succession d'Etats. Elle dit notamment à ce sujet que:

«il faut mettre fiàla qualitédlEtat membre de la Républiquefédé-
rative socialiste de Yougoslavie dans les organisations internatio-
nales, conformément au statut de ces dernières, et qu'aucun Etat
successeur ne pourra se prévaloir des droits qu'exerçaitjusqu'alors
l'ex-République fédérativesocialiste de Yougoslavie en cette
qualitéd'Etat membre.)) (conférencede la paix sur la Yougoslavie,
commission arbitrale, avisno 9, par. 4).

En présentant le projet de résolution47lL.1, sir David Hannay (repré-
sentant du Royaume-Uni) a notamment trouvé

((significatifle fait que le Conseil aitvoir la questionà nouveau
dans les trois moisà venir. La situation tragique dans l'ex-Yougo-
slavie est une source de profonde inquiétudepour tous les membres
de la communauté internationale. La conférenceinternationale sur LICEITÉ DE L'EMPLOI DE LA FORCE (OP.DISS. KRECA) 229

l'ancienne Yougoslavie qui s'est ouverteà Londres le 26 août et qui
se réunit actuellement a Genève conjugue les efforts de l'ONU et
ceux de la Communauté européenne. Nous ne devons rien négliger
pour encourager lesparties, avec l'aide des coprésidentsde la conjë-
rence,ù régler leursdifférends ù la table de nt!gociation, et non pas
sur le champ de bataille. Le fait que le Conseil acidide réexumi-
ner la question avant lafin de l'annéesera, nous en sommes certains,
un moyen d'encourager toutes les parties intéressée.~t d'appuyer

efJicacement les coprésidentsde la conférencesur lu Yougosluvie
dans leur tâche difficile.)) (Nations Unies, doc. Al47lPV.7, p. 142-
143; les italiques sont de moi.)

8.2. Dupoint de vuejuridique, 11résolution 4711 est illogiqueet contra-
dictoire

Le dispositif de la résolution4711se lit comme suit
«L'Assembléegénérale,
1. Consid2reque la République fédérativede Yougoslavie (Serbie
et Monténégro)ne peut pas assumer automatiquement la qualité de

Membre de l'organisation des Nations Unies a la place de l'ancienne
République fédérativesocialiste de Yougoslavie et, par conséquent.
décide que la République fédérativede Yougoslavie (Serbie et
Monténégro) devraitprésenter unedemande d'admission a l'Orga-
nisation et qu'elle ne participera pas aux travaux de l'Assemblée
générale.»
Lesprincipaux élémentsde la solution préconiséepar la résolution4711

de l'Assembléegénéralesont les suivants :
Il est d'abord énoncéun avis, qui est que la République fédéralede
Yougoslavie ne peut pas assumer automatiquement la qualitéde Membre
de l'organisation des Nations Unies à la place de la République fédéra-
tive socialiste de Yougoslavie. La position des principaux organes politi-
ques des Nations Unies (le Conseil de sécuritéetl'Assembléegénérale)est
définiesous la forme d'un (<avis»;c'est la conclusion qui s'impose quand
on constate que l'extrait pertinent dea résolution4711commence par le

mot «considère». Mais il convient de relever que cet avis de l'Assemblée
généralene correspond pas parfaitement à ce qu'il faut déduiredes avis
no", 8 et 9 de la commission arbitrale dite commission Badinter. Dans
ses avisno" et 8, la commission tire les conclusions de la désintégration
de la République fédérativesocialiste de Yougoslavie qui aboutit, pour
elle,à produire six entités étatiques indépendanteset égalesdont le terri-
toire est celui des républiquesqui étaient auparavant des éléments cons-
titutifs de la Fédérationyougoslave. La résolution4711prend un départ
plus modéré;apparemment, elle ne met pas fin a la qualitéde Membre de
l'organisation des Nations Unies de la République fédéralede Yougo-
slavie. Elledit simplement que «la Républiquefédérativede Yougoslavie
ne peut pas assumer automatiquement lu qualitéde Memhrr de I'Organi-sation..)) (les italiques sont de moi). A contrario, cela signifie que la
République fédéralede Yougoslavie peut encore assumer la qualité de
Membre de I'Organisation, mais non pas automatiquement. Certes, la

résolutionn'expose pas en détailcomment cela peut êtreréalisém , ais, si
nous l'interprétons systématiquement,en lui associant les résolutions757
et 777 du Conseil de sécurité,nous aboutissons à la conclusion que la
République fédéralede Yougoslavie peut encore assumer la qualité de
Membre de I'Organisation a condition que la demande présentée à cette
fin soit ((généralementacceptée)). Que la résolution ne met donc pas
implicitement fin, sur le plan juridique, la qualité de Membre de l'Orga-
nisation de la République fédéralede Yougoslavie apparaît aussi claire-
ment dans la lettre que le Secrétairegénéraaldjoint et conseillerjuridique
des Nations Unies a adresséele 29 septembre 1992aux représentants per-
manents de la Bosnie-Herzégovineet de la Croatie auprès des Nations
laquelle ildéclarait notamment ceci
Unies, lettre dans
(<larésolutionne met pas fin à l'appartenancede la Yougoslavie à
I'Organisation et ne la suspend pas. En conséquence,le siègeet la
plaque portant lenom de la Yougoslavie subsistent ...La mission de la
Yougoslavieauprèsdu Siègedel'organisation des Nations Unies ainsi
que les bureaux occupéspar celle-cipeuvent poursuivre leurs activités,
ils peuvent recevoir etdistribuer des documents. Au Siège,le Secréta-

riat continuera de hisser le drapeau de l'ancienne Yougoslavie.)

8.3. La participation aux travaux de I'Organisationest interdite
Il est clair que l'extrait pertinent de la résolution correspond a une

interdiction, car la forme verbale utilisée estune forme impérative («ne
participera pas))). Mais cette interdiction est limitéeratione materiae, a
deux points de vue:
a) l'interdiction vise la participation directe aux travaux de l'Assemblée
générale, maisn'exclut pas une participation indirecte. Cette partici-
pation indirecte est évoquée implicitementpar le fait que la mission

de la Républiquefédérativede Yougoslavie auprèsdes Nations Unies
peut continuer ses activités et en particulier,(peut recevoir et distri-
buer des documents». Le Secrétaire généraladjoint a donc utilisé
dans la résolution l'expression ((Assemblée générale)a )u sens géné-
rique, qui s'étend aux organes auxiliaires de l'Assemblée générale
ainsi qu'aux conférences et réunions organisées par l'Assemblée;

b) l'interdiction ne vise pas la participation aux débatsd'autres organes
de l'organisation des Nations Unies.

8.4. 11est décidéque la République fédérale de Yougoslavie devrait
présenter une demande d'admissiona I'Organisation

Cette partie de la résolution4711est ambiguë du point de vuejuridique
et contradictoire dans la forme comme au fond. Du simple point de vue formel, «décider» que la Républiquefédérale
de Yougoslavie doit présenterune demande d'admission àI'Organisation
procède d'une hypothèse irréfutable,qui est que la République fédérale
tient à avoir la qualitéde Membre de l'Organisation mêmesi elle n'est

peut-êtrepas autorisée à rester Membre de l'organisation. Cette hypo-
thèse est illogique,mêmesi elle se vérifiedans les faits. C'est volontaire-
ment que ses Membres adhèrent à I'Organisation, et par conséquent
aucun Etat n'est tenu de demander son admission. A cet égard, par
conséquent, le libelléde la résolution n'est pas correct du point de vue
juridique ni du point de vue technique, parce qu'ilévoquecette hypothèse
qui serait irréfutable. eut étéplusjuste d'énoncerune réservequi aurait
subordonné la décision à la volonté expresse de la Yougoslavie faisant
savoir qu'elle voulait devenir Membre de I'Organisation au cas ou cette
aualitélui aurait étéretiréede facon irrévocable.
D'un point de vue concret, on ne voit pas bien pourquoi la République
fédéralede Yougoslavie devrait présenterune demande d'admission si «la
résolution ne met pasfin à l'appartenancede la Yougoslavie a l'organisa-
tion...))Une demande d'admission, par définition, est présentéqeuand un

Etat non membre veut entrer à l'organisation. Sur le plan des relations
concrètes,quelle serait l'issuede la procédure qu'engageraitla Yougoslavie
en présentant une demande d'admission? Si la procéduredoit aboutir à
conférerla qualitéde Membre, il serait en bonne logique superflu que
l'Assembléegénérale prenne cette décision,puisque la résolution4711n'a
pas mis fin,pour la Yougoslavie,àsa qualitéde Membre de I'Organisation.
On peut présumerque les auteurs de la résolution4711envisageaient donc
une autre issue. Ils voulaient peut-être confirmerou renforcer au moyen de
cette procédurela qualitéde Membre de I'Organisation qu'avaitla Yougo-
slavie. C'est ceque laisse deviner l'énoncde la résolutionquand celle-ci
dit:«la Républiquefédérative de Yougoslavie...ne peut pas assumer auto-
matiquement la qualitéde Membre de l'organisation ... la place...))Cette
formule signifielittéralementque la procédureviserait réaffirmerou ren-
forcer, pour la Républiquefédérale de Yougoslavie, sa qualitéde Membre

de I'Organisation, maisla confirmation de 1aqualitéde Membre n'aurait
guèrede sens juridique dans ce cas de figure particulier, car un Etat est
Membre ou ilne l'estpas. La significationde l'acteen question ne peut être
que non juridique; c'est-à-dire qu'elle serait politique. En dernier lieu, la
résolutionconseilleà la Républiquefédéralede Yougoslavie de présenter
une demande d'admission àI'Organisation etil faut alors, logiquement, se
poser la question suivante: pourquoi un EtatA l'égardduquel I'Organisa-
tion elle-même n'estime paasvoir mis finàsa qualitéde Membre présente-
rait-il une demande dont l'objet lui est déjàincontestablement acquis?
En dernier lieu, il faut tenir dûment compte aussi du dernier para-
graphe de la résolution 4711, aux termes duquel l'Assemblée générale
prend acte «de l'intention du Conseil de sécuritéde reconsidérer la ques-
tion avant la fin de la partie principale de la quarante-septième session de

l'Assembléegénérale))U . ne telle déclarationest inutile si lesauteurs de la
résolution avaientl'intention de mettre fin, au moyen de son adoption, au LICEITE DE L'EMPLOI DE LA FORCE (OP. DISS. KRECA) 232

débat sur la continuité de la qualitéd'Etat Membre des Nations Unies
de la République fédérativede Yougoslavie. Cette déclaration donne,
semble-t-il,a entendre que la résolution4711a en fait pour objet, au seinde
l'organisation, de préserverla dynamique du débatpolitique qui permet
de faire régulièrementle point de la crise yougoslave et, dans le cadre de
ce débat,cette question de la qualitéde Membre de l'Organisation de la
République fédéralede Yougoslavie va elle-même jusqu'à acquérir, aux

yeux de l'organisation, un certain poids. Cette question a un caractère
formel et elle se pose officiellement depuis l'adoption par le Conseil de
sécuritéde sa résolution757 du 30 mai 1992,qui met en branle dans son
dispositif le mécanismede mesures prévuesau chapitre VI1de la Charte
des Nations Unies après avoir constaté que «la situation en Bosnie-
Herzégovineet dans d'autres parties de l'ex-République fédérative socia-
liste de Yougoslavie constitue une menace pour la paix et la sécurité...))
Il n'est donc pas difficile d'adhérerau jugement de MmeHiggins qui
étaitencore professeur quand elle disait que, du point de vue juridique,
cette résolution4711produit un effet «anormal au point d'êtreabsurde))
(Rosalyn Higgins, «The United Nations and the Former Yugoslavia)),
Internulional Afluirs, vol. 69, p. 479).

8.5. La pratique de 1'Organi.sationen cequi concerne les questionsque
,soulèvela teneur de la résolution4711

Un petit nombre de faits pertinents intéressant la pratique suivie par
l'organisation au sujet de la qualité d'Etat Membre de la République
fédéralede Yougoslavie soulèvent laquestion de savoir si celle-ci a agi
contrufactun~proprium du moment que:

a) la résolution 4711 a étéadoptée à la quarante-septiéme session de
l'Assembléegénérale.La délégationde la République fédéralede
Yougoslavie a participé activement, enqualité d'Etat Membre a part
entière, aux travaux de la quarante-sixième session, et la commission
de vérificationdes pouvoirs a recommandé à l'unanimitéd'approuver
lespouvoirs de la Républiquefédérale de Yougoslavie (Nations Unies,
doc. Al461563en date du 11 octobre 1991).Comme la Croatie et la
Slovénieont fait sécessionet ont quitté la Fédération la veille de
ladite session, l'attitude adoptée par l'organisationà l'égardde la
participation de la République fédéralede Yougoslavie aux travaux
de la quarante-sixième session signifieque l'organisation acceptait la
République fédéralede Yougoslavie comme un Etat prédécesseur
amputéd'une partie de son territoire, conformément a des

((critèresdéfinisa la suite de la partition de l'Inde en 1947et régu-
lièrement appliqués depuis - des critères qui, dans l'ensemble,
ont étéfort utiles aux Nations Unies età la communauté interna-
tionale au cours des dernières décennies))(Yehuda Z. Blum, «UN
Membership of the «New» Yugoslavia: Continuity or Break?)),
Americun Journal of International Laic (1992), vol. 86, p. 833); LICÉITÉ DE L'EMPLOI DE LA FORCE (OP. DISS. KRECA) 233

b) la délégationde la République fédéralede Yougoslavie a également
pris part aux travaux de la quarante-septième session de l'Assemblée
généralequi a adopté la résolutioncontestant à la République fédé-
rale de Yougoslavie le droit d'assumer automatiquement la qualité de
Membre de l'organisation à la place de l'ancienne Républiquefédéra-
tive socialiste deYougoslavie. Pas une seule délégation n'aémisd'ob-

jection au fait que la République fédéralede Yougoslavie occupe,
à l'Assembléegénérale,le siègede la Républiquefédérativesocialiste
de Yougoslavie. Il faut en déduirequelesdélégationsont ((tacitement
du moins accepté que les ((autorités de Belgrade)) aient le droit de
demander A occuper le siègede la Yougoslavie - le siègede l'un des
Membres originaires des Nations Unies)) (Blum, op cit., p. 830);
C) pendant tout le temps qui s'est écoulé depuisl'adoption de la résolu-
tion 4711par l'Assembléegénérale,la République fédéralede You-
goslavie a continué de payer sa contribution financièreà l'Organisa-
tion (voir les annexes au CR99125). La Yougoslavie est citéeparmi
les Etats Membres dans le document intitulé <(Etat des contributions

verséesau 30 novembre 1998))publié par le Secrétariat des Nations
Unies dans le document portant la cote STlADMlSER.Bl533 daté du
8 décembre 1998. Dans la lettre adressée à Vladislav Jovanovii.,
chargé d'affairesde la mission permanente de la République fédérale
de Yougoslavie auprès des Nations Unies, les autorités compétentes
de l'organisation citaient l'article 19de la Charte des Nations Unies
et accompagnaient la citation de la formule ci-après:

«pour que votre gouvernement ne tombe pas sous le coup des dis-
positions de l'article 19de la Charte pendant l'une quelconque des
réunionsde l'Assemblée généralqeui se tiendront en 1998,il fau-
drait verserà l'organisation un montant minimum de 11776400
dollars des Etats-Unis pour ramener les arriérésen question à un
montant inférieurau montant prévu iil'article 19))(ihi);

d) dans la pratique suivie par le Secrétaire général ds ations Unies en
qualité de dépositaire des traités multilatéraux, la Yougoslavie est
citéecomme Etat Membre originaire partie aux traitésmultilatéraux
déposésauprès du Secrétaire général.La date à laquelle la Répu-
blique fédérativesocialiste de Yougoslavie a exprimé son consente-
ment à êtreliéeest indiquéecomme la date A laquelle la Yougoslavie
est effectivement liéepar l'instrument considéré.Par exemple, si l'on
considère l'étatdes «traités multilatéraux déposés auprès du Secré-

taire général pour 1992,il y figure la liste des «par» àsla Conven-
tion pour la prévention et la répression du crime de génocide, la
Yougoslavie figure sur cette liste et le 29 août 1950est la date qui est
indiquée comme étant celle de l'acceptation de l'obligation corres-
pondante, c'est-à-dire la date à laquelle la République fédérative
socialiste de Yougoslavie a ratifié laconvention. Ce modèle s'ap-
plique,mutatis mutandis, aux autres conventions multilatérales dé-
poséesauprès du Secrétaire général deN s ations Unies. LICEITÉ DE L'EMPLOI DE LA FORCE (OP.DISS.KRECA) 234

Compte tenu de la pratique existante, on trouve dans le «précis de la
pratique du Secrétaire générae ln tant que dépositaire de traités multi-
latéraux» la conclusion ci-après:
«[l']indépendancedu nouvel Etat successeur,qui exerce désormaisla

souverainetésur son territoire, est naturellement sans effet sur les
droits et obligations d'origine conventionnelledeEtatprédécesseus re
rapportant àce qui lui restede son territoire. Ainsi, après la séparation
de parties du territoire de'Union des républiquessocialistes soviéti-
ques (qui ont acquis le statut d'Etats indépendants), la Fédération
de Russie a conservé tous les droits et obligations d'origine
conventionnellede 1'Etatprédécesseur1 .1en va de même pour la Répu-
blique fédérativede Yougoslavie (Serbie etMonténégro),qui reste
1'Etatprédécesseur aprèsla sécessionde certaines parties du territoire
de l'ancienneYougoslavie. La résolution 4711de l'Assembléegénérale
en date du 22 septembre 1992,aux termes de laquelle la République
fédérativede Yougoslavie ne peutpas assumer automatiquement la
qualité deMembre de l'organisation des Nations Unies à la place de

l'ancienneYougoslavie, a étéadoptéedans le cadre des Nations Unies
et celuide la Charte des Nations Unies,et non pas pour signalerque la
République fédérativd ee Yougoslavie ne devait pas êtreconsidérée
comme un Etat prédécesseur.)) (STlLEG.8, p. 89, par. 297.)
Le 9 avril 1996, à la suite de protestations émanant d'un petit nombre

d'Etats Membres des Nations Unies, le conseiller juridique des Nations
Unies a publiédes «errata» (doc. LLA41TRl220) consistant notamment
à supprimer, au paragraphe 297 dudit «précis»,le qualificatif d'Etat suc-
cesseur accordé à la République fédéralede Yougoslavie. A mon sens,
cette suppression ne revêtaucun intérêt juridique puisqu'un«précis»n'a
pas en soi la valeur d'un document autonome, d'un document qui établit
ou constituequelque chose. Il s'agit simplement de l'expressionramassée,
de l'affirmation lapidaire par un observateur extérieurd'un fait qui existe
en dehors du résuméet tout à fait indépendamment de lui. En ce sens, il
est dit, dans l'introduction au «précis»de la pratique du Secrétairegéné-
ral en tant que dépositairede traitésmultilatéraux))que«le présentdocu-
ment a pour objet d'exposer dans ses grandes lignes la pratique suivieen
la matière par le Secrétaireénéral))(p. I;les italiques sont de moi) mais

il n'a pas pour objet de constituer la pratique elle-même.
9. En ce qui concerne la qualité de Membre de l'organisation des
Nations Unies de la Républiquefédéralede Yougoslavie, la Cour consi-
dèreque:
«eu égard à la conclusion à laquelle elle est parvenue au para-
graphe 30 ci-dessus, la Cour n'a pas à examiner cette question à

l'effet de décidersi elle peut ou non indiquer des mesures conserva-
toires dans le cas d'espèce))(ordonnance,par. 33).
La Cour adopte donc un stratagèmeingénieux (elegantiuejuris processua-
lis)mais, aux fins de la présente instance,il est peu fructueux. La compé-tence de la Courrutione personue est directement tributaire de la réponàe
la question de savoir si la Républiquefédéralede Yougoslavie peut être
considérée comme un Etat Membre des Nations Unies, tant à l'égardde la
clause facultative qu'à l'égardde la convention sur le génocide.
11serait évidemmentdéraisonnable de compter que la Cour statue sur
la question proprement dite de l'appartenance de la Républiquefédérale
de Yougoslavie àl'organisation. Pareille attente ne serait guèreconforme
à la nature de la fonction judiciaire et reviendrait par ailàs'immiscer
dans le domaine propre des principaux organes politiques de I'organisa-
tion mondiale, le Conseil de sécurité etl'Assembléegénérale.
Maisje suis profondémentconvaincu que la Cour aurait dû répondre à
la question de savoir si la République fédéralede Yougoslavie peut ou
non, eu égard à la teneur de la résolution4711de l'Assembléegénéraleet
à la pratique de l'organisation mondiale, êtreconsidéréecomme un Etat

Membre des Nations Unies et tout particulièrement comme étant partie
au Statut de la Cour; car le texte de la résolution4711ne fait pas mention
de la qualitéde partie au Statut de la Cour internationale de Justice dont
peut se prévaloir la République fédéralede Yougoslavie. C'est là que
résidel'importance de la résolution4711 rutione niuteriueEt il n'y a rien
d'autre que cela. A cet égard,la situation de la Cour est exactement celle
des autres organes des Nations Unies. Dans le cas contraire, il serait par
exemple inutile que l'Assemblée généralfe ormule une recommandation,
comme elle le fait dans sa résolution471229,concernant la participation
de la Républiquefédéralede Yougoslavie aux travaux du Conseil écono-
mique et social. Autrement dit, la résolution711ne fait aucune mention
ni expresse ni tacite de la Cour internationale de Justice; va de même
pour les autres documents adoptés sur la base de ladite résolution.l faut
en déduireque cette résolution 4711de l'Assembléegénéralen'a produit
aucun effet sur la qualité de partie au Statut dont peut se prévaloir la
République fédéralede Yougoslavie et c'est bien ce que confirment

notamment tous les numérosde l'Annuairede la Cour internationale de
Justice publiésdepuis 1992.
Je suis également convaincuque tant la teneur de la résolution,celle-ci
représentant une contradictio in adiecto,que la pratique particulière sui-
vie pendant prèsde sept ans par l'organisation mondiale après son adop-
tion apportent beaucoup d'éléments qui autorisent la Cour à se pronon-
cer sur cette question.
10. Or, en ce qui concerne la qualitéd'Etat Membre de l'organisation
des Nations Unies dont la République fédéralede Yougoslavie peut se
prévaloir,on peut dire que la Cour a conservédans ses grandes lignes la
position qu'elle a adoptée dans son ordonnance du 8 avril 1993 dans
l'affaire de laonvention sur le -énocide en statuant sur la demande en
indication de mesures conservatoires.
Au paragraphe 18de ladite ordonnance, la Cour considère que:

((si la solution adoptée ne laisse pas de susciter des difficultésjuri-

diques, la Cour n'a pasà statuer définitivementau stade actuel de la procédure sur la question de savoir si la Yougoslavie est ou non
membre de l'organisation des Nations Unies et, a ce titre, partie au
Statut de la Cour)) (Application de la convention pour laprévention
et lu rkpression du crime de génocide,mesures conserilatoires,ordon-
nance du 8 avril 1993, C.I.J. Recueil 1993, p. 14).

On peut objecter que le libellé du paragraphe 18ci-dessus a un carac-
tère technique, que ce n'est pas une réponse pertinente 5 la question de
savoir si la République fédéralede Yougoslavie est ou non membre de
l'organisation des Nations Unies; toutefois, il est incontestable que cet
énoncéa eu concrètement l'effet voulu parce que, semble-t-il,

((la Cour voulait se déclarercompétentedans cette affaire [Applica-
tion de la conventionpour lupréventionet la répressiondu crime de
gknocide] tout en évitanten mêmetemps de se prononcer sur cer-
tains problèmes délicats,du reste assez graves, concernant la situa-
tion de 1'Etat défendeur face à la Charte et au Statut)) (M. C. R.
Craven, «The Genocide Case, the Law of Treaties and State Succes-
sion)),British Yeur Book of International Law, 1997,p. 137).

La Cour a tacitement conservécette même~osition lors des nouvelles
demandes en indication de mesures conservatoires (Application de la
convention pour la prkvention et la répressiondu crime de génocide,
ordonnance-du 13 septembre 1993), demême que dans l'arrêt rendule
Il juillet 1996sur les exceptions préliminaires.
On peut sans doute estimer que cette position est compréhensiblelors
de la seconde procédure en indication de mesures conservatoires, mais
elle soulève des questions fort complexes dans le cadre de la procédure
relative aux exceptions préliminairesémanant de la Yougoslavie.

Dans ladite procédure, la Cour était notamment face, là aussi, à la
question de savoir si la Yougoslavie est partie a la convention sur le
génocide. Il n'est guère besoin de rappeler que la qualité de partie
contractante a ladite convention était la condition sine qua non permet-
tant a la Cour de se déclarercom~étentedans l'affaire relative 1'A~ol..
cation de la convention pour la préventionet la répressiondu crime de
génocide.
La Cour s'est déclaréecompétente ratione personae en donnant à ce
sujet une explication que je trouve peu solide et peu convaincante (voir
mon opinion dissidente, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 755-760,par. 91-95).
Aux fins de la présente instance, il est intéressant de noter que la Cour
avait observé à cette première occasion «qu'il n'a pas étécontesté quela
Yougoslavie soit partie à la Convention sur le génocide))(Applicationde
la convention poÜr la préventionet la répressiondu crime de génocide,
exceptions préliminaires,arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 610, par. 17).
Et l'absence de contestation a représentépour la Cour l'argument décisif

qui lui permettait de dire que «la Yougoslavie étaitliéepar les disposi-
tions de la convention la date du dépôt de la requêteen la présente
affaire>)(ibid.) . La Cour s'est abstenue, délibérémenjte présume, de dire qui n'avait
pas contesté que la Yougoslavie soit partie à la convention sur le géno-
cide. Si elle pensait au demandeur (la Bosnie-Herzégovine),il n'est guère
besoin de rappeler que 1'Etatintroduisant une instance devant la Cour ne
va pas nier l'existencedu titre de compétencevoulu; et, dans l'affaire en
question, la convention sur le génocideétait,pour la Cour, le seul chef de
compétencepossible. Si toutefois la Cour pensait à des Etats tiers, alors
la réaliténe correspond pas à l'absence de contestation dont la Cour
parle. En refusant de reconnaître la Républiquefédéralede Yougoslavie
et d'admettre qu'elle continuait d'assumer automatiquement la qualité
d'Etat Membre de l'organisation des Nations Unies, les Etats Membres

de ladite organisation mondiale contestaient eo ipso que la République
fédérale de Yougoslavie soit automatiquement partie aux traités
multilatéraux conclus sous l'égidedes Nations Unies et, soit par consé-
quent aussi partie à la convention sur le génocide.La République fédé-
rale de Yougoslavie ne peut êtreconsidérée commeétant partie à la
convention sur le génocideque s'ily a, du point de vuejuridique, identité
et continuité entre elle et la République fédérativesocialiste de Yougo-
slavie, car, s'il en va autrement, la République fédéralede Yougoslavie
constitue un Etat nouveau et elle n'a Dasdonnéson consentement à être
liéepar la convention sur le génocidede la façon qui est prescriteà l'ar-
ticleXI de ladite convention et ellen'a Dasfait tenir au Secrétairegénéral
des Nations Unies la notification de succession voulue. Il n'y a tout sim-
plement pas de tertium quid, notamment du point de vue de l'arrêt rendu

le 11juillet 1996dans l'affaire de lanventionsur legénocide,arrêtdans
lequel la Cour ne s'est pas prononcée sur ce qu'on appelle la succession
automatique dans le cas de certains traitésmultilatéraux (Application de
lu convention pour lu préventionet lu ripression du crime de génocide,
e.uceptionspréliminaires,urrêt,C.1.J. Recueil 1996 (II), p. 612, par. 23).
Tout bien considéré,dans la présenteordonnance, la Cour est restée
fidèleà sa volontéd'abstention, disant à nouveau qu'elle «n'a pas à exa-
miner cette question à l'effet de décidersi elle peut ou non indiquer des
mesures conservatoires dans le cas d'espèce)).
Ce silence de la Cour alors qu'il serait si utile de répondre la ques-
tion, cette hésitationà prendre position risquent de donner une impres-
sion très différentede celle qu'envisage Craven lors de l'affaire relative

l'Application delu conventionpour lupréventionet lurépressiondu critnede
ginocide, quand il dit que «la Cour voulait se déclarercompétente tout
en voulant éviteren mêmetemps de se prononcer sur les problèmesdéli-
cats, d'ailleurs assez sérieux,qui se posent au sujet de la situation))de la
Yougoslavie face à la Charte et au Statut, et les inévitables conséquences
juridiques de cette situation sur une affaire portée devant la Cour.

Compétence delu Cour ratione materiae

11. Je suis d'avis qu'en l'espèce laposition adoptéepar la Cour prête
fortement à critiques. La Cour considère:

((que le recours ou la menace du recours à l'emploi de la force contre
un Etat ne sauraient en soi constituer un acte de génocideau sens de
l'articleII de la convention sur le génocide; et que, de l'avis de la
Cour, il n'apparaît pas au présentstadede la procédure que les bom-

bardements qui constituent l'objet de la requête yougoslave «corn-
porte[nt] effectivement l'élémentd'intentionnalité, dirigé contre un
groupe comme tel, que requiert la disposition sus-citée)) (Licéitéde
la menace ou de I'einploid'armes i~ucléairesu ,vis con.sultatiJ;CCI.J.
Recueil 1996 (I), p. 240, par. 26))) (ordonnance, par. 40).

L'intentionnalité est incontestablement l'élémentsubjectif qui est cons-
titutif du crime de génocide comme du reste de n'importe quel autre
crime. Mais cette question n'est pas l'objet de la prise de décisiondans la
procédure incidente de l'indication de mesures conservatoires et, par sa
nature même,elle ne peut pas l'être.
Il faut à cet égard chercher une preuve fiable dans le différendqui, par

ses principaux traits, est pour l'essentiel identique au différend examiné
ici: il s'agit de l'affaire relativel'Application de lu convention pour lu
préverztionet la r&pressiotzdu crime de génocide.
Dans l'ordonnance qu'elle a rendue le 8 avril 1993 sur I'indication de
mesures conservatoires, souscrivant a l'affirmation du défendeur qui dit
notamment «n'apport[er] aucun appui ni n'encourag[er]. d'une façon ou
d'une autre. la perpétration des crimes mentionnés dans la requête... [et]

que les griefs exposésdans la requêtesont dénuésde fondement »(Appli-
cation de la convention pour lapréventionet la répressiondu crime de
gétzocid~> n,ze.suresconscrvutoire.~,ordonnance du 8 a~~ril1993, C.I.J.
Re<,ueil1993. p. 21, par. 42), la Cour a considéréque:

«dans le contexte de la présente procédure concernant l'indication
de mesures conservatoires, [elle]doit, conformément à l'article 41 du
Statut, examiner si les circonstances portées à son attention exigent
l'indication de mesures conservatoires, mais n'est pas habilitée à
conclure définitivement sur les faits ou leur imputabilité et que sa
décisiondoit laisser intact le droit de chacune des Parties de contes-
ter les faits alléguéscontre elle, ainsi que la responsabilité qui lui est

imputée quant à ces faits et de faire valoir ses moyens sur le fond))
(ihid,p. 22, par. 44).
et que:

«[elle] n'est pas appeléeà ce stade à établir l'existence de violations
de la convention sur le génocide)) (ihid.,par. 46).

La raison d'êtredes mesures conservatoires est par conséquent limitée
à la préservation des droits des parties pendente lite qui sont l'objet du
différend,droits qui peuvent ultérieurement faire l'objet de la décisionde

118 LICÉITEDE L'EMPLOIDE LA FORCE (OP. DISS. KRECA) 239

la Cour. Comme celle-ci le dit de nouveau dans l'affaire de la Frontière
terrestre etmuritime entre le Cumeroun et le Nigériu:

((Considérantque la Cour,dans le cadre de la présente procédure
concernant l'indication de mesures conservatoires, n'est pas habilitée
à conclure définitivementsur les faits ou leur imputabilité et que sa
décisiondoit laisser intact le droit de chacune des Parties de contes-
ter les faits allégucontre elle, ainsi que la responsabilitéqui lui est
imputée quant à ces faits, et de faire valoir, le cas échéant,ses
moyens sur le fond.» (Frontière terrestreet muritime entre le Cume-
roun et le Nigériu,mesures con.servutoire.s,ordonnunce du 115mars
1996, C.I.J. Rccueil 1996 (I), p. 23, par. 43.)

12. Sur ce point en particulier, il se pose des questions fondamentales
au sujet de la position de la Cour. On peut considérerde deux façons le
lien entre le recoursa la force arméeet le génocide:

u) est-ce que l'emploi de la force est un acte de génocideper .Feou
non?
h) l'emploi de la force favorise-t-il le génocideet, dans l'affirmative,
qu'est-ce alors au sensjuridique?

Indéniablement, l'emploi de la force, en soi et par définition,ne cons-
titue pas un acte de génocide.Nul besoin d'en faire la preuve. Toutefois,
il n'est pas possible d'en déduireque l'emploi de la force est sans rapport
avec la commission du crime de génocideet qu'il n'est pas possible d'éta-
blir un tel rapport. Pareille conclusion serait contrairela logique la plus
élémentaire.
L'article II de la convention pour la prévention et la répression du
crime de génocide définitles actes de génocidecomme

«l'un quelconque des actes ci-après, commis dans l'intention de
détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial
ou religieux, comme tel :
a) meurtre de membres du groupe;
h) atteinte grave a l'intégritéphysique ou mentale de membres du
groupe ;

c) soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence
devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle;
d) mesures visant a entraver les naissances au sein du groupe;
e) transfert forcéd'enfants du groupe a un autre groupe)).
N'importe lequel des actes ci-dessus peut êtrecommis également au
moyen de la force. L'emploi de la force est par conséquent l'un des

moyens possibles de commettre des actes de génocide.Et, ilconvient de le
signaler, c'estl'un des moyens les plus efficaces, étant donné les carac-
tèrespropres de la force armée.
L'emploi étendude la force armée,en particulier s'il visedes objets et
des infrastructures constituant les conditions de la vie normale, peut LICÉITE DE L'EMPLOI DE LA FORCE (OP. DISS. KRECA) 240

aboutir à ((soumettre le groupe à des conditions d'existence))entraînant
bel et bien «sa destruction physique)).
On peut bien entendu objecter que les actes en question ont pour rôle
d'affaiblir la puissance militaire de la Républiquefédéralede Yougosla-
vie. Mais pareille explication peut difficilement représenterun argument
valable. Le raisonnement, en effet, va rapidement emprunter un cercle
vicieux: la puissance militaire étantaprès tout composée d'hommes,il est

possible d'aller jusqu'à prétendreque le meurtre collectif d'une foule de
civils tient en quelque sorte lieu de mesure de précaution de nature a
empêcher d'entretenir la puissancemilitaire de I'Etat, voire de I'augmen-
ter en cas de mobilisation.
Certes, pour pouvoir parler de génocide, il faut une intention, c'est-à-
dire qu'ilfaut vouloi« soumettre intentionnellement legroupe Adescondi-
tions d'existence))entraînant«sa destruction physique totale ou partielle)).
Lors de procédures incidentes, la Cour ne peut pas - et ne doit
d'ailleurs pas- chercher à établirde façon définitive qu'elle esten pré-

sence d'une volontéde soumettre le groupe à des conditions d'existence
de nature à menacer sa survie. Eu égard à l'objet des mesures conserva-
toires, on peut dire qu'Ace stade de la procédure,il suffit d'établir que,le
groupe étant soumis Ades bombardements intensifs, on court objective-
ment le risque de voir cette situation aboutirà menacer sa survie.
La Cour a précisémentadoptécette position dans l'ordonnance qu'elle
a rendue le 8 avril 1993au sujet de I'indication de mesures conservatoires
dans l'affaire relative l'Application (lelu convention pour lu préirention
et lurépre.r.siondu crime degénocide.
Le paragraphe 44 de cette ordonnance se lit comme suit:

((Considérantque la Cour, dans le contexte de la présente procé-
dure concernant I'indication de mesures conservatoires, doit, confor-
mément à l'article 41 du Statut, examiner si lescirconstances portées
à son attention exigent I'indication de mesures conservatoires, mais
n'est pas habilitée à conclure définitivement sur les faits ou leur

imputabilitéet que sa décisiondoit laisser intact le droit de chacune
des Parties de contester les faits allégucontre elle, ainsi que la res-
ponsabilitéqui lui est imputéequant à ces faits et de faire valoir ses
moyens sur le fond. » (C.1.J. Recueil 1993, p. 22.)

La question de I'c<intentionnalité> e)st extrêmement complexe.L'inten-
tion appartient au domaine subjectif, c'est unecatégorie psychologique,
mais, dans la législationpénalecontemporaine, l'intention est également
établieà partir de circonstances objectives. L'intention présumée de com-
mettre l'acte fait très communément partie du systèmejuridique. Par
exemple, aux Etats-Unis d'Amérique, la jurisprudence autorise la pré-
somption plausible par opposition à la présomption concluante, même en
matière pénale.
De toute façon, les Parties s'opposent très clairement, semble-t-il, au
sujet de l'«intentionnalité» en tant qu'élément constitutifdu crime de

génocide. LICÉITÉ DE L'EMPLOI DE LA FORCE (OP. DISS. KRECA) 241

Le demandeur affirme que l'«intention» peut êtreprésuméetandis que
le défendeur soutient qu'en tant qu'élémentconstitutif du crime de géno-
cide, l'aintention»doit êtreclairement établie sous forme de do1spécial.
Cette opposition de vues entre les Parties constitue un différend relatif
l'interprétation, l'application ou l'exécutionde la ...convention [sur le
génocide] n,les diffërends de ce type comprenant aussi lesdifférends rela-
tifsà la responsabilitéd'un Etat en matière de génocideou de l'un quel-
conque des autres actes énumérés à l'article III de ladite convention.

