Opinion dissidente de M. Elias (traduction)

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075-19900228-ORD-01-02-EN
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075-19900228-ORD-01-00-EN
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OPINION DISSIDENTE DE M. ELIAS

[Traduction]

Je me dissocie de l'ordonnance qu'arendue la Cour car j'estime que
c'est la Cour plénièreet non la Chambre qui devrait connaître de la
requête àfin d'interventiondu Nicaragua et statuer sur cetterequête.
Ma première raisonest fondée surla question essentielle de l'étendue
de la compétence des chambres: l'étenduede la compétencede la pré-
sente Chambre, ou de toute autre chambre constituéepar la Cour en
application de son Règlementactuel,n'estni finale ni définitive,de sorte
qu'on ne peut considérerque la compétenceest directementtransférable
delaCour internationale deJusticeelle-même àl'unedeschambresvisées
àl'article26du Statut ou danstout autre texte.
Ma seconde raison, presque inattaquable, est que l'article27 du Statut
dispose clairementque «tout arrêt rendu parl'une des chambres prévues
aux articles6 et 29sera considérécommerendu par la Cour». Il s'ensuit
obligatoirementquelaCourettoussesmembressontliésparunarrêtrendu
par une chambre, encore qu'ilsne le seraient pas nécessairement par un
arrêt auqueulnechambreparviendraitpar n'importe quelmoyen ouaumé-

pris d'unerègledebonne administrationdela justice quiseraitnégligéoeu
malinterprétéeouque laCourfiniraitpar rejeter. Eneffet,chaquemembre
de la Cour est certes liépar la décisiond'unechambre,mais ceuxd'entre
eux qui ne sont pas membresde cette chambre n'ont pasla possibiliténi
mêmele droit de prendre part àsestravaux ou d'intervenirdans ceux-ci
avantqu'elle aitrendu sa décision.Celaveutdirequ'ilsn'ont pasla faculté
deformulerdescritiquesoudereleverdeslacunesavantquela chambreait
statué;et la Cour n'a pas non plus l'occasiond'intervenir.Or, conformé-
ment au Statut actuel, la décisiondoit êtreconsidércommeliant égale-
ment laCour,sansque celle-ciait la moindre possibilitéd'intervenir.
On ne saurait toutefois concevoir que la compétencequi estconféréeà
la Cour par l'article36du Statutne souffre aucune exception et lie seule-
ment la Cour au sens du droit tel que le Statut l'envisage.Si,pour une
raisonquelconque, une chambre exerceuneprétenduecompétenceetque
cette compétenceestviciéeau regard d'une règlede droit ou d'une règle
debonne administration delajustice,l'arrêt rendupar cettechambrepeut

nepas êtreaccepté àtous égardscommeobligatoireipsofacto, mêmesc iet
arrêtnesemblepar ailleurspas devoirsusciter decritiques.ls'ensuitque,
comme l'article 26 du Statut lui-mêmeou l'article correspondant du
Règlement,enapplication duquel leschambressontcréées,nedéfinissent
pas de la sorte l'étendue despouvoirset lemandat d'une chambre consti-
tuée pourconnaître d'une affaire particulière, il ne peut y avoir tranfert
global de la compétence générale de la Cour par la dévolutiond'une
affairedéterminée àune chambredéterminéeI.lrested'ailleurs àprouverqu'une chambre est à tous égards l'équivalendte la Cour. Il y a lieu de
relever qu'envertu de l'article0de son Statut laCour seréserve ledroit
exclusif de déterminer«par un règlement le mode suivant lequel elle
exercesesattributions. Elle règlenotamment sa procédure)( )lesitaliques
sont de moi). Cela montre que la Chambre n'estpas entièrement libre et
qu'ilestpossibleque certains aspects de lacompétenceaientun caractère
résiduel ou ne puissent êtrexercésquepar la Cour elle-même.

Lorsquelaprocéduredevantleschambresa été conçueeé t laborée un
peu hâtivement, semble-t-il- on ne s'estpas suffisammentpréoccupé de
définir toutessesimp1,icationssur l'administrationde la justice. On s'en
rend bien compte en explorant les arcanes des décisions rendues jusqu'à
présentdans lecadredela procéduredevant des chambres,depuis l'adop-
tion de cetteprocéduredansl'affairedela Délimitationdelafrontièremari-
timedanslarégion dugolfeduMaine.Onavuàmaintesreprisesquetoute la
procéduredevantleschambresavaitbesoind'être complètementrevisée,en
particulier au regard de ses implications sur l'énonciationde principes
généraux dudroitinternational,commeceluidel'intervention,énonciation
qui va nécessairementau-delà de l'examendes questionslimitéesque l'ar-
ticle26considèrecommeconstituantla seuleactivitéd'unechambre.On ne
peut demander àune chambrede dégagerdesprincipesgénéraux de droit
internationalpublic; ellen'estpar conséquentpasinvestiedelamême auto-

