Opinion dissidente de M. Thierry

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082-19900302-ORD-01-03-EN
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OPINION DISSIDENTE DE M. THIERRY

L'article41du Statut de la Cour porte que :

«La Cour a le pouvoir d'indiquer, si elle estime que les circons-
tances l'exigent,quelles mesures conservatoires du droit de chacun
doiventêtreprises àtitre provisoire»,

tandis que l'article 75,paragraphe 2, du Règlementde la Cour énonce
que :
«Lorsqu'une demande en indication de mesures conservatoires
lui est présentéel,a Cour peut indiquer des mesures totalement ou

partiellementdifférentesdecellesquisont sollicitées,oudesmesures
àprendre ou àexécuterpar lapartie même dontémanelademande. D
Ces dispositionssontparfaitement claires. Elleslaissent àla Cour une
grande latitude dans l'exercice de sa fonction judiciaire au titre des
mesuresconservatoires.C'est cequi apparaîtquant àlaconditionrequise
pour que de telles mesurespuissent êtreindiquéesq ,uant à leurbut, leur

objet, leurnature.
Une seulecondition est nécessairepour que des mesures puissentêtre
adoptées. (Il ne faut pas confondre, en effet, la condition et l'objet des
mesures.)Cetteconditionunique estquelesmesuressoientexigéespar les
circonstances. Mais dès lors que les circonstances exigent de telles
mesures, elles ((doivent))êtreprises(art.41).
Lebut des mesuresestégalementunique. Il estdéfinipar l'article41de
façonsimpleet forte quidoitretenirtoute l'attention.Ilestdeconserveret
donc de protégerle ((droitde chacun)).L'article41 aurait pu êtrerédigé
autrementet defaçonplus restrictive.Il auraitpu, par exemple,seréférer
auxdroits(aupluriel)' desparties,ou auxdroitsinvoquéspar lesparties.
Tel n'estpas le cas. L'expressionle«droit de chacun »va plus loin. Elle

invitela Cour à exercerdanssa plénitude,au titre des mesures conserva-
toires, sa fonctionjudiciaire.

Mais silebut des mesuresest deprotégerledroitde chacun, ellespeu-
vent avoirdifférentsobjetscommecelarésultedelajurisprudence élabo-
réeparlaCour permanente deJusticeinternationaleet par laCour,selon
les circonstancesdes affaires qui leur ont étésoumises et sur lesquelles
elles se sont prononcées.Les mesures peuvent avoir pour objet d'empê-
cher l'aggravationdu différend - celatombe sous le sens. Ellespeuvent

' Letexte anglaisdei'arti41(«topreservetherespectiverightsof eitherp»)ty
est sensiblementdifférdtutextefrançais.

19être destinées à prévenirun préjudice irréparable.Elles peuvent avoir
pour objet de préserverl'exercicepar la Cour de sa fonctionjudiciaire en
évitantque les parties n'anticipent la décisionque la Cour est appeléeà

prendre ultérieurementsur le fond. Cette dernière préoccupation a été
souventmanifestéepar laCour.Cesobjectifspeuventêtreenvisagéssépa-
rément maisils sont complémentaires. Quel que soit toutefois l'objet
immédiat desmesures,leur but est, entout étatde cause, de préserverle
«droit de chacun B.
Enfin, quant à leur nature ou substance les mesures peuvent être
diversesetrien, sicen'estleuradéquationauxcirconstancesetleurcarac-
tère provisoire, ne limite le pouvoir de la Cour de choisir les remèdes
appropriés.Les mesures peuvent êtrecelles que la partie demanderesse
sollicite mais elles peuvent être partiellement ou«totalement» diffé-
rentes, sans qu'il soit nécessairede se fonder à cet égardsur le para-
graphe 1 de l'article75 du Règlementde la Cour, qui concerne le cas
où la Cour agit proprio motu, c'est-à-dire sans avoir été saisie d'une
demande.

Telles sont brièvement rappeléesles règlesfondamentales, découlant
du Statut de la Cour et de son Règlement,qui régissentle pouvoir de la
Cour d'indiquer desmesuresconservatoires.
La Cour, dans la présente affaire,n'a pas cru devoir user de son pou-
voir, comme la Guinée-Bissaule lui demandait. Cette décisionnégative
est àmon avis regrettable et je ne peux pas, quel qu'ait été mon souhait,
m'yassocierpour lesraisons qui sont brièvement exposéesci-dessous.

Il meparaît en effe:

1) quelescirconstancesexigeaientque desmesuresconservatoiresfus-
sentindiquéeset qu'ellesdevaient donc l'être;
2) qu'aucun obstaclejuridique ne s'opposait en l'espèce à l'exercice
par la Cour de sonpouvoir et de son devoir;
3) que lesmesuresauraient dû avoirpour objetd'engager lesParties à
négocier,sur labase de l'intentiondu Sénégaltellequ'elle a étéexprimée
par son conseil, afin de prévenirle renouvellementdes incidents qui ont
suscitélademande de la Guinée-Bissau,etpar là mêmel'aggravationdu
différend.

Je ne traiterai pas de la compétenceprimafacie, au sujet de laquelleje
suisen accord, pour l'essentiel, avecla position prise par la Cour.

L'examen des circonstancesappelle la prise en considération des faits
qui ont suscitélademande de mesures conservatoires. Il s'agitde i'arrai-

sonnementpar les autoritéssénégalaised se navires de pêche (eni'occur-
rence d'unnavire chinois etd'unnavirejaponais) dans la région maritimeou lesdroitsdesPartiessontl'objetdu différendprincipal,oufondamental,
quilesoppose.Cesfaits - ilyalieudeleremarquer - nesontpascontestés
par le Sénégal. Leur gravitéeut êtrequalifiée dedifférentes façons.Le
conseildela Guinée-Bissauaévitéà cetégardtouteexagération.Maisonne
peut guère mettre en doute leur importanceau regard du différendet des
intérêtdse la Guinée-Bissau.Ils sont de natureaggraverle différendà
provoquerdes réactionsde lapart dela Guinée-Bissau.Selonlesinforma-
tions dont il a éfait étatdevant la Cour,de tellesréactionsse sont déjà
produites et risquent de se produirenouveau. Comme on le dit dans le
langagecourant «les chosess'enveniment».En termesjuridiques on dira
quecesfaitscompromettentlesrelationsdebon voisinageentredeuxEtats
appelés àcoopéreraux fins de l'exploitation des ressourcesmaritimes des

