Opinion individuelle de M. le juge Cançado Trindade

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OPINION INDIVIDUELLE

DE M. LE JUGE CANÇADO TRINDADE

[Traduction]

TABLE DES MATIÈRES
Paragraphes

I. PROLÉGOMÈNES 3-7

II. LES« PRINCIPES GÉNÉRAUX DE DROIT»: RETOUR SUR LES TRAVAUX
PRÉPARATOIRES DU S TATUT DE LA COUR ET DE SA DEVANCIÈRE 8-16

III. AUTONOMIE DES PRINCIPES GÉNÉRAUX DE DROIT EN TANT QUE
« SOURCE» FORMELLE DU DROIT INTERNATIONAL 17-19

IV. L E RECOURS AUX PRINCIPES DANS LA JURISPRUDENCE DE LAC OUR 20-25

V. L ES PRINCIPES GÉNÉRAUX DE DROIT— INTERNE ET INTERNATIONAL 26-47

1. Enseignements à tirer des travaux préparatoires du Statut de
la Cour et de sa devancière 26-28
2. La doctrine et les principes généraux de droit 29-47

a) Du temps de la Cour permanente 29-36
b) A l’époque de la Cour 37-47

VI. C HAMP D APPLICATION RATIONE MATERIAE DES « PRINCIPES GÉNÉ-
RAUX » DU DROIT INTERNATIONAL 48-51

VII. L ES PRINCIPES GÉNÉRAUX DU DROIT INTERNATIONAL DE LENVIRON -
NEMENT 52-96

1. Le principe de prévention 54-61
2. Le principe de précaution 62-92

a) Les risques 69-73
b) L’incertitude scientifique 74-92

3. Les principes de prévention et de précaution combinés 93-96

VIII. L A RECONNAISSANCE DES PRINCIPES DE PRÉVENTION ET DE PRÉCAU-
TION PAR LESP ARTIES ADVERSES 97-113

1. Le principe de prévention 100-102
2. Le principe de précaution 103-113

IX. L A DIMENSION TEMPORELLE À LONG TERME :LÉQUITÉ INTERGÉNÉRA -
TIONNELLE 114-131

X. L A DIMENSION TEMPORELLE SOUSJACENTE : LE DÉVELOPPEMENT

DURABLE 132-147

125 1. La formulation et les implications du développement du-
rable 132-140

2. Les Parties à l’instance avaient conscience des implications
du développement durable 141-147

XI. L’ÉTABLISSEMENT JUDICIAIRE DES FAITS 148-151

XII. A U-DELÀ DE LA DIMENSION INTERÉTATIQUE :ASPECTS CONNEXES 152-190

1. Les impératifs de la santé humaine et du bien-être des popu-
lations 153-164
2. Le rôle de la société civile dans la protection de l’environne-
ment 165-171

3. Au-delà de la réciprocité: les obligations à caractère objectif 172-178
4. La personnalité juridique de la CARU 179-190

XIII. L ES PRINCIPES FONDAMENTAUX EN TANT QUE SUBSTRAT DE L ’ORDRE
JURIDIQUE LUI-MÊME 191-200

XIV. L A DIMENSION AXIOLOGIQUE DES PRIMA PRINCIPIA 201-206

XV. L ES «PRINCIPES GÉNÉRAUX DE DROIT» TÉMOINS DU STATUS
CONSCIENTIAE DE LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE 207-217

XVI. É PILOGUE 218-220

126 1. Si je me suis rangé à la décision que la majorité de la Cour vient de
rendre dans l’affaire des Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay

(Argentine c. Uruguay), c’est parce qu’elle énonce les conclusions pou-
vant être tirées d’une stricte appréciation des éléments de preuve versés
au dossier, mais je ne puis, à mon grand regret, souscrire à certaines
parties du raisonnement suivi dans le présent arrêt, déplorant en particu-
lier le peu de cas que la Cour a fait des principes généraux de droit. Je me

sens donc tenu d’exposer les fondements de ma position personnelle en la
matière. A cette fin, j’examinerai dans la présente opinion individuelle le
processus d’élaboration des principes généraux en droit international
contemporain, afin de bien cerner les questions qui sont en jeu ici. Il res-

sortira clairement de l’examen ci-après que ma propre conception des
enjeux de l’espèce diffère de celle de la majorité de la Cour, telle que révé-
lée par le raisonnement formulé dans cette affaire des Usines de pâte à
papier.
2. Ma position personnelle s’inscrit dans un courant de pensée qui

s’est développé en droit international au fil des neuf dernières décennies
(de 1920 à 2010) et qui, depuis le milieu des années 1970, a également
trouvé écho dans le domaine du droit international de l’environnement.
De mon point de vue, les principes généraux possèdent une autonomie
propre aussi bien en droit interne qu’en droit international. Les juridic-

tions internationales se sont ces dernières années intéressées à leur champ
d’application ratione materiae, et la Cour internationale de Justice
(la «Cour») a un rôle important à jouer en la matière, me semble-t-il, en
prêtant l’attention voulue à la fonction de ces principes généraux, qui
occupent une place particulière dans l’évolution du corpus juris foison-

nant du droit international contemporain. Ces considérations à l’esprit,
j’entame l’examen de quelques points préliminaires.

I. PROLÉGOMÈNES

3. Quelle que soit la façon dont les parties en litige lui présentent leur
affaire, la Cour n’est ni limitée ni liée dans son action par leurs argu-
ments: elle demeure totalement libre d’établir elle-même les faits et le
droit applicable. Ce faisant — comme elle est totalement libre de le faire,

dans l’exercice rigoureux de sa fonction —, la Cour dévoile nécessaire-
ment à un observateur perspicace sa propre conception du droit. Un rai-
sonnement juridique peut toujours se construire de différentes manières,
et, même dans une affaire comme celle des Usines de pâte à papier
(Argentine c. Uruguay), j’ai naturellement tendance à m’intéresser davan-

tage aux principes juridiques qu’aux substances chimiques, contrairement
à ce que la Cour a fait.
4. Dans le cadre de son examen des obligations de fond découlant du
statut du fleuve Uruguay de 1975, la Cour s’est livrée, avec diligence et

zèle, à une longue et nécessaire analyse de l’effet des rejets de l’usine sur la
qualité de l’eau du fleuve Uruguay (arrêt, par. 234-264), mais elle semble

127ne pas s’être donné autant de peine au sujet des principes généraux de

droit (y compris ceux du droit international de l’environnement), qu’elle
n’a évoqués qu’en passant, sans s’y arrêter, dans quelques paragraphes de
son arrêt . Je me sens donc tenu, dans la présente opinion individuelle, de
tenter de rétablir l’équilibre en faisant la part belle aux principes juridi-

ques, en particulier à ceux qui sont applicables en l’espèce. J’agis ainsi
dans un esprit constructif, en osant espérer que la Cour fera plus grand
cas des principes juridiques dans ses décisions futures; après tout, ces der-
nières décennies, les principes juridiques m’ont été bien plus familiers que

les substances chimiques.
5. Cette question est étroitement liée à celle de la détermination du
droit applicable en l’espèce, qui renvoie elle-même inéluctablement aux
«sources» du droit, du droit international s’entend. Même si les parties

en litige n’invoquent pas les principes généraux de droit devant elle, la
Cour est totalement libre de les prendre d’office en considération. Il se
trouve que, dans cette affaire des Usines de pâte à papier, les deux
Parties, l’Argentine et l’Uruguay, ont bel et bien invoqué ces principes;

pourtant, la Cour, pour des raisons qui m’échappent, a préféré ne pas s’y
arrêter, manquant une occasion unique d’apporter une contribution
remarquable à notre discipline. En effet, une question déterminante qui
vient immédiatement à l’esprit ici, pour régler une affaire comme celle-ci,

est celle de savoir si une juridiction internationale telle que la Cour peut
ou doit avoir recours aux principes du droit de l’environnement , en appli-
cation de l’alinéa c) du paragraphe 1 de l’article 38 de son Statut.
6. Ces principes, propres au droit international de l’environnement,

comprennent les principes de prévention et de précaution, auxquels
s’ajoutent celui de l’équité intergénérationnelle, qui s’inscrit nécessaire-
ment dans la durée, et la notion de pérennité sous-jacente au principe
du développement durable. Ces principes doivent également être gardés

à l’esprit pour statuer sur les faits de l’affaire qui nous occupe. Voici
quelques-unes des questions préalables qui sont à prendre en considéra-
tion, et qui ne semblent pas avoir été examinées de manière suffisam-
ment claire jusqu’ici: a) la référence aux «principes généraux de droit»

figurant à l’alinéa c) du paragraphe 1 de l’article 38 du Statut de la
Cour vise-t-elle uniquement les principes établis in foro domestico ou
englobe-t-elle aussi ceux définis à l’échelle du droit international? b) ces
derniers sont-ils uniquement ceux du droit international général ou

comprennent-ils également ceux qui sont propres à un domaine parti-
culier de ce droit?
7. Dans la présente opinion individuelle, je m’intéresserai ensuite,
compte tenu des faits qui sont en cause en l’espèce, à certains aspects

1Pour une lecture des considérants de la Cour (et non des arguments des Parties), voir
le paragraphe 101 (principe de prévention), le paragraphe 145 (principe de bonne foi), le
paragraphe 162 (principe dit onus probandi incumbit actori ) et le paragraphe 164
(«approche» de précaution).

128connexes qui dépassent la dimension interétatique (si familière à la Cour),

à savoir: les impératifs liés à la santé humaine et au bien-être des
populations; le rôle de la société civile dans la protection de l’environ-
nement; les obligations revêtant un caractère objectif, au-delà de la réci-

procité; et la personnalité juridique de la commission administrative du
fleuve Uruguay (la «CARU»). Enfin, et ce n’est pas le moins impor-
tant, j’envisagerai les principes généraux de droit pertinents dans leur

dimension axiologique, et en tant qu’indicateurs du status conscientiae
de la communauté internationale. Dans cette optique, il me faudra
tout d’abord revenir sur les travaux préparatoires de l’article 38 du

Statut (de la Cour et de sa devancière) — qui ont fait couler tant
d’encre — ainsi que sur le recours aux principes dans la jurisprudence
de la Cour, aux fins de l’examen à réaliser dans le cadre de la présente

affaire.

II. LES « PRINCIPES GÉNÉRAUX DE DROIT »: RETOUR SUR LES TRAVAUX
PRÉPARATOIRES DU STATUT DE LA C OUR ET DE SA DEVANCIÈRE

8. L’une des questions les plus débattues au sein du comité consultatif
de juristes chargé d’élaborer le Statut de la Cour permanente de Justice
internationale (la «Cour permanente»), en juin et juillet 1920, portait sur

le sens et sur le contenu matériel à attribuer aux principes généraux
de droit en tant que «source» (formelle) du droit international. Dans sa
proposition initiale, le président Edouard Descamps recensa parmi les

(quatre) sources possibles «les règles de droit international telles que les
reconnaît la conscience juridique des peuples civilisés» . Lors des débats
du 2 juillet 1920, cette proposition rencontra une vive opposition en la

personne d’Elihu Root, pour qui les principes de justice variaient d’un
pays à un autre . Le président Descamps répondit que cela pouvait être
«vrai en partie, lorsqu’il s’agi[ssai]t de certaines règles secondaires»; tou-

tefois, ajouta-t-il,

«ce n’est plus vrai lorsqu’il s’agit de la loi fondamentale du juste
et de l’injuste, profondément gravée au cŒur de tout être humain et
qui reçoit son expression la plus haute et la plus autorisée dans la
4
conscience juridique des peuples civilisés» .

9. Albert de Lapradelle était lui aussi opposé à la vision positiviste
d’Elihu Root selon laquelle les juges ne pouvaient statuer qu’en applica-
tion de «règles reconnues» en l’absence desquelles ils devaient «pronon-

ce[r] un non liquet » — une vision qu’il qualifia d’«inadmissible», avant

2Cour permanente de Justice internationale, comité consultatif de juristes, Procès-
verbaux des séances du comité avec annexes, 16 juin-24 juillet 1920 , La Haye, Van Lan-
genhuysen Frères, 1920, point 3, p. 306, annexe 3.
3
4Ibid., p. 310.
Ibid., p. 310-311.

129d’ajouter qu’«on p[ouvait] limiter la compétence des arbitres, mais
5
non ... celle des juges» . Tentant de débloquer la situation, lord Philli-
more estima que, «[e]n général[,] tous les principes du droit commun sont

applicables aux rapports internationaux. Ce sont en fait des règles de
droit international» . George Francis Hagerup ajouta que les juges
devaient rendre leur décision à l’aune des «règles du droit», et «non pas

déclarer qu’il leur est impossible, faute de règles, de se prononcer. Il ne
faut pas qu’un déni de justice soit possible» . 7

10. Dans cet ordre d’idées, le président Descamps, lui aussi hostile à la
possibilité d’un non liquet, affirma que, si aucune règle n’existait en droit
conventionnel ou coutumier, le juge devait alors appliquer les principes
8
généraux de droit . Il réaffirma ensuite clairement sa position jusnatura-
liste, en confirmant la quête à mener — au-delà des traités et de la cou-

tume — pour trouver

«la norme de la justice objective dans des conditions qui soient pré-
cisément de nature à prévenir l’arbitraire... [L]a justice objective est

la norme naturelle dont l’application s’impose au juge... Le second
des clairs regards que je donne au juge, c’est la conscience juridique
des nations civilisées dans ses éclatantes manifestations.» 9

11. Lors des débats du lendemain, le 3 juillet 1920, lord Phillimore

exprima son propre point de vue, à savoir que les principes généraux
(visés au point 3 tel qu’amendé) étaient ceux qui étaient acceptés par
10
toutes les nations in foro domestico . Albert de Lapradelle admit que
ces principes «constitu[ai]ent aussi des sources de droit international»,
pourvu toutefois qu’ils fissent «l’unanimité ou la quasi-unanimité» .La 11

proposition initiale (supra) fut modifiée et, dans la proposition soumise
par Elihu Root, les «quatre» sources possibles comprenaient «les prin-
12
cipes généraux de droit reconnus par les peuples civilisés» . Cette solu-
tion constituait manifestement, pour le comité consultatif de juristes,
un compromis entre les partisans de l’approche jusnaturaliste et les

tenants du positivisme, dont les chefs de file étaient le président Edouard
Descamps et Elihu Root, respectivement.

12. Cette formulation fut adoptée à titre provisoire, pour former la
base de ce qui allait devenir peu de temps après le paragraphe 3 de l’ar-
ticle 38 du Statut de la Cour permanente, puis de la Cour actuelle (actuel

alinéa c) du paragraphe 1 de l’article 38). Deux déclarations importantes

5
Cour permanente de Justice internationale, comité consultatif de juristes, Procès-
verbaux des séances du comité avec annexes, 16 juin-24 juillet 1920, op. cit. snote 2,
p. 335.
6 Ibid., p. 316.
7 Ibid., p. 317.
8 Ibid., p. 318-319; voir aussi p. 322.
9 Ibid., p. 323.
10 Ibid., p. 335.
11 Ibid., p. 313-314.
12
Ibid., p. 344, annexe 1.

130furent faites en faveur de l’insertion d’une référence expresse aux prin-

cipes généraux de droit dans le projet de liste recensant les sources for-
melles du droit international. La veille de l’adoption provisoire, le
président Edouard Descamps défendit avec éloquence l’existence

d’une «justice objective», dans les termes suivants:

«C’est une des convictions les plus profondes de ma vie vouée à

l’étude et à la pratique du droit international qu’il n’est pas possible
de chasser du domaine de l’ordre juridique, en ses applications, une
loi fondamentale de justice, ... pour promulguer certaines règles
comme nécessairement liées à l’économie essentielle des rapports

sociaux dans la vie internationale, et comme s’appliquant à la diver-
sité des faits qu’embrasse cette vie.
.............................

N’hésitons donc pas ... à placer, parmi les normes que doit suivre

le juge dans la solution des différends qui lui sont soumis, la loi de
la justice objective... [L]a loi du juste et de l’injuste, telle qu’elle est
gravée et tracée de façon ineffaçable au cŒur des peuples civilisés,
... est non seulement l’élément générateur par excellence du pro-

grès du droit international, mais le complément indispensable pour
le juge de l’application du droit, dans la haute mission qui lui
est conférée.» 13

13. Le jour de l’adoption provisoire, Raul Fernandes s’exprima lui
aussi en faveur de l’inclusion, dans la partie du texte à l’examen, d’une

référence expresse aux principes généraux de droit, afin de répondre aux
besoins du juge et de lui permettre de statuer. Il indiqua que «les sen-
tences ainsi fondées» — sur les principes généraux de droit — «sont en

règle générale les plus justes, car les principes s’inspirent toujours de la
justice, tandis que la loi formelle s’en écarte souvent» . Les règles dé-
coulant de ces principes «ne sont établies ni par convention ni par

coutume», et le projet examiné aurait, de l’avis de Raul Fernandes,
beaucoup gagné «en accordant à la Cour internationale de Justice le
pouvoir de juger — à défaut de droit conventionnel ou coutumier —
selon les principes de droit international» . 15

14. Dernier point, mais non des moindres, Albert de Lapradelle fit
observer au cours des débats qu’il suffisait de faire référence aux «prin-
cipes généraux de droit» sans exiger que ceux-ci aient été reconnus par les

«peuples civilisés»; cette exigence lui semblait «superflue puisque qui dit
droit dit civilisation» . Ses confrères ne virent toutefois pas l’intérêt de

13
Cour permanente de Justice internationale, comité consultatif de juristes, Procès-
verbaux des séances du comité avec annexes, 16 juin-24 juillet 1920, op. cinote 2,a
p.1424-325.
Ibid., p. 345-346.
15Ibid., p. 346.
16Ibid., p. 335.

131la supprimer, et elle fut conservée. Le projet, qui faisait référence aux
17
principes généraux de droit en question, fut adopté et devint le projet
d’article 35 , puis l’article 38 du Statut de la Cour permanente.
15. Un quart de siècle plus tard, lors des débats de la conférence de San

Francisco de 1945 qui précédèrent l’adoption de la Charte des Nations
Unies et du Statut de la Cour, les délégations participantes (quatrième com-

mission, premier comité) convinrent que l’article 38 correspondant du
nouveau Statut ne ferait pas l’objet d’une revision générale; le moment
n’était «pas opportun», comme le rapporteur Jules Basdevant le fit obser-
19
ver . La seule modification mineure introduite — dans le chapeau de l’ar-
ticle 38 — fut le résultat d’une proposition chilienne, adoptée à l’unanimi.té 20
16. Le nouvel article 38 du Statut débutait — et débute toujours —

comme ceci: «La Cour, dont la mission est de régler conformément au
droit international les différends qui lui sont soumis, applique...» Il a
parfois été dit que cette modification mineure, la seule qui ait été appor-

tée au libellé de l’article 38, devait servir à éclaircir le texte: pourtant,
l’absence de cette précision dans la version antérieure du Statut n’avait

pas empêché la Cour permanente, en son temps, de «se considérer
comme un organe de droit international; cet ajout a[vait] néanmoins
pour effet de renforcer ce caractère chez la nouvelle Cour» . 21

III. A UTONOMIE DES PRINCIPES GÉNÉRAUX DE DROIT
EN TANT QUE « SOURCE » FORMELLE DU DROIT INTERNATIONAL

17. La mens legis de l’expression «principes généraux de droit» figu-
rant à l’alinéa c) du paragraphe 1 de l’article 38 du Statut de la Cour

indique clairement que ces principes constituent, en eux-mêmes, une
«source» (formelle) du droit international, et qu’ils ne doivent pas néces-

sairement être subsumés sous la coutume ou les traités. La position d’une
partie de la doctrine contemporaine, qui consiste à tenter de déterminer si
un principe donné a atteint le «statut» de «norme» du droit internatio-

nal coutumier, ou s’il est «reconnu» en droit international conventionnel,
passe tout bonnement à côté de l’essentiel et pèche d’un point de vue
conceptuel. Elle revient à ne pas saisir qu’un principe général de droit est

très différent d’une règle du droit international coutumier ou d’une
norme du droit international conventionnel. Un principe n’est pas une
norme ou une règle; celles-ci en sont inspirées, et lui restent subordon-

nées. Un principe n’est pas une coutume ni une norme conventionnelle.

17Cour permanente de Justice internationale, comité consultatif de juristes, Procès-

verbaux des séances du comité avec annexes, 16 juin-24 juillet 1920, op. cinote 2,a
p.1884.
Ibid., p. 730.
19Documents de la conférence des Nations Unies sur l’organisation internationale
(San Francisco, 1945), t. XIV, p. 843.
20Ibid., t. XIII, p. 284-285.
21Ibid., t. XIII, p. 392.

132 18. Il n’est pas rare que les principes juridiques généraux soient expres-
sément invoqués, ou visés, non seulement dans des traités et la pratique

internationale (des Etats et d’autres sujets du droit international), mais
aussi dans la jurisprudence nationale et internationale (voir infra), et
dans la doctrine. Mais, quand bien même ils ne seraient pas invoqués de
la sorte, ils n’en demeureraient pas moins une «source» formelle auto-

nome du droit international. En outre, à notre époque, ils sont également
invoqués ou visés dans les résolutions d’organisations internationales (à
commencer par celles de l’Organisation des Nations Unies); bien que ces
résolutions ne figurent pas dans la liste contenue à l’alinéa c) du para-
graphe 1 de l’article 38 de son Statut, la Cour en tient compte et les

applique (voir infra). Le fait que les principes généraux soient ainsi visés
ou invoqués dans différentes manifestations ou sources formelles du droit
international témoigne de leur importance et la proclame. Mais, même si
tel n’était pas le cas, les principes généraux conserveraient tout de même

leur place, aux origines et aux fondements de tout système juridique; à
mes yeux, nul système juridique ne peut exister sans eux. La Cour ne peut
les laisser de côté.
19. Qui plus est, il me semble que les principes généraux de droit
— qu’ils s’expriment en droit interne ou en droit international — consti-

tuent en eux-mêmes, dans la liste des sources «formelles» recensées à
l’article 38 du Statut de la Cour, une catégorie foncièrement distincte du
droit international coutumier ou conventionnel. Ils ont leur existence
propre, en tant que l’une des «sources» (formelles) du droit international

(dotée d’une autonomie) auxquelles le juge peut avoir recours, compte
tenu des circonstances de l’affaire concernée. Lors de la rédaction du Sta-
tut de la Cour permanente (et de la Cour actuelle), ces principes n’ont pas
été assimilés à la coutume ni aux traités, mais ont été désignés comme un
autre type, différent, de source «formelle» du droit international. Et c’est

ainsi qu’ils ont, si je ne m’abuse, été appliqués par la Cour et par sa
devancière dans une jurisprudence constante (voir infra).

IV. L E RECOURS AUX PRINCIPES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR

20. Dans sa jurisprudence, la Cour et sa devancière ont, pour régler les
affaires portées devant elles, souvent eu recours aux principes généraux
de droit. Elles ont interprété cette expression comme englobant égale-

ment les principes généraux du droit international. La Cour permanente,
par exemple, dans son arrêt en l’affaire Oscar Chinn (1934), fit expressé-
ment référence aux «principes généraux du droit international» (arrêt,
1934, C.P.J.I. série A/B n° 63 , p. 81 et 87). Dans la célèbre affaire rela-

tive à l’Usine de Chorzów (1928), elle vit dans l’obligation de réparer en
cas de manquement à un engagement international «un principe [général]
du droit international» (fond, arrêt n° 13, 1928, C.P.J.I. série A n° 17 ,
p. 29). Et dans l’affaire des Concessions Mavrommatis en Palestine
(1924), elle présenta la protection des ressortissants ou des personnes fai-

133sant l’objet du recours à la protection diplomatique comme «un principe
élémentaire du droit international» (arrêt n° 2, 1924, C.P.J.I. série A

n° 2, p. 12).
21. Quant à la Cour actuelle, elle a également appliqué les principes
généraux de droit en ce sens, c’est-à-dire en tant qu’englobant les prin-
cipes reconnus à la foisin foro domestico (puis transposés à l’échelle inter-
nationale) et dans le cadre du droit international lui-même. Ainsi, dans

son arrêt en l’affaire du Détroit de Corfou (1949), la Cour invoqua les
«principes ... bien reconnus» du droit international (Royaume-Uni
c. Albanie, fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1949 , p. 22). Dans son avis consul-
tatif sur les Réserves à la convention pour la prévention et la répression du

crime de génocide (1951), la Cour, après s’être référée à la «conscience
humaine», indiqua que les principes sous-tendant la convention contre le
génocide «obligea[ie]nt les Etats même en dehors de tout lien convention-
nel» (C.I.J. Recueil 1951, p. 23).
22. Dans son arrêt en l’affaire Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique ,la

Cour se référa à plusieurs reprises aux «principes généraux de base du
droit humanitaire» (Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua
et contre celui-ci, C.I.J. Recueil 1986 , p. 113-114, par. 218, p. 114-115,
par. 220, et p. 129-130, par. 255). Toujours dans cet arrêt (du 27 juin 1986),
la Cour renvoya aux «principes que l’Assemblée générale a[vait] qualifiés

de «principes fondamentaux du droit international»» (ibid., p. 107,
par. 203), invoquant elle-même «le principe de non-intervention» (ibid.,
p. 106, par. 202, et p. 107, par. 204). Longtemps auparavant, dans
l’affaire du Droit de passage sur territoire indien, la Cour avait pris note
du fait que le Portugal avait invoqué la «coutume internationale générale

et les principes généraux de droit» (Portugal c. Inde, fond, arrêt,
C.I.J. Recueil 1960, p. 43), sans les considérer comme synonymes, bien
entendu.
23. La Cour a par exemple invoqué le principe de l’autodétermination
des peuples dans son avis consultatif sur la Namibie (C.I.J. Recueil 1971,

p. 31, par. 52), dans son arrêt en l’affaire relative au Timor oriental (Por-
tugal c. Australie, C.I.J. Recueil 1995 , p. 201, par. 29), dans son arrêt en
l’affaire du Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali, C.I.J.
Recueil 1986, p. 566-567, par. 25), dans son avis consultatif sur le Sahara
occidental (C.I.J. Recueil 1975, p. 31-32, par. 55, et p. 33, par. 59) et dans

son avis consultatif sur les Conséquences juridiques de l’édification d’un
mur dans le territoire palestinien occupé (C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 271,
par. 88). Dans son arrêt précité relatif au Timor oriental, la Cour pré-
senta le principe de l’autodétermination des peuples comme l’«un
des principes essentiels du droit international contemporain» (C.I.J.

Recueil 1995, p. 102, par. 29). Dans l’affaire relative au Projet
Gabcˇíkovo-Nagymaros, la Cour utilisa indifféremment les expressions
«un principe du droit international», «un principe général de droit»
(Hongrie/Slovaquie, arrêt, C.I.J. Recueil 1997 , p. 53, par. 75) et «un

principe de droit international ou un principe général de droit» (ibid.,
par. 76).

134 24. Les principes généraux de droit appliqués par la Cour relèvent
22
aussi bien du droit substantiel que du droit procédural. Dans la (pre-
mière) affaire des Essais nucléaires (1974), la Cour invoqua, entre autres,
le principe de la bonne foi (bona fides) (Nouvelle-Zélande c. France,

C.I.J. Recueil 1974, p. 472, par. 46). Dansoson avis consultatif relatif à la
Demande de réformation du jugement n 158 du Tribunal administratif
des Nations Unies, la Cour fit fond sur le principe général de droit dit de
l’égalité des armes (des parties à la procédure) (C.I.J. Recueil 1973,

p. 180, par. 36). En d’autres occasions (voir, par exemple, l’avis consul-
tatif quant à l’Effet de jugements du Tribunal administratif des Nations
Unies accordant indemnité, C.I.J. Recueil 1954 , p. 53, et l’arrêt en

l’affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-
Monténégro), C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 90, par. 115), elle invoqua le prin-

cipe de la chose jugée. Dans l’affaire du Différend frontalier (Burkina
Faso/République du Mali, C.I.J. Recueil 1986 , p. 565, par. 20, et p. 567,
par. 26), elle eut recours au principe de l’uti possidetis.
25. Dans le dernier avis consultatif qu’elle a rendu, il y a cinq ans, sur

les Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire
palestinien occupé (2004), que j’ai déjà évoqué, la Cour a déterminé les
«principes de droit international» à appliquer pour répondre à la ques-

tion qui lui avait été posée par l’Assemblée générale des Nations Unies
(C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 154, par. 39, p. 171, par. 86, et p. 181,
par. 114). La Cour a expressément mentionné le principe de l’interdiction

de la menace ou de l’emploi de la force (paragraphe 4 de l’article 2 de la 23
Charte des Nations Unies), et celui de l’autodétermination des peuples
(C.I.J. Recueil 2004 (1), p. 171, par. 87), qu’elle a également présenté
comme le droit de tous les peuples à disposer d’eux-mêmes (ainsi

qu’exposé à l’article premier des deux Pactes des Nations Unies relatifs
aux droits de l’homme — ibid., p. 171, par. 88, et p. 182, par. 118). La
Cour s’est aussi référée au principe du règlement pacifique des différends

(ibid., p. 200, par. 161), ainsi qu’aux principes du droit international
humanitaire (ibid., p. 199, par. 157).

V. L ES PRINCIPES GÉNÉRAUX DE DROIT — INTERNE ET INTERNATIONAL

1. Enseignements à tirer des travaux préparatoires
du Statut de la Cour et de sa devancière

26. Lorsque l’article 38 du Statut de la Cour permanente fut adopté,
deux courants de pensée prédominaient au sein du comité consultatif

22Voir, par exemple, l’avis consultatif sur la Namibie, C.I.J. Recueil.,971 ,p
par. 98.
23Tel qu’établi dans la déclaration de 1970 relative aux principes du droit international
touchant les relations amicales et la coopération entre les Etats (Nations Unies, résolu-
tion 2625 (XXV) de l’Assemblée générale).

135de juristes. Les partisans du premier (Elihu Root et lord Phillimore) vou-

laient présenter ces principes comme ayant été reconnus in foro domes-
tico, tandis que ceux du second (Edouard Descamps et Raul Fernandes)
voulaient renvoyer simplement aux principes de droit international. Je

peux comprendre la première attitude (sans pour autant l’accepter) puis-
que c’est en droit interne qu’historiquement les principes généraux du
droit (et surtout du droit procédural) ont trouvé leur première expres-

sion. Le droit des gens (tel que nous l’entendons aujourd’hui) n’est
apparu que plus tard.

27. Toutefois, dire qu’il ne saurait en être autrement revient à adopter
une position statique et dogmatique dont le bien-fondé reste à démontrer;
elle ne me paraît pas du tout convaincante. De nos jours, étant donné

l’évolution extraordinaire du droit des gens, il n’existe du point de vue épis-
témologique aucune raison de ne pas avoir recours aux principes généraux
de droit tels qu’ils sont reconnus en droit interne comme international

(voir infra). Dès 1920, certains penchaient déjà en ce sens. Ce point de vue
est en outre, à mes yeux, parfaitement conforme à la lettre et à l’esprit de
l’article 38 du Statut de la Cour et de sa devancière, et il tient compte du

développement progressif que connaît le droit international à notre époque.
28. En droit international contemporain, en effet, les principes généraux
de droit trouvent leur expression concrète non seulementin foro domestico,

mais aussi au niveau international. Nul système juridique ne peut exister
sans eux. Gardant toujours leur autonomie, ils peuvent trouver expression
dans d’autres «sources» ou manifestations formelles du droit international

(et non pas uniquement dans les traités ou la coutume) dont la Cour a tenu
compte dans la pratique, même si elles ne figuraient pas dans la liste de
l’alinéa c) du paragraphe 1 de l’article 38 de son Statut. Je songe notam-

ment aux résolutions adoptées par les organisations internationales, en
particulier par l’Assemblée générale des Nations Unies . Ces considéra-

24Voir d’une manière générale, par exemple, [divers auteurs], Principles of Interna-
tional Law Concerning Friendly Relations and Cooperation (M. Sahovic, dir. publ.), Bel-
grade, Institute of International Politics and Economics/Oceana Publications, 1972, p. 3-
275; M. Sahovic, «Codification des principes du droit international des relations amicales
et de la coopération entre les Etats», Recueil des cours de l´Académie de droit interna-
tional de La Haye, t. 137 (1972), p. 249-310; G. Arangio-Ruiz, «The Normative Role of
the General Assembly of the United Nations and the Declaration of Principles of Friendly
Relations», ibid., p. 419-742; [divers auteurs], The United Nations and the Principles of
International Law — Essays in Memory of M. Akehurst (V. Lowe et C. Warbrick,

dir. publ.), Londres, Routledge, 1994, p. 1-255. Enfin, en ce qui concerne le point de vue
selon lequel les résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies reconnaissent les
principes généraux de droit comme des principes universels du droit international, voir les
débats sur «The Role of General Principles of Law and General Assembly Resolutions»,
Change and Stability in International Law-Making (A. Cassese et J. H. H. Weiler,
dir. publ.), Berlin, W. de Gruyter, 1988, p. 34, 37, 47-48, 50-52 et 54-55 (interventions de
W. Riphagen, J. H. H. Weiler, E. Jiménez de Aréchaga. G. Abi-Saab et A. Cassese); voir
aussi G. Balladore Pallieri, Diritto Internazionale Pubblico ,8evisée, Milan, Giuffrè,
1962, p. 25-26 et 95-97; A. Verdross, «Les principes généraux de droit dans le système des
sources du droit international public», Recueil d’études de droit international en hommage
à P. Guggenheim, Genève, IUHEI, 1968, p. 526 et 530.

136tions à l’esprit, je vais maintenant rappeler certains dévelop-

pements doctrinaux intéressants sur les principes généraux de droit (tant
au niveau national qu’à l’échelle internationale), qui datent
non seulement de l’époque de la Cour mais aussi du temps de sa
devancière.

2. La doctrine et les principes généraux de droit

a) Du temps de la Cour permanente

29. L’examen qui va suivre ne vise pas à l’exhaustivité mais se veut

sélectif pour illustrer le point que j’entends démontrer, tel qu’il ressort des
ouvrages de doctrine rédigés tant à l’époque de l’ancienne Cour qu’à celle
de la Cour actuelle. Dans son analyse de la jurisprudence de la Cour per-
manente sur les sources du droit international, par exemple, Max Søren-

sen, bien qu’adhérant au point de vue, alors dominant, selon lequel les
principes généraux de droit étaient ceux qui s’étaient cristallisés in foro
domestico , ne manqua pas de relever que, déjà à l’époque, certains

juristes (comme Jules Basdevant et Frede Castberg) étaient d’un autre
avis. En effet, une minorité d’auteurs estimait déjà, alors que la Cour per-
manente se trouvait au crépuscule de son existence, que ces principes lui
permettaient de statuer également sur la base des principes généraux du
26
droit international lui-même .
30. En fait, l’un des tenants de cette position minoritaire — et, selon
moi, plus éclairée —, Jules Basdevant, soutint par exemple dès 1936 que

«les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées peu-
vent être cherchés non seulement dans le droit interne, mais aussi dans le
droit international particulier ou relatif par l’emploi de la méthode com-
parative» . Rechercher ces principes uniquement in foro domestico ne

serait guère approprié, leur transposition dans le droit international
n’allant pas toujours sans difficultés, d’où la nécessité absolue de les iden-
tifier ou de les reconnaître également au niveau de l’ordre international

lui-même, même si cela supposa28 toujours à l’époque de «sortir des sen-
tiers battus», si je puis dire .
31. De même, dès 1933, Frede Castberg, lorsqu’il examina les travaux
du comité consultatif de juristes qui avait rédigé en 1920 le Statut de la

Cour permanente (voir supra), contesta le point de vue qui s’était rapi-
dement imposé, à savoir — selon une remarque de lord Phillimore — que
les principes généraux de droit étaient ceux appliqués in foro domestico.

En particulier, Frede Castberg, qui voyait dans ces principes de véritables
principes de justice, fit valoir que

25Max Sørensen, Les sources du droit international , Copenhague, E. Munksgaard,
1946, p. 113.
26Ibid., p. 113.
27Jules Basdevant, «Règles générales du droit de la paix», Recueil des cours de
l´Académie de droit international de La Haye , t. 58 (1936), p. 504.
28Voir ibid., p. 498-504.

137 «[i]l serait par trop irrationnel de permettre à la Cour de rechercher

les normes à appliquer dans ses décisions parmi les principes géné-
raux de n’importe quel domaine de droit interne, sans qu’elle pût
statuer selon les principes généraux du droit international. Il n’y a

aucun motif rationnel pour supposer que, de tous les principes géné-
raux du droit, précisément ceux du droit international soient exclus
comme base des décisions de la Cour permanente de Justice interna-

tionale. Il est vrai que bien des principes généraux du droit interne
sont valables aussi dans les rapports entre Etats.

.............................
Il y a quelques dizaines d’années, on était peut-être trop porté,

dans la théorie du droit international, à exclure toute application des
principes du droit interne. Mais il ne faut pas maintenant se jeter à
l’autre extrême et vouloir même exclure les principes du droit inter-

national en faveur des principes du droit interne. Un système aussi
peu rationnel ne saurait être accepté, à moins qu’il ne soit établi
d’une manière expresse par un traité...» 29

32. Je rappellerai aussi le point de vue que deux autres juristes expri-
mèrent publiquement sur la question, toujours à l’époque de l’ancienne
Cour. Dans le cours thématique qu’il donna en 1935 à l’Académie de

droit international de La Haye, Alfred Verdross fit observer que, s’agis-
sant des «sources» du droit international, il existait finalement deux

conceptions fondamentalement opposées: l’une partait de l’«idée du
droit» et l’autre privilégiait le consentement ou la volonté; la seconde
se retrouvait dans le positivisme (au sens philosophique), tandis que la

première tendait à affirmer que l’«idée du droit», émanation de la 30
conscience humaine, ouvrait la voie à un jus gentium universel .
33. Cette approche, fondée sur l’idée d’une «justice objective», défend

l’autonomie des principes en question, s’opposant ainsi à la conception
positiviste classique, qui soutient qu’ils doivent trouver leur expression dans
les traités ou la coutume . Les principes généraux de droit, tels qu’évoqués

au paragraphe 3 de l’article 38 du Statut de la Cour permanente, consti-

29Frede Castberg, «La méthodologie du droit international public», Recueil des cours
de l’Académie de droit international de La Haye (RCADI) , t. 43 (1933), p. 370 et 372.
Exactement quarante ans plus tard, en 1973, Frede Castberg, se référant «au grand
principe dit pacta sunt servanda », un «principe fondamental du droit international pu-

blic», fit observer que, à l’époque, les limites entre ce principe et le droit interne «étaient
devenues plus floues», et insista sur le fait qu’il n’existait selon lui «aucune raison de
détacher ... les principes généraux de droit» des deux grandes branches «traditionnelles»
du droit, à savoir «le droit interne et le droit international public»; Frede Castberg,
«International Law in Our Time», RCADI, t. 138 (1973), p. 5 et 8. En d’autres termes, les
principes généraux de droit peuvent se retrouver aussi bien au niveau du droit interne qu’à
l’échelle du droit international lui-même.
30A. Verdross, «Les principes généraux du droit dans la jurisprudence internationale»,
Recueil des cours de l’Académie de droit international de La Haye , t. 52 (1935), p. 195-197
et 202-203.
31Ibid., p. 216 et 221.

138tuent donc une «source» autonome du droit international, et ils peuvent

être appliqués conjointement avec les traités et la coutume, et utilisés pour
interpréter les dispositions de traités ou de règles du droit coutumier. 33

34. Pour sa part, dans une étude publiée dix ans plus tard, en 1944,
Charles Rousseau souligna que la notion de «principes généraux de

droit» ne visait pas uniquement les principes du droit interne, mais com-
prenait également les principes généraux du droit international . Il insis- 34

tait sur le fait que cette notion recouvrait «les principes universellement
admis dans les législations internes et les principes généraux de l’ordre

juridique international», «englobant [ainsi] de toute évidence le droit
international aussi bien que le droit interne» . 35

35. Les principes généraux de droit, entendus en ce sens — poursui-
vait-il —, constituent une «source» autonome du droit international, dis-
tincte des règles coutumières et des normes conventionnelles . Il relevait6

en outre que, déjà à l’époque, la doctrine semblait partagée sur la ques-
tion: «les auteurs positivistes, pour qui le droit international a un contenu

exclusivement volontaire, ont naturellement cherché à minimiser le rôle
des principes généraux du droit» ; les détracteurs du dogme positiviste

attachaient une plus grande importance à ces principes «provenant direc-
tement du droit objectif» . 38

36. Voilà quelques-unes des réflexions les plus prégnantes qui aient été
faites au sujet des principes généraux de droit (y compris les principes du

droit international) du temps de la Cour permanente. Comme je l’ai déjà
dit, ce ne furent pas les seules, d’autres ouvrages de doctrine ayant été
consacrés à ce thème particulier, qui suscitait une attention considérable
39
à l’époque . Ainsi, Alejandro Alvarez, dans un exposé de motifs concer-
nant un projet de déclaration sur les principes du droit international,

publié à la veille de la seconde guerre mondiale, appela à une reconstruc-
tion du droit international tenant compte non seulement du droit positif

mais aussi des principes, qui orientaient les normes et règles juridiques et
qui, à ses yeux, présidaient au droit international tout entier comme des
40
«manifestations de la conscience juridique des peuples» .

32 A. Verdross, «Les principes généraux du droit dans la jurisprudence internationale»,
op. cit. supra note 30, p. 223, 228, 234 et 249.
33 Ibid., p. 227.
34
Ch. Rousseau, Principes généraux du droit international public , vol. I (Sources),
Paris, Pedone, 1944, p. 891.
35 Ibid., p. 901.
36 Ibid., p. 913-914.
37 Ibid., p. 926.
38 Ibid., p. 927.
39 e
Voir aussi, entre autres, T. J. Lawrence,Les principes de droit international,5 éd.
(trad. J. Dumas et A. de Lapradelle), Oxford, University Press, 1920, p. 99-120; P. Dere-
vitzky, Les principes du droit international, Paris, Pedone, 1932; Bin Cheng,General Prin-
ciples of Law as Applied by International Courts and Tribunals, Londres, Stevens, 1953;
G. Scelle, Précis de droit des gens — principes et systématique, Paris, Rec. Sirey, 1934.
40 A. Alvarez, Exposé de motifs et déclaration des grands principes du droit interna-
e
tional moderne,2 éd., Paris, Editions internationales, 1938, p. 8-9 et 16-23, et p. 27 et 51.

139b) A l’époque de la Cour

37. L’attention consacrée aux principes du droit international était

bien plus grande il y a quelques dizaines d’années (notamment du temps
de la Cour permanente) qu’à l’heure actuelle. Pourtant, ces principes n’en

demeurent pas moins, selon moi, de la plus haute importance, puisqu’ils
inspirent et façonnent les normes constituant tout système juridique. Par

le passé, des ouvrages de doctrine successifs furent consacrés en particu-
lier à l’étude des principes du droit international, sous l’angle des fonde-

ments de cette discipline et de la validité des normes existant en la
matière. Ainsi, dans les années 1950 41 et 1960 , certains cours furent

donnés à l’Académie de droit international de La Haye sur le thème des
principes de droit international, qui fut repris dans des monographies des
43 44
années 1960 et 1970 . Par la suite, exception faite de quelques ouvra-
ges , l’intérêt pour la question semble avoir décliné, de façon assez sur-

prenante, à mesure que se répandait une approche apparemment prag-
matique — et regrettable — de l’étude du droit international.

38. Bien que la nécessité d’examiner les principes de droit international
semble avoir été reléguée au second plan ces vingt-cinq dernières années,

ces principes sont toutefois restés très présents dans la doctrine, y compris
contemporaine . Le système juridique international tout entier est impré-

41 Voir H. Rolin, «Les principes de droit international public», Recueil des cours de

l’Académie de droit international de La Haye (RCADI) , t. 77 (1950), p. 309-479;
G. Schwarzenberger, «The Fundamental Principles of International Law», RCADI,t.87
(1955), p. 195-385; P. Guggenheim, «Les principes de droit international public», RCADI,
t. 80 (1952), p. 5-189; Ch. Rousseau, «Principes de droit international public», RCADI,
t. 93 (1958), p. 369-549; G. Fitzmaurice, «The General Principles of International Law,

Co42idered from the Standpoint of the Rule of Law», RCADI, t. 92 (1957), p. 1-223.
Voir M. Sørensen, «Principes de droit international public», Recueil des cours de
l´Académie de droit international de La Haye (RCADI) , t. 101 (1960), p. 1-251; P. Reu-
ter, «Principes de droit international public», RCADI, t. 103 (1961), p. 429-656; R. Y. Jen-
nings, «General Course on Principles of International Law», RCADI, t. 121 (1967),

p.4327-600. e
Voir M. Miele, Principi di Diritto Internazionale ,2 éd., Padoue, Cedam, 1960;
L. Delbez, Les principes généraux du contentieux international , Paris, LGDJ, 1962;
L. Delbez, Les principes généraux du droit international public ,3d., Paris, LGDJ, 1964;
H. Kelsen, Principles of International Law ,2eéd., New York, Holt Rinehart & Winston,

1966; W. Friedmann, «The Uses of «General Principles» in the Development of Inter-
national Law», American Journal of International Law (1963), vol. 57, p. 279-299;
M. Virally, «Le rôle des «principes» dans le développement du droit international»,
Recueil d’études de droit international en hommage à P. Guggenheim , Genève, IUHEI,
1968, p. 531-554; M. Bartos, «Transformations des principes généraux en règles positives
du droit international», Mélanges offerts à J. Andrassy , La Haye, Nijhoff, 1968, p. 1-12.
44
Voir, par exemple, B. Vitanyi, «La signification de la «généralité» des principes de
droit», Revue générale de droit international public (1976), vol. 80, p. 536-545.
45 Voir, par exemple, I. Brownlie, Principles of Public International Law ,6 e éd.,
Oxford, Clarendon Press, 2003, p. 3 et suiv.
46 Voir, par exemple, H. Thierry, «L’évolution du droit international — Cours général

de droit international public», Recueil des cours de l´Académie de droit international de
La Haye (RCADI), t. 222 (1990), p. 123-185; G. Abi-Saab, «Cours général de droit
international public», RCADI, t. 207 (1987), p. 328-416.

140gné de ces principes, qui jouent un rôle important dans l’élaboration du

droit international et dans son application. Dans certaines disciplines (par
exemple le droit de l’espace extra-atmosphérique), ils ont ouvert la voie

à l’élaboration d’un nouveau corpus juris, dans un nouveau domaine
du droit international qui devait être réglementé, et les principes initia-
lement proclamés demeurent parfaitement d’actualité . Tel est le cas, par

exemple, du droit international moderne de l’environnement (voirinfra).
39. Les principes de droit international sont des principes directeurs
d’ordre général et, en cela, ils diffèrent des normes ou règles du droit

international positif, qu’ils transcendent. Piliers fondamentaux du sys-
tème juridique international (comme de tout système juridique), ces prin-

cipes expriment l’idée de droit, ainsi que l’idée de justice, puisqu’ils sont
le miroir de la conscience de la communauté internationale . Quelle que
soit la façon dont on les appréhende, ces principes se trouvent à un

niveau incontestablement supérieur à celui des normes et règles du droit
international positif. Celles-ci sont certes obligatoires, mais elles obéis-
sent aux principes . Sans eux, les règles ou les techniques pourraient être

utilisées à n’importe quelle fin, ce qui serait indéfendable.
40. Dans le cadre des Nations Unies déjà, Grigori Tounkine milita avec

sagacité en faveur de l’application par la Cour des principes généraux du
droit international. Attentif à la seule modification introduite (sur la pro-
position du Chili) à l’alinéac) du paragraphe 1 de l’article 38 du nouveau

Statut de la Cour en 1945(supra) — qui donna à celle-ci pour fonction
«de régler conformément au droit international les différends qui lui

[étaient] soumis» —, Grigori Tounkine fit valoir que cette modification
indiquait clairement que les principes généraux de droit comprenaient les
principes communs aux systèmes juridiques nationauxet au droit interna-

tional: il s’agissait de postulats juridiques en vigueur «dans les systèmes
juridiques nationaux et en droit international», et invoqués pour interpré-
ter et appliquer les règles pertinentes dans des affaires concrètes . 50

41. Au milieu des années 1950, Hildebrando Accioly mit l’accent sur le
«caractère prééminent» des principes généraux de droit, sur les plans

interne et international, en tant qu’ils découlaient directement du droit
naturel et donnaient une dimension concrète aux normes et règles du droit
positif, qui leur étaient conformes . Peu après, à la fin des années 1950,

47
Voir M. Lachs, «Le vingt-cinquième anniversaire du traité régissant les principes du
droit de l’espace extra-atmosphérique, 1967-1992», Revue française de droit aérien et spa-
tial (1992) n° 4, vol. 184, p. 365-373, et en particulier p. 370 et 372.
48 G. M. Danilenko, Law-Making in the International Community , Dordrecht, Nijhoff,
1993, p. 7, 17, 175 et 186-187; voir aussi p. 215.
49 Bin Cheng, General Principles of Law as Applied by International Courts and Tri-
bunals, op. cit. supra note 39, p. 393.
50 G. Tounkine, ««General Principles of Law» in International Law», Internationale

Festschrift für A. Verdross (R. Marcic, H. Mosler, E. Suy et K. Zemanek, dir. publ.),
Mu51ch/Salzbourg, W. Fink Verlag, 1971, p. 526 et 531. e
H. Accioly, Tratado de Direito Internacional Público ,éd., vol. I, Rio de Janeiro,
M.R.E., 1956, p. 33 et 37.

141Clarence Wilfred Jenks se déclara convaincu qu’un examen des principes

généraux de droit (existant dans différents systèmes juridiques, et com-
prenant également les principes du droit international lui-même) pouvait

beaucoup contribuer à jeter les «premières bases d’un système universel
fondé sur le droit international» . Dix ans plus tard, en 1968,
Antoine Favre indiqua que les principes généraux de droit étaient «des

traductions fidèles de l’idée de justice» ayant une portée universelle et
exprimant la «conscience juridique de l’humanité»; ils n’étaient pas dic-
tés par la «volonté» des Etats, mais revêtaient un «caractère objectif» et
53
constituaient un «fonds juridique commun pour l’ensemble des Etats» ,
assurant ainsi la cohésion du droit et renforçant la notion de justice au

profit de la communauté internationale dans son ensemble. C’est à l’aune
de ces principes que tout le corpus du droit des gens devait être interprété
et appliqué.

42. Au milieu des années 1980, Hermann Mosler fit observer que les
principes généraux de droit trouvaient leur origine soit dans les systèmes
juridiques nationaux, soit au niveau des relations juridiques internatio-

nales, étant ainsi consubstantiels au jus gentium, et qu’ils s’appliquaient
aux relations entre Etats ainsi qu’aux relations entre individus. Selon lui,

ces principes, qui sont autonomes et façonnent le jus gentium, découlent
non pas d’un processus formel de création juridique mais d’une connais-
sance intime qui nous conduit à les exprimer: ce sont des «commande-

ments» éthiques émanant de la «conscience de l’humanité», qui les tient
pour «indispensables à la coexistence des hommes au sein d’une société
54
organisée» .
43. La pérennité des principes de droit international a été confirmée
dans le droit des Nations Unies, qui est en constante évolution. La Cour,

en tant qu’«organe judiciaire principal des Nations Unies» (article 92 de
la Charte des Nations Unies), ne peut s’en désintéresser lorsqu’elle exerce
sa fonction contentieuse. Les principes généraux du droit international,

tels que proclamés par les Nations Unies dans la Charte (art. 2) en 1945
puis réaffirmés en 1970 dans la déclaration relative aux principes du droit

intern55ional touchant les relations amicales et la coopération entre les
Etats , demeurent pleinement valides de nos jours. Une violation d’une

52
C. W. Jenks, The Common Law of Mankind , Londres, Stevens, 1958, p. 106 et 120-
1253 voir aussi p. 172.
A. Favre, «Les principes généraux du droit, fonds commun du droit des gens»,
Recueil d’études de droit international en hommage à P. Guggenheim , Genève, IUHEI,
1968, p. 369, 374-375, 379, 383 et 390.
54 H. Mosler, «General Principles of Law», Encyclopedia of Public International Law
(R. Bernhardt, dir. publ.), vol. 7, Institut Max Planck pour le droit public comparé et le
droit international/éd. North-Holland, Amsterdam, 1984, p. 90-92 et 95. Pour sa part,
Alfred Verdross estima dans ses vieux jours que les principes généraux de droit «éclai-

r[ai]ent leordre juridiquerenternational tout enteer»: A. Verdross, Derecho Internacional
Público (5 éd. espagnole, 1 réimp. — trad. de la 4 éd. de Völkerrecht, 1959), Madrid,
éd. Aguilar, 1969, p. 98.
55 Nations Unies, résolution 2625 (XXV) de l’Assemblée générale.

142norme ou règle de droit international n’affecte pas la validité du cor-

pus juris et des principes directeurs qui le sous-tendent.
44. Etant donné leur importance cardinale, il n’est guère étonnant que
ces principes aient été consacrés dans la Charte des Nations Unies
(art. 2), adoptée en 1945. Un quart de siècle plus tard, la déclaration
de principes de 1970 était censée leur donner juridiquement expres-

sion et, ainsi, guider tous les Etats dans leur comportement. Contrai-
rement aux principes généraux de droit traditionnels (existant in foro
domestico), qui revêtent un caractère assez procédural, les principes
généraux du droit international — tels que ceux proclamés dans

la déclaration de 1970 — portent sur le fond (pour guider les Etats dans
leur comportement), ce qui est le propre des fondations mêmes
du droit international; ces principes généraux du droit international (tels
qu’énoncés dans la déclaration de principes de 1970) revêtent donc

une impor56nce universelle pour la communauté internationale
elle-même .
45. Les principes de droit international constituent dans leur ensemble
les piliers de l’ordre juridique international lui-même. A l’aube de ce

siècle, dans sa Déclaration du millénaire du 18 septembre 2000 (réso-
lution 55/2), l’Assemblée générale des Nations Unies déclara que les prin-
cipes énoncés dans la Charte «[avaient] une valeur éternelle et universelle»
(par. 3). Cinq ans plus tard, dans son récentDocument final du sommet

mondial de 2005 (du 15 septembre 2005), l’Assemblée générale invoqua
à nouveau les principes de la Charte des Nations Unies, en faisant
expressément référence à la susdite déclaration de principes de 1970
(par. 73).
46. Comme nous l’avons déjà vu, la Cour (la Cour actuelle et sa

devancière s’entend) a souvent appliqué les principes généraux de droit
dans sa jurisprudence constante (voir supra). Elle les a appliqués comme
une «source» formelle autonome du droit international. Mais, contre
toute attente, la Cour, d’habitude si soucieuse de les appliquer, n’a appa-

remment pas estimé nécessaire de s’y arrêter ici, ni même d’en souligner
l’importance fondamentale; dans son présent arrêt en l’affaire des Usines
de pâte à papier, elle n’a même pas exposé ni fait siens les principes
généraux du droit international de l’environnement (tels que le prin-

cipe de prévention et le principe de précaution). Je me sens donc tenu
de combler cette lacune, d’autant plus que, en l’espèce, les deux Par-
ties, l’Argentine et l’Uruguay, ont elles-mêmes invoqué expressément ces
principes dans le cadre de leur procédure contentieuse devant la Cour.

47. Il importe en effet de relever — et il ne devrait échapper à per-
sonne — que l’Uruguay et l’Argentine, invoquant à l’unisson les principes

56Voir les débats sur «The Role of General Principles of Law and General Assembly
Resolutions», Change and Stability in International Law-Making(A. Cassese et
J. H. H. Weiler, dir. publ.), Berlin, W. de Gruyter, 1988, p. 47-48 et 54-55 (interventions
de J. H. H. Weiler, E. Jiménez de Aréchaga et A. Cassese).

143généraux de droit, sont tous deux restés fidèles à la tradition profondé-
ment ancrée dans la conception latino-américaine du droit international,

qui consiste à toujours prêter une attention particulière aux principes
généraux de droit et à en faire grand cas, tant en ce qui concerne les
57
«sources» formelles du droit international que dans le cadre de la codi-

57 Andrés Bello, Principios de Derecho Internacional (1832), 3 éd., Paris, Libr. Garnier
Hermanos, 1873, p. 3 et suiv. ; C. Calvo, Manuel de droit international public et privé ,
e
3 éd. rev., Paris, A. Rousseau Ed., 1892, chap. I, p. 69-83; L. M. Drago, La República
Argentina y el Caso de Venezuela , Buenos Aires, Impr. Coni Hermanos, 1903, p. 1-18;
L. M. Drago, La Doctrina Drago — Colección de Documentos (prés. S. Pérez Triana),
Londres, Impr. Wertheimer, 1908, p. 115-127 et 205; A. N. Vivot, La Doctrina Drago,
e
Buenos Aires, Edit. Coni Hermanos, 1911, p. 39-279; II Conférence de la paix, Actes et
discours de M. Ruy Barbosa , La Haye, W. P. Van Stockum, 1907, p. 60-81, 116-126, 208-
223 et 315-330; Ruy Barbosa, Obras Completas, vol. XXXIV (1907)-II: A Segunda Con-
ferência da Paz, Rio de Janeiro, MEC, 1966, p. 65, 163, 252, 327 et 393-395; Ruy Bar-

bosa, Conceptos Modernos del Derecho Internacional , Buenos Aires, Impr. Coni Her-
manos, 1916, p. 28-29 et 47-49; Clovis Bevilaqua, Direito Público Internacional (A
Synthese dos Princípios e a Contribuição do Brazil), vol. I, Rio de Janeiro, Livr. Fran-
cisco Alves, 1910, p. 11-15, 21-26, 90-95, 179-180 et 239-240; Raul Fernandes, Le principe
de l´égalité juridique des Etats dans l´activité internationale de l´après-guerre , Genève,

Impr. A. Kundig, 1921, p. 18-22 et 33; J. M. Yepes, «La contribution de l’Amérique
latine au développement du droit international public et privé», Recueil des cours de
l’Académie de droit international de La Haye (RCADI) , t. 32 (1930), p. 731-751;
J. M. Yepes, «Les problèmes fondamentaux du droit des gens en Amérique», RCADI,

t. 47 (1934), p. 8; Alejandro Alvarez, Exposé de motifs et déclaration des grands principes
du droit international moderne, op. cit. supra note 40, p. 8-9, 13-23 et 51; C. Saavedra
Lamas, Por la Paz de las Américas , Buenos Aires, M. Gleizer Ed., 1937, p. 69-70, 125-126
et 393; Alberto Ulloa, Derecho Internacional Público , vol. I, 2 eéd., Lima, Impr. Torres
Aguirre, 1939, p. 4, 20-21, 29-30, 34, 60, 62 et 74; Alejandro Alvarez, La Reconstrucción

del Derecho de Gentes — El Nuevo Orden y la Renovación Social , Santiago du Chili,
Ed. Nascimento, 1944, p. 19-25 et 86-87; Ph. Azevedo, A Justiça Internacional , Rio de
Janeiro, MRE, 1949, p. 24-26, et voir p. 9-10; J. C. Puig, Les principes du droit interna-
tional public américain , Paris, Pedone, 1954, p. 39; H. Accioly, Tratado de Direito Inter-
e
nacional Público,2 éd., vol. I, Rio de Janeiro, IBGE, 1956, p. 32-40; Alejandro Alvarez,
El Nuevo Derecho Internacional en Sus Relaciones con la Vida Actual de los Pueblos ,
Santiago, Edit. Jurídica de Chile, 1961, p. 155-157, 304 et 356-357; A. Gómez Robledo,
Meditación sobre la Justicia , Mexico, Fondo de Cultura Económica, 1963, p. 9; R. Fer-

nandes, Nonagésimo Aniversário — Conferências e Trabalhos Esparsos , vol. I, Rio de
Janeiro, MRE, 1967, p. 174-175; A. A. Conil Paz, Historia de la Doctrina Drago , Bue-
nos Aires, Abeledo-Perrot, 1975, p. 125-131; E. Jiménez de Aréchaga, «International Law
in the Past Third of a Century», RCADI, t. 159 (1978), p. 87 et 111-113; L. A. Podestá
Costa et J. M. Ruda, Derecho Internacional Público ,5 e éd. rev., vol. I, Buenos Aires,

Tip. Ed. Argentina, 1979, p. 17-18 et 119-139; E. Jiménez de Aréchaga, El Derecho Inter-
nacional Contemporáneo , Madrid, Ed. Tecnos, 1980, p. 107-141; A. A. Cançado Trin-
dade, Princípios do Direito Internacional Contemporâneo , Brasília, Edit. University of
Brasília, 1981, p. 1-102 et 244-248; Jorge Castañeda, Obras Completas — vol. I: Naciones

Unidas, Mexico, SRE/El Colegio de México, 1995, p. 63-65, 113-125, 459, 509-510, 515,
527-543 et 565-586; [divers auteurs], Andrés Bello y el Derecho (colloque de Santiago du
Chili, juillet 1981), Santiago, Edit. Jurídica de Chile, 1982, p. 41-49 et 63-76; D. Uribe
Vargas, La Paz es una Trégua — Solución Pacífica de Conflictos Internacionales ,3 eéd.,

Bogotá, Universidad Nacional de Colombia, 1999, p. 109; A. A. Cançado Trindade, O
Direito Internacional em um Mundo em Transformação , Rio de Janeiro, Edit. Renovar,
2002, p. 91-140, 863-889 et 1039-1071.

144fication de celui-ci . Même ceux qui admettent raisonner encore dans

une perspective interétatique concèdent que les principes généraux de
droit, à la lumière du droit naturel (historiquement antérieur au droit

positif), touchent aux origines et aux fondements du droit international,
éclairent l’interprétation et l’application de ses règles et révèlent sa dimen-

sion universelle; parce qu’ils revêtent un caractère général, il n’y a pas de
démarcation nette entre ceux qui sont reconnus en droit interne (in foro
domestico) et ceux qui relèvent du droit international proprement dit . 59

VI. C HAMP D ’APPLICATION RATIONE MATERIAE
DES « PRINCIPES GÉNÉRAUX » DU DROIT INTERNATIONAL

48. Il existe, en fait, des principes généraux de droit propres au droit
international en général, et des principes de droit propres à certains

domaines de celui-ci, comme le droit international de l’environnement.
De nos jours, les juridictions internationales sont appelées à se prononcer

sur des affaires qu’elles ne peuvent régler sans avoir recours aux principes
généraux de droit, notamment à ceux qui sont propres à certains do-
maines du droit international. Tel a souvent été le cas, ainsi qu’il ressort

en particulier, par exemple, de la jurisprudence récente du Tribunal pénal
international pour l’ex-Yougoslavie (surtout celle des années 1998 à

2005) et de la Cour interaméricaine des droits de l’homme (période 1997-
2006, principalement).
49. Une juridiction internationale dotée d’un champ d’action et d’une

58Lafayette Rodrigues Pereira, Princípios de Direito Internacional , vol. I-II, Rio de
Janeiro, J. Ribeiro dos Santos Ed., 1902-1903, p. 1 et suiv. ; A. S. de Bustamante y Sirvén,
La II Conferencia de la Paz Reunida en La Haya en 1907 , vol. II, Madrid, Libr. Gen. de

v. Suárez, 1908, p. 133, 137-141, 145-147, 157-159; voir aussi vol. I, p. 43, 80-81 et 96;
Epitacio Pessôa, Projecto de Código de Direito Internacional Público , Rio de Janeiro,
Imprensa Nacional, 1911, p. 5-323; F. J. Urrutia, «La codification du droit international
en Amérique», Recueil des cours de l’Académie de droit international de La Haye
(RCADI), t. 22 (1928), p. 113, 116-117 et 162-163; G. Guerrero, La codification du droit
international, Paris, Pedone, 1930, p. 11, 13, 16, 152, 182 et 175; J. M. Yepes, «La con-
tribution de l’Amérique latine au développement du droit international public et privé»,

RCADI, t. 32 (1930), p. 714-730 et 753-756; Alejandro Alvarez, «Méthodes de la codifica-
tion du droit international public — Rapport», Annuaire de l´Institut de droit interna-
tional (1947), p. 38, 46-47, 50-51, 54, 64 et 69; J. M. Yepes, Del Congreso de Panama a la
Conferencia de Caracas (1826-1954) , Caracas, MRE, 1955, p. 143, 177-178, 193 et 203-
208; R. J. Alfaro, «The Rights and Duties of States», RCADI, t. 97 (1959), p. 138-139,
145-154, 159 et 167-172; G. E. do Nascimento e Silva, «A Codificação do Direito Inter-
nacional», Boletim da Sociedade Brasileira de Direito Internacional , vol. 55/60 (1972-
1974), p. 83-84 et 103; R. P. Anand, «Sovereign Equality of States in International Law»,

RCADI, t. 197 (1986), p. 73-74; A. A. Cançado Trindade, «The Presence and Participa-
tion of Latin America at the II Hegue Peace Conference of 1907», Actualité de la Con-
férence de La Haye de 1907, II Conférence de la paix (colloque du centenaire,
2007 — Yves Daudet, dir. publ.), La Haye/Leyde, Académie de droit international de La
Haye/Nijhoff, 2008, p. 51-84.
59G. Herczegh, General Principles of Law and the International Legal Order , Buda-
pest, Akadémiai Kiadó, 1969, p. 9, 36, 42, 69, 90, 120 et 122.

145vocation universels telle que la Cour internationale de Justice peut fort
bien, pour régler les affaires portées devant elle, se servir des principes

généraux de droit sans en faire l’exégèse. Telle a souvent été la pratique
de la Cour (voir supra), et il est tout à fait loisible à la Cour d’agir ainsi.
Cela traduit toutefois une conception particulière de l’exercice de la fonc-
tion judiciaire internationale, qui n’est pas la seule possible.

50. Il me semble parfaitement justifié et même nécessaire, pour la
Cour, de s’arrêter sur les principes dont elle se sert, et de les expliciter, en
particulier lorsqu’ils jouent un rôle important dans le règlement du
différend en cause, et lorsque celui-ci relève de domaines du droit inter-

national qui connaissent une évolution remarquable au fil du temps.
Tel est précisément le cas du présent différend relatif aux Usines de
pâte à papier, et du droit international de l’environnement des temps
modernes, qui est en plein essor, d’autant plus qu’il ne semblait exister

aucun obstacle à ce que la Cour en dise davantage sur les principes
applicables.
51. En d’autres occasions, dans d’autres contextes que j’ai déjà évo-
qués, la Cour a dûment tenu compte des principes généraux et l’a souli-
gné (voir supra). Il est donc grand temps, à ce stade, de passer à l’examen

des principes généraux du droit international de l’environnement qui sont
applicables dans la présente affaire des Usines de pâte à papier, pour exa-
miner ensuite la manière dont les deux Parties en litige, l’Argentine et
l’Uruguay, ont reconnu ces principes (en particulier les principes de pré-

vention et de précaution) tout au long de la présente procédure.

VII. L ES PRINCIPES GÉNÉRAUX DU DROIT INTERNATIONAL

DE L’ENVIRONNEMENT

52. A mon sens, les principes généraux de droit émanent de la cons-
cience humaine, de la conscience juridique universelle, qui constitue pour

moi la «source» matérielle ultime de tout droit. La preuve en est qu’ont
été progressivement reconnus, ces dernières décennies, les principes pro-
pres à un domaine comme celui du droit international de l’environnement
(voir infra) — tels ceux de prévention et de précaution —, l’homme ayant
pris conscience de la nécessité urgente de protéger l’environnement,

compte tenu de la vulnérabilité de celui-ci, des risques pesant sur chacun
et des conséquences néfastes des dommages irréparables pouvant être
infligés au milieu. C’est cette prise de conscience qui explique l’affirma-
tion des principes en question, dont je vais maintenant examiner le

champ d’application.
53. Il me paraît nécessaire de développer ces réflexions ici puisque,
dans l’arrêt qu’elle a rendu dans la présente affaire des Usines de pâte à
papier, la Cour n’a pas été très diserte sur les principes généraux du droit
international de l’environnement. J’aurais assurément préféré qu’elle le

146soit, car il me semble que c’est ce qui était généralement attendu d’elle. Si

elle l’avait été, comme je pense qu’elle aurait dû l’être, elle aurait contri-
bué au développement progressif du droit international dans le domaine
qui nous intéresse ici, à savoir celui de la protection internationale de
l’environnement. En fait, les Parties en litige ont elles-mêmes estimé
nécessaire d’invoquer ces principes généraux, certes chacune à sa propre

manière, mais l’important est qu’elles les ont toutes deux invoqués
lorsqu’elles ont défendu leurs positions devant la Cour. Avant de résumer
comment chacune d’elles conçoit ces principes, qu’il me soit permis de
faire un bref retour sur ces derniers, en particulier sur les principes de

prévention et de précaution, puis sur celui du développement durable et,
enfin, sur la notion d’équité intergénérationnelle.

1. Le principe de prévention

54. A mesure que l’homme prenait conscience, au fil des années 1960,
ilyaundemi-siècle,delanécessitéurgentedeprotégerl’environnement,
le droit international de l’environnement — tel que nous l’entendons

aujourd’hui — commença à prendre forme. L’on s’attela promptement à
l’identification des principes généraux susceptibles d’orienter ou de guider
la création du nouveau corpus juris. Les célèbres conférences des
Nations Unies tenues à Stockholm (1972) et Rio de Janeiro (1992) furent

des étapes marquantes de cette évolution. A l’époque de la conférence de
Stockholm, certains auteurs avaient déjà dégagé deux notions propres à
cette discipline, à savoir sa dimension temporelle à long terme et le prin-
cipe de prévention.
55. Ce principe fut exprimé en termes de dommage et compte tenu de

la certitude scientifique de la survenance de celui-ci; il fut cependant
reconnu que la prévention pouvait être exercée de différentes manières,
selon la nature de la source de la pollution . Un autre événement char-
nière, à l’aube de cette discipline, fut l’adoption de la Charte mondiale de

la nature de 1982 (adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies
dans sa résolution 37/7, en date du 28 octobre 1982) — qui contribua
beaucoup à l’identification des principes applicables —, donnant lieu aux
réflexions suivantes:

«l’humanité fait partie elle-même de la nature, la civilisation a ses ra-
cines dans la nature, toute forme de vie est unique et mérite d´être res-

pectée quelle que soit son utilité pour l’homme. Comme l’homme peut
transformer la nature et épuiser ses ressources, il doit maintenir l’équi-
libre et la qualité de la nature et conserver les ressources naturelles. Il
est donc nécessaire de maintenir les processus écologiques et des

systèmes essentiels à la subsistance, ainsi que la diversité de formes
organiques. La survie même des structures économiques, sociales et

60A.-Ch. Kiss, Droit international de l´environnement , Paris, Pedone, 1989, p. 202.

147 politiques de la civilisation et en dernière analyse la sauvegarde de la
61
paix dépendent de la conservation de la nature et de ses ressources.»
56. Bien que le droit international de l’environnement, fondé sur des

principes propres à son domaine comme le principe de prévention, n’ait
vu le jour et ne se soit développé qu’au cours des cinquante dernières
années, la nécessité d’une harmonie entre l’homme et la nature est pro-
fondément ancrée dans la conscience humaine depuis des siècles. Ainsi,
62
dans Critias, dialogue inachevé écrit peu après Timée , Platon — qui
vécut vers les années 427-347 av. J.-C. — évoque une île (qu’on associe à
l’Atlantide) qui comptait parmi les plus fertiles au monde avant d’être

dévastée par une longue série de déluges et engloutie par les flots.

57. L’un des quatre protagonistes de ce dialogue, Critias lui-même,
décrit l’harmonie que l’homme et la nature, les laboureurs et les artisans

(clairement distingués des guerriers) entretenaient avec leurs belles terres
prospères (110c-111c, 111d-112d), leurs cours d’eau, leurs lacs, leurs
forêts et leurs plaines, qui leur procuraient leurs moyens d’existence
(nourriture, eau, et qualité de l’environnement — 114e-115e), avant que

la situation ne se dégrade. Le récit de Critias ressemble à une mise en
garde, nous rappelant combien il est nécessaire de préserver de manière
pacifique la beauté de la nature et l’harmonie entre l’homme et la nature,

et de parer aux menaces et aux périls qui nous entourent.
58. Dans sa Politique (livre I), Aristote (384-322 av. J.-C.) remarquait
à son tour que le mode de vie de l’homme était associé à la nature, dont
il tire sa subsistance grâce au produit de la culture de la terre (1256a23-

1256b9) et qui nourrit tous ceux qui sont nés (1258a34-36). En somme,
Aristote pensait, déjà à son époque, que le sort de l’homme et celui de son
environnement — de la nature elle-même — étaient inséparables. Au
cours des siècles, cette relation inéluctable entre l’homme et la nature

n’est pas passée inaperçue; elle a retenu l’attention, sinon des juristes, du
moins des penseurs, poètes et philosophes. Comme l’a clairement expli-
qué l’éminent historien Jacob Burckhardt,

«[d]epuis Homère on trouve une foule de mots et de vers qui attes-
tent la profonde impression que la nature faisait sur les Grecs et les

Romains... En plein moyen âge, vers 1200, l’amour naïf de la nature
extérieure reparaît; on le reconnaît chez les chantres d’amour des
différentes nations. Ils s’intéressent on ne peut plus vivement aux
choses les plus simples... C’est Dante qui donne les premières preu-

ves sérieuses de l’impression profonde que peut faire naître la vue
d’un beau site, d’un paysage grandiose. Non seulement il peint d’une
manière vivante, en quelques traits, le réveil de la nature au matin et

61
A.-Ch. Kiss, Droit international de l’environnement, op. cit. supra note 60, p. 43; voir
au62i p. 39 et 60.
Platon a rédigé ces deux dialogues, Timée et l’inachevé Critias, à la fin de sa vie.

148 la lumière tremblotante qui se joue au loin sur la mer doucement agi-

tée, la tempête dans la forêt, etc., mais encore il gravit de hautes
montagnes dans l’unique but de jouir d’une belle vue et d’embrasser
un vaste horizon; il est peut-être, depuis l’antiquité, un des premiers
qui aient fait cela.» 63

59. A la faveur de l’avènement de l’ère du droit international de l’envi-
e
ronnement au cours de la seconde moitié du XX siècle (à partir des
années 1960), le principe de prévention, qui consiste à éviter tout dom-
mage à l’environnement en général et à interdire les dommages transfron-
tières à l’environnement en particulier, fut reconnu dès le début des

années 1970. Il a trouvé son expression dans le principe 21 de la déclara-
tion de Stockholm de 1972 et dans le principe 2 de la déclaration de Rio
de 1992, et a constitué le fondement des obligations générales d’informa-

tion, de notification et de consultati64 (comme le prévoyait le principe 19
de la déclaration de Rio de 1992) .
60. Une décennie plus tôt, le principe de prévention était omniprésent
dans la Charte mondiale de la nature, adoptée le 28 octobre 1982 par

l’Assemblée générale des Nations Unies, et, une demi-décennie après la
déclaration de Rio, la convention sur le droit relatif aux utilisations des
cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation, adoptée

par l’Organisation des Nations Unies en 1997, disposait, dans le même
ordre d’idées, que, «[l]orsqu’ils utilisent un cours d’eau international sur
leur territoire, les Etats du cours d’eau prennent toutes les mesures
appropriées pour ne pas causer de dommages significatifs aux autres

Etats du cours d’eau» (art. 7, par. 1). Pourtant, la prévention à elle seule
devait s’avérer insuffisante pour orienter et développer la branche du
droit international tournée vers la protection de l’environnement.
61. L’homme prenant progressivement conscience de sa vulnérabilité

permanente et de celle de l’environnement face à des risques persistants,
ainsi que de l’insuffisance des connaissances scientifiques pour éviter les
menaces et les dangers susceptibles de survenir, le principe de précaution

commença à se développer à partir de la fin des années 1980. Il ne devait
cependant pas remplacer le principe de prévention, mais y ajouter une
nouvelle dimension; comme on le verra ultérieurement, une série d’ins-
truments de droit international de l’environnement allaient intégrer la

logique de ces deux principes réunis (voir infra).

2. Le principe de précaution

62. Deux éléments principaux expliquent cette évolution, à savoir la

conscience de l’existence ou de la persistance de risques, et la conscience
de l’incertitude scientifique relative au problème concerné. Ces deux élé-

63J. Burckhardt, La civilisation en Italie au temps de la Renaissance , Plon-Nourrit,
1906, t. 2, p. 16-18.
64J. Juste Ruiz, Derecho Internacional del Medio Ambiente , Madrid, McGraw-Hill,
1999, p. 72-73.

149ments ont occupé une position centrale dans la configuration du principe

de précaution. Le principe de prévention amène à considérer les menaces
ou dangers pour l’environnement, tandis que, avec le principe de précau-
tion, ce sont les menaces ou dangers pour l’environnement probables ou
potentiels que l’on envisage. Dans ces circonstances distinctes, les deux

principes ont pour objectif de guider et d’orienter les initiatives afin d’évi-
ter tout dommage, ou tout dommage probable, à l’environnement.
63. Au fil des ans, le principe de précaution est également apparu dans
les affaires contentieuses portées devant la Cour pour avoir été invoqué

devant celle-ci par les parties à l’instance. Ainsi, dans la (seconde) affaire
des Essais nucléaires (essais souterrains, Nouvelle-Zélande c. France), la
Cour fut amenée (dans le cadre de la procédure relative à son ordonnance

du 22 septembre 1995) à statuer sur l’allégation de la Nouvelle-Zélande
selon laquelle, en vertu du droit international conventionnel et coutumier,
il existait une obligation d’effectuer une évaluation de l’impact sur l’envi-
ronnement avant de procéder à des essais nucléaires, ainsi qu’une obliga-

tion d’apporter, avant la réalisation des essais nucléaires prévus, la preuve

«qu’ils n’aur[aie]nt pas pour effet d’introduire de telles matières dans
ce milieu, conformément au «principe de précaution» très largement
accepté dans le droit international contemporain» (C.I.J. Recueil

1995, p. 290, par. 5).

En tout état de cause — insistait la Nouvelle-Zélande — le «principe de
précaution» obligeait à procéder à une étude d’impact sur l’environne-

ment «avant d’entreprendre les activités en question, ainsi [qu’à] démon-
trer qu’il n’existait aucun risque lié auxdites activités» (ibid., p. 298,
par. 35).
64. Plus de deux décennies auparavant, dans la (première) affaire des

Essais nucléaires (essais atmosphériques, Australie et Nouvelle-Zélande
c. France), le conseil de la Nouvelle-Zélande, dans un langage qui sem-
blait en avance sur son époque, ouvrit sa plaidoirie du 24 mai 1973 en

avertissant la Cour que l’intensification des essais nucléaires dans les
années 1950 présentait «un danger de retombées radioactives pour la
santé des générations actuelles et futures» et en faisant état de la prise de
conscience croissante de la «sérieuse menace» que la poursuite d’une telle
65
situation faisait peser «à terme sur la survie même de l’humanité» .
Invoquant ensuite le «danger pour l’humanité», la nécessité «de minimi-
ser les risques sanitaires» et de protéger «les populations de la région»,
l’espoir de l’humanité d’assurer son propre bien-être, la «prise de cons-

cience [croissante], au niveau régional» du risque environnant et des ris-
ques sanitaires pour «l’ensemble de la population» et les «droits des
peuples» , il ajouta qu’«une activité dangereuse de manière inhérente ne

65
C.I.J. Mémoires, Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France) , vol. II (1973),
p.6603.
Ibid., p. 104, 106-107 et 110-111.

150peut être rendue acceptable même par les mesures de précaution les plus
67
draconiennes» .
65. Le recours à un tel langage dès 1973 dans une plaidoirie présentée
devant la Cour semble être passé inaperçu même dans la doctrine contem-
poraine sur le sujet. Pourtant il révèle avec anticipation l’importance de

l’éveil des consciences quant au besoin de recourir, au-delà de la préven-
tion, à la précaution. Enfin, lors de la même plaidoirie, le conseil de la
Nouvelle-Zélande, rappelant le document final alors récemment adopté à
Stockholm par la conférence des Nations Unies sur l’environnement (en

insistant sur le principe 21), souligna «le renforcement du sentiment de
responsabilité internationale au titre des politiques environnementales»
et affirma qu’il existait «un devoir moral» au «profit de l’humanité tout

entière» qu’il convena68 de respecter afin de «répondre aux exigences de
la justice naturelle» .
66. Plus récemment, dans l’affaire relative au Projet Gabc ˇíkovo-Nagy-
maros (Hongrie/Slovaquie) , la Cour releva que la Hongrie avait invoqué

le «principe de précaution» (arrêt, C.I.J. Recueil 1997 , p. 62, par. 97) et
reconnut que «les Parties s’accord[ai]ent sur la nécessité de se soucier
sérieusement de l’environnement et de prendre les mesures de précaution
qui s’impos[ai]ent, mais [qu’]elles [étaient] fondamentalement en désac-

cord sur les conséquences qui en découl[ai]ent pour le projet conjoint»
(ibid., p. 68, par. 113). Malheureusement, la Cour s’abstint de reconnaître
le principe de précaution en tant que tel et de préciser les implications
juridiques qui en découlaient.

67. La Cour avait une occasion unique de le faire en la présente affaire
des Usines de pâte à papier car les deux Parties, l’Uruguay et l’Argentine,
se sont expressément référées au principe de prévention et au principe de

précaution. Pourtant, elle a une fois de plus préféré garder le silence sur
ce point pertinent. Je ne saisis pas pourquoi la CIJ a jusqu’à présent pris
tant de précautions avec le principe de précaution et je déplore que,
depuis 1973, la Cour ne se soit pas montrée plus sensible à l’invocation de

la précaution par les parties lorsqu’il s’agissait de protéger l’homme et
son environnement, même bien avant que le principe de précaution cor-
respondant ne commençât à prendre forme en droit international de
l’environnement.

68. Cependant, ce principe a effectivement pris forme de nos jours,
principalement sous l’effet de la conscience humaine, la conscience juri-
dique universelle qui, à mon sens — je le répète —, est la «source» essen-

tielle ultime de tout droit ainsi que du jus gentium de notre époque. Quoi
qu’il en soit, le fait que la Cour n’ait pas expressément reconnu l’existence
de ce principe général du droit international de l’environnement ne signi-
fie pas qu’il n’existe pas. Il existe de nos jours une doctrine abondante à

67
C.I.J. Mémoires, Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c. Fran, vol. II (1973),
p.6808.
Ibid., p. 113-114.

151ce sujet — que je n’entends pas passer en revue dans le cadre de la pré-

sente opinion individuelle — mais, en dehors de cela, on ne peut guère
éviter de reconnaître qu’il est pertinent d’en considérer au moins les élé-
ments constitutifs, comme je vais le faire maintenant.

a) Les risques

69. Ces dernières décennies ont en effet vu se développer une prise de
conscience croissante de la vulnérabilité de l’homme et de son environne-
ment et de la nécessité de faire dès lors preuve de vigilance et de diligence

face aux risques créés par l’homme lui-même. On en est ainsi venu à
reconnaître qu’il fallait prendre des initiatives et des décisions, même si
les facteurs pertinents dans une situation donnée étaient mal connus, afin
de protéger la vie humaine et l’environnement. La prévention envisageait

les risques, mais en les présumant certains; c’est ainsi qu’est apparue la
précaution, comme un principe inéluctable, pour faire également face aux
risques incertains, à l’image de l’incertitude de la vie elle-même et sous
l’impulsion de l’intuition d’une mort omniprésente.

70. Cette évolution a dû se faire non seulement malgré les inévitables
limites de la connaissance humaine, mais également en dépit de la failli-
bilité et — il faut bien l’admettre — de la méchanceté humaines. Contem-
plant le chemin parcouru avec amertume , nous réalisons que les

récentes avancées de la connaissance scientifique spécialisée ont conduit
non seulement à des progrès remarquables, mais également à des catas-
trophes dévastatrices, au détriment de l’humanité et de l’environnement,
e
comme l’illustre par exemple la course aux armements. Le XX siècle a
été témoin d’un progrès sans précédent des connaissances et des techni-
ques scientifiques, qui s’est tragiquement accompagné d’un déploiement
de cruauté et de destructions tout aussi inédit.

71. Pour la première fois de son histoire, l’homme prit conscience qu’il
avait acquis la capacité de détruire l’humanité tout entière. S’agissant de
l’environnement, l’apparition du principe de précaution s’est traduite par
les obligations d’entreprendre une évaluation exhaustive de l’impact sur

l’environnement, de procéder à des notifications et d’échanger des infor-
mations avec la population locale (et, dans les cas extrêmes, même avec la
communauté internationale). Par ailleurs, dans le contexte de la recon-
naissance des limites de la connaissance scientifique en matière d’écosys-

tèmes, le fait qu’on estime nécessaire d’envisager des mesures alternatives
face à des menaces ou des dangers probables contribue également à
l’expression du principe de précaution.
72. Tandis que le principe de prévention (supra) reposait sur l’hypo-

thèse selon laquelle les risques peuvent être objectivement évalués, en vue

69Dans la version anglaise de son opinion, le juge Cançado Trindade fait ici allusion au
titre de la pièce de John Osborne «Look back in Anger». Cette pièce ayant été adaptée en
français sous le titre «La paix du dimanche», il n’est pas possible de reproduire cette allu-
sion dans la traduction française de l’opinion.

