Opinion individuelle de M. Lauterpacht, juge ad hoc (traduction)

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091-19971217-ORD-01-03-EN
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091-19971217-ORD-01-00-EN
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OPINION INDIVIDUELLE DE M. LAUTERPACHT

1.J'ai rédigéla présente opinion en me conformant a la déclaration
que j'avais faite à la phase relative aux mesures conservatoires dans cette
affaire concernant le rôle d'un juge ud hoc:

«Selon moi, ilest spécialement tenu de veiller à ce que, dans toute
la mesure possible, chacun des arguments pertinents de la partie qui
l'a désignéait é1.pleinement pris en considération au cours de l'exa-
men collégial et soit, en fin de compte, reflété - à défaut d'être
accepté - dans sa propre opinion individuelle ou dissidente» (Appli-
cution do lu r.onventionpour /rprévention et lu rkpression du crime

de gknocaidr,mesures consc~rvutoirc~so,ru'onnancr du 13 .septembre
1993, C.1.J. Rec*ueil1993, p. 409, par. 6.)

2. Le problème que doit examiner la Cour à cette phase de l'affaire
concerne la recevabilitédes demandes reconventionnelles déposéespar le
Gouvernement de la République fédérativede Yougoslavie (ci-après
dénomméela «Yougoslavie»). Je souscris à l'ordonnance de la Cour
pour ce qui a trait à la recevabilité des demandes reconventionnelles,
mais je suis préoccupépar le fait que la Cour n'ait pas donné aux Parties

la possibilité de développer leurs thèses respectives dans des exposés
oraux.

3. La procédure orale trouve sa justification au paragraphe 3 de I'ar-
ticle80 du Règlement de la Cour qui dispose que:
«Si le rapport de connexité entre la demande présentéecomme

demande recoriventionnelle et l'objet de la demande de la partie
adverse n'est pas apparent, la Cour, uprès uvoir entendu lesparties,
décides'il y a lieu ou non de joindre cette demande à l'instance ini-
tiale» (Les italiques sont de moi.)

4. La Cour a estiméque l'exigence d'«entendre les parties)) peut, dans
la présente affaire, etre satisfaite en donnant à chacune d'elles la possibi-
litéd'exposer leurs vues par écrit. La position adoptée par la Cour est
étayéepar sa pratique concernant certaines mais non pas toutes les autres
questions au sujet desquelles une exigence similaire est imposée, par

exemple, la nomination de juges ad hot. Le paragraphe 4 de l'article35
du Règlement dispose que: «En cas de contestation ou de doute, la Courdécide,après avoir entendu les parties s'il y a lieu.)) De nouveau, à pro-
pos di1 problème de la désignation d'un juge ad hoc qui se pose lorsque
deux ou plusieurs parties font cause commune, le paragraphe 2 de l.'ar-
ticle 36 prévoit que «la Cour décide,après avoir entendu les parties s'il

y a lieu)). De même,le paragraphe 2 de I'article 56,qui a trait à I'autori-
sation de produire des documents après la clôture de la procédure écrite,
contient une formule similaire. tout comme I'article 67. En ce qui con-
cerne ces questions, la pratique de la Cour a consisté simplement à confé-
rer aux parties la possibilitéd'exposer leurs vues par écrit.
5. Mêmedans ce cas, cette interprétation n'est pas celle qui vient

immédiatement à l'esprit au sujet d'une question aussi fondamentale que
la recevabilitéde demandes reconventionnelles. Il convient de rappeler que
la disposition du Kèglement relative aux demandes reconventionnelles
(art. 80) figure juste après celle concernant les exceptions préliminaires
(art. 79) et que ces deux dispositions sont placéesensemble à la section D
du Règlement sous l'intitulé((Procéduresincidentes)).Une exigence simi-

laire d'entendre les parties est énoncée égalementau paragraphe 7 de
I'article 79, et a régulièrementété satisfaitepar la tenue d'une procédure
orale. Mêmesi la Cour conserve un r ou voirdiscrétionnaire de décider
dans une affaire déterminéequ'une telle procédure ne devrait pas avoir
lieu, la présente affaire est une instance dans laquelle les particularités
relatives et la complexité des questions en cause auraient certainement

justifié de conférer à chacune des Parties la faculté supplémentaire de
commenter oralement les arguments de l'autre et à la Cour la possibilité
d'examiner plus en détail laquestion, ce qu'elle aurait pu faire durant des
audiences et au cours des délibérationsqui auraient suivi - d'autant plus
qu'une telle mesure aurait répondu aux attentes expriméespar les Parties.
6. On peut se rendre compte à quel point la décisionde la Cour de ne

pas tenir de procédure orale s'écartede l'opinion d'un, parmi d'autres,
des commentateurs les plus éminents de la procédure de la Cour en ana-
lysant les termes dans lesquels la question est examinéepar M. Rosenne
dans la plus récenteédition de son principal ouvrage. En ce qui concerne
le paragraphe 3 de I'article 80, il écrit:

((Le paragraphe 3 correspond à la dernière phrase du Règlement
antérieur, dans laquelle l'expression «après examen)) a étéremplacée
par «après avoir entendu les parties)).Cela signifie que dans l'avenir

ily aura toujours une certaine procédure orale en cas de doute -
aux yeux de qui? - sur l'existence d'un rapport de connexité entre
la demande présentéecomme demande reconventionnelle et l'objet
de la demande de la partie adverse.)) (Tlze Lulv and Proctice of
the Internutionul Court, 1920-1996, 3' éd., 1997, vol. III, p. 1273.)

7. 11y a donc lieu d'espérerque la prochaine fois que le Règlement de
la Cour sera reviséon saisira cette occasion pour faire disparaître le motif
de la divergence de vues actuelle en veillant à ce que le mot ((audition))
soit utiliséconstamment pour exprimer l'idéed'une procédure orale et

que, lorsque la Cour envisage de conserver un pouvoir discrétionnaire dedécider que les échangesentre des représentants des parties doivent être
limitésà des exposésécrits,elle suivra le libellé utilisédans d'autres dis-
positions du Règlement (par exemple, art. 46, par. 1,53, par. 1 et2, 55,

58, par. 2),à savoir «après s'être renseignéeauprès des parties)) ou,
comme l'indique le paragraphe 3de I'article 76, après avoir donné «aux
parties la possibilitéde présenter des observations à ce suje» ou, comme
au paragraphe 3 de I'article79, que l'autre partie «peut présenter un
exposéécritcontenant ses observations)).

LA RECEVABILITÉ DES DEMANDES RECONVENTIONNELLES

8. La Cour examine actuellen~ent la question des demandes reconven-
tionnelles à la suite du dépôt par la Yougoslavie le 23 juillet 1997 d'un
très long contre-mémoire. Cette pièce comprend deux parties. La pre-

mière partie, composée de près de trois cent cinquante pages, peut être
décritede manière généralecomme exposant «des moyens de défense)).
La deuxième partie, qui comprend plus de sept cents pages, énonce les
faits sur lesquels reposent les allégationsde la Yougoslavie concernant les
actes de génocide qu'aurait commis la Bosnie-Herzégovine (ci-après
dénomméela «Bosnie))) contre les Serbes en Bosnie-Herzégovine. Hor-

mis une indication dans l'introduction du contre-mémoire qu'il «corn-
prend des demandes reconventionnelles» et l'énoncédans une des trois
conclusions à la fin du contre-mémoire de détailssur la déclaration selon
laquelle «la Bosnie-Herzégovine est responsable des actes de génocide
commis contre les Serbes en Bosnie-Herzégovine)), le contre-mémoire ne
comporte aucun examen des aspects juridiques des demandes reconven-

tionnelles. Mais quand bien mêmele contre-mémoire ne contient aucune
référence l'article 80 du Règlement de la Cour et aucun argument selon
lequel les questions traitées dans la deuxième partie de cette pièce de
procédure sont «eri connexité directe avec l'objet de la demande)) de la
Bosnie, il n'aurait été guèreréaliste de ne pas reconnaître cette partie
pour ce qu'elle représente. En conséquence, le 28 juillet 1997,la Bosnie a

adressé une lettreà la Cour dans laquelle elle a exprimé l'opinion que les
demandes reconventionnelles «ne rempliss[ai]ent pas le critère du para-
graphe 1 de I'article 80du Règlement et qu'elles ne devraient donc pas
êtrejointes à l'instance initiale)). Ayant alors étéinvitéepar la Cour à
préciserpar écrit«les motifs juridiques sur lesquels elle s'appuyait pour
soutenir cette opinion)), la Bosnie a répondu le 9 octobre 1997 dans une

lettre adressée à la Cour qu'elle considérait que la demande reconvention-
nelle présentéepar la Yougoslavie n'étaitpas recevable étant donné que,
au regard du paragraphe 1de I'article 80 du Règlement de la Cour, «sa
connexité directe avec l'objet de la demande initiale de la Bosnie-Herzé-
govine fait radicalement défaut». Tout en reconnaissant qu'aussi bien la
demande que la demande reconventionnelle reposent sur le mêmefon-

dement juridique -- la convention sur le génocide - la Bosnie a sou-
tenu que les deux sériesd'allégations n'ont rien à voir l'une avec l'autre: «il est évident, en effet, que les prétendues victimes ne sont pas les
mêmes ...les auteurs matériels des atrocités alléguéesnon plus ...
Cela implique alors que, si les deux demandes étaient jointes dans le
même procèsdevant la Cour, le juge devra de toute façon vérifier

séparémentles faits allégués r.uadverso et examiner séparéments'ils
constituent, au regard de la convention sur le génocide,des compor-
tements illicites imputables, respectivement, à l'une ou à l'autre Par-
tie...)) (Lettre en date du 9 octobre 1997, adressée au Greffier par
l'agent adjoint (le la Bosnie-Herzégovine, par. 3.)