régions avoisinantesde leurs rivages,conformémentaux normes du droit
international.Bref,silescirconstancesn'appellent pas desmesuresdu type
de cellesqui peuventêtrprisespar leConseildesécuritéautitredu main-
tiendelapaixoudurèglementdesdifférends «dontlaprolongationsemble
devoir menacerla paix», ils appellent en revanche desmesuresconserva-
toires du type de cellesqui ont été indiquéepsar la Cour dans différentes
affairesoù ellea été sollicàtcettefin.
Cesont detellesmesuresquisont exigéespar lescirconstancesdèslors
que l'on considère que les incidents qui se sont produits ne sont pas
dénués detouteimportance etdetouteincidencesurlesdroitsdesParties.
Or,envertu de l'articl41 du Statut de la Cour, dèslorsqu'ellessont exi-
géespar lescirconstances les mesures doiventêtresprises.

Ayant un caractère provisoire et pour autant qu'elles soient bien
conçues,de tellesmesuresne sauraient comporter d'effetsnégatifsquant
aux droitsdesparties. Lerefus delesindiquer, au contraire, opposéne
demande, ne va pas sans risques quant àl'aggravationdu différend. Ce
n'estdonc que sidesraisonsjuridiques déterminantess'opposaientà l'in-
dication demesuresconservatoiresquecelles-ciauraient dû êtrerefusées.
Teln'étaitpas le cas.

II. AUCUNE RAISONJURIDIQUE D~TERMINANTENE S'OPPOS EE,L'ESP~CE,
A L'INDICATION DEMESURESCONSERVATOIRES

Lenonpossumus,lorsque lescirconstancesexigent que la Courindique
desmesuresconservatoires,doitêtrefortementjustifié.Ilfaut desraisons
juridiques incontournables, impérieuses,pour ne pas faire ce que la pru-
dence conseillede faire.
Deux considérationsont été invoquées à ce sujet,fondées surlajuris-
prudence davantage que sur les termes de l'article du Statut. La pre-
mière,largement évoquéeau cours des débats devant laCour mais que
celle-cin'apas retenue dans lesconsidérantsde son ordonnance, atraàt
l'absence de préjudice irréparable. s arraisonnements de navires n'au-
raientpas, eneffet,entraînédepréjudicedecettenature,justifiant quedes
mesures conservatoiresfussentindiquées.La seconde considération, quiau contraire a directement motivéla décisionde la Cour, concerne l'ab-
sencedeliensuffisantentrel'intérêtjuridique qufionde lademandeprin-
cipale de la Guinée-Bissauauxfinsde la reconnaissance de la nullitéou
de l'inexistencede la sentence arbitrale du31juillet 1989et celui qu'elle

invoque au titre de la demande de mesures conservatoirestouchant à la
situation dansla région maritimeoù elleréclame des droits. Cesont ces
deux raisons qu'ilconvient d'envisager.
L'existenced'unpréjudiceirréparable(queq lu'ensoitladéfinition),qui
aurait étédéjà subin'est pas, à l'évidence,la condition de l'octroi de
mesuresconservatoires.Lesmesuresontpour objet(entreautres) depréve-
nir un préjudice irréparable,d'empêcher qu'il ne sp eroduise. Faire de
I'existence d'un préjudice irréparable la condition del'indication de
mesuresconservatoiresconfinerait à l'absurde,tant il estvraiquesilemal
était déjà fait (lepréjudiceirréparablceonsommé),les mesures conserva-
toiresne seraientplus utiles.Lesmesuresconservatoiresont pour objet de
fairefaceau risquedesurvenanced'un préjudiceirréparable ettel estbien
le sensde lajurisprudence clairementformuléedès1927par la Courper-
manente de Justice internationale dans l'affaire de la Dénonciationdu
traitésino-belgedu2novembreI865(C.P.J.Z.sérieAno8,p.7)etplusrécem-

ment par la Cour dans celle de la Compétenceen matièrede pêcheries
(C.I.J. Recueil972,p. 16,par. 21).Unglissementregrettables'opèretoute-
fois dans les commentairesentre le risque de préjudice irréparableet le
préjudicerésultand tefaitsdéjàaccomplis.Or,unrisque estpar définition
aléatoireet il estdangereux de fonder une décisionsurl'absence d'un ris-
que ou son caractèreimprobable. De plus, le risque de préjudice irrépa-
rable doit êtreenvisagéau regard de la situation de1'Etaten danger de le
subir. Comme on le sait, la Guinée-Bissau estun petit Etat dont les res-
sources sont trèslimitées.La privation éventuellede ressources biologi-
ques maritimes,ou à plus forte raison d'autres ressources maritimes sur
lesquellesilpeut avoirdesdroits,peutconstituerpour cetEtatunpréjudice
irréparable.A cet égarddes comparaisonspourraient être faites entrele
risque de dommageirréparable dans la présente affaireet ceuxencourus
par des Etatsdemandeursdans des affairesoù desmesuresont été effecti-
vementindiquéesparlaCour.Ilaété ditpar exempleque,dans l'affairede

l'dnglo-IranianOilCo.,un dommageirréparableauraitrésulté dei'enlève-
ment et de la vente de certaines quantitésde pétroleappartenant à cette
compagnie, tandis que dans les affaires de la Compétence en matièrede
pêcherieslepréjudiceirréparableaurair tésultédei'exclusiondesflottesde
pêchebritannique et allemande de la zone affectéepar la réglementation
islandaise.On peut douter que cespréjudicesfussent «plus irréparables ))
que celuiquela Guinée-Bissauredoute de supporter.
C'est aussi en considérationde la situation de la Guinée-Bissauqu'il
faut envisagerla relation de la demande principale et dela demande inci-
dente. La requête principalede la Guinée-Bissaua trait à la validitéouà
I'existencejuridique delasentencedu 31juillet 1989;lademande enindi-
cation demesuresconservatoiresatrait auxdroits quisont l'objetdecette
sentenceet qu'elledéterminetoutau moinspour cequi estdelamer terri-toriale, de lazone contiguë etdu plateau continental. Mais ilestclairque

