Opinion dissidente de M. Forster

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058-19730622-ORD-01-05-EN
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058-19730622-ORD-01-00-EN
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OPINION DISSIDENTE DE M. FORSTER

Je ne peux pas joindre ma voix à celles de la majorité préconisant
l'arrêt desessais nucléairesfrançais dans le Pacifique pendant la durée de
ce procèsdont la Cour, ni personne, ne saurait dire quand il finira.
Je vote contre l'ordonnance de cejour indiquant pareille mesure con-
servatoire.
Mon refus est dictépar les considérations suivantes:
L'indication des mesures conservatoires est essentiellement régiepar
l'article1, paragraphe 1, du Statut de la Cour internationale deJustice

qui dispose:

«La Cour a le pouvoir d'indiquer, si elle estime que les circons-
tances l'exigent, quelles mesuresconservatoires du droit de chacun
doivent êtreprises à titre provisoir))

Pour exercer ce pouvoir conférépar l'article 41 précité,la Cour doit
êtrecompétente. Mêmelorsqu'elle estimeque les circonstances l'exigent,
la Cour doit, avant toute indication de mesures conservatoires, s'assurer
de sa compétence.Ni le caractère provisoire des mesures conservatoires
nil'urgence qu'ilya à lesindiquer ne sauraient dispenser lejuge devérifier,
dès le seuil de l'instance, sa compétence; surtout lorsque celle-ci est
sérieusementet formellement contestéepar I'Etat mis en cause. Et c'estle

cas en cette affaire.

Une jurisprudence existe, je le sais, d'oùl'on déduit qu'au stade des
mesures conservatoires cette vérificationde notre compétence peut n'être
que sommaire. Mais, à mon avis, on ne saurait ériger en règle cette
pratique jurisprudentielle. J'estime, pour ma part, que si prestigieux
que soit leur renom, les magistrats qui nous ont précédés ne peuvent
aujourd'hui se substituerà nous, ni leurs arrêtà celui que nous avons à
rendre dans une cause, exceptionnellement difficile, dont ils n'ont point
tenu en main le dossier.
A mon avis, la Cour ne dispose pas de deux sortes de compétences
distinctesl'une de l'autre: la première qui s'exerceraià propos des me-
sures conservatoires et la seconde qui connaîtrait du fond mêmedu
procès. La vérité est qu'ily a des cas où la grande probabilité de notre
compétence nous détermine rapidement à indiquer les mesures conser-
vatoires; par contre il en est d'autres, comme celui-ci, où seul un examen

approfondi laisse apparaître notre compétence ou, au contraire, notre
incompétence. 11me semble que la Cour aurait dû pousser plus avant l'examende sa
compétenceavant de statuer sur la demande australienne en indication
de mesures conservatoires.
Le pilier central sur quoi repose la thèse australienne est, en effet,

l'Acte généralde 1928auquel étaitpartie la France, et qui donnait com-
pétence à la Cour permanente de Justice internationale.

L'Acte généralde 1928 a étéreviséle 28 avril 1949 mais la France
n'a pas adhéré à cet Acte généralrevisé.Et c'est justement dans cet Acte
général reviséde 1949que la Cour internationale de Justice, notre juri-
diction, se substituà la défunteCour permanente de Justice internatio-
nale.
D'une lettre du 16mai 1973adresséeau Greffierde la Cour ainsi quede
son annexe, il apparaît que la France, en réponseaux notifications qui lui
ont été faites, considèrque l'Acte généralde 1928,partie intégrantedu
systèmede la Société des Nations disparue, est tombé endésuétude, est
dépourvu de toute efficacitéet est l'objet de l'indifférencede la quasi-
totalitédes Etats signataires, avant comme après la dissolution de la So-
ciété desNations qui l'enfanta.