152d’éviter tout dommage, l’apparition du principe de précaution participait

quant à elle d’une approche anticipative, visant à répondre aux menaces
probables, entourées d’incertitude, dans laquelle les risques doivent être
raisonnablement évalués. Ce principe dépassait en outre la logique — ou
l’absence de logique — de l’homo oeconomicus (qui consiste à attribuer
une valeur économique à toute chose), les biens environnementaux n’étant

pas de simples marchandises et les risques en la matière ne pouvant dès
lors pas être évalués à l’aune des seules techniques coût/bénéfice . 70
73. J’ai jusqu’à présent mis au jour deux aspects liés à l’élément du ris-
que probable, propre au principe de précaution, à savoir la prise de cons-

cience croissante de la vulnérabilité de l’homme et de son environnement,
et la reconnaissance de la nécessité de prendre des mesures de précaution,
motivée par la probabilité d’engendrer des dommages irréversibles à
l’environnement. On en vint par ailleurs à apprécier les progrès de la

connaissance scientifique en toute conscience de la faillibilité humaine, et
tous ces éléments furent pris en considération dans la formulation du
principe de précaution face à la probabilité des dommages, tel qu’il fut
affirmé en 1992 dans la déclaration de Rio sur l’environnement et le déve-

loppement (principe 15), qui fait date. On envisageait enfin l’obligation,
pour les Etats, de lutter contre les risques pour l’environnement.

b) L’incertitude scientifique

74. L’élément du risque a inéluctablement été lié à l’autre élément,
l’incertitude scientifique , dont l’examen nécessite à mon sens la prise en
compte de quatre autres aspects, en plus de la connaissance et de la prise
de conscience de la faillibilité humaine évoquées précédemment, à savoir:

a) la formation et le développement de la connaissance scientifique; b)
l’apparition de la connaissance spécialisée; c) la persistance du décalage
entre connaissance et sagesse; et d) les finalités humaines de la connais-
sance. Je passerai brièvement en revue ces éléments, dans la mesure où ils

répondent à l’objectif que je poursuis en rédigeant la présente opinion
individuelle.
75. Tout d’abord, on pourrait se demander pourquoi, alors que la
connaissance humaine s’est développée au fil des siècles, il a fallu si long-

temps pour que la précaution y trouve sa place et soit exprimée claire-
ment. Après tout, on avait déjà relevé, il y a de cela quelque vingt-quatre
siècles, que la connaissance humaine était bien trop limitée (ce qui n’est
pas surprenant) et que la sagesse humaine l’était encore plus, et le

demeure. De fait, comme le reconnaissait Platon dans l’Apologie de
Socrate (399 av. J.-C.), la sagesse semblait étrangère à l’être humain:

«[J]e sais bien qu’il n’y a en moi aucune sagesse, ni petite ni
grande... J’allai chez un de nos concitoyens, qui passe pour un des

70N. de Sadeleer, Environmental Principles — From Political Slogans to Legal Rules ,
Oxford, University Press, 2002, p. 91, 127, 164 et 170.

153 plus sages de la ville... Examinant donc cet homme, ... c’était un de

nos plus grands politiques, et m’entretenant avec lui, je trouvai qu’il
passait pour sage aux yeux de tout le monde, surtout aux siens, et
qu’il ne l’était point. Après cette découverte, je m’efforçai de lui faire
voir qu’il n’était nullement ce qu’il croyait être ; et voilà déjà ce qui

me rendit odieux à cet homme et à tous ses amis, qui assistaient à
notre conversation.
.............................

Après les politiques, je m’adressai aux poètes... Je reconnus ... que
ce n’est pas la raison qui dirige le poète, mais une sorte d’inspiration

naturelle, un enthousiasme ... à cause de leur talent pour la poésie, ils
se croyaient sur tout le reste les plus sages des hommes.
.............................

Des poètes, je passai aux artistes... Ils savaient bien des choses que
j’ignorais; et en cela ils étaient beaucoup plus habiles que moi.
Mais ... les plus habiles me parurent tomber dans les mêmes défauts

que les poètes; il n’y en avait pas un qui, parce qu’il excellait dans
son art, ne crut très bien savoir les choses les plus importantes, et
cette folle présomption gâtait leur habileté.

.............................
Ce sont ces recherches ... qui ont excité contre moi tant d’inimitiés
dangereuses... Mais, Athéniens, la vérité est [que] le plus sage d’entre

vous, c’est celui qui, comme Socrate, reconnaît que sa sagesse n’est
rien.» 71

76. Je suis enclin à penser que, si des experts avaient existé à l’époque

de Socrate, ils auraient très certainement également été consultés, et que
leur opinion n’aurait très probablement en rien modifié la conclusion de
Socrate. Toute la sagesse du message de l’Apologie de Socrate repose
dans l’avertissement fait à l’homme de la nécessité qu’il y a pour lui de

prendre conscience de ses propres limites. Cette perspective humaniste a
été illustrée des siècles plus tard dans des ouvrages d’humanistes tels
qu’Erasme (1465-1536), Rabelais (v. 1488-1553) et Montaigne (1533-
e
1592), notamment, eubliés au XVI siècle.
77. Au XVII siècle, la science moderne (comme on la désigna) était
déjà née: l’ère nouvelle de la raison était marquée par la montée en puis-
sance des sciences physiques, qui allait de pair avec le déclin de la concep-
e
tion médiévale de la connaissance. Plus tard, au XVIII siècle — le siècle
des Lumières —, mû par des préoccupations identiques à celles de Socrate,
Voltaire (1694-1778) mettait lui aussi l’homme en garde, dans sonDiction-

naire philosophique (1764), contre l’incertitude qui caractérise sa condition
(en dépit des progrès scientifiques) et les limites de l’esprit humain . 72

71Platon, Apologie de Socrate (399 av. J.-C.), 21b-d; 22a-c; 22d; 23a-b.
72Voir respectivement les entrées «certain, certitude» et «bornes de l’esprit humain»
de son Dictionnaire philosophique .

154 78. Avec l’avènement progressif de l’ère technologique et la révolution

industrielle, la science devint largement synonyme de technoscience, asso-
ciée à la technique pure et à l’illusion d’un progrès matériel et d’une crois-
sance économique illimités, ce qui s’avéra désastreux pour l’homme et

son environnement, comme ceea ne fut reconnu que bien plus tard, dans e
la seconde moitié du XX siècle. Mais, toujours à la fin du XVIII siècle,
lorsque Condorcet, un autre humaniste, déclarait, dans sa brillante et
émouvante Esquisse d´un tableau historique des progrès de l´esprit humain

(1793), sa foi dans le progrès (et dans les droits de l’humanité), il avait à
l’esprit un progrès qui n’était pas strictement limité à l’accumulation des
connaissances, mais qui englobait également le perfectionnement moral

de l’homme, en d’autres termes un progrès dûment soucieux d’éthique et
de valeurs.
79. Malheureusement, sa philosophie du progrès fut reprise par les
e
penseurs du XIX siècle qui, sous l’influence nouvelle du positivisme et de
la «modernité», réduisirent celui-ci au progrès matériel ou à la croissance
économique, mus par un technosystème , et cette approche réductrice a
engendré des problèmes que seul davantage de progrès semblait pouvoir
74
résoudre . Dans cette spirale vertigineuse, stimulé par la nouvelle concep-
tion du progrès matériel, l’homme perdit de vue les valeurs éthiques et
acquit, pour la première fois de son histoire, la capacité de détruire

l’humanité tout entière (comme l’attestent les arsenaux d’armes de des-
truction massive de notre époque). L’homme et son environnement devin-
rent les victimes de la mise en pratique de cette déplorable vision défor-

mée du progrès matériel, dépourvue de valeurs. En perdant de vue les
exigences de la raison et de l’éthique, l’homme devint une grave menace
pour lui-même et pour son environnement.
80. La foi généralisée en la science à laquelle ont tout d’abord donné

naissance la formation et le développement de la connaissance scienti-
fique en est venue à être perçue, au cours des récentes décennies, comme
une illusion. Elle ne persista pas suffisamment longtemps. Les désastres

successifs dont l’homme était à l’origine commencèrent à dissiper la
vieille foi en la connaissance scientifique et en sa capacité supposée à
même de prévoir et éviter les menaces et dangers probables pour l’homme

et l’environnement; cette vieille foi céda progressivement le pas à l’incer-
titude, à la reconnaissance des limites de la capacité de la connaissance
scientifique à prévoir, avec un certain degré de précision, ces menaces et
dangers, et à les éviter. L’incertitude scientifique contribua fortement à

l’émergence du principe de précaution.
81. Cependant, cette nouvelle conscience dut affronter de nombreux
obstacles avant de pouvoir enfin émerger à notre époque. Tout au long

73G. H. von Wright, Le mythe du progrès, Paris, éd. L’Arche, 2000, p. 10-12, 34-37, 42,
61 et 64-65.
74R. Wright, Breve História do Progresso , Lisboa, Publs. Dom Quixote, 2006, p. 19-
21, 35 et 75, et voir p. 90 et 104. [Pour une version française, voir R. Wright, Brève his-
toire du progrès, Hurtubise HMH, Montréal, 2005.]

155du XIX et du XX siècle (à partir de l’époque d’Auguste Comte), on

continua, sous l’effet du positivisme — avec son autosuffisance caracté-
ristique —, d’affirmer que les seules propositions valides étaient celles qui
pouvaient être vérifiées scientifiquement et de soutenir toute connaissance
obtenue de manière empirique par la méthode de l’observation, la croyant

capable de résoudre indéfiniment les problèmes. Pourtant, des problèmes
que l’on pensait résolus se sont avérés ne pas l’être, mais le mythe du pro-
grès infini s’était déjà répandu.
82. La croyance acharnée en la capacité de la connaissance scientifique

de résoudre tous les problèmes, professée par le positivisme, était presque
devenue une idéologie. On vit progressivement apparaître, partout et
dans toutes les branches de la connaissance, de soi-disant «experts», dis-

posant de connaissances de plus en plus vastes sur des sujets de plus en
plus restreints, et l’on se mit à croire que le développement de la connais-
sance spécialisée était le plus sûr moyen pour l’homme d’accéder à la
sécurité, voire au bonheur. C’est seulement à notre époque — celle du

déveloepement du droit international de l’environnement — et après que
le XX siècle a été le témoin de tant de destructions, engendrées notam-
ment par l’homme, qu’a été reconnu le besoin pressant de contrôler l’uti-
lisation de la connaissance scientifique ainsi que de penser et d’agir avec

modération et prudence.
83. En matière d’environnement, cette prise de conscience a conduit à
la formulation des principes de prévention, qui vise à éviter que des dom-
mages ne soient causés à l’environnement, et de précaution, qui vise à

prendre des mesures afin de prévoir les conséquences dommageables pro-
bables et même à long terme pour l’environnement, sur fond d’incertitude
scientifique. Or, étant donné la prévalence récurrente de cette dernière,

l’épistémologie du principe de précaution est orientée vers le devoir de
prudence, de diligence. Contrairement à la croyance positiviste selon
laquelle, par la poursuite de la recherche scientifique, la science peut
réduire le champ de l’incertitude, le principe de précaution repose lui

sur une hypothèse invariablement favorable à la conservation de l’envi-
ronnement et à la protection de la santé publique , identifiés au bien
commun.
84. Toutefois, l’affirmation et la reconnaissance de ces principes ne

mettent pas un terme à la saga. L’être humain a-t-il vraiment tiré toutes
les leçons possibles des erreurs et des souffrances des générations précé-
dentes? J’en doute. Il n’a, semble-t-il, pas appris autant qu’il aurait pu et,

vingt-quatre siècles après l’Apologie de Socrate, le décalage entre connais-
sance et sagesse est plus saisissant qu’il ne l’a jamais été, de même que
sont devenus plus redoutables que jamais les menaces et les dangers qui
nous entourent, étant donné l’incapacité de l’homme à produire de la

connaissance et à l’utiliser avec sagesse. Perdant tragiquement de vue la

75
N. de Sadeleer, Environmental Principles — From Political Slogans to Legal Rules,
op. cit. supra note 70, p. 178, 203, 207 et 212.

156finalité humaine de la connaissance, l’homme a récemment renoué avec la

course à la connaissance, surtout spécialisée, oubliant bien vite les aver-
tissements sporadiques quant à la dangerosité de cette situation.
85. Ainsi, pour ne citer qu’un exemple, il n’y a de cela qu’un demi-
siècle, en 1960, un humaniste érudit du XX siècle, Bertrand Russell,

nous faisait part des réflexions suivantes:

«Plusieurs facteurs contribuent à la sagesse, au premier rang des-
quels je placerais le sens de la proportion: la capacité de tenir
compte, dans un problème, de tous les facteurs importants et d’attri-

buer à chacun d’entre eux sa juste valeur. Cela est devenu plus dif-
ficile qu’autrefois en raison de l’ampleur et de la complexité de la
connaissance spécialisée que doivent détenir toutes sortes de
techniciens... Mû par un attrait désintéressé pour la connaissance,

vous étudiez la composition de l’atome et mettez accidentelle-
ment dans les mains de déséquilibrés au pouvoir les moyens de
détruire l’espèce humaine. C’est ainsi que, à moins d’être associée à
la sagesse, la recherche de la connaissance peut devenir dange-

reuse; or, la sagesse, au sens d’une vision globale, n’est pas néces-
sairement l’apanage des spécialistes chargés d’étendre le champ de
la connaissance.
Toutefois, il ne suffit pas d’avoir une vision globale pour être sage.

Encore faut-il également avoir une certaine conscience de la finalité
de la vie humaine... On peut, en diffusant la connaissance, souligner
en passant les résultats désastreux de la haine et de l’étroitesse
d’esprit pour ceux qui en font preuve. Je ne pense pas qu’il convienne

de trop séparer connaissance et morale. Il est vrai que le type de
connaissance spécialisée nécessaire à diverses compétences a peu à
voir avec la sagesse... Même les meilleurs techniciens devraient éga-
lement être de bons citoyens... J’entends par là des citoyens du

monde et non de telle ou telle secte ou nation. Dans la mesure où il
accroît notre capacité de réaliser nos objectifs et, partant, de faire le
mal si nos objectifs ne sont pas sages, chaque progrès de la connais-
sance et des compétences rend la sagesse encore plus nécessaire. Ce

monde a besoin de sagesse comme il n’en a jamais eu besoin aupa-
ravant; et si la connaissance continue de progresser, le monde aura à
l’avenir encore plus besoin de sagesse qu’aujourd’hui.» 76

86. A la même époque, un autre penseur érudit du XX e siècle,

Karl Popper, qui avait également saisi la teneur du message de l’ Apo-
logie de Socrate , affirma, dans son ouvrage Conjectures et réfutations ,
que la connaissance scientifique progresse par voie d’anticipations et
de conjectures, elles-mêmes contrôlées par l’esprit critique, c’est-à-dire

par des réfutations; d’où notre capacité à apprendre de nos propres

76Bertrand Russell, «Knowledge and Wisdom», Essays in Philosophy (H. Peterson,
dir. publ.), New York, Pocket Library, 1960 [réimp.], p. 499 et 502.

157erreurs . Pour lui, toutes les sources de connaissance — y compris la

méthode de l’observation, les solutions empiriques, que les positivistes
continuent à défendre — peuvent parfois nous induire en erreur;

en définitive, il n’existe pas de source sûre de connaissance, tout pro-
grès en la matière consiste essentiellement en une transformation des
connaissances antérieures et la pertinence des découvertes repose

généralement dans «leur capacité à modifier nos propres théories anté-
rieures», la connaissance humaine demeurant limitée (et l’ignorance
illimitée) .

87. L’homme ne peut pas même maîtriser entièrement la connaissance
accumulée. Le progrès technologique conduit, par exemple, à la dégrada-

tion de l’environnement, et est utilisé dans les guerres modernes, de sorte
qu’on en est venu à douter sérieusement de la capacité de la seule
connaissance scientifique à satisfaire réellement les besoins de l’homme,

ce qui a débouché sur la crise des valeurs spirituelles que nous vivons
actuellement . Quoi qu’il en soit, le développement de la connaissance
scientifique spécialisée ne s’est en aucun cas traduit par un surcroît de

sagesse humaine.
88. Derrière l’utilisation de la connaissance se profilent un autre élé-

ment, à savoir la politique de l’Etat, ainsi que toutes sortes d’intérêts,
économiques, industriels, technocratiques, sans oublier la concurrence et
toutes ses conséquences. Les usines de pâte à papier construites de nos

jours par des entreprises industrielles européennes dans le cône méridio-
nal de l’Amérique du Sud, et leur technologie, échappent-elles à cette

situation? J’en doute. Ces intérêts industriels et autres — des intérêts
matériels — sont ceux de l’homo oeconomicus, qui, loin d’être mû par un
esprit scientifique, utilise bien souvent tout le pouvoir et l’influence qu’il
80
peut pour obtenir tout ce que la science peut lui apporter , et ce pour
servir ses propres fins (notamment le profit). Aussi convient-il de ne pas
oublier ou négliger dans notre raisonnement les sources de risque que

constituent le pragmatisme et l’utilitarisme.
89. Dans ce contexte, et également en raison des limites de l’esprit de

l’homme et de son manque manifeste de sagesse, il n’est pas du tout sur-
prenant que le progrès scientifique ait constitué un processus complexe,
teinté d’incertitude. Tel est le meilleur des mondes 81 dans lequel nous

vivons aujourd’hui et, face non seulement à la faillibilité mais également

77
e K. R. Popper, Conjecturas e Refutações — O Progresso do Conhecimento Científico ,
5 éd., Brasília, Edit. University of Brasília, 2008, p. 31-449. [Pour une version française,
voir K. R. Popper, Conjectures et réfutations: la croissance du savoir scientifique , Payot,
2006.]
78 K. R. Popper, Des sources de la connaissance et de l’ignorance , Paris, éd. Payot
& Rivages, 1998 (rééd.), p. 112-113, 133-135, 143, 146 et 149-152.
79 G. H. von Wright, Le mythe du progrès, op. cit. supra note 73, p. 65-66, 73, 76 et 83,

et80oir p. 95 et 98. e
E. Morin, Science avec conscience ,2éd., Paris, Fayard/Seuil, 2003, p. 8-11, 17, 19,
23, 35 et 38. e
81 Pour paraphraser une célèbre allégorie d’un autre penseur lucide du XX siècle.

158à la méchanceté humaines, la précaution est plus que jamais nécessaire.

Etant donné la vulnérabilité de la nature humaine, les risques encourus
par chacun d’entre nous, les insuffisances de la connaissance scientifique
— baignée d’incertitude —, l’imprévisibilité et l’irréversibilité probable
des dommages potentiels à l’environnement, nous ne pouvons pas faire

l’impasse sur le principe de précaution. Il a déjà été affirmé avec force
dans certains domaines du droit international de l’environnement (par
exemple en ce qui concerne les problèmes de pollution atmosphérique
et marine), et il est omniprésent dans toute cette branche du droit inter-

national contemporain. Il a également influencé la philosophie du
droit dans son ensemble, qui prend nécessairement en compte les valeurs
éthiques.

90. Par ailleurs, le principe de précaution révèle, à mon sens, l’inéluc-
table dimension intertemporelle qui a quelque peu été négligée par la
Cour dans le présent arrêt. Cette dimension est nécessairement à long
terme, puisque les décisions prises par les autorités publiques d’aujour-

d’hui pourraient avoir des conséquences sur les conditions de vie non seu-
lement des générations actuelles, mais également des générations futures.
Il s’agit là d’une éthique intergénérationnelle particulièrement contrai-
gnante dont au moins une partie de l’abondante doctrine actuelle relative

aux questions de droit de l’environnement reconnaît ou admet qu’elle
s’inscrit dans la pensée du droit naturel . En ce qui me concerne, je ne
pense pas qu’il soit possible de concevoir l’ordre juridique en faisant abs-
traction de l’ordre moral, tout comme il n’est pas non plus possible de

concevoir le progrès scientifique en faisant abstraction de l’ordre éthique.
91. L’un des grands apports de la pensée grecque antique est d’avoir
reconnu que, à l’instar de la succession continue des nuits et des jours,

l’existence humaine est un clair-obscur. Avec le progrès considérable de
la connaissance spécialisée à l’époque moderne, ce clair-obscur dévoile
aujourd’hui une nouvelle dimension, inconnue de la Grèce antique. La
connaissance spécialisée a éclairé (au profit de l’humanité) des problèmes

spécifiques inconnus ou insuffisamment connus auparavant dans tous les
domaines de la connaissance humaine.
92. Mais il se trouve que cette lumière est entourée de profondes zones
d’ombre quant aux répercussions des nouvelles découvertes sur d’autres

domaines de l’activité humaine et quant à l’utilisation qui sera faite de ces
découvertes, laquelle, à son tour, aura un impact direct sur notre mode
de vie et même sur notre identité culturelle, notre relation au monde exté-

82
Voir notamment, par exemple, J. M. MacDonald, «Appreciating the Precautionary
Principle as an Ethical Evolution in Ocean Management», Ocean Development and Inter-
national Law, vol. 26 (1995), p. 256-259 et 278; T. O’Riordan et J. Cameron (dir. publ.),
«The History and Contemporary Significance of the Precautionary Principle», Interpret-
ing the Precautionary Principle , Londres, Earthscan Publs., 1994, p. 18 et 22; Nagen-
dra Singh, «Sustainable Development as a Principle of International Law», International
Law and Development (P. de Waart, P. Peters et E. Denters, dir. publ.), Dordrecht,
Nijhoff, 1988, p. 1 et 4.

159rieur. Je considère cela comme une nouvelle dimension, contemporaine,

du clair-obscur de l’existence humaine, qui nous avertit clairement que le
progrès technique et économique seul, dénué de toute éthique, peut nous
plonger dans une obscurité plus grande encore.

3. Les principes de prévention et de précaution combinés

93. Dans le domaine de la protection de l’environnement, tout comme,
ainsi que nous l’avons vu, il existe des instruments internationaux qui for-
83
mulent le principe de prévention (supra), il en existe également qui
penchent vers le principe de précaution, tels que, par exemple, la conven-
tion de Vienne de 1985 pour la protection de la couche d’ozone (préam-
bule et art. 2, par. 1) et le protocole de Montréal de 1997 relatif à des

substances qui appauvrissent la couche d’ozone (préambule). Cependant,
la convention de Vienne susmentionnée évoque également, au-delà de la
précaution, la prévention (art. 2, par. 2, al. b)). Au niveau régional on
trouve également des références aux deux principes combinés, par exem-

ple à l’article 4, paragraphe 3, alinéa f), de la convention de Bamako sur
l’interdiction d’importer en Afrique des déchets dangereux et sur le
contrôle des mouvements transfrontières et la gestion des déchets dange-
reux produits en Afrique, adoptée par l’OUA en 1991, à l’article 2, para-

graphe 2, alinéa a), de la convention de 1992 pour la protection du milieu
marin de l’Atlantique Nord-Est («convention OSPAR») et à l’article 3,
paragraphes 1 et 2, de la convention de 1992 pour la protection du milieu
marin dans la zone de la mer Baltique.

94. En fait, certaines des conventions de droit de l’environnement
visées dans le dossier de la présente affaire relative à des Usines de pâte à
papier sont l’expression à la fois du principe de prévention et du principe

de précaution, comme c’est le cas par exemple de la convention de 1992
sur la diversité biologique, qui est le reflet à la fois du principe de préven-
tion (en son préambule et en son article 3) et du principe de précaution
(en son préambule), ainsi que du protocole de Cartagena de 2000 sur la

prévention des risques biotechnologiques relatif à cette convention (en
son préambule et en ses articles 2 et 4). C’est également le cas de la
convention de 2001 sur les polluants organiques persistants (convention
POP), qui invoque à la fois la prévention (en son préambule) et la précau-

tion (en son préambule et en son article premier).
95. On trouve d’autres exemples allant dans le même sens dans le
préambule et l’article 3, paragraphe 3, de la convention-cadre sur les
changements climatiques adoptée par l’Organisation des Nations Unies

en 1992, ainsi que dans le préambule du protocole de Kyoto relatif à cette

83La convention susmentionnée de l’Organisation des Nations Unies sur le droit relatif
aux utilisations des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation, qui a
un aspect préventif, a fait l’objet d’un échange de vues entre les Parties à la présente
affaire des Usines de pâte à papier ; voir contre-mémoire de l’Uruguay, par. 4.67, suivi de
la réplique de l’Argentine, par. 4.43-4.45, et de la duplique de l’Uruguay, par. 5.53.

160convention, adopté en 1997. Il ne s’agit là que de quelques exemples qui

n’ont, bien entendu, pas vocation à être exhaustifs, mais qui témoignent
de la volonté d’associer mesures de prévention et mesures de précaution
en vue de renforcer la protection de l’environnement. Loin de s’exclure
mutuellement, ces deux principes servent ensemble leur objectif et, si la

phraséologie utilisée pour les exprimer n’est pas uniforme, on peut néan-
moins clairement identifier la logique sous-jacente à chacun d’eux.
96. J’aimerais simplement ajouter que, à mon sens, le principe de

précaution ne conduit pas à une sur-réglementation, mais plutôt à une
évaluation raisonnable face à des risques probables et à l’incertitude scien-
tifique (supra). Cela peut se traduire par la réalisation d’études d’impact
sur l’environnement exhaustives et d’études supplémentaires sur les ques-

tions environnementales en jeu, ainsi que par une analyse approfondie
des risques pour l’environnement, avant la délivrance de toute autorisa-
tion. En définitive, ce principe relève du sens commun qui, semble-t-il, est

le moins commun de tous les sens. Il met aussi en avant le caractère
objectif des obligations environnementales, sur lequel je reviendrai ulté-
rieurement (voir infra).

VIII. L A RECONNAISSANCE DES PRINCIPES DE PRÉVENTION
ET DE PRÉCAUTION PAR LES PARTIES ADVERSES

97. En fait, comme je l’ai déjà souligné, dans la présente affaire des

Usines de pâte à papier (Argentine c. Uruguay) , l’Etat demandeur et
l’Etat défendeur ont tous les deux invoqué les principes généraux du droit
international de l’environnement mentionnés précédemment. Cela étant
dans la plus pure tradition de la pensée du droit international en Amé-

rique latine, ce n’est guère surprenant, et cela amène rapidement au pre-
mier plan — pour analyser les obligations qui découlent du statut du
fleuve Uruguay de 1975 — la règle générale d’interprétation des traités

énoncée à l’article 31 de la convention de Vienne de 1969 sur le droit des
traités. Les éléments constitutifs de cette règle générale, énoncés au para-
graphe 1 de l’article 31 — à savoir, le texte (sens ordinaire des termes), le
contexte, ainsi que l’objet et le but du traité —, sont ceux qui, à l’heure
84
actuelle, apparaissent le plus souvent dans l’interprétation des traités ,et
le fait qu’ils soient cités ensemble dans une même formule souligne l’unité
du processus d’interprétation des traités.

98. La convention de Vienne de 1969 précise, en son article 31, para-
graphe 2, les éléments constitutifs du contexte d’un traité, tandis que le

84Voir, pour certains des travaux réalisés à la suite de la convention de Vienne de 1969
mentionnée précédemment, notamment, W. Lang, «Les règles d’interprétation codifiées
par la convention de Vienne sur le droit des traités et les divers types de traités», Oster-
reichische Zeitschrift für öffentliches Recht , vol. 24 (1973), p. 113-173; Maarten Bos,
«Theory and Practice of Treaty Interpretation», Netherlands International Law Review ,
vol. 27 (1980), p. 3-38 et 135-170; C. H. Schreuer, «The Interpretation of Treaties by
International Courts», British Year Book of International Law , vol. 45 (1971), p. 255-301.

161paragraphe 3 de ce même article indique d’autres éléments à prendre en

compte, en même temps que le contexte , parmi lesquels figure «toute
règle pertinente de droit international applicable dans les relations entre
les parties». En l’espèce, si une telle règle figure dans d’autres traités

(multilatéraux) ratifiés par les deux Parties à l’instance, ou auxquels elles
ont toutes deux adhéré, il peut en être tenu compte en tant qu’élément
d’interprétation dans le cadre de l’application du statut du fleuve Uru-
85
guay de 1975 .
99. Néanmoins, les traités sont des instruments vivants, et l’évolution
du droit international lui-même peut avoir des conséquences sur l’appli-

cation du traité en question, qui doit dès lors être examiné à la lumière du
droit international tel qu’il est au moment où son interprétation est
requise . Ainsi, il convient de tenir compte des principes généraux du
droit et il est révélateur que les Parties à la présente affaire, qui relève du

droit international de l’environnement, ne soient pas en désaccord fon-
damental sur ce point particulier, même si leur conception ou leur inter-
prétation de tel ou tel principe ne sont pas toujours identiques. A cet

égard, il est également révélateur que l’Argentine et l’Uruguay se réfèrent
tous deux, par exemple, aux principes de prévention et de précaution,
ainsi qu’au concept de développement durable (qui imprègne l’ensemble

du domaine de la protection de l’environnement), bien que, dans le cadre
de la présente affaire, leur lecture de ces principes et de ce concept ne soit
pas la même.

1. Le principe de prévention

100. S’agissant du principe de prévention, les deux Parties se sont réfé-
rées à sa formulation telle qu’elle figure au principe 21 de la déclaration

de Stockholm de 1972 sur l’environnement humain, c’est-à-dire le prin-
cipe de prévention en ce qu’il concerne l’obligation qui incombe aux
Etats de veiller à ce que les activités exercées dans les limites de leur juri-
diction ou sous leur contrôle ne causent pas de dommage à l’environne-

ment dans d’autres Etats (également principe 2 de la déclaration de Rio
sur l’environnement et le développement) ou dans des régions ne relevant
d’aucune juridiction nationale . De plus, s’agissant du statut juridique

du principe de prévention, les deux Parties se sont accordées sur sa nature
coutumière , mais leurs points de vue divergent quant à sa portée en
l’espèce.

101. Dans son mémoire, l’Argentine a déclaré que le principe de pré-
vention faisait partie du droit applicable au présent différend en vertu du

85
86Dont l’article 60 constitue le fondement de la compétence de la CIJ.
M. K. Yasseen, «L’interprétation des traités d’après la convention de Vienne sur le
droit des traités», Recueil des cours de l’Académie de droit international de La Haye
(R87DI), t. 151 (1976), p. 62, et voir p. 59.
Voir, par exemple, mémoire de l’Argentine, par. 3.189, et duplique de l’Uruguay,
par. 5.52.
88Voir ibid., par. 3.189 et 5.52, respectivement.

162statut de 1975 (par. 3.188). L’Uruguay a pour sa part affirmé dans son

contre-mémoire que le principe de prévention en droit international — et
tel qu’il est formulé dans le statut de 1975 — imposait une obligation de
comportement (de diligence raisonnable) et non une obligation de résul-
tat (éviter totalement de polluer) (par. 4.68 et 4.69), ajoutant en outre
que, en l’espèce, il convenait d’évaluer la prévention en se référant à

l’article 7, paragraphe 1, de la convention des Nations Unies sur les cours
d’eau internationaux, qui stipule que les Etats doivent «pren[dre] toutes
les mesures appropriées pour ne pas causer de dommages significatifs aux
autres Etats du cours d’eau» (par. 4.67).

102. Dans sa réplique, l’Argentine a réfuté l’interprétation plus restric-
tive faite par l’Uruguay de l’article 41 du statut, soutenant que «[l]’obli-
gation de prévention d’un préjudice sensible à l’autre partie, à la qualité
des eaux et à l’écosystème du fleuve Uruguay et à ses zones d’influence a

des contours particuliers» qu’il convient d’évaluer à la lumière du «régime
de protection globale» établi par le statut de 1975 (par. 4.45), ce à quoi
l’Uruguay a à son tour rétorqué, dans sa duplique, qu’«il n’est pas plau-
sible de voir dans le statut autre chose que ce qui a par la suite été codifié

par la CDI dans la convention sur les cours d’eau», l’objectif des
articles 36, 41, 42 et 56, alinéa a), point 4, du statut de 1975 étant de
«donner effet à l’obligation [de diligence raisonnable] de prévenir les
dommages transfrontières sur le fleuve Uruguay» (par. 5.53). En

somme, l’Argentine a interprété plus largement le principe de préven-
tion que l’Uruguay, bien que les deux pays se soient fortement appuyés
sur ce principe, reconnaissant sa pertinence en l’espèce.

2. Le principe de précaution

103. S’agissant maintenant du principe de précaution, là encore les

deux Parties adverses s’y sont référées et ont tout d’abord fondé leurs
arguments distincts à cet égard sur la formulation du principe telle qu’elle
figure au principe 15 de la déclaration de Rio de 1992 sur l’environne-
ment et le développement, à savoir:

«Pour protéger l’environnement, des mesures de précaution doi-
vent être largement appliquées par les Etats selon leurs capacités. En

cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l’absence de
certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour
remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à pré-
venir la dégradation de l’environnement.» 89

Dans son mémoire, l’Argentine a soutenu que «l’interprétation et la mise

en Œuvre du statut de 1975 [devaient] être conduites à la lumière du prin-
cipe de précaution, pris en tant que norme de droit international» (par.

89Voir, par exemple, mémoire de l’Argentine, par. 3.195; et contre-mémoire de
l’Uruguay, par. 4.80.

1635.13). En outre, le conseil de l’Argentine a exprimé le souhait que la Cour
90
«déclare ... que [l]e principe 15 reflète le droit coutumier» en l’espèce .
104. Pour l’Uruguay en revanche, le principe de précaution est une
«règle de «soft law»» qui doit entrer en ligne de compte lors de l’inter-
prétation des traités, conformément au point c) du paragraphe 3 de

l’article 31 de la convention de Vienne. Pourtant — a ajouté l’Uruguay —
ce principe «ne semble pas correspondre aux exigences du droit interna-
tional coutumier», et il n’a jamais été traité, dans la jurisprudence des

tribuna91 internationaux, «comme une règle obligatoire de droit coutu-
mier» . En tout cas, l’Uruguay a estimé que l’Argentine «n’a[vait] pas
identifié de risque significatif» face auquel des mesures auraient dû être
prises en vertu du principe de précaution . 92

105. Quant à l’applicabilité du principe de précaution, l’Argentine a
pour sa part soutenu dans son mémoire que ce principe devait guider
l’interprétation du statut de 1975 (par. 5.13) et qu’il était applicable en

l’espèce du fait de la persistance de zones d’«incertitude scientifique»
(quant à l’incidence sur l’environnement de l’usine Botnia) et du «risque»
de dommage grave et irréversible. Parmi les zones d’incertitude scien-
tifique figureraient «les implications de l’inversion du courant dans le

fleuve sur la concentration des polluants, le sens des vents, les change-
ments climatiques et le probable impact de la présence des polluants
sur les poissons du fleuve» (par. 5.17 et 5.18).

106. L’Uruguay a quant à lui également estimé, dans sa duplique, que
le principe en question jouait un rôle dans l’interprétation de certains
traités de droit de l’environnement (par. 5.66), mais qu’il n’était pas per-
tinent dans le cadre du présent différend, premièrement parce qu’il n’y

avait pas d’incertitude scientifique à propos de l’exploitation des usines
de pâte à papier, et deuxièmement parce que les risques associés à cette
exploitation «f[aisaient] l’objet d’un suivi complet et p[ouvaient] être tes-

tés empiriquement», de sorte que les incertitudes avaient été éliminées ou
résolues (par. 5.58). Pour sa part, l’Argentine a rappelé dans son mémoire
que, en vertu du principe 15 de la déclaration de Rio de 1992 (supra),
«[l]e principe de précaution est applicable à la protection de l’envi-

ronnement dès lors qu’il existe un «risque de dommages graves ou
irréversibles»» (par. 5.14), ce à quoi l’Uruguay a répondu dans son
contre-mémoire qu’il n’y avait à son sens pas de raison de croire que

les usines de pâte à papier puissent causer des «dommages graves ou
irréversibles» à l’environnement et en particulier à la qualité de l’eau
du fleuve Uruguay (par. 4.81).
107. Enfin et surtout, en ce qui concerne la teneur du principe de pré-

caution, l’Argentine a soutenu dans son mémoire que, dans le cadre du
statut de 1975, ce principe signifiait que «les parties au statut de 1975

90CR 2009/14, p. 51, par. 8.
91Duplique de l’Uruguay, par. 5.66.
92Ibid., par. 5.67.

164[étaient] dans l’obligation de s’informer mutuellement de toutes les consé-

quences environnementales probables de leurs actions pouvant causer des
dommages graves ou irréversibles avant que ces actions ne soient autori-
sées ou entamées» (par. 5.14). La précaution exigerait donc des parties au

statut de 1975 qu’elles «respectent leurs obligations d’information et de
consultation avant d’autoriser la construction» des usines de pâte à
papier (par. 5.14) et — a-t-elle ajouté dans sa réplique — qu’elles pren-
nent en compte «les risques de dommages dans la conception, la prépara-

tion et la mise en Œuvre de tout projet ou de toute utilisation ayant trait
au fleuve Uruguay et à ses zones d’influence» (par. 4.54). Ainsi, l’Argen-
tine ne partageait pas le point de vue de l’Uruguay selon lequel le prin-

cipe en question ne serait applicable qu’en cas de risque de «dommages
graves ou irréversibles» (voir supra).
108. Ainsi, la demande de l’Argentine fondée sur le principe de précau-

tion comportait deux volets: a) elle était tout d’abord liée à son alléga-
tion générale selon laquelle l’Uruguay aurait manqué aux obligations
procédurales énoncées dans le statut de 1975, notamment en commençant
à construire et à exploiter l’usine avant d’avoir informé l’Argentine de

toutes «les conséquences environnementales probables » d’actions suscep-
tibles de causer des dommages à l’environnement ;et 93 b) le principe de
précaution, selon elle, obligeait l’Uruguay à ne pas autoriser la construc-

tion et la mise en service de l’usine avant d’avoir conduit une étude com-
plète sur la capacité du fleuve à disperser les polluants . 94
109. Lors des plaidoiries, le conseil de l’Argentine a invité la CIJ à

appliquer le principe, eu égard au fait
«que l’Uruguay, compte tenu des griefs exprimés par l’Argentine

en 2004, en 2005 et en 2006 quant à la capacité limitée du fleuve
d’absorber les nouveaux polluants envisagés, aurait dû attendre,
avant de donner son autorisation, d’être en mesure de conclure que

leur dispersion pourrait être assurée»,

en conservant à l’esprit que, en l’espèce, la précaution consistait à «mener
de nouvelles études, des évaluations complètes», et non à «agir sur la
base d’hypothèses infondées sur le courant du fleuve» . Il a en outre
ajouté que les risques présentés par l’usine Botnia «n’[avaient] pas été
96
maîtrisés» .
110. L’Uruguay a quant à lui affirmé, dans son contre-mémoire, qu’il
se serait conformé au principe de précaution «s’il était applicable» au

présent différend. Le principe en question, tel qu’il est formulé dans la
déclaration de Rio de 1992, interdit aux Etats «d’invoquer l’absence de
certitude scientifique afin de reporter «l’adoption de mesures effectives

visant à prévenir la dégradation de l’environnement» (par. 4.82); cet

93Réplique de l’Argentine, par. 4.55-4.56.
94Mémoire de l’Argentine, par. 7.128.
95CR 2009/14, p. 51, par. 8; et voir également mémoire de l’Argentine, par. 7.128.
96CR 2009/12, p. 71, par. 29.

165aspect du principe aurait été respecté par l’Uruguay. Cependant — a-t-il
ajouté —, en suggérant que le principe de précaution nécessitait l’adop-

tion de «mesures contre des risques éloignés, qui ne devraient pas
causer de préjudice sensible ou qui sont purement hypothé-
tiques» (par. 4.83), l’Argentine a donné une interprétation erronée de ce
principe. Pour l’Uruguay, en effet, une telle interprétation serait contre-

dite par «la référence même aux «mesures effectives» du principe 15»
de la déclaration de Rio. De surcroît, l’Uruguay a soutenu que les Etats
n’avaient le devoir d’agir sur le fondement du principe de précaution
que lorsqu’il existait «des données scientifiques objectives pour prévoir
des effets préjudiciables sensibles, ... «des raisons de penser» ou «des

motifs raisonnables de s’inquiéter»» (par. 4.83), or l’Argentine semblait
— selon l’Uruguay — n’avoir présenté aucun «élément significatif ou
crédible» à cet égard, rien qui puisse être assimilé à des «dommages
sérieux ou irréversibles» 97.

111. L’Uruguay a en outre ajouté, dans sa duplique, que, en suggérant
que «plus un risque est improbable, plus il devient incertain, ce qui
confère un plus grand rôle au principe de précaution», l’Argentine
avait mal interprété «le rôle [de ce] principe lié à l’incertitude et au
risque» (par. 5.61); selon l’Uruguay, le principe en question ne peut

s’appliquer que lorsqu’il existe certaines preuves de l’existence d’un risque
(par. 5.61). En somme l’Uruguay a soutenu que «[l]a véritable question
n’est pas de savoir si le risque environnemental a été éliminé, mais
s’il a été correctement géré et atténué dans toute la mesure du possible,

par des procédés efficaces» (par. 5.62) et que, ayant prouvé qu’il avait
pris

«toutes les mesures raisonnables et nécessaires pour parer à l’éven-
tualité — si minime soit-elle — que l’usine Botnia puisse avoir effec-
tivement des effets négatifs graves sur le fleuve dans le monde réel,
plus rien ne permet[tait] ... d’avancer que le principe de précaution

[devait] jouer un plus grand rôle» (par. 5.61).

112. L’échange de vues qui précède entre l’Argentine et l’Uruguay ne
fait apparaître aucune distinction claire entre un principe général et le
droit coutumier, en tant que «sources» formelles du droit applicable en
l’espèce. Toutefois, il me semble révélateur que, tout en affirmant que la

réunion des éléments constitutifs du principe en question n’avait à son
sens pas été prouvée en l’occurrence, l’Uruguay n’ait jamais remis en
cause ou nié l’existence ou le contenu matériel du principe concerné. En
somme, l’existence elle-même des principes de prévention et de précau-

tion, principes généraux de droit propres au droit international de l’envi-
ronnement, a été admise et reconnue par les Parties adverses elles-mêmes,
l’Uruguay et l’Argentine.
113. Seule la CIJ n’a pas reconnu, ni confirmé, l’existence de ces prin-

97Duplique de l’Uruguay, par. 5.59.

166cipes, pas plus qu’elle ne les a précisés, manquant ainsi une occasion

unique de les consolider dans le présent domaine du droit internatio-
nal contemporain. Le fait que l’arrêt de la Cour passe sous silence ces
principes de prévention et de précaution ne signifie cependant pas qu’ils

n’existent pas. Ils existent et s’appliquent et revêtent, à mon sens, la plus
haute importance, au titre du jus necessarium. Sans ces principes géné-
raux, on peut difficilement de nos jours parler de droit international de

l’environnement. L’affaire des Usines de pâte à papier offrait à la Cour
une occasion unique d’affirmer l’applicabilité des principes de prévention
et de précaution; pour des raisons qui échappent à ma compréhension et

la dépassent, elle a malheureusement préféré ne pas le faire.

IX. L A DIMENSION TEMPORELLE À LONG TERME :

L ÉQUITÉ INTERGÉNÉRATIONNELLE

114. J’aimerais à présent me pencher sur la question de l’équité inter-

générationnelle. Dans le domaine de la protection de l’environnement, la
dimension temporelle à long terme est évidente. Le souci de faire préva-
loir l’élément de conservation (sur la simple exploitation des ressources

naturelles) est une manifestation culturelle de l’intégration de l’être
humain à la nature et au monde dans lequel il vit. Cette approche a, à
mon sens, un aspect spatio-temporel, l’être humain établissant un lien,
dans l’espace, entre lui-même et le système naturel dont il fait partie (et

qu’il devrait traiter avec diligence et attention) et, dans le temps, entre
lui-même et les autres générations (passées et futures) , envers lesquelles
il a des obligations.

115. La dimension temporelle, si remarquable dans le domaine de la
protection de l’environnement, est également présente dans d’autres
domaines du droit international (par exemple, le droit des traités, le règle-

ment pacifique des différends internationaux, le droit économique inter-
national, le droit de la mer, le droit de l’espace extra-atmosphérique, la
succession d’Etats, notamment). La notion de temps, l’élément de prévi-

sibilité, sont inhérents à la science juridique en tant que telle. La prédo-

98Les générations futures ont rapidement attiré l’attention des auteurs de la doctrine
contemporaine du droit international: voir, par exemple, A.-Ch. Kiss, «La notion de pa-
trimoine commun de l’humanité», Recueil des cours de l’Académie de droit international
de La Haye (RCADI), t. 175 (1982), p. 109-253; E. Brown Weiss, In Fairness to Future
Generations: International Law, Common Patrimony and Intergenerational Equity , Tokyo/
Dobbs Ferry New York, United Nations University/Transnational Publs., 1989, p. 1-351;

A.-Ch. Kiss, «The Rights and Interests of Future Generations and the Precautionary
Principle», The Precautionary Principle and International Law— The Challenge of
Implementation (D. Freestone et E. Hey, dir. publ.), La Haye, Kluwer, 1996, p. 19-28;
[divers auteurs], Future Generations and International Law (E. Agius et S. Busuttil et al.,
dir. publ.), Londres, Earthscan, 1998, p. 3-197; [divers auteurs], Human Rights: New
Dimensions and Challenges (J. Symonides, dir. publ.), Paris/Aldershot, Unesco/Dart-
mouth, 1998, p. 1-153; [divers auteurs], Handbook of Intergenerational Justice (J. C. Trem-
mel, dir. publ.), Cheltenham, E. Elgar Publ., 2006, p. 23-332.

167minance de la prévention (et de la précaution) qui caractérise le corpus

normatif en matière de protection de l’environnement, si souvent souli-
gnée, est également présente dans le domaine de la protection des droits
de l’homme.

116. Son incidence peut être décelée à divers stades ou niveaux, en
commençant par les travaux préparatoires de certains instruments relatifs
aux droits de l’homme, les conceptions sous-jacentes à ces instruments et
99
les textes adoptés . L’incidence de la dimension temporelle peut égale-
ment être perçue dans l’interprétation «évolutive» des traités relatifs aux
droits de l’homme (qui a permis qu’ils demeurent des instruments vivants),

ainsi que dans leur application (comme en témoigne par exemple la juris-
prudence internationale relative à certains de ces traités, qui met en avant
la notion de victimes potentielles ou éventuelles, c’est-à-dire des victimes
faisant valoir un intérêt personnel potentiel valide en vertu de ces traités,

renforçant ainsi la condition des demandeurs individuels).
117. En fait, on peut percevoir l’incidence de la dimension temporelle
non seulement dans l’interprétation et dans l’application des normes rela-

tives à la protection de la personne humaine, mais également dans les
conditions d’exercice des droits garantis (comme, par exemple, dans les
situations d’urgence); on peut également la percevoir dans la protection

de tous les droits, y compris le droit au développement et le droit à un
environnement sain — qui s’étendent dans la durée. Ici, l’évolution de la
jurisprudence (par exemple, sur la notion susmentionnée de victimes

potentielles, ou encore sur le devoir de prévention des violations des
droits de l’homme ou des dommages à l’environnement) peut inspirer le
développement progressif du droit international dans des domaines de

protection distincts (celle de la personne humaine aussi bien que celle de
l’environnement).
118. En fait, le souci des générations futures est à la base de certaines
100
conventions de droit de l’environnement . En outre, dans le même
ordre d’idées, la déclaration sur les responsabilités des générations pré-
sentes envers les générations futures, adoptée par l’Unesco en 1997, après
avoir invoqué, notamment, la déclaration universelle des droits de

99Par exemple, les trois conventions contre la torture — interaméricaine, européenne et
onusienne — qui ont un caractère essentiellement préventif; la convention de 1948 contre
le génocide et la convention de 1973 contre l’apartheid, qui viennent s’ajouter à des instru-
ments internationaux tournés vers la prévention de divers types de discrimination. La
dimension temporelle est également présente dans le droit international relatif aux réfugiés
(par exemple, les éléments qui constituent la définition même de la notion de «réfugié»
dans la convention de 1951 relative au statut des réfugiés et son protocole de 1967, à

savoir la crainte justifiée d’être persécuté, les menaces ou les risques de persécution — en
plus des efforts d’« alerte rapide » déployés en pratique par l’Organisation des Nations
Un100 pour prévenir ou prévoir les flux de réfugiés).
Par exemple, la convention-cadre des Nations Unies sur les changements clima-
tiques, de 1992, le protocole de Kyoto à la convention-cadre des Nations Unies sur les
changements climatiques, de 1997, la convention de Vienne de 1985 pour la protection de
la couche d’ozone et le protocole de Montréal de 1987 relatif à des substances qui appau-
vrissent la couche d’ozone, notamment.

168l’homme de 1948 et les deux pactes relatifs aux droits de l’homme adop-

tés par l’Organisation des Nations Unies en 1966, rappelle la responsa-
bilité qui incombe aux générations présentes de veiller à ce que «les
besoins et les intérêts des générations présentes et futures soient pleine-

ment sauvegardés» (article premier et préambule). Elle ajoute notam-
ment que «[l]es générations présentes devraient s’efforcer d’assurer le
maintien et la perpétuation de l’humanité, dans le respect de la dignité de

la personne humaine» (art. 3). Presque deux décennies auparavant,
l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations Unies adoptait, le
30 octobre 1980, sa résolution proclamant «la responsabilité historique

des Etats concernant la préservation de la nature pour les générations
présentes et futures» (par. 1), et appelait en outre les Etats à prendre «les
mesures nécessaires ... en vue de préserver la nature», «dans l’intérêt des
générations présentes et futures» (par. 3).

119. L’année de la proclamation de la déclaration de l’Unesco, la Cour
reconnut, dans l’affaire du Projet Gabc ˇíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slo-
vaquie), l’incidence de la dimension temporelle à long terme, en se réfé-

rant aux «générations présentes et futures» (la perspective à long terme)
et au «concept de développement durable» (arrêt, C.I.J. Recueil 1997 ,
p. 53-54, par. 77), mais préféra néanmoins ne pas développer plus avant

ce sujet. Plus d’une décennie s’étant écoulée, il me semblait que l’occasion
était venue de le faire, dans le cadre de la présente affaire des Usines de
pâte à papier. Il en était en effet grand temps mais, à mon grand regret,

la Cour a préféré garder le silence sur cette question particulière dans le
présent arrêt.
120. Qu’il me soit permis de rappeler que le sujet en question a initia-

lement été abordé, au début de l’année 1988, par le comité consultatif de
l’Université des Nations Unies (UNU), dans le cadre d’un projet visant à
apporter une réponse novatrice aux préoccupations grandissantes concer-

nant l’épuisement des ressources naturelles et la dégradation de l’envi-
ronnement ainsi qu’à faire en sorte que soit reconnue la nécessité de
préserver le patrimoine naturel et culturel (à tous les niveaux, national,
régional et international, qu’il soit public ou non). Le comité consultatif,
101
composé de professeurs originaires de différents continents , s’est
réuni à Goa, en Inde 102, et a publié, le 15 février 1988, un document
final intitulé «Directives de Goa relatives à l’équité intergénération-
103
nelle» , dans lequel il était déclaré ce qui suit:

101A savoir, M me E. Brown Weiss, M. A. A. Cançado Trindade, M. A.-Ch. Kiss,
M. R. S. Pathak, M. Lai Peng Cheng et M. E. W. Ploman.
102
A la réunion convoquée par l’Université des Nations Unies (UNU) à Goa, en Inde,
les membres du comité consultatif sont intervenus à titre personnel.
103
Les directives, adoptées le 15 février 1988, étaient le résultat de longs débats qui se
sont déroulés dans le cadre d’une grande étude parrainée par l’UNU. Je n’ai pas l’inten-
tion de rappeler, dans la présente opinion individuelle, les questions abordées lors de ces
débats, annotés dans les dossiers et documents de travail non publiés de l’UNU, que je
conserve depuis 1988.

169 «Le présent projet, qui tente d’introduire pour la première fois

d’une manière systématique et globale une dimension temporelle à
long terme dans le droit international en tant que complément de la
dimension spatiale traditionnelle, constitue une réponse novatrice à
ces préoccupations.

Cette dimension temporelle s’articule autour du développement de
la théorie de l’«équité intergénérationnelle». A chaque génération,
tous les êtres humains, en tant qu’espèce, héritent des générations

précédentes un patrimoine naturel et culturel, dont ils sont à la fois
les bénéficiaires et les gardiens ayant le devoir de transmettre cet
héritage aux générations futures. L’idée qui est au cŒur de cette
théorie est que le droit de chaque génération de tirer avantage de cet

héritage naturel et culturel est inséparablement lié à l’obligation d’en
user de manière à pouvoir le transmettre aux générations futures
dans un état au moins équivalent à celui dans lequel il se trouvait

lorsqu’elle l’a reçu des générations précédentes. Cette obligation
implique la conservation et, le cas échéant, l’amélioration de la qua-
lité et de la diversité de cet héritage. La conservation de la diversité
culturelle est tout aussi importante que celle de la diversité de l’envi-

ronnement pour offrir diverses options aux générations futures.
Plus précisément, le principe de l’équité intergénérationnelle exige
que l’on préserve la diversité et la qualité des ressources biologiques,

des ressources renouvelables telles que les forêts, l’eau et les sols qui
forment un système intégré, ainsi que nos connaissances des sys-
tèmes naturels et culturels. Le principe commande d’éviter les actes
ayant des conséquences préjudiciables et irréversibles pour notre

héritage naturel et culturel ... sans transmettre indûment les coûts
aux générations à venir.
Les principes d’équité qui régissent la relation entre les généra-

tions ... touchent aux intérêts primordiaux des générations passées,
présentes et futures, et s’étendent aux ressources naturelles et cultu-
relles. Il existe une complémentarité entre les droits de l’homme déjà
reconnus et les droits intergénérationnels proposés.» 104

121. Les auteurs de ce document de l’UNU poursuivaient en propo-
sant des stratégies visant à mettre en Œuvre les droits et obligations inter-
générationnels. Dès lors, les premières études sur le thème spécifique de
l’équité intergénérationnelle, dans le cadre de l’univers conceptuel du
105
droit international de l’environnement, commencèrent à se multiplier .

104Le texte intégral des «Directives de Goa relatives à l’équité intergénérationnelle» est
reproduit dans les annexes des deux ouvrages suivants, dont les auteurs ont participé à
l’élaboration du document: E. Brown Weiss, In Fairness to Future Generations: Interna-
tional Law, Common Patrimony and Intergenerational Equity, op. cit. supranote 98,
app. A, p. 293-295; A. A. Cançado Trindade, Direitos Humanos e Meio Ambiente:
Paralelo dos Sistemas de Proteção Internacional , Porto Alegre/Brésil, S. A. Fabris Ed.,
1993, annexe IX, p. 296-298.
105Voir notamment note 98 supra.

170A partir de la fin des années 1980, le thème de l’équité intergénération-

nelle s’est développé sur fond de prise de conscience croissante de la
vulnérabilité de l’environnement, de la menace de changements à
l’échelle planétaire et de leur gravité et, en fin de compte, de notre
propre mortalité.

122. La nécessité de formuler clairement la notion d’équité intergéné-
rationnelle, afin de répondre au besoin impérieux d’affirmer et de sauve-
garder les droits des générations actuelles et futures, découlant — à mon
sens — d’une perspective essentiellement anthropocentrique, s’est donc

vivement fait ressentir. En l’espèce, face à des risques et à des menaces
probables, le principe de précaution entre de nouveau en jeu. De nos
jours, en 2010, on ne peut guère douter que la reconnaissance de l’équité
intergénérationnelle procède de la sagesse conventionnelle en droit inter-

national de l’environnement.
123. Il n’est pas surprenant que, en la présente instance relative à des
Usines de pâte à papier (Argentine c. Uruguay) , les deux Parties, l’Uru-
guay et l’Argentine, aient largement gardé à l’esprit l’équité intergénéra-

tionnelle dans les arguments qu’elles ont présentés lors des phases écrites
et orales. C’est ainsi, par exemple, que l’Argentine a affirmé à l’audience
qu’«[u]ne application effective des principes de prévention et de précau-
tion par l’Uruguay aurait permis d’appréhender les risques de dommages
106
graves pour les générations présentes et futures» . L’Uruguay a pour
sa part soutenu dans ses plaidoiries que le développement durable
était «une question d’équité intergénérationnelle, au sens où le dévelop-
pement économique doit se poursuivre d’une manière qui intègre

la protection de l’environnement, c’est-à-dire le système d’entretien
de la vie humaine dont dépendent les générations tant présentes
que futures» 10.
124. Ainsi la notion d’équité intergénérationnelle s’est-elle exprimée à

la faveur de la reconnaissance, par les deux Parties, du «principe de déve-
loppement durable» qui, témoignant d’un souci de tenter d’assurer le
bien-être non seulement des générations actuelles mais également des
générations futures, jouait, selon elles, un rôle dans l’interprétation et

l’application du statut de 1975 (voir infra). A cet égard, en abordant les
«obligations continues» de «suivi et [de] contrôle» dans le présent arrêt
(par. 266), la Cour aurait dû expressément établir un lien entre cette
importante question et l’équité intergénérationnelle. Ne l’ayant pas fait,

elle a inutilement et malheureusement privé son propre raisonnement de
la dimension temporelle à long terme si nettement présente dans le
domaine de la protection de l’environnement.
125. En ce qui concerne la dimension temporelle à long terme propre à

l’équité intergénérationnelle, j’aimerais évoquer un autre aspect auquel
j’attache une importance particulière. A mon sens, le message de solida-

106CR 2009/20, p. 35, par. 22.
107CR 2009/17, p. 54, par. 30.

171rité dans le temps — que véhicule la notion d’équité intergénération-

nelle — se projette dans les deux sens, à savoir dans le futur et dans le
passé, il englobe les générations passées (dans la mesure où il s’agit, par
exemple, de préserver l’identité culturelle) tout autant que les générations
futures. A cet égard, dans l’arrêt de principe de la Communauté Mayagna
(Sumo) Awas Tingni, les membres de la communauté indigène en ques-

tion ont contesté avec succès, devant la Cour interaméricaine des droits
de l’homme, une concession d’exploitation forestière accordée par le
Gouvernement nicaraguayen à une entreprise sur leurs terres communau-
taires (qui n’avaient pas été délimitées), qui causait des dommages à

l’environnement et perturbait leur mode de vie.
126. Lors des audiences mémorables qui se tinrent du 16 au 18 no-
vembre 2000 devant la cour, les membres de la communauté en
question 108 soulignèrent l’importance qu’ils attachaient à leurs terres

communautaires, non seulement pour leur propre subsistance, mais
également pour leur «développement culturel, religieux et familial». Les
collines présentes sur ces terres, où ils rendaient hommage à leurs
morts, étaient «sacrées» pour eux. Ces terres — insistaient-ils —

leur appartenaient autant qu’ils leur appartenaient. Leur langage était
bien différent de celui del’omo oeconomicus«moderne» et «postmoderne».
Radicalement différent. La préservation de leur harmonie avec leur
environnement naturel revêtait pour eux la plus haute importance.

127. Les membres de la communauté Mayagna ne croyaient ni en la
mondialisation ni en la privatisation et n’avaient que faire du profit maté-
riel. Ils avaient leur propre perception de la vie dans le temps et l’espace,
soucieux du futur autant que du passé. Pour eux, vivre en harmonie avec
leur environnement naturel n’avait pas de prix et était absolument néces-

saire, cela donnait un sens à leur vie. Leur logique était celle de l’Homo
sapiens, ils étaient conscients de leurs propres limites et souhaitaient
continuer de vivre sans chercher à dépasser leurs propres capacités. Ce
faisant, ils n’ont jamais confondu la fin et les moyens, comme a tendance

à le faire l’homme «moderne» ou «postmoderne».
128. Dans l’arrêt qu’elle a rendu sur le fond le 31 août 2001 en l’affaire
relative à la Communauté Mayagna (Sumo) Awas Tingni — qui fait
aujourd’hui partie de l’histoire de la protection internationale des droits

de l’homme et de l’environnement en Amérique latine —, la Cour inter-
américaine des droits de l’homme a étendu la protection du droit à la
propriété communautaire de leurs terres aux membres de l’ensemble de la
communauté indigène concernée, et a jugé que la délimitation et la

démarcation des terres communautaires, ainsi que l’émission du titre de
propriété y afférent, devaient être effectuées conformément au droit cou-
tumier, aux usages et aux habitudes de cette communauté. Pour statuer
en ce sens, la cour a pris en compte le fait que

108Comme l’a rappelé la Cour interaméricaine des droits de l’homme dans son arrêt sur
le fond du 31 août 2001, par. 83.

172 «il existe chez les indigènes une tradition porteuse d’une forme com-

munautaire de la propriété collective de la terre, en ce sens que la
propriété foncière n’est pas l’apanage d’un individu mais plutôt celui
du groupe et de sa communauté... Pour les communautés indigènes,
la relation à la terre n’est pas une simple question de possession et de

production, mais plutôt un élément matériel et spirituel dont il
convient qu’ils disposent pleinement afin de préserver leur héritage
culturel et de le transmettre aux générations futures.» (Par. 149.)

129. Par prudence et souci de diversité culturelle, la Cour a avalisé la

vision du monde des indigènes. Une demi-décennie après l’arrêt de prin-
cipe relatif à la Communauté Mayagna (Sumo) Awas Tingni , deux nou-
velles affaires ont été portées devant la Cour interaméricaine des droits de
l’homme, dans lesquelles, du fait de la commercialisation de leurs terres

par l’Etat, les membres de deux communautés indigènes en avaient été
chassés de force, avaient ainsi été placés dans une situation de grande vul-
nérabilité et de marginalisation sociale, abandonnés au bord d’une route.
Dans les arrêts qu’elle a prononcés en ces affaires relatives à la Commu-

nauté indigène Yakye Axa (6 février 2006) et à la Communauté indigène
Sawhoyamaxa (29 mars 2006), qui concernaient toutes les deux le Para-
guay, la cour a décidé que les terres communautaires ou ancestrales
étaient dévolues aux membres de ces deux communautés, afin d’assurer la

survie de leur identité culturelle dans leur habitat naturel.
130. L’attitude positive de collaboration à la procédure dont ont fait
preuve les Etats défendeurs dans ces trois affaires a permis d’aboutir à
leur règlement pacifique. En ce qui concerne la préservation de l’identité

culturelle (la solidarité intergénérationnelle, en tenant compte des géné-
rations futures ainsi que de celles du passé), j’ai estimé utile de préciser ce
qui suit dans l’opinion individuelle que j’ai produite en l’affaire de la
Communauté indigène Sawhoyamaxa :

«Le concept de culture — du romain «colere» qui signifie cultiver,
tenir compte, prendre soin et préserver — est tout d’abord apparu
dans le domaine de l’agriculture (le soin apporté à la terre). Sous

Cicéron, on commença à l109iliser pour les questions de l’esprit et de
l’âme (cultura animi) et, au fil du temps, on en vint à l’associer à
l’humanisme, à l’attitude de préservation des choses du monde, y
compris celles du passé, et d’attention portée à celles-ci 110. Confron-

tés au mystère de la vie, les peuples — les êtres humains dans leur
environnement social — développent et préservent leurs cultures afin
d’appréhender le monde extérieur et d’établir un lien avec celui-ci.
D’où l’importance de l’identité culturelle, en tant que composant ou

agrégat du droit fondamental à la vie elle-même.» (Par. 4.)

109H. Arendt, Between Past and Future, New York, Penguin, 1993 [réimp.], p. 211-213.
[Pour une version française, voir H. Arendt, La crise de la culture, Gallimard, 1972.]
110 Ibid., p. 225-226.

173 131. Dans d’autres affaires à fort contenu culturel portées devant la

Cour interaméricaine des droits de l’homme, celle-ci a dûment statué
dans ce même esprit de solidarité dans le temps, à l’égard tant des géné-
rations futures que des générations passées — comme par exemple dans

l’arrêt sur les réparations concernant le Guatemala qu’elle a rendu le
22 février 2002 dans l’impressionnante affaire de Bámaca Velásquez,àla
lumière de la richesse de la culture Maya, afin d’assurer la satisfaction des

besoins spirituels des descendants ainsi que le respect de l’héritage légué
par les ancêtres 111. Cet arrêt constitue — comme je persiste à le dire dans

une autre juridiction internationale depuis le milieu des années 1990 —
l’une des nombreuses illustrations du processus historique d’humanisa-
tion du droit international contemporain, qui de nos jours concerne

l’ensemble du corpus juris de cette discipline.

X. L A DIMENSION TEMPORELLE SOUS -JACENTE :
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

1. La formulation et les implications du développement durable

132. De même, la dimension temporelle sous-tend la notion de déve-
loppement durable dont on considère, depuis qu’elle a été définie en 1987

dans le rapport de la commission Brundtland comme «suppos[ant] la
satisfaction des besoins actuels sans compromettre celle des besoins des
112
générations futures» , qu’elle englobe la promotion de la croissance
économique, l’éradication de la pauvreté et la satisfaction des besoins
fondamentaux de l’homme (tels que ceux ayant trait à la santé, à l’ali-
113
mentation, au logement et à l’éducation) . On en vint en outre à perce-
voir le développement durable comme un lien entre le droit à un environ-
nement sain et le droit au développement; des considérations touchant

l’environnement et le développement finirent par imprégner les questions
de l’élimination de la pauvreté et de la satisfaction des besoins fondamen-
taux de l’homme. Après que cette question eut fait l’objet d’une étude

approfondie à l’occasion de la conférence de Rio de 1992 sur l’environ-

111Dans son arrêt sur les réparations en l’affaire Bámaca Velásquez, la cour a ordonné,
au tout premier point du dispositif, l’identification de la dépouille mortelle de la victime
directe, son exhumation en présence de sa veuve et de sa famille et la restitution de cette

dépouille auxdites personnes. Dans mon opinion individuelle, j’ai estimé opportun de
m’attarder sur quatre aspects spécifiques de la décision de la cour, à savoir: a) le temps,
le droit des vivants et les morts; b) la projection de la souffrance humaine dans le temps;
c) l’écoulement du temps et les conséquences juridiques de la solidarité entre les vivants et
les morts; et d) la précarité de la condition humaine et les droits humains universels
(par. 1-26).
112Voir World Commission on Environment and Development, Our Common Future,
Oxford, University Press, 1987, p. 8-9, 40, 43-66 et 75-90.
113PNUE, Symposium de Beijing sur les pays en développement et le droit international
de l’environnement (août 1991) — rapport final, Beijing, PNUE/ministère chinois des
affaires étrangères, 1992, p. 1-8 (corapporteurs A. A. Cançado Trindade et Ajai Mal-
hotra).

174nement et le développement (CNUED) et de la deuxième conférence

mondiale sur les droits de l’homme, tenue à Vienne en 1993 sous l’égide
de l’Organisation des Nations Unies, il apparut clairement que les droits
de l’homme demeuraient au cŒur des préoccupations du développement
114
durable .
133. La déclaration de Rio de 1992 sur l’environnement et le déve-
loppement faisait une place considérable à l’idée d’un développement

durable axé sur la satisfaction des besoins des générations présentes
et futures 115 (principe 3), tandis que la déclaration et le programme

d’action de Vienne de 1993 mettaient l’accent sur un développement
durable lié à divers aspects du droit international des droits de l’homme
(1re partie, par. 27), tout en conservant à l’esprit la satisfaction des
e
besoins de protection actuels et futurs (2 partie, par. 17). En mettant
simultanément au premier plan les générations présentes et futures, le
développement durable présentait une dimension temporelle inéluctable.

134. La déclaration et le programme d’action de Vienne de 1993 indi-
quent que «le droit au développement devrait se réaliser de manière à
satisfaire équitablement les besoins des générations actuelles et futures en

matière de développement et d’environnement» (par. 11). Je me souviens
très bien que la préoccupation majeure exprimée lors des deux confé-
rences mondiales tenues sous l’égide de l’Organisation des Nations Unies,

durant les travaux préparatoires et l’adoption de ce texte ainsi que du
programme Action 21 issu de la conférence de Rio de 1992, était d’amé-
liorer les conditions de vie socio-économiques de la population, et notam-
116
ment de ses groupes vulnérables , afin de satisfaire leurs besoins parti-
culiers de protection. Cela transparaît dans le corps de ces deux documents
finaux issus des deux conférences mondiales organisées en 1992 et 1993

par l’Organisation des Nations Unies et qui firent date.
135. Cette conception fit l’objet de nombreuses analyses présentées à
l’occasion d’événements universitaires organisés sous différentes latitudes

tout au long des années 1990, sous l’égide de l’Organisation des
Nations Unies, dans le cadre de la Décennie du droit international , qui

fournirent un éclairage sur l’univers conceptuel du droit international
contemporain de l’environnement et permirent ainsi de l’affiner. Lorsque

114A. A. Cançado Trindade, «Relations between Sustainable Development and Eco-
nomic, Social and Cultural Rights: Recent Developments», International Legal Issues

Arising under the United Nations Decade of International Law (N. Al-Nauimi et R. Meese,
di115publ.), La Haye, Kluwer, 1995, p. 1051-1052, 1056, 1065, 1068 et 1075-1076.
Voir, pour un aperçu général, à la veille de la CNUED, [divers auteurs], Human
Rights, Sustainable Development and Environment/Derechos Humanos, Desarrollo Sus-
tentable y Medio Ambiente/Direitos Humanos, Desenvolvimento Sustentável e Meio Ambi-
ente (compte rendu du séminaire de Brasília de mars 1992 — A. A. Cançado Trindade,
dir. publ.), 2d., Brasília/San José of Costa Rica, BID/IIHR, 1995, p. 1-405 (notamment
les interventions de E. Brown Weiss, A. A. Cançado Trindade, S. McCaffrey, A.-Ch. Kiss,
G. Handl et D. Shelton).
116Tels que ceux que constituent, notamment, les segments les plus pauvres de la
société.

175l’accent fut mis sur la promotion du développement durable et des très

nécessaires réduction et élimination de la pauvreté, par exemple, ces
considérations furent avancées à la lumière de l’équité intergénération-
nelle et intragénérationnelle.
136. A cet égard, le programme très complet Action 21, adopté en

1992 à Rio de Janeiro à la clôture de la CNUED, lançait fort à propos
dans son préambule la mise en garde suivante:

«L’humanité se trouve à un moment crucial de son histoire. Nous
assistons actuellement à la perpétuation des disparités entre les
nations et à l’intérieur des nations, à une aggravation de la pauvreté,

de la faim, de l’état de santé et de l’analphabétisme, et à la détériora-
tion continue des écosystèmes dont nous sommes tributaires pour
notre bien-être. Mais si nous intégrons les questions d’environne-
ment et de développement et si nous accordons une plus grande

attention à ces questions, nous pourrons satisfaire les besoins fonda-
mentaux... Aucun pays ne saurait réaliser tout cela à lui seul, mais la
tâche est possible si nous Œuvrons tous ensemble dans le cadre d’un
partenariat mondial pour le développement durable.

Action 21 aborde les problèmes urgents d’aujourd’hui et cherche
aussi à préparer le monde aux tâches qui l’attendent au cours du
siècle prochain.» (Par. 1 et 3.)

137. Une demi-décennie plus tard, la déclaration sur les responsabilités
des générations présentes envers les générations futures mentionnée précé-
demment, adoptée par l’Unesco en 1997, en reconnaissant les menaces

pesant actuellement sur «l’existence même de l’humanité et son environne-
ment» (préambule), mettait en évidence la nécessité d’agir dans un esprit
de solidarité intragénérationnelle et intergénérationnelle pour la «perpé-

tuation de l’humanité» (art. 3). En outre, une décennie après la tenue de la
CNUED à Rio de Janeiro, la déclaration de Johannesburg sur le dévelop-
pement durable, dans laquelle la communauté internationale réaffirmait
son «engagement en faveur du développement durable» (par. 1), gardant à

l’esprit «l’avenir de l’humanité», fut adoptée à l’occasion du Sommet mon-
dial pour le développement durable, organisé à Johannesburg en septem-
bre 2002. Une fois encore, l’attention était portée vers des considérations
abordées à la lumière de l’équité inter- et intragénérationnelle, appelant à

surmonter les inégalités dans le temps et dans l’espace.
138. Cette approche associant protection de l’environnement et pro-
tection des droits de l’homme perdure de nos jours, à la fin de la première
décennie du XXI siècle 117. De nombreux instruments internationaux

sont aujourd’hui imprégnés de la logique du développement durable. La

117Voir, par exemple, les résolutions 7/23 (du 28 mars 2008) et 10/4 (du 25 mars 2009)
du Conseil des droits de l’homme de l’Organisation des Nations Unies (relatives aux
droits de l’homme et aux changements climatiques), précédées, par exemple, par la résolu-
tion 2005/60 de l’ancienne Commission des droits de l’homme de l’Organisation des
Nations Unies (par. 8).

176doctrine contemporaine en reconnaît également progressivement la per-

tinence; tandis qu’une grande partie des auteurs continuent, de manière
quelque peu hésitante, à évoquer le «concept» de développement du-
rable, d’autres semblent au contraire être prêts et ouverts à l’idée

d’admettre qu’il est devenu un principe général du droit international
de l’environnement 11. A l’occasion de la réforme de l’Organisation
des Nations Unies, fin 2005, les objectifs du Millénaire pour le dévelop-

pement, qui avalisaient les «principes du développement durable»
(au pluriel)119, furent adoptés en sus des deux documents déjà mentionnés
dans la présente opinion individuelle (par. 45,supra).

139. Il y a de solides raisons de reconnaître le développement durable
comme un principe général devant présider à l’examen des questions
d’environnement et de développement. Lors des conférences de Rio, en

1992, et de Vienne, en 1993, il fut clairement établi, en vue du cycle de
conférences mondiales de l’Organisation des Nations Unies alors en
cours et qui devait se poursuivre tout au long des années 1990, que placer

l’homme au cŒur des préoccupations avait des conséquences considérables
et que cela obligeait à réévaluer certains concepts traditionnels (au rang
desquels figuraient notamment les modèles de développement et de coo-

pération internationale), afin de préserver l’environnement et d’assurer la
pérennité de la vie humaine elle-même. Plus récemment, en 2008, une
stratégie visant à «aligner» les objectifs du Millénaire pour le développe-
120
ment susmentionnés sur les droits de l’homme a été proposée .
140. A la lumière des considérations qui précèdent, l’issue de l’instance
dans l’affaire des Usines de pâte à papier laisse, à cet égard, beaucoup à

désirer et ce d’un triple point de vue: premièrement, l’insuffisance des
arguments avancés par les Parties sur les conséquences sociales concrètes
des usines de pâte à papier, bien qu’elles aient évoqué le développement

durable (voir infra); deuxièmement, l’insuffisance de l’attention accordée
par la Cour à la question particulière soulevée; et, troisièmement,
l’absence de reconnaissance expresse, par la Cour, du rôle directeur des

principes généraux du droit international de l’environnement. Ayant sou-
ligné cela, j’aimerais maintenant aborder, dans le cadre de la présente
affaire, les arguments avancés par l’Argentine et l’Uruguay sur le déve-

loppement durable.

e
118Voir, par exemple, Ph. Sands, Principles of International Environmental Law ,2 éd.,
Cambridge, University Press, 2003, p. 252, 260 et 266; C. Voigt, Sustainable Development
as a Principle of International Law , Leyde, Nijhoff, 2009, p. 145, 147, 162, 171 et 186. Les
Etats ne pouvant se prévaloir de l’incertitude scientifique pour justifier leur inaction face
à des risques potentiels de dommages graves à l’environnement, le principe de précaution
a un rôle à jouer, tout autant que «le principe de développement durable»; P. Birnie,
A. Boyle et C. Redgwell, International Law and the Environment ,3., Oxford, Univer-
sity Press, 2009, p. 163.
119Cibles 7.A et 7.B des objectifs du Millénaire pour le développement .
120Organisation des Nations Unies/Haut Commissariat aux droits de l’homme, Re-

vendiquer les objectifs du Millénaire pour le développement: une approche fondée sur les
droits de l’homme, Genève, Organisation des Nations Unies, 2008, p. 1-66.

177 2. Les Parties à l’instance avaient conscience des implications

du développement durable

141. Dans la présente affaire relative à des Usines de pâte à papier, les

Parties ont évoqué de manière interchangeable le «concept» et le «prin-
cipe» de développement durable. Dans son mémoire, l’Argentine a affirmé
que les deux Parties étaient «lié[e]s par le respect du principe du dévelop-

pement durable» lorsqu’elles entreprenaient «des activités sur le fleuve
Uruguay» 12. Cependant, leur approche divergeait quant à l’application
du «concept» ou du «principe», l’Argentine estimant pour sa part que

celle-ci nécessitait une approche intégrée des objectifs de développement
socio-économique et de protection de l’environnement, entre lesquels il
convenait de «trouver un équilibre», comme cela était solennellement

affirmé dans la déclaration de Rio de 1992 sur l’environnement et le déve-
loppement (principes 3 et 4 12) — le principe de développement durable
faisant partie de «[ceux] qui doivent guider l’interprétation et l’applica-
123
tion du statut de 1975» .
142. L’Argentine a en outre affirmé, dans son mémoire, que «[l]’une
des composantes essentielles du principe de développement durable [était]

que la satisfaction des besoins immédiats des générations présentes au
titre du droit au développement ne [devait] pas compromettre le bien-être
des générations futures» 124. Insistant sur les principes 3 et 4 de la déclara-

tion de Rio de 1992, elle a ajouté que,

«[e]n application du principe du développement durable, les Etats
réalisent leur droit au développement en respectant leurs obligations

en matière de promotion et de protection de l’environnement. Ainsi
en est-il des obligations découlant du statut de 1975... Le concept
de «développement durable» ne peut pas être invoqué pour justi-

fier le fait de donner aux objectifs de développement économique
une quelconque préséance sur des nécessités environnementales
essentielles.» 125

143. Ainsi, en soutenant que le «principe du développement durable»

s’appliquait au statut de 1975, l’Argentine a rappelé, dans son
mémoire, le principe 3 de la déclaration de Rio de 1992 sur l’environ-
nement et le développement, aux termes duquel «le droit au dévelop-

pement doit être réalisé de façon à satisfaire équitablement les besoins
relatifs au développement et à l’environnement des générations
présentes et futures» 126. Toujours dans son mémoire, l’Argentine

a également invoqué le plan de protection environnementale

121Mémoire de l’Argentine, par. 3.177.
122Ibid., par. 3.179.
123Réplique de l’Argentine, par. 4.32, et voir également par. 1.48.
124Mémoire de l’Argentine, par. 3.180.
125
126Ibid., par. 5.6-5.7, et voir également par. 5.8.
Ibid., par. 5.5.

178du fleuve Uruguay de 2002 (conclu entre la CARU et quinze collectivités

locales uruguayennes et argentines), dans lequel les obligations
énoncées par le statut de 1975 sont présentées comme fournissant
un cadre de coopération et de coordination «collectif, participatif et

collaboratif» pour protéger le fleuve Uruguay «pour les générations
futures» 127.

144. Pour sa part, l’Uruguay, évoquant, dans son contre-mémoire, les
«principes du droit international général» 128, a affirmé que:

«Le droit qu’ont tous les Etats de chercher à assurer leur dévelop-
pement économique durable est consacré par le principe 2 de la

déclaration de Rio de 1992 ... [qui] établit à la fois le droit souverain
des Etats d’exploiter leurs propres ressources «conformément à leurs

politiques en matière d’environnement et de développement» et leur
devoir «de veiller à ce que les activités exercées dans les limites de
leur juridiction ou sous leur contrôle ne causent pas de dommages à

l’environnement dans d’autres Etats ou dans des zones ne relevant
d’aucune juridiction nationale».» 129

145. Selon l’Uruguay, comme le principe 4, le principe 2 de la déclara-

tion de Rio «exige[ait] d’associe130u de concilier développement et pro-
tection de l’environnement» , et d’ajouter:

«Les arguments avancés par l’Argentine au sujet du statut de 1975
ignorent cette nécessité de concilier le développement économique et

la protection de l’environnement dans le cadre de l’utilisation des
eaux du fleuve Uruguay. En effet, le mémoire de l’Argentine entre-
tient soigneusement l’illusion que le statut de 1975 subordonne les

considérations relatives au développement économique au respect le
plus strict de l’environnement.» 131

146. Dans sa duplique, l’Uruguay a en outre déclaré que

«[l]e développement [était] autorisé ([qu’]il [était] même prescrit aux
termes, notamment, des articles premiers des pactes internationaux
de l’ONU respectivement consacrés aux droits civils et politiques, et

aux droits économiques, sociaux et culturels), dès lors que la protec-
tion de l’environnement [était] assurée au bénéfice des générations
futures» 132.

Reconnaissant la nécessité pour lui d’améliorer les «conditions d133ie»
des «générations présentes et futures de sa population» , l’Uruguay a

127
128Mémoire de l’Argentine, par. 3.153.
129Contre-mémoire de l’Uruguay, par. 1.26.
Ibid., par. 2.30.
130Ibid., par. 2.32.
131Ibid., par. 2.33.
132Duplique de l’Uruguay, par. 2.130.
133CR 2009/17, p. 41 et 43, par. 1 et 5, et voir également p. 46, par. 11.

179soutenu que «l’Argentine n’a[vait] pas contesté [son] droit ... à dévelop-

per son économie, et à répondre ainsi aux besoins des générations pré-
sentes et futures de sa population» 134.
147. L’Uruguay fit cette dernière remarque dans le cadre des plaidoi-

ries organisées en la présente affaire, au cours desquelles les conseils des
deux Parties reprirent et réaffirmèrent les points qu’ils avaient respective-

ment avancés dans leurs écritures. L’Argentine et l’Uruguay étaient
tous deux tout à fait conscients de la dimension intertemporelle du
développement durable en tant que principe de droit international de

l’environnement et la CIJ aurait, me semble-t-il, dû prêter attention
au développement durable en tant que tel, et le reprendre à son
compte 135, pour ainsi contribuer à l’évolution progressive du droit inter-

national de l’environnement.

XI. L’ ÉTABLISSEMENT JUDICIAIRE DES FAITS

148. Les principes généraux et la dimension temporelle susmentionnés

doivent être gardés à l’esprit dans l’exercice de la fonction judiciaire
internationale, qui consiste aussi pour le juge à établir les faits. A cet
égard, les conflits de preuve ont pris des proportions remarquables

dans la présente affaire des Usines de pâte à papier. En fait, les conflits
de preuve semblent généralement constituer, aux niveaux national et
international, une aubaine pour les juristes et les professionnels du

droit, mais aussi une calamité pour les juges et ceux qui sont chargés
d’établir les faits. L’examen de cette question est incontournable en

l’espèce.
149. Qu’il me soit permis de rappeler ici que, en matière d’établisse-
ment de faits, la Cour a acquis une expérience certaine, quoique relative-
136
ment limitée, de l’audition d’experts ou de témoins . En revanche, elle
n’a entendu des témoins-experts — une catégorie qui n’était prévue ni

134
135CR 2009/17, p. 55, par. 32.
La Cour aurait, par exemple, pu reprendre en entier (et non partiellement comme
elle l’a fait), pour le développer plus avant, en tenant compte des allégations des Parties
à la présente affaire relative à des Usines de pâte à papier, son propre obiter dictum du
paragraphe 140 de l’arrêt qu’elle a prononcé en l’affaire relative au Projeˇíkovo-
Nagymaros (Hongrie/Slovaquie) (arrêt, C.I.J. Recueil 1997 , p. 77).
136Elle en a jusqu’ici eu l’occasion dans les dix affaires suivantes: Détroit de Corfou
(Royaume-Uni c. Albanie) (1949); Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande)
(1962); Sud-Ouest africain (Ethiopie c. Afrique du Sud; Libéria c. Afrique du Sud)
(1966); Plateau continental (Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne) (1982); Délimitation de

la frontière maritime dans la région du golfe du Maine (Canada/Etats-Unis d’Amérique)
(1984); Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte)(1985); Activités mili-
taires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis
d’Amérique) (1986); Elettronica Sicula S.p.A. (ELSI) (Etats-Unis d’Amérique c. Italie)
(1989); Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime (El Salvador/Honduras)
(1992); Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de géno-
cide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro) (2007).

180dans son Statut ni dans son Règlement — qu’à de très rares occasions 137,

pour des nécessités pratiques. Une visite sur les lieux — article 66 du
Règlement — n’a été entreprise qu’une fois par la Cour permanente (dans
l’affaire des Prises d’eau à la Meuse, 1937) et une fois par la Cour ac-

tuelle (dans l’affaire relative au Projet Gabc ˇíkovo-Nagymaros (Hongrie/
Slovaquie), 1997), mais sans véritable enquête. La Cour et sa devancière
n’ont jusqu’ici envisagé d’office d’établir des faits qu’en deux occasions
(article 50 du Statut et article 67 du Règlement).

150. La première occasion se présenta dans l’affaire de l’Usine de
Chorzów (Allemagne c. Pologne) (1928), lorsque la Cour permanente
(citant l’article 50 du Statut) désigna une commission d’experts en sep-

tembre 1928 mais, l’affaire ayant été réglée à l’amiable, cette commission
fut dissoute avant d’avoir pu rendre son rapport. La seconde occasion fut
l’affaire du Détroit de Corfou (Royaume-Uni c. Albanie) (1949), qui est

devenue l’affaire phare en la matière: les experts désignés présentèrent
deux rapports, l’un en janvier et l’autre en février 1949 (après avoir
enquêté sur les lieux), que la Cour prit en considération dans son arrêt
sur le fond du 9 avril 1949. Toujours dans l’affaire du Détroit de Corfou,

en décembre 1949, les experts désignés soumirent un autre rapport à la
Cour, qui, après les avoir interrogés, tint pleinement compte de leurs
conclusions dans l’arrêt qu’elle rendit dans cette affaire le 15 décem-
138
bre 1949 sur la question des réparations .
151. Partant, compte tenu de l’expérience qu’elle a acquise jusqu’ici, la
Cour n’a pas épuisé toutes les possibilités qui s’offraient à elle pour éta-

blir les faits dans la présente affaire des Usines de pâte à papier. Je consi-
dère que, au paragraphe 170 du présent arrêt, elle aurait dû indiquer qu’il
lui était aussi possible, si elle l’estimait nécessaire, d’obtenir d’office
davantage d’informations. Cela dit, si la Cour s’était prévalue de cette

possibilité supplémentaire (en procédant par exemple à une enquête sur le
terrain) — comme je pense qu’elle aurait dû le faire —, serait-elle parve-
nue à une conclusion différente quant aux obligations de fond découlant

des articles 35, 36 et 41 du statut du fleuve Uruguay de 1975? Toute
réponse à cette question serait largement hypothétique.

XII. A U -DELÀ DE LA DIMENSION INTERÉTATIQUE : ASPECTS CONNEXES

152. Les considérations qui précèdent sur les principes généraux de
droit et la dimension temporelle me conduisent dans la présente opinion

137Par exemple dans les affaires du Détroit de Corfou (Royaume-Uni c. Albanie)
(1949), du Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande) (1962) et du Sud-Ouest afri-
cain (Ethiopie c. Afrique du Sud; Libéria c. Afrique du Sud) (1966).
138A une troisième occasion encore, quoique dans des circonstances quelque peu dif-
férentes, en l’affaire du Golfe du Maine (Canada/Etats-Unis d’Amérique) , la Chambre de
la Cour fut tenue, de par les termes du compromis, de désigner un expert; après l’avoir
désigné (en citant là encore l’article 50 du Statut), la Chambre de la Cour annexa le «rap-
port explicatif» de cet expert à son arrêt du 12 octobre 1984.