la Guinée-Bissaune défend qu'un seul droitdans tout le processus
contentieuxoù elles'estengagée. Ils'agitdu droitàune délimitationéqui-
table desespacesmaritimes,etparticulièrement du plateau continental et
de lazoneéconomiqueexclusive,adjacents à sescôtesetàcellesdu Séné-
gal.C'estauxfins d'une telledélimitationéquitabled,ont elleestimeavoir
été frustrépear le traitéde1960conclu par échangede lettres entre la
France et le Portugal, qu'un compromisd'arbitragea été concluen 1985.
Mais faute, aux yeux de la Guinée-Bissau,que la sentence rendue par le
Tribunal soitvalide,laquestion deladélimitationdelafrontièremaritime
demeure ouverte. Dans le cas (que la Cour ne saurait exclure)où elle se
prononcerait dans le sens de la nullitéde la sentence, la question de la
frontièremaritimeseraitappelée àêtre régléesoitpar accordentrelesPar-
ties- solution éminemmentsouhaitable - soitpar une nouvelleprocé-

dure arbitrale, soit par la Cour elle-même,i elle était saiàicette fin.
C'estdonc pour préserverles droits qui résulteraientde la décisionde la
Cour sur le fond (sur la validitéde la sentence) que la Guinée-Bissaua
formuléunedemandeen indication demesuresconservatoires.Sila déci-
sionde la Cour était,eneffet,conformeauxvŒuxde la Guinée-Bissau,la
question de l'opposabilitéàcet Etat du traitéde 1960serait réouverte et
par là même cellede la définitionde safrontièremaritimeetde sesdroits
aussi bien quant à la mer territoriale, à la zone contiguë et au plateau
continental,qu'au sujetdelazoneéconomiqueexclusive.C'estdirequela
décisionde la Coursur le fond affecteradirectementlesdroits respectifs
des Parties dans leszonesmaritimes en cause.C'estceteffet dont lepara-

graphe 26 de l'ordonnance ne tient pas compte dès lors qu'il seborneà
constater que la Cour n'est pas appelée,pour le moment, à déterminer
elle-même la frontièremaritime entrele Sénégalelta Guinée-Bissau.

Ainsi,au stadedu compromis,delaprocédure d'arbitrage,delacontes-
tation dela sentence etdela demande enindication demesuresconserva-
toires, ce sont les mêmesdroits que la Guinée-Bissaus'efforcede faire
reconnaître avecune obstination que sa condition économique explique
et justifie. Ni le caractère ((insuffisamment irréparableu préjudice
encouru ni le défaut de lien substantiel, fondamental, entre les deux
demandes ne justifiaient donc que la Cour s'abstienne d'indiquer les
mesuresconservatoires que lescirconstances exigent.

III. QUELLES MESURES CONSERVATOIRES AURAIENT DO ~TRE INDIQUÉES
PAR LA COUR

Commenous l'avonsdèsl'abord souligné,la Cour dispose,envertu de
l'article41desonStatut etdel'article75,paragraphe 2,deson Règlement,
d'une entièrelibertquantau choixdesmesuresqu'ellepeut indiquer afin
de préserverle «droit de chacun ».84 SENTENCE ARBITRALE (OP. DISSTHIERRY)

LaGuinée-Bissauademandé àla Cour d'inviter lesPartiàs'abstenir
dans la zone en litige «de tout acte ou action, de quelque nature que ce
soit, pendant toute la duréede la procédure, jusqu'à la décisrendue
par la Cour».
Que cetteformule méritait d'être amendée, lCaour a pu le penser rai-
sonnablement. 11eûtétéen effetexcessifdeprohiber toute activitédans la
zone et, en quelque sorte,de la «geler»pendant toute la durée, qui peut
être longue,de la procédure. D'autres formules auraientdonc dû être
recherchéesqui eussentmisl'accent,d'unepart sur la nécessitde préve-
nir l'aggravationdu différend,d'autre part sur le devoirdesParties de ne
pas anticiperla décisionde la Coursur lefond. Cettedernièreconsidéra-

tionestimportante,particulièrementsousl'angledel'exercicepar laCour
de sa fonctionjudiciaire.

En tout étatde cause une grande attention devait être accordéeà la
déclaration faite, sur instructions de l'agent du Sénégal,'issue des
débats.Cettedéclarationa étéformuléd eelafaçonsuivantepar leconseil
du Sénégal :

«J'ajouterais seulement,surlesinstructions del'agentdu Sénégal,
que la Coura lesassurancesdu Sénégaq lue,jusqu'à ceque cediffé-
rend malheureux ait été réglé,S lénégalutilisera tous lesmoyens
diplomatiquesà sa disposition pour négocieravecla Guinée-Bissau
un arrangementempêchantqueneseproduisent desincidents préju-
diciant àun règlementpacifique du problème.B

C'estsurcettedéclarationquelaCour aurait dûs'appuyerpour définirles
mesuresconservatoires que lescirconstances exigent.
Quoi de plus conforme à la mission de la Cour, lorsqu'elle est saisie
d'une demande en indication de mesures conservatoires, que de se fon-
der sur la conjonction de cette demande et desintentions expriméespar
l'autre partie, pour inviter l'une etl'aàla modérationet les encou-
rager à entreprendre des négociations afin, dans un premier stade, de
prévenirtoute aggravation du différend?
Unedécisionencesenseutétém , esemble-t-il,pleinementenharmonie
avecl'esprit et la lettre des articles 41du St75du Règlementde la

Cour.

(Signé H ubertTHIERRY.

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OPINION DISSIDENTE DE M. THIERRY

L'article41du Statut de la Cour porte que :

«La Cour a le pouvoir d'indiquer, si elle estime que les circons-
tances l'exigent,quelles mesures conservatoires du droit de chacun
doiventêtreprises àtitre provisoire»,

tandis que l'article 75,paragraphe 2, du Règlementde la Cour énonce
que :
«Lorsqu'une demande en indication de mesures conservatoires
lui est présentéel,a Cour peut indiquer des mesures totalement ou

partiellementdifférentesdecellesquisont sollicitées,oudesmesures
àprendre ou àexécuterpar lapartie même dontémanelademande. D
Ces dispositionssontparfaitement claires. Elleslaissent àla Cour une
grande latitude dans l'exercice de sa fonction judiciaire au titre des
mesuresconservatoires.C'est cequi apparaîtquant àlaconditionrequise
pour que de telles mesurespuissent êtreindiquéesq ,uant à leurbut, leur

objet, leurnature.
Une seulecondition est nécessairepour que des mesures puissentêtre
adoptées. (Il ne faut pas confondre, en effet, la condition et l'objet des
mesures.)Cetteconditionunique estquelesmesuressoientexigéespar les
circonstances. Mais dès lors que les circonstances exigent de telles
mesures, elles ((doivent))êtreprises(art.41).
Lebut des mesuresestégalementunique. Il estdéfinipar l'article41de
façonsimpleet forte quidoitretenirtoute l'attention.Ilestdeconserveret
donc de protégerle ((droitde chacun)).L'article41 aurait pu êtrerédigé
autrementet defaçonplus restrictive.Il auraitpu, par exemple,seréférer
auxdroits(aupluriel)' desparties,ou auxdroitsinvoquéspar lesparties.
Tel n'estpas le cas. L'expressionle«droit de chacun »va plus loin. Elle

invitela Cour à exercerdanssa plénitude,au titre des mesures conserva-
toires, sa fonctionjudiciaire.