A cet Acte générad l e 1928,moribond ou peut-êtrebien mort, la Fran-
ce, tout en se tenant hors du prétoire, oppose fermement sa déclaration
du 16mai 1966,reconnaissant comme obligatoire de plein droit, souscon-
dition de réciprocité,la juridiction de la Cour internationale de Justice,
conformément à l'article 36, paragraphe 2, du Statut de la Courà I'ex-
ception des différendsconcernant des activités serapportant à la défense
nationale (troisième réservede la déclarationdu 16mai 1966).
Cette expresse réservequi, formellement et en termes limpides, écarte
notre juridiction quand le différendconcerne des activitésse rapportanà
la défensenationale, est de taille. Les essais nucléairesfrançais dans le
Pacifique se rapportent, ce me semble, à la défensenationale française.
J'aurais souhaitéque la Cour s'arrêtâtdavantage au problème de com-
pétence soulevépar la confrontation de l'Acte généralde 1928 avec la
troisième réservede la déclarationfrançaise du 16 mai 1966. Il eût fallu

résoudrece problème avant de rendre, en méconnaissancede la réserve
française, une ordonnance franchissant lesbornes misesà notrejuridiction
le 16mai 1966.J'ai bienpeur que l'ordonnance de cejour n'insinue dans
bien des esprits que la Cour internationale de Justice considère, d'ores
et déjà,commenulle et non avenue la réserve françaisetouchant sa dé-
fense nationale, partant sa sécurité,intérêtital de la nation.

Il y avait, à mon avis, impérieuse nécessité à résoudre en priorité,
avant toute ordonnance, d'importants problèmes:

- le problème de la survie de l'Acte généralde 1928;
- leproblèmesoulevépar la confrontation de deux engagements portant
sur la juridiction internationale, le premier conventionnel, liant
plusieurs Etats et datant de 1928,lesecond unilatéraletpostérieur,&- tant du 16mai 1966et restreignant, par rapport au premier, par ses
réserves,la juridiction de la Cour internationale de Justice;

- leproblèmede l'incompatibilité des engagements considérés.

Et cela sansjamais perdre de vue que le consentement de 1'Etatnous est
indispensable pour lejuger.

L'ordonnance de ce jour est une incursion dans un secteur français
formellement interdit par la troisième réservedu 16 mai 1966.Pour en
franchir la frontière, il fallait Cour, non point une simple probabilité,
mais l'absolue certitude de sa compétence. N'étantpoint, personnelle-
ment, parvenu à cette certitude, je refuse d'accompagner la majorité.

Par ailleurs, une autre considération m'écartede la majorité de mes
collègues.Les mesures conservatoires demandéespar l'Australie se rap-

prochent tellement de l'objet mêmedu litige, qu'elles tendent à se con-
fondre avec lui. Il s'agit, en somme, d'une seule et mêmealternative, à
savoir: la poursuite ou, au contraire, l'arrêt immédiatdes essais nuclé-
aires français dans le Pacifique. C'est le fond mêmedu procès,sur lequel,
à mon avis, il n'étaitpas indiquéde statuer par ordonnance provisoire,
mais bien par arrêtdéfinitif.
Ajoutez à cela que l'ordonnance, en préconisant l'arrêt,même momen-
tané,des essais nucléairesfrançais dans le Pacifique, peut laisserpenser
que la Cour a déjàarrêtéson opinion sur la licéitéou plutôt l'illicéité
desdits essais. C'estbien, ceme semble, cequ'escomptait le requérant qui,
par la bouche du Solicitor-Generald'Australie, s'exprimait ainsi à l'au-
dience du 22 mai 1973:

«Puis-je conclure [disait-il], Monsieur le Président, en disant que
peu d'ordonnances de la Cour seront plus passéesau crible que celle
que la Cour rendra sur la présente requête.Les gouvernements et
peuples du monde entier pousseront leur examen au-delà du contenu
de cette ordonnance pour détecter l'attitude qu'ils présument être
celle de la Courà l'égardde la question fondamentale de la légalité
de la poursuite des essais nucléairesdans l'atmosphère.»

Ainsi donc, cette ordonnance provisoire servirait à détecter l'attitude
de la Cour à l'égarddela question fondamentale de la légalitéde la pour-
suite des essais nucléairesdans l'atmosphère.
A mon sens, cet avertissement australien, lancé en audience publique,
trahissait chez le requérant l'intention d'obtenir, par le biais d'une
demande d'indication de mesures conservatoires, un véritable jugement
sur la légalité,ou plutôt sur l'illégalide la poursuite des essais nuclé-
aires.