181individuelle à continuer de regarder bien au-delà de la dimension inter-

étatique — en dépit du caractère purement interétatique des procédures
contentieuses internationales pouvant être engagées devant la Cour. Ainsi,
je vais traiter certains aspects connexes auxquels j’attache une importance
particulière, à savoir: a) les impératifs de la santé humaine et du bien-

être des populations; b) le rôle de la société civile dans la protection de
l’environnement; c) le caractère objectif des obligations, au-delà de la
réciprocité; et d) la personnalité juridique internationale de la CARU
— autant d’aspects que j’examinerai successivement.

1. Les impératifs de la santé humaine et du bien-être des populations

153. Dès 1974, deux ans après l’adoption de la déclaration de Stock-
holm, la charte des droits et devoirs économiques des Etats adoptée par
les Nations Unies (à la suite d’une initiative latino-américaine 13) indi-

quait, sur le ton d’une mise en garde, que la protection et la sauve-
garde de l’environnement pour les générations actuelles et futures était
une responsabilité incombant à tous les Etats (art. 30). La référence
à la succession des générations dans le temps attestait premièrement

une prise de conscience de la dimension temporelle à long terme
et, deuxièmement, une préoccupation dépassant la dimension stric-
tement interétatique, le but étant de préserver la santé humaine et le bien-
être des peuples. Dans sa résolution 44/228 de 1989, l’Assemblée

générale, décidant de convoquer une conférence des Nations Unies sur
l’environnement et le développement à Rio de Janeiro en 1992,
affirma en fait, par exemple, que la protection et l’amélioration de

la qualité de l’environnement étaient des questions essentielles influant
sur le bien-être des populations et elle cita, entre autres questions
environnementales d’importance capitale, la «[p]rotection de la
santé humaine et [l’]amélioration de la qualité de la vie» (alinéa i)

du paragraphe 12).
154. Le droit international de l’environnement est soucieux de la santé
humaine. Dans la présente affaire des Usines de pâte à papier, les deux
Parties en litige ont évoqué cette question. En ce qui concerne les réper-

cussions sociales de l’usine de pâte à papier (l’usine Botnia), l’Argentine a
dans son mémoire évoqué le «bien-être et ... la santé des communautés
voisines» (par. 6.44-6.45), tandis que, dans sa duplique, l’Uruguay a indi-
qué qu’un suivi de l’incidence sociale de l’usine avait révélé une améliora-

tion de la «qualité de la vie» à Fray Bentos et dans les «communautés
voisines» (par. 4.40). Mais alors que, dans son contre-mémoire, l’Uru-
guay soutenait que l’usine de pâte à papier ne constituait pas une menace
pour la santé publique (par. 5.33-5.34), l’Argentine, elle, a tenté de

démontrer que l’eutrophisation du fleuve et la pollution atmosphérique

139Lancée à l’occasion de la troisième conférence des Nations Unies sur le commerce et
le développement, le 1avril 1972; la charte fut adoptée par l’Assemblée générale des
Nations Unies le 12 décembre 1974.

182présentaient des risques pour la santé humaine 140, et a évoqué des inci-

dents ayant affecté des ouvriers et d’autres employés de l’141ne Botnia
ainsi que d’autres personnes vivant dans les environs .
155. Pourtant, il semble que les Parties ne sont pas allées au bout de
leur argumentation sur les questions générales de santé publique que pou-

vait soulever l’exploitation de l’usine de pâte à papier. Elles ont focalisé
leurs arguments sur les effets environnementaux (qualité de l’eau et équi-
libre écologique) et sur certains types d’incidences sur la qualité de vie,

notamment dans le domaine du tourisme. En fait, elles se sont parti-
culièrement intéressées aux effets sur le tourisme (activités et produits
touristiques) 142, semblant ainsi faire la part belle à des considérations
propres à l’homo oeconomicus.

156. Quoi qu’il en soit, il convient de s’arrêter aussi sur ce que la Cour
a elle-même relevé, dans le présent arrêt en l’affaire des Usines de pâte à
papier (par. 219-224), au sujet de la consultation des populations tou-

chées. Comme je l’ai déjà exposé dans la présente opinion, l’obligation
d’aviser et d’informer les populations concernées découle du principe de
précaution (voir supra). La Cour ne l’a pas dit expressément. Mais, quoi
qu’il en soit, l’attention est appelée sur les populations touchées, au-delà

de la dimension strictement interétatique.
157. Il n’aura échappé à personne que, dans une décision récente (du
13 juillet 2009) — citée dans le présent arrêt (par. 204) — en l’affaire du

Différend relatif à des droits de navigation et des droits connexes (Costa
Rica c. Nicaragua), la Cour a confirmé l’existence d’un droit coutumier
de pratiquer la pêche à des fins de subsistance (arrêt, C.I.J. Recueil 2009 ,
p. 266, par. 143-144) en faveur des habitants des deux rives du fleuve San

Juan. L’Etat défendeur avait répété de façon fort louable qu’il n’avait
«nullement l’intention d’empêcher les résidents costa-riciens de se livrer à
la pêche de subsistance» (ibid., p. 265, par. 140). Après tout, ceux qui

pêchent pour vivre ne sont pas des Etats, ce sont des êtres humains
frappés par la pauvreté. La Cour a conclu en outre que ce droit coutu-
mier était «subordonné à toute mesure de réglementation en matière de
pêche que le Nicaragua pourrait prendre à des fins légitimes, notamment

pour la protection des ressources et de l’environnement» (ibid., p. 266,
par. 141).
158. Cette affaire, comme la présente instance, opposait également des

pays d’Amérique latine. Dans ces deux affaires, la Cour est sortie de la
dimension purement interétatique pour s’intéresser aux populations
concernées. Dans les deux, les Etats en litige ont avancé leurs arguments
à l’appui de leurs prétentions sans perdre de vue la dimension humaine

140Voir mémoire de l’Argentine, par. 5.52, 5.70, 7.96 et 7.162; réplique de l’Argentine,
par. 3.212 et 4.176, et vol. III, annexe 43, par. 4.4.2-4.4.3; CR 2009/14, p. 43-44, par. 14.

141Voir réplique de l’Argentine, par. 0.10.
142Voir mémoire de l’Argentine, par. 6.54-6.63; duplique de l’Uruguay, par. 6.82-6.87.

183sous-tendant celles-ci. Une fois encore, des Etats d’Amérique latine estant

devant la Cour sont restés fidèles à la tradition, dont j’ai déjà fait men-
tion, qui est profondément ancrée dans la conception latino-américaine
du droit international, et qui consiste à ne jamais perdre de vue l’impor-

tance des acquis doctrinaux et des principes généraux de droit. J’ose espé-
rer que la Cour est prête à changer de point de vue pour s’engager plus
résolument au-delà de la dimension interétatique tout en tenant compte

des principes juridiques pertinents, lorsqu’elle exercera sa fonction conten-
tieuse; après tout, l’histoire est là pour nous rappeler que l’Etat est au

service des êtres humains, et non l’inverse.
159. De même que le souci de protéger les droits de l’homme (par
exemple, les droits à l’alimentation et à la santé) se retrouve dans le
143
domaine du droit international de l’environnement , le souci de proté-
ger l’environnement peut également se déduire de la reconnaissance
expresse, dans deux instruments relatifs aux droits de l’homme, du droit
144
à un environnement sain . Les notions modernes de protection des
droits de l’homme et de protection de l’environnement traduisent donc
des préoccupations réciproques 145. Cela ressort, par exemple, de la vision

exposée dans la déclaration de Rio de 1992 sur l’environnement et le
développement, adoptée par la conférence des Nations Unies sur l’envi-
ronnement et le développement (CNUED): cette déclaration place l’être

humain au cŒur des préoccupations liées au développement durable,
tandis que la déclaration et le programme d’action de Vienne de 1993,
adoptés par la deuxième conférence mondiale sur les droits de l’homme,

traitent notamment le développement durable sous l’angle de diffé-
rents aspects du droit international des droits de l’homme.
160. Le fait que la CNUED et la deuxième conférence mondiale sur les

droits de l’homme aient reconnu de façon dénuée d’équivoque, l’une dans
la déclaration de Rio de Janeiro de 1992 et l’autre à Vienne en 1993, la
légitimité du souci, nourri par la communauté internationale tout entière,

143Voir, par exemple, le préambule et le principe 1 de la déclaration de Stockholm sur
l’environnement de 1972, le préambule et les principes 6 et 23 de la charte mondiale de
la nature de 1982, et les principes 1 et 20 proposés par la commission mondiale de
l’environnement et du développement dans son rapport de 1987.
144A savoir le protocole additionnel de 1988 à la convention américaine relative aux
droits de l’homme traitant des droits économiques, sociaux et culturels (art. 11), et la
charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981 (art. 24); dans le protocole,

ce droit est reconnu comme un droit de «toute personne» (art. 10, par. 1), qui doit être
protégé par les Etats parties (art. 10, par. 2), tandis que, dans la charte africaine, il est
reconnu comme un droit des peuples.
145Les juridictions internationales chargées de défendre les droits de l’homme (telles
que les cours européenne et interaméricaine) ainsi que les organes de surveillance de
l’Organisation des Nations Unies (comme le Comité des droits de l’homme) ont, ces der-
nières années, statué sur des affaires touchant directement le droit à un environnement
sain en particulier, et la protection de l’environnement d’une manière générale. Ce serait
excéder l’objet et le but que je me suis fixés dans la présente opinion individuelle que de
m’étendre sur ces décisions; je me bornerai ici à relever que celles-ci reposent sur une
démarche anthropocentrique, et non cosmocentrique.

184de protéger l’environnement et les droits de l’homme constitue l’un des

principaux acquis hérités de ces deux conférences mondiales (dont je
garde un excellent souvenir, ayant participé aux deux), qui favorisera
assurément l’avènement d’une culture universelle fondée sur le

respect des droits de l’homme et sur le souci de l’environnement. Les réfé-
rences répétées à l’humanité, non seulement dans de longs ouvrages
de doctrine modernes mais aussi, et surtout, dans divers instru-
146
ments internationaux , montrent que le droit international n’est plus
exclusivement axé sur l’Etat et annoncent peut-être l’émergence d’un
droit international pour l’humanité, qui viserait à préserver l’environ-

nement et à assurer le développement durable au bénéfice des généra-
tions actuelles et futures. Il est donc temps de repenser les postulats
fondamentaux du droit international en tenant compte des intérêts

et soucis communs de l’humanité, qui revêtent une importance
supérieure.
161. Il est permis de rappeler ici que, il y a près de quarante ans, dans

une affaire en laquelle de graves craintes étaient exprimées pour la santé
humaine et pour le bien-être des populations, les demandeurs insistèrent
devant la Cour sur cette nécessité de dépasser la dimension interétatique.

Dans sa requête introductive d’instance (du 9 mai 1973) en l’affaire des
Essais nucléaires (la première, mentionnée plus haut, concernant les
essais atmosphériques), l’Australie déclara vouloir protéger sa population

et celle d’autres nations, ainsi que leurs descendants, contre les risques
que faisaient peser sur leur vie, leur santé et leur bien-être des radiations
potentiellement nocives engendrées par les retombées radioactives de cer-

146Ainsi, la notion de patrimoine culturel de l’humanité se retrouve, par exemple, dans
les conventions de l’Unesco pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé
(1954), pour la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel (1972), et pour la
sauvegarde du patrimoine culturel immatériel (2003). La notion de patrimoine commun de
l’humanité, quant à elle, a été exprimée dans le domaine du droit de la mer (convention
des Nations Unies de 1982 sur le droit de la mer, partie XI et, en particulier, art. 136-145

et 311, al. 6); déclaration des principes régissant le fonds des mers et des océans, ainsi que
leur sous-sol, au-delà des limites de la juridiction nationale, adoptée par les Nations Unies
en 1970) et dans le domaine du droit relatif à l’espace extra-atmosphérique (traité de 1979
régissant les activités des Etats sur la Lune et les autres corps célestes, art. 11; voir aussi
le traité de 1967 sur les principes régissant les activités des Etats en matière d’exploration
et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps
célestes, article premier). Le patrimoine commun de l’humanité se retrouve également dans
la convention de l’Unesco de 2005 sur la protection et la promotion de la diversité des
expressions culturelles. Enfin, la notion d’intérêt commun de l’humanité a, pour sa part,
été exprimée dans le domaine du droit international de l’environnement, par exemple dans
les préambules de la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques
(1992) et de la convention sur la diversité biologique (1992). Quant aux raisons de l’adop-
tion de cette nouvelle notion, voir Programme des Nations Unies pour l’environnement,
The Meeting of the Group of Legal Experts to Examine the Concept of the Common Con-
cern of Mankind in Relation to Global Environmental Issues(D. J. Attard, dir. publ.
— Proceedings of the Malta Meeting of December 1990), Malte/Nairobi, PNUE, 1991,

Report of the Proceedings , p. 19-26 (corapporteurs A. A. Cançado Trindade et
D. J. Attard).

185taines explosions nucléaires 147. La Nouvelle-Zélande, elle, alla encore

plus loin dans sa propre requête introductive d’instance (également datée
du 9 mai 1973):

«Durant les 27 années lors desquelles des essais nucléaires ont eu
lieu, il a été progressivement pris conscience des risques que ceux-ci

présentaient pour la vie, la santé et la sécurité des peuples et des
nations du monde entier ... L’attitude de la communauté internatio-
nale envers les essais nucléaires atmosphériques découle des dangers

que pose pour la santé des générations actuelles et futures la dissé-
mination de particules radioactives sur de vastes parties de la
planète ... En ce qui concerne les essais d’armes nucléaires engen-
drant des retombées radioactives, l’opinion mondiale a souvent rejeté

l’idée qu’une nation puisse rechercher sa sécurité d’une manière met-
tant en péril la santé et le bien-être d’autres peuples.» 148

162. La Nouvelle-Zélande avait bien précisé qu’elle plaidait non seu-
lement pour son propre peuple, mais aussi pour les populations des îles
149
Cook, Nioué et Tokélaou . Ainsi, regardant au-delà des limites strictes
imposées par le caractère purement interétatique de la fonction conten-
tieuse de la Cour, la Nouvelle-Zélande et l’Australie ont l’une et l’autre

défendu les droits des peuples à la santé, au bien-être, à une vie sans
anxiété ni peur, soit, somme toute, à une vie paisible.
163. Des années plus tard, dans sa requête introductive d’instance (du

13 mai 1989) et dans son mémoire en l’affaire de Certaines terres à phos-
phates à Nauru (Nauru c. Australie) , Nauru se plaignit devant la Cour
de ce que, par le passé, l’autorité administrante avait mené dans les terres

à phosphates de l’île des opérations minières à «visées lucratives», sans
conseiller les Nauruans de manière indépendante jusqu’en 1964. Cette
autorité ne s’était donc pas préoccupée des «besoins à long terme de la

population nauruane», et n’avait pas fait en sorte que l’île fût à nouveau
habitable par les Nauruans en remettant en état ses terres à phosphates.
La période de tutelle étant terminée (sans que l’autorité concernée assume
réellement ses responsabilités vis-à-vis du public), Nauru vint défendre les

«besoins à long terme» de ses habitants et la remise en état de l’île (c’est-
à-dire de ses terres à phosphates) afin «d’assurer l’avenir à long terme du
peuple nauruan» 15.

164. Cet épisode révèle qu’il était déjà clair dans les esprits que le bien-
être des peuples n’était pas limité dans le temps. Bien au contraire, il

147
Elle se référa également aux populations souffrant de stress psychologique et
d’anxiété à cause de la peur engendrée par ces essais; C.I.J. Mémoires, Essais nucléaires
(A148ralie c. France), vol. I, p. 11 et 14.
149C.I.J. Mémoires, Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France) , vol. II, p. 7.
Ibid.,p.4et8.
150C.I.J. Mémoires, Certaines terres à phosphates à Nauru (Nauru c. Australie) , vol. I,
p. 10-11, 17, 170, 174, 245 et 247.

186s’inscrit même dans le long terme, comme l’illustre l’affaire relative à

Certaines terres à phosphates à Nauru . Cette perception générale découle
aujourd’hui d’un ensemble de facteurs, à savoir l’émergence des principes
de prévention et de précaution, auxquels s’ajoutent le principe du déve-

loppement durable et l’équité intergénérationnelle, que j’ai déjà examinés
(voir supra). Le droit international de l’environnement, qui s’est cristal-
lisé à la lumière de ces principes généraux, valorise pleinement la notion
151
de productivité durable , en prêtant l’attention voulue aux impératifs
liés à la santé humaine et au bien-être des populations.

2. Le rôle de la société civile dans la protection de l’environnement

165. Dans la présente affaire desUsines de pâte à papier, l’Argentine a
indiqué que son contentieux interétatique avec l’Uruguay avait vu le jour
lorsque, «[l]e 9 octobre 2003, le Gouvernement de l’Uruguay a[vait] auto-

risé de manière unilatérale» la construction de l’une des deux usines de
pâte à papier (par l’entreprise espagnole ENCE, projet CMB) près de la
localité de Fray Bentos, sans respecter la «procédure d’information et de

consultation préalables» prescrite par le statut du fleuve Uruguay de
1975 152. En octobre 2004, ce différend entre Etats s’est «aggravé» lorsque
l’entreprise finlandaise Botnia «a communiqué aux autorités uruguayen-

nes son projet de construction d’une deuxième usine de pâte à papier dans
la même zone de la rive gauche du fleuve Uruguay, à une distance de
moins de 7 kilomètres de CMB, dénommé «Orion»» . Pourtant, 153

lorsqu’on regarde au-delà de la perspective interétatique, l’affaire se révèle
bien plus ancienne, remontant à une initiative prise le 14 décembre 2001
par une organisation non gouvernementale (ONG) argentine.

166. En fait, dans son contre-mémoire, l’Uruguay a noté que la CARU
avait été informée de la mise en service de l’usine ENCE à sa séance plé-
nière du 14 décembre 2001, lorsqu’elle avait pris connaissance d’«une lettre

d’une organisation non gouvernementale établie en Argentine dans laquelle
étaient exprimées des préoccupations au sujet d’informations indiquant

qu’une usine de cellulose allait être construite dans les environs de Fray
Bentos» (par. 3.16). Cette ONG s’appelait «Mouvement pour la vie, le tra-
vail et le développement durable» M ( ovimiento por la Vida, el Trabajo y

un Desarrollo Sustentable — MOVITDES); dans sa lettre à la CARU, 154
datée du 16 novembre 2001 et annexée au contre-mémoire de l’Uruguay ,

151
Voir, en ce sens, H. Hohmann, Precautionary Legal Duties and Principles of
Modern International Environmental Law — The Precautionary Principle: International
Environmental Law between Exploitation and Protection , Londres/Dordrecht, Graham
& Trotman/Nijhoff, 1994, p. 4, 334, 340-341 et 344-345.
152Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay) , requête intro-
ductive d’instance du 4 mai 2006, par. 9.
153Ibid., par. 12.
154Contre-mémoire de l’Uruguay, vol. IV, annexe 92, p. 2185 (procès-verbal de la
CARU n o 14/01, séance plénière ordinaire du 14 décembre 2001).

187l’ONG exposait «le risque environnemental lié à l’installation et à l’exploi-

tation d’une usine de pâte de cellulose dans la région de M’Bopicuá», en
Uruguay 155. A ce sujet, l’Argentine a mis l’accent dans sa réplique sur la
«manière tout à fait indirecte dont la CARU a[vait] pris connaissance de

l’existence des projets d’usine de pâte à papier dans la région de Fray Ben-
tos», puisque c’était «une ONG argentine de la province d’Entre Ríos qui
a[vait] attiré l’attention de la CARU sur des rumeurs concernant l’établis-

sement des usines de pâte à papier sur la rive opposée» (par. 2.33).
167. Partant, l’origine réelle de la présente affaire, qui oppose l’Argen-

tine et l’Uruguay, remonte à la fin 2001, lorsqu’une entité non étatique,
une ONG argentine, a fait part de ses craintes à un organe international,
la CARU, en appelant son attention sur une question d’intérêt public

d’importance considérable touchant la population locale, notamment les
risques pour l’environnement. Les gouvernements des deux Etats concer-
nés ne sont entrés en jeu que deux ans plus tard, à partir d’octobre 2003,

lorsque le différend est devenu une affaire interétatique (supra). Cela
montre, selon moi, combien la conception purement interétatique est arti-
ficielle lorsqu’il s’agit de faire face à des gageures touchant l’intérêt public

général, comme celles qui concernent la protection de l’environnement.
168. Quoi qu’il en soit, dans sa réplique, l’Argentine a pris note du
rôle que les ONG pouvaient jouer dans la mise en Œuvre du principe de

l’évaluation de l’impact sur l’environnement (EIE), dont «la consultation
du public est partie intégrante» (par. 4.105). L’Argentine a relevé à cet
égard que, pour tenir de «véritables consultations avec la population
156
concernée», les ONG devaient prendre part au processus . Au cours de
la procédure qui s’est déroulée devant la Cour dans la présente affaire des
Usines de pâte à papier, l’Argentine et l’Uruguay ont tous deux évoqué à

différents moments le rôle des ONG dans l’évaluation de l’impact sur
l’environnement 157 ainsi que dans le cadre de la surveillance de l’environ-
nement 158. Je m’en félicite, puisqu’ils ont ainsi reconnu expressément l’un

et l’autre qu’un partenariat entre pouvoirs publics et acteurs de la société
civile était incontournable lorsqu’il s’agissait de l’intérêt public général, et

notamment de protéger l’environnement.
169. Ce partenariat a bel et bien existé dans la présente affaire des
Usines de pâte à papier. Au fil du temps, plusieurs ONG argentines et

155Contre-mémoire de l’Uruguay, vol. IV, annexe 92, p. 2185 (procès-verbal de la
o
CARU n 14/01, séance plénière ordinaire du 14 décembre 2001).
156
Elle s’est aussi référée à la pratique de la Banque mondiale et, en particulier, au rapport
d’enquête du groupe d’inspection au Paraguay, intitulé «Paraguay: projet de réforme dans les
secteurs de l’eau et des télécommunications», dans lequel il était indiqué que la politique rela-
tive à l’EIE exigeait que «les vues des personnes touchées et des ONG locales [soient] pleine-
ment prises en considération, en particulier au stade de l’élaboration de l’EIE» (par. 4.102,
note 1030). Voir aussi mémoire de l’Argentine, par. 4.104, note 1036.
157Voir mémoire de l’Argentine, par. 5.62; contre-mémoire de l’Uruguay, par. 5.41 et
7.28.
158Voir contre-mémoire de l’Uruguay, par. 7.28-7.29.

188uruguayennes ont effectivement formulé des observations au sujet des

deux projets d’usine de pâte à papier, les projets CMB et Orion (supra):
se sont notamment exprimées, documents à l’appui, en sus de l’organisa-
tion MOVITDES dont j’ai déjà parlé, les ONG dénommées Redes Ami-
gos de la Tierra, Fundación Movimiento Mundial por los Bosques Tropi-
cales, Asociación Soriano para la Defensa de los Recursos Naturales ,

Grupo Ecológico de Young , Grupo Guayubira (groupe environnemental
actif dans le domaine des forêts et de la foresterie) et Redes Socioambien-
tales de Entre Ríos 159. C’est là un fait qui ne devrait pas passer inaperçu
et qui est bien établi dans les éléments que les Parties en litige ont soumis

à la Cour lors de la phase écrite de l’instance. Les gouvernements concer-
nés ont pu compter sur la coopération des acteurs de la société civile de
leurs deux pays, l’Uruguay et l’Argentine.
170. De l’épisode qui précède, il s’ensuit que les ONG des deux Etats

concernés ont effectivement contribué à éclaircir la question en litige dans
la présente affaire des Usines de pâte à papier. En outre, ainsi qu’exposé
plus haut, elles ont manifesté leur présence au cours du processus de
consultation mené auprès de la population locale (voir supra). Donc,

pour ce qui est de la construction de l’une des deux usines de pâte à
papier — l’usine Orion (Botnia) —, il y a bien eu consultation publique
de segments des populations touchées (également sous la forme de nom-
breux entretiens menés notamment avec des ONG et d’autres groupes de

la société civile), tant avant qu’après la délivrance de l’autorisation envi-
ronnementale préalable, et des deux côtés du fleuve Uruguay — ce dont
la Cour a d’ailleurs pris note dans le présent arrêt (par. 213-214).
171. Le fait que des ONG et d’autres acteurs de la société civile se
soient exprimés dès les origines mêmes de l’affaire et par la suite confirme

encore à mes yeux que, dans le domaine qui nous occupe — la protection
de l’environnement —, les ONG et autres entités de la société civile ont,
ces dernières décennies, véritablement contribué à éveiller la prise de
conscience environnementale des Etats eux-mêmes, à cristalliser les prin-

cipes de prévention et de précaution, et à façonner l’opinio juris commu-
nis relative à la protection de l’environnement. Il s’agit là d’un domaine
qui transcende assurément la dimension interétatique traditionnelle. Leur
contribution a bénéficié aux Etats et, en définitive, aux populations de ces

derniers.

3. Au-delà de la réciprocité: les obligations à caractère objectif

172. L’évolution de la protection de l’environnement témoigne aussi
de l’émergence d’obligations objectives ne présentant pas d’avantages
réciproques pour les Etats. Ainsi, dans la déclaration de Stockholm sur

l’environnement de 1972, il est fait expressément référence au «bien de
l’humanité» (principe 18). La déclaration de Rio sur l’environnement et

159Voir mémoire de l’Argentine, vol. V, annexe 12, p. 704; contre-mémoire de
l’Uruguay, vol. II, annexe 12, p. 1.

189le développement de 1992, elle, débute en précisant que «[l]es êtres

humains sont au centre des préoccupations relatives au développement
durable» (principe 1), tandis que la convention-cadre des Nations Unies
sur les changements climatiques, également adoptée à Rio de Janeiro en

1992, indique que l’obligation de protéger le système climatique est dans
«l’intérêt des générations présentes et futures» (art. 3, par. 1).
173. Les règles visant à protéger l’environnement sont adoptées, et les

obligations en ce sens contractées, dans l’intérêt supérieur de l’humanité
tout entière. Cela a été expressément reconnu dans certains traités consacrés
à l’environnement 160; cette reconnaissance ressort aussi implicitement des

références à la «santé humai161 figurant dans certains traités concernant le
droit de l’environnement . De plus, la convention des Nations Unies de
1997 sur le droit relatif aux utilisations des cours d’eau internationaux à des
fins autres que la navigation, par exemple, prévoit que les Etats riverains

«se consultent en vue de négocier de bonne foi» les accords concernant leur
cours d’eau commun (art. 3, par. 5). Dans plusieurs traités relatifs au droit
de l’environnement, les obligations des Etats parties sont clairement formu-

lées en termes impératifs (par l’utilisation du présent injonctif). Un exemple,
parmi tant d’autres, est celui de la convention d’Espoo adoptée en 1991 par
la Commission économique pour l’Europe sur l’évaluation de l’impact sur

l’environnement dans un contexte transfrontière (art. 2 à 7). Dans le statut
du fleuve Uruguay de 1975 — l’instrument applicable dans la présente
affaire des Usines de pâte à papier —, le même langage impératif apparaît

(présent injonctif) au sujet des obligations procédurales (art. 7 et 8 et 10
à 12) ainsi que pour les obligations de fond (art. 36); les articles 35 et 41,
également consacrés à des obligations de fond, énoncent de même des obli-

gations claires à la charge des Etats parties (verbe «s’obligent»).
174. Dans le domaine de la protection, par exemple de l’environne-
ment, c’est le caractère objectif des obligations qui importe en définitive.

Il n’y a guère de place ici pour le «laisser faire, laisser passer». Je ne suis
pas vraiment convaincu par la distinction ontologique que d’aucuns pré-
tendent voir entre les obligations procédurales et les obligations de fond
(ce qui me rappelle les polémiques stériles et interminables ayant opposé

160Voir, par exemple, les préambules du traité interdisant de placer des armes nucléaires
et d’autres armes de destruction massive sur le fond des mers et des océans ainsi que dans
leur sous-sol; de la convention de 1972 sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrica-
tion et du stockage des armes bactériologiques (biologiques) ou à toxines et sur leur
destruction; de la convention de 1977 sur l’interdiction d’utiliser des techniques de modi-
fication de l’environnement à des fins militaires ou toutes autres fins hostiles; de la con-
vention de 1972 sur la prévention de la pollution des mers résultant de l’immersion de

déchets et autres matières; de la convention de 1974 pour la prévention de la pollution
marine d’origine tellurique; de la convention de 1972 pour la prévention de la pollution
marine par les opérations d’immersion effectuées par les navires et aéronefs; et de la con-
ve161on de l’Unesco de 1972 pour la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel.
Voir, par exemple, la convention de Vienne de 1985 pour la protection de la couche
d’ozone, préambule et article 2; le protocole de Montréal de 1987 relatif à des substances
qui appauvrissent la couche d’ozone, préambule; et l’article premier des trois conventions
relatives à la pollution marine susmentionnées.

190les juristes respectivement versés dans les branches procédurale et subs-

tantielle du droit); plus souvent qu’on ne le pense, «la forme conforme le
fond». Je ne suis pas non plus persuadé qu’il faille avoir recours à la dis-
tinction peu satisfaisante qui est souvent faite entre obligations de com-

portement et obligations de résultat, en particulier lorsqu’il s’agit de la
protection, et notamment de celle de l’environnement. Dans le présent

arrêt en l’affaire des Usines de pâte à papier, la Cour a au moins admis
que, en matière de prévention, il existait un «lien fonctionnel» entre les
obligations procédurales et les obligations de fond énoncées dans le statut

du fleuve Uruguay de 1975 (par. 79).
175. Pour bien apprécier le caractère objectif des obligations de pro-
tection dans un domaine tel que le droit international de l’environne-

ment, il faut, là encore, rappeler l’importance des principes de droit. Mal-
heureusement, la Cour ne l’a pas fait dans le présent arrêt. Par exemple,
lorsqu’elle invoque brièvement, de manière incidente, le principe de la

bonne foi (s’agissant de la mise en Œuvre du mécanisme de coopération
établi dans le statut de 1975, par. 145), elle se raccroche immédiatement

au droit international coutumier, comme si les principes généraux rele-
vaient de ce dernier. Tel n’est pas le cas. Au contraire, de mon point de
vue, ces principes orientent l’évolution du droit international coutumier

aussi bien que conventionnel.
176. En effet, le principe de la bonne foi dans l’exécution des obliga-
tions internationales (pacta sunt servanda) est généralement considéré
162
comme étant le fondement de l’ordre juridique international lui-même .
Le principe pacta sunt servanda — exprimé à travers celui de la bonne foi
(bona fides) 163 — transcende en effet à la fois le droit international cou-

tumier et le droit international conventionnel, pour s’élever au rang de
principe général du droit international . Son insertion dans la convention

de Vienne de 1969 sur le droit des traités (art. 26 et préambule) présentait
un caractère clairement axiomatique: il apparaissait ainsi dans une conven-
tion de codification qui consacrait formellement sa vocation générale. Cela

étant, bien avant d’être ainsi reconnu dans la convention de Vienne de
1969, le principepacta sunt servanda était déjà, ainsi qu’indiqué plus haut,
considéré dans la pratique comme un véritable principe général du droit
165
international, qui était largement reconnu dans la jurisprudence .

162G. White, «The Principle of Good Faith», The United Nations and the Principles of
International Law — Essays in Memory of M. Akehurst (V. Lowe et C. Warbrick, dir.
publ.), Londres/New York, Routledge, 1994, p. 231 et 236.
163M. Lachs, «Some Thoughts on the Role of Good Faith in International Law», De-
clarations on Principles, a Quest for Universal Peace — Liber Amicorum Discipulorumque

B. V. A. Roling, Leyde, Sijthoff, 1977, p. 47-55; Clive Parry, «Derecho de los Tratados»,
Manual de Derecho Internacional Público (M. Sørensen, dir. publ.), 5réimp., Mexico,
Fondo de Cultura Económica, 1994, p. 200-201 et 229. e
164Ian Brownlie, Principles of Public International Law ,5 éd., Oxford, University
Press, 1998, p. 620.
165E. de la Guardia et M. Delpech, El Derecho de los Tratados y la Convención de
Viena, Buenos Aires, La Ley, 1970, p. 276.

191 177. Le champ d’application du principepacta sunt servanda, ainsi que

la question ultime de la validité des normes du droit international, trans-
cendent naturellement le domaine particulier du droit des traités ; le prin-66

cipe pacta sunt servanda est, en tout état de cause, profondément ancré
dans le système juridique international tout entier . La bonne foi est, en

fait, inhérente à tout ordre juridique, guidant le comportement des sujets de
droit. Quatre ans après l’adoption de la déclaration des Nations Unies

de 1970 relative aux principes du droit international touchant les rela-
tions amicales et la coopération entre les Etats, la Cour, dans la (première)

affaire des Essais nucléaires (1974), mit l’accent dans un célèbreobiter
dictum sur le caractère fondamental du principe de la bonne foi, en décla-

rant que:

«L’un des principes de base qui président à la création et à l’exécu-
tion d’obligations juridiques, quelle qu’en soit la source, est celui de

la bonne foi. La confiance réciproque est une condition inhérente
de la coopération internationale, surtout à une époque où, dans
bien des domaines, cette coopération est de plus en plus indis-
168
pensable.»

178. A plusieurs autres occasions, dans une jurisprudence constante, la
Cour a appelé l’attention sur le principe de la bonne foi, dans des circonstan-
169 170
ces extrêmement variées , y compris au sujet de l’obligation de négocier.

166 Voir J. L. Brierly, The Basis of Obligation in International Law , Oxford, Clarendon
Press, 1958, p. 65; J. L. Brierly, The Law of Nations,6 e éd., Oxford, Clarendon Press,
1963, p. 54.
167 S’agissant de l’histoire du principe pacta sunt servanda et de son évolution dans la

doctrine, voir, par exemple, M. Sibert, «The Rule Pacta Sunt Servanda : From the Middle
Ages to the Beginning of Modern Times», Indian Yearbook of International Affairs
(1956), vol. 5, p. 219-226; J. B. Whitton, «La règle pacta sunt servanda », Recueil des
cours de l´Académie de droit international de La Haye (RCADI) , t. 49 (1934), p. 151-268.
168 (Premières) affaires des Essais nucléaires (Australie c. France) (Nouvelle-Zélande
c. France) (essais atmosphériques), arrêt, C.I.J. Recueil 1974 , p. 473, par. 49.
169
Voir, par exemple, les affaires suivantes: Délimitation de la frontière maritime dans
la région du golfe du Maine (Canada/Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 1984 ,
p. 305, par. 130; Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci
(Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), compétence et recevabilité, arrêt,
C.I.J. Recueil 1984, p. 414, par. 51, p. 418, par. 60, et p. 419, par. 63; Actions armées
frontalières et transfrontalières (Nicaragua c. Honduras), compétence et recevabilité,

arrêt, C.I.J. Recueil 1988, p. 105, par. 94; Projet Gabc ˇíkovo-Nagymaros (Hongrie/
Slovaquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1997, p. 66, par. 109, p. 67, par. 112, et p. 78, par. 142;
Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria),
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1998 , p. 296, par. 38.
170 Voir, par exemple, les affaires suivantes: Compétence en matière de pêcheries
(Royaume-Uni c. Islande), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1974 , p. 30, par. 69-70; Interpréta-

tion de l’accord du 25 mars 1951 entre l’OMS et l’Egypte, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 1980, p. 92, par. 43, et p. 95, par. 48; Délimitation de la frontière maritime
dans la région du golfe du Maine (Canada/Etats-Unis d’Amérique), arrêt,
C.I.J. Recueil 1984, p. 292, par. 87; Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes
nucléaires, avis consultatif , C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 263, par. 99, et p. 264, par. 102;
Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria;

Guinée équatoriale (intervenant)), arrêt , C.I.J. Recueil 2002, p. 424, par. 244.

192A cet égard, la Cour a estimé, dans un autreobiter dictum formulé dans les

affaires du Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale
d’Allemagne/Danemark; République fédérale d’Allemagne/Pays-Bas) ,
qu’«[i]l s’agi[ssai]t là, sur la base de préceptes très généraux de justice et de
bonne foi, de véritables règles de droit en matière de délimitation des pla-

teaux continentaux limitrophes» a (rrêt, C.I.J. Recueil 1969, p. 46-47,
par. 85). Il existe toujours desprima principia, dont les normes et les règles
émanent; en somme, de mon point de vue, que j’exprime dans la présente
opinion individuelle, le principe de la bonne foi occupe une place centrale

en droit international et dans le cadre de tous les systèmes juridiques, aux-
quels il confère une base éthique, en s’inscrivant assurément en amont du
droit positif.

4. La personnalité juridique de la CARU

179. L’examen des questions en litige dans la présente affaire des
Usines de pâte à papier nous conduit, s’agissant d’un autre aspect encore,

à dépasser la dimension strictement interétatique, la Cour ayant à juste
titre reconnu la personnalité juridique de la CARU, telle qu’établie à
l’article 50 du statut du fleuve Uruguay de 1975. L’Uruguay et l’Argen-
tine n’ont toutefois pas tiré les mêmes conclusions de cette personnalité

juridique, d’où la nécessité d’examiner et de peser leurs arguments res-
pectifs en la matière.
180. Dans son exposé du 23 septembre 2009 sur la nature juridique de
la CARU en tant que mécanisme institutionnel mixte, le conseil de l’Uru-

guay a soutenu que les commissions internationales fluviales sont créées
par les Etats membres, qui sont «libres de s’écarter du mécanisme com-
mun lorsque cela sert leur objectif et c’est ce qu’ils font souvent» 17.
Reconnaissant que la CARU était une entité juridique (article 50 du sta-

tut) habilitée à «conclu[re] ..., avec les deux parties, les accords néces-
saires pour préciser les privilèges et immunités reconnus à ses membres
et à son personnel par la pratique internationale» (art. 54), le conseil de
l’Uruguay a toutefois ajouté qu’elle n’était pas un organe autonome mais

que, en fait, elle était les parties elles-mêmes, c’est-à-dire «un instrument
des ministères des affaires étrangères des deux parties» 172. Il a souligné
que la manière dont la CARU prenait ses décisions dépendait totalement
de la volonté des deux parties; dès lors, selon lui, l’Argentine et l’Uru-

guay étaient libres de traiter la question du projet Botnia directement, au
sommet de l’Etat, et non par l’intermédiaire de la CARU.
181. L’Argentine, de son côté, a déclaré que la CARU jouait un rôle
crucial en assurant l’intégrité du statut de 1975 et la bonne administra-

tion du mécanisme de coopération. Pour elle, l’article 7 du statut de 1975
conférait expressément à la CARU le pouvoir de déterminer ce qu’il en

171CR 2009/18, p. 42, par. 21 (McCaffrey).
172Ibid., p. 43, par. 30.

193est173, et donc de décider 174. Dans son mémoire et sa réplique, l’Argen-

tine a soutenu que les termes utilisés démontraient que la CARU était
habilitée à prendre une décision (contraignante) aux fins de l’article 7 du
statut de 1975 175.

182. L’Uruguay a quant à lui rétorqué que la CARU constituait seu-
lement un moyen de faciliter la communication entre les parties, mais
n’avait aucun pouvoir de décision à l’égard du projet 17. Dans son argu-

mentation, il a donc minimisé le rôle conféré à la CARU par les articles 7
à 12 du statut de 1975 pour le limiter à un examen technique préliminaire,
à une fonction de vérification. Selon lui, la CARU — une entité inter-

gouvernementale, dont les organes «exécutifs» sont les délégations dési-
gnées par les deux Etats membres — favorisait la conciliation entre les
parties, contribuant ainsi à mettre en Œuvre le système de coopération

établi dans le statut de 1975.
183. Pourtant, l’article 50 du statut de 1975 indique que la CARU
«jouit de la personnalité juridique dans l’accomplissement de ses fonc-

tions», et que les parties «lui attribuent les ressources nécessaires, ainsi
que tous les éléments et facilités indispensables à son fonctionnement».
La CARU est donc dotée d’une personnalité juridique, comme la Cour

l’a à juste titre relevé dans le présent arrêt (par. 87). Dans un rapport de
1987, dans lequel un ancien président de la CARU (issu de la délégation
argentine) analyse les compétences de cet organe et la mesure dans

laquelle elles sont exercées (dans le cadre de sa sous-commission des
questions juridiques et institutionnelles), il est dit que l’article 7 du statut

«[r]end la notification de la CARU obligatoire pour chaque partie

envisageant de construire de nouveaux chenaux, modifier ou trans-
former, de manière importante, des chenaux existants ou réaliser de
quelconques autres ouvrages d’envergure suffisante pour avoir un im-

pact sur la navigation, le régime du fleuve ou la qualité de ses eaux,
de façon à ce que la CARU se prononce en première instance » 177.

184. Le statut de 1975 confère aussi à la CARU le pouvoir de conclure
des accords avec les deux parties pour réglementer les «privilèges et immu-
nités reconnus à ses membres et à son personnel par la pratique interna-

tionale» (art. 54), et pour établir «les organes subsidiaires qu’elle juge
nécessaires» (art. 52). Ainsi, outre ses fonctions de conciliation et de coor-
dination, la CARU a également ces fonctions d’encadrement, de contrôle

technique et de réglementation. De plus, la procédure de conciliation de la

173Article 7 du statut de 1975 — «détermine».
174Aux termes du deuxième paragraphe: «S’il en est ainsi décidé ou si une décision
[decisión en espagnol] n’intervient pas à cet égard, la partie intéressée notifie le projet à
l’autre partie par l’intermédiaire de la Commission.»
175Mémoire de l’Argentine, par. 3.66-3.70; réplique de l’Argentine, par. 1.158-1.160.

176
177Contre-mémoire de l’Uruguay, par. 2.189-2.205; voir aussi vol. IV, annexes 82 et 84.
Ibid., vol. IV, annexe 85; les italiques sont de moi.

194CARU est posée comme une obligation (art. 58-59). Ses mesures de coor-

dination et sa participation au régime de consultation font de la CARU
l’instance idéale au sein de laquelle les parties peuvent présenter et exposer

leurs différends et désaccords, sans avoir à s’adresser directement à d’autres
instances, comme la Cour, pour régler leurs différends.

185. L’Uruguay a cru bon d’annexer à son contre-mémoire le procès-
verbal d’une réunion technique et juridique (Encuentro Técnico-Jurídico)
qui a eu lieu au siège de la CARU les 17 et 18 septembre 1987 178. Dans ce

document, il est reconnu à plusieurs reprises que celle-ci jouit d’une per-
sonnalité juridique propre 179, distincte et indépendante de celle des deux
180
Etats parties — au statut de 1975 — qui l’ont créée . Sa capacité juri-
dique est également reconnue 18. Lors de cette réunion, les commissions

fluviales furent également envisagées dans une perspective comparative;
ainsi, un spécialiste éminent, Julio Barberis (que l’Argentine et l’Uruguay
ont tous deux cité en l’espèce), déclara à cette occasion, le 18 septem-

bre 1987, qu’il existait différents systèmes de coopération entre Etats rive-
rains, allant de contacts directs entre les ministères des affaires étrangères

ou d’autres entités des Etats concernés jusqu’à la création de commis-
sions internationales fluviales dont chacune opérait de même selon ses
182
caractéristiques propres .

178 Contre-mémoire de l’Uruguay, vol. IV, annexe 72.
179
CARU, Encuentro Técnico-Jurídico Realizado en la Sede de CARU , 17 et 18 sep-
te180e 1987, p. 16, 39 et 44-45.
Ibid.,p.44.
181 Voir ibid.,p.35.
182 Ainsi que J. Barberis le déclara lui-même, lors de ce symposium de 1987 à la
CARU:

«Entre las diversas instituciones o sistemas de cooperación que los Estados crean
para realizar aprovechamientos hidráulicos, se encuentran las Comisiones Fluviales
Internacionales, como las del Rhin y del Danubio. Estas organizaciones poseen una
determinada personalidad jurídica internacional. Pero ... el sistema de la Cuenca del

Plata instituído por el Tratado de Brasília carece de personalidad jurídica
internacional... El establecimiento de Comisiones Fluviales Internacionales es sólo
una forma o modo de cooperar entre los Estados, entre varias otras posibles, para
llevar a cabo un aprovechamiento hidráulico. Sin embargo, conviene añadir que
la técnica de crear Comisiones Fluviales Internacionales es una forma utilizada con
frecuencia y desde antiguo por los Estados, y que, justamente, la primera organiza-
ción internacional fue una Comisión Fluvial: la Comisión del Rhin, creada en 1804
mediante un tratado entre Francia y el Sacro Imperio.» (Ibid., p. 64.)

«Parmi les divers institutions ou systèmes de coopération que les Etats mettent en
place pour réaliser des aménagements hydrauliques figurent les commissions fluviales
internationales comme celles du Rhin et du Danube. Ces organisations possèdent une
personnalité juridique internationale déterminée. Mais... le système du bassin de la
Plata institué par le traité de Brasília est dépourvu d’une telle personnalité... La mise
en place de commissions fluviales internationales n’est qu’un mode de coopération
parmi d’autres permettant aux Etats de réaliser des aménagements hydrauliques. Il

convient toutefois d’ajouter que les Etats l’utilisent fréquemment et depuis longtemps,
et que la première organisation internationale fut précisément une commission flu-
viale, la Commission du Rhin, créée en 1804 par un traité conclu entre la France et le
Saint-Empire.» (Ibid., p. 64.)

195 186. Le statut de 1975 a donc établi, au-delà d’une stricte coopération
bilatérale directe entre les deux Etats concernés, un cadre institutionnel

pour la mise en Œuvre de ses dispositions. Dans le présent arrêt en
l’affaire des Usines de pâte à papier, la Cour a fait observer que, «comme
toute organisation internationale dotée de la personnalité juridique, la
CARU est habilitée à exercer les compétences qui lui sont reconnues par
le statut de 1975 et qui sont nécessaires à la réalisation de l’objet et du but

de celui-ci»; la nouveauté en l’espèce — a ajouté la Cour — est que cela
s’applique aussi, lorsque sont mis en Œuvre les intérêts communs des
Etats parties, à des organisations qui, «comme la CARU, ne comportent
que deux Etats membres» (par. 89).

187. Il est, à mon sens, très difficile de concilier cette reconnaissance
par la Cour de la personnalité juridique de la CARU (par. 87 et 89) avec
l’indulgence dont elle fait preuve à l’égard de l’«arrangement» adopté
par les parties lors de la réunion ministérielle du 2 mars 2004 (par. 131).
Ainsi qu’exposé dans la section suivante (XIII) de la présente opinion

individuelle, cet «arrangement» ne respecte pas le principe de précaution.
En outre, une procédure était prévue aux articles 7 à 12 du statut de 1975,
et les parties devaient s’y tenir. La Cour n’aurait pas dû, au para-
graphe 131 du présent arrêt, céder à la volonté des Etats, la procédure éta-
blie par le statut (aux articles 7 et 8 et 10 à 12) étant obligatoire (présent

injonctif) et non facultative.
188. Aucune disposition du statut du fleuve Uruguay de 1975, consi-
déré par la Cour comme le droit applicable en l’espèce, ne pouvait ame-
ner les Parties — l’Uruguay et l’Argentine — à s’estimer autorisées à
passer un «arrangement», comme elles l’ont fait, en contournant la pro-

cédure prévue dans le statut de 1975. Dès lors, ledit statut n’autorisait pas
davantage la Cour à postuler, comme elle l’a fait, que les Parties étaient
«habilitées à s’écarter» de la procédure dictée par le statut (par. 128); la
CARU était incontournable.
189. Qui plus est, le caractère obligatoire de la procédure prévue dans

le statut ressort clairement de la conclusion de la Cour (par. 266) selon
laquelle les deux Parties sont tenues de veiller à ce que la CARU «puisse
continûment exercer les pouvoirs que lui confère le statut», et «de pour-
suivre leur coopération par l’intermédiaire de la CARU et de permettre à
cette dernière de développer les moyens nécessaires à la promotion de

l’utilisation équitable du fleuve, tout en protégeant le milieu aquatique»
(ibid.). Ces obligations continues viennent s’ajouter à leur obligation
initiale, prescrite par le statut de 1975, d’informer l’autre partie via la
CARU avant d’autoriser la construction ou la mise en service d’ou-
vrages, une obligation qui est «essentielle dans le processus qui doit

mener les parties à se concerter pour évaluer les risques du projet et négo-
cier les modifications éventuelles susceptibles de les éliminer ou d’en
limiter au minimum les effets» (par. 115), pour parer ainsi aux «préju-
dices éventuels» (par. 113).

190. Pour être dotée de la personnalité juridique, une organisation
internationale (quel que soit le nombre de ses Etats membres) doit néces-

196sairement satisfaire à certaines conditions préalables objectives avant de

pouvoir exister comme telle, et commencer à exercer ses fonctions. L’orga-
nisation en question doit avoir été créée d’un commun accord par les
Etats concernés, être composée d’organes permanents lui permettant
d’exprimer ses propres vues (qui ne coïncideront pas toujours avec celles

des Etats membres particuliers la composant) et avoir ses propres objec-
tifs, qu’elle devra réaliser précisément en exerçant scrupuleusement ses
fonctions. Tel est le cas de la CARU, une entité internationale qui sort du
cadre strictement interétatique.

XIII. L ES PRINCIPES FONDAMENTAUX EN TANT QUE SUBSTRAT
DE L ORDRE JURIDIQUE LUI MÊME

191. Les principes généraux de droit ont donc inspiré non seulement
l’interprétation et l’application des normes juridiques, mais aussi leur éla-
boration même. Ils reflètent l’opinio juris, elle-même à la base de la créa-

tion du droit. Ils se retrouvent tant au niveau national qu’à l’échelle
internationale. Ce sont des principes juridiques élémentaires qui consti-
tuent les fondements mêmes du système juridique et révèlent les valeurs et
les fins ultimes de l’ordre juridique international, guidant celui-ci, le pro-

tégeant contre les incongruités de la pratiqu183es Etats et répondant aux
besoins de la communauté internationale .

192. Ces principes, en tant qu’ils expriment l’«idée de justice», ont une

portée universelle, doivent être respectés par tous les Etats et assurent la
cohésion du droit. Ils ne sont évidemment pas soumis à la «volonté» des
sujets de droit, pas plus qu’à leur «accord» ou à leur consentement; ils
touchent aux fondements de l’indispensable droit des gens. Au-dessus de

la volonté des sujets de droit réside leur conscience, source ultime de tout
droit.

193. Si des doutes sont exprimés quant au champ d’application des
principes fondamentaux qui imprègnent l’ordre juridique international
tout entier, il incombe au juriste de les dissiper et de ne pas les perpétuer,
afin que le droit puisse jouer son rôle fondamental, à savoir faire préva-

loir la justice dans le règlement des différends. Certes, ce sont les normes
qui sont juridiquement contraignantes, mais, lorsqu’elles s’écartent des
principes, leur application risque de donner lieu à des violations des
droits en cause ainsi qu’à des distorsions et à des injustices, et à des vio-

lations de l’ordre juridique dont il s’agit lui-même.
194. Pour en revenir à la présente affaire des Usines de pâte à papier,
l’on peut à présent poser la question suivante: si le principe de précaution

183
G. Cohen-Jonathan, «Le rôle des principes généraux dans l’interprétation et
l’application de la Convention européenne des droits de l’homme», Mélanges en hom-
mage à L. E. Pettiti, Bruxelles, Bruylant, 1998, p. 192-193.

197avait été systématiquement respecté, cela aurait-il changé quoi que ce soit
au contentieux aujourd’hui réglé par la Cour au moyen du présent arrêt?

Ma réponse est oui, très certainement. Je reviendrai à cet égard sur l’atti-
tude des deux Parties en litige et sur celle de la Cour elle-même. Si le prin-
cipe de précaution avait été gardé à l’esprit, en tout temps, par les deux
Etats concernés, y compris lors de la réunion ministérielle du 2 mars 2004

qui déboucha sur leur «arrangement» (consigné dans le procès-verbal de
la CARU) examiné dans le présent arrêt (par. 125-131), cet «arrange-
ment» — qui tendait d’une certaine façon à éviter ou court-circuiter la
procédure établie aux articles 7 à 12 du statut de 1975 (en particulier à
l’article 7) — n’aurait selon toute probabilité pas été conclu.

195. Cet «arrangement», qui faisait table rase de la procédure prévue
dans le statut, a par la suite été source de nombreux malentendus entre
l’Argentine et l’Uruguay. Si les deux Parties avaient depuis le départ
gardé à l’esprit le principe de précaution, ce prétendu «arrangement»

n’aurait certainement pas vu le jour, ce qui aurait permis de préserver
l’intégrité du statut de 1975 et le régime qu’il prévoit pour protéger l’éco-
système du fleuve Uruguay. Quoi qu’il en soit, peu après cet écart,
l’Argentine et l’Uruguay ont saisi l’importance du principe de précaution
et l’ont dûment invoqué — fût-ce pour l’interpréter différemment — au

cours de la présente instance (voir supra).

196. Quant à l’attitude de la Cour elle-même, si celle-ci avait elle aussi
toujours gardé le principe de précaution à l’esprit (ce qu’elle n’a pas fait),

elle serait parvenue à une décision différente de celle qu’elle a prise le
13 juillet 2006 et aurait, selon toute probabilité, ordonné ou indiqué les
mesures conservatoires demandées (qui seraient restées en vigueur jusqu’à
ce jour du 20 avril 2010, date du prononcé du présent arrêt sur le fond de
l’affaire). Elle aurait ainsi coupé court à toutes les discussions ultérieures

et tensions inutiles concernant l’obligation dite de «non-construction»,
dont elle a également fait état dans le présent arrêt (par. 152-154). Cela
montre amplement combien il importe, lorsqu’il s’agit de protéger l’envi-
ronnement, de garder le principe de précaution à l’esprit en toutes cir-

constances.
197. Les principes fondamentaux sont réellement indispensables, ils
constituent le substrat de l’ordre juridique lui-même, étant antérieurs et
supérieurs à la volonté ou au consentement individuel des sujets de droit.
Ils sont à la base du jus necessarium, tel qu’exposé par les pères fonda-
e
teurs du droit international. A l’aube du XVII siècle déjà, Francisco
Suárez, dans son De Legibus, ac Deo Legislatore (1612), considérait le
droit des gens comme «absolument nécessaire», puisque fondé sur «cer-
tains principes de conduite évidents» du droit naturel (par. 18), imposant

à chacun de «vivre dans le droit chemin» afin de préserver «la paix et la
justice», pour «le bien de tous» (par. 19). Selon la mise en garde qu’il
formula avec lucidité et élégance (contre la faillibilité, l’égoïsme et la per-
fidie humains), tout ce qui touche au bien commun «doit se voir accorder
un soin et un respect particuliers» parce que

198 «l’individu peine à discerner ce qui sert le bien commun et [que], de

plus, son premier objectif est rarement la recherche de ce bien, d’où
la nécessité pour les lois humaines de tenir compte de celui-ci en
exposant les mesures appropriées et en prescrivant leur mise en
Œuvre» (par. 19) 184.

198. Ensuite, dans la seconde moitié du XVIII siècle, à l’ère des

Lumières, Christian Wolff donna, dans son Jus Gentium Methodo Scien-
tifica Pertractatum (1764), son expression définitive au jus necessarium,
notion là encore fondée sur le droit naturel, conférant au droit des gens la
particularité d’être «nécessaire et immuable» (par. 4.6). Toutes les nations

devaient ainsi «s’aider mutuellement à s’améliorer elles-mêmes» et à
améliorer leur situation, et Œuvrer «en conséquence à la promotion du
bien commun» (par. 8). Un autre classique de l’époque traitant le jus
necessarium est l’ouvrage de Vattel intitulé Le droit des gens, ou principes

de la loi naturelle (1758), dans lequel cette notion était rattachée à un
droit des gens contenant des préceptes de droit naturel auxquels aucune
nation ne pouvait se soustraire (par. 7-8).
199. Dans le monde totalement différent dans lequel nous vivons

aujourd’hui, qui peut nier que la protection de l’environnement fait partie
du jus necessarium ? Qui peut nier que la survie même de l’humanité en
dépend? Le monde a beaucoup changé — depuis l’époque de Suárez, de
Wolff et de Vattel — mais la nécessité d’Œuvrer en faveur du bien com-

mun se fait sentir avec autant d’acuité aujourd’hui que par le passé. Le
monde a beaucoup changé, mais l’être humain aspire toujours à amélio-
rer son sort. C’est la conscience humaine qui a donné naissance au jus

necessarium et qui l’a reconnu, poursuivant sa quête de vérité, de paix et
de justice, compte tenu du lien inéluctable qui existe entre l’ordre juridi-
que et l’ordre éthique.

200. Les principes fondamentaux sont consubstantiels à l’ordre juri-
dique international lui-même, dans le cadre duquel ils expriment
l’idée d’une «justice objective», propre au droit naturel (voir supra). Les
principes de droit international éclairent l’interprétation et l’applica-

tion du droit international dans son ensemble, ils participent de son
substrat même, et constituent les fondements du système juridique
international. Tout système juridique porte leur empreinte. Nul ne peut
contester qu’ils demeurent d’actualité. Les principes du droit interna-

tional sont essentiels à l’humanité dans sa quête de justice, et ils jouent
un rôle crucial dans l’instauration d’un droit international proprement
universel.

184F. Suárez, De Legibus, ac Deo Legislatore (1612), dont la traduction anglaise a
été publiée dans la série The Classics of International Law (J. Brown Scott, dir. publ.,
1944).

199 XIV. L A DIMENSION AXIOLOGIQUE DES PRIMA PRINCIPIA

201. Tout système juridique repose sur certains principes fondamen-

taux qui inspirent, imprègnent et façonnent ses normes. Ce sont les prin-
cipes (étymologiquement dérivés du latin principium) qui, renvoyant aux
causes, sources ou origines premières des normes et des règles, confèrent
aux normes juridiques et au système juridique tout entier leur cohésion,

leur cohérence et leur légitimité. Ce sont les principes généraux de droit
(les prima principia) qui confèrent à l’ordre juridique (national et inter-
national) sa dimension inéluctablement axiologique; ce sont eux qui révè-
lent les valeurs inspirant l’ordre juridique dans son ensemble et qui, en
185
définitive, constituent ses fondements mêmes . C’est ainsi que je conçois
la présence et la place des principes généraux au sein de tout ordre juri-
dique, ainsi que leur rôle dans l’univers conceptuel du droit.
202. Les principes généraux de droit, dont les origines historiques peu-

vent être recherchées dans le droit romain, sont entrés dans la culture
juridique et en sont venus à être liés à la conception même de l’Etat
démocratique dans le cadre de la primauté du droit, principalement sous
l’influence de la pensée illuministe. Malgré l’indifférence apparente des

tenants du positivisme juridique (qui cherchent toujours la preuve d’une
«reconnaissance» de ces principes dans l’ordre juridique positif) et l’atten-
tion moindre que leur accorde l’actuelle doctrine juridique réduction-
niste, nul ne pourra jamais s’en passer.

203. Des prima principia émanent les normes et les règles, qui prennent
en eux leur véritable sens. Les principes généraux de droit se retrouvent
donc aux origines du droit lui-même, et en révèlent les finalités légitimes:

le bien commun (de tous les êtres humains, et non d’une collectivité
abstraite), la réalisation de la justice (tant au niveau national qu’à
l’échelle internationale) et le maintien de la paix. Contrairement à ceux
qui tentent — selon moi en vain — de minimiser leur importance, je

pense que, sans principes, il ne peut non plus véritablement y avoir de
système juridique.
204. Les principes fondamentaux se sont précisés à mesure que le droit
émergeait et se consolidait dans tous ses domaines, et dans toutes ses bran-

ches (droit constitutionnel, droit civil, droit de la procédure civile, droit
pénal, droit de la procédure pénale, droit administratif, etc.). Tel fut le cas
pour le droit international public lui-même, ainsi que pour certains de ses
domaines (concernant la protection) — droit international de l’environne-

ment, droit international des droits de l’homme, droit international huma-
nitaire, droit international des réfugiés, notamment —, et pour le droit
pénal international, le droit de la mer, le droit relatif aux cours d’eau inter-
nationaux et le droit de l’espace, entre autres. Chaque domaine du droit, si

circonscrit ou spécialisé soit-il, porte l’empreinte de ses principes fonda-

185Voir, en ce sens, l’avis consultatif n 18 rendu le 17 septembre 2003 par la Cour
interaméricaine des droits de l’homme sur la condition juridique et les droits des travail-
leurs immigrés, opinion individuelle de M. le juge A. A. Cançado Trindade, par. 44-58.

200mentaux (voir infra), ce qui assure la cohésion et l’unité du système dans

son ensemble. Il est question ici non pas de «fragmentation» (un terme
extrêmement fâcheux qu’il convient assurément d’éviter et d’écarter), mais
d’une expansion encourageante du droit international moderne, qui témoi-

gne de la capacité de celui-ci à réglementer les relations non seulement
entre les Etats, mais aussi à l’intérieur des Etats eux-mêmes.
205. Certains de ces principes fondamentaux sont propres à tel ou tel

domaine du droit, d’autres sont omniprésents. C’est sous l’action de ces
principes, dont certains régissent les relations mêmes entre les êtres
humains et la puissance publique, qu’opère le corpus des normes juridi-
186
ques (nationales ou internationales) . Ils éclairent la voie de la licéité et
de la légitimité, d’où la nécessité constante de réaffirmer ou de rétablir,
selon l’évolution de la notion de droit naturel, une certaine idée de la jus-

tice fondée sur les principes généraux de droit, à l’aune de laquelle le
droit positif doit être apprécié. Ce renouveau perpétuel de la notion de
droit naturel 187 — qui ne s’épuise jamais — a beaucoup contribué à

l’affirmation et à la consolidation de la primauté, dans l’échelle des
valeurs, des obligations propres aux régimes de protection (de la per-
sonne humaine et de l’environnement).

206. De nos jours, malheureusement, la grande majorité des juristes
internationaux professent leur adhésion au positivisme juridique. Ceux
qui le font tentent de nuancer leur position positiviste en lui greffant un

adjectif: certains se targuent d’être des positivistes «modernes» ou «post-
modernes» — quoi que cela puisse signifier —, ne se rendant apparem-
ment pas compte que, en s’étiquetant ainsi, ils se condamnent à tomber

rapidement en désuétude, distancés par l’implacable et impitoyable
passage du temps. D’autres s’accolent des adjectifs différents et complai-
sants, comme pour tenter d’étouffer dans l’Œuf tout sentiment de culpa-

bilité que pourraient leur causer à l’avenir d’éventuelles injustices com-
mises de jure. Pour paraphraser Isaiah Berlin, il est impératif de continuer
de nager à contre-courant, de continuer à appliquer sans faillir les prin-

cipes généraux de droit, en sus des règles pertinentes du droit positif.

XV. L ES « PRINCIPES GÉNÉRAUX DE DROIT » TÉMOINS

DU STATUS CONSCIENTIAE DE LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE

207. Continuer de réduire les principes généraux de droit à ceux d’ori-

gine nationale correspond, à mon sens, à une conception statique des

186Comme les principes élémentaires de la justice et ceux concernant la primauté du
droit, les droits de la défense, le droit au «juge naturel», l’indépendance de la justice,
l’égalité de tous devant la loi et la séparation des pouvoirs, entre autres.
187Voir, par exemple, L. Le Fur, «La théorie du droit naturel depuis le XVII siècle et
la doctrine moderne», Recueil des cours de l´Académie de droit international de La Haye
(RCADI), t. 18 (1927), p. 297-399; A. Truyol y Serra, «Théorie du droit international

public — Cours général», RCADI, t. 183e(1981), p. 142-143; A. Truyol y Serra, Funda-
mentos de Derecho Internacional Público ,4. rev., Madrid, Tecnos, 1977, p. 69 et 105.

201«sources» formelles du droit international, par rapport aux termes adop-

tés en 1920 à l’article 38 du Statut de la Cour permanente, comme s’il
s’agissait d’un texte immuable et sacro-saint. La pensée juridique positi-
viste a toujours pâti de ce manque foncier de clairvoyance, dans le temps
et dans l’espace; elle ne peut accompagner le droit international dans son

évolution sans se heurter à des obstacles insurmontables (par exemple
dans de nouvelles disciplines telles que le droit international de l’environ-
nement, entre autres) et ne peut être porteuse d’universalisme. Ses limites
sont regrettables, voire navrantes.

208. Il ressort de ce qui précède que la position tendant à restreindre
les principes généraux de droit à ceux existant in foro domestico ne tra-
duit qu’une seule conception (propre au positivisme analytique) qui pré-
valait il y a quatre-vingt-dix ans, et qui était contestée par d’éminents

juristes de l’époque. Fort heureusement, elle n’a jamais fait l’unanimité.
Je m’en félicite, car si chacun pense la même chose, la plupart — voire
personne — ne pensent plus vraiment. Ceux qui ne voient les principes
généraux de droit que dans le cadre de systèmes nationaux donnés (ou

individuellement dans chacun d’entre eux) font non seulement du sur-
place, mais aussi abstraction du facteur temps, et excluent tout progrès
vers un droit international universel.
209. Les principes généraux de droit (prima principia) confèrent à

l’ordre juridique lui-même — tant au niveau national qu’à l’échelle inter-
nationale — sa dimension inéluctablement axiologique (voir supra). Ce
sont ces principes qui révèlent les valeurs inspirant l’ordre juridique tout
entier et qui, en dernière analyse, constituent ses fondements mêmes. Ces

principes fondamentaux se sont précisés à mesure que le droit émergeait
et se consolidait dans tous ses domaines. Le droit international de l’envi-
ronnement en est une bonne illustration.
210. Pouvons-nous, par exemple, concevoir le droit international de

l’environnement sans les principes de prévention, de précaution et du
développement durable, auxquels s’ajoute celui de l’équité intergénéra-
tionnelle, qui s’inscrit nécessairement dans le long terme? Absolument
pas, selon moi. Pouvons-nous envisager le droit international des droits

de l’homme sans garder à l’esprit les principes de l’humanité, de la dignité
de la personne humaine et du caractère inaliénable, universel et indivi-
sible des droits de l’homme? Certainement pas. Pouvons-nous concevoir
le droit international humanitaire sans les principes de l’humanité, de la
188
proportionnalité ou de la distinction ? Assurément pas. Pouvons-nous
appréhender le droit international des réfugiés sans tenir dûment compte
des principes du non-refoulement et de l’humanité? Absolument pas.
211. Pouvons-nous envisager le droit pénal international sans le prin-

188Entre les combattants et la population civile — principe qui limite le choix des
méthodes ou moyens de combat. En droit international humanitaire, par exemple, les
conventions de Genève de 1949 et leurs protocoles de 1977, essentiellement axés sur les
victimes, reposent avant tout sur le principe cardinal de l’humanité, qui exige le respect
de la personne humaine en toutes circonstances et en tous temps.

202cipe de légalité189 et la présomption d’innocence? Certainement pas. Pou-

vons-nous concevoir le droit de la mer sans tenir compte des principes de
l’utilisation pacifique (de la mer), de l’égalité des droits (en haute mer), du
règlement pacifique des différends 19, de la liberté de navigation et du

passage inoffensif, du partage des revenus (de l’exploitation des minéraux
marins), ou de la protection des mers pour les générations futures? Abso-
lument pas. Pouvons-nous imaginer le droit relatif à l’espace extra-
atmosphérique sans les principes de la non-appropriation, des utilisations

et des fins pacifiques, de la liberté d’accès et de la recherche scientifique,
ou encore du partage des revenus (de l’exploration spatiale)? Assurément
pas.

212. Et les exemples abondent dans le même sens dans d’autres do-
maines également. Dès lors que les principes généraux sont négligés, abus
et injustices sont inévitables. De mon point de vue, ces principes consti-

tuent une «source» formelle autonome du droit international qu’aucune
juridiction internationale ne peut minimiser ni négliger. On ne saurait,
pour en tenir dûment compte, se contenter de vérifier s’ils sont entrés
dans le domaine du droit international par l’intermédiaire de la coutume

ou des traités. Ces principes révèlent la dimension axiologique (supra) du
droit applicable, en sus de témoigner du degré d’évolution du status cons-
cientiae de la communauté internationale dans son ensemble.

213. Si nous parvenons à déceler, dans des us et coutumes passés,
voire dans d’anciens systèmes juridiques, des manifestations culturelles
liant des préoccupations environnementales à ces pratiques 19, alors tant

mieux, car il sera d’autant plus justifié d’appliquer ces principes à notre
droit international de l’environnement en évolution constante pour ré-
pondre à ces préoccupations environnementales. J’ai déjà évoqué quatre
affaires latino-américaines à fort contenu culturel (voir supra) tranchées

par la Cour interaméricaine des droits de l’homme, qui montraient com-
bien il importait de préserver l’identité culturelle (des peuples au sein de
leur habitat naturel).

214. Mais qu’advient-il si un nouveau domaine du droit international
fait soudainement son apparition, sans qu’il soit apparemment possible
d’asseoir les principes naissant en la matière sur des manifestations

culturelles, des us et coutumes ou des pratiques du passé? C’est ce qui s’est
produit lorsque le droit relatif à l’espace extra-atmosphérique a vu le jour
et s’est très rapidement développé à partir des années 1960. Il a alors vite
fallu se mettre en quête des principes correspondants et les formuler.

L’expansion actuelle et continue du champ d’application ratione mate-

189Nullum crimen sine lege, nulla poena sine lege.
190Et de l’équidistance et des circonstances spéciales (dans le cadre de la délimitation
d’espaces maritimes).
191Des préoccupations qui se retrouvent, par exemple, derrière les anciennes pratiques
d’irrigation mises en Œuvre dans différentes régions; voir Projeˇíkovo-Nagymaros
(Hongrie/Slovaquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1997 , opinion individuelle de M. le juge
C. G. Weeramantry, p. 97-111.

203riae du droit international exige assurément que l’on prenne plus atten-
tivement en considération les principes généraux, au lieu de les reléguer

au second plan.
215. Pour rappeler deux exemples supplémentaires, parmi d’autres,
qui concernent le système des Nations Unies d’une manière générale,
l’Organisation internationale du Travail (OIT), poussée par des nécessités
pratiques, a elle-même entrepris — pour orienter son activité en la

matière — de recenser les principes et droits fondamentaux intéressant
ses travaux dans une déclaration adoptée en juin 1998. Plus récemment,
l’Unesco s’est elle aussi mise à élaborer sa déclaration universelle sur la
bioéthique et les droits de l’homme, qu’elle a adoptée en 2005, et dans

laquelle elle s’efforce en particulier d’identifier et d’énoncer les principes
applicables dans cette nouvelle discipline. A mes yeux, les initiatives de
cette nature visent à juste titre à façonner le jus necessarium dans les dif-
férents domaines de la connaissance juridique.
216. Les principes généraux de droit sont en fait constamment à

l’étude dans le droit des Nations Unies. La Cour, qui est «l’organe judi-
ciaire principal des Nations Unies» (article 92 de la Charte des
Nations Unies), devrait selon moi leur prêter une attention plus grande
dans l’exercice de sa fonction contentieuse. De mon point de vue, ces
principes orientent l’interprétation et l’application des normes et des

règles de notre ordre juridique, qu’elles soient coutumières, convention-
nelles ou énoncées dans les résolutions des organisations internationales.
Les principes généraux de droit peuvent également être utilisés pour
déterminer l’opinio juris elle-même, en prenant cette dernière non pas au
sens strict, comme un élément constitutif de la coutume, mais, plus géné-

ralement, comme une indication du status conscientiae des membres de la
communauté internationale dans son ensemble.
217. Enfin, et ce n’est pas le moins important, il n’est guère étonnant
que les partisans de l’approche volontaro-positiviste, qui ont toujours
tenté de minimiser le rôle des principes généraux de droit, se soient tou-

jours heurtés à ceux qui les défendent, en tant qu’ils découlent de l’idée
d’une justice objective et guident l’interprétation et l’application des
normes et des règles juridiques. Je suis de ceux-là. Ce sont les principes
qui sont les mieux à même d’assurer la cohésion et l’intégrité du système
juridique international dans son ensemble. Ils sont étroitement liés aux

fondations mêmes du droit international, dont ils laissent présager la
vocation universelle, au bénéfice de l’humanité. Ces principes émanent
de la conscience humaine, de la conscience juridique universelle, «source»
matérielle ultime de tout droit.

XVI. É PILOGUE

218. La Cour, dans le cadre du règlement pacifique des différends por-

tés devant elle, est parfaitement habilitée à invoquer les principes géné-
raux de droit (alinéa c) du paragraphe 1 de l’article 38 de son Statut) et

204elle devrait le faire; si, de plus, exerçant scrupuleusement les fonctions qui

sont les siennes, elle veut non seulement régler les différends dont elle est
saisie mais aussi favoriser, ce faisant, le développement progressif du
droit international — comme elle le devrait à mes yeux —, elle devra faire
bien plus grand cas de ces principes généraux, qui englobent sans nul
doute les principes du droit international dans son ensemble, et les prin-

cipes propres à des domaines particuliers de celui-ci.
219. Je ne vois absolument aucune raison, du point de vue épistémo-
logique, de ne prendre en compte et de n’examiner des principes juridi-
ques que si, et quand, ils relèvent du droit international coutumier ou

conventionnel. La propension à agir ainsi, perceptible chez la plupart des
auteurs contemporains, me semble relever d’un vice conceptuel. Les prin-
cipes généraux de droit constituent une «source» formelle autonome du
droit international, et ils orientent l’évolution du droit international cou-

tumier et conventionnel. Le droit international moderne de l’environne-
ment en témoigne. En la matière, la Cour ne devrait pas embrasser la
tendance intellectuellement insatisfaisante d’une grande partie de la doc-
trine contemporaine qui consiste à privilégier les techniques juridiques au

détriment des principes de droit. Elle devrait au contraire la rejeter, en
faisant comme il faut la part belle aux principes juridiques.
220. Pour résumer, dans la présente affaire des Usines de pâte à
papier, le droit applicable ne se limite pas au statut du fleuve Uruguay

de 1975, mais comprend ce statut ainsi que les principes généraux de droit
pertinents, y compris les principes du droit international de l’environne-
ment. Ces derniers sont, entre autres, les principes de prévention, de pré-
caution et du développement durable dans sa dimension temporelle, ainsi
que celui de l’équité intergénérationnelle, qui s’inscrit nécessairement

dans le long terme. La présente Cour, connue également comme la Cour
mondiale, n’est pas une simple cour internationale chargée de dire le
droit, c’est la Cour internationale de Justice et, en tant que telle, elle ne
peut faire abstraction des principes.

(Signé) Antônio Augusto C ANÇADO TRINDADE .

205

Bilingual Content

SEPARATE OPINION

OF JUDGE CANÇADO TRINDADE

TABLE OF CONTENTS
Paragraphs

I. PROLEGOMENA 3-7

II. “GENERAL PRINCIPLES OFLAW”: THE L EGISLATIVH ISTORY OF

THEPCIJ/ICJ STATUTER EVISITED 8-16

III. GNERAL PRINCIPLES OLAW AS AF ORMAL “SOURCE”OF
NTERNATIONAL LAW :THEIRA UTONOMY 17-19

IV. RECOURSE TOPRINCIPLES IN TCEASELAW OF THE ICJ 20-25

V. G ENERAL PRINCIPLES ODOMESTIC ANDINTERNATIONALL AW 26-47

1. A lesson from the legislative history of the PCIJ (and ICJ)

Statute 26-28
2. Relevant doctrinal developments on general principles of law 29-47

(a) In the PCIJ times 29-36
(b) In the ICJ times 37-47

VI. “GENERAL PRINCIPL”SOF NTERNATIONAL LAW :SCOPE OF
APPLICATIOR ATIONE MATERIAE 48-51

VII. GENERAL PRINCIPLES ONTERNATIONAL ENVIRONMENTAL LAW 52-96

1. Principle of prevention 54-61
2. Precautionary principle 62-92

(a) Risks 69-73
(b) Scientific uncertainties 74-92

3. The principles of prevention and of precaution togeth93-96

VIII. THE ACKNOWLEDGEMENT BY THE C ONTENDING PARTIES OF THE
PRINCIPLES OPREVENTION AND OP RECAUTION 97-113

1. Principle of prevention 100-102
2. Precautionary principle 103-113

IX. THE L ONGTERM TEMPORAL DIMENSION:I NTE-GENERATIONAL
EQUITY 114-131

X. T HE UNDERLYING TEMPORAL DIMENSION:SUSTAINABLED EVELO-
MENT 132-147

125 OPINION INDIVIDUELLE

DE M. LE JUGE CANÇADO TRINDADE

[Traduction]

TABLE DES MATIÈRES
Paragraphes

I. PROLÉGOMÈNES 3-7

II. LES« PRINCIPES GÉNÉRAUX DE DROIT»: RETOUR SUR LES TRAVAUX
PRÉPARATOIRES DU S TATUT DE LA COUR ET DE SA DEVANCIÈRE 8-16

III. AUTONOMIE DES PRINCIPES GÉNÉRAUX DE DROIT EN TANT QUE
« SOURCE» FORMELLE DU DROIT INTERNATIONAL 17-19

IV. L E RECOURS AUX PRINCIPES DANS LA JURISPRUDENCE DE LAC OUR 20-25

V. L ES PRINCIPES GÉNÉRAUX DE DROIT— INTERNE ET INTERNATIONAL 26-47

1. Enseignements à tirer des travaux préparatoires du Statut de
la Cour et de sa devancière 26-28
2. La doctrine et les principes généraux de droit 29-47

a) Du temps de la Cour permanente 29-36
b) A l’époque de la Cour 37-47

VI. C HAMP D APPLICATION RATIONE MATERIAE DES « PRINCIPES GÉNÉ-
RAUX » DU DROIT INTERNATIONAL 48-51

VII. L ES PRINCIPES GÉNÉRAUX DU DROIT INTERNATIONAL DE LENVIRON -
NEMENT 52-96

1. Le principe de prévention 54-61
2. Le principe de précaution 62-92

a) Les risques 69-73
b) L’incertitude scientifique 74-92

3. Les principes de prévention et de précaution combinés 93-96

VIII. L A RECONNAISSANCE DES PRINCIPES DE PRÉVENTION ET DE PRÉCAU-
TION PAR LESP ARTIES ADVERSES 97-113

1. Le principe de prévention 100-102
2. Le principe de précaution 103-113

IX. L A DIMENSION TEMPORELLE À LONG TERME :LÉQUITÉ INTERGÉNÉRA -
TIONNELLE 114-131

X. L A DIMENSION TEMPORELLE SOUSJACENTE : LE DÉVELOPPEMENT

DURABLE 132-147

125 1. The formulation and the implications of sustainable
development 132-140

2. The awareness of the contending Parties of the implications
of sustainable development 141-147

XI. JUDICIALDETERMINATION OF THEF ACTS 148-151

XII. BEYOND THE INTER-STATED IMENSION:R ELATEDA SPECTS 152-190

1. The imperatives of human health and the well-being of
peoples 153-164
2. The role of civil society in environmental protection165-171

3. Beyond reciprocity: obligations of an objective chara172-178
4. CARU’s legal personality 179-190

XIII. FUNDAMENTAL PRINCIPLES AS UBSTRATUM OF THEL EGALO RDER
ITSELF 191-200

XIV. P RIMA PRINCIPI: THEA XIOLOGICALD IMENSION 201-206

XV. “G ENERAL PRINCIPLES OFLAW ” ASINDICATORS OF THE STATUS
CONSCIENTIAE OF THINTERNATIONAL COMMUNITY 207-217

XVI. E PILOGUE 218-220

126 1. La formulation et les implications du développement du-
rable 132-140

2. Les Parties à l’instance avaient conscience des implications
du développement durable 141-147

XI. L’ÉTABLISSEMENT JUDICIAIRE DES FAITS 148-151

XII. A U-DELÀ DE LA DIMENSION INTERÉTATIQUE :ASPECTS CONNEXES 152-190

1. Les impératifs de la santé humaine et du bien-être des popu-
lations 153-164
2. Le rôle de la société civile dans la protection de l’environne-
ment 165-171

3. Au-delà de la réciprocité: les obligations à caractère objectif 172-178
4. La personnalité juridique de la CARU 179-190

XIII. L ES PRINCIPES FONDAMENTAUX EN TANT QUE SUBSTRAT DE L ’ORDRE
JURIDIQUE LUI-MÊME 191-200

XIV. L A DIMENSION AXIOLOGIQUE DES PRIMA PRINCIPIA 201-206

XV. L ES «PRINCIPES GÉNÉRAUX DE DROIT» TÉMOINS DU STATUS
CONSCIENTIAE DE LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE 207-217

XVI. É PILOGUE 218-220

126 1. I have accompanied the Court’s majority in the decision which it
has just taken in the Pulp Mills case (Argentina v. Uruguay), for under-

standing that it contains what the Court could have found on the basis of
a strict valuation of the evidence produced before it, but I regret not to be
able to concur with parts of the Court’s reasoning in the present Judg-
ment, in particular its unfortunate overlooking of the general principles

of law. I feel thus obliged to leave on the records the foundations of my
own personal position in this respect. To this end, I purport, in this sepa-
rate opinion, to review the process of enunciation of general principles of
law in the realm of contemporary international law, for the proper con-
sideration of the issues raised in the cas d’espèce. In the course of the

examination that follows, it will be clear that my own conception of the
matter at issue contrasts with that of the Court’s majority, as disclosed in
the reasoning developed in the present case of the Pulp Mills.

2. My own position is in line with a current of international legal
thinking, sedimented over the last nine decades (1920-2010), which, ever
since the mid-1970s, has marked presence also in the domain of Interna-
tional Environmental Law. In my understanding, general principles of
domestic as well as international law are endowed with autonomy. Their

scope of application ratione materiae has in recent years been the object
of attention of contemporary international tribunals, and I believe an
important role is here to be played by the International Court of Justice
(ICJ), attentive as it ought to be to the role of general principles, of par-

ticular relevance in the evolution of the expanding corpus juris of inter-
national law in our times. Bearing this in mind, I shall turn my attention
to some preliminary points.

I. P ROLEGOMENA

3. Irrespective of the way a case is presented by the contending parties

to the ICJ, this latter is not restrained or bound by their arguments: it is
entirely free to proceed to its own determination of the facts and to its
own identification of the applicable law. In doing this — as it is entirely
free to do, in the faithful exercise of its function — the Court proceeds in
such a way that discloses, to a careful observer, its own conception of the

law. There are always distinct ways to develop a legal reasoning, and my
natural inclination, even in a case like the present one of the Pulp Mills
(Argentina v. Uruguay), is to dwell to a greater extent on legal principles
than on chemical substances, unlike the Court has done in the present

case.
4. In the examination of the substantive obligations under the 1975
Statute of the River Uruguay, the Court proceeded, with diligence and
zeal, to a long and necessary examination of the impact of the discharges
on the quality of the waters of the River Uruguay (Judgment, paras. 234-

127 1. Si je me suis rangé à la décision que la majorité de la Cour vient de
rendre dans l’affaire des Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay

(Argentine c. Uruguay), c’est parce qu’elle énonce les conclusions pou-
vant être tirées d’une stricte appréciation des éléments de preuve versés
au dossier, mais je ne puis, à mon grand regret, souscrire à certaines
parties du raisonnement suivi dans le présent arrêt, déplorant en particu-
lier le peu de cas que la Cour a fait des principes généraux de droit. Je me

sens donc tenu d’exposer les fondements de ma position personnelle en la
matière. A cette fin, j’examinerai dans la présente opinion individuelle le
processus d’élaboration des principes généraux en droit international
contemporain, afin de bien cerner les questions qui sont en jeu ici. Il res-

sortira clairement de l’examen ci-après que ma propre conception des
enjeux de l’espèce diffère de celle de la majorité de la Cour, telle que révé-
lée par le raisonnement formulé dans cette affaire des Usines de pâte à
papier.
2. Ma position personnelle s’inscrit dans un courant de pensée qui

s’est développé en droit international au fil des neuf dernières décennies
(de 1920 à 2010) et qui, depuis le milieu des années 1970, a également
trouvé écho dans le domaine du droit international de l’environnement.
De mon point de vue, les principes généraux possèdent une autonomie
propre aussi bien en droit interne qu’en droit international. Les juridic-

tions internationales se sont ces dernières années intéressées à leur champ
d’application ratione materiae, et la Cour internationale de Justice
(la «Cour») a un rôle important à jouer en la matière, me semble-t-il, en
prêtant l’attention voulue à la fonction de ces principes généraux, qui
occupent une place particulière dans l’évolution du corpus juris foison-

nant du droit international contemporain. Ces considérations à l’esprit,
j’entame l’examen de quelques points préliminaires.

I. PROLÉGOMÈNES

3. Quelle que soit la façon dont les parties en litige lui présentent leur
affaire, la Cour n’est ni limitée ni liée dans son action par leurs argu-
ments: elle demeure totalement libre d’établir elle-même les faits et le
droit applicable. Ce faisant — comme elle est totalement libre de le faire,

dans l’exercice rigoureux de sa fonction —, la Cour dévoile nécessaire-
ment à un observateur perspicace sa propre conception du droit. Un rai-
sonnement juridique peut toujours se construire de différentes manières,
et, même dans une affaire comme celle des Usines de pâte à papier
(Argentine c. Uruguay), j’ai naturellement tendance à m’intéresser davan-

tage aux principes juridiques qu’aux substances chimiques, contrairement
à ce que la Cour a fait.
4. Dans le cadre de son examen des obligations de fond découlant du
statut du fleuve Uruguay de 1975, la Cour s’est livrée, avec diligence et

zèle, à une longue et nécessaire analyse de l’effet des rejets de l’usine sur la
qualité de l’eau du fleuve Uruguay (arrêt, par. 234-264), mais elle semble

127264), but that diligence and zeal seem to have vanished in respect of gen-

eral principles of law (comprising those of International Environmental
Law), only mentioned in passim, and without elaboration, in a few para-
graphs of the present Judgment . I feel thus obliged, in the present sepa-
rate opinion, to attempt to redress the balance, by concentrating my

thoughts on legal principles, and in particular those applicable in the cas
d’espèce. I do so in a constructive spirit, in the hope (may I dare to nour-
ish it?) that the Court will be more sensitive to legal principles in its
future decisions; after all, over the last decades, legal principles have been

much more familiar to me than chemical substances.
5. This point is intertwined with that of the identification of the appli-
cable law in the cas d’espèce which, in turn, ineluctably leads to the
“sources” of law, of international law. Even if the contending parties had

not invoked general principles of law before the ICJ, this latter is entirely
free to dwell upon them motu proprio. It so happens that, in the present
case of the Pulp Mills, both Parties, Argentina and Uruguay, did invoke
those principles; yet, the Court, for reasons which escape my comprehen-

sion, preferred not to dwell upon them, missing a unique occasion to give
a remarkable contribution to our discipline. In the cas d’espèce, a key
point which promptly comes to one’s mind, for the settlement of a case
like the present one, is whether an international tribunal like the ICJ can

or should have recourse to principles of environmental law , under Arti-
cle 38 (1) (c) of its Statute.