9. La Bosnie a aussi prié la Cour de bien vouloir décider que la

demande reconventionnelle ne doit pas êtrejointe à la demande princi-
pale, mais a admis expressément que la Yougoslavie avait toute latitude
pour introduire à la Cour une requête introductive d'instance distincte
par les voies ordinaires.
10. Pour sa part, la Yougoslavie a répondu qu'il y avait une connexité
directe entre la deuxième partie de son contre-mémoire, à savoir la

demande reconventionnelle, et la demande de la Bosnie. La Yougoslavie
a fait en premier lieu observer que la demande et la demande reconven-
tionnelle reposent sur le mêmefondement juridique, à savoir la conven-
tion sur le génocideet les règlesgénérales enmatière de responsabilité des
Etats. En second lieu, elle a déclaré:

«Les faits contestés rapportés dans la demande [principale] et la

demande reconventionnelle s'inscrivent les uns les autres dans le
mêmeconflit tragique, i savoir la guerre civile en Bosnie-Herzégo-
vine, ils se sont produits sur un même territoire et au cours d'une
mêmepériode, et ils s'insèrent dans le même contexte historique et
dans le cadre de la même évolutionpolitique. De ce fait, et du fait
que la demande et la demande reconventionnelle partagent le même

fonderilent juridique. tous les faits pertinents invoqués a l'appui de la
demande [principale] et de la demande reconventionnelle sont liés
entre eux de façon A créer un lien factuel et juridique pertinent en
l'espèce.» (Déclaration de la Yougoslavie concernant la recevabilité
de la demande reconventionnelle, 23 octobre 1997, par. 4.)

II. II semble donc que la Bosnie soit favorable à ce que l'on peut

appeler une interprétation «restrictive» de l'exigence d'une ((connexité
directe)),alors que la Yougoslavie soutient une interprétation «large».
Pour la Bosnie, il doit exister une identité des prétendues victimes de
mêmeque des auteurs matériels; l'analyse judiciaire des faits énoncés
dans la demande reconventionnelle doit avoir un rapport avec l'examen
des faits exposés da.ns la demande principale ou doit êtreutile à cet exa-

men. Pour la Yougoslavie, il suffit que la demande reconventionnelle «ait
soulevéla question du génocidecommis à l'encontre des Serbes en tant
qu'elle permet de réfuterles faits présentéspar le demandeur comme per-
tinents pour l'imputation des faits alléguésau défendeur)). 12. Dans la présente espèce, le choix entre ces deux approches doit
dépendredans une large mesure de la nature de la notion de «génocide».

Pouvons-nous concevoir que ce qui équivaut à un génocide soitconstitué
par un acte unique de caractère horrible? Ou peut-il êtreseulement
constitué par une série d'actes qui, n'étant individuellement pas plus
qu'un meurtre ou de graves dommages corporels causés à des personnes.
sont, lorsqu'on les considère cumulativement, la preuve d'une activité

systématique équivalent à un génocide?
13. La seconde possibilité semble logiquement êtrela plus convain-
cante. Un nieurtre unique ou un autre acte horrible ne peut constituer un
génocide. Seuleune sérieou une accumulation de tels actes, si elle révèle
collectivement l'intention nécessaireet est dirigéecontre un groupe iden-

tifiable de la manière prévuepar l'article IIde la convention, sera consi-
déréecomme constituant un génocide - et dans ces conditions la res-
ponsabilité des crimes individuels qui la compose, ainsi que des crimes
spéciaux de génocide, ne sera pas imputée uniquement aux individus
directement responsables mais aussi à 1'Etatauquel leursactes sont impu-
tables.

14. Dans cette perspective, il n'est pas possible d'exiger que les faits
qui sont à l'origine: d'une demande reconventionnelle concernant un
génocide aient une connexité directe avec les actes individuels et spé-
cifiques formant la base de la demande principale concernant un géno-
cide. Il suffit que les actes invoqués comme constituant la base de la

demande reconventiionnelle aient Lin rapport de connexité direct avec
la demande principale parce qu'ils se sont produits au cours du même
conflit.A vrai dire, on peut considérer que la politique qui est iila base
de l'interdiction du génocideconforte cette interprétation plus large étant
donné que les obligations particulières de respect des droits de l'homme
consacrées dans la convention sur le génocide reposent avec le même

poids sur toutes les personnes concernées. C'est sur cette base que je
souscris à la conclusion de la Cour selon laquelle la demande yougoslave
est recevable.
15. 11n'est pas nécessaire de répéterici l'analyse de la Cour de sa
propre jurisprudence, mais il convient de relever que cette approche est

étayéepar le traiternent d'un problème analogue dans le cadre de sys-
tèmes juridiques nationaux lorsq~ie des demandes reconventionnelles
sont présentéescontre des Etats demandeurs qui, s'ils étaient poursuivis
directement en tant que défendeurs, pourraient invoquer l'immunité
de 1'Etat. On peut rappeler les déclarations pertinentes de deux juges

particulièrement éminents des Etats-Unis. La première a étéfaite par
M. J. Manton, de la cour d'appel des Etats-Unis, deuxième circons-
cription (Second Circuit) :

«Les demandes procédant de la même transaction peuvent don-
ner lieu à des zictions reconventionnelles contre un Etat. La même

transaction ne signifie pas nécessairement une concordance tem-
porelle. Dans l'affaire Moore v. Neiv York C'otton E'ccliangr ... la Cour a déclaréque la transaction peut comprendre une série de
nombreux actes ne dépendant pas tant du caractère immédiatde leur
connexité que de leur rapport logique. » (United States v. National
City Bank of N~kc York (1936) 83 F. (2d), p. 236; International Laiv
Reports, vol. 8, p. 220.)

16. La deuxième déclaration a étéfaite par M. Frankfurter, juge à la
Cour suprêmedes Etats-Unis dans une affaire où la demande principale

avait étéprésentéepar la République de Chine pour recouvrer une
somme déposéeauprès de la Banque défenderesse par l'administration
des chemins de fer Shangai-Nanking, un organisme officiel de 1'Etat.
La banque a présentéune demande reconventionnelle concernant des
bons du trésor dela Républiquede Chineque celle-ci ne lui avait pas rem-
boursés. M. Frankfiirter a déclaré:

«Il est admis qu'une demande reconventionnelle fondée sur l'objet

d'une instance introduite par un Etat peut mettre en cause la doc-
trine de l'immunité. Celaprouve manifestement que la doctrine n'est
pas absolue, et que des considérations de loyauté doivent êtreprises
en compte dans son application. Mais l'expression limitative «fon-
déesur l'objet)) est trop imprécise,voire trop fluctuante, pour mar-
quer les limites des restrictions de la doctrine de l'immunitéde 1'Etat.
Les tribunaux divergent très largement dans leur opinion sur ce qui

constitue et ce qui ne constitue pas une demande ((fondéesur l'objet
de l'instance» ou ((procédantde la mêmetransaction)) ...De toute
évidence,les demandes reconventionnelles actuelles ne peuvent être
objectivement réputéesêtreliéesau dépôt de fonds de I'administra-
tion des chemins de fer sauf dans la mesure où les transactions entre
la République de Chine et l'auteur de la demande peuvent êtreconsi-

déréescomme clesaspects d'une relation commerciale continue. Mais
la auestion de la considération de la lovauté dans les transactions
qui permet de présenter une demande reconventionnelle fondée sur
le mêmeobjet se pose essentiellement dans la situation actuelle.))
(National Cit.y Bank ef New York v. Republic of China, et al. (1955)
348 US 356; Irlternarional Law Reports, vol. 22, p. 215.)