Je ne pouvais m'y prêter,car les mesures conservatoires ne sont pas
faites pour cela. Le but de l'ordonnance indiquant des mesures conservatoires est
clairement inscrit dans l'article 41 du Statutéjàcité),savoir: mesures
conservatoiresdu droit de chacun;et non point jugement sur la légalité ou
l'illégalité defsaitsincriminés.
L'Australie, à l'audience publique d~i21 mai 1973,définissait ainsises
droits à protéger:

«Les droits de l'Australie, en vertu du droit international et de la
Charte des Nations Unies, à êtreprotégéecontre de nouveaux essais
d'armes nucléairesdans l'atmosphèreet contre leurs conséquences,
notamment :

1) le droit de l'Australie et de ses habitaàtne pas êtreexposés à
des essais d'armes nucléaires effectuésans l'atmosphèrepar un
pays quelconque:
2) l'inviolabilitéde la souveraineté territoriale de l'Australie;
3) son droità détermineren toute indépendancequels actes peuvent
êtreaccomplis sur son territoire et à décider en particulier si
l'Australie et ses habitants peuvent êtreexposésà des rayonne-
ments de sources artificielles;
4) le droit de'Australie et de ses habitanàjouir sans entrave de la
libertédes mers;
5) le droit de l'Australià ce que la République françaiserespecte

son engagement pris en vertu de l'article 33, paragraphe 3, de
l'Acte généralpour le règlement pacifique des différendsinter-
nationaux, de s'abstenir de toute mesure susceptible d'avoir une
répercussion préjudiciableà l'exécutionde toute décisionjudi-
ciaire qui serait rendue en l'espèceàtne procéder à aucun acte,
de quelque nature qu'il soit, susceptible d'aggraver ou d'étendre
le différendentre l'Australie et la Républiquefrançaise.))

La France est absente des débats. Maisj'imagine que son droit à pro-
téger est celuide tout Etat, à savoir: le droit d'entreprendre, en toute
souveraineté dans ses territoires toutes actions propresà assurer, dans
l'immédiatcomme dans l'avenir, sa sécuritéet sa défensenationales.
Dans l'exercicede cedroit, 1'Etatdemeure, bien entendu, responsable des
conséquences dommageables pour autrui.
L'ordonnance préconisant l'arrêtmomentané des essais nucléaires
français protège-elle, ((conserve-t-elle)) ledroit de chacun? Celui de la
France comme celui de l'Australie?
Telles sont les considérations quim'ont conduità la présenteopinion
dissidente.

(Signé) 1.FORSTER.

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OPINION DISSIDENTE DE M. FORSTER

Je ne peux pas joindre ma voix à celles de la majorité préconisant
l'arrêt desessais nucléairesfrançais dans le Pacifique pendant la durée de
ce procèsdont la Cour, ni personne, ne saurait dire quand il finira.
Je vote contre l'ordonnance de cejour indiquant pareille mesure con-
servatoire.
Mon refus est dictépar les considérations suivantes:
L'indication des mesures conservatoires est essentiellement régiepar
l'article1, paragraphe 1, du Statut de la Cour internationale deJustice

qui dispose:

«La Cour a le pouvoir d'indiquer, si elle estime que les circons-
tances l'exigent, quelles mesuresconservatoires du droit de chacun
doivent êtreprises à titre provisoir))

Pour exercer ce pouvoir conférépar l'article 41 précité,la Cour doit
êtrecompétente. Mêmelorsqu'elle estimeque les circonstances l'exigent,
la Cour doit, avant toute indication de mesures conservatoires, s'assurer
de sa compétence.Ni le caractère provisoire des mesures conservatoires
nil'urgence qu'ilya à lesindiquer ne sauraient dispenser lejuge devérifier,
dès le seuil de l'instance, sa compétence; surtout lorsque celle-ci est
sérieusementet formellement contestéepar I'Etat mis en cause. Et c'estle

cas en cette affaire.

Une jurisprudence existe, je le sais, d'oùl'on déduit qu'au stade des
mesures conservatoires cette vérificationde notre compétence peut n'être
que sommaire. Mais, à mon avis, on ne saurait ériger en règle cette
pratique jurisprudentielle. J'estime, pour ma part, que si prestigieux
que soit leur renom, les magistrats qui nous ont précédés ne peuvent
aujourd'hui se substituerà nous, ni leurs arrêtà celui que nous avons à
rendre dans une cause, exceptionnellement difficile, dont ils n'ont point
tenu en main le dossier.
A mon avis, la Cour ne dispose pas de deux sortes de compétences
distinctesl'une de l'autre: la première qui s'exerceraià propos des me-
sures conservatoires et la seconde qui connaîtrait du fond mêmedu
procès. La vérité est qu'ily a des cas où la grande probabilité de notre
compétence nous détermine rapidement à indiquer les mesures conser-
vatoires; par contre il en est d'autres, comme celui-ci, où seul un examen

approfondi laisse apparaître notre compétence ou, au contraire, notre
incompétence. DISSENTING OPINION OF JUDGE FORSTER