13. En mêmetemps, il ne faut pas oublier que, «dans certains cas, sur-
tout dans le génocidepar la soumission à des conditions inhumaines de
vie, le crime peut êtreperpétrépar omission))(Stanislas Plawski, Etude
desprincipes fondumentaux du droit internutionalpénal,1972,p. 115.Cité
dans Nations Unies, doc. ElCN.4lSub.21416daté du4juillet 1978,p. 28).
En effet,

(([ll'expérienceprouve que l'étatde guerre ou le régimed'occupation
de guerre sont un prétextefacile pour lesautoritésresponsables pour
ne pas fournirà une population ou à un groupe ce qui leur est néces-
saire pour subsister: vivres, médicaments, vêtementsh ,abitations ...
On nous dira que c'est la soumission du groupe à des conditions
d'existence susceptiblesd'entraîner sa destruction physique totale ou
partielle.))J. Y. Dautricourt, «La prévention du génocide et ses
fondements juridiques)), Etudes internationales de psychosociologie
criminelle,n0V4-15, 1969,p. 22-23. Citédans Nations Unies, doc.

ElCN.4/Sub.2/416 datédu 4 juillet 1978,p. 28.)
Il est donc d'une importance primordiale de savoir que, lors de procé-
dures incidentes, la Cour ne peut pas - et ne doit d'ailleurs pa- cher-
cher à établir de façondéfinitive unevolonté de soumettre le groupe à des
conditions d'existence de nature à menacer sa survie. Eu égard à l'objet

des mesures conservatoires, on peut dire qu'à ce stade de la procédure, il
suffit d'établirque. le groupe étant soumis à des bombardements inten-
sifs, on court objectivement le risque de voir cette situation aboutir à
menacer sa survie.

Compétencede la Cour ratione temporis

14. Pour la Cour, l'élémenr tatione ternporisde sa compétencedonne

la cléde la position qu'elleadoptedans la présenteinstance, en concluant
qu'ellen'a pas compétence.Dans son ordonnance, la Cour déclarenotam-
ment :
((Considérantqu'il est constant que les bombardements en cause

ont commencéle 24 mars 1999et se sont poursuivis, de façon conti-
nue, au-delà du 25 avril 1999; et qu'il ne fait pas de doute pour la
Cour, au vu notamment des débatsdu Conseil de sécurité des24 et
26 mars 1999 (SlPV.3988 et 3989). qu'un ((différendd'ordre juri-
dique)) (Timor oriental (Portugal c. Australie), C.I.J. Recueil1995, p. 100,par. 22) a «surgi» entre la Yougoslavie et 1'Etatdéfendeur,
comme avec les autres Etats membres de l'OTAN, bien avant le
25 avril 1999, au sujet de la licéitéde ces bombardements comme

tels, pris dans leur ensemble;
Considérant que la circonstance que ces bombardements se soient
poursuivis aprèsle 25avril 1999et que le différendlesconcernant ait
persistédepuis lors n'est pas de natureà modifier la date à laquelle le
différend avaitsurgi; que des différends distincts n'ont pu naître par
la suiteà l'occasion de chaque attaque aérienne;et qu'à ce stade de

la procédure, la Yougoslavie n'établitpas que des différendsnou-
veaux, distincts du différendinitial, aient surgi entre les Parties après
le 25 avril 1999au sujet de situations ou de faits postérieurs impu-
tables à la Belgique.» (Ordonnance, par. 28 et 29).

Cette position, de la part de la Cour, me paraît extrêmement contestable
pour deux raisons principales :
- la première explication a un caractère généralintéressant lajurispru-

dence de la Cour en ce qui concerne la question, d'une part, et, de
l'autre, intéressant le caractère de la procédure de l'indication de
mesures conservatoires;
- la seconde explication a un caractère spécifiquequi tient aux circons-
tances de la présente instance.

14.1. S'agissant de sa compétence,il paraît incontestable que la Cour
adopte, quand il est question pour elle d'indiquer des mesures conserva-
toires, une attitude libéraleà l'égardde l'élémenttemporel. La Cour est
en l'occurrence motivéepar un fait qu'elle metassez régulièrementen évi-
dence :

«on ne saurait admettre u prioriqu'une demande fondéesur un tel
grief échappecomplètement àla juridiction internationale;

[cette]constatation ...est suffisante pour autoriser en droit la Courà
examiner la demande en indication de mesures conservatoires;

l'indication de telles mesures ne préjuge en rienla compétencede la
Cour pour connaître au fond de l'affaire et laisse intact le droit du
défendeurde faire valoir sesmoyens à l'effetde la contester)(Anglo-
Iraniun Oil Co., ovdonnancc du 5 juillet 1951, C.I.J. Recueil 19.51,
p. 931,

«lorsqu'elleest saisied'unedemande en indication de mesuresconser-
vatoires, la Cour n'a pas besoin, avant d'indiquer ces mesures, de
s'assurer de manièreconcluante de sa compétencequant au fond de
l'affaire, mais..elle ne doit cependant pas appliquer l'article 41 du
Statut lorsque son incompétence au fond est manifeste)) (Compé- tence en matière de pêcheries(Royaume-Uni c. Islande), mesures
conservatoires, ordonnance du 17 août 1972. C.I.J. Recueil 1972,
p. 14, par. 15; et Compétenceen matière de pêcheries(République
fédéraled'Allemagne c. Islande), mesures conservatoires. ordon-
nance (lu 17 août 1972, C.I.J. Recueil 1972, p. 33, par. 16).

Il n'est guère besoin de relever que le membre de phrase «n'a pas
besoin ...de s'assurer de manière concluante de sa compétence quant
au fond de l'affaire)) vise la compétence in toto et que, par conséquent,
il s'étend aussi à la compétence ratione trmporis. Je donnerai deux
exemples caractéristiques pour montrer que la Cour adopte commu-
némentl'attitude définie ci-dessus vis-à-visde la compétence rutione rem-
poris:

a) Dans les différends relatifsà l'affaire Lockerbie, la Cour a dit notam-
ment ceci :

clors de la procédure orale les Etats-Unis ont soutenu qu'il n'y
avait pas lieu d'indiquer les mesures conservatoires demandées
parce que la Libye n'avait pasétabli, prima,facie, que les disposi-
tions de la convention de Montréalpouvaient constituer une base
de compétencedans la mesure où le délaide six mois prescrit par
le paragraphe 1 de l'article 14 de ladite convention n'était pas
expiré lorsdu dépôt de la requêtede la Libye; et ... la Libye
n'avait pas établi que les Etats-Unis eussent refusél'arbitrage))
(Questions d'interprétatiot~et d'application de la convention de
Montréal de 1971 résultant de l'incident aérien de Lockerhie
(Jumuhiviya aruhr libyenne c. Etuts- Unis c/'AnIérique),mesures
con~c~rvatoire~ osr,donnance du 14 avril 1992, C.I.J. Recueil 1992,

p. 122, par. 25).
et elle dit encore:

«dans le contexte de la [procédurerelative à l'affaire Lockrrhie],
qui concerne une demande en indication de mesures conserva-
toires. [la Cour] doit, conformément à l'article 41 du Statut, exa-
miner si les circonstances portéesi son attention exigent I'indica-
tion de telles mesures, mais n'est pas habilitéà conclure définiti-
vement sur les faits et le droit, eta décisiondoit laisser intact le
droit des Parties de contester les faits et de faire valoir leurs
moyens sur le fond)) (ibid, p. 126,par. 41).

h) La question de la compétencerutione trmporis de la Cour dans la
procédure relative à l'indication de mesures conservatoires s'est éga-
lement poséedans l'affaire relative à I'Applicariun de lu convention
pour la prévention etla répression du crime de ginocide. Dans son
ordonnance du 8 avril 1993sur la demande en indication de mesures
conservatoires, la Cour a notamment déclaré:

((Considérantque la Cour constate que le Secrétaire généraal
considéréla Bosnie-Herzégovinecomme ayant non pas adhéré, LICÉITÉ DE L'EMPLOI DE LA FORCE (OP. DISS.KRECA) 244

mais succédé à la convention sur le génocide, etque, si tel étaitle
cas, la question de l'application des articles XI et XII1 de la
convention ne se poserait pas; considérant toutefois que la Cour
note que, mêmesi la Bosnie-Herzégovinedevait êtreconsidérée
comme ayant adhéré à la convention sur le génocide,ce qui aurait

pour conséquenceque la requêtepourrait être tenuepour préma-
turéeau moment de son dépôt, «ce fait aurait étécouvert)) par
l'écoulementdu laps de temps de quatre-vingt-dix jours qui serait
arrivé à son terme entre le dépôt de la requête et la procédure
orale sur la demande (voir ohc cessio ~usvrommuti.s-en Pales-
tine, arrêto2, 1924, C.P.J.I. sérieA no2, p. 34);que la Cour, en
décidant si elle doit ou non indiquer des mesures conservatoires,
se préoccupe moinsdu passéque du présentet de l'avenir; que,
par conséquent, mêmesi la compétencede la Cour étaitaffectée
par la limite de temps qu'invoque la Yougoslavie - point que la
Cour n'a pas à trancher dans l'immédiat - cela ne constituerait

pas nécessairement unobstacle à l'exercicepar la Cour des pou-
voirs qu'elle tient de l'article 41 de son Statut.))icafiovrde la
converltionpour lupréventionet la répressiondu&ime de géno-
cide, mesure.rconservatoires, ordonnancedu 8 uvril 1993, C.I.J.
Recueil 1993, p. 16, par. 25.)

S'agissant de la nature de la procédurerelative à l'indication de mesures
conservatoires, celle-ci n'est certainement pas conçue pour établir une
fois pour toutes, de façon définitive,la compétence de la Cour. C'est
pourquoi celle-ci. dans sa pratique, parle quasiment toujours de «corn-
pétenceprinzujilcir)) quand il est question pour elle d'indiquer des me-

sures conservatoires.Il est bien entendu difficilede trouver dans la juris-
prudence de la Cour une définition explicitede la ((compétenceprima
filcie)), mais ses éléments constitutifsn'en sont pas moins relativement
facilesà établir.Le qualificatif «primu jucie» lui-mêmedit implicitement
qu'il ne s'agit pas d'une compétence établie titre définitif,il s'agit d'une
compétencedécoulant, ou censéedécoulernormalement, d'un fait juri-
dique pertinent qui est défini in concreto comme le ((titre de compé-
tence)). Mais suffit-il d'invoquer le(titre de compétence))prr se pour
qu'il y ait compétence prirnufucie? Il ne fait aucun doute qu'il faut ici
répondrepar la négative.
On peut néanmoinsdireque le ((titre de compétence))suffitper se pour

constituer une compétence primu,facie sauf ((lorsque [l']incompétenceau
fond est manifeste))(Compétenceen matière depêcheries(Royaumc-Uni
c. Islande), mesures consertwtoires, ordonnance du 17 août 1972, C.I.J.
Recueil 1972, p. 15,par. 15; Compétence en matière depêclzeries(Répu-
hliquefédéruled'Allemugne c. Islande), mesures conservutoires, ordon-
nance du 17 uoût 1972, C.I.J. Recueil 1972, p. 33, par. 16).
Autrement dit, le cas de figure envisagé est celuiou l'incompétenceest
évidentestricto sensu, c'est-à-dire quand les Etats veulent saisir la Cour
alors qu'il n'existerigoureusement aucun chef de compétence. LICÉITÉ DE L'EMPLOI DE LA FORCE (OP. DISS.KRECA) 245

Il est parfaitement établi dans la pratique de la Cour que l'absence de
l'élémenttemporel de sa compétence,mêmesi elleest évidente, nelui ôte
pas sa compétence dès lors qu'il peut êtreaisément porté remède au
défaut temporel.

Dans son arrêtsur les exceptions préliminaires soulevéespar la You-
goslavie dans l'affaire relativeê l'Application de la convention pour la
prévention el lu répressiondu crime degénocideen date du 11juillet 1996,
la Cour a déclarénotamment:

((Certes, la compétencedela Cour doit normalement s'apprécier a
la date du dépôtde l'acte introductif d'instance. Cependant la Cour,
comme sa devancière, la Cour permanente de Justice internationale,
a toujours eu recours au principe selon lequel elle ne doit pas sanc-
tionner un défaut qui affecterait un acte de procédure et auquel la
partie requérante pourrait aisément porter remède. Ainsi, dans
l'affaire desoncessions Mavrommufi.~en Palestine, la Cour perma-
nente s'est expriméede la sorte:

((Mêmesi la base de I'introduction d'instance étaitdéfectueuse
pour la raison mentionnée, ce ne serait pas une raison suffisante
pour débouterle demandeur de sa requête.La Cour, exerçant une
juridiction internationale, n'est pas tenue d'attacherà des consi-
dérations de forme la mêmeimportance qu'elles pourraient avoir
dans le droit interne. Dans ces conditions, mêmesi I'introduction
avait étéprématurée, parceque le traitéde Lausanne n'étaitpas
encore ratifié,ce fait aurait étécouvert par le dépôtultérieurdes
ratifications requises.))C.P.J.I. série Ano2, p. 34.)

C'est du même principeque procède le dictum suivant de la Cour
permanente de Justice internationale dans l'affaire relative à Cer-
tains intérêtsullemands en Haute-Silésie polonaise:

((Mêmesi la nécessité d'une contestation formelle ressortait de
l'article 23, cette condition pourrait être tout moment remplie
par un acte unilatéral de la Partie demanderesse. La Cour ne
pourrait s'arrêtera un défaut de forme qu'il dépendrait dela seule
Partie intéresséede faire disparaître.)) (C.P.J.I. série A no 6,
p. 14.)

La présenteCour a fait application de ce principe dans l'affaire du
Cumeroun septentrional (C.I.J. Recueil 1963, p. 28), ainsi que dans
celle desActivitésmilitaires et paramilitaires uu Nicaragua et contre
celui-ci(Nicuruguu c.Etuts- Unisd'Amérique),lorsqu'elle a déclaré:
((11n'y aurait aucun sens à obliger maintenant le Nicaragua à enta-
mer une nouvelle procédure sur la base du traité - ce qu'il aurait
pleinement le droit de faire.)) (C.I.J. Recueil 1984, p. 428-429,
par. 83.)
En l'occurrence, quand bien mêmeil serait établique les Parties,
qui étaient liéeschacune par la convention au moment du dépôt de la requête,ne l'auraient étéentre elles qu'à compter du 14décembre
1995. laCour ne saurait écartersa comdtence sur cette base dans la
mesure où la Bosnie-Herzégovinepourrait a tout moment déposer
une nouvelle requête, identiquea la présente,qui serait de ce point
de vue inattaquable. » (Application de la convention pour lapréven-
tion et la répressiondu crinzedegénocide,exceptions préliminaires,
urrr^t,C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 613-614, par. 26.)

Ce n'est pas seulement la nature de la procédureen indication de me-
sures conservatoires qui s'oppose à l'établissement définitif etoncluant
de l'élémenttemporel de la compétence,c'est aussi la nature mêmede la
compétence ratione temporis de la Cour. En effet.

«la compétence ratione temporis n'existe pas en tant que concept
indépendant du droit régissant les décisions judiciaires internatio-
nales, et plus particulièrement encore du droit régissant la juridic-
tion et la compétence dela Cour. C'est un concept subordonné, don-
nant lieu a un problèmeparticulier, consistant à déterminerla nature
et l'effetde cette subordination sur la compétencepersonnelle ou ma-
tériellede la Cour, selon le cas.» (Shabtai Rosenne, The Law and
Practice of'the International Court, 1920-1996, vol. II, p. 583.)

14.2. Est-il possible de soutenir qu'en l'espèce, la réservratione tem-
poris figurant dans la déclaration yougoslave d'acceptation de la juridic-
tion obligatoire de la Cour est de nature a permettre de dire que l'«in-
compétenceau fond est manifeste))?
Il ne fait pas de doute que les Parties s'opposent fondamentalement
au sujet de la qualification de l'attaque arméemenéecontre la Répu-
blique fédéralede Yougoslavie. Pour le défendeur, deux mois de bom-
bardements et d'autres actes dirigés contre la République fédéralede
Yougoslavie représentent «une situation continue)), une unitéorganique
inextricable composéed'un grand nombre d'actes, tandis que, pour la
Yougoslavie, il s'agit d'une

((violation d'une obligation internationale ...compos[ée]d'une série
d'actions ou omissions relatives a des cas distincts, [qui] se produit
au moment de la réalisationde celle des actions ou omissions de la
sériequi établit l'existencedu fait composé)) (Projet d'articles de la
Commissiondu droit internutionulsur la responsabilitédes Etats, pre-
miPrepartie, articles 1-35, art. 25, par. 2, p. 272).

Il est d'ailleurs fait étatdans la requête dece paragraphe 2 de l'article 25
du projet d'articles sur la responsabilité desEtats établipar la Commis-
sion du droit international, lequel dispose notamment aussi:
«le temps de perpétration de la violation s'étend sur la période
entière à partir de la première des actions ou omissions dont I'en-
semble constitue le fait composé non conforme à l'obligation interna-
tionale et autant que ces actions ou omissions se répètent)) (ihid). Cette opposition fondamentale sur la façon de concevoir l'attaque
arméedirigéecontre la République fédéralede Yougoslavie représente,

du point de vue juridique, «un désaccord sur un point de droit ...une
opposition de thèsesjuridiques ou d'intérêts)s )elon la définitiondonnée
dans l'affaire des Concessions Muvrommatis en Palestine (arrêtno 2,
1924, C.P.J.I. sérieA n02, p. 11).
Il s'agit par conséquentd'un différendentre les Parties qui, en soi, ne
porte pas sur la compétence,en particulier pas sur la compétence prima
fucie; toutefois, la décisionque la Cour adoptera sur le différend peut
avoir un effet sur sa compétence rutione temporis.
Face à un différendde ce type, la Cour a en principe le choix entre
deux solutions

u) trancher le différendlege artis. Cette possibilitéest, du point de vue
de la jurisprudence bien établiede la Cour, exclusivement théorique.
Nous avons en effet affaire icià une question qui, en règlegénérale,
se résout non pas lors de la procédure en indication de mesures
conservatoires mais lors de la procédure surle fond;

hj dire, comme la Cour en a pris l'habitude, qu'il existeun désaccordsur
un point de droit, mais qu'elle
«n'est pas habilitée à conclure définitivementsur les faits ou le
droit, et que sa décisiondoit laisser intact le droit des Parties de
contester les faits et de faire valoir leurs moyens sur le fond»
(Questions d'interprétution et d'upplicution de lu convention de

Montrkal de 1971 rksultunt de l'incident akrien de Lockerhie
(Jamuhiriya arabe libyenne c. Etats- Unis d'Amérique), mesures
conservutoires, ordonnance du 14 avril 1992, C.I.J. Recueil 1992,
p. 126,par. 41).
La Cour a toutefois choisi une troisième solution qui est,à mon avis, la

moins acceptable. La Cour ne s'est pas penchéesur la solution du diffé-
rend; en outre, elle n'a pas mêmeétabliquels sont ses principaux élé-
ments, et n'a pas établi non plus que le différend en question, par sa
nature même, nesaurait être traité lors d'une procédure qui a essentiel-
lement pour objet de préserverles droits de chacune des parties, droits
qu'il faudra confronter au stade de l'examen au fond. La Cour a pure-
ment et simplement accepté l'une des thèses juridiques opposées en pre-
nant ainsi un curieux virage - c'est-à-dire qu'elle estentrée dans le
domaine de la décision provisoiresans pour autant se prononcer formel-
lement.

IV. UN CHEF SUPPLÉMENTAIRE DE COMPÉTENCE

15. Le deuxièmejour de la procédure oraledevant la Cour, le deman-
deur a présenté à l'encontre de la Belgique, 1'Etatdéfendeur,un nouveau
chef de compétence sous forme de complément,l'article 4 de la conven-tion de conciliation, de règlement judiciaireet d'arbitrage de 1930,qui se
lit comme suit:

«Tous différends au sujet desquels les Parties se contesteraient
réciproquementun droit seront soumis pour jugement à la Cour per-
manente de Justice internationaleà moins que les Parties ne tombent
d'accord, dans les termes prévus ci-aprés, our recourir un tribunal
arbitral.
Il est entendu que les différends ci-dessus visés comprennent
notamment ceux que mentionne l'article 36du Statut de la Cour per-
manente de Justice internationale.»

Dans son exposé,le conseil de la Belgique a expliqué systématique-
ment, en détail, à la fois les raisons de forme et les raisons de fond qui
militent contre l'idéede fonder la compétencede la Cour sur l'article4 de
ladite convention.
Le motif de forme est liéau moment auquel le demandeur invoque
ladite convention comme base de compétence. L'Etat défendeur, en
l'espècela Belgique, estime que le nouveau chef de compétence aétépré-
senté àun stade tardif de la procédure,«peu avant la clôture des débats))
(CR99126, p. 7), et est par conséquent irrecevable.
La Cour dit:

((Considérantque l'invocation par une partie d'une nouvelle base
dejuridiction au stade du second tourde plaidoiries sur une demande
en indication de mesures conservatoires est sans précédentdans la
pratique de la Cour; qu'une démarcheaussi tardive, lorsqu'elle n'est
pas acceptéepar l'autre partie, met gravement en pérille principe du
contradictoire et la bonne administration de la justice; et que, par
suite,a Cour ne saurait, aux fins de décidersi elle peut ou non indi-
quer des mesures conservatoires dans le cas d'espèce, prendre en
considération le nouveau chef de compétencedont la Yougoslavie a
entendu se prévaloirle 12mai 1999. » (Ordonnance, par. 44.)

La Cour adopte là une position qui ne tient pas du tout.
En ce qui concerne les chefs supplémentairesde compétence,la Cour a
une pratique fort bien établiedans sa jurisprudence. Dans l'arrêtqu'elle
rend le 26 novembre 1984dans l'affaire du Nicuraguu, elle dit ceci:

«La Cour considèreque le fait de ne pas avoir invoqué le traitéde
1956comme titre de compétencedans la requêten'empêchepas en
soi de s'appuyer sur cet instrument dans lemémoire.La Cour devant
toujours s'assurer de sa compétenceavant d'examiner une affaire au
fond, ilest certainement souhaitable que «les moyens de droit sur les-
quels le demandeur prétend fonderla compétencede la Cour» soient
indiqués dans les premiers stades de la procédure, et l'article 38
du Règlement spécifiequ'ils doivent l'être«autant que possible))
dans la requête.Un autre motif de compétencepeut néanmoinsêtre
portéultérieurement àl'attention de la Cour, et celle-cipeut en tenir LICEITEDE L'EMPLOIDE LA FORCE (OP. DISS.KRECA) 249

compte à condition que ledemandeur ait clairement manifesté l'inten-
tion de procéder sur cette baseCertainsemprunts norvégiens,C.I.J.
Recueil 1957, p. 25),àcondition aussi que le différendporté devant
la Cour par requêtene se trouve pas transformé en un autre diffé-
rend dont le caractère ne serait pas le mêmeSociétécommerciale de
Belgique, C.P.J.I. sérieAIB no 78, p. 173).» (Activitésnzilitaires et

paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-
Unis d'Amérique), C.I.J. Recueil 1984, p. 426-427, par. 80.)

La Cour a été également appelé ese prononcer sur la recevabilitéde
nouvelles bases de compétence à l'occasion de la seconde demande en
indication de mesures conservatoires dans l'affaire relative'Application
de la conventionpour la préilerztioet la répressiondu crime de génocide.
En effet, par une seconde demande déposéeau Greffe le 27juillet 1993,
la Bosnie-Herzégovine a demandé a la Cour l'indication de mesures

conservatoires complémentaires. Par des lettres en date du 6 août, du
10 août et du 13 août 1993, l'agent de la Bosnie-Herzégovinea précisé
que la compétence dela Cour reposait non pas seulement sur les bases de
compétencedéfinies précédemment mais égalemen str des bases supplé-
mentaires.
Dans l'ordonnance qu'elle rend à ce sujet le 13 septembre 1993, la
Cour conclut au paragraphe 28:
((aux fins d'une demande en indication de mesures conservatoires, la
Cour ne doit pas se refuser à priori d'examiner de telles bases sup-

plémentairesde compétence, mais elle doit se demander si, compte
tenu de toutes les circonstances, compris les considérations énon-
céesdans la décision précitéel,es textes invoquéspourraient consti-
tuer une base sur laquelle sa compétencepour connaître du différend
pourraitprima facie êtrefondée))(Application de lu conventionpour
lapréventionet la répressiondu crime de génocide, mesuresconser-
vatoires, ordonnance du 13 septembre 1993, C.I.J. Recueil 1993,
p. 339).

16. On peut par conséquent en déduire que, du point de vue de la
jurisprudence de la Cour, il faut absolument que trois conditions soient
remplies pour que de nouveaux chefs de compétencesoient recevables:
a) le demandeur doit indiquer clairement qu'il entend procéder sur cette
base;
b) l'invocation de chefs supplémentaires de compétence ne doit pas
transformer le différendportédevant la Cour par requêteen un autre
différenddont le caractère ne serait pas le même;

C) les nouveaux chefs de compétence invoquéspeuvent constituer une
base sur laquelle la compétence de la Cour pour connaître du diffé-
rend pourrait être fondéeprima facie.
Il est difficilede nier qu'au regard de ces trois conditàoremplir, de
nouveaux chefs de compétencesont parfaitement recevables en l'espèce. LICEITÉ DE L'EMPLOI DE LA FORCE (OP.DISS.KRECA) 250

Le fait mêmeque le demandeur invoque l'article 4 de la convention de
1930en s'appuyant sur la réserve relativeau droit de modifier la requête,
autorise en soia conclure qu'il a l'intention de procédersur cette base. En
outre, dans sa requête,le demandeur a clairement déclaréqu'il présentait

un complément à ladite requêtecontre la Belgique «pour violation de
l'obligation de ne pas recourir à l'emploi de la force)), ce qui précise
implicitement que ce nouveau chef de compétence netransforme pas le
différendporté devantla Cour en un autre différenddont le caractère ne
serait pas le même.(On peut citer à titre d'exemple de chef supplémen-
taire de compétencetransformant objectivement ledifférendporté devant
la Cour en un autre différenddont le caractère n'est pas le même motif
présentépar la Bosnie-Herzégovinedans une seconde demande en indica-
tion de mesures conservatoires déposée auprès du Greffe de la Cour le
27 juillet 1993: il est en effet difficile de prouver que le traité de 1919
conclu entre les Puissances alliéeset associées etleoyaume des Serbes,
Croates et Slovènessur la protection des minoritésou bien

«le droit international de la guerre coutumier et conventionnel et...
le droit international humanitaire, y compris, mais sans que cette
énumérationsoit limitative, les quatre conventions de Genève de
1949,le premier protocole additionnel de 1977 à ces conventions, le
règlementannexé à la convention de La Haye de 1907concernant les
lois et coutumes de la guerre surerre)) (Applicationde la convention
pour laprévention et la répressiondu crime de génocide, mesures
conservatoires, ordonnance du 13 septembre 1993, C.I.J. Recueil
1993, p. 341, par. 33)

ont un lien direct avec l'objet du différenddans l'affaire relaàiI'Appli-
cation de la convention pour la préventionet lu répressiondu crime de
génocide et ne transforment pas le différendportédevant la Cour en un
autre différend.)
En dernier lieu, il me paraît incontestable que la convention de 1930,
laquelle a été conclueet conçue pour réglerles différends éventuelsentre

les parties contractantes par «la conciliation, le règlement judiciaire et
l'arbitrage)) propose par définition une basesur laquelle fonder la com-
pétencede la Cour pour connaître de la requête.
Dans ces conditions. il reste ii établir si le demandeur a vraiment
invoqué son nouveau chef de compétence inextremis, à un stade tardif de
la procédure.
L'article8, paragraphe 2, du Règlementde la Cour, dispose que «[l]a
requête indiqueautant que possible les moyens de droit sur lesquels le
demandeur prétend fonder la compétence dela Cour)) (les italiques sont
de moi). Cette formule, «autant que possible)), montre clairement qu'il
n'y a pas lieu de préciser nécessairementdans la requêtetous les moyens
de droit sur lesquels le demandeur entend ((fonder la compétencede la
Cour)). Comme on peut le déduiredes exemples cités ci-dessus,la Cour
s'inspire dans sa jurisprudence de ce qui me paraît êtreainsi la seuleinter-
38, paragraphe 2, de son Règlement.
prétation possible de l'article Au reste, ni le Statut ni le Règlement de la Cour n'énoncede disposi-
tions qui définissentdirectement ou indirectement ce qu'il faut entendre
par stade «précoce» ou «tardif» de la procédure.
Il est certain qu'a cet égard,l'avis des parties en litigene constitue pas
en soi un critèrefiable et déterminant. Ce qu'ils entendent par «précoce»
ou «opportun», ou bien par «tardif» est évidemmententaché desubjec-
tivité.
C'est pourquoi il me paraît nécessairede faire appel, ne serait-ce que de

façon élémentaire, Bun critère objectif pour apprécierce qui peut repré-
senter un «stade tardif de la procédure)).
Au sens du Règlement de la Cour, on peut dire que le «stade tardif))
ou bien le «dernier stade)) de la procédurecoïncide avec la clôture offi-
cielle,tout au moins quand il s'agit de la procédurerelative à l'indication
de mesures conservatoires. C'est lal'interprétation quivient al'esprità la
lecture de l'article74, paragraphe 3, du Règlement, qui dispose notam-
ment que «[l]aCour reçoit et prend en considération toutes observations
qui peuvent lui êtreprésentées avant ka clôture de cette pro&dure» (les
italiques sont de moi). La formule très large, très générale«toutes obser-
vations)) signifie implicitement que ces «observations» peuvent être pré-
sentées soitoralement soit par écrit.
Que le droit des parties soit conçu de façon aussi large dans le cadre de
la procédurerelative a l'indication de mesures conservatoires, en particu-
lier quand il s'agit d'établirles chefs de compétence, fait échoau besoin
impératif,pour la Cour, de trouver dans un délai trèscourt, correspon-
dant a l'urgence de la procédure,une solution satisfaisante tant en ce qui

concerne sa compétence prinaa,fucie qu'en ce qui concerne les autres faits
pertinents.
Le libelléimpératif dela disposition pertinente n'autorise aucune déro-
gation. Mais il appartient àla Cour de trouver concrètement une solution
dans chaque cas d'espèce sans pour autant s'écarterde la disposition
quant au fond, une solution qui, respectant l'égalité fondamentale entre
les parties, permettrait a la partie adverse d'exposer sa position ence qui
concerne la question dont ils'agit- en l'espèce lechef supplémentaire de
compétence.
En l'occurrence, la Cour a procédéde cette façon, donnant a ladite
Partie la possibilitéde réagirdans le délaiaccordé aux Parties au second
tour de plaidoiries pour répondreaux allégations présentéelsors du pre-
mier tour.

L'argument utilisépar la Cour pour soutenir que le chef supplémen-
taire de compétence qu'apporte l'article 4 de la convention de 1930est

irrecevable correspond a une justification formelle répondant exclusive-
ment à un souci de commodité.
Si, dans le cadre d'un procès,un acte doit êtredéclaré irrecevable sim-
plement parce qu'il est sans précédentdans la pratique de la juridiction
saisie, en bonne logique, la Cour, après sa création en 1946,aura com-
mencé a fonctionner dans des conditions extraordinairement difficilespuisqu'elle n'aura pas eu la possibilitéde se familiariser avec le déroule-
ment d'un procès et les initiatives des parties.
17. Outre cette question de forme, il se pose aussi des questions de
fond. A cet égard, la question essentielle est de savoir si la République
fédéralede Yougoslavie est partie contractante à la convention de 1930.
Cette fois, la question se ramène à celle de savoir quelle est la nature des
transformations territoriales de l'ancienne République fédérativesocia-
liste de Yougoslavie et quelles ont été leurs conséquences sur le statut de
la Républiquefédéralede Yougoslavie.
Concrètement, on peut considérer la question de différents points de

vue :
uj si la Cour estime que la République fédéralede Yougoslavie est
Membre des Nations Unies indépendamment du fondement et des
modalités desa situation - que cette conclusion concerne exclusive-

ment la procédure devant la Cour ou que ce soit un principe général
- on peut alors en déduire quela Républiquefédéralede Yougosla-
vie est partie contractanteà la convention de 1930,en s'appuyant sur
l'article 35 de la convention de Vienne sur la succession d'Etats en
matière de traités quiénoncela règlesuivante:
((Lorsque, après séparation de toute partie du territoire d'un

Etat, 1'Etat prédécesseurcontinue d'exister, tout traité qui, à la
date de la succession d'Etats, étaiten vigueur à l'égardde 1'Etat
prédécesseur reste en vigueur à l'égarddu reste de son territoireà
moins :
a) que les Etats intéressésn'en conviennent autrement;
b) qu'il ne soit établique le traitése rapporte uniquement au
territoire qui s'est séparé de1'Etatprédécesseur;ou

c) qu'il ne ressorte du traitéou qu'il ne soit par ailleurs établi
que l'application du traité a l'égardde 1'Etat prédécesseurserait
incompatible avec l'objet etle but du traité ou changerait radica-
lement lesconditions d'exécutiondu traité))(convention de Vienne
sur la succession d'Etats en matière de traités, art. 35, United
Nutions Conference on Succession of States in Respect uf Trea-
fies, OfJicial Records, (Vol. III, p. 194);

b) si la Cour estime que la Républiquefédéralede Yougoslavie ne peut
pas assumer automatiquement la qualité de Membre des Nations
Unies à la place de la République fédérative socialistede Yougosla-
vie, comme l'indique la résolution 4711de l'Assembléegénérale,cette
position de la Cour n'incite pas nécessairement à conclure que la
Républiquefédéralede Yougoslavie n'est paspartie contractante à la
convention de 1930. Les notions de ((continuitéde la qualité d'Etat
Membre des Nations Unies)) et d'«identitéet continuité juridiques))

ne sont pas identiques.
La succession automatique de la qualité d'Etat Membre au sein des
Nations Unies est incontestablement l'une des formes sous lesquelles LICÉITÉ DE L'EMPLOI DE LA FORCE (OP. DISS. KRECA) 253

s'exprime lapermanence juridique d'un Etat qui subit des modifications
territoriales. Toutefois, il n'en découle pasautomatiquement que cette
succession automatique en ce qui concerne la qualité d'Etat Membre des

Nations Unies couvre intégralement la notion de continuité juridique
d'un Etat; mais il s'agit d'un élément extrêmemenitmportant de cette
continuitéjuridique, en particulier pour des raisons politiques, car la qua-
litéd'Etat Membre des Nations Unies, en soi, ne peut ni constituer cette
continuité ni l'annuler. Qu'un Etat soit membre d'organisations interna-
tionales ne donne, du point de vue constitutionnel, effet à la notion de
continuité que si cette qualité s'accompagne d'autres élémentspertinents
auxquels elle est organiquement liée. Il s'agit avant tout des relations
diplomatiques et du fait pour ledit Etat d'ètre partie à des traités en
vigueur.
Par le comportement adopté après la sécessionde certaines unitésde
l'ancienne Fédérationyougoslave, la Belgiquea reconnu, defacto tout au
moins, l'identité et lacontinuité juridiques de la République fédéralede
Yougoslavie. C'est-à-dire que la Belgique figure au nombre des pays qui

ont en permanence, sans aucune solution de continuité, entretenu des
relations diplomatiques avec la Républiquefédéralede Yougoslavie, rela-
tions qu'ils avaient précédemment établies eetntretenues à diverses pério-
des avec l'ancienne République fédérative socialistede Yougoslavie. Et
mêmequand elle a reconnu que les entités dela Fédérationyougoslave
ayant fait sécessionétaient devenues des Etats souverains et indépen-
dants et qu'ils ont établiavec ces derniers des relations diplomatiques, la
Belgique n'a pas adopté officiellement, sous la forme d'un instrument
adaptéaux relations interétatiques, une position juridique pour indiquer
que la Républiquefédéralede Yougoslavie était a ses yeux un Etat nou-
veau et qu'elle rénovaiten conséquence sesrelations diplomatiques avec
ce pays.
11faut donc en déduire inévitablement que la Belgique savait, ou
qu'elle étaitobligéede savoir que la convention de 1930est toujours en

vigueur et a par conséquent valeur obligatoire en ce qui la concerne. Il
serait difficilede croire qu'un Etat qui est un sujet de droit international
aussi bien organisé,professionnellement et intellectuellement, que la Bel-
gique n'a pas pleinement conscience de ses droits et obligations.
Sur un plan général,il est possible de formuler deux hypothèses:

a) la Belgique n'avait pas conscience que la convention de 1930étaiten
vigueur. Si l'hypothèseestjuste, la Belgiquecommettait une erreur en
ce qui concerne ses droits (erreur injus).D'après le principe général
de droit qui s'énonce ignorantiu legis nocer, lequel appartient égale-
ment au droit des traités(1969),cette erreur est dénuée de pertinence;
h) la Belgique avait conscience que la convention de 1930 était en
vigueur, mais, pour une raison ou une autre, elle n'en a pas fait état
au cours de la procédure devant la Cour. Pour des raisons pratiques
tenant à cette procédure devant la Cour, la différenceentre les hypo-

thèses a) et h) est ici sans aucune importance. La position que la Cour adopte au paragraphe 44 de son ordonnance
n'est absolument pas acceptable.
Vu les indications claires, dépourvues d'ambiguïté, que donne à cet
égard le paragraphe 3 de l'article 74 de son Règlement, la Cour était
tenue d'entendre les observations de la République fédéralede Yougo-
slavie qui présentaient la convention de 1930comme une base addition-
nelle de compétence etd'en tenir compte. L'article 4 de cette convention
est une base de compétence prinlafucie de la Cour dans la procédureen
indication de mesiires conservatoires requises par le demandeur. Prati-
quant la logique qu'elle a suivie dans l'affaire de l'Application de lu
convention sur legénocide,la Cour n'aurait pas eu besoin de se pencher
sur la question de la succession d'Etats.

