Opinion dissidente de M. le juge Cançado Trindade

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179

OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE CANÇADO TRINDADE

[Traduction]

table des matières

Paragraphes

I. Prolégomènes 1-6

II. Question préliminairpe: la dimension intertepmporelle
dans l’examen de l’immpunité de l’État 7-17

III. Les immunités de l’Étapt et les demandes de répparations

de guerre : une relation inélucptable dans la présentep
affaire 18-23

IV. Reconnaissance par l’Allemagne de la responsabilité
de l’État en l’espèce 24-31

V. Valeurs humaines fondpamentales: des développements

doctrinaux tirés de l’poubli 32-40

VI. L’œuvre doctrinale colplégiale d’institutiopns savantes
de droit internationapl 41-52

VII. Le seuil de gravité des aptteintes aux droits dep l’homme
et au droit internatiponal humanitaire 53-62

VIII. La question de la renonpciation aux réclamatpions
s’agissant du droit d’apccès à la justice dansp la procé-
dure devant la Cour : évaluation 63-68

IX. Les États ne peuvent, dapns le cadre de leurs replations,

renoncer à des droits pappartenant à des indivpidus vic -
times de violations grpaves du droit internatpional 69-72

X. Positions des Parties qpuant au droit d’accès pà la jus -

tice 73-79

XI. Éclaircissements donpnés par les Parties et pla Grèce en
réponse aux questionps posées par la Cour 80-96

1. Questions posées aux Parties et à la Grèce 80
2. Première série de réponses 81-91

a) Réponses de l’Allemagne et de l’Italie 82-89
b) La réponse de la Grèce 90-91

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6 CIJ1031.indb 165 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 180

3. Deuxième série de réponses 92-96

a) Observations de l’Allemagne 93
b) Observations de l’Italie 94-96

XII. L’interdiction du travpail forcé à l’époque dpe la se-
conde guerre mondialep 97-120

1. L’interdiction normative 97-101

2. Reconnaissance judiciaire de l’interdiction 102-113
3. L’interdiction dans les travaux de codification 114-116

4. Les crimes internationaux et les interdictions du jus
cogens 117-120

XIII. Plaidoiries des Partieps et de l’État intervepnant concer-
nant le Jus Cogens et le refus d’accordepr l’immunité:

évaluation 121-129

XIV. L’immunité de l’État cpontre le droit d’accèsp à la jus -
tice 130-155

1. La tension existant dans la jurisprudence de la Cour

européenne des droits de l’homme 130-142
a) L’affaire Al‑Adsani (2001) 130-134

b) L’affaire McElhinney (2001) 135-138
c) L’affaire Fogarty (2001) 139-140
d) L’affaire Kalogeropoulou et autres (2002) 141-142

2. La tension existant dans la jurisprudence des tribunaux

internes 143-148
3. La tension susmentionnée à l’ère de l’état de droit aupx
niveaux national et international 149-155

XV. Les arguments des Partipes en ce qui concernep les actes
Jure ImPerII et les actes Jure gestIonIs 156-160

XVI. La personne humaine etp les immunités de l’Étpa:tmyopie
de la perspective stricptement interétatiqupe 161-171

XVII. La perspective interétpatique viciée face à lp’impératif

de justice 172-176

XVIII. La personne humaine etp les immunités de l’Étpa:tle dé -
passement de la perspecptive strictement intperétatique 177-183

XIX. Pas d’immunités de l’Éptat en cas de delICta ImPerII 184-198

1. Massacres de civils sans défense 185-191

a) Le massacre de Distomo 185-188

b) Le massacre de Civitella 189-191
2. Déportation et travail forcé dans l’industrie de guerre 192-198

85

6 CIJ1031.indb 167 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 181

XX. La prévalence du droit d’paccès à la justice de lp’indi-
vidu: l’invocation par lesp Parties de l’affaireg oIburú
et autres (CIADH, 2006) 199-213

XXI. Le droit d’accès à la justice de l’individu : évolution

de la jurisprudence surp la loi du Jus Cogens 214-220

XXII. Sortir du non-droit : le droit au Droit de la victime
individuelle 221-226

XXIII. Vers la primauté de la reCta ratIo , qui ne disparaît

jamais 227-239

XXIV. Le droit des individus à préparation en tant qupe vic -
times de violations graves des droits de l’homme et
du droit international phumanitaire 240-281

1. Obligation de l’Etat d’accorder une réparation aux vic-

times individuelles 240-257
2. Les catégories de victimes en l’espèce 258-260
3. Le cadre juridique de la fondation « Mémoire, respon -

sabilité et avenir » (2000) 261-267
4. Evaluation des conclusions des Parties 268-281

XXV. L’impératif d’accordepr réparation aux victimpes indivi -
duelles de violations graves des droits de l’homme et

du droit internationapl humanitaire 282-287

1. La réalisation de la justice en tant que forme de répara
tion 282-284

2. La réparation en tant que réaction du droit aux viola -
tions graves 285-287

XXVI. La primauté du Jus Cogens : une réfutation de sa pdé -
construction 288-299

XXVII. Une récapitulation: conclusions 300-316

*

I. Prolégomènes

1. Je regrette de ne pouvoir me joindre à la majorité dans la décipsion
que la Cour vient d’adopter aujourd’hui, le 3 février 2012, dans l’affaire
concernant les Immunités juridictionnelles de l’Etat (Allemagne c. Italie ;

Grèce (intervenant)). Ma position dissidente concerne l’ensemble de la
décision, y compris la méthode adoptée, la démarche suivie, l’ensemble
du raisonnement quant aux questions de fond ainsi que les conclusions dep

l’arrêt. Cela étant, je souhaite consigner les fondements de map position
dissidente, étant donné l’importance que j’attache aux questions soulevées

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6 CIJ1031.indb 169 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 182

en l’espèce par l’Allemagne et l’Italie, ainsi que par la Grèce, et conscient
que le règlement du différend en cause est inéluctablement lipé à l’impératif

de réalisation de la justice telle que je perçois celle-ci.

2. Je présente donc avec le plus grand soin les fondements de ma posi -
tion totalement dissidente sur l’ensemble de la question dont traite pla
Cour dans l’arrêt qu’elle vient d’adopter, par respect pour pl’exercice de la

fonction judiciaire internationale et dans le souci de cet exercice, guipdé
par-dessus tout par l’objectif ultime consistant précisément àp réaliser la
justice. A cette fin, je me pencherai sur tous les aspects du différend pqui
fait l’objet du présent arrêt, dans l’espoir de contribuer àp la clarification
des questions soulevées et au développement progressif du droit inpterna -
tional, notamment dans le cadre de l’administration par la Cour de lap

justice internationale dans les affaires de ce type sur la base de conpsidéra -
tions fondamentales d’humanité, chaque fois que, comme en l’esppèce, les
origines factuelles de ces affaires seront des violations graves des dproits de
l’homme et du droit international humanitaire.
3. A titre préliminaire, j’analyserai la dimension intertemporelle dep l’exa -

men de l’immunité de l’Etat, pour passer ensuite à mon premiper groupe de
considérations touchant, premièrement, la relation inéluctable p(à mon sens)
qui existe en l’espèce entre les immunités de l’Etat et les pdemandes de répa -
rations de guerre et, deuxièmement, la reconnaissance par l’Allemapgne de
la responsabilité de l’Etat dans la présente affaire. J’essaierai ensuite de

réhabiliter certains développements doctrinaux aujourd’hui tombpés dans
l’oubli, consacrant des valeurs humaines fondamentales, et de rappeler le
travail doctrinal collégial effectué sur le sujet par des institutions savantes
de droit international. Je me pencherai ensuite sur le seuil de gravitép des
violations des droits de l’homme et du droit international humanitairpe.
4. Cela m’amènera à examiner la question de la renonciation à dpes récla -

mations du point de vue du droit d’accès à la justice dans les pécritures devant
la Cour, et à faire valoir que les Etats ne peuvent, dans leurs relatpions,
renoncer à des droits appartenant à des individus victimes de violations
graves du droit international. Je passerai ensuite aux arguments des Parpties
quant au droit d’accès à la justice. J’appellerai alors l’attention sur les éclair

cissements donnés par lesdites Parties, l’Allemagne et l’Italie, et par l’Etat
intervenant, la Grèce, en réponse à une série de questions qpue je leur ai
posées lors de la procédure orale devant la Cour, le 16 septembre 2011.
5. J’examinerai ensuite l’interdiction du travail forcé à l’pépoque de la
seconde guerre mondiale, et les interdictions relevant du jus cogens et le

déni de l’immunité. Cela m’amènera à me pencher sur lap tension existant,
dans la jurisprudence internationale, entre l’immunité de l’Etapt et le droit
d’accès à la justice, ainsi qu’à évaluer les argumentsp des Parties quant aux
actes jure imperii et jure gestionis. J’exposerai alors mes réflexions sur la
personne humaine et les immunités de l’Etat, en insistant sur la myopie
dont font preuve ceux qui adoptent une perspective strictement inter-

