Déclaration de M. le juge ad-hoc Cot

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124-20121119-JUD-01-07-EN
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124-20121119-JUD-01-00-EN
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768

DÉCLARATION DE M. LE JUGE AD HOC COT

Spécificité de la Caraïbe occidentale — Gestion multilatérale par un réseau de
traités bilatéraux — Droits des Etats tiers affectés par l’arrêt — Allure baroque
du tracé de la délimitation — Statut des Etats non parties à la convention de 1982
quant à la délimitation du plateau continental au‑delà de 200 milles marins.

1. Je suis d’accord dans l’ensemble avec l’arrêt de la Cour. Maxis j’ai de
sérieuses réserves à formuler sur certains points.
2. Sur la question des droits des Etats tiers et de la gestion multilatéx -

rale de la Caraïbe occidentale, je pense que la perspective strictemexnt bila -
térale du litige qui est celle de la Cour conduit à des résultaxts regrettables.
3. Le litige dont la Cour est saisie dans l’affaire du Différend territorial
et maritime (Nicaragua c. Colombie) est sans doute un litige bilatéral,

opposant deux Etats sur des questions de souveraineté et de délimixtation
maritime. Mais il s’inscrit dans un cadre géographique plus large xet très
particulier: celui de la Caraïbe occidentale.
4. La Caraïbe occidentale comprend quatorze Etats riverains de la

zone. Elle se caractérise par la densité des activités de toutex nature dans
un espace relativement limité. Densité et variété des activixtés écono -
miques: au premier chef, la navigation à destination ou en provenance de
cette voie de communication majeure qu’est le canal de Panama. Mais
encore activités de pêche, de tourisme, récolte du guano — ce fut long -

temps une ressource importante et convoitée —, exploitation du pétrole.
5. Ces activités se déploient dans un environnement fragile caractérisé
par la présence d’atolls et de récifs coralliens, avec une richesse biologique
remarquable. Les menaces pesant sur cet environnement sont nom -

breuses: surexploitation des ressources halieutiques, pollution, risque
d’un accident pétrolier majeur comme l’a illustré le désaxstre de la plate -
forme pétrolière Deepwater Horizon dans le golfe du Mexique en 2010.
6. Pour prendre en compte ces divers problèmes, les Etats riverains ont

conclu un ensemble d’accords bilatéraux ne concernant pas seulemenxt la
délimitation maritime. Ces accords établissaient une forme de gestxion mul -
tilatérale informelle, une mise en œuvre de cet « ordre public des océans »
pour reprendre la formule de McDougal et Burke 1. Ils concernaient, par-
delà la délimitation des espaces maritimes, la protection de l’xenvironne -

ment marin, le partage de la richesse halieutique, l’exploitation desx
ressources, la recherche scientifique, la lutte contre le trafic de drogue, etc.

1Myres S. McDougal et William T. Burke, The Public Order of the Oceans :A Contem‑
porary International Law of the Sea, New Haven, New Haven Press, 1987.

148

6 CIJ1034.indb 292 7/01/14 12:43 769 différend territoriaxl et maritime (décl. cotx)

7. La Cour ne saurait ignorer ces caractéristiques d’ensemble de la
région et leurs conséquences juridiques, notamment la nécessitéx d’une ges -

tion en commun par les Etats considérés de cet espace fragile. Son arrêt
met malheureusement à bas ce cadre régional et redessine la géoxgraphie
politique de la Caraïbe occidentale.
8. S’agissant des droits et intérêts des Etats tiers, j’ai votéx contre la
demande d’intervention du Costa Rica pour des raisons tenant à la xbonne

administration de la justice. J’ai en effet considéré que le xCosta Rica avait
pleinement fait valoir ses intérêts d’ordre juridique lors de la procédure
relative à la requête à fin d’intervention et que la Cour xétait suffisamment
informée pour pouvoir statuer en connaissance de cause et dans le resxpect
des droits du Costa Rica. Je n’ai pas pour autant considéré quex le Costa
Rica n’avait aucun droit à faire valoir en l’espèce. La Courx doit tenir

compte des droits des Etats tiers, que ceux-ci les aient fait valoir par la
procédure d’intervention ou non (Frontière terrestre et maritime entre le
Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria ; Guinée équatoriale (inter ‑
venant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2002, p. 421, par. 238).
9. Après avoir examiné l’affaire au fond, j’estime que les drxoits des