17. Aucune disposition de l'article 9 (demandes reconventionnelles) du
projet d'articles sur les immunitésjuridictionnelles des Etats et de leurs

biens, adopté en 1991 par la Commission du droit international de
l'organisation des Nations Unies, ne laisse entendre que la codification
du sujet a abouti iiune conclusion sensiblement différente:

<tUn Etat qui intente une procédure devant un tribunal d'un autre
Etat ne peut invoquer l'immunité de juridiction devant ledit tribunal
en ce qui concerne une demande reconventionnelle qui est fondéesur
le mêmerapport de droit ou les mêmesfaits que la demande princi-

pale.)) (Annuaire de la Commission du droit international, 1991,
vol.II, deuxième partie, p. 30.) 18. Mais une décision par laquelle il est reconnu que la demande
reconventionnelle yougoslave est en connexité directe avec l'objet de la
demande de la Bosnie ne peut réglerdéfinitivement la question. Chaque
affaire doit êtreexaminéeà la lumièrede ses propres faits particuliers. La

Cour a un pouvoir et une obligation naturels d'assurer une administra-
tion de la justice régulière etefficace. Les affaires doivent êtrejugéesavec
toute la céléritévoulue. A ces fins, la Cour jouit d'un très grand pouvoir
discrétionnaire. Elle n'est pas tenue par la lettre de l'article 80 de son
Règlement. Il convient de rappeler que, contrairement à de nombreuses dis-
positions du Règlement de la Cour, l'article 80 n'a pas sa source dans une

disposition obligatoire quelconque du Statut de la Cour. A l'article 80,
la Cour ne définitpas une procédure pour l'exercicede son obligation sta-
tutaire; elle ne fait simplement qu'exercer le pouvoir généralqui lui est
conférépar l'article 30 du Statut de «détermine[r] par un règlement le
mode suivant lequel elle exerce ses attributions)). La Cour a considéré
l'examen des demandes reconventionnelles comme un aspect possible de

ses attributions et elle a ainsi, de sa propre initiative, déterminéun certain
règlement. Mais elle n'est pas liéestrictement ou perpétuellement par ce
règlement. Elle a la faculté et, en fait, est tenue de les appliquer de
manière raisonnable et d'adapter leur application aux circonstances de
l'affaire dont elle est saisie.
19. En conséquence, la Cour aurait eu toute latitude pour exercer son

pouvoir discrétionnaire dans la présenteespèceen refusant de joindre des
demandes reconventionnelles par ailleurs recevables aux demandes prin-
cipales. Le facteur essentiel qui aurait pu être invoqué pour justifier un
traitement distinct des demandes et des demandes reconventionnelles est
la complexitésuppl6mentaire considérableà laquelle va donner inévitable-
ment lieu le traitenient de demandes reconventionnelles en mêmetemps

que des demandes initiales. Comme il est indiquéci-dessus, une demande
concernant un génocide implique l'établissement du caractère systéma-
tique ou de I'accun~ulation de crimes individuels. La Bosnie a dans son
mémoire soutenu que six catégories d'infractions avaient étécommises:
l'utilisation de canips de concentration; les meurtres; les tortures; les
viols; l'expulsion des populations et la destruction de biens, de maisons,

de lieux de culte et d'objets culturels; et la création de conditions de vie
destructrices- bombardements, réduction rila famine et intimidation de
la population. La Yougoslavie a répondu en détailà chacune de ces allé-
gations dans la première partie (dans la section consacréeaux ((moyens de
défense))) de son contre-mémoire, ainsi qu'en mentionnant dans la
deuxièmepartie une liste détailléedes crimes qui auraient été commispar

des Bosniaques et des Croates contre des Serbes. L'évaluation des allé-
gations et des réponses, si elle est faite en dehors d'un cadre assez géné-
ral (question sur laquelle il ne convient pas d'exprimer une opinion quel-
conque à cette phase de l'instance), pourrait exiger des mois d'audition et
de délibération.Les annexes produites par la Bosnie à l'appui de cette par-
tie de son argumentation ont environ 15centimètres d'épaisseur; et celles

présentéespar la Yougoslavie en rapport avec la première partie de son APPLICATION Dl< CONVENTION GÉNOCIDE (OP.IND.LAUTERPACHT 2)5

contre-mémoire quelque 18 centimètres d'épaisseur,alors que celles pré-
sentéesà l'appui des demandes reconventionnelles de la Yougoslavie ont

14,5 centimètres d'épaisseur. Lagrande masse de documents dans une
affaire ne permet pas to~~joursde savoir réellementsi elle est simple ou
complexe, mais on peut dire sans risque de se tromper que rien dans les
documents présentéspar les deux Parties dans cette affaire ne permet de
penser que la tâche iilaquelle la Cour devra finalement faire facelorsqu'elle

abordera le fond ne sera pas extrêmementlourde.
20. Toutefois, la question qui se pose est de savoir si la Cour pouvait
exercer son pouvoir discrétionnaire de différer l'examen des éléments
contenus dans la demande reconventionnelle yougoslave jusqu'à ce qu'elle
se soit prononcée sur la demande de la Bosnie, sans priver indûment la

Yougoslavie de son droit de présenter les moyens de défense qu'elle juge
nécessairespour répondre à la demande de la Bosnie. La réponseà cette
question est négative. II ressort de la déclaration de la Yougoslavie du
23 octobre 1997en réponseà la communication de la Bosnie du 9 octobre
1997 qu'elle considère que les documents qu'elle a présentésdans la

deuxièmepartie de son contre-mémoire (lapartie concernant la ((demande
reconventionnelle)))constitue aussi un élémentessentiel de ses moyens de
défensecontre la demande principale de la Bosnie. Il est impossible à la
Cour à cette phase de l'affaire de chercher à évaluerdans quelle mesure
les éléments figurantdans la deuxième partie du contre-mémoire yougo-

slave peuvent ou non valablement êtreutiliséscomme moyens de défense
contre la demande principale de la Bosnie. De même,la Cour ne peut
écarter la possibilitéque le contre-mémoire yougoslave avance un argu-
ment tu quoque.
21. Le fait que certaines de ces allégations de comportements de la

nature d'un gé"ocide soient formulées non seulement contre les Bos-
niaques mais aussi contre les Croates aurait pu aussi avoir des effets sur
la recevabilitéde la demande reconventionnelle yougoslave, ce qui appa-
remment aurait introduit dans I'affaire la question de la responsabilité
d'un Etat qui n'est pas partie à l'instance. Le contre-mémoire yougoslave

ne traite pas des incidences de ce fait. Toutefois, le nombre de situations
dans lesauelles des allé"ations sont formuléescontre des Croates semble-
rait, à la phase actuelle en tout étatde cause, êtretrop limitépour amener
la Cour à considérer cette caractéristiaue en soi comme suffisante Dour
écarter la recevabilitéde l'ensemble des demandes reconventionnelles.
22. En résumé,quelles que soient les réticencesque l'on puisse ressen-

tir à voir que cette affaire est rendue encore plus complexe par la prise en
compte de la demande reconventionnelle yougoslave, il ne semble pas
exister de bases convaincantes permettant de l'exclure - bien que l'on ne
puisse écarter la possibilité qu'une certaine solution satisfaisante aurait
pu être trouvéesi la Cour avait accepté de tenir une procédure orale sur

cet aspect interlocutoire, mais néanmoins important, de I'affaire.
23. En conclusion, il est essentiel de se rendre compte que les diffi-
cultésauxquelles fait face la Cour ne sont pas dues à sa propre action ni,
de fait, à l'action des Parties. Plus on se rapproche de l'étudedes pro- APPLICATION DI3 CONVENTION GÉNOCIDE (OP.IND. LAUTERPACHT) 286

blèmes que pose l'application de la procédure de règlement judiciaire
prévupar l'articleIX de la convention sur le génocide, pluson est obligé

de reconnaître que ces problèmes sont de nature entièrement différente
de ceux confrontant normalement un tribunal international exerçant une
juridiction essentiellement civile,et non pénale.Les difficultéssont systé-
miques et leur solution ne peut être rapidement trouvée, quece soit par la
Cour ou, ce qui serait peut-être plus approprié, par les parties a la
convention sur le génocide.