[Translation]

1 am unable to add my vote to those of the majority advocating the
cessation of French nuclear tests in the Pacific for the duration of the
present proceedings, which will end on a date which neither the Court
nor anyone can possib1,yforetell.
1have voted against the Order of today's date indicating a provisional
measure in that sense.
My refusa1wasdictated bythe followingconsiderations :
The indication of provisional measures is essentially governed by
Article 41 (1) of the Statute of the International Court of Justice, which
provides as follows:

"The Court shall have the power to indicate, if it considers that
circumstances so require, any provisional measures which ought to
be taken to preserve the respective rights of either party."
To exercise this poner conferred by Article 41, the Court must have
jurisdiction. Even whlrn it considers that circumstances require the

indication of provisioinal measures, the Court, before proceeding to
indicate them, must s,atisfyitself that it has jurisdiction. Neither the
provisionalcharacter of the measures nor the urgency of the requirement
that they be indicated can dispense the judge from the necessity of
ascertaining his jurisdi'ction in limine litis; especiallywhen it is seriously
and categorically conte:stedby the State proceeded against, which is the
case at present.
1am aware of the existence of certain past decisions from which it has
been deduced that thir;ascertainment of Ourjurisdiction does not need
to be more than summary at the stage of provisional measures. But
this practice in the jurisprudence of the Court cannot in my view be
made into a rule. For my part 1consider that, however illustrious their
reputations, Our predecessors on the Bench cannot now take Our place,
nor can their decisions take the place of the one we have to render in an
exceptionally difficult.ffairwhose case-filethey never held in their hands.
In my view the Court does not have two distinct kinds of jurisdiction:
one to be exercisedin respect of provisionalmeasures and another to deal
with the merits of the case. The truth of the matter is that there are some

cases in which Ourjurisdiction is so very probable as rapidly to decide us
to indicate the provisional measures, whereas in other cases, like the
present one, it is only after a thorough examination that Ourjurisdiction,
or lack ofjurisdiction, can become apparent. 11me semble que la Cour aurait dû pousser plus avant l'examende sa
compétenceavant de statuer sur la demande australienne en indication
de mesures conservatoires.
Le pilier central sur quoi repose la thèse australienne est, en effet,

l'Acte généralde 1928auquel étaitpartie la France, et qui donnait com-
pétence à la Cour permanente de Justice internationale.

L'Acte généralde 1928 a étéreviséle 28 avril 1949 mais la France
n'a pas adhéré à cet Acte généralrevisé.Et c'est justement dans cet Acte
général reviséde 1949que la Cour internationale de Justice, notre juri-
diction, se substituà la défunteCour permanente de Justice internatio-
nale.
D'une lettre du 16mai 1973adresséeau Greffierde la Cour ainsi quede
son annexe, il apparaît que la France, en réponseaux notifications qui lui
ont été faites, considèrque l'Acte généralde 1928,partie intégrantedu
systèmede la Société des Nations disparue, est tombé endésuétude, est
dépourvu de toute efficacitéet est l'objet de l'indifférencede la quasi-
totalitédes Etats signataires, avant comme après la dissolution de la So-
ciété desNations qui l'enfanta.

A cet Acte générad l e 1928,moribond ou peut-êtrebien mort, la Fran-
ce, tout en se tenant hors du prétoire, oppose fermement sa déclaration
du 16mai 1966,reconnaissant comme obligatoire de plein droit, souscon-
dition de réciprocité,la juridiction de la Cour internationale de Justice,
conformément à l'article 36, paragraphe 2, du Statut de la Courà I'ex-
ception des différendsconcernant des activités serapportant à la défense
nationale (troisième réservede la déclarationdu 16mai 1966).
Cette expresse réservequi, formellement et en termes limpides, écarte
notre juridiction quand le différendconcerne des activitésse rapportanà
la défensenationale, est de taille. Les essais nucléairesfrançais dans le
Pacifique se rapportent, ce me semble, à la défensenationale française.
J'aurais souhaitéque la Cour s'arrêtâtdavantage au problème de com-
pétence soulevépar la confrontation de l'Acte généralde 1928 avec la
troisième réservede la déclarationfrançaise du 16 mai 1966. Il eût fallu