Etats tiers sont affectés par l’arrêt. L’article 59 du Statut de la Cour ne
leur assure pas, dans le cas d’espèce, une protection adéquate,x compte
tenu de la perspective choisie par la Cour.
10. Pour être plus précis, la Cour a décidé d’interrompre la délimitation
des espaces maritimes entre les Parties dès lors que le tracé de cxelle-ci attei-

gnait une zone délimitée par un accord conclu avec un Etat tiers. Le problème
est que ces délimitations conventionnelles n’existent plus, du faixt de la dispa-
rition de leur objet par la substitution du Nicaragua à la Colombie cxomme
souverain ou titulaire de droits souverains dans les espaces considérxés.
11. L’arrêt constate en effet — et à juste titre dans sa perspective — la
nullité ab initio des accords passés par la Colombie avec ses voisins dans

toutes leurs dispositions, pour autant que le Nicaragua se substitue àx la
Colombie comme cocontractant. Elle reconnaît ainsi cette situation loxrs -
qu’elle rejette la demande présentée par le Nicaragua dans sa cxonclu -
sion II afin d’obtenir une déclaration : « La Cour fait observer que la
demande du Nicaragua est présentée dans le cadre d’une instancex concer -

nant une frontière maritime qui n’a jamais été tracée aupxaravant» (arrêt,
par. 250).
12. Il résulte de la disparition de ces accords qu’aucune de leurs disxpo -
sitions, notamment celles relatives à la délimitation des espaces xmaritimes,
ne saurait lier le Nicaragua dans ses relations avec les Etats tiers. Etx, réci -

proquement, aucun des Etats tiers n’est lié par ces dispositions dxans ses
relations avec le Nicaragua. Aucun de ces Etats ne saurait en particuliexr
se voir opposer dans ses demandes de délimitation maritime un accord,x
devenu nul ou inexistant, convenu à partir de données politiques ext géo -
graphiques différentes et en particulier à partir de lignes de bxase diffé -
rentes, avec la Colombie.

13. Il aurait été plus judicieux pour la Cour d’interrompre la lignxe de
délimitation entre les deux Parties au point où les Etats tiers ne sauraient

149

6 CIJ1034.indb 294 7/01/14 12:43 770 différend territoriaxl et maritime (décl. cotx)

avancer une revendication à l’aune du droit international généxral, en lais-
sant de côté des accords conclus naguère, mais aujourd’hui nxuls et donc

sans pertinence pour le présent différend.
14. Quant à la délimitation opérée entre la côte continentalex du Nica -
ragua et l’archipel de San Andrés, je lui trouve une allure baroquxe. La
Cour aurait été bien inspirée de s’en tenir à sa jurispruxdence passée en

matière de délimitation maritime entre côtes opposées, notamxment dans
les affaires Libye/Malte et Jan Mayen (Plateau continental (Jamahiriya
arabe libyenne/Malte), arrêt, C.I.J. Recueil 1985, p. 13, et Délimitation
maritime dans la région située entre le Groenland et Jan Mayen (Danemark

c. Norvège), arrêt, C.I.J. Recueil 1993, p. 38). Elle aurait pu y procéder en
choisissant trois points de base sur les côtes respectives de chacunex des
Parties, suivant les indications de l’arrêt rendu par la Cour dansx l’affaire
de la Délimitation maritime en mer Noire 2, ceci afin de tracer une ligne

médiane provisoire simplifiée constituée de deux lignes droitxes formant un
angle d’environ 130 degrés à l’ouest de l’île de Providencia. Elle aurait
ensuite opéré une translation vers l’est d’environ 25 minutes de cette ligne
pour l’ajuster en tenant compte de l’importante disproportion entrxe les

longueurs de côtes.
15. Cette ligne médiane ajustée, reflétant la direction générale de la
côte continentale du Nicaragua, aurait eu le mérite d’une réxelle simplicité.
Elle n’aurait comporté qu’un point d’inflexion au lieu desx quatre points
o
d’inflexion retenus par la Cour (voir croquis n 11 : Tracé de la frontière
maritime, p. 714). Elle aurait été plus fidèle à la jurisprudence passxée de la
Cour. Elle n’aurait pas contraint la Cour à pondérer d’une mxanière

bizarre les pointo de base retenus pour tracer une sinusoïde étrange
(voir croquis n 9 : Construction de la ligne pondérée, p. 711). Elle n’au -
rait pas conduit la Cour à transformer ensuite cette ligne en un ensexmble
de segments de droite qu’il ne sera pas aisé de situer en mer pour la navi -

gation ou l’exploitation des ressources dans le secteur.
16. Le résultat d’une ligne médiane simplifiée et transposéxe n’aurait pas
été très différent de celui auquel la Cour est parvenu. Maxis il aurait été plus
évident, plus facile à expliquer et à justifier au regard du xdroit de la délimi -

tation maritime. En raison de la simplicité de son tracé, une déxlimitation
suivant une telle ligne aurait aussi été plus facile à situer et donc à respec -
ter dans la mer Caraïbe par les nombreux et divers acteurs concernéxs.
17. Enfin, je trouve quelque peu confuses les déclarations de la Cour

au sujet de la procédure engagée par le Nicaragua auprès de la xCommis -

2 Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine), arrêt, C.I.J. Recueil 2009,
p. 105, par. 127 :