(Signé) Elihu LAUTERPACHT

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SEPARATE OPINION OF JUDGE LAUTERPACHT

1. This opinion is written in implementation of my statement made at
the provisional measures stage of this case regarding the role of an ad hoc
judge:

"He has, 1 believe, the special obligation to endeavour to ensure
that, so far as is reasonable, every relevant argument in favour of the
party that has appointed him has been fully appreciated in the
course of collegial consideration and, ultimately, is reflected -
though not necessarily accepted - in any separate or dissenting

opinion that he may write." (Applicution qf the Convention on the
Prcvention and Punishment of' the Crime qf'Genocide, Provi.sionu1
Meusures, 0so'c.rof 13 Septernhrr 1993, 1.C.J. Reports 1993, p. 409,
para. 6.)

2. The problem before the Court at this stage of the case is one of the
admissibility of counter-claims filed by the Government of the Federal
Republic of Yugoslavia ("Yugoslavia" hereinafter). While 1 agree with
the Court's Order in so far as it relates to the admissibility of the counter-

claims, 1have been concerned about the fact that the Court has not given
the Parties the opportunity to develop their respective positions in oral
argument.

3. The justification for oral proceedings lies in Article 80, paragraph 3,
of the Rules of Court which provides that:

"In the event of doubt as to the connection between the question
presented by way of counter-claim and the subject-matter of the
claim of the other party the Court shall, uftrr heuring tlzeparties,
decide whether or not the question thus presented shall be joined to
the original proceedings." (Emphasis added.)

4. The Court has taken the view that the requirement of "hearing the
parties" can, in the present case, be satisfied by giving each of them the
opportunity of presenting its views in writing. The position taken by the

Court is supported by its practice in respect of some, but not all, other
matters covered by a similar requirement, for example, the nomination of
ad hocjudges. Article 35, paragraph 4, of the Rules provides that: "In the
event of any objection or doubt, the matter shall be decided by the Court, OPINION INDIVIDUELLE DE M. LAUTERPACHT

1.J'ai rédigéla présente opinion en me conformant a la déclaration
que j'avais faite à la phase relative aux mesures conservatoires dans cette
affaire concernant le rôle d'un juge ud hoc:

«Selon moi, ilest spécialement tenu de veiller à ce que, dans toute
la mesure possible, chacun des arguments pertinents de la partie qui
l'a désignéait é1.pleinement pris en considération au cours de l'exa-
men collégial et soit, en fin de compte, reflété - à défaut d'être
accepté - dans sa propre opinion individuelle ou dissidente» (Appli-
cution do lu r.onventionpour /rprévention et lu rkpression du crime

de gknocaidr,mesures consc~rvutoirc~so,ru'onnancr du 13 .septembre
1993, C.1.J. Rec*ueil1993, p. 409, par. 6.)

2. Le problème que doit examiner la Cour à cette phase de l'affaire
concerne la recevabilitédes demandes reconventionnelles déposéespar le
Gouvernement de la République fédérativede Yougoslavie (ci-après
dénomméela «Yougoslavie»). Je souscris à l'ordonnance de la Cour
pour ce qui a trait à la recevabilité des demandes reconventionnelles,
mais je suis préoccupépar le fait que la Cour n'ait pas donné aux Parties

la possibilité de développer leurs thèses respectives dans des exposés
oraux.

3. La procédure orale trouve sa justification au paragraphe 3 de I'ar-
ticle80 du Règlement de la Cour qui dispose que:
«Si le rapport de connexité entre la demande présentéecomme

demande recoriventionnelle et l'objet de la demande de la partie
adverse n'est pas apparent, la Cour, uprès uvoir entendu lesparties,
décides'il y a lieu ou non de joindre cette demande à l'instance ini-
tiale» (Les italiques sont de moi.)

4. La Cour a estiméque l'exigence d'«entendre les parties)) peut, dans
la présente affaire, etre satisfaite en donnant à chacune d'elles la possibi-
litéd'exposer leurs vues par écrit. La position adoptée par la Cour est
étayéepar sa pratique concernant certaines mais non pas toutes les autres
questions au sujet desquelles une exigence similaire est imposée, par

exemple, la nomination de juges ad hot. Le paragraphe 4 de l'article35
du Règlement dispose que: «En cas de contestation ou de doute, la Cour279 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP.OP. LAUTERPACHT)

if necessary after hearing the parties."Again, in relation to the problem
of appointing an ud hoc judge that arises when two or more parties may
be in the same interest, Article 36, paragraph 2, provides that "the matter
may be decided by the Court, if necessary after hearing the parties".
Likewise, Article 56, paragraph 2, relating to the authorization of the

production of documents after the closure of the written proceedings,
contains a similar formula, as does Article 67. In regard to these matters,
the practice of the Court has been merely to give the parties the oppor-
tunity to present their views in writing.
5. Even so, that interpretation is not one that immediately springs to

mind in respect of so substantial an issue as the admissibility of counter-
claims. It is to be recalled that the Rule on counter-claims (Art. 80)
appears immediately after the rule on preliminary objections (Art. 79)
and that both are classed together in Section D of the Rules, under the
heading "lncidental Proceedings". A similar requirement of hearing the
parties appears also in Article 79, paragraph 7, and has regularly been

met by the holding of oral proceedings. Even if the Court retains a discre-
tion to decide in a given case that such proceedings need not be held, the
present case is one in which the relative merits and the complexity of the
issues involved would certainly have warranted giving the parties the
additional opportunity of commenting orally on each other's arguments

and the Court the opportunity of the more extended consideration of the
matter that would have been involved in the holding of a hearing and in
the deliberations that would then have followed - the more so as such a
step would also have met the expressed expectations of the Parties.

6. The degree to which the decision of the Court not to hold such oral
proceedings departs from the opinion of, amongst others, the most
learned commentator on theCourt's procedure may be gathered from the
terms in which the question is discussed by Professor Rosenne in the
latest edition of his major work. As regards Article 80, paragraph 3, of

the Rules he writes:
"Paragraph 3 corresponds to the last sentence in the previous

Rules, with the substitution of 'after hearing the parties' for 'after
due examination'. This means that in future there will always be
some oral proceedings in the event of doubt - by whom is not
stated - as to the connection between the question presented by
way of counter-claim and the subject-matter of the claim of the
other party." (The Law und Practice of the Internutionul Court,

1920-1996, 3rd ed., 1997, Vol. III, p. 1273.)
7. It is, therefore, to be hoped that when the Rules of Court next come

to be revised, the opportunity will be taken to eliminate the cause of the
present division of opinion by ensuring that the word "hearing" is used
consistently to convey the idea of oral proceedings and that when the
Court intends to retain a discretion to determine that the exchangesdécide,après avoir entendu les parties s'il y a lieu.)) De nouveau, à pro-
pos di1 problème de la désignation d'un juge ad hoc qui se pose lorsque
deux ou plusieurs parties font cause commune, le paragraphe 2 de l.'ar-
ticle 36 prévoit que «la Cour décide,après avoir entendu les parties s'il

y a lieu)). De même,le paragraphe 2 de I'article 56,qui a trait à I'autori-
sation de produire des documents après la clôture de la procédure écrite,
contient une formule similaire. tout comme I'article 67. En ce qui con-
cerne ces questions, la pratique de la Cour a consisté simplement à confé-
rer aux parties la possibilitéd'exposer leurs vues par écrit.
5. Mêmedans ce cas, cette interprétation n'est pas celle qui vient

immédiatement à l'esprit au sujet d'une question aussi fondamentale que
la recevabilitéde demandes reconventionnelles. Il convient de rappeler que
la disposition du Kèglement relative aux demandes reconventionnelles
(art. 80) figure juste après celle concernant les exceptions préliminaires
(art. 79) et que ces deux dispositions sont placéesensemble à la section D
du Règlement sous l'intitulé((Procéduresincidentes)).Une exigence simi-

laire d'entendre les parties est énoncée égalementau paragraphe 7 de
I'article 79, et a régulièrementété satisfaitepar la tenue d'une procédure
orale. Mêmesi la Cour conserve un r ou voirdiscrétionnaire de décider
dans une affaire déterminéequ'une telle procédure ne devrait pas avoir
lieu, la présente affaire est une instance dans laquelle les particularités
relatives et la complexité des questions en cause auraient certainement

justifié de conférer à chacune des Parties la faculté supplémentaire de
commenter oralement les arguments de l'autre et à la Cour la possibilité
d'examiner plus en détail laquestion, ce qu'elle aurait pu faire durant des
audiences et au cours des délibérationsqui auraient suivi - d'autant plus
qu'une telle mesure aurait répondu aux attentes expriméespar les Parties.
6. On peut se rendre compte à quel point la décisionde la Cour de ne

pas tenir de procédure orale s'écartede l'opinion d'un, parmi d'autres,
des commentateurs les plus éminents de la procédure de la Cour en ana-
lysant les termes dans lesquels la question est examinéepar M. Rosenne
dans la plus récenteédition de son principal ouvrage. En ce qui concerne
le paragraphe 3 de I'article 80, il écrit:

((Le paragraphe 3 correspond à la dernière phrase du Règlement
antérieur, dans laquelle l'expression «après examen)) a étéremplacée
par «après avoir entendu les parties)).Cela signifie que dans l'avenir

ily aura toujours une certaine procédure orale en cas de doute -
aux yeux de qui? - sur l'existence d'un rapport de connexité entre
la demande présentéecomme demande reconventionnelle et l'objet
de la demande de la partie adverse.)) (Tlze Lulv and Proctice of
the Internutionul Court, 1920-1996, 3' éd., 1997, vol. III, p. 1273.)