étatique, surtout face à l’impératif de justice, et en soulipgnant la nécessité
d’abandonner cette perspective tronquée. Cela m’amènera à défendre

87

6 CIJ1031.indb 171 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 183

la position selon laquelle il n’y a pas d’immunités de l’Etat pour les

delicta imperii, le droit d’accès à la justice de l’individu prévalant dpans le
domaine du jus cogens.
6. Enfin, je me pencherai sur la configuration du droit de la victime

individuelle au droit (le droit au Droit), attestant la primauté de la
recta ratio, toujours d’actualité. Je passerai ensuite au droit à réparpation
des individus victimes de violations graves des droits de l’homme et pdu

droit international humanitaire, et à l’obligation impérative qpui s’impose
à l’Etat d’accorder réparation à ces victimes. Cela m’pamènera à réaffirmer
la primauté du jus cogens, en en réfutant la déconstruction. Il me sera
alors possible, enfin et surtout, de présenter mes conclusions.

II. Question préliminairpe : la dimension intertepmporelle
dans l’examen de l’immpunité de l’État

7. L’examen de la question de l’immunité de l’Etat oblige à pse pencher
sur une question préliminaire, à savoir celle de la dimension inteprtempo -
relle de cet examen. Il s’agit de savoir si l’immunité de l’pEtat doit être
envisagée dans la présente espèce opposant l’Allemagne à pl’Italie comme

on l’entendait à l’époque (les années 1940) où les actes pour lesquels elle
est invoquée ont été commis, ou telle qu’elle est alors que pla Cour a été
saisie du présent différend.

8. A cet égard, l’Allemagne fait valoir que, à l’époque oùp les forces alle -
mandes se trouvaient en Italie, en 1943-1945, « la doctrine de l’immunité
souveraine absolue régnait de manière incontestée» 1 et que, même de nos

jours, «[l’]immunité juridictionnelle absolue pour les actes souverains d’pun
gouvernement demeure, aujourd’hui comme hier, la règle coutumièpre géné -
ralement reconnue ». L’Allemagne fait en outre valoir que s’écarter de cette
doctrine, ou créer de nouvelles exceptions à l’immunité de lp’Etat avec effet
3
rétroactif, serait contraire aux principes généraux du droit inpternational .
9. L’Italie argue quant à elle que les actes en cause dans la présente
affaire, à savoir les décisions des juges italiens qui, depuis 2004, retiennent

la compétence des juridictions italiennes à l’égard de l’pEtat allemand, ont
appliqué correctement le principe de l’immunité de l’Etat tepl qu’il est
interprété aujourd’hui . Elle fait en outre valoir que l’immunité est une

règle procédurale, qu’elle doit donc être appréciée aup regard du droit en
vigueur au moment où la juridiction est saisie 5; elle ajoute que les juridic-
tions ont généralement appliqué le droit en vigueur « au moment de l’ac-
6
tion en justice, et non pas à l’époque des fait dommageables d’porigine» .

1 Mémoire de l’Allemagne, par. 91 ; réplique de l’Allemagne, par. 37.
2 Compte rendu (CR) 2011/17, par. 29.
3 Mémoire de l’Allemagne, par. 91 ; réplique de l’Allemagne, par. 37.
4 Contre-mémoire de l’Italie, par. 1.14-1.16 ; CR 2011/18, p. 23-24.
5 Duplique de l’Italie, par. 4.2.
6 Contre-mémoire de l’Italie, par. 4.47.

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6 CIJ1031.indb 173 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 184

10. La détermination du moment à prendre en considération pour

savoir s’il faut ou non retenir l’immunité de l’Etat soulèpve deux ques -
tions: celles de savoir, premièrement, si cette immunité a changé oup évo -
lué durant les dernières décennies et, deuxièmement, si ellep doit être en
l’espèce appliquée telle qu’elle est interprétée aujouprd’hui, au moment où

la Cour est saisie du différend. S’agissant de la première qupestion, il est
clair que le droit de l’immunité de l’Etat s’est développpé et a évolué ; il
n’est pas resté statique. On ne peut dire que l’évolution suprvenue dans les
domaines du droit international des droits de l’homme, du droit pépnal

international contemporain et du droit international contemporain n’ap eu
aucune influence sur le droit en évolution de l’immunité de lp’Etat.
11. Quant à la seconde question, il y a de bonnes raisons d’envisager
l’immunité telle qu’elle existe au moment où la Cour est saipsie du différend.

Après tout, s’agissant de jugements rendus par les tribunaux italipens
depuis 2004 qui écartent l’immunité de l’Etat et accordent des répparations
aux victimes, envisager la question comme on la comprenait durant la
seconde guerre mondiale n’aurait aucun sens. La formation et le dépvelop-

pement du droit international, de même que son interprétation et spon ap- pli
cation, ne peuvent guère être dissociés de sa dimension intertepmporelle. La
question du « droit intertemporel» est posée dans le cadre de la sentence
arbitrale rendue le 1 avril 1928 dans l’affaire de l’Ile de Palmas (Pays‑Bas

c. Etats‑Unis), dans laquelle l’arbitre, Max Huber, déclarait ce qui suit:

«En ce qui concerne la question de savoir lequel des différents sys -
tèmes juridiques en vigueur à des époques successives doit êptre appli-
qué dans un cas déterminé — question du droit dit intertemporel — il
faut distinguer entre la création du droit en question et le maintienp

de ce droit. Le même principe, qui soumet un acte créateur de droipt
au droit en vigueur au moment où naît le droit, exige que l’existence
de ce droit, en d’autres termes sa manifestation continue, suive les
conditions requises par l’évolution du droit. » 7

12. A l’époque moderne, on considère qu’il n’existe pas de rèpgles de
droit international « immuables», comme on le pensait erronément il y a

longtemps. Lors des sessions qu’il a tenues à Rome en 1973 et à Wiesba -
den en 1975, l’Institut de droit international a examiné le sujet du «p droit
intertemporel». Un accord général s’est fait jour sur l’idée fondampentale
que toute situation doit être appréciée à la lumière des prègles juridiques
8
qui lui sont contemporaines , et qui évoluent avec le temps ; la résolution
prudente adoptée par l’Institut à Wiesbaden en 1975 montre qu’il était
conscient de la tension sous-jacente . 9

7 Recueil des sentences arbitrales (RSA), vol. II : affaire de l’Ile de Palmas (Pays‑Bas
c. Etats‑Unis), 4 avril 1928, p. 845 (les italiques sont de moi) ; voir aussi p. 829-871.
8Voir Annuaire de l’Institut de droit international (AIDIvol. 55 (1973), p. 33, 27,
37, 48, 50 et 86; AIDI, vol. 56 (1975), p. 536 (par1 de la résolution de l’Institut). Et
voir M. Sorensen, « Le problème dit du droit intertemporel dans l’ordre international p
— Rapport provisoire », AIDI, vol. 55 (1973), p. 35-36.
9
Voir AIDI, vol. 56 (1975), p. 536-541 ; voir en particulier le second considérant du
préambule de la résolution.

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6 CIJ1031.indb 175 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 185

13. L’impact ou l’influence du passage du temps sur la formation et p
l’évolution des règles du droit international n’est pas un phénomène exté -
10
rieur au droit . La conception positiviste/volontariste du droit inter-
national, aujourd’hui dépassée, a nourri les tentatives (vaineps) visant à

établir l’indépendance du droit par rapport au temps, tout en pprivilégiant
simultanément la méthode d’observation (par exemple, de la praptique
des Etats) réduisant indûment au minimum les principes du droit inter-

national, ce qui touche aux fondements de notre discipline.
14. Dans l’univers conceptuel de celle-ci, des aspects du droit inter-
temporel en sont venus à être étudiés, par exemple, en gardapnt à l’esprit la

relation entre le contenu et l’efficacité des normes du droit intpernational et
les transformations sociales intervenues lors des époques nouvelles. pConsti -
tue un locus classicus à cet égard l’obiter dictum bien connu de la Cour

dans l’avis consultatif rendu sur la Namibie (1971), dans lequel lap Cour a
confirmé que le système des mandats (territoires sous mandat) 11 n’était
«pas statique », mais était « par définition évoluti[f] »; et elle a ajouté

qu’elle se devait de prendre en considération les transformations psurvenues
dans le demi-siècle qui avait suivi, et l’évolution considérpable du corpus

juris gentium intervenu au fil du temps. Pour la Cour, « tout instrument
international doit être interprété et appliqué dans le cadrep de l’ensemble du
système juridique en vigueur au moment où l’interprétation ap lieu» 12.