«A ce stade du processus de délimitation, la Cour identifiera le lonxg de la côte ou
des côtes pertinentes des Parties les points appropriés qui marquexnt une modification
significative de la direction de la côte de sorte que la figure gxéométrique formée par la
ligne qui relie l’ensemble de ces points reflète la direction générale de la ligne de côtes.
Les points ainsi retenus sur chaque côte auront, sur la ligne d’équidistance provisoire,
un effet tenant dûment compte de la géographie. »

150

6 CIJ1034.indb 296 7/01/14 12:43 771 différend territoriaxl et maritime (décl. cotx)

sion des limites du plateau continental. La Cour souligne à juste titxre l’im -
portance de la convention :

«La Cour rappelle que, aux termes de son préambule, la CNUDM
a pour objet d’établir « un ordre juridique pour les mers et les océans

qui facilite les communications internationales et favorise les utilisa -
tions pacifiques des mers et des océans [ainsi que] l’utilisation équi -
table et efficace de leurs ressources »; il y est également souligné que
«les problèmes des espaces marins sont étroitement liés et doivexnt
être envisagés dans leur ensemble ».» (Arrêt, par. 126.)

18. J’applaudis! Mais c’est la phrase suivante qui me pose problème :
«Eu égard à l’objet et au but de la CNUDM, tels qu’exposésx dans son
préambule, le fait que la Colombie n’y soit pas partie n’exonèxre pas le

Nicaragua des obligations qu’il tient de l’article 76 de cet instrument. » La
Cour observe que nombre de dispositions de la convention expriment
aujourd’hui des règles incorporées dans le droit coutumier général. Elle
note en particulier l’accord des Parties pour reconnaître que les xarticles 74
et 83 de la convention, ainsi que l’article 121, sont à considérer comme

déclaratoires du droit coutumier (ibid., par. 138). La Cour confirme que
l’article 121, relatif au statut juridique des îles, forme un tout indivisible x
et faisant partie du droit international coutumier (ibid., par. 139).
19. Toutefois, je reste sceptique lorsque la Cour en déduit que le Nicarax -
gua est tenu, vis-à-vis de la Colombie, de respecter les obligations qui lui

incombent au titre de l’article 76, paragraphe 8, de la convention pour fixer
la limite extérieure de son plateau continental au-delà des 200 milles marins.
Cette obligation s’impose sans doute dans les relations entre le Nicaxragua
et les autres Etats parties à la convention. Mais elle ne me paraîxt pas perti -
nente dans l’instance présente. Il est difficile de considérerx le paragraphe 8
comme une expression du droit coutumier. La disposition institue une prox -

cédure particulière à laquelle les Etats non membres n’ont pxas accès. L’a-r
ticle 76, paragraphe 8, est donc res inter alios acta pour la Colombie.
20. Le point vaut d’être souligné dans une perspective régionalex. Des
Etats côtiers importants (Colombie, Venezuela, Etats-Unis d’Améxrique),
dont la souveraineté s’étend à la bonne moitié des côtxes continentales qui

enserrent la mer Caraïbe, ne sont pas parties à la convention. Ilsx ne sau -
raient être affectés par les procédures prévues par la conxvention pour la
détermination de la limite extérieure du plateau continental. En lxa pré -
sente espèce, la Cour aurait dû s’en tenir à l’examen desx éléments de
preuve produits dans le cadre de la procédure judiciaire afin de rexjeter la

demande du Nicaragua de délimiter son plateau continental au-delà de
200 milles marins. Je rejoins totalement sur ce point les vues exprimées x
par le juge ad hoc Mensah.

(Signé) Jean-Pierre Cot.

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6 CIJ1034.indb 298 7/01/14 12:43

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DÉCLARATION DE M. LE JUGE AD HOC COT

Spécificité de la Caraïbe occidentale — Gestion multilatérale par un réseau de
traités bilatéraux — Droits des Etats tiers affectés par l’arrêt — Allure baroque
du tracé de la délimitation — Statut des Etats non parties à la convention de 1982
quant à la délimitation du plateau continental au‑delà de 200 milles marins.