Mais silebut des mesuresest deprotégerledroitde chacun, ellespeu-
vent avoirdifférentsobjetscommecelarésultedelajurisprudence élabo-
réeparlaCour permanente deJusticeinternationaleet par laCour,selon
les circonstancesdes affaires qui leur ont étésoumises et sur lesquelles
elles se sont prononcées.Les mesures peuvent avoir pour objet d'empê-
cher l'aggravationdu différend - celatombe sous le sens. Ellespeuvent

' Letexte anglaisdei'arti41(«topreservetherespectiverightsof eitherp»)ty
est sensiblementdifférdtutextefrançais.

19 DISSENTING OPINION OF JUDGE THIERRY

[Translation]

Article41 ofthe Statute ofthe Court provides that
"The Court shall have the power to indicate, if it considers that
circumstances so require, any provisional measures which ought to

be taken to preserve the respectiverights of either party",
while Article 75,paragraph 2, of the Rules of Court is to the effect that

"When a request for provisional measures has been made, the
Court may indicate measures that are in whole or in part other than
those requested, or that ought to be taken or complied with by the
party whichhas itselfmadethe request."

Theseprovisionsareperfectlyclear.Theyleavethe Court agreatdealof
latitude inthe exerciseofitsjudicial functioninthe sphere ofprovisional
measures.Thisisapparent fromthe condition to be fulfilledin order that
such measures may be indicated, and from their aim, their object, and
their nature.
Only one condition has to be fulfilled in order that measures may be
taken. (It is important not to confusethe condition with the object of the
measures.) This single condition is that the measuresbe required by the
circumstances. But, if the circumstancesactuallyrequire such measures,

they "ought" to be taken (Art. 41).
The measures have also a single aim. It is defined by Article 41 in a
simple and straightfonvardmanner that deservesthe most carefulatten-
tion.Theaim ofthe measuresis the preservation and thereforethe protec-
tion "dudroitde chacun".Article 41 could have been formulated differ-
ently and more restrictively. It could, for example, have referred to the
rights(intheplural') ofthe parties, ortotherights claimedbythe parties.
This is not the case. The expression "droitde chacun"goes further. It
invitesthe Court to exercise,inadoptingprovisional measures,itsjudicial
function to the full.
Butwhilethe aimofthe measuresistheprotection "dudroitdechacun",
theycanhavedifferentobjects,asshownbythe case-lawofthePermanent

Court ofInternationalJustice and ofthepresent Court, depending on the
circumstances of the caseswhichhavebeenbrought beforethem and on
which they have pronounced. The object of the measures may be to
prevent the aggravation of the dispute - this is obvious. They may

l TheEnglishversionofArticl41("topreservetherespectiverighsfeitherparty")
differs substantifromtheFrenchversion.

19être destinées à prévenirun préjudice irréparable.Elles peuvent avoir
pour objet de préserverl'exercicepar la Cour de sa fonctionjudiciaire en
évitantque les parties n'anticipent la décisionque la Cour est appeléeà

prendre ultérieurementsur le fond. Cette dernière préoccupation a été
souventmanifestéepar laCour.Cesobjectifspeuventêtreenvisagéssépa-
rément maisils sont complémentaires. Quel que soit toutefois l'objet
immédiat desmesures,leur but est, entout étatde cause, de préserverle
«droit de chacun B.
Enfin, quant à leur nature ou substance les mesures peuvent être
diversesetrien, sicen'estleuradéquationauxcirconstancesetleurcarac-
tère provisoire, ne limite le pouvoir de la Cour de choisir les remèdes
appropriés.Les mesures peuvent êtrecelles que la partie demanderesse
sollicite mais elles peuvent être partiellement ou«totalement» diffé-
rentes, sans qu'il soit nécessairede se fonder à cet égardsur le para-
graphe 1 de l'article75 du Règlementde la Cour, qui concerne le cas
où la Cour agit proprio motu, c'est-à-dire sans avoir été saisie d'une
demande.

Telles sont brièvement rappeléesles règlesfondamentales, découlant
du Statut de la Cour et de son Règlement,qui régissentle pouvoir de la
Cour d'indiquer desmesuresconservatoires.
La Cour, dans la présente affaire,n'a pas cru devoir user de son pou-
voir, comme la Guinée-Bissaule lui demandait. Cette décisionnégative
est àmon avis regrettable et je ne peux pas, quel qu'ait été mon souhait,
m'yassocierpour lesraisons qui sont brièvement exposéesci-dessous.

Il meparaît en effe:

1) quelescirconstancesexigeaientque desmesuresconservatoiresfus-
sentindiquéeset qu'ellesdevaient donc l'être;
2) qu'aucun obstaclejuridique ne s'opposait en l'espèce à l'exercice
par la Cour de sonpouvoir et de son devoir;
3) que lesmesuresauraient dû avoirpour objetd'engager lesParties à
négocier,sur labase de l'intentiondu Sénégaltellequ'elle a étéexprimée
par son conseil, afin de prévenirle renouvellementdes incidents qui ont
suscitélademande de la Guinée-Bissau,etpar là mêmel'aggravationdu
différend.

Je ne traiterai pas de la compétenceprimafacie, au sujet de laquelleje
suisen accord, pour l'essentiel, avecla position prise par la Cour.

