Opinion dissidente de M. Kreca, juge ad hoc

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091-19930913-ORD-01-07-EN
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1

'

1 453

OPiNION DISSIDENTE DE M. KREtA

{Traduction]

L'ordonnance du 13 septembre 1993 réaffirme la précédentedécision

de laCour du 8 avril 1993quant à son contenu, tant formel que matériel.

S'agissant de porter une appréciation sur cette décision,il convient de
remarquer que la Cour a refusé d'indiquer les mesures conservatoires
sollicitéesar le demandeur en notant entre autres :

«que les droits énumérésaux alinéas a) à g) ont étéinvoqués en
termes presque identiques dans la première demande en indication

de mesures conservatoires, déposéele 20 mars 1993 par la Bosnie­
Herzégovine,et que, dans cette demande, leur protection a étésollici­
téecomme nécessaire; que, de tous les droits énumérés,seul celui
énoncéà l'alinéac)est tel que,par sa nature, il peut dans une certaine

mesure relever primafaciedes droits conféréspar la convention sur le
génocide; et que c'estpar conséquence en relation avec cet alinéaet
pour la protection de droits conféréspar la convention que la Cour a
indiqué des mesures conservatoires dans son ordonnance du 8 avril

1993...))(ordonnance, par. 39).
Le fait que la Cour a adopté pareille position et que la première et la

seconde demande du demandeur étaient, en substance, pratiquemment
identiques, soulèveune question d'importance cruciale: sur quels motifs
la décisionde laCour du 8 avrill993 repose-t-elle?

1

En l'espèce,la Cour a fondésa compétence primafaciesur le fait que les
deux Partiesau différend sont parties à la convention pour laprévent~on
et la répression du crime de génocide de 1948 qui dispose, entre autres,

que
<<Lesdifférends entre les Parties contractantes relatifs à l'interpré­
tation, l'application ou l'exécutionde la présenteConvention, y com­

pris ceux relatifs à la responsabilité d'un Etat en matière de géno­
cide ou de l'un quelconque des autres actes énumérés à l'article III,
seront soumis à la Cour internationale de Justice, à la requêted'une
Partie au différend.})(Art. IX.)

En conséquence, dans son ordonnance du 8 avril 1993, la Cour a
déclaré ce qui suit:

<~Considé qreala tour, après avoir établiqu'il existe une base
sur laquellesa compétence pourrait êtrefondée, ne devrait pas indi-

132 APPUCA TION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. DISS. KREéA) 454

quer de mesures tendant à protégerdes droits contestésautres que
ceux qui pourraient en définitiveconstituer la baseun arrêtrendu
dans l'exercice de cette compétence; considérant que, par voie de
conséquence, la Cour se limitera, dans son examen des mesures
demandées,et des motifs mis en avantpour justifier cesdemandes, à
prendre en considération ceux qui entrent dans le champ d'appli­
cation de la convention surle génocide.>(Application de la conven­
tion pour la préventionet la répressiondu crime de génocide,mesures

conservatoires, ordonnance du 8 avril 1993, C.I.J. Recueil 1993, p. 19,
par.'35.)

Laconvention sur legénocideétendsa protection à tout «groupe natio­
nal, ethnique, racial religieux>>(art. II), cequi signin concretoquele
«droit de chacun» viséà l'article 41 du Statut est celui de tout «groupe
national, ethnique, racial ou religieux>>d'êtreprotégécontre tout acte
((commmis dans !'.intentionde [le]détruire,en tout ou partie>>.
Or, selon ses termes mêmes,l'alinéac)de la demande n'a pas trait aux
droits d'un ((groupe national, ethnique, racial ou religieux en tant que
tel)), mais au droit du «peuple et [de]l'Etat de Bosnie-Herzégovine>>.On

pourrait en principe considérer que le terme «peuple>>se réfère,d'une
certaine manière,à un (<groupenational ou ethnique», objet de la protec­
tion de la convention sur le génocide. Je dis «en principe >>vu qu'en
l'espèce une telle interprétation ne reposerait sur aucun fondement
raisonnable. En l'occurrence,emot <(peupie» ne renvoie pas à une réelle
entiténationale, ethnique ou religieuse homogène. En effet, l'expression
«peuple de Bosnie-Herzégovine>>,qu'utilise le demandeur, recouvre en
fait trois communautés ethniqu Persconséquent, interpréter le mot
«peuple» au sens large comme signifiant ou supposant l'existence d'un
«groupe national, ethnique, racial ou religieux>>aux termes de laconven­

tion sur le génocideaboutirait à un résultatabsurde, particulièrement eu
égard à la teneur de la demande en indication de mesures conservatoires
présentée par le demandeur.
Quoi qu'il en soit, le demandeur lui-mêmereconnaît tacitement qu'il
n'existe pas en Bosnie-Herzégovine d'entité nationale unique car la
mesure conservatoire qu'il propose au paragraphe 2 de sa première
demande et, dans une certaine mesure, aussi au paragraphe 1 de sa
seconde demande tend à ce qu'il soit mis finà l'aide, etc., apportée «à
toute nation ...en Bosnie-Herzégovine».
La formulation mêmedes droits énoncés à l'alinéac)comporte deux
éléments: le premier relèvedavantage d'une déclaration rhétorique que

d'un droit visé par la convention («droit ... d'êtreà tout moment
protégés»)et ~esecond estun exemple classique dejugement provisionnel
(«contre les actes de génocide et autres actes assimilables perpétrés...
par la Yougoslavie (Serbie et Monténégro),agissant de concert avec ses
agents et auxiliaires en Bosnie etlleurs>>).
Amon avis, la condition première à laquelle toute demande en indica­
tion de mesures conservatoires doit satisfaire est que les mesures en ques-

133 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. DISS. KREtA) 455

tion doivent <<êtrceonsidéréescomme tendant uniquement à sauvegarder
l'objet du. différend et l'objet de la demande principale elle-même»
(Réforme agraire polonaise et minoritéallemande, ordonnance du 29juillet
1933, CP J.f. sérieA/B n° 58, p. 178). Dans l'affaire relative Person­
nel diplomatique et consulaire des Etats- Unis à Téhéla Cour a souligné
de façon impérative q~e la demande en indication de mesures conserva­
toires

<~anécessairement, par sa nature même,un lien avec lasubstance de
J'affaireuisque; comme l'article 41 [du Statut] l'indique expressé­
ment, son objet est de protégere droit de chacun ...»C.I.J. Recueil
1979,p. 16,par. 28).

Cette condition première n'est pas remplie en l'occurrence. En effet,
comme lemontre le paragraphe 39de la dernière ordonnance, la Cour, en
rendant l'ordonnance du 8avril, s'estfondéeuniquement sur l'alinéac)de
la demande - ce qui signifie qu'elle n'a invoquéaucune des mesures
conservatoires proposéespar le demandeur, mais qu'elle a trouvématière

à rendre une ordonnance dans lapartie de la demande traitant desdroits
juridiques que vise à protéger la demande en indication des mesures
conservatoires>>.Toutefois, cette partie de demande est un exposédes
motifs à l'appui de la demande en indication de mesures conservatoires
(<~l m otifs sur lesquels ellese fonde)), pour reprendre laterminologie du
paragraphe 2de l'article73du Règlementde laCour), de sorte que, même
si elle était parfaitement formulée, elle ne constituerait jamais qu'un
élémentde la demande.
Aux termes du paragraphe 2de l'article 73du Règlementde la Cour, la

Cour décide d'indiquer des mesures conservatoires sur la base d'une
demande qui «indique les motifs sur lesquels eUe se fonde, les consé­
quences éventuellesde son rejet et les mesures sollicitées>>.
Etant donnéque la première demande du demandeur proposait l'indi­
cation de certaines mesures conservatoires,s'ensuit que la Cour aestimé
que ces·mesures, de mêmeque ceUesquiont été proposéesdans laseconde
demande, sont inappropriées eu égard à l'objet du différend et que c'est
sur la base de l'énoncédes droits dont la protection était recherchée
qu'elle a rendu son ordonnance.
Cela étant,comme le confirme le paragraphe 39 de l'ordonnance du

13septembre 1993, ilse pose à mon avis la question de savoir si la Cour
aurait dû rendre l'ordonnance du 8avril 1993.
Comment expliquer la différence flagrante entre les mesures que le
demandeur propose, d'une part, et la compétence de la Cour, établie
prima facie,pour se prononcer uniquement sur les mesures et motif< ~ui
entrent dans le champ d'application de la convention sur le génocide>>
(C.l.J. Recuei/1993,p. 19,par. 35), d'autre part? Vu les circonstances de
l'espèce,ilme semble que la réponseà cette question est pertinente parce
que, en elle-même,et plus -encoredans le contexte de la présenteaffaire,
eUe ne peut que rejaillir tant sur la formulation que sur le contenu des

mesures conservatoires prononcées.

134 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. DISS. KREéA) 456

Unejuste interprétation des piècesde l'instance laisseentrevoir qu'ilest
dans l'intention du demandeur d'étendrele différend. Plus précisément,
la demande en indication de mesures conservatoires présentée par le
demandeur le 27juillet énoncenotamment comme motif sous-jacènt à la
présentation d'une telle requêtela raison ci-après:
<<Cettedemande en indication de mesures conservatoires supplé­

mentaires est motivéepar le désirde voir protéger par la Cour les
<<droits>>du peuple et de l'Etat de Bosnie-Herzégovine. En outre,
cette demande en indication de mesures conservatoires supplémen­
taires est aussi motivéepar ledésirde voirprotégerpar la Cour l'exis­
tence mêmedu peuple et de l'Etat de Bosnie-Herzégovine contre
l'extermination par le génocide, la partition, le démembrement,
l'annexion ou l'absorption par ledéfendeur.Comme laCour ajuridi­
quement le pouvoir de protégerles <<droits»de la Bosnie-Herzégo­
vine, elle doit à fortiori avoir juridiquement le pouvoir de protéger
la Bosnie-Herzégovinè elle-même.>> (Demande en indication de
mesures conservatoires présentéepar le Gouvernement de la Répu­
blique de Bosnie-Herzégovine,préambule.)

Dans le passage de la demande intitulé «D. Les conséquences que les
mesures conservatoires sollicitéesvisentà éviter>>qui, en vertu du para­
graphe 2 de l'article 73, fait obligatoirement partie intégrante de la
demande, la partie devant y indiquer <<les motifs sur lesquels elle se
fonde)),le demandeur affirme:

<<L'objectifpremier de la présente demande est de prévenir de
nouvelles pertes en vies humaines et de nouveaux actes de génocide
contrelepeuple de Bosnie-Herzégovineet d'empêcherlapartition, le
démembrement, l'annexion, l'absorption et la destruction définitive
de la République de Bosnie-Herzégovineelle-même,Etat souverain
et Membre de l'Organisation des Nations Unies.>>

Face à une telle position de la part du demandeur, qui représente en
termes concrets une demande en indication de mesures conservatoires,il
incombe à mon avis à la Cour de se pencher sur deux points :
1) lasignification d'un tel acte dans laphase initiale de la présenteprocé­
dure, àla lumièrede la mesure conservatoire viséeau paragraphe 52 B
de l'ordonnance du 8avrill993 qui, entre autres, énonceque ledeman­
deur doit <ne prendre aucune mesure ...qui soit de nature à aggraver

ou étendre le différend existant sur la prévention et la répressiondu
crime degénocide... >>;
2) la signification particulière d'un tel acte dans le contexte des efforts
déployésà la conférence de Genève en vue de trouver un règlement
politiqueà la tragédiede la Bosnie-Herzégovine.En effet, on pourrait
déduiredes conclusions du demandeur que lebut des mesures conser­
vatoires est égalementd'empêcherl'adoption du plan de paix Owen­
Stoltenberg pour la Bosnie puisque, dans sa communication écritedu
10août, ledemandeur affirme entre autres:

135 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. DISS. KREtA) 457

<<ilest donc manifeste que le plan Owen-Stoltenberg est un diktat

équivalantsur le plan juridique à celui qu'Hitler avait imposéà la
Tchécoslovaquie à Munich en 1938.Ce plan repose sur l'idéeque
la Républiquede Bosnie-Herzégovine- Etat Membre de l'Orga­
nisation des Nations Unies - devra êtredémembréeen trois Etats
dépendants et privée de sa qualité de membre des Nations
Unies»,

et
«nous prions très respectueusement la Cour d'indiquer immé­
diatement toutes les mesures énoncéesdans les documents 1,2,3

et 4 susmentionnés et notamment, màis sans s'y limiter, les dix
mesures conservatoires visé.esdans notre deuxième demande,
ainsi que toutes les mesures conservatoires indiquéesd'office qui
y sont proposées}}(Lettre en date du 7 août 1993 adressée à la
Cour par l'agentde la Bosnie-Herzégovine).