7. 11y a donc lieu d'espérerque la prochaine fois que le Règlement de
la Cour sera reviséon saisira cette occasion pour faire disparaître le motif
de la divergence de vues actuelle en veillant à ce que le mot ((audition))
soit utiliséconstamment pour exprimer l'idéed'une procédure orale et

que, lorsque la Cour envisage de conserver un pouvoir discrétionnaire de280 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP. OP.LAUTERPACHT)

between representatives of the parties are to be limited to written pro-
ceedings, it will adhere to such wording as is used elsewhere in the Rules
(e.g. Arts.46, para. 1, 53, paras. 1 and 2, 55 and 58, para. 2), namely
"after ascertaining the views of the parties" or, as in Article 76, para-

graph 3, after affording "the parties an opportunity of presenting their
observations on the subject" or, as in Article 79, paragraph 3, "the other
party may present a written statement of its observations".

8. The present consideration by the Court of the question of counter-
claims is occasioned by the filing by Yugoslavia on 23 July 1997 of an
extensive Counter-Memorial. This falls into two parts. The first part, of

nearly 350 pages, may be described in general terms as containing
"defences". The second part, consisting of over 700 pages, sets out fac-
tually Yugoslavia's allegations of genocide by Bosnia and Herzegovina
("Bosnia" hereinafter) against the Serbs in Bosnia and Herzegovina.
Apart from a statement in the Introduction to the Counter-Mernorial

that it "includes counterclaims" and the inclusion as one of the three
Submissions at the close of the Counter-Memorial of an elaboration of
the statement that "Bosnia and Herzegovina is responsible for the acts
of genocide committed against the Serbs in Bosnia and Herzegovina",
the Counter-Memorial contains no discussion of the legal aspects of the
counter-claims. But even though the Counter-Memorial contains no

reference to Article 80 of the Rules of Court and no argument that the
matters covered in Part 11of that pleading are "directly connected with
the subject-matter of the claim" of Bosnia, it would have been unreal-
istic not to recognize that Part for what it is. Accordingly, on 28 July
1997, Bosnia addressed a letter to the Court expressing the opinion that

the counter-claims "did not meet the criteria of Article 80, paragraph 1,
of the Rules of Court and should therefore not be joined to the original
proceedings". Having then been requested by the Court to specify in
writing "the legal ground on which this opinion is based", Bosnia
responded on 9 October 1997 with a letter to the Court in which it con-
tended that the Yugoslav counter-claim was not admissible since, by

reference to Article 80, paragraph 1,of the Rules of Court, "any direct
connection with the subject-matter of Bosnia and Herzegovina's origi-
nal claim is totally lacking". Though conceding that both claim and
counter-claim are based on the same legal ground - the Genocide
Convention - Bosnia contended that the two sets of allegations had

nothing to do with one another:décider que les échangesentre des représentants des parties doivent être
limitésà des exposésécrits,elle suivra le libellé utilisédans d'autres dis-
positions du Règlement (par exemple, art. 46, par. 1,53, par. 1 et2, 55,

58, par. 2),à savoir «après s'être renseignéeauprès des parties)) ou,
comme l'indique le paragraphe 3de I'article 76, après avoir donné «aux
parties la possibilitéde présenter des observations à ce suje» ou, comme
au paragraphe 3 de I'article79, que l'autre partie «peut présenter un
exposéécritcontenant ses observations)).

LA RECEVABILITÉ DES DEMANDES RECONVENTIONNELLES

8. La Cour examine actuellen~ent la question des demandes reconven-
tionnelles à la suite du dépôt par la Yougoslavie le 23 juillet 1997 d'un
très long contre-mémoire. Cette pièce comprend deux parties. La pre-

mière partie, composée de près de trois cent cinquante pages, peut être
décritede manière généralecomme exposant «des moyens de défense)).
La deuxième partie, qui comprend plus de sept cents pages, énonce les
faits sur lesquels reposent les allégationsde la Yougoslavie concernant les
actes de génocide qu'aurait commis la Bosnie-Herzégovine (ci-après
dénomméela «Bosnie))) contre les Serbes en Bosnie-Herzégovine. Hor-

mis une indication dans l'introduction du contre-mémoire qu'il «corn-
prend des demandes reconventionnelles» et l'énoncédans une des trois
conclusions à la fin du contre-mémoire de détailssur la déclaration selon
laquelle «la Bosnie-Herzégovine est responsable des actes de génocide
commis contre les Serbes en Bosnie-Herzégovine)), le contre-mémoire ne
comporte aucun examen des aspects juridiques des demandes reconven-

tionnelles. Mais quand bien mêmele contre-mémoire ne contient aucune
référence l'article 80 du Règlement de la Cour et aucun argument selon
lequel les questions traitées dans la deuxième partie de cette pièce de
procédure sont «eri connexité directe avec l'objet de la demande)) de la
Bosnie, il n'aurait été guèreréaliste de ne pas reconnaître cette partie
pour ce qu'elle représente. En conséquence, le 28 juillet 1997,la Bosnie a

adressé une lettreà la Cour dans laquelle elle a exprimé l'opinion que les
demandes reconventionnelles «ne rempliss[ai]ent pas le critère du para-
graphe 1 de I'article 80du Règlement et qu'elles ne devraient donc pas
êtrejointes à l'instance initiale)). Ayant alors étéinvitéepar la Cour à
préciserpar écrit«les motifs juridiques sur lesquels elle s'appuyait pour
soutenir cette opinion)), la Bosnie a répondu le 9 octobre 1997 dans une

lettre adressée à la Cour qu'elle considérait que la demande reconvention-
nelle présentéepar la Yougoslavie n'étaitpas recevable étant donné que,
au regard du paragraphe 1de I'article 80 du Règlement de la Cour, «sa
connexité directe avec l'objet de la demande initiale de la Bosnie-Herzé-
govine fait radicalement défaut». Tout en reconnaissant qu'aussi bien la
demande que la demande reconventionnelle reposent sur le mêmefon-

dement juridique -- la convention sur le génocide - la Bosnie a sou-
tenu que les deux sériesd'allégations n'ont rien à voir l'une avec l'autre: "[it] is evident that the alleged victims are not the same . .. nor are
the material perpetrators of the alleged atrocities the same . . . This
means, then, that if the two claims were joined in the same proceed-
ings before the Court, it would in any event have to verify separately
the facts alleged c.~udvcrso and consider separately whether, in
regard to the Genocide Convention, they constitute unlawful con-
duct attributed, respectively, to one or the other Party . . ."(Letter

to the Registrar from the Deputy-Agent of Bosnia and Herzegovina
dated 9 October 1997, para. 3.)

9. Bosnia also requested the Court to decide that the counter-claim
should not be joined to the principal claim, but expressly acknowledged
that Yugoslavia was free to submit to the Court a separate application
instituting proceedings in the normal way.

10. Yugoslavia, for its part, responded that there is a direct connection
between Part II of its Counter-Memorial, i.e., the counter-claim, and the
Bosnian claim. Yugoslavia pointed out, first, that the claim and counter-
claim are based on the same legal grounds, namely the Genocide Conven-
tion and general rules of State responsibility. Secondly, it contended:

"The disputed facts of the claim and counter-claim are the facts of
the same tragic conflict, i.e. civil war in Bosnia and Herzegovina,
which happened in a single territorial and temporal setting, based on
the same historical background and within the framework of the
same political development. Due to that reason as well as to the

same legal ground of the claim and counter-claim, al1relevant facts
which form the basis of claim and counter-claim are interrelated in
such a way to make a factual and legal connection relevant to the
issue." (Statement of Yugoslavia concerning the admissibility of the
counter-claim, 23 October 1997, para. 4.)

