Opinion individuelle de M. Lachs (traduction)

Document Number
088-19920414-ORD-01-04-EN
Parent Document Number
088-19920414-ORD-01-00-EN
Document File
Bilingual Document File

OPINION INDIVIDUELLE DE M. LACHS

[Traduction]
Tout en souscrivant àla décisionde la Cour,je crois de mon devoir de
faire étatde certaines considérations touchant les circonstances dans
lesquelles elle a dû être adoptée. Pour obscures qu'aient pu être les
circonstances,l'onpeut néanmoins en dégagercertaines incidencesjuri-
diques.

Si les événements avaient normalement suivi leur cours, la demande
présentée àla Cour dans l'affaire introduite surla base de la convention
de Montréal aurait obligéla Courà déterminers'ilexistaitde réelsmotifs
d'accorder des mesures conservatoires. La requête introductived'ins-
tance etlademande dela Libye,toutefois,ontétésoumises à laCour alors
quela catastrophe de Lockerbieainsi queleproblèmepluslargedu terro-
risme international, qui doit être condamné sous toutesses manifesta-
tions, étaient déjàà l'ordre du jour du Conseil de sécurité, lequel avait
rassemblécesdeuxquestions dans lecontextedela résolution 731(1992).
Le Conseil, pénétrantdans le domaine couvert par le chapire VI1de la
Charte,a adopté au sujet de certaines questions lié,àla catastrophe de
Lockerbiedesdécisionsayantforceobligatoire.Lesproblèmesdecompé-
tence et d'application du principe subjudice ont ainsi revêtuune plus
grande importance quejamais.

Bienque la Cour soit appelée àappliquer le droit international en tant
que droit universel, aussi bienà l'intérieur qu'en dehorsdu cadre de
l'organisation des Nations Unies, elle est tenue de respecter, en tant
qu'élément faisanptartie intégrantede cedroit, lesdécisionsobligatoires
du Conseil de sécurité. En l'occurrence, cela soulève évidemment des
problèmes de compétence concurrente entre la Cour et un autre des
organesprincipaux del'organisation des Nations Unies.
Les rédacteursde la Charte, en créant plusieurs organes principaux,
n'ont pas établide séparation complètedespouvoirs,etrien nepermet de
supposer que telle ait été leur intention.Bien que chacun de ces organes
fasse l'objetd'un oude plusieurs chapitres de la Charte, les fonctions de
deux d'entre eux,à savoirl'Assembléegénérale et le Conseil de sécurité,
affectent aussi des chapitres autres que ceux qui leur sont consacrésen

propre. Mêmela Cour internationale de Justicefait l'objet, en dehors de
son propre chapitre, d'un certain nombre de mentions qui tendent à
confirmer son rôle de gardienne généralede la légalitéà l'intérieurdu
système.En fait, la Cour est la gardienne de la légalpour la commu-
nautéinternationale dansson ensemble,tant à l'intérieur qu'en dehodu
cadre de l'Organisation des Nations Unies. L'onpeut donc légitimement
supposer que l'intention des fondateurs n'étaitpas d'encourager ces
organes à exercerleursfonctionsparallèlement commeavecdes Œillères,
maisplutôt d'avoir entre euxune interaction fructueuse. CONVENTION DE MONTRÉALDE 1971(OP. IND. LACHS) 27

Aux termes de la Charte, deux des organes principaux de l'organisa-
tion des Nations Unies,à savoirle Conseil de sécurité et laCour interna-
tionale de Justice, ont expressémentparmi leurspouvoirs celuide rendre
desdécisionsobligatoires.Il estindubitable que la mission de la Cour est
((d'assurerl'intégritdudroit international.»(C.Z.J.Recueil1949,p. 35).
Elleenestlaprincipale gardienne. Or,ilestapparu que lalignededémar-

cation entre lesdifférendspolitiquesetjuridiques s'estestompée,le droit
devenant de plus en plus fréquemment un élément indissociable des
litigesinternationaux. LaCour,qui,pour desraisons quenul n'ignore,asi
fréquemmentété laisséede côtédans lepassé,estainsiappelée àjouer un
rôletoujours plus grand.Il importe par conséquent,dans le contextedes
buts etdesprincipes des Nations Unies,que lesdeux organesprincipaux
spécifiquement habilités à prendre des décisions obligatoires agissent
dans l'harmonie - bien que pas, évidemment,de concert - et que
chacund'entre euxs'acquittedesesfonctionsconcernant une situation ou
un différenddont divers aspects figurent à l'ordre du jour de chacun
d'entreeuxsansporter préjudice àl'exercicedespouvoirs del'autre.Dans

laprésenteaffaire,laCour aétéconfrontée àunesituationnouvellequi ne
lui permettait pas de pousser l'analyse plus avant ou d'indiquer des
mesuresconservatoiresutiles.L'ordonnancerendue ne doit donc pas être
considérée commeune abdication despouvoirs delaCour; elleconstitue
plutôt lerefletdu systèmeàl'intérieur duquellaCour estappeléeàrendre
lajustice.
Quelessanctionsordonnéespar larésolution748(1992)doiventounon
être appliquées en définitiviel,faut espérer,entout étatde cause, que les
deux organes principaux intéresséspourront opérer entenant dûment
compte de leurrôleréciproque dans la sauvegardedu règnedu droit.

