Opinion dissidente de M. Tarassov (traduction)

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091-19930913-ORD-01-06-EN
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091-19930913-ORD-01-00-EN
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OPINION DISSIDENTE DE M. TARASSOV

[Traduction]

Dans laprésentedécision,laCour réaffirmesonordonnancedu 8avril
1993dans laquelle elleindiquait trois mesuresconservatoires (dont deux
- A 1)etA2) - étaientadresséesà laYougoslavie etlatroisième - B -
aux deux Parties) et souligne que toutes ces mesures doivent êtreimmé-
diatement et effectivement mises en Œuvre.En avril 1993,j'ai voté en

faveur de deux de ces mesures mais n'ai pu apporter mon soutien à la
mesure conservatoire A 2), expliquant mon vote négatif à ce sujet dans
une déclaration jointe à l'ordonnance. Ma position par rapport à cette
mesure n'a pas changé;j'estime qu'elle en arrive presque à préjugerle
fond et qu'elle impose desexigences maldéfinieset pratiquement illimi-
tées.
La seconde demande de la Bosnie-Herzégovinesoumise à la Cour le
27juillet 1993nefaitqueconfirmer mespiresappréhensionsquant à cette
mesure. En effet, cette nouvelle demande se fonde entièrementsur des
actesprétendumentcommispar lesSerbesdans laguerre civileenBosnie,
que lesBosniaquesattribuent tous àla Yougoslavie,sans qu'aucun effort
ne soit fait pour démontrerun lien de causalitéou une relation logique
permettant d'établir la responsabilitdu Gouvernement de la Yougosla-
vie quant à la commission de ces actes (mêmesi leur caractère d'actes
génocides,quiesttrès douteux etn'aentout étatde cause pas encore été

établipar la Cour, devaitêtreprouvé àun stade ultérieurde la procédure
judiciaire). Il serait très dangereux pour le droit des gens et les relations
internationalesqu'un Etat,du seulfait qu'ilcompteune population ethni-
quement homogène, soittenu responsable des actions commises sur le
territoire d'un autre Etat par des membres du mêmegroupe ethnique y
demeurant. (Dans sa seconde demande, la Bosnie-Herzégovine,dans le
sous-titreportant «Chronologie des violations par le défendeurde l'or-
donnance rendue par la Cour le 8 avril 1993», est alléejusqu'à se réfé-
rer, entre autres,a des rapports faisant état d'actions prétendument
commisespar desCroatesvivanten Bosnie-Herzégovine,quin'ont abso-
lument rien àvoir avecla Yougoslavie '.)
Ainsi que je l'ai déjà dit,j'ai votépour la mesure A l), aux termes de
laquelle le Gouvernement de la République fédérative de Yougoslavie
«doitimmédiatement ..prendre touteslesmesuresensonpouvoir afinde

prévenirlacommissiondu crime de génocide ».Lesécrituresdes Parties
etleursplaidoiries lorsdesaudiences ont fournià laCour certainsmotifs

' Voir,par exemple, les communications datéesdes 18et 20 mai et des le'et 7juin
1993dans la demande du 27juillet 1993.

128d'adopter une tellemesure. Alors,seulela Bosnieavaitprésentà la Cour
des documents sur lesévénementsen Bosnie-Herzégovinequi,selonelle,
constituaientdes actesdegénocidecommis«sousla direction, surl'ordre
etavecl'aidedela Yougoslavie».Cette dernière,en raison desdélaistrès
courts qui lui avaient été impartispour la préparationde sesplaidoiries,
s'estbornée àune déclaration selonlaquelle«un génocideet desactesde
génocidesontperpétrés à l'encontredelapopulation serbe surleterritoire
de la Bosnie-Herzégovine)).Dans sa lettre en date du le' avril 1993,le
ministredesaffairesétrangèresde la Républiquefédérativd ee Yougosla-
vie,au nom de son gouvernement,a prié laCour:

«de constater la responsabilité des autorités sous le contrôle de
M. A. Izetbegovicpour les crimes de génocide commis à l'encontre
du peuple serbeà l'intérieurde la «Républiquede Bosnie-Herzégo-
vine», au sujet desquels [le Gouvernement de la Yougoslavie]pré-
senteraultérieurementlespreuvespertinentes ».
Tout enayant soutenu lamesure A 1),j'aibienprécisdans ma déclara-

tionjointeà l'ordonnance du 8avril 1993que cettemesuredevaits'adres-
sernon seulement au Gouvernement dela Yougoslavie,maiségalement à
celui de la Bosnie-Herzégovine.Il m'apparaissait eneffet évidentque ce
derniergouvernementétaitresponsabledesactescommissursonterritoire
par sespropres citoyens,qu'il s'agissede Musulmans, de Serbes ou de
Croates, d'agents publics ou de particuliers. Et, comme je l'ai alors
souligné,les deux Parties devaient bien entendu prendre toutes les
mesures réellementenleurpouvoirafin de prévenir la commissiond'actes
de génocide.
La Cour elle-mêmea ,u paragraphe45 del'ordonnance du 8avril 1993,
a soulignéque :

«de l'avisde la Cour, compte tenu des circonstancesportéesàson
attention.il existeun risque graveque desactes de génocidesoient
commis; considérantque la Yougoslavie etla Bosnie-Herzégovine,
que de tels actes commis dans le passé puissentou non leur être
imputésen droit, sont tenues de l'incontestable obligation de faire
tout ce qui est en leur pouvoir pour en assurer la préventionve-
nir».

Toutenrappelant danslaprésenteordonnance laconclusionsusmention-
née,laCour seborne malheureusement dans sondispositif à réaffirmerla
mesure 52 A 1)soussaformeinitiale,àl'adressedu seulGouvernement de
la Yougoslavie. Elle nementionne pas l'obligation analoguedu Gouver-
nement de la Bosnie-Herzégovinemêmesi, àl'occasionde cetteseconde
demande, la Yougoslavie a officiellement et formellement priéla Cour
d'indiquer,à titre de mesure conservatoire, que le Gouvernement de la
Bosnie-Herzégovine

«doit immédiatement,conformément à l'obligation quiestla sienne
envertu delaconventionpour lapréventionet larépressiondu crime
de génocidedu 9 décembre1948,prendre toutes les mesures en son APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP.DISS.TARASSOV)45 1

pouvoir afinde prévenirla commissiondu crimedegénocidecontre
le groupe ethnique serbe ;
etaprésenté àlaCour desélémentsquilud ionnent toutesraisonsd'impo-
ser égalementpareille obligationau Gouvernement de la Bosnie-Herzé-

govine.
Vu que les deux Parties ont soumis des demandes en indication de
mesures conservatoires au cours de cette nouvelle procédureet vu les
nombreux documents sur lesquels ellesse fondent, concernant des actes
qui constitueraient un crime de génocide etqui sont présentéscomme
ayant étécommis dans ce conflit civilinterethnique en Bosnie-Herzégo-
vinepar tous lesgroupesethniques lesuns contrelesautres,la décisionde
laCour derendreuneordonnancefaisantpesersurla Yougoslaviel'essen-
tiel dela responsabilitépour cequi estdelapréventiondesactesdegéno-
cideen Bosnie-Herzégovine résulted'une approchepartiale,baséesurdes
idéespréconçues,quien arrive presque à préjugerle fond et suppose un

traitementinégaldesdifférentsgroupesethniquesenBosnie-Herzégovine,
quionttoussouffert defaçonindicibledans cetteguerrefratricide.En tant
quejuge,je nepuissouscrireàunetelleapproche.Elleestparticulièrement
dangereuseen cemomentoù,grâceauxeffortsconsidérablesdéployép sar
les représentantsde l'organisation des Nations Unies et de la Commu-
nauté européennel,eshostilités commencent àfaireplace,à Genève, àdes
négociationspacifiques entre les trois principaux groupes ethniques
bosniaques, avec la participation de représentantsde la Serbie et de la
Croatie.Laprésenteordonnanceaétéadoptéepa rCouralorsquetoutes
lespartiesàcesnégociationsavaient,le30juillet,acceptéun accordconsti-
tutionnelenvued'une UniondesRépubliquesdeBosnie-Herzégovine qui
devaitfairepartie d'un règlementglobalde paix ou,en d'autrestermes,la

créationdanscepaysdetroisrépubliquesconstitutivesdanslecadred'une
union indépendanteet souveraine. Au paragraphe 1 du dispositif de sa
résolution859 (1993),adoptéeà l'unanimitéle24août 1993(laveillemême
des audiences des 25 et 26 août 1993et avant la présentedécisionde la
Cour),le Conseilde sécuritéa noté