6. Such principles, proper to International Environmental Law, com-

prise the principle of prevention and the precautionary principle, added
to the long-term temporal dimension underlying inter-generational equity,
and the temporal dimension underlying the principle of sustainable devel-
opment. Those principles are to be kept in mind also in the judicial deter-

mination of the facts of the concrete case. Among some preliminary
questions (questions préalables) to be addressed, and which do not seem
to have been considered with sufficient clarity to date, are the following:
(a) whether the reference to “general principles of law” found in Arti-

cle 38 (1) (c) of the ICJ Statute refers only to those principles found in
foro domestico or encompasses likewise those principles identified also at
international law level; and (b) whether these latter are only those of
general international law or whether they comprise also those principles

which are proper to a domain of international law.

7. Attention is next turned, in this separate opinion, in the light of the
facts of the present case of the Pulp Mills, to related aspects beyond the

1As to the Court’s considerations (not the Parties’ arguments), cf. paragraph 101 (prin-
ciple of prevention), paragraph 145 (principle of good faith), paragraph 162 (principle of
onus probandi incumbit actori ), and paragraph 164 (precautionary “approach”).

128ne pas s’être donné autant de peine au sujet des principes généraux de

droit (y compris ceux du droit international de l’environnement), qu’elle
n’a évoqués qu’en passant, sans s’y arrêter, dans quelques paragraphes de
son arrêt . Je me sens donc tenu, dans la présente opinion individuelle, de
tenter de rétablir l’équilibre en faisant la part belle aux principes juridi-

ques, en particulier à ceux qui sont applicables en l’espèce. J’agis ainsi
dans un esprit constructif, en osant espérer que la Cour fera plus grand
cas des principes juridiques dans ses décisions futures; après tout, ces der-
nières décennies, les principes juridiques m’ont été bien plus familiers que

les substances chimiques.
5. Cette question est étroitement liée à celle de la détermination du
droit applicable en l’espèce, qui renvoie elle-même inéluctablement aux
«sources» du droit, du droit international s’entend. Même si les parties

en litige n’invoquent pas les principes généraux de droit devant elle, la
Cour est totalement libre de les prendre d’office en considération. Il se
trouve que, dans cette affaire des Usines de pâte à papier, les deux
Parties, l’Argentine et l’Uruguay, ont bel et bien invoqué ces principes;

pourtant, la Cour, pour des raisons qui m’échappent, a préféré ne pas s’y
arrêter, manquant une occasion unique d’apporter une contribution
remarquable à notre discipline. En effet, une question déterminante qui
vient immédiatement à l’esprit ici, pour régler une affaire comme celle-ci,

est celle de savoir si une juridiction internationale telle que la Cour peut
ou doit avoir recours aux principes du droit de l’environnement , en appli-
cation de l’alinéa c) du paragraphe 1 de l’article 38 de son Statut.
6. Ces principes, propres au droit international de l’environnement,

comprennent les principes de prévention et de précaution, auxquels
s’ajoutent celui de l’équité intergénérationnelle, qui s’inscrit nécessaire-
ment dans la durée, et la notion de pérennité sous-jacente au principe
du développement durable. Ces principes doivent également être gardés

à l’esprit pour statuer sur les faits de l’affaire qui nous occupe. Voici
quelques-unes des questions préalables qui sont à prendre en considéra-
tion, et qui ne semblent pas avoir été examinées de manière suffisam-
ment claire jusqu’ici: a) la référence aux «principes généraux de droit»

figurant à l’alinéa c) du paragraphe 1 de l’article 38 du Statut de la
Cour vise-t-elle uniquement les principes établis in foro domestico ou
englobe-t-elle aussi ceux définis à l’échelle du droit international? b) ces
derniers sont-ils uniquement ceux du droit international général ou

comprennent-ils également ceux qui sont propres à un domaine parti-
culier de ce droit?
7. Dans la présente opinion individuelle, je m’intéresserai ensuite,
compte tenu des faits qui sont en cause en l’espèce, à certains aspects

1Pour une lecture des considérants de la Cour (et non des arguments des Parties), voir
le paragraphe 101 (principe de prévention), le paragraphe 145 (principe de bonne foi), le
paragraphe 162 (principe dit onus probandi incumbit actori ) et le paragraphe 164
(«approche» de précaution).

128inter-State dimension (with which this Court is so familiarized), namely:

the imperatives of human health and well-being of peoples, the role of
civil society in environmental protection; obligations of an objective
character, beyond reciprocity; and the legal personality of the Adminis-

trative Commission of the River Uruguay (CARU). Last but not least,
the relevant general principles of law are considered in their axiological
dimension, and as indicators of the status conscientiae of the interna-

tional community. In order to address those points, there is need, at
first, to revise the legislative history of Article 38 of the Hague Court
(PCIJ and ICJ) — on which so much has been written — as well as the

recourse to principles in the case law of the ICJ, for the purposes of
consideration of the matter in the framework of the present case of the
Pulp Mills.

II. “G ENERAL P RINCIPLES OF L AW ”: THE L EGISLATIVE H ISTORY
OF THE PCIJ/ICJ S TATUTE REVISITED

8. One of the most debated issues within the Advisory Committee of
Jurists entrusted with the drafting of the Statute of the old Permanent
Court of International Justice (PCIJ), in June-July 1920, pertained to the

meaning to be ascribed to, and the material content of, the general prin-
ciples of law as a (formal) “source” of international law. The original
proposal of President Edward Descamps included in the list of (four)

sources “the rules of international law as recognised by the legal con-
science of civilised nations” . In the debates of 2 July 1920, this proposal
found fierce opposition on the part of Elihu Root, to whom principles of
3
justice varied from country to country . President Descamps replied that
this might only be “partly true as to certain rules of secondary impor-
tance”; however, he added,

“it is no longer true when it concerns the fundamental law of justice
and injustice deeply engraved on the heart of every human being and
which is given its highest and most authoritative expression in the
4
legal conscience of civilised nations” .

9. Albert de Lapradelle, likewise, opposed Elihu Root’s positivist posi-
tion that judges could only decide in accordance with “recognised rules”
and that in their absence they “should pronounce a non-liquet”; he

regarded this view as “inadmissible”, and added that “[t]he competence

2PCIJ/Advisory Committee of Jurists, Procès-verbaux of the Proceedings of the Com-
mittee (16 June-24 July 1920) with Annexes , The Hague, Van Langenhuysen Frères,
1920, point No. 3, p. 306, Ann. No. 3.
3
4Ibid., p. 310.
Ibid., pp. 310-311.

129connexes qui dépassent la dimension interétatique (si familière à la Cour),

à savoir: les impératifs liés à la santé humaine et au bien-être des
populations; le rôle de la société civile dans la protection de l’environ-
nement; les obligations revêtant un caractère objectif, au-delà de la réci-

procité; et la personnalité juridique de la commission administrative du
fleuve Uruguay (la «CARU»). Enfin, et ce n’est pas le moins impor-
tant, j’envisagerai les principes généraux de droit pertinents dans leur

dimension axiologique, et en tant qu’indicateurs du status conscientiae
de la communauté internationale. Dans cette optique, il me faudra
tout d’abord revenir sur les travaux préparatoires de l’article 38 du

Statut (de la Cour et de sa devancière) — qui ont fait couler tant
d’encre — ainsi que sur le recours aux principes dans la jurisprudence
de la Cour, aux fins de l’examen à réaliser dans le cadre de la présente

affaire.

II. LES « PRINCIPES GÉNÉRAUX DE DROIT »: RETOUR SUR LES TRAVAUX
PRÉPARATOIRES DU STATUT DE LA C OUR ET DE SA DEVANCIÈRE

8. L’une des questions les plus débattues au sein du comité consultatif
de juristes chargé d’élaborer le Statut de la Cour permanente de Justice
internationale (la «Cour permanente»), en juin et juillet 1920, portait sur

le sens et sur le contenu matériel à attribuer aux principes généraux
de droit en tant que «source» (formelle) du droit international. Dans sa
proposition initiale, le président Edouard Descamps recensa parmi les

(quatre) sources possibles «les règles de droit international telles que les
reconnaît la conscience juridique des peuples civilisés» . Lors des débats
du 2 juillet 1920, cette proposition rencontra une vive opposition en la

personne d’Elihu Root, pour qui les principes de justice variaient d’un
pays à un autre . Le président Descamps répondit que cela pouvait être
«vrai en partie, lorsqu’il s’agi[ssai]t de certaines règles secondaires»; tou-

tefois, ajouta-t-il,

«ce n’est plus vrai lorsqu’il s’agit de la loi fondamentale du juste
et de l’injuste, profondément gravée au cŒur de tout être humain et
qui reçoit son expression la plus haute et la plus autorisée dans la
4
conscience juridique des peuples civilisés» .

9. Albert de Lapradelle était lui aussi opposé à la vision positiviste
d’Elihu Root selon laquelle les juges ne pouvaient statuer qu’en applica-
tion de «règles reconnues» en l’absence desquelles ils devaient «pronon-

ce[r] un non liquet » — une vision qu’il qualifia d’«inadmissible», avant

2Cour permanente de Justice internationale, comité consultatif de juristes, Procès-
verbaux des séances du comité avec annexes, 16 juin-24 juillet 1920 , La Haye, Van Lan-
genhuysen Frères, 1920, point 3, p. 306, annexe 3.
3
4Ibid., p. 310.
Ibid., p. 310-311.

129of arbitrators might be limited, but not that of the judges” . Trying to

find a breakthrough, Lord Phillimore pondered that “[g]enerally speak-
ing, all the principles of common law are applicable to international
6
affairs. They are in fact part of international law.” George Francis
Hagerup added that judges should issue their decision according to “rules
of law”, and should “not declare that it is impossible for them to decide

because of the absence of rules. There must be no possibility of a denial
of justice.” 7

10. In this line of reasoning, President Edward Descamps also opposed
the possibility of non liquet, asserting that, if neither conventional law
nor custom existed, the judge ought then to apply general principles of
8
law . And he then clearly reasserted his jusnaturalist position, in uphold-
ing — besides treaties and custom — the search for

“objective justice . . . under conditions which are calculated to pre-
vent arbitrary decisions . . . [O]bjective justice is the natural principle

to be applied by the judge . . . In the second place I would allow [the
judge] to take into consideration the legal conscience of civilised
nations, which is illustrated so strikingly. . . .” 9

11. In the continuing debates of 3 July 1920, Lord Phillimore expressed

his own view that general principles (referred in amended point No. 3)
were those accepted by all nations in foro domestico 10. Albert de

Lapradelle, while admitting that such principles “were also sources of
international law”, added that they were so if they had obtained “unani-
mous or quasi-unanimous support” . The original proposal (supra) was

amended, and, as submitted by Elihu Root, included in the list of (four)
sources “the general principles of law recognised by civilised nations” . 12

It was clearly a solution of compromise by the Advisory Committee of
Jurists, between the supporters of the jusnaturalist and the positivist out-
looks of the matter, led by President Edward Descamps and Elihu Root,

respectively.

12. This phraseology was provisionally adopted, to form the basis
of what would shortly afterwards become Article 38 (3) of the Statute
of the PCIJ, later ICJ (new Article 38 (1) (c)). Two significant state-

ments were made, in favour of the insertion of the express reference to

5
PCIJ/Advisory Committee of Jurists, Procès-verbaux of the Proceedings of the Com-
mittee (16 June-24 July 1920) with Annexes , op. cit.supra note 2, p. 335.

6 Ibid., p. 316.
7 Ibid., p. 317.
8 Ibid., pp. 318-319, and cf. p. 322.
9 Ibid., p. 323.
10 Ibid., p. 335.
11 Ibid., pp. 313-314.
12
Ibid., p. 344, Annex No. 1.

130d’ajouter qu’«on p[ouvait] limiter la compétence des arbitres, mais
5
non ... celle des juges» . Tentant de débloquer la situation, lord Philli-
more estima que, «[e]n général[,] tous les principes du droit commun sont

applicables aux rapports internationaux. Ce sont en fait des règles de
droit international» . George Francis Hagerup ajouta que les juges
devaient rendre leur décision à l’aune des «règles du droit», et «non pas

déclarer qu’il leur est impossible, faute de règles, de se prononcer. Il ne
faut pas qu’un déni de justice soit possible» . 7

10. Dans cet ordre d’idées, le président Descamps, lui aussi hostile à la
possibilité d’un non liquet, affirma que, si aucune règle n’existait en droit
conventionnel ou coutumier, le juge devait alors appliquer les principes
8
généraux de droit . Il réaffirma ensuite clairement sa position jusnatura-
liste, en confirmant la quête à mener — au-delà des traités et de la cou-

tume — pour trouver

«la norme de la justice objective dans des conditions qui soient pré-
cisément de nature à prévenir l’arbitraire... [L]a justice objective est

la norme naturelle dont l’application s’impose au juge... Le second
des clairs regards que je donne au juge, c’est la conscience juridique
des nations civilisées dans ses éclatantes manifestations.» 9

11. Lors des débats du lendemain, le 3 juillet 1920, lord Phillimore

exprima son propre point de vue, à savoir que les principes généraux
(visés au point 3 tel qu’amendé) étaient ceux qui étaient acceptés par
10
toutes les nations in foro domestico . Albert de Lapradelle admit que
ces principes «constitu[ai]ent aussi des sources de droit international»,
pourvu toutefois qu’ils fissent «l’unanimité ou la quasi-unanimité» .La 11

proposition initiale (supra) fut modifiée et, dans la proposition soumise
par Elihu Root, les «quatre» sources possibles comprenaient «les prin-
12
cipes généraux de droit reconnus par les peuples civilisés» . Cette solu-
tion constituait manifestement, pour le comité consultatif de juristes,
un compromis entre les partisans de l’approche jusnaturaliste et les

tenants du positivisme, dont les chefs de file étaient le président Edouard
Descamps et Elihu Root, respectivement.

12. Cette formulation fut adoptée à titre provisoire, pour former la
base de ce qui allait devenir peu de temps après le paragraphe 3 de l’ar-
ticle 38 du Statut de la Cour permanente, puis de la Cour actuelle (actuel

alinéa c) du paragraphe 1 de l’article 38). Deux déclarations importantes

5
Cour permanente de Justice internationale, comité consultatif de juristes, Procès-
verbaux des séances du comité avec annexes, 16 juin-24 juillet 1920, op. cit. snote 2,
p. 335.
6 Ibid., p. 316.
7 Ibid., p. 317.
8 Ibid., p. 318-319; voir aussi p. 322.
9 Ibid., p. 323.
10 Ibid., p. 335.
11 Ibid., p. 313-314.
12
Ibid., p. 344, annexe 1.

130general principles of law in the proposed list of formal sources of

international law. The day before the provisional adoption, President
Edward Descamps eloquently defended his view of the existence of an
“objective justice” in the following way:

“One of the most profound convictions of my life, which has been

devoted to the study and application of international law, is that it is
impossible to disregard a fundamental principle of justice in the
application of law, [where it] indicates certain rules, necessary for the
system of international relations, and applicable to the various cir-

cumstances arising in international affairs.

.............................

Let us therefore no longer hesitate . . . to insert, amongst the prin-

ciples to be followed by the judge in the solution of the dispute sub-
mitted to him, the law of objective justice . . . [T]he conception of
justice and injustice as indelibly written on the hearts of civilised
peoples . . . is not only the element par excellence making for

progress in international law, but an indispensable complement to
the application of law, and as such essential to the judge in the per-
formance of the great task entrusted to him.” 13

13. The statement of Raul Fernandes, on the day of the provisional
adoption, likewise supported the inclusion, into the part of the draft

under discussion, of an express reference to general principles of law, so
as to satisfy a need of the judge in order to decide a case. He pondered
that “the sentences thus passed” — on general principles of law — “were

generally the more just; because the principles are always based on jus-
tice, while strict law often departs from it” . Rules emanating from prin-
ciples are “not established either by convention or custom”, and the draft

under consideration would, in the opinion of Raul Fernandes, much gain
“in giving to the Court of Justice the power to base its sentences — in the
absence of any convention or customary law — on [the] principles of
international law. . .” .15

14. Last but not least, in the course of the debates, Albert de Lapradelle
commented that the inclusion of the reference to “general principles of
law”wassufficient,anddidnotneedtherequirementofhavingtoberecog-

nized by “civilised nations”; he deemed this to be “superfluous, because
law implies civilisation” . His colleagues, however, missed his point, and

13
PCIJ/Advisory Committee of Jurists, Procès-verbaux of the Proceedings of the Com-
mittee (16 June-24 July 1920) with Annexes, op.cit.supra note 2, pp. 324-325.
14
Ibid., pp. 345-346.
15Ibid., p. 346.
16Ibid., p. 335.

131furent faites en faveur de l’insertion d’une référence expresse aux prin-

cipes généraux de droit dans le projet de liste recensant les sources for-
melles du droit international. La veille de l’adoption provisoire, le
président Edouard Descamps défendit avec éloquence l’existence

d’une «justice objective», dans les termes suivants:

«C’est une des convictions les plus profondes de ma vie vouée à

l’étude et à la pratique du droit international qu’il n’est pas possible
de chasser du domaine de l’ordre juridique, en ses applications, une
loi fondamentale de justice, ... pour promulguer certaines règles
comme nécessairement liées à l’économie essentielle des rapports

sociaux dans la vie internationale, et comme s’appliquant à la diver-
sité des faits qu’embrasse cette vie.
.............................

N’hésitons donc pas ... à placer, parmi les normes que doit suivre

le juge dans la solution des différends qui lui sont soumis, la loi de
la justice objective... [L]a loi du juste et de l’injuste, telle qu’elle est
gravée et tracée de façon ineffaçable au cŒur des peuples civilisés,
... est non seulement l’élément générateur par excellence du pro-

grès du droit international, mais le complément indispensable pour
le juge de l’application du droit, dans la haute mission qui lui
est conférée.» 13

13. Le jour de l’adoption provisoire, Raul Fernandes s’exprima lui
aussi en faveur de l’inclusion, dans la partie du texte à l’examen, d’une

référence expresse aux principes généraux de droit, afin de répondre aux
besoins du juge et de lui permettre de statuer. Il indiqua que «les sen-
tences ainsi fondées» — sur les principes généraux de droit — «sont en

règle générale les plus justes, car les principes s’inspirent toujours de la
justice, tandis que la loi formelle s’en écarte souvent» . Les règles dé-
coulant de ces principes «ne sont établies ni par convention ni par

coutume», et le projet examiné aurait, de l’avis de Raul Fernandes,
beaucoup gagné «en accordant à la Cour internationale de Justice le
pouvoir de juger — à défaut de droit conventionnel ou coutumier —
selon les principes de droit international» . 15

14. Dernier point, mais non des moindres, Albert de Lapradelle fit
observer au cours des débats qu’il suffisait de faire référence aux «prin-
cipes généraux de droit» sans exiger que ceux-ci aient été reconnus par les

«peuples civilisés»; cette exigence lui semblait «superflue puisque qui dit
droit dit civilisation» . Ses confrères ne virent toutefois pas l’intérêt de

13
Cour permanente de Justice internationale, comité consultatif de juristes, Procès-
verbaux des séances du comité avec annexes, 16 juin-24 juillet 1920, op. cinote 2,a
p.1424-325.
Ibid., p. 345-346.
15Ibid., p. 346.
16Ibid., p. 335.

131the deletion of that requirement was not made. The draft, with the inclu-
17
sion of such general principles of law, was adopted , to become draft
Article 35 , subsequently renumbered Article 38, of the PCIJ Statute.

15. A quarter of a century later, in the debates of the 1945 San Fran-
cisco Conference prior to the adoption of the United Nations Charter
and the Statute of the ICJ, it was agreed by the participating delegations

(IV Commission, Committee I) that the corresponding Article 38 of the
new Statute would not undergo a general revision; the time was “not
opportune” for that, as rapporteur Jules Basdevant pointed out . The19

only minor change introduced — in the chapeau of Article 38 — resulted
from a Chilean proposal, unanimously adopted . 20

16. The new Article 38 of the Statute opened, from then onwards, with
the provision that “The Court, whose function is to decide in accordance
with international law such disputes as are submitted to it, shall apply:. . .”

On the occasion, it was pointed out that this sole small modification in
the drafting of Article 38 was meant to be a clarification; yet, the lacuna
in the previous Statute in respect of the point concerned had not pre-

vented the old PCIJ from “regarding itself as an organ of international
law; but the addition will accentuate that character of the new Court” . 21

III. GENERAL PRINCIPLES OF LAW AS A F ORMAL “SOURCE ”

OF INTERNATIONAL L AW :T HEIR AUTONOMY

17. The mens legis of the expression “general principles of law”, as it

appears in Article 38 (1) (c) of the ICJ Statute, clearly indicates that
those principles constitute a (formal) “source” of international law, on

their own, not necessarily to be subsumed under custom or treaties. The
attitude of part of contemporary expert writing, of trying to see if a given
principle has attained the “status” of a “norm” of customary interna-

tional law, or has been “recognized” in conventional international law,
simply misses the point, and is conceptually flawed. Such attitude fails to

understand that a general principle of law is quite distinct from a rule of
customary international law or a norm of conventional international law.
A principle is not the same as a norm or a rule; these latter are inspired

in the former, and abide by them. A principle is not the same as a custom
or a conventional norm.

17PCIJ/Advisory Committee of Jurists, Procès-verbaux of the Proceedings of the Com-
mittee (16 June-24 July 1920) with Annexes , op.cit.supra note 2, p. 584.

18Ibid., p. 730.
19
Documents of the United Nations Conference on International Organization (UNCIO,
Sa20Francisco, 1945), Vol. XIV, p. 843.
Ibid., Vol. XIII, pp. 284-285.
21Ibid., Vol. XIII, p. 392.

132la supprimer, et elle fut conservée. Le projet, qui faisait référence aux
17
principes généraux de droit en question, fut adopté et devint le projet
d’article 35 , puis l’article 38 du Statut de la Cour permanente.
15. Un quart de siècle plus tard, lors des débats de la conférence de San

Francisco de 1945 qui précédèrent l’adoption de la Charte des Nations
Unies et du Statut de la Cour, les délégations participantes (quatrième com-

mission, premier comité) convinrent que l’article 38 correspondant du
nouveau Statut ne ferait pas l’objet d’une revision générale; le moment
n’était «pas opportun», comme le rapporteur Jules Basdevant le fit obser-
19
ver . La seule modification mineure introduite — dans le chapeau de l’ar-
ticle 38 — fut le résultat d’une proposition chilienne, adoptée à l’unanimi.té 20
16. Le nouvel article 38 du Statut débutait — et débute toujours —

comme ceci: «La Cour, dont la mission est de régler conformément au
droit international les différends qui lui sont soumis, applique...» Il a
parfois été dit que cette modification mineure, la seule qui ait été appor-

tée au libellé de l’article 38, devait servir à éclaircir le texte: pourtant,
l’absence de cette précision dans la version antérieure du Statut n’avait

pas empêché la Cour permanente, en son temps, de «se considérer
comme un organe de droit international; cet ajout a[vait] néanmoins
pour effet de renforcer ce caractère chez la nouvelle Cour» . 21

III. A UTONOMIE DES PRINCIPES GÉNÉRAUX DE DROIT
EN TANT QUE « SOURCE » FORMELLE DU DROIT INTERNATIONAL

17. La mens legis de l’expression «principes généraux de droit» figu-
rant à l’alinéa c) du paragraphe 1 de l’article 38 du Statut de la Cour

indique clairement que ces principes constituent, en eux-mêmes, une
«source» (formelle) du droit international, et qu’ils ne doivent pas néces-

sairement être subsumés sous la coutume ou les traités. La position d’une
partie de la doctrine contemporaine, qui consiste à tenter de déterminer si
un principe donné a atteint le «statut» de «norme» du droit internatio-

nal coutumier, ou s’il est «reconnu» en droit international conventionnel,
passe tout bonnement à côté de l’essentiel et pèche d’un point de vue
conceptuel. Elle revient à ne pas saisir qu’un principe général de droit est

très différent d’une règle du droit international coutumier ou d’une
norme du droit international conventionnel. Un principe n’est pas une
norme ou une règle; celles-ci en sont inspirées, et lui restent subordon-

nées. Un principe n’est pas une coutume ni une norme conventionnelle.

17Cour permanente de Justice internationale, comité consultatif de juristes, Procès-

verbaux des séances du comité avec annexes, 16 juin-24 juillet 1920, op. cinote 2,a
p.1884.
Ibid., p. 730.
19Documents de la conférence des Nations Unies sur l’organisation internationale
(San Francisco, 1945), t. XIV, p. 843.
20Ibid., t. XIII, p. 284-285.
21Ibid., t. XIII, p. 392.

132 18. Not seldom general legal principles are expressly invoked, or

referred to, not only in treaties and international practice (of States and
other subjects of international law), but also in national and international
case law (cf. infra), and in doctrine. But even if they were not so invoked,
they would not thereby be deprived of their condition of an autonomous
formal “source” of international law. Furthermore, in our times, they are

also invoked, or referred to, in resolutions of international organizations
(starting with the United Nations); despite the fact that such resolutions
are not listed in Article 38 (1) (c) of the ICJ Statute, the ICJ has taken
them into account and has applied them (cf. infra). Such references or

invocations of general principles, in distinct manifestations or formal
“sources” of international law, bear witness of their importance, and pro-
claim it. But even if such invocations or references did not exist, general
principles would still be there, at the origins and foundations of any legal

system; in my perception, there cannot be any legal system without them.
They cannot be overlooked by the ICJ.

19. Furthermore, my own understanding is in the sense that general
principles of law — of domestic or international manifestation — stand
as a category of their own, conceptually distinct from customary or con-
ventional international law, in the list of “formal” sources under Arti-

cle 38 of the ICJ Statute. General principles of law stand on their own, as
one of the (formal) “sources” of international law (endowed with
autonomy), that the judge can resort to, bearing in mind the circum-
stances of the case at issue. In the drafting of the PCIJ (and ICJ) Statute,
those principles were not equated with custom or treaties, they were iden-

tified as a separate and additional category, as one of the “formal”
sources of international law. And that is how, in my perception, they
have been applied by the Hague Court in its jurisprudence constante (cf.
infra).

IV. R ECOURSE TO P RINCIPLES IN THE CASE L AW OF THE ICJ

20. In its case law, the Hague Court [PCIJ and ICJ] has, in the judicial
settlement of the cases brought before its attention, often resorted to gen-
eral principles of law. It has taken the expression to cover general prin-
ciples of international law as well. The old PCIJ, for example, in the

Oscar Chinn case (1934), expressly referred to “general principles of
international law” (Judgment, 1934, P.C.I.J., Series A/B, No. 63 , pp. 81
and 87). In the célèbre Chorzów Factory case (1928), it took the obliga-
tion to make reparation for any breach of an international engagement as
amounting to “[a general] principle of international law” (Merits,

Judgment No. 13, 1928, P.C.I.J., Series A, No. 17 , p. 29). And in the
Mavrommatis Palestine Concessions case (1924), it characterized the pro-
tection of nationals or subjects by resort to diplomatic protection as cor-

133 18. Il n’est pas rare que les principes juridiques généraux soient expres-
sément invoqués, ou visés, non seulement dans des traités et la pratique

internationale (des Etats et d’autres sujets du droit international), mais
aussi dans la jurisprudence nationale et internationale (voir infra), et
dans la doctrine. Mais, quand bien même ils ne seraient pas invoqués de
la sorte, ils n’en demeureraient pas moins une «source» formelle auto-

nome du droit international. En outre, à notre époque, ils sont également
invoqués ou visés dans les résolutions d’organisations internationales (à
commencer par celles de l’Organisation des Nations Unies); bien que ces
résolutions ne figurent pas dans la liste contenue à l’alinéa c) du para-
graphe 1 de l’article 38 de son Statut, la Cour en tient compte et les

applique (voir infra). Le fait que les principes généraux soient ainsi visés
ou invoqués dans différentes manifestations ou sources formelles du droit
international témoigne de leur importance et la proclame. Mais, même si
tel n’était pas le cas, les principes généraux conserveraient tout de même

leur place, aux origines et aux fondements de tout système juridique; à
mes yeux, nul système juridique ne peut exister sans eux. La Cour ne peut
les laisser de côté.
19. Qui plus est, il me semble que les principes généraux de droit
— qu’ils s’expriment en droit interne ou en droit international — consti-

tuent en eux-mêmes, dans la liste des sources «formelles» recensées à
l’article 38 du Statut de la Cour, une catégorie foncièrement distincte du
droit international coutumier ou conventionnel. Ils ont leur existence
propre, en tant que l’une des «sources» (formelles) du droit international

(dotée d’une autonomie) auxquelles le juge peut avoir recours, compte
tenu des circonstances de l’affaire concernée. Lors de la rédaction du Sta-
tut de la Cour permanente (et de la Cour actuelle), ces principes n’ont pas
été assimilés à la coutume ni aux traités, mais ont été désignés comme un
autre type, différent, de source «formelle» du droit international. Et c’est

ainsi qu’ils ont, si je ne m’abuse, été appliqués par la Cour et par sa
devancière dans une jurisprudence constante (voir infra).

IV. L E RECOURS AUX PRINCIPES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR

20. Dans sa jurisprudence, la Cour et sa devancière ont, pour régler les
affaires portées devant elles, souvent eu recours aux principes généraux
de droit. Elles ont interprété cette expression comme englobant égale-

ment les principes généraux du droit international. La Cour permanente,
par exemple, dans son arrêt en l’affaire Oscar Chinn (1934), fit expressé-
ment référence aux «principes généraux du droit international» (arrêt,
1934, C.P.J.I. série A/B n° 63 , p. 81 et 87). Dans la célèbre affaire rela-

tive à l’Usine de Chorzów (1928), elle vit dans l’obligation de réparer en
cas de manquement à un engagement international «un principe [général]
du droit international» (fond, arrêt n° 13, 1928, C.P.J.I. série A n° 17 ,
p. 29). Et dans l’affaire des Concessions Mavrommatis en Palestine
(1924), elle présenta la protection des ressortissants ou des personnes fai-

133responding to “an elementary principle of international law” (Judgment
No. 2, 1924, P.C.I.J., Series A, No. 2, p. 12).

21. As for the ICJ, it has likewise applied general principles of law in
the same understanding, i.e., as comprising principles recognized both in
foro domestico (and transposed into international level) and in interna-
tional law itself. Thus, in the Corfu Channel case (1949), the Court

invoked “well-recognized principles” of international law (United King-
dom v. Albania, I.C.J. Reports 1949 , p. 22). In its Advisory Opinion on
Reservations to the Convention against Genocide (1951), the ICJ, after
referringtothe“conscienceofmankind”,assertedthattheprinciplesunder-

lying the Convention against Genocide are “binding on States, even with-
out any conventional obligation” (I.C.J. Reports 1951, p. 23).

22. In the Nicaragua v. United States case (1986), the Court reiterat-

edly referred to “fundamental general principles of humanitarian law”
(Military and Paramilitary Activities in and against Nicaragua,
I.C.J. Reports 1986, pp. 113-115, 129-130, paras. 218, 220 and 255). In
that same Judgment of 27 June 1986, the ICJ further referred to “princi-
ples which the General Assembly declared to be ‘basic principles’ of inter-

national law” (ibid., p. 107, para. 203), and itself invoked “the principle
of non-intervention” (ibid., pp. 106-107, paras. 202 and 204). Much
earlier on, in the Right of Passage over Indian Territory case, the ICJ
took note of the invocation by Portugal of “general international custom,
as well as the general principles of law” (Portugal v. India, Merits, Judg-

ment, I.C.J. Reports 1960, p. 43), of course not taking them as synon-
ymous.

23. The Court has, for example, invoked the principle of self-determi-
nation of peoples in its Advisory Opinion on Namibia (I.C.J. Reports

1971, p. 31, para. 52); in its Judgment in the East Timor (Portugal v.
Australia) case (I.C.J. Reports 1995, p. 201, para. 29); in its Judgment of
1986 in the Frontier Dispute (Burkina Faso v. Mali) case (I.C.J. Reports
1986, pp. 566-567, para. 25); in its Advisory Opinion on Western Sahara
(I.C.J. Reports 1975, pp. 31 and 33, paras. 55 and 59); and in its Advi-

sory Opinion on Legal Consequences of the Construction of a Wall
(I.C.J. Reports 2004 (I), p. 271, para. 88). In the aforementioned Judg-
ment in the East Timor case, it characterized the principle of self-deter-
mination of peoples as “one of the essential principles of contemporary
international law” (I.C.J. Reports 1995, p. 102, para. 29). In the case of

the Gabc ˇíkovo-Nagymaros Project , the ICJ used interchangeably the
expressions “a principle of international law” and “a general principle of
law” (Hungary/Slovakia, Judgment, I.C.J. Reports 1997 , p. 53, para. 75),
as well as “a principle of international law or a general principle of law”

(ibid., para. 76).

134sant l’objet du recours à la protection diplomatique comme «un principe
élémentaire du droit international» (arrêt n° 2, 1924, C.P.J.I. série A

n° 2, p. 12).
21. Quant à la Cour actuelle, elle a également appliqué les principes
généraux de droit en ce sens, c’est-à-dire en tant qu’englobant les prin-
cipes reconnus à la foisin foro domestico (puis transposés à l’échelle inter-
nationale) et dans le cadre du droit international lui-même. Ainsi, dans

son arrêt en l’affaire du Détroit de Corfou (1949), la Cour invoqua les
«principes ... bien reconnus» du droit international (Royaume-Uni
c. Albanie, fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1949 , p. 22). Dans son avis consul-
tatif sur les Réserves à la convention pour la prévention et la répression du

crime de génocide (1951), la Cour, après s’être référée à la «conscience
humaine», indiqua que les principes sous-tendant la convention contre le
génocide «obligea[ie]nt les Etats même en dehors de tout lien convention-
nel» (C.I.J. Recueil 1951, p. 23).
22. Dans son arrêt en l’affaire Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique ,la

Cour se référa à plusieurs reprises aux «principes généraux de base du
droit humanitaire» (Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua
et contre celui-ci, C.I.J. Recueil 1986 , p. 113-114, par. 218, p. 114-115,
par. 220, et p. 129-130, par. 255). Toujours dans cet arrêt (du 27 juin 1986),
la Cour renvoya aux «principes que l’Assemblée générale a[vait] qualifiés

de «principes fondamentaux du droit international»» (ibid., p. 107,
par. 203), invoquant elle-même «le principe de non-intervention» (ibid.,
p. 106, par. 202, et p. 107, par. 204). Longtemps auparavant, dans
l’affaire du Droit de passage sur territoire indien, la Cour avait pris note
du fait que le Portugal avait invoqué la «coutume internationale générale

et les principes généraux de droit» (Portugal c. Inde, fond, arrêt,
C.I.J. Recueil 1960, p. 43), sans les considérer comme synonymes, bien
entendu.
23. La Cour a par exemple invoqué le principe de l’autodétermination
des peuples dans son avis consultatif sur la Namibie (C.I.J. Recueil 1971,

p. 31, par. 52), dans son arrêt en l’affaire relative au Timor oriental (Por-
tugal c. Australie, C.I.J. Recueil 1995 , p. 201, par. 29), dans son arrêt en
l’affaire du Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali, C.I.J.
Recueil 1986, p. 566-567, par. 25), dans son avis consultatif sur le Sahara
occidental (C.I.J. Recueil 1975, p. 31-32, par. 55, et p. 33, par. 59) et dans

son avis consultatif sur les Conséquences juridiques de l’édification d’un
mur dans le territoire palestinien occupé (C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 271,
par. 88). Dans son arrêt précité relatif au Timor oriental, la Cour pré-
senta le principe de l’autodétermination des peuples comme l’«un
des principes essentiels du droit international contemporain» (C.I.J.

Recueil 1995, p. 102, par. 29). Dans l’affaire relative au Projet
Gabcˇíkovo-Nagymaros, la Cour utilisa indifféremment les expressions
«un principe du droit international», «un principe général de droit»
(Hongrie/Slovaquie, arrêt, C.I.J. Recueil 1997 , p. 53, par. 75) et «un

principe de droit international ou un principe général de droit» (ibid.,
par. 76).

134 24. General principles of law applied by the ICJ have encompassed
22
those of both substantive and procedural law. In the (first) Nuclear
Tests case (1974), the ICJ invoked, e.g., the principle of good faith (I.C.J.
Reports 1974, p. 472, para. 46). In its Advisory Opinion on the Applica-
tion for Review of Judgement No. 158 of the United Nations Administra-

tive Tribunal, the ICJ relied on the general principle of law of the equality
of arms/égalité des armes (of the procedural parties), (I.C.J. Reports 1973,
p. 180, para. 36). On other occasions (e.g., Advisory Opinion on Effect of

Awards of Compensation Made by the United Nations Administrative
Tribunal, I.C.J. Reports 1954 ,p .3; Application of the Convention
against Genocide (Bosnia and Herzegovina v. Serbia and Montenegro)
case, I.C.J. Reports 2007 (I), p. 90, para. 115), it has invoked the prin-

ciple of res judicata. In the case of the Frontier Dispute (Burkina Faso/
Republic of Mali, I.C.J Reports 1986 , pp. 565 and 567, paras. 20 and 26),
it resorted to the principle of uti possidetis.

25. In its former Advisory Opinion from half a decade ago on Legal
Consequences of the Construction of a Wall (2004), the ICJ proceeded to

identify the “principles of international law” that were relevant to tackle
the issue submitted to its cognizance by the United Nations General
Assembly (I.C.J. Reports 2004 (I), p. 154, para. 39, p. 171, para. 86 and

p. 181, para. 114). The Court made express mention of the principle of
the prohibition of the threat or use of force (Article 2 (4) of the United
Nations Charter), and of the principle of self-determination of peoples 23
(I.C.J. Reports 2004 (I), p. 171, para. 87). The ICJ also referred to

this latter as the right of all peoples to self-determination (as under
Article 1 of the two United Nations Covenants on Human Rights,
ibid., p. 171, para. 88 and p. 182, para. 118). The ICJ also referred to

the principle of peaceful settlement of disputes (ibid., p. 200, para. 161),
as well as to the principles of International Humanitarian Law (ibid.,
p. 199, para. 157).

V. G ENERAL P RINCIPLES OF D OMESTIC AND INTERNATIONAL LAW

1. A Lesson from the Legislative History
of the PCIJ (and ICJ) Statute

26. When Article 38 of the Statute of the Hague Court was adopted,
there were, within the Advisory Committee of Jurists, two outlooks. The

22Cf., e.g., the Advisory Opinion on Namibia (I.C.J. Reports 1971) , p. 48, para. 98.

23As set forth in the 1970 Declaration on Principles of International Law concerning
Friendly Relations and Co-operation among States (General Assembly resolution 2625
(XXV)).

135 24. Les principes généraux de droit appliqués par la Cour relèvent
22
aussi bien du droit substantiel que du droit procédural. Dans la (pre-
mière) affaire des Essais nucléaires (1974), la Cour invoqua, entre autres,
le principe de la bonne foi (bona fides) (Nouvelle-Zélande c. France,

C.I.J. Recueil 1974, p. 472, par. 46). Dansoson avis consultatif relatif à la
Demande de réformation du jugement n 158 du Tribunal administratif
des Nations Unies, la Cour fit fond sur le principe général de droit dit de
l’égalité des armes (des parties à la procédure) (C.I.J. Recueil 1973,

p. 180, par. 36). En d’autres occasions (voir, par exemple, l’avis consul-
tatif quant à l’Effet de jugements du Tribunal administratif des Nations
Unies accordant indemnité, C.I.J. Recueil 1954 , p. 53, et l’arrêt en

l’affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-
Monténégro), C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 90, par. 115), elle invoqua le prin-

cipe de la chose jugée. Dans l’affaire du Différend frontalier (Burkina
Faso/République du Mali, C.I.J. Recueil 1986 , p. 565, par. 20, et p. 567,
par. 26), elle eut recours au principe de l’uti possidetis.
25. Dans le dernier avis consultatif qu’elle a rendu, il y a cinq ans, sur

les Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire
palestinien occupé (2004), que j’ai déjà évoqué, la Cour a déterminé les
«principes de droit international» à appliquer pour répondre à la ques-

tion qui lui avait été posée par l’Assemblée générale des Nations Unies
(C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 154, par. 39, p. 171, par. 86, et p. 181,
par. 114). La Cour a expressément mentionné le principe de l’interdiction

de la menace ou de l’emploi de la force (paragraphe 4 de l’article 2 de la 23
Charte des Nations Unies), et celui de l’autodétermination des peuples
(C.I.J. Recueil 2004 (1), p. 171, par. 87), qu’elle a également présenté
comme le droit de tous les peuples à disposer d’eux-mêmes (ainsi

qu’exposé à l’article premier des deux Pactes des Nations Unies relatifs
aux droits de l’homme — ibid., p. 171, par. 88, et p. 182, par. 118). La
Cour s’est aussi référée au principe du règlement pacifique des différends

(ibid., p. 200, par. 161), ainsi qu’aux principes du droit international
humanitaire (ibid., p. 199, par. 157).

V. L ES PRINCIPES GÉNÉRAUX DE DROIT — INTERNE ET INTERNATIONAL

1. Enseignements à tirer des travaux préparatoires
du Statut de la Cour et de sa devancière

26. Lorsque l’article 38 du Statut de la Cour permanente fut adopté,
deux courants de pensée prédominaient au sein du comité consultatif

22Voir, par exemple, l’avis consultatif sur la Namibie, C.I.J. Recueil.,971 ,p
par. 98.
23Tel qu’établi dans la déclaration de 1970 relative aux principes du droit international
touchant les relations amicales et la coopération entre les Etats (Nations Unies, résolu-
tion 2625 (XXV) de l’Assemblée générale).

135first pursued the identification of those principles as recognized in foro

domestico (Elihu Root, Lord Phillimore); the other pursued the identifi-
cation of the principles of international law (Edward Descamps, Raul
Fernandes). The first attitude can be understood (not necessarily

accepted) in view of the fact that it was at domestic law level that general
principles of law (and mainly of procedural law) first found expression,
in historical perspective. The law of nations (as we behold it today)

emerged later.

27. Yet, to hold this view as inescapable, seems to amount to a static,

and dogmatic position, which requires demonstration. It does not appear
persuasive to me at all. In our days, given the extraordinary development
of the law of nations(droit des gens), there is epistemologically no reason

not to have recourse to general principles of law as recognized in domes-
tic as well as international law (cf. infra). As early as in 1920, there were
those who had an intuition in support of this view. It is, moreover, to my

understanding, well in keeping with the letter and spirit of Article 38 of
the Hague Court, and it takes into due account the progressive develop-
ment of international law in our times.

28. In contemporary international law, general principles of law find
concrete expression not only in foro domestico, but also at international
level. There can be no legal system without them. Always keeping their

autonomy, they may find expression in other formal “sources” or mani-
festations of international law (and not only treaties and custom), even
though not listed in Article 38 (1) (c) of the ICJ Statute, but nonetheless

resorted to by the ICJ in practice. It is the case, inter alia, of resolutions
of international organizations, in particular of the United Nations Gen-
eral Assembly . Bearing this in mind, may I recall, at this stage, some

relevant doctrinal developments on general principles of law (found at

24Cf., in general, e.g., [Various Authors], Principles of International Law Concerning
Friendly Relations and Cooperation (M. Sahovic, ed.), Belgrade, Institute of International

Politics and Economics/Oceana Publs., 1972, pp. 3-275; M. Sahovic, “Codification des
principes du droit international des relations amicales et de la coopération entre les
Etats”, 137 Recueil des cours de l’Académie de droit international de La Ha(1972),
pp. 249-310; G. Arangio-Ruiz, “The Normative Role of the General Assembly of the
United Nations and the Declaration of Principles of Friendly Relations”, 137 Recueil des
cours de l’Académie de droit international de La Haye (1972), pp. 419-742; [Various
Authors], The United Nations and the Principles of International Law — Essays in
Memory of M. Akehurst (V. Lowe and C. Warbrick, eds.), London, Routledge, 1994,
pp. 1-255. And, for the view that United Nations General Assembly resolutions acknowl-
edge general principles of law as universal principles of international law, cf. debates on
“The Role of General Principles of Law and General Assembly Resolutions”, Change and
Stability in International Law-Making (A. Cassese and J. H. H. Weiler, eds.), Berlin,
W. de Gruyter, 1988, pp. 34, 37, 47-48, 50-52 and 54-55 (interventions by W. Riphagen,
J. H. H. Weiler, E. Jiménez de Aréchaga. G. Abi-Saab and A. Cassese); and cf. also
G. Balladore Pallieri, Diritto Internazionale Pubblico , 8th rev. ed., Milan, Giuffrè, 1962,
pp. 25-26 and 95-97; A. Verdross, “Les principes généraux de droit dans le système des

sources du droit international public”, Recueil d’études de droit international en hommage
à P. Guggenheim, Geneva, IUHEI, 1968, pp. 526 and 530.

136de juristes. Les partisans du premier (Elihu Root et lord Phillimore) vou-

laient présenter ces principes comme ayant été reconnus in foro domes-
tico, tandis que ceux du second (Edouard Descamps et Raul Fernandes)
voulaient renvoyer simplement aux principes de droit international. Je

peux comprendre la première attitude (sans pour autant l’accepter) puis-
que c’est en droit interne qu’historiquement les principes généraux du
droit (et surtout du droit procédural) ont trouvé leur première expres-

sion. Le droit des gens (tel que nous l’entendons aujourd’hui) n’est
apparu que plus tard.

27. Toutefois, dire qu’il ne saurait en être autrement revient à adopter
une position statique et dogmatique dont le bien-fondé reste à démontrer;
elle ne me paraît pas du tout convaincante. De nos jours, étant donné

l’évolution extraordinaire du droit des gens, il n’existe du point de vue épis-
témologique aucune raison de ne pas avoir recours aux principes généraux
de droit tels qu’ils sont reconnus en droit interne comme international

(voir infra). Dès 1920, certains penchaient déjà en ce sens. Ce point de vue
est en outre, à mes yeux, parfaitement conforme à la lettre et à l’esprit de
l’article 38 du Statut de la Cour et de sa devancière, et il tient compte du

développement progressif que connaît le droit international à notre époque.
28. En droit international contemporain, en effet, les principes généraux
de droit trouvent leur expression concrète non seulementin foro domestico,

mais aussi au niveau international. Nul système juridique ne peut exister
sans eux. Gardant toujours leur autonomie, ils peuvent trouver expression
dans d’autres «sources» ou manifestations formelles du droit international

(et non pas uniquement dans les traités ou la coutume) dont la Cour a tenu
compte dans la pratique, même si elles ne figuraient pas dans la liste de
l’alinéa c) du paragraphe 1 de l’article 38 de son Statut. Je songe notam-

ment aux résolutions adoptées par les organisations internationales, en
particulier par l’Assemblée générale des Nations Unies . Ces considéra-

24Voir d’une manière générale, par exemple, [divers auteurs], Principles of Interna-
tional Law Concerning Friendly Relations and Cooperation (M. Sahovic, dir. publ.), Bel-
grade, Institute of International Politics and Economics/Oceana Publications, 1972, p. 3-
275; M. Sahovic, «Codification des principes du droit international des relations amicales
et de la coopération entre les Etats», Recueil des cours de l´Académie de droit interna-
tional de La Haye, t. 137 (1972), p. 249-310; G. Arangio-Ruiz, «The Normative Role of
the General Assembly of the United Nations and the Declaration of Principles of Friendly
Relations», ibid., p. 419-742; [divers auteurs], The United Nations and the Principles of
International Law — Essays in Memory of M. Akehurst (V. Lowe et C. Warbrick,

dir. publ.), Londres, Routledge, 1994, p. 1-255. Enfin, en ce qui concerne le point de vue
selon lequel les résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies reconnaissent les
principes généraux de droit comme des principes universels du droit international, voir les
débats sur «The Role of General Principles of Law and General Assembly Resolutions»,
Change and Stability in International Law-Making (A. Cassese et J. H. H. Weiler,
dir. publ.), Berlin, W. de Gruyter, 1988, p. 34, 37, 47-48, 50-52 et 54-55 (interventions de
W. Riphagen, J. H. H. Weiler, E. Jiménez de Aréchaga. G. Abi-Saab et A. Cassese); voir
aussi G. Balladore Pallieri, Diritto Internazionale Pubblico ,8evisée, Milan, Giuffrè,
1962, p. 25-26 et 95-97; A. Verdross, «Les principes généraux de droit dans le système des
sources du droit international public», Recueil d’études de droit international en hommage
à P. Guggenheim, Genève, IUHEI, 1968, p. 526 et 530.

136national as well as international levels), as manifested in the times of both

the PCIJ and the ICJ.

2. Relevant Doctrinal Developments on General Principles of Law

(a) In the PCIJ times

29. The review that follows is not meant to be exhaustive, but rather

selective, to illustrate the point I am making, as advanced in doctrinal
writings in the periods of operation of both the old PCIJ and the ICJ. In
his study of the case law of the old PCIJ on the sources of international

law, for example, Max Sørensen, while subscribing to the then prevailing
view that general principles of law were those crystallized in foro domes-
tico , did not fail to point out that, however, already at that time, there

were jurists (like Jules Basdevant and Frede Castberg) who thought dif-
ferently. The minority view of expert writing, already in the
twilight of the old PCIJ, was that those principles allowed the Court
to decide also on the basis of the general principles of international law
26
itself .

30. In fact, in the minority — and in my view more enlightened —

position, already in 1936, Jules Basdevant, for example, sustained that
“the general principles of law recognized by civilized nations may be
sought not only in domestic law, but also in private or related interna-
27
tional law through the use of the comparative method” [translation by
the Registry]. To look for those principles only in foro domestico would
hardly be adequate, as not always would such principles be transposed
onto international level without difficulties; hence the inescapable need

to identity or acknowledge them also at international level itself, though
this was, at that time, still a somewhat “unexplored” exercise . 28

31. Likewise, Frede Castberg, as early as in 1933, in assessing the
work of the Advisory Committee of Jurists which drafted in 1920 the
Statute of the PCIJ (cf. supra), challenged the promptly prevailing

view that — in the line of a remark by Lord Phillimore — general
principles of law were those applied in foro domestico. Distinctly,
Frede Castberg beholding in them true principles of justice, contended
that

25Max Sørensen, Les sources du droit international , Copenhagen, E. Munksgaard,
1946, p. 113.
26Ibid., p. 113.
27Jules Basdevant, “Règles générales du droit de la paix”, 58 Recueil des cours de
l’Académie de droit international de La Haye (1936), p. 504.
28Ibid., pp. 498-504.

137tions à l’esprit, je vais maintenant rappeler certains dévelop-

pements doctrinaux intéressants sur les principes généraux de droit (tant
au niveau national qu’à l’échelle internationale), qui datent
non seulement de l’époque de la Cour mais aussi du temps de sa
devancière.

2. La doctrine et les principes généraux de droit

a) Du temps de la Cour permanente

29. L’examen qui va suivre ne vise pas à l’exhaustivité mais se veut

sélectif pour illustrer le point que j’entends démontrer, tel qu’il ressort des
ouvrages de doctrine rédigés tant à l’époque de l’ancienne Cour qu’à celle
de la Cour actuelle. Dans son analyse de la jurisprudence de la Cour per-
manente sur les sources du droit international, par exemple, Max Søren-

sen, bien qu’adhérant au point de vue, alors dominant, selon lequel les
principes généraux de droit étaient ceux qui s’étaient cristallisés in foro
domestico , ne manqua pas de relever que, déjà à l’époque, certains

juristes (comme Jules Basdevant et Frede Castberg) étaient d’un autre
avis. En effet, une minorité d’auteurs estimait déjà, alors que la Cour per-
manente se trouvait au crépuscule de son existence, que ces principes lui
permettaient de statuer également sur la base des principes généraux du
26
droit international lui-même .
30. En fait, l’un des tenants de cette position minoritaire — et, selon
moi, plus éclairée —, Jules Basdevant, soutint par exemple dès 1936 que

«les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées peu-
vent être cherchés non seulement dans le droit interne, mais aussi dans le
droit international particulier ou relatif par l’emploi de la méthode com-
parative» . Rechercher ces principes uniquement in foro domestico ne

serait guère approprié, leur transposition dans le droit international
n’allant pas toujours sans difficultés, d’où la nécessité absolue de les iden-
tifier ou de les reconnaître également au niveau de l’ordre international

lui-même, même si cela supposa28 toujours à l’époque de «sortir des sen-
tiers battus», si je puis dire .
31. De même, dès 1933, Frede Castberg, lorsqu’il examina les travaux
du comité consultatif de juristes qui avait rédigé en 1920 le Statut de la

Cour permanente (voir supra), contesta le point de vue qui s’était rapi-
dement imposé, à savoir — selon une remarque de lord Phillimore — que
les principes généraux de droit étaient ceux appliqués in foro domestico.

En particulier, Frede Castberg, qui voyait dans ces principes de véritables
principes de justice, fit valoir que

25Max Sørensen, Les sources du droit international , Copenhague, E. Munksgaard,
1946, p. 113.
26Ibid., p. 113.
27Jules Basdevant, «Règles générales du droit de la paix», Recueil des cours de
l´Académie de droit international de La Haye , t. 58 (1936), p. 504.
28Voir ibid., p. 498-504.

137 “It would be far too unreasonable to allow the Court to seek the

rules to be applied in its decisions from among the general principles
in any field of domestic law, without allowing it to rule in accord-
ancewiththegeneralprinciplesofinternationallaw.Thereisnoreason-

able ground to assume that, of all the general principles of law, it is
precisely those of international law that are precluded from provid-
ing the basis for decisions of the Permanent Court of International

Justice. It is true that general principles of domestic law are indeed
applicable also in relations between States.

.............................
Some years ago, we were perhaps overly inclined, in the theory of

international law, to exclude any application of the principles of
domestic law. But we should not now go to the other extreme and
seek even to exclude the principles of international law in favour of

the principles of domestic law. Such an irrational system is unaccept-
able, unless expressly established by a treaty . . .” 29 [Translation by
the Registry.]

32. May I, in addition, recall the views of two other jurists on the mat-
ter at issue, made public also in the years of operation of the old PCIJ. In
his thematic course of 1935 at The Hague Academy of International

Law, Alfred Verdross pondered that, in approaching the “sources” of
international law, there are ultimately two basic opposing conceptions:

one, which starts from the “idée du droit”, and the other, which privileges
consent or the will; the latter is found in (philosophical) positivism, while
the former upholds that the “idée du droit”, emanating from human con-
30
science, paves the way for a universal jus gentium .

33. This approach, starting from the idea of an “objective justice”, sus-

tains the autonomy of principles, thus opposing the typical positivist out-
look, which insists that they ought to be manifested through treaties or
custom . General principles of law, as set forth in Article 38 (3) of the

Statute of the PCIJ, are thus an autonomous “source” of international

29 Frede Castberg, “La méthodologie du droit international public”, 43 Recueil des
cours de l’Académie de droit international de La Haye (RCADI) (1933), pp. 370 and 372.
Precisely four decades later, in 1973, Frede Castberg, referring to “the great principle
pacta sunt servanda”, as a “fundamental principle of public international law”, observed

that the confines between this latter and domestic law had at that time “become blurred”,
and insisted on his view that there was “not sufficient reason to separate ... the general
principles of law from their attachment” to the two “traditional” main branches of the
law, namely, “internal law and public international law”; Frede Castberg, “International
Law in Our Time”, 138 Recueil des cours de l’Académie de droit international de La Haye
(1973), pp. 5 and 8. In other words, general principles of law can be identified at the levels
of both domestic law and public international law itself.
30 A. Verdross, “Les principes généraux du droit dans la jurisprudence internationale”,
52 Recueil des cours de l’Académie de droit international de La Haye (1935), pp. 195-197
and 202-203.
31 Ibid., pp. 216 and 221.

138 «[i]l serait par trop irrationnel de permettre à la Cour de rechercher

les normes à appliquer dans ses décisions parmi les principes géné-
raux de n’importe quel domaine de droit interne, sans qu’elle pût
statuer selon les principes généraux du droit international. Il n’y a

aucun motif rationnel pour supposer que, de tous les principes géné-
raux du droit, précisément ceux du droit international soient exclus
comme base des décisions de la Cour permanente de Justice interna-

tionale. Il est vrai que bien des principes généraux du droit interne
sont valables aussi dans les rapports entre Etats.

.............................
Il y a quelques dizaines d’années, on était peut-être trop porté,

dans la théorie du droit international, à exclure toute application des
principes du droit interne. Mais il ne faut pas maintenant se jeter à
l’autre extrême et vouloir même exclure les principes du droit inter-

national en faveur des principes du droit interne. Un système aussi
peu rationnel ne saurait être accepté, à moins qu’il ne soit établi
d’une manière expresse par un traité...» 29

32. Je rappellerai aussi le point de vue que deux autres juristes expri-
mèrent publiquement sur la question, toujours à l’époque de l’ancienne
Cour. Dans le cours thématique qu’il donna en 1935 à l’Académie de

droit international de La Haye, Alfred Verdross fit observer que, s’agis-
sant des «sources» du droit international, il existait finalement deux

conceptions fondamentalement opposées: l’une partait de l’«idée du
droit» et l’autre privilégiait le consentement ou la volonté; la seconde
se retrouvait dans le positivisme (au sens philosophique), tandis que la

première tendait à affirmer que l’«idée du droit», émanation de la 30
conscience humaine, ouvrait la voie à un jus gentium universel .
33. Cette approche, fondée sur l’idée d’une «justice objective», défend

l’autonomie des principes en question, s’opposant ainsi à la conception
positiviste classique, qui soutient qu’ils doivent trouver leur expression dans
les traités ou la coutume . Les principes généraux de droit, tels qu’évoqués

au paragraphe 3 de l’article 38 du Statut de la Cour permanente, consti-

29Frede Castberg, «La méthodologie du droit international public», Recueil des cours
de l’Académie de droit international de La Haye (RCADI) , t. 43 (1933), p. 370 et 372.
Exactement quarante ans plus tard, en 1973, Frede Castberg, se référant «au grand
principe dit pacta sunt servanda », un «principe fondamental du droit international pu-

blic», fit observer que, à l’époque, les limites entre ce principe et le droit interne «étaient
devenues plus floues», et insista sur le fait qu’il n’existait selon lui «aucune raison de
détacher ... les principes généraux de droit» des deux grandes branches «traditionnelles»
du droit, à savoir «le droit interne et le droit international public»; Frede Castberg,
«International Law in Our Time», RCADI, t. 138 (1973), p. 5 et 8. En d’autres termes, les
principes généraux de droit peuvent se retrouver aussi bien au niveau du droit interne qu’à
l’échelle du droit international lui-même.
30A. Verdross, «Les principes généraux du droit dans la jurisprudence internationale»,
Recueil des cours de l’Académie de droit international de La Haye , t. 52 (1935), p. 195-197
et 202-203.
31Ibid., p. 216 et 221.

138law , and can be applied concomitantly with treaties and custom, and be

resorted to in order to interpret provisions of treaties and rules of cus-
tomary law . 33

34. For his part, in a study published one decade later, in 1944,
Charles Rousseau expressed his view that the concept of “general princi-

ples of law” is not limited only to those of domestic law, but comprises
likewise the general principles of international law . He insisted that the
concept encompasses “the principles universally accepted in domestic law

and the general principles of the international legal order”, thus “clearly
including both international law and domestic law” 35[translation by the

Registry].
35. General principles of law, thus understood — he proceeded — are

an autonomous “source” of international law, distinct from customary
rules and conventional norms . He further pointed out that, already at
that time, expert writing seemed divided on the matter: “positivist writers,

who believe that international law is of an exclusively voluntarist nature,
have naturally sought to downplay the role of general principles of
37
law” [translation by the Registry] ; those who opposed the positivist
dogma ascribed greater importance to general principles of law, “deriving
38
directly from objective law” [translation by the Registry] .
36. Those were some of the more penetrating reflections devoted to the
general principles of law (comprising the principles of international law)

in the times of the old PCIJ. As already pointed out, they were not the
only ones, as other doctrinal works were dedicated particularly to the

study of the matter at issue, a subject which attracted considerable atten-
tion at that time . Such was the case of Alejandro Alvarez, who, in an

exposé de motifs of a proposed declaration of principles of international
law, published on the eve of the outbreak of the Second World War,
called for a reconstruction of international law bearing in mind not only

positive law, but also theprinciples, which oriented legal norms and rules,
and which, in his view, prevailed in the whole of international law, and
40
appeared as “manifestations of the juridical conscience of the peoples” .

32 A. Verdross, “Les principes généraux du droit dans la jurisprudence internationale”,
op. cit. supra note 30, pp. 223, 228, 234 and 249.
33 Ibid., p. 227.
34 Ch. Rousseau, Principes généraux du droit international public , Vol. I (Sources),
Paris, Pedone, 1944, p. 891.
35
36 Ibid., p. 901.
Ibid., pp. 913-914.
37 Ibid., p. 926.
38 Ibid., p. 927.
39 Cf. further, inter alia, T. J. Lawrence, Les principes de droit international, 5th ed.
(transl. J. Dumas and A. de Lapradelle), Oxford University Press, 1920, pp. 99-120; P. Der-
evitzky, Les principes du droit international, Paris, Pedone, 1932; Bin Cheng,General Prin-

ciples of Law as Applied by International Courts and Tribunals, London, Stevens, 1953;
G. Scelle, Précis de droit des gens: principes et systématique, Paris, Rec. Sirey, 1934.
40 A. Alvarez, Exposé de motifs et déclaration des grands principes du droit international
moderne, 2nd ed., Paris, Eds. Internationales, 1938, pp. 8-9 and 16-23, and cf. pp. 27 and 51.

139tuent donc une «source» autonome du droit international, et ils peuvent

être appliqués conjointement avec les traités et la coutume, et utilisés pour
interpréter les dispositions de traités ou de règles du droit coutumier. 33

34. Pour sa part, dans une étude publiée dix ans plus tard, en 1944,
Charles Rousseau souligna que la notion de «principes généraux de

droit» ne visait pas uniquement les principes du droit interne, mais com-
prenait également les principes généraux du droit international . Il insis- 34

tait sur le fait que cette notion recouvrait «les principes universellement
admis dans les législations internes et les principes généraux de l’ordre

juridique international», «englobant [ainsi] de toute évidence le droit
international aussi bien que le droit interne» . 35

35. Les principes généraux de droit, entendus en ce sens — poursui-
vait-il —, constituent une «source» autonome du droit international, dis-
tincte des règles coutumières et des normes conventionnelles . Il relevait6

en outre que, déjà à l’époque, la doctrine semblait partagée sur la ques-
tion: «les auteurs positivistes, pour qui le droit international a un contenu

exclusivement volontaire, ont naturellement cherché à minimiser le rôle
des principes généraux du droit» ; les détracteurs du dogme positiviste

attachaient une plus grande importance à ces principes «provenant direc-
tement du droit objectif» . 38

36. Voilà quelques-unes des réflexions les plus prégnantes qui aient été
faites au sujet des principes généraux de droit (y compris les principes du

droit international) du temps de la Cour permanente. Comme je l’ai déjà
dit, ce ne furent pas les seules, d’autres ouvrages de doctrine ayant été
consacrés à ce thème particulier, qui suscitait une attention considérable
39
à l’époque . Ainsi, Alejandro Alvarez, dans un exposé de motifs concer-
nant un projet de déclaration sur les principes du droit international,

publié à la veille de la seconde guerre mondiale, appela à une reconstruc-
tion du droit international tenant compte non seulement du droit positif

mais aussi des principes, qui orientaient les normes et règles juridiques et
qui, à ses yeux, présidaient au droit international tout entier comme des
40
«manifestations de la conscience juridique des peuples» .

32 A. Verdross, «Les principes généraux du droit dans la jurisprudence internationale»,
op. cit. supra note 30, p. 223, 228, 234 et 249.
33 Ibid., p. 227.
34
Ch. Rousseau, Principes généraux du droit international public , vol. I (Sources),
Paris, Pedone, 1944, p. 891.
35 Ibid., p. 901.
36 Ibid., p. 913-914.
37 Ibid., p. 926.
38 Ibid., p. 927.
39 e
Voir aussi, entre autres, T. J. Lawrence,Les principes de droit international,5 éd.
(trad. J. Dumas et A. de Lapradelle), Oxford, University Press, 1920, p. 99-120; P. Dere-
vitzky, Les principes du droit international, Paris, Pedone, 1932; Bin Cheng,General Prin-
ciples of Law as Applied by International Courts and Tribunals, Londres, Stevens, 1953;
G. Scelle, Précis de droit des gens — principes et systématique, Paris, Rec. Sirey, 1934.
40 A. Alvarez, Exposé de motifs et déclaration des grands principes du droit interna-
e
tional moderne,2 éd., Paris, Editions internationales, 1938, p. 8-9 et 16-23, et p. 27 et 51.

139(b) In the ICJ times

37. Considerably more attention was devoted to the principles of

international law some decades ago (including the times of the PCIJ)
than in our days. Yet, those principles retain, in my view, their utmost
importance, as they inform of and conform to the legal norms of any

legal system. In the past, successive doctrinal works were dedicated par-
ticularly to the study of the principles of international law, in the frame-

work of the foundations of the discipline and the consideration of the
validity of its norms. In the 1950s 41 and the 1960s 42 some courses

delivered at The Hague Academy of International Law addressed the
theme of the principles of international law, which was retaken in mono-
graphs in the 1960s 43 and the 1970s . Subsequently, except for a
45
few works , there appeared to occur, rather surprisingly, a decline in
the interest in the study of the matter, parallel to the dissemination

of a seemingly — and regrettably — pragmatic approach to the study of
international law.

38. Although concern with the need to consider the principles of inter-
national law appears to have declined in the last quarter of century, those

principles have, nevertheless, always marked their presence in the doctrine
of international law, including the contemporary one. Principles of inter-

41 Cf. H. Rolin, “Les principes de droit international public”, 77 Recueil des cours de
l’Académie de droit international de La Haye (RCADI) (1950), pp. 309-479;

G. Schwarzenberger, “The Fundamental Principles of International Law”, 87 RCADI
(1955) pp. 195-385; P. Guggenheim, “Les principes de droit international public”, 80
RCADI (1952) pp. 5-189; Ch. Rousseau, “Principes de droit international public”, 93
RCADI (1958), pp. 369-549; G. Fitzmaurice, “The General Principles of International
Law Considered from the Standpoint of the Rule of Law”, 92 RCADI (1957), pp. 1-223.
42 Cf. M. Sørensen, “Principes de droit international public”, 101 RCADI (1960), pp. 1-

251; P. Reuter, “Principes de droit international public”, 103 RCADI (1961), pp. 429-656;
R. Y. Jennings, “General Course on Principles of International Law”, 121 RCADI (1967),
pp. 327-600.

43 Cf. M. Miele, Principi di Diritto Internazionale , 2nd ed., Padova, Cedam, 1960;
L. Delbez, Les principes généraux du contentieux international, Paris, LGDJ, 1962; L. Del-
bez, Les principes généraux du droit international public , 3rd ed., Paris, LGDJ, 1964;

H. Kelsen, Principles of International Law, 2nd ed., N.Y., Holt Rinehart & Winston, 1966;
W. Friedmann, “The Uses of ‘General Principles’ in the Development of International
Law”, 57 American Journal of International Law (1963), pp. 279-299; M. Virally, “Le rôle
des ‘principes’ dans le développement du droit international”, Recueil d’études de droit
international en hommage à P. Guggenheim , Geneva, IUHEI, 1968, pp. 531-554; M. Bar-
tos, “Transformations des principes généraux en règles positives du droit international”,

Mé44nges offerts à J. Andrassy , The Hague, Nijhoff, 1968, pp. 1-12.
Cf., e.g., B. Vitanyi, “La signification de la ‘généralité’ des principes de droit”, 80
Revue générale de droit international public (1976), pp. 536-545.
45 Cf., e.g., I. Brownlie, Principles of Public International Law , 6th ed., Oxford, Claren-
don Press, 2003, pp. 3 et seq.
46 Cf., e.g., inter alia, H. Thierry, “L’évolution du droit international: Cours général de
droit international public”, 222 RCADI (1990), pp. 123-185; G. Abi-Saab, “Cours général

de droit international public”, 207 RCADI (1987), pp. 328-416.

140b) A l’époque de la Cour

37. L’attention consacrée aux principes du droit international était

bien plus grande il y a quelques dizaines d’années (notamment du temps
de la Cour permanente) qu’à l’heure actuelle. Pourtant, ces principes n’en

demeurent pas moins, selon moi, de la plus haute importance, puisqu’ils
inspirent et façonnent les normes constituant tout système juridique. Par

le passé, des ouvrages de doctrine successifs furent consacrés en particu-
lier à l’étude des principes du droit international, sous l’angle des fonde-

ments de cette discipline et de la validité des normes existant en la
matière. Ainsi, dans les années 1950 41 et 1960 , certains cours furent

donnés à l’Académie de droit international de La Haye sur le thème des
principes de droit international, qui fut repris dans des monographies des
43 44
années 1960 et 1970 . Par la suite, exception faite de quelques ouvra-
ges , l’intérêt pour la question semble avoir décliné, de façon assez sur-

prenante, à mesure que se répandait une approche apparemment prag-
matique — et regrettable — de l’étude du droit international.

38. Bien que la nécessité d’examiner les principes de droit international
semble avoir été reléguée au second plan ces vingt-cinq dernières années,

ces principes sont toutefois restés très présents dans la doctrine, y compris
contemporaine . Le système juridique international tout entier est impré-

41 Voir H. Rolin, «Les principes de droit international public», Recueil des cours de

l’Académie de droit international de La Haye (RCADI) , t. 77 (1950), p. 309-479;
G. Schwarzenberger, «The Fundamental Principles of International Law», RCADI,t.87
(1955), p. 195-385; P. Guggenheim, «Les principes de droit international public», RCADI,
t. 80 (1952), p. 5-189; Ch. Rousseau, «Principes de droit international public», RCADI,
t. 93 (1958), p. 369-549; G. Fitzmaurice, «The General Principles of International Law,

Co42idered from the Standpoint of the Rule of Law», RCADI, t. 92 (1957), p. 1-223.
Voir M. Sørensen, «Principes de droit international public», Recueil des cours de
l´Académie de droit international de La Haye (RCADI) , t. 101 (1960), p. 1-251; P. Reu-
ter, «Principes de droit international public», RCADI, t. 103 (1961), p. 429-656; R. Y. Jen-
nings, «General Course on Principles of International Law», RCADI, t. 121 (1967),

p.4327-600. e
Voir M. Miele, Principi di Diritto Internazionale ,2 éd., Padoue, Cedam, 1960;
L. Delbez, Les principes généraux du contentieux international , Paris, LGDJ, 1962;
L. Delbez, Les principes généraux du droit international public ,3d., Paris, LGDJ, 1964;
H. Kelsen, Principles of International Law ,2eéd., New York, Holt Rinehart & Winston,

1966; W. Friedmann, «The Uses of «General Principles» in the Development of Inter-
national Law», American Journal of International Law (1963), vol. 57, p. 279-299;
M. Virally, «Le rôle des «principes» dans le développement du droit international»,
Recueil d’études de droit international en hommage à P. Guggenheim , Genève, IUHEI,
1968, p. 531-554; M. Bartos, «Transformations des principes généraux en règles positives
du droit international», Mélanges offerts à J. Andrassy , La Haye, Nijhoff, 1968, p. 1-12.
44
Voir, par exemple, B. Vitanyi, «La signification de la «généralité» des principes de
droit», Revue générale de droit international public (1976), vol. 80, p. 536-545.
45 Voir, par exemple, I. Brownlie, Principles of Public International Law ,6 e éd.,
Oxford, Clarendon Press, 2003, p. 3 et suiv.
46 Voir, par exemple, H. Thierry, «L’évolution du droit international — Cours général

de droit international public», Recueil des cours de l´Académie de droit international de
La Haye (RCADI), t. 222 (1990), p. 123-185; G. Abi-Saab, «Cours général de droit
international public», RCADI, t. 207 (1987), p. 328-416.

140national law permeate the entire international legal system, playing an

important role in international law-making as well as in the application of
international law. In some cases (such as, e.g., in the Law of Outer Space),
they have paved the way for the construction of a new corpus juris,inanew

domain of international law which required regulation, and the principles
originally proclaimed have fully retained their value to date. This is the

case, e.g., of International Environmental Law in our times (cfi.nfra).
39. Principles of international law are guiding principles of general
content, and, in that, they differ from the norms or rules of positive inter-

national law, and transcend them. As basic pillars of the international
legal system (as of any legal system), those principles give expression to
the idée de droit, and furthermore to the idée de justice, reflecting the
48
conscience of the international community . Irrespective of the distinct
approaches to them, those principles stand ineluctably at a superior level
than the norms or rules of positive international law. Such norms or rules
49
are binding, but it is the principles which guide them . Without these
latter, rules or techniques could serve whatever purposes. This would be

wholly untenable.
40. Already in the era of the United Nations, Grigori Tunkin perspi-
caciously went forward in his support for the application by the ICJ of

general principles of international law. Attentive to the sole change (pro-
posed by Chile) introduced into Article 38 (1) (c) of the new ICJ Statute
in 1945 (supra), to the effect that the ICJ has the function “to decide in

accordance with international law such disputes as are submitted to it”,
G. Tunkin contended that that amendment clarified that general princi-
ples of law comprised those principles common to national legal systems

and to international law: they are legal postulates followed “in national
legal systems and in international law”, and resorted to in the process of
50
interpretation and application of pertinent rules in concrete cases .

41. In the mid-1950s, Hildebrando Accioly stressed the “pre-eminent

character” of general principles of law, at domestic and international lev-
els, emanating directly from natural law, and rendering concrete the
norms and rules of positive law, in conformity with them . Shortly after-

wards, by the late 1950s, C. Wilfred Jenks expressed his belief that an

47 Cf. M. Lachs, “Le vingt-cinquième anniversaire du traité régissant les principes du
droit de l’espace extra-atmosphérique, 1967-1992”, 184 Revue française de droit aérien et
spatial (1992), No. 4, pp. 365-373, especially pp. 370 and 372.
48 G. M. Danilenko, Law-Making in the International Community , Dordrecht, Nijhoff,
1993, pp. 7, 17, 175 and 186-187, and cf. p. 215.
49
Bin Cheng, General Principles of Law as Applied by International Courts and Tri-
bu50ls, op. cit. supra note 39, p. 393.
G. Tunkin, “‘General Principles of Law’ in International Law”, Internationale Fest-
schrift für A. Verdross (R. Marcic, H. Mosler, E. Suy and K. Zemanek, eds.), Munich/
Salzburg, W. Fink Verlag, 1971, pp. 526 and 531.
51 H. Accioly, Tratado de Direito Internacional Público , 2nd ed., Vol. I, Rio de Janeiro,
M.R.E., 1956, pp. 33 and 37.

141gné de ces principes, qui jouent un rôle important dans l’élaboration du

droit international et dans son application. Dans certaines disciplines (par
exemple le droit de l’espace extra-atmosphérique), ils ont ouvert la voie

à l’élaboration d’un nouveau corpus juris, dans un nouveau domaine
du droit international qui devait être réglementé, et les principes initia-
lement proclamés demeurent parfaitement d’actualité . Tel est le cas, par

exemple, du droit international moderne de l’environnement (voirinfra).
39. Les principes de droit international sont des principes directeurs
d’ordre général et, en cela, ils diffèrent des normes ou règles du droit

international positif, qu’ils transcendent. Piliers fondamentaux du sys-
tème juridique international (comme de tout système juridique), ces prin-

cipes expriment l’idée de droit, ainsi que l’idée de justice, puisqu’ils sont
le miroir de la conscience de la communauté internationale . Quelle que
soit la façon dont on les appréhende, ces principes se trouvent à un

niveau incontestablement supérieur à celui des normes et règles du droit
international positif. Celles-ci sont certes obligatoires, mais elles obéis-
sent aux principes . Sans eux, les règles ou les techniques pourraient être

utilisées à n’importe quelle fin, ce qui serait indéfendable.
40. Dans le cadre des Nations Unies déjà, Grigori Tounkine milita avec

sagacité en faveur de l’application par la Cour des principes généraux du
droit international. Attentif à la seule modification introduite (sur la pro-
position du Chili) à l’alinéac) du paragraphe 1 de l’article 38 du nouveau

Statut de la Cour en 1945(supra) — qui donna à celle-ci pour fonction
«de régler conformément au droit international les différends qui lui

[étaient] soumis» —, Grigori Tounkine fit valoir que cette modification
indiquait clairement que les principes généraux de droit comprenaient les
principes communs aux systèmes juridiques nationauxet au droit interna-

tional: il s’agissait de postulats juridiques en vigueur «dans les systèmes
juridiques nationaux et en droit international», et invoqués pour interpré-
ter et appliquer les règles pertinentes dans des affaires concrètes . 50

41. Au milieu des années 1950, Hildebrando Accioly mit l’accent sur le
«caractère prééminent» des principes généraux de droit, sur les plans

interne et international, en tant qu’ils découlaient directement du droit
naturel et donnaient une dimension concrète aux normes et règles du droit
positif, qui leur étaient conformes . Peu après, à la fin des années 1950,

47
Voir M. Lachs, «Le vingt-cinquième anniversaire du traité régissant les principes du
droit de l’espace extra-atmosphérique, 1967-1992», Revue française de droit aérien et spa-
tial (1992) n° 4, vol. 184, p. 365-373, et en particulier p. 370 et 372.
48 G. M. Danilenko, Law-Making in the International Community , Dordrecht, Nijhoff,
1993, p. 7, 17, 175 et 186-187; voir aussi p. 215.
49 Bin Cheng, General Principles of Law as Applied by International Courts and Tri-
bunals, op. cit. supra note 39, p. 393.
50 G. Tounkine, ««General Principles of Law» in International Law», Internationale

Festschrift für A. Verdross (R. Marcic, H. Mosler, E. Suy et K. Zemanek, dir. publ.),
Mu51ch/Salzbourg, W. Fink Verlag, 1971, p. 526 et 531. e
H. Accioly, Tratado de Direito Internacional Público ,éd., vol. I, Rio de Janeiro,
M.R.E., 1956, p. 33 et 37.

141inquiry into the general principles of law (found in distinct legal systems,

and further encompassing the principles of international law itself) could
much contribute to provide the “basic foundations of a universal system
of international law” . One decade later, Antoine Favre sustained, in

1968, that general principles of law are “the expression of the idea of jus-
tice”, having a universal scope and expressing the “juridical conscience of

humankind”; rather than deriving from the “will” of States, they have an
“objective character” and constitute a “fonds juridique commun pour
l’ensemble des états” , thus securing the unity of law and enhancing the

idea of justice to the benefit of the international community as a whole. It
is in the light of those principles that the whole corpus of the droit des
gens is to be interpreted and applied.

42. In the mid-1980s, Hermann Mosler observed that general princi-

ples of law have their origins either in national legal systems or at the
level of international legal relations, being consubstantial with jus gen-

tium, and applied to relations among States as well as relations among
individuals. To him, those principles, endowed with autonomy and con-
forming to the jus gentium, do not emanate from positive law-making,

but rather by their awareness which gives them expression: those princi-
ples are ethical “commandments” emanating from the “conscience of
mankind”, which considers them “indispensable for the co-existence of
54
man in organized society” .

43. The sustained validity of the principles of international law has

been upheld in the evolving law of the United Nations. The ICJ, as “the
principal judicial organ of the United Nations” (Article 92 of the United

Nations Charter), cannot prescind from them in the exercise of its
contentious function. As proclaimed in the United Nations Charter
(Article 2) in 1945, and restated in the 1970 United Nations Declaration

on Principles of International Law concerning Friendly Relations and
Co-operation among States , the general principles of international law
retain their full and continuing validity in our days. A violation of a

52C. W. Jenks, The Common Law of Mankind , London, Stevens, 1958, pp. 106 and
120-121, and cf. p. 172.
53A. Favre, “Les principes généraux du droit, fonds commun du droit des gens”,
Recueil d’études de droit international en hommage à P. Guggenheim , Geneva, IUHEI,
1968, pp. 369, 374-375, 379, 383 and 390.
54H. Mosler, “General Principles of Law”, Encyclopedia of Public International Law

(R. Bernhardt, ed.), Vol. 7, Max Planck Institute for Comparative Public Law and Inter-
national Law/Ed. North-Holland, Amsterdam, 1984, pp. 90-92 and 95. For his part, in
his later years, Alfred Verdross pondered that general principles of law “illuminate the
whole international legal order”; A. Verdross, Derecho Internacional Público (5th Span-
ish ed., 1st reimpr., transl. from 4th ed. of Völkerrecht, 1959), Madrid, Ed. Aguilar, 1969,
p. 98.
55United Nations, General Assembly resolution 2625 (XXV).

142Clarence Wilfred Jenks se déclara convaincu qu’un examen des principes

généraux de droit (existant dans différents systèmes juridiques, et com-
prenant également les principes du droit international lui-même) pouvait

beaucoup contribuer à jeter les «premières bases d’un système universel
fondé sur le droit international» . Dix ans plus tard, en 1968,
Antoine Favre indiqua que les principes généraux de droit étaient «des

traductions fidèles de l’idée de justice» ayant une portée universelle et
exprimant la «conscience juridique de l’humanité»; ils n’étaient pas dic-
tés par la «volonté» des Etats, mais revêtaient un «caractère objectif» et
53
constituaient un «fonds juridique commun pour l’ensemble des Etats» ,
assurant ainsi la cohésion du droit et renforçant la notion de justice au

profit de la communauté internationale dans son ensemble. C’est à l’aune
de ces principes que tout le corpus du droit des gens devait être interprété
et appliqué.

42. Au milieu des années 1980, Hermann Mosler fit observer que les
principes généraux de droit trouvaient leur origine soit dans les systèmes
juridiques nationaux, soit au niveau des relations juridiques internatio-

nales, étant ainsi consubstantiels au jus gentium, et qu’ils s’appliquaient
aux relations entre Etats ainsi qu’aux relations entre individus. Selon lui,

ces principes, qui sont autonomes et façonnent le jus gentium, découlent
non pas d’un processus formel de création juridique mais d’une connais-
sance intime qui nous conduit à les exprimer: ce sont des «commande-

ments» éthiques émanant de la «conscience de l’humanité», qui les tient
pour «indispensables à la coexistence des hommes au sein d’une société
54
organisée» .
43. La pérennité des principes de droit international a été confirmée
dans le droit des Nations Unies, qui est en constante évolution. La Cour,

en tant qu’«organe judiciaire principal des Nations Unies» (article 92 de
la Charte des Nations Unies), ne peut s’en désintéresser lorsqu’elle exerce
sa fonction contentieuse. Les principes généraux du droit international,

tels que proclamés par les Nations Unies dans la Charte (art. 2) en 1945
puis réaffirmés en 1970 dans la déclaration relative aux principes du droit

intern55ional touchant les relations amicales et la coopération entre les
Etats , demeurent pleinement valides de nos jours. Une violation d’une

52
C. W. Jenks, The Common Law of Mankind , Londres, Stevens, 1958, p. 106 et 120-
1253 voir aussi p. 172.
A. Favre, «Les principes généraux du droit, fonds commun du droit des gens»,
Recueil d’études de droit international en hommage à P. Guggenheim , Genève, IUHEI,
1968, p. 369, 374-375, 379, 383 et 390.
54 H. Mosler, «General Principles of Law», Encyclopedia of Public International Law
(R. Bernhardt, dir. publ.), vol. 7, Institut Max Planck pour le droit public comparé et le
droit international/éd. North-Holland, Amsterdam, 1984, p. 90-92 et 95. Pour sa part,
Alfred Verdross estima dans ses vieux jours que les principes généraux de droit «éclai-

r[ai]ent leordre juridiquerenternational tout enteer»: A. Verdross, Derecho Internacional
Público (5 éd. espagnole, 1 réimp. — trad. de la 4 éd. de Völkerrecht, 1959), Madrid,
éd. Aguilar, 1969, p. 98.
55 Nations Unies, résolution 2625 (XXV) de l’Assemblée générale.

142norm or rule of international law does not affect the validity of its corpus

juris and its guiding principles.
44. Given the overriding importance of those principles, it is not sur-
prisingly that they found expression in the United Nations Charter (Arti-
cle 2), adopted in 1945. A quarter of a century afterwards, the 1970

Declaration of Principles was meant to be a law-declaring resolution as
to those basic principles, so as to serve as a guide for all States in their
behaviour. While the traditional general principles of law (found in foro
domestico) disclosed a rather procedural character, the general principles

of international law — such as the ones proclaimed in the 1970 Declara-
tion — revealed instead a substantive content (so as to guide State con-
duct), proper of the very foundations of international law; such general
principles of international law (as set forth in the 1970 Declaration of

Principles) are th56 vested with universal importance for the international
community itself .

45. Principles of international law constitute altogether the pillars of

the international legal system itself. By the turn of the century, the United
Nations Millenium Declaration , adopted by the United Nations General
Assembly (resolution 55/2) on 18 September 2000, has stated that the
principles of the United Nations Charter “have proved timeless and

universal” (para. 3). Half a decade later, in its recent 2005 World
Summit Outcome (of 15 September 2005), the United Nations General
Assembly had again evoked the principles of the United Nations Charter,
expressly referring to the aforementioned 1970 Declaration of Principles

(para. 73).
46. As already seen, the Hague Court (PCIJ and ICJ) has often
applied general principles of law in its jurisprudence constante (cf. supra).
It has applied them as an autonomous formal “source” of international

law. Yet, the Hague Court, always so sober in applying them, has appar-
ently not felt it necessary to dwell further upon them, or to stress
their utmost importance; in its present Judgment in the Pulp Mills case,
it has not even asserted or endorsed the general principles of Inter-

national Environmental Law (such as those of prevention and of
precaution). I thus feel it my duty to do so, particularly in the cas
d’espèce, as, in addition, both contending Parties, Argentina and
Uruguay, have expressly invoked such principles in the contentious

proceedings before this Court.

47. It is indeed significant — and it should not pass unnoticed —
that Uruguay and Argentina, concurring in their invocation of

56Cf. debates on “The Role of General Principles of Law and General Assembly Reso-
lutions”, Change and Stability in International Law-Making (A. Cassese and J. H. H.
Weiler, eds.), Berlin, W. de Gruyter, 1988, pp. 47-48 and 54-55 (interventions of J. H. H.
Weiler, E. Jiménez de Aréchaga and A. Cassese).