Dans la seconde procédure en indication de mesures conservatoires,
dans cette même affairerelative à l'Application de lu convention sur le
génocide, au sujet des thèses de la Bosnie-Herzégovinequi voulait faire
du traité de 1919 un chef de compétence,la Cour a en effet énoncé la
conclusion suivante :

«la Cour ...n'aura à se prononcer ni sur le maintien en vigueur, ni
sur l'interprétation des articles Il et 16dudit traité;...à première
vue, le texte du traité de 1919 impose une obligation au Royaume
des Serbes, Croates et Slovènesde protéger les minorités sur son
propre territoire;...en conséquence..., si, et dans la mesure où la
Yougoslavie est aujourd'hui liéepar le traité de 1919 en tant que
successeur de ce royaume, ses obligations en vertu de ce traité
seraient apparemment limitées àl'actuelterritoire de la Yougoslavie))
(Applicution de la convention pour la préventionet [arépression du
crime de génocide, tnesure.~(~onservutoires,ordonnance du 13 sep-
tembre 1993, C.I.J. Recueil 1993, p. 340, par. 31).

En sus de la cohérence dont la Cour témoigne dans sa jurisprudence
quand les situations sont pour l'essentiel identiques, il faut aussi noter
que la ressemblance entre la présente instance et l'affaire citée ci-dessus
tient au fait que la convention de 1930peut être considéréc eomme une
expression conventionnelle de l'obligation impérativede caractère géné-
ral imposant aux parties contractantes de réglerleurs différendsde façon

pacifique.
Mêmesi le document dans lequel le de.mandeur a fait valoir que la
convention de 1930 était un chef supplémentaire de compétence devait
êtredéclaré«irrecevable», la Cour ne pouvait pas faire abstraction de
l'existense de ladite convention. En l'occurrence, elle aurait pu faire une
distinction entre le document lui-mêmeet la convention de 1930en tant
que base de compétence.Ce d'autant plus que la teneur de l'ordonnance
semble dénoter un certain regret qu'en des circonstances d'indéniable
urgence et de préjudiceirréparablela Cour n'ait pu, pour des raisons de
caractère formel, se déclarercompétente.
Mais, telle qu'elle se présente,sa formulation paraît purement rhéto-
rique et sans substance. 18. Au paragraphe 16de son ordonnance, la Cour dit:

((Considérant que la Cour est profondément préoccupéepar le
drame humain, les pertes en vieshumaines et lesterribles souffrances
que connaît le Kosovo et qui constituent la toile de fond du présent
différend, ainsique par les victimes et les souffrances humaines que
l'on déplorede façon continue dans l'ensemble de la Yougoslavie. ))

Le libelléde cette déclaration me paraît inacceptable pour plusieurs
raisons. La première est que cet énoncé faitpart d'une préoccupation
humanitaire double. La Cour dit être ((profondémentpréoccupée)) et
évoqueen même temps «les pertes en vies humaines)) et ((lesvictimes)).
De sorte qu'en ce qui concerne «l'ensemble de la Yougoslavie», la Cour
évoquetechniquement ((lesvictimes))comme un fait qui ne cause pas de
((préoccupation profonde)). En outre, l'énoncépermet également de

l'interprétercomme signifiant que le Kosovo ne fait pas partie de la You-
goslavie. C'est-à-dire qu'aprèsavoir mis en relief la situation ausovo-
Metohija, la Cour utilise l'expression ((dans l'ensemble de la Yougosla-
vie)). Compte tenu de la situation de fait et de la situation de droit, il
aurait fallu dire «dans le reste de la Yougoslavie». De surcroît, faire allu-
sion au «Kosovo» et à «l'ensemble de la Yougoslavie» non seulement
n'a aucun fondement juridique dans la situation actuelle, mais ne repose
pas sur les faits non plus. C'est l'ensemblede la Yougoslavie qui est atta-
qué.Les souffrances et lespertes en vies humaines sont malheureusement
un fait s'appliquant en généralau pays tout entier; dans ces conditions,

mêmesi elle avait eu à sa disposition des chiffres précisconcernant le
nombre des victimes et l'ampleur des souffrances de la population de la
Yougoslavie, la Cour n'aurait de toute façon pas eu le droit moral d'éta-
blir la moindre discrimination à cet égard. De plus, dire que «le drame
humain ...et les terribles souffrances que connaît le Kosovo et qui cons-
tituent la toile de fond du présent différend))non seulement est une indi-
cation de caractère politique mais représente, ou pourrait représenter,
une sorte dejustification de l'attaque arméemenéecontre la Yougoslavie.
Il suffit de rappeleà ce propos que 1'Etatdéfendeurqualifie son action
arméed'intervention humanitaire.

Il appartientà la Cour d'établir à un stade ultérieurde la procédure
quelle est véritablement la situation en droit, c'est-A-direquels sont les
faits pertinents. Au stade actuel, la question des raisons profondes de
l'attaque arméedirigéecontre la Républiquefédérale de Yougoslavie fait
l'objet d'allégations politiques. Le défendeur soutient qu'il s'agit d'une
intervention humanitaire provoquéepar «le drame humain et lesterribles
souffrances)),tandis que le demandeur estime que sedes materiae les rai-
sons profondes sont à chercher ailleurs - dans le soutien apporté à
l'organisation terroristà l'Œuvreau Kosovo et dans la volonté politique
de sécessionqui anime le Kosovo-Metohija.
Nous avons donc affaire ici à des qualifications politiques opposées LICÉITE DE L'EMPLOI DE LA FORCE (OP. DISS. KRECA) 256

dans lesquelles la Cour ne devrait pas entrer, cela lui est mêmeinterdià
mon avis, si ce n'est dans le cadre d'une procédurejudiciaire normale.
19. L'énoncédu paragraphe 50 de l'ordonnance donne l'impression
que la Cour cherche assez élégamment a renvoyer la balle dans lejardin
du Conseil de sécurité.Pour l'essentiel, c'est inutile, parce que, sous sa
forme actuelle, cet énoncén'est qu'une simple paraphrase d'une donnée
élémentaire quiest que <<leConseil de sécurité est investide responsa-
bilitésspécialesen vertu du chapitre VI1 de la Charte)). 11est possible,
certes, de l'interpréter aussi comme un appel lancé a l'organe des

Nations Unies qui est très précisémentchargéde prendre des mesures
en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix ou d'acte d'agres-
sion et qui a d'ailleurs été conçu à cet effet; mais, en l'occurrence, la
Cour devrait rappeler aussi une autre donnée élémentairee:n vertu de l'ar-
ticle 36,paragraphe 3, de la Charte des Nations Unies, un différendjuri-
dique doit êtresoumis a la Cour internationale de Justice.
20. En utilisant l'appellation «Kosovo » au lieu de l'appellation offi-
cielle de«Kosovo-Metohija)), la Cour a continué de suivre la pratique
des organes politiques des Nations Unies, pratique dont, d'ailleurs, les
Etats défendeurs nese départissent jamais.
Il est difficilede justifier pareille pratique, sauf, bien entendu, si nous
admettons que l'opportunité politique, les intérêts politiques et concrets

sont à cet égard desarguments valables. C'est ceque montre également
de façon éloquentela pratique suivie pour désignerla République fédé-
rale de Your"oslavie. A la suite de la sécessionde certaines ~arties de
l'ancienne Fédérationyougoslave, les organes des Nations Unies et les
Etats défendeurs eux-mêmes ont utiliséla formule «Yougoslavie (Serbie
et Monténégro))).Mais, depuis le 22 novembre 1995,le Conseil de sécu-
rité utilise,dans ses résolutions 1021 et 1022, la formule ((République
fédéralede Yougoslavie)) au lieu de l'ancienne formule ((République
fédérativede Yougoslavie (Serbie et Monténégro))),sans qu'il y ait eu de
décision expresseà cet égard etdans une situation de droit inchangéepar
rapport a celle dans laquelle le Conseil, comme d'autres organes des
Nations Unies, se servait de la formule ((Républiquefédérativede You-

goslavie (Serbieet Monténégro))).Le fait que ce changement de pratique
du Conseil de sécuritédate du lendemain du jour où a étéparaphé
l'accord de paix de Dayton autorise à soutenir avec assez de fermetéque
cette pratique concrète ne s'inspire pas de critères juridiques objectifs
mais plutôt de critèrespolitiques.
En utilisant le terme «Kosovo»au lieu du nom «Kosovo-Metohija~,
la Cour. en fait, fait deux chosesà la fois:

a) elle adopte l'appellation courante et populaire servantà désignerles
unités territoriales d'un Etat indépendant;
h) elle laissede côtél'appellation officiellede la province méridionalede
Serbie, appellation consacrée par les actes constitutionnels et juri-
diques tant de la Serbie que de la Républiquefédéralede Yougosla-

vie. Enoutre, la Cour agit ainsicontrairementla pratique établiepar les LICÉITÉ DE L'EMPLOI DE LA FORCE (OP. DISS. KRECA)
257

organisations internationales compétentes. Par exemple, la désigna-
tion officielle de la province méridionale de Serbie «Kosovo-Meto-
hijan est cellequi figure dans l'accord conclu par la Républiquefédé-
rale de Yougoslavieet l'Organisation pour la sécuritet la coopération
en Europe (International Legal Materials, 1999,vol. 38, p. 24).
Mêmesi pareille pratique, laquelle, A mon sens, est totalement incor-

recte. non seulement sur le plan du droit mais aussi du point de vue du
bon usage, pouvait se défendre quand elle émane d'entitésqui situent
l'intérêett la commoditéau-dessus de la loi, elle est inexplicable quand
elle émane d'un organejudiciaire.
21. L'expression «droit humanitaire)) que la Cour utilise aux para-
graphes 19 et 48 de son ordonnance prête également à confusion, pour
une double raison : d'un côté,la Cour ne manifeste pas une parfaite cohé-
rence dans l'emploi de cette formule. Dans l'affaire de l'Application de
lu convention sur le génocide, la Cour a dit que ladite convention faisait
partie du droit humanitaire, alors qu'il est manifeste qu'en raison de sa
nature même, ladite conventionrelèvedu droit pénalinternational (voir
l'opinion dissidente de M. KreCadans l'affaire relativeà l'Application de
la convention pour lu préventionet la répressiondu crime de génocide,
escepfionsprélinlinuires,C. I.J. Recueil1996 (II), p. 774-775, par. 108).
D'un autre côté,il me semble quedans la présenteordonnance, la for-

mule «droit humanitaire)) est employéeen un sens différentplus proche
du sens généralement accepté aujourd'hui. Et il convient de faire précisé-
ment état del'extrait pertinent de l'ordonnance en raison mêmedu libellé
des paragraphes 19et 48. En isolant le droit humanitaire parmi les règles
de droit international que les parties sont tenues de respecter, il est pos-
sible que la Cour veuille, discrètement, voire timidement, justifier impli-
citement l'attaque arméedirigéecontre la République fédéralede You-
goslavie ou tout au moins en atténuer les conséquencessur le plan du
droit.
Dans son premier sens juridique, le droit humanitaire correspond
implicitement aux règlesdu jus in bello. Si la Cour s'inspirait, comme
je n'en doute nullement, de considérations humanitaires quand elle a
souligné la nécessitéde respecter les règlesdu droit humanitaire, elle
aurait dù souligner expressément aussil'importance fondamentale que

revêt la règleénoncée a l'article 2, paragraphe 4, de la Charte, laquelle
trace la ligne de démarcation entre une sociétéinternationale primitive,
où le droit fait défaut, et une communauté internationale organiséeoù
règnele droit.

(Signé) Milenko KRECA.

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TABLE OF CONTENTS

Purugruphs

1-4
5-7

III. JURISDICTION ASLUES 8-14
Jurisdiction of the Courtione prrsonae 8-10
Jurisdiction of the Court rutione rnateriue 11-13
14
Jurisdiction of the Court ratinnr teri~poris
IV. ADDITIONA GROUND OFJURISDICTION 15-17
18-21
V. OTHER RELEVANITSSUES OPINION DISSIDENTE DE M. KRECA

[Traduction]

1.
LA COMPOSITION DE LCOUR EN L'ESPECE
11.LE PROBLEME HUMANITAIRE EN L'ESPECE

111.LES QUESTIONS DE COMPÉTENCE
Compétencede la Cour rurione personae
Compétencede la Cour rutione mutcriue

Compétence de la Cour rutione temporis
IV. UN CHEF SUPPLEMENTAIRE DE COMPETENCE

V. AUTRE SUESTIONS PERTINENTES 1. In the context of the conceptual difference between the interna-
tional magistrature and the interna1 judicial system within a State, the
institution of judge ud hoc has two basic functions:

"(a) to equalize the situation when the Bench already includes a
Member of the Court having the nationality of one of the parties;
and (h) to create a nominal equality between two litigating States
when there is no Member of the Court having the nationality of
either party" (S. Rosenne, The Laiv und Practice of the Internutional
Court, 1920-1996, Vol. III, pp. 1124-1125).

In this particular case room is open for posing the question as to
whether either of these two basic functions of the institution of judge ad
hoc has been fulfilledat all.
It is possible to draw the line between two things.
The first is associated with equalization of the Parties in the part con-
cerning the relations between the Applicant and the respondent States
which have a national judge on the Bench. In concreto, of special interest
is the specific position of the respondent States. They appear in a dual
capacity in these proceedings:

primo, they appear individually in the proceedings considering that
each one of them is in dispute with the Federal Republic of Yugoslavia:
and,
secondo, they are at the same time member States of NATO under
whose institutional umbrella they have undertaken the armed attack on
the Federal Republic of Yugoslavia. Within the framework of NATO,
these respondent States are acting in corpore, as integral parts of an
organizational whole. The corpusof willsof NATO member States, when
the undertaking of military operations is in question, is constituted into a
collective will which is, formally, the will of NATO.

2. The question may be raised whether the respondent States can
qualify as parties in the same interest.
In its Order of 20 July 1931in the case concerning the Customs Régime
hetbi~renGermany und Austriu, the Permanent Court of International Jus-
tice established that:

"al1governments which, in the proceedings before the Court, come
to the same conclusion, must be held to be in the same interest for
the purposes of the present case" (P.C.I.J., Series AIB, No. 41,
p. 88).
The question of qualification of the "same interest", in the practice of

the Court, has almost uniformly been based on a forma1 criterion, the
criterion of "the same conclusion" to which the parties have come in the
proceedings before the Court. LICÉITÉ DE L'EMPLOI DE LA FORCE (OP. DISS.KRECA) 217

1. LA COMPOSITION DE LA COUR EN L'ESPÈCE

1. Compte tenu de la différencede principe entre la magistrature inter-
nationale et le système judiciaire interne de chaque Etat, l'institution du
juge ad hoc a fondamentalement un double rôle:

«a) rétablir l'égaliquand la Cour comprend d'ores et déjàsur le
siègeun juge ayant la nationalitéde l'une desparties; et créerune
égalité symboliqueentre deux Etats en litige quand aucun membre
de la Cour n'a la nationalité de l'une des parties)) Rosenne, The
Law and Practice of the International Court, 1920-1996, vol. III,
p. 1124-1125).

En l'espèce,on peut se demander si l'institution du juged hoc a bien
exercé l'unequelconque de ces deux fonctions élémentaires.

Il est possible de distinguer deux éléments.
Le premier est liéà ce rétablissementde l'égalitentre les parties en ce
qui concerne les relations entre le demandeur et les Etats défendeursqui
ont un juge national sur le siège.In concreto, il faut s'intéresseà cet
égard à la position particulière des Etats défendeurs. Ces derniers, en

effet, comparaissenta un double titre:
primo, ils comparaissent individuellement puisque chacun d'eux esten
litige avec la Républiquefédéralede Yougoslavie;

secundo, ce sont en mêmetemps des Etats membres de l'OTAN dans le
cadre institutionnel de laquelle ils ont engagé uneattaque arméecontre la

Républiquefédéralede Yougoslavie. Dans ce cadre de I'OTAN, les Etats
défendeursagissent in corpore,en tant que parties intégrantesd'une orga-
nisation constituant un tout. L'ensemble, le corpus, des volontés des
Etats membres de l'OTAN, quand il s'agit de mener des opérationsmili-
taires, constitue une volonté collective qui est officiellement celle de
I'OTAN.

2. On peut se demander par ailleurs si les Etats défendeurs peuvent
êtreconsidéréscomme faisant cause commune.
Dans l'ordonnance rendue le 20 juillet 1931dans l'affaire du Régime
douanier entre l'Allemagne et l'Autriche, la Cour permanente de Justice
internationale a énoncéle principe suivant:
«tous les gouvernements qui, devant la Cour, arrivent à la même

conclusion, doivent êtreconsidéréscomme faisant cause commune
aux fins de la présenteprocédure))(C.P.J.I. sérieAIB no 41, p. 89).

Dans sa pratique, la Cour a quasiment toujours établi qu'il y avait
«cause commune)) en se fondant sur un critère formel, celui de la
«mêmeconclusion» à laquelle aboutissent les parties comparaissant
devant elle. In the present case, the question of "the same conclusion" as the rele-
vant criterion for the existence of "the same interest" of the respondent
States is, in my opinion, unquestionable. The same conclusion was, in a
way, inevitable in the present case in view of the identical Application
which the Federal Republic of Yugoslavia has submitted agdinst ten

NATO member States, and was formally consecrated by the outcome of
the proceedings before the Court held on 10, 11 and 12 May 1999, in
which al1the respondent States came to the identical conclusion resting
on the foundation of practically identical argumentation which differed
only in the fashion and style of presentation.
Hence, the inevitable conclusion follows, it appears to me, that al1the
respondent States are in concreto parties in the same interest.
3. What are the implications of this fact for the composition of the
Court in the present case? Article 31, paragraph 2, of the Statute says:
"If the Court includes upon the Bench a judge of the nationality of one of
the parties, any other party may choose a person to sit as judge."

The Statute, accordingly, refers to the right of "any other party",
namely, a party other than the party which has a judge of its nationality,
in the singular. But, it would be erroneous to draw the conclusion from
theabove that "any other party", other than the party which has ajudge
of its nationality, cannot, under certain circumstances, choose several
judges ad hoc. Such an interpretation would clearly be in sharp contra-
diction with ratio legisof the institution of judge ad hoc, which, in this
particular case, consists of the function '70 equalize the situation when
theBench already includes a Member of the Court having the nationality
of one of the parties" (S. Rosenne, The Luit, und Pructice cfthe Interna-
tional Court, 1920-1996, Vol. III, pp. 1124-1125).The singular used in

Article31,paragraph 2, of the Statute with reference to the institution of
judges ud hoc is,consequently, but individualization of the general, inher-
ent right to equalization in the composition of the Bench in the relations
between litigating parties, one of which has a judge of its nationality on
theBench, while the other has not. The pructicul rneunirzgof this principle
upplied in casum ivould inzply the right of the Applicunt to choose us
muny judges ad hoc to sit on the Bench as is necessury to equalize the
position of the Applicant und thut uf those respondent Stutes ichich have
judges oftheir nationality on the Bench und ivhichslzarethe sume interest.
In concreto, the inherent right to equalization in the con~positionof the
Bench, as an expression ofjiindun7entul rule (?f'equalityof parties. means

thut the Federul Repuhlic of Yugosluiliu ,sllouldhuve the right to choose
jive judges ad hoc, .rinceeven$fii)eout often respondent States (the United
States of America, the Uoited Kingdom, Frunce, Germuny and the Neth-
erlunds) huve their national judges sitting on the Benclz.
Regarding the notion of equalization which concerns the relation
between the party entitled to choose its judge ad hoc and the parties
which have their national judges on the Bench, the fact is that the Federal
Republic of Yugoslavia, as can be seen from the Order, did not raise any
objections to the circumstance that as many as five respondent States En l'espèce, il est indubitable que la formulation d'une conclusion
identique est le critère pertinent permettant d'établirque les Etats défen-

deurs font «cause commune)). Il était en quelque sorte inévitablede for-
muler la mêmeconclusion en l'espècepuisque la République fédéralede
Yougoslavie a présenté une requête identiqueà l'encontre de dix Etats
membres de l'OTAN et l'on en a eu la preuve officielle à l'issue de la pro-
cédure qui s'est dérouléedevant la Cour les 10, 11 et 12 mai 1999, les
Etats défendeurs aboutissant tous à une conclusion identique reposant
sur une argumentation pratiquement identique dont les seules variations
concernent la forme et le mode de présentation.
D'où la conclusion inévitable à mon sens que les Etats défendeurs font

tous in concret0cause commune.
3. Quelles incidences faut-il en tirer pour la composition de la Cour en
l'espèce? L'articl3 1,paragraphe 2,du Statut, dispose: «Si la Cour compte
sur le siègeun juge de la nationalité d'une des parties, toute autre partie
peut désigner unepersonne de son choix pour siégeren qualitéde juge.))
Le Statut, donc, définit ainsi le droit de «toute autre partie)), c'est-
à-dire une partie autre que celle qui compte un juge de sa nationalité sur le
siège, et il parle de cette autre partie au singulier. Maisilserait erroné

d'en déduireque «toute autre partie)) que celle qui compte un juge de sa
nationalité sur le siege ne peut pas, dans certains cas, désigner plusieurs
juges ad hoc. Retenir cette interprétation serait manifestement contraire à
la ratio legis de l'institution du juge aclhoc. lequel en l'espèce a pour
objet «de rétablir l'égalitéquand la Cour comprend d'ores et déjàsur le
siègeun juge ayant la nationalité de I'une des parties)) (S. Rosenne, The
Lair und Practice qfthe Itzternational Court, 1920-1996, vol.III,p. 1124-
1125).L'usage du singulier à l'article31,paragraphe 2, du Statut, quand
il est question de l'institution du jugead hoc, permet donc simplement

d'individualiser ce droit général, intrinsèque,au rétablissement de l'éga-
lité entre les parties en litige en ce qui concerne la composition de la
Cour, quand I'une des parties compte un juge de sa nationalité sur le
siègetandis que l'autre n'en a pas. ConcrPtement,appliqué ù laprésente
instance, ce principe signijieimplicitement que le demandeur a le droit de
clésignerautant dejuges ad hoc qu'illefaut pour rétablirl'égalité entreIr
demandeuret les Etats déjhndeursquicomptent unjuge de leur nationalité
sur le siègeet qui,font cause commune. Concrètement,ce droit,fondumen-

ta1 au rétubli.ssementde l'égalitédans la composition de la Cour, qui
ripond ù la règlefondame~ltulr de I'igulitédes parties, signije que la
République fédérale de Yougo.sla~~id eoit avoir le droitcl résignercinq
juges ad hoc, puisque, sur lesdix Etats ciéjendeurs,il y en a cinq (les
Etats-Unis d'Amérique.le Royaume-Uni, la France, l'Allemagne et les
Pays-Bas) qui comptent un juge national sur le siège.
S'agissant de ce rétablissement de l'égalitéentre la partie autorisée à
désigner un juge ad hoc de son choix, d'une part, et, de l'autre, les parties
qui comptent un juge national sur le siège,le fait est que la République

fédéralede Yougoslavie, comme on peut le constater dans l'ordonnance,
n'a soulevéaucune objection au cas de figure qui se présentait et qui étaithave judges of their nationality on the Bench. However, this circum-
stance surely cannot be looked upon as something making the question
irrelevant, or, even as the tacit consent of the Federal Republic of Yugo-
slavia to such an outright departure from the letter and spirit of
Article 31, paragraph 2, of the Statute.
The Court has, namely, the obligation to take account ex ojJcio of the
question of such a fundamental importance, which directly derives from,

and vice versa, may directly and substantially affect, the equality of the
parties. The Court is the guardian of legality for the parties to the case,
for which presumptio juris et dejure alone is valid - to know the law
(jura novit curia). As pointed out by Judges Bedjaoui, Guillaume and
Ranjeva in their joint declaration in the Lockerhie case: "that is for the
Court - not the parties - to take the necessary decision" (Questions of
Interpretation and Application qf the 1971 Montreal Convention arising
from the Aerial Incident ut Lockerbie (Libyan Arab Jamahiriya v. United
Kingdom), 1.C.J. Reports 1998, p. 36, para. 11 ).

A contrario, the Court would risk, in a matter which is ratio legis

proper of the Court's existence, bringing itself into the position of a pas-
sive observer, who only takes cognizance of the arguments of the parties
and, then, proceeds to the passing of a decision.
4. The other function is associated with equalization in the part which
is concerned with the relations between the Applicant and those respon-
dent States which have no national judges on the Bench.
The respondent States having no judge of their nationality on the
Bench have chosen, in the usual procedure, their judges ad hoc (Belgium,
Canada, Italy and Spain). Only Portugal has not designated its judge ad
hoc. The Applicant successively raised objections to the appointment of
the respondent States'judges ad hoc invoking Article 31, paragraph 5, of

the Statute of the Court. The responses of the Court with respect to this
question invariably contained the standard phrase "that the Court . . .
found that the choice of a judge ad hoc by the Respondent isjustified in
the present phase of the case".
Needless to say, the above formulation is laconic and does not offer
sufficient ground for the analysis of the Court's legal reasoning. The only
element which is subject to the possibility of teleological interpretation
is the qualification that the choice of a judge ad hoc is "justified in the
present phase of the case". A contrario, it is, consequently, possible that
such an appointment of a judge ad hoc would "not be justified" in some
other phases of the case. The qualification referred to above could be
interpreted as the Court's reserve with respect to the choice of judges ad

hoc by the respondent States, a reserve which could be justifiable on
account of the impossibility for the Court to perceive the nature of their
interest - whether it is the "same" or "separate" - before the parties set
out their positions on the case.
The meanings of equalization as a rutio legis institution of judges ad
hoc, in the case concerning the Applicant and respondent States whichque cinq Etats défendeurs, pas moins, comptaient un juge de leur natio-
nalitésur le siège.Mais il n'est certainement pas possible de considérer
que ce cas de figure ôte toute pertinence à la question, mêmesi la Répu-
blique fédérale de Yougoslaviea tacitement admis une telle dérogation
flagrante à la lettre età l'esprit de l'article 31,paragraphe 2, du Statut.

La Cour a, quant à elle, l'obligation de prendre en considération. ès
qualité, cette question qui est ce point cruciale, qui découledirectement
de l'égalité depsarties et,à l'inverse, qui risque en outre de porter direc-
tement et sensiblement atteinte iil'égalité desparties. La Cour est le gar-
dien de la légalitépour les parties, et, a cette fin, seule est valable la
presumptio juris et de jure - il faut savoir le droit (jura novit curiu).
Comme l'ont dit trois membres de la Cour, MM. Bedjaoui, Guillaume et
Ranjeva, dans la déclaration commune qu'ils ont faite dans l'affaire Loc-
kerhie: «il appartient à la Cour et non aux parties de prendre la décision
requise)) (Questions d'inferprétationet d'application de la conventioizde
Montrkul de 1971 résultantde l'incidentaérien deLockerhie (Jamalziriyu

arabe libyenne c. Royaume-Uni), C.I.J. Recueil 1998, p. 36, par. 11).
A contrario, la Cour risquerait, alors que la question relèvevéritable-
ment de sa raison d'être. dese cantonner dans l'attitude de l'observateur
passif, qui se contente de prendre connaissance des thèses des parties,
mis se Drononce.
4. Le second élément à étudierest celui du rétablissementde l'égalité
dans les relations entre le demandeur et les Etats défendeurs qui ne
comptent pas de juge national sur le siège.
Les Etats défendeursne comptant pas de juge national sur le siègeont,
suivant la procédurehabituelle, désignéun juge ud hoc de leur choix (Bel-
gique, Canada, Espagne et Italie). Seul le Portugal n'a pas désignédejuge

(rdhoc. Le demandeur a successivement soulevé desobjections à la dési-
gnation de cesjuges ad hoc des Etats demandeurs en invoquant le para-
graphe 5 de l'article 31 du Statut de la Cour. Chaque fois, la Cour a
répondu par la formule habituelle: «La Cour, ...est parvenue à la
conclusion que la désignationd'un juge ad hoc par [ledéfendeur] sejus-
tifiait dans la présente phasede l'affaire)).
Certes, la formule est laconique, trop peu détailléepour permettre
d'analyser le raisonnement juridique suivi par la Cour. Le seul élément
qui se prêteà une interprétation téléologique estle membre de phrase ser-
vant a qualifier la désignationd'un juge ad hoc. laquelle serait «justifi[ée]
dans la présentephase de l'affaire)). A contrurio, il est donc possible que

cette déSignationde juges ad hoc ne soit «pas justifiée))dans certaines
autres phases de l'affaire. Cette qualification peut s'interpréter comme
une réserve,de la part de la Cour, quant a la désignationde juges ad hoc
par les Etats défendeurs,réservequi s'expliquerait par l'impossibilité ou
se trouverait la Cour de voir, avant qu'elles définissent leurposition, quel
est l'intérêt depsarties- font-elles ou non cause commune?

Le sens à donner au rétablissement de l'égalitéentre les parties,
puisque c'est la raison d'être de l'institutiondu juged hoc dans le cas deare parties in the same interest, and which do not have a judge ad hoc of
their nationality on the Bench, have been dealt with in the practice of the
Court, in a clear and unambiguous manner.

In the South West Africa case (1961) it was established that, if neither
of the parties in the same interest has ajudge of its nationality amongthe
Members of the Court, those parties, acting in concert, will be entitled to
appoint a single judge ad hoc (South West A,fricu, I.C.J. Reports 1961,

P. 3).
If, on the other hand, among the Members of the Court there is ajudge
having the nationality of even one of those parties, then no judge ad hoc
will be appointed (Territoriul Jurisdiction of the Internutional Comrnis-
sion of the River Oder, 1929, P.C.1J., Series C, No. 17-11.p. ; Customs
Régime betiz3een Germany und Austria. 1931, P.C.I.J., Series AIB.
No. 41, p. 88).
This perfectly coherent jurisprudence of the Court upplied to this par-
ticulur case means that rîone of the respondent States ivere entitled to
uppoint ajudge ad hoc.
Consequently, it may be said that in the present case neither of the two
basic functions of the institution of judge ad hoc has been applied in the
composition of the Court in a satisfactory way. In my opinion, it is a
question of the utmost specific weight in view of the fact that, obviously,

its meaning is not restricted to the procedure, but that it may have a far-
reaching concrete meaning.

II. HUMANITARIA CNONCERN IN THISPARTICULA RASE

5. Humanitarian concern, as a basis for the indication of provisional
measures, has assumed primary importance in the more recent practice of
the Court.
Humanitarian concern has been applied on two parallel tracks in the
Court's practice:

(a) In respect of the individual

In this regard the cases concerning LaGrand (Germany v. United
States of America) and the Vienna Convention on Consular Relations
(Paraguaj~v. United States of Americu) are characteristic.
In both cases the Court evinced the highest degree of sensibility for the
humanitarian aspect of the matter, which probably found its full expres-
sion in the part of the Application submitted by Germany on 2 March

1999 :
"The importance and sanctity of an individual human life are well
established in international law. As recognized by Article 6 of the
International Covenant on Civil and Political Rights. every human
being has the inherent right to life and this right shall be protectedfigure où le demandeur et les Etats défendeursqui font cause commune
ne comptent pas dejuge ud hoc de leur nationalitésur le siège,a été défini
dans la pratique de la Cour de façon très claire, sans la moindre ambi-

guïté.
Dans I'affaire du Sud-Ouest ajiicain (1961), il a été décidéue, au cas
où ni I'uneni l'autre des Partiesfaisant cause commune ne compterait de
juge de sa nationalité sur le siège,lesdites Parties auraient la faculté de
désignerd'un commun accord un seul juge ad hoc (Sud-Ouest africain.
C.I.J. Recueil 1961, p. 3).
Si, en revanche, la Cour compte parmi ses membres un juge ayant la
nationalité d'une des parties, ne serait-ce que de I'une d'elles,l ne sera
pas désignéde juge ad hoc (Juridiction territoriale de la Commission
internationale de l'Oder. 1929, C.P.J. I.série Cno 17 (II), p. 8 ;Régime
douunier entre I'Allemugne et l'Autriche. 1931, C.P.J.I.skrie AIB no 41,
p. 88).

Si l'onapplique à lu présenteinstance cette jurisprudence purjaitement
cohérentede lu Cour, aucun des Etuts defendeurs n'étuithabilité à dési-
gner un jugc ad hoc.
On peut donc dire qu'en l'espèce,ni l'une nil'autre des deux fonctions
élémentairesde l'institution du juge ad hoc n'a été rempliede façon satis-
faisante du point de vue de la composition de la Cour. A mon sens, la
question revêtun intérêttout particulier parce que, manifestement, son
importance ne se limite pas à la procédure et pourrait avoir une portée
concrète de trèsgrande ampleur.

II. LE PROBLEME HUMANITAIRE EN L'ESPÈCE

5. Les problèmes humanitaires en tant que motif d'indication de me-

sures conservatoires revêtent uneimportance primordiale dans la pra-
tique la plus récentede la Cour.
En la matière, la Cour suit deux voies parallèles:

a) L'intérêptarticulier de lu personne

A cet égard,l'affaire LaCrund (Allemagne c.Etuts-Unis d'ilrnérique)
et l'affaire relatiàela Convention de Viennesur 1e.srelutions con.vu1aire.r
(Purugua)~ c. Etats-Unis d'Amérique)sont caractéristiques.
Dans les deux affaires, la Cour s'est montrée extrêmementsensible à
l'aspect humanitaire de la question à examiner, ce qu'exprime probable-
ment au mieux la requêteprésentéepar l'Allemagne le 2 mars 1999:

((L'importance et le caractère sacréde la vie humaine sont des
principes bien établis du droit international. Comme le reconnaît
l'article du pacte international relatif aux droits civilset politiques,
le droità la vieest inhérent à la personne humaine et ce droit doit by law." (LaGrand (Germuny v. United States of America), Provi-
sional Meusures, Order of3 March 1999, 1.C. J. Reports 1999, p. 12,
para. 8).

The following day, the Court already unanimously indicated provisional
measures because it found that in question was "a matter of the greatest
urgency" (ibid.,p. 15,para. 26),which makes it incumbent upon the Court
to activate the mechanism of provisional measures in accordance with
Article 41 of the Statute of the Court and Article 75, paragraph 1, of the
Rules of Court in order: "to ensure that Walter LaGrand is not executed
pending the final decision in these proceedings" (ihid, p. 16,para. 29).

Almost identical provisional measures were indicated by the Court in
the dispute between Paraguay and the United States of America which
had arisen on the basis of the Application submitted by Paraguay on
3 April 1998. On the same day, Paraguay also submitted an "urgent
request for the indication of provisional measures in order to protect its
rights" (Vienna Convention on Consular Relations (Puraguay v. United
States of America), Order of 9 April 1998, 1C.J. Reports 1998, p. 251,
para. 6). As early as 9 April 1998the Court unanimously indicated pro-
visional measures so as to: "ensure that Angel Francisco Breard is not
executed pending the final decision in these proceedings" (ihid., p. 258,
para. 41).
It is evident that humanitarian concern represented an aspect which
brought about unanimity in the Court's deliberations. This is clearly
shown not only by the letter and spirit of both Orders in the above-
mentioned cases, but also by the respective declarations and the separate
opinion appended to those Orders. In the process, humanitarian consid-
erations seem to have been sufficiently forceful to put aside obstacles

standing in the way of the indication of provisional measures. In this
respect, the reasoning of the Court's seniorjudge, Judge Oda,and that of
its President, Judge Schwebel, are indicative.
In paragraph 7 of his declaration appended to the Order of 3 March
1999 in the case concerning LuGrand (Germany v. United States of
America), Judge Oda convincingly put forward a series of reasons of a
conceptual nature which explained why he "formed the view that, given
the fundamental nature of provisional measures, those measures should
not have been indicated upon Germany's request". But, Judge Oda goes
on to "reiterate and emphasize" that he "voted in favour of the Order
solely for humanitarian reasons" (I.C.J. Reports 1999, p. 20).
President Schwebel, in his separate opinion, has not explicitly stated
humanitarian considerations as the reason that guided him in voting for
the Order; however, it is reasonable to assume that those were the only
considerations which prevailed in this particular case in view of his"pro-
found reservations about the procedures followed both by the Applicant
and the Court" (LaGrand (Germuny v. United States of America). Pro-
visional Measures, Order of 3 March 1999, I.C. J.Reports 1999, p. 22). LICÉITÉDE L'EMPLOI DE LA FORCE (OP. DISS.KRECA) 221

être protégépar la loi))(LaGrand (Allemagne c. Etats-Unis d'Amé-
rique), mesures conservatoires, ordonnancedu 3 mars 1999, C.I.J.
Recueil 1999, p. 12, par. 8.)

Dès le lendemain, à l'unanimité,la Cour a indiquédes mesures conser-
vatoires parce que les circonstances exigeaient qu'elle les «indique» de
toute urgence (ihid., p. 15,par. 26), de sorte qu'il lui incombait de mettre
en train le mécanisme vouluconformément à l'article 41 de son Statut et
de l'article 75, paragraphe 1, de son Règlement, «pour que M. Walter
LaGrand ne soit pas exécutétant que la décision définitiveen la présente

instance n'aura pas étérendue)) (ihid., p. 16, par. 29).
La Cour a indiqué des mesures conservatoires quasiment identiques
dans le différendopposant le Paraguay et les Etats-Unis d'Amérique à la
suite de la requêteprésentéepar le Paraguay le 3 avril 1998. Le même
jour, le Paraguay a également présenté «une demande urgente en indica-
tion de mesures conservatoires à l'effet de protéger ses droits)) (Conven-
tion de Vienne sur les relations consulaires (Paraguay c. Etats-Unis
d'Amérique), ordonnance du 9 avril 1998, C.I.J. Recueil 1998, p. 251,
par. 6). Et dès le 9 avril 1998à l'unanimité,la Cour a indiquédes me-
sures conservatoires «pour que M. Ange1 Francisco Breard ne soit pas
exécutétant que la décision définitiveen la présenteinstance n'aura pas
été rendue)) (ibid., p. 258, par. 41).