«avecsatisfaction.lesderniersdéveloppementsintervenusdans les
conversations de paix de Genèveet[prielinstamment lesparties, en
coopération avecles coprésidents,de conclure dès que possibleun
règlementpolitiquejuste etgloballibrementagréé par elles.
Il esà regretterque la Cour n'ait,quantàelle,fait aucune référencà la

nécessitépour les deux Parties de faciliterl'aboutissement des négocia-
tions de Genève,sousla formed'unrèglementpacifique, alors qu'il s'agit
làdelamesurelaplusurgente etlaplusefficaceenvuedelapréventionde
toute éventuellecommission du crime de génocide en Bosnie-Herzégo-
vine.Comme l'asoulignéil y a longtempsla Cour permanente de Justice
internationale:

«le règlementjudiciaire des conflitsinternationaux, en vue duquel
la Cour est instituée,n'est qu'un succédanau règlementdirect et amiable de ces conflits entre les Parties; que, dès lors,il appartient

à la Cour de faciliter, dans toute la mesure compatible avec son
Statut, pareil règlementdirect et amiable..» (Zonesfranches de la
Haute-Savoie etduPaysde Gex,ordonnancedu 19août 1929,C.P.J.I.
sérieA no22,p. 13).
LaprésenteCoura faitsiennecetteconsidérationfortimportante (voir

Activités militairesetparamilitairasuNicaraguaet contre celui-c(iNicara-
gua c. Etats-Unis dgmérique),C.I.J.Recueil1986,p. 143,par. 285). Qui
plus est, la Cour a soulignéqu'elle devait «s'abstenir de tout acte qui
risquerait defaireinutilementobstacle àun règlement négocié »(ibid.).Et
si l'ordonnance partiale et déséquilibrée de la Cour ne constitue pas
nécessairementun «obstacle à un règlement négocié»,il est évident
qu'elle n'enfaciliterapas la survenance. LaCour ne saurait ignorer lefait
quedesreprésentantsdelaSerbie,quifaitpartie dela Républiquefédéra-
tive de Yougoslavie, ont étéinvités à participer aux négociations de
Genève,de mêmeque des représentantsde la Croatie, de sorte que la
Yougoslavie - Partie à la présente affaire devantla Cour - n'est pas

étrangère àcesnégociations.
Lesimmensessouffrances detous lesgroupesethniques et religieuxde
la population de Bosnie-Herzégovine - Musulmans, Serbes,Croates et
autres - (etlesgravesdifficultéssubiespar lapopulation delaYougosla-
vieelle-même enraisondessanctionsimposées)donnaient à mon avis à la
Courune excellenteoccasiond'affirmer sonautoritémorale - commel'a
récemmentfaitleConseilde sécurité - enencourageant lesdeux Parties
auprésentdifférend àcontribuer defaçonpositiveau succèsdesnégocia-
tions de paix de Genève.Malheureusement,tout en citant des décisions
antérieuresdu Conseildesécuritéd ,ont certainesàmon avisn'étaientpas
pertinentes quant àl'indication de mesuresconservatoiresen la présente

affaire, la Cour a préféré gardelre silence sur la question la plus vitale
pour tous les secteurs de la population de la Bosnie-Herzégovinequi
risquent dedevenirlesvictimesdu crimedegénocide, à savoirlacessation
deshostilitéset la conclusion d'un règlementpolitiquejuste et global.

(Signé)Nikolai K. TARASSOV.

Bilingual Content

DISSENTING OPINION OF JUDGE TARASSOV

Bythe present decision the Court reaffirms its Order of 8 April 1993
whereby it indicated three provisional measures (two of which - A (j)
and A(2) - wereaddressed to Yugoslavia,whileonemeasure - B - was
addressed to both Parties) and stressesthat al1these measuresshould be
immediately and effectivelyimplemented. In April 1993,I voted for two
such measures but was unable to support provisional measure A (2),
explaining my negative vote against it in a declaration appended to the
Order. 1am still of the same opinion with respect to that measure, con-

sidering it to be as very close to a prejudgment, and to impose require-
mentsthat are ill-defined and practicallyunlimited.