15. Dans la présente affaire, qui oppose l’Allemagne à l’Italie, le fait
demeure que, même après l’ordonnance rendue le 6 juillet 2010 par la
Cour 13, qui a déclaré la demande reconventionnelle italienne « irrece-

10 Dans les travaux susmentionnés, l’Institut met l’accent sur l’pimpact du passage
du temps sur le développement du droit international ; voir AIDI, vol. 55 (1953), p. 108
et 114-115 (interventions de M. Lachs, P. Reuter et S. Rosenne).
11
En particulier, les concepts incorporés à l’article 22 du Pacte de la Société des
Nat12ns.
Conséquences juridiques pour les Etats de la présence continue de ▯l’Afrique du Sud en
Namibie (Sud‑Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité,
avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971, p. 31-32, par. 53.
13 Les Parties ont interprété différemment les effets de cettep ordonnance de la Cour.
L’Allemagne affirme que l’affaire n’a pas pour objet les vioplations du droit international

humanitaire commises pendant la seconde guerre mondiale et la question dpes réparations, et
que l’ordonnance de la Cour du 6 juillet 2010 le confirme (CR 2011/17, p. 18, par. 11) ;pour
l’Allemagne, la Cour n’est pas compétente pour connaître de pcette question (CR 2011/20,
p. 11, par. 4). L’Italie soutient, quant à elle, que l’ordonnance susmentiponnée de la Cour ne
l’empêche pas de soulever la question des réparations à ce sptade de la procédure pour faire
lever l’immunité de l’Allemagne (CR 2011/18, p. 13, par. 10). S’agissant de la dimension
intertemporelle du présent différend, l’Allemagne revient parp contre à la seconde guerre

mondiale pour faire valoir que la question de savoir si elle jouit de l’pimmunité devant les
tribunaux italiens doit être examinée selon les normes en vigueur pde 1943 à 1945, puisque
l’immunité est la contrepartie procédurale de la règle de fopnd qui prévoit des réparations
de guerre dans les relations entre Etats (CR 2011/17, p. 35-36, par. 32). L’Italie soutient,
pour sa part, que les règles de l’immunité de l’Etat, en tant que règles procédurales, doivent
être appliquées par les tribunaux en l’état qui est le leur pau moment où le juge est saisi et
non au moment où la violation alléguée du droit international ap eu lieu, et elle affirme que

cette position est étayée par l’article 4 de la convention des Nations Unies de 2004 sur les
immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens (CR 2011/18, p. 23-24, par. 15-18).

90

6 CIJ1031.indb 177 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 186

vable», et ainsi, à mon grand regret, tenté de dissocier les immunitpés de
l’Etat des demandes de réparations de guerre, les Parties elles-mêpmes,

l’Allemagne et l’Italie, continuent de lier leurs conclusions (épcrites et
orales) sur la question des immunités de l’Etat au contexte factupel des
demandes de réparations de guerre. Cela me semble inévitable, car on ne
peut envisager les immunités de l’Etat dans un vide, hors du contepxte
factuel (y compris leur origine factuelle) dans lequel elles sont invopquées.

Les deux vont ensemble, comme l’a clairement démontré la procédure
dans la présente affaire. Je reviendrai sur ce point tout au long dpe la pré -
sente opinion dissidente.
16. Il n’est pas justifié à mes yeux d’invoquer l’origine fpactuelle d’un
différend simplement pour faire valoir que le travail obligatoire dpans l’in -
dustrie de guerre n’était pas interdit par le passé (la secondpe guerre mon-

diale), ou que le jus cogens n’existait pas alors, ou que les droits inhérents
à la personne humaine n’étaient pas encore reconnus, tout en s’pabritant
simultanément derrière le bouclier de l’immunité de l’Etapt. Pour moi, cela
n’a absolument aucun sens, et aboutit à l’impunité et à une injustice
manifeste. Cela va à l’encontre du droit international. Cela est ipnaccep -

table aujourd’hui, comme c’était inacceptable par le passé. pCela va à l’en-
contre de la recta ratio, qui est au fondement du droit des gens aujourd’hui
comme par le passé.
17. On peut tenir compte du droit intertemporel uniquement d’une
manière qui serve ses propres intérêts dans un litige, et accepter le passage

du temps et l’évolution du droit en relation avec certains faits mpais non
d’autres, relevant de la même situation qui continue. On est peut-être plus
conscient aujourd’hui du rapport entre les immunités de l’Etat pet les demandes
de réparations de guerre, et c’est rassurant. On ne peut tout simpplement pas
écarter cette relation sans justifier une position aussi dogmatiquep. On ne
saurait invoquer des dogmes statiques pour échapper aux conséquencpes juri -

diques de la perpétration d’atrocités. Il faut tenir compte de pl’évolution du
droit dans la lutte sans fin menée pour mettre fin aux atrocitéps et faire en
sorte qu’elles ne se reproduisent pas, où que ce soit dans le mondpe.

III. Les immunités de l’Étapt et les demandes de répparations
de guerre: une relation inélucptable dans la présentep affaire

18. Force est de remarquer qu’après l’ordonnance de la Cour du 6 juil -
let 2010 déclarant la demande reconventionnelle italienne irrecevable, les

Parties (l’Allemagne et l’Italie) ont continué d’évoquer les faits qui sous-
tendent leur différend et son contexte historique. Il est de fait fprappant
que, même après l’ordonnance de la Cour du 6 juillet 2010, les deux Par -
ties, et l’Allemagne de manière plus significative, n’ont pas cessé d’évo -
quer le contexte factuel et historique de la présente affaire. S’pagissant plus
précisément de la question des réparations, l’Allemagne lui pa consacré

une partie de ses écritures et plaidoiries.

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6 CIJ1031.indb 179 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 187

19. En fait, après l’ordonnance de la Cour du 6 juillet 2010 concernant

la demande reconventionnelle italienne, l’Allemagne a soumis sa répplique
(datée du 5 octobre 2010), dont la section III (par. 12 à 34) est intitulée
«Questions liées aux réparations concernant l’Italie et les citopyens ita -
liens » . Quant aux arguments de l’Allemagne concernant la question des

réparations et le contexte factuel de la présente affaire, au papragraphe 13
de sa réplique, par exemple, elle fait valoir que l’Italie a bépnéficié du
régime de réparation d’après guerre et a reçu d’importpantes indemnités de

l’Allemagne. Au paragraphe 34 de sa réplique, l’Allemagne affirme en
outre que, par le biais de divers mécanismes de réparation, en parpticulier
dans le cadre de réparations collectives, elle s’est acquittée pde son obliga -
tion de réparer de manière pleinement satisfaisante.
15
20. Il en va de même des arguments des Parties lors des plaidoiries .
Une déclaration du conseil de l’Italie peut servir d’exemple àp cet égard:

«N’est-ce pas bien étonnant d’entendre M me l’agent de l’Alle -
magne affirmer encore à ce stade que le dossier des réparations

«do[es] not form part of the present proceedings », alors que le plus
gros des débats et des propos que votre Cour a pu entendre tout au
long de cette semaine de plaidoiries a été et continue d’êtrpe centré
essentiellement sur ce dossier et qu’en particulier chacun des plai -

deurs de la Partie adverse s’est évertué à démontrer qu’paucune viola-
tion des obligations en question n’a jamais été commise ?» 16

21. Bien que l’Allemagne affirme que l’affaire ne concerne pas «ples vio-
lations du droit humanitaire commises pendant la [seconde] guerre [mon -
17
diale] et la question des réparations» , lors du second tour de plaidoiries,
l’agent de l’Allemagne a indiqué qu’elle avait l’intentiopn « de dissiper
l’impression erronée que nos amis italiens et grecs ont pu créepr, à savoir
que les victimes de crimes de guerre commis par l’Allemagne n’auraient
18
délibérément pas été indemnisées » . Elle poursuivait alors en décrivant
comme suit le régime de réparation mis en place après la secondpe guerre
mondiale :

«— Au début des années 1960, la République fédérale d’Alle -
magne a versé 115 millions de DM à la Grèce en faveur des

victimes de la persécution raciale et religieuse. De même, elle a p
conclu avec l’Italie les deux traités auxquels il a été faitp réfé -
rence dans notre mémoire, en application desquels une somme

forfaitaire de 80 millions de DM a été versée à l’Italie.
— Environ 3400 civils italiens ont été indemnisés par la fondation
«Mémoire, responsabilité et avenir» pour le travail forcé qu’ils

14 Réplique de l’Allemagne, par. 12-34.
15 Voir, par exemple, CR 2011/20, p. 11 ;CR 2011/21, p. 14.
16 CR 2011/21, p. 14.
17
18 CR 2011/17, p. 18.
CR 2011/20, p. 11-12.