143norme ou règle de droit international n’affecte pas la validité du cor-

pus juris et des principes directeurs qui le sous-tendent.
44. Etant donné leur importance cardinale, il n’est guère étonnant que
ces principes aient été consacrés dans la Charte des Nations Unies
(art. 2), adoptée en 1945. Un quart de siècle plus tard, la déclaration
de principes de 1970 était censée leur donner juridiquement expres-

sion et, ainsi, guider tous les Etats dans leur comportement. Contrai-
rement aux principes généraux de droit traditionnels (existant in foro
domestico), qui revêtent un caractère assez procédural, les principes
généraux du droit international — tels que ceux proclamés dans

la déclaration de 1970 — portent sur le fond (pour guider les Etats dans
leur comportement), ce qui est le propre des fondations mêmes
du droit international; ces principes généraux du droit international (tels
qu’énoncés dans la déclaration de principes de 1970) revêtent donc

une impor56nce universelle pour la communauté internationale
elle-même .
45. Les principes de droit international constituent dans leur ensemble
les piliers de l’ordre juridique international lui-même. A l’aube de ce

siècle, dans sa Déclaration du millénaire du 18 septembre 2000 (réso-
lution 55/2), l’Assemblée générale des Nations Unies déclara que les prin-
cipes énoncés dans la Charte «[avaient] une valeur éternelle et universelle»
(par. 3). Cinq ans plus tard, dans son récentDocument final du sommet

mondial de 2005 (du 15 septembre 2005), l’Assemblée générale invoqua
à nouveau les principes de la Charte des Nations Unies, en faisant
expressément référence à la susdite déclaration de principes de 1970
(par. 73).
46. Comme nous l’avons déjà vu, la Cour (la Cour actuelle et sa

devancière s’entend) a souvent appliqué les principes généraux de droit
dans sa jurisprudence constante (voir supra). Elle les a appliqués comme
une «source» formelle autonome du droit international. Mais, contre
toute attente, la Cour, d’habitude si soucieuse de les appliquer, n’a appa-

remment pas estimé nécessaire de s’y arrêter ici, ni même d’en souligner
l’importance fondamentale; dans son présent arrêt en l’affaire des Usines
de pâte à papier, elle n’a même pas exposé ni fait siens les principes
généraux du droit international de l’environnement (tels que le prin-

cipe de prévention et le principe de précaution). Je me sens donc tenu
de combler cette lacune, d’autant plus que, en l’espèce, les deux Par-
ties, l’Argentine et l’Uruguay, ont elles-mêmes invoqué expressément ces
principes dans le cadre de leur procédure contentieuse devant la Cour.

47. Il importe en effet de relever — et il ne devrait échapper à per-
sonne — que l’Uruguay et l’Argentine, invoquant à l’unisson les principes

56Voir les débats sur «The Role of General Principles of Law and General Assembly
Resolutions», Change and Stability in International Law-Making(A. Cassese et
J. H. H. Weiler, dir. publ.), Berlin, W. de Gruyter, 1988, p. 47-48 et 54-55 (interventions
de J. H. H. Weiler, E. Jiménez de Aréchaga et A. Cassese).

143general principles of law, were both being faithful to the long-
standing tradition of Latin American international legal thinking,
which has always been particularly attentive and devoted to general

principles of law, in the contexts of both the formal “sources”
of international law 57 as well of codification of international

57
Andrés Bello, Principios de Derecho Internacional (1832), 3rd ed., Paris, Libr. Gar-
nier Hermanos, 1873, pp. 3 et seq.; C. Calvo, Manuel de droit international public et
privé, 3rd rev. ed., Paris, A. Rousseau Ed., 1892, Chap. I, pp. 69-83; L. M. Drago, La
República Argentina y el Caso de Venezuela , Buenos Aires, Impr. Coni Hermanos, 1903,
pp. 1-18; L. M. Drago, La Doctrina Drago: Colección de Documentos (pres. S. Pérez Tri-

ana), London, Impr. Wertheimer, 1908, pp. 115-127 and 205; A. N. Vivot, La Doctrina
Drago, Buenos Aires, Edit. Coni Hermanos, 1911, pp. 39-279; II Conférence de la Paix,
Actes et discours de M. Ruy Barbosa , The Hague, W. P. Van Stockum, 1907, pp. 60-81,
116-126, 208-223 and 315-330; Ruy Barbosa, Obras Completas, Vol. XXXIV (1907), II:
A Segunda Conferência da Paz , Rio de Janeiro, MEC, 1966, pp. 65, 163, 252, 327 and
393-395; Ruy Barbosa, Conceptos Modernos del Derecho Internacional , Buenos Aires,

Impr. Coni Hermanos, 1916, pp. 28-29 and 47-49; Clovis Bevilaqua, Direito Público
Internacional (A Synthese dos Princípios e a Contribuição do Brazil), Vol. I, Rio de
Janeiro, Livr. Francisco Alves, 1910, pp. 11-15, 21-26, 90-95, 179-180 and 239-240; Raul
Fernandes, Le principe de l’égalité juridique des Etats dans l’activité internationale de
l’après-guerre, Geneva, Impr. A. Kundig, 1921, pp. 18-22 and 33; J.-M. Yepes, “La con-

tribution de l’Amérique latine au développement du droit international public et privé”,
32 Recueil des cours de l’Académie de droit international de La Haye (RCADI) (1930),
pp. 731-751; J.-M. Yepes, “Les problèmes fondamentaux du droit des gens en Amérique”,
47 RCADI (1934), p. 8; Alejandro Alvarez, Exposé de motifs et déclaration des grands
principes du droit international moderne , op. cit. supra note 40, pp. 8-9, 13-23 and 51;
C. Saavedra Lamas,Por la Paz de las Américas, Buenos Aires, M. Gleizer Ed., 1937, pp. 69-

70, 125-126 and 393; Alberto Ulloa, Derecho Internacional Público , Vol. I, 2nd ed., Lima,
Impr. Torres Aguirre, 1939, pp. 4, 20-21, 29-30, 34, 60, 62 and 74; Alejandro Alvarez,
La Reconstrucción del Derecho de Gentes — El Nuevo Orden y la Renovación Social ,
Santiago de Chile, Ed. Nascimento, 1944, pp. 19-25 and 86-87; Ph. Azevedo, A Justiça
Internacional, Rio de Janeiro, MRE, 1949, pp. 24-26, and cf. pp. 9-10; J.-C. Puig, Les prin-

cipes du droit international public américain, Paris, Pedone, 1954, p. 39; H. Accioly,Tratado
de Direito Internacional Público , 2nd ed., Vol. I, Rio de Janeiro, IBGE, 1956, pp. 32-40;
Alejandro Alvarez, El Nuevo Derecho Internacional en Sus Relaciones con la Vida Actual
de los Pueblos, Santiago, Edit. Jurídica de Chile, 1961, pp. 155-157, 304 and 356-357;
A. Gómez Robledo, Meditación sobre la Justicia , Mexico, Fondo de Cultura Económica,
1963, p. 9; R. Fernandes, Nonagésimo Aniversário — Conferências e Trabalhos Esparsos ,

Vol. I, Rio de Janeiro, M.R.E., 1967, pp. 174-175; A. A. Conil Paz, Historia de la Doc-
trina Drago, Buenos Aires, Abeledo-Perrot, 1975, pp. 125-131; E. Jiménez de Aréchaga,
“International Law in the Past Third of a Century”, 159 Recueil des cours de l’Académie
de droit international de La Haye (RCADI) (1978), pp. 87 and 111-113; L. A. Podestá
Costa and J. M. Ruda, Derecho Internacional Público , 5th rev. ed., Vol. I, Buenos Aires,
Tip. Ed. Argentina, 1979, pp. 17-18 and 119-139; E. Jiménez de Aréchaga, El Derecho

Internacional Contemporáneo , Madrid, Ed. Tecnos, 1980, pp. 107-141; A. A. Cançado
Trindade, Princípios do Direito Internacional Contemporâneo , Brasília, Edit. University
of Brasília, 1981, pp. 1-102 and 244-248; Jorge Castañeda, Obras Completas — Vol. I:
Naciones Unidas, Mexico, S.R.E./El Colegio de México, 1995, pp. 63-65, 113-125, 459,
509-510, 515, 527-543 and 565-586; [Various Authors], Andrés Bello y el Derecho (Col-

loquy of Santiago de Chile of July 1981), Santiago, Edit. Jurídica de Chile, 1982,
pp. 41-49 and 63-76; D. Uribe Vargas, La Paz es una Trégua — Solución Pacífica de
Conflictos Internacionales , 3rd ed., Bogotá, Universidad Nacional de Colombia, 1999,
p. 109; A. A. Cançado Trindade, O Direito Internacional em um Mundo em Transfor-
mação, Rio de Janeiro, Edit. Renovar, 2002, pp. 91-140, 863-889 and 1039-1071.

144généraux de droit, sont tous deux restés fidèles à la tradition profondé-
ment ancrée dans la conception latino-américaine du droit international,

qui consiste à toujours prêter une attention particulière aux principes
généraux de droit et à en faire grand cas, tant en ce qui concerne les
57
«sources» formelles du droit international que dans le cadre de la codi-

57 Andrés Bello, Principios de Derecho Internacional (1832), 3 éd., Paris, Libr. Garnier
Hermanos, 1873, p. 3 et suiv. ; C. Calvo, Manuel de droit international public et privé ,
e
3 éd. rev., Paris, A. Rousseau Ed., 1892, chap. I, p. 69-83; L. M. Drago, La República
Argentina y el Caso de Venezuela , Buenos Aires, Impr. Coni Hermanos, 1903, p. 1-18;
L. M. Drago, La Doctrina Drago — Colección de Documentos (prés. S. Pérez Triana),
Londres, Impr. Wertheimer, 1908, p. 115-127 et 205; A. N. Vivot, La Doctrina Drago,
e
Buenos Aires, Edit. Coni Hermanos, 1911, p. 39-279; II Conférence de la paix, Actes et
discours de M. Ruy Barbosa , La Haye, W. P. Van Stockum, 1907, p. 60-81, 116-126, 208-
223 et 315-330; Ruy Barbosa, Obras Completas, vol. XXXIV (1907)-II: A Segunda Con-
ferência da Paz, Rio de Janeiro, MEC, 1966, p. 65, 163, 252, 327 et 393-395; Ruy Bar-

bosa, Conceptos Modernos del Derecho Internacional , Buenos Aires, Impr. Coni Her-
manos, 1916, p. 28-29 et 47-49; Clovis Bevilaqua, Direito Público Internacional (A
Synthese dos Princípios e a Contribuição do Brazil), vol. I, Rio de Janeiro, Livr. Fran-
cisco Alves, 1910, p. 11-15, 21-26, 90-95, 179-180 et 239-240; Raul Fernandes, Le principe
de l´égalité juridique des Etats dans l´activité internationale de l´après-guerre , Genève,

Impr. A. Kundig, 1921, p. 18-22 et 33; J. M. Yepes, «La contribution de l’Amérique
latine au développement du droit international public et privé», Recueil des cours de
l’Académie de droit international de La Haye (RCADI) , t. 32 (1930), p. 731-751;
J. M. Yepes, «Les problèmes fondamentaux du droit des gens en Amérique», RCADI,

t. 47 (1934), p. 8; Alejandro Alvarez, Exposé de motifs et déclaration des grands principes
du droit international moderne, op. cit. supra note 40, p. 8-9, 13-23 et 51; C. Saavedra
Lamas, Por la Paz de las Américas , Buenos Aires, M. Gleizer Ed., 1937, p. 69-70, 125-126
et 393; Alberto Ulloa, Derecho Internacional Público , vol. I, 2 eéd., Lima, Impr. Torres
Aguirre, 1939, p. 4, 20-21, 29-30, 34, 60, 62 et 74; Alejandro Alvarez, La Reconstrucción

del Derecho de Gentes — El Nuevo Orden y la Renovación Social , Santiago du Chili,
Ed. Nascimento, 1944, p. 19-25 et 86-87; Ph. Azevedo, A Justiça Internacional , Rio de
Janeiro, MRE, 1949, p. 24-26, et voir p. 9-10; J. C. Puig, Les principes du droit interna-
tional public américain , Paris, Pedone, 1954, p. 39; H. Accioly, Tratado de Direito Inter-
e
nacional Público,2 éd., vol. I, Rio de Janeiro, IBGE, 1956, p. 32-40; Alejandro Alvarez,
El Nuevo Derecho Internacional en Sus Relaciones con la Vida Actual de los Pueblos ,
Santiago, Edit. Jurídica de Chile, 1961, p. 155-157, 304 et 356-357; A. Gómez Robledo,
Meditación sobre la Justicia , Mexico, Fondo de Cultura Económica, 1963, p. 9; R. Fer-

nandes, Nonagésimo Aniversário — Conferências e Trabalhos Esparsos , vol. I, Rio de
Janeiro, MRE, 1967, p. 174-175; A. A. Conil Paz, Historia de la Doctrina Drago , Bue-
nos Aires, Abeledo-Perrot, 1975, p. 125-131; E. Jiménez de Aréchaga, «International Law
in the Past Third of a Century», RCADI, t. 159 (1978), p. 87 et 111-113; L. A. Podestá
Costa et J. M. Ruda, Derecho Internacional Público ,5 e éd. rev., vol. I, Buenos Aires,

Tip. Ed. Argentina, 1979, p. 17-18 et 119-139; E. Jiménez de Aréchaga, El Derecho Inter-
nacional Contemporáneo , Madrid, Ed. Tecnos, 1980, p. 107-141; A. A. Cançado Trin-
dade, Princípios do Direito Internacional Contemporâneo , Brasília, Edit. University of
Brasília, 1981, p. 1-102 et 244-248; Jorge Castañeda, Obras Completas — vol. I: Naciones

Unidas, Mexico, SRE/El Colegio de México, 1995, p. 63-65, 113-125, 459, 509-510, 515,
527-543 et 565-586; [divers auteurs], Andrés Bello y el Derecho (colloque de Santiago du
Chili, juillet 1981), Santiago, Edit. Jurídica de Chile, 1982, p. 41-49 et 63-76; D. Uribe
Vargas, La Paz es una Trégua — Solución Pacífica de Conflictos Internacionales ,3 eéd.,

Bogotá, Universidad Nacional de Colombia, 1999, p. 109; A. A. Cançado Trindade, O
Direito Internacional em um Mundo em Transformação , Rio de Janeiro, Edit. Renovar,
2002, p. 91-140, 863-889 et 1039-1071.

144law . Even those who confess to reason still in an inter-State dimen-

sion, concede that general principles of law, in the light of natural law
(preceding historically positive law), touch on the origins and founda-

tions of international law, guide the interpretation and application of
its rules, and point towards its universal dimension; those principles
being of a general character, there is no sharp demarcation line between

those recognized in domestic law (in foro domestico) and those of
international law proper 59.

VI. “G ENERAL P RINCIPLES” OF INTERNATIONAL L AW :S COPE OF

A PPLICATION R ATIONE MATERIAE

48. There are, in fact, general principles of law proper to international
law in general, and there are principles of law proper to some domains of
international law, such as, inter alia, International Environmental Law.

In our days, international tribunals are called upon to pronounce on
cases, for the settlement of which they do need to have recourse to gen-

eral principles of law, including those which are proper to certain domains
of international law. This has often taken place, particularly in the recent
case law of, e.g., the ad hoc International Criminal Tribunal for the

former Yugoslavia (mainly period 1998-2005) and the Inter-American
Court of Human Rights (mainly period 1997-2006).

49. It may well happen that an international tribunal of universal

58
Lafayette Rodrigues Pereira, Princípios de Direito Internacional , Vols. I-II, Rio de
Janeiro, J. Ribeiro dos Santos Ed., 1902-1903, pp. 1 et seq.; A. S. de Bustamante y Sirvén,
La II Conferencia de la Paz Reunida en La Haya en 1907 , Vol. II, Madrid, Libr. Gen.
de v. Suárez, 1908, pp. 133, 137-141, 145-147, 157-159, and cf. also Vol. I, pp. 43, 80-81
and 96; Epitacio Pessôa, Projecto de Código de Direito Internacional Público , Rio de
Janeiro, Imprensa Nacional, 1911, pp. 5-323; F.-J. Urrutia, “La codification du droit
international en Amérique”, 22 Recueil des cours de l’Académie de droit international de

La Haye (RCADI) (1928), pp. 113, 116-117 and 162-163; G. Guerrero, La codification
du droit international, Paris, Pedone, 1930, pp. 11, 13, 16, 152, 182 and 175; J.-M. Yepes,
“La contribution de l’Amérique Latine au développement du droit international public et
privé”, 32 RCADI (1930), pp. 714-730 and 753-756; Alejandro Alvarez, “Méthodes de la
codification du droit international public — Rapport”, Annuaire de l’Institut de droit
international (1947), pp. 38, 46-47, 50-51, 54, 64 and 69; J.-M. Yepes, Del Congreso de
Panama a la Conferencia de Caracas (1826-1954) , Caracas, M.R.E., 1955, pp. 143, 177-
178, 193 and 203-208; R. J. Alfaro, “The Rights and Duties of States”, 97 Recueil des

cours de l’Académie de droit international de La Haye (1959), pp. 138-139, 145-154, 159
and 167-172; G. E. do Nascimento e Silva, “A Codificação do Direito Internacional”,
55/60 Boletim da Sociedade Brasileira de Direito Internacional (1972-1974), pp. 83-84 and
103; R. P. Anand, “Sovereign Equality of States in International Law”, 197 RCADI
(1986), pp. 73-74; A. A. Cançado Trindade, “The Presence and Participation of Latin
America at the II Hague Peace Conference of 1907”, Actualité de la Conférence de La
Haye de 1907, II Conférence de la Paix (Colloque du centenaire, 2007, ed. Yves Daudet),
La Haye/Leiden, Académie de droit international de La Haye/Nijhoff, 2008, pp. 51-84.
59G. Herczegh, General Principles of Law and the International Legal Order , Buda-

pest, Akadémiai Kiadó, 1969, pp. 9, 36, 42, 69, 90, 120 and 122.

145fication de celui-ci . Même ceux qui admettent raisonner encore dans

une perspective interétatique concèdent que les principes généraux de
droit, à la lumière du droit naturel (historiquement antérieur au droit

positif), touchent aux origines et aux fondements du droit international,
éclairent l’interprétation et l’application de ses règles et révèlent sa dimen-

sion universelle; parce qu’ils revêtent un caractère général, il n’y a pas de
démarcation nette entre ceux qui sont reconnus en droit interne (in foro
domestico) et ceux qui relèvent du droit international proprement dit . 59

VI. C HAMP D ’APPLICATION RATIONE MATERIAE
DES « PRINCIPES GÉNÉRAUX » DU DROIT INTERNATIONAL

48. Il existe, en fait, des principes généraux de droit propres au droit
international en général, et des principes de droit propres à certains

domaines de celui-ci, comme le droit international de l’environnement.
De nos jours, les juridictions internationales sont appelées à se prononcer

sur des affaires qu’elles ne peuvent régler sans avoir recours aux principes
généraux de droit, notamment à ceux qui sont propres à certains do-
maines du droit international. Tel a souvent été le cas, ainsi qu’il ressort

en particulier, par exemple, de la jurisprudence récente du Tribunal pénal
international pour l’ex-Yougoslavie (surtout celle des années 1998 à

2005) et de la Cour interaméricaine des droits de l’homme (période 1997-
2006, principalement).
49. Une juridiction internationale dotée d’un champ d’action et d’une

58Lafayette Rodrigues Pereira, Princípios de Direito Internacional , vol. I-II, Rio de
Janeiro, J. Ribeiro dos Santos Ed., 1902-1903, p. 1 et suiv. ; A. S. de Bustamante y Sirvén,
La II Conferencia de la Paz Reunida en La Haya en 1907 , vol. II, Madrid, Libr. Gen. de

v. Suárez, 1908, p. 133, 137-141, 145-147, 157-159; voir aussi vol. I, p. 43, 80-81 et 96;
Epitacio Pessôa, Projecto de Código de Direito Internacional Público , Rio de Janeiro,
Imprensa Nacional, 1911, p. 5-323; F. J. Urrutia, «La codification du droit international
en Amérique», Recueil des cours de l’Académie de droit international de La Haye
(RCADI), t. 22 (1928), p. 113, 116-117 et 162-163; G. Guerrero, La codification du droit
international, Paris, Pedone, 1930, p. 11, 13, 16, 152, 182 et 175; J. M. Yepes, «La con-
tribution de l’Amérique latine au développement du droit international public et privé»,

RCADI, t. 32 (1930), p. 714-730 et 753-756; Alejandro Alvarez, «Méthodes de la codifica-
tion du droit international public — Rapport», Annuaire de l´Institut de droit interna-
tional (1947), p. 38, 46-47, 50-51, 54, 64 et 69; J. M. Yepes, Del Congreso de Panama a la
Conferencia de Caracas (1826-1954) , Caracas, MRE, 1955, p. 143, 177-178, 193 et 203-
208; R. J. Alfaro, «The Rights and Duties of States», RCADI, t. 97 (1959), p. 138-139,
145-154, 159 et 167-172; G. E. do Nascimento e Silva, «A Codificação do Direito Inter-
nacional», Boletim da Sociedade Brasileira de Direito Internacional , vol. 55/60 (1972-
1974), p. 83-84 et 103; R. P. Anand, «Sovereign Equality of States in International Law»,

RCADI, t. 197 (1986), p. 73-74; A. A. Cançado Trindade, «The Presence and Participa-
tion of Latin America at the II Hegue Peace Conference of 1907», Actualité de la Con-
férence de La Haye de 1907, II Conférence de la paix (colloque du centenaire,
2007 — Yves Daudet, dir. publ.), La Haye/Leyde, Académie de droit international de La
Haye/Nijhoff, 2008, p. 51-84.
59G. Herczegh, General Principles of Law and the International Legal Order , Buda-
pest, Akadémiai Kiadó, 1969, p. 9, 36, 42, 69, 90, 120 et 122.

145scope and vocation, such as the International Court of Justice, in pro-

nouncing on cases brought into its cognizance, makes recourse to general
principles of law to settle the cases at issue without elaborating further on
such principles. This has often happened in its practice (cf. supra). The
ICJ is entirely free to do so. Yet, this corresponds to one particular con-
ception of the exercise of the international judicial function, which is not

the only one which exists.
50. It is my view that it is perfectly warranted, and necessary, for the
ICJ to dwell upon the principles it resorts to, and to elaborate on them,
particularly when such principles play an important role in the settlement

of the disputes at issue, and when these latter pertain to domains of inter-
national law which are undergoing a remarkable process of evolution in
time. This is precisely the case of the present dispute concerning the Pulp
Mills, and of the evolving International Environmental Law in our times,

there being, in my view, no apparent reason for the Court not to elabo-
rate on the applicable principles.

51. There have been occasions, in other contexts, as already seen,

wherein the ICJ paid due regard to general principles, and pointed this
out (cf. supra). It is thus all too proper, at this stage, first, to move on to
the consideration of the general principles of International Environmen-
tal Law that have application in the present case of the Pulp Mills, and,

secondly, to turn, then, to the acknowledgement by both contending
Parties, Argentina and Uruguay, of those principles (in particular the
principles of prevention and of precaution) throughout the proceedings
of the cas d’espèce.

VII. G ENERAL PRINCIPLES OF NTERNATIONAL E NVIRONMENTAL LAW

52. General principles of law emanate, in my perception, from human
conscience, from the universal juridical conscience, which I regard as the
ultimate material “source” of all law. A clear illustration is provided by
the gradual acknowledgment, in the last decades, of the principles proper

to a domain like that of International Environmental Law (cf. infra)—
such as those of prevention and of precaution — as consciousness has
emerged of the pressing need to secure the protection of the environment,
given its vulnerability, the risks surrounding everyone, and the harmful

consequences of irreparable damages caused to it. The awakening of such
consciousness has accounted for the assertion of those principles. This
turns my attention to the scope of application of these latter.

53. I find it necessary to develop these reflections in the present sepa-

rate opinion, as, in its Judgment in the present case of the Pulp Mills, the
Court did not elaborate on the general principles of International Envi-
ronmental Law. I would have surely preferred that the Court had done

146vocation universels telle que la Cour internationale de Justice peut fort
bien, pour régler les affaires portées devant elle, se servir des principes

généraux de droit sans en faire l’exégèse. Telle a souvent été la pratique
de la Cour (voir supra), et il est tout à fait loisible à la Cour d’agir ainsi.
Cela traduit toutefois une conception particulière de l’exercice de la fonc-
tion judiciaire internationale, qui n’est pas la seule possible.

50. Il me semble parfaitement justifié et même nécessaire, pour la
Cour, de s’arrêter sur les principes dont elle se sert, et de les expliciter, en
particulier lorsqu’ils jouent un rôle important dans le règlement du
différend en cause, et lorsque celui-ci relève de domaines du droit inter-

national qui connaissent une évolution remarquable au fil du temps.
Tel est précisément le cas du présent différend relatif aux Usines de
pâte à papier, et du droit international de l’environnement des temps
modernes, qui est en plein essor, d’autant plus qu’il ne semblait exister

aucun obstacle à ce que la Cour en dise davantage sur les principes
applicables.
51. En d’autres occasions, dans d’autres contextes que j’ai déjà évo-
qués, la Cour a dûment tenu compte des principes généraux et l’a souli-
gné (voir supra). Il est donc grand temps, à ce stade, de passer à l’examen

des principes généraux du droit international de l’environnement qui sont
applicables dans la présente affaire des Usines de pâte à papier, pour exa-
miner ensuite la manière dont les deux Parties en litige, l’Argentine et
l’Uruguay, ont reconnu ces principes (en particulier les principes de pré-

vention et de précaution) tout au long de la présente procédure.

VII. L ES PRINCIPES GÉNÉRAUX DU DROIT INTERNATIONAL

DE L’ENVIRONNEMENT

52. A mon sens, les principes généraux de droit émanent de la cons-
cience humaine, de la conscience juridique universelle, qui constitue pour

moi la «source» matérielle ultime de tout droit. La preuve en est qu’ont
été progressivement reconnus, ces dernières décennies, les principes pro-
pres à un domaine comme celui du droit international de l’environnement
(voir infra) — tels ceux de prévention et de précaution —, l’homme ayant
pris conscience de la nécessité urgente de protéger l’environnement,

compte tenu de la vulnérabilité de celui-ci, des risques pesant sur chacun
et des conséquences néfastes des dommages irréparables pouvant être
infligés au milieu. C’est cette prise de conscience qui explique l’affirma-
tion des principes en question, dont je vais maintenant examiner le

champ d’application.
53. Il me paraît nécessaire de développer ces réflexions ici puisque,
dans l’arrêt qu’elle a rendu dans la présente affaire des Usines de pâte à
papier, la Cour n’a pas été très diserte sur les principes généraux du droit
international de l’environnement. J’aurais assurément préféré qu’elle le

146so, as, to my perception, this is what was generally expected from it. Had

it done so, as I think it should, it would have contributed to the progres-
sive development of international law in the present domain of the inter-
national protection of the environment. In fact, the contending
Parties themselves had seen it fit to invoke those general principles, in a
distinct way, but both of them significantly did invoke them, in their

respective arguments put before the Court. Before summarizing the
approaches of the contending Parties to those principles, may I briefly
review them, in particular the preventive and precautionary principles,
followed by that of sustainable development, in addition to inter-

generational equity.

1. Principle of Prevention

54. With the gradual awakening, during the 1960s, half a century ago,
of human conscience to the pressing need to secure the protection of the
environment, International Environmental Law — as we know it today —

began to take shape. Attention was promptly turned to the identification
of the general principles to orient or guide the newly-emerging corpus
juris. The célèbres United Nations Conferences of Stockholm (1972) and
of Rio de Janeiro (1992) became milestones in this evolution. At the time

of the former, early doctrinal endeavours had already identified the long-
term temporal dimension, and the principle of prevention , as proper to
the discipline.

55. That principle was articulated in relation to damage and in face of

scientific certainty as to its occurrence; yet, it was conceded that preven-
tion could be exercised in distinct ways, according to the nature of the
source of pollution . Another landmark in these early endeavours was
the 1982 United Nations World Charter for Nature (adopted by General

Assembly resolution 37/7, of 28 October 1982) — with its great effort in
the identification of principles — wherefrom the conception was pro-
pounded that

“mankind is a part of nature, civilization is rooted in nature, every
form of life is unique, warranting respect, regardless of its worth to

man. (. . .) Since man can alter nature and exhaust natural resources,
he must maintain the stability and quality of nature and conserve
natural resources. It is accordingly necessary to maintain essential
ecological processes and life support systems, and the diversity of

life forms. The very survival of the economic, social and political
framework of civilization, and ultimately the maintenance of peace,

60A.-Ch. Kiss, Droit international de l’environnement , Paris, Pedone, 1989, p. 202.

147soit, car il me semble que c’est ce qui était généralement attendu d’elle. Si

elle l’avait été, comme je pense qu’elle aurait dû l’être, elle aurait contri-
bué au développement progressif du droit international dans le domaine
qui nous intéresse ici, à savoir celui de la protection internationale de
l’environnement. En fait, les Parties en litige ont elles-mêmes estimé
nécessaire d’invoquer ces principes généraux, certes chacune à sa propre

manière, mais l’important est qu’elles les ont toutes deux invoqués
lorsqu’elles ont défendu leurs positions devant la Cour. Avant de résumer
comment chacune d’elles conçoit ces principes, qu’il me soit permis de
faire un bref retour sur ces derniers, en particulier sur les principes de

prévention et de précaution, puis sur celui du développement durable et,
enfin, sur la notion d’équité intergénérationnelle.

1. Le principe de prévention

54. A mesure que l’homme prenait conscience, au fil des années 1960,
ilyaundemi-siècle,delanécessitéurgentedeprotégerl’environnement,
le droit international de l’environnement — tel que nous l’entendons

aujourd’hui — commença à prendre forme. L’on s’attela promptement à
l’identification des principes généraux susceptibles d’orienter ou de guider
la création du nouveau corpus juris. Les célèbres conférences des
Nations Unies tenues à Stockholm (1972) et Rio de Janeiro (1992) furent

des étapes marquantes de cette évolution. A l’époque de la conférence de
Stockholm, certains auteurs avaient déjà dégagé deux notions propres à
cette discipline, à savoir sa dimension temporelle à long terme et le prin-
cipe de prévention.
55. Ce principe fut exprimé en termes de dommage et compte tenu de

la certitude scientifique de la survenance de celui-ci; il fut cependant
reconnu que la prévention pouvait être exercée de différentes manières,
selon la nature de la source de la pollution . Un autre événement char-
nière, à l’aube de cette discipline, fut l’adoption de la Charte mondiale de

la nature de 1982 (adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies
dans sa résolution 37/7, en date du 28 octobre 1982) — qui contribua
beaucoup à l’identification des principes applicables —, donnant lieu aux
réflexions suivantes:

«l’humanité fait partie elle-même de la nature, la civilisation a ses ra-
cines dans la nature, toute forme de vie est unique et mérite d´être res-

pectée quelle que soit son utilité pour l’homme. Comme l’homme peut
transformer la nature et épuiser ses ressources, il doit maintenir l’équi-
libre et la qualité de la nature et conserver les ressources naturelles. Il
est donc nécessaire de maintenir les processus écologiques et des

systèmes essentiels à la subsistance, ainsi que la diversité de formes
organiques. La survie même des structures économiques, sociales et

60A.-Ch. Kiss, Droit international de l´environnement , Paris, Pedone, 1989, p. 202.

147 depend on the conservation of the natural world and its
61
resources.” [Translation by the Registry.]
56. Although International Environmental Law, guided by principles

proper to its own domain, such as that of prevention, has emerged and
developed only in the last half-century, the awareness of the need to
secure the harmony between man and nature is deep-rooted in human
thinking, going back in time centuries ago. Thus, the unfinished dialogue

Critias, of Plato — who lived approximately between 427-347 BC —
written shortly after Timaeus , contains descriptions of an island (asso-
ciated with the island of Atlantis) which ranked among the most fertile in

the world, before having been devastated by many deluges and having
disappeared in the deep sea.
57. One of the four persons in the dialogue, Critias himself, describes
the harmony between man and nature, the care peasants and artisans

(clearly apart from warriors) had with their rich and beautiful lands
(110c-111c, 111d-112d), their rivers and lakes and forests and plains,
which provided them the means to survive (food, water, and the quality
of the ambiance (114e-115e) before degeneration took place. Critias’s

description sounds like a warning to the need of sustaining peacefully
that natural beauty and the harmony between man and nature, and a
warning against the surrounding threats and dangers.

58. For his part, Aristotle (384-322 BC), in his Politics (Book I), pon-
dered that the modus vivendi of men is intertwined with nature, which
provides them a living from the cultivated fruits of the soil (1256a23-

1256b9), and which furnishes food to all those who were born (1258a34-
36). In sum, already in his times, Aristotle believed that the fate of men
and of their surroundings, — of nature itself — were inseparable. Over
the centuries, the ineluctable relationship between man and nature did

not pass unnoticed; it captured the attention, not of lawyers, but of
thinkers, poets and philosophers. As lucidly narrated by the learned his-
torian Jacob Burckhardt,

“From the time of Homer downwards, the powerful impression
made by nature upon man is shown by countless verses and chance

expressions. . . . By the year 1200, at the height of the Middle Ages,
a genuine, hearty enjoyment of the external world was again in exist-
ence, and found lively expression in the minstrelsy of different
nations, which gives evidence of the sympathy felt with all the simple

phenomena of nature . . . The unmistakable proofs of a deepening
effect of nature on the human spirit begin with Dante. Not only does
he awaken in us by a few vigorous lines the sense of the morning air

61
A.-Ch. Kiss, Droit international de l’environnement, op.cit. supra note 60, p. 43, and
cf62pp. 39 and 60.
The two dialogues, Timaeus and the fragmentary Critias, belong to the later years of
Plato’s life.

148 politiques de la civilisation et en dernière analyse la sauvegarde de la
61
paix dépendent de la conservation de la nature et de ses ressources.»
56. Bien que le droit international de l’environnement, fondé sur des

principes propres à son domaine comme le principe de prévention, n’ait
vu le jour et ne se soit développé qu’au cours des cinquante dernières
années, la nécessité d’une harmonie entre l’homme et la nature est pro-
fondément ancrée dans la conscience humaine depuis des siècles. Ainsi,
62
dans Critias, dialogue inachevé écrit peu après Timée , Platon — qui
vécut vers les années 427-347 av. J.-C. — évoque une île (qu’on associe à
l’Atlantide) qui comptait parmi les plus fertiles au monde avant d’être

dévastée par une longue série de déluges et engloutie par les flots.

57. L’un des quatre protagonistes de ce dialogue, Critias lui-même,
décrit l’harmonie que l’homme et la nature, les laboureurs et les artisans

(clairement distingués des guerriers) entretenaient avec leurs belles terres
prospères (110c-111c, 111d-112d), leurs cours d’eau, leurs lacs, leurs
forêts et leurs plaines, qui leur procuraient leurs moyens d’existence
(nourriture, eau, et qualité de l’environnement — 114e-115e), avant que

la situation ne se dégrade. Le récit de Critias ressemble à une mise en
garde, nous rappelant combien il est nécessaire de préserver de manière
pacifique la beauté de la nature et l’harmonie entre l’homme et la nature,

et de parer aux menaces et aux périls qui nous entourent.
58. Dans sa Politique (livre I), Aristote (384-322 av. J.-C.) remarquait
à son tour que le mode de vie de l’homme était associé à la nature, dont
il tire sa subsistance grâce au produit de la culture de la terre (1256a23-

1256b9) et qui nourrit tous ceux qui sont nés (1258a34-36). En somme,
Aristote pensait, déjà à son époque, que le sort de l’homme et celui de son
environnement — de la nature elle-même — étaient inséparables. Au
cours des siècles, cette relation inéluctable entre l’homme et la nature

n’est pas passée inaperçue; elle a retenu l’attention, sinon des juristes, du
moins des penseurs, poètes et philosophes. Comme l’a clairement expli-
qué l’éminent historien Jacob Burckhardt,

«[d]epuis Homère on trouve une foule de mots et de vers qui attes-
tent la profonde impression que la nature faisait sur les Grecs et les

Romains... En plein moyen âge, vers 1200, l’amour naïf de la nature
extérieure reparaît; on le reconnaît chez les chantres d’amour des
différentes nations. Ils s’intéressent on ne peut plus vivement aux
choses les plus simples... C’est Dante qui donne les premières preu-

ves sérieuses de l’impression profonde que peut faire naître la vue
d’un beau site, d’un paysage grandiose. Non seulement il peint d’une
manière vivante, en quelques traits, le réveil de la nature au matin et

61
A.-Ch. Kiss, Droit international de l’environnement, op. cit. supra note 60, p. 43; voir
au62i p. 39 et 60.
Platon a rédigé ces deux dialogues, Timée et l’inachevé Critias, à la fin de sa vie.

148 and the trembling light on the distant ocean, or of the grandeur of

the storm-beaten forest, but he makes the ascent of lofty peaks, with
the only possible object of enjoying the view – the first man, perhaps,
since the days of antiquity who did so.” 63

59. With the advent of the age of International Environmental Law in
the second half of the 20th century (from the 1960s onwards), already by

the early 1970s the principle of prevention was acknowledged, so as to
avoid environmental harm in genere, and to prohibit transfrontier envi-
ronmental harm in particular; the principle of prevention found expres-
sion in Principle 21 of the 1972 Stockholm Declaration, and Principle 2

of the 1992 Rio Declaration, and provided support to the general obli-
gations of information, notification and consultation (as foreseen in Prin-
ciple 19 of the 1992 Rio Declaration) . 64

60. One decade earlier, the principle of prevention permeated the
World Charter for Nature, adopted by the United Nations General
Assembly, on 28 October 1982. And half a decade after the Rio Declara-

tion, the 1997 United Nations Convention on the Law of Non-Naviga-
tional Uses of International Watercourses, in the same line of thinking,
provided that “[w]atercourse States shall, in utilizing an international
watercourse in their territories, take all appropriate measures to prevent

the causing of significant harm to other watercourse States” (Article 7 (1)).
Yet, prevention alone was to prove insufficient for the guidance and
development of this domain of international law, turned to environmen-

tal protection.

61. As human conscience became gradually aware of the continuing
vulnerability of human beings and the environment in face of persisting

risks, and of insufficiencies of scientific knowledge to avoid threats and
dangers likely to take place, the precautionary principle began to flourish,
from the late 1980s onwards. It was, however, not to replace prevention,
but to add a new dimension to it; as it will be seen later, a series of Inter-

national Environmental Law instruments were to capture the rationale of
the principle of prevention and the precautionary principle together (cf.
infra).

2. Precautionary Principle

62. We have before us two key elements which account for this evolu-
tion, namely, the awareness of the existence or persistence of risks, and
the awareness of scientific uncertainties surrounding the issue at stake.

63
J. Burckhardt, The Civilization of the Renaissance in Italy , New York, Barnes &
No64e Books, 1992, pp. 178-179.
J. Juste Ruiz, Derecho Internacional del Medio Ambiente , Madrid, McGraw-Hill,
1999, pp. 72-73.

149 la lumière tremblotante qui se joue au loin sur la mer doucement agi-

tée, la tempête dans la forêt, etc., mais encore il gravit de hautes
montagnes dans l’unique but de jouir d’une belle vue et d’embrasser
un vaste horizon; il est peut-être, depuis l’antiquité, un des premiers
qui aient fait cela.» 63

59. A la faveur de l’avènement de l’ère du droit international de l’envi-
e
ronnement au cours de la seconde moitié du XX siècle (à partir des
années 1960), le principe de prévention, qui consiste à éviter tout dom-
mage à l’environnement en général et à interdire les dommages transfron-
tières à l’environnement en particulier, fut reconnu dès le début des

années 1970. Il a trouvé son expression dans le principe 21 de la déclara-
tion de Stockholm de 1972 et dans le principe 2 de la déclaration de Rio
de 1992, et a constitué le fondement des obligations générales d’informa-

tion, de notification et de consultati64 (comme le prévoyait le principe 19
de la déclaration de Rio de 1992) .
60. Une décennie plus tôt, le principe de prévention était omniprésent
dans la Charte mondiale de la nature, adoptée le 28 octobre 1982 par

l’Assemblée générale des Nations Unies, et, une demi-décennie après la
déclaration de Rio, la convention sur le droit relatif aux utilisations des
cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation, adoptée

par l’Organisation des Nations Unies en 1997, disposait, dans le même
ordre d’idées, que, «[l]orsqu’ils utilisent un cours d’eau international sur
leur territoire, les Etats du cours d’eau prennent toutes les mesures
appropriées pour ne pas causer de dommages significatifs aux autres

Etats du cours d’eau» (art. 7, par. 1). Pourtant, la prévention à elle seule
devait s’avérer insuffisante pour orienter et développer la branche du
droit international tournée vers la protection de l’environnement.
61. L’homme prenant progressivement conscience de sa vulnérabilité

permanente et de celle de l’environnement face à des risques persistants,
ainsi que de l’insuffisance des connaissances scientifiques pour éviter les
menaces et les dangers susceptibles de survenir, le principe de précaution

commença à se développer à partir de la fin des années 1980. Il ne devait
cependant pas remplacer le principe de prévention, mais y ajouter une
nouvelle dimension; comme on le verra ultérieurement, une série d’ins-
truments de droit international de l’environnement allaient intégrer la

logique de ces deux principes réunis (voir infra).

2. Le principe de précaution

62. Deux éléments principaux expliquent cette évolution, à savoir la

conscience de l’existence ou de la persistance de risques, et la conscience
de l’incertitude scientifique relative au problème concerné. Ces deux élé-

63J. Burckhardt, La civilisation en Italie au temps de la Renaissance , Plon-Nourrit,
1906, t. 2, p. 16-18.
64J. Juste Ruiz, Derecho Internacional del Medio Ambiente , Madrid, McGraw-Hill,
1999, p. 72-73.

149These two elements have occupied a central position in the configuration

of the precautionary principle . In the light of the principle of prevention,
one is facing threat or dangers to the environment, whilst in the light of
the precautionary principle, one is rather before likely of potential threats
and dangers to the environment. In these distinct circumstances, both

principles are intended to guide or orient initiatives to avoid harm or
probable harm to the environment.
63. Over the years, the precautionary principle has been emerging also
in consideration of contentious cases lodged with this Court, in the form

of invocations to it by the contending parties in the course of interna-
tional legal proceedings. Thus, in the (second) Nuclear Tests case (under-
ground testing, New Zealand v. France), the Court was faced (in the
proceedings concerning its Order of 22 September 1995) with New Zea-

land’s contention that, under conventional and customary international
law, there was an obligation to conduct an environmental impact assess-
ment before carrying out nuclear tests, and an obligation to provide prior
evidence that planned nuclear tests

“will not result in the introduction of such material to [the] environ-
ment, in accordance with the ‘precautionary principle’ very widely
accepted in contemporary international law” (I.C.J. Reports 1995,
p. 290, para. 5).

In any circumstances — New Zealand insisted — the “precautionary
principle” required an environmental impact assessment “as a precondi-
tion for undertaking the activities, and to demonstrate that there was no

risk associated with them” (ibid., p. 298, para. 35).

64. More than two decades earlier, in the (first) Nuclear Tests
case (atmospheric testing, Australia and New Zealand v. France ),

in an oral argument before the ICJ, of 24 May 1973, advanced in a
language which seemed ahead of its time, counsel for New Zealand
began by warning that the intensification of nuclear weapons testing
in the 1950s presented “the dangers of radio-active fall-out to the

health of present and future generations”, accompanied by a growing
awareness of the “grave threat” that the continuation of such a
situation raised “ultimately to the very survival of mankind” 65.He
then invoked the “danger to mankind” and the need “to minimize the

risk to health”, the need of protection of “the peoples of the
area”, mankind’s hope to secure its own welfare, the growth of “a
regional consciousness” of the surrounding risk and of the health
hazards affecting “the whole population” and the “rights of
66
peoples” , and added that “an activity that is inherently harmful

65I.C.J. Pleadings, Nuclear Tests (Australia v. France), Vol. II (1973), p. 103.

66Ibid.,pp. 104, 106-107 and 110-111.

150ments ont occupé une position centrale dans la configuration du principe

de précaution. Le principe de prévention amène à considérer les menaces
ou dangers pour l’environnement, tandis que, avec le principe de précau-
tion, ce sont les menaces ou dangers pour l’environnement probables ou
potentiels que l’on envisage. Dans ces circonstances distinctes, les deux

principes ont pour objectif de guider et d’orienter les initiatives afin d’évi-
ter tout dommage, ou tout dommage probable, à l’environnement.
63. Au fil des ans, le principe de précaution est également apparu dans
les affaires contentieuses portées devant la Cour pour avoir été invoqué

devant celle-ci par les parties à l’instance. Ainsi, dans la (seconde) affaire
des Essais nucléaires (essais souterrains, Nouvelle-Zélande c. France), la
Cour fut amenée (dans le cadre de la procédure relative à son ordonnance

du 22 septembre 1995) à statuer sur l’allégation de la Nouvelle-Zélande
selon laquelle, en vertu du droit international conventionnel et coutumier,
il existait une obligation d’effectuer une évaluation de l’impact sur l’envi-
ronnement avant de procéder à des essais nucléaires, ainsi qu’une obliga-

tion d’apporter, avant la réalisation des essais nucléaires prévus, la preuve

«qu’ils n’aur[aie]nt pas pour effet d’introduire de telles matières dans
ce milieu, conformément au «principe de précaution» très largement
accepté dans le droit international contemporain» (C.I.J. Recueil

1995, p. 290, par. 5).

En tout état de cause — insistait la Nouvelle-Zélande — le «principe de
précaution» obligeait à procéder à une étude d’impact sur l’environne-

ment «avant d’entreprendre les activités en question, ainsi [qu’à] démon-
trer qu’il n’existait aucun risque lié auxdites activités» (ibid., p. 298,
par. 35).
64. Plus de deux décennies auparavant, dans la (première) affaire des

Essais nucléaires (essais atmosphériques, Australie et Nouvelle-Zélande
c. France), le conseil de la Nouvelle-Zélande, dans un langage qui sem-
blait en avance sur son époque, ouvrit sa plaidoirie du 24 mai 1973 en

avertissant la Cour que l’intensification des essais nucléaires dans les
années 1950 présentait «un danger de retombées radioactives pour la
santé des générations actuelles et futures» et en faisant état de la prise de
conscience croissante de la «sérieuse menace» que la poursuite d’une telle
65
situation faisait peser «à terme sur la survie même de l’humanité» .
Invoquant ensuite le «danger pour l’humanité», la nécessité «de minimi-
ser les risques sanitaires» et de protéger «les populations de la région»,
l’espoir de l’humanité d’assurer son propre bien-être, la «prise de cons-

cience [croissante], au niveau régional» du risque environnant et des ris-
ques sanitaires pour «l’ensemble de la population» et les «droits des
peuples» , il ajouta qu’«une activité dangereuse de manière inhérente ne

65
C.I.J. Mémoires, Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France) , vol. II (1973),
p.6603.
Ibid., p. 104, 106-107 et 110-111.

150is not made acceptable even by the most stringent precautionary
67
measures” .
65. The use of this language in an argument before the Court, as early
as 1973, seems to have passed unnoticed even in contemporary expert
writing on the subject. Yet, with foresight, it reveals the importance of

the awakening of conscience as to the need to resort to precaution,
beyond prevention. Finally, in the same statement, counsel for New
Zealand, recalling the (then) recently adopted final document of the
Stockholm United Nations Conference on the Human Environment

(with emphasis on Principle 21), laid emphasis on the “heightened
sense of international responsibility for environmental policies”, and
asserted the existence of “a moral duty” to the “benefit of all mankind”,
to be complied with, so as to “meet the requirements of natural
68
justice” .
66. In the more recent Gabc ˇíkovo-Nagymaros Project case (Hungary/
Slovakia), the ICJ took note of Hungary’s invocation of the “precaution-
ary principle” (Judgment, I.C.J. Reports 1997 , p. 62, para. 97), and

recognized that “both Parties agree on the need to take environmental
concerns seriously and to take the required precautionary measures, but
they fundamentally disagree on the consequences this has for the joint
Project” (ibid., p. 68, para. 113). The ICJ unfortunately refrained from

acknowledging the precautionary principle as such, and from elaborating
on the legal implications ensuing therefrom.

67. The Court had a unique opportunity to do so, in the present case

of the Pulp Mills, when both contending Parties, Uruguay and Argen-
tina, expressly referred to both the preventive principle and the precau-
tionary principle. Yet, the Court, once again, preferred to guard silence
on this relevant point. It escapes my comprehension why the ICJ has so

far had so much precaution with the precautionary principle. I regret to
find that, since 1973, the Court has not displayed more sensitiveness to
the invocation of precaution before it, when it comes to protecting
human beings and their environment, even well before the corresponding

precautionary principle began to take shape in contemporary Interna-
tional Environmental Law.
68. Yet, this latter has indeed taken shape, in our days, moved above
all by human conscience, the universal juridical conscience, which is, in

my view — may I reiterate — the ultimate material “source” of all law,
and of the new jus gentium of our times. Be that as it may, the fact that
the Court has not expressly acknowledged the existence of this general
principle of International Environmental Law does not mean that it does

not exist. There is nowadays an abundant literature on it — which is not

67I.C.J. Pleadings, Nuclear Tests (Australia v. France), Vol. II (1973), p. 108.

68Ibid., pp. 113-114.

151peut être rendue acceptable même par les mesures de précaution les plus
67
draconiennes» .
65. Le recours à un tel langage dès 1973 dans une plaidoirie présentée
devant la Cour semble être passé inaperçu même dans la doctrine contem-
poraine sur le sujet. Pourtant il révèle avec anticipation l’importance de

l’éveil des consciences quant au besoin de recourir, au-delà de la préven-
tion, à la précaution. Enfin, lors de la même plaidoirie, le conseil de la
Nouvelle-Zélande, rappelant le document final alors récemment adopté à
Stockholm par la conférence des Nations Unies sur l’environnement (en

insistant sur le principe 21), souligna «le renforcement du sentiment de
responsabilité internationale au titre des politiques environnementales»
et affirma qu’il existait «un devoir moral» au «profit de l’humanité tout

entière» qu’il convena68 de respecter afin de «répondre aux exigences de
la justice naturelle» .
66. Plus récemment, dans l’affaire relative au Projet Gabc ˇíkovo-Nagy-
maros (Hongrie/Slovaquie) , la Cour releva que la Hongrie avait invoqué

le «principe de précaution» (arrêt, C.I.J. Recueil 1997 , p. 62, par. 97) et
reconnut que «les Parties s’accord[ai]ent sur la nécessité de se soucier
sérieusement de l’environnement et de prendre les mesures de précaution
qui s’impos[ai]ent, mais [qu’]elles [étaient] fondamentalement en désac-

cord sur les conséquences qui en découl[ai]ent pour le projet conjoint»
(ibid., p. 68, par. 113). Malheureusement, la Cour s’abstint de reconnaître
le principe de précaution en tant que tel et de préciser les implications
juridiques qui en découlaient.

67. La Cour avait une occasion unique de le faire en la présente affaire
des Usines de pâte à papier car les deux Parties, l’Uruguay et l’Argentine,
se sont expressément référées au principe de prévention et au principe de

précaution. Pourtant, elle a une fois de plus préféré garder le silence sur
ce point pertinent. Je ne saisis pas pourquoi la CIJ a jusqu’à présent pris
tant de précautions avec le principe de précaution et je déplore que,
depuis 1973, la Cour ne se soit pas montrée plus sensible à l’invocation de

la précaution par les parties lorsqu’il s’agissait de protéger l’homme et
son environnement, même bien avant que le principe de précaution cor-
respondant ne commençât à prendre forme en droit international de
l’environnement.

68. Cependant, ce principe a effectivement pris forme de nos jours,
principalement sous l’effet de la conscience humaine, la conscience juri-
dique universelle qui, à mon sens — je le répète —, est la «source» essen-

tielle ultime de tout droit ainsi que du jus gentium de notre époque. Quoi
qu’il en soit, le fait que la Cour n’ait pas expressément reconnu l’existence
de ce principe général du droit international de l’environnement ne signi-
fie pas qu’il n’existe pas. Il existe de nos jours une doctrine abondante à

67
C.I.J. Mémoires, Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c. Fran, vol. II (1973),
p.6808.
Ibid., p. 113-114.

151my intention to review in this separate opinion — but, irrespective of

that, one can hardly escape acknowledging the relevance of the consider-
ation of at least its constitutive elements, as I proceed to do now.

(a) Risks

69. The last decades have indeed witnessed a growing awareness of the
vulnerability of human beings and of the environment, requiring care and
due diligence in face of surrounding risks, incurred by man himself. That

vulnerability has led to the acknowledgement of the need to take
initiatives and decisions, even without a thorough knowledge of the
relevant factors in a given situation, so as to protect human life and the
environment. Prevention envisaged risks, but assumed they were certain.
Precaution thus emerged, as an ineluctable principle, to face also

uncertain risks, given the uncertainties of life itself, and the intuition of
surrounding death.

70. This development had to do not only with the inescapable limita-

tions of human knowledge, but also, beyond that, with human fallibility,
and — one has to admit it — with human wickedness. Looking back in
anger , we realize how the recent advances in specialized scientific
knowledge have led not only to remarkable achievements, but also to

devastating catastrophes, to the detriment of humankind and the envi-
ronment, as illustrated by the arms race, for example. The twentieth cen-
tury has witnessed an unprecedented growth in scientific knowledge and
technology, accompanied tragically by an also unprecedented display of

cruelty and destruction.

71. For the first time in human history, human beings became aware
that they had acquired the capability to destroy the whole of humankind.

In so far as the environment is concerned, the emergence of the precau-
tionary principle brought about the requirement to undertake complete
environmental impact assessments, and the obligations of notification
and of sharing information with the local population (and, in extreme
cases, even with the international community). Moreover, the reckoned

need of consideration of alternative courses of action, in face of probable
threats or dangers, also contributes to give expression to the precaution-
ary principle, amidst the recognition of the limitations in scientific knowl-
edge on ecosystems.

72. While the principle of prevention (supra) assumed that risks could
be objectively assessed so as to avoid damage, the precautionary principle

69To paraphrase the title of the renowned theatrical play by the dramatist John
Osborne.

152ce sujet — que je n’entends pas passer en revue dans le cadre de la pré-

sente opinion individuelle — mais, en dehors de cela, on ne peut guère
éviter de reconnaître qu’il est pertinent d’en considérer au moins les élé-
ments constitutifs, comme je vais le faire maintenant.

a) Les risques

69. Ces dernières décennies ont en effet vu se développer une prise de
conscience croissante de la vulnérabilité de l’homme et de son environne-
ment et de la nécessité de faire dès lors preuve de vigilance et de diligence

face aux risques créés par l’homme lui-même. On en est ainsi venu à
reconnaître qu’il fallait prendre des initiatives et des décisions, même si
les facteurs pertinents dans une situation donnée étaient mal connus, afin
de protéger la vie humaine et l’environnement. La prévention envisageait

les risques, mais en les présumant certains; c’est ainsi qu’est apparue la
précaution, comme un principe inéluctable, pour faire également face aux
risques incertains, à l’image de l’incertitude de la vie elle-même et sous
l’impulsion de l’intuition d’une mort omniprésente.

70. Cette évolution a dû se faire non seulement malgré les inévitables
limites de la connaissance humaine, mais également en dépit de la failli-
bilité et — il faut bien l’admettre — de la méchanceté humaines. Contem-
plant le chemin parcouru avec amertume , nous réalisons que les

récentes avancées de la connaissance scientifique spécialisée ont conduit
non seulement à des progrès remarquables, mais également à des catas-
trophes dévastatrices, au détriment de l’humanité et de l’environnement,
e
comme l’illustre par exemple la course aux armements. Le XX siècle a
été témoin d’un progrès sans précédent des connaissances et des techni-
ques scientifiques, qui s’est tragiquement accompagné d’un déploiement
de cruauté et de destructions tout aussi inédit.

71. Pour la première fois de son histoire, l’homme prit conscience qu’il
avait acquis la capacité de détruire l’humanité tout entière. S’agissant de
l’environnement, l’apparition du principe de précaution s’est traduite par
les obligations d’entreprendre une évaluation exhaustive de l’impact sur

l’environnement, de procéder à des notifications et d’échanger des infor-
mations avec la population locale (et, dans les cas extrêmes, même avec la
communauté internationale). Par ailleurs, dans le contexte de la recon-
naissance des limites de la connaissance scientifique en matière d’écosys-

tèmes, le fait qu’on estime nécessaire d’envisager des mesures alternatives
face à des menaces ou des dangers probables contribue également à
l’expression du principe de précaution.
72. Tandis que le principe de prévention (supra) reposait sur l’hypo-

thèse selon laquelle les risques peuvent être objectivement évalués, en vue

69Dans la version anglaise de son opinion, le juge Cançado Trindade fait ici allusion au
titre de la pièce de John Osborne «Look back in Anger». Cette pièce ayant été adaptée en
français sous le titre «La paix du dimanche», il n’est pas possible de reproduire cette allu-
sion dans la traduction française de l’opinion.

152arose, to face with anticipation, probable threats, surrounded by uncer-

tainties; risks were to be reasonably assessed. In addition, the precaution-
ary principle went beyond the logic — or lack of it — of the homo
oeconomicus (of attributing an economic value to everything), as environ-
mental goods are not mere commodities, and risks cannot be assessed by
70
means of cost-benefit techniques only .

73. In considering the element of probable risk, proper to the precau-

tionary principle, I have so far detected two related aspects, namely, the
growing awareness of the vulnerability of human beings and the environ-
ment, and the recognition of the need to take precautionary action,
prompted by the probability of irreversible environmental harm. The

growth of scientific knowledge came to be appreciated with the awareness
of human fallibility. Such aspects were kept in mind in the formulation of
the precautionary principle, as asserted in the landmark 1992 Rio de
Janeiro Declaration on Environment and Development (Principle 15),

in face of the probability of harm. The States’ duty to counter environ-
mental hazards was at last reckoned.

(b) Scientific uncertainties

74. The element of risks has been ineluctably linked to the other ele-
ment of scientific uncertainties . In order to approach this latter, in my

view four other aspects are to be considered, in addition to that of the
aforementioned knowledge and awareness of human fallibility, namely:
(a) the formation and growth of scientific knowledge; (b) the emergence
of specialized knowledge; (c) the persisting décalage between knowledge

and wisdom; and (d) the humane ends of knowledge. I shall go briefly
through them, to the extent they may fulfil the purpose of the present
separate opinion.

75. It may, first of all, be asked, why has it taken so long for precau-
tion to find its place and be articulated amidst the growth of human
knowledge over centuries? After all, around 24 centuries ago it had been
reckoned that human knowledge was far too limited (unsurprisingly),

and even more scarce was, and is, human wisdom. This latter, in fact,
looked alien to humans, as conceded in the Apology of Socrates (399
BC):

“I know that I have no wisdom, small or great. . . . Accordingly,

I went to one who had the reputation of wisdom . . .; he was a politi-

70N. de Sadeleer, Environmental Principles: From Political Slogans to Legal Rules ,
Oxford University Press, 2002, pp. 91, 127, 164 and 170.

153d’éviter tout dommage, l’apparition du principe de précaution participait

quant à elle d’une approche anticipative, visant à répondre aux menaces
probables, entourées d’incertitude, dans laquelle les risques doivent être
raisonnablement évalués. Ce principe dépassait en outre la logique — ou
l’absence de logique — de l’homo oeconomicus (qui consiste à attribuer
une valeur économique à toute chose), les biens environnementaux n’étant

pas de simples marchandises et les risques en la matière ne pouvant dès
lors pas être évalués à l’aune des seules techniques coût/bénéfice . 70
73. J’ai jusqu’à présent mis au jour deux aspects liés à l’élément du ris-
que probable, propre au principe de précaution, à savoir la prise de cons-

cience croissante de la vulnérabilité de l’homme et de son environnement,
et la reconnaissance de la nécessité de prendre des mesures de précaution,
motivée par la probabilité d’engendrer des dommages irréversibles à
l’environnement. On en vint par ailleurs à apprécier les progrès de la

connaissance scientifique en toute conscience de la faillibilité humaine, et
tous ces éléments furent pris en considération dans la formulation du
principe de précaution face à la probabilité des dommages, tel qu’il fut
affirmé en 1992 dans la déclaration de Rio sur l’environnement et le déve-

loppement (principe 15), qui fait date. On envisageait enfin l’obligation,
pour les Etats, de lutter contre les risques pour l’environnement.

b) L’incertitude scientifique

74. L’élément du risque a inéluctablement été lié à l’autre élément,
l’incertitude scientifique , dont l’examen nécessite à mon sens la prise en
compte de quatre autres aspects, en plus de la connaissance et de la prise
de conscience de la faillibilité humaine évoquées précédemment, à savoir:

a) la formation et le développement de la connaissance scientifique; b)
l’apparition de la connaissance spécialisée; c) la persistance du décalage
entre connaissance et sagesse; et d) les finalités humaines de la connais-
sance. Je passerai brièvement en revue ces éléments, dans la mesure où ils

répondent à l’objectif que je poursuis en rédigeant la présente opinion
individuelle.
75. Tout d’abord, on pourrait se demander pourquoi, alors que la
connaissance humaine s’est développée au fil des siècles, il a fallu si long-

temps pour que la précaution y trouve sa place et soit exprimée claire-
ment. Après tout, on avait déjà relevé, il y a de cela quelque vingt-quatre
siècles, que la connaissance humaine était bien trop limitée (ce qui n’est
pas surprenant) et que la sagesse humaine l’était encore plus, et le

demeure. De fait, comme le reconnaissait Platon dans l’Apologie de
Socrate (399 av. J.-C.), la sagesse semblait étrangère à l’être humain:

«[J]e sais bien qu’il n’y a en moi aucune sagesse, ni petite ni
grande... J’allai chez un de nos concitoyens, qui passe pour un des

70N. de Sadeleer, Environmental Principles — From Political Slogans to Legal Rules ,
Oxford, University Press, 2002, p. 91, 127, 164 et 170.

153 cian whom I selected for examination – and the result was as fol-

lows: When I began to talk to him, I could not help thinking that he
was not really wise, although he was thought wise by many, and still
wiser by himself; and thereupon I tried to explain to him that he
thought himself wise, but was not really wise; and the consequence

was that he hated me, and his enmity was shared by several who
were present and heard me.
.............................

After the politicians, I went to the poets; . . . I knew that not by
wisdom do poets write poetry, but by a sort of genius and inspira-
tion; . . . upon the strength of their poetry they believed themselves

to be the wisest of men in other things in which they were not wise.
.............................

At last I went to the artisans. . . . They did know many things of
which I was ignorant, and in this they certainly were wiser than I
was. But I observed that even the good artisans fell into the same
error as the poets; because they were good workmen they thought

that they also knew all sorts of high matters, and this defect in them
overshadowed their wisdom.
.............................

This inquisition has led to my having many enemies of the worst
and most dangerous kind . . . The truth is, O men of Athens, is the
wisest, who, like Socrates, knows that his wisdom is in truth worth
71
nothing.”

76. One is led to imagine that, if experts existed in those times, the
times of Socrates, they would most probably have also been consulted,
and their views would most likely not have changed Socrates’s conclusion

at all. The wise message of the Apology of Socrates lies in the warning as
to the need to have conscience of one’s own limits. This humanist out-
look was captured centuries later, in the writings published in the six-

teenth century by humanists like Erasmus (1465-1536), Rabelais (circa
1488-1553) and Montaigne (1533-1592), among others.

77. In the seventeenth century, modern science (as it became known)

had already emerged: the new age of reason was marked by the rise of
physical sciences, pari passu with the decline of the medieval conception
of knowledge. Later on, in the eighteenth century — the age of enlight-
enment (pensée illuministe) — in the same line of concern as that of Soc-

rates, Voltaire (1694-1778) warned, in his Dictionnaire philosophique
(1764), as to the uncertainties surrounding human beings (despite scien-
tific advances) and the limits of the human mind (l’esprit humain) 72.

71
72Plato, Apology of Socrates [399 BC], 21b-d; 22a-c; 22d; 23a-b.
Entries on “certitude, certainty” and on “limits of the human mind”, respectively, of
his Dictionnaire philosophique .

154 plus sages de la ville... Examinant donc cet homme, ... c’était un de

nos plus grands politiques, et m’entretenant avec lui, je trouvai qu’il
passait pour sage aux yeux de tout le monde, surtout aux siens, et
qu’il ne l’était point. Après cette découverte, je m’efforçai de lui faire
voir qu’il n’était nullement ce qu’il croyait être ; et voilà déjà ce qui

me rendit odieux à cet homme et à tous ses amis, qui assistaient à
notre conversation.
.............................

Après les politiques, je m’adressai aux poètes... Je reconnus ... que
ce n’est pas la raison qui dirige le poète, mais une sorte d’inspiration

naturelle, un enthousiasme ... à cause de leur talent pour la poésie, ils
se croyaient sur tout le reste les plus sages des hommes.
.............................

Des poètes, je passai aux artistes... Ils savaient bien des choses que
j’ignorais; et en cela ils étaient beaucoup plus habiles que moi.
Mais ... les plus habiles me parurent tomber dans les mêmes défauts

que les poètes; il n’y en avait pas un qui, parce qu’il excellait dans
son art, ne crut très bien savoir les choses les plus importantes, et
cette folle présomption gâtait leur habileté.

.............................
Ce sont ces recherches ... qui ont excité contre moi tant d’inimitiés
dangereuses... Mais, Athéniens, la vérité est [que] le plus sage d’entre

vous, c’est celui qui, comme Socrate, reconnaît que sa sagesse n’est
rien.» 71

76. Je suis enclin à penser que, si des experts avaient existé à l’époque

de Socrate, ils auraient très certainement également été consultés, et que
leur opinion n’aurait très probablement en rien modifié la conclusion de
Socrate. Toute la sagesse du message de l’Apologie de Socrate repose
dans l’avertissement fait à l’homme de la nécessité qu’il y a pour lui de

prendre conscience de ses propres limites. Cette perspective humaniste a
été illustrée des siècles plus tard dans des ouvrages d’humanistes tels
qu’Erasme (1465-1536), Rabelais (v. 1488-1553) et Montaigne (1533-
e
1592), notamment, eubliés au XVI siècle.
77. Au XVII siècle, la science moderne (comme on la désigna) était
déjà née: l’ère nouvelle de la raison était marquée par la montée en puis-
sance des sciences physiques, qui allait de pair avec le déclin de la concep-
e
tion médiévale de la connaissance. Plus tard, au XVIII siècle — le siècle
des Lumières —, mû par des préoccupations identiques à celles de Socrate,
Voltaire (1694-1778) mettait lui aussi l’homme en garde, dans sonDiction-

naire philosophique (1764), contre l’incertitude qui caractérise sa condition
(en dépit des progrès scientifiques) et les limites de l’esprit humain . 72

71Platon, Apologie de Socrate (399 av. J.-C.), 21b-d; 22a-c; 22d; 23a-b.
72Voir respectivement les entrées «certain, certitude» et «bornes de l’esprit humain»
de son Dictionnaire philosophique .

154 78. With the gradual advent of the age of technology and the indus-

trial revolution, science was largely equated with a techno-science; asso-
ciated with pure technique and the illusion of unlimited material progress
or economic growth. This proved disastrous for man and his environ-
ment, as recognized only much later, in the second half of the twentieth

century. But still at the end of the eighteenth century, when Condorcet,
another humanist, professed, in his inspired and moving Esquisse d’un
tableau historique des progrès de l’esprit humain (1793), his faith in
progress (and in the droits de l’humanité), he had in mind progress not

strictly limited to the accumulation of knowledge, but also encompassing
the moral improvement of man, that is, progress duly attentive to ethics
and values.

79. Regrettably, his philosophy of progress was taken up by thinkers
of the nineteenth century who, under the new influence of positivism and
“modernity”, reduced it to material progress or economic growth, moved
73
by a techno-system . This reductionist outlook of progress gene74ted
problems which seemed soluble only with more progress . In this ver-
tiginous spiral, stimulated by the new conception of material progress,
man lost sight of ethical values, and acquired, for the first time in human

history, the capacity to destroy the whole of humankind (as attested by
today’s arsenals of weapons of mass destruction). Man and his environ-
ment became victims of the putting into practice of this deplorable and
distorted vision of material progress, devoid of values. By losing sight of

the demands of reason and ethics, man became a serious threat to himself
and his environment.

80. The formation and growth of scientific knowledge generated at
first a generalized belief in science, which was to be reckoned, in recent
decades, as an illusion. It did not last long enough. Successive man-made
disasters began to dissipate the old belief in scientific knowledge and in

its assumed capacity even to predict and to avoid likely threats and dan-
gers to human beings and the environment; that old belief gradually
yielded to uncertainties, to a recognition of the limitations of scientific
knowledge to predict, with some degree of accuracy, those threats and

dangers, and to avoid them. Scientific uncertainties gave a strong impetus
to the emergence of the precautionary principle.

81. This new awareness, however, faced many obstacles before it at
last emerged in our times. During the nineteenth and twentieth centuries

73
G. H. von Wright, Le mythe du progrès, Paris, L’Arche éd., 2000, pp. 10-12, 34-37,
427461 and 64-65.
R. Wright, Breve História do Progresso , Lisbon, Dom Quixote, 2006, pp. 19-21, 35
and 75, and cf. pp. 90 and 104.

155 78. Avec l’avènement progressif de l’ère technologique et la révolution

industrielle, la science devint largement synonyme de technoscience, asso-
ciée à la technique pure et à l’illusion d’un progrès matériel et d’une crois-
sance économique illimités, ce qui s’avéra désastreux pour l’homme et

son environnement, comme ceea ne fut reconnu que bien plus tard, dans e
la seconde moitié du XX siècle. Mais, toujours à la fin du XVIII siècle,
lorsque Condorcet, un autre humaniste, déclarait, dans sa brillante et
émouvante Esquisse d´un tableau historique des progrès de l´esprit humain

(1793), sa foi dans le progrès (et dans les droits de l’humanité), il avait à
l’esprit un progrès qui n’était pas strictement limité à l’accumulation des
connaissances, mais qui englobait également le perfectionnement moral

de l’homme, en d’autres termes un progrès dûment soucieux d’éthique et
de valeurs.
79. Malheureusement, sa philosophie du progrès fut reprise par les
e
penseurs du XIX siècle qui, sous l’influence nouvelle du positivisme et de
la «modernité», réduisirent celui-ci au progrès matériel ou à la croissance
économique, mus par un technosystème , et cette approche réductrice a
engendré des problèmes que seul davantage de progrès semblait pouvoir
74
résoudre . Dans cette spirale vertigineuse, stimulé par la nouvelle concep-
tion du progrès matériel, l’homme perdit de vue les valeurs éthiques et
acquit, pour la première fois de son histoire, la capacité de détruire

l’humanité tout entière (comme l’attestent les arsenaux d’armes de des-
truction massive de notre époque). L’homme et son environnement devin-
rent les victimes de la mise en pratique de cette déplorable vision défor-

mée du progrès matériel, dépourvue de valeurs. En perdant de vue les
exigences de la raison et de l’éthique, l’homme devint une grave menace
pour lui-même et pour son environnement.
80. La foi généralisée en la science à laquelle ont tout d’abord donné

naissance la formation et le développement de la connaissance scienti-
fique en est venue à être perçue, au cours des récentes décennies, comme
une illusion. Elle ne persista pas suffisamment longtemps. Les désastres

successifs dont l’homme était à l’origine commencèrent à dissiper la
vieille foi en la connaissance scientifique et en sa capacité supposée à
même de prévoir et éviter les menaces et dangers probables pour l’homme

et l’environnement; cette vieille foi céda progressivement le pas à l’incer-
titude, à la reconnaissance des limites de la capacité de la connaissance
scientifique à prévoir, avec un certain degré de précision, ces menaces et
dangers, et à les éviter. L’incertitude scientifique contribua fortement à

l’émergence du principe de précaution.
81. Cependant, cette nouvelle conscience dut affronter de nombreux
obstacles avant de pouvoir enfin émerger à notre époque. Tout au long

73G. H. von Wright, Le mythe du progrès, Paris, éd. L’Arche, 2000, p. 10-12, 34-37, 42,
61 et 64-65.
74R. Wright, Breve História do Progresso , Lisboa, Publs. Dom Quixote, 2006, p. 19-
21, 35 et 75, et voir p. 90 et 104. [Pour une version française, voir R. Wright, Brève his-
toire du progrès, Hurtubise HMH, Montréal, 2005.]

155(from the times of Auguste Comte onwards), positivism — with its

characteristic self-sufficiency — kept on maintaining that the only valid
propositions were the ones which were scientifically verifiable; it kept
on upholding all knowledge empirically obtained from the method of
observation, believing it capable of solving problems indefinitely. Yet,
problems it thought were solved, proved not to have been. But the myth

of unending progress had already been diffused.

82. The relentless belief in scientific knowledge, professed by positiv-
ism, as being capable of solving all problems, had become almost an

ideology. Gradually, in all branches of knowledge and everywhere, so-called
“experts” began to appear, knowing more and more about less and less.
And the general belief flourished that the cultivation of specialized knowl-
edge was the most adequate path to human safety and even happiness.

Only in our times — the times of the growth of International Environ-
mental Law — after so much destruction occurred in the twentieth
century — including man-made destruction — the pressing need has been
acknowledged of controlling the uses of scientific knowledge, and of

thinking and acting with moderation and care.

83. In so far as the environment was concerned, such awareness has

led to the formulation of the principles of prevention — to avoid enviro-
nmental damage — and of precaution, to take action so as to foresee
probable and even long-term harmful consequences to the environment,
amidst scientific uncertainties. Given the recurring prevalence of these
latter, the epistemology of the precautionary principle is geared to the

duty of care, of due diligence. Unlike the positivist belief that science can
reduce uncertainties by carrying on further scientific research, its pre-
sumption is invariably in support of the conservation of the environment
and the protection of public health , identified with the common good.

84. However, the assertion and acknowledgement of those principles

are not the end of the saga. Have human beings really learned all they
could from the errors and sufferings of preceding generations? I have my
doubts. They have apparently not learned as much as they could. Twenty-
four centuries after the Apology of Socrates, the décalage between knowl-

edge and wisdom remains as vivid as ever. And surrounding threats and
dangers have become more formidable than ever, given the incapacity of
man to generate knowledge and to utilize it with wisdom. The accumula-
tion of knowledge, and mainly of specialized knowledge, has lately taken

75N. de Sadeleer, Environmental Principles: From Political Slogans to Legal Rules ,
op. cit. supra note 70, pp. 178, 203, 207 and 212.

156du XIX et du XX siècle (à partir de l’époque d’Auguste Comte), on

continua, sous l’effet du positivisme — avec son autosuffisance caracté-
ristique —, d’affirmer que les seules propositions valides étaient celles qui
pouvaient être vérifiées scientifiquement et de soutenir toute connaissance
obtenue de manière empirique par la méthode de l’observation, la croyant

capable de résoudre indéfiniment les problèmes. Pourtant, des problèmes
que l’on pensait résolus se sont avérés ne pas l’être, mais le mythe du pro-
grès infini s’était déjà répandu.
82. La croyance acharnée en la capacité de la connaissance scientifique

de résoudre tous les problèmes, professée par le positivisme, était presque
devenue une idéologie. On vit progressivement apparaître, partout et
dans toutes les branches de la connaissance, de soi-disant «experts», dis-

posant de connaissances de plus en plus vastes sur des sujets de plus en
plus restreints, et l’on se mit à croire que le développement de la connais-
sance spécialisée était le plus sûr moyen pour l’homme d’accéder à la
sécurité, voire au bonheur. C’est seulement à notre époque — celle du

déveloepement du droit international de l’environnement — et après que
le XX siècle a été le témoin de tant de destructions, engendrées notam-
ment par l’homme, qu’a été reconnu le besoin pressant de contrôler l’uti-
lisation de la connaissance scientifique ainsi que de penser et d’agir avec

modération et prudence.
83. En matière d’environnement, cette prise de conscience a conduit à
la formulation des principes de prévention, qui vise à éviter que des dom-
mages ne soient causés à l’environnement, et de précaution, qui vise à

prendre des mesures afin de prévoir les conséquences dommageables pro-
bables et même à long terme pour l’environnement, sur fond d’incertitude
scientifique. Or, étant donné la prévalence récurrente de cette dernière,

l’épistémologie du principe de précaution est orientée vers le devoir de
prudence, de diligence. Contrairement à la croyance positiviste selon
laquelle, par la poursuite de la recherche scientifique, la science peut
réduire le champ de l’incertitude, le principe de précaution repose lui

sur une hypothèse invariablement favorable à la conservation de l’envi-
ronnement et à la protection de la santé publique , identifiés au bien
commun.
84. Toutefois, l’affirmation et la reconnaissance de ces principes ne

mettent pas un terme à la saga. L’être humain a-t-il vraiment tiré toutes
les leçons possibles des erreurs et des souffrances des générations précé-
dentes? J’en doute. Il n’a, semble-t-il, pas appris autant qu’il aurait pu et,

vingt-quatre siècles après l’Apologie de Socrate, le décalage entre connais-
sance et sagesse est plus saisissant qu’il ne l’a jamais été, de même que
sont devenus plus redoutables que jamais les menaces et les dangers qui
nous entourent, étant donné l’incapacité de l’homme à produire de la

connaissance et à l’utiliser avec sagesse. Perdant tragiquement de vue la

75
N. de Sadeleer, Environmental Principles — From Political Slogans to Legal Rules,
op. cit. supra note 70, p. 178, 203, 207 et 212.

156place again, in a recurrent way, tragically losing sight of the humane ends

of knowledge. From time to time warnings have been expressed as to this
dangerous state of affairs, but they seem to have soon been forgotten.
85. Thus, to recall but one example, only half a century ago, in 1960,
the learned twentieth-century humanist, Bertrand Russell, pondered:

“There are several factors that contribute to wisdom. Of these I
should put first a sense of proportion: the capacity to take
account of all the important factors in a problem and to attach
to each its due weight. This has become more difficult than it

used to be owing to the extent and complexity of the specialized
knowledge required of various kinds of technicians. (. . .) You
study the composition of the atom from a disinterested desire for
knowledge, and incidentally place in the hands of powerful

lunatics the means of destroying the human race. In such ways
the pursuit of knowledge may become harmful unless it is
combined with wisdom; and wisdom in the sense of comprehensive
vision is not necessarily present in specialists in the pursuit of
knowledge.

Comprehensiveness alone, however, is not enough to constitute
wisdom. There must be, also, a certain awareness of the ends of
human life. (. . .) The disastrous results of hatred and narrow-

mindedness to those who feel them can be pointed out incidentally
in the course of giving knowledge. I do not think that knowledge and
morals ought to be too much separated. It is true that the kind of
specialized knowledge which is required for various kinds of skill has

little to do with wisdom. . . . Even the best technicians should also be
good citizens; . . . I mean citizens of the world and not of this or that
sect or nation. With every increase of knowledge and skill, wisdom
becomes more necessary, for every such increase augments our capa-

city for realizing our purposes, and therefore augments our capacity
for evil, if our purposes are unwise. The world needs wisdom as it
has never needed it before; and if knowledge continues to increase,
the world will need wisdom in the future even more than it does
76
now.”

86. In the same epoch of this ponderation, another learned thinker of
the twentieth century, Karl Popper, also grasping the message of the
Apology of Socrates, and dwelling upon the growth of scientific know-
ledge, contended, in his Conjectures and Refutations , that scientific know-

ledge advances by means of anticipations or conjectures, which are
controlled by the critical spirit, that is, by refutations; therefrom we can

76Bertrand Russell, “Knowledge and Wisdom”, Essays in Philosophy (H. Peterson,
ed.), N.Y., Pocket Library, 1960 [reprint], pp. 499 and 502.

157finalité humaine de la connaissance, l’homme a récemment renoué avec la

course à la connaissance, surtout spécialisée, oubliant bien vite les aver-
tissements sporadiques quant à la dangerosité de cette situation.
85. Ainsi, pour ne citer qu’un exemple, il n’y a de cela qu’un demi-
siècle, en 1960, un humaniste érudit du XX siècle, Bertrand Russell,

nous faisait part des réflexions suivantes:

«Plusieurs facteurs contribuent à la sagesse, au premier rang des-
quels je placerais le sens de la proportion: la capacité de tenir
compte, dans un problème, de tous les facteurs importants et d’attri-

buer à chacun d’entre eux sa juste valeur. Cela est devenu plus dif-
ficile qu’autrefois en raison de l’ampleur et de la complexité de la
connaissance spécialisée que doivent détenir toutes sortes de
techniciens... Mû par un attrait désintéressé pour la connaissance,

vous étudiez la composition de l’atome et mettez accidentelle-
ment dans les mains de déséquilibrés au pouvoir les moyens de
détruire l’espèce humaine. C’est ainsi que, à moins d’être associée à
la sagesse, la recherche de la connaissance peut devenir dange-

reuse; or, la sagesse, au sens d’une vision globale, n’est pas néces-
sairement l’apanage des spécialistes chargés d’étendre le champ de
la connaissance.
Toutefois, il ne suffit pas d’avoir une vision globale pour être sage.

Encore faut-il également avoir une certaine conscience de la finalité
de la vie humaine... On peut, en diffusant la connaissance, souligner
en passant les résultats désastreux de la haine et de l’étroitesse
d’esprit pour ceux qui en font preuve. Je ne pense pas qu’il convienne

de trop séparer connaissance et morale. Il est vrai que le type de
connaissance spécialisée nécessaire à diverses compétences a peu à
voir avec la sagesse... Même les meilleurs techniciens devraient éga-
lement être de bons citoyens... J’entends par là des citoyens du

monde et non de telle ou telle secte ou nation. Dans la mesure où il
accroît notre capacité de réaliser nos objectifs et, partant, de faire le
mal si nos objectifs ne sont pas sages, chaque progrès de la connais-
sance et des compétences rend la sagesse encore plus nécessaire. Ce

monde a besoin de sagesse comme il n’en a jamais eu besoin aupa-
ravant; et si la connaissance continue de progresser, le monde aura à
l’avenir encore plus besoin de sagesse qu’aujourd’hui.» 76

86. A la même époque, un autre penseur érudit du XX e siècle,

Karl Popper, qui avait également saisi la teneur du message de l’ Apo-
logie de Socrate , affirma, dans son ouvrage Conjectures et réfutations ,
que la connaissance scientifique progresse par voie d’anticipations et
de conjectures, elles-mêmes contrôlées par l’esprit critique, c’est-à-dire

par des réfutations; d’où notre capacité à apprendre de nos propres

76Bertrand Russell, «Knowledge and Wisdom», Essays in Philosophy (H. Peterson,
dir. publ.), New York, Pocket Library, 1960 [réimp.], p. 499 et 502.

157learn from our own mistakes . To him, all sources of knowledge —

including the method of observation, the empirical solutions, which posi-
tivists continue to defend — are susceptible of sometimes leading us into
errors; there are ultimately no sure sources, and the progress of knowl-

edge is essentially a transformation of previous knowledge, and the rel-
evance of discoveries lies generally in “their capacity to modify our own

previous theories”, with human knowledge remaining only limited (and
ignorance unlimited) . 78

87. Not even accumulated knowledge can be entirely mastered by
human beings. Technological progress, leading, for example, to environ-
mental degradation, or being used in modern warfare, has raised

serious doubts as to whether scientific knowledge alone can really satisfy
all human needs, and has led to the crisis of spiritual values we
live in today . Be that as it may, the development of scientific

specialized knowledge has by no means amounted to growth of human
wisdom.

88. Behind the uses of knowledge stands another element, namely,
State policies, together with all sorts of interests: economic, industrial,

technocratic, not excluding competition, with all its consequences. Are
pulp mills built nowadays by European industrial enterprises in the
southern cone of South America, and their technology, an exception to

that? I have my doubts. Such industrial and other interests — material
interests — rather than being moved by a scientific mind, are those
of homo oeconomicus, they rather often utilize all powers and influence

they can gather, in order to obtain whatever science can provide
them , for their own purposes (including profits). Pragmatism and

utilitarianism, generating risks, should thus not be forgotten or
overlooked here.

89. It is not at all surprising that, as a result of all that, scientific
advances have been surrounded by uncertainties and complexities, also
due to the limitations of the human mind and its manifest lack of wis-
81
dom. This is the brave new world wherein we live today. Precaution is,
more than ever, necessary, in face not only of human fallibility, but also

77K. R. Popper, Conjecturas e Refutações — O Progresso do Conhecimento Científico ,
5th ed., Brasília, Edit. University of Brasília, 2008, pp. 31-449.

78
K. R. Popper, Des sources de la connaissance et de l’ignorance , Paris, éd. Payot &
Ri79ges, 1998 (reed.), pp. 112-113, 133-135, 143, 146 and 149-152.
G. H. von Wright, Le mythe du progrès, op. cit. supra note 73, pp. 65-66, 73, 76 and
83, and cf. pp. 95 and 98.
80E. Morin, Science avec conscience , 2nd ed., Paris, Fayard/Seuil, 2003, pp. 8-11, 17,
19, 23, 35 and 38.
81To paraphrase a well-known allegory of another lucid thinker of the twentieth century.

158erreurs . Pour lui, toutes les sources de connaissance — y compris la

méthode de l’observation, les solutions empiriques, que les positivistes
continuent à défendre — peuvent parfois nous induire en erreur;

en définitive, il n’existe pas de source sûre de connaissance, tout pro-
grès en la matière consiste essentiellement en une transformation des
connaissances antérieures et la pertinence des découvertes repose

généralement dans «leur capacité à modifier nos propres théories anté-
rieures», la connaissance humaine demeurant limitée (et l’ignorance
illimitée) .