1. Je suis d’accord dans l’ensemble avec l’arrêt de la Cour. Maxis j’ai de
sérieuses réserves à formuler sur certains points.
2. Sur la question des droits des Etats tiers et de la gestion multilatéx -

rale de la Caraïbe occidentale, je pense que la perspective strictemexnt bila -
térale du litige qui est celle de la Cour conduit à des résultaxts regrettables.
3. Le litige dont la Cour est saisie dans l’affaire du Différend territorial
et maritime (Nicaragua c. Colombie) est sans doute un litige bilatéral,

opposant deux Etats sur des questions de souveraineté et de délimixtation
maritime. Mais il s’inscrit dans un cadre géographique plus large xet très
particulier: celui de la Caraïbe occidentale.
4. La Caraïbe occidentale comprend quatorze Etats riverains de la

zone. Elle se caractérise par la densité des activités de toutex nature dans
un espace relativement limité. Densité et variété des activixtés écono -
miques: au premier chef, la navigation à destination ou en provenance de
cette voie de communication majeure qu’est le canal de Panama. Mais
encore activités de pêche, de tourisme, récolte du guano — ce fut long -

temps une ressource importante et convoitée —, exploitation du pétrole.
5. Ces activités se déploient dans un environnement fragile caractérisé
par la présence d’atolls et de récifs coralliens, avec une richesse biologique
remarquable. Les menaces pesant sur cet environnement sont nom -

breuses: surexploitation des ressources halieutiques, pollution, risque
d’un accident pétrolier majeur comme l’a illustré le désaxstre de la plate -
forme pétrolière Deepwater Horizon dans le golfe du Mexique en 2010.
6. Pour prendre en compte ces divers problèmes, les Etats riverains ont

conclu un ensemble d’accords bilatéraux ne concernant pas seulemenxt la
délimitation maritime. Ces accords établissaient une forme de gestxion mul -
tilatérale informelle, une mise en œuvre de cet « ordre public des océans »
pour reprendre la formule de McDougal et Burke 1. Ils concernaient, par-
delà la délimitation des espaces maritimes, la protection de l’xenvironne -

ment marin, le partage de la richesse halieutique, l’exploitation desx
ressources, la recherche scientifique, la lutte contre le trafic de drogue, etc.

1Myres S. McDougal et William T. Burke, The Public Order of the Oceans :A Contem‑
porary International Law of the Sea, New Haven, New Haven Press, 1987.

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6 CIJ1034.indb 292 7/01/14 12:43 768

DECLARATION OF JUDGE AD HOC COT

[Translation]

Specific circumstances of the western Caribbean — Multilateral management

through a network of bilateral treaties — Rights of third States affected by the
Judgment — Overly complicated nature of the course of the delimitation — Status
of States not parties to the 1982 Convention with respect to the delimitation of the
continental shelf beyond 200 nautical miles.

1. In the main, I am in agreement with the Judgment of the Court.

However, I have serious reservations about certain points.
2. On the question of the rights of third States and of the multilateral
management of the western Caribbean, it is my view that the Court’s
strictly bilateral approach to the dispute leads to unfortunate results.x

3. The dispute before the Court in the case concerning the Territorial
and Maritime Dispute (Nicaragua v. Colombia) is undoubtedly a bilateral
one, in which two States are in conflict over issues of sovereignty anxd
maritime delimitation. However, it falls within a wider and very specifixc

geographical framework: that of the western Caribbean.
4. The western Caribbean is made up of 14 coastal States in the area.
It is characterized by the density of a range of activities conducted inx a
relatively confined space. A density and variety of economic activitiexs: to

begin with, there is shipping, both to and from the major communica -
tions link represented by the Panama Canal. But also fishing, tourism,x the
collection of guano — which for a long time was an important and much
sought-after resource — and the extraction of oil.
5. These activities take place in a fragile environment characterized by

atolls and coral reefs, with a remarkable biological diversity. There arxe a
great many threats to this environment : over-exploitation of fishery
resources; pollution; risk of a major oil accident, as shown by the Deep -
water Horizon oil platform disaster in the Gulf of Mexico in 2010.

6. To take account of these various problems, the coastal States con -
cluded a series of bilateral agreements, not solely relating to maritimex
delimitation. Those agreements established an informal multilateral man -

agement régime, an application of the “public order of the oceans”x, to
borrow the expression used by McDougal and Burke 1. In addition to the
delimitation of maritime spaces, they addressed the protection of the
marine environment, the sharing of fish stocks, the exploitation of

resources, scientific research, the fight against drug trafficking,x etc.

1Myres S. McDougal and William T. Burke, The Public Order of the Oceans : A
Contemporary International Law of the Sea, New Haven, New Haven Press, 1987.