Amon avis,bien qu'il ne fasse aucun doute que cette question setrouve
en dehors de la compétencede la Cour, cela n'empêchepas cette dernière
de trouver un moyen d'exhorter le demandeur à poursuivre les négocia­
tions de paix à Genève avec les Croates et les Serbes; tout au contraire,
ayant à l'esprit l'importance cruciale des négociations de paix comme
unique moyen de mettre un terme à l'enfer de la guerre civile et aux
profondes souffrances des populations innocentes, la Cour devrait y être
encouragée (par analogie avec l'affaire du Passage par le Grand-Belt
(Finlande c. Danemark), mesures conservatoires, ordonnance du 29 juillet
1991, C.IJ. Recueil1991, p. 20, par. 35).

II

Il ya plusde trente ans, sir Hersch Lauterpacht a écritque «La mission
des tribunaux judiciaires consiste pour une large part à examiner et à
peser la pertinence des faits.» (H. Lauterpacht, The Development of Inter­
national Law by the International Court, 1958, p.48).
Sil'examen desfaits est d'une importance cruciale lors d'une procédure
judiciaire, et cela nefait aucun doute,lest à fortiori décisiflors'ils'agit
d'indiquer des mesures conservatoires. Dans une procédure qui se carac­
térisepar l'urgence,lespossibilitésqu'a la Cour de procéder àune évalua­
tion impartiale et critique de la situation de fait sont nécessairement

limitées.Dans chaque cas particulier, la Cour cherche en fait àtrouver un
équilibresubtil et délicatentre Scylla - la nécessitéde répondre à l'ur­
gence des mesures conservatoires - et Charybde - l'exigence impé­
rieuse de ne pas, ce faisant, déformerles faits.
. Laprocédureenindication de mesures conservatoires repose engrande
partie sur des présomptions réfragables (presumptio juris tantum),notam­
ment la présomption simple de compétencede la Cour quant au fond de

136 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. DISS. KREtA) 458

l'affaire dans laquelle des mesures conservatoires sont adoptées. Lalo­
gique du mécanismede présomptionsereflèteégalementdans latermino­
logie utilisée, dans la mesure où l'article 41 du Statut utilise le terme
de <iparties)), bien qu'il ne soit pas nécessaire,à strictement parler, que
les parties concernées par les mesures conservatoires soient également

les parties au différend qui doit êtreréglépar un arrêtportant sur les
droits que les mesures conservatoires sont censéesprotéger(voir, à titre
d'exemple, l'affaire de l'Anglo-Iranian Oil Co.).
De prime abord, une appréciation se justifie dans les cas où la Cour
établit sa compétence dans une procédure en indication de mesures
conservatoires. Et, à mon avis, ils'agit là de la limite absolue à l'applica­
tion primafacie de laprésomptiondans une procédure incidente d'indica­
tion en mesures conservatoires. En effet, en dernière analyse, mêmeune
appréciation incorrecte de la compétence ne porte pas atteinte à la sécu­
ritéjuridique; en fait, elle la renforce plutôt vu les avantages inhérentsau
règlementjudiciaire par rapport aux autres modes de règlementdes diffé­
rends.
Toutefois, une appréciation incorrecte des faits conduit nécessairement

à une application erronéedu droit, ce qui, d'un point de vue ontologique,
se trouve aux antipodes de l'idéalassignéaux procédures judiciaires. Et
une appréciation prima facie des faits comporte inévitablement un très
haut risque d'erreur.
Il n'y a pas, ni ne devrait y avoir,e différence réelleentre l'établisse­
ment des faits lors d'une procédure incidente, quel que soit le type de
procédure particulière dont il s'agit, et l'établissement des faits lors de
l'examen au fond de l'affaire. Rendues sur décisionde la Cour, les ordon­
nances indiquant des mesures conservatoires ont une valeur réelle et
objective, bien qu'elles ne soient pas revêtuesde l'autorité de la chose
jugée.En d'autres termes, la différencespécifiqueentre cesdeux types de
décisions de la Cour résideen ce que les mesures conservatoires sont

susceptibles de faire l'objet d'une nouvelle appréciation lors de l'examen
au fond de l'affaire.
Si le terme «fait» est pris dans son sens ordinaire, c'est-à-dire «une
chose dont l'existence ne fait aucun doute>>,seule la tragédieapocalyp­
tique que subissent les Musulmans, les Serbes et les Croates dans les
régionsde la Bosnie-Herzégovinedévastées par laguerre constitue un fait
clair et reconnaissable. Ce fait mis à part, l'on est en présence d'un
immense subjectivisme, alimenté par la propagande des médias et les
rapports de la télévisionet des journaux où foisonnent généralisationset
expressions imprécisesetvagues telles que «de nombreux observateurs»,
<(des diplomates ont laisséentendre ...», <(sur la base de rapports des
servicesde renseignements indiquant que...>>e,tc., qui ne sauraient, même
en appliquant le critère du libéralismejusqu'à l'absurde, êtreadmis en

tant qu'élémentsde preuve.
Le subjectivisme a une tendance intolérable à se propager très aisé­
ment. Ilconduit à ceque des expressions dotéesd'un sens ordinaire soient
chargéesd'une signification qui est dans l'intérêd te l'une des parties au

137 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. DISS. KREtA) 459

différend. Ce faisant, dans le désir de parvenir au résultat escompté, on
oublie que l'interprétation de bonne foi implique que «si les mots perti­
nents, lorsqu'on leur attribue leur signification naturelle et ordinaire, ont
un sens dans leur contexte, l'examen doit s'arrêterlà)) (Compétencede

l'Assembléegénéralepour l'admission d'un Etat aux Nations Unies, avis
consultatif, C.l.J. Recuei/1950,p. 8).
De par la nature de sa fonction, la Cour, à la recherche de la véritématé­
rielle, ne peut ni ne doit exclure à prioriquelque source d'information que
ce soit. En mêmetemps, elle est tenue de soumettre chaque rapport à un
examen critique afin d'éviterde devenir l'otage de qui que ce soit, si ce

n'est celui des faits et de la vérité.
L'expression« moyens de preuve)) englobe «les pièces à conviction, les
preuves documentaires et les dépositions des témoins et experts citéspar
une partie soit de sa propre initiative, soit à la demande de la Cour))
(M. Hudson, Jhe Permanent Court of International Justice, 1920-1942,
1972, p. 565).
Si nous nous en tenons à cette définition de l'expression «moyens de

preuve)), il me semble que la Cour n'a pas accordétoute l'attention voulue
aux élémentsfaisant état de noms, aux dépositions des témoins, aux
conclusions des recherches, etc., comme le prévoient les dispositions de
son Règlement, par exemple les articles 65, 66 et 67).
A mon avis, des élémentsd'information tirésdes médias ne sauraient,
en eux-mêmes, êtreconsidéréscomme des moyens de preuve et moins

encore comme des preuves solides et irréfutables de l'existence des faits
en question. Tout au plus peuvent-ils êtreconsidéréscomme des indices
tendant à établircertains faits.
Selon moi, en l'occurrence, la Cour n'est pas en possession de faits soli­
dement établis. Il s'agit làd'un côtéde la médaille. La nécessitéévidente
pour la Cour, ayant établien l'espècesa compétence primafacie, de réagir

aux souffrances et à la persécution des trois peuples de Bosnie-Herzégo­
vine, d'une façon appropriée et qui soit compatible avec la phase actuelle
de la procédure, constitue le revers de cette mêmemédaille. En l'espèce,la
dimension humanitaire de la décision de la Cour est d'une importance
capitale.
Il me semble que cette dimension n'est pas dictée par ce que l'on pour­
rait appeler, sous condition, les préoccupations humanitaires, à la fois

authentiques et d'ordre émotionnel, qui forgent l'opinion publique, mais
bien par la qualité humaine inhérente au fond du droit qu'applique la
Cour.
Par conséquent, ilsemblerait que dans la présente affaire, vu que

ide but essentiel des mesures conservatoires est d'assurer que l'exé­
cution d'une décision ultérieure sur le fond ne sera pas compromise
par les actions de 1'une des partiespeildente lite))(C.I.J. Recuei/1976,
opinion individuelle de M. Jiménez de Aréchaga, Président, p. 15),

deux élémentssoient particulièrement importants:

138 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. DISS. KREéA) 460

1) La compétence de la Cour a étéétablie prima facie. L'urgence des
mesures conservatoires ne peut à priori présumer la compétence de la
Cour quant au fond. Ainsi que M. Gros l'a souligné dans l'affaire des
Essais nucléaires:

«Dans le jugement que la Cour doit porter sur toute demande de
mesures provisoires l'urgence n'estpas une considération dominante

7t exclusive;ilfaut rechercher entre les deux notions de juridiction et
d'urgence un équilibrequi varie avec les donnéesde chaque affaire.>>
(Essais nucléaires(Australie c. France), C.l.J. Recueil 1973, mesures
conservatoires, ordonnance du 22 juin 1973, opinion dissidente de
M. Gros, p. 120.)

En l'espèce,cela s'applique en particulier à la compétence de la Cour
ratione materiae.

2) La nature distinctive du crime de génocide. En tant que delictumjuris
gentiurn, le crime de génocide implique la combinaison de deux
éléments:1'élémentmatériel(la commission d'actes indiqués a limine à
l'article II de la convention) et l'élémentsubjectif (le dolus specialisou
intention de «détruire, en tout ou partie, un groupe national, ethnique,

racial ou religieux, comme tel))).

En l'absence de preuve concluante et sur la base de ce qui précède,il me
semble que la Cour devrait s'éloigner du terrain incertain des preuves
avancées pour s'en tenir au concept solide et précisde notoriété.L'idéede
notoriétéin concreto est en totale harmonie avec ce que M. Bedjaoui a
soulignédans son opinion dissidente dans l'affaire de Lockerbie:

«La phase actuelle ne lui permet [à la Cour] d'avoir qu'une idée
provisoire et simplement prima facie du dossier, en attendant de se
saisirdu fond dans toutes ses dimensions.» (Questions d'interpréta­
tion et d'application dea convention de Montréalde 1971 résultantde
l'incident aériende Lockerbie {Jamahiriya arabe libyenne c. Royaume­
Uni), mesures conservatoires, ordonnance du 14 avril 1992,

C.I.J. Recueil/992, p. 33.)

Les principaux élémentsdu concept de notoriété, irréfutables d'un
point de vue logique et empirique, seraient en l'occurrence:

a) leslocalitésoù la population est massacrée;
b) lesdétenteurs de lajuridiction sur ceslocalités;
c) les responsables primafacie, à la lumière des obligations imposéespar
lesarticles pertinents de la convention sur legénocide.

J'estime que, dans l'intérêdte lajustice,ajuridiction effective devrait être
considéréecomme la seconde composante du concept de notoriété,alors
mêmeque, devant le comité des droits de l'homme, le demandeur a
confirmé que

139 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. DISS. KREtA) 461

<~l aépublique de Bosnie-Herzégovine se considère légalement
responsable de tout cequi s'estproduitnon seulement sur lapartie de
son territoire sur laquelle elle exerce un contrôle réelet effectif, mais
égalementsur les autres parties de son territoire}} (Nations Unies,
Comitédes droits de l'homme, Pacte international relatif aux droits
civilsetpolitiques,CCPR/C/79/ Add.14, 18décembre 1992).

Ilparaît presque superflu de souligner à quel point le concept de noto­
riétéestloin d'êtreidéal;ses lacunes sont évidentes.Ellessont diamétrale­
ment à l'opposé de ses avantages inhérents. Alors que ses éléments
constitutifs reposent sur de solides bases logiques et empiriques, leur
portée est en mêmetemps trop généraleet ils sont relativement mal
adaptésà des événementset cas particuliers. C'est précisémentla raison
pour laquelle l'idéede notoriétéconstitue en quelque sorte un fondement
accessoire pour la Cour, dans les cas où elle n'est pas en possession de
preuves irréfutables.
Dans des affaires telles que celle qui nous occupe, ces imperfections
mêmesde l'idéede notoriétésetransforment en avantage incalculable. Le
fait que des raisons humanitaires imposent à la Cour de réagirest l'undes

traits saillants de cette affaire mêmesi, en termes juridiques, l'identité
fondamentale qui existe entre les mesures conservatoires proposées,
d'une part, et l'objet de la cause, d'autre part, inciterait à une extrême
prudence dans cette réaction du fait du danger qu'ily a à tomber dans le
pièged'un jugement provisionnel.
En tant que notion sur la base de laquelle la Cour pourrait indiquer des
mesures conservatoires, l'idéede notoriétépermet d'adapter cesdernières
aux caractéristiques de l'affaire telles que je les ai décrites,autrement dit
de les formuler soit sous la forme de mesures générales,soit sous la forme
de mesures spécifiquesdestinéesà éliminerou, tout au moins, à atténuer
les effets des causes, c'est-à-dire les faits qui ont débouchésur la tragédie
de la guerre civile en Bosnie-Herzégovine.