87. L’homme ne peut pas même maîtriser entièrement la connaissance
accumulée. Le progrès technologique conduit, par exemple, à la dégrada-

tion de l’environnement, et est utilisé dans les guerres modernes, de sorte
qu’on en est venu à douter sérieusement de la capacité de la seule
connaissance scientifique à satisfaire réellement les besoins de l’homme,

ce qui a débouché sur la crise des valeurs spirituelles que nous vivons
actuellement . Quoi qu’il en soit, le développement de la connaissance
scientifique spécialisée ne s’est en aucun cas traduit par un surcroît de

sagesse humaine.
88. Derrière l’utilisation de la connaissance se profilent un autre élé-

ment, à savoir la politique de l’Etat, ainsi que toutes sortes d’intérêts,
économiques, industriels, technocratiques, sans oublier la concurrence et
toutes ses conséquences. Les usines de pâte à papier construites de nos

jours par des entreprises industrielles européennes dans le cône méridio-
nal de l’Amérique du Sud, et leur technologie, échappent-elles à cette

situation? J’en doute. Ces intérêts industriels et autres — des intérêts
matériels — sont ceux de l’homo oeconomicus, qui, loin d’être mû par un
esprit scientifique, utilise bien souvent tout le pouvoir et l’influence qu’il
80
peut pour obtenir tout ce que la science peut lui apporter , et ce pour
servir ses propres fins (notamment le profit). Aussi convient-il de ne pas
oublier ou négliger dans notre raisonnement les sources de risque que

constituent le pragmatisme et l’utilitarisme.
89. Dans ce contexte, et également en raison des limites de l’esprit de

l’homme et de son manque manifeste de sagesse, il n’est pas du tout sur-
prenant que le progrès scientifique ait constitué un processus complexe,
teinté d’incertitude. Tel est le meilleur des mondes 81 dans lequel nous

vivons aujourd’hui et, face non seulement à la faillibilité mais également

77
e K. R. Popper, Conjecturas e Refutações — O Progresso do Conhecimento Científico ,
5 éd., Brasília, Edit. University of Brasília, 2008, p. 31-449. [Pour une version française,
voir K. R. Popper, Conjectures et réfutations: la croissance du savoir scientifique , Payot,
2006.]
78 K. R. Popper, Des sources de la connaissance et de l’ignorance , Paris, éd. Payot
& Rivages, 1998 (rééd.), p. 112-113, 133-135, 143, 146 et 149-152.
79 G. H. von Wright, Le mythe du progrès, op. cit. supra note 73, p. 65-66, 73, 76 et 83,

et80oir p. 95 et 98. e
E. Morin, Science avec conscience ,2éd., Paris, Fayard/Seuil, 2003, p. 8-11, 17, 19,
23, 35 et 38. e
81 Pour paraphraser une célèbre allégorie d’un autre penseur lucide du XX siècle.

158of human wickedness. Given the vulnerability of human kind, the risks

surrounding everyone, the insufficiencies of scientific knowledge
— surrounded by uncertainties — and the unpredictability and likely
irreversibility of probable environmental harms, we cannot prescind
from the precautionary principle. This latter has already been forcefully

asserted in certain areas of International Environmental Law (such
as in atmospheric and marine pollution issues), and it permeates this
whole domain of contemporary international law. It has had an
impact on legal philosophy at large, taking necessarily into account

ethical values.

90. The precautionary principle, furthermore, discloses, in my percep-

tion, the ineluctable inter-temporal dimension, which has been somewhat
overlooked by the ICJ in the present Judgment. This dimension is neces-
sarily a long-term one, since the decisions taken by public authorities
of today may have an impact on the living conditions of not only

present, but also future generations. It is a particularly compelling
fact of inter-generational ethics that at least part of the abundant
literature on environmental law issues nowadays recognizes or concedes
to being situated in the realm of natural law thinking 82.nmyown

understanding, it is not possible to conceive the legal order making
abstraction of the moral order, just as it is not possible to conceive the
advancement of science making abstraction of the ethical order
either.

91. Among the great legacies of the thinking of the ancient Greeks is
the acknowledgement of the chiaroscuro of human existence, as in the
continuous succession of nights and days. With the considerable advance-
ment of specialized knowledge in modern times, that chiaroscuro dis-

closes a new dimension in our times, unknown to the ancient Greeks.
Specialized knowledge has shed light on specific points (to the benefit of
human beings), in all areas of human knowledge, unknown or insuffi-
ciently known before.

92. But it so happens that this focused light is surrounded by
dark shadows, as to the impact of the new discoveries upon other
areas of human activity, and as to the uses which will be made of those
discoveries, which will, in turn, affect directly our modus vivendi and

even our cultural identity, our relationship with the outside world. This

82Cf., inter alia, e.g., J. M. MacDonald, “Appreciating the Precautionary Principle as
an Ethical Evolution in Ocean Management”, 26 Ocean Development and International
Law (1995), pp. 256-259 and 278; (T. O’Riordan and J. Cameron, eds.) “The History and
Contemporary Significance of the Precautionary Principle”, Interpreting the Precaution-
ary Principle, London, Earthscan Publs., 1994, pp. 18 and 22; Nagendra Singh, “Sustain-
able Development as a Principle of International Law”, International Law and Develop-
ment (P. de Waart, P. Peters and E. Denters, eds.), Dordrecht, Nijhoff, 1988, pp. 1 and 4.

159à la méchanceté humaines, la précaution est plus que jamais nécessaire.

Etant donné la vulnérabilité de la nature humaine, les risques encourus
par chacun d’entre nous, les insuffisances de la connaissance scientifique
— baignée d’incertitude —, l’imprévisibilité et l’irréversibilité probable
des dommages potentiels à l’environnement, nous ne pouvons pas faire

l’impasse sur le principe de précaution. Il a déjà été affirmé avec force
dans certains domaines du droit international de l’environnement (par
exemple en ce qui concerne les problèmes de pollution atmosphérique
et marine), et il est omniprésent dans toute cette branche du droit inter-

national contemporain. Il a également influencé la philosophie du
droit dans son ensemble, qui prend nécessairement en compte les valeurs
éthiques.

90. Par ailleurs, le principe de précaution révèle, à mon sens, l’inéluc-
table dimension intertemporelle qui a quelque peu été négligée par la
Cour dans le présent arrêt. Cette dimension est nécessairement à long
terme, puisque les décisions prises par les autorités publiques d’aujour-

d’hui pourraient avoir des conséquences sur les conditions de vie non seu-
lement des générations actuelles, mais également des générations futures.
Il s’agit là d’une éthique intergénérationnelle particulièrement contrai-
gnante dont au moins une partie de l’abondante doctrine actuelle relative

aux questions de droit de l’environnement reconnaît ou admet qu’elle
s’inscrit dans la pensée du droit naturel . En ce qui me concerne, je ne
pense pas qu’il soit possible de concevoir l’ordre juridique en faisant abs-
traction de l’ordre moral, tout comme il n’est pas non plus possible de

concevoir le progrès scientifique en faisant abstraction de l’ordre éthique.
91. L’un des grands apports de la pensée grecque antique est d’avoir
reconnu que, à l’instar de la succession continue des nuits et des jours,

l’existence humaine est un clair-obscur. Avec le progrès considérable de
la connaissance spécialisée à l’époque moderne, ce clair-obscur dévoile
aujourd’hui une nouvelle dimension, inconnue de la Grèce antique. La
connaissance spécialisée a éclairé (au profit de l’humanité) des problèmes

spécifiques inconnus ou insuffisamment connus auparavant dans tous les
domaines de la connaissance humaine.
92. Mais il se trouve que cette lumière est entourée de profondes zones
d’ombre quant aux répercussions des nouvelles découvertes sur d’autres

domaines de l’activité humaine et quant à l’utilisation qui sera faite de ces
découvertes, laquelle, à son tour, aura un impact direct sur notre mode
de vie et même sur notre identité culturelle, notre relation au monde exté-

82
Voir notamment, par exemple, J. M. MacDonald, «Appreciating the Precautionary
Principle as an Ethical Evolution in Ocean Management», Ocean Development and Inter-
national Law, vol. 26 (1995), p. 256-259 et 278; T. O’Riordan et J. Cameron (dir. publ.),
«The History and Contemporary Significance of the Precautionary Principle», Interpret-
ing the Precautionary Principle , Londres, Earthscan Publs., 1994, p. 18 et 22; Nagen-
dra Singh, «Sustainable Development as a Principle of International Law», International
Law and Development (P. de Waart, P. Peters et E. Denters, dir. publ.), Dordrecht,
Nijhoff, 1988, p. 1 et 4.

159appears to me as a new, contemporary dimension, of the chiaroscuro of

human existence, which clearly conveys the warning that technical and
economic progress alone, devoid of ethics, may throw us into greater
darkness.

3. The Principles of Prevention and of Precaution Together

93. In the domain of environmental protection, just as there are inter-
national instruments, as we have seen, that give expression to the princi-
83
ple of prevention (supra), there are also those which lean towards
the precautionary principle, like, e.g., the 1985 Vienna Convention for
the Protection of the Ozone Layer (preamble and Article 2 (1), and the
1997 Montreal Protocol on Substances that Deplete the Ozone Layer

(preamble), among others. Yet, the aforementioned 1985 Vienna
Convention for the Protection of the Ozone Layer determines also
prevention, besides precaution (Article 2 (2) (b)). References to both
principles, together, are also found, at regional level, e.g., in the 1991

OAU Bamako Convention on the Ban of the Import into Africa and the
Control of Transboundary Movement and Management of Hazardous
Wastes within Africa (Article 4 (3) (f)), in the 1992 Convention for
the Protection of the Marine Environment of the North-East Atlantic

(OSPAR Convention, Article 2 (2) (a)), and in the 1992 Con-
vention on the Protection of the Marine Environment of the Baltic
Sea Area (Article 3 (1) and (2)).

94. In fact, some of the environmental law Conventions referred to
in the file of the present case of the Pulp Mills give expression to both
the principle of prevention and the precautionary principle. It is the

case, e.g., of the 1992 Convention on Biological Diversity, which
reflects the principle of prevention (preamble and Article 3) as well as
the precautionary principle (preamble), and of its 2000 Cartagena
Protocol on Biosafety (preamble and Articles 2 and 4). It is also the

case of the 2001 Convention on Persistent Organic Pollutants (POPs
Convention), which invokes both prevention (preamble) and precaution
(preamble and Article 1).

95. Other examples, to the same effect, are afforded by the 1992
United Nations Framework Convention on Climate Change (preamble
and Article 3 (3)), and the 1997 Kyoto Protocol to the United Nations

Framework Convention on Climate Change (preamble). These are just a

83The aforementioned United Nations Convention on the Law of Non-Navigational
Uses of International Watercourses, providing for prevention, was the object of an
exchange of views between the contending Parties in the present case of the Pulp Mills ; cf.
Counter-Memorial of Uruguay, para. 4.67, followed by the Reply of Argentina,
paras. 4.43-4.45, and the Rejoinder of Uruguay, para. 5.53.

160rieur. Je considère cela comme une nouvelle dimension, contemporaine,

du clair-obscur de l’existence humaine, qui nous avertit clairement que le
progrès technique et économique seul, dénué de toute éthique, peut nous
plonger dans une obscurité plus grande encore.

3. Les principes de prévention et de précaution combinés

93. Dans le domaine de la protection de l’environnement, tout comme,
ainsi que nous l’avons vu, il existe des instruments internationaux qui for-
83
mulent le principe de prévention (supra), il en existe également qui
penchent vers le principe de précaution, tels que, par exemple, la conven-
tion de Vienne de 1985 pour la protection de la couche d’ozone (préam-
bule et art. 2, par. 1) et le protocole de Montréal de 1997 relatif à des

substances qui appauvrissent la couche d’ozone (préambule). Cependant,
la convention de Vienne susmentionnée évoque également, au-delà de la
précaution, la prévention (art. 2, par. 2, al. b)). Au niveau régional on
trouve également des références aux deux principes combinés, par exem-

ple à l’article 4, paragraphe 3, alinéa f), de la convention de Bamako sur
l’interdiction d’importer en Afrique des déchets dangereux et sur le
contrôle des mouvements transfrontières et la gestion des déchets dange-
reux produits en Afrique, adoptée par l’OUA en 1991, à l’article 2, para-

graphe 2, alinéa a), de la convention de 1992 pour la protection du milieu
marin de l’Atlantique Nord-Est («convention OSPAR») et à l’article 3,
paragraphes 1 et 2, de la convention de 1992 pour la protection du milieu
marin dans la zone de la mer Baltique.

94. En fait, certaines des conventions de droit de l’environnement
visées dans le dossier de la présente affaire relative à des Usines de pâte à
papier sont l’expression à la fois du principe de prévention et du principe

de précaution, comme c’est le cas par exemple de la convention de 1992
sur la diversité biologique, qui est le reflet à la fois du principe de préven-
tion (en son préambule et en son article 3) et du principe de précaution
(en son préambule), ainsi que du protocole de Cartagena de 2000 sur la

prévention des risques biotechnologiques relatif à cette convention (en
son préambule et en ses articles 2 et 4). C’est également le cas de la
convention de 2001 sur les polluants organiques persistants (convention
POP), qui invoque à la fois la prévention (en son préambule) et la précau-

tion (en son préambule et en son article premier).
95. On trouve d’autres exemples allant dans le même sens dans le
préambule et l’article 3, paragraphe 3, de la convention-cadre sur les
changements climatiques adoptée par l’Organisation des Nations Unies

en 1992, ainsi que dans le préambule du protocole de Kyoto relatif à cette

83La convention susmentionnée de l’Organisation des Nations Unies sur le droit relatif
aux utilisations des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation, qui a
un aspect préventif, a fait l’objet d’un échange de vues entre les Parties à la présente
affaire des Usines de pâte à papier ; voir contre-mémoire de l’Uruguay, par. 4.67, suivi de
la réplique de l’Argentine, par. 4.43-4.45, et de la duplique de l’Uruguay, par. 5.53.

160few illustrations, not intended, of course, to be exhaustive. They display,

however, the intended linkage between preventive and precautionary
measures, so as to enhance environmental protection. The two principles,
far from excluding each other, serve their purposes together. The

phraseology whereby they are given expression is not uniform, but the
rationale of one and the other is clearly identifiable.

96. May I only add that the precautionary principle, in my view, is not

to be equated with over-regulation, but more properly with reasonable
assessment in face of probable risks and scientific uncertainties (supra).
This may take the form of carrying out complete environmental impact

assessments, and of undertaking further studies on the environmental
issues at stake, as well as careful environmental risk analysis, before the
issuance of authorizations. At the end, it has to do with common sense,

seemingly the least common of all senses. This also brings to the fore the
objective character of environmental obligations, which I shall consider
later on (cf. infra).

VIII. T HE ACKNOWLEDGEMENT BY THE C ONTENDING PARTIES OF THE
PRINCIPLES OF PREVENTION AND OF P RECAUTION

97. In effect, as already pointed out in the present case of the Pulp
Mills (Argentina v. Uruguay), both the complainant and the respondent
States invoked the aforementioned general principles of International

Environmental Law. This is hardly surprising (being in the best tradition
of international legal thinking in Latin America), and it promptly brings
to the fore — for the consideration of the obligations under the 1975
Statute of the River Uruguay — the general rule of treaty interpretation,

set forth in Article 31 the 1969 Vienna Convention on the Law of Trea-
ties. The constitutive elements of that general rule, enunciated in Arti-
cle 31 (1) — namely, the text (ordinary meaning of the terms), the con-

text, and the object and purpose of the treaty — are those which currently
more often appear in the interpretation of treaties ; such elements are
set forth jointly in the same formulation, thus pointing out the unity of

the process of treaty interpretation.

98. Article 31 (2) of the 1969 Vienna Convention indicates the ele-
ments comprised by the context of a treaty, while Article 31 (3) adds

84Cf., for some of the works following the aforementioned 1969 Vienna Convention,
inter alia, W. Lang, “Les règles d’interprétation codifiées par la Convention de Vienne sur
le droit des traités et les divers types de traités”, 24 Osterreichische Zeitschrift für öffent-
liches Recht (1973), pp. 113-173; Maarten Bos, “Theory and Practice of Treaty Inter-
pretation”, 27 Netherlands International Law Review (1980), pp. 3-38 and 135-170;
C. H. Schreuer, “The Interpretation of Treaties by International Courts”, 45 British Year
Book of International Law (1971), pp. 255-301.

161convention, adopté en 1997. Il ne s’agit là que de quelques exemples qui

n’ont, bien entendu, pas vocation à être exhaustifs, mais qui témoignent
de la volonté d’associer mesures de prévention et mesures de précaution
en vue de renforcer la protection de l’environnement. Loin de s’exclure
mutuellement, ces deux principes servent ensemble leur objectif et, si la

phraséologie utilisée pour les exprimer n’est pas uniforme, on peut néan-
moins clairement identifier la logique sous-jacente à chacun d’eux.
96. J’aimerais simplement ajouter que, à mon sens, le principe de

précaution ne conduit pas à une sur-réglementation, mais plutôt à une
évaluation raisonnable face à des risques probables et à l’incertitude scien-
tifique (supra). Cela peut se traduire par la réalisation d’études d’impact
sur l’environnement exhaustives et d’études supplémentaires sur les ques-

tions environnementales en jeu, ainsi que par une analyse approfondie
des risques pour l’environnement, avant la délivrance de toute autorisa-
tion. En définitive, ce principe relève du sens commun qui, semble-t-il, est

le moins commun de tous les sens. Il met aussi en avant le caractère
objectif des obligations environnementales, sur lequel je reviendrai ulté-
rieurement (voir infra).

VIII. L A RECONNAISSANCE DES PRINCIPES DE PRÉVENTION
ET DE PRÉCAUTION PAR LES PARTIES ADVERSES

97. En fait, comme je l’ai déjà souligné, dans la présente affaire des

Usines de pâte à papier (Argentine c. Uruguay) , l’Etat demandeur et
l’Etat défendeur ont tous les deux invoqué les principes généraux du droit
international de l’environnement mentionnés précédemment. Cela étant
dans la plus pure tradition de la pensée du droit international en Amé-

rique latine, ce n’est guère surprenant, et cela amène rapidement au pre-
mier plan — pour analyser les obligations qui découlent du statut du
fleuve Uruguay de 1975 — la règle générale d’interprétation des traités

énoncée à l’article 31 de la convention de Vienne de 1969 sur le droit des
traités. Les éléments constitutifs de cette règle générale, énoncés au para-
graphe 1 de l’article 31 — à savoir, le texte (sens ordinaire des termes), le
contexte, ainsi que l’objet et le but du traité —, sont ceux qui, à l’heure
84
actuelle, apparaissent le plus souvent dans l’interprétation des traités ,et
le fait qu’ils soient cités ensemble dans une même formule souligne l’unité
du processus d’interprétation des traités.

98. La convention de Vienne de 1969 précise, en son article 31, para-
graphe 2, les éléments constitutifs du contexte d’un traité, tandis que le

84Voir, pour certains des travaux réalisés à la suite de la convention de Vienne de 1969
mentionnée précédemment, notamment, W. Lang, «Les règles d’interprétation codifiées
par la convention de Vienne sur le droit des traités et les divers types de traités», Oster-
reichische Zeitschrift für öffentliches Recht , vol. 24 (1973), p. 113-173; Maarten Bos,
«Theory and Practice of Treaty Interpretation», Netherlands International Law Review ,
vol. 27 (1980), p. 3-38 et 135-170; C. H. Schreuer, «The Interpretation of Treaties by
International Courts», British Year Book of International Law , vol. 45 (1971), p. 255-301.

161further elements to be taken into account, together with the context ;

amongst such additional elements, Article 31 (3) refers to “any relevant
rules of international law applicable in the relations between the parties”.
In the present case, if any such rules are found in other (multilateral)

treaties ratified or adhered to by the two Parties at issue, they can be
accounted as an element of interpretation , for the purposes of application
of the 1975 Statute of the River Uruguay . 85

99. Yet, treaties are living instruments, and the development of inter-
national law itself may have effect upon the application of the treaty

at issue; such a treaty ought then to be considered in the light of 86
international law at the moment its interpretation is called for .
General principles of law are thus to be taken into account, and it is
significant that the contending Parties in the present case, pertaining to

International Environmental Law, do not have any basic disagreement
on this particular point, even if their perception or interpretation
of one particular principle may not coincide. It is further significant, in

this respect, that both Argentina and Uruguay refer, for example,
to the principles of prevention and of precaution, as well as to the
concept of sustainable development (which permeates the whole of

environmental protection), though their reading of such principles and
concept by the two Parties in the context of the present case is not
the same.

1. Principle of Prevention

100. As to the principle of prevention , both Parties referred to its
formulation, embodied in Principle 21 of the 1972 Stockholm

Declaration on the Human Environment, i.e., the principle of prevention
as pertaining to the responsibility incumbent upon States to ensure
that activities performed within their jurisdiction or control do not
cause damage to the environment of other States (also Principle 2 of the

Rio Declaration on Environment and Development) or of areas beyond
the limits of national jurisdiction 87. Moreover, as to its legal status,
both Parties agreed on the customary nature of the principle of
88
prevention ; they diverged, however, as to the scope of the principle
in the present case.

101. In its Memorial, Argentina identified the principle of prevention
as part of the law applicable to the present dispute under the 1975 Statute

85
86Article 60 of which provides the basis of jurisdiction for the ICJ.
M. K. Yasseen, “L’interprétation des traités d’après la convention de Vienne sur le
droit des traités”, 151 Recueil des cours de l’Académie de droit international de La Haye
(R87DI) (1976), p. 62, and cf. p. 59.
Cf., e.g., Memorial of Argentina, para. 3.189, and Rejoinder of Uruguay, para. 5.52.

88Cf. ibid., paras. 3.189 and 5.52, respectively.

162paragraphe 3 de ce même article indique d’autres éléments à prendre en

compte, en même temps que le contexte , parmi lesquels figure «toute
règle pertinente de droit international applicable dans les relations entre
les parties». En l’espèce, si une telle règle figure dans d’autres traités

(multilatéraux) ratifiés par les deux Parties à l’instance, ou auxquels elles
ont toutes deux adhéré, il peut en être tenu compte en tant qu’élément
d’interprétation dans le cadre de l’application du statut du fleuve Uru-
85
guay de 1975 .
99. Néanmoins, les traités sont des instruments vivants, et l’évolution
du droit international lui-même peut avoir des conséquences sur l’appli-

cation du traité en question, qui doit dès lors être examiné à la lumière du
droit international tel qu’il est au moment où son interprétation est
requise . Ainsi, il convient de tenir compte des principes généraux du
droit et il est révélateur que les Parties à la présente affaire, qui relève du

droit international de l’environnement, ne soient pas en désaccord fon-
damental sur ce point particulier, même si leur conception ou leur inter-
prétation de tel ou tel principe ne sont pas toujours identiques. A cet

égard, il est également révélateur que l’Argentine et l’Uruguay se réfèrent
tous deux, par exemple, aux principes de prévention et de précaution,
ainsi qu’au concept de développement durable (qui imprègne l’ensemble

du domaine de la protection de l’environnement), bien que, dans le cadre
de la présente affaire, leur lecture de ces principes et de ce concept ne soit
pas la même.

1. Le principe de prévention

100. S’agissant du principe de prévention, les deux Parties se sont réfé-
rées à sa formulation telle qu’elle figure au principe 21 de la déclaration

de Stockholm de 1972 sur l’environnement humain, c’est-à-dire le prin-
cipe de prévention en ce qu’il concerne l’obligation qui incombe aux
Etats de veiller à ce que les activités exercées dans les limites de leur juri-
diction ou sous leur contrôle ne causent pas de dommage à l’environne-

ment dans d’autres Etats (également principe 2 de la déclaration de Rio
sur l’environnement et le développement) ou dans des régions ne relevant
d’aucune juridiction nationale . De plus, s’agissant du statut juridique

du principe de prévention, les deux Parties se sont accordées sur sa nature
coutumière , mais leurs points de vue divergent quant à sa portée en
l’espèce.

101. Dans son mémoire, l’Argentine a déclaré que le principe de pré-
vention faisait partie du droit applicable au présent différend en vertu du

85
86Dont l’article 60 constitue le fondement de la compétence de la CIJ.
M. K. Yasseen, «L’interprétation des traités d’après la convention de Vienne sur le
droit des traités», Recueil des cours de l’Académie de droit international de La Haye
(R87DI), t. 151 (1976), p. 62, et voir p. 59.
Voir, par exemple, mémoire de l’Argentine, par. 3.189, et duplique de l’Uruguay,
par. 5.52.
88Voir ibid., par. 3.189 et 5.52, respectivement.

162(para. 3.188). Uruguay, for its part, claimed, in its Counter-Memorial,

that the principle of prevention under international law — and as embod-
ied in the 1975 Statute — imposes in its view an obligation of conduct
(due diligence) rather than an obligation of result (requiring full avoid-
ance of pollution) (paras. 4.68-4.69); it added that prevention, in casu,
ought to be assessed by reference to Article 7 (1) of the United Nations

Convention on International Watercourses, which provides that States
shall “take all appropriate measures to prevent the causing of significant
harm to other watercourse States” (para. 4.67).

102. In its Reply, Argentina dismissed Uruguay’s narrower interpreta-
tion of Article 41 of the Statute and claimed that “[t]he obligation to pre-
vent significant damage to the other party, to the quality of the waters
and to the ecosystem of the River Uruguay and the areas affected by it

has its own particular features”, to be assessed in light of the “regime for
overall protection” established by the 1975 Statute (para. 4.45). Uruguay,
in turn, in its Rejoinder, retorted that “it is not plausible to suggest that
anything more can be read into the Statute than was subsequently codi-

fied by the ILC in the Watercourses Convention”, as the object and
purpose of Articles 36, 41, 42 and 56 (a) (4) of the 1975 Statute was “to
give effect to the obligation [of due diligence] to prevent transboundary
damage in the Uruguay River” (para. 5.53). In sum, Argentina

gave a broader interpretation to the principle of prevention, though both
Argentina and Uruguay significantly relied upon such principle,
recognizing its relevance in the cas d’espèce.

2. Precautionary Principle

103. Moving on to the precautionary principle , once again both con-

tending Parties referred to this principle as well, and based their distinct
arguments in this respect, to start with, on its formulation as embodied in
the 1992 Rio Declaration on Environment and Development (Princi-
ple 15), namely:

“In order to protect the environment, the precautionary approach
shall be widely applied by States according to their capabilities.

Where there are threats of serious or irreversible damage, lack of full
scientific certainty shall not be used as a reason for postponing cost-
effective measures to prevent environmental degradation.” 89

In its Memorial, Argentina argued that “the 1975 Statute must be inter-

preted and applied in the light of the precautionary principle as a rule of
international law” (para. 5.13). Furthermore, counsel for Argentina

89Cf., e.g., Memorial of Argentina, para. 3.195; and Counter-Memorial of Uruguay,
para. 4.80.

163statut de 1975 (par. 3.188). L’Uruguay a pour sa part affirmé dans son

contre-mémoire que le principe de prévention en droit international — et
tel qu’il est formulé dans le statut de 1975 — imposait une obligation de
comportement (de diligence raisonnable) et non une obligation de résul-
tat (éviter totalement de polluer) (par. 4.68 et 4.69), ajoutant en outre
que, en l’espèce, il convenait d’évaluer la prévention en se référant à

l’article 7, paragraphe 1, de la convention des Nations Unies sur les cours
d’eau internationaux, qui stipule que les Etats doivent «pren[dre] toutes
les mesures appropriées pour ne pas causer de dommages significatifs aux
autres Etats du cours d’eau» (par. 4.67).

102. Dans sa réplique, l’Argentine a réfuté l’interprétation plus restric-
tive faite par l’Uruguay de l’article 41 du statut, soutenant que «[l]’obli-
gation de prévention d’un préjudice sensible à l’autre partie, à la qualité
des eaux et à l’écosystème du fleuve Uruguay et à ses zones d’influence a

des contours particuliers» qu’il convient d’évaluer à la lumière du «régime
de protection globale» établi par le statut de 1975 (par. 4.45), ce à quoi
l’Uruguay a à son tour rétorqué, dans sa duplique, qu’«il n’est pas plau-
sible de voir dans le statut autre chose que ce qui a par la suite été codifié

par la CDI dans la convention sur les cours d’eau», l’objectif des
articles 36, 41, 42 et 56, alinéa a), point 4, du statut de 1975 étant de
«donner effet à l’obligation [de diligence raisonnable] de prévenir les
dommages transfrontières sur le fleuve Uruguay» (par. 5.53). En

somme, l’Argentine a interprété plus largement le principe de préven-
tion que l’Uruguay, bien que les deux pays se soient fortement appuyés
sur ce principe, reconnaissant sa pertinence en l’espèce.

2. Le principe de précaution

103. S’agissant maintenant du principe de précaution, là encore les

deux Parties adverses s’y sont référées et ont tout d’abord fondé leurs
arguments distincts à cet égard sur la formulation du principe telle qu’elle
figure au principe 15 de la déclaration de Rio de 1992 sur l’environne-
ment et le développement, à savoir:

«Pour protéger l’environnement, des mesures de précaution doi-
vent être largement appliquées par les Etats selon leurs capacités. En

cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l’absence de
certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour
remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à pré-
venir la dégradation de l’environnement.» 89

Dans son mémoire, l’Argentine a soutenu que «l’interprétation et la mise

en Œuvre du statut de 1975 [devaient] être conduites à la lumière du prin-
cipe de précaution, pris en tant que norme de droit international» (par.

89Voir, par exemple, mémoire de l’Argentine, par. 3.195; et contre-mémoire de
l’Uruguay, par. 4.80.

163expressed the hope that the Court would in the present case “declare
90
Principle 15 to reflect customary law” .
104. To Uruguay, in turn, the precautionary principle is “a ‘soft law’
principle”, which ought to be taken into account when interpreting trea-
ties in accordance with Article 31 (3) (c) of the Vienna Convention on

the Law of Treaties. Even so — Uruguay added — that principle “does
not appear to meet the requirements of customary international law”,
and international case law has not yet treated it as “an obligatory rule of
91
customary law” . In any case, in its view, Argentina “failed to identify
any significant risk” in respect of which measures were to be taken pur-
suant to the precautionary principle . 92

105. As to the applicability of the principle, Argentina, on its part,
submitted in its Memorial that the precautionary principle should guide
the interpretation of the 1975 Statute (para. 5.13). The principle would be

applicable in the cas d’espèce as a result of the remaining areas of
“scientific uncertainty” (as to the environmental impact of the Botnia
plant) and the corresponding “risk” of serious or irreversible damage.
Areas of scientific uncertainty would include “the implications of reverse

flow for the concentration of pollutants, wind direction, climate change
and the likely impact of the presence of pollutants on the fish in the river”
(paras. 5.17-5.18).

106. Uruguay, in turn, reckoned, in its Rejoinder, that the principle at
issue played a role in the interpretation of certain environmental law trea-
ties (para. 5.66), but argued that it was not relevant in the context of the
present dispute, first, because there was no scientific uncertainty in the

operation of pulp mills, and also, because risks associated with their
operation “are monitored comprehensively and can be empirically tested”
so that any uncertainties be removed or dealt with (para. 5.58). Argen-

tina, for its part, recalled, in its Memorial, that, pursuant to Principle 15
of the 1992 Rio Declaration (supra), “[t]he precautionary principle is
applicable to the protection of the environment once there exists a ‘risk
of serious or irreversible harm’” (para. 5.14). Uruguay retorted, in its

Counter-Memorial, that there was in its view no reason to believe that
the pulp mills might cause “serious or irreversible harm” to the environ-
ment, and, in particular, to the water quality of the River Uruguay

(para. 4.81).

107. Last but not least, as to the content of the precautionary princi-

ple, Argentina sustained in its Memorial that, within the framework of
the 1975 Statute, such principle means that “the parties to the 1975 Stat-

90CR 2009/14, p. 58, para. 8.
91Rejoinder of Uruguay, para. 5.66.
92Ibid., para. 5.67.

1645.13). En outre, le conseil de l’Argentine a exprimé le souhait que la Cour
90
«déclare ... que [l]e principe 15 reflète le droit coutumier» en l’espèce .
104. Pour l’Uruguay en revanche, le principe de précaution est une
«règle de «soft law»» qui doit entrer en ligne de compte lors de l’inter-
prétation des traités, conformément au point c) du paragraphe 3 de

l’article 31 de la convention de Vienne. Pourtant — a ajouté l’Uruguay —
ce principe «ne semble pas correspondre aux exigences du droit interna-
tional coutumier», et il n’a jamais été traité, dans la jurisprudence des

tribuna91 internationaux, «comme une règle obligatoire de droit coutu-
mier» . En tout cas, l’Uruguay a estimé que l’Argentine «n’a[vait] pas
identifié de risque significatif» face auquel des mesures auraient dû être
prises en vertu du principe de précaution . 92

105. Quant à l’applicabilité du principe de précaution, l’Argentine a
pour sa part soutenu dans son mémoire que ce principe devait guider
l’interprétation du statut de 1975 (par. 5.13) et qu’il était applicable en

l’espèce du fait de la persistance de zones d’«incertitude scientifique»
(quant à l’incidence sur l’environnement de l’usine Botnia) et du «risque»
de dommage grave et irréversible. Parmi les zones d’incertitude scien-
tifique figureraient «les implications de l’inversion du courant dans le

fleuve sur la concentration des polluants, le sens des vents, les change-
ments climatiques et le probable impact de la présence des polluants
sur les poissons du fleuve» (par. 5.17 et 5.18).

106. L’Uruguay a quant à lui également estimé, dans sa duplique, que
le principe en question jouait un rôle dans l’interprétation de certains
traités de droit de l’environnement (par. 5.66), mais qu’il n’était pas per-
tinent dans le cadre du présent différend, premièrement parce qu’il n’y

avait pas d’incertitude scientifique à propos de l’exploitation des usines
de pâte à papier, et deuxièmement parce que les risques associés à cette
exploitation «f[aisaient] l’objet d’un suivi complet et p[ouvaient] être tes-

tés empiriquement», de sorte que les incertitudes avaient été éliminées ou
résolues (par. 5.58). Pour sa part, l’Argentine a rappelé dans son mémoire
que, en vertu du principe 15 de la déclaration de Rio de 1992 (supra),
«[l]e principe de précaution est applicable à la protection de l’envi-

ronnement dès lors qu’il existe un «risque de dommages graves ou
irréversibles»» (par. 5.14), ce à quoi l’Uruguay a répondu dans son
contre-mémoire qu’il n’y avait à son sens pas de raison de croire que

les usines de pâte à papier puissent causer des «dommages graves ou
irréversibles» à l’environnement et en particulier à la qualité de l’eau
du fleuve Uruguay (par. 4.81).
107. Enfin et surtout, en ce qui concerne la teneur du principe de pré-

caution, l’Argentine a soutenu dans son mémoire que, dans le cadre du
statut de 1975, ce principe signifiait que «les parties au statut de 1975

90CR 2009/14, p. 51, par. 8.
91Duplique de l’Uruguay, par. 5.66.
92Ibid., par. 5.67.

164ute are required to notify each other of all the probable environmental

consequences of their actions which may cause serious or irreversible
damage before such actions are authorized or undertaken” (para. 5.14).
Precaution would thus require the parties to the 1975 Statute “to

comply with their obligations of notification and consultation before
authorizing the construction” of pulp mills (para. 5.14) and — it
added in its Reply — to take account of “the risks of harm in the

design, preparation and implementation of any project or ‘form of use’
relating to the River Uruguay and the areas affected by it” (para. 4.54).
Argentina, thus, did not agree with Uruguay’s view that the principle

at issue would only apply in case of risks of “serious or irreversible
harm” (cf. supra).

108. Argentina’s claim on the basis of the precautionary principle was

thus twofold: (a) it was first linked to its general allegation that Uruguay
violated the procedural obligations laid down in the 1975 Statute,
especially by commencing construction and operation of the mill

before having informed Argentina of all the “probable environmental
consequences” of actions which might cause environmental harm ; 93
and (b) the precautionary principle, in its view, required Uruguay not

to authorize the construction and operation of the mill before having
conducted comprehensive studies on the river’s capacity to dispel
pollutants .4

109. In the oral proceedings, counsel for Argentina invited the ICJ to
apply the principle, in view of

“the fact that Uruguay, faced with Argentina’s claims in 2004 and
2005 and 2006, as to the limited capacity of the river to cope with the
intended new pollutants, should have postponed its authorization

until it had a good basis for concluding that the river could effec-
tively disperse of these pollutants”,

bearing in mind that, in the present case, what precaution meant was
“further studies, complete assessments”, rather than “acting on the basis
95
of unfounded assumptions about the flow of the river” . In addition,
counsel for Argentina argued that the risks posed by the Botnia mill ha[d]
not been controlled” . 96

110. Uruguay, in its turn, submitted, in its Counter-Memorial, that it
would have complied with the precautionary principle “if it were appli-
cable” to the present dispute. The principle at issue, in the terms of the

1992 Rio Declaration, requires States “not to use scientific uncertainty to
postpone ‘cost-effective measures to prevent environmental degradation’”
(para. 4.82); that much Uruguay would have accomplished. Yet — Uru-

93
94Reply of Argentina, paras. 4.55-4.56.
Memorial of Argentina, para. 7.128.
95CR 2009/14, p. 58, para. 8; and cf. also Memorial of Argentina, para. 7.128.
96CR 2009/12, p. 71, para. 29.

165[étaient] dans l’obligation de s’informer mutuellement de toutes les consé-

quences environnementales probables de leurs actions pouvant causer des
dommages graves ou irréversibles avant que ces actions ne soient autori-
sées ou entamées» (par. 5.14). La précaution exigerait donc des parties au

statut de 1975 qu’elles «respectent leurs obligations d’information et de
consultation avant d’autoriser la construction» des usines de pâte à
papier (par. 5.14) et — a-t-elle ajouté dans sa réplique — qu’elles pren-
nent en compte «les risques de dommages dans la conception, la prépara-

tion et la mise en Œuvre de tout projet ou de toute utilisation ayant trait
au fleuve Uruguay et à ses zones d’influence» (par. 4.54). Ainsi, l’Argen-
tine ne partageait pas le point de vue de l’Uruguay selon lequel le prin-

cipe en question ne serait applicable qu’en cas de risque de «dommages
graves ou irréversibles» (voir supra).
108. Ainsi, la demande de l’Argentine fondée sur le principe de précau-

tion comportait deux volets: a) elle était tout d’abord liée à son alléga-
tion générale selon laquelle l’Uruguay aurait manqué aux obligations
procédurales énoncées dans le statut de 1975, notamment en commençant
à construire et à exploiter l’usine avant d’avoir informé l’Argentine de

toutes «les conséquences environnementales probables » d’actions suscep-
tibles de causer des dommages à l’environnement ;et 93 b) le principe de
précaution, selon elle, obligeait l’Uruguay à ne pas autoriser la construc-

tion et la mise en service de l’usine avant d’avoir conduit une étude com-
plète sur la capacité du fleuve à disperser les polluants . 94
109. Lors des plaidoiries, le conseil de l’Argentine a invité la CIJ à

appliquer le principe, eu égard au fait
«que l’Uruguay, compte tenu des griefs exprimés par l’Argentine

en 2004, en 2005 et en 2006 quant à la capacité limitée du fleuve
d’absorber les nouveaux polluants envisagés, aurait dû attendre,
avant de donner son autorisation, d’être en mesure de conclure que

leur dispersion pourrait être assurée»,

en conservant à l’esprit que, en l’espèce, la précaution consistait à «mener
de nouvelles études, des évaluations complètes», et non à «agir sur la
base d’hypothèses infondées sur le courant du fleuve» . Il a en outre
ajouté que les risques présentés par l’usine Botnia «n’[avaient] pas été
96
maîtrisés» .
110. L’Uruguay a quant à lui affirmé, dans son contre-mémoire, qu’il
se serait conformé au principe de précaution «s’il était applicable» au

présent différend. Le principe en question, tel qu’il est formulé dans la
déclaration de Rio de 1992, interdit aux Etats «d’invoquer l’absence de
certitude scientifique afin de reporter «l’adoption de mesures effectives

visant à prévenir la dégradation de l’environnement» (par. 4.82); cet

93Réplique de l’Argentine, par. 4.55-4.56.
94Mémoire de l’Argentine, par. 7.128.
95CR 2009/14, p. 51, par. 8; et voir également mémoire de l’Argentine, par. 7.128.
96CR 2009/12, p. 71, par. 29.

165guay added — Argentina misinterpreted the precautionary principle by

suggesting that it required “measures that address risks that are remote,
unlikely to result in significant harm, or purely hypothetical” (para. 4.83).
Such an interpretation would, in its view, be contradicted by “the very
reference to ‘cost-effective measures’ in Principle 15” of the Rio Declara-
tion. Moreover, in Uruguay’s view, States only have a responsibility to

act on the basis of the precautionary principle when there is “some objec-
tive scientific basis for predicting the likelihood of significant harmful
effects, some ‘reason to believe’ or ‘reasonable grounds for concern’”
(para. 4.83); Argentina seemed — to Uruguay — not to have presented

any “significant or credible evidence” in this respect, nothing that would
amount to “serious or irreversible damage” . 97

111. Uruguay further added, in its Rejoinder, that Argentina miscon-
strued “the role of the precautionary principle in relation to uncertainty
and risk”, in having suggested that “the more unlikely a risk the more

uncertain it becomes and thus the greater the role for the precautionary
principle” (para. 5.61); the principle at issue, in Uruguay’s view, can only
find application when there is some evidence that the risk exists
(para. 5.61). In sum, according to Uruguay, “[t]he real issue is not

whether environmental risk has been eliminated, but whether it has been
properly managed and minimized to the fullest extent possible using cost-
effective measures” (para. 5.62); having provided evidence that it had
taken

“all the measures that are reasonable and necessary to counter the
Botnia plant’s actual potential — however small — for serious

adverse effects on the river in the real world, then there remains no
basis for suggesting that the precautionary principle has any further
role to play” (para. 5.61).

112. From the exchange of views above, between Argentina and Uru-
guay, it so results that there does not emerge therefrom a clear distinction

between a general principle and customary law, as formal “sources” of
the applicable law in the cas d’espèce. Yet, it appears significant to me
that Uruguay, even though arguing that constitutive elements of the prin-
ciple at issue were not in its view consubstantiated in the present case,

never questioned or denied the existence or material content of the prin-
ciple concerned. In sum, the existence itself of the principles of preven-
tion and of precaution, general principles of law proper to International
Environmental Law, was admitted and acknowledged by the contending

Parties themselves, Uruguay and Argentina.
113. Only the ICJ did not acknowledge, nor affirmed, the existence of

97Rejoinder of Uruguay, para. 5.59.

166aspect du principe aurait été respecté par l’Uruguay. Cependant — a-t-il
ajouté —, en suggérant que le principe de précaution nécessitait l’adop-

tion de «mesures contre des risques éloignés, qui ne devraient pas
causer de préjudice sensible ou qui sont purement hypothé-
tiques» (par. 4.83), l’Argentine a donné une interprétation erronée de ce
principe. Pour l’Uruguay, en effet, une telle interprétation serait contre-

dite par «la référence même aux «mesures effectives» du principe 15»
de la déclaration de Rio. De surcroît, l’Uruguay a soutenu que les Etats
n’avaient le devoir d’agir sur le fondement du principe de précaution
que lorsqu’il existait «des données scientifiques objectives pour prévoir
des effets préjudiciables sensibles, ... «des raisons de penser» ou «des

motifs raisonnables de s’inquiéter»» (par. 4.83), or l’Argentine semblait
— selon l’Uruguay — n’avoir présenté aucun «élément significatif ou
crédible» à cet égard, rien qui puisse être assimilé à des «dommages
sérieux ou irréversibles» 97.

111. L’Uruguay a en outre ajouté, dans sa duplique, que, en suggérant
que «plus un risque est improbable, plus il devient incertain, ce qui
confère un plus grand rôle au principe de précaution», l’Argentine
avait mal interprété «le rôle [de ce] principe lié à l’incertitude et au
risque» (par. 5.61); selon l’Uruguay, le principe en question ne peut

s’appliquer que lorsqu’il existe certaines preuves de l’existence d’un risque
(par. 5.61). En somme l’Uruguay a soutenu que «[l]a véritable question
n’est pas de savoir si le risque environnemental a été éliminé, mais
s’il a été correctement géré et atténué dans toute la mesure du possible,

par des procédés efficaces» (par. 5.62) et que, ayant prouvé qu’il avait
pris

«toutes les mesures raisonnables et nécessaires pour parer à l’éven-
tualité — si minime soit-elle — que l’usine Botnia puisse avoir effec-
tivement des effets négatifs graves sur le fleuve dans le monde réel,
plus rien ne permet[tait] ... d’avancer que le principe de précaution

[devait] jouer un plus grand rôle» (par. 5.61).

112. L’échange de vues qui précède entre l’Argentine et l’Uruguay ne
fait apparaître aucune distinction claire entre un principe général et le
droit coutumier, en tant que «sources» formelles du droit applicable en
l’espèce. Toutefois, il me semble révélateur que, tout en affirmant que la

réunion des éléments constitutifs du principe en question n’avait à son
sens pas été prouvée en l’occurrence, l’Uruguay n’ait jamais remis en
cause ou nié l’existence ou le contenu matériel du principe concerné. En
somme, l’existence elle-même des principes de prévention et de précau-

tion, principes généraux de droit propres au droit international de l’envi-
ronnement, a été admise et reconnue par les Parties adverses elles-mêmes,
l’Uruguay et l’Argentine.
113. Seule la CIJ n’a pas reconnu, ni confirmé, l’existence de ces prin-

97Duplique de l’Uruguay, par. 5.59.

166those principles, nor elaborated on them, thus missing a unique occasion

for their consolidation in the present domain of contemporary interna-
tional law. The fact that the Court’s Judgment silenced on them does not
mean that the principles of prevention and of precaution do not exist.

They do exist and apply, and are, in my view, of the utmost importance
as part of the jus necessarium. We can hardly speak of International
Environmental Law nowadays without those general principles. The

Court had a unique occasion, in the circumstances of the case of the Pulp
Mills, to assert the applicability of the preventive as well as the precau-
tionary principles; it unfortunately preferred not to do so, for reasons

which go beyond, and escape, my comprehension.

IX. T HE L ONG -TERM TEMPORAL D IMENSION :
INTER-GENERATIONAL EQUITY

114. May I move on to inter-generational equity. The long-term
temporal dimension marks its presence, in a notorious way, in the domain of
environmental protection. The concern for the prevalence of the element

of conservation (over the simple exploitation of natural resources) reflects
a cultural manifestation of the integration of the human being with
nature and the world wherein he or she lives. Such understanding is, in

my view, projected both in space and in time, as human beings relate
themselves, in space, with the natural system of which they form part
(and ought to treat with diligence and care), and, in time, with other gen-
98
erations (past and future) , in respect of which they have obligations.

115. The temporal dimension, so noticeable in the field of environmen-

tal protection, is likewise present in other domains of international law
(e.g., Law of Treaties, Peaceful Settlement of International Disputes,
International Economic Law, Law of the Sea, Law of Outer Space, State

Succession, among others). The notion of time, the element of foresee-
ability, inhere in legal science as such. The predominantly preventive (and
precautionary) character of the normative corpus on environmental pro-

98
Future generations promptly began to attract the attention of the contemporary doc-
trine of international law: cf., e.g., A.-Ch. Kiss, “La notion de patrimoine commun de
l’humanité”, 175 Recueil des cours de l’Académie de droit international de La Haye
(RCADI) (1982), pp. 109-253; E. Brown Weiss, In Fairness to Future Generations: Inter-
national Law, Common Patrimony and Intergenerational Equity , Tokyo/Dobbs Ferry
N.Y., United Nations University/Transnational Publs., 1989, pp. 1-351; A.-Ch. Kiss,
“The Rights and Interests of Future Generations and the Precautionary Principle”,
The Precautionary Principle and International Law — The Challenge of Implementation
(D. Freestone and E. Hey, eds.), The Hague, Kluwer, 1996, pp. 19-28; [Various Authors],
Future Generations and International Law (E. Agius and S. Busuttil et al., eds.), London,
Earthscan, 1998, pp. 3-197; [Various Authors], Human Rights: New Dimensions and
Challenges (J. Symonides, ed.), Paris/Aldershot, UNESCO/Dartmouth, 1998, pp. 1-153;

[Various Authors], Handbook of Intergenerational Justice (J. C. Tremmel, ed.), Chelten-
ham, E. Elgar Publ., 2006, pp. 23-332.

167cipes, pas plus qu’elle ne les a précisés, manquant ainsi une occasion

unique de les consolider dans le présent domaine du droit internatio-
nal contemporain. Le fait que l’arrêt de la Cour passe sous silence ces
principes de prévention et de précaution ne signifie cependant pas qu’ils

n’existent pas. Ils existent et s’appliquent et revêtent, à mon sens, la plus
haute importance, au titre du jus necessarium. Sans ces principes géné-
raux, on peut difficilement de nos jours parler de droit international de

l’environnement. L’affaire des Usines de pâte à papier offrait à la Cour
une occasion unique d’affirmer l’applicabilité des principes de prévention
et de précaution; pour des raisons qui échappent à ma compréhension et

la dépassent, elle a malheureusement préféré ne pas le faire.

IX. L A DIMENSION TEMPORELLE À LONG TERME :

L ÉQUITÉ INTERGÉNÉRATIONNELLE

114. J’aimerais à présent me pencher sur la question de l’équité inter-

générationnelle. Dans le domaine de la protection de l’environnement, la
dimension temporelle à long terme est évidente. Le souci de faire préva-
loir l’élément de conservation (sur la simple exploitation des ressources

naturelles) est une manifestation culturelle de l’intégration de l’être
humain à la nature et au monde dans lequel il vit. Cette approche a, à
mon sens, un aspect spatio-temporel, l’être humain établissant un lien,
dans l’espace, entre lui-même et le système naturel dont il fait partie (et

qu’il devrait traiter avec diligence et attention) et, dans le temps, entre
lui-même et les autres générations (passées et futures) , envers lesquelles
il a des obligations.

115. La dimension temporelle, si remarquable dans le domaine de la
protection de l’environnement, est également présente dans d’autres
domaines du droit international (par exemple, le droit des traités, le règle-

ment pacifique des différends internationaux, le droit économique inter-
national, le droit de la mer, le droit de l’espace extra-atmosphérique, la
succession d’Etats, notamment). La notion de temps, l’élément de prévi-

sibilité, sont inhérents à la science juridique en tant que telle. La prédo-

98Les générations futures ont rapidement attiré l’attention des auteurs de la doctrine
contemporaine du droit international: voir, par exemple, A.-Ch. Kiss, «La notion de pa-
trimoine commun de l’humanité», Recueil des cours de l’Académie de droit international
de La Haye (RCADI), t. 175 (1982), p. 109-253; E. Brown Weiss, In Fairness to Future
Generations: International Law, Common Patrimony and Intergenerational Equity , Tokyo/
Dobbs Ferry New York, United Nations University/Transnational Publs., 1989, p. 1-351;

A.-Ch. Kiss, «The Rights and Interests of Future Generations and the Precautionary
Principle», The Precautionary Principle and International Law— The Challenge of
Implementation (D. Freestone et E. Hey, dir. publ.), La Haye, Kluwer, 1996, p. 19-28;
[divers auteurs], Future Generations and International Law (E. Agius et S. Busuttil et al.,
dir. publ.), Londres, Earthscan, 1998, p. 3-197; [divers auteurs], Human Rights: New
Dimensions and Challenges (J. Symonides, dir. publ.), Paris/Aldershot, Unesco/Dart-
mouth, 1998, p. 1-153; [divers auteurs], Handbook of Intergenerational Justice (J. C. Trem-
mel, dir. publ.), Cheltenham, E. Elgar Publ., 2006, p. 23-332.

167tection, stressed time and time again, is also present in the field of human

rights protection.

116. Its incidence can be detected at distinct stages or levels, starting
with the travaux préparatoires, the underlying conceptions and the
adopted texts of some human rights instruments . The incidence of the

temporal dimension can also be detected in the “evolutionary” interpre-
tation of human rights treaties (which has ensured that they remain living
instruments), as well as in their application (as exemplified by interna-

tional case law, under certain human rights treaties, bringing to the fore
the notion of potential or prospective victims, i.e., victims claiming a valid
potential personal interest thereunder, thus enhancing the condition of
individual applicants).

117. In fact, the incidence of the temporal dimension can be detected
not only in the interpretation and application of norms of protection

of the human person but also in the conditions of the exercise of
guaranteed rights (as in, e.g., public emergencies); and it can be detected in
the safeguard of all rights, including the right to development and

the right to a healthy environment — extending in time. Here, the
evolving jurisprudence (e.g., on the aforementioned notion of poten-
tial victims, or else on the duty of prevention of violations of human

rights or of environmental harm) may serve as inspiration for the pro-
gressive development of international law in distinct domains of
protection (of the human person as well as of the environment).

118. In fact, concern with future generations underlies some environ-
100
mental law conventions . In addition, in the same line of reasoning, the
1997 UNESCO Declaration on the Responsibilities of the Present Gen-
erations Towards Future Generations, after invoking, inter alia, the 1948
Universal Declaration of Human Rights and the two 1966 United Nations

99E.g., the three Conventions — the Inter-American, the United Nations and the Euro-
pean — against Torture, of an essentially preventive character: the 1948 Convention
against Genocide, the 1973 Convention against Apartheid, besides international
instruments turned to the prevention of discrimination of distinct kinds. The temporal
dimension is further present in international refugee law (e.g., the elements for the very
definition of “refugee” under the 1951 Convention and the 1967 Protocol on the Status
of Refugees, namely, the well-founded fear of persecution, the threats or risks of persecu-

tions as well as the United Nations “early warning” efforts of prevention or forecasting of
refugee flows).
100
E.g., the 1992 United Nations Framework Convention on Climate Change, the 1997
Kyoto Protocol to the United Nations Framework Convention on Climate Change, the
1985 Vienna Convention for the Protection of the Ozone Layer, the 1987 Montreal Pro-
tocol on Substances that Deplete the Ozone Layer, among others.

168minance de la prévention (et de la précaution) qui caractérise le corpus

normatif en matière de protection de l’environnement, si souvent souli-
gnée, est également présente dans le domaine de la protection des droits
de l’homme.

116. Son incidence peut être décelée à divers stades ou niveaux, en
commençant par les travaux préparatoires de certains instruments relatifs
aux droits de l’homme, les conceptions sous-jacentes à ces instruments et
99
les textes adoptés . L’incidence de la dimension temporelle peut égale-
ment être perçue dans l’interprétation «évolutive» des traités relatifs aux
droits de l’homme (qui a permis qu’ils demeurent des instruments vivants),

ainsi que dans leur application (comme en témoigne par exemple la juris-
prudence internationale relative à certains de ces traités, qui met en avant
la notion de victimes potentielles ou éventuelles, c’est-à-dire des victimes
faisant valoir un intérêt personnel potentiel valide en vertu de ces traités,

renforçant ainsi la condition des demandeurs individuels).
117. En fait, on peut percevoir l’incidence de la dimension temporelle
non seulement dans l’interprétation et dans l’application des normes rela-

tives à la protection de la personne humaine, mais également dans les
conditions d’exercice des droits garantis (comme, par exemple, dans les
situations d’urgence); on peut également la percevoir dans la protection

de tous les droits, y compris le droit au développement et le droit à un
environnement sain — qui s’étendent dans la durée. Ici, l’évolution de la
jurisprudence (par exemple, sur la notion susmentionnée de victimes

potentielles, ou encore sur le devoir de prévention des violations des
droits de l’homme ou des dommages à l’environnement) peut inspirer le
développement progressif du droit international dans des domaines de

protection distincts (celle de la personne humaine aussi bien que celle de
l’environnement).
118. En fait, le souci des générations futures est à la base de certaines
100
conventions de droit de l’environnement . En outre, dans le même
ordre d’idées, la déclaration sur les responsabilités des générations pré-
sentes envers les générations futures, adoptée par l’Unesco en 1997, après
avoir invoqué, notamment, la déclaration universelle des droits de

99Par exemple, les trois conventions contre la torture — interaméricaine, européenne et
onusienne — qui ont un caractère essentiellement préventif; la convention de 1948 contre
le génocide et la convention de 1973 contre l’apartheid, qui viennent s’ajouter à des instru-
ments internationaux tournés vers la prévention de divers types de discrimination. La
dimension temporelle est également présente dans le droit international relatif aux réfugiés
(par exemple, les éléments qui constituent la définition même de la notion de «réfugié»
dans la convention de 1951 relative au statut des réfugiés et son protocole de 1967, à

savoir la crainte justifiée d’être persécuté, les menaces ou les risques de persécution — en
plus des efforts d’« alerte rapide » déployés en pratique par l’Organisation des Nations
Un100 pour prévenir ou prévoir les flux de réfugiés).
Par exemple, la convention-cadre des Nations Unies sur les changements clima-
tiques, de 1992, le protocole de Kyoto à la convention-cadre des Nations Unies sur les
changements climatiques, de 1997, la convention de Vienne de 1985 pour la protection de
la couche d’ozone et le protocole de Montréal de 1987 relatif à des substances qui appau-
vrissent la couche d’ozone, notamment.

168Covenants on Human Rights, recalls the responsibilities of present

generations to ensure that “the needs and interests of present and future
generations are fully safeguarded” (Article 1 and preamble). The 1997
Declaration added,inter alia, that “the present generations should strive to

ensure the maintenance and perpetuation of humankind with due respect
for the dignity of the human person” (Article 3). Almost two decades
earlier, the United Nations General Assembly adopted, on 30 Octo-
ber 1980, its resolution proclaiming “the historical responsibility of States

for the preservation of nature for present and future generations”
(para. 1); it further called upon States, in “the interests of present and
future generations”, to take “measures . . . necessary for preserving

nature” (para. 3).

119. In the same year of the 1997 UNESCO Declaration, in the Gab-
ˇíkovo-Nagymaros Project (Hungary/Slovakia) case, the ICJ acknowl-
edged the incidence of the time (long-term temporal) dimension, in referring
to “present and future generations” (the long-term perspective), and to the

“concept of sustainable development” (Judgment, I.C.J. Reports 1997 ,
pp. 53-54, para. 77); yet, the Court preferred not to dwell further upon
it. After over a decade, it seemed to me that the occasion had come to do

so, in the framework of the present case of the Pulp Mills.tIw s
indeed high time for that, but, to my disappointment, the Court’s present
Judgment preferred to guard silence on this particular issue.

120. May I recall that the subject at issue was originally taken
up by the Advisory Committee to the United Nations University
(UNU) on a project on the matter, in early 1988, so as to provide an

innovative response to rising and growing concerns over the depletion
of natural resources and the degradation of environmental quality
and the recognition of the need to conserve the natural and

cultural heritage (at all levels, national, regional and international;
and governmental as well as non-governmental). The Advisory
Committee, composed of Professors from distinct continents 101,
102
met in Goa, India , and issued, on 15 February 1988, a final 103
document entitled “Goa Guidelines on Intergenerational Equity ”,
which stated:

101
Namely, Professors E. Brown Weiss, A. A. Cançado Trindade, A.-Ch. Kiss, R. S.
Pathak, Lai Peng Cheng, and E. W. Ploman.
102In the meeting held in Goa, India, convened by the United Nations University
(UNU), the members of the UNU Advisory Committee acted in their own personal
capacity.
103These Guidelines, adopted on 15 February 1988, were the outcome of prolonged
discussions, which formed part of a major study sponsored by the UNU. It is not my
intention to recall, in the present separate opinion, the points raised in those discussions,
annotated in the unpublished UNU dossiers and working documents, on file with me
since February 1988.

169l’homme de 1948 et les deux pactes relatifs aux droits de l’homme adop-

tés par l’Organisation des Nations Unies en 1966, rappelle la responsa-
bilité qui incombe aux générations présentes de veiller à ce que «les
besoins et les intérêts des générations présentes et futures soient pleine-

ment sauvegardés» (article premier et préambule). Elle ajoute notam-
ment que «[l]es générations présentes devraient s’efforcer d’assurer le
maintien et la perpétuation de l’humanité, dans le respect de la dignité de

la personne humaine» (art. 3). Presque deux décennies auparavant,
l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations Unies adoptait, le
30 octobre 1980, sa résolution proclamant «la responsabilité historique

des Etats concernant la préservation de la nature pour les générations
présentes et futures» (par. 1), et appelait en outre les Etats à prendre «les
mesures nécessaires ... en vue de préserver la nature», «dans l’intérêt des
générations présentes et futures» (par. 3).

119. L’année de la proclamation de la déclaration de l’Unesco, la Cour
reconnut, dans l’affaire du Projet Gabc ˇíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slo-
vaquie), l’incidence de la dimension temporelle à long terme, en se réfé-

rant aux «générations présentes et futures» (la perspective à long terme)
et au «concept de développement durable» (arrêt, C.I.J. Recueil 1997 ,
p. 53-54, par. 77), mais préféra néanmoins ne pas développer plus avant

ce sujet. Plus d’une décennie s’étant écoulée, il me semblait que l’occasion
était venue de le faire, dans le cadre de la présente affaire des Usines de
pâte à papier. Il en était en effet grand temps mais, à mon grand regret,

la Cour a préféré garder le silence sur cette question particulière dans le
présent arrêt.
120. Qu’il me soit permis de rappeler que le sujet en question a initia-

lement été abordé, au début de l’année 1988, par le comité consultatif de
l’Université des Nations Unies (UNU), dans le cadre d’un projet visant à
apporter une réponse novatrice aux préoccupations grandissantes concer-

nant l’épuisement des ressources naturelles et la dégradation de l’envi-
ronnement ainsi qu’à faire en sorte que soit reconnue la nécessité de
préserver le patrimoine naturel et culturel (à tous les niveaux, national,
régional et international, qu’il soit public ou non). Le comité consultatif,
101
composé de professeurs originaires de différents continents , s’est
réuni à Goa, en Inde 102, et a publié, le 15 février 1988, un document
final intitulé «Directives de Goa relatives à l’équité intergénération-
103
nelle» , dans lequel il était déclaré ce qui suit:

101A savoir, M me E. Brown Weiss, M. A. A. Cançado Trindade, M. A.-Ch. Kiss,
M. R. S. Pathak, M. Lai Peng Cheng et M. E. W. Ploman.
102
A la réunion convoquée par l’Université des Nations Unies (UNU) à Goa, en Inde,
les membres du comité consultatif sont intervenus à titre personnel.
103
Les directives, adoptées le 15 février 1988, étaient le résultat de longs débats qui se
sont déroulés dans le cadre d’une grande étude parrainée par l’UNU. Je n’ai pas l’inten-
tion de rappeler, dans la présente opinion individuelle, les questions abordées lors de ces
débats, annotés dans les dossiers et documents de travail non publiés de l’UNU, que je
conserve depuis 1988.

169 “One innovative response to these concerns is represented by the

present project which attempts to introduce for the first time in a
systematic and comprehensive manner, a long term temporal dimen-
sion into international law as a complement to the traditional spatial
dimension.

This temporal dimension is articulated through the formulation
of the theory of ‘intergenerational equity’; all members of each gen-
eration of human beings, as a species, inherit a natural and cultural

patrimony from past generations, both as beneficiaries and as cus-
todians under the duty to pass on this heritage to future generations.
As a central point of this theory the right of each generation to ben-
efit from this natural and cultural heritage is inseparably coupled

with the obligation to use this heritage in such a manner that it can
be passed on to future generations in no worse condition than it was
received from past generations. This requires conservation and, as

appropriate, enhancement of the quality and of the diversity of this
heritage. The conservation of cultural diversity is as important as the
conservation of environmental diversity to ensure options for future
generations.

Specifically, the principle of intergenerational equity requires con-
serving the diversity and the quality of biological resources, of

renewable resources such as forests, water and soils which form an
integrated system, as well as of our knowledge of natural and cul-
tural systems. The principle requires that we avoid actions with
harmful and irreversible consequences for our natural and cultural

heritage . . . without unduly shifting the costs to coming generations.

The principles of equity governing the relationship between gen-

erations . . . pertain to valued interests of past, present and future
generations, covering natural and cultural resources . . . There is a
complementarity between recognized human rights and the pro-
posed intergenerational rights.” 104

121. And the aforementioned UNU document moved on to propose
strategies to implement inter-generational rights and obligations. From
then onwards, the first studies on this specific topic of inter-generational
equity, in the framework of the conceptual universe of International
105
Environmental Law, began to flourish . From the late 1980s onwards,

104The full text of the “Goa Guidelines on Intergenerational Equity” is reproduced in
Annexes to the two following books, whose authors participated in the elaboration of the
document: E. Brown Weiss, In Fairness to Future Generations: International Law, Com-
mon Patrimony and Intergenerational Equity , op. cit. supra note 98, App. A, pp. 293-295;
A. A. Cançado Trindade, Direitos Humanos e Meio Ambiente: Paralelo dos Sistemas de
Proteção Internacional , Porto Alegre/Brazil, S. A. Fabris Ed., 1993, Ann. IX, pp. 296-298.

105Cf., inter alia, note 98, supra.

170 «Le présent projet, qui tente d’introduire pour la première fois

d’une manière systématique et globale une dimension temporelle à
long terme dans le droit international en tant que complément de la
dimension spatiale traditionnelle, constitue une réponse novatrice à
ces préoccupations.

Cette dimension temporelle s’articule autour du développement de
la théorie de l’«équité intergénérationnelle». A chaque génération,
tous les êtres humains, en tant qu’espèce, héritent des générations

précédentes un patrimoine naturel et culturel, dont ils sont à la fois
les bénéficiaires et les gardiens ayant le devoir de transmettre cet
héritage aux générations futures. L’idée qui est au cŒur de cette
théorie est que le droit de chaque génération de tirer avantage de cet

héritage naturel et culturel est inséparablement lié à l’obligation d’en
user de manière à pouvoir le transmettre aux générations futures
dans un état au moins équivalent à celui dans lequel il se trouvait

lorsqu’elle l’a reçu des générations précédentes. Cette obligation
implique la conservation et, le cas échéant, l’amélioration de la qua-
lité et de la diversité de cet héritage. La conservation de la diversité
culturelle est tout aussi importante que celle de la diversité de l’envi-

ronnement pour offrir diverses options aux générations futures.
Plus précisément, le principe de l’équité intergénérationnelle exige
que l’on préserve la diversité et la qualité des ressources biologiques,

des ressources renouvelables telles que les forêts, l’eau et les sols qui
forment un système intégré, ainsi que nos connaissances des sys-
tèmes naturels et culturels. Le principe commande d’éviter les actes
ayant des conséquences préjudiciables et irréversibles pour notre

héritage naturel et culturel ... sans transmettre indûment les coûts
aux générations à venir.
Les principes d’équité qui régissent la relation entre les généra-

tions ... touchent aux intérêts primordiaux des générations passées,
présentes et futures, et s’étendent aux ressources naturelles et cultu-
relles. Il existe une complémentarité entre les droits de l’homme déjà
reconnus et les droits intergénérationnels proposés.» 104

121. Les auteurs de ce document de l’UNU poursuivaient en propo-
sant des stratégies visant à mettre en Œuvre les droits et obligations inter-
générationnels. Dès lors, les premières études sur le thème spécifique de
l’équité intergénérationnelle, dans le cadre de l’univers conceptuel du
105
droit international de l’environnement, commencèrent à se multiplier .

104Le texte intégral des «Directives de Goa relatives à l’équité intergénérationnelle» est
reproduit dans les annexes des deux ouvrages suivants, dont les auteurs ont participé à
l’élaboration du document: E. Brown Weiss, In Fairness to Future Generations: Interna-
tional Law, Common Patrimony and Intergenerational Equity, op. cit. supranote 98,
app. A, p. 293-295; A. A. Cançado Trindade, Direitos Humanos e Meio Ambiente:
Paralelo dos Sistemas de Proteção Internacional , Porto Alegre/Brésil, S. A. Fabris Ed.,
1993, annexe IX, p. 296-298.
105Voir notamment note 98 supra.

170inter-generational equity has been articulated amidst the growing aware-

ness of the vulnerability of the environment, of the threat and gravity of
sudden and global changes, and, ultimately, of one’s own mortality.

122. The need has thus been keenly felt to give clear expression to
inter-generational equity, so as to fulfil the pressing need to assert and
safeguard the rights of present as well as future generations, pursuant
to — in my perception — an essentially anthropocentric outlook. Here,

in the face of likely risks and threats, the precautionary principle once
again comes into play. Nowadays, in 2010, it can hardly be doubted that
the acknowledgement of inter-generational equity forms part of conven-

tional wisdom in International Environmental Law.

123. It is not surprising that, in the course of the proceedings before
the ICJ in the present case of the Pulp Mills (Argentina v. Uruguay),

inter-generational equity has significantly been kept in mind by both con-
tending Parties, Uruguay and Argentina, in their arguments presented to
the Court in the written and oral phases. Argentina, for example, asserted
in its oral arguments that [a]n effective application of the principle of pre-

vention and the precautionary principle by Uruguay would have made it
possible to comprehend the risks of grave harm for present and future
generations” 10. Uruguay, in its pleadings, maintained that sustainable
development is “a matter of inter-generational equity, requiring that eco-

nomic development proceed in a manner that integrates protection of the
environment, which is the human life-support system on which both
present and future generations depend” 107.

124. Inter-generational equity thus came to the fore in connection with
the acknowledgement, by both Parties, of the “principle of sustainable
development”, which, in their views, played a role in the interpretation

and application of the 1975 Statute (cf. infra), displaying concern for
seeking to secure the welfare not only of present but also of future gen-
erations. In this respect, in approaching the “continuing obligations” of
“monitoring” in the present Judgment (para. 266), the Court should have

expressly linked this important point to inter-generational equity. As it
did not, it unnecessarily and unfortunately deprived its own reasoning of
the long-term temporal dimension, so noticeably present in the domain

of environmental protection.

125. May I add another aspect, to which I attach particular impor-
tance, in respect of the long-term temporal dimension proper to inter-

generational equity. In my own perception, the message of solidarity in

106
107CR 2009/20, p. 35, para. 22.
CR 2009/17, p. 57, para. 30.

171A partir de la fin des années 1980, le thème de l’équité intergénération-

nelle s’est développé sur fond de prise de conscience croissante de la
vulnérabilité de l’environnement, de la menace de changements à
l’échelle planétaire et de leur gravité et, en fin de compte, de notre
propre mortalité.

122. La nécessité de formuler clairement la notion d’équité intergéné-
rationnelle, afin de répondre au besoin impérieux d’affirmer et de sauve-
garder les droits des générations actuelles et futures, découlant — à mon
sens — d’une perspective essentiellement anthropocentrique, s’est donc

vivement fait ressentir. En l’espèce, face à des risques et à des menaces
probables, le principe de précaution entre de nouveau en jeu. De nos
jours, en 2010, on ne peut guère douter que la reconnaissance de l’équité
intergénérationnelle procède de la sagesse conventionnelle en droit inter-

national de l’environnement.
123. Il n’est pas surprenant que, en la présente instance relative à des
Usines de pâte à papier (Argentine c. Uruguay) , les deux Parties, l’Uru-
guay et l’Argentine, aient largement gardé à l’esprit l’équité intergénéra-

tionnelle dans les arguments qu’elles ont présentés lors des phases écrites
et orales. C’est ainsi, par exemple, que l’Argentine a affirmé à l’audience
qu’«[u]ne application effective des principes de prévention et de précau-
tion par l’Uruguay aurait permis d’appréhender les risques de dommages
106
graves pour les générations présentes et futures» . L’Uruguay a pour
sa part soutenu dans ses plaidoiries que le développement durable
était «une question d’équité intergénérationnelle, au sens où le dévelop-
pement économique doit se poursuivre d’une manière qui intègre

la protection de l’environnement, c’est-à-dire le système d’entretien
de la vie humaine dont dépendent les générations tant présentes
que futures» 10.
124. Ainsi la notion d’équité intergénérationnelle s’est-elle exprimée à

la faveur de la reconnaissance, par les deux Parties, du «principe de déve-
loppement durable» qui, témoignant d’un souci de tenter d’assurer le
bien-être non seulement des générations actuelles mais également des
générations futures, jouait, selon elles, un rôle dans l’interprétation et

l’application du statut de 1975 (voir infra). A cet égard, en abordant les
«obligations continues» de «suivi et [de] contrôle» dans le présent arrêt
(par. 266), la Cour aurait dû expressément établir un lien entre cette
importante question et l’équité intergénérationnelle. Ne l’ayant pas fait,

elle a inutilement et malheureusement privé son propre raisonnement de
la dimension temporelle à long terme si nettement présente dans le
domaine de la protection de l’environnement.
125. En ce qui concerne la dimension temporelle à long terme propre à

l’équité intergénérationnelle, j’aimerais évoquer un autre aspect auquel
j’attache une importance particulière. A mon sens, le message de solida-

106CR 2009/20, p. 35, par. 22.
107CR 2009/17, p. 54, par. 30.

171time — conveyed by inter-generational equity — projects itself both

ways, into the future and the past, encompassing future as well as past
generations (these latter, in so far as, e.g., the preservation of cultural
identity is concerned). In this connection, in the leading case of the Com-
munity Mayagna (Sumo) Awas Tingni , concerning Nicaragua, the mem-
bers of the indigenous community at issue successfully challenged, before

the Inter-American Court of Human Rights (IACtHR), a governmental
concession to an industry for wood exploitation in their communal lands
(which had not yet demarcated), causing environmental harm and dis-
turbing their modus vivendi.

126. In the memorable public hearings before the IACtHR of 16 to 18
November 2000, members of the community concerned 108stressed the
importance they attached to their communal lands, not only for their

own subsistence, but also for their “cultural, religious and family devel-
opment”. The hills of their lands were “sacred” to them, being the place
where they rendered tribute and respect to their dead. Their lands — they
insisted — belonged to them, as much as they belonged to their lands.

Theirs was not the language of the homo oeconomicus of “modernity”
and “post-modernity”. Not at all. Preservation of their harmony with
their natural environment was of the utmost importance to them.

127. The members of the Mayagna community did not believe in global-
ization, nor in privatization, nor were they after material gain. They had
their own awareness of living in time and space. They cared about the
future as much as about the past. And to them, living in harmony with
their natural environment was priceless, and absolutely necessary, it gave

meaning to their lives. Theirs was the logic of homo sapiens, they were
aware of their own limitations, and wanted to keep on living within their
own possibilities. In doing so, they never changed the ends for the means,
as “modernists” and “post-modernists” tend to do.

128. The IACtHR’s Judgment (merits) of 31 August 2001 in the Com-
munity Mayagna (Sumo) Awas Tingni case — which forms today part of
the history of the international protection of human rights and of the

environment in Latin America — extended protection to the right to
communal property of their lands to the members of the whole indi-
genous community concerned, and determined the delimitation, demarca-
tion and issuing of title to the lands of the community, to be undertaken

in conformity with its customary law, its uses and habits. In reaching this
significant decision, the IACtHR took into account the fact that

108As recalled by the IACtHR’s Judgment of 31 August 2001 (merits), para. 83.

172rité dans le temps — que véhicule la notion d’équité intergénération-

nelle — se projette dans les deux sens, à savoir dans le futur et dans le
passé, il englobe les générations passées (dans la mesure où il s’agit, par
exemple, de préserver l’identité culturelle) tout autant que les générations
futures. A cet égard, dans l’arrêt de principe de la Communauté Mayagna
(Sumo) Awas Tingni, les membres de la communauté indigène en ques-

tion ont contesté avec succès, devant la Cour interaméricaine des droits
de l’homme, une concession d’exploitation forestière accordée par le
Gouvernement nicaraguayen à une entreprise sur leurs terres communau-
taires (qui n’avaient pas été délimitées), qui causait des dommages à

l’environnement et perturbait leur mode de vie.
126. Lors des audiences mémorables qui se tinrent du 16 au 18 no-
vembre 2000 devant la cour, les membres de la communauté en
question 108 soulignèrent l’importance qu’ils attachaient à leurs terres

communautaires, non seulement pour leur propre subsistance, mais
également pour leur «développement culturel, religieux et familial». Les
collines présentes sur ces terres, où ils rendaient hommage à leurs
morts, étaient «sacrées» pour eux. Ces terres — insistaient-ils —

leur appartenaient autant qu’ils leur appartenaient. Leur langage était
bien différent de celui del’omo oeconomicus«moderne» et «postmoderne».
Radicalement différent. La préservation de leur harmonie avec leur
environnement naturel revêtait pour eux la plus haute importance.

127. Les membres de la communauté Mayagna ne croyaient ni en la
mondialisation ni en la privatisation et n’avaient que faire du profit maté-
riel. Ils avaient leur propre perception de la vie dans le temps et l’espace,
soucieux du futur autant que du passé. Pour eux, vivre en harmonie avec
leur environnement naturel n’avait pas de prix et était absolument néces-

saire, cela donnait un sens à leur vie. Leur logique était celle de l’Homo
sapiens, ils étaient conscients de leurs propres limites et souhaitaient
continuer de vivre sans chercher à dépasser leurs propres capacités. Ce
faisant, ils n’ont jamais confondu la fin et les moyens, comme a tendance

à le faire l’homme «moderne» ou «postmoderne».
128. Dans l’arrêt qu’elle a rendu sur le fond le 31 août 2001 en l’affaire
relative à la Communauté Mayagna (Sumo) Awas Tingni — qui fait
aujourd’hui partie de l’histoire de la protection internationale des droits

de l’homme et de l’environnement en Amérique latine —, la Cour inter-
américaine des droits de l’homme a étendu la protection du droit à la
propriété communautaire de leurs terres aux membres de l’ensemble de la
communauté indigène concernée, et a jugé que la délimitation et la

démarcation des terres communautaires, ainsi que l’émission du titre de
propriété y afférent, devaient être effectuées conformément au droit cou-
tumier, aux usages et aux habitudes de cette communauté. Pour statuer
en ce sens, la cour a pris en compte le fait que

108Comme l’a rappelé la Cour interaméricaine des droits de l’homme dans son arrêt sur
le fond du 31 août 2001, par. 83.

172 “among the indigenous persons there exists a communitarian tradi-

tion about a communal form of the collective property of the land, in
the sense that the ownership of this latter is not centred in an indi-
vidual but rather in the group and his community. (. . .) To the indig-
enous communities the relationship with the land is not merely a

question of possession and production but rather a material and spir-
itual element that they ought to enjoy fully, so as to preserve their
cultural legacy and transmit it to future generations.” (Para. 149.)

129. The IACtHR’s decision upheld the indigenous cosmovision, with

attention to due diligence and to cultural diversity. Half a decade after
the leading case of the Community Mayagna (Sumo) Awas Tingni , the
IACtHR was faced with two new cases wherein, as a result of State-
sponsored commercialization of their lands in the past, the members of

two indigenous communities were forcefully displaced, having been driven
into a situation of great vulnerability, social marginalization and aban-
donment at the border of a road; the IACtHR’s decisions in the cases of
the Indigenous Community Yakye Axa (6 February 2006) and of the

Indigenous Community Sawhoyamaxa (29 March 2006), both concerning
Paraguay, determined the devolution of the communal or ancestral lands
to the members of those two communities, so as to secure the survival of
their cultural identity in their natural habitat.

130. The positive attitude of procedural collaboration displayed by the
respondent States in those three cases led to their peaceful settlement. In
so far as the preservation of cultural identity is concerned (inter-genera-

tional solidarity, bearing in mind future as well as past generations), in
my separate opinion in the case of the Indigenous Community Sawhoy-
amaxa, I saw it fit to ponder that:

“The concept of culture, — originated from the Roman ‘colere’,
meaning to cultivate, to take into account, to care and preserve, —
manifested itself, originally, in agriculture (the care with the land).

With Cicero, the concept came to b109sed for questions of the spirit
and of the soul (cultura animi) . With the passing of time, it came
to be associated with humanism, with the attitude of preserving and
taking care of the things of the world, including those of the past 11.

The peoples — the human beings in their social milieu — develop
and preserve their cultures to understand, and to relate with, the
outside world, in face of the mystery of life. Hence the importance of
cultural identity, as a component or aggregate of the fundamental

right to life itself.” (Para. 4.)

109H. Arendt, Between Past and Future, N.Y., Penguin, 1993 [reprint], pp. 211-213.

110Ibid., pp. 225-226.

173 «il existe chez les indigènes une tradition porteuse d’une forme com-

munautaire de la propriété collective de la terre, en ce sens que la
propriété foncière n’est pas l’apanage d’un individu mais plutôt celui
du groupe et de sa communauté... Pour les communautés indigènes,
la relation à la terre n’est pas une simple question de possession et de

production, mais plutôt un élément matériel et spirituel dont il
convient qu’ils disposent pleinement afin de préserver leur héritage
culturel et de le transmettre aux générations futures.» (Par. 149.)

129. Par prudence et souci de diversité culturelle, la Cour a avalisé la

vision du monde des indigènes. Une demi-décennie après l’arrêt de prin-
cipe relatif à la Communauté Mayagna (Sumo) Awas Tingni , deux nou-
velles affaires ont été portées devant la Cour interaméricaine des droits de
l’homme, dans lesquelles, du fait de la commercialisation de leurs terres

par l’Etat, les membres de deux communautés indigènes en avaient été
chassés de force, avaient ainsi été placés dans une situation de grande vul-
nérabilité et de marginalisation sociale, abandonnés au bord d’une route.
Dans les arrêts qu’elle a prononcés en ces affaires relatives à la Commu-

nauté indigène Yakye Axa (6 février 2006) et à la Communauté indigène
Sawhoyamaxa (29 mars 2006), qui concernaient toutes les deux le Para-
guay, la cour a décidé que les terres communautaires ou ancestrales
étaient dévolues aux membres de ces deux communautés, afin d’assurer la

survie de leur identité culturelle dans leur habitat naturel.
130. L’attitude positive de collaboration à la procédure dont ont fait
preuve les Etats défendeurs dans ces trois affaires a permis d’aboutir à
leur règlement pacifique. En ce qui concerne la préservation de l’identité

culturelle (la solidarité intergénérationnelle, en tenant compte des géné-
rations futures ainsi que de celles du passé), j’ai estimé utile de préciser ce
qui suit dans l’opinion individuelle que j’ai produite en l’affaire de la
Communauté indigène Sawhoyamaxa :

«Le concept de culture — du romain «colere» qui signifie cultiver,
tenir compte, prendre soin et préserver — est tout d’abord apparu
dans le domaine de l’agriculture (le soin apporté à la terre). Sous

Cicéron, on commença à l109iliser pour les questions de l’esprit et de
l’âme (cultura animi) et, au fil du temps, on en vint à l’associer à
l’humanisme, à l’attitude de préservation des choses du monde, y
compris celles du passé, et d’attention portée à celles-ci 110. Confron-

tés au mystère de la vie, les peuples — les êtres humains dans leur
environnement social — développent et préservent leurs cultures afin
d’appréhender le monde extérieur et d’établir un lien avec celui-ci.
D’où l’importance de l’identité culturelle, en tant que composant ou

agrégat du droit fondamental à la vie elle-même.» (Par. 4.)

109H. Arendt, Between Past and Future, New York, Penguin, 1993 [réimp.], p. 211-213.
[Pour une version française, voir H. Arendt, La crise de la culture, Gallimard, 1972.]
110 Ibid., p. 225-226.

173 131. In other cases of great cultural density brought before the

IACtHR, the same spirit of solidarity in time, projecting itself onto
future as well as past generations, was duly valued by the Court — as
in its Judgment on reparations in the impressive case of Bámaca

Velásquez, of 22 February 2002, concerning Guatemala in the light of
the wealth of the Maya culture — so as to secure the fulfilment of the

spiritual needs of descendants and the respect for the legacy of
predecessors 111. This is — as I have been insisting in another
international jurisdiction since the mid-1990s — one of the many illus-

trations of the historical process of humanization of contemporary inter-
national law, which nowadays covers the whole of its corpus juris.

X. T HE U NDERLYING T EMPORAL D IMENSION :

S USTAINABLE D EVELOPMENT

1. The Formulation and the Implications of Sustainable Development

132. The temporal dimension underlies likewise sustainable develop-

ment, which, ever since propounded by the 1987 Brundtland Commission
Report as “development that meets the needs of the present without com-
112
promising the ability of future generations to meet their own needs” ,
has come to be regarded as encompassing the fostering of economic
growth, the eradication of poverty and the satisfaction of basic human

needs (such as those pertaining to health, nutrition, housing, educa-
tion)113. Sustainable development came to be perceived, furthermore, as
a link between the right to a healthy environment and the right to devel-

opment; environmental and developmental considerations came jointly
to dwell upon the issues of elimination of poverty and satisfaction of
basic human needs. As the whole matter came to be addressed by both

the 1992 Rio Conference on Environment and Development (UNCED)
and the 1993 United Nations Second World Conference on Human Rights

111In that Judgment on reparations in the Bámaca Velásquez case, the very first reso-
lutory point of the dispositif ordered the identification of the mortal remains of the direct
victim, their exhumation in the presence of his widow and relatives, and the rendering of
his mortal remains to his widow and relatives. In my separate opinion, I saw it fit to dwell
upon four specific aspects pertaining to the Court’s decision, namely: (a) the time, the
living law, and the dead; (b) the projection of human suffering in time; (c) the passing
of time, and the repercussion of the solidarity between the living and the dead in the law;
and (d) the precariousness of the human condition and of universal human rights

(p112s. 1-26).
Cf. World Commission on Environment and Development, Our Common Future,
Oxford University Press, 1987, pp. 8-9, 40, 43-66 and 75-90.
113UNEP, Beijing Symposium on Developing Countries and International Environmen-
tal Law (August 1991), Final Report, Beijing, UNEP/Ministry of Foreign Affairs of China,
1992, pp. 1-8 (co-rapporteurs A. A. Cançado Trindade and Ajai Malhotra).

174 131. Dans d’autres affaires à fort contenu culturel portées devant la

Cour interaméricaine des droits de l’homme, celle-ci a dûment statué
dans ce même esprit de solidarité dans le temps, à l’égard tant des géné-
rations futures que des générations passées — comme par exemple dans

l’arrêt sur les réparations concernant le Guatemala qu’elle a rendu le
22 février 2002 dans l’impressionnante affaire de Bámaca Velásquez,àla
lumière de la richesse de la culture Maya, afin d’assurer la satisfaction des

besoins spirituels des descendants ainsi que le respect de l’héritage légué
par les ancêtres 111. Cet arrêt constitue — comme je persiste à le dire dans

une autre juridiction internationale depuis le milieu des années 1990 —
l’une des nombreuses illustrations du processus historique d’humanisa-
tion du droit international contemporain, qui de nos jours concerne

l’ensemble du corpus juris de cette discipline.