résoudrece problème avant de rendre, en méconnaissancede la réserve
française, une ordonnance franchissant lesbornes misesà notrejuridiction
le 16mai 1966.J'ai bienpeur que l'ordonnance de cejour n'insinue dans
bien des esprits que la Cour internationale de Justice considère, d'ores
et déjà,commenulle et non avenue la réserve françaisetouchant sa dé-
fense nationale, partant sa sécurité,intérêtital de la nation.

Il y avait, à mon avis, impérieuse nécessité à résoudre en priorité,
avant toute ordonnance, d'importants problèmes:

- le problème de la survie de l'Acte généralde 1928;
- leproblèmesoulevépar la confrontation de deux engagements portant
sur la juridiction internationale, le premier conventionnel, liant
plusieurs Etats et datant de 1928,lesecond unilatéraletpostérieur,&- NUCLEAR TESTS (DISS. OP. FORSTER) 112

1 feel that the Coiirt ought to have gone further in the examination
of its jurisdiction before finding upon the Australian request for the
indication of provisional measures.

The reason is that the central pillar upon which the Australian con-
tentions rest is the General Act of 1928,to which France was a party and
which conferred jurisdiction upon the Permanent Court of International
Justice.
The 1928General Act was revised on 28 April 1949,but France did
not accede to that re-visedGeneral Act. And it is precisely in this revised
General Act of 1949 .thatthe International Court of Justice, Ourtribunal,
takes the place ofthe defunct Permanent Court of International Justice.

From a letter addressed to the Registrar of the Court on 16May 1973
and its annex it transpires that France, in reply to the notifications made
to it, considers that the 1928General Act, an integral part of the defunct
League of Nations system, has fallen into desuetude, is devoid of any
efficacyand has beeri a subject of indifference for virtually ali the signa-
tory States,both before and after the dissolution ofthe LeagueofNations
which gave it birth.
Against this moribund, if not well and truly dead General Act of 1928
France, while not appearing before the Court, firmly sets up its Declara-
tion of 16May 1966,which in conformity with Article 36, paragraph 2,

of the Statute recognizesthe jurisdiction of the Court as compulsory ipso
facto on condition of reciprocity, exceptin relation to disputes concerning
activities connected with national defence (third reservation to the
Declaration of 16 Miay1966).
This express reservation, which in terms that are crystal clearatego-
rically excludes Our jurisdiction when the dispute concerns activities
connected with national defence, is no small matter, and the French
nuclear tests in thePacificdo concern French national defence, or so it
seems to me. 1would have liked the Court to consider at greater length
the problem of jurisdiction raised by the confrontation of the 1928
General Act with the third reservation to the French Declaration of 16
May 1966. That prcoblemshould have been solved before making an
Order which disrega.rdsthe French reservation and oversteps the limits
placed on Ourjurisdiction on 16 May 1966.1am very much afraid that
the Order made t0da.ymay leave in the minds of many the impression that
the International Court of Justice henceforth considers the French
reservation concerning its national defence, hence its security, the vital
interest of the nation, to be nul1and void.
In my view it was imperatively necessary to solve certain important

problems as a matter of priority before making any Order:

the problem of the survival of the 1928General Act;
the problem raised by the confrontation of two undertakings in regard
to international jurisdiction, one a treaty obligation binding several
States and dating;from 1928,the other a unilateral and later commit- tant du 16mai 1966et restreignant, par rapport au premier, par ses
réserves,la juridiction de la Cour internationale de Justice;

- leproblèmede l'incompatibilité des engagements considérés.

Et cela sansjamais perdre de vue que le consentement de 1'Etatnous est
indispensable pour lejuger.

L'ordonnance de ce jour est une incursion dans un secteur français
formellement interdit par la troisième réservedu 16 mai 1966.Pour en
franchir la frontière, il fallait Cour, non point une simple probabilité,
mais l'absolue certitude de sa compétence. N'étantpoint, personnelle-
ment, parvenu à cette certitude, je refuse d'accompagner la majorité.