L'examen des circonstancesappelle la prise en considération des faits
qui ont suscitélademande de mesures conservatoires. Il s'agitde i'arrai-

sonnementpar les autoritéssénégalaised se navires de pêche (eni'occur-
rence d'unnavire chinois etd'unnavirejaponais) dans la région maritimebe directed to preventing irreparable damage. Their object may be to
preserve the exercise by the Court of itsjudicial function by preventing
the parties from anticipating the subsequent decision ofthe Court on the
merits. The latter concern has often been expressed by the Court. These
objectives can be envisaged separately, but they are complementary.
Regardless,however, of the immediate object of the measures,their aim
is,in any event,the preservation "dudroitde chacun''.

Finally, sofar as their nature or substance is concerned, the measures
maybe diverseand, except for the need that theybe suited to the circum-
stancesand fortheirprovisionalcharacter,there isnolimitto thepower of
the Court to select the appropriate remedies. The measures may be the

ones that the party asking for them requests; but they may be different
"in whole" or in part, without it being necessary to rely in this respect
on Article 75, paragraph 1, of the Rules of Court, which concerns the
case where the Court acts proprio motu, that is to Say,without having
receiveda request for provisionalmeasures.
Such are, in brief outline, the fundamental rules, deriving from the
Statute and Rules of Court, that govern the power of the Court to indi-
cateprovisionalmeasures.
Inthe present casethe Court hasnot considered that itshouldmakeuse
of its power to indicate such measures, as requested by Guinea-Bissau.
Thisnegative decisionis,inmyopinion,regrettable and 1cannot, much as
1would have likedto do so, associate myselfwith it. The reasons for this
position are, in brief, the following.
It appears to methat :

(1) the circumstancesrequired that provisionalmeasures be indicated
and hencethey oughtto have been indicated;
(2) there was no legalobstacleinthis case to the exercisebythe Court
of itspower and the fulfilment ofits obligation;
(3) the measuresshould have had astheir objectto bring the Parties to
the negotiatingtable, on the basis ofthe intention of Senegalas conveyed
by its counsel,in order to prevent a recurrence ofthe incidents that moti-
vatedGuinea-Bissau's requestand, bythe sametoken, the aggravationof
the dispute.

1shallnot dealwiththe question ofprima faciejurisdiction, withregard
to which 1share, in essence,the opinion ofthe Court.

An examination ofthe circumstancesinvolvesa reviewofthe factsthat
have given rise to the request for provisional measures. The Senegalese
authorities had boarded fishing vessels(a Chinese and aJapanese one)in
the maritime area where the rights of the Parties are the subject of theou lesdroitsdesPartiessontl'objetdu différendprincipal,oufondamental,
quilesoppose.Cesfaits - ilyalieudeleremarquer - nesontpascontestés
par le Sénégal. Leur gravitéeut êtrequalifiée dedifférentes façons.Le
conseildela Guinée-Bissauaévitéà cetégardtouteexagération.Maisonne
peut guère mettre en doute leur importanceau regard du différendet des
intérêtdse la Guinée-Bissau.Ils sont de natureaggraverle différendà
provoquerdes réactionsde lapart dela Guinée-Bissau.Selonlesinforma-
tions dont il a éfait étatdevant la Cour,de tellesréactionsse sont déjà
produites et risquent de se produirenouveau. Comme on le dit dans le
langagecourant «les chosess'enveniment».En termesjuridiques on dira
quecesfaitscompromettentlesrelationsdebon voisinageentredeuxEtats
appelés àcoopéreraux fins de l'exploitation des ressourcesmaritimes des

régions avoisinantesde leurs rivages,conformémentaux normes du droit
international.Bref,silescirconstancesn'appellent pas desmesuresdu type
de cellesqui peuventêtrprisespar leConseildesécuritéautitredu main-
tiendelapaixoudurèglementdesdifférends «dontlaprolongationsemble
devoir menacerla paix», ils appellent en revanche desmesuresconserva-
toires du type de cellesqui ont été indiquéepsar la Cour dans différentes
affairesoù ellea été sollicàtcettefin.
Cesont detellesmesuresquisont exigéespar lescirconstancesdèslors
que l'on considère que les incidents qui se sont produits ne sont pas
dénués detouteimportance etdetouteincidencesurlesdroitsdesParties.
Or,envertu de l'articl41 du Statut de la Cour, dèslorsqu'ellessont exi-
géespar lescirconstances les mesures doiventêtresprises.

Ayant un caractère provisoire et pour autant qu'elles soient bien
conçues,de tellesmesuresne sauraient comporter d'effetsnégatifsquant
aux droitsdesparties. Lerefus delesindiquer, au contraire, opposéne
demande, ne va pas sans risques quant àl'aggravationdu différend. Ce
n'estdonc que sidesraisonsjuridiques déterminantess'opposaientà l'in-
dication demesuresconservatoiresquecelles-ciauraient dû êtrerefusées.
Teln'étaitpas le cas.

II. AUCUNE RAISONJURIDIQUE D~TERMINANTENE S'OPPOS EE,L'ESP~CE,
A L'INDICATION DEMESURESCONSERVATOIRES

Lenonpossumus,lorsque lescirconstancesexigent que la Courindique
desmesuresconservatoires,doitêtrefortementjustifié.Ilfaut desraisons
juridiques incontournables, impérieuses,pour ne pas faire ce que la pru-
dence conseillede faire.
Deux considérationsont été invoquées à ce sujet,fondées surlajuris-
prudence davantage que sur les termes de l'article du Statut. La pre-
mière,largement évoquéeau cours des débats devant laCour mais que
celle-cin'apas retenue dans lesconsidérantsde son ordonnance, atraàt
l'absence de préjudice irréparable. s arraisonnements de navires n'au-
raientpas, eneffet,entraînédepréjudicedecettenature,justifiant quedes
mesures conservatoiresfussentindiquées.La seconde considération, quiprincipal or fundamental dispute dividing them. These fac-sit should
benoted - arenot disputed by Senegal.Thereisroom fordifferentopin-
ionsasto their gravity.CounselforGuinea-Bissautookpainsnot to exag-
gerate in this respect. Butit isimpossibleto questiontheir importance in
connectionwiththe dispute and withthe interestsofGuinea-Bissau.They
are such as to lead to an aggravation ofthe dispute, to provokereactions
on the part of Guinea-Bissau. According to the information made avail-
able to the Court, such reactions have already occurred and are liable to

repeat themselves. To use common parlance, "things are getting out of
hand". Inlegaltermsone can Saythat theincidentsinquestion arejeopar-
dizing the neighbourly relations between two States called upon to co-
operate with each other in the exploitation of the maritime resources of
the areas off their coasts, in conformity with the noms of international
law. In short, althoughthe circumstances do not require measures ofthe
typethe SecurityCouncil maytake inconnection withthe maintenance of
peace orforthe settlementof disputes "the continuance ofwhichis likely
to endanger the maintenance of peace", they do cal1 for provisional
measures such as those that have been indicated by the Court in various
caseswhere it has been requested to do so.