X. L A DIMENSION TEMPORELLE SOUS -JACENTE :
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

1. La formulation et les implications du développement durable

132. De même, la dimension temporelle sous-tend la notion de déve-
loppement durable dont on considère, depuis qu’elle a été définie en 1987

dans le rapport de la commission Brundtland comme «suppos[ant] la
satisfaction des besoins actuels sans compromettre celle des besoins des
112
générations futures» , qu’elle englobe la promotion de la croissance
économique, l’éradication de la pauvreté et la satisfaction des besoins
fondamentaux de l’homme (tels que ceux ayant trait à la santé, à l’ali-
113
mentation, au logement et à l’éducation) . On en vint en outre à perce-
voir le développement durable comme un lien entre le droit à un environ-
nement sain et le droit au développement; des considérations touchant

l’environnement et le développement finirent par imprégner les questions
de l’élimination de la pauvreté et de la satisfaction des besoins fondamen-
taux de l’homme. Après que cette question eut fait l’objet d’une étude

approfondie à l’occasion de la conférence de Rio de 1992 sur l’environ-

111Dans son arrêt sur les réparations en l’affaire Bámaca Velásquez, la cour a ordonné,
au tout premier point du dispositif, l’identification de la dépouille mortelle de la victime
directe, son exhumation en présence de sa veuve et de sa famille et la restitution de cette

dépouille auxdites personnes. Dans mon opinion individuelle, j’ai estimé opportun de
m’attarder sur quatre aspects spécifiques de la décision de la cour, à savoir: a) le temps,
le droit des vivants et les morts; b) la projection de la souffrance humaine dans le temps;
c) l’écoulement du temps et les conséquences juridiques de la solidarité entre les vivants et
les morts; et d) la précarité de la condition humaine et les droits humains universels
(par. 1-26).
112Voir World Commission on Environment and Development, Our Common Future,
Oxford, University Press, 1987, p. 8-9, 40, 43-66 et 75-90.
113PNUE, Symposium de Beijing sur les pays en développement et le droit international
de l’environnement (août 1991) — rapport final, Beijing, PNUE/ministère chinois des
affaires étrangères, 1992, p. 1-8 (corapporteurs A. A. Cançado Trindade et Ajai Mal-
hotra).

174(held in Vienna), it became clear that human beings remain at the centre
114
of concerns for sustainable development .

133. The 1992 Rio Declaration on Environment and Development
gave considerable projection to the formulation of sustainable develop-

ment turned to the fulfilment of the necessities of present and future
generations 115 (Principle 3), whilst the 1993 Vienna Declaration and
Programme of Action focused on sustainable development in relation to

distinct aspects of International Human Rights Law (Part I, para. 27),
also bearing in mind the satisfaction of current and future needs of
protection (Part II, para. 17). Sustainable development disclosed an

ineluctable temporal dimension, in bringing to the fore present and future
generations altogether.
134. The 1993 Vienna Declaration and Programme of Action stated

that “the right to development should be fulfilled so as to meet equitably
the developmental and environmental needs of present and future gen-
erations” (para. 11). The major concern of that final document of the

1993 Vienna Conference, as well as of Agenda 21 of the 1992 Rio Con-
ference — as I well recall from their travaux préparatoires, as well as
their adoption at the two United Nations World Conferences — was

directed towards the improvement of the socio-economic conditions of
living of the population, and in particular of its vulnerable groups 11,so
as to meet their special needs of protection. This is reflected in the corpus

of those two final documents of the two landmark United Nations World
Conferences of 1992 and 1993.

135. This outlook was much cultivated in successive academic events,
held in different latitudes, sponsored by the United Nations throughout
the United Nations Decade of International Law in the 1990s, which pro-

vided some insights for refining the conceptual universe of contemporary
International Environmental Law. When emphasis was drawn into the
promotion of sustainable development and the much needed reduction

114A. A. Cançado Trindade, “Relations between Sustainable Development and Eco-
nomic, Social and Cultural Rights: Recent Developments”, International Legal Issues
Arising under the United Nations Decade of International Law (N. Al-Nauimi and
R. Meese, eds.), The Hague, Kluwer, 1995, pp. 1051-1052, 1056, 1065, 1068 and 1075-1076.
115Cf., for a general overview, on the eve of UNCED, [Various Authors], Human
Rights, Sustainable Development and Environment/Derechos Humanos, Desarrollo Sus-
tentable y Medio Ambiente/Direitos Humanos, Desenvolvimento Sustentável e Meio Ambi-
ente (Proceedings of the Brasília Seminar of March 1992, (A. A. Cançado Trindade, ed.),
2nd ed., Brasília/San José of Costa Rica, BID/IIHR, 1995, pp. 1-405 (in particular, inter-
ventions by E. Brown Weiss, A. A. Cançado Trindade, S. McCaffrey, A.-Ch. Kiss,
G. Handl and D. Shelton).
116
Such as, among others, those formed by the poorest segments of society.

175nement et le développement (CNUED) et de la deuxième conférence

mondiale sur les droits de l’homme, tenue à Vienne en 1993 sous l’égide
de l’Organisation des Nations Unies, il apparut clairement que les droits
de l’homme demeuraient au cŒur des préoccupations du développement
114
durable .
133. La déclaration de Rio de 1992 sur l’environnement et le déve-
loppement faisait une place considérable à l’idée d’un développement

durable axé sur la satisfaction des besoins des générations présentes
et futures 115 (principe 3), tandis que la déclaration et le programme

d’action de Vienne de 1993 mettaient l’accent sur un développement
durable lié à divers aspects du droit international des droits de l’homme
(1re partie, par. 27), tout en conservant à l’esprit la satisfaction des
e
besoins de protection actuels et futurs (2 partie, par. 17). En mettant
simultanément au premier plan les générations présentes et futures, le
développement durable présentait une dimension temporelle inéluctable.

134. La déclaration et le programme d’action de Vienne de 1993 indi-
quent que «le droit au développement devrait se réaliser de manière à
satisfaire équitablement les besoins des générations actuelles et futures en

matière de développement et d’environnement» (par. 11). Je me souviens
très bien que la préoccupation majeure exprimée lors des deux confé-
rences mondiales tenues sous l’égide de l’Organisation des Nations Unies,

durant les travaux préparatoires et l’adoption de ce texte ainsi que du
programme Action 21 issu de la conférence de Rio de 1992, était d’amé-
liorer les conditions de vie socio-économiques de la population, et notam-
116
ment de ses groupes vulnérables , afin de satisfaire leurs besoins parti-
culiers de protection. Cela transparaît dans le corps de ces deux documents
finaux issus des deux conférences mondiales organisées en 1992 et 1993

par l’Organisation des Nations Unies et qui firent date.
135. Cette conception fit l’objet de nombreuses analyses présentées à
l’occasion d’événements universitaires organisés sous différentes latitudes

tout au long des années 1990, sous l’égide de l’Organisation des
Nations Unies, dans le cadre de la Décennie du droit international , qui

fournirent un éclairage sur l’univers conceptuel du droit international
contemporain de l’environnement et permirent ainsi de l’affiner. Lorsque

114A. A. Cançado Trindade, «Relations between Sustainable Development and Eco-
nomic, Social and Cultural Rights: Recent Developments», International Legal Issues

Arising under the United Nations Decade of International Law (N. Al-Nauimi et R. Meese,
di115publ.), La Haye, Kluwer, 1995, p. 1051-1052, 1056, 1065, 1068 et 1075-1076.
Voir, pour un aperçu général, à la veille de la CNUED, [divers auteurs], Human
Rights, Sustainable Development and Environment/Derechos Humanos, Desarrollo Sus-
tentable y Medio Ambiente/Direitos Humanos, Desenvolvimento Sustentável e Meio Ambi-
ente (compte rendu du séminaire de Brasília de mars 1992 — A. A. Cançado Trindade,
dir. publ.), 2d., Brasília/San José of Costa Rica, BID/IIHR, 1995, p. 1-405 (notamment
les interventions de E. Brown Weiss, A. A. Cançado Trindade, S. McCaffrey, A.-Ch. Kiss,
G. Handl et D. Shelton).
116Tels que ceux que constituent, notamment, les segments les plus pauvres de la
société.

175and eradication of poverty, for example, such considerations were

advanced in the light of both inter- and intra-generational equity.

136. In this connection, the comprehensive Agenda 21, adopted at the

close of UNCED in Rio de Janeiro in 1992, pertinently warned, in its
preamble, that

“Humanity stands at a defining moment in history. We are
confronted with a perpetuation of disparities between and within
nations, a worsening of poverty, hunger, ill health and illiteracy,

and the continuing deterioration of the ecosystems on which we
depend for our well-being. However, integration of environment
and development concerns and greater attention to them will lead
to the fulfilment of basic needs . . . No nation can achieve this on its

own; but together we can — in a global partnership for sustainable
development.

Agenda 21 addresses the pressing problems of today and also aims
at preparing the world for the challenges of the next century.”
(Paras. 1 and 3.)

137. Half a decade later, the aforementioned 1997 UNESCO Declara-
tion on the Responsibilities of the Present Generations toward Future
Generations, in acknowledging the current threats to “the very existence

of humankind and its environment” (preamble), singled out the need to
act on the basis of a spirit of intra-generational and inter-generational
solidarity for the “perpetuation of humankind” (Article 3). And one dec-

ade after UNCED in Rio de Janeiro, the World Summit on Sustainable
Development, held in Johannesburg (September 2002), adopted the
Johannesburg Declaration on Sustainable Development, whereby the
international community reasserted its “commitment to sustainable devel-

opment” (para. 1), keeping in mind “the future of humanity”. Once
again, attention was turned to considerations in the light of both inter-
and intra-generational equity, calling for the overcoming of inequities in
time and space.

138. This outlook, bringing together the protection of the environment
and the protection of human rights, continues to be cultivated today, at
the end of the first decade of the twenty-first century 117. Numerous inter-

national instruments have captured today the rationale of sustainable

117Cf., e.g., resolutions 7/23 (of 28 March 2008) and 10/4 (of 25 March 2009) of the
United Nations Human Rights Council (addressing human rights and climate change),
preceded by, e.g., resolution 2005/60 of the former United Nations Commission on
Human Rights (para. 8), among others.

176l’accent fut mis sur la promotion du développement durable et des très

nécessaires réduction et élimination de la pauvreté, par exemple, ces
considérations furent avancées à la lumière de l’équité intergénération-
nelle et intragénérationnelle.
136. A cet égard, le programme très complet Action 21, adopté en

1992 à Rio de Janeiro à la clôture de la CNUED, lançait fort à propos
dans son préambule la mise en garde suivante:

«L’humanité se trouve à un moment crucial de son histoire. Nous
assistons actuellement à la perpétuation des disparités entre les
nations et à l’intérieur des nations, à une aggravation de la pauvreté,

de la faim, de l’état de santé et de l’analphabétisme, et à la détériora-
tion continue des écosystèmes dont nous sommes tributaires pour
notre bien-être. Mais si nous intégrons les questions d’environne-
ment et de développement et si nous accordons une plus grande

attention à ces questions, nous pourrons satisfaire les besoins fonda-
mentaux... Aucun pays ne saurait réaliser tout cela à lui seul, mais la
tâche est possible si nous Œuvrons tous ensemble dans le cadre d’un
partenariat mondial pour le développement durable.

Action 21 aborde les problèmes urgents d’aujourd’hui et cherche
aussi à préparer le monde aux tâches qui l’attendent au cours du
siècle prochain.» (Par. 1 et 3.)

137. Une demi-décennie plus tard, la déclaration sur les responsabilités
des générations présentes envers les générations futures mentionnée précé-
demment, adoptée par l’Unesco en 1997, en reconnaissant les menaces

pesant actuellement sur «l’existence même de l’humanité et son environne-
ment» (préambule), mettait en évidence la nécessité d’agir dans un esprit
de solidarité intragénérationnelle et intergénérationnelle pour la «perpé-

tuation de l’humanité» (art. 3). En outre, une décennie après la tenue de la
CNUED à Rio de Janeiro, la déclaration de Johannesburg sur le dévelop-
pement durable, dans laquelle la communauté internationale réaffirmait
son «engagement en faveur du développement durable» (par. 1), gardant à

l’esprit «l’avenir de l’humanité», fut adoptée à l’occasion du Sommet mon-
dial pour le développement durable, organisé à Johannesburg en septem-
bre 2002. Une fois encore, l’attention était portée vers des considérations
abordées à la lumière de l’équité inter- et intragénérationnelle, appelant à

surmonter les inégalités dans le temps et dans l’espace.
138. Cette approche associant protection de l’environnement et pro-
tection des droits de l’homme perdure de nos jours, à la fin de la première
décennie du XXI siècle 117. De nombreux instruments internationaux

sont aujourd’hui imprégnés de la logique du développement durable. La

117Voir, par exemple, les résolutions 7/23 (du 28 mars 2008) et 10/4 (du 25 mars 2009)
du Conseil des droits de l’homme de l’Organisation des Nations Unies (relatives aux
droits de l’homme et aux changements climatiques), précédées, par exemple, par la résolu-
tion 2005/60 de l’ancienne Commission des droits de l’homme de l’Organisation des
Nations Unies (par. 8).

176development. Contemporary expert writing is also gradually recognizing

its relevance; while a great part of that writing continues, somewhat hesi-
tantly, to refer to sustainable development as a “concept”, there are also
those who seem today to display their preparedness and open-minded-

ness to admit that it has turned out to be a general principle of Interna-
tional Environmental Law 118. On the occasion of the reform of the
United Nations, by the end of 2005, in addition to the two documents

already mentioned in the present separate opinion (para. 45, supra), the
Millennium Development Goals were also adopted, endorsing the “prin-
ciples of sustainable development” (in the plural) 119.

139. There are strong reasons for recognizing sustainable development
as a guiding general principle for the consideration of environmental and
developmental issues. Both the 1992 Rio Conference and the 1993 Vienna
Conference clarified, for the ongoing cycle of United Nations World

Conferences during the 1990s, that the implications of placing people at
the centre of concerns were considerable, and called for a reassessment of
traditional concepts (e.g., inter alia, models of development and interna-

tional co-operation), so as to safeguard the environment and to achieve
the sustainability of human life itself. More recently, in 2008, an approach
has been advanced with the aim of “aligning” the aforementioned Mil-
120
lennium Development Goals with human rights .

140. In the light of the considerations above, the present outcome of
the case of the Pulp Mills leaves, in this respect, much to be desired, on
three accounts, namely: first, in relation to the insufficiency of the argu-

ments of the contending Parties on, concretely, the social impacts of the
pulp mills, despite having addressed sustainable development (cf. infra);
secondly, in respect of the insufficiency of attention on the part of the

Court to the particular point at issue; and thirdly, with regard to the
absence of any express acknowledgement by the Court of the guiding role
of general principles of International Environmental Law. Having pointed
this out, may I now turn to the contentions of Argentina and Uruguay on

sustainable development, in the ambit of the cas d’espèce.

118Cf., e.g., Ph. Sands, Principles of International Environmental Law , 2nd ed., Cam-
bridge University Press, 2003, pp. 252, 260 and 266; C. Voigt, Sustainable Development as
a Principle of International Law , Leiden, Nijhoff, 2009, pp. 145, 147, 162, 171 and 186. As
States cannot rely on scientific uncertainties to justify inaction, in face of possible risks of

serious harm to the environment, the precautionary principle has a role to play, as much
as “the principle of sustainable development”; P. Birnie, A. Boyle and C. Redgwell, Inter-
national Law and the Environment , 3rd ed., Oxford University Press, 2009, p. 163.
119
120Targets 7.A and 7.B of the Millennium Development Goals .
United Nations/Office of the High Commissioner for Human Rights, Claiming the
Millennium Development Goals: A Human Rights Approach , Geneva, United Nations,
2008, pp. 1-52.

177doctrine contemporaine en reconnaît également progressivement la per-

tinence; tandis qu’une grande partie des auteurs continuent, de manière
quelque peu hésitante, à évoquer le «concept» de développement du-
rable, d’autres semblent au contraire être prêts et ouverts à l’idée

d’admettre qu’il est devenu un principe général du droit international
de l’environnement 11. A l’occasion de la réforme de l’Organisation
des Nations Unies, fin 2005, les objectifs du Millénaire pour le dévelop-

pement, qui avalisaient les «principes du développement durable»
(au pluriel)119, furent adoptés en sus des deux documents déjà mentionnés
dans la présente opinion individuelle (par. 45,supra).

139. Il y a de solides raisons de reconnaître le développement durable
comme un principe général devant présider à l’examen des questions
d’environnement et de développement. Lors des conférences de Rio, en

1992, et de Vienne, en 1993, il fut clairement établi, en vue du cycle de
conférences mondiales de l’Organisation des Nations Unies alors en
cours et qui devait se poursuivre tout au long des années 1990, que placer

l’homme au cŒur des préoccupations avait des conséquences considérables
et que cela obligeait à réévaluer certains concepts traditionnels (au rang
desquels figuraient notamment les modèles de développement et de coo-

pération internationale), afin de préserver l’environnement et d’assurer la
pérennité de la vie humaine elle-même. Plus récemment, en 2008, une
stratégie visant à «aligner» les objectifs du Millénaire pour le développe-
120
ment susmentionnés sur les droits de l’homme a été proposée .
140. A la lumière des considérations qui précèdent, l’issue de l’instance
dans l’affaire des Usines de pâte à papier laisse, à cet égard, beaucoup à

désirer et ce d’un triple point de vue: premièrement, l’insuffisance des
arguments avancés par les Parties sur les conséquences sociales concrètes
des usines de pâte à papier, bien qu’elles aient évoqué le développement

durable (voir infra); deuxièmement, l’insuffisance de l’attention accordée
par la Cour à la question particulière soulevée; et, troisièmement,
l’absence de reconnaissance expresse, par la Cour, du rôle directeur des

principes généraux du droit international de l’environnement. Ayant sou-
ligné cela, j’aimerais maintenant aborder, dans le cadre de la présente
affaire, les arguments avancés par l’Argentine et l’Uruguay sur le déve-

loppement durable.

e
118Voir, par exemple, Ph. Sands, Principles of International Environmental Law ,2 éd.,
Cambridge, University Press, 2003, p. 252, 260 et 266; C. Voigt, Sustainable Development
as a Principle of International Law , Leyde, Nijhoff, 2009, p. 145, 147, 162, 171 et 186. Les
Etats ne pouvant se prévaloir de l’incertitude scientifique pour justifier leur inaction face
à des risques potentiels de dommages graves à l’environnement, le principe de précaution
a un rôle à jouer, tout autant que «le principe de développement durable»; P. Birnie,
A. Boyle et C. Redgwell, International Law and the Environment ,3., Oxford, Univer-
sity Press, 2009, p. 163.
119Cibles 7.A et 7.B des objectifs du Millénaire pour le développement .
120Organisation des Nations Unies/Haut Commissariat aux droits de l’homme, Re-

vendiquer les objectifs du Millénaire pour le développement: une approche fondée sur les
droits de l’homme, Genève, Organisation des Nations Unies, 2008, p. 1-66.

177 2. The Awareness of the Contending Parties of the Implications

of Sustainable Development

141. In the present case of the Pulp Mills, the contending Parties

addressed sustainable development interchangeably as a “concept” and as
a “principle”. In its Memorial, Argentina argued that the two Parties
were “linked by respect for the principle of sustainable development”
121
when they undertook “activities on the River Uruguay” . Yet, they
did not coincide as to the application of that “concept” or “principle”,
which, in Argentina’s view, required an integrated approach to, and

“a balance to be achieved” between the objectives of socio-economic
development and of environmental protection, as was solemnly
declared in the 1992 Rio Declaration on Environment and
122
Development (Principles 3 and 4 ), ranking among “the principles
which are supposed to guide the interpretation and application of the
1975 Statute” 123.

142. Argentina further contended, in its Memorial, that “[o]ne of the
key elements of the principle of sustainable development is that meeting

the developmental needs of current generations must not jeopardize the
well-being of future generations” 12. Insisting on Principles 3 and 4 of the
1992 Rio Declaration, Argentina added that

“Under the principle of sustainable development, States fulfil
their right to development while complying with the obligations

incumbent on them as regards the promotion and protection
of the environment. This includes the obligations . . . to which
that Statute refers . . . The concept of ‘sustainable development’

cannot be relied upon to justify giving the objectives of
economic development any priority over essential environmental
needs.” 125

143. Thus, in maintaining that the “principle of sustainable develop-

ment” applies to the 1975 Statute, Argentina recalled, in its Memorial,
Principle 3 of the 1992 Rio Declaration on Environment and Develop-
ment, whereby “the right to development must be fulfilled so as to equi-

tably meet developmental and environmental needs of present and future
generations” 126. Moreover, still in its Memorial, Argentina referred to
the 2002 Environmental Protection Plan for the River Uruguay

(celebrated by CARU with 15 Argentine and Uruguayan local authorities),

121Memorial of Argentina, para. 3.177.
122Ibid., para. 3.179.
123Reply of Argentina, para. 4.32, and cf. also para. 1.48.
124Memorial of Argentina, para. 3.180.
125
126Ibid., paras. 5.6-5.7, and cf. also para. 5.8.
Ibid., para. 5.5.

178 2. Les Parties à l’instance avaient conscience des implications

du développement durable

141. Dans la présente affaire relative à des Usines de pâte à papier, les

Parties ont évoqué de manière interchangeable le «concept» et le «prin-
cipe» de développement durable. Dans son mémoire, l’Argentine a affirmé
que les deux Parties étaient «lié[e]s par le respect du principe du dévelop-

pement durable» lorsqu’elles entreprenaient «des activités sur le fleuve
Uruguay» 12. Cependant, leur approche divergeait quant à l’application
du «concept» ou du «principe», l’Argentine estimant pour sa part que

celle-ci nécessitait une approche intégrée des objectifs de développement
socio-économique et de protection de l’environnement, entre lesquels il
convenait de «trouver un équilibre», comme cela était solennellement

affirmé dans la déclaration de Rio de 1992 sur l’environnement et le déve-
loppement (principes 3 et 4 12) — le principe de développement durable
faisant partie de «[ceux] qui doivent guider l’interprétation et l’applica-
123
tion du statut de 1975» .
142. L’Argentine a en outre affirmé, dans son mémoire, que «[l]’une
des composantes essentielles du principe de développement durable [était]

que la satisfaction des besoins immédiats des générations présentes au
titre du droit au développement ne [devait] pas compromettre le bien-être
des générations futures» 124. Insistant sur les principes 3 et 4 de la déclara-

tion de Rio de 1992, elle a ajouté que,

«[e]n application du principe du développement durable, les Etats
réalisent leur droit au développement en respectant leurs obligations

en matière de promotion et de protection de l’environnement. Ainsi
en est-il des obligations découlant du statut de 1975... Le concept
de «développement durable» ne peut pas être invoqué pour justi-

fier le fait de donner aux objectifs de développement économique
une quelconque préséance sur des nécessités environnementales
essentielles.» 125

143. Ainsi, en soutenant que le «principe du développement durable»

s’appliquait au statut de 1975, l’Argentine a rappelé, dans son
mémoire, le principe 3 de la déclaration de Rio de 1992 sur l’environ-
nement et le développement, aux termes duquel «le droit au dévelop-

pement doit être réalisé de façon à satisfaire équitablement les besoins
relatifs au développement et à l’environnement des générations
présentes et futures» 126. Toujours dans son mémoire, l’Argentine

a également invoqué le plan de protection environnementale

121Mémoire de l’Argentine, par. 3.177.
122Ibid., par. 3.179.
123Réplique de l’Argentine, par. 4.32, et voir également par. 1.48.
124Mémoire de l’Argentine, par. 3.180.
125
126Ibid., par. 5.6-5.7, et voir également par. 5.8.
Ibid., par. 5.5.

178which approached the obligations set out by the 1975 Statute as provid-

ing “a collective, participative and collaborative framework” for co-op-
eration and co-ordination to protect the River Uruguay “for future
127
generations” .

144. On its part, Uruguay, evoking, in its Counter-Memorial, the
“principles of general international law” 12, argued that

“The right of all States to pursue sustainable economic develop-

ment is enshrined in Principle 2 of the 1992 Rio Declaration . . .
[which] affirms both the sovereign right of States to exploit
their own resources ‘pursuant to their own environmental and

developmental policies’ and their responsibility ‘to ensure that
activities within their jurisdiction or control do not cause damage

to the environment of other129ates or to areas beyond the limits of
national jurisdiction’.”

145. In its view, like Principle 4, Principle 2 of the Rio Declaration

“requires integration or accommodation of development and environ-
mental protection” 130. And Uruguay added that

“Argentina’s arguments about the 1975 Statute entirely fail to

address this need to accommodate economic development and envi-
ronmental protection when utilizing the waters of the Uruguay

River. Indeed, Argentina’s Memorial studiously cultivates the
impression that the 1975 Statute subjugates considerations of eco-
nomic development to unyielding environmental concerns.” 131

146. Uruguay further stated, in its Rejoinder, that

“[d]evelopment is permitted (indeed, required under Article 1 of the
United Nations Covenants on Civil and Political Rights and on

Economic, Social and Cultural Rights, among other places)
so long as the environment is protected for the benefit of future
132
generations” .

In acknowledging its need to improve the “living conditions” of “present
133
and future generations of its population” , Uruguay argued that

127Memorial of Argentina, para. 3.153.
128Counter-Memorial of Uruguay, para. 1.26.
129Ibid., para. 2.30.
130
131Ibid., para. 2.32.
132Ibid., para. 2.33.
Rejoinder by Uruguay, para. 2.130.
133CR 2009/17, pp. 46 and 48, paras. 1 and 5, and cf. also p. 50, para. 11.

179du fleuve Uruguay de 2002 (conclu entre la CARU et quinze collectivités

locales uruguayennes et argentines), dans lequel les obligations
énoncées par le statut de 1975 sont présentées comme fournissant
un cadre de coopération et de coordination «collectif, participatif et

collaboratif» pour protéger le fleuve Uruguay «pour les générations
futures» 127.

144. Pour sa part, l’Uruguay, évoquant, dans son contre-mémoire, les
«principes du droit international général» 128, a affirmé que:

«Le droit qu’ont tous les Etats de chercher à assurer leur dévelop-
pement économique durable est consacré par le principe 2 de la

déclaration de Rio de 1992 ... [qui] établit à la fois le droit souverain
des Etats d’exploiter leurs propres ressources «conformément à leurs

politiques en matière d’environnement et de développement» et leur
devoir «de veiller à ce que les activités exercées dans les limites de
leur juridiction ou sous leur contrôle ne causent pas de dommages à

l’environnement dans d’autres Etats ou dans des zones ne relevant
d’aucune juridiction nationale».» 129

145. Selon l’Uruguay, comme le principe 4, le principe 2 de la déclara-

tion de Rio «exige[ait] d’associe130u de concilier développement et pro-
tection de l’environnement» , et d’ajouter:

«Les arguments avancés par l’Argentine au sujet du statut de 1975
ignorent cette nécessité de concilier le développement économique et

la protection de l’environnement dans le cadre de l’utilisation des
eaux du fleuve Uruguay. En effet, le mémoire de l’Argentine entre-
tient soigneusement l’illusion que le statut de 1975 subordonne les

considérations relatives au développement économique au respect le
plus strict de l’environnement.» 131

146. Dans sa duplique, l’Uruguay a en outre déclaré que

«[l]e développement [était] autorisé ([qu’]il [était] même prescrit aux
termes, notamment, des articles premiers des pactes internationaux
de l’ONU respectivement consacrés aux droits civils et politiques, et

aux droits économiques, sociaux et culturels), dès lors que la protec-
tion de l’environnement [était] assurée au bénéfice des générations
futures» 132.

Reconnaissant la nécessité pour lui d’améliorer les «conditions d133ie»
des «générations présentes et futures de sa population» , l’Uruguay a

127
128Mémoire de l’Argentine, par. 3.153.
129Contre-mémoire de l’Uruguay, par. 1.26.
Ibid., par. 2.30.
130Ibid., par. 2.32.
131Ibid., par. 2.33.
132Duplique de l’Uruguay, par. 2.130.
133CR 2009/17, p. 41 et 43, par. 1 et 5, et voir également p. 46, par. 11.

179“Argentina has not challenged the right of Uruguay to develop economi-

cally, and thus to meet the needs of present and future generations of her
citizens”134.
147. This last remark was made by Uruguay in the course of the oral

phase of proceedings in the present case of the Pulp Mills, wherein coun-
sel for both Uruguay and Argentina retook and insisted on their respec-

tive points advanced in the written phase of the proceedings in the cas
d’espèce. Both Argentina and Uruguay were quite aware of the inter-
temporal dimension underlying sustainable development as a principle of

International Environmental Law, and the ICJ should, in my view, have
taken note of, and endorsed 135, sustainable development as such, thus
contributing to the progressive development of International Environ-

mental Law.

XI. J UDICIAL D ETERMINATION OF THE FACTS

148. The aforementioned general principles, and temporal dimension,

are to be kept in mind, in the exercise of the international judicial
function, which also includes the judicial determination of the facts.
As to this latter, conflicting evidence assumed noticeable proportions in

the present case of the Pulp Mills. In fact, by and large, conflicting
evidence seems to make the paradise of lawyers and practitioners, at
national and international levels. It seems to make, likewise, the

purgatory of judges and fact-finders, at national and international
levels. Consideration of this issue cannot be avoided in the present

case of the Pulp Mills.
149. May it here be recalled that, for the determination of the facts,
the Court has accumulated some experience in receiving the testimony of
136
experts or witnesses, though not a particularly extensive one . In turn,
expert-witnesses — a category not foreseen in the Statute or the Rules —

134
135CR 2009/17, p. 58, para. 32.
The Court could, for example, have taken up, and further developed, bearing in
mind the contentions of the Parties in the present case of the Pulp Mills, its own obiter
dictum in the whole (not only in part, as it did) of paragraph 140 of its Judgment in the
Gabcˇíkovo-Nagymaros Project case (Hungary/Slovakia) (Judgment, I.C.J. Reports 1997 ,
p. 77).
136The ten occasions to date, when it did, are the following: Corfu Channel case
(United Kingdom v. Albania) (1949), Temple of Preah Vihear case (Cambodia v. Thai-
land) (1962), South West Africa cases (Ethiopia v. South Africa; Liberia v. South Africa)
(1966), Continental Shelf case (Tunisia v. Libya) (1982), Gulf of Maine case (Canada and

United States of America) (1984), Continental Shelf case (Libya v. Malta) (1985), Nica-
ragua v. United States of America case (1986), Elettronica Sicula S.p.A. (ELSI) case
(United States of America v. Italy) (1989), Land, Island and Maritime Frontier Dispute
case (El Salvador v. Honduras) (1992), Application of the Convention on the Prevention
and Punishment of the Crime of Genocide case (Bosnia and Herzegovina v. Serbia and
Montenegro) (2007).

180soutenu que «l’Argentine n’a[vait] pas contesté [son] droit ... à dévelop-

per son économie, et à répondre ainsi aux besoins des générations pré-
sentes et futures de sa population» 134.
147. L’Uruguay fit cette dernière remarque dans le cadre des plaidoi-

ries organisées en la présente affaire, au cours desquelles les conseils des
deux Parties reprirent et réaffirmèrent les points qu’ils avaient respective-

ment avancés dans leurs écritures. L’Argentine et l’Uruguay étaient
tous deux tout à fait conscients de la dimension intertemporelle du
développement durable en tant que principe de droit international de

l’environnement et la CIJ aurait, me semble-t-il, dû prêter attention
au développement durable en tant que tel, et le reprendre à son
compte 135, pour ainsi contribuer à l’évolution progressive du droit inter-

national de l’environnement.

XI. L’ ÉTABLISSEMENT JUDICIAIRE DES FAITS

148. Les principes généraux et la dimension temporelle susmentionnés

doivent être gardés à l’esprit dans l’exercice de la fonction judiciaire
internationale, qui consiste aussi pour le juge à établir les faits. A cet
égard, les conflits de preuve ont pris des proportions remarquables

dans la présente affaire des Usines de pâte à papier. En fait, les conflits
de preuve semblent généralement constituer, aux niveaux national et
international, une aubaine pour les juristes et les professionnels du

droit, mais aussi une calamité pour les juges et ceux qui sont chargés
d’établir les faits. L’examen de cette question est incontournable en

l’espèce.
149. Qu’il me soit permis de rappeler ici que, en matière d’établisse-
ment de faits, la Cour a acquis une expérience certaine, quoique relative-
136
ment limitée, de l’audition d’experts ou de témoins . En revanche, elle
n’a entendu des témoins-experts — une catégorie qui n’était prévue ni

134
135CR 2009/17, p. 55, par. 32.
La Cour aurait, par exemple, pu reprendre en entier (et non partiellement comme
elle l’a fait), pour le développer plus avant, en tenant compte des allégations des Parties
à la présente affaire relative à des Usines de pâte à papier, son propre obiter dictum du
paragraphe 140 de l’arrêt qu’elle a prononcé en l’affaire relative au Projeˇíkovo-
Nagymaros (Hongrie/Slovaquie) (arrêt, C.I.J. Recueil 1997 , p. 77).
136Elle en a jusqu’ici eu l’occasion dans les dix affaires suivantes: Détroit de Corfou
(Royaume-Uni c. Albanie) (1949); Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande)
(1962); Sud-Ouest africain (Ethiopie c. Afrique du Sud; Libéria c. Afrique du Sud)
(1966); Plateau continental (Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne) (1982); Délimitation de

la frontière maritime dans la région du golfe du Maine (Canada/Etats-Unis d’Amérique)
(1984); Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte)(1985); Activités mili-
taires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis
d’Amérique) (1986); Elettronica Sicula S.p.A. (ELSI) (Etats-Unis d’Amérique c. Italie)
(1989); Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime (El Salvador/Honduras)
(1992); Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de géno-
cide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro) (2007).

180were object of attention of the Court on very few occasions 13, by a func-

tional necessity. On-site visits — Article 66 of the Rules — were
undertaken once by the old PCIJ (case of the Diversion of Waters
from the Meuse, 1937), and once by the ICJ (Gabc ˇíkovo-Nagymaros

Project (Hungary/Slovakia) case, 1997), but without involving actual
fact-finding. Only on two occasions so far, fact-finding as such (Article 50
of the Statute and Article 67 of the Rules) was contemplated by the
Hague Court motu propio.

150. The first occasion occurred in the Chorzów Factory case
(Germany v. Poland, 1928), when the PCIJ designated (citing Article 50
of the Statute) a committee of experts in September 1928, but, as the

case became object of a friendly settlement, that committee was dis-
solved before it could render its report. The second occasion was the
Corfu Channel case (United Kingdom v. Albania, 1949), which became

the leading case on the subject: the appointed experts presented two rep-
orts, in January and February 1949 (having visited the area concerned where-
in they conducted further inquiries), which were taken into account by
the ICJ in its Judgment on the merits, of 9 April 1949. Still in the same

Corfu Channel case, the designated experts submitted another report in
December 1949 to the Court, which, after questioning them, took their
conclusions into full account in its Judgment on reparations, of 15
138
December 1949, in the case at issue .
151. Thus, in the light of the Court’s own experience so far, in the
present Pulp Mills case, not all the possibilities of fact-finding were

exhausted. I am of the view that paragraph 170 of the present Judgment
should have pointed out also the additional possibility opened to the
Court, if it deemed it necessary, namely, that of obtaining further evi-
dence motu propio. Yet, if the Court would have made use of this addi-

tional possibility (e.g., by means of in loco fact-finding) — as I think it
should have — would its conclusion as to substantive obligations under
Articles 35, 36 and 41 of the 1975 Statute of the River Uruguay have

been different? Any answer to this question would be to a large extent
conjectural.

XII. B EYOND THE NTER -S TATE D IMENSION :R ELATED A SPECTS

152. Previous considerations concerning general principles of law, as
well as the temporal dimension, bring me, in the present separate opinion,

137E.g., in the Corfu Channel case (United Kingdom v. Albania) (1949), in the Temple
of Preah Vihear case (Cambodia v. Thailand) (1962), and in the South West Africa cases
(Ethiopia v. South Africa; Liberia v. South Africa) (1966).
138On yet a third occasion, somewhat distinctly, in the Gulf of Maine case (Canada/
United States), the ICJ Chamber was required, under the special agreement, to appoint
an expert; after his appointment (again citing Article 50 of the Statute), his “explanatory
report” was annexed by the ICJ Chamber, to its Judgment of 12 October 1984.

181dans son Statut ni dans son Règlement — qu’à de très rares occasions 137,

pour des nécessités pratiques. Une visite sur les lieux — article 66 du
Règlement — n’a été entreprise qu’une fois par la Cour permanente (dans
l’affaire des Prises d’eau à la Meuse, 1937) et une fois par la Cour ac-

tuelle (dans l’affaire relative au Projet Gabc ˇíkovo-Nagymaros (Hongrie/
Slovaquie), 1997), mais sans véritable enquête. La Cour et sa devancière
n’ont jusqu’ici envisagé d’office d’établir des faits qu’en deux occasions
(article 50 du Statut et article 67 du Règlement).

150. La première occasion se présenta dans l’affaire de l’Usine de
Chorzów (Allemagne c. Pologne) (1928), lorsque la Cour permanente
(citant l’article 50 du Statut) désigna une commission d’experts en sep-

tembre 1928 mais, l’affaire ayant été réglée à l’amiable, cette commission
fut dissoute avant d’avoir pu rendre son rapport. La seconde occasion fut
l’affaire du Détroit de Corfou (Royaume-Uni c. Albanie) (1949), qui est

devenue l’affaire phare en la matière: les experts désignés présentèrent
deux rapports, l’un en janvier et l’autre en février 1949 (après avoir
enquêté sur les lieux), que la Cour prit en considération dans son arrêt
sur le fond du 9 avril 1949. Toujours dans l’affaire du Détroit de Corfou,

en décembre 1949, les experts désignés soumirent un autre rapport à la
Cour, qui, après les avoir interrogés, tint pleinement compte de leurs
conclusions dans l’arrêt qu’elle rendit dans cette affaire le 15 décem-
138
bre 1949 sur la question des réparations .
151. Partant, compte tenu de l’expérience qu’elle a acquise jusqu’ici, la
Cour n’a pas épuisé toutes les possibilités qui s’offraient à elle pour éta-

blir les faits dans la présente affaire des Usines de pâte à papier. Je consi-
dère que, au paragraphe 170 du présent arrêt, elle aurait dû indiquer qu’il
lui était aussi possible, si elle l’estimait nécessaire, d’obtenir d’office
davantage d’informations. Cela dit, si la Cour s’était prévalue de cette

possibilité supplémentaire (en procédant par exemple à une enquête sur le
terrain) — comme je pense qu’elle aurait dû le faire —, serait-elle parve-
nue à une conclusion différente quant aux obligations de fond découlant

des articles 35, 36 et 41 du statut du fleuve Uruguay de 1975? Toute
réponse à cette question serait largement hypothétique.

XII. A U -DELÀ DE LA DIMENSION INTERÉTATIQUE : ASPECTS CONNEXES

152. Les considérations qui précèdent sur les principes généraux de
droit et la dimension temporelle me conduisent dans la présente opinion

137Par exemple dans les affaires du Détroit de Corfou (Royaume-Uni c. Albanie)
(1949), du Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande) (1962) et du Sud-Ouest afri-
cain (Ethiopie c. Afrique du Sud; Libéria c. Afrique du Sud) (1966).
138A une troisième occasion encore, quoique dans des circonstances quelque peu dif-
férentes, en l’affaire du Golfe du Maine (Canada/Etats-Unis d’Amérique) , la Chambre de
la Cour fut tenue, de par les termes du compromis, de désigner un expert; après l’avoir
désigné (en citant là encore l’article 50 du Statut), la Chambre de la Cour annexa le «rap-
port explicatif» de cet expert à son arrêt du 12 octobre 1984.

181to keep on looking well beyond the inter-State dimension despite the

strictly inter-State structure of the international contentieux before the
ICJ. In doing so, I shall review related aspects to which I attribute par-
ticular significance, namely: (a) the imperatives of human health and the
well-being of peoples; (b) the role of civil society in environmental pro-
tection; (c) the objective character of obligations, beyond reciprocity;

and (d) CARU’s international legal personality. I shall next turn to each
of them.

1. The Imperatives of Human Health and the Well-being of Peoples

153. Already in 1974, two years after the adoption of the Stockholm
Declaration, the United Nations Charter on Economic Rights and Duties
of States (which resulted from a Latin American initiative 139) warned
that the protection and preservation of the environment for present and

future generations were the responsibility of all States (Article 30).
The reference to succeeding generations in time disclosed, first, an
awareness of the long-term temporal dimension, and, secondly, a
concern beyond the strictly inter-State dimension, prompted by the

goal of securing human health and the well-being of peoples. The
United Nations General Assembly resolution 44/228 of 1989, deciding
to convene a United Nations Conference on Environment and
Development in Rio de Janeiro in 1992, for example, affirmed in fact

that the protection and enhancement of the environment were major
issues that affected the well-being of peoples, and singled out, as
one of the environmental issues of major concern, the “protection of
human health conditions and improvement of the quality of life”

(paragraph 12 (i)).

154. International Environmental Law is attentive to human health.

In the present case of the Pulp Mills the point was touched upon by
the two contending Parties. In so far as the social impacts of the pulp
mill (the Botnia plant) are concerned, Argentina, in its Memorial,
displayed attention to “the health and well-being of the neighbouring
communities” (paras. 6.44-6.45), while Uruguay, in its Rejoinder,

referred to social impact monitoring indicating an improvement in
the “quality of life” in Fray Bentos and “surrounding communities”
(para. 4.40). But while Uruguay, in its Counter-Memorial, con-
tended that the pulp mill did not constitute a threat to public health

(paras. 5.33-5.34), Argentina, in turn, sought to demonstrate that
eutrophication of the river and air pollution may be hazardous to human

139Launched on the occasion of the III UNCTAD, on 1 April 1972; the Charter was
adopted by the United Nations General Assembly on 12 December 1974.

182individuelle à continuer de regarder bien au-delà de la dimension inter-

étatique — en dépit du caractère purement interétatique des procédures
contentieuses internationales pouvant être engagées devant la Cour. Ainsi,
je vais traiter certains aspects connexes auxquels j’attache une importance
particulière, à savoir: a) les impératifs de la santé humaine et du bien-

être des populations; b) le rôle de la société civile dans la protection de
l’environnement; c) le caractère objectif des obligations, au-delà de la
réciprocité; et d) la personnalité juridique internationale de la CARU
— autant d’aspects que j’examinerai successivement.

1. Les impératifs de la santé humaine et du bien-être des populations

153. Dès 1974, deux ans après l’adoption de la déclaration de Stock-
holm, la charte des droits et devoirs économiques des Etats adoptée par
les Nations Unies (à la suite d’une initiative latino-américaine 13) indi-

quait, sur le ton d’une mise en garde, que la protection et la sauve-
garde de l’environnement pour les générations actuelles et futures était
une responsabilité incombant à tous les Etats (art. 30). La référence
à la succession des générations dans le temps attestait premièrement

une prise de conscience de la dimension temporelle à long terme
et, deuxièmement, une préoccupation dépassant la dimension stric-
tement interétatique, le but étant de préserver la santé humaine et le bien-
être des peuples. Dans sa résolution 44/228 de 1989, l’Assemblée

générale, décidant de convoquer une conférence des Nations Unies sur
l’environnement et le développement à Rio de Janeiro en 1992,
affirma en fait, par exemple, que la protection et l’amélioration de

la qualité de l’environnement étaient des questions essentielles influant
sur le bien-être des populations et elle cita, entre autres questions
environnementales d’importance capitale, la «[p]rotection de la
santé humaine et [l’]amélioration de la qualité de la vie» (alinéa i)

du paragraphe 12).
154. Le droit international de l’environnement est soucieux de la santé
humaine. Dans la présente affaire des Usines de pâte à papier, les deux
Parties en litige ont évoqué cette question. En ce qui concerne les réper-

cussions sociales de l’usine de pâte à papier (l’usine Botnia), l’Argentine a
dans son mémoire évoqué le «bien-être et ... la santé des communautés
voisines» (par. 6.44-6.45), tandis que, dans sa duplique, l’Uruguay a indi-
qué qu’un suivi de l’incidence sociale de l’usine avait révélé une améliora-

tion de la «qualité de la vie» à Fray Bentos et dans les «communautés
voisines» (par. 4.40). Mais alors que, dans son contre-mémoire, l’Uru-
guay soutenait que l’usine de pâte à papier ne constituait pas une menace
pour la santé publique (par. 5.33-5.34), l’Argentine, elle, a tenté de

démontrer que l’eutrophisation du fleuve et la pollution atmosphérique

139Lancée à l’occasion de la troisième conférence des Nations Unies sur le commerce et
le développement, le 1avril 1972; la charte fut adoptée par l’Assemblée générale des
Nations Unies le 12 décembre 1974.

182health 140, and referred to incidents involving workers and other employ-
141
ees of the Botnia plant and other persons living nearby .

155. Yet, one is left with the impression that the Parties did not

advance full-fledged arguments on general issues of public health that
might be raised by the operation of the pulp mill. Arguments were
rather focused on environmental effects (water quality and ecological
balance) and aspects of impacts on life quality, such as tourism. In fact,

particular attention was devoted to the impact on tourism (tourist
activity and products) 142. One is thus further left with the impression
that considerations proper to the homo oeconomicus played here an

important role.
156. In any case, attention is to be drawn also to the points made by
the ICJ itself, in the present Judgment in the Pulp Mills case (paras. 219-

224), concerning the consultation to the affected populations. As already
pointed out in the present separate opinion, the obligation to notify and
share information with the affected populations is one which ensues from
the precautionary principle (cf. supra). This is what the Court did not

expressly state. But, in any case, attention is turned to the affected popu-
lations, beyond the strictly inter-State dimension.
157. It should not pass unnoticed that, in a recent Judgment (of

13 July 2009) — recalled in the present Judgment (para. 204) — in the
case concerning the Dispute regarding Navigational and Related Rights
(Costa Rica v. Nicaragua), the Court upheld the customary right of sub-

sistence fishing (Judgment, I.C.J. Reports 2009 , p. 266, paras. 143-144)
from the inhabitants of both banks of the San Juan River. The respon-
dent State had commendably reiterated that it had “absolutely no inten-
tion of preventing Costa Rican residents from engaging in subsistence

fishing activities” (ibid., p. 265, para. 140). After all, those who fish for
subsistence are not the States, but the human beings struck by poverty.
The Court further held that that customary right would be “subject to

any Nicaraguan regulatory measures relating to fishing adopted for
proper purposes, particularly for the protection of resources and the
environment” (ibid., p. 266, para. 141).

158. That case, like the present one, also concerned Latin American
countries. In both cases the ICJ looked beyond the strictly inter-State
dimension, into the segments of the populations concerned. The contend-

ing States, in both cases, advanced their arguments in pursuance of their
vindications, without losing sight of the human dimension underlying

140Cf. Memorial of Argentina, paras. 5.52, 5.70, 7.96 and 7.162; Reply of Argentina,
paras. 3.212 and 4.176, and Vol. III, Ann. 43, paras. 4.4.2-4.4.3; as well as CR 2009/14,
pp. 43-44, para. 14.
141Cf. Reply of Argentina, para. 0.10.
142Cf. Memorial of Argentina, paras. 6.54-6.63; Rejoinder of Uruguay, paras. 6.82-
6.87.

183présentaient des risques pour la santé humaine 140, et a évoqué des inci-

dents ayant affecté des ouvriers et d’autres employés de l’141ne Botnia
ainsi que d’autres personnes vivant dans les environs .
155. Pourtant, il semble que les Parties ne sont pas allées au bout de
leur argumentation sur les questions générales de santé publique que pou-

vait soulever l’exploitation de l’usine de pâte à papier. Elles ont focalisé
leurs arguments sur les effets environnementaux (qualité de l’eau et équi-
libre écologique) et sur certains types d’incidences sur la qualité de vie,

notamment dans le domaine du tourisme. En fait, elles se sont parti-
culièrement intéressées aux effets sur le tourisme (activités et produits
touristiques) 142, semblant ainsi faire la part belle à des considérations
propres à l’homo oeconomicus.

156. Quoi qu’il en soit, il convient de s’arrêter aussi sur ce que la Cour
a elle-même relevé, dans le présent arrêt en l’affaire des Usines de pâte à
papier (par. 219-224), au sujet de la consultation des populations tou-

chées. Comme je l’ai déjà exposé dans la présente opinion, l’obligation
d’aviser et d’informer les populations concernées découle du principe de
précaution (voir supra). La Cour ne l’a pas dit expressément. Mais, quoi
qu’il en soit, l’attention est appelée sur les populations touchées, au-delà

de la dimension strictement interétatique.
157. Il n’aura échappé à personne que, dans une décision récente (du
13 juillet 2009) — citée dans le présent arrêt (par. 204) — en l’affaire du

Différend relatif à des droits de navigation et des droits connexes (Costa
Rica c. Nicaragua), la Cour a confirmé l’existence d’un droit coutumier
de pratiquer la pêche à des fins de subsistance (arrêt, C.I.J. Recueil 2009 ,
p. 266, par. 143-144) en faveur des habitants des deux rives du fleuve San

Juan. L’Etat défendeur avait répété de façon fort louable qu’il n’avait
«nullement l’intention d’empêcher les résidents costa-riciens de se livrer à
la pêche de subsistance» (ibid., p. 265, par. 140). Après tout, ceux qui

pêchent pour vivre ne sont pas des Etats, ce sont des êtres humains
frappés par la pauvreté. La Cour a conclu en outre que ce droit coutu-
mier était «subordonné à toute mesure de réglementation en matière de
pêche que le Nicaragua pourrait prendre à des fins légitimes, notamment

pour la protection des ressources et de l’environnement» (ibid., p. 266,
par. 141).
158. Cette affaire, comme la présente instance, opposait également des

pays d’Amérique latine. Dans ces deux affaires, la Cour est sortie de la
dimension purement interétatique pour s’intéresser aux populations
concernées. Dans les deux, les Etats en litige ont avancé leurs arguments
à l’appui de leurs prétentions sans perdre de vue la dimension humaine

140Voir mémoire de l’Argentine, par. 5.52, 5.70, 7.96 et 7.162; réplique de l’Argentine,
par. 3.212 et 4.176, et vol. III, annexe 43, par. 4.4.2-4.4.3; CR 2009/14, p. 43-44, par. 14.

141Voir réplique de l’Argentine, par. 0.10.
142Voir mémoire de l’Argentine, par. 6.54-6.63; duplique de l’Uruguay, par. 6.82-6.87.

183their claims. Once again, Latin American States pleading before the ICJ

have been faithful to the already mentioned deep-rooted tradition of
Latin American international legal thinking, which has never lost sight of
the relevance of doctrinal constructions and the general principles of law.

I dare to nourish the hope that the ICJ is prepared to change its vision, to
the effect of proceeding to look with more determination beyond the
strictly inter-State dimension whilst also taking into account the relevant

legal principles, in the exercise of its function in contentious cases; after
all, in historical perspective, it should not be forgotten that the State

exists for human beings, and not vice versa.
159. Just as concern for human rights protection (e.g., rights to food
and to health) can be found in the realm of International Environmental
143
Law , concern for environmental protection can also be found
in the express recognition of the right to a healthy environment in
two human rights instruments 14. Contemporary human rights
145
protection and environmental protection thus display mutual concerns .
A reflection of this lies, e.g., in the outlook of the 1992
Rio Declaration on Environment and Development, adopted by

UNCED: it places human beings at the centre of concerns for
sustainable development, whereas the 1993 Vienna Declaration and
Programme of Action, adopted by the Second World Conference

on Human Rights, for its part, addresses inter alia sustainable
development in relation to distinct aspects of International Human
Rights Law.

160. The unequivocal recognition by UNCED in Rio de Janeiro in

1992, and by the Second World Conference on Human Rights in Vienna
in 1993, of the legitimacy of the concern of the whole international com-
munity with, respectively, environmental protection and human rights

143E.g., Preamble and Principle 1 of the 1972 Stockholm Declaration on the Human
Environment, Preamble and Principles 6 and 23 of the 1982 World Charter for Nature,
Principles 1 and 20 proposed by the World Commission on Environment and Develop-
ment in its 1987 Report.
144Namely, the 1988 Additional Protocol to the American Convention on Human
Rights in the Area of Economic, Social and Cultural Rights (Art. 11), and the 1981 Afri-
can Charter on Human and Peoples’ Rights (Art. 24); in the former, it is recognized as a

right of “everyone” (Art. 10, para. 1), to be protected by the States parties (Art. 10, para. 2),
whereas in the latter it is acknowledged as a peoples’ right.

145International human rights tribunals (such as the European and the Inter-American
Courts), as well as United Nations supervisory organs (such as the Human Rights Com-
mittee) have decided cases, in recent years, which have a direct bearing on the right to a
healthy environment in particular, and on environmental protection in general. It is
beyond the scope and purpose of the present separate opinion to dwell upon those deci-
sions; suffice it here to point out that the outlook pursued therein is an anthropocentric,
rather than cosmocentric, one.

184sous-tendant celles-ci. Une fois encore, des Etats d’Amérique latine estant

devant la Cour sont restés fidèles à la tradition, dont j’ai déjà fait men-
tion, qui est profondément ancrée dans la conception latino-américaine
du droit international, et qui consiste à ne jamais perdre de vue l’impor-

tance des acquis doctrinaux et des principes généraux de droit. J’ose espé-
rer que la Cour est prête à changer de point de vue pour s’engager plus
résolument au-delà de la dimension interétatique tout en tenant compte

des principes juridiques pertinents, lorsqu’elle exercera sa fonction conten-
tieuse; après tout, l’histoire est là pour nous rappeler que l’Etat est au

service des êtres humains, et non l’inverse.
159. De même que le souci de protéger les droits de l’homme (par
exemple, les droits à l’alimentation et à la santé) se retrouve dans le
143
domaine du droit international de l’environnement , le souci de proté-
ger l’environnement peut également se déduire de la reconnaissance
expresse, dans deux instruments relatifs aux droits de l’homme, du droit
144
à un environnement sain . Les notions modernes de protection des
droits de l’homme et de protection de l’environnement traduisent donc
des préoccupations réciproques 145. Cela ressort, par exemple, de la vision

exposée dans la déclaration de Rio de 1992 sur l’environnement et le
développement, adoptée par la conférence des Nations Unies sur l’envi-
ronnement et le développement (CNUED): cette déclaration place l’être

humain au cŒur des préoccupations liées au développement durable,
tandis que la déclaration et le programme d’action de Vienne de 1993,
adoptés par la deuxième conférence mondiale sur les droits de l’homme,

traitent notamment le développement durable sous l’angle de diffé-
rents aspects du droit international des droits de l’homme.
160. Le fait que la CNUED et la deuxième conférence mondiale sur les

droits de l’homme aient reconnu de façon dénuée d’équivoque, l’une dans
la déclaration de Rio de Janeiro de 1992 et l’autre à Vienne en 1993, la
légitimité du souci, nourri par la communauté internationale tout entière,

143Voir, par exemple, le préambule et le principe 1 de la déclaration de Stockholm sur
l’environnement de 1972, le préambule et les principes 6 et 23 de la charte mondiale de
la nature de 1982, et les principes 1 et 20 proposés par la commission mondiale de
l’environnement et du développement dans son rapport de 1987.
144A savoir le protocole additionnel de 1988 à la convention américaine relative aux
droits de l’homme traitant des droits économiques, sociaux et culturels (art. 11), et la
charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981 (art. 24); dans le protocole,

ce droit est reconnu comme un droit de «toute personne» (art. 10, par. 1), qui doit être
protégé par les Etats parties (art. 10, par. 2), tandis que, dans la charte africaine, il est
reconnu comme un droit des peuples.
145Les juridictions internationales chargées de défendre les droits de l’homme (telles
que les cours européenne et interaméricaine) ainsi que les organes de surveillance de
l’Organisation des Nations Unies (comme le Comité des droits de l’homme) ont, ces der-
nières années, statué sur des affaires touchant directement le droit à un environnement
sain en particulier, et la protection de l’environnement d’une manière générale. Ce serait
excéder l’objet et le but que je me suis fixés dans la présente opinion individuelle que de
m’étendre sur ces décisions; je me bornerai ici à relever que celles-ci reposent sur une
démarche anthropocentrique, et non cosmocentrique.

184protection, constitutes one of the main legacies of those two World

Conferences (of which I keep the best memories, engaged as I was in
the work of both), which will certainly accelerate the construction
of a universal culture of respect for human rights and care for the

environment. That international law is no longer exclusively State-
oriented can be seen from reiterated references to humankind, not only
in extensive doctrinal writings in our days, but also and significantly
146
in various international instruments , possibly pointing towards
an international law for mankind, pursuing preservation of the
environment and sustainable development to the benefit of present

and future generations. This calls for a reconsideration of the basic
postulates of international law bearing in mind the superior common
interests and concerns of humankind.

161. It may here be recalled that, already almost four decades ago,

the need to look beyond the inter-State dimension was asserted by
the complainants before this Court, in a case where it was felt
that human health and the well-being of peoples were seriously at risk.

In its Application instituting proceedings (of 9 May 1973), in the
aforementioned (first) Nuclear Tests case (atmospheric testing),
Australia contended that it purported to protect its people and

the peoples of other nations, and their descendants, from the threat
to life, health and well-being arising from potentially harmful radia-
tion derived from radio-active fall-out generated by nuclear explo-

146Thus, the notion of cultural heritage of mankind can be found, e.g., in the UNESCO
Conventions for the Protection of Cultural Property in the Event of Armed Conflict
(1954), for the Protection of the World Cultural and Natural Heritage (1972), and for the
Safeguarding of the Intangible Cultural Heritage (2003). The notion of common heritage
of mankind, for its part, has found expression in the realms of the Law of the Sea (1982
United Nations Convention on the Law of the Sea, Part XI, especially Articles 136-145

and 311 (6); 1970 United Nations Declaration of Principles Governing the Sea-Bed and
Ocean Floor, and the Subsoil Thereof, Beyond the Limits of National Jurisdiction) and of
the Law of Outer Space (1979 Treaty Governing the Activities of States on the Moon and
Other Celestial Bodies, Article 11; and cf. 1967 Treaty on Principles Governing the
Activities of States in the Exploration and Use of Outer Space, Including the Moon and
Other Celestial Bodies, Article I). Common heritage of mankind has also found expression
in the 2005 UNESCO Convention on the Protection and Promotion of the Diversity of
Cultural Expressions. And the notion of common concern of humankind , in turn, has
found expression in the realm of International Environmental Law, e.g., in the preambles
of the United Nations Framework Convention on Climate Change (1992) and the Con-
vention on Biological Diversity (1992). On the reasons for the adoption of this new
notion, cf. UNEP, The Meeting of the Group of Legal Experts to Examine the Concept of
the Common Concern of Mankind in Relation to Global Environmental Issues (D. J.
Attard, ed. — Proceedings of the Malta Meeting of December 1990), Malta/Nairobi,
UNEP, 1991, Report of the Proceedings , pp. 19-26 (co-rapporteurs A. A. Cançado Trin-
dade and D. J. Attard).

185de protéger l’environnement et les droits de l’homme constitue l’un des

principaux acquis hérités de ces deux conférences mondiales (dont je
garde un excellent souvenir, ayant participé aux deux), qui favorisera
assurément l’avènement d’une culture universelle fondée sur le

respect des droits de l’homme et sur le souci de l’environnement. Les réfé-
rences répétées à l’humanité, non seulement dans de longs ouvrages
de doctrine modernes mais aussi, et surtout, dans divers instru-
146
ments internationaux , montrent que le droit international n’est plus
exclusivement axé sur l’Etat et annoncent peut-être l’émergence d’un
droit international pour l’humanité, qui viserait à préserver l’environ-

nement et à assurer le développement durable au bénéfice des généra-
tions actuelles et futures. Il est donc temps de repenser les postulats
fondamentaux du droit international en tenant compte des intérêts

et soucis communs de l’humanité, qui revêtent une importance
supérieure.
161. Il est permis de rappeler ici que, il y a près de quarante ans, dans

une affaire en laquelle de graves craintes étaient exprimées pour la santé
humaine et pour le bien-être des populations, les demandeurs insistèrent
devant la Cour sur cette nécessité de dépasser la dimension interétatique.

Dans sa requête introductive d’instance (du 9 mai 1973) en l’affaire des
Essais nucléaires (la première, mentionnée plus haut, concernant les
essais atmosphériques), l’Australie déclara vouloir protéger sa population

et celle d’autres nations, ainsi que leurs descendants, contre les risques
que faisaient peser sur leur vie, leur santé et leur bien-être des radiations
potentiellement nocives engendrées par les retombées radioactives de cer-

146Ainsi, la notion de patrimoine culturel de l’humanité se retrouve, par exemple, dans
les conventions de l’Unesco pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé
(1954), pour la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel (1972), et pour la
sauvegarde du patrimoine culturel immatériel (2003). La notion de patrimoine commun de
l’humanité, quant à elle, a été exprimée dans le domaine du droit de la mer (convention
des Nations Unies de 1982 sur le droit de la mer, partie XI et, en particulier, art. 136-145

et 311, al. 6); déclaration des principes régissant le fonds des mers et des océans, ainsi que
leur sous-sol, au-delà des limites de la juridiction nationale, adoptée par les Nations Unies
en 1970) et dans le domaine du droit relatif à l’espace extra-atmosphérique (traité de 1979
régissant les activités des Etats sur la Lune et les autres corps célestes, art. 11; voir aussi
le traité de 1967 sur les principes régissant les activités des Etats en matière d’exploration
et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps
célestes, article premier). Le patrimoine commun de l’humanité se retrouve également dans
la convention de l’Unesco de 2005 sur la protection et la promotion de la diversité des
expressions culturelles. Enfin, la notion d’intérêt commun de l’humanité a, pour sa part,
été exprimée dans le domaine du droit international de l’environnement, par exemple dans
les préambules de la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques
(1992) et de la convention sur la diversité biologique (1992). Quant aux raisons de l’adop-
tion de cette nouvelle notion, voir Programme des Nations Unies pour l’environnement,
The Meeting of the Group of Legal Experts to Examine the Concept of the Common Con-
cern of Mankind in Relation to Global Environmental Issues(D. J. Attard, dir. publ.
— Proceedings of the Malta Meeting of December 1990), Malte/Nairobi, PNUE, 1991,

Report of the Proceedings , p. 19-26 (corapporteurs A. A. Cançado Trindade et
D. J. Attard).

185sions 14. New Zealand, for its part, went even further in its own

Application instituting proceedings (also of 9 May 1973): it stated
that

“In the period of 27 years in which nuclear tests have taken place
there has been a progressive realization of the dangers which they

present to life, to health and to the security of peoples and nations
everywhere . . . [t]he attitude of the world community towards
atmospheric nuclear testing has sprung from the hazards to the

health of present and future generations involved in the dispersal
over wide areas of the globe of radioactive fallout . . . With regard to
nuclear weapons tests that give rise to radioactive fallout, world
opinion has repeatedly rejected the notion that any nation has the

right to pursue its security in a manner that puts at risk the health
and welfare of other people.” 148

162. New Zealand made clear that it was pleading on behalf not only
of its own people, but also of the peoples of the Cook Islands, Niue and
149
the Tokelau Islands . Thus, looking beyond the strict confines of the
purely inter-State contentieux before the ICJ, both New Zealand and
Australia vindicated the rights of peoples to health, to well-being, to be

free from anxiety and fear, in sum, to live in peace.

163. Years later, in its Application instituting proceedings (of

13 May 1989) and in its Memorial in the case concerning Certain Phos-
phate Lands in Nauru (Nauru v. Australia), Nauru complained before
the ICJ that, in the past, the Administering Authority had conducted

mining operations in the phosphate lands on the island with a “profit-
making mentality”, without providing Nauruans independent advice until
1964. It had thus failed to look after “the long-term needs of the Nau-

ruan people”, and to restore the island for habitation by the Nauruan
people by rehabilitating its phosphate lands. Now that the trusteeship
period was over (without a sense of real public accountability), Nauru
came to vindicate the satisfaction of the “long-term needs” of its inhab-

itants, and the restoration of the island (by means of the rehabilitation of
its phosphate lands) so as “to ensure the long-term future of the Nauruan
people” 15.

164. The episode reveals the awareness that the well-being of peoples
is not devoid of a temporal dimension. Quite on the contrary, it has even

147
It further referred to the populations being subjected to mental stress and anxiety
generated by fear; I.C.J. Pleadings, Nuclear Tests cases (Australia v. France), Vol. I,
pp1481 and 14.
149I.C.J. Pleadings, Nuclear Tests (New Zealand v. France), Vol. II, p. 7.
Ibid., pp. 4 and 8.
150I.C.J. Pleadings, Certain Phosphate Lands in Nauru (Nauru v. Australia), Vol. I,
pp. 10-11, 17, 170, 174, 245 and 247.

186taines explosions nucléaires 147. La Nouvelle-Zélande, elle, alla encore

plus loin dans sa propre requête introductive d’instance (également datée
du 9 mai 1973):

«Durant les 27 années lors desquelles des essais nucléaires ont eu
lieu, il a été progressivement pris conscience des risques que ceux-ci

présentaient pour la vie, la santé et la sécurité des peuples et des
nations du monde entier ... L’attitude de la communauté internatio-
nale envers les essais nucléaires atmosphériques découle des dangers

que pose pour la santé des générations actuelles et futures la dissé-
mination de particules radioactives sur de vastes parties de la
planète ... En ce qui concerne les essais d’armes nucléaires engen-
drant des retombées radioactives, l’opinion mondiale a souvent rejeté

l’idée qu’une nation puisse rechercher sa sécurité d’une manière met-
tant en péril la santé et le bien-être d’autres peuples.» 148

162. La Nouvelle-Zélande avait bien précisé qu’elle plaidait non seu-
lement pour son propre peuple, mais aussi pour les populations des îles
149
Cook, Nioué et Tokélaou . Ainsi, regardant au-delà des limites strictes
imposées par le caractère purement interétatique de la fonction conten-
tieuse de la Cour, la Nouvelle-Zélande et l’Australie ont l’une et l’autre

défendu les droits des peuples à la santé, au bien-être, à une vie sans
anxiété ni peur, soit, somme toute, à une vie paisible.
163. Des années plus tard, dans sa requête introductive d’instance (du

13 mai 1989) et dans son mémoire en l’affaire de Certaines terres à phos-
phates à Nauru (Nauru c. Australie) , Nauru se plaignit devant la Cour
de ce que, par le passé, l’autorité administrante avait mené dans les terres

à phosphates de l’île des opérations minières à «visées lucratives», sans
conseiller les Nauruans de manière indépendante jusqu’en 1964. Cette
autorité ne s’était donc pas préoccupée des «besoins à long terme de la

population nauruane», et n’avait pas fait en sorte que l’île fût à nouveau
habitable par les Nauruans en remettant en état ses terres à phosphates.
La période de tutelle étant terminée (sans que l’autorité concernée assume
réellement ses responsabilités vis-à-vis du public), Nauru vint défendre les

«besoins à long terme» de ses habitants et la remise en état de l’île (c’est-
à-dire de ses terres à phosphates) afin «d’assurer l’avenir à long terme du
peuple nauruan» 15.

164. Cet épisode révèle qu’il était déjà clair dans les esprits que le bien-
être des peuples n’était pas limité dans le temps. Bien au contraire, il

147
Elle se référa également aux populations souffrant de stress psychologique et
d’anxiété à cause de la peur engendrée par ces essais; C.I.J. Mémoires, Essais nucléaires
(A148ralie c. France), vol. I, p. 11 et 14.
149C.I.J. Mémoires, Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France) , vol. II, p. 7.
Ibid.,p.4et8.
150C.I.J. Mémoires, Certaines terres à phosphates à Nauru (Nauru c. Australie) , vol. I,
p. 10-11, 17, 170, 174, 245 et 247.

186a long-term temporal dimension, as illustrated by the case concerning

Certain Phosphate Lands in Nauru . A combination of factors contributes
nowadays to such widespread awareness, namely, the emergence of the
principles of prevention and of precaution, as well as the principle of sus-

tainable development, together with inter-generational equity, as already
examined (cf. supra). International Environmental Law, crystallized in
the light of those general principles, duly values sustainable productiv-
151
ity , with due attention to the imperatives of human health and the
well-being of peoples.

2. The Role of Civil Society in Environmental Protection

165. In the cas d’espèce,o fte Pulp Mills, Argentina identified the
origin of the present inter-State contentieux against Uruguay in the fact

that “on 9 October 2003 the Government of Uruguay unilaterally
authorized” the construction of one of the two pulp mills (Spanish
company ENCE, project CMB) near the city of Fray Bentos, without

the required “prior notification and consultation” under the 1975 Statute
of the River Uruguay 152. In October 2004 the inter-State dispute was
“aggravated” when the Finnish company Botnia “informed the

Uruguayan authorities of its plans to construct a second pulp mill in the
same area on the left bank of the River Uruguay, less than 7 km from
CMB, to be called ‘Orion’” 153. Yet, beyond the inter-State optics, the

real origin of the case goes further back in time, as a result of an initiative
of an Argentine non-governmental organization (NGO) taken on
14 December 2001.

166. In fact, in its Counter-Memorial, Uruguay noted that CARU was
informed of the commissioning of the ENCE plant in its plenary meeting

of 14 December 2001, when it considered “a letter from a local non-
governmental organization in Argentina expressing concern about reports
that a cellulose plant would be built in the vicinity of Fray Bentos”
(para. 3.16). This NGO was called “Movement for Life, Work and Sus-

tainable Development” (Movimiento por la Vida, el Trabajo y un Desarrollo
Sustentable — MOVITDES); the NGO’s letter to CARU, dated 16 Novem-
ber 2001, appended to the Counter-Memorial of Uruguay , expounded4

on “the environmental risk posed by the installation and operation of a

151Cf., to this effect, H. Hohmann, Precautionary Legal Duties and Principles of

Modern International Environmental Law — The Precautionary Principle: International
Environmental Law between Exploitation and Protection , London/Dordrecht, Graham
& 152tman/Nijhoff, 1994, pp. 4, 334, 340-341 and 344-345.
Pulp Mills on the River Uruguay (Argentina v. Uruguay), Application instituting
pr153edings of 4 May 2006, para. 9.
Ibid., para. 12.
154Counter-Memorial of Uruguay, Vol. IV, Ann. 92, p. 2185 (Comisión Administradora del
Rio Uruguay [CARU], Acta No. 14/01, Reunión Plenaria Ordinaria, of 14 December 2001).

187s’inscrit même dans le long terme, comme l’illustre l’affaire relative à

Certaines terres à phosphates à Nauru . Cette perception générale découle
aujourd’hui d’un ensemble de facteurs, à savoir l’émergence des principes
de prévention et de précaution, auxquels s’ajoutent le principe du déve-

loppement durable et l’équité intergénérationnelle, que j’ai déjà examinés
(voir supra). Le droit international de l’environnement, qui s’est cristal-
lisé à la lumière de ces principes généraux, valorise pleinement la notion
151
de productivité durable , en prêtant l’attention voulue aux impératifs
liés à la santé humaine et au bien-être des populations.

2. Le rôle de la société civile dans la protection de l’environnement

165. Dans la présente affaire desUsines de pâte à papier, l’Argentine a
indiqué que son contentieux interétatique avec l’Uruguay avait vu le jour
lorsque, «[l]e 9 octobre 2003, le Gouvernement de l’Uruguay a[vait] auto-

risé de manière unilatérale» la construction de l’une des deux usines de
pâte à papier (par l’entreprise espagnole ENCE, projet CMB) près de la
localité de Fray Bentos, sans respecter la «procédure d’information et de

consultation préalables» prescrite par le statut du fleuve Uruguay de
1975 152. En octobre 2004, ce différend entre Etats s’est «aggravé» lorsque
l’entreprise finlandaise Botnia «a communiqué aux autorités uruguayen-

nes son projet de construction d’une deuxième usine de pâte à papier dans
la même zone de la rive gauche du fleuve Uruguay, à une distance de
moins de 7 kilomètres de CMB, dénommé «Orion»» . Pourtant, 153

lorsqu’on regarde au-delà de la perspective interétatique, l’affaire se révèle
bien plus ancienne, remontant à une initiative prise le 14 décembre 2001
par une organisation non gouvernementale (ONG) argentine.

166. En fait, dans son contre-mémoire, l’Uruguay a noté que la CARU
avait été informée de la mise en service de l’usine ENCE à sa séance plé-
nière du 14 décembre 2001, lorsqu’elle avait pris connaissance d’«une lettre

d’une organisation non gouvernementale établie en Argentine dans laquelle
étaient exprimées des préoccupations au sujet d’informations indiquant

qu’une usine de cellulose allait être construite dans les environs de Fray
Bentos» (par. 3.16). Cette ONG s’appelait «Mouvement pour la vie, le tra-
vail et le développement durable» M ( ovimiento por la Vida, el Trabajo y

un Desarrollo Sustentable — MOVITDES); dans sa lettre à la CARU, 154
datée du 16 novembre 2001 et annexée au contre-mémoire de l’Uruguay ,

151
Voir, en ce sens, H. Hohmann, Precautionary Legal Duties and Principles of
Modern International Environmental Law — The Precautionary Principle: International
Environmental Law between Exploitation and Protection , Londres/Dordrecht, Graham
& Trotman/Nijhoff, 1994, p. 4, 334, 340-341 et 344-345.
152Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay) , requête intro-
ductive d’instance du 4 mai 2006, par. 9.
153Ibid., par. 12.
154Contre-mémoire de l’Uruguay, vol. IV, annexe 92, p. 2185 (procès-verbal de la
CARU n o 14/01, séance plénière ordinaire du 14 décembre 2001).

187cellulose paste plant in the area of M’Bopicuá”, in Uruguay . In this155

respect, Argentina, in its Reply, pointed to the “quite indirect way in which
CARU became aware of the existence of the pulp mill projects in the Fray
Bentos region”, since it was “an Argentine NGO from the Entre Ríos

province that drew CARU’s attention to rumours about pulp mills being
built on the opposite bank” (para. 2.33).

167. Thus, in the real origin of the present case, opposing Argentina to

Uruguay, we find, by the end of 2001, a non-State entity, an Argentine
NGO, expressing its concern to an international entity, CARU, on a
matter of considerable public interest, affecting the local population,

such as the alleged risks for the environment. The Governments of the
two States concerned only stepped in two years later, when the dispute
became an inter-State case, from October 2003 onwards (supra). This

shows, to my perception, the artificiality of the purely inter-State out-
look, when it comes to face challenges of general public interest, such as
those concerning environmental protection.

168. In any case, in its Reply, Argentina took note of the role that
NGOs can play in the fulfilment of the principle of environmental impact

assessment (EIA), of which “public consultation is an integral part”
(para. 4.105). In this connection, Argentina noted that in order to hold
“meaningful consultations with the population concerned”, it was neces-
156
sary to have NGOs involved in the process . During the procedure
before the Court in the present case of the Pulp Mills, at distinct moments
both Argentina and Uruguay referred to the role of NGOs in environ-
157 158
mental impact assessment as well as environmental monitoring .It
is, in my view, much to the credit of both Uruguay and Argentina to have
done so, thus expressly acknowledging the ineluctable partnership

between public power and entities of the civil society when it comes to
matters of general public interest, such as environmental protection.

169. This is what has happened in the present case of the Pulp Mills.
As time went on, a number of Argentine and Uruguayan NGOs indeed

155Counter-Memorial of Uruguay, Vol. IV, Ann. 92, p. 2185 (Comisión Administra-

dora del Rio Uruguay [CARU], Acta No. 14/01, Reunión Plenaria Ordinaria, of 14 Decem-
be156001), p. 2185.
It further referred to the practice of the World Bank, in particular the Investigation
Report of the Inspection Panel in Paraguay: Reform Project for the Water and Telecom-
munications Sectors, wherein it was stated that the policy on EIA required that “the views
of the affected people and local NGOs [be] taken fully into account in particular while
preparing the EIA” (para. 4.102, note 1030). Cf. also Memorial of Argentina, para. 4.104,
note 1036.
157Cf. Memorial of Argentina, para. 5.62; Counter-Memorial of Uruguay, paras. 5.41
and 7.28.
158 Cf. Counter-Memorial of Uruguay, paras. 7.28-7.29.

188l’ONG exposait «le risque environnemental lié à l’installation et à l’exploi-

tation d’une usine de pâte de cellulose dans la région de M’Bopicuá», en
Uruguay 155. A ce sujet, l’Argentine a mis l’accent dans sa réplique sur la
«manière tout à fait indirecte dont la CARU a[vait] pris connaissance de

l’existence des projets d’usine de pâte à papier dans la région de Fray Ben-
tos», puisque c’était «une ONG argentine de la province d’Entre Ríos qui
a[vait] attiré l’attention de la CARU sur des rumeurs concernant l’établis-

sement des usines de pâte à papier sur la rive opposée» (par. 2.33).
167. Partant, l’origine réelle de la présente affaire, qui oppose l’Argen-

tine et l’Uruguay, remonte à la fin 2001, lorsqu’une entité non étatique,
une ONG argentine, a fait part de ses craintes à un organe international,
la CARU, en appelant son attention sur une question d’intérêt public

d’importance considérable touchant la population locale, notamment les
risques pour l’environnement. Les gouvernements des deux Etats concer-
nés ne sont entrés en jeu que deux ans plus tard, à partir d’octobre 2003,

lorsque le différend est devenu une affaire interétatique (supra). Cela
montre, selon moi, combien la conception purement interétatique est arti-
ficielle lorsqu’il s’agit de faire face à des gageures touchant l’intérêt public

général, comme celles qui concernent la protection de l’environnement.
168. Quoi qu’il en soit, dans sa réplique, l’Argentine a pris note du
rôle que les ONG pouvaient jouer dans la mise en Œuvre du principe de

l’évaluation de l’impact sur l’environnement (EIE), dont «la consultation
du public est partie intégrante» (par. 4.105). L’Argentine a relevé à cet
égard que, pour tenir de «véritables consultations avec la population
156
concernée», les ONG devaient prendre part au processus . Au cours de
la procédure qui s’est déroulée devant la Cour dans la présente affaire des
Usines de pâte à papier, l’Argentine et l’Uruguay ont tous deux évoqué à

différents moments le rôle des ONG dans l’évaluation de l’impact sur
l’environnement 157 ainsi que dans le cadre de la surveillance de l’environ-
nement 158. Je m’en félicite, puisqu’ils ont ainsi reconnu expressément l’un

et l’autre qu’un partenariat entre pouvoirs publics et acteurs de la société
civile était incontournable lorsqu’il s’agissait de l’intérêt public général, et

notamment de protéger l’environnement.
169. Ce partenariat a bel et bien existé dans la présente affaire des
Usines de pâte à papier. Au fil du temps, plusieurs ONG argentines et

155Contre-mémoire de l’Uruguay, vol. IV, annexe 92, p. 2185 (procès-verbal de la
o
CARU n 14/01, séance plénière ordinaire du 14 décembre 2001).
156
Elle s’est aussi référée à la pratique de la Banque mondiale et, en particulier, au rapport
d’enquête du groupe d’inspection au Paraguay, intitulé «Paraguay: projet de réforme dans les
secteurs de l’eau et des télécommunications», dans lequel il était indiqué que la politique rela-
tive à l’EIE exigeait que «les vues des personnes touchées et des ONG locales [soient] pleine-
ment prises en considération, en particulier au stade de l’élaboration de l’EIE» (par. 4.102,
note 1030). Voir aussi mémoire de l’Argentine, par. 4.104, note 1036.
157Voir mémoire de l’Argentine, par. 5.62; contre-mémoire de l’Uruguay, par. 5.41 et
7.28.
158Voir contre-mémoire de l’Uruguay, par. 7.28-7.29.

188made observations regarding the two projected pulp mills, the CMB and

the Orion projects (supra): those included files with documents from,
besides the already mentioned MOVITDES, the Redes Amigos de la
Tierra, the Fundación Movimiento Mundial por los Bosques Tropicales ,
the Asociación Soriano para la Defensa de los Recursos Naturales , the
Grupo Ecológico de Young , the Grupo Guayubira (Forest and Forestry
159
Environmental Group), and the Redes Socioambientales de Entre Ríos .
This is a fact, which should not pass unnoticed, and well-documented in
the materials submitted to the ICJ by the contending Parties in the writ-
ten phase of the procedure. The Governments concerned counted on the

co-operation provided by entities of the civil society of the two respective
countries, Uruguay and Argentina.

170. It follows, from the aforementioned episode, that NGOs from the

two States concerned contributed effectively to the elucidation of the
matter under contention in the present case of the Pulp Mills. And, in
addition, as already pointed out, they marked presence in the process of
consultation to the local population (cf. supra). Thus, in so far as the

construction of one of the two pulp mills — that of Orion (Botnia) — is
concerned, public consultations of segments of the affected populations
(in the form also of numerous interviews, including with NGOs and other
civil society groups) were undertaken, both before and after the granting

of the initial environmental authorization, on both sides of the River
Uruguay — and this has been taken note of, by the Court, in the present
Judgment (paras. 213-214).
171. The fact that NGOs and other entities of civil society have
marked their presence in the very origins and in the course of the present

Pulp Mills case, is in my view yet another confirmation that, in the
present domain of protection, NGOs and other entities of the civil society
have, in the last decades, indeed contributed to awaken the environmen-
tal awareness also of States themselves, to crystallize the principles of

prevention and of precaution, and to shape the opinio juris communis as
to environmental protection. This is a domain which surely transcends
the traditional inter-State dimension. And States have benefitted from
such contribution of NGOs and other entities of civil society, to the ulti-

mate benefit of their populations.

3. Beyond Reciprocity: Obligations of an Objective Character

172. The evolution of environmental protection likewise bears witness
of the emergence of obligations of an objective character without recip-
rocal advantages for States. The 1972 Stockholm Declaration on the

Human Environment expressly refers to the “common good of mankind”
(Principle 18). The 1992 Rio Declaration on Environment and Develop-

159Cf. Memorial of Argentina, Vol. V, Ann. 12, p. 704; and Counter-Memorial of
Uruguay, Vol. II, Ann. 12, p. 1.

189uruguayennes ont effectivement formulé des observations au sujet des

deux projets d’usine de pâte à papier, les projets CMB et Orion (supra):
se sont notamment exprimées, documents à l’appui, en sus de l’organisa-
tion MOVITDES dont j’ai déjà parlé, les ONG dénommées Redes Ami-
gos de la Tierra, Fundación Movimiento Mundial por los Bosques Tropi-
cales, Asociación Soriano para la Defensa de los Recursos Naturales ,

Grupo Ecológico de Young , Grupo Guayubira (groupe environnemental
actif dans le domaine des forêts et de la foresterie) et Redes Socioambien-
tales de Entre Ríos 159. C’est là un fait qui ne devrait pas passer inaperçu
et qui est bien établi dans les éléments que les Parties en litige ont soumis

à la Cour lors de la phase écrite de l’instance. Les gouvernements concer-
nés ont pu compter sur la coopération des acteurs de la société civile de
leurs deux pays, l’Uruguay et l’Argentine.
170. De l’épisode qui précède, il s’ensuit que les ONG des deux Etats

concernés ont effectivement contribué à éclaircir la question en litige dans
la présente affaire des Usines de pâte à papier. En outre, ainsi qu’exposé
plus haut, elles ont manifesté leur présence au cours du processus de
consultation mené auprès de la population locale (voir supra). Donc,

pour ce qui est de la construction de l’une des deux usines de pâte à
papier — l’usine Orion (Botnia) —, il y a bien eu consultation publique
de segments des populations touchées (également sous la forme de nom-
breux entretiens menés notamment avec des ONG et d’autres groupes de

la société civile), tant avant qu’après la délivrance de l’autorisation envi-
ronnementale préalable, et des deux côtés du fleuve Uruguay — ce dont
la Cour a d’ailleurs pris note dans le présent arrêt (par. 213-214).
171. Le fait que des ONG et d’autres acteurs de la société civile se
soient exprimés dès les origines mêmes de l’affaire et par la suite confirme

encore à mes yeux que, dans le domaine qui nous occupe — la protection
de l’environnement —, les ONG et autres entités de la société civile ont,
ces dernières décennies, véritablement contribué à éveiller la prise de
conscience environnementale des Etats eux-mêmes, à cristalliser les prin-

cipes de prévention et de précaution, et à façonner l’opinio juris commu-
nis relative à la protection de l’environnement. Il s’agit là d’un domaine
qui transcende assurément la dimension interétatique traditionnelle. Leur
contribution a bénéficié aux Etats et, en définitive, aux populations de ces

derniers.

3. Au-delà de la réciprocité: les obligations à caractère objectif

172. L’évolution de la protection de l’environnement témoigne aussi
de l’émergence d’obligations objectives ne présentant pas d’avantages
réciproques pour les Etats. Ainsi, dans la déclaration de Stockholm sur

l’environnement de 1972, il est fait expressément référence au «bien de
l’humanité» (principe 18). La déclaration de Rio sur l’environnement et

159Voir mémoire de l’Argentine, vol. V, annexe 12, p. 704; contre-mémoire de
l’Uruguay, vol. II, annexe 12, p. 1.

189ment begins by asserting that “[h]uman beings are at the centre of con-

cerns for sustainable development” (Principle 1), whilst the United
Nations Framework Convention on Climate Change, also adopted in
Rio de Janeiro in 1992, states that the duty to protect the climate system

is to “the benefit of present and future generations of humankind” (Arti-
cle 3 (1)).
173. Rules on the protection of the environment are adopted, and
obligations to that effect are undertaken, in the common superior interest

of humankind. This has been expressly acknowledged in some treaties in
the field of the environment 160; it is further implicit in references to
“human health” in some environmental law treaties 161. Furthermore, the

1997 United Nations Convention on the Law of Non-Navigational Uses
of International Watercourses, e.g., foresees the need for watercourse
States to “consult with a view to negotiating in good faith” watercourse

agreements (Article 3 (5)). In several environmental law treaties, the obli-
gations of States parties are clearly set forth in mandatory terms (verb
“shall”). One example, among many others, is afforded by the 1991 ECE
Espoo Convention on Environmental Impact Assessment in a

Transboundary Context (Article 2-7). In the 1975 Statute of the River
Uruguay, applicable in the present case of the Pulp Mills, the same
mandatory language appears (verb “shall”) in relation to procedural

obligations (Articles 7-8 and 10-12) as well as substantive obligations
(Article 36); and Articles 35 and 41, also covering substantive obli-
gations, lay down, likewise, clear commitments on the part of the

States parties (verb “undertake”).

174. In domains of protection, such as that of the environment, it is

the objective character of obligations that ultimately matters. There can-
not be here much space for laisser faire, laisser passer . I am not really
entirely convinced of any presumed ontological distinction between pro-

cedural and substantive obligations (remindful of the sterile and endless
polemics between lawyers schooled in procedural and substantive

160
E.g., preambles of the 1971 Treaty on the Prohibition of the Emplacement of
Nuclear Weapons and Other Weapons of Mass Destruction on the Sea-bed and the Ocean
Floor and in the Subsoil Thereof; the 1972 Convention on the Prohibition of the Develop-
ment, Production and Stockpiling of Bacteriological (Biological) and Toxin Weapons and
on Their Destruction; the 1977 Convention on the Prohibition of Military or Any Other
Hostile Use of Environmental Modification Techniques; the 1972 Convention on the Pre-
vention of Marine Pollution by Dumping of Wastes and Other Matter; the 1974 Convention
for the Prevention of Marine Pollution from Land-Based Sources; the 1972 Convention
for the Prevention of Marine Pollution by Dumping from Ships and Aircraft; the
1972 UNESCO Convention for the Protection of the World Cultural and Natural Herit-
age.
161E.g., the 1985 Vienna Convention for the Protection of the Ozone Layer, preamble
and Article 2; the 1987 Montreal Protocol on Substances that Deplete the Ozone Layer,
preamble; Article 1 of the three aforementioned marine pollution Conventions.