riténi de la mêmecompétenceque la Cour, àmoinsque, dans une affaire
déterminéec ,ela ne soit spécialementprévulors de la constitution de la
chambreou que celane ressortede sagenèse.
Enfin, laprésenteordonnance esttrop étroite;ilsemblequel'ons'ysoit
efforcédetraduireune conception restreinte de l'intervention,notionqui
est en tout cas plus large que la teneur de l'ordonnance de la Cour ou
mêmeque ses répercussions lointaines. En ne permettant pas que la
requêtedu Nicaragua soit examinéepar la Cour, l'ordonnance ne tient
pas compte d'une considération importante, àsavoir que cette requête
peut souleverdes problèmes tels que la désignation d'unjuge ad hocou
d'autres questions concernant la composition de la Chambre elle-même.
Sicesproblèmes étaient examinép sar la Cour, celle-cipourrait procéder
par renvoi de la requêtedu Nicaragua devant la Chambre pour qu'elle

règlela question de façon appropriée. On ne peut s'attendre à ce que,
plusieurs fois de suite pendant qu'elle connaît d'une même requêtel,a
Chambre renvoie une ou plusieurs questions de ce genre àla Cour plé-
nière,afin d'en obtenir desdirectives. Il estclairqu'on nepeut s'attendre
à ce qu'une chambre ayant une compétenceou une juridiction égaleà
cellede la Cour puisse ainsidéférerles questions à«son »propre organe
au sein du systèmede la Cour. Il ne faut pas non plus permettre que la
Chambre puisse connaître un jour de questionstelles que la désignation
d'unjuge adhoc;c'estlà un autre problèmede droitinternational général
dont la portéeest de toute façon trop largepour la Chambre.

(Signé)T.O. ELIAS.

Bilingual Content

DISSENTING OPINION OF JUDGE ELIAS

1wish to dissentfrom the Order made by the Court because 1believe
that Nicaragua'sApplication forpermissionto interveneshouldbeheard
and disposed ofby the full Court and not bythe Chamber.
My firstreason isbased on the main question of the scope of chamber
jurisdiction:the scope ofthejurisdiction ofthis Chamber, or ofanyother
chamber composedbythe Court under thepresent Rules,isneitherdefin-
itivenorfinal, so that onecannotregardjurisdiction as beingtransferable
holusbolus from the International Court of Justice itself to its affiliate
envisagedin Article 26of the Statute, or by any other text.

My secondreason isthe almost absolute one that Article 27of the Sta-
tute provides clearlythat "Ajudgment givenby any ofthe chambers pro-
vided for in Articles 26 and 29 shall be considered as rendered by the
Court". Itmustfollowthat the Court and al1itsMembersarebound bythe
judgment of a chamber, but not necessarily by ajudgment arrived at by
whatever means, or in defiance of a rule ofjustice overlooked or miscon-
ceived,or onesubsequently overmled bythe Court inthe long run. Thisis
sobecause, eventhough everyMember ofthe Court isbound bythe deci-
sion of the chamber, no non-member of the chamber has the chance or
indeed the right to take part or to intervene in the work of thechamber
before its decision ishanded down.This means that there is no opportu-
nity for any Member to criticize, or to point out any lacunae before the
case is ended by the particularchamber; nor has the Court any opportu-
nity to intervene. Yet according to the present Statute the decision is one
by which the Court must be regarded as also bound, without having had
any opportunity of interference.
It is,however,inconceivablethat thejurisdiction asconferredupon the
Court by Article 36 of the Statute does not admit of any exception, and
. binds onlythe Court within the meaning ofthe law as envisagedby it. If,

foranyreason,a chamber exercisesso-calledjurisdiction whichisvitiated
by any mle of law or of justice, a judgment deliveredby it may not be
accepted in everyrespectas ipsfacto binding, eventhough thatjudgment
is apparently unexceptionable otherwise.It therefore followsthat, unless
Article26ofthe Statuteitself,orthe implementingArticle ofthe Rulesby
which chambers are established, so define the scope and purpose of a
chamber formed to deal with a particular matter referred to it, there can-
not be a wholesale transfer of generaljurisdiction of the Court by the
assignment of a particular case to a particularchamber. It remains to be
proved that achamber isthe equivalent ofthe Court in al1respects.It may
be noted thatunder Article30ofthe Statute the Court reservesthe exclu- OPINION DISSIDENTE DE M. ELIAS