148

6 CIJ1034.indb 293 7/01/14 12:43 769 différend territoriaxl et maritime (décl. cotx)

7. La Cour ne saurait ignorer ces caractéristiques d’ensemble de la
région et leurs conséquences juridiques, notamment la nécessitéx d’une ges -

tion en commun par les Etats considérés de cet espace fragile. Son arrêt
met malheureusement à bas ce cadre régional et redessine la géoxgraphie
politique de la Caraïbe occidentale.
8. S’agissant des droits et intérêts des Etats tiers, j’ai votéx contre la
demande d’intervention du Costa Rica pour des raisons tenant à la xbonne

administration de la justice. J’ai en effet considéré que le xCosta Rica avait
pleinement fait valoir ses intérêts d’ordre juridique lors de la procédure
relative à la requête à fin d’intervention et que la Cour xétait suffisamment
informée pour pouvoir statuer en connaissance de cause et dans le resxpect
des droits du Costa Rica. Je n’ai pas pour autant considéré quex le Costa
Rica n’avait aucun droit à faire valoir en l’espèce. La Courx doit tenir

compte des droits des Etats tiers, que ceux-ci les aient fait valoir par la
procédure d’intervention ou non (Frontière terrestre et maritime entre le
Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria ; Guinée équatoriale (inter ‑
venant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2002, p. 421, par. 238).
9. Après avoir examiné l’affaire au fond, j’estime que les drxoits des

Etats tiers sont affectés par l’arrêt. L’article 59 du Statut de la Cour ne
leur assure pas, dans le cas d’espèce, une protection adéquate,x compte
tenu de la perspective choisie par la Cour.
10. Pour être plus précis, la Cour a décidé d’interrompre la délimitation
des espaces maritimes entre les Parties dès lors que le tracé de cxelle-ci attei-

gnait une zone délimitée par un accord conclu avec un Etat tiers. Le problème
est que ces délimitations conventionnelles n’existent plus, du faixt de la dispa-
rition de leur objet par la substitution du Nicaragua à la Colombie cxomme
souverain ou titulaire de droits souverains dans les espaces considérxés.
11. L’arrêt constate en effet — et à juste titre dans sa perspective — la
nullité ab initio des accords passés par la Colombie avec ses voisins dans

toutes leurs dispositions, pour autant que le Nicaragua se substitue àx la
Colombie comme cocontractant. Elle reconnaît ainsi cette situation loxrs -
qu’elle rejette la demande présentée par le Nicaragua dans sa cxonclu -
sion II afin d’obtenir une déclaration : « La Cour fait observer que la
demande du Nicaragua est présentée dans le cadre d’une instancex concer -

nant une frontière maritime qui n’a jamais été tracée aupxaravant» (arrêt,
par. 250).
12. Il résulte de la disparition de ces accords qu’aucune de leurs disxpo -
sitions, notamment celles relatives à la délimitation des espaces xmaritimes,
ne saurait lier le Nicaragua dans ses relations avec les Etats tiers. Etx, réci -

proquement, aucun des Etats tiers n’est lié par ces dispositions dxans ses
relations avec le Nicaragua. Aucun de ces Etats ne saurait en particuliexr
se voir opposer dans ses demandes de délimitation maritime un accord,x
devenu nul ou inexistant, convenu à partir de données politiques ext géo -
graphiques différentes et en particulier à partir de lignes de bxase diffé -
rentes, avec la Colombie.

13. Il aurait été plus judicieux pour la Cour d’interrompre la lignxe de
délimitation entre les deux Parties au point où les Etats tiers ne sauraient

149

6 CIJ1034.indb 294 7/01/14 12:43 territorial and marixtime dispute (decl. cotx) 769

7. The Court cannot ignore these overall characteristics of the region
or their legal consequences, in particular the need for joint managementx

of this fragile area by the States concerned. Regrettably, the Court’s
Judgment overturns this regional framework and redraws the political
geography of the western Caribbean.
8. With regard to the rights and interests of third States, I voted againstx
Costa Rica’s request to intervene, for reasons associated with the soxund

administration of justice. I took the view that Costa Rica had fully
asserted its legal interests during the proceedings relating to the Applxica -
tion for permission to intervene, and that the Court had been sufficienxtly
informed to rule with a full knowledge of the facts and with respect forx
Costa Rica’s rights. This is not to say that I thought that Costa Ricxa had
no rights to assert in this case. The Court must take account of the rigxhts

of third States, whether the latter have asserted them through interven -
tion proceedings or not (Land and Maritime Boundary between Cameroon
and Nigeria (Cameroon v. Nigeria : Equatorial Guinea intervening), Judg ‑
ment, I.C.J. Reports 2002, p. 421, para. 238).
9. Having examined the case on the merits, I believe that the rights of

third States are affected by the Judgment. In view of the approach takxen
by the Court, Article 59 of the Statute of the Court does not afford them
adequate protection in this case.
10. To be more specific, the Court decided to end the line delimiting
the Parties’ maritime spaces where that line reached an area delimitexd by

an agreement concluded with a third State. The problem is that those
treaty-based delimitations no longer exist, since their object disappears
with the substitution of Nicaragua for Colombia as the holder of sover -
eignty or of sovereign rights in the spaces concerned.
11. The Judgment records — and rightly so from its perspective — the
nullity ab initio of every single provision of the agreements made by