III

Gardant à l'esprit ce qui précède,ycompris les propositions concrètes
que j'ai avancées,je vais m'attacher à exposer brièvement mon opinion
concernant les mesures conservatoires indiquéesdans l'ordonnance.
Mon point de vue sur l'ordonnance est déterminé à la fois par le
contenu des diverses mesures conservatoires et, au moins autant, par le

fait queje considère'ordonnance comme une unitéorganique, comme un
tout.
De prime abord, la mesure Al) énoncel'obligation généralede toute
partie contractante à la convention sur le génocide,et donc du défendeur
également,de «prendre toutes les mesures en son pouvoir afin de préve­
nir la commission du crime de génocide)}.
Toutefois, la nature généralede l'obligation qui s'impose à toutes les
parties contractantes esttenue en échecà la fois par lecaractère unilatéral

140 APPLICATION DE CONVENTION GtNOCIDE (OP. DISS. KREéA) 462

de la mesure (elle ne s'adresse en effet qu'au seul défendeur) et par sa

formulation, qui laisse entendre que soitedéfendeur manque à l'engage­
ment qu'il a pris en signant la convention sur le génocideet qu'il est par
conséquenttenu de prendre «immédiatement ...toutes les mesures en son
pouvoir afin de prévenirla commission de crime de génocide>>s ,oit qu'il
est tenu de certaines obligations particulières issues de la convention sur
legénocide.
La mesure conservatoire A 2) est extrêmementambiguë et captieuse.
Tant par son libelléque par sa teneur, elle s'apparente dangereusement à
un jugement provisionnel, dont on pourrait mêmedire qu'elle inclut
certains éléments,tant sous sa forme actuelle que sous sa forme poten­

tielle.
Sous sa forme actuelle, parce qu'elle pourrait
«donner l'impression que la Cour croit que le Gouvernement de la
République fédérativede Yougoslavie est effectivement impliqué
dans ce.sactes de génocide,ou tout au moins, qu'il peut fort b,ien y

êtreimpliqué>> (Application de la convention,pourla prévention et la
répressiondu crime de génocide,mesures conservatoires, ordonnance
du 8 avri/1993,C.I.J.Recuei/1993, déclarationde M.Tarassov, p.26).
Soussa forme potentielle, parceque c'estvirtuellement préjugerlefond
que de dire que le Gouvernement de la République fédérativede Yougo~

slavie doit en particulier «veiller)) à ce qu'aucune des unitésmilitaires,
paramilitaires ou unitésarméesirrégulièresqui «pourraient>> relever de
son autorité ou bénéficierde son appui, ni aucune organisation ou
personne qui ((pourraient se trouver sous son pouvoir, son autorité, ou
son influence ne commettent le crime de génocide,ne s'entendent en vue
de commettre ce crime, n'incitent ... à le commettre ou ne s'en rendent
complices>>.Ces passages

«imposent des conditions pratiquement illimitées,mal définies et
vagues concernant l'exercice de la responsabilitédu défendeur dans
l'exécutionde l'ordonnance de la Cour et l'expose àdes accusations
infondées de ne pas se conformer à cette mesure conservatoire>>
(ibid., p. 27).

De fait, l'ordonnance a donnécorps à la signification potentiellement
préjudicielle des passages cités. En effet, en rendant cette décision, la
Cour est notamment partie du principe qu'elle n'étaitpas convaincue que
tout ce qui pouvait êtrefait l'avait étépour prévenir la commission du
crime degénocidesur leterritoire de la Bosnie-Herzégovine(ordonnance,
par. 57).
Les élémentsrelevant d'un jugement provisionnel contenus dans les
deux premières mesures conservatoires apparaissent clairement comme
telssileur teneur est interprétéà la lumièred'un raisonnement a contra­

rio.Il apparaît que le demandeur n'est tenu d'aucune obligation spéci­
fique d'(dmmédiatement ... prendre toutes les mesures en son pouvoir
afin de prévenirla commission du crime de génocide>>ni de

141 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP.·DISS. KREéA) 463

«veiller à ce qu'aucune des unitésmilitaires, paramilitaires ou unités

arméesirrégulièresqui pourraient relever de son autorité ou bénéfi­
cier de son appui, niaucune organisation ou personne qui pourraient
se trouver sous son pouvoir, son autorité, ou son influence ne com­
mettent le crime de génocide, ne s'entendent en vue de commettre
ce crime, n'incitent directement et publiquement à le commettre
ou ne s'en rendent complices, qu'un tel crime soit dirigé contre la

population musulmane de Bosnie-Herzégovine, ou contre tout autre
groupe national, ethnique, racial ou religieux».

Et cela à un stade de la procédure où la Cour n'est pas habilitée à
conclure définitivement sur les faits ou leur imputabilité, où, en même
temps, il est évident qu'« il existe un risque de génocide, non en territoire
yougoslave, mais en Bosnie-Herzégovine >>etqu'il est tout aussi clair, tant
au regard du droit international généralque sur la base de ses aveux expli­

cites, que ledemandeur est prima facie responsable au premier chef des
actes de génocide présentéscomme ayant étécommis en Bosnie- Herzégo­
vine, et où le comitédes droits de l'homme, après avoir

«constaté avec satisfaction que ...la République de Bosnie- Herzégo­
vine se considère comme légalement responsable de tout ce qui s'est
produit non seulement sur la partie de son territoire qu'elle contrôle
effectivement mais aussi sur les autres parties»,

a recommandé que les mesures déjàprises par le demandeur

«soient encore renforcées et que leur application soit systématique­

ment surveillée afin qu'il n'y ait pas de «nettoyage ethnique>>,dicté
par la vengeance ou tout autre motif...>>(Nations Unies, Comitédes
droits de l'homme, Pacte international relatif aux droits civils et poli­
tiques,CCPRIC/791 Add.l4, 28 décembre 1992).

Qui plus est, la nature des mesures indiquées est, jusqu'à un certain
point, incompatible avec le raisonnement de la Cour. En effet, au para­
graphe 45 de l'ordonnance du 8avrill993, il est affirmé expressément que

la Cour est parvenue à la conclusion que:

«il existe un risque grave que des actes de génocide soient commis;
considérant que la Yougoslavie et la Bosnie-Herzégovine, que de tels
actes commis dans le passépuissent ou non leur êtreimputésen droit,
sont tenues de l'incontestable obligation de faire tout ce qui est en
leur pouvoir pour en assurer la prévention à l'avenir)).

De toute évidence,le dispositif de l'ordonnance du 8 avril1993 n'a donné

à cette prémisseaucune suite juridique ou technique.
Peut-êtrecela s'explique-t-il par le fait que, pour un Etat, l'obligation de
prévenirtout acte ou menace d'actes de génocide sur son propre territoire
va de soi et que point n'est besoin d'en détailler les implications ou de les
expliquer sous forme de mesures conservatoires.

142 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. DISS. KREtA) 464

Toutefois, ilsemble impossible de soutenir un tel point de vue, et ce
pour deux raisons essentielles:
1) Dans ce différendparticulier, c'est sur la convention sur le génocide
que la Cour a fondé sa compétence prima facie pour indiquer des
mesures conservatoires. Concernant l'obligation de prévention du
crime de génocide,la convention ne pose pas le principe de la répres­
sion universelle. Elle a résolumentopté pour une application territo­

riale de l'obligation de prévention et «seuls les organes des
Nations Unies, dans lechamp d'application de leur compétencegéné­
rale, peuvent prendre des mesures concernant des crimes commis hors
du territoire de la partie contractante» (Nehemiah Robinson, The
Genocide Convention, Its Origins and Interpretation, The Institute of
Jewish Affairs, World JewishCongress, New York, 1 949, p.13-14).
2) La commission d'actes sur leterritoire d'un autre Etat, qu'ilsoit ou non
reconnu, signifierait la violation de la règle de non-intervention,
laquelle, par sa nature, relèvedujus cogens.

Des mesures conservatoires telles que les mesures A 1) et A 2) sont
risquées, y compris pour la Cour elle-même. La partie qui semble ainsi
obtenir gain de cause pourrait êtretentéede présenterde façon répétéd ee
nouvelles demandes en indication de mesures conservatoires, ce qui
placerait la Cour dans 1'obligation de frapper d'estoppe/1exposédes faits
présentés par cette partie. Les dangers inhérentsà une telle situation sont
d'autant plus grands qu'il existe un lien étroit entre, d'une part, les
mesures conservatoires et, d'autre part, l'objet mêmede la cause.
La mesure conservatoire B, considérée in abstractoen termes techni­

quesjuridiques, illustre parfaitement la pratique de la Cour en matièrede
mesures conservatoires.
Néanmoins,la formulation choisie n'estpas àdaptéeaux circonstances
de l'espèce.Elle place en effet les deuxParties sur un pied d'égalitéalors
que, d'une part, les conclusions du demandeur, dans lesquelles celui­
ciinsiste pour élargirla base de compétencede la Cour au-delà de la con­
vention sur le génocide, et, d'autre part, le contenu inapproprié de sa
demande ont pour conséquenceobjective «d'étendre ledifférendexistant
sur lapréventionet larépressiondu crime de génocide))etd'en ((rendre la
solution plus difficile)).
Il m'apparaîtqu'à la lumièredes circonstances pertinentes, deux types
de mesures conservatoires sont indiquées:

a) le genre de mesure conservatoire auquel se référaitM. Bedjaoui dans
l'affaire de Lockerbie: «une mesure généraleindépendante en forme
d'appel aux Parties...))(Questions d'interprétationet d'application de la
convention de Montréalde 1971résultantde l'incident aériende Locker­
bie(Jamahiriya arabe libyenne c.Royaume-Uni), mesures conservatoires,
ordonnance du 14 avri/1992, C.I.J. Recuei/1992, opinion dissidente de

M. Bedjaoui, p. 48), ce qui, en substance, correspond au message
adressépar lePrésidentde laCour auxdeux Parties le 5août 1993;

143 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. DISS. KREéA) 465

b) des mesures conservatoires spécifiquestournant autour de lanotion de
notoriétéet reconnaissant la nécessitéde chercher une solution paci­
fique à la guerre civile en Bosnie-Herzégovine, d'une part, accompa­
gnéesde la miseen Œuvrede toutes mesures qui pourraient contribuer
à la préventionde la commission, de la poursuite ou de l'incitation à la
commission del'odieux crime international de génocide,d'autre part.

Par rapport à la mesure conservatoire générale,les mesures conserva­
toires spécifiques pourraient êtreindiquées à titre soit alternatif soit
cumulatif.

Etant donné que les mesures conservatoires indiquées dans l'ordon­
nance s'écartentsensiblement de ce schéma,c'est avec regret que je fais
usage de mon droit d'exprimer une opinion dissidente.

(Signé) Milenko KREéA.

144

Bilingual Content

453

DISSENTING OPINION OF JUDGE KREéA

The Order of 13 September 1993 constitutes the reaffirmation of the
Court's earlier decision of 8 April 1993, both in the formai and in the
material sense.
Noteworthy for an assessment of such a decision is the fact that the
Court bas rejected the proposed provisional measures requested by the

. Applicant noting interalia,
"whereas the rights listed a(a)to{g)wereasserted in almost identical
terms, and their protection was claimed to be necessary, in the first
request of Bosnia-Herzegovina for provisional measures, fîled on
20 March 1993; whereas of the rights listed only that indicated in
paragraph {c)issuchthat itmay prima facieto sorneextent fallwithin

the rights arising under the Genocide Convention; and whereas it
was therefore in relation to that paragraph and for the protection of
rights under the Convention that the Court indicated provisional
measures in itsOrder of 8 April 1993 ... (Order, para. 39).

The fact that the Court took such a position and that the first and
second request of the Applicant are virtually identical in substance,
raises a question of crucial significance - what were the grounds that
served as a basis for the Court's decision of8April 1993?

1

ln the case at band, the Court based its prima faciejurisdiction on the
fact that bath Parties to the dispute are contracting parties to the Conven­
tion on the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide ( 1948),
which, interalia,provides that

- "Disputes between the Contracting Parties relating to the interpre­
tation, application orfulfilment ofthe present Convention, including
thoserelating to the responsibility ofaState forgenocide orforany of
the other acts enumerated in article III, shail be submitted to the
International Court of Justice at the request of any of the parties to
the dispute." (Art. IX.)