[Traduction]

Je me dissocie de l'ordonnance qu'arendue la Cour car j'estime que
c'est la Cour plénièreet non la Chambre qui devrait connaître de la
requête àfin d'interventiondu Nicaragua et statuer sur cetterequête.
Ma première raisonest fondée surla question essentielle de l'étendue
de la compétence des chambres: l'étenduede la compétencede la pré-
sente Chambre, ou de toute autre chambre constituéepar la Cour en
application de son Règlementactuel,n'estni finale ni définitive,de sorte
qu'on ne peut considérerque la compétenceest directementtransférable
delaCour internationale deJusticeelle-même àl'unedeschambresvisées
àl'article26du Statut ou danstout autre texte.
Ma seconde raison, presque inattaquable, est que l'article27 du Statut
dispose clairementque «tout arrêt rendu parl'une des chambres prévues
aux articles6 et 29sera considérécommerendu par la Cour». Il s'ensuit
obligatoirementquelaCourettoussesmembressontliésparunarrêtrendu
par une chambre, encore qu'ilsne le seraient pas nécessairement par un
arrêt auqueulnechambreparviendraitpar n'importe quelmoyen ouaumé-

pris d'unerègledebonne administrationdela justice quiseraitnégligéoeu
malinterprétéeouque laCourfiniraitpar rejeter. Eneffet,chaquemembre
de la Cour est certes liépar la décisiond'unechambre,mais ceuxd'entre
eux qui ne sont pas membresde cette chambre n'ont pasla possibiliténi
mêmele droit de prendre part àsestravaux ou d'intervenirdans ceux-ci
avantqu'elle aitrendu sa décision.Celaveutdirequ'ilsn'ont pasla faculté
deformulerdescritiquesoudereleverdeslacunesavantquela chambreait
statué;et la Cour n'a pas non plus l'occasiond'intervenir.Or, conformé-
ment au Statut actuel, la décisiondoit êtreconsidércommeliant égale-
ment laCour,sansque celle-ciait la moindre possibilitéd'intervenir.
On ne saurait toutefois concevoir que la compétencequi estconféréeà
la Cour par l'article36du Statutne souffre aucune exception et lie seule-
ment la Cour au sens du droit tel que le Statut l'envisage.Si,pour une
raisonquelconque, une chambre exerceuneprétenduecompétenceetque
cette compétenceestviciéeau regard d'une règlede droit ou d'une règle
debonne administration delajustice,l'arrêt rendupar cettechambrepeut

nepas êtreaccepté àtous égardscommeobligatoireipsofacto, mêmesc iet
arrêtnesemblepar ailleurspas devoirsusciter decritiques.ls'ensuitque,
comme l'article 26 du Statut lui-mêmeou l'article correspondant du
Règlement,enapplication duquel leschambressontcréées,nedéfinissent
pas de la sorte l'étendue despouvoirset lemandat d'une chambre consti-
tuée pourconnaître d'une affaire particulière, il ne peut y avoir tranfert
global de la compétence générale de la Cour par la dévolutiond'une
affairedéterminée àune chambredéterminéeI.lrested'ailleurs àprouversive right to frame "rules for carrying out its functions. In particular, it
shall lay down rules ofprocedure"(emphasisadded). This showsthat the
chamber is not entirely its own master, and that it is possible that certain
aspectsofjurisdiction areresidual orexerciseableonlybythe Court itself.

When the chamber procedure was conceived and framed - a process
which may be regarded as having been somewhathurried - not enough
attention was paid to refining and considering itsfullimplicationsin the

administration of justice. That this has been so can easily be shown by
goingthrough the arcanumof decisionsso far delivered under the cham-
ber procedure sincethe wholesale adoption ofthe chamber procedure in
the case concerning Delimitation oftheMaritime BoundaryintheGulfof
MaineArea.The entiremachinery of chamber procedure has been shown
time and again to be in need of athorough overhaul, especiallyfrom the
point of view ofitsimplicationin the declaration of generalprinciples of
international law,likethat ofintervention,whichisnecessarilywiderthan
the narrow issueswhichArticle26envisagedasthe onlyworkfora cham-
ber. The chamber cannot be asked to undertake the finding of general
principles ofpublicinternational law,and isthereforenot giventhe same
authority and jurisdiction asthe Court, unless specificprovision ismade
in a particular case in the establishment or provenance of the chamber.