11. It thus appears that Bosnia supports what may be called a "restric-
tive" interpretation of the requirement of "direct connection", while
Yugoslavia advances a "broad" one. For Bosnia there must be an iden-
tity of the alleged victims as there must be of the material perpetrators;
the judicial analysis of the facts in the counter-claim must have a rela-
tionship to, or must be of help in. the examination of the facts in the prin-
cipal claim. For Yugoslavia it is sufficient that the counter-claim "raised

the question of genocide of the Serbs as one relevant to contradicting
facts presented by the Applicant as be~ngrelevant for attributing alleged
acts to the Respondent". «il est évident, en effet, que les prétendues victimes ne sont pas les
mêmes ...les auteurs matériels des atrocités alléguéesnon plus ...
Cela implique alors que, si les deux demandes étaient jointes dans le
même procèsdevant la Cour, le juge devra de toute façon vérifier

séparémentles faits allégués r.uadverso et examiner séparéments'ils
constituent, au regard de la convention sur le génocide,des compor-
tements illicites imputables, respectivement, à l'une ou à l'autre Par-
tie...)) (Lettre en date du 9 octobre 1997, adressée au Greffier par
l'agent adjoint (le la Bosnie-Herzégovine, par. 3.)

9. La Bosnie a aussi prié la Cour de bien vouloir décider que la

demande reconventionnelle ne doit pas êtrejointe à la demande princi-
pale, mais a admis expressément que la Yougoslavie avait toute latitude
pour introduire à la Cour une requête introductive d'instance distincte
par les voies ordinaires.
10. Pour sa part, la Yougoslavie a répondu qu'il y avait une connexité
directe entre la deuxième partie de son contre-mémoire, à savoir la

demande reconventionnelle, et la demande de la Bosnie. La Yougoslavie
a fait en premier lieu observer que la demande et la demande reconven-
tionnelle reposent sur le mêmefondement juridique, à savoir la conven-
tion sur le génocideet les règlesgénérales enmatière de responsabilité des
Etats. En second lieu, elle a déclaré:

«Les faits contestés rapportés dans la demande [principale] et la

demande reconventionnelle s'inscrivent les uns les autres dans le
mêmeconflit tragique, i savoir la guerre civile en Bosnie-Herzégo-
vine, ils se sont produits sur un même territoire et au cours d'une
mêmepériode, et ils s'insèrent dans le même contexte historique et
dans le cadre de la même évolutionpolitique. De ce fait, et du fait
que la demande et la demande reconventionnelle partagent le même

fonderilent juridique. tous les faits pertinents invoqués a l'appui de la
demande [principale] et de la demande reconventionnelle sont liés
entre eux de façon A créer un lien factuel et juridique pertinent en
l'espèce.» (Déclaration de la Yougoslavie concernant la recevabilité
de la demande reconventionnelle, 23 octobre 1997, par. 4.)

II. II semble donc que la Bosnie soit favorable à ce que l'on peut

appeler une interprétation «restrictive» de l'exigence d'une ((connexité
directe)),alors que la Yougoslavie soutient une interprétation «large».
Pour la Bosnie, il doit exister une identité des prétendues victimes de
mêmeque des auteurs matériels; l'analyse judiciaire des faits énoncés
dans la demande reconventionnelle doit avoir un rapport avec l'examen
des faits exposés da.ns la demande principale ou doit êtreutile à cet exa-

men. Pour la Yougoslavie, il suffit que la demande reconventionnelle «ait
soulevéla question du génocidecommis à l'encontre des Serbes en tant
qu'elle permet de réfuterles faits présentéspar le demandeur comme per-
tinents pour l'imputation des faits alléguésau défendeur)).282 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP. OP.LAUTERPACHT)

12. In the present case, the choice between these two approaches must
depend to a large extent on the nature of the concept "genocide". Can
what we conceive of as amounting to genocide be constituted by a single
act of a horrific nature? Or can it only be constituted by a series of acts

which, while individually being no more than murder or causing serious
bodily harm to individuals or such like, are, when viewed cumulatively,
evidence of a pattern of activity amounting to genocide?

13. The second alternative seems logically to be the more cogent. A
single murder or other horrific act cannot be genocide. Only a series or

accumulation of such acts, if they reveal collectively the necessary intent
and are directed against a group identifiable in the manner foreseen in
Article II of the Convention, will serve to constitute genocide - where-
upon liability for the individual component crimes, as well as for the spe-
cial crime of genocide, will tàll not only upon the individuals directly
responsible but also upon the State to which their acts are attributable.

14. Approached thus, it is not possible to require that the facts under-
lying a counter-claim in respect of genocide must have their direct con-
nection with the individual and specific acts forming the basis of the
principal claim of genocide. It is sufficient that the acts invoked as con-

stituting the basis of the counter-claim should be directly connected with
the principal claim by reason of their occurrence in the course of the
same conBict. Indeed, it may be suggested that the policy underlying the
prohibition of genocide favours this broader view since the particular
obligations of respect for human rights embodied in the Genocide Con-
vention are ones which rest with equal weight upon al1persons involved.

It is upon this basis that 1agree with the conclusion of the Court that the
Yugoslav counter-claim is admissible.

15. It is not necessary to repeat here the Court's analysis of its own
jurisprudence, but it is appropriate to mention the support for this

approach to be derived from the treatment of the analogous problem
within national legal systems when counter-claims are brought against
plaintiff States which would, were they sued directly as defendants, be
able to plead State immunity. One may recall pertinent statements of two
particularly distinguished United States judges. The first was made by
J. Manton, of the United States Court of Appeals, Second Circuit:

"Claims arising out of the same transaction may be set off against
a sovereign. The same transaction does not necessarily mean occur-
ring at the same time. In Moore v. New York Cotton E'cchange . . .

the court said that the transaction may comprehend a series of many 12. Dans la présente espèce, le choix entre ces deux approches doit
dépendredans une large mesure de la nature de la notion de «génocide».

Pouvons-nous concevoir que ce qui équivaut à un génocide soitconstitué
par un acte unique de caractère horrible? Ou peut-il êtreseulement
constitué par une série d'actes qui, n'étant individuellement pas plus
qu'un meurtre ou de graves dommages corporels causés à des personnes.
sont, lorsqu'on les considère cumulativement, la preuve d'une activité

systématique équivalent à un génocide?
13. La seconde possibilité semble logiquement êtrela plus convain-
cante. Un nieurtre unique ou un autre acte horrible ne peut constituer un
génocide. Seuleune sérieou une accumulation de tels actes, si elle révèle
collectivement l'intention nécessaireet est dirigéecontre un groupe iden-

tifiable de la manière prévuepar l'article IIde la convention, sera consi-
déréecomme constituant un génocide - et dans ces conditions la res-
ponsabilité des crimes individuels qui la compose, ainsi que des crimes
spéciaux de génocide, ne sera pas imputée uniquement aux individus
directement responsables mais aussi à 1'Etatauquel leursactes sont impu-
tables.

14. Dans cette perspective, il n'est pas possible d'exiger que les faits
qui sont à l'origine: d'une demande reconventionnelle concernant un
génocide aient une connexité directe avec les actes individuels et spé-
cifiques formant la base de la demande principale concernant un géno-
cide. Il suffit que les actes invoqués comme constituant la base de la

demande reconventiionnelle aient Lin rapport de connexité direct avec
la demande principale parce qu'ils se sont produits au cours du même
conflit.A vrai dire, on peut considérer que la politique qui est iila base
de l'interdiction du génocideconforte cette interprétation plus large étant
donné que les obligations particulières de respect des droits de l'homme
consacrées dans la convention sur le génocide reposent avec le même

poids sur toutes les personnes concernées. C'est sur cette base que je
souscris à la conclusion de la Cour selon laquelle la demande yougoslave
est recevable.
15. 11n'est pas nécessaire de répéterici l'analyse de la Cour de sa
propre jurisprudence, mais il convient de relever que cette approche est

étayéepar le traiternent d'un problème analogue dans le cadre de sys-
tèmes juridiques nationaux lorsq~ie des demandes reconventionnelles
sont présentéescontre des Etats demandeurs qui, s'ils étaient poursuivis
directement en tant que défendeurs, pourraient invoquer l'immunité
de 1'Etat. On peut rappeler les déclarations pertinentes de deux juges

particulièrement éminents des Etats-Unis. La première a étéfaite par
M. J. Manton, de la cour d'appel des Etats-Unis, deuxième circons-
cription (Second Circuit) :

«Les demandes procédant de la même transaction peuvent don-
ner lieu à des zictions reconventionnelles contre un Etat. La même

transaction ne signifie pas nécessairement une concordance tem-
porelle. Dans l'affaire Moore v. Neiv York C'otton E'ccliangr ... la occurrences depending not so much upon the immediateness of their
connection as upon their logical relationship." (United States
v. National City Bank of' New York (1936) 83 F. (2d), p. 236;

Internatiotzul Law Reports, Vol. 8, p. 218, at p. 220.)