Il est évidentque c'esàcause de l'aspect humanitairedu problèmeque
l'unanimité a été réaliséeau sein de la Cour. On en voit clairement la
preuve non seulement dans la lettre et l'esprit des deux ordonnances ren-
dues dans ces deux affaires, mais aussi dans les déclarations ainsi que
dans l'opinion individuelle qui leur ont étéjointes. En l'occurrence, les
considérations humanitaires ont été,semble-t-il, assez fortes pour lever
les obstaclesqui s'opposaientà l'indication de mesures conservatoires. Le
raisonnement du doyen de la Cour, M. Oda, et celui de son président,
M. Schwebel, sont significatifs.
Au paragraphe 7 de la déclarationqu'iljointà I'ordonnance du 3 mars
1999 dans l'affaire LaGrand (Allemagne c. Etuts- Unis d'Amérique),
M. Oda énoncede façon convaincante une sériede motifs d'ordre théo-
rique qui l'«ont conduit à penser qu'il n'y avait pas lieu d'indiquer les

mesures conservatoires demandéespar l'Allemagne, eu égardau caractère
fondamental de telles mesures)). Mais, M. Oda tient à «rappel[er] avec
force [que s'il a] votéen faveur de I'ordonnance, c'est uniquement pour
des motifs humanitaires)) (C.I.J. Recueil 1999, p. 20).
Dans son opinion individuelle, le présidentde la Cour, M. Schwebel,
n'a pas expressément déclaré qu'il s'était inspdireéconsidérationshuma-
nitaires pour voter en faveur de I'ordonnance, mais il est raisonnable de
penser que ce sont les seules considérations qui ont prévaluen l'espèce,
puisqu'il avait «de profondes réservesquant à la manière de procéder
tant de la Partie requérante que de la Cour» (LaGrand (Allemagne
c. Etats-Unis d'Amérique),mesures conservatoires, ordonnancedu 3 mars
1999, C.I.J. Recueil 1999, p. 22). As far as the Applicant is concerned

"Germany could have brought its Application years ago, months
ago, weeks ago or days ago. Had it done so, the Court could have

proceeded as it has proceeded since 1922 and held hearings on the
request for provisional measures. But Germany waited until the eve
of execution and then brought its Application and request for pro-
visional measures, at the same time arguing that no time remained to
hear the United States and that the Court should act proprio motu."
(1.C.J.-Reports 1999, p. 22.)

The Court, for its part, indicated provisional measures, as President
Schwebel put it, "on the basis only of Germany's Application".

(b) In respect of u group of'indi1~idua1.osr the populution as a consti-
tutive element of the State

The protection of the citizens emerged as an issue in the case concern-
ing Military and Paramilitury Activities in and against Nicaragua (Nica-

ruguu v. United St~~tesof America) :
"In its submission, Nicaragua emphasized the death and harm
that the alleged acts had caused to Nicaraguans and asked the Court

to support, by provisional measures, 'the rights of Nicaraguan citi-
zens to life, liberty and security'."(R. Higgins, "lnterim Measures
for the Protection of Human Rights", in Politics, Values and Func-
tions, Intrrnutiot~ul Laii in the 21st Century, 1997,Charney, Anton,
O'Connell, eds., p. 96.)

In the Frontier Dispute (Burkina Fa.solRepuhlic oj' Mali) case, the
Court found the source for provisional measures in:

"incidents . . . which not merely are likely to extend or aggravate the
dispute but comprise a resort to force which is irreconcilable with
the principle of the peaceful settlement of international disputes"

(Frontier Dispute, Provisional Measures, Order of 10 January 1986,
I.C.J. Reports 1986, p. 9, para. 19).
Humanitarian concern in this particular case was motivated by the risk

of irreparable damage :
"the facts that have given rise to the requests of both Parties for the

indication of provisional measures expose the persons and property
in the disputed area, as well as the interests of both States within
that area, to serious risk of irreparable damage" (ihid., p. 10,
para. 21).

It can be said that in the cases referred to above, in particular those
in which individuals were directly affected, the Court formed a high LICÉITE DE L'EMPLOI DE LA FORCE (OP. DISS. KRECA) 222

Et, en ce qui concerne le demandeur, M. Schwebel a dit ceci:

((L'Allemagne aurait pu présentersa requêtedes années, desmois,
des semaines, voire quelques jours plus tôt. L'eût-elle fait, la Cour eut
pu procédercomme elle lefait depuis 1922et tenir des audiences sur la
demande en indication de mesures conservatoires. Mais l'Allemagne
a attendu la veille de l'exécutionpour présenter sa requête etsa de-
mande en indication de mesures conservatoires, en faisant valoir

par la mêmeoccasion que la Cour n'avait plus le temps d'entendre
les Etats-Unis et devrait agir d'office.)) (C.I.J. Recueil 1999, p. 22.)

De son côté, la Cour a indiqué des mesures conservatoires en
s'appuyant, comme le dit M. Schwebel, président de la Cour, «exclusive-
ment » sur la requêtede l'Allemagne.

b) L'intéret collectij'd'uri groupe ou d'une population en tant qu'élPment

con.stitutif de I'Etut

La protection de la population nationale est devenue question litigieuse
dans l'affaire relative aux Activités militaires et paramilitaires au Nica-
ragua et u l'encontre de celui-ci (Nicaragua c.Etats-Unis d'Amérique) :

((Dans sa conclusion, le Nicaragua a insistésur les morts, sur les
dommages que les actes alléguésont causéschez les Nicaraguayens et
a demandé iila Cour de soutenir, au moyen de mesures conservatoires,
«les droits des citoyens nicaraguayens ila vie, à la liberté età la sécu-

rité)).(R. Higgins, «Interim Measures for the Protection of Human
Rights)), dans Charney, Anton, O'Connell, (dir. publ.) poli tic.Values
und Functions, Intrrnational Law in the 21.st Century, 1997, p. 96.

Dans l'affaire du DiffPrend ,frontalier (Burkina Fu.rolRépubliquedu
Mali), la Cour, pour indiquer des mesures conservatoires, s'est fondée
sur des:

((incidents qui, non seulement sont susceptibles d'étendreou d'aggra-
ver le différend, mais comportent un recours à la force inconciliable
avec le principe du règlement pacifique des différends internatio-
naux» (Difirend frontalier, mesures conseri~atoires,ordonnance du

10janvier 1986, C.1.J. Recueil 1986. p. 9, par. 19).
En l'espèce.la préoccupation humanitaire était motivéepar le risque de

préjudice irréparable :
cles faits qui sont à l'origine des demandes des deux Parties en indi-
cation de mesures conservatoires exposent les personnes et les biens

se trouvant dans la zone litigieuse, ainsi que les intérêts desdeux
Etats dans cette zone, à un risque sérieuxde préjudice irréparable))
(ihid, p. 10, par. 21).

On peut direque, dans les affairesévoquéesci-dessus, en particulier celles
dans lesquelles des individus étaient directement concernés. la Cour s'eststandard of humanitarian concern in the proceedings for the indication
of interim measures, a standard which commanded sufficient inherent
strength to brush aside also some relevant, both procedural and material,
rules governing the institution of provisional measures. Thus, humanitar-
ian considerations, independently from the norms of international law
regulating human rights and liberties, have, in a way, gained autonomous
legal significance; they have transcended the moral and philanthropie
sphere, and entered the sphere of law.

6. In the case at hand, it seems that "humanitarian concern" has lost
the acquired autonomous legal position. This fact needs to be stressed in
view of the special circumstances of this case.
Unlike the cases referred to previously, "humanitarian concern" has as
itsobject the fate of an entire nation, in the literal sense. Such a conclu-
sion may be inferred from at least two elements:

-primo, the Federal Republic of Yugoslavia and its national and eth-
nie groups have been subjected for more than two months now to con-
tinued attacks of a very strong, highly organized air armada of the most
powerful States of the world. The aim of the attack is horrifying,judging
by the words of the Commander-in-Chief,General Wesley Clark, and he
ought to be believed:

"We're going to systematically and progressively attack, disrupt,
degrade, devastate, and ultimately, unless President Milosevit com-
plies with the demands of the international community, we're going
to completely destroy his forces and their facilities and support."
(BBC News, http:/lnews.bbc.co.uklenglish/static.NATOgallery/air
default.stmll4 May 1999).

"Support" is interpreted, in broad terms, extensively; to the point
which raises the question of the true object of the air attacks. In an
article entitled "Belgrade People Must Suffer" Michael Gordon quotes
the words of General Short that he "hopes the distress of the public will,
must undermine support for the authorities in Belgrade" (International
Herald Tribune, 16 May 1999,p. 6) and he continued:

"1 think no power to your refrigerator, no gas to your stove, you
can't get to work because bridge is down - the bridge on whichyou
held your rock concerts and you al1 stood with targets on your
heads. That needs to disappear at three o'clock in the morning."
(Ihid.)

That these are not empty words is testified to by destroyed bridges, power
plants without which there is no electricity, water supply and production LICÉITE DE L'EMPLOI DE LA FORCE (OP. DISS. KRECA) 223

appuyéesur une norme humanitaire supérieuredans le cadre de la pro-
cédureen indication de mesures conservatoires, une norme qui avait suf-
fisamment de force intrinsèque pour que l'on déroge a certaines règles
pertinentes, règlesde procédureet règlesde fond, qui régissentl'institu-
tion des mesures conservatoires. En somme, les considérations humani-
taires, indépendamment des normes du droit international qui règlentles
droits de l'homme et seslibertés,ont en quelque sorte acquis un rôlejuri-
dique autonome; ces considérations ont désormais franchi les limites
du domaine moral et philanthropique pour entrer dans le domaine du
droit.

6. En l'espèce, il semble pourtant que la préoccupation ((humanitaire))
ait perdu l'autonomie acquise sur le plan juridique. Vu les circonstances
particulières de l'instance,l convient de s'arrêtersur ce fait.

A la différence desaffaires évoquées précédemmentl,e ((problème
humanitaire)) porte ici, littéralement, sur le sort de toute une nation.
Nous aboutissons àcette conclusion à partir de deux élémentsau moins:
En premier lieu, la République fédéralede Yougoslavie et ses
groupes nationaux et ethniques sont soumis depuis plus de deux mois
à présent aux attaques constantes d'une armada aérienne très forte,

extrêmement organisée, appartenant aux Etats les plus puissants du
monde. La finalitéde cette attaque a dequoi horrifier, si l'on en juge par
les paroles du commandant en chef, le généralWesley Clark, et il n'y a
pas lieu de douter de ce qu'il dit:
((Systématiquement et progressivement, nous allons attaquer,
ébranler, dégrader, dévaster, et finalement, sauf si le président

Milosevic se plie aux exigences de la communauté internationale,
nous allons détruire intégralement ses forces armées et leur ôter
toutes leurs infrastructures et toutes leurs bases de soutien)) (BBC
News, htip:llnrics.hhc.COu.klrnglishlstr. ATOgciller~luird~fuuIi..strnl
14mai 1999).
En l'occurrence, le terme «soutien)>revêtun sens très large, au point

que l'on peut se demander quel est vraiment l'objet des attaques
aériennes. Dans un article intitulé «La population de Belgrade doit
souffrir)), Michael Gordon cite le généralShort qui dit ((espérerque la
détressede la population va saper, qu'elle doit saper, le soutien dont
bénéficient lesautorités de Belgrade)) (Intrrnutionul Hrrrrld Tribune,
16mai 1999.p. 6) et ilpoursuit:

«II n'y aura plus d'électricitépour votre frigo, plus de gaz pour
votre cuisinière, vous ne pourrez plus aller au travail parce que le
pont est démoli - ce pont sur lequel vous avez organisé vos concerts
rock et sur lequel vous vous êtes massés aved ces cibles sur la tête.
Tout cela disparaît à 3 heures du matin. » (Ihid.)
II ne s'agissait pas là de paroles en l'air, comme en témoignentles ponts

démolis, la disparition de centrales électriques,de l'adduction d'eau, desof foodstuffs essential for life; destroyed roads and residential blocks and
family homes; hospitals without electricity and water and, above all,
human beings who are exposed to bombing raids and who, as is rightly
stressed in the Application in theLuGrancl(Germuny v. United States of
America) case, have the "inherent right to life" (International Covenant
on Civil and Political Rights, Art. 6), whose importance and sanctity are
well established in international law. In the inferno of violence, they are
but "collateral damage".

- secundo, the arsenal used in the attacks on Yugoslavia contains also
weapons whose effects have no limitations either in space or in time. In
the oral proceedings before the Court, the Agent of the United States
explicitly stressed that depleted uraniumis in standard use of the United
States Army (CR99124, p. 21).
The assessment of the effects of depleted uranium should be left to
science. The report by Marvin Resnikoff of Radioactive Management

Associates on NMI elaborated upon these effects:
"Once inhaled, fine uranium particles can lodge in the lung alveo-
lar and reside there for the remainder of one's life. The dose due to
uranium inhalation is cumulative. A percentage of inhaled particu-
lates may be coughed up, then swallowed and ingested. Smoking is
an additional factor that needs to be taken into account. Since
smoking destroys the cilia, particles caught in a smoker's bronchial
passages cannot be expelled. Gofman estimates that smoking
increases the radiation risk by a factor of 10. Uranium emits an

alpha particle, similar to a helium nucleus, with two electrons
removed. Though this type of radiation is not very penetrating, it
causes tremendous tissue damage when internalized. When inhaled,
uranium increases the probability of lung cancer. When ingested,
uranium concentrates in the bone. Within the bone, it increases the
probability of bone cancer, or, in the bone marrow, leukemia. Ura-
nium also resides in soft tissue, including the gonads, increasing the
probability of genetic health effects, including birth defects and
spontaneous abortions. The relationship between uranium ingested
and the resultant radiation doses to the bone marrow and specific
organs . . are listed in numerous references.

The health effects are also age-specific. For the same dose, chil-
dren have a greater likelihood than adults of developing cancer."
(Uranium ButtleJelds Home & Ahroad: Dqleted Uranium Use by

tlze U.S. Depurtment of Defcnsc~,Rural Alliance for Military
Accountability et ul., March 1993,pp. 47-48.)
A scientific analysis of the concrete effects of armed operations againstproductions alimentaires indispensables à la vie; comme en témoigne la
destruction de routes. d'immeubles résidentiels, de maisons d'habitation

unifamiliales; comme en témoignent les hôpitaux privés d'électricité et
d'eau et, par-dessus tout, ces êtreshumains qui sont exposésaux bom-
bardements et qui, comme le disait si bien la requête dans l'affaire
LaGrand (Allemagne c. Etufs-Unis d'Amérique), ont un ((droit a la vie
inhérent à la personne humaine)) (pacte international relatif aux droits
civils et politiques, ar6),dont l'importance et le caractère sacrésont des
principes bien établisdu droit international. Dans l'enfer de la violence,

ce ne sont plus là que des ((dommagescollatéraux)).
En second lieu, l'arsenal qui sert aux attaques lancéescontre la You-
goslavie contient certaines armes dont les effets sont quasi illimitésdans
l'espace et dans le temps. Au cours de la procédure orale. l'agent des
Etats-Unis a nettement préciséque l'uranium appauvri est régulièrement
utilisépar l'arméedes Etats-Unis (CR 99/24, p. 17).

Il convient de laisser les scientifiques évaluer les effets de I'uranium
appauvri. Le rapport de Marvin Resnikoff, qui travaille pour Radio-
active Management Associates (NMI) dit quels sont ces effets:

«Une fois inhalées,de fines particules d'uranium peuvent se loger
dans les alvéolesdu poumon et y rester jusqu'à la fin de votre vie. La
dose inhalée est cumulative. Une certaine fraction des particules
inhalées peut être expectoréepuis avalée et ingérée.Si l'intéressé
fume. il faut rendre cet élément enconsidération. Comme fumer
détruit les franges ciliaires, les particules capturées dans les passages
bronchiques du fumeur ne peuvent pas être expulsées. Gofman

estime que, chez les fumeurs, le risque dû à l'irradiation est ainsi
multiplié par dix. L'uranium émet une particule alpha, analogue à
un noyau d'héliumamputé de deux électrons. Les rayonnements de
ce type ne pénètrentpas très profondément, mais, une fois A l'inté-
rieur du corps, ils causent beaucoup de dommages aux tissus. Quand
il est inhalé, I'uranium accroît les probabilités de cancer du poumon.

Quand il est ingéré,I'uranium se concentre dans les os. A l'intérieur
des os, il augmente les probabilités de cancer des os, ou bien, dans la
moelle, les probabilités de leucémie.L'uranium résideaussi dans les
tissus mous, y compris les gonades, ce qui accroît les probabilités de
conséquences génétiques,sous forme notamment d'anomalies géné-
tiques et d'avortements spontanés. Le rapport qui existe entre l'ura-
nium ingéréet les doses d'irradiation qui en résultent pour la moelle

osseuse et certains organes ... figurent dans beaucoup d'études citées
en référence.
Les effets de I'uranium sur la santésontégalementfonction de l'âge.
Pour une mêmedose, l'enfant court de plus grands risques de can-
cer que l'adulte.)) (Uruniurn Bufflefields Home & Ahroad: Depleted
Uruniwn Use by the U.S. Department of'Defense, Rural Alliance for

Military Accountability, et ul., mars 1993,p.47-48.)
L'Office fédéralallemand de l'environnement (Umweltbundesamt) a pré-Yugoslavia has been presented by the Federal Environmental Agency
[Umweltbundesamt]. The essentials of the expertise are as follows' :

[Trunslution hy the Registry]

"The longer the war in Yugoslavia lasts, the greater the risk of
long-term damage to the environment. Such damage threatens to

extend beyond national frontiers, and itmay no longer be possible
fully to make it good. The Federal Environmental Agency [Umwelt-
bundesamt (UBA)] cornes to this conclusion in an interna1 paper
examining the ecological consequences of the war in Yugoslavia,
prepared for the meeting of European Environment Ministers at the

beginning of May in Weimar. Catastrophes 'like Sevesoand Sandoz'
are, in the opinion of the Agency, 'a perfectly probable damage
scenario'.

'
"Je Iinger der Krieg in Jugoslawien dauert. desto grosser wird die Gefahr von
langfristigen Schidigungen der Umwelt. Diese drohen sich über die Landesgrenzen
hinaus auszubreiten und konnen moglicherweise nicht mehr vollstindig beseitigt wer-
den. Zu dieser Einschatzung kommt das Umweltbundesamt (UBA) in einem internen
Papier. das sich mit den okologischen Auswirkungen des Krieges in Jugoslawien
befasst und für die Vorbereitung des Treffensuropiischer Umweltminister Anfang
Mai in Weimar erstellt wurde. Katastrophen 'wie Sevesound Sandoz' sind nach
.....................................cheinliches Schadensszenario'.

Umweltgifte. die nach Zerstorungen von Industrieanlagen austreten. konnten sich
weiter ausbreiten. 'Bei Sicherstellung sofortigen Handelns. das unter Kriegsbedin-
gungen aber unmoglich ist. bleibt die Wirkung dieser Umweltschidigungen lokal
begrenzt. Lingere Verzogerungen führen zu einem übertritt der Schadstoffe in die
Schutzgüter Boden, Grund- und Oberflachenwasser, erhohen das Gefahrdungspoten-
tial für den Menschen und den Sanierungsaufwand betrachtlich.'
Diese Folgen müssen nicht auf Jugoslawien beschrinkt sein. Schadstoffe aus
Grossbranden konnten grenzüberschreitend verteilt werden. Weiter heisst es in dem
Papier: 'Die Einleitung der Gefahrstoffe in Oberflichenwasser kann zur weitrdumi-
kann jeinach Eigenschaft der Stoffe und Boden zu langanhaltenden Versuchungenen
mit weitgehenden Nutzungseinschrankungen führen.'
Die Gefahr einer 'tiefgreifenden Zerstorung wesentlicher Bestandteile von Trink-
wasserversorgungssystemen' sei für mittlere und grosse Stadte sowie Ballungsgebiete
am grossten. Schon geringe Mengen von Substanzen der petrochemischen Industrie
konnten 'grosse Grundwasservorrate unbrauchbar machen'.
Wie gefihrlich die freigesetzten Stoffe insgesamt sind, Iisst sich nach Ansicht der
UBA-Experten nur schwer abschatzen, 'weildurch die Zerstorung ganzer Industrie-
komplexe Mischkontaminationen verschiedenster Schadstoffe gebildet werden', die
noch wenig erforscht seien. Noch komplizierter sei die Beurteilung von Umwelt-
schaden durch Brande und Explosionen. 'Hier treten bezogen auf Schadstoffinventar
und Ausbreitung weit weniger kalkulierbare, zum Teil grossflichige Umweltschidi-
gungen ein.'
Die Verbrennungsprodukte seien 'zum Teil hoch toxisch und kanzerogen'. Je nach
klimatischen Bedingungen konne es 'zueiner grossflichigen Verteilung dieser Stoffe'
kommen, 'die eine vollstindige Beseitigung nahezu unmoglich macht'...
Die Wechselwirkungen der Produkte mit den eingesetzten Waffen dürften 'vollig
unbekannt' sein." (TAZ. Die Tagc,s:citung, Berlin, 20 May 1999.)sentéune analyse scientifiquedes effetsconcrets imputables aux opérations
arméescontrela Yougoslavie.Ce rapport d'expertdit essentiellementceci ':

(Traduction du Greffe]

«Plus la guerre en Yougoslavie dure et plus le risque de dommages
a long terme à I'environnement s'aggrave.Ces dommages menacent

de s'étendre au-delà des frontièred se la Yougoslavieet peut-êtreest-il
déjàtrop tard pour qu'on puisseleséradiquer.C'est à cette conclusion
que parvient l'Officefédéral allemandde I'environnement (Umicelt-
bundesamt) dans un document interne examinant les conséquences
pour I'environnement de la guerre en Yougoslavie, établien vue de

la réuniondes ministres européensde I'environnement débutmai a
Weimar. Des catastrophes du type de celles de Seveso et de Sandoz
constituent, selon l'Office, ((un scénario éminemmenp trobable)).

' ((Jelanger der Krieg in Jugoslawien dauert, desto grosser wird die Gefahr von lang-
fi-istigen Schadigungen der Umwelt. Diese drohen sich über die Landesgrenzen
hinaus auszubreiten und konnen moglicherweisenicht mehr vollstandig beseitigt wer-
den.Zu dieser Einschatzung kommt das Umweltbundesamt (UBA) in einem internen
Papier. das sich mit den okologischen Auswirkungen des Krieges in Jugoslawien
befasst und für die Vorbereitung des Treffens europaischer Umweltminister Anfang
Mai in Weimar erstellt wurde. Katastrophen 'wie Seveso und Sandoz' sind nach
Ansicht des Amtes 'ein durchaus wahrscheinliches Schadensszenario'.
.....................................
Umweltgifte. die nach Zerstorungen von lndustrieanlagen austreten, konnten sich
weiter ausbreiten. 'BeiSicherstellung sofortigen Handelns, das unter Kriegsbedingun-
gen aber unmoglich ist, bleibt die Wirkung dieser Umweltschadigungen lokal
beerenzt. Laneere Verzoeeruneen führen zu einem übertritt der Schadstoffe in die
~chutzgüter siden, ~runld- un; Oberflachenwasser, erhohen das Gefàhrdungspoten-
tial für den Menschen und den Sanierunesaufwand betfichtlich.'
Diese Folgen müssen nicht auf ~ug~slawien beschrankt sein. Schadstoffe aus
Grossbranden konnten grenzüberschreitend verteilt werden. Weiter heisst es in dem
Papier: 'Die Einleitung der Gefahrstoffe in Oberflachenwasser kann zur weitraumi-
gen Schadigung der Okosysteme führen. Die Deposition von Gefahrstoffen in Boden
kann je nach Eigenschaft der Stoffe und Boden zu langanhaltenden Versuchungen
mit weitgehenden Nutzungseinschrankungen führen.'
Die Gefahr einer 'tiefgreifenden Zerstorung wesentlicher Bestandteile von Trink-
wasserversorgungssystemen' sei für mittlere und grosse Stadte sowie Ballungsgebiete
am grossten. Schon geringe Mengen von Substanzen der petrochemischen Industrie
konnten 'grosse Grundwasservorrate unbrauchbar machen'.
Wie gefahrlich die freigesetzten Stoffe insgesamt sind, Iiisst sich nach Ansicht der
UBA-Experten nur schwer abschatzen. 'weildurch die Zerstorung ganzer Industrie-
komplexe Mischkontaminationen verschiedenster Schadstoffe gebildgt werden'. die
noch wenig erforscht seien. Noch komplizierter sei die Beurteilung von Umwelt-
schaden durch Brande und Explosionen. 'Hier treten bezogen auf Schadstoff-
inventar und Ausbreitung weit weniger kalkulierbare, zum Teil grossflachige
UmDie Verbrennungsprodukte seien 'zumTeil hoch toxisch und kanzerogen'. Je nach
klimatischen Bedingungen konne es 'zu einer grossflachigen Verteilung dieser Stoffe'
kommen, 'die einevollstandige Beseitigung nahezu unmoglich macht' ...
Die Wechselwirkungen der Produkte mit den eingesetzten Waffen dürften 'vollig
unbekannt' sein.» (TAZ. Di12T~~grsz~itung.Berlin, 20 mai 1999.) Environmental toxins released by the destruction of industrial
plant could spread further. 'If immediate action is taken, which is,
however, impossible under war conditions, the effect of this environ-
mental damage will remain restricted to local level. Longer delays
will result in toxic substances passing into the soil, groundwater and
surface water, and substantially increase the potential danger to
man, and the cost of cleansing operations.'

These consequences are not necessarily limited to Yugoslavia.
Harmful substances deriving from major conflagrations can be dif-
fused beyond frontiers. The paper continues: 'Passage of harmful
substances into surface water can lead to extensive damage to eco-
systems. The deposition of hazardous substances in the soil can,
depending on the nature of those substances and of the soil, result in
long-term contamination, imposing far-reaching limitations upon
utilization.'

The danger of 'extensive destruction of essential components of
drinking-water supply networks' is biggest with regard to middle-
sized and large cities and conurbations. Even small amounts of sub-
stances from the petrochemical industry can render 'extensive
groundwater reserves unusable'.

According to the Federal Environmental Agencyexperts, the over-
al1risk posed by the substances released isdifficult to assess, 'because
the destruction of entire industrial complexes results in mixed con-
tamination by a wide variety of harmful substances' - an area in
which there has as yet been little research. Even more problematic,
in the experts' view, is the assessment of environmental damage
caused by fires and explosions. 'Here, in terms of identification of
the harmful substances involved and the possibility of their diffu-
sion, environmental damage is far harder to predict, but will on
occasion be extensive.'

The substances produced by the fires are described as 'in part
highly toxic and carcinogenic'. Depending on climatic conditions,
'widespread diffusionof these substances' could occur, 'whichwould
render full cleansing almost impossible'.

The effects of the interaction of those substances with the
weapons employed were said to be 'completely unknown'." (TAZ,
Die Tageszeitung. Berlin, 20 May 1999.)

Therefore, it is my profound conviction, that the Court is,il?concreto,
confronted with an uncontestable case of "extreme urgency" and "irrepa-
rable harm", which perfectly coincides, and significantly transcends the Les substances toxiques pour I'environnement libérées à la suite de
la destruction d'installations industrielles pourraient se propager à
une plus grande distance. L'adoption de mesures immédiates -

impossible toutefois en temps de guerre - permettrait de contenir
localement ces atteintes à l'environnement. Plus le temps s'écoulera
et plus ces substances se répandront dans le sol, les eaux souterraines
et les eaux de surface. d'où une augmentation considérable des ris-
ques pour l'homme et du coût des opérations de nettoyage.

Ces conséquences ne sont pas nécessairement limitées à la You-
goslavie. Les substances toxiques dégagées à la suite d'incendies
majeurs peuvent se répandre au-delà des frontières. Et l'auteur
du document d'ajouter: «La migration de substances dangereuses
dans les eaux de surface peut causer de graves dommages aux éco-

systèmes. Le dépôt de substances dangereuses dans le sol peut en-
traîner, selon la nature des substances et des sols, une contamina-
tion à long terme, faisant radicalement obstacle à l'utilisation des
sols.))

Le risque d'une ((destruction à grande échelledes élémentsessen-
tiels du réseaud'approvisionnement en eau potable)) est plus lourd
pour les villes moyennes, les grandes villes et les zones de concentra-
tion urbaine. De faibles quantités de substances émanant d'installa-
tions pétrochimiques suffisent à rendre inutilisables d'importantes

réservesd'eaux souterraines ».
Selon les experts de l'Office fédéralde l'environnement, il est très
difficile d'apprécier dans son ensemble le risque que représentent
les substances libéréesdans l'environnement, «car la destruction de
complexes industriels entiers entraîne une pollution provoquée

par un véritable cocktail de substances toxiques)), sur laquelle les
recherches n'ont guère porté jusqu'à présent. L'évaluation des
dommages causés à l'environnement par les incendies et les explo-
sions est encore plus délicate, estiment les experts. «Il est beaucoup
plus difficile en pareil cas, du fait des problèmes liésà l'identifi-

cation des substances toxiques et au risque de les voir se répandre,
de prédireles dommages à I'environnement, qui seront parfois consi-
dérables. »
Certaines des substances libéréesdans l'atmosphère à la suite des
incendies sont qualifiéesde «très toxiques et cancérigènes)).En fonc-

tion des conditions climatiques ambiantes, «ces substances pour-
raient diffuser trés largement)), de sorte qu'«une décontamination
complète serait quasi impossible)).
Quant à l'interaction de ces produits avec les armes utilisées,on en
((ignoreraittotalement)) les effets.(TAZ, Die Tage.vzeitung, Berlin,

numéro du 20 mai 1999).

Je suis par conséquent profondément convaincu que la Cour se trouve
concrètement face à une affaire imposant incontestablement d'agir «de
toute urgence» et où l'on court le risque d'un ((préjudiceirréparable)),substance of humanitarian standards which the Court has accepted in
previous cases.

7. 1must admit that 1find entirely inexplicable the Court's reluctance
to enter intoserious consideration of indicating provisional measures in a
situation such as this crying out with the need to make an attempt,
regardless of possible practical effects, to at least alleviate, if notimi-
nate, an undeniable humanitarian catastrophe. 1 do not have in mind
provisional measures in concrete terms as proposed by the Federal
Republic of Yugoslavia, but provisional measures in general : be they
provisional measures proprio motu, different from those proposed by the
Federal Republic of Yugoslavia or, simply, an appeal by the President
of the Court, as was issued on so many occasions in the past, in less
difficult situations, on the basis of the spirit of Article 74, paragraph 4,
of the Rules of Court.

One, unwillingly, acquires the impression that for the Court in this par-
ticular case the indication of any provisional measures whatever has been
terraprohihita. Exempli cuusa, the Court, in paragraph 19of the Order,
says that it:
"deems it necessary to emphasize that al1parties appearing before it
must act in conformity with their obligations under the United
Nations Charter and other rules of international law including
humanitarian law",

or, in paragraph 49 of the Order, that the Parties: "should take care not
to aggravate or extend the dispute", and it is obvious that both the above
pronouncements of the Court have been designed within the model of
general, independent provisional measures.

III. JURISDICTIONIA SLUES

Jurisdiction of the Court Ratione Personae

8. The membership of Federal Republic of Yugoslavia in the United
Nations is in the present case one of the crucial issues within theurisdic-
tion of the Court ratione personar.
The respondent State, when referring to the United Nations resolu-
tion 777(1992) of 19September 1992and to the United Nations General
Assembly resolution 4711of 22 September 1992,also contends that "the
Federal Republic of Yugoslavia cannot be considered, as it claims, to be
the continuator State of the former Socialist Federative Republic of
Yugoslavia", and that, not having duly acceded to the Organization, itis
not a Member thereof, is not a party to the Statute of the Court and can-
not appear before the Court.
Itis worth noting that the respondent State did not invoke this argu-
ment with respect to the Genocide Convention as another basis of juris-affairequi répond parfaitement, quant au fond, aux normes humanitaires
que la Cour a retenues dans certains précédents; àcet égard,la présente
instance se situe même à un niveau nettement supérieur.
7. Pour êtrefranc, je dois dire que je trouve totalement inexplicable
que la Cour veuille s'abstenir d'étudiersérieusementla possibilitéd'indi-
quer des mesures conservatoires alors que la situation impose de façon
aussi criante de tenterà tout le moins, indépendamment des effets pra-
tiques éventuelsde la tentative, d'atténuer, sinon de supprimer, un dan-
ger incontestable de catastrophe humanitaire. Je n'envisage pas ici des
mesures conservatoires qui prendraient concrètement la forme proposée

par la Républiquefédérale de Yougoslavie, j'envisage des mesures conser-
vatoires en général:la Cour peut proposer d'office d'autres mesures
conservatoires que celles qui sont proposéespar la République fédérale
de Yougoslavie, ou elle peut se contenter d'un appel lancépar le pré-
sident, comme elle l'afait si souventdéjà,dans des situationsmoins diffi-
ciles, en s'inspirant de l'article 74,paragraphe 4, de son Règlement.
Sans le vouloir, on a ici l'impression que, pour la Cour en l'espèce,
l'indication de mesures conservatoires, sous quelque forme que ce soit, lui
a sembléinterdite. Par exemple, au paragraphe 19 de l'ordonnance, la
Cour:

((estime nécessairede souligner que toutes les parties qui se pré-
sentent devant elle doivent agir conformément à leurs obligations
en vertu de la Charte des Nations Unies et des autres règles du
droit international, y compris du droit humanitaire)),

ou bien elle dit, au paragraphe 49, que les Parties: ((doivent veillere
pas aggraver ni étendre le différend)),et il est manifeste que, dans les
deux cas, la Cour s'est inspiréed'un type de mesures conservatoires de
caractère généralet indépendant.

III. LESQUESTIONS DE COMPÉTENCE

Lu compétencede Iu Couï ratione personae
8. La qualitéd'Etat Membre des Nations Unies de la Républiquefédé-
rale de Yougoslavie est, dans la présente instance, l'une des questions

cruciales qui se posent pour la compétencede la Cour rationr personue.
L'Etat défendeur, invoquant la résolution 777 (1992) [du Conseil de
sécurité]en date du 19 septembre 1992 ainsi que la résolution 4711 de
l'Assembléegénéraledes Nations Unies en date du 22 septembre 1992,
soutient que la Républiquefédéralede Yougoslavie ne peut pas êtreconsi-
dérée,contrairement à ce qu'elle prétend, comme 1'Etat successeur de
l'ancienne Républiquefédérative socialiste de Yougoslavie et que, n'ayant
pas dûment adhéré à l'organisation, elle n'en est pas Etat Membre, n'est
pas partie au Statut de la Cour et ne peut pas comparaître devant celle-ci.
Il y a lieu de noter que 1'Etatdéfendeurn'a pas invoquéle mêmeargu-
ment au sujet de la convention sur le génocidequi est pour le demandeurdiction invoked by the Applicant, although the connection between the
legal identity and continuity of the Federal Republic of Yugoslavia with
the status of the Contracting Party of the Genocide Convention is obvi-
ous (see para. 12,below). One can guess the reasons for the State to take
such a position.
Sedes materiae the question of Federal Republic of Yugoslavia's mem-
bership in the United Nations can be reduced to a couple of qualifica-
tions:

8.1. General Assembly resolution 4711 wus udopted ,for pragmatic,
political purposes

The adoption of that resolution cannot, in my opinion, be divorced
from the main political stream taking place in international institutions
during the armed conflict in the former Yugoslavia. It appears that as a

political body the General Assembly of the United Nations, as wellas the
Security Council which recommended that the Assembly adopt resolu-
tion 4711,perceived such a resolution as one of political means to achieve
the desirable solution to the relevant issues in thecrisis unfolding in the
former Yugoslavia.
Such a conclusion relies on the fact that in adopting resolution 4711,
the General Assembly basically followed the opinions of the so-called
Badinter Commission engaged as an advisory body in the work of the
Conference on Yugoslavia with the aim of finding a peaceful solution to
the relevant issues. In its Opinions No. 1 and No. 8, the Commission
elaborates the point on territorial changes in the former Yugoslavia
which has, in its opinion, resulted in the emergence of sixequal, inde-
pendent State entities corresponding in territory to the Republics as the
constituent parts of the Yugoslav Federation. In its Opinion No. 9 the

Commission proceeds from the point of finalization of the "process of
break up of SFRY" and elaborates on the effects of the alleged break up
from the standpoint of succession of States. In that context, it,inter uliu,
established
"the need to terminate SFRY's membership status in international
organizations in keeping with their statutes and that not a singlesuc-
cessor state may claim for itself the rights enjoyed until then by the

former SFRY as its member state" (The Peace Conference on Yugo-
slavia, Arbitration Commission, Opinion No. 9, para. 4).

Introducing draft resolution 47lL.1, Sir David Hannay (United King-
dom) said, inter alia,

"the fact that the Council is ready to consider the matter again
within the next three months is signifiant. The tragic situation in the
former Yugoslavia is a matter of the highest concern to al1members
of the international community. The International Conference on LICEITÉ DE L'EMPLOI DE LA FORCE (OP. DISS .RECA) 228

une autre base de compétence,alors qu'il y a manifestement un lien entre
l'identité etla continuité, sur le plan juridique, de la République fédérale
de Yougoslavie, d'une part, et, de l'autre, son statut de partie contrac-
tante à la convention sur le génocide(voir paragraphe 12ci-dessous). On
peut deviner les raisons qui expliquent cette attitude detat demandeur.
Sedes materiae, la question de la qualitéd'Etat Membre de I'Organisa-
tion des Nations Unies dont jouit ou non la Républiquefédéralede You-
goslavie peut se ramener à deux éléments.

8.1. Lu résolution4711 de l'Assembléegdnéralea étéadoptée ù des
jns pragmatiques et politiques

11est impossible à mon avis de dissocier l'adoption de cette résolution
du grand courant politique qui animait les organisations internationales
lors du conflit arméqui a éclatédans l'ex-Yougoslavie. En tant qu'organe
politique, l'Assembléegénéraledes Nations Unies, de mêmeque leConseil
de sécuritéqui a recommandé que l'Assembléeadopte la résolution4711,
a, semble-t-il, conçu cette résolution comme un moyen politique de par-
venir à résoudrela crise sous ses différents aspects.