Thesecondrequest of Bosniaand Herzegovina,submitted totheCourt
on 27July 1993,confirms my worst apprehensions relating to that mea-
surebecausethe newrequestisbased entirelyonactsallegedlycommitted
bySerbsinthe civilwarin Bosnia,al1ofwhichareascribed bythe Bosnian
sideto Yugoslavia,withoutanyattempt to demonstrateacausal orlogical
relationship such as to imply that the Government of Yugoslavia is

responsibleforthe commissionofthose acts(eveniftheirgenocidal char-
acter,which isverydoubtful and in any casehas not yetbeen established
bythe Court, wereto be proved infurther judicial proceedings). It would
be verydangerous for international law and for international relations if
nothing more than the ethnic homogeneity of a given State'spopulation
could be taken to imply that State'sresponsibility for the actions of the
same ethnic group livingin another State and committed on the territory
of the latter. (In its second request, Bosnia and Herzegovina, under the
sub-title"Chronology of Respondent's Violationsof This Court's Order

of 8 April 1993",went so far as to refer, inter alia, to reports of actions
allegedly committed even by Croats living in Bosnia and Herzegovina,
who have absolutelynothing in common with Yugoslavia l).

As1saidbefore, 1votedformeasureA (1)whichprovidesthatthe Gov-
ernment of the Federal Republic of Yugoslavia "should immediately . ..
take al1measureswithinits power to prevent commission ofthe crime of
genocide". Thewrittenpleadings andthe intervention ofthe Parties dur-
ingthe oralhearingsprovided the Court withcertainreasons foradopting

See,forinstance,communicationsunderthedates 18and20May,1and 7June 1993
inthe request 27 July 1993. OPINION DISSIDENTE DE M. TARASSOV

[Traduction]

Dans laprésentedécision,laCour réaffirmesonordonnancedu 8avril
1993dans laquelle elleindiquait trois mesuresconservatoires (dont deux
- A 1)etA2) - étaientadresséesà laYougoslavie etlatroisième - B -
aux deux Parties) et souligne que toutes ces mesures doivent êtreimmé-
diatement et effectivement mises en Œuvre.En avril 1993,j'ai voté en

faveur de deux de ces mesures mais n'ai pu apporter mon soutien à la
mesure conservatoire A 2), expliquant mon vote négatif à ce sujet dans
une déclaration jointe à l'ordonnance. Ma position par rapport à cette
mesure n'a pas changé;j'estime qu'elle en arrive presque à préjugerle
fond et qu'elle impose desexigences maldéfinieset pratiquement illimi-
tées.
La seconde demande de la Bosnie-Herzégovinesoumise à la Cour le
27juillet 1993nefaitqueconfirmer mespiresappréhensionsquant à cette
mesure. En effet, cette nouvelle demande se fonde entièrementsur des
actesprétendumentcommispar lesSerbesdans laguerre civileenBosnie,
que lesBosniaquesattribuent tous àla Yougoslavie,sans qu'aucun effort
ne soit fait pour démontrerun lien de causalitéou une relation logique
permettant d'établir la responsabilitdu Gouvernement de la Yougosla-
vie quant à la commission de ces actes (mêmesi leur caractère d'actes
génocides,quiesttrès douteux etn'aentout étatde cause pas encore été

établipar la Cour, devaitêtreprouvé àun stade ultérieurde la procédure
judiciaire). Il serait très dangereux pour le droit des gens et les relations
internationalesqu'un Etat,du seulfait qu'ilcompteune population ethni-
quement homogène, soittenu responsable des actions commises sur le
territoire d'un autre Etat par des membres du mêmegroupe ethnique y
demeurant. (Dans sa seconde demande, la Bosnie-Herzégovine,dans le
sous-titreportant «Chronologie des violations par le défendeurde l'or-
donnance rendue par la Cour le 8 avril 1993», est alléejusqu'à se réfé-
rer, entre autres,a des rapports faisant état d'actions prétendument
commisespar desCroatesvivanten Bosnie-Herzégovine,quin'ont abso-
lument rien àvoir avecla Yougoslavie '.)
Ainsi que je l'ai déjà dit,j'ai votépour la mesure A l), aux termes de
laquelle le Gouvernement de la République fédérative de Yougoslavie
«doitimmédiatement ..prendre touteslesmesuresensonpouvoir afinde

prévenirlacommissiondu crime de génocide ».Lesécrituresdes Parties
etleursplaidoiries lorsdesaudiences ont fournià laCour certainsmotifs

' Voir,par exemple, les communications datéesdes 18et 20 mai et des le'et 7juin
1993dans la demande du 27juillet 1993.