92

6 CIJ1031.indb 181 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 188

avaient dû effectuer. La somme totale versée à des ressortisspants
italiens par cette fondation avoisinait les 2 millions d’euros.

— Par ailleurs, quelque 1000 internés militaires italiens ont été
indemnisés pour cause de travail forcé dans le cadre du régime p
mis en place par ladite fondation.

— Enfin, de nombreux ressortissants italiens et grecs se sont vu
verser des indemnités en application de la législation alle -
mande d’après guerre en matière d’indemnisation. » 19

22. Le conseil de l’Allemagne revient sur la question dans sa plaidoirie,
affirmant que la position de l’Italie selon laquelle l’Allemagne pavait failli

à l’obligation de réparation collective qui lui incombait « exige[ait] une
explication du régime de réparation tel qu’il a été conçpu par la commu -
nauté des Etats » . Le conseil de l’Allemagne poursuit en expliquant les
fondements du régime de réparation « conçus par la communauté des

Etats ayant déclaré la guerre à l’Allemagne … posés à Potsdam, quelques
mois après la capitulation de l’Allemagne » 2. C’est ainsi que le conseil de
l’Allemagne a présenté «le contexte politique, historique et juridique de la
clause de renonciation, qui ne [devait] pas être considérée compme une

sorte d’accident, une disposition déviante qui ne cadr[ait] pas avpec le
régime de la responsabilité internationale » 22.
23. Pour conclure sur ce point, on ne peut faire abstraction du contexte

factuel, du contexte historique qui est à l’origine de la présepnte affaire.
Les immunités de l’Etat ne peuvent être envisagées dans un vpide, elles
sont inéluctablement liées aux faits qui sont à l’origine dup litige. C’est
précisément ce que j’ai déclaré dans l’opinion dissidepnte que j’ai jointe à

l’ordonnance du 6 juillet 2010, par laquelle la Cour a décidé à mon grand
regret de rejeter la demande reconventionnelle italienne. Peu après cpette
ordonnance, les Parties (l’Allemagne et l’Italie) ont elles-mêpmes continué
de lier leurs conclusions (écrites et orales) sur la question des ipmmunités

de l’Etat au contexte factuel des demandes de réparations de guerrpe. Il
n’aurait pu en être autrement, puisque les deux questions sont inéplucta -
blement liées.

IV. Reconnaissance par l’pAllemagne de la responspabilité
de l’État en l’espèce

24. Ayant établi que l’invocation des immunités de l’Etat et lesp
demandes de réparations de guerre étaient inéluctablement liépes en l’es -

pèce (supra), je passe maintenant au point suivant, à savoir la reconnais -
sance par l’Allemagne de la responsabilité de l’Etat pour les fpaits illicites
qui sont à l’origine de la présente affaire. Cette reconnaissance illustre

19
20 CR 2011/20, p. 11-13.
21 Ibid., p. 25-26.
22 Ibid., p. 25-26.
Ibid., p. 27.

93

6 CIJ1031.indb 183 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 189

l’unicité de la présente affaire concernant les Immunités juridictionnelles de
l’Etat, car il est très rare, voire sans précédent, que devant la Coupr l’Etat

demandeur reconnaisse sa responsabilité pour les faits dommageables qpui
sont à l’origine de l’affaire et en constituent le contexte fpactuel.

25. Tout au long de la procédure écrite et orale, l’Allemagne a prips
l’initiative louable de reconnaître à maintes reprises la respopnsabilité de
l’Etat allemand pour les faits illicites qui sont à l’origine dpu litige, c’est-à-
dire les crimes commis par le III eReich durant la seconde guerre mon -
23
diale . C’est ainsi que, dans son mémoire, l’Allemagne a déclarép

«on ne saurait … se faire une idée claire du contexte historique du
différend sans revenir, même succinctement, sur la conduite illipcite

des forces du Reich allemand, d’une part, et sur les mesures prises apu
niveau interétatique par l’Allemagne de l’après-guerre pour pmettre en
œuvre la responsabilité de l’Allemagne découlant de cette copnduite,
d’autre part…

L’Allemagne démocratique qui a vu le jour après la chute de la p
dictature nazie n’a pas laissé d’exprimer ses regrets les plus pprofonds
pour les violations massives du droit international humanitaire per -

pétrées par les forces allemandes à parti24des 8 et 9 septembre 1943 et
ce, jusqu’à la libération de l’Italie. »

26. L’Allemagne a ensuite évoqué ses maints « gestes symboliques »
pour honorer la mémoire des citoyens italiens « victimes de stratégies bar -
bares dans le cadre de cette guerre d’agression ». Elle a ajouté qu’elle était

«prête à en faire autant dans l’avenir ». Elle a en particulier rappelé la
cérémonie organisée en 2008 sur le site commémoratif « La Risiera di San
Saba», situé près de Trieste (qui avait été utilisé commep camp de concen -
tration durant l’occupation allemande lors de la seconde guerre mon -

diale), au cours de laquelle elle avait pleinement reconnu « les souffrances
indicibles infligées aux hommes et aux femmes d’Italie, en partipculier lors
des massacres, ainsi qu’aux anciens internés militaires italiens » 2.
27. Une des conclusions de la réunion des autorités allemandes et

italiennes pendant cette cérémonie organisée près de Trieste le 18novembre
2008 a été la décision de créer une commission conjointe d’historiens alle -
mands et italiens

«qui aurait pour mission de revenir sur l’histoire commune des deux pays

pendant la période ou l’un et l’autre étaient sous la coupe pd’un régime
totalitaire, en prêtant une attention spéciale aux victimes de cripmes de

23
Voir, par exemple, mémoire de l’Allemagne, par. 7, 15, 59, 94réplique de l’Alle -
magne, par. 2 ;CR 2011/17, p. 15, par. 5, p. 18-19, par. 12, p. 31, par. 20, et p. 48, par. 41 ;
CR 2411/20, par. 1.
25 Mémoire de l’Allemagne, par. 7 et 15.
Ibid., par. 15.

94

6 CIJ1031.indb 185 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 190

e
guerre, notamment aux soldats italiens que les autorités du III Reich
utilisèrent abusivement pour le travail forcé (les «internés militaires»).
En fait, la première conférence de cette commission conjointe, composée

de cinq éminents spécialistes de chacune des parties, s’est tenue le
28 mars 2009 à la Villa Vigoni, le centre renommé d’échanges culturels
organisés dans le cadre des relations germano-italiennes». 26

28. L’Allemagne a ajouté qu’elle «ne contest[ait] pas que des violations
graves, voire des crimes, [avaient] effectivement été commises ppar ses
27
forces d’occupation en Italie » et que « [l]es actes illicites des forces
armées du III e Reich furent commis entre 1943 et 1945. Depuis cette
époque, aucun nouvel effet dommageable n’est venu s’ajouter apu préju -
28
dice causé à l’origine. » Dans sa réplique, l’Allemagne évoque de nou -
veau « [l]es terribles événements de la seconde guerre mondiale lorsque
les forces d’occupation allemandes ont, de fait, gravement violé les lpois de
29
la guerre » (en s’efforçant néanmoins de les séparer de la question de
l’immunité de l’Etat soumise à la compétence de la Cour)p.
29. De même, à l’audience du 12 septembre 2011, le conseil de l’Alle -

magne a déclaré :

«L’Allemagne démocratique apparue à la fin de la dictature nazpie
a constamment exprimé son plus profond regret face aux violations
grossières du droit international humanitaire perpétrées par leps forces

allemandes et reconnaît pleinement les souffrances infligées au peuple
italien pendant la période qui s’est écoulée entre septembrep 1943 et la
libération de l’Italie en mai 1945. Dans ce cadre, le Gouvernement

allemand, en coopération avec le Gouvernement italien, a fait plu -
sieurs gestes en faveur des victimes et de leurs familles…
[D]es crimes indicibles ont été commis par des Allemands au cours

de la seconde guerre mondiale. L’Allemagne est tout à fait consciepnte
de sa responsabilité à cet égard. Ces crimes étaient uniquesp, comme
l’ont été les instruments et les mécanismes d’indemnisatipon et de répa -
ration — financiers, politiques et autres — créés et mis en œuvre par

l’Allemagne depuis la fin de la guerre. Nous ne pouvons refaire l’phis -
toire. Si les victimes ou les descendants des victimes croient que ces
mécanismes n’étaient pas suffisants, nous le regrettons sincèpremen»t. 30

30. Peu après, à l’audience du 15 novembre 2011, le conseil de l’Alle -

magne a déclaré à la Cour :

«Nous sommes tout à fait conscients que la complexité juridique
de la présente affaire relative aux immunités de l’Etat ne peprmettra

26
27Mémoire de l’Allemagne, par. 15.
Ibid., par. 59.
28Ibid., par. 94.
29Réplique de l’Allemagne, par. 2.
30CR 2011/17, p. 15, par. 5, et p. 18, par. 12 ; voir aussi p. 31, par. 20, pour une autre
évocation des « violations graves du droit perpétrées par les autorités duReich alle-
mand ».