J'en donnerai pour preuve qu'en adoptant la résolution4711,I'Assem-
bléegénéralea essentiellement suiviles avis de ce qu'on a appeléla com-
mission Badinter, laquelle a servi d'organe consultatif pendant les tra-

vaux de la conférencesur la Yougoslavie et étaitchargéede trouver une
solution pacifique aux différents problèmes.Dans ses avis no I et no 8,
la commission développe la question des transformations territoriales
dans l'ex-Yougoslavie, lesquelles aboutissentà l'apparition de six entités
étatiques égaleset indépendantes correspondant du point de vue terri-
torial aux républiques qui étaient des éléments constitutifs de la Fédé-
ration yougoslave. Dans son avis no 9, la commission part de cette désin-
tégration définitive de l'ancienne République fédérativesocialiste de
Yougoslavie et dit en détailquels effets il faut en attendre du point de
vue de la succession d'Etats. Elle dit notamment à ce sujet que:

«il faut mettre fiàla qualitédlEtat membre de la Républiquefédé-
rative socialiste de Yougoslavie dans les organisations internatio-
nales, conformément au statut de ces dernières, et qu'aucun Etat
successeur ne pourra se prévaloir des droits qu'exerçaitjusqu'alors
l'ex-République fédérativesocialiste de Yougoslavie en cette
qualitéd'Etat membre.)) (conférencede la paix sur la Yougoslavie,
commission arbitrale, avisno 9, par. 4).

En présentant le projet de résolution47lL.1, sir David Hannay (repré-
sentant du Royaume-Uni) a notamment trouvé

((significatifle fait que le Conseil aitvoir la questionà nouveau
dans les trois moisà venir. La situation tragique dans l'ex-Yougo-
slavie est une source de profonde inquiétudepour tous les membres
de la communauté internationale. La conférenceinternationale sur the Former Yugoslavia, which opened in London on 26 August and
which now meets in Geneva, brings together the efforts of the
United Nations and the European Community. We rnust do every-
thing in ourpoiver to encourage theparties. ivith the assistance of the
Confhrence Co-Chairman, to settle their differences ut the negotiat-
ing table, not on the hattlrfield. Thut the Coimcilhas decided to con-
sider the matter again hefore the end of the year will, cvetrust, he
helpfulincentive to al1theparties concerned,as an effective means of
supporting the Co-Chairman of the Confirente on Yugoslavia in
their heavy tusk." (United Nations doc. A1471Pv.7,p. 161 ; emphasis
added).

8.2. From a legal aspect, resolution 4711 is inconsistent and contra-
dictory

The operative part of resolution 4711reads as follows:
"The General Assemhly,

1. Considers the Federal Republic of Yugoslavia (Serbia and
Montenegro) cannot automatically continue the membership of
the former Socialist Federal Republic of Yugoslavia in the United
Nations; and, therefore, decides that the Federal Republic of Yugo-
slavia should apply for membership in the United Nations and shall
not participate in the work of the General Assembly."

The main elements of the solution in General Assembly resolution 4711
are the following :
The opinion that the Federal Republic of Yugoslavia cannot automati-
cally continue the membership of the SFRY in the United Nations. The
stand of the main political bodies of the United Nations (the Security
Council and the General Assembly) was formulated in terms of an "opin-
ion"; namely, such a conclusion clearly stems from the fact that the rele-

vant part of General Assembly resolution 4711 begins with the words
"considers". It is significant to note that the General Assembly's opinion
does not conform fully with the meaning of the Opinions Nos. 1,8 and 9
of the so-called Badinter Arbitration Commission. Namely, in its Opin-
ions 1 and 8 the Commission elaborates the point on the break up of
SFRY which has, in its opinion, resulted in the emergence of six equal,
independent State entities corresponding in territory to the Republics as
the constituent parts of the Yugoslav Federation. Resolution 4711pro-
ceeds from a more moderate starting point. It apparently does not termi-
nate the Federal Republic of Yugoslavia's membership in the Organi-
zation. It simply establishes that "the Federal Republic of Yugoslavia
cannot automatically continue the rnemhership ...in the United Nations
Organization" (emphasis added). A contrario, this means that the Fed-
eral Republic of Yugoslavia's membership in the Organization can be LICEITÉ DE L'EMPLOI DE LA FORCE (OP.DISS. KRECA) 229

l'ancienne Yougoslavie qui s'est ouverteà Londres le 26 août et qui
se réunit actuellement a Genève conjugue les efforts de l'ONU et
ceux de la Communauté européenne. Nous ne devons rien négliger
pour encourager lesparties, avec l'aide des coprésidentsde la conjë-
rence,ù régler leursdifférends ù la table de nt!gociation, et non pas
sur le champ de bataille. Le fait que le Conseil acidide réexumi-
ner la question avant lafin de l'annéesera, nous en sommes certains,
un moyen d'encourager toutes les parties intéressée.~t d'appuyer

efJicacement les coprésidentsde la conférencesur lu Yougosluvie
dans leur tâche difficile.)) (Nations Unies, doc. Al47lPV.7, p. 142-
143; les italiques sont de moi.)

8.2. Dupoint de vuejuridique, 11résolution 4711 est illogiqueet contra-
dictoire

Le dispositif de la résolution4711se lit comme suit
«L'Assembléegénérale,
1. Consid2reque la République fédérativede Yougoslavie (Serbie
et Monténégro)ne peut pas assumer automatiquement la qualité de

Membre de l'organisation des Nations Unies a la place de l'ancienne
République fédérativesocialiste de Yougoslavie et, par conséquent.
décide que la République fédérativede Yougoslavie (Serbie et
Monténégro) devraitprésenter unedemande d'admission a l'Orga-
nisation et qu'elle ne participera pas aux travaux de l'Assemblée
générale.»
Lesprincipaux élémentsde la solution préconiséepar la résolution4711

de l'Assembléegénéralesont les suivants :
Il est d'abord énoncéun avis, qui est que la République fédéralede
Yougoslavie ne peut pas assumer automatiquement la qualitéde Membre
de l'organisation des Nations Unies à la place de la République fédéra-
tive socialiste de Yougoslavie. La position des principaux organes politi-
ques des Nations Unies (le Conseil de sécuritéetl'Assembléegénérale)est
définiesous la forme d'un (<avis»;c'est la conclusion qui s'impose quand
on constate que l'extrait pertinent dea résolution4711commence par le

mot «considère». Mais il convient de relever que cet avis de l'Assemblée
généralene correspond pas parfaitement à ce qu'il faut déduiredes avis
no", 8 et 9 de la commission arbitrale dite commission Badinter. Dans
ses avisno" et 8, la commission tire les conclusions de la désintégration
de la République fédérativesocialiste de Yougoslavie qui aboutit, pour
elle,à produire six entités étatiques indépendanteset égalesdont le terri-
toire est celui des républiquesqui étaient auparavant des éléments cons-
titutifs de la Fédérationyougoslave. La résolution4711prend un départ
plus modéré;apparemment, elle ne met pas fin a la qualitéde Membre de
l'organisation des Nations Unies de la République fédéralede Yougo-
slavie. Elledit simplement que «la Républiquefédérativede Yougoslavie
ne peut pas assumer automatiquement lu qualitéde Memhrr de I'Organi-continued but not automatically. True, the resolution does not elaborate
how that can be achieved but, if we interpret it systematically and
together with Security Council resolutions 757 and 777, we will come to
the conclusion that the Federal Republic of Yugoslavia's membership in
the Organization can be continued in case such a request is "generally
accepted". That the legal meaning of the resolution does not imply the
termination of the Federal Republic of Yugoslavia's membership in the
Organization is also clear from the letter of the Under-Secretary-General
and Legal Counsel of the United Nations addressed on 29 September
1992to the Permanent Representatives to the United Nations of Bosnia
and Herzegovina and Croatia in which he stated, inter alia,

"the resolution does not terminate nor suspends Yugoslavia's mrrn-
bership in the Organization. Consequently, the seat and the name-
plate remain as before . . .Yugoslav mission at United Nations
Headquarters and officesmay continue to function and may receive
and circulate documents. At Headquarters, the Secretariat will con-
tinue to fly the flag of the old Yugoslavia."

8.3. A hun on parricipation in the Orgunizution'.~cv0r.k

That the relevant part of the resolution refers to a ban is borne out by
the use of the imperative wording ("shall not participate"). This ban is,
ratione materiae, limited along two different lines :

(a) it refers to the direct participation in the General Assembly. Indirect
participation in the work of the General Assembly is not excluded.
Elements of indirect participation are implied giventhat the Mission
of the Federal Republic of Yugoslavia to the United Nations con-
tinues to operate and, in particular, "may receive and circulate
documents". It follows from the Under-Secretary-General's inter-
pretation that the term "General Assembly" has been used in the
resolution in its generic sense, considering that it also includes the
auxiliary bodies of the General Assembly and conferences and meet-
ings convened by the Assembly;

(h) tbodies in the United Nations Organization.the deliberations of other

8.4. The decision thut the Feder~11Republic of' Yugo.vlui~iu.~hould
appk ,for.rnernhcvsl~ip
This part of resolution 4711 is legally ambiguous and contradictory
both in form and in substance.sation..)) (les italiques sont de moi). A contrario, cela signifie que la
République fédéralede Yougoslavie peut encore assumer la qualité de
Membre de I'Organisation, mais non pas automatiquement. Certes, la

résolutionn'expose pas en détailcomment cela peut êtreréalisém , ais, si
nous l'interprétons systématiquement,en lui associant les résolutions757
et 777 du Conseil de sécurité,nous aboutissons à la conclusion que la
République fédéralede Yougoslavie peut encore assumer la qualité de
Membre de I'Organisation a condition que la demande présentée à cette
fin soit ((généralementacceptée)). Que la résolution ne met donc pas
implicitement fin, sur le plan juridique, la qualité de Membre de l'Orga-
nisation de la République fédéralede Yougoslavie apparaît aussi claire-
ment dans la lettre que le Secrétairegénéraaldjoint et conseillerjuridique
des Nations Unies a adresséele 29 septembre 1992aux représentants per-
manents de la Bosnie-Herzégovineet de la Croatie auprès des Nations
laquelle ildéclarait notamment ceci
Unies, lettre dans
(<larésolutionne met pas fin à l'appartenancede la Yougoslavie à
I'Organisation et ne la suspend pas. En conséquence,le siègeet la
plaque portant lenom de la Yougoslavie subsistent ...La mission de la
Yougoslavieauprèsdu Siègedel'organisation des Nations Unies ainsi
que les bureaux occupéspar celle-cipeuvent poursuivre leurs activités,
ils peuvent recevoir etdistribuer des documents. Au Siège,le Secréta-

riat continuera de hisser le drapeau de l'ancienne Yougoslavie.)

8.3. La participation aux travaux de I'Organisationest interdite
Il est clair que l'extrait pertinent de la résolution correspond a une

interdiction, car la forme verbale utilisée estune forme impérative («ne
participera pas))). Mais cette interdiction est limitéeratione materiae, a
deux points de vue:
a) l'interdiction vise la participation directe aux travaux de l'Assemblée
générale, maisn'exclut pas une participation indirecte. Cette partici-
pation indirecte est évoquée implicitementpar le fait que la mission

de la Républiquefédérativede Yougoslavie auprèsdes Nations Unies
peut continuer ses activités et en particulier,(peut recevoir et distri-
buer des documents». Le Secrétaire généraladjoint a donc utilisé
dans la résolution l'expression ((Assemblée générale)a )u sens géné-
rique, qui s'étend aux organes auxiliaires de l'Assemblée générale
ainsi qu'aux conférences et réunions organisées par l'Assemblée;

b) l'interdiction ne vise pas la participation aux débatsd'autres organes
de l'organisation des Nations Unies.

8.4. 11est décidéque la République fédérale de Yougoslavie devrait
présenter une demande d'admissiona I'Organisation

Cette partie de la résolution4711est ambiguë du point de vuejuridique
et contradictoire dans la forme comme au fond. From the formal point of view, the "decision" that the Federal Repub-
lic of Yugoslavia should apply for membership in the Organization pro-
ceeds from the irrefutable assumption that the Federal Republic of
Yugoslavia wishes to have the status of a member even if it may not con-
tinue the membership in the Organization. Such an assumption is illogi-
cal, although it may prove correct in fact. Membership in the Organiza-
tion is voluntary and therefore no State is under obligation to seek
admission. The relevant wording in the resolution has not been correctly
drafted from a legal and technical point of view for it has a connotation
of such an irrefutableassumption. A correct wording would have to state
a reservation which would make such a decision conditional upon Yugo-

slavia'sexplicitly expressed ivislzto become a member in case it is irrevo-
cably disallowed from continuing its membership in the Organization.

From the actual point of view, it is unclear why the Federal Republic
of Yugoslavia should submit an application for membership if "the reso-
lution does not terminate . .. Yugoslavia's membership in the Organiza-
tion". An application for admission to membership is, ex definitione,
made if a non-member State wishes to join the Organization. What could
in terms of concrete relations be the outcome of a procedure initiated by
Yugoslavia by way of application for membership? If the outcome of the
procedure were admission to membership, such a decision by the General
Assembly would be superfluous from the point of view of logic, given
that resolution 4711has not terminated Yugoslavia's membership in the
Organization. Presumably, the authors of resolution 4711have another
outcome in mind. Maybe to confirm or to strengthen Yugoslavia's mem-
bership in the Organization by such a procedure. This could be guessed
from the wording in the resolution which says that "the Federal Republic

of Yugoslavia cannot automatically continue the membership". This
term or phrase literally means that the idea behind the procedure would
be to re-assert or strengthen the Federal Republic of Yugoslavia's mem-
bership in the Organization but, confirmation of membership could
hardly have any legal meaning in this particular case - for a State is
either a member or not. It appearsthat the meaning of such an act could
be only non-legal; namely, political. Finally, the resolution advises the
Federal Republic of Yugoslavia to apply for admission to membership.
The logical question arises: why would a State whose membership in the
Organization has, in that very same Organization's view, not been termi-
nated, submit a request for the establishment of something that is in the
nature of an indisputable fact?

Finally, due regard should be paid to the concluding paragraph of
resolution 4711which says that the General Assembly takes note "of the
Security Council's intention to review the matter before the end of the
main part of the 47th Session ofthe General Assembly". A statement like

this is unnecessary if it was the intention of theauthors of the resolution
to bring, by its adoption, to an end the debate on the continuity of the Du simple point de vue formel, «décider» que la Républiquefédérale
de Yougoslavie doit présenterune demande d'admission àI'Organisation
procède d'une hypothèse irréfutable,qui est que la République fédérale
tient à avoir la qualitéde Membre de l'Organisation mêmesi elle n'est

peut-êtrepas autorisée à rester Membre de l'organisation. Cette hypo-
thèse est illogique,mêmesi elle se vérifiedans les faits. C'est volontaire-
ment que ses Membres adhèrent à I'Organisation, et par conséquent
aucun Etat n'est tenu de demander son admission. A cet égard, par
conséquent, le libelléde la résolution n'est pas correct du point de vue
juridique ni du point de vue technique, parce qu'ilévoquecette hypothèse
qui serait irréfutable. eut étéplusjuste d'énoncerune réservequi aurait
subordonné la décision à la volonté expresse de la Yougoslavie faisant
savoir qu'elle voulait devenir Membre de I'Organisation au cas ou cette
aualitélui aurait étéretiréede facon irrévocable.
D'un point de vue concret, on ne voit pas bien pourquoi la République
fédéralede Yougoslavie devrait présenterune demande d'admission si «la
résolution ne met pasfin à l'appartenancede la Yougoslavie a l'organisa-
tion...))Une demande d'admission, par définition, est présentéqeuand un

Etat non membre veut entrer à l'organisation. Sur le plan des relations
concrètes,quelle serait l'issuede la procédure qu'engageraitla Yougoslavie
en présentant une demande d'admission? Si la procéduredoit aboutir à
conférerla qualitéde Membre, il serait en bonne logique superflu que
l'Assembléegénérale prenne cette décision,puisque la résolution4711n'a
pas mis fin,pour la Yougoslavie,àsa qualitéde Membre de I'Organisation.
On peut présumerque les auteurs de la résolution4711envisageaient donc
une autre issue. Ils voulaient peut-être confirmerou renforcer au moyen de
cette procédurela qualitéde Membre de I'Organisation qu'avaitla Yougo-
slavie. C'est ceque laisse deviner l'énoncde la résolutionquand celle-ci
dit:«la Républiquefédérative de Yougoslavie...ne peut pas assumer auto-
matiquement la qualitéde Membre de l'organisation ... la place...))Cette
formule signifielittéralementque la procédureviserait réaffirmerou ren-
forcer, pour la Républiquefédérale de Yougoslavie, sa qualitéde Membre

de I'Organisation, maisla confirmation de 1aqualitéde Membre n'aurait
guèrede sens juridique dans ce cas de figure particulier, car un Etat est
Membre ou ilne l'estpas. La significationde l'acteen question ne peut être
que non juridique; c'est-à-dire qu'elle serait politique. En dernier lieu, la
résolutionconseilleà la Républiquefédéralede Yougoslavie de présenter
une demande d'admission àI'Organisation etil faut alors, logiquement, se
poser la question suivante: pourquoi un EtatA l'égardduquel I'Organisa-
tion elle-même n'estime paasvoir mis finàsa qualitéde Membre présente-
rait-il une demande dont l'objet lui est déjàincontestablement acquis?
En dernier lieu, il faut tenir dûment compte aussi du dernier para-
graphe de la résolution 4711, aux termes duquel l'Assemblée générale
prend acte «de l'intention du Conseil de sécuritéde reconsidérer la ques-
tion avant la fin de la partie principale de la quarante-septième session de

l'Assembléegénérale))U . ne telle déclarationest inutile si lesauteurs de la
résolution avaientl'intention de mettre fin, au moyen de son adoption, auFederal Republic of Yugoslavia's membership in the Organization. It
seems to suggest that the idea behind resolution 4711was to maintain the
Pace of updating the Organization's political approach to the Yugoslav
crisis in the framework of which even the question of the Federal Repub-

lic of Yugoslavia's membership in the Organization carries, in the latter's
opinion, a certain specific weight. The question of the Federal Republic
of Yugoslavia's membership in the United Nations Organization is a for-
mal one and was opened by Security Council resolution 757 of 30 May
1992, which in its operative part has set into motion the mechanism of
measures stipulated in Chapter VI1of the United Nations Charter relying
on the assessment that "the situation in Bosnia-Herzegovina and in other
parts of the former Socialist Federal Republic of Yugoslavia poses a
threat to peace and security".

Itis not difficult to agree with Professor Higgins (as she then was) that,
judged from the legal point of view, the consequence arising out of reso-
lution 4711"is abnormal to absurdity" (Rosalyn Higgins, "The United
Nations and the Former Yugoslavia", International Affairs, Vol. 69,

p. 479).

8.5. The practice of'the Organization reluring to the i.~suesraised hy
the content of resolution 4711

A couple of relevant facts regarding the practice of the Organization
concerning membership of the Federal Republic of Yugoslavia raise the
question of whether the Organization acted contrafacturn proprium if:

(a) resolution 47/1 was adopted at the 47th Session of the General
Assembly. The delegation of the Federal Republic of Yugoslavia
took an active part as a full member in the proceedings of the 46th
Session, and the Credentials Committee unanimously recommended
approval of the credentials of the Federal Republic of Yugoslavia
(United Nations doc. A/46/563, dated 11October 1991).In the light
of the fact that Croatia and Slovenia had seceded from Yugoslavia
on the eve of that Session, the Organization's attitude to the Federal
Republic of Yugoslavia's participation in the 46th Session means
that the Organization accepted the Federal Republic of Yugoslavia
as a territorially diminished predecessor State according to

"criteria laid down in the wake in the partitioning of India in 1947
and consistently applied ever since - criteria that by and large
have served the United Nations and the international community
well over the past decades" (Yehuda Z. Blum, "UN Membership
of the 'New'Yugoslavia: Continuity or Break?", Ai??ericanJour-
nal of International Law (1992), Vol. 86. p. 833); LICEITE DE L'EMPLOI DE LA FORCE (OP. DISS. KRECA) 232

débat sur la continuité de la qualitéd'Etat Membre des Nations Unies
de la République fédérativede Yougoslavie. Cette déclaration donne,
semble-t-il,a entendre que la résolution4711a en fait pour objet, au seinde
l'organisation, de préserverla dynamique du débatpolitique qui permet
de faire régulièrementle point de la crise yougoslave et, dans le cadre de
ce débat,cette question de la qualitéde Membre de l'Organisation de la
République fédéralede Yougoslavie va elle-même jusqu'à acquérir, aux

yeux de l'organisation, un certain poids. Cette question a un caractère
formel et elle se pose officiellement depuis l'adoption par le Conseil de
sécuritéde sa résolution757 du 30 mai 1992,qui met en branle dans son
dispositif le mécanismede mesures prévuesau chapitre VI1de la Charte
des Nations Unies après avoir constaté que «la situation en Bosnie-
Herzégovineet dans d'autres parties de l'ex-République fédérative socia-
liste de Yougoslavie constitue une menace pour la paix et la sécurité...))
Il n'est donc pas difficile d'adhérerau jugement de MmeHiggins qui
étaitencore professeur quand elle disait que, du point de vue juridique,
cette résolution4711produit un effet «anormal au point d'êtreabsurde))
(Rosalyn Higgins, «The United Nations and the Former Yugoslavia)),
Internulional Afluirs, vol. 69, p. 479).

8.5. La pratique de 1'Organi.sationen cequi concerne les questionsque
,soulèvela teneur de la résolution4711

Un petit nombre de faits pertinents intéressant la pratique suivie par
l'organisation au sujet de la qualité d'Etat Membre de la République
fédéralede Yougoslavie soulèvent laquestion de savoir si celle-ci a agi
contrufactun~proprium du moment que:

a) la résolution 4711 a étéadoptée à la quarante-septiéme session de
l'Assembléegénérale.La délégationde la République fédéralede
Yougoslavie a participé activement, enqualité d'Etat Membre a part
entière, aux travaux de la quarante-sixième session, et la commission
de vérificationdes pouvoirs a recommandé à l'unanimitéd'approuver
lespouvoirs de la Républiquefédérale de Yougoslavie (Nations Unies,
doc. Al461563en date du 11 octobre 1991).Comme la Croatie et la
Slovénieont fait sécessionet ont quitté la Fédération la veille de
ladite session, l'attitude adoptée par l'organisationà l'égardde la
participation de la République fédéralede Yougoslavie aux travaux
de la quarante-sixième session signifieque l'organisation acceptait la
République fédéralede Yougoslavie comme un Etat prédécesseur
amputéd'une partie de son territoire, conformément a des

((critèresdéfinisa la suite de la partition de l'Inde en 1947et régu-
lièrement appliqués depuis - des critères qui, dans l'ensemble,
ont étéfort utiles aux Nations Unies età la communauté interna-
tionale au cours des dernières décennies))(Yehuda Z. Blum, «UN
Membership of the «New» Yugoslavia: Continuity or Break?)),
Americun Journal of International Laic (1992), vol. 86, p. 833);233 LEGALITY OF USE OF FORCE (DISSO. P.KRECA)

(b) the delegation of the Federal Republic of Yugoslavia also took part
in the 47th Session ofthe General Assembly whichadopted the reso-
lution contesting the right of Federal Republic of Yugoslavia to
continue automatically membership in the Organization. Not one
delegation made any objection to the delegation of Federal Republic

of Yugoslavia taking the seat of SFRY in the General Assembly. It
follows from that that the delegations had "at least tacitly accepted
the right of the 'Belgradeauthorities' to request Yugoslavia's seat-
the seat of one of the founding members of the United Nations"
(Blum, op. cit., p. 830);

(c) during al1 the time since the General Assembly passed resolution
4711,the Federal Republic of Yugoslavia has continued to pay its
financial contributions to the Organization (see Annexes to CR 991
25). Yugoslavia is mentioned as a Member State in the document
entitled "Status of contributions to the United Nations regular

budget as at 30 November 1998" published by the United Nations
Secretariat in its document STIADMISER.BI533 of 8 December
1998. In the letter addressed to Vladislav JovanoviC, Chargé
d'Affaires of the Permanent Mission of the Federal Republic of
Yugoslavia to the United Nations, the competent authorities of the
Organization cited Article 19 of the United Nations Charter and
accompanied the citation with the formulation:

"in order for your Government not to fa11under the provisions
of Article 19 of the Charter during any meetings of the General
Assembly to be held in 1998, it would be necessary that a mini-
mum payment of $11,776,400 be receivedby the Organization to
bring such arrears to an amount below that specified under the
terms of Article 19" (ibid.);

(d) in the practice of the United Nations Secretary-General as the
depositary of multilateral treaties, Yugoslavia figures as a party to
the multilateral treaties deposited with the Secretary-General as an
original party. The date when the SFRY expressed its consent to be
bound is mentioned as a day on which Yugoslavia is bound by that
specificinstrument. Exampli causuin the "multilateral treaties depos-
ited with the Secretar-y-Geileral"for-1992,and in the list of "partici-
pants" of the Convention on the Prevention and Punishment of the

Crime of Genocide, Yugoslavia is included and 29 August 1950 is
mentioned as the date of the acceptanceof the obligation - the date
on which SFRY ratified that Convention. Such a mode1is applied,
mutatis mutandis, to other multilateral conventions deposited with
the Secretary-General of the United Nations. LICÉITÉ DE L'EMPLOI DE LA FORCE (OP. DISS. KRECA) 233

b) la délégationde la République fédéralede Yougoslavie a également
pris part aux travaux de la quarante-septième session de l'Assemblée
généralequi a adopté la résolutioncontestant à la République fédé-
rale de Yougoslavie le droit d'assumer automatiquement la qualité de
Membre de l'organisation à la place de l'ancienne Républiquefédéra-
tive socialiste deYougoslavie. Pas une seule délégation n'aémisd'ob-

jection au fait que la République fédéralede Yougoslavie occupe,
à l'Assembléegénérale,le siègede la Républiquefédérativesocialiste
de Yougoslavie. Il faut en déduirequelesdélégationsont ((tacitement
du moins accepté que les ((autorités de Belgrade)) aient le droit de
demander A occuper le siègede la Yougoslavie - le siègede l'un des
Membres originaires des Nations Unies)) (Blum, op cit., p. 830);
C) pendant tout le temps qui s'est écoulé depuisl'adoption de la résolu-
tion 4711par l'Assembléegénérale,la République fédéralede You-
goslavie a continué de payer sa contribution financièreà l'Organisa-
tion (voir les annexes au CR99125). La Yougoslavie est citéeparmi
les Etats Membres dans le document intitulé <(Etat des contributions

verséesau 30 novembre 1998))publié par le Secrétariat des Nations
Unies dans le document portant la cote STlADMlSER.Bl533 daté du
8 décembre 1998. Dans la lettre adressée à Vladislav Jovanovii.,
chargé d'affairesde la mission permanente de la République fédérale
de Yougoslavie auprès des Nations Unies, les autorités compétentes
de l'organisation citaient l'article 19de la Charte des Nations Unies
et accompagnaient la citation de la formule ci-après:

«pour que votre gouvernement ne tombe pas sous le coup des dis-
positions de l'article 19de la Charte pendant l'une quelconque des
réunionsde l'Assemblée généralqeui se tiendront en 1998,il fau-
drait verserà l'organisation un montant minimum de 11776400
dollars des Etats-Unis pour ramener les arriérésen question à un
montant inférieurau montant prévu iil'article 19))(ihi);

d) dans la pratique suivie par le Secrétaire général ds ations Unies en
qualité de dépositaire des traités multilatéraux, la Yougoslavie est
citéecomme Etat Membre originaire partie aux traitésmultilatéraux
déposésauprès du Secrétaire général.La date à laquelle la Répu-
blique fédérativesocialiste de Yougoslavie a exprimé son consente-
ment à êtreliéeest indiquéecomme la date A laquelle la Yougoslavie
est effectivement liéepar l'instrument considéré.Par exemple, si l'on
considère l'étatdes «traités multilatéraux déposés auprès du Secré-

taire général pour 1992,il y figure la liste des «par» àsla Conven-
tion pour la prévention et la répression du crime de génocide, la
Yougoslavie figure sur cette liste et le 29 août 1950est la date qui est
indiquée comme étant celle de l'acceptation de l'obligation corres-
pondante, c'est-à-dire la date à laquelle la République fédérative
socialiste de Yougoslavie a ratifié laconvention. Ce modèle s'ap-
plique,mutatis mutandis, aux autres conventions multilatérales dé-
poséesauprès du Secrétaire général deN s ations Unies. On the basis of existing practice, the "Summary of practice of the
Secretary-General as depositary of multilateral treaties" concludes:

"[tlhe independence of the new successor State, which then exercises
its sovereignty on its territory, is of course without effect as concerns

the treaty rights and obligations of the predecessor State as concerns
its own (remaining) territory. Thus, after the separation of parts of
the territory of the Union of SovietSocialist Republics (whichbecame
independent States), the Union of Soviet Socialist Republics (as the
Russian Federation) continued to existas a predecessor State, and al1
its treaty rights and obligations continued in force in respect of its
territory. The same applies to the Federal Republic of Yugoslavia
(Serbia and Montenegro), which remains as the predecessor State
upon separation of parts of the territory of the former Yugoslavia.
General Assembly resolution 4711of 22 September 1992,to the effect
that the Federal Republic of Yugoslavia could not automatically
continue the membership of the former Yugoslavia in the United
Nations . . .was adopted within the framework of the United
Nations and the context of the Charter of the United Nations, and
not asan indication that the Federal Republic of Yugoslavia was not
to be considered a predecessor State." (STlLEG.8, p. 89, para. 297.)

On 9 April 1996,on the basis of protest raised by a few Members of the
United Nations, the Legal Counsel of the United Nations issued under
"Errata" (doc. LLA41TRl220) which, inter aliu, deleted the qualification
of the Federal Republic of Yugoslavia as a predecessor State contained
in paragraph 297 of the "Summary". In my view, such a deletion is
devoid of any legal relevance since a "Summary" by itself does not have
the value of an autonomous document, a document which determines or
constitutes something. It is just the condensed expression, the external

lapidary assertion of a fact which exists outside it and independently
from it. In that sense, the Introduction to the "Summary of the practice
of the Secretary-General as the depositary of multilateral treaties" says,
inter alia, that "the purpose of the present summary is to highlight the
main features of the practice jollowed by the Secretary-General in this
field" (p.1,emphasis added) but not to constitute the practice itself.

9. As regards the membership of the Federal Republic of Yugoslavia
of the United Nations, the Court takes the position that

"Whereas, in view of its finding in paragraph 30 above, the Court
need not consider this question for the purpose of deciding whether
or not it can indicate provisional measures in the present case"
(Order, para. 33).
The Court retained the position of an ingenious but, for the purposes of
the present proceedings, unproductive elegantiaejuvis processualis. The LICEITÉ DE L'EMPLOI DE LA FORCE (OP.DISS.KRECA) 234

Compte tenu de la pratique existante, on trouve dans le «précis de la
pratique du Secrétaire générae ln tant que dépositaire de traités multi-
latéraux» la conclusion ci-après:
«[l']indépendancedu nouvel Etat successeur,qui exerce désormaisla

souverainetésur son territoire, est naturellement sans effet sur les
droits et obligations d'origine conventionnelledeEtatprédécesseus re
rapportant àce qui lui restede son territoire. Ainsi, après la séparation
de parties du territoire de'Union des républiquessocialistes soviéti-
ques (qui ont acquis le statut d'Etats indépendants), la Fédération
de Russie a conservé tous les droits et obligations d'origine
conventionnellede 1'Etatprédécesseur1 .1en va de même pour la Répu-
blique fédérativede Yougoslavie (Serbie etMonténégro),qui reste
1'Etatprédécesseur aprèsla sécessionde certaines parties du territoire
de l'ancienneYougoslavie. La résolution 4711de l'Assembléegénérale
en date du 22 septembre 1992,aux termes de laquelle la République
fédérativede Yougoslavie ne peutpas assumer automatiquement la
qualité deMembre de l'organisation des Nations Unies à la place de

l'ancienneYougoslavie, a étéadoptéedans le cadre des Nations Unies
et celuide la Charte des Nations Unies,et non pas pour signalerque la
République fédérativd ee Yougoslavie ne devait pas êtreconsidérée
comme un Etat prédécesseur.)) (STlLEG.8, p. 89, par. 297.)
Le 9 avril 1996, à la suite de protestations émanant d'un petit nombre

d'Etats Membres des Nations Unies, le conseiller juridique des Nations
Unies a publiédes «errata» (doc. LLA41TRl220) consistant notamment
à supprimer, au paragraphe 297 dudit «précis»,le qualificatif d'Etat suc-
cesseur accordé à la République fédéralede Yougoslavie. A mon sens,
cette suppression ne revêtaucun intérêt juridique puisqu'un«précis»n'a
pas en soi la valeur d'un document autonome, d'un document qui établit
ou constituequelque chose. Il s'agit simplement de l'expressionramassée,
de l'affirmation lapidaire par un observateur extérieurd'un fait qui existe
en dehors du résuméet tout à fait indépendamment de lui. En ce sens, il
est dit, dans l'introduction au «précis»de la pratique du Secrétairegéné-
ral en tant que dépositairede traitésmultilatéraux))que«le présentdocu-
ment a pour objet d'exposer dans ses grandes lignes la pratique suivieen
la matière par le Secrétaireénéral))(p. I;les italiques sont de moi) mais

il n'a pas pour objet de constituer la pratique elle-même.
9. En ce qui concerne la qualité de Membre de l'organisation des
Nations Unies de la Républiquefédéralede Yougoslavie, la Cour consi-
dèreque:
«eu égard à la conclusion à laquelle elle est parvenue au para-
graphe 30 ci-dessus, la Cour n'a pas à examiner cette question à

l'effet de décidersi elle peut ou non indiquer des mesures conserva-
toires dans le cas d'espèce))(ordonnance,par. 33).
La Cour adopte donc un stratagèmeingénieux (elegantiuejuris processua-
lis)mais, aux fins de la présente instance,il est peu fructueux. La compé-Court's jurisdiction rationepersonae is directly dependent on the answei
to the question whether the Federal Republic of Yugoslavia can be con-
sidered to be a member State of the United Nations, both vis-à-vis the
optional clause and vis-à-vis the Genocide Convention.
It would of course be unreasonable to expect the Court to decide on
whether or not the Federal Republic of Yugoslavia is a Member of the
United Nations. Such an expectation would not be in accord with the
nature of the judicial function and would mean entering the province of
the main political organs of the world Organization - the Security
Council and the General Assembly.
But it is my profound conviction that the Court should have answered
the question whether the Federal Republic of Yugoslavia can or cannot,
in the light of the content of General Assembly resolution 4711and of the
practice of the world Organization, be considered to be a Member of the
United Nations and especially party to the Statute of the Court; namely,
the text of resolution 4711makes no mention of the status of the Federal

Republic of Yugoslavia as a party to the Statute of the International
Court of Justice. That is the import of resolution 4711ratione muteriae.
And nothing beyond that. In that respect the position of the Court is
identical to the position of other organs of the United Nations. A con-
trario there would, exempli CUCISU,be no need for a General Assembly
recommendation by resolution 471229concerning the participation of the
Federal Republic of Yugoslavia in the work of the Economic and Social
Council. In other words, resolution 4711makes no mention, explicitly or
tacitly, of the International Court of Justice; theame is true of the other
documents adopted on the basis of the above-mentioned resolution. It
follows from this that General Assembly resolution 4711has produced no
effect on the status of the Federal Republic of Yugoslavia as a party to
the Statute and this is confirmed, inter alia, by al1issues of the Yearhook
of the International Court of Justice since 1992.

1am equally convinced that, both the content of the resolution, which
represents contradictio inadiecto. and the particular practice of the world
Organization after its adoption over a period of nearly seven years,
offered ample arguments for it to pronounce itself on this matter.

10. The position of the Court with respect to the Federal Republic of
Yugoslavia membership of the United Nations can be said to have
remained within the framework of the position taken in the Order on the
indication of provisional measures in the Genocidecase of 8 April 1993.

Paragraph 18of that Order states:

"Whereas, while the solution adopted is not free from legal diffi-
culties, the question whether or not Yugoslavia is a Member of thetence de la Courrutione personue est directement tributaire de la réponàe
la question de savoir si la Républiquefédéralede Yougoslavie peut être
considérée comme un Etat Membre des Nations Unies, tant à l'égardde la
clause facultative qu'à l'égardde la convention sur le génocide.
11serait évidemmentdéraisonnable de compter que la Cour statue sur
la question proprement dite de l'appartenance de la Républiquefédérale
de Yougoslavie àl'organisation. Pareille attente ne serait guèreconforme
à la nature de la fonction judiciaire et reviendrait par ailàs'immiscer
dans le domaine propre des principaux organes politiques de I'organisa-
tion mondiale, le Conseil de sécurité etl'Assembléegénérale.
Maisje suis profondémentconvaincu que la Cour aurait dû répondre à
la question de savoir si la République fédéralede Yougoslavie peut ou
non, eu égard à la teneur de la résolution4711de l'Assembléegénéraleet
à la pratique de l'organisation mondiale, êtreconsidéréecomme un Etat

Membre des Nations Unies et tout particulièrement comme étant partie
au Statut de la Cour; car le texte de la résolution4711ne fait pas mention
de la qualitéde partie au Statut de la Cour internationale de Justice dont
peut se prévaloir la République fédéralede Yougoslavie. C'est là que
résidel'importance de la résolution4711 rutione niuteriueEt il n'y a rien
d'autre que cela. A cet égard,la situation de la Cour est exactement celle
des autres organes des Nations Unies. Dans le cas contraire, il serait par
exemple inutile que l'Assemblée généralfe ormule une recommandation,
comme elle le fait dans sa résolution471229,concernant la participation
de la Républiquefédéralede Yougoslavie aux travaux du Conseil écono-
mique et social. Autrement dit, la résolution711ne fait aucune mention
ni expresse ni tacite de la Cour internationale de Justice; va de même
pour les autres documents adoptés sur la base de ladite résolution.l faut
en déduireque cette résolution 4711de l'Assembléegénéralen'a produit
aucun effet sur la qualité de partie au Statut dont peut se prévaloir la
République fédéralede Yougoslavie et c'est bien ce que confirment

notamment tous les numérosde l'Annuairede la Cour internationale de
Justice publiésdepuis 1992.
Je suis également convaincuque tant la teneur de la résolution,celle-ci
représentant une contradictio in adiecto,que la pratique particulière sui-
vie pendant prèsde sept ans par l'organisation mondiale après son adop-
tion apportent beaucoup d'éléments qui autorisent la Cour à se pronon-
cer sur cette question.
10. Or, en ce qui concerne la qualitéd'Etat Membre de l'organisation
des Nations Unies dont la République fédéralede Yougoslavie peut se
prévaloir,on peut dire que la Cour a conservédans ses grandes lignes la
position qu'elle a adoptée dans son ordonnance du 8 avril 1993 dans
l'affaire de laonvention sur le -énocide en statuant sur la demande en
indication de mesures conservatoires.
Au paragraphe 18de ladite ordonnance, la Cour considère que:

((si la solution adoptée ne laisse pas de susciter des difficultésjuri-

diques, la Cour n'a pasà statuer définitivementau stade actuel de la236 LEGALITY OF USE OF FORCE (DISSO. P.KRECA)

United Nations and as such a party to the Statute of the Court is
one which the Court does not need to determine definitively at the
present stage of the proceedings" (Application of the Convention on
the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide, Provi-
sional Measures, Order of 8 April 1993, I.C.J. Reports 1993, p. 14).