Hence, in its Order issued on8 April 1993, the Court decreed :

"Whereas the Court, having established the existence ofa basis on
which its jurisdiction might be founded, ought not to indicate

1321

'

1 453

OPiNION DISSIDENTE DE M. KREtA

{Traduction]

L'ordonnance du 13 septembre 1993 réaffirme la précédentedécision

de laCour du 8 avril 1993quant à son contenu, tant formel que matériel.

S'agissant de porter une appréciation sur cette décision,il convient de
remarquer que la Cour a refusé d'indiquer les mesures conservatoires
sollicitéesar le demandeur en notant entre autres :

«que les droits énumérésaux alinéas a) à g) ont étéinvoqués en
termes presque identiques dans la première demande en indication

de mesures conservatoires, déposéele 20 mars 1993 par la Bosnie­
Herzégovine,et que, dans cette demande, leur protection a étésollici­
téecomme nécessaire; que, de tous les droits énumérés,seul celui
énoncéà l'alinéac)est tel que,par sa nature, il peut dans une certaine

mesure relever primafaciedes droits conféréspar la convention sur le
génocide; et que c'estpar conséquence en relation avec cet alinéaet
pour la protection de droits conféréspar la convention que la Cour a
indiqué des mesures conservatoires dans son ordonnance du 8 avril

1993...))(ordonnance, par. 39).
Le fait que la Cour a adopté pareille position et que la première et la

seconde demande du demandeur étaient, en substance, pratiquemment
identiques, soulèveune question d'importance cruciale: sur quels motifs
la décisionde laCour du 8 avrill993 repose-t-elle?

1

En l'espèce,la Cour a fondésa compétence primafaciesur le fait que les
deux Partiesau différend sont parties à la convention pour laprévent~on
et la répression du crime de génocide de 1948 qui dispose, entre autres,

que
<<Lesdifférends entre les Parties contractantes relatifs à l'interpré­
tation, l'application ou l'exécutionde la présenteConvention, y com­

pris ceux relatifs à la responsabilité d'un Etat en matière de géno­
cide ou de l'un quelconque des autres actes énumérés à l'article III,
seront soumis à la Cour internationale de Justice, à la requêted'une
Partie au différend.})(Art. IX.)

En conséquence, dans son ordonnance du 8 avril 1993, la Cour a
déclaré ce qui suit:

<~Considé qreala tour, après avoir établiqu'il existe une base
sur laquellesa compétence pourrait êtrefondée, ne devrait pas indi-

132454 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (DISS. OP. KREéA)

measures for the protection of any disputed rights other than tho se
which might ultimately form the basis of a judgment in the exercise

of that jurisdiction; whereas accordingly the Court will confine its
examination of the measures requested, and of the grounds asserted
for the request for such measures, to those which faU within the
scope of the Genocide Convention" (Application of the Convention on
the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide, Provisional

Measures, Order of 8 Apri/1993, I.C.J. Reports 1993, p. 19, para. 35).

The Genocide Convention extends protection.to a "national, ethnical,
racial or religions group" (Art. Il), which in practical terms means that the

"respective rights" in terms of Article 41 of the Statute are in concreto the
right of a "national, ethnical, racial or religions group, as such to be pro­
tected from acts committed with intent to destroy it, in whole or in part".
As can be seen from the wording of paragraph (c),it does not relate to
rights of"national, ethnical, racial or religions groups, as such" but to "the

right of the People and State of Bosnia-Herzegovina". Broadly speaking,
the term "people" could, in principle, be related to "national or ethnical
groups" as the abject of protection of the Genocide Convention. 1say "in
principle", since in this specifie instance there are no reasonable grounds
for such an interpretation. The expression "people" in this case does not

referto an actual homogeneous national, ethnie, or religions entity, for the
phrase "People of Bosnia and Herzegovina" used by the Applicant, in
fact,covers three ethnie communities. Therefore, a broad interpretation of
the term "people" according to which it would extend to or imply "a
national, ethnical, racial or religions group" in terms of the Genocide
Convention, especially in the view of the content of the Applicant's

requests for provisional measures, would in this case lead to an absurd
outcome.

Anyway, the Applicant himselftacitly admits that in Bosnia-Herzego­
vina there is no single national corpus,for the proposai for the provision al
measure un der paragraph 2 of the first request, and to a certain extent also

under paragraph 2 of the second request, is that a ban be imposed on aid
(etc.) "to any nation ... in Bosnia-Herzegovina".

The actual formulation of rights under paragraph (c) consists of two
parts :the first is more of a rhetorical statement than a right formulated by

the Convention ("right ... to be free at ali times") and the second is a
classic example of an interim judgment ("from genocide and other geno­
cidal actsperpetrated ... by Yugoslavia (Serbia and Montenegro ), acting
together with its agents and surrogates in Bosnia and elsewhere").

In my opinion, the primary condition which a request for provisional
measures rnust satisfy isthat these measures should be "regarded as solely

133 APPUCA TION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. DISS. KREéA) 454

quer de mesures tendant à protégerdes droits contestésautres que
ceux qui pourraient en définitiveconstituer la baseun arrêtrendu
dans l'exercice de cette compétence; considérant que, par voie de
conséquence, la Cour se limitera, dans son examen des mesures
demandées,et des motifs mis en avantpour justifier cesdemandes, à
prendre en considération ceux qui entrent dans le champ d'appli­
cation de la convention surle génocide.>(Application de la conven­
tion pour la préventionet la répressiondu crime de génocide,mesures

conservatoires, ordonnance du 8 avril 1993, C.I.J. Recueil 1993, p. 19,
par.'35.)

Laconvention sur legénocideétendsa protection à tout «groupe natio­
nal, ethnique, racial religieux>>(art. II), cequi signin concretoquele
«droit de chacun» viséà l'article 41 du Statut est celui de tout «groupe
national, ethnique, racial ou religieux>>d'êtreprotégécontre tout acte
((commmis dans !'.intentionde [le]détruire,en tout ou partie>>.
Or, selon ses termes mêmes,l'alinéac)de la demande n'a pas trait aux
droits d'un ((groupe national, ethnique, racial ou religieux en tant que
tel)), mais au droit du «peuple et [de]l'Etat de Bosnie-Herzégovine>>.On

pourrait en principe considérer que le terme «peuple>>se réfère,d'une
certaine manière,à un (<groupenational ou ethnique», objet de la protec­
tion de la convention sur le génocide. Je dis «en principe >>vu qu'en
l'espèce une telle interprétation ne reposerait sur aucun fondement
raisonnable. En l'occurrence,emot <(peupie» ne renvoie pas à une réelle
entiténationale, ethnique ou religieuse homogène. En effet, l'expression
«peuple de Bosnie-Herzégovine>>,qu'utilise le demandeur, recouvre en
fait trois communautés ethniqu Persconséquent, interpréter le mot
«peuple» au sens large comme signifiant ou supposant l'existence d'un
«groupe national, ethnique, racial ou religieux>>aux termes de laconven­

tion sur le génocideaboutirait à un résultatabsurde, particulièrement eu
égard à la teneur de la demande en indication de mesures conservatoires
présentée par le demandeur.
Quoi qu'il en soit, le demandeur lui-mêmereconnaît tacitement qu'il
n'existe pas en Bosnie-Herzégovine d'entité nationale unique car la
mesure conservatoire qu'il propose au paragraphe 2 de sa première
demande et, dans une certaine mesure, aussi au paragraphe 1 de sa
seconde demande tend à ce qu'il soit mis finà l'aide, etc., apportée «à
toute nation ...en Bosnie-Herzégovine».
La formulation mêmedes droits énoncés à l'alinéac)comporte deux
éléments: le premier relèvedavantage d'une déclaration rhétorique que

d'un droit visé par la convention («droit ... d'êtreà tout moment
protégés»)et ~esecond estun exemple classique dejugement provisionnel
(«contre les actes de génocide et autres actes assimilables perpétrés...
par la Yougoslavie (Serbie et Monténégro),agissant de concert avec ses
agents et auxiliaires en Bosnie etlleurs>>).
Amon avis, la condition première à laquelle toute demande en indica­
tion de mesures conservatoires doit satisfaire est que les mesures en ques-

133 455 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (DISS. OP. KREéA)

designed to protect the subject of the dispute and the actual abject of the
principal claim" (PolishAgrarian Reform and German Minority, Orderof

29 July 1933, P.C.l.J., Series A/B, No. 58, p. 178). In the United States
Diplomatie and Consular Staff in Tehran case, the Court bas stressed
in imperative form that the request for the indication of provisional
measures

"must by its very nature relate to the substance of the case since, as
Article 41 [of the Statute] expressly states, their abject is to preserve

the respective rights ... " (l.C.J. Reports 1979,p. 16,para. 28).

This primary condition is not fulfilled in the concrete case. Namely, as
evidenced by paragraph 39 of the latest Order, in passing the Order of
8April, the Court relied solely on paragraph (c)- which means that it did
not accept any one ofthe provision almeasures proposed bythe Applicant
but itfound a basis for passing the Order in the part of the request dealing
· with the "Legal rights sought to be protected by the indication ofprovi­

sional measures". This part of the request, however, is an explanation of
the reasons behind the request for provisional measure ("reasons there­
for")to use the terminology of Article 73, paragraph 2, of the Rules, so
that even if it were to be perfectly worded it would be no more than one
element of the request.

According to Article 73, paragraph 2, of the Rules of Court, the Court
decides to indicate provisional measures on the basis of a request which
"shaH specify the reasons therefor, the possible consequences if it is not
granted, and the measures requested".
ln view of the fact that the Applicant's first request bad contained a
proposai for the indication of provisional measures, it follows that the
Court deemed those provisional measures, as bad also been the case with
respect to the provisional measures proposed in the second request,
inappropriate to the abject of the dispute and it passed the Order on the
basis of the formulation of rights whose protection was requested.
Th at being so, as confirmed byparagraph 39of the Order of 13Septem­

ber 1993,in my opinion, the question emerges whether the Court should
have decreed the Order of 8 April 1993?
What are the reasons behind the flagrant discrepancy between the
measures the Applicant is proposing on the one band and the prima facie
established jurisdiction of the Court to decide only on those measures
and grounds "which fall within the scope of the Genocide Convention"
(l.C.J. Reports 1993,p. 19, para. 35) on the other? 1 deem the answer to
this question to be relevant in the circumstances of the case because in
itself,nd even more in the context ofthe case, itcannot but affect bath the
wording and the substance of the pronounced provisional measures.

134 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. DISS. KREtA) 455

tion doivent <<êtrceonsidéréescomme tendant uniquement à sauvegarder
l'objet du. différend et l'objet de la demande principale elle-même»
(Réforme agraire polonaise et minoritéallemande, ordonnance du 29juillet
1933, CP J.f. sérieA/B n° 58, p. 178). Dans l'affaire relative Person­
nel diplomatique et consulaire des Etats- Unis à Téhéla Cour a souligné
de façon impérative q~e la demande en indication de mesures conserva­
toires

<~anécessairement, par sa nature même,un lien avec lasubstance de
J'affaireuisque; comme l'article 41 [du Statut] l'indique expressé­
ment, son objet est de protégere droit de chacun ...»C.I.J. Recueil
1979,p. 16,par. 28).