95

6 CIJ1031.indb 187 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 191

nullement d’appréhender la dimension humaine des terribles événe -
ments qui se sont déroulés pendant la guerre, événements àp l’égard

desquels l’Allemagne a reconnu sa pleine responsabilité. Je saisisp
d’ailleurs cette occasion pour témoigner aux victimes, et pas seulpe -
ment à celles qui sont présentes dans cette salle de justice, notrpe plus
profond respect.» 31

L’Allemagne a en outre reconnu spécifiquement sa responsabilitép pour le
massacre de Distomo perpétré en Grèce le 10 juin 1944 (voir par. 188

infra).
31. Le massacre de Distomo n’a aucunement été une atrocité isolépe; il
y a eu d’autres massacres en Grèce occupée à l’époque,p dans le cadre
d’une oppression systématique d’une extrême violence 3. Les déclarations

devant la Cour citées ci-dessus de reconnaissance de la responsabilitpé de
l’Etat allemand, si louables soit-elles, montrent une nouvelle fois qpu’il est
impossible de faire abstraction du contexte factuel de la présente affaire,

l’invocation de l’immunité de l’Etat étant inéluctablepment liée aux
demandes de réparations de guerre.

V. Valeurs humaines fondpamentales:
des développements doctprinaux tirés de l’oubpli

32. Comme la doctrine (c’est-à-dire «la doctrine des publicistes les plus

qualifiés des différentes nations ») figure parmi les « sources» du droit
international avec les «décisions judiciaires» à l’alinéa d) du paragraphe 1
de l’article 38 du Statut de la CIJ, l’examen de la question fondamentale
que soulève la présente affaire concernant les Immunités juridictionnelles de

l’Etat (Allemagne c. Italie; Grèce (intervenant)) ne peut donc se limiter au
seul examen de la jurisprudence (internationale comme nationale) relatpive
à la question procédurale de l’immunité de l’Etat au sensp strict ni consister
en ce seul examen. Il faut aussi prêter attention à la doctrine deps publi -

cistes les plus éclairés, et tirer profit des valeurs humaines qpui la sous-
tendent. Je vais donc me pencher sur des ouvrages que je considère copmme
particulièrement pertinents pour l’examen du présent cas d’epspèce.
33. J’entends ne pas être exhaustif mais être bien sélectif en choisissant

certaines réflexions qui ne devraient pas être ignorées de nops jours, en
particulier par les praticiens actifs (sinon surmenés) du droit, qupi semblent
avoir oublié les leçons du passé, persistant à privilégiepr les stratégies judi -

ciaires au lieu de tenir compte des valeurs humaines fondamentales. J’pap-
pelle l’attention sur les réflexions apparemment oubliées de ptrois juristes
éminents, qui appartenaient à la génération qui a été ptémoin de deux
guerres mondiales et y a survécu, et qui se sont consacrés au droipt inter -

31
CR 2011/20, p. 10, par. 1.
32Pour l’une des relations générales disponibles, voir M. Mazower,Inside Hitler’s
Greece: The Experience of Occupation, 1941‑44,New Haven/Londres, Yale Nota Bene/
Yale University Press, 2001, p. 155-261.

96

6 CIJ1031.indb 189 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 192

national durant l’entre-deux-guerres, une époque marquée par l’angoisse,

et alors que les horreurs de la seconde guerre mondiale étaient perpéptrées:
Albert de La Pradelle (1871-1955), ancien membre du Comité consultatif
de juristes qui a en 1920 rédigé le Statut de la Cour permanente de Justice

internationale (CPJI), devenu par la suite, moyennant des modificatipons
mineures, le Statut de la CIJ ; Max Huber (1874-1960), ancien juge de la
CPJI 33; et Alejandro Alvarez (1868-1960), ancien juge de la CIJ.

34. A l’époque où en Allemagne le nazisme prenait son essor, l’hpuma -
nisme était cultivé dans d’autres régions, point trop éloignées, dans le
domaine de la réflexion juridique internationale. Dans le cadre d’pune série
de conférences pénétrantes données à Paris de novembre 1932 à mai 1933,

Albert de La Pradelle expliquait que le droit des gens transcende les rela -
tions entre Etats, et les régule de manière à protéger la peprsonne humaine :
c’est un vrai « droit de la communauté humaine ». Le droit des gens vise à

assurer le respect des droits de la personne humaine, pour faire en sorte
que les Etats s’acquittent de leurs obligations vis-à-vis des êptres humains
placés sous leur juridiction. Le droit international, ajoutait-il, s’pest formé
34
à partir de l’être humain, il existe par lui et pour lui .
35. En application du droit des gens, les Etats doivent permettre aux
êtres humains qui les constituent de devenir les maîtres de leur destinée. Il

s’agit là d’un véritable « droit de l’humanité », dans le cadre duquel les
principes généraux du droit, qui sont ceux du droit international pet
découlent du droit naturel 3, jouent un rôle directeur important. La
conception purement étatique du droit est dangereuse, avertissait-il :

«Il est extrêmement grave et dangereux que le droit international

se forme sur la conception de droits et de devoirs réciproques des
différents Etats … [C]ette définition, on doit l’écarter … [E]lle devient
immédiatement périlleuse en menant les Etats à ne se préoccuper,

dans l’organisation et le développement du droit international, qupe
de leurs libertés particulières réunies sous une expression noupvelle
qui est celle de souveraineté. » 36

Il fallait selon lui prêter attention à ces principes générapux, émanant de la
conscience juridique, et à l’« évolution de l’humanité », respectueuse des
37
droits de la personne humaine .
36. Max Huber, à son tour, dans un ouvrage écrit à l’âge mûr ept publié
vers la fin de sa vie, appelait l’attention sur la pertinence des «p valeurs

supérieures» aux «intérêts de l’Etat» dans tout le domaine du jus gentium

33Et qui a présidé cette juridiction de 1925 à 1927.
34A. de La Pradelle, Droit international public (cours sténographié), Paris, Institut des
hautes études internationales/Centre européen de la dotation Carnepgie, novembre 1932/
mai 1933, p. 49, 80-81, 244, 251, 263, 265-266 et 356.
35Ibid., p. 230, 257, 264 et 413.
36Ibid., p. 33-34.
37Ibid., p. 261 et 412.

97

6 CIJ1031.indb 191 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 193

38
en tant que droit de l’humanité . Se tournant vers le passé (il écrivait en
1954), il exposait ce qui suit :

«Si l’on compare l’époque actuelle avec celle de 1914, on doit bpien
constater un affaiblissement du sens du droit, une diminution du res -

pect instinctif des limites qu’il impose ; conséquence certaine des
dégradations subies à l’intérieur des structures juridiques des Etats…
Dévalorisation de la personne et de la vie humaines ainsi qu’affpaiblis -

sement étendu de la conscience juridique. Tout cela explique pour -
quoi une partie importante de l’humanité accepta, sans grandes
réactions apparentes, de sérieuses altérations du droit de la gpuerre». 39

37. Le jus gentium, envisagé et défendu par M. Huber à la lumière de la

doctrine du droit naturel, est destiné à protéger la personne hpumaine. Le
droit international humanitaire contemporain (consacré, par exemple,p dans
les quatre conventions de Genève) — ajoutait-il — visait en dernière ana -

lyse à protéger la personne humaine en tant que telle, indépendammenpt de
la nationalité; il était axé sur les êtres humains. Il rappelait en outre l’pidéal
ultime cultivé par certains publicistes de la civitas maximagentium 40.