128450 APPLICATlONOF GENOCIDECONVENTION (DISS .P.TARASSOV)

suchameasure.Atthat time,onlythe Bosniansidepresentedcommunica-
tions to the Court about events in Bosnia and Herzegovina which, in its
contention,amounted to actsofgenocidecommitted "under the direction
of, at the behest of, and with assistance from Yugoslavia". The Yugo-
slavian side,due to the very limitedtime allowedto it forthe preparation
of its oral arguments, confined itself to a statement that "genocide and
genocidal acts are being perpetrated against the Serb population of the
territory of Bosnia and Herzegovina". In his communication dated
1April 1993,the Federal Minister for Foreign Affairs of Yugoslavia,on
behalf ofhis Government,requested theCourt:

"to establish the responsibility of the authorities controlled by
A. Izetbegovic for acts of genocide against the Serb people in the
'Republic ofBosniaand Herzegovina',on whichit [theGovernment
of Yugoslavia]willsubsequentlysubmitrelevant evidence".

While 1supported measure A (l), in my declaration appended to the-
Order of8April19931stressedthat ithad tobetaken not onlyinrespectof
the Government of Yugoslavia,but also in respect ofthe Government of
Bosnia and Herzegovina. For me it was obvious that the latter Govern-
menthasresponsibilityforactscommittedon itsterritorybyitsowncitizens
irrespectiveofwhetherthey are Muslims,Serbsor Croats, officialsorpri-
vate individuals. And, as 1 then stressed, both Parties were of course
expectedto take al1suchmeasurestoprevent the commissionofcrimesof
genocide,as might be intheir realpowerrespectively.

The Court itself,in paragraph 45ofthat Order of 8April1993, pointed
outthat :

"intheviewoftheCourt, inthe circumstancesbrought to itsattention
...inwhichthere isa graverisk ofactsofgenocidebeingcommitted,
Yugoslaviaand Bosnia-Herzegovina,whether ornot any suchactsin
the past may be legallyimputable to them, are under a clear obliga-
tion to doal1in their power to prevent the commissionof any such
actsin the future".

In the presentOrder the Court has recalled its above-mentioned conclu-
sionbut unfortunately, inthe operativepart, it confines itselftoeaffirm-
ing measure 52A (1)in its previousform, addressed only to the Govern-
ment of Yugoslavia.It does not mention the analogous obligationof the
Government of Bosnia and Herzegovina - eventhough, on this second
occasion, the Yugoslavian side officially and formally requested the
Court to indicate, as a provisional measure, that the Government of
Bosniaand Herzegovina :

"should immediately, in pursuance of its obligation under the Con-
vention onthe Preventionand Punishment ofthe Crime ofGenocide
of 9 December 1948,take al1measures within its power to preventd'adopter une tellemesure. Alors,seulela Bosnieavaitprésentà la Cour
des documents sur lesévénementsen Bosnie-Herzégovinequi,selonelle,
constituaientdes actesdegénocidecommis«sousla direction, surl'ordre
etavecl'aidedela Yougoslavie».Cette dernière,en raison desdélaistrès
courts qui lui avaient été impartispour la préparationde sesplaidoiries,
s'estbornée àune déclaration selonlaquelle«un génocideet desactesde
génocidesontperpétrés à l'encontredelapopulation serbe surleterritoire
de la Bosnie-Herzégovine)).Dans sa lettre en date du le' avril 1993,le
ministredesaffairesétrangèresde la Républiquefédérativd ee Yougosla-
vie,au nom de son gouvernement,a prié laCour:

«de constater la responsabilité des autorités sous le contrôle de
M. A. Izetbegovicpour les crimes de génocide commis à l'encontre
du peuple serbeà l'intérieurde la «Républiquede Bosnie-Herzégo-
vine», au sujet desquels [le Gouvernement de la Yougoslavie]pré-
senteraultérieurementlespreuvespertinentes ».
Tout enayant soutenu lamesure A 1),j'aibienprécisdans ma déclara-

tionjointeà l'ordonnance du 8avril 1993que cettemesuredevaits'adres-
sernon seulement au Gouvernement dela Yougoslavie,maiségalement à
celui de la Bosnie-Herzégovine.Il m'apparaissait eneffet évidentque ce
derniergouvernementétaitresponsabledesactescommissursonterritoire
par sespropres citoyens,qu'il s'agissede Musulmans, de Serbes ou de
Croates, d'agents publics ou de particuliers. Et, comme je l'ai alors
souligné,les deux Parties devaient bien entendu prendre toutes les
mesures réellementenleurpouvoirafin de prévenir la commissiond'actes
de génocide.
La Cour elle-mêmea ,u paragraphe45 del'ordonnance du 8avril 1993,
a soulignéque :

«de l'avisde la Cour, compte tenu des circonstancesportéesàson
attention.il existeun risque graveque desactes de génocidesoient
commis; considérantque la Yougoslavie etla Bosnie-Herzégovine,
que de tels actes commis dans le passé puissentou non leur être
imputésen droit, sont tenues de l'incontestable obligation de faire
tout ce qui est en leur pouvoir pour en assurer la préventionve-
nir».

Toutenrappelant danslaprésenteordonnance laconclusionsusmention-
née,laCour seborne malheureusement dans sondispositif à réaffirmerla
mesure 52 A 1)soussaformeinitiale,àl'adressedu seulGouvernement de
la Yougoslavie. Elle nementionne pas l'obligation analoguedu Gouver-
nement de la Bosnie-Herzégovinemêmesi, àl'occasionde cetteseconde
demande, la Yougoslavie a officiellement et formellement priéla Cour
d'indiquer,à titre de mesure conservatoire, que le Gouvernement de la
Bosnie-Herzégovine

«doit immédiatement,conformément à l'obligation quiestla sienne
envertu delaconventionpour lapréventionet larépressiondu crime
de génocidedu 9 décembre1948,prendre toutes les mesures en son commission of the crime of genocide against the Serb ethnic
group" ;
and presented the Court with material which givesit everyreason for lay-
ing such an obligation uponthe Government of Bosnia and Herzegovina,
as well.
Given that requests for the indication of provisional measures have
been submitted by both Parties in new proceedings and giventhe numer-
ous communications on which those requests are based, regarding acts

which allegedly relate to the crime of genocide and which have pur-
portedly been comrnitted in this inter-ethnic, civil conflict in Bosnia and
Herzegovina by al1ethnicgroups againsteachother, the Court's decision
to make an order ascribing the lion'sshare ofresponsibility forthe preven-
tion ofactsofgenocide in Bosnia and Herzegovina to Yugoslavia isaone-
sided approach based on preconceived ideas, which borders on a pre-
judgment ofthe merits ofthe caseand implies an unequaltreatment ofthe
different ethnicgroups in Bosnia and Herzegovina who have al1suffered
inexpressibly in this fratricidal war. 1, as a judge, cannot support this
approach. It is especially dangerous now, when as a result of enormous
efforts by representatives of the United Nations and the European Com-
munity, the hostilitieshavebegun to be replaced bypeacefulnegotiations
inGenevabetween the threemain Bosnian ethnicgroups, withthe partici-
pation of representatives of Serbia and Croatia. The present Order was
adopted by the Court when al1 parties to those negotiations had, on
30 July, accepted a constitutional agreement for a Union of Republics
of Bosnia and Herzegovina andto its forming a part of an overall peace

settlement - or, in other words, to the creation in that country of three
Constituent Republics within the framework of an independent, sover-
eign Union. The Security Council in the first operative paragraph of
resolution 859 (1993),adopted unanimously on 24 August 1993(on the
very eveofthe oral hearings of 25-26August 1993and before the Court's
present decision) :