Cette condition première n'est pas remplie en l'occurrence. En effet,
comme lemontre le paragraphe 39de la dernière ordonnance, la Cour, en
rendant l'ordonnance du 8avril, s'estfondéeuniquement sur l'alinéac)de
la demande - ce qui signifie qu'elle n'a invoquéaucune des mesures
conservatoires proposéespar le demandeur, mais qu'elle a trouvématière

à rendre une ordonnance dans lapartie de la demande traitant desdroits
juridiques que vise à protéger la demande en indication des mesures
conservatoires>>.Toutefois, cette partie de demande est un exposédes
motifs à l'appui de la demande en indication de mesures conservatoires
(<~l m otifs sur lesquels ellese fonde)), pour reprendre laterminologie du
paragraphe 2de l'article73du Règlementde laCour), de sorte que, même
si elle était parfaitement formulée, elle ne constituerait jamais qu'un
élémentde la demande.
Aux termes du paragraphe 2de l'article 73du Règlementde la Cour, la

Cour décide d'indiquer des mesures conservatoires sur la base d'une
demande qui «indique les motifs sur lesquels eUe se fonde, les consé­
quences éventuellesde son rejet et les mesures sollicitées>>.
Etant donnéque la première demande du demandeur proposait l'indi­
cation de certaines mesures conservatoires,s'ensuit que la Cour aestimé
que ces·mesures, de mêmeque ceUesquiont été proposéesdans laseconde
demande, sont inappropriées eu égard à l'objet du différend et que c'est
sur la base de l'énoncédes droits dont la protection était recherchée
qu'elle a rendu son ordonnance.
Cela étant,comme le confirme le paragraphe 39 de l'ordonnance du

13septembre 1993, ilse pose à mon avis la question de savoir si la Cour
aurait dû rendre l'ordonnance du 8avril 1993.
Comment expliquer la différence flagrante entre les mesures que le
demandeur propose, d'une part, et la compétence de la Cour, établie
prima facie,pour se prononcer uniquement sur les mesures et motif< ~ui
entrent dans le champ d'application de la convention sur le génocide>>
(C.l.J. Recuei/1993,p. 19,par. 35), d'autre part? Vu les circonstances de
l'espèce,ilme semble que la réponseà cette question est pertinente parce
que, en elle-même,et plus -encoredans le contexte de la présenteaffaire,
eUe ne peut que rejaillir tant sur la formulation que sur le contenu des

mesures conservatoires prononcées.

134456 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (DISS. OP. KREéA)

Correct interpretation of the documents of the case suggests that it isthe
Applicant's intention to extend the dispute. Namely: the request for the
indication of provision al measures of protection submitted by the Appli­
cant on 27July contains inter alithat ratiobehind the submission of such
a request:
"This request for additional measures of protection is motivated

by the desire to have the Court protect the 'rights'of the People and
State of Bosnia and Herzegovina. Moreover, this request for addi­
tional measures of protection is also motivated by the desire to have
the Court protect the veryexistence of the People and State of Bosnia
and Herzegovina from extermination by means of genocide, par­
tition, dismemberment, annexation and incorporation by the
Respondent. Since the Court bas the legal power to protect the
'rights' of Bosnia and Herzegovina, then a fortiorithe Court must
have the legal power to protect Bosnia and Her2:egovina itself."
(Request for the indication of provisional measures of protection

submitted by the Government of the Republic of Bosnia and Herze­
govina, Preamble.)
In the part of the request titled "D. The Consequences Sought to be
Avoided by Provisional Measures" which, pursuant to the provision of
Article 73, paragraph 2, is an obligatory and integral component of the
request in which a party "shaH specify the reasons therefor", the Appli­

cant states:
"The overriding objective of this request is to prevent the further
Jossof human life and further acts of genocide against the People of
Bosnia and Herzegovina, as weil asto prevent the partition, dismem­
berment, annexation, incorporation and final destruction of the
Republic of Bosnia and Herzegovina itself, a sovereign State and
Member of the Vnited Nations Organization." ·

Such a position on the part of the Applicant which in concrete terms
means a reques·t for the indication of provisional measures, made it
incombent upon the Court, in my opinion, to look into two things :

(1) the meaning of such an act within the framework ofthe actual opening
proceedings and in the light of the provisional measure under para­
graph 52B,Orderof8 Aprill993, which, interaliasaysthatthe Appli­
cant "should not take any action ... which may aggravate or extend
the existing dispute over the prevention or punishment ofthe crime of
genocide ... "; and
(2) the particular meaning of such an act in the context of the efforts being
invested by the Conference in Geneva to seek out a political settle­

ment to the tragedy of Bosnia-Herzegovina. For, on the basis of the
Applicant's submissions, the conclusion may be drawn that the pur­
pose of the provisional measures is also to prevent the adoption
of the Owen-Stoltenberg Peace Plan for Bosnia. The Applicant's
written submission of 10 August states, inter alia:

135 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. DISS. KREéA) 456

Unejuste interprétation des piècesde l'instance laisseentrevoir qu'ilest
dans l'intention du demandeur d'étendrele différend. Plus précisément,
la demande en indication de mesures conservatoires présentée par le
demandeur le 27juillet énoncenotamment comme motif sous-jacènt à la
présentation d'une telle requêtela raison ci-après:
<<Cettedemande en indication de mesures conservatoires supplé­

mentaires est motivéepar le désirde voir protéger par la Cour les
<<droits>>du peuple et de l'Etat de Bosnie-Herzégovine. En outre,
cette demande en indication de mesures conservatoires supplémen­
taires est aussi motivéepar ledésirde voirprotégerpar la Cour l'exis­
tence mêmedu peuple et de l'Etat de Bosnie-Herzégovine contre
l'extermination par le génocide, la partition, le démembrement,
l'annexion ou l'absorption par ledéfendeur.Comme laCour ajuridi­
quement le pouvoir de protégerles <<droits»de la Bosnie-Herzégo­
vine, elle doit à fortiori avoir juridiquement le pouvoir de protéger
la Bosnie-Herzégovinè elle-même.>> (Demande en indication de
mesures conservatoires présentéepar le Gouvernement de la Répu­
blique de Bosnie-Herzégovine,préambule.)

Dans le passage de la demande intitulé «D. Les conséquences que les
mesures conservatoires sollicitéesvisentà éviter>>qui, en vertu du para­
graphe 2 de l'article 73, fait obligatoirement partie intégrante de la
demande, la partie devant y indiquer <<les motifs sur lesquels elle se
fonde)),le demandeur affirme:

<<L'objectifpremier de la présente demande est de prévenir de
nouvelles pertes en vies humaines et de nouveaux actes de génocide
contrelepeuple de Bosnie-Herzégovineet d'empêcherlapartition, le
démembrement, l'annexion, l'absorption et la destruction définitive
de la République de Bosnie-Herzégovineelle-même,Etat souverain
et Membre de l'Organisation des Nations Unies.>>

Face à une telle position de la part du demandeur, qui représente en
termes concrets une demande en indication de mesures conservatoires,il
incombe à mon avis à la Cour de se pencher sur deux points :
1) lasignification d'un tel acte dans laphase initiale de la présenteprocé­
dure, àla lumièrede la mesure conservatoire viséeau paragraphe 52 B
de l'ordonnance du 8avrill993 qui, entre autres, énonceque ledeman­
deur doit <ne prendre aucune mesure ...qui soit de nature à aggraver

ou étendre le différend existant sur la prévention et la répressiondu
crime degénocide... >>;
2) la signification particulière d'un tel acte dans le contexte des efforts
déployésà la conférence de Genève en vue de trouver un règlement
politiqueà la tragédiede la Bosnie-Herzégovine.En effet, on pourrait
déduiredes conclusions du demandeur que lebut des mesures conser­
vatoires est égalementd'empêcherl'adoption du plan de paix Owen­
Stoltenberg pour la Bosnie puisque, dans sa communication écritedu
10août, ledemandeur affirme entre autres:

135457 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (DISS. OP. KREéA)

"it isobvious that the Owen-Stoltenberg Plan isadiktat that isthe
legal equivalent to what Hitler presented to Czechoslovakia at
Munich in 1938.The Plan is based upon the assomption that the
Republic of Bosnia and Herzegovina - a Member State of the
United Nations - will be carved up into three independent
States and deprived of our United Nations membership",

and

"we most respectfully request the Court to grant immediate!y ali
orthe reliefspecified in (1), (2),(3) and (4)above and, in particu­
lar but not limited to, theten measures of provisional protection
set forth in our second request as weil as ali of the measures
proprio motu suggested therein." (Letter of the Agent of Bosnia
and Herzegovina to the Court, dated 7August 1993.)

There is no doubt thatthis isa question which isoutside the jurisdiction
of the Court. To my mind, however, the fact that it isdoes not exclude the
Court, but on the contrary, should prompt the Court, bearing in mind the
crucial importance of the peace negotiations as the only way to end the
infemo of civilwar and the massive suffering of the innocent population,
to find a way to urge the Applicant to continue the peace negotiations in
Geneva with the Croat and the Serb side (per analogiam with the Court in
Passage through the Great Belt (Finland v. Denmark), Provisional Measures,
Orderoj29July 1991, I.C.J. Reports 1991,p. 20, para. 35).

II

More than 30 years ago, Sir Hersch Lauterpacht wrote: "A substantial
part of the task of judicial tribunats consists in the examina tion and the
weighing of the relevance offacts." (H. Lauterpacht, The Development of
International Law by the International Court, 1958,p. 48.)
If the examination of facts is of crucial importance in court proceed­
ings, and there can be no doubt it is, then it isafortiori important in the
process of indication of provisional measures. In a procedure that is char­

acterized by urgency, the Court's possibilities for making an unbiased and
critical assessment of the factual situation are necessarily limited. In each
particular case, the Court isin actual fact seeking to strike a fine and deli­
cate balance between Scylla - the need to respond to the urgency of the
provisional measures - and Charybdis - the imperative requirement not
to distort the facts in doing so.
The procedure of indication of provisional measures relies heavily
on refutable assomptions (presumptio juris tantum), e.g., the refutable
assomption that the Court has jurisdiction in the merits of the case in

136 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. DISS. KREtA) 457

<<ilest donc manifeste que le plan Owen-Stoltenberg est un diktat

équivalantsur le plan juridique à celui qu'Hitler avait imposéà la
Tchécoslovaquie à Munich en 1938.Ce plan repose sur l'idéeque
la Républiquede Bosnie-Herzégovine- Etat Membre de l'Orga­
nisation des Nations Unies - devra êtredémembréeen trois Etats
dépendants et privée de sa qualité de membre des Nations
Unies»,

et
«nous prions très respectueusement la Cour d'indiquer immé­
diatement toutes les mesures énoncéesdans les documents 1,2,3

et 4 susmentionnés et notamment, màis sans s'y limiter, les dix
mesures conservatoires visé.esdans notre deuxième demande,
ainsi que toutes les mesures conservatoires indiquéesd'office qui
y sont proposées}}(Lettre en date du 7 août 1993 adressée à la
Cour par l'agentde la Bosnie-Herzégovine).

Amon avis,bien qu'il ne fasse aucun doute que cette question setrouve
en dehors de la compétencede la Cour, cela n'empêchepas cette dernière
de trouver un moyen d'exhorter le demandeur à poursuivre les négocia­
tions de paix à Genève avec les Croates et les Serbes; tout au contraire,
ayant à l'esprit l'importance cruciale des négociations de paix comme
unique moyen de mettre un terme à l'enfer de la guerre civile et aux
profondes souffrances des populations innocentes, la Cour devrait y être
encouragée (par analogie avec l'affaire du Passage par le Grand-Belt
(Finlande c. Danemark), mesures conservatoires, ordonnance du 29 juillet
1991, C.IJ. Recueil1991, p. 20, par. 35).

II

Il ya plusde trente ans, sir Hersch Lauterpacht a écritque «La mission
des tribunaux judiciaires consiste pour une large part à examiner et à
peser la pertinence des faits.» (H. Lauterpacht, The Development of Inter­
national Law by the International Court, 1958, p.48).
Sil'examen desfaits est d'une importance cruciale lors d'une procédure
judiciaire, et cela nefait aucun doute,lest à fortiori décisiflors'ils'agit
d'indiquer des mesures conservatoires. Dans une procédure qui se carac­
térisepar l'urgence,lespossibilitésqu'a la Cour de procéder àune évalua­
tion impartiale et critique de la situation de fait sont nécessairement

limitées.Dans chaque cas particulier, la Cour cherche en fait àtrouver un
équilibresubtil et délicatentre Scylla - la nécessitéde répondre à l'ur­
gence des mesures conservatoires - et Charybde - l'exigence impé­
rieuse de ne pas, ce faisant, déformerles faits.
. Laprocédureenindication de mesures conservatoires repose engrande
partie sur des présomptions réfragables (presumptio juris tantum),notam­
ment la présomption simple de compétencede la Cour quant au fond de

136 458 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (DISS. OP. KREéA)

which provisional measures are adopted. The logic of presumption isalso
expressed in the terminology used, since Article41 of the Statute uses the
term "parties", although strictly speaking the parties affected by provi­
sional measures need not be the actual parties to the dispute which is to
be resolved by a judgment conceming the rights which the provisional
measures are supposed to protect (exempli causa, the Anglo-Iranian
OilCo.case).

Prima facie,an assessment is justified in cases when the Court estab­
lishes its ·competence in the procedure of indicating provisional
measures. And that, in my view, is the absolute limit for the application

prima facie of presumption in the incidental procedure of provisional
measures. For even an incorrect assessment of jurisdiction, in the final
analysis, does not affect legal security, in fact it enhances it in view of the
inherent advantages of the judicial seulement of disputes over other
modes of resolving disputes.