38. Alejandro Alvarez, pour sa part, dans un ouvrage publié (initiale -
ment à Paris) un an avant sa mort et intitulé Le droit internationalnouveau
dans ses rapports avec la vie actuelle des peuples (1959), envisageait égale -

ment les fondements du droit international — à la suite du « cataclysme
social» de la seconde guerre mondiale — découlant de ces principes géné -
raux 41qui émanaient de la « conscience juridique internationale » , d’où 42

découlent également, ajoutait-il, des préceptes comme ceux toucphant le
crime contre l’humanité 43. Pour lui également, ces principes généraux du
droit international émanaient de la conscience juridique et ils devaipent
44
être réaffirmés à l’époque nouvelle .
39. On leur accordait beaucoup d’importance, comme l’attestent, d’upn
point de vue historique, les deux conférences de paix de La Haye (1899
45
et 1907) . A. Alvarez faisait en outre observer que, du fait du « dyna-
misme» de l’évolution du droit international,

«il est souvent assez difficile de distinguer, dans ce droit, la lex lata
de la lex ferenda. A côté d’un droit international formé, il y a tou -
46
jours un droit international en formation. »

38 M. Huber, La pensée et l’action de la Croix‑Rouge, Genève, CICR, 1954, p. 26, 247,
270 et 293.
39
40 Ibid., p. 291-292.
Ibid., p. 247, 270, 286 et 304.
41 A. Alvarez, El Nuevo Derecho Internacional en sus Relaciones con la Vida Actual de
los Pueblos, Santiago, Editorial Jurídica de Chile, 1962 (rééd.), p. 156, 163 et 292.
42 Ibid., p. 49, 57, 77, 155-156 et 292.
43 Ibid., p. 156 et 304.
44 Ibid., p. 163 et 304.
45
46Voir ibid., p. 156 et 357.
«Es a menudo difícil hacer en este derecho la distinción tradicional entre la« lexlata »
y la « lex ferenda ». Al lado de un derecho internacional formado, hay siempre un derecho
internacional en formación.» (Ibid., p. 292.)

98

6 CIJ1031.indb 193 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 194

40. Ce bref exposé de l’évolution doctrinale axée sur les valeurps
humaines fondamentales révèle que certains des plus éminents jupristes
d’une génération qui a connu les horreurs de deux guerres au XX esiècle
ne souscrivaient pas à une approche de notre discipline axée sur lp’Etat.
Au contraire, ils défendaient une approche totalement distincte, axépe sur

la personne humaine. Ils étaient, pour moi, fidèles aux originesp histo -
riques du droit des gens, comme on devrait également l’être de pnos jours.
Même un domaine aussi lourdement marqué par l’approche axée psur
l’Etat — laquelle n’a pas du tout contribué à éviter les horreurs de pdeux

guerres mondiales — que celui des immunités de l’Etat doit aujourd’hui
être réévalué à la lumière des valeurs humaines fondamentales. Les immu -
nités de l’Etat sont, après tout, une prérogative ou un privpilège, et elles ne
peuvent continuer de faire abstraction de l’évolution du droit intpernatio-

nal qui a lieu de nos jours, enfin, compte tenu des valeurs humaines fpon -
damentales.

VI. L’œuvre doctrinale colplégiale d’institutiopns savantes
de droit internationapl

41. L’œuvre d’institutions savantes dans le domaine du droit internpa -
tional peut être invoquée à cet égard. Le sujet des immunitéps juridiction-
nelles de l’Etat, qui est au cœur de la présente espèce, a apttiré l’attention
de générations successives de juristes, ainsi que d’institutionps savantes
comme l’Institut de droit international (IDI) et l’Association dpe droit

international (ADI). L’Institut de droit international a étudiép le sujet
depuis sa naissance à la fin du XIX e siècle jusqu’à nos jours. Dès sa ses -
sion de Hambourg de 1891, il déclarait, dans son Projet de règlement
international sur la compétence des tribunaux dans les procès cont▯re les

Etats, souverains ou chefs d’Etat étrangers (comité de rédaction et L. von
Bar, J. Westlake et A. Hartmann), au paragraphe 6 de l’article 4, que :

«Les seules actions recevables contre un Etat étranger sont :
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p . . . . . . . . . . . . . .

— Les actions en dommages-intérêts nées d’un délit ou d’un
quasi-délit, commis sur le territoire. »

42. Plus d’un demi-siècle plus tard, on pouvait lire dans ses conclusipons
sur L’immunité de juridiction et d’exécution forcée des Etats▯ étrangers (ses -
sion d’Aix-en-Provence, 1954 ; rapporteur, E. Lémonon), à l’article 3 :

«Les tribunaux d’un Etat peuvent connaître des actions contre un
Etat étranger et les personnes morales visées à l’article 1, toutes les
fois que le litige a trait à un acte qui n’est pas de puissance pupblique.
La question de savoir si un acte n’est pas de puissance publique

relève de la lex fori. »

99

6 CIJ1031.indb 195 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 195

43. En 1991, à sa session de Bâle, il déclarait à l’alinéa e) du para -
graphe 2 de l’article 2 de ses conclusions sur Les aspects récents de l’immu‑

nité de juridiction et d’exécution des Etats (rapporteur, I. Brownlie), à
propos des critères indicatifs de la compétence des tribunaux de l’Etat
du for en matière d’immunité de juridiction, que :

«En l’absence de convention contraire, les critères suivants sont
indicatifs de la compétence des organes de l’Etat du for pour
connaître du fond de la demande, nonobstant une éventuelle
revendication d’immunité de juridiction formulée par un Etat
étranger:

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p . . . . . . . . . . . . . .
— Les organes de l’Etat du for sont compétents à l’égard d’pac -
tions concernant le décès ou les dommages corporels de per -
sonnes ainsi que la perte ou les dommages aux biens,

imputables à des activités d’un Etat étranger ou de ses agenpts
dans les limites de la compétence interne de l’Etat du for. »

44. Une décennie plus tard, à sa session de Vancouver, en 2001, il
déclarait à l’article 3 de sa résolution sur Les immunités de juridiction et
d’exécution du chef d’Etat et de gouvernement en droit internat▯ional (rap -
porteur, J. Verhoeven) :

«En matière civile ou administrative, le chef d’Etat ne jouit d’pau -
cune immunité de juridiction devant le tribunal d’un Etat étranpger,
sauf lorsqu’il est assigné en raison d’actes qu’il a accomplpis dans
l’exercice de ses fonctions officielles ; dans ce dernier cas, il ne jouit

pas de l’immunité si la demande est reconventionnelle. Toutefois, p
aucun acte lié à l’exercice de la fonction juridictionnelle ne ppeut être
accompli à son endroit lorsqu’il se trouve sur le territoire de cept Etat
dans l’exercice de ses fonctions officielles. »

45. Quatre ans plus tard, à sa session de Cracovie, en 2005, l’Institut de
droit international, à l’alinéa a) de l’article 3 de sa résolution sur La com ‑
pétence universelle en matière pénale à l’égard du cri▯me de génocide, des

crimes contre l’humanité et des crimes de guerre (rapporteur, C. Tomuschat),
déclarait :
«L’exercice de la compétence universelle est subordonné aux dis -

positions ci-après, à moins qu’il n’en soit convenu autrement de
manière licite :
— la compétence universelle peut être exercée en cas de crimes

internationaux identifiés par le droit international comme rele -
vant de cette compétence dans les matières telles que le géno -
cide, les crimes contre l’humanité, les violations graves des
conventions de Genève de 1949 sur la protection des victimes
de guerre, ou d’autres violations sérieuses du droit internatio -

nal humanitaire commises durant un conflit armé internatio -
nal ou non international. »

100

6 CIJ1031.indb 197 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 196

46. Enfin et surtout, aux paragraphes 2 et 3 de l’article II de sa résolu -
tion sur L’immunité de juridiction de l’Etat et de ses agents en cas de ▯crimes
internationaux (rapporteur, lady Fox), adoptée à sa session de Naples
en 2008, l’Institut déclarait ce qui suit :

— «Conformément au droit international conventionnel et cou -
tumier, les Etats ont l’obligation de prévenir et de réprimer lpes

crimes internationaux. Les immunités ne devraient pas faire
obstacle à la réparation adéquate à laquelle ont droit les vpic -
times des crimes visées par la présente résolution.
— Les Etats devraient envisager de lever l’immunité de leurs

agents lorsque ceux-ci sont soupçonnés ou accusés d’avoir
commis des crimes internationaux. »