"Noteswithappreciation ...the latest developmentsat the Geneva

peace talks and urgesthe parties, in cooperation with the Co-Chair-
men,to conclude assoonaspossible ajust and comprehensivepoliti-
cal settlement freely agreed by al1ofthem."
The Court,for itspart, unfortunately made no referenceat al1to the need
for both Parties to facilitate the achievement of a peace agreementin the
Geneva negotiations, which is the most urgent and the most effective
measure for the prevention of any possible commission of the crime of

genocide in Bosnia and Herzegovina. As was stressed long ago by the
Permanent Court of International Justice :

"the judicial settlement of international disputes, with a view to
which the Court has been established, is simply an alternative to the APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP.DISS.TARASSOV)45 1

pouvoir afinde prévenirla commissiondu crimedegénocidecontre
le groupe ethnique serbe ;
etaprésenté àlaCour desélémentsquilud ionnent toutesraisonsd'impo-
ser égalementpareille obligationau Gouvernement de la Bosnie-Herzé-

govine.
Vu que les deux Parties ont soumis des demandes en indication de
mesures conservatoires au cours de cette nouvelle procédureet vu les
nombreux documents sur lesquels ellesse fondent, concernant des actes
qui constitueraient un crime de génocide etqui sont présentéscomme
ayant étécommis dans ce conflit civilinterethnique en Bosnie-Herzégo-
vinepar tous lesgroupesethniques lesuns contrelesautres,la décisionde
laCour derendreuneordonnancefaisantpesersurla Yougoslaviel'essen-
tiel dela responsabilitépour cequi estdelapréventiondesactesdegéno-
cideen Bosnie-Herzégovine résulted'une approchepartiale,baséesurdes
idéespréconçues,quien arrive presque à préjugerle fond et suppose un

traitementinégaldesdifférentsgroupesethniquesenBosnie-Herzégovine,
quionttoussouffert defaçonindicibledans cetteguerrefratricide.En tant
quejuge,je nepuissouscrireàunetelleapproche.Elleestparticulièrement
dangereuseen cemomentoù,grâceauxeffortsconsidérablesdéployép sar
les représentantsde l'organisation des Nations Unies et de la Commu-
nauté européennel,eshostilités commencent àfaireplace,à Genève, àdes
négociationspacifiques entre les trois principaux groupes ethniques
bosniaques, avec la participation de représentantsde la Serbie et de la
Croatie.Laprésenteordonnanceaétéadoptéepa rCouralorsquetoutes
lespartiesàcesnégociationsavaient,le30juillet,acceptéun accordconsti-
tutionnelenvued'une UniondesRépubliquesdeBosnie-Herzégovine qui
devaitfairepartie d'un règlementglobalde paix ou,en d'autrestermes,la

créationdanscepaysdetroisrépubliquesconstitutivesdanslecadred'une
union indépendanteet souveraine. Au paragraphe 1 du dispositif de sa
résolution859 (1993),adoptéeà l'unanimitéle24août 1993(laveillemême
des audiences des 25 et 26 août 1993et avant la présentedécisionde la
Cour),le Conseilde sécuritéa noté

«avecsatisfaction.lesderniersdéveloppementsintervenusdans les
conversations de paix de Genèveet[prielinstamment lesparties, en
coopération avecles coprésidents,de conclure dès que possibleun
règlementpolitiquejuste etgloballibrementagréé par elles.
Il esà regretterque la Cour n'ait,quantàelle,fait aucune référencà la

nécessitépour les deux Parties de faciliterl'aboutissement des négocia-
tions de Genève,sousla formed'unrèglementpacifique, alors qu'il s'agit
làdelamesurelaplusurgente etlaplusefficaceenvuedelapréventionde
toute éventuellecommission du crime de génocide en Bosnie-Herzégo-
vine.Comme l'asoulignéil y a longtempsla Cour permanente de Justice
internationale:

«le règlementjudiciaire des conflitsinternationaux, en vue duquel
la Cour est instituée,n'est qu'un succédanau règlementdirect et direct and friendlysettlement of such disputes between the Parties;
as consequentlyitisforthe Court to facilitate,so faras iscompatible
with its Statute, such direct and friendlysettlement ..." (FreeZones
of UpperSavoy and the District of Gex, Order of 19 August 1929,
P.C.I.J.,SeriesA, No.22,p. 13).