Colombia with its neighbours, where Nicaragua takes Colombia’s place x
as a contracting party. The Court recognizes that situation when it rejexcts
the request for a declaration made by Nicaragua in its second submis -
sion: “The Court observes that Nicaragua’s request for this declaratioxn is
made in the context of proceedings regarding a maritime boundary which

had not been settled prior to the decision of the Court.” (Judgment,
para. 250.)
12. As a result of the disappearance of those agreements, none of the
provisions contained therein, particularly those relating to the delimitxa -
tion of maritime spaces, can be binding on Nicaragua in its relations wixth

the third States. Equally, no third State is bound by those provisions ixn
its relations with Nicaragua. In particular, those States’ maritime dxelimi -
tation claims cannot be subject to an agreement, which has become null
and void or ceased to exist, that was agreed on the basis of differentx polit -
ical and geographical information, and, in particular, on different baxse -
lines, with Colombia.

13. It would have been more judicious for the Court to end the delimi -
tation line between the two Parties at the point where third States coulxd

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6 CIJ1034.indb 295 7/01/14 12:43 770 différend territoriaxl et maritime (décl. cotx)

avancer une revendication à l’aune du droit international généxral, en lais-
sant de côté des accords conclus naguère, mais aujourd’hui nxuls et donc

sans pertinence pour le présent différend.
14. Quant à la délimitation opérée entre la côte continentalex du Nica -
ragua et l’archipel de San Andrés, je lui trouve une allure baroquxe. La
Cour aurait été bien inspirée de s’en tenir à sa jurispruxdence passée en

matière de délimitation maritime entre côtes opposées, notamxment dans
les affaires Libye/Malte et Jan Mayen (Plateau continental (Jamahiriya
arabe libyenne/Malte), arrêt, C.I.J. Recueil 1985, p. 13, et Délimitation
maritime dans la région située entre le Groenland et Jan Mayen (Danemark

c. Norvège), arrêt, C.I.J. Recueil 1993, p. 38). Elle aurait pu y procéder en
choisissant trois points de base sur les côtes respectives de chacunex des
Parties, suivant les indications de l’arrêt rendu par la Cour dansx l’affaire
de la Délimitation maritime en mer Noire 2, ceci afin de tracer une ligne

médiane provisoire simplifiée constituée de deux lignes droitxes formant un
angle d’environ 130 degrés à l’ouest de l’île de Providencia. Elle aurait
ensuite opéré une translation vers l’est d’environ 25 minutes de cette ligne
pour l’ajuster en tenant compte de l’importante disproportion entrxe les

longueurs de côtes.
15. Cette ligne médiane ajustée, reflétant la direction générale de la
côte continentale du Nicaragua, aurait eu le mérite d’une réxelle simplicité.
Elle n’aurait comporté qu’un point d’inflexion au lieu desx quatre points
o
d’inflexion retenus par la Cour (voir croquis n 11 : Tracé de la frontière
maritime, p. 714). Elle aurait été plus fidèle à la jurisprudence passxée de la
Cour. Elle n’aurait pas contraint la Cour à pondérer d’une mxanière

bizarre les pointo de base retenus pour tracer une sinusoïde étrange
(voir croquis n 9 : Construction de la ligne pondérée, p. 711). Elle n’au -
rait pas conduit la Cour à transformer ensuite cette ligne en un ensexmble
de segments de droite qu’il ne sera pas aisé de situer en mer pour la navi -

gation ou l’exploitation des ressources dans le secteur.
16. Le résultat d’une ligne médiane simplifiée et transposéxe n’aurait pas
été très différent de celui auquel la Cour est parvenu. Maxis il aurait été plus
évident, plus facile à expliquer et à justifier au regard du xdroit de la délimi -

tation maritime. En raison de la simplicité de son tracé, une déxlimitation
suivant une telle ligne aurait aussi été plus facile à situer et donc à respec -
ter dans la mer Caraïbe par les nombreux et divers acteurs concernéxs.
17. Enfin, je trouve quelque peu confuses les déclarations de la Cour

au sujet de la procédure engagée par le Nicaragua auprès de la xCommis -

2 Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine), arrêt, C.I.J. Recueil 2009,
p. 105, par. 127 :