47. De plus, dans la même résolution, adoptée à Naples en 2009, l’IDI
ajoute, de manière significative (art. III, par. 1 et 3, a) et b)) :

— «Hors l’immunité personnelle dont un individu bénéficieraitp
en vertu du droit international, aucune immunité n’est appli -
cable en cas de crimes internationaux…
— Les dispositions ci-dessus sont sans préjudice de :

— la responsabilité en vertu du droit international de toute
personne visée aux paragraphes précédents ;

— l’imputation à un Etat des actes de cette personne q47
sont constitutifs de crimes internationaux. »

L’article IV de la même résolution ajoute que, dans une affaire civile metp-
tant en cause le crime international commis par l’agent d’un Etat,p les dis-
positions ci-dessus « ne préjugent pas de l’existence et des conditions
d’application de l’immunité de juridiction dont cet Etat peut lpe cas échéant

se prévaloir devant les tribunaux d’un autre Etat ».
48. Il ressort de ce qui précède que, dès le départ, l’IDI a penvisagé les
immunités de l’Etat comme évoluant avec le temps et assurémepnt pas comme
statiques ni immuables, et comme sujettes à limitations ou exceptionsp (ses -
sions de Hambourg en 1891, d’Aix-en-Provence en 1954 et de Bâle en 1991).

On peut dire la même chose des immunités des chefs d’Etat (sespsion de Van -
couver en 2001). Plus récemment (session de Cracovie en 2005), l’IDI a
confirmé la compétence universelle vis-à-vis des crimes internationaux (vio -
lations graves des droits de l’homme et du droit international humaniptaire).

Et, dans le cadre de ses travaux les plus récents sur le sujet (session de Naples
en 2009), l’IDI a précisément indiqué que l’Etat ne jouissapit d’aucune immu -
nité en cas de crimes internationaux (art. III, par. 1); la résolution en ques-
tion a été adoptée par 43 voix contre zéro, avec 14 abstentions.

47Et l’article IV ajoute : « Dans une affaire civile mettant en cause le crime international
commis par l’agent d’un Etat, les dispositions qui précèdentp ne préjugent pas de -’exis
tence et des conditions d’application de l’immunité de juridictpion dont cet Etat peut le cas
échéant se prévaloir devant les tribunaux d’un autre Etat. »

101

6 CIJ1031.indb 199 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 197

49. Lors des débats de l’Institut qui ont précédé l’adoptipon à Naples
en 2009 de la résolution susmentionnée, les vues ci-après ont notapmment
été exprimées :a) les crimes planifiés et perpétrés par l’Etat, qui engagentp

la responsabilité de celui-ci, lèvent tout obstacle à la compéptence aux
niveaux national et international, de manière à éviter l’imppunité (interven -
tions de A. A. Cançado Trindade) ; b) l’immunité de juridiction de l’Etat
ne saurait être interprétée comme l’immunité de juridictipon pénale (inter -

ventions de G. Abi-Saab) ; c) il faut mettre l’accent sur la nécessité de ne
pas laisser les victimes sans aucun recours (intervention de G. Burdeau) ;
d) il faut adopter une approche progressiste (intervention de R. Lee) 4.
50. La seconde institution savante susmentionnée, l’Association de dropit

international (ADI), s’est également penchée sur la question.p Dans son rap -
port final sur L’exercice de la compétence universelle à l’égard des atte ▯ intes
graves aux droits de l’homme (conférence de Londres, tenue en 2000), le
Comité du droit international et de la pratique des Etats a utilisép l’expres -

sion «infractions graves aux droits de l’homme» pour désigner les « viola-
tions graves du droit international humanitaire et du droit internationapl des
droits de l’homme qualifiées de crimes par le droit international et dont la
gravité est telle qu’elles appellent une attention particulièrep, notamment en

ce qu’elles relèvent de la compétence universelle» (p. 3). L’une des «conclu -
sions et recommandations» (n° 4) du comité de l’ADI était la suivante:

«En cas d’infractions graves aux droits de l’homme relevant de la
compétence universelle, aucune immunité ne saurait être tirépe du fait que
les crimes ont été commis dans l’exercice de fonctions officiepl»le(sP .. 21.)

51. Une décennie plus tard, dans son rapport sur les réparations pour ples
victimes de conflits armés (conférence de La Haye, tenue en 2010), le comité
des réparations aux victimes de conflits armés (questions de fopnd) de l’ADI

a fait observer, dans le commentaire relatif à l’article 6 de son projet de
déclaration sur les principes du droit international relatifs aux répparations
pour les victimes de conflits armés (question de fond), que l’pobligation de
réparer avait «son origine dans les principes généraux de la responsabilité

de l’Etat» (tels qu’exprimés par la CPJI dans l’affaire de l’Usine de Chorzów,
en 1928), dans l’article 3 de la convention IV de La Haye de 1907 et dans
l’article 91 du protocole additionnel I de 1977 aux quatre conventions de
Genève de 1949 (p. 311). Et le comité de l’ADI d’ajouter:

«Si, traditionnellement, les réclamations individuelles sont reje -

tées, l’opinion dominante de la doctrine reconnaît de plus en pplus
l’existence d’un droit individuel à réparation — non seulement en
droit international des droits de l’homme, mais aussi en droit inter -
national humanitaire. On peut constater la même évolution dans la p
49
pratique des Etats. » (P. 312.)

48Voir Annuaire de l’Institut de droit internatiovol. 73, session de Naples (2009),
p. 144, 148, 158, 167, 175, 187, 198, 222 et 225.
49 Et voir p. 313-320, sur l’évolution qui s’est produite ces dernières années dans le sens
de la reconnaissance du droit de l’individu à réparation (voirp infra sur ce point particulier).

102

6 CIJ1031.indb 201 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 198

52. Pour résumer et en conclusion, la doctrine juridique internationale
contemporaine, y compris les institutions savantes de droit international,

concilie progressivement l’immunité de l’Etat et le droit d’paccès des vic -
times à la justice en faveur de ces dernières, en particulier en cpas de crimes
internationaux. Elle se soucie de la nécessité de respecter les imppératifs de

la justice et d’éviter l’impunité en cas de crimes internatiponaux, ce afin de
garantir la non-répétition de ceux-ci à l’avenir. Il est de pnos jours généra -
lement reconnu que les politiques d’Etat criminelles et la perpétrpation qui
en découle d’atrocités par les Etats ne peuvent aucunement s’pabriter der -

rière l’immunité de l’Etat.

VII. Le seuil de gravité des aptteintes aux droits dep l’homme

et au droit internatiponal humanitaire

53. Cela m’amène à examiner un aspect connexe de la question qui n’pa

pas jusqu’ici été suffisamment traité en doctrine, à savpoir le seuil de gra ‑
vité des atteintes aux droits de l’homme et au droit international humanip-
taire qui lève tout obstacle à la compétence dans la quête dp’une réparation
au bénéfice des victimes individuelles. A cet égard, on a tenpté, au niveau

théorique, de démontrer qu’il était possible de mettre en œuvre la respon -
sabilité pénale internationale non seulement des individus mais aupssi des
Etats; on a dit que la responsabilité de l’Etat en cas de crime internaptional
commençait à être reconnue en droit international généralp 50. Il va sans

dire que les pratiques criminelles des Etats ont des conséquences poupr la
détermination des réparations au bénéfice des victimes indpividuelles, pour
chacune d’entre elles, a fortiori si on se place du point de vue de la doc -

trine contemporaine — que je défends — d’51 droit international pour la
personne humaine, pour l’humanité .
54. Dans le même ordre d’idées, il importe de s’arrêter sur lpa configu -
ration qui doit être celle du seuil de gravité des violations des droits de

l’homme, avec les conséquences juridiques inéluctables qu’elple entraîne
pour ce qui est de l’élimination de tout obstacle à la compéptence et de la
question des réparations au profit des victimes. Il est effectivepment impor -
tant de tenir compte aujourd’hui de toutes les atrocités de masse pà la

lumière du seuil de gravité, quels qu’en soient les auteurs ; cela peut
paraître évident, mais en pratique des tentatives regrettables visant à exo -
nérer les Etats de tout type de responsabilité subsistent. On a tepnté de

temps à autre d’interpréter le seuil de gravité des violatiopns des droits de

50N. H. B. Jorgensen, The Responsibility of States for International Crimes, Oxford
University Press, 2003, p. 206-207, 231, 279-280 et 283.
51Voir A. A. Cançado Trindade, « International Law for Humankind : Towards a

New Jus Gentium — General Course on Public International Law — Part I », Recueil
des cours de l’Académie de droit international de La Haye (RCADI)▯, vol. 316 (2005),
p. 31-439 ; A. A. Cançado Trindade, « International Law for Humankind : Towards a
New Jus Gentium – General Course on Public International Law – Part II », RCADI,
vol. 317 (2005), p. 19-312.