(Signé)Manfred LACHS.

Bilingual Content

SEPARATE OPINION OF JUDGE LACHS

Whileconcurring inthe Court'sdecision 1consider it myduty to place
on record certain considerationsinrespect ofthe circumstancesin which

itfelltobetaken.Clouded asthe circumstancesmayhavebeen,somelegal
implications maybe ascertained.

In the normal course of events,the request made to the Court in pro-
ceedingsinstituted on the basis of the Montreal Convention would have
faced the Court with the necessity of deciding whether a genuine case
existedfor grantinginterim measures. However Libya'sApplication and
requestwereplacedbefore theCourt whenthe Lockerbiecatastrophe and
the widerproblem ofinternational terrorism, whichmeritscondemnation
in al1itsmanifestations,werealready onthe agenda ofthe SecurityCoun-
cil,which had brought them together under the terms of resolution 731
(1992).The Council, by moving ont0 the terrain of Chapter VI1of the
Charter, decided certain issuespertaining to the Lockerbie disaster with
bindingforce.Henceproblems ofjurisdiction and the operation ofthe sub
judiceprinciple came intothe foreground as neverbefore.

Whilethe Court hasthevocation ofapplyinginternational lawasa uni-

versa1law, operating both within and outside the United Nations, it is
bound to respect,as part ofthat law,the binding decisions ofthe Security
Council.This ofcourse,in the present circumstances, raisesissuesofcon-
currentjurisdiction asbetween the Court and a fellowmain organ ofthe
United Nations.

The framers of the Charter, in providing for the existence of several
mainorgans,didnot effect a completeseparation ofpowers,norindeed is
one to suppose that such was their aim. Although each organ has been
allotteditsownChapter orChapters,the functionsoftwoofthem, namely
the General Assemblyand the SecurityCouncil,alsopervadeother Chap-
tersthan their own. Eventhe International Court ofJustice receives,out-
sideits ownChapter, a number ofmentions whichtend to confirmits role
as the generalguardian of legalitywithin the system.In fact the Court is
the guardian of legalityfor the international community as a whole,both
within and without the United Nations. One may therefore legitimately
suppose that the intention of the founders was not to encourage a blink-
ered parallelism of functionsbut a fruitful interaction. OPINION INDIVIDUELLE DE M. LACHS

[Traduction]
Tout en souscrivant àla décisionde la Cour,je crois de mon devoir de
faire étatde certaines considérations touchant les circonstances dans
lesquelles elle a dû être adoptée. Pour obscures qu'aient pu être les
circonstances,l'onpeut néanmoins en dégagercertaines incidencesjuri-
diques.

Si les événements avaient normalement suivi leur cours, la demande
présentée àla Cour dans l'affaire introduite surla base de la convention
de Montréal aurait obligéla Courà déterminers'ilexistaitde réelsmotifs
d'accorder des mesures conservatoires. La requête introductived'ins-
tance etlademande dela Libye,toutefois,ontétésoumises à laCour alors
quela catastrophe de Lockerbieainsi queleproblèmepluslargedu terro-
risme international, qui doit être condamné sous toutesses manifesta-
tions, étaient déjàà l'ordre du jour du Conseil de sécurité, lequel avait
rassemblécesdeuxquestions dans lecontextedela résolution 731(1992).
Le Conseil, pénétrantdans le domaine couvert par le chapire VI1de la
Charte,a adopté au sujet de certaines questions lié,àla catastrophe de
Lockerbiedesdécisionsayantforceobligatoire.Lesproblèmesdecompé-
tence et d'application du principe subjudice ont ainsi revêtuune plus
grande importance quejamais.