The objection may be raised that the wording of paragraph 18is of a
technical nature, that it is not a relevant answer to the question ofFed-
eral Republic of Yugoslavia membership of the United Nations; how-
ever, it is incontestable that it has served its practical purpose because, it
seems,

"the Court was determined to establish its jurisdiction in this case
[Application of the Convention on the Prevention andPunishment of
the Crime of Genocide] whilst at the same time avoiding some of the
more delicate, and indeed profound, concerns about the position of
the respondent State vis-à-vis the Charter and Statute" (M. C. R.
Craven, "The Genocide Case, the Law of Treaties and State Succes-
sion", British Year Book of International Law, 1997,p. 137).

The Court tacitly persisted in maintaining this position also in the
further requests for the indication of provisional measures (Application
of the Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of
Genocide, Order of 13 Septembrr 1993), as well as in the Judgment on
preliminary objections of 11July 1996.
Even if such a position can be considered to be understandable in the
second proceedings for the indication of provisional measures, it never-
theless gives rise to some complicated questions in the proceedings con-
ducted in the wake of the preliminary objections raised by Yugoslavia.
In these proceedings, the Court was confronted, inter uliu, also with
the question as to whether Yugoslavia is a party to the Genocide Con-
vention. It is hardly necessary to mention that the status of a Contracting

Party to the Genocide Convention was conditio sine qua non for the
Court to proclaim its jurisdiction in the case concerning Application of
the Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of Geno-
cide.
The Court found that it has jurisdiction ratione personue, supporting
this position, in my opinion, with a shaky, unconvincing explanation (see
dissenting opinion of Judge Kreéa,I.C.J. Reports 1996 (II), pp. 755-760,
paras. 91-95). For the purposes of this case, of particular interest is the
position of the Court "that it has not been contested that Yugoslavia was
party to the Genocide Convention" (Application of the Conventionon the
Prevention und Punishment of the Crime of Genocide,Preliminary Objec-
tions,Judgment, I.C.J. Reports 1996 (Il), p. 610, para. 17).The absence
of contest was the decisive argument for the Court to state that "Yugo-
slavia was bound by the provisions of the Convention on the date of the
filing of the Application in the present case" (ibid.). procédure sur la question de savoir si la Yougoslavie est ou non
membre de l'organisation des Nations Unies et, a ce titre, partie au
Statut de la Cour)) (Application de la convention pour laprévention
et lu rkpression du crime de génocide,mesures conserilatoires,ordon-
nance du 8 avril 1993, C.I.J. Recueil 1993, p. 14).

On peut objecter que le libellé du paragraphe 18ci-dessus a un carac-
tère technique, que ce n'est pas une réponse pertinente 5 la question de
savoir si la République fédéralede Yougoslavie est ou non membre de
l'organisation des Nations Unies; toutefois, il est incontestable que cet
énoncéa eu concrètement l'effet voulu parce que, semble-t-il,

((la Cour voulait se déclarercompétentedans cette affaire [Applica-
tion de la conventionpour lupréventionet la répressiondu crime de
gknocide] tout en évitanten mêmetemps de se prononcer sur cer-
tains problèmes délicats,du reste assez graves, concernant la situa-
tion de 1'Etat défendeur face à la Charte et au Statut)) (M. C. R.
Craven, «The Genocide Case, the Law of Treaties and State Succes-
sion)),British Yeur Book of International Law, 1997,p. 137).

La Cour a tacitement conservécette même~osition lors des nouvelles
demandes en indication de mesures conservatoires (Application de la
convention pour la prkvention et la répressiondu crime de génocide,
ordonnance-du 13 septembre 1993), demême que dans l'arrêt rendule
Il juillet 1996sur les exceptions préliminaires.
On peut sans doute estimer que cette position est compréhensiblelors
de la seconde procédure en indication de mesures conservatoires, mais
elle soulève des questions fort complexes dans le cadre de la procédure
relative aux exceptions préliminairesémanant de la Yougoslavie.

Dans ladite procédure, la Cour était notamment face, là aussi, à la
question de savoir si la Yougoslavie est partie a la convention sur le
génocide. Il n'est guère besoin de rappeler que la qualité de partie
contractante a ladite convention était la condition sine qua non permet-
tant a la Cour de se déclarercom~étentedans l'affaire relative 1'A~ol..
cation de la convention pour la préventionet la répressiondu crime de
génocide.
La Cour s'est déclaréecompétente ratione personae en donnant à ce
sujet une explication que je trouve peu solide et peu convaincante (voir
mon opinion dissidente, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 755-760,par. 91-95).
Aux fins de la présente instance, il est intéressant de noter que la Cour
avait observé à cette première occasion «qu'il n'a pas étécontesté quela
Yougoslavie soit partie à la Convention sur le génocide))(Applicationde
la convention poÜr la préventionet la répressiondu crime de génocide,
exceptions préliminaires,arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 610, par. 17).
Et l'absence de contestation a représentépour la Cour l'argument décisif

qui lui permettait de dire que «la Yougoslavie étaitliéepar les disposi-
tions de la convention la date du dépôt de la requêteen la présente
affaire>)(ibid.) . The Court has, deliberately, 1presume, failed to state who did not con-
test that Yugoslavia is a party to the Genocide Convention. If it had in
mind the Applicant (Bosnia and Herzegovina), it is hardly necessary to
note that the State which is initiating proceedings before the Court would
not deny the existence ofthe title ofjurisdiction; and, in the case in ques-
tion, the Genocide Convention was the only possible ground of the
Court's jurisdiction. If, hnwever, the Court had third States in mind, then
things do not stand as described by the Court, stating that "it has not
been contested". By refusing to recognize the Federal Republic of Yugo-

slavia and its automatic continuation of membership of the United
Nations, the member States of the world Organization contested eo ipso
that the Federal Republic of Yugoslavia is automatically a party to
multilateral treaties concluded under the aegis of the United Nations
and, consequently, also a party to the Genocide Convention. The Federal
Republic of Yugoslavia can be considered to be a party to the Genocide
Convention only on the grounds of legal identity and continuity with the
Socialist Federal Republic of Yugoslavia because, otherwise, it consti-
tutes a new State, and it did not express its consent to be bound by the
Genocide Convention in the manner prescribed by Article XI of the Con-
vention, nor did it send to the Secretary-General of the United Nations
the notification of succession. A tertium quid is simply non-existent, in
particular from the standpoint of the Judgment of 11 July 1996 in the

Genocidecase, in which the Court did not declare its position on the so-
called automatic succession in relation to certain multilateral treaties
(Application of the Convention on the Prevention und Punishmentof the
Crime of Genocide, Preliminury Objections, Judgment, I.C.J. Reports
1996 (II), p. 612, para. 23).

Al1in all, the Court in the present Order remained consistent with its
"avoidance" position, persisting in its statement that it "need not con-
sider this question for the purpose of deciding whether or not it can indi-
cate provisional measures in the present case".
Such is the Court's restraint with respect to this highly relevant issue
and its reluctance to make its position known may wellcreate the impres-

sion quite differently from that expressed by Craven in regard to the
Application of the Convention on the Preilention and Punishment of the
Crime of Genocidecase - that "the Court was determined to establish its
jurisdiction [over the] case whilst at the same time avoiding some of more
delicate, and indeed profound, concerns about the position" of Yugosla-
via vis-à-vis the Charter and the Statute and its inevitable legal conse-
quences upon proceedings pending before the Court.

Jurisdiction qf the Court Ratione Materiae

11. 1am of the opinion that in the matter in hand the Court's position
is strongly open to criticism. La Cour s'est abstenue, délibérémenjte présume, de dire qui n'avait
pas contesté que la Yougoslavie soit partie à la convention sur le géno-
cide. Si elle pensait au demandeur (la Bosnie-Herzégovine),il n'est guère
besoin de rappeler que 1'Etatintroduisant une instance devant la Cour ne
va pas nier l'existencedu titre de compétencevoulu; et, dans l'affaire en
question, la convention sur le génocideétait,pour la Cour, le seul chef de
compétencepossible. Si toutefois la Cour pensait à des Etats tiers, alors
la réaliténe correspond pas à l'absence de contestation dont la Cour
parle. En refusant de reconnaître la Républiquefédéralede Yougoslavie
et d'admettre qu'elle continuait d'assumer automatiquement la qualité
d'Etat Membre de l'organisation des Nations Unies, les Etats Membres

de ladite organisation mondiale contestaient eo ipso que la République
fédérale de Yougoslavie soit automatiquement partie aux traités
multilatéraux conclus sous l'égidedes Nations Unies et, soit par consé-
quent aussi partie à la convention sur le génocide.La République fédé-
rale de Yougoslavie ne peut êtreconsidérée commeétant partie à la
convention sur le génocideque s'ily a, du point de vuejuridique, identité
et continuité entre elle et la République fédérativesocialiste de Yougo-
slavie, car, s'il en va autrement, la République fédéralede Yougoslavie
constitue un Etat nouveau et elle n'a Dasdonnéson consentement à être
liéepar la convention sur le génocidede la façon qui est prescriteà l'ar-
ticleXI de ladite convention et ellen'a Dasfait tenir au Secrétairegénéral
des Nations Unies la notification de succession voulue. Il n'y a tout sim-
plement pas de tertium quid, notamment du point de vue de l'arrêt rendu

le 11juillet 1996dans l'affaire de lanventionsur legénocide,arrêtdans
lequel la Cour ne s'est pas prononcée sur ce qu'on appelle la succession
automatique dans le cas de certains traitésmultilatéraux (Application de
lu convention pour lu préventionet lu ripression du crime de génocide,
e.uceptionspréliminaires,urrêt,C.1.J. Recueil 1996 (II), p. 612, par. 23).
Tout bien considéré,dans la présenteordonnance, la Cour est restée
fidèleà sa volontéd'abstention, disant à nouveau qu'elle «n'a pas à exa-
miner cette question à l'effet de décidersi elle peut ou non indiquer des
mesures conservatoires dans le cas d'espèce)).
Ce silence de la Cour alors qu'il serait si utile de répondre la ques-
tion, cette hésitationà prendre position risquent de donner une impres-
sion très différentede celle qu'envisage Craven lors de l'affaire relative

l'Application delu conventionpour lupréventionet lurépressiondu critnede
ginocide, quand il dit que «la Cour voulait se déclarercompétente tout
en voulant éviteren mêmetemps de se prononcer sur les problèmesdéli-
cats, d'ailleurs assez sérieux,qui se posent au sujet de la situation))de la
Yougoslavie face à la Charte et au Statut, et les inévitables conséquences
juridiques de cette situation sur une affaire portée devant la Cour.

Compétence delu Cour ratione materiae

11. Je suis d'avis qu'en l'espèce laposition adoptéepar la Cour prête
fortement à critiques. The Court finds :
"whereas the threat or use of force against a State cannot in itself
constitute an act of genocide within the meaning of Article II of the
Genocide Convention; and whereas, in the opinion of the Court, it
does not appear at the present stage of the proceedings that the

bombings which form the subject of the Yugoslav Application
'indeed entai1the element of intent, towards a groupas such, required
by the provision quoted above' (Legulity of the Threat or Use of
Nucleur Weapons, Advisory Opinion, 1.C.J. Reports 1996 (Z),
p. 240, para. 26)" (Order, para. 40).

The intent is, without doubt, the subjective element of the being of the
crime of genocide as, indeed, of any other crime. But. this question is not
and cannot, by its nature, be the object of decision-making in the inci-
dental proceedings of the indication of provisional measures.

In this respect, a reliableproof should be sought in the dispute which,
by its salient features, is essentially identical to the dispute under consid-
eration - the case concerning Application of the Convention on the Pre-
vention and Punishment of the Crime of Genocide.
In its Order on the indication of provisional measures of 8 April 1993,
in support of the assertion of the Respondent that, inter aliu, "it does not
support or abet in any way the commission of crimes cited in the Appli-
cation . ..and that the claims presented in the Application are without

foundation" (Application of the Convention on the Prevention and Pun-
ishment of the Crime of Genocide,Provi.~ionalMeusures, Orderof 8 April
1993, 1.C.J. Reports 1993, p. 21, para. 42), the Court stated:

"Whereas the Court, in the context of the present proceedings on
a request for provisional measures, has in accordance with Article 41
of the Statute to consider the circumstances drawn to its attention as

requiring the indication of provisional measures, but cannot make
definitive findings of fact or of imputability, and the right of each
Party to dispute the facts alleged against it, to challenge the attribu-
tion to it of responsibility for those facts, and to submit arguments
in respect of the merits, must remain unaffected by the Court's deci-
sion" (ibid., p. 22, para. 44)

and
"Whereas the Court is not called upon, for the purpose of its deci-
sion on the present request for the indication of provisional meas-
ures, now to establish the existence of breaches of the Genocide
Convention" (ibid., para. 46).

The rationale of provisional measures is, consequently, limited to the
preservation of the respective rights of the parties pendente lite which are
the object of the dispute, rights which may subsequently be adjudged by La Cour considère:

((que le recours ou la menace du recours à l'emploi de la force contre
un Etat ne sauraient en soi constituer un acte de génocideau sens de
l'articleII de la convention sur le génocide; et que, de l'avis de la
Cour, il n'apparaît pas au présentstadede la procédure que les bom-

bardements qui constituent l'objet de la requête yougoslave «corn-
porte[nt] effectivement l'élémentd'intentionnalité, dirigé contre un
groupe comme tel, que requiert la disposition sus-citée)) (Licéitéde
la menace ou de I'einploid'armes i~ucléairesu ,vis con.sultatiJ;CCI.J.
Recueil 1996 (I), p. 240, par. 26))) (ordonnance, par. 40).

L'intentionnalité est incontestablement l'élémentsubjectif qui est cons-
titutif du crime de génocide comme du reste de n'importe quel autre
crime. Mais cette question n'est pas l'objet de la prise de décisiondans la
procédure incidente de l'indication de mesures conservatoires et, par sa
nature même,elle ne peut pas l'être.
Il faut à cet égard chercher une preuve fiable dans le différendqui, par

ses principaux traits, est pour l'essentiel identique au différend examiné
ici: il s'agit de l'affaire relativel'Application de lu convention pour lu
préverztionet la r&pressiotzdu crime de génocide.
Dans l'ordonnance qu'elle a rendue le 8 avril 1993 sur I'indication de
mesures conservatoires, souscrivant a l'affirmation du défendeur qui dit
notamment «n'apport[er] aucun appui ni n'encourag[er]. d'une façon ou
d'une autre. la perpétration des crimes mentionnés dans la requête... [et]

que les griefs exposésdans la requêtesont dénuésde fondement »(Appli-
cation de la convention pour lapréventionet la répressiondu crime de
gétzocid~> n,ze.suresconscrvutoire.~,ordonnance du 8 a~~ril1993, C.I.J.
Re<,ueil1993. p. 21, par. 42), la Cour a considéréque:

«dans le contexte de la présente procédure concernant l'indication
de mesures conservatoires, [elle]doit, conformément à l'article 41 du
Statut, examiner si les circonstances portées à son attention exigent
l'indication de mesures conservatoires, mais n'est pas habilitée à
conclure définitivement sur les faits ou leur imputabilité et que sa
décisiondoit laisser intact le droit de chacune des Parties de contes-
ter les faits alléguéscontre elle, ainsi que la responsabilité qui lui est

imputée quant à ces faits et de faire valoir ses moyens sur le fond))
(ihid,p. 22, par. 44).
et que:

«[elle] n'est pas appeléeà ce stade à établir l'existence de violations
de la convention sur le génocide)) (ihid.,par. 46).

La raison d'êtredes mesures conservatoires est par conséquent limitée
à la préservation des droits des parties pendente lite qui sont l'objet du
différend,droits qui peuvent ultérieurement faire l'objet de la décisionde

118the Court. As the Court stated in the Lund and Muritime Boundary
betcceenCameroon and Nigeria case :
"Whereas the Court, in the context of the proceedings concerning
the indication of provisional measures, cannot make definitive find-
ings of fact or of imputability, and the right of each Party to dispute
the facts alleged against it, to challenge the attribution to it of

responsibility for those facts, and to submit arguments, if appropri-
ate, in respect of the merits, must remain unaffected by the Court's
decision" (Land and Muritime Boundary between Cameroon and
Nigeria, Proiiisional Measures, Order of 15 March 1996, 1.C.J.
Reports 1996 (I), p. 23, para. 43).
12. Fundamental questions arise regarding the position of the Court
on this particular matter.
The relationship between the use of armed force and genocide can be
looked upon in two ways:

(a) is the use of force per se an act of genocide or not? and,

(b) is the use of force conducive to genocide and, if the answer is in the
affirmative, what is it then, in the legal sense?

It is incontrovertible that the use of force peu se et definitione does
not constitute an act of genocide. It is a matter that needs no particular
proving. However, it could not be inferred from this that the use of
force is unrelated and cannot have any relationship with the commission
of the crime of genocide. Such a conclusion would be contrary to ele-
mentary logic.
Article II of the Convention on the Prevention and Punishment of the
Crime of Genocide defines the acts of genocide as

"any of the following acts committed with intent to destroy, in
whole or in part, a national, ethnical, racial or religious group, as
such :
(a) Killing members of the group;
(6) Causing serious bodily or mental harm to members of the
group ;
(c) Deliberately inflicting on the group conditions of lifecalculated
to bring about its physical destruction in whole or in part;
(d) Imposing measures intended to prevent births within the group;

(e) Forcibly transferring children of the group to another group."
Any of these acts can be committed also by the use of force. The use of
force is, consequently, one of the possible means of committing acts of
genocide. And, it should be pointed out, one of the most efficientmeans,
due to the immanent characteristics of armed force.

Extensive use of armed force, in particular if it is used against objects
and means constituting conditions of normal life, can be conducive to LICÉITEDE L'EMPLOIDE LA FORCE (OP. DISS. KRECA) 239

la Cour. Comme celle-ci le dit de nouveau dans l'affaire de la Frontière
terrestre etmuritime entre le Cumeroun et le Nigériu:

((Considérantque la Cour,dans le cadre de la présente procédure
concernant l'indication de mesures conservatoires, n'est pas habilitée
à conclure définitivementsur les faits ou leur imputabilité et que sa
décisiondoit laisser intact le droit de chacune des Parties de contes-
ter les faits allégucontre elle, ainsi que la responsabilitéqui lui est
imputée quant à ces faits, et de faire valoir, le cas échéant,ses
moyens sur le fond.» (Frontière terrestreet muritime entre le Cume-
roun et le Nigériu,mesures con.servutoire.s,ordonnunce du 115mars
1996, C.I.J. Rccueil 1996 (I), p. 23, par. 43.)

12. Sur ce point en particulier, il se pose des questions fondamentales
au sujet de la position de la Cour. On peut considérerde deux façons le
lien entre le recoursa la force arméeet le génocide:

u) est-ce que l'emploi de la force est un acte de génocideper .Feou
non?
h) l'emploi de la force favorise-t-il le génocideet, dans l'affirmative,
qu'est-ce alors au sensjuridique?

Indéniablement, l'emploi de la force, en soi et par définition,ne cons-
titue pas un acte de génocide.Nul besoin d'en faire la preuve. Toutefois,
il n'est pas possible d'en déduireque l'emploi de la force est sans rapport
avec la commission du crime de génocideet qu'il n'est pas possible d'éta-
blir un tel rapport. Pareille conclusion serait contrairela logique la plus
élémentaire.
L'article II de la convention pour la prévention et la répression du
crime de génocide définitles actes de génocidecomme

«l'un quelconque des actes ci-après, commis dans l'intention de
détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial
ou religieux, comme tel :
a) meurtre de membres du groupe;
h) atteinte grave a l'intégritéphysique ou mentale de membres du
groupe ;

c) soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence
devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle;
d) mesures visant a entraver les naissances au sein du groupe;
e) transfert forcéd'enfants du groupe a un autre groupe)).
N'importe lequel des actes ci-dessus peut êtrecommis également au
moyen de la force. L'emploi de la force est par conséquent l'un des

moyens possibles de commettre des actes de génocide.Et, ilconvient de le
signaler, c'estl'un des moyens les plus efficaces, étant donné les carac-
tèrespropres de la force armée.
L'emploi étendude la force armée,en particulier s'il visedes objets et
des infrastructures constituant les conditions de la vie normale, peut"inflicting on the group conditions of life" bringing about "its physical
destruction".
Of course, itcan be argued that such acts are in the function of degrad-
ing the military capacity of the Federal Republic of Yugoslavia. But such
an explanation can hardly be regarded as a serious argument. For, the
spiral ofsuch a line of thinking may easily come to a point when, having
in mind that military power is after al1comprised of people, even mass
killing ofcivilians can be claimed to constitute some sort of a precaution-
ary measure that should prevent the maintenance or, in case of mobiliza-
tion, the increase of military power of the State.

Of course, to be able to speak about genocide it is necessary that there
is an intent, namely, of "deliberately inflictingon the group conditions of
life" bringing about "its physical destruction in whole or in part".
In the incidental proceedings the Court cannotand should not concern
itself with the definitive qualification of the intent to impose upon the
group conditions in which the survival of the group is threatened. Having
in mind the purpose of provisional measures, it can be said that at this

stage of the proceedings it is sufficient to establish that, in the conditions
of intensive bombing, there is an objective risk of bringing about condi-
tions in which the survival of the group is threatened.
TheCourt took just such a position in the Order of 8 April 1993on the
indication of provisional measures in the Application of the Convention
on the Prevention and Puniskment of the Crime of Genocidecase.

Paragraph 44 of that Order stated:

"Whereas the Court, in the context of the present proceedings on
a request for provisional measures, has in accordance with Article 41
of the Statute to consider the circumstances drawn to its attention as
requiring the indication of provisional measures, but cannot make
definitive findings of fact or of imputability, and the right of each
Party to dispute the facts alleged against it, to challenge the attribu-
tion to it of responsibility forthose facts, and to submit arguments
in respect of the merits, must remain unaffected by the Court's deci-
sion" (I.C.J. Reports 1993, p. 22).

The question of "intent" is a highly complicated one. Although the
intent is a subjective matter, a psychological category, in contemporary
criminal legislation it is established also on the basis of objective circum-
stances. Inferences of intent to commit an act are widely incorporated in
legal systems. Exempli causa, permissive inferencesas opposed to a man-
datory presumption in the jurisprudence of the United States of America
may be drawn even in a criminal case.

In any event, there appears to be a clear dispute between the Parties
regarding "intent" as the constitutive element of the crime of genocide. LICÉITE DE L'EMPLOI DE LA FORCE (OP. DISS. KRECA) 240

aboutir à ((soumettre le groupe à des conditions d'existence))entraînant
bel et bien «sa destruction physique)).
On peut bien entendu objecter que les actes en question ont pour rôle
d'affaiblir la puissance militaire de la Républiquefédéralede Yougosla-
vie. Mais pareille explication peut difficilement représenterun argument
valable. Le raisonnement, en effet, va rapidement emprunter un cercle
vicieux: la puissance militaire étantaprès tout composée d'hommes,il est

possible d'aller jusqu'à prétendreque le meurtre collectif d'une foule de
civils tient en quelque sorte lieu de mesure de précaution de nature a
empêcher d'entretenir la puissancemilitaire de I'Etat, voire de I'augmen-
ter en cas de mobilisation.
Certes, pour pouvoir parler de génocide, il faut une intention, c'est-à-
dire qu'ilfaut vouloi« soumettre intentionnellement legroupe Adescondi-
tions d'existence))entraînant«sa destruction physique totale ou partielle)).
Lors de procédures incidentes, la Cour ne peut pas - et ne doit
d'ailleurs pas- chercher à établirde façon définitive qu'elle esten pré-

sence d'une volontéde soumettre le groupe à des conditions d'existence
de nature à menacer sa survie. Eu égard à l'objet des mesures conserva-
toires, on peut dire qu'Ace stade de la procédure,il suffit d'établir que,le
groupe étant soumis Ades bombardements intensifs, on court objective-
ment le risque de voir cette situation aboutirà menacer sa survie.
La Cour a précisémentadoptécette position dans l'ordonnance qu'elle
a rendue le 8 avril 1993au sujet de I'indication de mesures conservatoires
dans l'affaire relative l'Application (lelu convention pour lu préirention
et lurépre.r.siondu crime degénocide.
Le paragraphe 44 de cette ordonnance se lit comme suit:

((Considérantque la Cour, dans le contexte de la présente procé-
dure concernant I'indication de mesures conservatoires, doit, confor-
mément à l'article 41 du Statut, examiner si lescirconstances portées
à son attention exigent I'indication de mesures conservatoires, mais
n'est pas habilitée à conclure définitivement sur les faits ou leur

imputabilitéet que sa décisiondoit laisser intact le droit de chacune
des Parties de contester les faits allégucontre elle, ainsi que la res-
ponsabilitéqui lui est imputéequant à ces faits et de faire valoir ses
moyens sur le fond. » (C.1.J. Recueil 1993, p. 22.)

La question de I'c<intentionnalité> e)st extrêmement complexe.L'inten-
tion appartient au domaine subjectif, c'est unecatégorie psychologique,
mais, dans la législationpénalecontemporaine, l'intention est également
établieà partir de circonstances objectives. L'intention présumée de com-
mettre l'acte fait très communément partie du systèmejuridique. Par
exemple, aux Etats-Unis d'Amérique, la jurisprudence autorise la pré-
somption plausible par opposition à la présomption concluante, même en
matière pénale.
De toute façon, les Parties s'opposent très clairement, semble-t-il, au
sujet de l'«intentionnalité» en tant qu'élément constitutifdu crime de

génocide. The Applicant asserts that "intent" can be presumed and, on the other
hand, the Respondent maintains that "intent", as an element of the crime
of genocide, should be clearly established as dolus specialis. Such a con-
frontation of viewsof the Parties concerned leads to a dispute related to
"the interpretation, application or fulfilment of the Convention", includ-
ing disputes relating to the responsibility of a State for genocide or for
any of the other acts enumerated in Article III of the Convention.

13. At the same time, one should have in mind that whether "in cer-
tain cases, particularly that by the infliction of inhuman conditions of
life, the crime may be perpetrated by omission" (Stanislas Plawski, Etude
des principes fondamentaux du droit international pénal, 1972, p. 115.
Cited in United Nations doc. E/CN.4ISub.21415of 4 July 1978).

Since,
"Experience provides that a state of war or a military operations
régime givesauthorities a convenient pretext not to provide a popu-
lation or a group with what they need to subsist - food, medicines,
clothing, housing . . .It will be argued that this is inflicting on the

group conditions of lifecalculated to bring about its physical destruc-
tion in whole or in part." (J. Y. Dautricourt, "La prévention du
génocideet ses fondements juridiques", Etudes internationales de
psychosociologie criminelle, Nos. 14-15, 1969, pp. 22-23. Cited in
United Nations doc. E/CN.4lSub.2/415 of 4 July 1978,p. 27.)

Of the utmost importance is the fact that, in the incidental proceedings,
the Court cannot and should not concern itself with the definitive quali-
fication of the intent to impose upon the group conditions in which the
survival of the group is threatened. Having in mind the purpose of pro-
visional measures, it can be said that at this stage of the proceedings it is
sufficient to establish that, in the conditions of intensive bombing, there
is an objective risk of bring about conditions in which the survival of the
group is threatened.

Jurisdiction of the Court Ratione Temporis

14. The rufione temporis element of jurisdiction is considered by the
Court to be the linchpin of its position regarding the absence of jurisdic-
tion in this particular case. In its Order the Court states, inter aliu:

"Whereas it is an established fact that the bombings in question
began on 24 March 1999 and have been conducted continuously
over a period extending beyond 25 April 1999; and whereas the
Court has no doubt, in the light. inter alia, of the discussions at the
Security Council meetings of 24 and 26 March 1999(SlPV.3988and
3989), that a 'legal dispute' (Eusr Timor (Porfugul v. Au.~trulia), LICÉITÉ DE L'EMPLOI DE LA FORCE (OP. DISS. KRECA) 241

Le demandeur affirme que l'«intention» peut êtreprésuméetandis que
le défendeur soutient qu'en tant qu'élémentconstitutif du crime de géno-
cide, l'aintention»doit êtreclairement établie sous forme de do1spécial.
Cette opposition de vues entre les Parties constitue un différend relatif
l'interprétation, l'application ou l'exécutionde la ...convention [sur le
génocide] n,les diffërends de ce type comprenant aussi lesdifférends rela-
tifsà la responsabilitéd'un Etat en matière de génocideou de l'un quel-
conque des autres actes énumérés à l'article III de ladite convention.

13. En mêmetemps, il ne faut pas oublier que, «dans certains cas, sur-
tout dans le génocidepar la soumission à des conditions inhumaines de
vie, le crime peut êtreperpétrépar omission))(Stanislas Plawski, Etude
desprincipes fondumentaux du droit internutionalpénal,1972,p. 115.Cité
dans Nations Unies, doc. ElCN.4lSub.21416daté du4juillet 1978,p. 28).
En effet,

(([ll'expérienceprouve que l'étatde guerre ou le régimed'occupation
de guerre sont un prétextefacile pour lesautoritésresponsables pour
ne pas fournirà une population ou à un groupe ce qui leur est néces-
saire pour subsister: vivres, médicaments, vêtementsh ,abitations ...
On nous dira que c'est la soumission du groupe à des conditions
d'existence susceptiblesd'entraîner sa destruction physique totale ou
partielle.))J. Y. Dautricourt, «La prévention du génocide et ses
fondements juridiques)), Etudes internationales de psychosociologie
criminelle,n0V4-15, 1969,p. 22-23. Citédans Nations Unies, doc.

ElCN.4/Sub.2/416 datédu 4 juillet 1978,p. 28.)
Il est donc d'une importance primordiale de savoir que, lors de procé-
dures incidentes, la Cour ne peut pas - et ne doit d'ailleurs pa- cher-
cher à établir de façondéfinitive unevolonté de soumettre le groupe à des
conditions d'existence de nature à menacer sa survie. Eu égard à l'objet

des mesures conservatoires, on peut dire qu'à ce stade de la procédure, il
suffit d'établirque. le groupe étant soumis à des bombardements inten-
sifs, on court objectivement le risque de voir cette situation aboutir à
menacer sa survie.

Compétencede la Cour ratione temporis

14. Pour la Cour, l'élémenr tatione ternporisde sa compétencedonne

la cléde la position qu'elleadoptedans la présenteinstance, en concluant
qu'ellen'a pas compétence.Dans son ordonnance, la Cour déclarenotam-
ment :
((Considérantqu'il est constant que les bombardements en cause

ont commencéle 24 mars 1999et se sont poursuivis, de façon conti-
nue, au-delà du 25 avril 1999; et qu'il ne fait pas de doute pour la
Cour, au vu notamment des débatsdu Conseil de sécurité des24 et
26 mars 1999 (SlPV.3988 et 3989). qu'un ((différendd'ordre juri-
dique)) (Timor oriental (Portugal c. Australie), C.I.J. Recueil1995, 1.C.J. Reports 1995, p. 100, para. 22) 'arose' between Yugoslavia
and the Respondent, as it did also with the other NATO member
States, well before 25 April 1999 concerning the legality of those
bombings as such, taken as a whole;
Whereas the fact that the bombings have continued after 25 April
1999and that the dispute concerning them has persisted since that
date is not such as to alter the date on which the dispute arose;

whereas each individual air attack could not have given rise to a
separate subsequent dispute; and whereas, at this stage of the pro-
ceedings, Yugoslavia has not established that new disputes, distinct
from the initial one, have arisen between the Parties since 25 April
1999in respect of subsequent situations or facts attributable to Bel-
gium" (Order. paras. 28 and 29).

It appears that such a stance of the Court is highly questionable for two
basic reasons :
- firstly, for reasons of a general nature to do with jurisprudence of the
Court in this particular matter, on the one hand, and with the nature
of the proceedings for the indication of provisional measures, on the
other; and,

- secondly, for reasons of a specific nature deriving from the circum-
stances of the case in hand.
14.1. As far as the jurisdiction of the Court is concerned, it seems
incontestable that a liberal attitude towards the temporal element of the
Court's jurisdiction in the indication of provisional measures has become
apparent. The ground of such an attitude is the fact stressed by the Court

almost regularly, so that :
"it cannot be accepted a priori that a claim based on such a com-
plaint falls completely outside the scope of internationaljurisdiction;
.............................

the[se]considerations ... sufficeto empower the Court to entertain
the Request for interim measures of protection;
.............................
the indication of such measures in no way prejudges the question of
the jurisdiction of the Court to deal with the merits of the case and
leaves unaffected the right of the Respondent to submit arguments
against such jurisdiction" (Anglo-Iraniun Oil Co., Order of5 July
1951, I. C.J. report.^1951, p. 93),

and

"on a request for provisional measures the Court need not, before
indicating them, finally satisfy itself that it has jurisdiction on the
merits of the case ... it ought not to act under Article 41 of the
Statute if the absence ofjurisdiction on the merits is manifest" (Fish-
cries Juris~z'icfion(United Kiizg~lomv. Ieelanu'), 1nterim Protection. p. 100,par. 22) a «surgi» entre la Yougoslavie et 1'Etatdéfendeur,
comme avec les autres Etats membres de l'OTAN, bien avant le
25 avril 1999, au sujet de la licéitéde ces bombardements comme

tels, pris dans leur ensemble;
Considérant que la circonstance que ces bombardements se soient
poursuivis aprèsle 25avril 1999et que le différendlesconcernant ait
persistédepuis lors n'est pas de natureà modifier la date à laquelle le
différend avaitsurgi; que des différends distincts n'ont pu naître par
la suiteà l'occasion de chaque attaque aérienne;et qu'à ce stade de

la procédure, la Yougoslavie n'établitpas que des différendsnou-
veaux, distincts du différendinitial, aient surgi entre les Parties après
le 25 avril 1999au sujet de situations ou de faits postérieurs impu-
tables à la Belgique.» (Ordonnance, par. 28 et 29).

Cette position, de la part de la Cour, me paraît extrêmement contestable
pour deux raisons principales :
- la première explication a un caractère généralintéressant lajurispru-

dence de la Cour en ce qui concerne la question, d'une part, et, de
l'autre, intéressant le caractère de la procédure de l'indication de
mesures conservatoires;
- la seconde explication a un caractère spécifiquequi tient aux circons-
tances de la présente instance.

14.1. S'agissant de sa compétence,il paraît incontestable que la Cour
adopte, quand il est question pour elle d'indiquer des mesures conserva-
toires, une attitude libéraleà l'égardde l'élémenttemporel. La Cour est
en l'occurrence motivéepar un fait qu'elle metassez régulièrementen évi-
dence :

«on ne saurait admettre u prioriqu'une demande fondéesur un tel
grief échappecomplètement àla juridiction internationale;

[cette]constatation ...est suffisante pour autoriser en droit la Courà
examiner la demande en indication de mesures conservatoires;

l'indication de telles mesures ne préjuge en rienla compétencede la
Cour pour connaître au fond de l'affaire et laisse intact le droit du
défendeurde faire valoir sesmoyens à l'effetde la contester)(Anglo-
Iraniun Oil Co., ovdonnancc du 5 juillet 1951, C.I.J. Recueil 19.51,
p. 931,

«lorsqu'elleest saisied'unedemande en indication de mesuresconser-
vatoires, la Cour n'a pas besoin, avant d'indiquer ces mesures, de
s'assurer de manièreconcluante de sa compétencequant au fond de
l'affaire, mais..elle ne doit cependant pas appliquer l'article 41 du
Statut lorsque son incompétence au fond est manifeste)) (Compé- Order of 17 August 1972, 1.C.J. Reports 1972, p. 15,para. 15; and,
Fisheries Jurisdiction (Federal Republic of Germany v. Iceland),
Interim Protection, Order of 17 August 1972, 1.C.J. Reports 1972,
p. 33, para. 16).

It is hardly necessary to note that the formulation "need not ... finally
satisfy itself that it has jurisdiction on the merits of the case" relates to
jurisdiction in roto and that, consequently, it includes also jurisdiction
ratione temporis. The application of the above general attitude of the
Court towards jurisdiction ratione temporis may be illustrated by two
characteristic cases :

(a) In the disputes concerning Lockerbie, the Court established, inter
alia that :

"in the course of the oral proceedings the United Statescontended
that the requested provisional measures should not be indicated
because Libya had not presented a prima facie case that the pro-
visions of the Montreal Convention provide a possible basis for
jurisdiction inasmuch as the six-month period prescribed by Ar-
ticle 14,paragraph 1,of the Convention had not yet expired when
Libya's Application was filed; and that Libya had not established
that the United States had refused to arbitrate" (Questions of
Interpretation and Application of the 1971 Montreal Convention

arising,from the Aerial Incident ut Lockerhie (Lihyan Arah Jama-
hiriyu v. United States of America), Provisional Measurrs, Order
of 14 April 1992, 1.C.J. Reports 1992, p. 122,para. 25),

and that,

"in the context of the [proceedings in the Lockerbie case] on a
request for provisional measures, [the Court] has, in accordance
with Article 41 of the Statute, to consider the circumstances drawn
to its attention as requiring the indication of such measures, but
cannot make definitive findings either of fact or of law on the
issues relating to the merits, and the right of the Parties toontest
such issues at the stage of the merits must remain unaffected by
the Court's decision" (ihid., p. 126, para. 41).