190le développement de 1992, elle, débute en précisant que «[l]es êtres

humains sont au centre des préoccupations relatives au développement
durable» (principe 1), tandis que la convention-cadre des Nations Unies
sur les changements climatiques, également adoptée à Rio de Janeiro en

1992, indique que l’obligation de protéger le système climatique est dans
«l’intérêt des générations présentes et futures» (art. 3, par. 1).
173. Les règles visant à protéger l’environnement sont adoptées, et les

obligations en ce sens contractées, dans l’intérêt supérieur de l’humanité
tout entière. Cela a été expressément reconnu dans certains traités consacrés
à l’environnement 160; cette reconnaissance ressort aussi implicitement des

références à la «santé humai161 figurant dans certains traités concernant le
droit de l’environnement . De plus, la convention des Nations Unies de
1997 sur le droit relatif aux utilisations des cours d’eau internationaux à des
fins autres que la navigation, par exemple, prévoit que les Etats riverains

«se consultent en vue de négocier de bonne foi» les accords concernant leur
cours d’eau commun (art. 3, par. 5). Dans plusieurs traités relatifs au droit
de l’environnement, les obligations des Etats parties sont clairement formu-

lées en termes impératifs (par l’utilisation du présent injonctif). Un exemple,
parmi tant d’autres, est celui de la convention d’Espoo adoptée en 1991 par
la Commission économique pour l’Europe sur l’évaluation de l’impact sur

l’environnement dans un contexte transfrontière (art. 2 à 7). Dans le statut
du fleuve Uruguay de 1975 — l’instrument applicable dans la présente
affaire des Usines de pâte à papier —, le même langage impératif apparaît

(présent injonctif) au sujet des obligations procédurales (art. 7 et 8 et 10
à 12) ainsi que pour les obligations de fond (art. 36); les articles 35 et 41,
également consacrés à des obligations de fond, énoncent de même des obli-

gations claires à la charge des Etats parties (verbe «s’obligent»).
174. Dans le domaine de la protection, par exemple de l’environne-
ment, c’est le caractère objectif des obligations qui importe en définitive.

Il n’y a guère de place ici pour le «laisser faire, laisser passer». Je ne suis
pas vraiment convaincu par la distinction ontologique que d’aucuns pré-
tendent voir entre les obligations procédurales et les obligations de fond
(ce qui me rappelle les polémiques stériles et interminables ayant opposé

160Voir, par exemple, les préambules du traité interdisant de placer des armes nucléaires
et d’autres armes de destruction massive sur le fond des mers et des océans ainsi que dans
leur sous-sol; de la convention de 1972 sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrica-
tion et du stockage des armes bactériologiques (biologiques) ou à toxines et sur leur
destruction; de la convention de 1977 sur l’interdiction d’utiliser des techniques de modi-
fication de l’environnement à des fins militaires ou toutes autres fins hostiles; de la con-
vention de 1972 sur la prévention de la pollution des mers résultant de l’immersion de

déchets et autres matières; de la convention de 1974 pour la prévention de la pollution
marine d’origine tellurique; de la convention de 1972 pour la prévention de la pollution
marine par les opérations d’immersion effectuées par les navires et aéronefs; et de la con-
ve161on de l’Unesco de 1972 pour la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel.
Voir, par exemple, la convention de Vienne de 1985 pour la protection de la couche
d’ozone, préambule et article 2; le protocole de Montréal de 1987 relatif à des substances
qui appauvrissent la couche d’ozone, préambule; et l’article premier des trois conventions
relatives à la pollution marine susmentionnées.

190branches of the law); more often that one realizes, la forme conforme le

fond. Nor am I persuaded by the need to resort to the unsatisfactory dis-
tinction between obligations of conduct and of result, particularly in
domains of protection, such as that of the environment. In the present

Judgment in the Pulp Mills case, the Court has at least admitted that
there is a “functional link” between procedural and substantive obliga-
tions under the 1975 Statute of the River Uruguay, in regard to preven-

tion (para. 79).

175. For the appreciation of the objective character of obligations in a
domain of protection such as that of International Environmental Law,
one needs, again, to turn attention to the relevance of principles of law.

Unfortunately, the Court has not done so in the present Judgment. For
example, when it briefly invokes, in passim, the principle of good faith (in
relation to the operation of the mechanism of co-operation under the

1975 Statute, para. 145), it immediately links its brief invocation of that
principle to customary international law, as if general principles were
subsumed under this latter. They are not. On the contrary, in my concep-

tion those principles orient the evolution of both customary and conven-
tional international law.
176. In effect, the principle of good faith in the compliance with

international obligations (pacta sunt servanda) is generally regarded as
providing the foundation of the international legal order itself 162. The
principle pacta sunt servanda — asserted by that of good faith (bona
163
fides) — effectively transcends both customary and conventional inter-
national law, being characterized as a general principle of international
law 164. Its insertion into the 1969 Vienna Convention on the Law of

Treaties (Article 26 and preamble) was endowed with a clearly axiomatic
character: it came to appear in a convention of codification, which
asserted in an incontrovertible way its wide scope. Yet, already well

before its acknowledgement in the 1969 Vienna Convention referred to,
the principle pacta sunt servanda effectively appeared, as already indi-
cated, as a true general principle of international law, endowed with
165
widespread jurisprudential recognition .

162G. White, “The Principle of Good Faith”, The United Nations and the Principles of
International Law — Essays in Memory of M. Akehurst (V. Lowe and C. Warbrick, eds.),
London/N.Y., Routledge, 1994, pp. 231 and 236.
163M. Lachs, “Some Thoughts on the Role of Good Faith in International Law”, Declar-
ations on Principles, a Quest for Universal Peace — Liber Amicorum Discipulorumque
B. V. A. Roling, Leyden, Sijthoff, 1977, pp. 47-55; Clive Parry, “Derecho de los Trata-
dos”, Manual de Derecho Internacional Público (M. Sørensen, ed.), 5th reimpr., Mexico,
Fondo de Cultura Económica, 1994, pp. 200-201 and 229.
164Ian Brownlie, Principles of Public International Law , 5th ed., Oxford University
Press, 1998, p. 620.
165
E. de la Guardia and M. Delpech, El Derecho de los Tratados y la Convención de
Viena, Buenos Aires, La Ley, 1970, p. 276.

191les juristes respectivement versés dans les branches procédurale et subs-

tantielle du droit); plus souvent qu’on ne le pense, «la forme conforme le
fond». Je ne suis pas non plus persuadé qu’il faille avoir recours à la dis-
tinction peu satisfaisante qui est souvent faite entre obligations de com-

portement et obligations de résultat, en particulier lorsqu’il s’agit de la
protection, et notamment de celle de l’environnement. Dans le présent

arrêt en l’affaire des Usines de pâte à papier, la Cour a au moins admis
que, en matière de prévention, il existait un «lien fonctionnel» entre les
obligations procédurales et les obligations de fond énoncées dans le statut

du fleuve Uruguay de 1975 (par. 79).
175. Pour bien apprécier le caractère objectif des obligations de pro-
tection dans un domaine tel que le droit international de l’environne-

ment, il faut, là encore, rappeler l’importance des principes de droit. Mal-
heureusement, la Cour ne l’a pas fait dans le présent arrêt. Par exemple,
lorsqu’elle invoque brièvement, de manière incidente, le principe de la

bonne foi (s’agissant de la mise en Œuvre du mécanisme de coopération
établi dans le statut de 1975, par. 145), elle se raccroche immédiatement

au droit international coutumier, comme si les principes généraux rele-
vaient de ce dernier. Tel n’est pas le cas. Au contraire, de mon point de
vue, ces principes orientent l’évolution du droit international coutumier

aussi bien que conventionnel.
176. En effet, le principe de la bonne foi dans l’exécution des obliga-
tions internationales (pacta sunt servanda) est généralement considéré
162
comme étant le fondement de l’ordre juridique international lui-même .
Le principe pacta sunt servanda — exprimé à travers celui de la bonne foi
(bona fides) 163 — transcende en effet à la fois le droit international cou-

tumier et le droit international conventionnel, pour s’élever au rang de
principe général du droit international . Son insertion dans la convention

de Vienne de 1969 sur le droit des traités (art. 26 et préambule) présentait
un caractère clairement axiomatique: il apparaissait ainsi dans une conven-
tion de codification qui consacrait formellement sa vocation générale. Cela

étant, bien avant d’être ainsi reconnu dans la convention de Vienne de
1969, le principepacta sunt servanda était déjà, ainsi qu’indiqué plus haut,
considéré dans la pratique comme un véritable principe général du droit
165
international, qui était largement reconnu dans la jurisprudence .

162G. White, «The Principle of Good Faith», The United Nations and the Principles of
International Law — Essays in Memory of M. Akehurst (V. Lowe et C. Warbrick, dir.
publ.), Londres/New York, Routledge, 1994, p. 231 et 236.
163M. Lachs, «Some Thoughts on the Role of Good Faith in International Law», De-
clarations on Principles, a Quest for Universal Peace — Liber Amicorum Discipulorumque

B. V. A. Roling, Leyde, Sijthoff, 1977, p. 47-55; Clive Parry, «Derecho de los Tratados»,
Manual de Derecho Internacional Público (M. Sørensen, dir. publ.), 5réimp., Mexico,
Fondo de Cultura Económica, 1994, p. 200-201 et 229. e
164Ian Brownlie, Principles of Public International Law ,5 éd., Oxford, University
Press, 1998, p. 620.
165E. de la Guardia et M. Delpech, El Derecho de los Tratados y la Convención de
Viena, Buenos Aires, La Ley, 1970, p. 276.

191 177. The scope of application of the principle pacta sunt servanda,as

well as the ultimate question of the validity of the norms of international
law, naturally transcend the particular ambit of the law of treaties 166; the

principle pacta sunt servanda is, in any case, deeply rooted in the inter-
national legal system as a whole 167. Good faith is, in fact, inherent to any

legal order, guiding the behaviour of the subjects of law. Four years after
the adoption of the 1970 United Nations Declaration on Principles of

International Law concerning Friendly Relations and Co-operation
among States, the ICJ, in the (first) Nuclear Tests case (1974), stressed, in
a celebrated obiter dictum, the fundamental character of the principle of

good faith, pondering that

“One of the basic principles governing the creation and perform-

ance of legal obligations, whatever their source, is the principle of
good faith. Trust and confidence are inherent in international co-op-

eration, in particular in an age when this co-operation in many fields
is becoming increasing essential.” 168

178. On several other occasions, in its jurisprudence constante , the ICJ
has drawn attention to the principle of good faith, in the most diverse
169 170
circumstances , including in respect of the duty to negotiate .Asto

166 Cf., J. L. Brierly, The Basis of Obligation in International Law , Oxford, Clarendon

Press, 1958, p. 65; J. L. Brierly, The Law of Nations, 6th ed., Oxford, Clarendon Press,
1963, p. 54.
167 For the historical and doctrinal evolution of the principle pacta sunt servanda, cf.,
e.g., M. Sibert, “The Rule Pacta Sunt Servanda : From the Middle Ages to the Beginning
of Modern Times”, 5 Indian Yearbook of International Affairs (1956) pp. 219-226;
J. B. Whitton, “La règle pacta sunt servanda”, 49 Recueil des cours de l’Académie de droit

in168national de La Haye (RCADI) (1934), pp. 151-268.
Nuclear Tests cases (atmospheric testing, Australia and New Zealand v. France),
ICJ Reports 1974, p. 473, para. 49.
169 Cf., the following cases: Delimitation of the Maritime Boundary in the Gulf of
Maine Area (Canada/United States of America), Judgment, I.C.J. Reports 1984 , p. 305,
para. 130; Military and Paramilitary Activities in and against Nicaragua (Nicaragua v.
United States of America), Jurisdiction and Admissibility, Judgment, I.C.J. Reports 1984 ,

p. 414, para. 51, p. 418, para. 60 and p. 419, para. 63; Border and Transborder Armed
Actions (Nicaragua v. Honduras), Jurisdiction and Admissibility, Judgment, I.C.J. Reports
1988, p. 105, para. 94; Gabcˇíkovo-Nagymaros Project (Hungary /Slovakia), Judgment,
I.C.J. Reports 1997, p. 66, para. 109, p. 67, para. 112 and p. 78, para. 142; Land and
Maritime Boundary between Cameroon and Nigeria (Cameroon v. Nigeria), Preliminary
Objections, Judgment, I.C.J. Reports 1998 , p. 296, para. 38.
170
Cf., the following cases: Fisheries Jurisdiction (United Kingdom v. Iceland), Merits,
Judgment, I.C.J. Reports 1974 , p. 30, paras. 69-70; Interpretation of the Agreement of
25 March 1951 between the WHO and Egypt, Advisory Opinion, I.C.J. Reports 1980 ,
p. 92, para. 43 and p. 95, para. 48; Delimitation of the Maritime Boundary in the Gulf of
Maine Area (Canada/United States of America), Judgment, I.C.J. Reports 1984 , p. 292,
para. 87; Legality of the Threat or Use of Nuclear Weapons, Advisory Opinion, I.C.J.
Reports 1996 (I), p. 263, para. 99 and p. 264, para. 102; Land and Maritime Boundary

between Cameroon and Nigeria (Cameroon v. Nigeria: Equatorial Guinea intervening),
Judgment, I.C.J. Reports 2002 , p. 424, para. 244.

192 177. Le champ d’application du principepacta sunt servanda, ainsi que

la question ultime de la validité des normes du droit international, trans-
cendent naturellement le domaine particulier du droit des traités ; le prin-66

cipe pacta sunt servanda est, en tout état de cause, profondément ancré
dans le système juridique international tout entier . La bonne foi est, en

fait, inhérente à tout ordre juridique, guidant le comportement des sujets de
droit. Quatre ans après l’adoption de la déclaration des Nations Unies

de 1970 relative aux principes du droit international touchant les rela-
tions amicales et la coopération entre les Etats, la Cour, dans la (première)

affaire des Essais nucléaires (1974), mit l’accent dans un célèbreobiter
dictum sur le caractère fondamental du principe de la bonne foi, en décla-

rant que:

«L’un des principes de base qui président à la création et à l’exécu-
tion d’obligations juridiques, quelle qu’en soit la source, est celui de

la bonne foi. La confiance réciproque est une condition inhérente
de la coopération internationale, surtout à une époque où, dans
bien des domaines, cette coopération est de plus en plus indis-
168
pensable.»

178. A plusieurs autres occasions, dans une jurisprudence constante, la
Cour a appelé l’attention sur le principe de la bonne foi, dans des circonstan-
169 170
ces extrêmement variées , y compris au sujet de l’obligation de négocier.

166 Voir J. L. Brierly, The Basis of Obligation in International Law , Oxford, Clarendon
Press, 1958, p. 65; J. L. Brierly, The Law of Nations,6 e éd., Oxford, Clarendon Press,
1963, p. 54.
167 S’agissant de l’histoire du principe pacta sunt servanda et de son évolution dans la

doctrine, voir, par exemple, M. Sibert, «The Rule Pacta Sunt Servanda : From the Middle
Ages to the Beginning of Modern Times», Indian Yearbook of International Affairs
(1956), vol. 5, p. 219-226; J. B. Whitton, «La règle pacta sunt servanda », Recueil des
cours de l´Académie de droit international de La Haye (RCADI) , t. 49 (1934), p. 151-268.
168 (Premières) affaires des Essais nucléaires (Australie c. France) (Nouvelle-Zélande
c. France) (essais atmosphériques), arrêt, C.I.J. Recueil 1974 , p. 473, par. 49.
169
Voir, par exemple, les affaires suivantes: Délimitation de la frontière maritime dans
la région du golfe du Maine (Canada/Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 1984 ,
p. 305, par. 130; Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci
(Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), compétence et recevabilité, arrêt,
C.I.J. Recueil 1984, p. 414, par. 51, p. 418, par. 60, et p. 419, par. 63; Actions armées
frontalières et transfrontalières (Nicaragua c. Honduras), compétence et recevabilité,

arrêt, C.I.J. Recueil 1988, p. 105, par. 94; Projet Gabc ˇíkovo-Nagymaros (Hongrie/
Slovaquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1997, p. 66, par. 109, p. 67, par. 112, et p. 78, par. 142;
Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria),
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1998 , p. 296, par. 38.
170 Voir, par exemple, les affaires suivantes: Compétence en matière de pêcheries
(Royaume-Uni c. Islande), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1974 , p. 30, par. 69-70; Interpréta-

tion de l’accord du 25 mars 1951 entre l’OMS et l’Egypte, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 1980, p. 92, par. 43, et p. 95, par. 48; Délimitation de la frontière maritime
dans la région du golfe du Maine (Canada/Etats-Unis d’Amérique), arrêt,
C.I.J. Recueil 1984, p. 292, par. 87; Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes
nucléaires, avis consultatif , C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 263, par. 99, et p. 264, par. 102;
Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria;

Guinée équatoriale (intervenant)), arrêt , C.I.J. Recueil 2002, p. 424, par. 244.

192this latter, the Court pondered, in the North Sea Continental Shelf cases

(Federal Republic of Germany/Denmark; Federal Republic of Germany/
Netherlands), in another obiter dictum, that “[o]n a foundation of very
general precepts of justice and good faith, actual rules of law are here
involved which govern the delimitation of adjacent continental shelves”

(Judgment, I.CJ. Reports 1969 , pp. 46-47, para. 85). There always are the
prima principia, wherefrom norms and rules emanate; in sum, in my own
conception, expressed in the present separate opinion, the principle of
good faith occupies a key position in international law and in all legal

systems, providing them all with an ethical basis, and surely standing
above positive law.

4. CARU’s Legal Personality

179. The consideration of the issues under contention in the present
case of the Pulp Mills takes us, in relation to yet another related aspect,

beyond the strictly inter-State dimension, when the Court rightly acknowl-
edged the legal personality of CARU, as from the provision of Article 50
of the 1975 Statute of the River Uruguay. The implications inferred by
Uruguay and Argentina, from such legal personality, were, however, not

the same. This calls for a review and assessment of their respective argu-
ments in this respect.
180. In his pleadings of 23 September 2009 about the legal nature of
CARU, as a joint institutional mechanism, counsel for Uruguay claimed

that International River Commissions are created by member States,
which remain “free to go outside the joint mechanism when it suits their
purposes, and they often do so 17”. While acknowledging that CARU is
a legal entity (Article 50 of the Statute), able to “conclude agreements

with both parties specifying the privileges and immunities enjoyed by
its members and staff under international law” (Article 54), counsel for
Uruguay asserted that CARU is not an autonomous body, but in
fact is the parties themselves, i.e., “CARU is an instrument of the two
172
parties’ Foreign Ministries” . He stressed that the way CARU
takes decisions is strictly dependent on the will of the two parties; thus,
in his view, Argentina and Uruguay were free to deal with the matter
of the Botnia project directly, at the highest political level, and not

through CARU.

181. Argentina, in turn, claimed that CARU has a vital role in main-
taining the integrity of the 1975 Statute and the proper administration of

the machinery for co-operation. Argentina considered that Article 7 of
the 1975 Statute specifically confers a power of determination to

171CR 2009/18, p. 42, para. 21 (McCaffrey).
172Ibid., p. 43, para. 30.

193A cet égard, la Cour a estimé, dans un autreobiter dictum formulé dans les

affaires du Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale
d’Allemagne/Danemark; République fédérale d’Allemagne/Pays-Bas) ,
qu’«[i]l s’agi[ssai]t là, sur la base de préceptes très généraux de justice et de
bonne foi, de véritables règles de droit en matière de délimitation des pla-

teaux continentaux limitrophes» a (rrêt, C.I.J. Recueil 1969, p. 46-47,
par. 85). Il existe toujours desprima principia, dont les normes et les règles
émanent; en somme, de mon point de vue, que j’exprime dans la présente
opinion individuelle, le principe de la bonne foi occupe une place centrale

en droit international et dans le cadre de tous les systèmes juridiques, aux-
quels il confère une base éthique, en s’inscrivant assurément en amont du
droit positif.

4. La personnalité juridique de la CARU

179. L’examen des questions en litige dans la présente affaire des
Usines de pâte à papier nous conduit, s’agissant d’un autre aspect encore,

à dépasser la dimension strictement interétatique, la Cour ayant à juste
titre reconnu la personnalité juridique de la CARU, telle qu’établie à
l’article 50 du statut du fleuve Uruguay de 1975. L’Uruguay et l’Argen-
tine n’ont toutefois pas tiré les mêmes conclusions de cette personnalité

juridique, d’où la nécessité d’examiner et de peser leurs arguments res-
pectifs en la matière.
180. Dans son exposé du 23 septembre 2009 sur la nature juridique de
la CARU en tant que mécanisme institutionnel mixte, le conseil de l’Uru-

guay a soutenu que les commissions internationales fluviales sont créées
par les Etats membres, qui sont «libres de s’écarter du mécanisme com-
mun lorsque cela sert leur objectif et c’est ce qu’ils font souvent» 17.
Reconnaissant que la CARU était une entité juridique (article 50 du sta-

tut) habilitée à «conclu[re] ..., avec les deux parties, les accords néces-
saires pour préciser les privilèges et immunités reconnus à ses membres
et à son personnel par la pratique internationale» (art. 54), le conseil de
l’Uruguay a toutefois ajouté qu’elle n’était pas un organe autonome mais

que, en fait, elle était les parties elles-mêmes, c’est-à-dire «un instrument
des ministères des affaires étrangères des deux parties» 172. Il a souligné
que la manière dont la CARU prenait ses décisions dépendait totalement
de la volonté des deux parties; dès lors, selon lui, l’Argentine et l’Uru-

guay étaient libres de traiter la question du projet Botnia directement, au
sommet de l’Etat, et non par l’intermédiaire de la CARU.
181. L’Argentine, de son côté, a déclaré que la CARU jouait un rôle
crucial en assurant l’intégrité du statut de 1975 et la bonne administra-

tion du mécanisme de coopération. Pour elle, l’article 7 du statut de 1975
conférait expressément à la CARU le pouvoir de déterminer ce qu’il en

171CR 2009/18, p. 42, par. 21 (McCaffrey).
172Ibid., p. 43, par. 30.

193CARU 173, which constitutes a decision 174. Argentina asserted, in its

Memorial and Reply, that the terms employed demonstrate CARU’s
ability to take a (binding) decision for the purposes of Article 7 of the
1975 Statute 175.

182. Uruguay, on its part, retorted that CARU serves solely as a vehi-
cle for facilitating communication between the parties, but it does not
have a decision-making authority over the project 17. Uruguay, thus, in

its arguments, restricted the role of CARU, under Articles 7-12 of the
1975 Statute, to the undertaking of a preliminary technical review, a
screening function. In its view, CARU — an intergovernmental entity,

whose “executive” consists of the two delegations appointed by the two
member States — contributes to conciliation between the parties, as a
channel for the implementation of the scheme of co-operation set forth in

the 1975 Statute.
183. Yet, Article 50 of the 1975 Statute determines that CARU “shall
be made a legal entity in order to perform its functions”, and the parties

“shall provide it with the necessary resources and all the information and
facilities essential to its operations”. CARU is thus endowed with legal
personality, as the ICJ rightly pointed out in the present Judgment in the

Pulp Mills case (para. 87). In a report of 1987, by a former President of
CARU (from the delegation of Argentina), analysing the competences of
the organ and the extent whereto they were fulfilled (within CARU’s

Subcommittee on Juridical and Institutional Affairs), it is stated that
Article 7 of the Statute

“[m]akes it obligatory for each Party to notify CARU if it plans to

construct new channels, modify or alter already existing channels in
any significant way, or perform any work on a scale sufficient to
affect navigation, the river regime, or its water quality, so that
177
CARU makes a declaration in the first instance ” .

184. The 1975 Statute, furthermore, grants CARU the prerogatives of
celebrating agreements with both parties regulating “privileges and immu-
nities enjoyed by its members and staff under international law” (Arti-

cle 54), and of setting up “whatever subsidiary bodies it deems necessary”
(Article 52). Thus, in addition to its conciliatory and co-ordinating func-
tions, CARU has also these executive, technical and regulatory functions.

And CARU’s conciliation procedure is set up in mandatory terms (Arti-

173Article 7 of the 1975 Statute states “shall determine”.
174As the 2nd paragraph sets forth: “If the Commission finds this to be the case or if a
decision [in Spanish decisión] cannot be reached in that regard, the party concerned shall
notify the other party of the plan through the said Commission.”
175Memorial of Argentina, paras. 3.66-3.70; and Reply of Argentina, paras. 1.158-
1.160.
176
177Counter-Memorial of Uruguay, paras. 2.189-2.205, and cf. Vol. IV, Anns. 82 and 84.
Ibid., Vol. IV, Ann. 85; emphasis added.

194est173, et donc de décider 174. Dans son mémoire et sa réplique, l’Argen-

tine a soutenu que les termes utilisés démontraient que la CARU était
habilitée à prendre une décision (contraignante) aux fins de l’article 7 du
statut de 1975 175.

182. L’Uruguay a quant à lui rétorqué que la CARU constituait seu-
lement un moyen de faciliter la communication entre les parties, mais
n’avait aucun pouvoir de décision à l’égard du projet 17. Dans son argu-

mentation, il a donc minimisé le rôle conféré à la CARU par les articles 7
à 12 du statut de 1975 pour le limiter à un examen technique préliminaire,
à une fonction de vérification. Selon lui, la CARU — une entité inter-

gouvernementale, dont les organes «exécutifs» sont les délégations dési-
gnées par les deux Etats membres — favorisait la conciliation entre les
parties, contribuant ainsi à mettre en Œuvre le système de coopération

établi dans le statut de 1975.
183. Pourtant, l’article 50 du statut de 1975 indique que la CARU
«jouit de la personnalité juridique dans l’accomplissement de ses fonc-

tions», et que les parties «lui attribuent les ressources nécessaires, ainsi
que tous les éléments et facilités indispensables à son fonctionnement».
La CARU est donc dotée d’une personnalité juridique, comme la Cour

l’a à juste titre relevé dans le présent arrêt (par. 87). Dans un rapport de
1987, dans lequel un ancien président de la CARU (issu de la délégation
argentine) analyse les compétences de cet organe et la mesure dans

laquelle elles sont exercées (dans le cadre de sa sous-commission des
questions juridiques et institutionnelles), il est dit que l’article 7 du statut

«[r]end la notification de la CARU obligatoire pour chaque partie

envisageant de construire de nouveaux chenaux, modifier ou trans-
former, de manière importante, des chenaux existants ou réaliser de
quelconques autres ouvrages d’envergure suffisante pour avoir un im-

pact sur la navigation, le régime du fleuve ou la qualité de ses eaux,
de façon à ce que la CARU se prononce en première instance » 177.

184. Le statut de 1975 confère aussi à la CARU le pouvoir de conclure
des accords avec les deux parties pour réglementer les «privilèges et immu-
nités reconnus à ses membres et à son personnel par la pratique interna-

tionale» (art. 54), et pour établir «les organes subsidiaires qu’elle juge
nécessaires» (art. 52). Ainsi, outre ses fonctions de conciliation et de coor-
dination, la CARU a également ces fonctions d’encadrement, de contrôle

technique et de réglementation. De plus, la procédure de conciliation de la

173Article 7 du statut de 1975 — «détermine».
174Aux termes du deuxième paragraphe: «S’il en est ainsi décidé ou si une décision
[decisión en espagnol] n’intervient pas à cet égard, la partie intéressée notifie le projet à
l’autre partie par l’intermédiaire de la Commission.»
175Mémoire de l’Argentine, par. 3.66-3.70; réplique de l’Argentine, par. 1.158-1.160.

176
177Contre-mémoire de l’Uruguay, par. 2.189-2.205; voir aussi vol. IV, annexes 82 et 84.
Ibid., vol. IV, annexe 85; les italiques sont de moi.

194cles 58-59). The co-ordination measures effected by CARU, and its par-

ticipation in the regime of consultation, make it the ideal forum wherein
the parties can present and state their differences and disputes, without

having to go directly to other instances for the settlement of their dis-
putes, such as the ICJ.

185. Uruguay has seen it fit to annex, to its Counter-Memorial, the
minutes of a technical-legal symposium (Encuentro Técnico-Jurídico) ,
held at CARU’s headquarters on 17-18 September 1987 178. The proceed-

ings of this symposium contain successive acknowledgements of the legal
personality of CARU 17, distinct and independent of that of the two
180
States parties — to the 1975 Statute — that created it . Its legal capa-
city is also acknowledged 181. The same symposium also considered River

Commissions in a comparative perspective; thus, a renowned specialist
on the matter, Julio Barberis (quoted by both Argentina and Uruguay
during the proceedings of the present case of the Pulp Mills before the

ICJ), stated on that occasion, on 18 September 1987, that there have been
distinct systems of co-operation between riparian States, ranging from

direct contacts between the Foreign Ministries, or other entities, of the
States concerned, to the creation of International River Commissions,
182
also operating each one with its own characteristics .

178Counter-Memorial of Uruguay, Vol. IV, Ann. 72.
179
CARU, Encuentro Técnico-Jurídico Realizado en la Sede de CARU , 17-18 Septem-
be180987, pp. 16, 39 and 44-45.
Ibid., p. 44.
181Cf., ibid., p. 35.
182In the words of J. Barberis himself, in the aforementioned 1987 symposium held at
CARU,

“Entre las diversas instituciones o sistemas de cooperación que los Estados crean
para realizar aprovechamientos hidráulicos, se encuentran las Comisiones Fluviales
Internacionales, como las del Rhin y del Danubio. Estas organizaciones poseen una
determinada personalidad jurídica internacional. Pero (...) el sistema de la Cuenca del

Plata instituído por el Tratado de Brasília carece de personalidad jurídica internac-
ional. (...) El establecimiento de Comisiones Fluviales Internacionales es sólo una
forma o modo de cooperar entre los Estados, entre varias otras posibles, para llevar
a cabo un aprovechamiento hidráulico. Sin embargo, conviene añadir que la técnica
de crear Comisiones Fluviales Internacionales es una forma utilizada con frecuencia
y desde antiguo por los Estados, y que, justamente, la primera organización interna-
cional fue una Comisión Fluvial: la Comisión del Rhin, creada en 1804 mediante un
tratado entre Francia y el Sacro Imperio.” (Ibid., p. 64.)

“International River Commissions, such as those of the Rhine and the Danube, are
among the various institutions or systems of co-operation which States put in place
in order to exploit hydraulic resources. Those organizations have specific interna-
tional legal personality. However ... the River Plate Basin system, set up by the
Treaty of Brasilia, lacks such personality. ... The creation of International River
Commissions is but one mode or form of co-operation among others by which States
exploit hydraulic resources. However, it should be added that it is one which States

use frequently, and have used for a long time, and that the first international organi-
zation was in fact a River Commission, the Rhine River Commission, established in
1804 by a treaty concluded between France and the Holy Empire.” (Ibid., p. 64.)
[Translation by the Registry.]

195CARU est posée comme une obligation (art. 58-59). Ses mesures de coor-

dination et sa participation au régime de consultation font de la CARU
l’instance idéale au sein de laquelle les parties peuvent présenter et exposer

leurs différends et désaccords, sans avoir à s’adresser directement à d’autres
instances, comme la Cour, pour régler leurs différends.

185. L’Uruguay a cru bon d’annexer à son contre-mémoire le procès-
verbal d’une réunion technique et juridique (Encuentro Técnico-Jurídico)
qui a eu lieu au siège de la CARU les 17 et 18 septembre 1987 178. Dans ce

document, il est reconnu à plusieurs reprises que celle-ci jouit d’une per-
sonnalité juridique propre 179, distincte et indépendante de celle des deux
180
Etats parties — au statut de 1975 — qui l’ont créée . Sa capacité juri-
dique est également reconnue 18. Lors de cette réunion, les commissions

fluviales furent également envisagées dans une perspective comparative;
ainsi, un spécialiste éminent, Julio Barberis (que l’Argentine et l’Uruguay
ont tous deux cité en l’espèce), déclara à cette occasion, le 18 septem-

bre 1987, qu’il existait différents systèmes de coopération entre Etats rive-
rains, allant de contacts directs entre les ministères des affaires étrangères

ou d’autres entités des Etats concernés jusqu’à la création de commis-
sions internationales fluviales dont chacune opérait de même selon ses
182
caractéristiques propres .

178 Contre-mémoire de l’Uruguay, vol. IV, annexe 72.
179
CARU, Encuentro Técnico-Jurídico Realizado en la Sede de CARU , 17 et 18 sep-
te180e 1987, p. 16, 39 et 44-45.
Ibid.,p.44.
181 Voir ibid.,p.35.
182 Ainsi que J. Barberis le déclara lui-même, lors de ce symposium de 1987 à la
CARU:

«Entre las diversas instituciones o sistemas de cooperación que los Estados crean
para realizar aprovechamientos hidráulicos, se encuentran las Comisiones Fluviales
Internacionales, como las del Rhin y del Danubio. Estas organizaciones poseen una
determinada personalidad jurídica internacional. Pero ... el sistema de la Cuenca del

Plata instituído por el Tratado de Brasília carece de personalidad jurídica
internacional... El establecimiento de Comisiones Fluviales Internacionales es sólo
una forma o modo de cooperar entre los Estados, entre varias otras posibles, para
llevar a cabo un aprovechamiento hidráulico. Sin embargo, conviene añadir que
la técnica de crear Comisiones Fluviales Internacionales es una forma utilizada con
frecuencia y desde antiguo por los Estados, y que, justamente, la primera organiza-
ción internacional fue una Comisión Fluvial: la Comisión del Rhin, creada en 1804
mediante un tratado entre Francia y el Sacro Imperio.» (Ibid., p. 64.)

«Parmi les divers institutions ou systèmes de coopération que les Etats mettent en
place pour réaliser des aménagements hydrauliques figurent les commissions fluviales
internationales comme celles du Rhin et du Danube. Ces organisations possèdent une
personnalité juridique internationale déterminée. Mais... le système du bassin de la
Plata institué par le traité de Brasília est dépourvu d’une telle personnalité... La mise
en place de commissions fluviales internationales n’est qu’un mode de coopération
parmi d’autres permettant aux Etats de réaliser des aménagements hydrauliques. Il

convient toutefois d’ajouter que les Etats l’utilisent fréquemment et depuis longtemps,
et que la première organisation internationale fut précisément une commission flu-
viale, la Commission du Rhin, créée en 1804 par un traité conclu entre la France et le
Saint-Empire.» (Ibid., p. 64.)

195 186. The 1975 Statute had thus established, beyond the strictly direct
bilateral co-operation between the two States concerned, an institutional

framework for its conduction. In the present Judgment in the Pulp Mills
case, the ICJ observed that, “like any international organization with
legal personality, CARU is entitled to exercise the powers assigned to it
by the 1975 Statute and which are necessary to achieve the object and
purpose of the latter”; the novelty in the cas d’espèce is that this also

applies in the fulfilment of the common interests of the States parties —
the Court added — to organizations which, “like CARU, only have two
member States” (para. 89).

187. It is, in my view, very hard to reconcile the Court’s acknowledge-
ment of CARU’s legal personality (paras. 87 and 89) with its lenience in
respect of the “understanding” reached by the parties in the Ministerial
Meeting of 2 March 2004 (para. 131). As I sustain in the next section
(XIII) of the present separate opinion, that “understanding” does not

abide by the precautionary principle. Furthermore, there was a procedure
laid down in Articles 7-12 of the 1975 Statute, to be followed by the
parties. The Court should not have yielded to State voluntarism in para-
graph 131 of the present Judgment, as the language of the procedure (in
Articles 7-8 and 10-12) set up by the Statute is mandatory (verb “shall”),

not permissive.
188. There is nothing in the 1975 Statute of the River Uruguay,
regarded by the Court as the applicable law in the cas d’espèce, that
could have led the Parties — Uruguay and Argentina — to infer the pre-
rogative of reaching an “understanding”, as they did, circumventing the

procedure of the 1975 Statute. By the same token, there is nothing in
the same Statute that could have led the Court to assume, as it did, that
the Parties were “entitled to depart” from the statutory procedure
(para. 128); CARU could not have been bypassed at all.
189. The mandatory character of the statutory procedure is, more-

over, what clearly ensues from the Court’s conclusion (para. 266) that
both Parties have the obligation to enable CARU “to exercise on a con-
tinuous basis the powers conferred on it by the 1975 Statute”, and “to
continue their co-operation through CARU and to enable it to devise the
necessary means to promote the equitable utilization of the river, while

protecting its environment” (ibid.). These continuing obligations are in
addition to the initial obligation of the parties, under the 1975 Statute, to
notify through CARU, before the authorization of construction or the
commissioning of works, as “an essential part of the process leading the
parties to consult in order to assess the risks of the plan and to negotiate

possible changes which may eliminate those risks or minimize their
effects” (para. 115), thus avoiding “potential damage” (para. 113).

190. The legal personality of an international organization (whatever
the number of its member States might be) ought necessarily to fulfil cer-

196 186. Le statut de 1975 a donc établi, au-delà d’une stricte coopération
bilatérale directe entre les deux Etats concernés, un cadre institutionnel

pour la mise en Œuvre de ses dispositions. Dans le présent arrêt en
l’affaire des Usines de pâte à papier, la Cour a fait observer que, «comme
toute organisation internationale dotée de la personnalité juridique, la
CARU est habilitée à exercer les compétences qui lui sont reconnues par
le statut de 1975 et qui sont nécessaires à la réalisation de l’objet et du but

de celui-ci»; la nouveauté en l’espèce — a ajouté la Cour — est que cela
s’applique aussi, lorsque sont mis en Œuvre les intérêts communs des
Etats parties, à des organisations qui, «comme la CARU, ne comportent
que deux Etats membres» (par. 89).

187. Il est, à mon sens, très difficile de concilier cette reconnaissance
par la Cour de la personnalité juridique de la CARU (par. 87 et 89) avec
l’indulgence dont elle fait preuve à l’égard de l’«arrangement» adopté
par les parties lors de la réunion ministérielle du 2 mars 2004 (par. 131).
Ainsi qu’exposé dans la section suivante (XIII) de la présente opinion

individuelle, cet «arrangement» ne respecte pas le principe de précaution.
En outre, une procédure était prévue aux articles 7 à 12 du statut de 1975,
et les parties devaient s’y tenir. La Cour n’aurait pas dû, au para-
graphe 131 du présent arrêt, céder à la volonté des Etats, la procédure éta-
blie par le statut (aux articles 7 et 8 et 10 à 12) étant obligatoire (présent

injonctif) et non facultative.
188. Aucune disposition du statut du fleuve Uruguay de 1975, consi-
déré par la Cour comme le droit applicable en l’espèce, ne pouvait ame-
ner les Parties — l’Uruguay et l’Argentine — à s’estimer autorisées à
passer un «arrangement», comme elles l’ont fait, en contournant la pro-

cédure prévue dans le statut de 1975. Dès lors, ledit statut n’autorisait pas
davantage la Cour à postuler, comme elle l’a fait, que les Parties étaient
«habilitées à s’écarter» de la procédure dictée par le statut (par. 128); la
CARU était incontournable.
189. Qui plus est, le caractère obligatoire de la procédure prévue dans

le statut ressort clairement de la conclusion de la Cour (par. 266) selon
laquelle les deux Parties sont tenues de veiller à ce que la CARU «puisse
continûment exercer les pouvoirs que lui confère le statut», et «de pour-
suivre leur coopération par l’intermédiaire de la CARU et de permettre à
cette dernière de développer les moyens nécessaires à la promotion de

l’utilisation équitable du fleuve, tout en protégeant le milieu aquatique»
(ibid.). Ces obligations continues viennent s’ajouter à leur obligation
initiale, prescrite par le statut de 1975, d’informer l’autre partie via la
CARU avant d’autoriser la construction ou la mise en service d’ou-
vrages, une obligation qui est «essentielle dans le processus qui doit

mener les parties à se concerter pour évaluer les risques du projet et négo-
cier les modifications éventuelles susceptibles de les éliminer ou d’en
limiter au minimum les effets» (par. 115), pour parer ainsi aux «préju-
dices éventuels» (par. 113).

190. Pour être dotée de la personnalité juridique, une organisation
internationale (quel que soit le nombre de ses Etats membres) doit néces-

196tain objective prerequisites, before such organization comes into being as

such, and begins to exercise its functions. The organization at issue ought
to have been created by an agreement between the States concerned,
ought to have a permanent organic structure whereby it is able to express
its own views (not necessarily the same as those of the individual member

States that compose it), and ought to possess its own common purposes
to be fulfilled precisely in the faithful exercise of its functions. It is the
case of CARU, as an international entity, standing beyond the strictly

inter-State dimension.

XIII. F UNDAMENTAL P RINCIPLES AS SUBSTRATUM
OF THE L EGAL O RDER ITSELF

191. The general principles of law have thus inspired not only the
interpretation and the application of legal norms, but also the law-
making process itself of their elaboration. They reflect the opinio juris,

which, in turn, lies as the basis of the formation of law. Such principles
mark presence at both national and international levels. There are fun-
damental principles of law which identify themselves with the very foun-

dations of the legal system, revealing the values and ultimate ends of the
international legal order, guiding it, protecting it against the incongruen-
cies of the practice of States, and fulfilling the necessities of the interna-
tional community 183.

192. Such principles, as expression of an objective “idea of justice”,
have a universal scope, requiring the observance of all States, and secur-
ing the unity of law, as from an objective “idea of justice”. It is evident

that those principles of law do not depend on the “will”, nor on the
“agreement”, nor on the consent, of the subjects of law; they touch on
the foundations of the necessary law of nations. Above the will of sub-
jects of law, stands their conscience, as the ultimate material source of all

law.
193. If, by chance, any doubts are raised as to the extent of application
of the fundamental principles which permeate the whole international

legal order, it is the function of the jurist to clarify such doubts and not
to perpetuate them, so that law may accomplish its fundamental function
of providing justice in the settlement of a dispute. It is certain that the
norms are the ones juridically binding, but when they move away from

the principles, their application is likely to lead to breaches of the rights
at stake and to the occurrence of distortions and injustices, and violations
of the legal order at issue itself.

194. Turning to the present case of the Pulp Mills, the question may
now be asked: had the observance of the precautionary principle pre-

183G. Cohen-Jonathan, “Le rôle des principes généraux dans l’interprétation et
l’application de la convention européenne des droits de l’homme”, Mélanges en hommage
à L. E. Pettiti, Brussels, Bruylant, 1998, pp. 192-193.

197sairement satisfaire à certaines conditions préalables objectives avant de

pouvoir exister comme telle, et commencer à exercer ses fonctions. L’orga-
nisation en question doit avoir été créée d’un commun accord par les
Etats concernés, être composée d’organes permanents lui permettant
d’exprimer ses propres vues (qui ne coïncideront pas toujours avec celles

des Etats membres particuliers la composant) et avoir ses propres objec-
tifs, qu’elle devra réaliser précisément en exerçant scrupuleusement ses
fonctions. Tel est le cas de la CARU, une entité internationale qui sort du
cadre strictement interétatique.

XIII. L ES PRINCIPES FONDAMENTAUX EN TANT QUE SUBSTRAT
DE L ORDRE JURIDIQUE LUI MÊME

191. Les principes généraux de droit ont donc inspiré non seulement
l’interprétation et l’application des normes juridiques, mais aussi leur éla-
boration même. Ils reflètent l’opinio juris, elle-même à la base de la créa-

tion du droit. Ils se retrouvent tant au niveau national qu’à l’échelle
internationale. Ce sont des principes juridiques élémentaires qui consti-
tuent les fondements mêmes du système juridique et révèlent les valeurs et
les fins ultimes de l’ordre juridique international, guidant celui-ci, le pro-

tégeant contre les incongruités de la pratiqu183es Etats et répondant aux
besoins de la communauté internationale .

192. Ces principes, en tant qu’ils expriment l’«idée de justice», ont une

portée universelle, doivent être respectés par tous les Etats et assurent la
cohésion du droit. Ils ne sont évidemment pas soumis à la «volonté» des
sujets de droit, pas plus qu’à leur «accord» ou à leur consentement; ils
touchent aux fondements de l’indispensable droit des gens. Au-dessus de

la volonté des sujets de droit réside leur conscience, source ultime de tout
droit.

193. Si des doutes sont exprimés quant au champ d’application des
principes fondamentaux qui imprègnent l’ordre juridique international
tout entier, il incombe au juriste de les dissiper et de ne pas les perpétuer,
afin que le droit puisse jouer son rôle fondamental, à savoir faire préva-

loir la justice dans le règlement des différends. Certes, ce sont les normes
qui sont juridiquement contraignantes, mais, lorsqu’elles s’écartent des
principes, leur application risque de donner lieu à des violations des
droits en cause ainsi qu’à des distorsions et à des injustices, et à des vio-

lations de l’ordre juridique dont il s’agit lui-même.
194. Pour en revenir à la présente affaire des Usines de pâte à papier,
l’on peut à présent poser la question suivante: si le principe de précaution

183
G. Cohen-Jonathan, «Le rôle des principes généraux dans l’interprétation et
l’application de la Convention européenne des droits de l’homme», Mélanges en hom-
mage à L. E. Pettiti, Bruxelles, Bruylant, 1998, p. 192-193.

197vailed all the time would that have made a difference in the contentious
situation now settled be the Court by means of its present Judgment? To

my mind, most likely, yes. May I refer, in this respect, to the attitude of
the two contending Parties as well as of the Court itself. Had the precau-
tionary principle been kept in mind, all the time, by the two States con-
cerned, including in the Ministerial Meeting of 2 March 2004, which led
to their “understanding” (as minuted by CARU) examined in the present

Judgment (paras. 125-131), this “understanding” — which in a way cir-
cumvented or bypassed the procedure laid down in Articles 7-12 of the
1975 (in particular Article 7) — would in all probability not have taken
place.

195. That “understanding”, which made tabula rasa of the statutory
procedure, became the source of much subsequent misunderstanding
between Argentina and Uruguay. Had the two Parties kept in mind the
precautionary principle from the start, the so-called “understanding”
would in all probability not have materialized, to the benefit of the integ-

rity of the 1975 Statute and its scheme of environmental protection of the
River Uruguay. In any case, shortly after the distraction of that episode,
Argentina and Uruguay realized the importance of the precautionary
principle, and duly invoked it — though with distinct interpretations —
in the proceedings before the ICJ in the present case of the Pulp Mills (cf.

supra).
196. Turning attention now to the attitude of the Court itself, if it like-
wise had also kept in mind, all the time, the precautionary principle
(which it did not), it would have reached a decision distinct from the one
it took on 13 July 2006, and would have, in all probability, ordered or

indicated the requested provisional measures of protection (to be
effective until today, 20 April 2010, date of the present Judgment on the
merits of the Pulp Mills case). This would have rendered moot all the
subsequent discussions and the unnecessary tension surrounding the so-
called “no-construction obligation”, which also drew the attention of the

Court in the present Judgment (paras. 152-154). These points suffice to
single out the relevance of keeping in mind the precautionary principle
all the time, when it comes to the protection of the environment.
197. Fundamental principles are indeed indispensable, they form the
substratum of the legal order itself, being prior and superior to the will or

consent of individual subjects of law. They serve as the foundations of
the jus necessarium, as propounded by the founding fathers of interna-
tional law. Already in the early seventeenth century, Francisco Suárez, in
his De Legibus, ac Deo Legislatore (1612), beheld the law of nations as a
“most necessary” law, grounded in “certain self-evident principles of con-

duct” of natural law (para. 18), requiring everyone to “live rightly”, so as
to preserve “peace and justice”, and bearing in mind the “common good”
(para. 19). In his lucid and elegant warning (as to human fallibility,
egoism and wickedness), “it is necessary” that, whatever pertains to the

common good, “should be accorded particular care and observance” as

198avait été systématiquement respecté, cela aurait-il changé quoi que ce soit
au contentieux aujourd’hui réglé par la Cour au moyen du présent arrêt?

Ma réponse est oui, très certainement. Je reviendrai à cet égard sur l’atti-
tude des deux Parties en litige et sur celle de la Cour elle-même. Si le prin-
cipe de précaution avait été gardé à l’esprit, en tout temps, par les deux
Etats concernés, y compris lors de la réunion ministérielle du 2 mars 2004

qui déboucha sur leur «arrangement» (consigné dans le procès-verbal de
la CARU) examiné dans le présent arrêt (par. 125-131), cet «arrange-
ment» — qui tendait d’une certaine façon à éviter ou court-circuiter la
procédure établie aux articles 7 à 12 du statut de 1975 (en particulier à
l’article 7) — n’aurait selon toute probabilité pas été conclu.

195. Cet «arrangement», qui faisait table rase de la procédure prévue
dans le statut, a par la suite été source de nombreux malentendus entre
l’Argentine et l’Uruguay. Si les deux Parties avaient depuis le départ
gardé à l’esprit le principe de précaution, ce prétendu «arrangement»

n’aurait certainement pas vu le jour, ce qui aurait permis de préserver
l’intégrité du statut de 1975 et le régime qu’il prévoit pour protéger l’éco-
système du fleuve Uruguay. Quoi qu’il en soit, peu après cet écart,
l’Argentine et l’Uruguay ont saisi l’importance du principe de précaution
et l’ont dûment invoqué — fût-ce pour l’interpréter différemment — au

cours de la présente instance (voir supra).

196. Quant à l’attitude de la Cour elle-même, si celle-ci avait elle aussi
toujours gardé le principe de précaution à l’esprit (ce qu’elle n’a pas fait),

elle serait parvenue à une décision différente de celle qu’elle a prise le
13 juillet 2006 et aurait, selon toute probabilité, ordonné ou indiqué les
mesures conservatoires demandées (qui seraient restées en vigueur jusqu’à
ce jour du 20 avril 2010, date du prononcé du présent arrêt sur le fond de
l’affaire). Elle aurait ainsi coupé court à toutes les discussions ultérieures

et tensions inutiles concernant l’obligation dite de «non-construction»,
dont elle a également fait état dans le présent arrêt (par. 152-154). Cela
montre amplement combien il importe, lorsqu’il s’agit de protéger l’envi-
ronnement, de garder le principe de précaution à l’esprit en toutes cir-

constances.
197. Les principes fondamentaux sont réellement indispensables, ils
constituent le substrat de l’ordre juridique lui-même, étant antérieurs et
supérieurs à la volonté ou au consentement individuel des sujets de droit.
Ils sont à la base du jus necessarium, tel qu’exposé par les pères fonda-
e
teurs du droit international. A l’aube du XVII siècle déjà, Francisco
Suárez, dans son De Legibus, ac Deo Legislatore (1612), considérait le
droit des gens comme «absolument nécessaire», puisque fondé sur «cer-
tains principes de conduite évidents» du droit naturel (par. 18), imposant

à chacun de «vivre dans le droit chemin» afin de préserver «la paix et la
justice», pour «le bien de tous» (par. 19). Selon la mise en garde qu’il
formula avec lucidité et élégance (contre la faillibilité, l’égoïsme et la per-
fidie humains), tout ce qui touche au bien commun «doit se voir accorder
un soin et un respect particuliers» parce que

198 “individuals have difficulty in ascertaining what is expedient for the

common good, and, moreover, rarely strive for that good as a pri-
mary object; so that, in consequence, there was a necessity for
human laws that would have regard for the common good by point-
ing out what should be done for its sake and by compelling the per-
formance of such acts” (para. 19) 184.

198. Later on, in the second half of the eighteenth century, in the age

of enlightenment, Christian Wolff coined, in a definitive way, the expres-
sion jus necessarium,n i si Jus Gentium Methodo Scientifica Pertrac-
tatum (1764), likewise grounded on natural law, conferring onto the law
of nations the attributes of being “necessary and immutable” (paras. 4-6).

All nations are thereby given “mutual assistance in perfecting them-
selves” and their condition, and fostering “consequently the promotion
of the common good” (para. 8). Another classic of that epoch to address
the jus necessarium was Vattel’s Le droit des gens, ou principes de la loi
naturelle (1758); that jus was conceptualized as referring to a law of

nations which contained precepts of natural law, the observation of
which no nation could escape from (paras. 7-8).
199. In the entirely different world wherein we live nowadays, who
would deny that the conservation of the environment is part of the jus

necessarium ? Who would deny that on this depends ultimately the very
survival of humankind? The world has much changed — ever since the
days of Suárez, Wolff and Vattel — but the necessity to strive towards
the promotion of the common good is felt as acutely today as it was in

times past. The world has much changed, but human aspirations towards
the improvement of the human condition remain the same. It is
human conscience that awoke and reckoned the jus necessarium, and has
persevered in the search for truth, peace and justice, on the basis of

the ineluctable relationship between the legal order and the ethical
order.
200. Fundamental principles are consubstantial to the international
legal order itself, wherein they give expression to the idea of an “objective
justice”, proper of natural law (cf. supra). Principles of international law

shed light into the interpretation and application of international law as
a whole, they pertain to the very substratum of this latter, and are iden-
tified with the very foundations of the international legal system. They
permeate every legal system. Their continuing validity is beyond ques-

tion. Principles of international law are essential to humankind’s quest
for justice, and of key importance to the endeavours of construction of a
truly universal international law.

184English translation of F. Suárez’s De Legibus, ac Deo Legislatore (1612), published
in the collection, The Classics of International Law (ed. by J. Brown Scott, 1944).

199 «l’individu peine à discerner ce qui sert le bien commun et [que], de

plus, son premier objectif est rarement la recherche de ce bien, d’où
la nécessité pour les lois humaines de tenir compte de celui-ci en
exposant les mesures appropriées et en prescrivant leur mise en
Œuvre» (par. 19) 184.

198. Ensuite, dans la seconde moitié du XVIII siècle, à l’ère des

Lumières, Christian Wolff donna, dans son Jus Gentium Methodo Scien-
tifica Pertractatum (1764), son expression définitive au jus necessarium,
notion là encore fondée sur le droit naturel, conférant au droit des gens la
particularité d’être «nécessaire et immuable» (par. 4.6). Toutes les nations

devaient ainsi «s’aider mutuellement à s’améliorer elles-mêmes» et à
améliorer leur situation, et Œuvrer «en conséquence à la promotion du
bien commun» (par. 8). Un autre classique de l’époque traitant le jus
necessarium est l’ouvrage de Vattel intitulé Le droit des gens, ou principes

de la loi naturelle (1758), dans lequel cette notion était rattachée à un
droit des gens contenant des préceptes de droit naturel auxquels aucune
nation ne pouvait se soustraire (par. 7-8).
199. Dans le monde totalement différent dans lequel nous vivons

aujourd’hui, qui peut nier que la protection de l’environnement fait partie
du jus necessarium ? Qui peut nier que la survie même de l’humanité en
dépend? Le monde a beaucoup changé — depuis l’époque de Suárez, de
Wolff et de Vattel — mais la nécessité d’Œuvrer en faveur du bien com-

mun se fait sentir avec autant d’acuité aujourd’hui que par le passé. Le
monde a beaucoup changé, mais l’être humain aspire toujours à amélio-
rer son sort. C’est la conscience humaine qui a donné naissance au jus

necessarium et qui l’a reconnu, poursuivant sa quête de vérité, de paix et
de justice, compte tenu du lien inéluctable qui existe entre l’ordre juridi-
que et l’ordre éthique.

200. Les principes fondamentaux sont consubstantiels à l’ordre juri-
dique international lui-même, dans le cadre duquel ils expriment
l’idée d’une «justice objective», propre au droit naturel (voir supra). Les
principes de droit international éclairent l’interprétation et l’applica-

tion du droit international dans son ensemble, ils participent de son
substrat même, et constituent les fondements du système juridique
international. Tout système juridique porte leur empreinte. Nul ne peut
contester qu’ils demeurent d’actualité. Les principes du droit interna-

tional sont essentiels à l’humanité dans sa quête de justice, et ils jouent
un rôle crucial dans l’instauration d’un droit international proprement
universel.

184F. Suárez, De Legibus, ac Deo Legislatore (1612), dont la traduction anglaise a
été publiée dans la série The Classics of International Law (J. Brown Scott, dir. publ.,
1944).

199 XIV. P RIMA PRINCIPIA : THE A XIOLOGICAL D IMENSION

201. Every legal system has fundamental principles, which inspire,

inform and conform to their norms. It is the principles (derived etymo-
logically from the Latin principium) that, evoking the first causes, sources
or origins of the norms and rules, confer cohesion, coherence and legiti-

macy upon the legal norms and the legal system as a whole. It is the gen-
eral principles of law (prima principia) which confer to the legal order
(both national and international) its ineluctable axiological dimension; it
is they that reveal the values which inspire the whole legal order and
185
which, ultimately, provide its foundations themselves . This is how I
conceive the presence and the position of general principles in any legal
order, and their role in the conceptual universe of law.

202. General principles of law entered into the legal culture, with his-
torical roots which go back, e.g., to Roman law, and came to be linked to
the very conception of the democratic State under the rule of law, mainly

as from the influence of the enlightenment thinking (pensée illuministe).
Despite the apparent indifference with which they were treated by legal
positivism (always seeking to demonstrate a “recognition” of such prin-
ciples in positive legal order), and despite the lesser attention dispensed to

them by the reductionist legal doctrine of our days, one will never be able
to prescind from them.
203. From the prima principia, the norms and rules emanate, which
find in them their proper meaning. General principles of law are thus

present in the origins of law itself, and disclose the legitimate ends to
seek: the common good (of all human beings, and not of an abstract
collectivity), the realization of justice (at both national and international
levels), and the preservation of peace. Contrary to those who attempt —

in my view in vain — to minimize them, I understand that, if there are no
principles, nor is there truly any legal system at all.

204. The identification of the basic principles has accompanied pari
passu the emergence and consolidation of all the domains of law, and all
its branches (constitutional, civil, civil procedural, criminal, criminal pro-
cedural, administrative, and so forth). This is so with Public Interna-

tional Law itself, as well as with some of its domains (of protection), such
as International Environmental Law, the International Law of Human
Rights, International Humanitarian Law, International Refugee Law,
and with International Criminal Law, the Law of the Sea, the Law of

International Watercourses, the Law of Outer Space, among others.
However circumscribed or specialized any one of its domains may be, its
basic principles can there be found (cf. infra), assuring the cohesion and

185
Cf., to this effect, IACtHR, Advisory Opinion No. 18, on The Juridical Condition
and the Rights of the Undocumented Migrants , of 17 September 2003, Concurring Opin-
ion of Judge A. A. Cançado Trindade, paras. 44-58.

200 XIV. L A DIMENSION AXIOLOGIQUE DES PRIMA PRINCIPIA

201. Tout système juridique repose sur certains principes fondamen-

taux qui inspirent, imprègnent et façonnent ses normes. Ce sont les prin-
cipes (étymologiquement dérivés du latin principium) qui, renvoyant aux
causes, sources ou origines premières des normes et des règles, confèrent
aux normes juridiques et au système juridique tout entier leur cohésion,

leur cohérence et leur légitimité. Ce sont les principes généraux de droit
(les prima principia) qui confèrent à l’ordre juridique (national et inter-
national) sa dimension inéluctablement axiologique; ce sont eux qui révè-
lent les valeurs inspirant l’ordre juridique dans son ensemble et qui, en
185
définitive, constituent ses fondements mêmes . C’est ainsi que je conçois
la présence et la place des principes généraux au sein de tout ordre juri-
dique, ainsi que leur rôle dans l’univers conceptuel du droit.
202. Les principes généraux de droit, dont les origines historiques peu-

vent être recherchées dans le droit romain, sont entrés dans la culture
juridique et en sont venus à être liés à la conception même de l’Etat
démocratique dans le cadre de la primauté du droit, principalement sous
l’influence de la pensée illuministe. Malgré l’indifférence apparente des

tenants du positivisme juridique (qui cherchent toujours la preuve d’une
«reconnaissance» de ces principes dans l’ordre juridique positif) et l’atten-
tion moindre que leur accorde l’actuelle doctrine juridique réduction-
niste, nul ne pourra jamais s’en passer.

203. Des prima principia émanent les normes et les règles, qui prennent
en eux leur véritable sens. Les principes généraux de droit se retrouvent
donc aux origines du droit lui-même, et en révèlent les finalités légitimes:

le bien commun (de tous les êtres humains, et non d’une collectivité
abstraite), la réalisation de la justice (tant au niveau national qu’à
l’échelle internationale) et le maintien de la paix. Contrairement à ceux
qui tentent — selon moi en vain — de minimiser leur importance, je

pense que, sans principes, il ne peut non plus véritablement y avoir de
système juridique.
204. Les principes fondamentaux se sont précisés à mesure que le droit
émergeait et se consolidait dans tous ses domaines, et dans toutes ses bran-

ches (droit constitutionnel, droit civil, droit de la procédure civile, droit
pénal, droit de la procédure pénale, droit administratif, etc.). Tel fut le cas
pour le droit international public lui-même, ainsi que pour certains de ses
domaines (concernant la protection) — droit international de l’environne-

ment, droit international des droits de l’homme, droit international huma-
nitaire, droit international des réfugiés, notamment —, et pour le droit
pénal international, le droit de la mer, le droit relatif aux cours d’eau inter-
nationaux et le droit de l’espace, entre autres. Chaque domaine du droit, si

circonscrit ou spécialisé soit-il, porte l’empreinte de ses principes fonda-

185Voir, en ce sens, l’avis consultatif n 18 rendu le 17 septembre 2003 par la Cour
interaméricaine des droits de l’homme sur la condition juridique et les droits des travail-
leurs immigrés, opinion individuelle de M. le juge A. A. Cançado Trindade, par. 44-58.

200unity of the law as a whole. There is no “fragmentation” here (a most

unfortunate term, and surely one to be avoided and discarded), but
rather a reassuring expansion of contemporary international law, assert-
ing its aptitude to regulate relations not only at inter-State, but also at

intra-State, levels.

205. Some of the basic principles are proper to certain areas of law,

others permeate all areas of law. The corpus of legal norms (national or
international) operates moved by the principles, some of them ruling the
relations themselves between human beings and the public power 18.

Principles enlighten the path of legality as well as legitimacy. Hence the
constant reaffirmation or restoration, pursuant to the evolving natural
law thinking, of a standard of justice, heralded by general principles of

law, whereby positive law has come to be evaluated. This perennial resur-
gence of the natural law outlook 187 — never fading away — has been
much contributing to the affirmation and consolidation of the primacy,

in the order of values, of the obligations pertaining to regimes of protec-
tion (of the human person and of the environment).

206. The international legal profession in our days, in its large major-
ity, unfortunately admits its adherence to legal positivism. Those who do
so, seek to qualify their positivist standing by adding an adjective before

it: there are those who are proud to call themselves “modern” or “post-
modern” positivists — whatever that means — apparently failing to
realize that, by thus labelling themselves, they are doomed to be quickly

outdated, surpassed by the implacable and merciless onslaught
of time. Others add distinct and self-pleasing adjectives, as if trying
to exorcise a priori any future guilty feelings for eventual injustices

committed de jure. Paraphrasing Isaiah Berlin, it is imperative to keep
on swimming against the current, to keep on upholding firmly the
application of general principles of law, in addition to the pertinent

positive law.

XV. “G ENERAL PRINCIPLES OF LAW ” AS INDICATORS

OF THE STATUS CONSCIENTIAE OF THE INTERNATIONAL COMMUNITY

207. To keep on considering general principles of law as encompassing

only those of a domestic origin corresponds, in my view, to a static out-

186As the principles of natural justice, of the rule of law, of the rights of the defence, of
the right to the natural judge, of the independence of justice, of the equality of all before
the law, of the separation of powers, among others.
187Cf., e.g., L. Le Fur, “La théorie du droit naturel depuis le XVIIe siècle et la doctrine
moderne”, 18 Recueil des cours de l’Académie de droit international de La Haye (RCADI)
(1927), pp. 297-399; A. Truyol y Serra, “Théorie du droit international public — Cours

général”, 183 RCADI (1981), pp. 142-143; A. Truyol y Serra, Fundamentos de Derecho
Internacional Público, 4th rev. ed., Madrid, Tecnos, 1977, pp. 69 and 105.

201mentaux (voir infra), ce qui assure la cohésion et l’unité du système dans

son ensemble. Il est question ici non pas de «fragmentation» (un terme
extrêmement fâcheux qu’il convient assurément d’éviter et d’écarter), mais
d’une expansion encourageante du droit international moderne, qui témoi-

gne de la capacité de celui-ci à réglementer les relations non seulement
entre les Etats, mais aussi à l’intérieur des Etats eux-mêmes.
205. Certains de ces principes fondamentaux sont propres à tel ou tel

domaine du droit, d’autres sont omniprésents. C’est sous l’action de ces
principes, dont certains régissent les relations mêmes entre les êtres
humains et la puissance publique, qu’opère le corpus des normes juridi-
186
ques (nationales ou internationales) . Ils éclairent la voie de la licéité et
de la légitimité, d’où la nécessité constante de réaffirmer ou de rétablir,
selon l’évolution de la notion de droit naturel, une certaine idée de la jus-

tice fondée sur les principes généraux de droit, à l’aune de laquelle le
droit positif doit être apprécié. Ce renouveau perpétuel de la notion de
droit naturel 187 — qui ne s’épuise jamais — a beaucoup contribué à

l’affirmation et à la consolidation de la primauté, dans l’échelle des
valeurs, des obligations propres aux régimes de protection (de la per-
sonne humaine et de l’environnement).

206. De nos jours, malheureusement, la grande majorité des juristes
internationaux professent leur adhésion au positivisme juridique. Ceux
qui le font tentent de nuancer leur position positiviste en lui greffant un

adjectif: certains se targuent d’être des positivistes «modernes» ou «post-
modernes» — quoi que cela puisse signifier —, ne se rendant apparem-
ment pas compte que, en s’étiquetant ainsi, ils se condamnent à tomber

rapidement en désuétude, distancés par l’implacable et impitoyable
passage du temps. D’autres s’accolent des adjectifs différents et complai-
sants, comme pour tenter d’étouffer dans l’Œuf tout sentiment de culpa-

bilité que pourraient leur causer à l’avenir d’éventuelles injustices com-
mises de jure. Pour paraphraser Isaiah Berlin, il est impératif de continuer
de nager à contre-courant, de continuer à appliquer sans faillir les prin-

cipes généraux de droit, en sus des règles pertinentes du droit positif.

XV. L ES « PRINCIPES GÉNÉRAUX DE DROIT » TÉMOINS

DU STATUS CONSCIENTIAE DE LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE

207. Continuer de réduire les principes généraux de droit à ceux d’ori-

gine nationale correspond, à mon sens, à une conception statique des

186Comme les principes élémentaires de la justice et ceux concernant la primauté du
droit, les droits de la défense, le droit au «juge naturel», l’indépendance de la justice,
l’égalité de tous devant la loi et la séparation des pouvoirs, entre autres.
187Voir, par exemple, L. Le Fur, «La théorie du droit naturel depuis le XVII siècle et
la doctrine moderne», Recueil des cours de l´Académie de droit international de La Haye
(RCADI), t. 18 (1927), p. 297-399; A. Truyol y Serra, «Théorie du droit international

public — Cours général», RCADI, t. 183e(1981), p. 142-143; A. Truyol y Serra, Funda-
mentos de Derecho Internacional Público ,4. rev., Madrid, Tecnos, 1977, p. 69 et 105.

201look of the formal “sources” of international law, in respect of the for-

mulation in 1920 of Article 38 of the PCIJ Statute, regarded as immuta-
ble and sacrosanct. Positivist legal thinking has always suffered from this
inescapable shortsightedness, in time and space; it faces unsurmountable
difficulties to accompany the evolution of international law (in such new

domains as, e.g., International Environmental Law, and others), and is
incapable to behold universalism. Its limitations are to be regretted, if not
pitied.

208. It can be seen, from the considerations above, that the view
whereby general principles of law were only those found in foro domes-
tico corresponded only to one conception (proper of analytical positiv-
ism) which prevailed 90 years ago, and which was challenged by learned

jurists of those days. Fortunately, it has never been unanimous. This
appears — in my own perception — most commendable, for when every-
one is thinking alike, not everyone — if not anyone — is really thinking
at all. Attempts to identify general principles of law only within given

national systems (or in each of them individually), besides being a static
exercise, makes abstraction of the time dimension, and renders it impos-
sible to advance towards a universal international law.
209. General principles of law (prima principia) confer upon the legal

order itself — both nationally and internationally — its ineluctable axi-
ological dimension (cf. supra). It is those principles that reveal the values
which inspire the whole legal order, and which, ultimately, provide its
foundations themselves. The identification of the basic principles has

accompanied pari passu the emergence and consolidation of all the
domains of law. International Environmental Law provides a good illus-
tration in this respect.
210. Can we, for example, conceive of International Environmental

Law without the principles of prevention, of precaution, and of sus-
tainable development, added to the long-term temporal dimension of
inter-generational equity? Not at all, in my view. Can we dwell upon the
International Law of Human Rights without bearing in mind the prin-

ciples of humanity, of the dignity of the human person, of the inalien-
ability of human rights, of the universality and indivisibility of human
rights? Certainly not. Can we consider International Humanitarian Law
without the principles of humanity, of proportionality, of distinction 188?

Surely not. Can we approach International Refugee Law without
taking due account of the principles ofnon-refoulement, and of humanity?
Not at all.
211. Can we think of International Criminal Law without keeping in

188Between combatants and the civil population: the principle whereby the election of
methods or means of combat is not unlimited. In International Humanitarian Law, e.g.,
the 1949 Geneva Conventions and their Protocols of 1977, essentially victim-oriented, are
inspired above all by the overriding principle of humanity, which calls for respect to the
human person in any circumstances and at all times.

202«sources» formelles du droit international, par rapport aux termes adop-

tés en 1920 à l’article 38 du Statut de la Cour permanente, comme s’il
s’agissait d’un texte immuable et sacro-saint. La pensée juridique positi-
viste a toujours pâti de ce manque foncier de clairvoyance, dans le temps
et dans l’espace; elle ne peut accompagner le droit international dans son

évolution sans se heurter à des obstacles insurmontables (par exemple
dans de nouvelles disciplines telles que le droit international de l’environ-
nement, entre autres) et ne peut être porteuse d’universalisme. Ses limites
sont regrettables, voire navrantes.

208. Il ressort de ce qui précède que la position tendant à restreindre
les principes généraux de droit à ceux existant in foro domestico ne tra-
duit qu’une seule conception (propre au positivisme analytique) qui pré-
valait il y a quatre-vingt-dix ans, et qui était contestée par d’éminents

juristes de l’époque. Fort heureusement, elle n’a jamais fait l’unanimité.
Je m’en félicite, car si chacun pense la même chose, la plupart — voire
personne — ne pensent plus vraiment. Ceux qui ne voient les principes
généraux de droit que dans le cadre de systèmes nationaux donnés (ou

individuellement dans chacun d’entre eux) font non seulement du sur-
place, mais aussi abstraction du facteur temps, et excluent tout progrès
vers un droit international universel.
209. Les principes généraux de droit (prima principia) confèrent à

l’ordre juridique lui-même — tant au niveau national qu’à l’échelle inter-
nationale — sa dimension inéluctablement axiologique (voir supra). Ce
sont ces principes qui révèlent les valeurs inspirant l’ordre juridique tout
entier et qui, en dernière analyse, constituent ses fondements mêmes. Ces

principes fondamentaux se sont précisés à mesure que le droit émergeait
et se consolidait dans tous ses domaines. Le droit international de l’envi-
ronnement en est une bonne illustration.
210. Pouvons-nous, par exemple, concevoir le droit international de

l’environnement sans les principes de prévention, de précaution et du
développement durable, auxquels s’ajoute celui de l’équité intergénéra-
tionnelle, qui s’inscrit nécessairement dans le long terme? Absolument
pas, selon moi. Pouvons-nous envisager le droit international des droits

de l’homme sans garder à l’esprit les principes de l’humanité, de la dignité
de la personne humaine et du caractère inaliénable, universel et indivi-
sible des droits de l’homme? Certainement pas. Pouvons-nous concevoir
le droit international humanitaire sans les principes de l’humanité, de la
188
proportionnalité ou de la distinction ? Assurément pas. Pouvons-nous
appréhender le droit international des réfugiés sans tenir dûment compte
des principes du non-refoulement et de l’humanité? Absolument pas.
211. Pouvons-nous envisager le droit pénal international sans le prin-

188Entre les combattants et la population civile — principe qui limite le choix des
méthodes ou moyens de combat. En droit international humanitaire, par exemple, les
conventions de Genève de 1949 et leurs protocoles de 1977, essentiellement axés sur les
victimes, reposent avant tout sur le principe cardinal de l’humanité, qui exige le respect
de la personne humaine en toutes circonstances et en tous temps.

202mind the principles of legality 18, and of presumption of innocence? Cer-

tainly not. Can we consider the Law of the Sea without taking note of
the principles of peaceful uses (of the sea), of equality of rights (in the
high seas), of peaceful settlement of disputes 190, of freedom of navigation

and of innocent passage, of sharing of benefits (of deep-sea mining),
of protection of the seas for future generations? Not at all. Can we
consider the Law of Outer Space without paying regard to the principles
of non-appropriation, of peaceful uses and ends, of freedom of access

and of scientific research, of sharing of benefits (in space exploration)?
Surely not.

212. And the examples multiply, to the same effect, if we move on to
other domains. Whenever general principles are overlooked, wrongs or
injustices are bound to be committed. In my conception, they conform to

an autonomous formal “source” of international law, that no interna-
tional tribunal can minimize or overlook. Their proper consideration
cannot at all be limited to verifying whether they have entered the realm
of international law through custom or treaties. They disclose the axi-

ological dimension (supra) of the applicable law, besides being indicators
of the degree of evolution of the status conscientiae of the international
community as a whole.

213. If we can detect cultural manifestations in previous uses and cus-
toms, or even in ancient legal systems, linking environmental concerns to
those practices 191, so much the better, as this will reinforce the cause of

the applicability of principles in the evolving International Environmen-
tal Law of our times, in response to those environmental concerns. I
have already referred to four cases in Latin America, decided by the
IACtHR, marked by cultural density (cf. supra), disclosing the utmost

relevance of the preservation of cultural identity (of peoples in their
natural habitat).

214. But what happens if a new domain of international law emerges
in an accelerated way, without apparent traces in support of the corre-
sponding emerging principles in previous cultural manifestations, or uses

and customs, or practices, of the kind? This is what happened with the
emergence and growth of the domain of Outer Space Law, in an accel-
erated way, from the 1960s onwards. The search for the identification
and formulation of the corresponding principles began promptly, on the

occasion. The current and continuing expansion of the scope of interna-

189Nullum crimen sine lege, nulla poena sine lege.
190And of equidistance and of special circumstances (in delimitation of maritime
spaces).
191E.g., those concerns linked to ancient irrigation practices in distinct regions; cf.
Gabcˇíkovo-Nagymaros Project case (Hungary/Slovakia), Judgment, I.C.J. Reports 1997 ,
separate opinion of Judge C. G. Weeramantry, pp. 97-111.

203cipe de légalité189 et la présomption d’innocence? Certainement pas. Pou-

vons-nous concevoir le droit de la mer sans tenir compte des principes de
l’utilisation pacifique (de la mer), de l’égalité des droits (en haute mer), du
règlement pacifique des différends 19, de la liberté de navigation et du

passage inoffensif, du partage des revenus (de l’exploitation des minéraux
marins), ou de la protection des mers pour les générations futures? Abso-
lument pas. Pouvons-nous imaginer le droit relatif à l’espace extra-
atmosphérique sans les principes de la non-appropriation, des utilisations

et des fins pacifiques, de la liberté d’accès et de la recherche scientifique,
ou encore du partage des revenus (de l’exploration spatiale)? Assurément
pas.

212. Et les exemples abondent dans le même sens dans d’autres do-
maines également. Dès lors que les principes généraux sont négligés, abus
et injustices sont inévitables. De mon point de vue, ces principes consti-

tuent une «source» formelle autonome du droit international qu’aucune
juridiction internationale ne peut minimiser ni négliger. On ne saurait,
pour en tenir dûment compte, se contenter de vérifier s’ils sont entrés
dans le domaine du droit international par l’intermédiaire de la coutume

ou des traités. Ces principes révèlent la dimension axiologique (supra) du
droit applicable, en sus de témoigner du degré d’évolution du status cons-
cientiae de la communauté internationale dans son ensemble.

213. Si nous parvenons à déceler, dans des us et coutumes passés,
voire dans d’anciens systèmes juridiques, des manifestations culturelles
liant des préoccupations environnementales à ces pratiques 19, alors tant

mieux, car il sera d’autant plus justifié d’appliquer ces principes à notre
droit international de l’environnement en évolution constante pour ré-
pondre à ces préoccupations environnementales. J’ai déjà évoqué quatre
affaires latino-américaines à fort contenu culturel (voir supra) tranchées

par la Cour interaméricaine des droits de l’homme, qui montraient com-
bien il importait de préserver l’identité culturelle (des peuples au sein de
leur habitat naturel).

214. Mais qu’advient-il si un nouveau domaine du droit international
fait soudainement son apparition, sans qu’il soit apparemment possible
d’asseoir les principes naissant en la matière sur des manifestations

culturelles, des us et coutumes ou des pratiques du passé? C’est ce qui s’est
produit lorsque le droit relatif à l’espace extra-atmosphérique a vu le jour
et s’est très rapidement développé à partir des années 1960. Il a alors vite
fallu se mettre en quête des principes correspondants et les formuler.

L’expansion actuelle et continue du champ d’application ratione mate-

189Nullum crimen sine lege, nulla poena sine lege.
190Et de l’équidistance et des circonstances spéciales (dans le cadre de la délimitation
d’espaces maritimes).
191Des préoccupations qui se retrouvent, par exemple, derrière les anciennes pratiques
d’irrigation mises en Œuvre dans différentes régions; voir Projeˇíkovo-Nagymaros
(Hongrie/Slovaquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1997 , opinion individuelle de M. le juge
C. G. Weeramantry, p. 97-111.

203tional law ratione materiae calls definitively for a more careful considera-
tion of legal principles, rather than for their minimization.

215. To recall two further examples, among others, within the United
Nations system as a whole, the International Labour Organization [ILO]
itself, driven by functional necessity, sought to identify — to guide its

operation in the area — the fundamental principles and rights at work,
by means of a declaration adopted in June 1998. More recently, in its
turn, UNESCO has devoted its endeavours towards the elaboration, and
the adoption, of its 2005 Universal Declaration on Bioethics and Human
Rights, in particular to the identification and formulation of principles

applicable in this new domain. My point is that, initiatives of the kind
rightly aim to conform to the jus necessarium in the respective domains
of legal knowledge.

216. General principles of law have in fact been in constant review in
the law of the United Nations. The ICJ, being “the principal judicial
organ of the United Nations” (Article 92 of the Charter of the United
Nations), should, in my view, devote more attention to them in the exer-
cise of its contentious function. In my conception, they orient the inter-

pretation and application of the norms and rules of this legal order, be
they customary or conventional, or set forth by resolutions of interna-
tional organs. General principles of law may further be resorted to in the
identification of opinio juris itself, taking this latter not strictly as a con-

stitutive element of custom, but, more amply, as an indication of the sta-
tus conscientiae of the members of the international community as a
whole.

217. Last but not least, it is not surprising to find that voluntarist-

positivists, who have always attempted to minimize the role of general
principles of law, have always met the opposition of those who sustain
the relevance of those principles, as ensuing from the idea of an objective
justice, and guiding the interpretation and application of legal norms and

rules. This is the position that I sustain. It is the principles of the inter-
national legal system that can best ensure the cohesion and integrity of
the international legal system as a whole. Those principles are inter-
twined with the very foundations of international law, pointing the way
to the universality of this latter, to the benefit of humankind. Those prin-

ciples emanate from human conscience, the universal juridical conscience,
the ultimate material “source” of all law.

XVI. E PILOGUE

218. The ICJ, in settling peacefully the disputes submitted to it, is per-
fectly entitled to resort to general principles of law (Article 38 (1) (c) of
its Statute), and should do so. If it, furthermore, wishes, in the faithful

204riae du droit international exige assurément que l’on prenne plus atten-
tivement en considération les principes généraux, au lieu de les reléguer

au second plan.
215. Pour rappeler deux exemples supplémentaires, parmi d’autres,
qui concernent le système des Nations Unies d’une manière générale,
l’Organisation internationale du Travail (OIT), poussée par des nécessités
pratiques, a elle-même entrepris — pour orienter son activité en la

matière — de recenser les principes et droits fondamentaux intéressant
ses travaux dans une déclaration adoptée en juin 1998. Plus récemment,
l’Unesco s’est elle aussi mise à élaborer sa déclaration universelle sur la
bioéthique et les droits de l’homme, qu’elle a adoptée en 2005, et dans

laquelle elle s’efforce en particulier d’identifier et d’énoncer les principes
applicables dans cette nouvelle discipline. A mes yeux, les initiatives de
cette nature visent à juste titre à façonner le jus necessarium dans les dif-
férents domaines de la connaissance juridique.
216. Les principes généraux de droit sont en fait constamment à

l’étude dans le droit des Nations Unies. La Cour, qui est «l’organe judi-
ciaire principal des Nations Unies» (article 92 de la Charte des
Nations Unies), devrait selon moi leur prêter une attention plus grande
dans l’exercice de sa fonction contentieuse. De mon point de vue, ces
principes orientent l’interprétation et l’application des normes et des

règles de notre ordre juridique, qu’elles soient coutumières, convention-
nelles ou énoncées dans les résolutions des organisations internationales.
Les principes généraux de droit peuvent également être utilisés pour
déterminer l’opinio juris elle-même, en prenant cette dernière non pas au
sens strict, comme un élément constitutif de la coutume, mais, plus géné-

ralement, comme une indication du status conscientiae des membres de la
communauté internationale dans son ensemble.
217. Enfin, et ce n’est pas le moins important, il n’est guère étonnant
que les partisans de l’approche volontaro-positiviste, qui ont toujours
tenté de minimiser le rôle des principes généraux de droit, se soient tou-

jours heurtés à ceux qui les défendent, en tant qu’ils découlent de l’idée
d’une justice objective et guident l’interprétation et l’application des
normes et des règles juridiques. Je suis de ceux-là. Ce sont les principes
qui sont les mieux à même d’assurer la cohésion et l’intégrité du système
juridique international dans son ensemble. Ils sont étroitement liés aux

fondations mêmes du droit international, dont ils laissent présager la
vocation universelle, au bénéfice de l’humanité. Ces principes émanent
de la conscience humaine, de la conscience juridique universelle, «source»
matérielle ultime de tout droit.

XVI. É PILOGUE

218. La Cour, dans le cadre du règlement pacifique des différends por-

tés devant elle, est parfaitement habilitée à invoquer les principes géné-
raux de droit (alinéa c) du paragraphe 1 de l’article 38 de son Statut) et

204exercise of its functions, to not only settle the disputes brought into its

cognizance but concomitantly to foster the progressive development of
international law — as in my view it should — it will have to devote
greater attention to those general principles, encompassing, as they surely
do, the principles of international law as a whole, and the principles
proper to particular domains of international law.

219. In my own conception, there is epistemologically no reason at all
to take account of, and consider, legal principles only if, and when, sub-
sumed under customary or conventional international law. The inclina-

tion, noticeable in most contemporary expert writing to do so, is, in my
view, conceptually flawed. General principles of law constitute an autono-
mous formal “source” of international law, and orient the evolution of
customary and conventional international law. Contemporary Interna-

tional Environmental Law bears witness of that. In addressing this mat-
ter, the intellectual poverty of the tendency, of a great part of contempo-
rary international legal doctrine, to privilege legal techniques to the
detriment of legal principles, should not be embraced by this Court.

Quite on the contrary, it should be discarded by it, giving pride of place
to legal principles, comme il faut.
220. In sum, the applicable law in the present case of the Pulp Mills,
is, in my understanding, not only the 1975 Statute of the River Uruguay,

but the Statute together with the relevant general principles of law,
encompassing the principles of International Environmental Law. These
latter are, notably, the principles of prevention, of precaution, and of sus-
tainable development with its temporal dimension, together with the
long-term temporal dimension underlying inter-generational equity. The

Hague Court, also known as the World Court, is not simply the Interna-
tional Court of Law, it is the International Court of Justice, and, as such,
it cannot overlook principles.

(Signed) Antônio Augusto C ANÇADO TRINDADE .

205elle devrait le faire; si, de plus, exerçant scrupuleusement les fonctions qui

sont les siennes, elle veut non seulement régler les différends dont elle est
saisie mais aussi favoriser, ce faisant, le développement progressif du
droit international — comme elle le devrait à mes yeux —, elle devra faire
bien plus grand cas de ces principes généraux, qui englobent sans nul
doute les principes du droit international dans son ensemble, et les prin-

cipes propres à des domaines particuliers de celui-ci.
219. Je ne vois absolument aucune raison, du point de vue épistémo-
logique, de ne prendre en compte et de n’examiner des principes juridi-
ques que si, et quand, ils relèvent du droit international coutumier ou

conventionnel. La propension à agir ainsi, perceptible chez la plupart des
auteurs contemporains, me semble relever d’un vice conceptuel. Les prin-
cipes généraux de droit constituent une «source» formelle autonome du
droit international, et ils orientent l’évolution du droit international cou-

tumier et conventionnel. Le droit international moderne de l’environne-
ment en témoigne. En la matière, la Cour ne devrait pas embrasser la
tendance intellectuellement insatisfaisante d’une grande partie de la doc-
trine contemporaine qui consiste à privilégier les techniques juridiques au

détriment des principes de droit. Elle devrait au contraire la rejeter, en
faisant comme il faut la part belle aux principes juridiques.
220. Pour résumer, dans la présente affaire des Usines de pâte à
papier, le droit applicable ne se limite pas au statut du fleuve Uruguay

de 1975, mais comprend ce statut ainsi que les principes généraux de droit
pertinents, y compris les principes du droit international de l’environne-
ment. Ces derniers sont, entre autres, les principes de prévention, de pré-
caution et du développement durable dans sa dimension temporelle, ainsi
que celui de l’équité intergénérationnelle, qui s’inscrit nécessairement

dans le long terme. La présente Cour, connue également comme la Cour
mondiale, n’est pas une simple cour internationale chargée de dire le
droit, c’est la Cour internationale de Justice et, en tant que telle, elle ne
peut faire abstraction des principes.

(Signé) Antônio Augusto C ANÇADO TRINDADE .

205

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Opinion individuelle de M. le juge Cançado Trindade

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