Par ailleurs, une autre considération m'écartede la majorité de mes
collègues.Les mesures conservatoires demandéespar l'Australie se rap-

prochent tellement de l'objet mêmedu litige, qu'elles tendent à se con-
fondre avec lui. Il s'agit, en somme, d'une seule et mêmealternative, à
savoir: la poursuite ou, au contraire, l'arrêt immédiatdes essais nuclé-
aires français dans le Pacifique. C'est le fond mêmedu procès,sur lequel,
à mon avis, il n'étaitpas indiquéde statuer par ordonnance provisoire,
mais bien par arrêtdéfinitif.
Ajoutez à cela que l'ordonnance, en préconisant l'arrêt,même momen-
tané,des essais nucléairesfrançais dans le Pacifique, peut laisserpenser
que la Cour a déjàarrêtéson opinion sur la licéitéou plutôt l'illicéité
desdits essais. C'estbien, ceme semble, cequ'escomptait le requérant qui,
par la bouche du Solicitor-Generald'Australie, s'exprimait ainsi à l'au-
dience du 22 mai 1973:

«Puis-je conclure [disait-il], Monsieur le Président, en disant que
peu d'ordonnances de la Cour seront plus passéesau crible que celle
que la Cour rendra sur la présente requête.Les gouvernements et
peuples du monde entier pousseront leur examen au-delà du contenu
de cette ordonnance pour détecter l'attitude qu'ils présument être
celle de la Courà l'égardde la question fondamentale de la légalité
de la poursuite des essais nucléairesdans l'atmosphère.»

Ainsi donc, cette ordonnance provisoire servirait à détecter l'attitude
de la Cour à l'égarddela question fondamentale de la légalitéde la pour-
suite des essais nucléairesdans l'atmosphère.
A mon sens, cet avertissement australien, lancé en audience publique,
trahissait chez le requérant l'intention d'obtenir, par le biais d'une
demande d'indication de mesures conservatoires, un véritable jugement
sur la légalité,ou plutôt sur l'illégalide la poursuite des essais nuclé-
aires.

Je ne pouvais m'y prêter,car les mesures conservatoires ne sont pas
faites pour cela. NUCLI~AR TESTS (DISSO. P.FORSTER) 113

ment which dates from 16 May 1966 and, by its reservations, restricts
the jurisdiction of the International Court of Justice in comparison
with the first;
the problem of the iincompatibility of the undertakings under conside-
ration.

These problems, moreover, should have been considered without ever
losing sight of the fac:tthat consent is an indispensable prerequisite to
Our judging any Sttite.
The Order made th:isday is an incursion into a French sector of activity
placed strictly out of bounds by the third reservation of 16May 1966.To
cross the line into that sector, the Court required no mere probability

but the absolute certa.intyof possessingjurisdiction. As 1personally have
been unable to attain that degree of certainty, 1have declined to accom-
pany the majority.
Furthermore, an additional consideration leads me to differ from the
majority of my collea.gues.The interim measures requested by Australia
are so close to the actual subject-matter of the case that they are practi-
cally indistinguishabli:therefrom. Ultimately the only alternatives arethe
continuance or the cessation of the French nuclear tests in the Pacific.
This is the substance of the case, upon which, in my opinion, it was not
proper to pass by nieans of a provisional Order, but only by a final
judgment.
In addition, the Order, by recommending the cessation, even the
temporary cessation, of the French nuclear tests in the Pacific, may
suggest that the Court has already formed a definite opinion on the

lawfulness, or rather the unlawfulness, of thesaid tests. This, it seems to
me, is what the Applicant was counting on; this is what it said, through
the Solicitor-General of Australia, at the hearing of 22 May 1973:
"May I concl~ide,Mr. President, by saying that few Orders of the
Court would be more closely scrutinized than the one which the
Court will make upod this application. Governments and people al1

over the world v~illlook behind the contents of that Order to detect
what they may presume to be the Court's attitude towards the
fundamental question of the legality of further testing of nuclear
weapons in the atmosphere."
Thus this provisiorial Order is to permit of the detection of the Court's
attitude towards the fundamental question of the legality of further
testing of nuclear weiiponsin the atmosphere!

To my mind thiswarning by Australia, made in open court, reveals that
the intention of the Applicant is to obtain, bymeans of a request for the
indication of interim measures of protection, an actual judgment on the
legality, or rather the illegality, of further nuclear tests.