(b) The question of jurisdiction of the Court ratione trrnporis in the
proceedings for the indication of provisional measures also arose in
the case concerning the Application oj'tlzeConventionon the Preven-
tion and Punishment of the Critne of Genocide. In its Order on the
request for the indication of provisional measures of 8 April 1993,
the Court stated, inter alia:
"Whereas the Court observes that the Secretary-General has

treated Bosnia-Herzegovina, not as acceding, but as succeeding to tence en matière de pêcheries(Royaume-Uni c. Islande), mesures
conservatoires, ordonnance du 17 août 1972. C.I.J. Recueil 1972,
p. 14, par. 15; et Compétenceen matière de pêcheries(République
fédéraled'Allemagne c. Islande), mesures conservatoires. ordon-
nance (lu 17 août 1972, C.I.J. Recueil 1972, p. 33, par. 16).

Il n'est guère besoin de relever que le membre de phrase «n'a pas
besoin ...de s'assurer de manière concluante de sa compétence quant
au fond de l'affaire)) vise la compétence in toto et que, par conséquent,
il s'étend aussi à la compétence ratione trmporis. Je donnerai deux
exemples caractéristiques pour montrer que la Cour adopte commu-
némentl'attitude définie ci-dessus vis-à-visde la compétence rutione rem-
poris:

a) Dans les différends relatifsà l'affaire Lockerbie, la Cour a dit notam-
ment ceci :

clors de la procédure orale les Etats-Unis ont soutenu qu'il n'y
avait pas lieu d'indiquer les mesures conservatoires demandées
parce que la Libye n'avait pasétabli, prima,facie, que les disposi-
tions de la convention de Montréalpouvaient constituer une base
de compétencedans la mesure où le délaide six mois prescrit par
le paragraphe 1 de l'article 14 de ladite convention n'était pas
expiré lorsdu dépôt de la requêtede la Libye; et ... la Libye
n'avait pas établi que les Etats-Unis eussent refusél'arbitrage))
(Questions d'interprétatiot~et d'application de la convention de
Montréal de 1971 résultant de l'incident aérien de Lockerhie
(Jumuhiviya aruhr libyenne c. Etuts- Unis c/'AnIérique),mesures
con~c~rvatoire~ osr,donnance du 14 avril 1992, C.I.J. Recueil 1992,

p. 122, par. 25).
et elle dit encore:

«dans le contexte de la [procédurerelative à l'affaire Lockrrhie],
qui concerne une demande en indication de mesures conserva-
toires. [la Cour] doit, conformément à l'article 41 du Statut, exa-
miner si les circonstances portéesi son attention exigent I'indica-
tion de telles mesures, mais n'est pas habilitéà conclure définiti-
vement sur les faits et le droit, eta décisiondoit laisser intact le
droit des Parties de contester les faits et de faire valoir leurs
moyens sur le fond)) (ibid, p. 126,par. 41).

h) La question de la compétencerutione trmporis de la Cour dans la
procédure relative à l'indication de mesures conservatoires s'est éga-
lement poséedans l'affaire relative à I'Applicariun de lu convention
pour la prévention etla répression du crime de ginocide. Dans son
ordonnance du 8 avril 1993sur la demande en indication de mesures
conservatoires, la Cour a notamment déclaré:

((Considérantque la Cour constate que le Secrétaire généraal
considéréla Bosnie-Herzégovinecomme ayant non pas adhéré, the Genocide Convention, and if this be so the question of the
application of Articles XI and XII1 of the Convention would not
arise; whereas however the Court notes that even if Bosnia-Herze-
govina were to be treated as having acceded to the Genocide Con-
vention, with the result that the Application might be said to be

premature when filed, 'this circumstance would now be covered'
by the fact that the 90-day period elapsed between the filingof the
Application and the oral proceedings on the request (cf. Mav-
rommutis Palestine Conce.s.sion.sJ,udgmrnt No. 2, 1924, P.C.I.J.,
Series A, No. 2, p. 34); whereas the Court, in deciding whether to
indicate provisional measures, is concerned not so much with the
past as with the present and with the future; whereas, accordingly
even if itsjurisdiction suffers from the temporal limitation asserted
by Yugoslavia - which it does not now have to decide - this is
not necessarily a bar to the exercise of its powers under Article 41
of the Statute" (Application uf the Cotzventionon the Preiietztion

und Punishment of'the Crime qf'Genocidr, Provisionul Meu.~ure.s,
Order of 8 April 1993, 1.C.J. Reports 1993, p. 16,para. 25).

As far as the nature of the proceedings for the indication of provisional
measures isconcerned, they are surely not designed for the purpose ofthe
final and definitive establishment of the jurisdiction of the Court. That is
why in the practice of the Court "prima facie jurisdiction" is almost
uniformly referred to when the indication of provisional measures is

involved. Although the explicit definition of "prima îacie jurisdiction" is
of course hard to find in the Court's jurisprudence, its constitutive ele-
ments are relatively easy to determine. The determinant "prima facie"
itself implies that what is involved is not a definitely established jurisdic-
tion, but ajurisdiction deriving or supposed to be normally deriving from
a relevant legal fact which is defined in concreto as the "title of jurisdic-
tion". 1sreference to the "title ofjurisdiction" sufficientprr sr for prima
faciejurisdiction to be constituted? It is obvious that the answer to this
question must be in the negative.

But, it could be said that the "title ofjurisdiction" is sufficientper seto

constitute prima faciejurisdiction except in case "the absence ofjurisdic-
tion on the merits is manifest" (Fisheries Jurisdiction (United Kingdorn
v. Iceland), Interim Protection, Order of'17 August 1972, 1.C.J. Reports
1972, p. 15, para. 15; Fisheries Juri.sdiction (Fedrrul Repuhlic of Ger-
many v. Iceland), Interim Protection, Order of 17 August 1972, 1.C.J.
Reports 1972, p. 33, para. 16).
In other words, in question is the case when absence of jurisdiction is
obvious and manifest stricto sensu, i.e., when States try to use the Court
in situations when there is no ground for jurisdiction whatsoever. LICÉITÉ DE L'EMPLOI DE LA FORCE (OP. DISS.KRECA) 244

mais succédé à la convention sur le génocide, etque, si tel étaitle
cas, la question de l'application des articles XI et XII1 de la
convention ne se poserait pas; considérant toutefois que la Cour
note que, mêmesi la Bosnie-Herzégovinedevait êtreconsidérée
comme ayant adhéré à la convention sur le génocide,ce qui aurait

pour conséquenceque la requêtepourrait être tenuepour préma-
turéeau moment de son dépôt, «ce fait aurait étécouvert)) par
l'écoulementdu laps de temps de quatre-vingt-dix jours qui serait
arrivé à son terme entre le dépôt de la requête et la procédure
orale sur la demande (voir ohc cessio ~usvrommuti.s-en Pales-
tine, arrêto2, 1924, C.P.J.I. sérieA no2, p. 34);que la Cour, en
décidant si elle doit ou non indiquer des mesures conservatoires,
se préoccupe moinsdu passéque du présentet de l'avenir; que,
par conséquent, mêmesi la compétencede la Cour étaitaffectée
par la limite de temps qu'invoque la Yougoslavie - point que la
Cour n'a pas à trancher dans l'immédiat - cela ne constituerait

pas nécessairement unobstacle à l'exercicepar la Cour des pou-
voirs qu'elle tient de l'article 41 de son Statut.))icafiovrde la
converltionpour lupréventionet la répressiondu&ime de géno-
cide, mesure.rconservatoires, ordonnancedu 8 uvril 1993, C.I.J.
Recueil 1993, p. 16, par. 25.)

S'agissant de la nature de la procédurerelative à l'indication de mesures
conservatoires, celle-ci n'est certainement pas conçue pour établir une
fois pour toutes, de façon définitive,la compétence de la Cour. C'est
pourquoi celle-ci. dans sa pratique, parle quasiment toujours de «corn-
pétenceprinzujilcir)) quand il est question pour elle d'indiquer des me-

sures conservatoires.Il est bien entendu difficilede trouver dans la juris-
prudence de la Cour une définition explicitede la ((compétenceprima
filcie)), mais ses éléments constitutifsn'en sont pas moins relativement
facilesà établir.Le qualificatif «primu jucie» lui-mêmedit implicitement
qu'il ne s'agit pas d'une compétence établie titre définitif,il s'agit d'une
compétencedécoulant, ou censéedécoulernormalement, d'un fait juri-
dique pertinent qui est défini in concreto comme le ((titre de compé-
tence)). Mais suffit-il d'invoquer le(titre de compétence))prr se pour
qu'il y ait compétence prirnufucie? Il ne fait aucun doute qu'il faut ici
répondrepar la négative.
On peut néanmoinsdireque le ((titre de compétence))suffitper se pour

constituer une compétence primu,facie sauf ((lorsque [l']incompétenceau
fond est manifeste))(Compétenceen matière depêcheries(Royaumc-Uni
c. Islande), mesures consertwtoires, ordonnance du 17 août 1972, C.I.J.
Recueil 1972, p. 15,par. 15; Compétence en matière depêclzeries(Répu-
hliquefédéruled'Allemugne c. Islande), mesures conservutoires, ordon-
nance du 17 uoût 1972, C.I.J. Recueil 1972, p. 33, par. 16).
Autrement dit, le cas de figure envisagé est celuiou l'incompétenceest
évidentestricto sensu, c'est-à-dire quand les Etats veulent saisir la Cour
alors qu'il n'existerigoureusement aucun chef de compétence.245 LEGALITY OF LISE OF FORCE (DISS. OP. KRECA)

Well-established jurisprudence of the Court clearly shows that the
absence of temporal element of jurisdiction of the Court, even if mani-
fest, does not excludejurisdiction of the Court if the temporal defect can
be easily remedied.
In its Judgment on preliminary objections raised by Yugoslavia in the
case concerning Application of the Convention on the Prevention and
Punishment of the Crime of Genocide of 11 July 1996,the Court stated
inter alia:

"It is the case that the jurisdiction of the Court must normally be
assessed on the date of the filing of the act instituting proceedings.
However, the Court, like its predecessor, the Permanent Court of
International Justice, has always had recourse to the principle accord-
ing to which itshould not penalize a defect in a procedural act which
the applicant could easily remedy. Hence, in the case concerning the
Mavrommatis Palestine concession.^,the Permanent Court said:

'Even if the grounds on which the institution of proceedings
was based were defective for the reason stated, this would not be
an adequate reason for the dismissal of the applicant's suit. The
Court, whose jurisdiction is international, is not bound to attach
to matters of form the same degree of importance which they
might possess in municipal law. Even, therefore, if the application
were premature because the Treaty of Lausanne had not yet been
ratified, this circumstance would now be covered by the subse-
quent deposit of the necessary ratifications.' (P.C.I.J., Series A,
No. 2, p. 34.)

The same principle liesat the root of the following dictum of the Per-
manent Court of International Justice in the case concerning Certain
German Interests in Polish Upper Silesic:
'Even if, under Article 23, the existence of a definite dispute
were necessary, this condition could at any time be fulfilled by
means of unilateral action on the part of the applicant Party. And

the Court cannot allow itself to be hampered by a mere defect of
form, the removal of which depends solely on the Party con-
cerned.' (P.C.I.J., SeriesA, No. 6, p. 14.)
The present Court applied this principle in the case concerning the
Northern Cumeroons(I.C.J. Reports 1963,p. 28).as wellas Militury
and Paramilitary Activities in and against Nicaragua (Nicaragua
v. United States ofAmerica) when it stated: 'It would make no
sense to require Nicaragua now to institute fresh proceedings based
on the Treaty, which it would be fullyentitled to do.' (1.C.J. Reports
1984, pp. 428-429, para. 83.)

In the present case, even if it were established that the Parties,
each of which was bound by the Convention when the Application LICÉITÉ DE L'EMPLOI DE LA FORCE (OP. DISS.KRECA) 245

Il est parfaitement établi dans la pratique de la Cour que l'absence de
l'élémenttemporel de sa compétence,mêmesi elleest évidente, nelui ôte
pas sa compétence dès lors qu'il peut êtreaisément porté remède au
défaut temporel.

Dans son arrêtsur les exceptions préliminaires soulevéespar la You-
goslavie dans l'affaire relativeê l'Application de la convention pour la
prévention el lu répressiondu crime degénocideen date du 11juillet 1996,
la Cour a déclarénotamment:

((Certes, la compétencedela Cour doit normalement s'apprécier a
la date du dépôtde l'acte introductif d'instance. Cependant la Cour,
comme sa devancière, la Cour permanente de Justice internationale,
a toujours eu recours au principe selon lequel elle ne doit pas sanc-
tionner un défaut qui affecterait un acte de procédure et auquel la
partie requérante pourrait aisément porter remède. Ainsi, dans
l'affaire desoncessions Mavrommufi.~en Palestine, la Cour perma-
nente s'est expriméede la sorte:

((Mêmesi la base de I'introduction d'instance étaitdéfectueuse
pour la raison mentionnée, ce ne serait pas une raison suffisante
pour débouterle demandeur de sa requête.La Cour, exerçant une
juridiction internationale, n'est pas tenue d'attacherà des consi-
dérations de forme la mêmeimportance qu'elles pourraient avoir
dans le droit interne. Dans ces conditions, mêmesi I'introduction
avait étéprématurée, parceque le traitéde Lausanne n'étaitpas
encore ratifié,ce fait aurait étécouvert par le dépôtultérieurdes
ratifications requises.))C.P.J.I. série Ano2, p. 34.)

C'est du même principeque procède le dictum suivant de la Cour
permanente de Justice internationale dans l'affaire relative à Cer-
tains intérêtsullemands en Haute-Silésie polonaise:

((Mêmesi la nécessité d'une contestation formelle ressortait de
l'article 23, cette condition pourrait être tout moment remplie
par un acte unilatéral de la Partie demanderesse. La Cour ne
pourrait s'arrêtera un défaut de forme qu'il dépendrait dela seule
Partie intéresséede faire disparaître.)) (C.P.J.I. série A no 6,
p. 14.)

La présenteCour a fait application de ce principe dans l'affaire du
Cumeroun septentrional (C.I.J. Recueil 1963, p. 28), ainsi que dans
celle desActivitésmilitaires et paramilitaires uu Nicaragua et contre
celui-ci(Nicuruguu c.Etuts- Unisd'Amérique),lorsqu'elle a déclaré:
((11n'y aurait aucun sens à obliger maintenant le Nicaragua à enta-
mer une nouvelle procédure sur la base du traité - ce qu'il aurait
pleinement le droit de faire.)) (C.I.J. Recueil 1984, p. 428-429,
par. 83.)
En l'occurrence, quand bien mêmeil serait établique les Parties,
qui étaient liéeschacune par la convention au moment du dépôt de was filed, had only been bound as between themselves with effect
from 14 December 1995, the Court could not set aside its jurisdic-
tion on this basis, inasmuch as Bosnia and Herzegovina might at any
time filea new application, identical to the present one, which would
be unassailable in this respect." (Application of the Convention on
the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide, Prelimi-
rlary Ohjectiotzs,Judgmcnt, I.C.J. Reports 1996 (II), pp. 613-614,
para. 26.)

The definitive and final establishment of the temporal element ofjuris-
diction in the proceedings for the indication of provisional measures is
resisted, in addition to the nature of the proceedings as such, also by the
nature of ratione temporisjurisdiction of the Court. Namely,

"jurisdiction ratione temporis does not exist as an independent con-
cept of the law governing international adjudication, and more spe-
cificallyof the law governing the jurisdiction and competence of the
Court. It is a dependent concept, giving rise to a particular problem
of determining the nature and effect of that dependency on the per-
sonal or the material jurisdiction of the Court, as the case may be."
(Shabtai Rosenne, The Law and Practice of the International Court,
1920-1996, Vol. II, p. 583.)

14.2. 1sit possible to argue that in the case in hand the reserve rufione
temporis in the Yugoslav declaration of acceptance of compulsory juris-
diction of the Court is of such a nature that one could say that the
"absence of jurisdiction on the merits" - is manifest?
There is no doubt that there exists a fundamental difference between
the Parties concerning the qualification of the nature of the armed attack
on the Federal Republic of Yugoslavia. The Respondent finds that two
months of bombing and other acts aimed against the Federal Republic of
Yugoslavia represent "a continued situation", an inextricable organic
unity of a variety of acts, while Yugoslavia maintains that in question
is a

"breach of an international obligation . .. composed of a series of
actions or omissions in respect of separate cases, [that]occurs at the
moment when that action or omission of the series is accomplished
which establishes the existence of the composite act" (The Interna-
tional Law Cotnn~ission'sDrufi Articles on State Responsibility,
Part 1,Articles 1-35, Art. 25 (2), p. 272).

In this respect, the Application has invoked Article 25 (2) of the Draft
Articles on State Responsibility, prepared by the International Law
Commission, which stipulates, inter aliu, that:
"the time of commission of the breach extends over the entire period

from the first of the actions or omissions constituting the composite
act not in conformity with the international obligation and so long
as such actions or omissions are repeated" (ihicl.). la requête,ne l'auraient étéentre elles qu'à compter du 14décembre
1995. laCour ne saurait écartersa comdtence sur cette base dans la
mesure où la Bosnie-Herzégovinepourrait a tout moment déposer
une nouvelle requête, identiquea la présente,qui serait de ce point
de vue inattaquable. » (Application de la convention pour lapréven-
tion et la répressiondu crinzedegénocide,exceptions préliminaires,
urrr^t,C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 613-614, par. 26.)

Ce n'est pas seulement la nature de la procédureen indication de me-
sures conservatoires qui s'oppose à l'établissement définitif etoncluant
de l'élémenttemporel de la compétence,c'est aussi la nature mêmede la
compétence ratione temporis de la Cour. En effet.

«la compétence ratione temporis n'existe pas en tant que concept
indépendant du droit régissant les décisions judiciaires internatio-
nales, et plus particulièrement encore du droit régissant la juridic-
tion et la compétence dela Cour. C'est un concept subordonné, don-
nant lieu a un problèmeparticulier, consistant à déterminerla nature
et l'effetde cette subordination sur la compétencepersonnelle ou ma-
tériellede la Cour, selon le cas.» (Shabtai Rosenne, The Law and
Practice of'the International Court, 1920-1996, vol. II, p. 583.)

14.2. Est-il possible de soutenir qu'en l'espèce, la réservratione tem-
poris figurant dans la déclaration yougoslave d'acceptation de la juridic-
tion obligatoire de la Cour est de nature a permettre de dire que l'«in-
compétenceau fond est manifeste))?
Il ne fait pas de doute que les Parties s'opposent fondamentalement
au sujet de la qualification de l'attaque arméemenéecontre la Répu-
blique fédéralede Yougoslavie. Pour le défendeur, deux mois de bom-
bardements et d'autres actes dirigés contre la République fédéralede
Yougoslavie représentent «une situation continue)), une unitéorganique
inextricable composéed'un grand nombre d'actes, tandis que, pour la
Yougoslavie, il s'agit d'une

((violation d'une obligation internationale ...compos[ée]d'une série
d'actions ou omissions relatives a des cas distincts, [qui] se produit
au moment de la réalisationde celle des actions ou omissions de la
sériequi établit l'existencedu fait composé)) (Projet d'articles de la
Commissiondu droit internutionulsur la responsabilitédes Etats, pre-
miPrepartie, articles 1-35, art. 25, par. 2, p. 272).

Il est d'ailleurs fait étatdans la requête dece paragraphe 2 de l'article 25
du projet d'articles sur la responsabilité desEtats établipar la Commis-
sion du droit international, lequel dispose notamment aussi:
«le temps de perpétration de la violation s'étend sur la période
entière à partir de la première des actions ou omissions dont I'en-
semble constitue le fait composé non conforme à l'obligation interna-
tionale et autant que ces actions ou omissions se répètent)) (ihid). This fundamental difference in the outlook on the armed attack on the
Federal Republic of Yugoslavia, represents, legally speaking, "a disagree-
ment over a point of law . . .a conflict of legal views or of interests

between two persons" as defined in the Mavrommatis Palestine Conces-
sions (Judgment No. 2, 1924, P.C.I.J., Series A, No. 2, p. 11).

Consequently, in question is a dispute between the Parties, which is
not, per se, a matter of jurisdiction, in particular not a matter of prima
faciejurisdiction; however, the Court's decision on this dispute may have
an effect on its jurisdictionratione temporis.
The Court, faced by a dispute of this kind, theoretically had two
options at its disposal:

(a) to resolve it lege artis. This possibility is, from the aspect of the
Court's well-settled jurisprudence, only theoretical. Because we are
dealing here with a matter which, as a rule, is not solved in the pro-
ceedings for the indication of provisional measures but in the pro-
cedure dealing with the merits of the case;
(b) to establish, as it has become customary for the Court, that there is
a disagreement over a point of law, but that it

"cannot make definitive findings either of fact or of law on the
issues relating to the merits, and the right of the Parties to contest
such issues at the stage of the merits must remain unaffected by
the Court's decision" (Questions of Interpretution and Application
of the 1971 Montreal Convention arisingfrom the Aerial Incident
ut Lockerbie (Libyan Arah Jamahiriya v. United States of

America), Provisional Measures, Order of 14 April 1992, I.C.J.
Reports 1992, p. 126,para. 41).
However, the Court has chosen a third, and, in my opinion, the least
acceptable solution. The Court did not enter into the resolution of the

case in hand; moreover, it has not even determined its basic features, nor
established that the dispute, by its nature, is not appropriate for being
dealt with in the proceedings the main purpose of which is to preserve the
rights of either Party, rights to be confronted at the merits stage of the
case. But, it has simply accepted one of the conflicting legal views and
thus made an interesting turnaround - by entering the sphere of interim
judgment, without a formal judgment.

IV. ADDITIONA GLROUND OF JURISDICTION

15. During the second day of the oral proceedings before the Court,
the Applicant presented, vis-à-vis Belgium as the respondent State, an
additional, new basis of jurisdiction; namely, Article 4 of the 1930 Cette opposition fondamentale sur la façon de concevoir l'attaque
arméedirigéecontre la République fédéralede Yougoslavie représente,

du point de vue juridique, «un désaccord sur un point de droit ...une
opposition de thèsesjuridiques ou d'intérêts)s )elon la définitiondonnée
dans l'affaire des Concessions Muvrommatis en Palestine (arrêtno 2,
1924, C.P.J.I. sérieA n02, p. 11).
Il s'agit par conséquentd'un différendentre les Parties qui, en soi, ne
porte pas sur la compétence,en particulier pas sur la compétence prima
fucie; toutefois, la décisionque la Cour adoptera sur le différend peut
avoir un effet sur sa compétence rutione temporis.
Face à un différendde ce type, la Cour a en principe le choix entre
deux solutions

u) trancher le différendlege artis. Cette possibilitéest, du point de vue
de la jurisprudence bien établiede la Cour, exclusivement théorique.
Nous avons en effet affaire icià une question qui, en règlegénérale,
se résout non pas lors de la procédure en indication de mesures
conservatoires mais lors de la procédure surle fond;

hj dire, comme la Cour en a pris l'habitude, qu'il existeun désaccordsur
un point de droit, mais qu'elle
«n'est pas habilitée à conclure définitivementsur les faits ou le
droit, et que sa décisiondoit laisser intact le droit des Parties de
contester les faits et de faire valoir leurs moyens sur le fond»
(Questions d'interprétution et d'upplicution de lu convention de

Montrkal de 1971 rksultunt de l'incident akrien de Lockerhie
(Jamuhiriya arabe libyenne c. Etats- Unis d'Amérique), mesures
conservutoires, ordonnance du 14 avril 1992, C.I.J. Recueil 1992,
p. 126,par. 41).
La Cour a toutefois choisi une troisième solution qui est,à mon avis, la

moins acceptable. La Cour ne s'est pas penchéesur la solution du diffé-
rend; en outre, elle n'a pas mêmeétabliquels sont ses principaux élé-
ments, et n'a pas établi non plus que le différend en question, par sa
nature même, nesaurait être traité lors d'une procédure qui a essentiel-
lement pour objet de préserverles droits de chacune des parties, droits
qu'il faudra confronter au stade de l'examen au fond. La Cour a pure-
ment et simplement accepté l'une des thèses juridiques opposées en pre-
nant ainsi un curieux virage - c'est-à-dire qu'elle estentrée dans le
domaine de la décision provisoiresans pour autant se prononcer formel-
lement.

IV. UN CHEF SUPPLÉMENTAIRE DE COMPÉTENCE

15. Le deuxièmejour de la procédure oraledevant la Cour, le deman-
deur a présenté à l'encontre de la Belgique, 1'Etatdéfendeur,un nouveau
chef de compétence sous forme de complément,l'article 4 de la conven-248 LEGALlTY OF USE OF FORCE (DISS .P. KRECA)

Convention of Conciliation, Judicial Settlement and Arbitration between

Belgium and the Kingdom of Yugoslavia, which reads:
"Al1disputes with regard to which the Parties are in conflict as to
their respective rights shall be submitted fordecision to the Perma-
nent Court of International Justice unless the Parties agree in the
manner hereinafter provided, to resort to an arbitral tribunal.

It is understood that the disputes referred toabove include in par-

ticular those mentioned in Article 36of the Statute of the Permanent
Court of International Justice."
In his presentation counsel of Belgiumexplained, systematically and in
detail, both forma1and substantive, reasons against establishing jurisdic-
tion of the Court on the basis of Article 4 of the said Treaty.

The formal reason is associated with the time of the Applicant's invok-
ing of the above Treaty as a basis ofjurisdiction. Belgium, as the respon-

dent State, finds that it has been submitted at a late stage in the proceed-
ings "shortly before the close of the hearings" (CR99126, p. 3), and that,
therefore, it is inadmissible.
The Court finds :
"Whereas the invocation by a party of a new basis of jurisdiction
in the second round of oral argument on a request for the indication
of provisional measures has never before occurred in the Court's

practice; whereas such action at this late stage, when it is not
accepted by the other party, seriously jeopardizes the principle of
procedural fairness and the sound administration of justice; and
whereas in consequence the Court cannot, for the purpose of decid-
ing whether it may or may not indicate provisional measures in the
present case, take into consideration the new title of jurisdiction
which Yugoslavia sought to invoke on 12 May 1999." (Order,
para. 44.)

Such a position of the Court is far from being tenable.
The position of the Court with respect to additional grounds seems
well settled in the Court's jurisprudence. In its Judgment of 26 November
1984in the Nicaragua case, the Court stated that:
"The Court considers that the fact that the 1956Treaty was not
invoked in the Application as a title of jurisdictiondoes not in itself
constitute a bar to reliance being placed upon it in the Memorial.

Since the Court must always be satisfied that it has jurisdiction
before proceeding to examine the merits of a case, it is certainly
desirable that 'the legal grounds upon which the jurisdiction of the
Court is said to be based' should be indicated at an early stage in the
proceedings, and Article 38 of the Rules of Court therefore provides
for these to be specified 'as far as possible' in the application. An
additional ground of jurisdiction may however be brought to thetion de conciliation, de règlement judiciaireet d'arbitrage de 1930,qui se
lit comme suit:

«Tous différends au sujet desquels les Parties se contesteraient
réciproquementun droit seront soumis pour jugement à la Cour per-
manente de Justice internationaleà moins que les Parties ne tombent
d'accord, dans les termes prévus ci-aprés, our recourir un tribunal
arbitral.
Il est entendu que les différends ci-dessus visés comprennent
notamment ceux que mentionne l'article 36du Statut de la Cour per-
manente de Justice internationale.»

Dans son exposé,le conseil de la Belgique a expliqué systématique-
ment, en détail, à la fois les raisons de forme et les raisons de fond qui
militent contre l'idéede fonder la compétencede la Cour sur l'article4 de
ladite convention.
Le motif de forme est liéau moment auquel le demandeur invoque
ladite convention comme base de compétence. L'Etat défendeur, en
l'espècela Belgique, estime que le nouveau chef de compétence aétépré-
senté àun stade tardif de la procédure,«peu avant la clôture des débats))
(CR99126, p. 7), et est par conséquent irrecevable.
La Cour dit:

((Considérantque l'invocation par une partie d'une nouvelle base
dejuridiction au stade du second tourde plaidoiries sur une demande
en indication de mesures conservatoires est sans précédentdans la
pratique de la Cour; qu'une démarcheaussi tardive, lorsqu'elle n'est
pas acceptéepar l'autre partie, met gravement en pérille principe du
contradictoire et la bonne administration de la justice; et que, par
suite,a Cour ne saurait, aux fins de décidersi elle peut ou non indi-
quer des mesures conservatoires dans le cas d'espèce, prendre en
considération le nouveau chef de compétencedont la Yougoslavie a
entendu se prévaloirle 12mai 1999. » (Ordonnance, par. 44.)

La Cour adopte là une position qui ne tient pas du tout.
En ce qui concerne les chefs supplémentairesde compétence,la Cour a
une pratique fort bien établiedans sa jurisprudence. Dans l'arrêtqu'elle
rend le 26 novembre 1984dans l'affaire du Nicuraguu, elle dit ceci:

«La Cour considèreque le fait de ne pas avoir invoqué le traitéde
1956comme titre de compétencedans la requêten'empêchepas en
soi de s'appuyer sur cet instrument dans lemémoire.La Cour devant
toujours s'assurer de sa compétenceavant d'examiner une affaire au
fond, ilest certainement souhaitable que «les moyens de droit sur les-
quels le demandeur prétend fonderla compétencede la Cour» soient
indiqués dans les premiers stades de la procédure, et l'article 38
du Règlement spécifiequ'ils doivent l'être«autant que possible))
dans la requête.Un autre motif de compétencepeut néanmoinsêtre
portéultérieurement àl'attention de la Cour, et celle-cipeut en tenir Court's attention later, and the Court may take it into account pro-
vided the Applicant makes it clear that it intends to proceed upon
that basis (Certain Norivegiun Loans, 1.C.J. Reports 1957, p. 25),
and provided also that the result is not to transfor~n the dispute
brought before the Court by the application into another dispute
which is different in character (SociétéComrnerciale~ de Belgique,
P.C. I.J., Series AIB, No. 78, p. 173)." (Military und Puramilitury

Activities in and against Nicaragua (Nicaragua v. UrtitedStates oj
America), 1.C.J. Reports 1984, pp. 426-427, para. 80.)
The question of admissibility of additional grounds was considered by
the Court also in the second request for the indication of provisional
measures in the case concerning the Application of theConvention on the
Prevention and Punishment of the Crime of Genocide.
By a second request filed in the Registry on 27 July 1993, Bosnia and
Herzegovina requested that the Court indicate additional provisional
measures. By letters dated 6 August, 10August and 13August 1993,the

Agent of Bosnia and Herzegovina submitted that the Court's jurisdiction
was grounded not only on thejurisdictional bases previously put forward
but also on additional grounds.

In itsOrder of 13 September 1993, in paragraph 28, the Court con-
cluded that :
"for the purposes of a request for indication of provisional meas-
ures, it should therefore not exclude apriori such additional bases of
jurisdiction from consideration, but that it should consider whether
the texts relied on may, in al1the circumstances, including the con-

siderations stated in the decision quoted above, afford a basis on
which the jurisdiction of the Court to entertain the Application
might prima facie be established" (Application of the Convention on
the Prevention and Punishment of the Crime of Getzocide, Provi-
sionul Measures, Order of 13 Septernher 1993, 1.C.J. Reports 1993,
p. 339).
16. Consequently, it follows that, from the standpoint of the Court's
jurisprudence, three conditions are essential for additional grounds to

qualify as admissible :
(a) that the Applicant makes it clear that it intends to proceed upon
that basis;
(b) that the result of invoking additional grounds is not to transform
the dispute brought before the Court by the application into another
dispute which is different in character; and
(c) that additional grounds afford a basis on which the jurisdiction of
the Court to entertain the application might be prima facie estab-
lished.

It is difficult to deny that al1the three relevant conditions have con-
curred in the case in hand for additional grounds to be admissible. LICEITEDE L'EMPLOIDE LA FORCE (OP. DISS.KRECA) 249

compte à condition que ledemandeur ait clairement manifesté l'inten-
tion de procéder sur cette baseCertainsemprunts norvégiens,C.I.J.
Recueil 1957, p. 25),àcondition aussi que le différendporté devant
la Cour par requêtene se trouve pas transformé en un autre diffé-
rend dont le caractère ne serait pas le mêmeSociétécommerciale de
Belgique, C.P.J.I. sérieAIB no 78, p. 173).» (Activitésnzilitaires et

paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-
Unis d'Amérique), C.I.J. Recueil 1984, p. 426-427, par. 80.)

La Cour a été également appelé ese prononcer sur la recevabilitéde
nouvelles bases de compétence à l'occasion de la seconde demande en
indication de mesures conservatoires dans l'affaire relative'Application
de la conventionpour la préilerztioet la répressiondu crime de génocide.
En effet, par une seconde demande déposéeau Greffe le 27juillet 1993,
la Bosnie-Herzégovine a demandé a la Cour l'indication de mesures

conservatoires complémentaires. Par des lettres en date du 6 août, du
10 août et du 13 août 1993, l'agent de la Bosnie-Herzégovinea précisé
que la compétence dela Cour reposait non pas seulement sur les bases de
compétencedéfinies précédemment mais égalemen str des bases supplé-
mentaires.
Dans l'ordonnance qu'elle rend à ce sujet le 13 septembre 1993, la
Cour conclut au paragraphe 28:
((aux fins d'une demande en indication de mesures conservatoires, la
Cour ne doit pas se refuser à priori d'examiner de telles bases sup-

plémentairesde compétence, mais elle doit se demander si, compte
tenu de toutes les circonstances, compris les considérations énon-
céesdans la décision précitéel,es textes invoquéspourraient consti-
tuer une base sur laquelle sa compétencepour connaître du différend
pourraitprima facie êtrefondée))(Application de lu conventionpour
lapréventionet la répressiondu crime de génocide, mesuresconser-
vatoires, ordonnance du 13 septembre 1993, C.I.J. Recueil 1993,
p. 339).

16. On peut par conséquent en déduire que, du point de vue de la
jurisprudence de la Cour, il faut absolument que trois conditions soient
remplies pour que de nouveaux chefs de compétencesoient recevables:
a) le demandeur doit indiquer clairement qu'il entend procéder sur cette
base;
b) l'invocation de chefs supplémentaires de compétence ne doit pas
transformer le différendportédevant la Cour par requêteen un autre
différenddont le caractère ne serait pas le même;

C) les nouveaux chefs de compétence invoquéspeuvent constituer une
base sur laquelle la compétence de la Cour pour connaître du diffé-
rend pourrait être fondéeprima facie.
Il est difficilede nier qu'au regard de ces trois conditàoremplir, de
nouveaux chefs de compétencesont parfaitement recevables en l'espèce. The very fact that the Applicant invoked Article 4 of the Treaty of
1930,with reliance on the reserve regarding the right tomend the Appli-
cation, offers per se sufficient ground for the conclusion that it intends
to proceed upon that basis. ~Ürthermore, in the request the Applicant
clearly stated that in question is a Supplement to the Application against
Belgium "for violation of the obligation not to use force", which implies
that additional ground does not transform the dispute brought before
the Court into another dispute which is different in character. (As an

example of additional grounds objectively leading to the transformation
of the dispute before the Court into another dispute which is different in
character, one may mention grounds presented by Bosnia and Herzego-
vina in a second request for the indication of provisional measures filed
with the Registry of the Court on 27July 1993:namely,that it isdifficultto
prove that the 1919Treaty concluded between the Allied and Associated
Powers and the Kingdom of the Serbs, Croatsand Sloveneson the Protec-
tion of Minorities or the

"Customary and Conventional International Laws ofWar and Inter-
national Humanitarian Law, including but not limited to the four
Geneva Conventions of 1949, their First Additional Protocol of
1977, the Hague Regulations on Land Warfare of 1907" (Applica-
tion of the Convention on the Prevention and Punisliment of the
Crime of Genocide, Provisional Measures, Order of 13 Septemher
1993, I.C.J. Reports 1993, p. 341, para. 33)

are directly linked with the object of the dispute in the case concerning
Application of the Convention on the Prevention and Punishment of the
Crime of Genocide and do not transform the dispute brought before the
Court into another one.)
And finally it seems to me to be indisputable that the 1930Treaty was
concluded and designed for the purpose of dealing with disputes which
may arise between the Contracting Parties through "conciliation, judicial
settlement and arbitration" per definitionem affords a basis on which the
jurisdiction of the Court to entertain the Application may be established.
Accordingly, it remains to be established whether the Applicant invoked
additional grounds in extremis at a late stage of the proceedings.