16. The second contribution was by Justice Frankfurter in the Supreme
Court of the United States in a case in which the principal claim was by
the Republic of China for the recovery of a deposit made in the defend-
ant Bank by the Shanghai-Nanking Railway Administration, an official
agency of the State. The Bank counter-claimed on defaulted Treasury

Notes of the Republic of China owned by it. Justice Frankfurter said:

"It is recognized that a counterclaim based on the subject matter
of a sovereign's suit is allowed to cut into the doctrine of immunity.
This is proof positive that the doctrine is not absolute, and that con-

siderations of fair play must be taken into account in its application.
But the limitation of 'based on the subject matter' is too indetermi-
nate, indeed too capricious, to mark the bounds of the limitations on
the doctrine of sovereign immunity. There is great diversity among
courts on what is and what is not a claim 'based on the subject mat-
ter of the suit' or 'growing out of the same transaction' . . . No doubt

the present counterclaims cannot fairly be deemed to be related to
the Railway Agency's deposit of funds except insofar as the trans-
actions between the Republic of China and the petitioner may be
regarded as aspects of a continuous business relationship. The point
is that the ultimate thrust of the considerationof fair dealing which
allows a setoff or counterclaim based on the same subject matter

reaches the present situation." (National City Bank qf New York
v. Republic of China, et al. (1955) 348 US 356; International Law
Reports, Vol. 22, p. 210, at p. 215.)

17. Nothing in Article 9 (conter-claims) of the Draft Articles on
Jurisdictional Immunities of States and their Property, adopted in 1991

by the lnternational Law Commission of the United Nations, suggests
that codification of the subject has led to any materially different conclu-
sion :

"A State instituting a proceeding before a court of another State
cannot invoke immunity from the jurisdiction of the court in respect
of any counter-claim arising out of the same legal relationship or
facts as the principal claim." (Y~urhook of'the Intcrnational Law!

Commi.~sion,1991, Vol. II, Part Two, p. 30.) Cour a déclaréque la transaction peut comprendre une série de
nombreux actes ne dépendant pas tant du caractère immédiatde leur
connexité que de leur rapport logique. » (United States v. National
City Bank of N~kc York (1936) 83 F. (2d), p. 236; International Laiv
Reports, vol. 8, p. 220.)

16. La deuxième déclaration a étéfaite par M. Frankfurter, juge à la
Cour suprêmedes Etats-Unis dans une affaire où la demande principale

avait étéprésentéepar la République de Chine pour recouvrer une
somme déposéeauprès de la Banque défenderesse par l'administration
des chemins de fer Shangai-Nanking, un organisme officiel de 1'Etat.
La banque a présentéune demande reconventionnelle concernant des
bons du trésor dela Républiquede Chineque celle-ci ne lui avait pas rem-
boursés. M. Frankfiirter a déclaré:

«Il est admis qu'une demande reconventionnelle fondée sur l'objet

d'une instance introduite par un Etat peut mettre en cause la doc-
trine de l'immunité. Celaprouve manifestement que la doctrine n'est
pas absolue, et que des considérations de loyauté doivent êtreprises
en compte dans son application. Mais l'expression limitative «fon-
déesur l'objet)) est trop imprécise,voire trop fluctuante, pour mar-
quer les limites des restrictions de la doctrine de l'immunitéde 1'Etat.
Les tribunaux divergent très largement dans leur opinion sur ce qui

constitue et ce qui ne constitue pas une demande ((fondéesur l'objet
de l'instance» ou ((procédantde la mêmetransaction)) ...De toute
évidence,les demandes reconventionnelles actuelles ne peuvent être
objectivement réputéesêtreliéesau dépôt de fonds de I'administra-
tion des chemins de fer sauf dans la mesure où les transactions entre
la République de Chine et l'auteur de la demande peuvent êtreconsi-

déréescomme clesaspects d'une relation commerciale continue. Mais
la auestion de la considération de la lovauté dans les transactions
qui permet de présenter une demande reconventionnelle fondée sur
le mêmeobjet se pose essentiellement dans la situation actuelle.))
(National Cit.y Bank ef New York v. Republic of China, et al. (1955)
348 US 356; Irlternarional Law Reports, vol. 22, p. 215.)

17. Aucune disposition de l'article 9 (demandes reconventionnelles) du
projet d'articles sur les immunitésjuridictionnelles des Etats et de leurs

biens, adopté en 1991 par la Commission du droit international de
l'organisation des Nations Unies, ne laisse entendre que la codification
du sujet a abouti iiune conclusion sensiblement différente:

<tUn Etat qui intente une procédure devant un tribunal d'un autre
Etat ne peut invoquer l'immunité de juridiction devant ledit tribunal
en ce qui concerne une demande reconventionnelle qui est fondéesur
le mêmerapport de droit ou les mêmesfaits que la demande princi-

pale.)) (Annuaire de la Commission du droit international, 1991,
vol.II, deuxième partie, p. 30.) 18. But determination that the Yugoslav counter-claim is directly con-
nected with the subject-matter of the Bosnian claim cannot be the end of
the matter. Each case must be looked at in the light of its own particular
facts. The Court has an inherent power and duty to ensure the orderly
and effective administration of justice. Cases should be heard with al1
deliberate speed. To these ends the Court enjoys a significant measure of
discretion. It is not controlled by the letter of Article 80 of its Rules. It
should be recalled that, in contrast with many of the Rules of the Court,
Article 80 does not have its source in any obligatory provision of the
Court's Statute. In Article 80 the Court is not laying down a procedure
for the implementation of its statutory duty; it is only exercisingthe gen-

eral power conferred on it by Article 30 of the Statute to "frame rules for
carrying out its functions". The Court has seen the consideration of
counter-claims as a possible aspect of its functions and so, of its own ini-
tiative, it has framed certain rules. But it is not rigidly or perpetually
bound by these Rules. It is free, and, indeed, obliged, to apply them
reasonably and to adjust their application to the circumstances of the
case before it.

19. It would, therefore, have been open to the Court to have exercised
its discretion in the present case by declining to join the otherwise admis-
sible counter-claims to the principal claims. The principal factor that
could have been invoked to justify the separation of the treatment of the
claims and counter-claims is the immense additional complexity to which

the treatment of the counter-claims simultaneously with the claims is
bound to give rise. As stated above, a claim of genocide involves the
establishment of a pattern or accumulation of individual crimes. Bosnia
has in its Memorial alleged six categories of offences: the use of concen-
tration camps; killing; torture; rape; expelling of people and destruction
of property, homes, places of worship and cultural objects; and the cre-
ation of destructive living conditions - shelling, starvation and intimi-
dation of the population. Yugoslavia has responded in detail to each
of these allegations in Part 1 (the "defence" section) of its Counter-
Memorial, as well as adding in Part II a detailed catalogue of the crimes
alleged to have been committed by Bosnians and Croats against Serbians.
The assessment of the allegations and responses, if approachedother than
on a fairly general level(a matter on which it is not appropriate to express
any view at this stage of the case), could take months of hearings and
deliberation. The annexesadduced by Bosnia in support of this part of its
case are some 15cm thick; and those adduced by Yugoslavia in connec-

tion with Part 1 of its Counter-Memorial are some 18 cm thick, while
those adduced in support of Yugoslavia's counter-claims add about a
further 14.5cm. The bulk of paper in a case is not always a good guide to
its true simplicity or complexity, but it is safe to say that nothing in the
materials presented by the two Parties in this case suggests that the task 18. Mais une décision par laquelle il est reconnu que la demande
reconventionnelle yougoslave est en connexité directe avec l'objet de la
demande de la Bosnie ne peut réglerdéfinitivement la question. Chaque
affaire doit êtreexaminéeà la lumièrede ses propres faits particuliers. La