Such are the measures required by the circumstances if one considers
that theincidentsthat haveoccurredarenotaltogetherminor and without
incidence onthe rights ofthe Parties. Byvirtue oficle41ofthe Statute
ofthe Court, iftheyarerequired bythe circumstancesthemeasures ought
to be taken.
Given their provisional nature, such measures cannot, provided they
are properly conceived,produce any negative effectson the rights of the
Parties.Onthe other hand, thedenial of arequestfor them involvessome
risk of aggravation of the dispute. It is therefore only if decisive legal
reasons existed for not indicating provisional measures that a request
for them should have been denied. Butthere are no such reasons here.

II. THEREIs,IN THIS CASEN , ODECISIVL EEGAL REASON AGAINST THE
INDICATIO OF PROVISIONM AELASURES

A nonpossumusmust,wheneverthe circumstancesrequire theCourtto
indicate provisional measures, be very solidly grounded. Legal reasons
that are compelling and incontrovertible are necessary if the dictates of
prudence are to bejustifiably setaside.
Twoarguments havebeen advancedinthisconnection,based on case-
law rather than on the terms of Article 41 of the Statute. Thefirst, which

was commented upon at length at the hearings but not adopted by the
Court inthe reasoning ofitsrder,relatesto the absence ofan irreparable
damage.Theboarding of vesselshas not, it is alleged, caused damage of
this nature that would have justified the indication of provisional
measures. The secondargument,which,onthe contrary,the Court specifi-au contraire a directement motivéla décisionde la Cour, concerne l'ab-
sencedeliensuffisantentrel'intérêtjuridique qufionde lademandeprin-
cipale de la Guinée-Bissauauxfinsde la reconnaissance de la nullitéou
de l'inexistencede la sentence arbitrale du31juillet 1989et celui qu'elle

invoque au titre de la demande de mesures conservatoirestouchant à la
situation dansla région maritimeoù elleréclame des droits. Cesont ces
deux raisons qu'ilconvient d'envisager.
L'existenced'unpréjudiceirréparable(queq lu'ensoitladéfinition),qui
aurait étédéjà subin'est pas, à l'évidence,la condition de l'octroi de
mesuresconservatoires.Lesmesuresontpour objet(entreautres) depréve-
nir un préjudice irréparable,d'empêcher qu'il ne sp eroduise. Faire de
I'existence d'un préjudice irréparable la condition del'indication de
mesuresconservatoiresconfinerait à l'absurde,tant il estvraiquesilemal
était déjà fait (lepréjudiceirréparablceonsommé),les mesures conserva-
toiresne seraientplus utiles.Lesmesuresconservatoiresont pour objet de
fairefaceau risquedesurvenanced'un préjudiceirréparable ettel estbien
le sensde lajurisprudence clairementformuléedès1927par la Courper-
manente de Justice internationale dans l'affaire de la Dénonciationdu
traitésino-belgedu2novembreI865(C.P.J.Z.sérieAno8,p.7)etplusrécem-

ment par la Cour dans celle de la Compétenceen matièrede pêcheries
(C.I.J. Recueil972,p. 16,par. 21).Unglissementregrettables'opèretoute-
fois dans les commentairesentre le risque de préjudice irréparableet le
préjudicerésultand tefaitsdéjàaccomplis.Or,unrisque estpar définition
aléatoireet il estdangereux de fonder une décisionsurl'absence d'un ris-
que ou son caractèreimprobable. De plus, le risque de préjudice irrépa-
rable doit êtreenvisagéau regard de la situation de1'Etaten danger de le
subir. Comme on le sait, la Guinée-Bissau estun petit Etat dont les res-
sources sont trèslimitées.La privation éventuellede ressources biologi-
ques maritimes,ou à plus forte raison d'autres ressources maritimes sur
lesquellesilpeut avoirdesdroits,peutconstituerpour cetEtatunpréjudice
irréparable.A cet égarddes comparaisonspourraient être faites entrele
risque de dommageirréparable dans la présente affaireet ceuxencourus
par des Etatsdemandeursdans des affairesoù desmesuresont été effecti-
vementindiquéesparlaCour.Ilaété ditpar exempleque,dans l'affairede

l'dnglo-IranianOilCo.,un dommageirréparableauraitrésulté dei'enlève-
ment et de la vente de certaines quantitésde pétroleappartenant à cette
compagnie, tandis que dans les affaires de la Compétence en matièrede
pêcherieslepréjudiceirréparableaurair tésultédei'exclusiondesflottesde
pêchebritannique et allemande de la zone affectéepar la réglementation
islandaise.On peut douter que cespréjudicesfussent «plus irréparables ))
que celuiquela Guinée-Bissauredoute de supporter.
C'est aussi en considérationde la situation de la Guinée-Bissauqu'il
faut envisagerla relation de la demande principale et dela demande inci-
dente. La requête principalede la Guinée-Bissaua trait à la validitéouà
I'existencejuridique delasentencedu 31juillet 1989;lademande enindi-
cation demesuresconservatoiresatrait auxdroits quisont l'objetdecette
sentenceet qu'elledéterminetoutau moinspour cequi estdelamer terri-callycitesas the basis of its decision,is grounded on the alleged absence
of a sufficiently close connection between the legal interest underlying
Guinea-Bissau's principal request, namely, that the arbitral award of
31 July 1989 be declared nul1 and void or inexistent, and the legal
interest on which it has based its request for provisionalmeasures, relat-
ing to the situation in the maritime area wherein it claims rights. These
arethe two argumentsto which wemust address ourselves.
The existence of irreparable damage (however defined) which has
alreadybeensustained isobviouslynot the precondition forgranting pro-
visional measures. These measures are intended (among other things) to
preventirreparabledamage,Le.,to ensurethat itdoesnot occur.Torequire
the existenceof irreparable damage asthe condition forthe indication of
provisionalmeasureswouldbevirtually an absurdity because,ifthe harm
has already been done (i.e., irreparable damage has been caused), the
provisional measures would not serve any useful purpose. Provisional
measuresareintendedto counterthe riskof anyirreparabledamageoccur-