Article 38, paragraph 2, of the Rules of Court provides that "[tlhe

Application shall specify asfur as possible the legal grounds upon which
the jurisdiction of the Court is said to be based" (emphasis added). The
phrase "as far as possible" clearly indicates that the Application need not
necessarily specifyal1the legal grounds upon which thejurisdiction of the
Court is "said to be based". The jurisprudence of the Court, as may be
seen from the cases referred to above, has been established in accordance
with this,1would say,the only possible interpretation of Article 38,para-
graph 2, of the Rules of Court. LICEITÉ DE L'EMPLOI DE LA FORCE (OP.DISS.KRECA) 250

Le fait mêmeque le demandeur invoque l'article 4 de la convention de
1930en s'appuyant sur la réserve relativeau droit de modifier la requête,
autorise en soia conclure qu'il a l'intention de procédersur cette base. En
outre, dans sa requête,le demandeur a clairement déclaréqu'il présentait

un complément à ladite requêtecontre la Belgique «pour violation de
l'obligation de ne pas recourir à l'emploi de la force)), ce qui précise
implicitement que ce nouveau chef de compétence netransforme pas le
différendporté devantla Cour en un autre différenddont le caractère ne
serait pas le même.(On peut citer à titre d'exemple de chef supplémen-
taire de compétencetransformant objectivement ledifférendporté devant
la Cour en un autre différenddont le caractère n'est pas le même motif
présentépar la Bosnie-Herzégovinedans une seconde demande en indica-
tion de mesures conservatoires déposée auprès du Greffe de la Cour le
27 juillet 1993: il est en effet difficile de prouver que le traité de 1919
conclu entre les Puissances alliéeset associées etleoyaume des Serbes,
Croates et Slovènessur la protection des minoritésou bien

«le droit international de la guerre coutumier et conventionnel et...
le droit international humanitaire, y compris, mais sans que cette
énumérationsoit limitative, les quatre conventions de Genève de
1949,le premier protocole additionnel de 1977 à ces conventions, le
règlementannexé à la convention de La Haye de 1907concernant les
lois et coutumes de la guerre surerre)) (Applicationde la convention
pour laprévention et la répressiondu crime de génocide, mesures
conservatoires, ordonnance du 13 septembre 1993, C.I.J. Recueil
1993, p. 341, par. 33)

ont un lien direct avec l'objet du différenddans l'affaire relaàiI'Appli-
cation de la convention pour la préventionet lu répressiondu crime de
génocide et ne transforment pas le différendportédevant la Cour en un
autre différend.)
En dernier lieu, il me paraît incontestable que la convention de 1930,
laquelle a été conclueet conçue pour réglerles différends éventuelsentre

les parties contractantes par «la conciliation, le règlement judiciaire et
l'arbitrage)) propose par définition une basesur laquelle fonder la com-
pétencede la Cour pour connaître de la requête.
Dans ces conditions. il reste ii établir si le demandeur a vraiment
invoqué son nouveau chef de compétence inextremis, à un stade tardif de
la procédure.
L'article8, paragraphe 2, du Règlementde la Cour, dispose que «[l]a
requête indiqueautant que possible les moyens de droit sur lesquels le
demandeur prétend fonder la compétence dela Cour)) (les italiques sont
de moi). Cette formule, «autant que possible)), montre clairement qu'il
n'y a pas lieu de préciser nécessairementdans la requêtetous les moyens
de droit sur lesquels le demandeur entend ((fonder la compétencede la
Cour)). Comme on peut le déduiredes exemples cités ci-dessus,la Cour
s'inspire dans sa jurisprudence de ce qui me paraît êtreainsi la seuleinter-
38, paragraphe 2, de son Règlement.
prétation possible de l'article25 1 LEGALlTY OF USE OF FORCE (DISSO . P.KRECA)

Neither the Statute nor the Rules of Court contain provisions which,
directly or indirectly,define what is an "early" or a "late" stage of the
proceedings.
Itis certain that the standpoints of litigating parties cannot per se be
taken as a reliable and convincing criterion. Their perception of "the

early or timely" and "late" is, quite understandably, burdened with sub-
jectivism.
Hence, it seems necessary to resort to some, at least basically, objective
criterion for the assessment of what is a "late stage of the proceedings".

From the aspect of the Rules of Court it may be contended that the
"late or latest" stage of the proceedings coincides with the formal closure,
at least when the proceedings for the indication of provisional measures
are involved. Such an interpretation seems suggested by Article 74, para-
graph 3, of the Rules of Court which, inter alia, provides that "[tlhe
Court shall receive and take into account any observations that may be
presented to it before the clo.sureof the oral proceedings" (emphasis
added.) The broad, general formulation "any observations" implies that
"observations" may be presented either orally or in written form.

Such a broadly conceived right of the parties in the proceedings for the
indication of provisional measures, in particular when grounds for juris-
diction are in question, must be brought into correspondence with the
essential need for the Court to find, within a short time-limit commensu-
rate with the urgency of the proceedings, a satisfactory solution both
with respect to prima faciejurisdiction and with respect to other relevant
facts.
The imperative wording of the relevant provision does not allow
departure. However, it is up to the Court to find a practical solution in
each particular case, without derogating from the substance of this provi-
sion, a solution in which, in keeping with the fundamental equality of the
parties, would make it possible for the other party to state its position
with respect to the relevant matter - in this particular case with respect

to additional grounds of jurisdiction.
In the case in hand the Court proceeded in this way, affording an
opportunity for the party within the appropriate time-limit which corre-
sponded to the time-limit in which the parties in the second round of
hearing had to respond to the allegations of the parties submitted in the
first round.
The argument used by the Court, inter alia, to vindicate the qualifica-
tion that additional ground of jurisdiction, as contained in Article 4 of
the Treaty of 1930,is inadmissible is nothing more than just a forma1jus-
tification of convenience.
If one follows the logic that an action in a litigation is inadmissible just
because the Court is confronted with it for the first time, then one might
well presume that the Court, after being constituted in 1946,would have
found itself commencing its function in an exceptionally difficult situa- Au reste, ni le Statut ni le Règlement de la Cour n'énoncede disposi-
tions qui définissentdirectement ou indirectement ce qu'il faut entendre
par stade «précoce» ou «tardif» de la procédure.
Il est certain qu'a cet égard,l'avis des parties en litigene constitue pas
en soi un critèrefiable et déterminant. Ce qu'ils entendent par «précoce»
ou «opportun», ou bien par «tardif» est évidemmententaché desubjec-
tivité.
C'est pourquoi il me paraît nécessairede faire appel, ne serait-ce que de

façon élémentaire, Bun critère objectif pour apprécierce qui peut repré-
senter un «stade tardif de la procédure)).
Au sens du Règlement de la Cour, on peut dire que le «stade tardif))
ou bien le «dernier stade)) de la procédurecoïncide avec la clôture offi-
cielle,tout au moins quand il s'agit de la procédurerelative à l'indication
de mesures conservatoires. C'est lal'interprétation quivient al'esprità la
lecture de l'article74, paragraphe 3, du Règlement, qui dispose notam-
ment que «[l]aCour reçoit et prend en considération toutes observations
qui peuvent lui êtreprésentées avant ka clôture de cette pro&dure» (les
italiques sont de moi). La formule très large, très générale«toutes obser-
vations)) signifie implicitement que ces «observations» peuvent être pré-
sentées soitoralement soit par écrit.
Que le droit des parties soit conçu de façon aussi large dans le cadre de
la procédurerelative a l'indication de mesures conservatoires, en particu-
lier quand il s'agit d'établirles chefs de compétence, fait échoau besoin
impératif,pour la Cour, de trouver dans un délai trèscourt, correspon-
dant a l'urgence de la procédure,une solution satisfaisante tant en ce qui

concerne sa compétence prinaa,fucie qu'en ce qui concerne les autres faits
pertinents.
Le libelléimpératif dela disposition pertinente n'autorise aucune déro-
gation. Mais il appartient àla Cour de trouver concrètement une solution
dans chaque cas d'espèce sans pour autant s'écarterde la disposition
quant au fond, une solution qui, respectant l'égalité fondamentale entre
les parties, permettrait a la partie adverse d'exposer sa position ence qui
concerne la question dont ils'agit- en l'espèce lechef supplémentaire de
compétence.
En l'occurrence, la Cour a procédéde cette façon, donnant a ladite
Partie la possibilitéde réagirdans le délaiaccordé aux Parties au second
tour de plaidoiries pour répondreaux allégations présentéelsors du pre-
mier tour.

L'argument utilisépar la Cour pour soutenir que le chef supplémen-
taire de compétence qu'apporte l'article 4 de la convention de 1930est

irrecevable correspond a une justification formelle répondant exclusive-
ment à un souci de commodité.
Si, dans le cadre d'un procès,un acte doit êtredéclaré irrecevable sim-
plement parce qu'il est sans précédentdans la pratique de la juridiction
saisie, en bonne logique, la Cour, après sa création en 1946,aura com-
mencé a fonctionner dans des conditions extraordinairement difficilestion without previously having had the opportunity to familiarize itself
with the course of the litigation and with the actions of the parties.
17. In addition to the forma1 question, questions of a substantive

nature arise. The basic question of a substantive nature is whether the
Federal Republic of Yugoslavia is a Contracting Party to the 1930
Treaty. The matter this time boils down to the qualification of the terri-
torial changes which have occurred in the former Socialist Federal Repub-
lic of Yugoslavia and their consequences for the status of the Federal
Republic of Yugoslavia.
In concreto, the matter may be viewed on several levels:

(O) if the Court has found that the Federal Republic of Yugoslavia is a
Member of the United Nations irrespective of the basis and modali-
ties of its position- whether from the standpoint of the proceed-
ings before the Court or in general - then ipso jùc.to it may be
inferred that the Federal Republic of Yugoslavia is a Contracting
Party to the Treaty of 1930,with reliance on the rule embodied in
Article 35 of the Convention on the Succession of States with
respect to international treaties which establishes that :

"When, after separation of any part of the territory of a State,
the predecessor State continues to exist, any treaty which at the
date of succession of States was in force in respectof the predeces-
sor State continues in force in respect of its remaining territory
unless:

(a) the States concerned otherwise agree;
(h) it is established that the treaty related only to the territory
which has separated from the predecessor State; or
(c) it appears from the treaty or is otherwise established that
the application of the treaty in respect of the predecessor State
would be incompatible with the object and purpose of the treaty
or would radically change the conditions for its operation."
(Vienna Convention on Succession of States in Respect of Trea-
ties, Art. 35, United Nations Conference on Succession of States
in Respect of Treaties, OfJiciulRecords, Vol. III, p. 194.)

(h) if the Court has found that the Federal Republic of Yugoslavia can-
not automatically continue the membership of the Socialist Federal
Republic of Yugoslavia in the United Nations on the basis of Gen-
eral Assembly resolution 4711,such a position of the Court need not
necessarily lead to a conclusion that the Federal Republic of Yugo-
slavia is not a Contracting Party to the Treaty of 1930.The notions
of "continuity of membership in the United Nations" and "legal
identity and continuity" are not identical.

The automatic continuation of membership in the United Nations is,
undoubtedly, one of the forms in which the legal continuity of a Statepuisqu'elle n'aura pas eu la possibilitéde se familiariser avec le déroule-
ment d'un procès et les initiatives des parties.
17. Outre cette question de forme, il se pose aussi des questions de
fond. A cet égard, la question essentielle est de savoir si la République
fédéralede Yougoslavie est partie contractante à la convention de 1930.
Cette fois, la question se ramène à celle de savoir quelle est la nature des
transformations territoriales de l'ancienne République fédérativesocia-
liste de Yougoslavie et quelles ont été leurs conséquences sur le statut de
la Républiquefédéralede Yougoslavie.
Concrètement, on peut considérer la question de différents points de

vue :
uj si la Cour estime que la République fédéralede Yougoslavie est
Membre des Nations Unies indépendamment du fondement et des
modalités desa situation - que cette conclusion concerne exclusive-

ment la procédure devant la Cour ou que ce soit un principe général
- on peut alors en déduire quela Républiquefédéralede Yougosla-
vie est partie contractanteà la convention de 1930,en s'appuyant sur
l'article 35 de la convention de Vienne sur la succession d'Etats en
matière de traités quiénoncela règlesuivante:
((Lorsque, après séparation de toute partie du territoire d'un

Etat, 1'Etat prédécesseurcontinue d'exister, tout traité qui, à la
date de la succession d'Etats, étaiten vigueur à l'égardde 1'Etat
prédécesseur reste en vigueur à l'égarddu reste de son territoireà
moins :
a) que les Etats intéressésn'en conviennent autrement;
b) qu'il ne soit établique le traitése rapporte uniquement au
territoire qui s'est séparé de1'Etatprédécesseur;ou

c) qu'il ne ressorte du traitéou qu'il ne soit par ailleurs établi
que l'application du traité a l'égardde 1'Etat prédécesseurserait
incompatible avec l'objet etle but du traité ou changerait radica-
lement lesconditions d'exécutiondu traité))(convention de Vienne
sur la succession d'Etats en matière de traités, art. 35, United
Nutions Conference on Succession of States in Respect uf Trea-
fies, OfJicial Records, (Vol. III, p. 194);

b) si la Cour estime que la Républiquefédéralede Yougoslavie ne peut
pas assumer automatiquement la qualité de Membre des Nations
Unies à la place de la République fédérative socialistede Yougosla-
vie, comme l'indique la résolution 4711de l'Assembléegénérale,cette
position de la Cour n'incite pas nécessairement à conclure que la
Républiquefédéralede Yougoslavie n'est paspartie contractante à la
convention de 1930. Les notions de ((continuitéde la qualité d'Etat
Membre des Nations Unies)) et d'«identitéet continuité juridiques))

ne sont pas identiques.
La succession automatique de la qualité d'Etat Membre au sein des
Nations Unies est incontestablement l'une des formes sous lesquellesaffected by territorial changes is expressed. However, it does not auto-
matically follow from the above that the continuity of membership in the

United Nations covers fully the notion of legal continuity of a State;
namely, although it may be a very important component of legal conti-
nuity of a State, especially for political reasons, the membership in the
United Nations taken per se can neither constitute that continuity nor
nullify it. A State's membership in international organizations givescon-
stitutional effect to the notion of continuity but only in Company with
other relevant elements to which it is organically linked. This refers in the
first place to diplomatic relations and the status of a party to treaties in
force.

By its conduct after the secession of the former Yugoslav federal units

Belgium recognized, at least defacto, the legal identity and continuity of
the Federal Republic of Yugoslavia. Namely, Belgium ranks among the
group of countries which have in continuo and without any interruption
in time at al1continued to maintain diplomatic relations with the Federal
Republic of Yugoslavia, relations which it had previously established and
maintained in various periods of time with the former Socialist Federal
Republic of Yugoslavia. Even when it recognized the seceded Yugoslav
federal units as sovereign and independent States, and established diplo-
matic relations with them, Belgiumdid not, in the form of an instrument
appropriate to inter-State relations, express an official, legally relevant,
position to the effect that it considers the Federal Republic of Yugoslavia
a new State and that it is bringing diplomatic relations in line in accord-

ance with that fact.

Hence there follows the inevitable conclusion that Belgium knew or
was obliged to know that the Treaty of 1930is in force and that, conse-
quently, it is binding on it. It is hard to believe that a State, as a profes-
sionally and intellectually highly organized international legal subject, is
not aware of its rights and obligations.

Generally speaking, two assumptions are possible:

(a) that Belgium was not aware that the Treaty of 1930is in force. If
this assumption is correct, Belgium was mistaken with respect to its
rights (error injus). According to the general legal principle - igno-
rantia legisnocet - also embodied in the Law of Treaties (1969),
such a mistake is irrelevant;
(b) Belgium was aware of the fact that the Treaty of 1930was in force
but, for some reasons, it did not disclose it in the proceedings before
the Court. For practical purposes of the proceedings before the
Court, the difference between assumptions under (a) and (6) is
here "immaterial". LICÉITÉ DE L'EMPLOI DE LA FORCE (OP. DISS. KRECA) 253

s'exprime lapermanence juridique d'un Etat qui subit des modifications
territoriales. Toutefois, il n'en découle pasautomatiquement que cette
succession automatique en ce qui concerne la qualité d'Etat Membre des

Nations Unies couvre intégralement la notion de continuité juridique
d'un Etat; mais il s'agit d'un élément extrêmemenitmportant de cette
continuitéjuridique, en particulier pour des raisons politiques, car la qua-
litéd'Etat Membre des Nations Unies, en soi, ne peut ni constituer cette
continuité ni l'annuler. Qu'un Etat soit membre d'organisations interna-
tionales ne donne, du point de vue constitutionnel, effet à la notion de
continuité que si cette qualité s'accompagne d'autres élémentspertinents
auxquels elle est organiquement liée. Il s'agit avant tout des relations
diplomatiques et du fait pour ledit Etat d'ètre partie à des traités en
vigueur.
Par le comportement adopté après la sécessionde certaines unitésde
l'ancienne Fédérationyougoslave, la Belgiquea reconnu, defacto tout au
moins, l'identité et lacontinuité juridiques de la République fédéralede
Yougoslavie. C'est-à-dire que la Belgique figure au nombre des pays qui

ont en permanence, sans aucune solution de continuité, entretenu des
relations diplomatiques avec la Républiquefédéralede Yougoslavie, rela-
tions qu'ils avaient précédemment établies eetntretenues à diverses pério-
des avec l'ancienne République fédérative socialistede Yougoslavie. Et
mêmequand elle a reconnu que les entités dela Fédérationyougoslave
ayant fait sécessionétaient devenues des Etats souverains et indépen-
dants et qu'ils ont établiavec ces derniers des relations diplomatiques, la
Belgique n'a pas adopté officiellement, sous la forme d'un instrument
adaptéaux relations interétatiques, une position juridique pour indiquer
que la Républiquefédéralede Yougoslavie était a ses yeux un Etat nou-
veau et qu'elle rénovaiten conséquence sesrelations diplomatiques avec
ce pays.
11faut donc en déduire inévitablement que la Belgique savait, ou
qu'elle étaitobligéede savoir que la convention de 1930est toujours en

vigueur et a par conséquent valeur obligatoire en ce qui la concerne. Il
serait difficilede croire qu'un Etat qui est un sujet de droit international
aussi bien organisé,professionnellement et intellectuellement, que la Bel-
gique n'a pas pleinement conscience de ses droits et obligations.
Sur un plan général,il est possible de formuler deux hypothèses:

a) la Belgique n'avait pas conscience que la convention de 1930étaiten
vigueur. Si l'hypothèseestjuste, la Belgiquecommettait une erreur en
ce qui concerne ses droits (erreur injus).D'après le principe général
de droit qui s'énonce ignorantiu legis nocer, lequel appartient égale-
ment au droit des traités(1969),cette erreur est dénuée de pertinence;
h) la Belgique avait conscience que la convention de 1930 était en
vigueur, mais, pour une raison ou une autre, elle n'en a pas fait état
au cours de la procédure devant la Cour. Pour des raisons pratiques
tenant à cette procédure devant la Cour, la différenceentre les hypo-

thèses a) et h) est ici sans aucune importance. The position of the Court expressed in paragraph 44 of the Order is far
from being acceptable.
By the clear and unambiguous indication in that regard of the wording
of Article 74, paragraph 3, of the Rules of Court, the Court was under
the obligation to receive and take into account observations of the Fed-
eral Republic of Yugoslavia which relates to the Treaty of 1930as addi-
tional grounds of jurisdiction. Article 4 of the Treaty is a prima facie
basis of the jurisdiction of the Court in the proceedings for the indication

of provisional measures requested by the Applicant. The Court, pursuing
the logic which it implemented in the Genocidr case, need not have
entered into the matter of succession of States.

In the second proceedings for the indication of provisional measures in
the Genocide case, in connection with the contentions of Bosnia and
Herzegovina as to the 1919Treaty as a basis of jurisdiction, the Court
concluded :

"the Court will not have to pronounce on the question whether
Articles 11and 16of the 1919Treaty are still in force, nor on their
interpretation; whereas the 1919 Treaty on the face of its text
imposes an obligation on the Kingdom of the Serbs, Croats and
Slovenes to protect minorities within its own territory; whereas
accordingly, if, and in so far as, Yugoslavia is now bound by the
1919Treaty as successor of that Kingdom, its obligations under it
would appear to be limited to the present territory of Yugoslavia"
(Applicationof the Convention on the Prevention and Punishment of
the Crime of Grnocide, Provisional Mcusures, Order of 13 Septern-
ber 1993, I.C.J. Reports 1993, p. 340. para. 31).

In addition to the reasons associated with the consistency of the Court's
jurisprudence in essentially identical situations, analogy in the present
case derives also from the fact that the Treaty of 1930may be considered
as a treaty implementation of the general cogent obligation to settle dis-
putes between the Contracting Parties in a peaceful way.

Even if the document in which the Applicant pointed to the Treaty of
1930as additional grounds of jurisdiction were declared "inadmissible",
the Court could not have ignored the fact that the Treaty exists. ln that
case, the Court could have differentiated between the document as such
and the Treaty of 1930,per .se,as a basis ofjurisdiction. The more so, as
the content of the Order seems to suggest a note of regret that, in the
circumstances of undeniable urgency and irreparable damage, for reasons
of a formal nature, the Court could not pronounce its jurisdiction.

But, as it stands now, it is reminiscent of a figure of speech devoid of
substance. La position que la Cour adopte au paragraphe 44 de son ordonnance
n'est absolument pas acceptable.
Vu les indications claires, dépourvues d'ambiguïté, que donne à cet
égard le paragraphe 3 de l'article 74 de son Règlement, la Cour était
tenue d'entendre les observations de la République fédéralede Yougo-
slavie qui présentaient la convention de 1930comme une base addition-
nelle de compétence etd'en tenir compte. L'article 4 de cette convention
est une base de compétence prinlafucie de la Cour dans la procédureen
indication de mesiires conservatoires requises par le demandeur. Prati-
quant la logique qu'elle a suivie dans l'affaire de l'Application de lu
convention sur legénocide,la Cour n'aurait pas eu besoin de se pencher
sur la question de la succession d'Etats.

Dans la seconde procédure en indication de mesures conservatoires,
dans cette même affairerelative à l'Application de lu convention sur le
génocide, au sujet des thèses de la Bosnie-Herzégovinequi voulait faire
du traité de 1919 un chef de compétence,la Cour a en effet énoncé la
conclusion suivante :

«la Cour ...n'aura à se prononcer ni sur le maintien en vigueur, ni
sur l'interprétation des articles Il et 16dudit traité;...à première
vue, le texte du traité de 1919 impose une obligation au Royaume
des Serbes, Croates et Slovènesde protéger les minorités sur son
propre territoire;...en conséquence..., si, et dans la mesure où la
Yougoslavie est aujourd'hui liéepar le traité de 1919 en tant que
successeur de ce royaume, ses obligations en vertu de ce traité
seraient apparemment limitées àl'actuelterritoire de la Yougoslavie))
(Applicution de la convention pour la préventionet [arépression du
crime de génocide, tnesure.~(~onservutoires,ordonnance du 13 sep-
tembre 1993, C.I.J. Recueil 1993, p. 340, par. 31).

En sus de la cohérence dont la Cour témoigne dans sa jurisprudence
quand les situations sont pour l'essentiel identiques, il faut aussi noter
que la ressemblance entre la présente instance et l'affaire citée ci-dessus
tient au fait que la convention de 1930peut être considéréc eomme une
expression conventionnelle de l'obligation impérativede caractère géné-
ral imposant aux parties contractantes de réglerleurs différendsde façon

pacifique.
Mêmesi le document dans lequel le de.mandeur a fait valoir que la
convention de 1930 était un chef supplémentaire de compétence devait
êtredéclaré«irrecevable», la Cour ne pouvait pas faire abstraction de
l'existense de ladite convention. En l'occurrence, elle aurait pu faire une
distinction entre le document lui-mêmeet la convention de 1930en tant
que base de compétence.Ce d'autant plus que la teneur de l'ordonnance
semble dénoter un certain regret qu'en des circonstances d'indéniable
urgence et de préjudiceirréparablela Cour n'ait pu, pour des raisons de
caractère formel, se déclarercompétente.
Mais, telle qu'elle se présente,sa formulation paraît purement rhéto-
rique et sans substance. 18. In paragraph 16 of the Order the Court states:

"Whereas the Court is deeply concerned with the human tragedy,
the loss of life, and theenormous suffering in Kosovo which form
the background of the present dispute, and with the continuing loss
of life andhuman suffering in al1parts of Yugoslavia."

The phrasing of the statement seems to me unacceptable for a number
of reasons. First, the formulation introduces dual humanitarian concern.
The Court is, it is stated, "deeply concerned", while at the same time the

Court states "the loss of life". So, it turns out that in the case of1parts
of Yugoslavia" the Court technically states "the loss of life" as a fact
which does not cause "deep concern". Furthermore, the wording of the
formulation may also be construed as meaning that Kosovo is not a part
of Yugoslavia. Namely, after emphasizing the situation in Kosovo and
Metohija, the Court uses the phrase "in al1parts of Yugoslavia". Having
in mind the factual and legal state of affairs, the appropriate wording
would be "in al1other parts of Yugoslavia". Also, particular reference to
"Kosovo" and "al1 parts of Yugoslavia", in the present circumstances,
has not only no legal, but has no factual basis either. Yugoslavia, as a
whole, is the object of attack. Human suffering and loss of life are, un-
fortunately, a fact, generally applicable to the country as a whole; so, the
Court, even if it had at its disposal the accurate data on the number of
victims and the scale of suffering of the people of Yugoslavia, it would
still have no moral right to discriminate between them. Further, the
qualification that"human tragedy and the enormous suffering in Kosovo
. ..form the background of the present dispute" not only is political, by

its nature, but has, or may have, an overtone ofjustification of the armed
attack on Yugoslavia. Suffice it to recall the fact that the respondent
State refers to its armed action as humanitarian intervention.

It is up to the Court to establish, at a later stage of the proceedings, the
real legal state of affairs, namely, the relevant facts. At the present stage,
the question of the underlying reasons for the armed attack on the Fed-
eral Republic of Yugoslavia is the object of political allegations. While
the Respondent argues that what is involved is a humanitarian interven-
tion provoked by the "human tragedy and the enormous suffering", the
Applicant finds that sedes muteriae the underlying reasons are to be
sought elsewhere - in the support to the terrorist organization in
Kosovo and in the political aim of secession of Kosovo and Metohija
from Yugoslavia.

Consequently, we are dealing here with opposed political qualifications 18. Au paragraphe 16de son ordonnance, la Cour dit:

((Considérant que la Cour est profondément préoccupéepar le
drame humain, les pertes en vieshumaines et lesterribles souffrances
que connaît le Kosovo et qui constituent la toile de fond du présent
différend, ainsique par les victimes et les souffrances humaines que
l'on déplorede façon continue dans l'ensemble de la Yougoslavie. ))

Le libelléde cette déclaration me paraît inacceptable pour plusieurs
raisons. La première est que cet énoncé faitpart d'une préoccupation
humanitaire double. La Cour dit être ((profondémentpréoccupée)) et
évoqueen même temps «les pertes en vies humaines)) et ((lesvictimes)).
De sorte qu'en ce qui concerne «l'ensemble de la Yougoslavie», la Cour
évoquetechniquement ((lesvictimes))comme un fait qui ne cause pas de
((préoccupation profonde)). En outre, l'énoncépermet également de

l'interprétercomme signifiant que le Kosovo ne fait pas partie de la You-
goslavie. C'est-à-dire qu'aprèsavoir mis en relief la situation ausovo-
Metohija, la Cour utilise l'expression ((dans l'ensemble de la Yougosla-
vie)). Compte tenu de la situation de fait et de la situation de droit, il
aurait fallu dire «dans le reste de la Yougoslavie». De surcroît, faire allu-
sion au «Kosovo» et à «l'ensemble de la Yougoslavie» non seulement
n'a aucun fondement juridique dans la situation actuelle, mais ne repose
pas sur les faits non plus. C'est l'ensemblede la Yougoslavie qui est atta-
qué.Les souffrances et lespertes en vies humaines sont malheureusement
un fait s'appliquant en généralau pays tout entier; dans ces conditions,

mêmesi elle avait eu à sa disposition des chiffres précisconcernant le
nombre des victimes et l'ampleur des souffrances de la population de la
Yougoslavie, la Cour n'aurait de toute façon pas eu le droit moral d'éta-
blir la moindre discrimination à cet égard. De plus, dire que «le drame
humain ...et les terribles souffrances que connaît le Kosovo et qui cons-
tituent la toile de fond du présent différend))non seulement est une indi-
cation de caractère politique mais représente, ou pourrait représenter,
une sorte dejustification de l'attaque arméemenéecontre la Yougoslavie.
Il suffit de rappeleà ce propos que 1'Etatdéfendeurqualifie son action
arméed'intervention humanitaire.

Il appartientà la Cour d'établir à un stade ultérieurde la procédure
quelle est véritablement la situation en droit, c'est-A-direquels sont les
faits pertinents. Au stade actuel, la question des raisons profondes de
l'attaque arméedirigéecontre la Républiquefédérale de Yougoslavie fait
l'objet d'allégations politiques. Le défendeur soutient qu'il s'agit d'une
intervention humanitaire provoquéepar «le drame humain et lesterribles
souffrances)),tandis que le demandeur estime que sedes materiae les rai-
sons profondes sont à chercher ailleurs - dans le soutien apporté à
l'organisation terroristà l'Œuvreau Kosovo et dans la volonté politique
de sécessionqui anime le Kosovo-Metohija.
Nous avons donc affaire ici à des qualifications politiques opposéesin which the Court should not, and, in my view,must not, enter except in
the regular court proceedings.
19. The formulation of paragraph 50 of the Order leaves the impres-
sion that the Court iselegantly attempting todrop the bal1in the Security
Council's court. Essentially, it is superfluousbecause, as it stands now, it
only paraphrases a basic fact that "the Security Council has special
responsibilitiesunder Chapter VI1of the Charter". It can be interpreted,
it is true, also as an appeal to the United Nations organ, specifically
entrusted with the duty and designed to take measures in case of threat to
the peace, breach of the peace or act of aggression; but, in that case the
Court would need to stress also another basic fact - that a legal dispute
should be referred to the International Court of Justice on the basis of
Article 36, paragraph 3, of the United Nations Charter.

20. The Court, by using the term "Kosovo" instead of the official
name of "Kosovo and Metohija", continued to follow the practice of the
political organs of the United Nations, which, by the way, was also
strictly followed by the respondent States.
Itis hard to find a justifiable reason for such a practice. Except of
course ifwe assume political opportuneness and involved practical, politi-
cal interests to be a justified reason for this practice. This is eloquently
shown also by the practice of the designation of the Federal Republic of
Yugoslavia. After the succession of the former Yugoslav federal units,
the organs of the United Nations, and the respondent States themselves,
have used the term Yugoslavia (Serbia and ~ontenegro). However, since
22 November 1995,the Security Council uses in its resolutions 1021and
1022 the term "Federal Republic of Yugoslavia" instead of the former
"Federal Republic of Yugoslavia (Serbia and Montenegro)" without any
express decision and in a legally unchanged situation in relation to the

one in which it, like other organs of the United Nations, employed the
term "Federal Republic of Yugoslavia (Serbia and Montenegro)". The
fact that this change in the practice of the Security Council appeared on
the day following the initialling of the Peace Agreement in Dayton gives
a strong basis for the conclusion that the concrete practice is not based
on objective, legal criteria but rather on political criteria.

By using the word "Kosovo" instead of the name "Kosovo and Meto-
hija", the Court, in fact, is doing two things:

(CI) it gives in to the colloquial use of the names of territorial units of an
independent State; and
(6) it ignores the official name of Serbia's southern province, a name
embodied both in the constitutional and legal acts of Serbia and
of the Federal Republic of Yugoslavia. Furthermore, it runs

contrary to the established practice in appropriate international orga- LICÉITE DE L'EMPLOI DE LA FORCE (OP. DISS. KRECA) 256

dans lesquelles la Cour ne devrait pas entrer, cela lui est mêmeinterdià
mon avis, si ce n'est dans le cadre d'une procédurejudiciaire normale.
19. L'énoncédu paragraphe 50 de l'ordonnance donne l'impression
que la Cour cherche assez élégamment a renvoyer la balle dans lejardin
du Conseil de sécurité.Pour l'essentiel, c'est inutile, parce que, sous sa
forme actuelle, cet énoncén'est qu'une simple paraphrase d'une donnée
élémentaire quiest que <<leConseil de sécurité est investide responsa-
bilitésspécialesen vertu du chapitre VI1 de la Charte)). 11est possible,
certes, de l'interpréter aussi comme un appel lancé a l'organe des

Nations Unies qui est très précisémentchargéde prendre des mesures
en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix ou d'acte d'agres-
sion et qui a d'ailleurs été conçu à cet effet; mais, en l'occurrence, la
Cour devrait rappeler aussi une autre donnée élémentairee:n vertu de l'ar-
ticle 36,paragraphe 3, de la Charte des Nations Unies, un différendjuri-
dique doit êtresoumis a la Cour internationale de Justice.
20. En utilisant l'appellation «Kosovo » au lieu de l'appellation offi-
cielle de«Kosovo-Metohija)), la Cour a continué de suivre la pratique
des organes politiques des Nations Unies, pratique dont, d'ailleurs, les
Etats défendeurs nese départissent jamais.
Il est difficilede justifier pareille pratique, sauf, bien entendu, si nous
admettons que l'opportunité politique, les intérêts politiques et concrets

sont à cet égard desarguments valables. C'est ceque montre également
de façon éloquentela pratique suivie pour désignerla République fédé-
rale de Your"oslavie. A la suite de la sécessionde certaines ~arties de
l'ancienne Fédérationyougoslave, les organes des Nations Unies et les
Etats défendeurs eux-mêmes ont utiliséla formule «Yougoslavie (Serbie
et Monténégro))).Mais, depuis le 22 novembre 1995,le Conseil de sécu-
rité utilise,dans ses résolutions 1021 et 1022, la formule ((République
fédéralede Yougoslavie)) au lieu de l'ancienne formule ((République
fédérativede Yougoslavie (Serbie et Monténégro))),sans qu'il y ait eu de
décision expresseà cet égard etdans une situation de droit inchangéepar
rapport a celle dans laquelle le Conseil, comme d'autres organes des
Nations Unies, se servait de la formule ((Républiquefédérativede You-

goslavie (Serbieet Monténégro))).Le fait que ce changement de pratique
du Conseil de sécuritédate du lendemain du jour où a étéparaphé
l'accord de paix de Dayton autorise à soutenir avec assez de fermetéque
cette pratique concrète ne s'inspire pas de critères juridiques objectifs
mais plutôt de critèrespolitiques.
En utilisant le terme «Kosovo»au lieu du nom «Kosovo-Metohija~,
la Cour. en fait, fait deux chosesà la fois:

a) elle adopte l'appellation courante et populaire servantà désignerles
unités territoriales d'un Etat indépendant;
h) elle laissede côtél'appellation officiellede la province méridionalede
Serbie, appellation consacrée par les actes constitutionnels et juri-
diques tant de la Serbie que de la Républiquefédéralede Yougosla-

vie. Enoutre, la Cour agit ainsicontrairementla pratique établiepar les nizations. Exempli causa, the official designation of the southern
Serbian province "Kosovo and Metohija" has been used in the
Agreement concluded by the Federal Republic of Yugoslavia and
the Organisation for Security and Co-operation in Europe (Inter-
national Legal Materiuls, 1999,Vol. 38, p. 24).

Even if such a practice- which, in my opinion, is completely inappro-
priate not only in terms of the law but also in terms of proper usage -
could be understood when resorted to by entities placing interest and
expediency above the law, it is inexplicable in the case of ajudicial organ.

21. A certain confusion is also created by the term "humanitarian law"
referred to in paragraphs 19 and 48 of the Order. The reasons for the
confusion are dual :on the onehand, the Court has not shown great con-
sistency in using this term. In the Genocidecase the Court qualified the

Genocide Convention as a part of humanitarian law, although it is obvi-
ous that, by its nature, the Genocide Convention falls within the field of
international criminal law (see dissenting opinion of Judge KreCain the
case concerning Application of the Convention on the Prevention und
Punislzment of the Crime of Genocide. Prelirninury Objections, I.C.J.
Reports 1996 (II), pp. 774-775, para. 108).
On the other hand, it seems that in this Order the term "humanitarian
law" has been used with a different meaning, more appropriate to the
generally accepted terminology. The relevant passage in the Order should
be mentioned precisely because of the wording of its paragraphs 19and
48. The singling out of humanitarian law from the rules of international
law which the Parties are bound to respect may imply low-key and timid
overtones of vindication or at least of diminishment of the legal implica-

tions of the armed attack on the Federal Republic of Yugoslavia.

Humanitarian law, in its legal, original meaning implies the rules ofjus
in hello. If, by stressing the need to respect the rules of humanitarian law,
which 1 do not doubt, the Court was guided by humanitarian considera-
tions, then it should have stressed expressis verbis also the fundamental
importance of the rule contained in Article 2, paragraph 4, of the Char-
ter, which constitutes a dividing line between non-legal, primitive inter-
national society and an organized, dejure, international community.

(Signed) Milenko KRECA. LICÉITÉ DE L'EMPLOI DE LA FORCE (OP. DISS. KRECA)
257

organisations internationales compétentes. Par exemple, la désigna-
tion officielle de la province méridionale de Serbie «Kosovo-Meto-
hijan est cellequi figure dans l'accord conclu par la Républiquefédé-
rale de Yougoslavieet l'Organisation pour la sécuritet la coopération
en Europe (International Legal Materials, 1999,vol. 38, p. 24).
Mêmesi pareille pratique, laquelle, A mon sens, est totalement incor-

recte. non seulement sur le plan du droit mais aussi du point de vue du
bon usage, pouvait se défendre quand elle émane d'entitésqui situent
l'intérêett la commoditéau-dessus de la loi, elle est inexplicable quand
elle émane d'un organejudiciaire.
21. L'expression «droit humanitaire)) que la Cour utilise aux para-
graphes 19 et 48 de son ordonnance prête également à confusion, pour
une double raison : d'un côté,la Cour ne manifeste pas une parfaite cohé-
rence dans l'emploi de cette formule. Dans l'affaire de l'Application de
lu convention sur le génocide, la Cour a dit que ladite convention faisait
partie du droit humanitaire, alors qu'il est manifeste qu'en raison de sa
nature même, ladite conventionrelèvedu droit pénalinternational (voir
l'opinion dissidente de M. KreCadans l'affaire relativeà l'Application de
la convention pour lu préventionet la répressiondu crime de génocide,
escepfionsprélinlinuires,C. I.J. Recueil1996 (II), p. 774-775, par. 108).
D'un autre côté,il me semble quedans la présenteordonnance, la for-

mule «droit humanitaire)) est employéeen un sens différentplus proche
du sens généralement accepté aujourd'hui. Et il convient de faire précisé-
ment état del'extrait pertinent de l'ordonnance en raison mêmedu libellé
des paragraphes 19et 48. En isolant le droit humanitaire parmi les règles
de droit international que les parties sont tenues de respecter, il est pos-
sible que la Cour veuille, discrètement, voire timidement, justifier impli-
citement l'attaque arméedirigéecontre la République fédéralede You-
goslavie ou tout au moins en atténuer les conséquencessur le plan du
droit.
Dans son premier sens juridique, le droit humanitaire correspond
implicitement aux règlesdu jus in bello. Si la Cour s'inspirait, comme
je n'en doute nullement, de considérations humanitaires quand elle a
souligné la nécessitéde respecter les règlesdu droit humanitaire, elle
aurait dù souligner expressément aussil'importance fondamentale que

revêt la règleénoncée a l'article 2, paragraphe 4, de la Charte, laquelle
trace la ligne de démarcation entre une sociétéinternationale primitive,
où le droit fait défaut, et une communauté internationale organiséeoù
règnele droit.

(Signé) Milenko KRECA.

Document file FR
Document Long Title

Opinion dissidente de M. Kreca, juge ad hoc (traduction)

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