«A ce stade du processus de délimitation, la Cour identifiera le lonxg de la côte ou
des côtes pertinentes des Parties les points appropriés qui marquexnt une modification
significative de la direction de la côte de sorte que la figure gxéométrique formée par la
ligne qui relie l’ensemble de ces points reflète la direction générale de la ligne de côtes.
Les points ainsi retenus sur chaque côte auront, sur la ligne d’équidistance provisoire,
un effet tenant dûment compte de la géographie. »

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6 CIJ1034.indb 296 7/01/14 12:43 territorial and marixtime dispute (decl. cotx) 770

not advance a claim under general international law, leaving to one sidex
the previously concluded agreements, now, however, null and void and
thus of no relevance to the present dispute.

14. As to the delimitation effected between the mainland coast of Nica-
ragua and the San Andrés Archipelago, I find it overly complicated.x The
Court would have been well advised to follow its earlier jurisprudence in
the matter of maritime delimitation between opposing coasts, in particu -

lar the Libya/Malta and Jan Mayen cases (Continental Shelf (Libyan Arab
Jamahiriya/Malta), Judgment, I.C.J. Reports 1985, p. 13 and Maritime
Delimitation in the Area between Greenland and Jan Mayen (Denmark v.
Norway), Judgment, I.C.J. Reports 1993, p. 38). It could have proceeded

by selecting three base points on the respective coasts of each Party, axs
indicated in the Judgment handed down by the Court in the case concern -
ing the Maritime Delimitation in the Black Sea , and used these to draw a
simplified provisional median line made up of two straight lines forming

an angle of approximately 130° to the west of the island of Providencxia.
It could then have transposed that line eastwards by approximately
25 minutes, adjusting it to take account of the considerable disproportion x
between the coast lengths.

15. That adjusted median line, reflecting the general direction of Nica -
ragua’s mainland coast, would have had the merit of simplicity. It woxuld
have included only one turning point instead of the four adopted by the x
Court (see sketch-map No. 11 “Course of the maritime boundary”,
p. 714). It would have followed the Court’s previous jurisprudence morex

closely. It would not have compelled the Court to give bizarre weightingxs
to its chosen base points in order to plot a strange sinusoid (see sketxch-map
No. 9 “Construction of the weighted line”, p. 711). It would not have led
the Court to then transform that line into a group of straight-line seg -

ments, which will not be easy to locate at sea for the purpose of navigax -
tion or the exploitation of resources in the area.
16. The result of a simplified and transposed median line would not
have been very different from that achieved by the Court. But it wouldx

have been clearer, and both simpler to explain and to justify in terms oxf
maritime delimitation law. Because of its simplicity, a delimitation linxe
following such a course would have been easier for the many and varied
players in the Caribbean Sea to locate and thus to respect.

17. Finally, I find the Court’s statements on the proceedings institutexd
by Nicaragua before the Commission on the Limits of the Continental

2Maritime Delimitation in the Black Sea (Romania v. Ukraine), Judgment, I.C.J. Rep‑
orts 2009, p. 105, para. 127 :

“In this stage of the delimitation exercise, the Court will identify xthe appropriate
points on the Parties’ relevant coast or coasts which mark a signifixcant change in the
direction of the coast, in such a way that the geometrical figure formed by the line
connecting all these points reflects the general direction of the coasxtlines. The points
thus selected on each coast will have an effect on the provisional equxidistance line
that takes due account of the geography.”

150

6 CIJ1034.indb 297 7/01/14 12:43 771 différend territoriaxl et maritime (décl. cotx)

sion des limites du plateau continental. La Cour souligne à juste titxre l’im -
portance de la convention :

«La Cour rappelle que, aux termes de son préambule, la CNUDM
a pour objet d’établir « un ordre juridique pour les mers et les océans

qui facilite les communications internationales et favorise les utilisa -
tions pacifiques des mers et des océans [ainsi que] l’utilisation équi -
table et efficace de leurs ressources »; il y est également souligné que
«les problèmes des espaces marins sont étroitement liés et doivexnt
être envisagés dans leur ensemble ».» (Arrêt, par. 126.)