1cannot lend myscelfto this, which is not what interim measures were
intended for. Le but de l'ordonnance indiquant des mesures conservatoires est
clairement inscrit dans l'article 41 du Statutéjàcité),savoir: mesures
conservatoiresdu droit de chacun;et non point jugement sur la légalité ou
l'illégalité defsaitsincriminés.
L'Australie, à l'audience publique d~i21 mai 1973,définissait ainsises
droits à protéger:

«Les droits de l'Australie, en vertu du droit international et de la
Charte des Nations Unies, à êtreprotégéecontre de nouveaux essais
d'armes nucléairesdans l'atmosphèreet contre leurs conséquences,
notamment :

1) le droit de l'Australie et de ses habitaàtne pas êtreexposés à
des essais d'armes nucléaires effectuésans l'atmosphèrepar un
pays quelconque:
2) l'inviolabilitéde la souveraineté territoriale de l'Australie;
3) son droità détermineren toute indépendancequels actes peuvent
êtreaccomplis sur son territoire et à décider en particulier si
l'Australie et ses habitants peuvent êtreexposésà des rayonne-
ments de sources artificielles;
4) le droit de'Australie et de ses habitanàjouir sans entrave de la
libertédes mers;
5) le droit de l'Australià ce que la République françaiserespecte

son engagement pris en vertu de l'article 33, paragraphe 3, de
l'Acte généralpour le règlement pacifique des différendsinter-
nationaux, de s'abstenir de toute mesure susceptible d'avoir une
répercussion préjudiciableà l'exécutionde toute décisionjudi-
ciaire qui serait rendue en l'espèceàtne procéder à aucun acte,
de quelque nature qu'il soit, susceptible d'aggraver ou d'étendre
le différendentre l'Australie et la Républiquefrançaise.))

La France est absente des débats. Maisj'imagine que son droit à pro-
téger est celuide tout Etat, à savoir: le droit d'entreprendre, en toute
souveraineté dans ses territoires toutes actions propresà assurer, dans
l'immédiatcomme dans l'avenir, sa sécuritéet sa défensenationales.
Dans l'exercicede cedroit, 1'Etatdemeure, bien entendu, responsable des
conséquences dommageables pour autrui.
L'ordonnance préconisant l'arrêtmomentané des essais nucléaires
français protège-elle, ((conserve-t-elle)) ledroit de chacun? Celui de la
France comme celui de l'Australie?
Telles sont les considérations quim'ont conduità la présenteopinion
dissidente.

(Signé) 1.FORSTER. The purpose of an Order indicating interim measures of protection is

clearly laid down in Article 41 of the Statute, quoted above: topreserve
the respectiverights of eitherparty, and not judgment on the legality or
illegalityof the matters complained of.
At the public hearirig of 21 May 1973,Australia defined the rights to
be protected as follows:
"Australia's rightsunder international law and the Charter of the
United Nations tolbe safeguarded from further atmospheric nuclear
weapon tests and their consequences, including:

(i) the right of Australia and its people to be free from atmospheric
nuclear weapon tests by any country;

(ii) the inviolability of Australia's territorial sovereignty
(iii) its independent right to determine what acts shall take place within
its territory, and, in particular, whether Australia and its people
shall be exposed to ionizing radiation from artificial sources;

(iv) the right of Australia and her people fullyto enjoythe freedom of the
high seas;
(v) .the right of Australia to the performance by the French Republic of
its undertaking contained in Article 33(3) ofthe General Act for the
Pacific Settlement of International Disputes to abstain from al1
measures likely 1.0 react prejudicially upon the execution of any
ultimate judicialdecision given in these proceedings and to abstain
from any sort of action whatsoever which may aggravate or extend
the present dispute between Australia and the French Republic."

France is absent from these proceedings; but 1conceive that the right
which it has and whicihis to be protected is that of every State, namely
the right to undertake: in full sovereignty on its own territory any action
appropriate for ensuring its immediate or future national security and
national defence. Of course, in the exerciseof this right each State remains
responsible for any consequent injury to third parties.
Does the Order re:commending the temporary cessation of French
nuclear tests protect or "preserve" the respective rights of either party-
the rights of France as well as those of Australia?
Suchare the considerations whichhave led meto append this dissenting
opinion.

(Signed 1.)FORSTER.

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Opinion dissidente de M. Forster

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