However, an incorrect assessment of facts necessarily leads to the
erroneous application oflaw which isthe ontological antipode ofthe ideal
ofjudicial proceedings. And a prima facie assessment of facts necessarily
entails a very high riskf mistake.

There is not, nor should there be,any substantial difference between the
establishment of facts in an incidental procedure, regardless of the parti­
cular incidental procedure involved, and the establishment of facts in the
merits of the case. Beingestablished by decision ofthe Court, orders indi­
cating provisional measures have a real and· objective value, although
orders do not createresjudicata- in other words, the differentia specifica
between these two kinds of Court decisions being that provisional
measures may be re-examined in the merits of the case.

If the term "fact" istaken in its ordinary meaning as "a thing certainly

known to be true" then the only clear and recognizable fact is the apoca­
lyptic tragedy of the Muslims, Serbs and Croats in the war-devastated
parts of Bosnia-Herzegovina. Aside from that fact there is a vast expanse
of subjectivism which feeds on media propagand:i, television and news­
paper reports teeming with generalizations, imprecise and vague expres­
sions such as "many observers", "diplomats suggested ... ", "he noted
intelligence reporindica .."annd the like which cannat, even ifliberal
criteria ad absurdum were to be applied, be accepted as evidence.

Subjectivism hasan intolerable tendency of spreading easilyltleads to
expressions with an ordinary meaning being imbued with a meaning that
·isinthe interest ofone party inthe dispute. In the process, inthe interest of

137 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. DISS. KREtA) 458

l'affaire dans laquelle des mesures conservatoires sont adoptées. Lalo­
gique du mécanismede présomptionsereflèteégalementdans latermino­
logie utilisée, dans la mesure où l'article 41 du Statut utilise le terme
de <iparties)), bien qu'il ne soit pas nécessaire,à strictement parler, que
les parties concernées par les mesures conservatoires soient également

les parties au différend qui doit êtreréglépar un arrêtportant sur les
droits que les mesures conservatoires sont censéesprotéger(voir, à titre
d'exemple, l'affaire de l'Anglo-Iranian Oil Co.).
De prime abord, une appréciation se justifie dans les cas où la Cour
établit sa compétence dans une procédure en indication de mesures
conservatoires. Et, à mon avis, ils'agit là de la limite absolue à l'applica­
tion primafacie de laprésomptiondans une procédure incidente d'indica­
tion en mesures conservatoires. En effet, en dernière analyse, mêmeune
appréciation incorrecte de la compétence ne porte pas atteinte à la sécu­
ritéjuridique; en fait, elle la renforce plutôt vu les avantages inhérentsau
règlementjudiciaire par rapport aux autres modes de règlementdes diffé­
rends.
Toutefois, une appréciation incorrecte des faits conduit nécessairement

à une application erronéedu droit, ce qui, d'un point de vue ontologique,
se trouve aux antipodes de l'idéalassignéaux procédures judiciaires. Et
une appréciation prima facie des faits comporte inévitablement un très
haut risque d'erreur.
Il n'y a pas, ni ne devrait y avoir,e différence réelleentre l'établisse­
ment des faits lors d'une procédure incidente, quel que soit le type de
procédure particulière dont il s'agit, et l'établissement des faits lors de
l'examen au fond de l'affaire. Rendues sur décisionde la Cour, les ordon­
nances indiquant des mesures conservatoires ont une valeur réelle et
objective, bien qu'elles ne soient pas revêtuesde l'autorité de la chose
jugée.En d'autres termes, la différencespécifiqueentre cesdeux types de
décisions de la Cour résideen ce que les mesures conservatoires sont

susceptibles de faire l'objet d'une nouvelle appréciation lors de l'examen
au fond de l'affaire.
Si le terme «fait» est pris dans son sens ordinaire, c'est-à-dire «une
chose dont l'existence ne fait aucun doute>>,seule la tragédieapocalyp­
tique que subissent les Musulmans, les Serbes et les Croates dans les
régionsde la Bosnie-Herzégovinedévastées par laguerre constitue un fait
clair et reconnaissable. Ce fait mis à part, l'on est en présence d'un
immense subjectivisme, alimenté par la propagande des médias et les
rapports de la télévisionet des journaux où foisonnent généralisationset
expressions imprécisesetvagues telles que «de nombreux observateurs»,
<(des diplomates ont laisséentendre ...», <(sur la base de rapports des
servicesde renseignements indiquant que...>>e,tc., qui ne sauraient, même
en appliquant le critère du libéralismejusqu'à l'absurde, êtreadmis en

tant qu'élémentsde preuve.
Le subjectivisme a une tendance intolérable à se propager très aisé­
ment. Ilconduit à ceque des expressions dotéesd'un sens ordinaire soient
chargéesd'une signification qui est dans l'intérêd te l'une des parties au

137459 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (DISS. OP. KREéA)

obtaining the expected result, the fact is neglected that interpretationin
good faith implies that "if the relevant words in their natura! and ordinary
meaning make sense in their context, that is an end of the matter" (Com­
petence of the General Assembly for the Admission of a State to the

United Nations, Advisory Opinion, I.C.J. Reports /950, p. 8).

By the nature of its fonction, in searching for the material truth, the
Court naturally cannot and may not apriori exclude any source of infor­
mation but, at the same time, itis duty bound to subject each and every
report to critical scrutin y as that is the only way to avoid it becoming any­

body's hostage except the hostage of facts and the truth.
The term "evidence" covers "real evidence, documentary proofs and
the testimon y of witnesses and experts, advanced by a party either on its
own motion or at the invitation of the Court" (M. Hudson, .ThePermanent
Court of International Justice, 1920-19421972, p. 565).

If we abide by this definition of the term "evidence", it is my impression
that the Court bas not devoted due attention toth ose proofs which contain
nam es, testimony of witnesses, research findings, etc., as stipulated by the
provisions of the Rules of Court (exempli causa, Arts. 65, 66 and 67).

Media information may not perse, in my opinion, be taken as evidence
and stiJl less as irrefutable, hard proof of the existence of the relevant fact.
At best it can be taken as evidence tending to establish fact.

In my opinion in this particular matter, the Court is not in possession of

hard facts. That is one side of the coin. The other is the obvious need of the
Court, in view of the fact that in this particular dispute it bas prima facie
established itsjurisdiction, to react to the suffering and persecution of ali
three peoples in Bosnia-Herzegovina in an appropriate manner that
would be in harmony with the current ph~s ef the proceedings. The
humanitarian dimension of the Court's decision is of fondamental

importance in this case.
The humanitarian dimension of the Court's decision, as 1see it, is not
derived from what might conditionally be called the humane conc_ems
shaping public opinion, which are both genuine and emotional, but from
the humaneness inherent in the substance of the law applied by the Court.

Hence, it would appear that in this specifie case and proceeding from
the fact that

"the essential object of provisional measures is to ensure that execu­
tion of a future judgment on the merits shall not be frustrated by the
actions of one party pendente lite" (l.C.J. Reports 1976, separate
opinion of President Jiménez de Aréchaga, p. 15),

two facts are of special importance:

138 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. DISS. KREtA) 459

différend. Ce faisant, dans le désir de parvenir au résultat escompté, on
oublie que l'interprétation de bonne foi implique que «si les mots perti­
nents, lorsqu'on leur attribue leur signification naturelle et ordinaire, ont
un sens dans leur contexte, l'examen doit s'arrêterlà)) (Compétencede

l'Assembléegénéralepour l'admission d'un Etat aux Nations Unies, avis
consultatif, C.l.J. Recuei/1950,p. 8).
De par la nature de sa fonction, la Cour, à la recherche de la véritématé­
rielle, ne peut ni ne doit exclure à prioriquelque source d'information que
ce soit. En mêmetemps, elle est tenue de soumettre chaque rapport à un
examen critique afin d'éviterde devenir l'otage de qui que ce soit, si ce

n'est celui des faits et de la vérité.
L'expression« moyens de preuve)) englobe «les pièces à conviction, les
preuves documentaires et les dépositions des témoins et experts citéspar
une partie soit de sa propre initiative, soit à la demande de la Cour))
(M. Hudson, Jhe Permanent Court of International Justice, 1920-1942,
1972, p. 565).
Si nous nous en tenons à cette définition de l'expression «moyens de

preuve)), il me semble que la Cour n'a pas accordétoute l'attention voulue
aux élémentsfaisant état de noms, aux dépositions des témoins, aux
conclusions des recherches, etc., comme le prévoient les dispositions de
son Règlement, par exemple les articles 65, 66 et 67).
A mon avis, des élémentsd'information tirésdes médias ne sauraient,
en eux-mêmes, êtreconsidéréscomme des moyens de preuve et moins

encore comme des preuves solides et irréfutables de l'existence des faits
en question. Tout au plus peuvent-ils êtreconsidéréscomme des indices
tendant à établircertains faits.
Selon moi, en l'occurrence, la Cour n'est pas en possession de faits soli­
dement établis. Il s'agit làd'un côtéde la médaille. La nécessitéévidente
pour la Cour, ayant établien l'espècesa compétence primafacie, de réagir

aux souffrances et à la persécution des trois peuples de Bosnie-Herzégo­
vine, d'une façon appropriée et qui soit compatible avec la phase actuelle
de la procédure, constitue le revers de cette mêmemédaille. En l'espèce,la
dimension humanitaire de la décision de la Cour est d'une importance
capitale.
Il me semble que cette dimension n'est pas dictée par ce que l'on pour­
rait appeler, sous condition, les préoccupations humanitaires, à la fois

authentiques et d'ordre émotionnel, qui forgent l'opinion publique, mais
bien par la qualité humaine inhérente au fond du droit qu'applique la
Cour.
Par conséquent, ilsemblerait que dans la présente affaire, vu que

ide but essentiel des mesures conservatoires est d'assurer que l'exé­
cution d'une décision ultérieure sur le fond ne sera pas compromise
par les actions de 1'une des partiespeildente lite))(C.I.J. Recuei/1976,
opinion individuelle de M. Jiménez de Aréchaga, Président, p. 15),

deux élémentssoient particulièrement importants:

138460 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (DISS. OP. KREtA)

(1) That the jurisdiction of the Court was established prima facie. The
urgency of the provisional measures may not a priori presume the

jurisdiction of the Court in the merits. As Judge Gros pointed out
in the Nuclear Tests case :

"ln the decision which the Court bas to take on any request for
provisional measures, urgency is not a dominant and exclusive con­
sideration; one bas to seek, between the two notions of jurisdiction
and urgency, a balance which varies with the facts of each case."
(Nuclear Tests (Australia v. France), Interim Protection, Order of
22 June 1973,I.C.J. Reports 1973,dissenting opinion of Judge Gros,
p.l20.)

ln this case this applies in particular to the jurisdiction of the Court
rationemateriae.
(2) The distinctive nature of the crime ofgenocide. Asa delictumjuris gen­
tiumthe crime of genocide implies the cumulation of two elements -
the materi al(the commission ofthe acts indicated a liminein Article II
ofthe Convention) and the subjective (the intention (dolusspecialis)to
"destroy, in whole or in part, a national, ethnical, racial or religions

group, as such").
In the absence of conclusive evidence and on the grounds of what 1

have said, it is my view that the Court should move away from the uncer­
tain terrain of offered evidences to the hard, precise concept of notoriety.
The concept of notoriety in concreto is in full harmony with what
Judge Bedjaoùi pointed out in his dissenting opinion in the Lockerbie
case:

"The present phase allows [the Court] only to entertain a provi­
sional and merely prima facie idea of the case, pending later consid­
eration of the merits in a fully comprehensive way." (Questions of
Interpretation andApplicationof the 1971Montreal Convention arising
from the Aerial Incident at Lockerbie (Libyan Arab Jamahiriya v.
United Kingdom, Provisîonal Measures, Order of 14 April 1992,
l.C.J. Reports 1992,p. 33.)

The principal elements of the concept of notoriety, logically and
empirically irrefutable, would in this particular case imply:

(a) the places where mass destruction ofpeople occurs;
(b) under whose jurisdiction those places are; a~d
(c) who is prima facie responsible in the light of obligations imposed by
relevant Articles ofthe Genocide Convention.

1 hold that in the interest of justice, effective jurisdiction should be taken

as a second element ofnotoriety in spite of the fact that before the Human
Rights Committee the Applicant confirmed that

139 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. DISS. KREéA) 460

1) La compétence de la Cour a étéétablie prima facie. L'urgence des
mesures conservatoires ne peut à priori présumer la compétence de la
Cour quant au fond. Ainsi que M. Gros l'a souligné dans l'affaire des
Essais nucléaires:

«Dans le jugement que la Cour doit porter sur toute demande de
mesures provisoires l'urgence n'estpas une considération dominante

7t exclusive;ilfaut rechercher entre les deux notions de juridiction et
d'urgence un équilibrequi varie avec les donnéesde chaque affaire.>>
(Essais nucléaires(Australie c. France), C.l.J. Recueil 1973, mesures
conservatoires, ordonnance du 22 juin 1973, opinion dissidente de
M. Gros, p. 120.)