18. J’applaudis! Mais c’est la phrase suivante qui me pose problème :
«Eu égard à l’objet et au but de la CNUDM, tels qu’exposésx dans son
préambule, le fait que la Colombie n’y soit pas partie n’exonèxre pas le

Nicaragua des obligations qu’il tient de l’article 76 de cet instrument. » La
Cour observe que nombre de dispositions de la convention expriment
aujourd’hui des règles incorporées dans le droit coutumier général. Elle
note en particulier l’accord des Parties pour reconnaître que les xarticles 74
et 83 de la convention, ainsi que l’article 121, sont à considérer comme

déclaratoires du droit coutumier (ibid., par. 138). La Cour confirme que
l’article 121, relatif au statut juridique des îles, forme un tout indivisible x
et faisant partie du droit international coutumier (ibid., par. 139).
19. Toutefois, je reste sceptique lorsque la Cour en déduit que le Nicarax -
gua est tenu, vis-à-vis de la Colombie, de respecter les obligations qui lui

incombent au titre de l’article 76, paragraphe 8, de la convention pour fixer
la limite extérieure de son plateau continental au-delà des 200 milles marins.
Cette obligation s’impose sans doute dans les relations entre le Nicaxragua
et les autres Etats parties à la convention. Mais elle ne me paraîxt pas perti -
nente dans l’instance présente. Il est difficile de considérerx le paragraphe 8
comme une expression du droit coutumier. La disposition institue une prox -

cédure particulière à laquelle les Etats non membres n’ont pxas accès. L’a-r
ticle 76, paragraphe 8, est donc res inter alios acta pour la Colombie.
20. Le point vaut d’être souligné dans une perspective régionalex. Des
Etats côtiers importants (Colombie, Venezuela, Etats-Unis d’Améxrique),
dont la souveraineté s’étend à la bonne moitié des côtxes continentales qui

enserrent la mer Caraïbe, ne sont pas parties à la convention. Ilsx ne sau -
raient être affectés par les procédures prévues par la conxvention pour la
détermination de la limite extérieure du plateau continental. En lxa pré -
sente espèce, la Cour aurait dû s’en tenir à l’examen desx éléments de
preuve produits dans le cadre de la procédure judiciaire afin de rexjeter la

demande du Nicaragua de délimiter son plateau continental au-delà de
200 milles marins. Je rejoins totalement sur ce point les vues exprimées x
par le juge ad hoc Mensah.

(Signé) Jean-Pierre Cot.

151

6 CIJ1034.indb 298 7/01/14 12:43 territorial and marixtime dispute (decl. cotx) 771

Shelf somewhat muddled. The Court rightly underlines the importance of
the Convention :

“The Court recalls that UNCLOS, according to its Preamble, is
intended to establish ‘a legal order for the seas and oceans which wixll

facilitate international communication, and will promote the peaceful
uses of the seas and oceans, the equitable and efficient utilization ofx
their resources’. The Preamble also stresses that ‘the problems ofx
ocean space are closely interrelated and need to be considered as a
whole’.” (Judgment, para. 126.)

18. I applaud this ! However, it is the following sentence that I find
problematic: “Given the object and purpose of UNCLOS, as stipulated
in its Preamble, the fact that Colombia is not a party thereto does not x

relieve Nicaragua of its obligations under Article 76 of that Convention.”
The Court observes that several of the Convention’s provisions reflxect
rules which today are incorporated into general customary law. It notes,x
in particular, the Parties’ agreement that Articles 74 and 83 of the Con -
vention, and Article 121, are to be considered declaratory of customary

international law (ibid., para. 138). The Court confirms that Article 121,
relating to the legal status of islands, forms an indivisible régime xand has
the status of customary international law (ibid., para. 139).
19. However, I remain sceptical of the Court’s finding that Nicaragua
is bound, vis-à-vis Colombia, to respect its obligations under Article 76,

paragraph 8, of the Convention, in order to delineate the outer limit of its
continental shelf beyond 200 nautical miles. That obligation must
undoubtedly be respected in relations between Nicaragua and the other
States parties to the Convention. However, in my view, it is not pertinexnt
in the present case. It is difficult to regard paragraph 8 as an expression of
customary law. The provision institutes a specific procedure which is xnot

accessible to non-member States. Article 76, paragraph 8, is thus res inter
alios acta for Colombia.
20. The point is worth emphasizing from a regional perspective. Some
important coastal States (Colombia, Venezuela, the United States of
America), which have sovereignty over a good half of the mainland coastx

surrounding the Caribbean Sea, are not parties to the Convention. They
cannot be affected by the procedures provided for therein for the detexrmi -
nation of the outer limit of the continental shelf. In the present case,x the
Court should have confined itself to examining the evidence set forth xdur -
ing the judicial proceedings in order to reject Nicaragua’s claim for a

delimitation of its continental shelf beyond 200 nautical miles. On thisx
point, I fully support the views expressed by Judge ad hoc Mensah.

(Signed) Jean-Pierre Cot.

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6 CIJ1034.indb 299 7/01/14 12:43

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Déclaration de M. le juge ad-hoc Cot

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