Finally,the present Order istoo narrow,and seemsconsumed bypreoc-
cupation with anarrowconception ofintervention,a concept whichin al1
casesiswiderthan the Court Order itself,orevenitsbroader implications.
The Order, in refusingto allowthe request of Nicaragua to be dealt with
by the Court fails to refer to the relevant consideration that it may raise
problems such astheappointment ofan adhocjudgeor other issuesofthe
composition ofthe Chamber itself.If such problems werehandled bythe
Court thematter couldbe dealtwithbyhandingbacktherequestofNicar-
agua tothe Chamber for disposa1asappropriate. The Chamber cannotbe
expected to refer such matter or matters to the full Court for directions
severaltimesin successioninthe course of itstreatment of a singleappli-
cation. Clearly, ahamber of equalcompetence orjurisdiction cannot be
expectedto havemattersreferredinthis wayto "its" ownorganwithinthe
ICJ system.The Chamber must also never be allowed to deal with such

issues as appointment of an ad hocjudge, another problem of general
international law the scope of which is too wide for the Chamber in any
event.

(Signed)T.O. ELIAS.qu'une chambre est à tous égards l'équivalendte la Cour. Il y a lieu de
relever qu'envertu de l'article0de son Statut laCour seréserve ledroit
exclusif de déterminer«par un règlement le mode suivant lequel elle
exercesesattributions. Elle règlenotamment sa procédure)( )lesitaliques
sont de moi). Cela montre que la Chambre n'estpas entièrement libre et
qu'ilestpossibleque certains aspects de lacompétenceaientun caractère
résiduel ou ne puissent êtrexercésquepar la Cour elle-même.

Lorsquelaprocéduredevantleschambresa été conçueeé t laborée un
peu hâtivement, semble-t-il- on ne s'estpas suffisammentpréoccupé de
définir toutessesimp1,icationssur l'administrationde la justice. On s'en
rend bien compte en explorant les arcanes des décisions rendues jusqu'à
présentdans lecadredela procéduredevant des chambres,depuis l'adop-
tion de cetteprocéduredansl'affairedela Délimitationdelafrontièremari-
timedanslarégion dugolfeduMaine.Onavuàmaintesreprisesquetoute la
procéduredevantleschambresavaitbesoind'être complètementrevisée,en
particulier au regard de ses implications sur l'énonciationde principes
généraux dudroitinternational,commeceluidel'intervention,énonciation
qui va nécessairementau-delà de l'examendes questionslimitéesque l'ar-
ticle26considèrecommeconstituantla seuleactivitéd'unechambre.On ne
peut demander àune chambrede dégagerdesprincipesgénéraux de droit
internationalpublic; ellen'estpar conséquentpasinvestiedelamême auto-

riténi de la mêmecompétenceque la Cour, àmoinsque, dans une affaire
déterminéec ,ela ne soit spécialementprévulors de la constitution de la
chambreou que celane ressortede sagenèse.
Enfin, laprésenteordonnance esttrop étroite;ilsemblequel'ons'ysoit
efforcédetraduireune conception restreinte de l'intervention,notionqui
est en tout cas plus large que la teneur de l'ordonnance de la Cour ou
mêmeque ses répercussions lointaines. En ne permettant pas que la
requêtedu Nicaragua soit examinéepar la Cour, l'ordonnance ne tient
pas compte d'une considération importante, àsavoir que cette requête
peut souleverdes problèmes tels que la désignation d'unjuge ad hocou
d'autres questions concernant la composition de la Chambre elle-même.
Sicesproblèmes étaient examinép sar la Cour, celle-cipourrait procéder
par renvoi de la requêtedu Nicaragua devant la Chambre pour qu'elle

règlela question de façon appropriée. On ne peut s'attendre à ce que,
plusieurs fois de suite pendant qu'elle connaît d'une même requêtel,a
Chambre renvoie une ou plusieurs questions de ce genre àla Cour plé-
nière,afin d'en obtenir desdirectives. Il estclairqu'on nepeut s'attendre
à ce qu'une chambre ayant une compétenceou une juridiction égaleà
cellede la Cour puisse ainsidéférerles questions à«son »propre organe
au sein du systèmede la Cour. Il ne faut pas non plus permettre que la
Chambre puisse connaître un jour de questionstelles que la désignation
d'unjuge adhoc;c'estlà un autre problèmede droitinternational général
dont la portéeest de toute façon trop largepour la Chambre.

(Signé)T.O. ELIAS.

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