ring. This is indeed the veryclearmeaning ofthe relevantjurisprudence,
firstexpressed in 1927bythe Permanent Court of International Justice in
the case concerning the Denunciation of the Treaty o2 f November1865
between China andBelgium (P.C.I.J.,Series A, No. 8, p. 7) and, more
recently,bythe Court inthe FisheriesJurisdictioncase(I.C.J.Reports1972,
p. 16,para. 21).The commentators have howevercreated an unfortunate
confusionbetweenthe risk ofirreparable damage and the damage result-
ing from events which havealready taken place. A risk is by definition a
matter ofchance, and it isdangerous to relyfor a decision on the absence
ofarisk oron itsimprobability.Moreover,the risk ofirreparable damage
mustbe viewedinthe lightofthe situation ofthe Statewhich isin danger
of sustaining it.s is wellknown, Guinea-Bissau is a small Statehaving
very limited resources. Tobe deprived of maritime biological resources,
and afortioriof othermaritimeresourcesto whichitmightbe entitled,can
constitute an irreparable damage for that State. In that connection, the
risk of irreparabledamage in the present case can thus be regarded as
comparable to the riskincurred bythe applicant Statesinthe caseswhere
measures were actually indicated by the Court. In the Anglo-Iranian Oil

Co. casefor example,irreparable damagewould havebeen caused bythe
removaland saleofcertainquantities ofpetroleumbelongingtothat com-
pany, while in the FisheriesJurisdictioncases, the irreparable damage
would haveresultedfromthe exclusionofthe Britishand Germanfishing
fleetsfrom the zone affected by the Icelandic regulations. It maywellbe
questioned whether the damage in those cases was really "moreirrepar-
able" than that which Guinea-Bissau isthreatened with.
It is likewisein the light of Guinea-Bissau's situationthat theation-
ship betweenthe Application and the subsidiaryrequest must beviewed.
TheApplication by Guinea-Bissaurelates to the validityorthe legal exis-
tence ofthe award of31July 1989;the requestforthe indication of provi-
sional measures relates to rights which are the subject-matter of that
award and whichthat award determines,at leastwithrespectto the terri-toriale, de lazone contiguë etdu plateau continental. Mais ilestclairque

la Guinée-Bissaune défend qu'un seul droitdans tout le processus
contentieuxoù elles'estengagée. Ils'agitdu droitàune délimitationéqui-
table desespacesmaritimes,etparticulièrement du plateau continental et
de lazoneéconomiqueexclusive,adjacents à sescôtesetàcellesdu Séné-
gal.C'estauxfins d'une telledélimitationéquitabled,ont elleestimeavoir
été frustrépear le traitéde1960conclu par échangede lettres entre la
France et le Portugal, qu'un compromisd'arbitragea été concluen 1985.
Mais faute, aux yeux de la Guinée-Bissau,que la sentence rendue par le
Tribunal soitvalide,laquestion deladélimitationdelafrontièremaritime
demeure ouverte. Dans le cas (que la Cour ne saurait exclure)où elle se
prononcerait dans le sens de la nullitéde la sentence, la question de la
frontièremaritimeseraitappelée àêtre régléesoitpar accordentrelesPar-
ties- solution éminemmentsouhaitable - soitpar une nouvelleprocé-

dure arbitrale, soit par la Cour elle-même,i elle était saiàicette fin.
C'estdonc pour préserverles droits qui résulteraientde la décisionde la
Cour sur le fond (sur la validitéde la sentence) que la Guinée-Bissaua
formuléunedemandeen indication demesuresconservatoires.Sila déci-
sionde la Cour était,eneffet,conformeauxvŒuxde la Guinée-Bissau,la
question de l'opposabilitéàcet Etat du traitéde 1960serait réouverte et
par là même cellede la définitionde safrontièremaritimeetde sesdroits
aussi bien quant à la mer territoriale, à la zone contiguë et au plateau
continental,qu'au sujetdelazoneéconomiqueexclusive.C'estdirequela
décisionde la Coursur le fond affecteradirectementlesdroits respectifs
des Parties dans leszonesmaritimes en cause.C'estceteffet dont lepara-

graphe 26 de l'ordonnance ne tient pas compte dès lors qu'il seborneà
constater que la Cour n'est pas appelée,pour le moment, à déterminer
elle-même la frontièremaritime entrele Sénégalelta Guinée-Bissau.

Ainsi,au stadedu compromis,delaprocédure d'arbitrage,delacontes-
tation dela sentence etdela demande enindication demesuresconserva-
toires, ce sont les mêmesdroits que la Guinée-Bissaus'efforcede faire
reconnaître avecune obstination que sa condition économique explique
et justifie. Ni le caractère ((insuffisamment irréparableu préjudice
encouru ni le défaut de lien substantiel, fondamental, entre les deux
demandes ne justifiaient donc que la Cour s'abstienne d'indiquer les
mesuresconservatoires que lescirconstances exigent.

III. QUELLES MESURES CONSERVATOIRES AURAIENT DO ~TRE INDIQUÉES
PAR LA COUR

Commenous l'avonsdèsl'abord souligné,la Cour dispose,envertu de
l'article41desonStatut etdel'article75,paragraphe 2,deson Règlement,
d'une entièrelibertquantau choixdesmesuresqu'ellepeut indiquer afin
de préserverle «droit de chacun ».torial sea, the contiguouszone and the continental shelf. It is, however,
clearthat Guinea-Bissauisdefending onlyone right inthe wholeprocess
of litigation on which it has embarked. This is the right to an equitable
delimitation of maritimeareas, and in particular ofthe continental shelf
and the exclusive economic zone adjacent to itsoasts and to those of
Senegal.Itiswithaviewto suchanequitabledelimitation, ofwhichitfeels
ithasbeen deprived bythe 1960agreementconcluded by an exchangeof
lettersbetween France and Portugal, that an Arbitration Agreement was
concluded in 1985.Since however, in the view of Guinea-Bissau, the
award rendered bytheTribunal isnot valid,the question ofthe delimita-
tion of the maritime frontier remains open. In the event (which itcannot
rule out) of the Court pronouncing the nullity ofthe award, the question