Cour a un pouvoir et une obligation naturels d'assurer une administra-
tion de la justice régulière etefficace. Les affaires doivent êtrejugéesavec
toute la céléritévoulue. A ces fins, la Cour jouit d'un très grand pouvoir
discrétionnaire. Elle n'est pas tenue par la lettre de l'article 80 de son
Règlement. Il convient de rappeler que, contrairement à de nombreuses dis-
positions du Règlement de la Cour, l'article 80 n'a pas sa source dans une

disposition obligatoire quelconque du Statut de la Cour. A l'article 80,
la Cour ne définitpas une procédure pour l'exercicede son obligation sta-
tutaire; elle ne fait simplement qu'exercer le pouvoir généralqui lui est
conférépar l'article 30 du Statut de «détermine[r] par un règlement le
mode suivant lequel elle exerce ses attributions)). La Cour a considéré
l'examen des demandes reconventionnelles comme un aspect possible de

ses attributions et elle a ainsi, de sa propre initiative, déterminéun certain
règlement. Mais elle n'est pas liéestrictement ou perpétuellement par ce
règlement. Elle a la faculté et, en fait, est tenue de les appliquer de
manière raisonnable et d'adapter leur application aux circonstances de
l'affaire dont elle est saisie.
19. En conséquence, la Cour aurait eu toute latitude pour exercer son

pouvoir discrétionnaire dans la présenteespèceen refusant de joindre des
demandes reconventionnelles par ailleurs recevables aux demandes prin-
cipales. Le facteur essentiel qui aurait pu être invoqué pour justifier un
traitement distinct des demandes et des demandes reconventionnelles est
la complexitésuppl6mentaire considérableà laquelle va donner inévitable-
ment lieu le traitenient de demandes reconventionnelles en mêmetemps

que des demandes initiales. Comme il est indiquéci-dessus, une demande
concernant un génocide implique l'établissement du caractère systéma-
tique ou de I'accun~ulation de crimes individuels. La Bosnie a dans son
mémoire soutenu que six catégories d'infractions avaient étécommises:
l'utilisation de canips de concentration; les meurtres; les tortures; les
viols; l'expulsion des populations et la destruction de biens, de maisons,

de lieux de culte et d'objets culturels; et la création de conditions de vie
destructrices- bombardements, réduction rila famine et intimidation de
la population. La Yougoslavie a répondu en détailà chacune de ces allé-
gations dans la première partie (dans la section consacréeaux ((moyens de
défense))) de son contre-mémoire, ainsi qu'en mentionnant dans la
deuxièmepartie une liste détailléedes crimes qui auraient été commispar

des Bosniaques et des Croates contre des Serbes. L'évaluation des allé-
gations et des réponses, si elle est faite en dehors d'un cadre assez géné-
ral (question sur laquelle il ne convient pas d'exprimer une opinion quel-
conque à cette phase de l'instance), pourrait exiger des mois d'audition et
de délibération.Les annexes produites par la Bosnie à l'appui de cette par-
tie de son argumentation ont environ 15centimètres d'épaisseur; et celles

présentéespar la Yougoslavie en rapport avec la première partie de sonthat will eventually face the Court when it comes to the merits will be
other than an extremely heavy one.

20. The question is, however, whether the Court could exercise its dis-

cretion to defer the consideration of the material contained in the Yugo-
slav counter-claim until after it has disposed of the Bosnian claim with-
out improperly depriving Yugoslavia of its right to deploy those defences
that the latter thinks are necessary as a response to the Bosnian claim.
The answer in this case is no. It appears from the Yugoslav Statement of
23 October 1997 in reply to Bosnia's Statement of 9 October 1997 that

Yugoslavia considers that the material it has advanced in Part II of its
Counter-Memorial (the "counter-claim" part) is also an essential ingre-
dient of its defence to the principal Bosnian claim. It is impossible for the
Court at this stageof the case to attempt to assess the extent to which the
material in Part II of the Yugoslav Counter-Memorial is or is not proper

for use as a defence to the Bosnian principal claim. Also, the Court can-
not disregard the possibility that the Yugoslav Counter-Memorial is
advancing a tu yuoque argument.

21. One fact which might have affected the admissibility of the Yugo-
slav counter-claim is that some of the allegations of genocidal conduct
are levelled not only against Bosnians but also against Croats, thus seem-
ingly bringing into the case the question of the liability of a State not
party to the proceedings. The Yugoslav Counter-Memorial does not

grapple with the implications of this fact. However, the number of situa-
tions in which allegations are made against Croats would appear, at the
present stage at any rate, to be too small to lead the Court to treat this
feature by itself as sufficient to exclude the admissibility of the counter-
claims a whole.

22. In short, reluctant though one may feel to see the complexity of
this case magnified by the incorporation of the Yugoslav counter-claim,
there appears to be no convincing basis on which it may be excluded -
though the possibility is not to be excluded that some satisfactory solu-
tion might have been found if the Court had agreed to oral proceedings

on this interlocutory, but nevertheless important, aspect of the case.

23. In conclusion, it is essential to appreciate that the difficulties which
confront the Court are not of its own making nor, indeed, of the making
of the Parties. The closer one approaches the problems posed by APPLICATION Dl< CONVENTION GÉNOCIDE (OP.IND.LAUTERPACHT 2)5

contre-mémoire quelque 18 centimètres d'épaisseur,alors que celles pré-
sentéesà l'appui des demandes reconventionnelles de la Yougoslavie ont

14,5 centimètres d'épaisseur. Lagrande masse de documents dans une
affaire ne permet pas to~~joursde savoir réellementsi elle est simple ou
complexe, mais on peut dire sans risque de se tromper que rien dans les
documents présentéspar les deux Parties dans cette affaire ne permet de
penser que la tâche iilaquelle la Cour devra finalement faire facelorsqu'elle

abordera le fond ne sera pas extrêmementlourde.
20. Toutefois, la question qui se pose est de savoir si la Cour pouvait
exercer son pouvoir discrétionnaire de différer l'examen des éléments
contenus dans la demande reconventionnelle yougoslave jusqu'à ce qu'elle
se soit prononcée sur la demande de la Bosnie, sans priver indûment la

Yougoslavie de son droit de présenter les moyens de défense qu'elle juge
nécessairespour répondre à la demande de la Bosnie. La réponseà cette
question est négative. II ressort de la déclaration de la Yougoslavie du
23 octobre 1997en réponseà la communication de la Bosnie du 9 octobre
1997 qu'elle considère que les documents qu'elle a présentésdans la

deuxièmepartie de son contre-mémoire (lapartie concernant la ((demande
reconventionnelle)))constitue aussi un élémentessentiel de ses moyens de
défensecontre la demande principale de la Bosnie. Il est impossible à la
Cour à cette phase de l'affaire de chercher à évaluerdans quelle mesure
les éléments figurantdans la deuxième partie du contre-mémoire yougo-

slave peuvent ou non valablement êtreutiliséscomme moyens de défense
contre la demande principale de la Bosnie. De même,la Cour ne peut
écarter la possibilitéque le contre-mémoire yougoslave avance un argu-
ment tu quoque.
21. Le fait que certaines de ces allégations de comportements de la

nature d'un gé"ocide soient formulées non seulement contre les Bos-
niaques mais aussi contre les Croates aurait pu aussi avoir des effets sur
la recevabilitéde la demande reconventionnelle yougoslave, ce qui appa-
remment aurait introduit dans I'affaire la question de la responsabilité
d'un Etat qui n'est pas partie à l'instance. Le contre-mémoire yougoslave

ne traite pas des incidences de ce fait. Toutefois, le nombre de situations
dans lesauelles des allé"ations sont formuléescontre des Croates semble-
rait, à la phase actuelle en tout étatde cause, êtretrop limitépour amener
la Cour à considérer cette caractéristiaue en soi comme suffisante Dour
écarter la recevabilitéde l'ensemble des demandes reconventionnelles.
22. En résumé,quelles que soient les réticencesque l'on puisse ressen-

tir à voir que cette affaire est rendue encore plus complexe par la prise en
compte de la demande reconventionnelle yougoslave, il ne semble pas
exister de bases convaincantes permettant de l'exclure - bien que l'on ne
puisse écarter la possibilité qu'une certaine solution satisfaisante aurait
pu être trouvéesi la Cour avait accepté de tenir une procédure orale sur

cet aspect interlocutoire, mais néanmoins important, de I'affaire.
23. En conclusion, il est essentiel de se rendre compte que les diffi-
cultésauxquelles fait face la Cour ne sont pas dues à sa propre action ni,
de fait, à l'action des Parties. Plus on se rapproche de l'étudedes pro- APPLICATION DI3 CONVENTION GÉNOCIDE (OP.IND. LAUTERPACHT) 286

blèmes que pose l'application de la procédure de règlement judiciaire
prévupar l'articleIX de la convention sur le génocide, pluson est obligé

de reconnaître que ces problèmes sont de nature entièrement différente
de ceux confrontant normalement un tribunal international exerçant une
juridiction essentiellement civile,et non pénale.Les difficultéssont systé-
miques et leur solution ne peut être rapidement trouvée, quece soit par la
Cour ou, ce qui serait peut-être plus approprié, par les parties a la
convention sur le génocide.

(Signé) Elihu LAUTERPACHT

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Opinion individuelle de M. Lauterpacht, juge ad hoc (traduction)

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