This very important provision has been recognized by the present
Court: see Militaryand Paramilitary Activitiesin and against Nicaragua
(Nicaragua v. United States of America), I.C.J. Reports 1986, p. 143,
para. 285). What is more, the Court has stressedthat it "should refrain
from any unnecessaryact which might prove an obstacle to a negotiated
settlement" (ibid).While the one-sided, unbalanced Order of the Court
might not necessarily be "an obstacle to a negotiated settlement", it will
obviously not facilitate its successful completion.The Court cannot be
ignorant of the fact that representatives of Serbia, which is a part of the
Federal Republic of Yugoslavia, have been invited to participate in the
Genevanegotiationsas wellasthe representatives of Croatia, and sothat
Yugoslavia - a Party in the present case before the Court - is not

extraneous to those negotiations.
The immense sufferings of al1the ethnic and religious segmentsof the
population in Bosnia and Herzegovina - Muslims, Serbs, Croats and
others - (and the severehardships sustained bythe population of Yugo-
slavia itselfunder the imposed sanctions) together, in my view,provided
the Court with everyreason to assert its moral authority - as was done
recentlybythe SecurityCouncil - to encourageboth sidesinthepresent
disputeto makea positivecontributiontothe successoftheGenevapeace
negotiations. Unfortunately, whilequotingformer decisions ofthe Secu-
rityCouncil, someofwhich,inmyview,arenotpertinent totheindication
ofprovisionalmeasuresinthepresentdispute,the Court, onthemostvital
issue for al1sections of the population of Bosnia and Herzegovina, who
might possibly become victims of the crime of genocide - cessation of
hostilities and reaching ajust and comprehensive political settlement -

has preferred to remain silent.

(Signed) Nikolai K. TARASSOV. amiable de ces conflits entre les Parties; que, dès lors,il appartient

à la Cour de faciliter, dans toute la mesure compatible avec son
Statut, pareil règlementdirect et amiable..» (Zonesfranches de la
Haute-Savoie etduPaysde Gex,ordonnancedu 19août 1929,C.P.J.I.
sérieA no22,p. 13).
LaprésenteCoura faitsiennecetteconsidérationfortimportante (voir

Activités militairesetparamilitairasuNicaraguaet contre celui-c(iNicara-
gua c. Etats-Unis dgmérique),C.I.J.Recueil1986,p. 143,par. 285). Qui
plus est, la Cour a soulignéqu'elle devait «s'abstenir de tout acte qui
risquerait defaireinutilementobstacle àun règlement négocié »(ibid.).Et
si l'ordonnance partiale et déséquilibrée de la Cour ne constitue pas
nécessairementun «obstacle à un règlement négocié»,il est évident
qu'elle n'enfaciliterapas la survenance. LaCour ne saurait ignorer lefait
quedesreprésentantsdelaSerbie,quifaitpartie dela Républiquefédéra-
tive de Yougoslavie, ont étéinvités à participer aux négociations de
Genève,de mêmeque des représentantsde la Croatie, de sorte que la
Yougoslavie - Partie à la présente affaire devantla Cour - n'est pas

étrangère àcesnégociations.
Lesimmensessouffrances detous lesgroupesethniques et religieuxde
la population de Bosnie-Herzégovine - Musulmans, Serbes,Croates et
autres - (etlesgravesdifficultéssubiespar lapopulation delaYougosla-
vieelle-même enraisondessanctionsimposées)donnaient à mon avis à la
Courune excellenteoccasiond'affirmer sonautoritémorale - commel'a
récemmentfaitleConseilde sécurité - enencourageant lesdeux Parties
auprésentdifférend àcontribuer defaçonpositiveau succèsdesnégocia-
tions de paix de Genève.Malheureusement,tout en citant des décisions
antérieuresdu Conseildesécuritéd ,ont certainesàmon avisn'étaientpas
pertinentes quant àl'indication de mesuresconservatoiresen la présente

affaire, la Cour a préféré gardelre silence sur la question la plus vitale
pour tous les secteurs de la population de la Bosnie-Herzégovinequi
risquent dedevenirlesvictimesdu crimedegénocide, à savoirlacessation
deshostilitéset la conclusion d'un règlementpolitiquejuste et global.

(Signé)Nikolai K. TARASSOV.

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Opinion dissidente de M. Tarassov (traduction)

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