of the maritime frontier will have to be settled either by an agreement
between the Parties- an eminentlydesirablesolution - orby new arbi-
tral proceedings, orlse by the Court itself if it is seised of the matter.
It is therefore in order to preserve the rights which would flow from the
decision ofthe Court on the merits (i.e.,on the validityofthe award)that
Guinea-Bissau has submitted a request for the indication of provisional
measures. For indeed, if the Court renders a decision favourable to Gui-
nea-Bissau,the questionofwhetherthe 1960 agreementcanbeopposed to
itwouldbe reopened and,bythe sametoken,that ofwhether itispossible
to oppose to it the definition of its maritime boundary and of its rights
with regard to the territorial sea, the contiguouszone and the continental
shelfon theonehand and to the exclusiveeconomiczone on the other. It
follows that the Court's decision on the merits will directly affect the
respectiverights ofthe Parties inthe maritimezonesin question. It isthis

effect that paragraph26 of the Order disregards inasmuch as it merely
notesthatthe Court isnot calledupon,forthe moment,itselfto determine
the maritimeboundary between Senegaland Guinea-Bissau.
Thus at everystage,that ofthe Arbitration Agreement,that ofthe arbi-
tration proceedings, that of the challenging of the award or that of the
request forthe indication ofprovisionalmeasures, it istheerights of
which Guinea-Bissau is trying toensure the recognition, with a persis-
tence which its economic condition explains and justifies. Accordingly,
neither the "insufficientlyirreparable" character ofthege incurred,
northe absence ofa substantial and fundamental connectionbetween the
Application and the request,justifies the Court in abstaining from indi-
catingthe provisionalmeasures whichthe circumstancesrequire.

III. THEPROVISION,A MLEASURW ESHICH SHOULD HAVE BEEN
INDICATE BDY THECOURT

As we have emphasized from the outset, the Court, by virtue of Ar-
ticle41of its Statute and Article 75,paragraph 2, of its Rules,possesses
a complete freedom of choice with regard to the measures which itan
indicatefor the preservation "dudroit dechacun".84 SENTENCE ARBITRALE (OP. DISSTHIERRY)

LaGuinée-Bissauademandé àla Cour d'inviter lesPartiàs'abstenir
dans la zone en litige «de tout acte ou action, de quelque nature que ce
soit, pendant toute la duréede la procédure, jusqu'à la décisrendue
par la Cour».
Que cetteformule méritait d'être amendée, lCaour a pu le penser rai-
sonnablement. 11eûtétéen effetexcessifdeprohiber toute activitédans la
zone et, en quelque sorte,de la «geler»pendant toute la durée, qui peut
être longue,de la procédure. D'autres formules auraientdonc dû être
recherchéesqui eussentmisl'accent,d'unepart sur la nécessitde préve-
nir l'aggravationdu différend,d'autre part sur le devoirdesParties de ne
pas anticiperla décisionde la Coursur lefond. Cettedernièreconsidéra-

tionestimportante,particulièrementsousl'angledel'exercicepar laCour
de sa fonctionjudiciaire.

En tout étatde cause une grande attention devait être accordéeà la
déclaration faite, sur instructions de l'agent du Sénégal,'issue des
débats.Cettedéclarationa étéformuléd eelafaçonsuivantepar leconseil
du Sénégal :

«J'ajouterais seulement,surlesinstructions del'agentdu Sénégal,
que la Coura lesassurancesdu Sénégaq lue,jusqu'à ceque cediffé-
rend malheureux ait été réglé,S lénégalutilisera tous lesmoyens
diplomatiquesà sa disposition pour négocieravecla Guinée-Bissau
un arrangementempêchantqueneseproduisent desincidents préju-
diciant àun règlementpacifique du problème.B

C'estsurcettedéclarationquelaCour aurait dûs'appuyerpour définirles
mesuresconservatoires que lescirconstances exigent.
Quoi de plus conforme à la mission de la Cour, lorsqu'elle est saisie
d'une demande en indication de mesures conservatoires, que de se fon-
der sur la conjonction de cette demande et desintentions expriméespar
l'autre partie, pour inviter l'une etl'aàla modérationet les encou-
rager à entreprendre des négociations afin, dans un premier stade, de
prévenirtoute aggravation du différend?
Unedécisionencesenseutétém , esemble-t-il,pleinementenharmonie
avecl'esprit et la lettre des articles 41du St75du Règlementde la

Cour.

(Signé H ubertTHIERRY. Guinea-Bissauhasrequested theCourt toinvitethe Partiestoabstainin
the disputed area "from anyactoraction ofany kindwhatever,during the
whole duration of the proceedings until the decision is given by the
Court".
The Court could reasonably have considered that the foregoingform-
ula required amendment. It would have been goingtoofarto prohibit al1
activities in the area and, in a manner of speaking, to "freeze" them
throughout the duration of the proceedings, which could be lengthy.
Otherformulasshouldthereforehavebeensought whichwould havelaid
stress,on the one hand on the need to prevent the aggravation ofthe dis-
pute and on the other on the duty ofthe Parties not to anticipate theeci-
sion of the Court on the merits. That last consideration is important,
particularly from thestandpoint ofthe exercisebythe Court ofitsjudicial
function.
At al1events, great attention should have been paid to the statement
madeatthe closeofargumenton theinstructionsoftheAgentforSenegal.

That statement, by counsel for Senegal,wasworded as follows :

"Now 1 would only add on the instructions of the Agent for
Senegal,that the Court has the assurance of Senegalthat until such
time asthis unfortunate dispute isresolved, Senegal,for itspart, will
use al1diplomatic means available to it to negotiate with Guinea-
Bissau an arrangement which will preclude incidents prejudicial to
a peaceful resolution ofthe matter."

The Court should have relied on that declaration to determine the provi-
sional measuresrequired by the circumstances.
Can there be anything more in conformity with the mission of the
Court, when it is seised of a request for the indication of provisional
measures,than to rely on the convergence of that request with the inten-
tions expressed by the other Party, in order to invite both of them to
exercisemoderation and encouragethem to undertake negotiations with
the aim,initially,of preventingany aggravation ofthedispute?
Such a decision would, in my opinion, have been in perfect harmony

with the spirit and theletter of Article41 of the Statute and Article 75of
the Rules of Court.

(Signed) Hubert THIERRY.

Document file FR
Document Long Title

Opinion dissidente de M. Thierry

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