En l'espèce,cela s'applique en particulier à la compétence de la Cour
ratione materiae.

2) La nature distinctive du crime de génocide. En tant que delictumjuris
gentiurn, le crime de génocide implique la combinaison de deux
éléments:1'élémentmatériel(la commission d'actes indiqués a limine à
l'article II de la convention) et l'élémentsubjectif (le dolus specialisou
intention de «détruire, en tout ou partie, un groupe national, ethnique,

racial ou religieux, comme tel))).

En l'absence de preuve concluante et sur la base de ce qui précède,il me
semble que la Cour devrait s'éloigner du terrain incertain des preuves
avancées pour s'en tenir au concept solide et précisde notoriété.L'idéede
notoriétéin concreto est en totale harmonie avec ce que M. Bedjaoui a
soulignédans son opinion dissidente dans l'affaire de Lockerbie:

«La phase actuelle ne lui permet [à la Cour] d'avoir qu'une idée
provisoire et simplement prima facie du dossier, en attendant de se
saisirdu fond dans toutes ses dimensions.» (Questions d'interpréta­
tion et d'application dea convention de Montréalde 1971 résultantde
l'incident aériende Lockerbie {Jamahiriya arabe libyenne c. Royaume­
Uni), mesures conservatoires, ordonnance du 14 avril 1992,

C.I.J. Recueil/992, p. 33.)

Les principaux élémentsdu concept de notoriété, irréfutables d'un
point de vue logique et empirique, seraient en l'occurrence:

a) leslocalitésoù la population est massacrée;
b) lesdétenteurs de lajuridiction sur ceslocalités;
c) les responsables primafacie, à la lumière des obligations imposéespar
lesarticles pertinents de la convention sur legénocide.

J'estime que, dans l'intérêdte lajustice,ajuridiction effective devrait être
considéréecomme la seconde composante du concept de notoriété,alors
mêmeque, devant le comité des droits de l'homme, le demandeur a
confirmé que

139461 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (DIS S. OP. KREéA)

"the Republic ofBosnia-Herzegovina considers itselflegally respon­
sible for whatever bas taken place not ontyin that part of its territory
on which it bas factual and effective controlbut aIso in other parts of
its territory" (United Nations, Human Rights Committee, Interna­
tional Covenant on Civil and Po/itical Rights, CCPR/C/79/ Add.l4,
28 December 1992).

Itseems almost superfluous to note that the concept of notoriety is not
ideal. The shortcomings ofthis concept are evident. Basically, they are the
antipodes of its inherent advantages. White its constituent elements rest
on firm logical and empirical grounds, they are at the same time general­
ized and relatively ill-adapted to specifie events and cases. That is pre­
cisely why notoriety constitutes a kind of reserve reliance for the Court in
cases when it isnot in possession of irrefutable evidence.

This very defect of notoriety, in cases such as this one, tums into an
invaluable advantage. A dominant characteristic of this case is that

humanitarian reasons require the Court's reaction even though, in terms of
law,the fundamental identity between the proposed provisional measures,
on the one band, and the subject-matter ofthe case, on the other, would
suggest extreme restraint in the reaction because of the danger of falling
into thetrap of an interim judgment.

Notoriety, as a basisof the Court in the indication of provisional ineas­
ures, provides a chance for those measures to betailored to the characteris­
tics of this case as I have described them. In other words, to be worded in
the form of general measures or, altematively, as specifie measures
designed to remove or at !east mitigate the effects of the causes, i.e., the
facts which have resulted in the tragedy of civil warin Bosnia-Herzego­
vina.

III

Bearing in mind what 1 said earlier, including the concrete proposais
made, 1 shaH briefly outline my opinion regarding the provisional meas­
ures contained in the Order.
My views on the Order are determined bath by the content of the indi­

vidual provisional measures and, at !east as much, bythe fact that Isee the
Order as an organic unity, an integral act.

The measure underA( 1)prima fade isadeclaration ofthe general obli­
gation of the contracting parties to the Genocide Convention and there­
fore the Respondent as well, to "take ali measures within [their]power to
prevent commission of the crime of genocide".
However, the general nature of the obligation that applies to ali con­
tracting parties is derogated bath by the one-sided nature of the measure

140 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. DISS. KREtA) 461

<~l aépublique de Bosnie-Herzégovine se considère légalement
responsable de tout cequi s'estproduitnon seulement sur lapartie de
son territoire sur laquelle elle exerce un contrôle réelet effectif, mais
égalementsur les autres parties de son territoire}} (Nations Unies,
Comitédes droits de l'homme, Pacte international relatif aux droits
civilsetpolitiques,CCPR/C/79/ Add.14, 18décembre 1992).

Ilparaît presque superflu de souligner à quel point le concept de noto­
riétéestloin d'êtreidéal;ses lacunes sont évidentes.Ellessont diamétrale­
ment à l'opposé de ses avantages inhérents. Alors que ses éléments
constitutifs reposent sur de solides bases logiques et empiriques, leur
portée est en mêmetemps trop généraleet ils sont relativement mal
adaptésà des événementset cas particuliers. C'est précisémentla raison
pour laquelle l'idéede notoriétéconstitue en quelque sorte un fondement
accessoire pour la Cour, dans les cas où elle n'est pas en possession de
preuves irréfutables.
Dans des affaires telles que celle qui nous occupe, ces imperfections
mêmesde l'idéede notoriétésetransforment en avantage incalculable. Le
fait que des raisons humanitaires imposent à la Cour de réagirest l'undes

traits saillants de cette affaire mêmesi, en termes juridiques, l'identité
fondamentale qui existe entre les mesures conservatoires proposées,
d'une part, et l'objet de la cause, d'autre part, inciterait à une extrême
prudence dans cette réaction du fait du danger qu'ily a à tomber dans le
pièged'un jugement provisionnel.
En tant que notion sur la base de laquelle la Cour pourrait indiquer des
mesures conservatoires, l'idéede notoriétépermet d'adapter cesdernières
aux caractéristiques de l'affaire telles que je les ai décrites,autrement dit
de les formuler soit sous la forme de mesures générales,soit sous la forme
de mesures spécifiquesdestinéesà éliminerou, tout au moins, à atténuer
les effets des causes, c'est-à-dire les faits qui ont débouchésur la tragédie
de la guerre civile en Bosnie-Herzégovine.

III

Gardant à l'esprit ce qui précède,ycompris les propositions concrètes
que j'ai avancées,je vais m'attacher à exposer brièvement mon opinion
concernant les mesures conservatoires indiquéesdans l'ordonnance.
Mon point de vue sur l'ordonnance est déterminé à la fois par le
contenu des diverses mesures conservatoires et, au moins autant, par le

fait queje considère'ordonnance comme une unitéorganique, comme un
tout.
De prime abord, la mesure Al) énoncel'obligation généralede toute
partie contractante à la convention sur le génocide,et donc du défendeur
également,de «prendre toutes les mesures en son pouvoir afin de préve­
nir la commission du crime de génocide)}.
Toutefois, la nature généralede l'obligation qui s'impose à toutes les
parties contractantes esttenue en échecà la fois par lecaractère unilatéral

140462 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (DISS. OP. KROCA)

- it is addressed to the Respondent alone - and by the wording used.

The conclusion suggested is that the Respondent is failing to honour the
commitment made in signing the Genocide Convention and that bence
the Respondent "should immediately ... take ali measures within its
power to prevent commission of the crime of genocide", or that the
Respondent bas certain special obligations deriving from the Genocide
Convention.
The provisional measure under A (2) is extremely ambig~ and us
suggestive. By wording and content, it is dangerously close to or could
even be said to incorporate elements of an interim judgment both in its
present form and potentially.

In its present form because it is

"open to the interpretation that the Court believes that the Govem­
ment of the Federal Republic of Yugoslavia is indeed involved in
such genocidal acts, or at !east thatmay very weil be so involved"
(Application of the Convention on the Prevention and Punishment of the
Crime of Genocide, Provisional Measures, Order of 8 April 1993,

I.C.J. Reports 1993,eclaration of Judge Tarassov, p. 26).
The potential prejudicialeffectof thisprovisionalmeasureisto be found
in the stipulation that the Govemment of the Federal Republic of Yugo­
slavia should in particular "ensure" that any military, paramilitary or
irregular armed units which "may" be directed or supported by it and
organizations and persons which "may be subject to its control, direction

or influence" do not commit "any acts of genocide", "of conspiracy·to
commit genocide", "of ... incitement to commit genocide" or of "com­
plicity in genocide". These passages open

"practically unlimited, ill-defined and vague requirements for the
exercise of responsibility by the Respondent in fulfilment of the
Order of the Court, and lay the Respondent open to unjustifiable

biarne for failing to comply with this interim measure" (ibid.,
pp. 26-27).
In fact, the potential prejudical meaning ofthe cited formulationdeas
factobeen realizedby thisOrder. For, byissuing this Order, the Court has,
inter aliaproceeded from the position that it is not satisfied that ali that
might have been done has been done to prevent commission of genocide

in the territory of Bosnia-Herzegovina (Order, para. 57).

The elements of an interim judgment contained in the first two
provisional measures become clearly identifiable if their contents are
interpreted on the basisof argumentum a contrario. lt appears that the
Applicant isnot underany specifie obligation to "immediately ... take ali
measures within its power to prevent commission of the crime of geno­
cide", nor should the Applicant

141 APPLICATION DE CONVENTION GtNOCIDE (OP. DISS. KREéA) 462

de la mesure (elle ne s'adresse en effet qu'au seul défendeur) et par sa

formulation, qui laisse entendre que soitedéfendeur manque à l'engage­
ment qu'il a pris en signant la convention sur le génocideet qu'il est par
conséquenttenu de prendre «immédiatement ...toutes les mesures en son
pouvoir afin de prévenirla commission de crime de génocide>>s ,oit qu'il
est tenu de certaines obligations particulières issues de la convention sur
legénocide.
La mesure conservatoire A 2) est extrêmementambiguë et captieuse.
Tant par son libelléque par sa teneur, elle s'apparente dangereusement à
un jugement provisionnel, dont on pourrait mêmedire qu'elle inclut
certains éléments,tant sous sa forme actuelle que sous sa forme poten­

tielle.
Sous sa forme actuelle, parce qu'elle pourrait
«donner l'impression que la Cour croit que le Gouvernement de la
République fédérativede Yougoslavie est effectivement impliqué
dans ce.sactes de génocide,ou tout au moins, qu'il peut fort b,ien y

êtreimpliqué>> (Application de la convention,pourla prévention et la
répressiondu crime de génocide,mesures conservatoires, ordonnance
du 8 avri/1993,C.I.J.Recuei/1993, déclarationde M.Tarassov, p.26).
Soussa forme potentielle, parceque c'estvirtuellement préjugerlefond
que de dire que le Gouvernement de la République fédérativede Yougo~

slavie doit en particulier «veiller)) à ce qu'aucune des unitésmilitaires,
paramilitaires ou unitésarméesirrégulièresqui «pourraient>> relever de
son autorité ou bénéficierde son appui, ni aucune organisation ou
personne qui ((pourraient se trouver sous son pouvoir, son autorité, ou
son influence ne commettent le crime de génocide,ne s'entendent en vue
de commettre ce crime, n'incitent ... à le commettre ou ne s'en rendent
complices>>.Ces passages

«imposent des conditions pratiquement illimitées,mal définies et
vagues concernant l'exercice de la responsabilitédu défendeur dans
l'exécutionde l'ordonnance de la Cour et l'expose àdes accusations
infondées de ne pas se conformer à cette mesure conservatoire>>
(ibid., p. 27).

De fait, l'ordonnance a donnécorps à la signification potentiellement
préjudicielle des passages cités. En effet, en rendant cette décision, la
Cour est notamment partie du principe qu'elle n'étaitpas convaincue que
tout ce qui pouvait êtrefait l'avait étépour prévenir la commission du
crime degénocidesur leterritoire de la Bosnie-Herzégovine(ordonnance,
par. 57).
Les élémentsrelevant d'un jugement provisionnel contenus dans les
deux premières mesures conservatoires apparaissent clairement comme
telssileur teneur est interprétéà la lumièred'un raisonnement a contra­

rio.Il apparaît que le demandeur n'est tenu d'aucune obligation spéci­
fique d'(dmmédiatement ... prendre toutes les mesures en son pouvoir
afin de prévenirla commission du crime de génocide>>ni de

141463 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (DISS. OP. KREtA)

"ensure that any military, paramilitary or irregular armed units
which may be directed or supported by it, as weil as any organiza­
tions and persans which may be subject to its control, direction or

influence, do not commit any acts of genocide, of conspiracy to com­
mit genocide, of direct and public incitement to commit genocide, or
of complicity in genocide, whether directed against the Muslim
population of Bosnia-Herzegovina or against any other national,
ethnical, racial or religionsroup".