Bienque la Cour soit appelée àappliquer le droit international en tant
que droit universel, aussi bienà l'intérieur qu'en dehorsdu cadre de
l'organisation des Nations Unies, elle est tenue de respecter, en tant
qu'élément faisanptartie intégrantede cedroit, lesdécisionsobligatoires
du Conseil de sécurité. En l'occurrence, cela soulève évidemment des
problèmes de compétence concurrente entre la Cour et un autre des
organesprincipaux del'organisation des Nations Unies.
Les rédacteursde la Charte, en créant plusieurs organes principaux,
n'ont pas établide séparation complètedespouvoirs,etrien nepermet de
supposer que telle ait été leur intention.Bien que chacun de ces organes
fasse l'objetd'un oude plusieurs chapitres de la Charte, les fonctions de
deux d'entre eux,à savoirl'Assembléegénérale et le Conseil de sécurité,
affectent aussi des chapitres autres que ceux qui leur sont consacrésen

propre. Mêmela Cour internationale de Justicefait l'objet, en dehors de
son propre chapitre, d'un certain nombre de mentions qui tendent à
confirmer son rôle de gardienne généralede la légalitéà l'intérieurdu
système.En fait, la Cour est la gardienne de la légalpour la commu-
nautéinternationale dansson ensemble,tant à l'intérieur qu'en dehodu
cadre de l'Organisation des Nations Unies. L'onpeut donc légitimement
supposer que l'intention des fondateurs n'étaitpas d'encourager ces
organes à exercerleursfonctionsparallèlement commeavecdes Œillères,
maisplutôt d'avoir entre euxune interaction fructueuse. Twoofthe mainorgansofthe UnitedNations havethe deliveryofbind-
ing decisions explicitlyincluded in their powers under the Charter: the
SecurityCouncilandthe International Court ofJustice. Thereisno doubt
that the Court's task is"toensure respectforinternational law . .."(I.C.J.
Reports1949,p. 35).It is itsprincipal guardian. Now, it has become clear

that thedividinglinebetweenpoliticaland legaldisputesisblurred, aslaw
becomes ever more frequently an integral element of international con-
troversies. The Court, for reasons well known so frequently shunned in
thepast, isthus calleduponto playanevergreaterrole.Henceitisimport-
ant for the purposes and principles of the United Nations that the two
main organs with specific powers of binding decision act in harmony
- though not, of course, in concert - and that each should perform its
functions withrespecttoa situation or dispute,differentaspects ofwhich
appear on the agenda of each, without prejudicing the exercise of the
other'spowers. In the present casethe Court was faced with a new situa-
tion which allowed no room for further analysis nor the indication of
effectiveinterimmeasures.The Ordermadeshouldnot,therefore,be seen
as an abdication ofthe Court's powers; it israther a reflection of the sys-
tem within whichthe Court is calledupon to render justice.

Whether or not the sanctions ordered by resolution 748 (1992) have
eventuallyto beapplied,it isin any eventtobehoped that the twoprinci-
pal organs concerned will be able to operate with due considerationfor
theirmutual involvementin the presemation ofthe rule of law.

(Signed)Manfred LACHS. CONVENTION DE MONTRÉALDE 1971(OP. IND. LACHS) 27

Aux termes de la Charte, deux des organes principaux de l'organisa-
tion des Nations Unies,à savoirle Conseil de sécurité et laCour interna-
tionale de Justice, ont expressémentparmi leurspouvoirs celuide rendre
desdécisionsobligatoires.Il estindubitable que la mission de la Cour est
((d'assurerl'intégritdudroit international.»(C.Z.J.Recueil1949,p. 35).
Elleenestlaprincipale gardienne. Or,ilestapparu que lalignededémar-

cation entre lesdifférendspolitiquesetjuridiques s'estestompée,le droit
devenant de plus en plus fréquemment un élément indissociable des
litigesinternationaux. LaCour,qui,pour desraisons quenul n'ignore,asi
fréquemmentété laisséede côtédans lepassé,estainsiappelée àjouer un
rôletoujours plus grand.Il importe par conséquent,dans le contextedes
buts etdesprincipes des Nations Unies,que lesdeux organesprincipaux
spécifiquement habilités à prendre des décisions obligatoires agissent
dans l'harmonie - bien que pas, évidemment,de concert - et que
chacund'entre euxs'acquittedesesfonctionsconcernant une situation ou
un différenddont divers aspects figurent à l'ordre du jour de chacun
d'entreeuxsansporter préjudice àl'exercicedespouvoirs del'autre.Dans

laprésenteaffaire,laCour aétéconfrontée àunesituationnouvellequi ne
lui permettait pas de pousser l'analyse plus avant ou d'indiquer des
mesuresconservatoiresutiles.L'ordonnancerendue ne doit donc pas être
considérée commeune abdication despouvoirs delaCour; elleconstitue
plutôt lerefletdu systèmeàl'intérieur duquellaCour estappeléeàrendre
lajustice.
Quelessanctionsordonnéespar larésolution748(1992)doiventounon
être appliquées en définitiviel,faut espérer,entout étatde cause, que les
deux organes principaux intéresséspourront opérer entenant dûment
compte de leurrôleréciproque dans la sauvegardedu règnedu droit.

(Signé)Manfred LACHS.

Document file FR
Document Long Title

Opinion individuelle de M. Lachs (traduction)

Links