And this at a stage of the proceedings when the Court cannat make
definitive findingsof faCIor of imputability and when, at the same time, it
is evident that"where the risk of genocide was not in Yugoslav territory
but in Bosnia-Herzegovina" and when it was equally evident that both on
the grounds of general international law and on the grounds of its explicit
admission, the Applicant prima facie is primarily responsible for acts of
genocide alleged to have been committed in Bosnia-Herzegovina, and
when the Human Rights Committee, after having

"welcomed the ... affirmation that the Republic of Bosnia-Herzego­
vina considers itselflegally responsible for whatever bas taken place
not only in thatpart of its territory on which it has factual and effec­
tive control but also in the other parts of territory'~,

recommended that the measures already undertaken by the Applicant

"should be further intensified and systematically monitored so as to
ensure that 'ethniecleansing' does not take place, whether as a matter
of revenge or otherwise; ... "(United Nations, Human Rights Com­
mittee, International Covenant on Civil and Politica/ Rights,CCPRI
C/791 Add.l4, 28 December 1992).

What is more, that the measures should be of such a nature is,to a cer­
tain extent, in disharmony with the reasoning of the Court. For in para­
graph 45 of the Order of 8 April 1993,it is statedexpressis verbithat the
Court concluded that

"there is a grave risk of acts of genocide being committed [and that]
Yugoslavia and Bosnia-Herzegovina, whether or not any such acts in
the past may be legally imputable to them, are under a clear obliga­

tion to do ali in their power to prevent the commission of any such
acts in thefuture".

ltis obvious.that this premise bas not been legally and technically imple­
mented in the operative part of the Order of 8 April 1993.
A possible explanation might be found in the position that the obliga­
tion of prevention of genocide for a State as regards aCisor threatened acts
on itsown sovereign territory isevident and itsimplications do not need to
be spelled out or explained in the form of provisional measures.

142 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP.·DISS. KREéA) 463

«veiller à ce qu'aucune des unitésmilitaires, paramilitaires ou unités

arméesirrégulièresqui pourraient relever de son autorité ou bénéfi­
cier de son appui, niaucune organisation ou personne qui pourraient
se trouver sous son pouvoir, son autorité, ou son influence ne com­
mettent le crime de génocide, ne s'entendent en vue de commettre
ce crime, n'incitent directement et publiquement à le commettre
ou ne s'en rendent complices, qu'un tel crime soit dirigé contre la

population musulmane de Bosnie-Herzégovine, ou contre tout autre
groupe national, ethnique, racial ou religieux».

Et cela à un stade de la procédure où la Cour n'est pas habilitée à
conclure définitivement sur les faits ou leur imputabilité, où, en même
temps, il est évident qu'« il existe un risque de génocide, non en territoire
yougoslave, mais en Bosnie-Herzégovine >>etqu'il est tout aussi clair, tant
au regard du droit international généralque sur la base de ses aveux expli­

cites, que ledemandeur est prima facie responsable au premier chef des
actes de génocide présentéscomme ayant étécommis en Bosnie- Herzégo­
vine, et où le comitédes droits de l'homme, après avoir

«constaté avec satisfaction que ...la République de Bosnie- Herzégo­
vine se considère comme légalement responsable de tout ce qui s'est
produit non seulement sur la partie de son territoire qu'elle contrôle
effectivement mais aussi sur les autres parties»,

a recommandé que les mesures déjàprises par le demandeur

«soient encore renforcées et que leur application soit systématique­

ment surveillée afin qu'il n'y ait pas de «nettoyage ethnique>>,dicté
par la vengeance ou tout autre motif...>>(Nations Unies, Comitédes
droits de l'homme, Pacte international relatif aux droits civils et poli­
tiques,CCPRIC/791 Add.l4, 28 décembre 1992).

Qui plus est, la nature des mesures indiquées est, jusqu'à un certain
point, incompatible avec le raisonnement de la Cour. En effet, au para­
graphe 45 de l'ordonnance du 8avrill993, il est affirmé expressément que

la Cour est parvenue à la conclusion que:

«il existe un risque grave que des actes de génocide soient commis;
considérant que la Yougoslavie et la Bosnie-Herzégovine, que de tels
actes commis dans le passépuissent ou non leur êtreimputésen droit,
sont tenues de l'incontestable obligation de faire tout ce qui est en
leur pouvoir pour en assurer la prévention à l'avenir)).

De toute évidence,le dispositif de l'ordonnance du 8 avril1993 n'a donné

à cette prémisseaucune suite juridique ou technique.
Peut-êtrecela s'explique-t-il par le fait que, pour un Etat, l'obligation de
prévenirtout acte ou menace d'actes de génocide sur son propre territoire
va de soi et que point n'est besoin d'en détailler les implications ou de les
expliquer sous forme de mesures conservatoires.

142464 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (DISS. OP. KREéA)

However, such a position does not appear to be tenable and for two
principal reasons:
(1) In this particular dispute, the Court bas linked its prima faciejurisdic­
tion in the indication of provision al measures to the Convention on
Genocide. With respect to the obligation of prevention of the crime of
genocide, the Convention does not contain the principle of universai

repression. lt has firmly opted for the territorial princip le of the obli­
gation of prevention and "the on!y action relating to crimes commit­
ted outside the territory of the Contracting Party is by organs of the
United Nations within the scope ofthe general competence" (Nehem­
iah Robinson, The Genocide Convention, lts Origins and Interpretation,
The Institute of Jewish Affairs, World Jewish Congress, New York;
1949,pp.13-14).
(2) The commission of acts in the territory of another State, be it recog­
nized or unrecognized, would mean violation of the norm of the pro­
hibition of intervention which is,byits nature, jus cogens.

Provisional measures such as those indicated under A(1) and A (2) are
riskyeven from the standpoint of the Court itself.The party that appears to
gain from them may be tempted to repeatedly submit fresh requests for
provisional measures whereby the Court may find itself in a position of
making an estoppel in terms of the facts presented by that party. The
dangers emanating from such a situation are ali the greater in the event
of a close link existing between the provisional measures, on the one
hand, and the actual subject-matter of the case, on the other.

As far as the provisional measure under B is concemed, viewed in
abstracto in technicallegal terms it is a perfect expression of the Court's
practice with respect to provisional measures.
The formulation, however, is not appropriate in view of the circum­
stances of the case. Itplaces both Parties on an equal footing though it is
clear from the Applicant's submissions that by insisting on extending the
Court's jurisdiction beyond the Genocide Convention, on the one hand,
and by the inappropriate content of the request, on the other, its conse­
quence objectively is to "extend the existing dispute over the prevention
or punishment of the crime of genocide" and to "render it more difficult
of solution". ..
Itis my opinion that in the light of the relevant circumstances, two

models of provisonal measures are indicated:
(a) the madel ofprovisional measures which Judge Bedjaoui referred to
in the Lockerbie case as "a general, independent measure, in the form
of an appeal to the Parties ... "(Questions of Interpretation and Appli­
cation of the 1971 Montreal Convention arisingfrom the Aeriallncident

at Lockerbie (Libyan Arab Jamahiriya v. United Kingdom), Provisional
Measures, Orderof 14April 1992, I.CJ. Reports 1992, dissenting opin­
ion of Judge Bedjaoui, p. 48) which in substance corresponds to the
message addressed by the President of the Court to both Parties on
5August 1993;

143 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. DISS. KREtA) 464

Toutefois, ilsemble impossible de soutenir un tel point de vue, et ce
pour deux raisons essentielles:
1) Dans ce différendparticulier, c'est sur la convention sur le génocide
que la Cour a fondé sa compétence prima facie pour indiquer des
mesures conservatoires. Concernant l'obligation de prévention du
crime de génocide,la convention ne pose pas le principe de la répres­
sion universelle. Elle a résolumentopté pour une application territo­

riale de l'obligation de prévention et «seuls les organes des
Nations Unies, dans lechamp d'application de leur compétencegéné­
rale, peuvent prendre des mesures concernant des crimes commis hors
du territoire de la partie contractante» (Nehemiah Robinson, The
Genocide Convention, Its Origins and Interpretation, The Institute of
Jewish Affairs, World JewishCongress, New York, 1 949, p.13-14).
2) La commission d'actes sur leterritoire d'un autre Etat, qu'ilsoit ou non
reconnu, signifierait la violation de la règle de non-intervention,
laquelle, par sa nature, relèvedujus cogens.

Des mesures conservatoires telles que les mesures A 1) et A 2) sont
risquées, y compris pour la Cour elle-même. La partie qui semble ainsi
obtenir gain de cause pourrait êtretentéede présenterde façon répétéd ee
nouvelles demandes en indication de mesures conservatoires, ce qui
placerait la Cour dans 1'obligation de frapper d'estoppe/1exposédes faits
présentés par cette partie. Les dangers inhérentsà une telle situation sont
d'autant plus grands qu'il existe un lien étroit entre, d'une part, les
mesures conservatoires et, d'autre part, l'objet mêmede la cause.
La mesure conservatoire B, considérée in abstractoen termes techni­

quesjuridiques, illustre parfaitement la pratique de la Cour en matièrede
mesures conservatoires.
Néanmoins,la formulation choisie n'estpas àdaptéeaux circonstances
de l'espèce.Elle place en effet les deuxParties sur un pied d'égalitéalors
que, d'une part, les conclusions du demandeur, dans lesquelles celui­
ciinsiste pour élargirla base de compétencede la Cour au-delà de la con­
vention sur le génocide, et, d'autre part, le contenu inapproprié de sa
demande ont pour conséquenceobjective «d'étendre ledifférendexistant
sur lapréventionet larépressiondu crime de génocide))etd'en ((rendre la
solution plus difficile)).
Il m'apparaîtqu'à la lumièredes circonstances pertinentes, deux types
de mesures conservatoires sont indiquées:

a) le genre de mesure conservatoire auquel se référaitM. Bedjaoui dans
l'affaire de Lockerbie: «une mesure généraleindépendante en forme
d'appel aux Parties...))(Questions d'interprétationet d'application de la
convention de Montréalde 1971résultantde l'incident aériende Locker­
bie(Jamahiriya arabe libyenne c.Royaume-Uni), mesures conservatoires,
ordonnance du 14 avri/1992, C.I.J. Recuei/1992, opinion dissidente de

M. Bedjaoui, p. 48), ce qui, en substance, correspond au message
adressépar lePrésidentde laCour auxdeux Parties le 5août 1993;

143465 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (DISS. OP. KREéA)

(b) the mode! of specifie provisional measures which would use as a
pivotai point the premise of notoriety and which would be in line
with the necessity of seeking a peaceful solution to the civil war in
Bosilia-Herzegovina, on the one band, and the undertaking of ali
measures which could contribute to the prevention of any commis­
sion, continuance or encouragement of the heinous international
crime ofgenocide, on the other.

The specifie provisional measures could be indicated either altema­
tively or cumulative!yin relation to the general provisional measure.

In view of the fact that the provisional measures indicated in the Order
differ substantially, it is with regret that 1 avail myself of the right to
express a dissenting opinion.

(Signed) Milenko KREéA.

144 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. DISS. KREéA) 465

b) des mesures conservatoires spécifiquestournant autour de lanotion de
notoriétéet reconnaissant la nécessitéde chercher une solution paci­
fique à la guerre civile en Bosnie-Herzégovine, d'une part, accompa­
gnéesde la miseen Œuvrede toutes mesures qui pourraient contribuer
à la préventionde la commission, de la poursuite ou de l'incitation à la
commission del'odieux crime international de génocide,d'autre part.

Par rapport à la mesure conservatoire générale,les mesures conserva­
toires spécifiques pourraient êtreindiquées à titre soit alternatif soit
cumulatif.

Etant donné que les mesures conservatoires indiquées dans l'ordon­
nance s'écartentsensiblement de ce schéma,c'est avec regret que je fais
usage de mon droit d'exprimer une opinion dissidente.

(Signé) Milenko KREéA.

144

Document file FR
Document Long Title

Opinion dissidente de M. Kreca, juge ad hoc

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