103

6 CIJ1031.indb 203 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 199

l’homme; cette préoccupation a parfois été exprimée, par exemple dapns

les travaux de la Commission du droit international (CDI) de l’ONU,p
sans aboutir jusqu’ici à des résultats concrets.
55. En 1976, lors de l’examen de son projet d’articles sur la responsabi -
lité des Etats (rapporteur, Roberto Ago), la CDI a reconnu qu’il existait

des faits internationalement illicites «plus graves que d’autres», qui consti -
tuaient des « crimes internationaux» du fait qu’ils portaient atteinte à des
principes fondamentaux (comme ceux de la Charte des Nations Unies)

«profondément enracinés dans la conscience de l’humanité » ainsi qu’aux
fondements de « l’ordre juridique de la société internationale » 5. Consta-
tant la nécessité de reconnaître ces « illicéités exceptionnellement graves»,
la CDI, invoquant « le terrible souvenir des ravages sans précédent causés

par [la seconde guerre mondiale]», faisait observer en 1976 encore :

«Le sentiment d’horreur laissé par les massacres systématiques de
millions d’êtres humains perpétrés par le régime nazi, l’exécration
ressentie pour les atteintes les plus brutales à la vie et à la dipgnité de

l’homme ont mis en évidence la nécessité de faire en sorte que non
seulement le droit interne des Etats mais avant tout le droit de la
communauté internationale elle-même énoncent des règles impépra -
tives pour la sauvegarde et le respect des droits fondamentaux des

peuples et de l’être humain — tout cela a poussé à l’affirmation la
plus énergique de l’interdiction de crimes tels que le génocidep, l’apar -
theid et d’autres pratiques inhumaines du même genre. » 53

56. Une décennie plus tard, dans le même souci, le rapporteur spécial

de la CDI pour le projet de Code des crimes contre la paix et la sécuprité
de l’humanité (Doudou Thiam) faisait observer dans son cinquième rap -
port (1987) que les infractions en cause étaient des « crimes qui portent
atteinte aux fondements mêmes de la société humaine » 5. Peu après,

en 1989, le même rapporteur spécial a appelé l’attention sur lap notion
d’«infractions graves » consacrée dans les quatre conventions de Genève
de 1949 sur le droit international humanitaire et le protocole addition -
55
nel I (1977) y relatif . Une décennie plus tard, dans son commentaire de
l’article 7 du projet de code susmentionné (rapport de 1996), la CDI fai -
sait l’observation suivante :

«Il serait paradoxal que les individus qui sont, à certains égards,p
les plus responsables des crimes visés par le Code puissent invoquer p

la souveraineté de l’Etat et se retrancher derrière l’immunipté que leur
confèrent leurs fonctions, d’autant plus qu’il s’agit de cripmes odieux
qui bouleversent la conscience de l’humanité, violent certaines deps

52Nations Unies, Annuaire de la Commission du droit international, 1976, vol. II,
2 partie, p. 109 et 113-114 ; voir aussi p. 119.
53 Ibid., p. 94.
54 Nations Unies, doc. A/CN.4/404/Corr.1 du 17 mars 1987, p. 2 ;voir aussi p. 5 et 6.
55 re
Voir Annuaire de la Commission du droit international, 1989, vol. II, 1 partie,
p. 83-85.

104

6 CIJ1031.indb 205 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 200

règles les plus fondamentales du droit international et menacent la
56
paix et la sécurité internationales. »

57. Les violations graves du droit international devaient apparaître de
nouveau en 2001 dans les articles sur la responsabilité de l’Etat adoptés p
cette année-là par la CDI. L’article 40 définit la « violation grave »

d’une obligation découlant « d’une norme impérative du droit internatio -
nal général » comme une violation qui dénote « de la part de l’Etat res -
ponsable un manquement flagrant ou systématique » à l’exécution de

l’obligation. L’article 41 utilise également l’expression « violation grave».
Le commentaire de ces dispositions souligne le « caractère systématique,
flagrant ou répété » des violations en cause 57. Ces violations engagent la
responsabilité de l’Etat, qui n’est pas effacée par la responsabilité pénale
58
internationale de l’individu . La responsabilité de l’Etat subsiste en droit
international général en cas de violations graves. La responsabilipté de
l’Etat et la responsabilité individuelle se complètent, comme lp’atteste

l’évolution contemporaine du droit international des droits de l’phomme et
du droit pénal international.
58. De plus, en cas de violations graves des droits de l’homme, les

Etats concernés voient leur responsabilité engagée en raison deps dom -
mages graves causés à des individus, à des êtres humains et pnon à d’autres
Etats. La CDI elle-même l’a admis dans son rapport de 2001, dans lequel
figurent les commentaires du projet d’articles qu’elle venait d’adopter.

Elle a admis que :

«la responsabilité d’un Etat [pouvait] être engagée pour la vpiolation
d’une obligation conventionnelle concernant la protection des droits pde
l’homme envers toutes les autres parties au traité en question, mapis les

individus concernés [devaient] être considérés comme les bépnéficiaires
ultimes et, en ce sens, comme les titulaires des droits en question» 59.

59. En résumé, les titulaires du droit à réparation sont les indpividus
concernés, les êtres humains victimisés. Lorsque des violationsp graves des

droits de l’homme et du droit international humanitaire sont commises, la
criminalité des individus qui les commettent au nom des Etats est inéplucta -
blement liée à la criminalité des Etats responsables eux-mêmpes. Après tout,
les crimes de guerre, les crimes contre la paix et les crimes contre l’phuma -

nité sont commis de manière planifiée et organisée, ce quip révèle une crim -i

56Rapport de la Commission du droit international sur les travaux de sa 48e session

(6 57i-26 juillet 1996), p. 57, par. 1 (sur l’article 7).
J. Crawford, The International Law Commission’s Articles on State Responsibi ‑
lity — Introduction, Text and Commentaries, Cambridge University Press, 2002, p. 247.
58A. A. Cançado Trindade, «Complementarity between State Responsibility and Indi-
vidual Responsibility for Grave Violations of Human Rights : The Crime of State Revi -
sited »,International Responsibility Today — Essays in Memory of O. Schachter (dir. publ.,
M. Ragazzi), Leyde, Nijhoff, 2005, p. 253-269; P. S. Rao, «International Crimes and State
Responsibility »,ibid., p. 76-77.
59«Projets d’articles sur la responsabilité des Etats pour faits inteprnationalement illi -
cites et commentaires relatifs», Nations Unies, doc. A/56/10 de 2001, art. 33, par. 3, p. 252.

105

6 CIJ1031.indb 207 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 201

nalité collective . Ils utilisent les ressources de l’Etat, ils constituent de

véritables crimes d’Etat. Il n’y a donc pas besoin de tenir comppte, conjoin -
tement, de la responsabilité internationale de l’Etat et de la responsabilité
61
pénale internationale de l’individu, si complémentaires soient-elles .
60. Au niveau normatif, le seuil de gravité des violations des droits fonda -
mentaux de la personne humaine a retenu l’attention à de nombreuseps

reprises, même s’il n’a pas fait jusqu’ici l’objet de dépveloppements suffisants.
A certains moments de l’histoire, il a particulièrement attiré pl’attention, par
exemple peu après l’adoption du protocole additionnel I (de 1997, art. 85)

aux quatre conventions de Genève de 1949 sur le droit international
humanitaire 62. Le régime applicable aux violations graves prévu dans les

quatre conventions de Genève de 1949 (convention I, art. 49-50; conven -
tion II, art. 50-51; convention III, art. 129-130; et convention IV, art. 146-
147) est désormais considéré comme faisant partie du droit intpernational
63
coutumier .
61. Sur le plan de la jurisprudence, le seuil de gravité des violations des

droits de l’homme commence à attirer l’attention et à êtrpe envisagé dans le
cadre de la jurisprudence qui se fait jour en droit pénal internationpal 64. Il
s’est surtout beaucoup développé ces dernières années danps la construction

jurisprudentielle intervenue dans le domaine du droit international des
droits de l’homme 65. Un exemple est fourni par l’affaire République démo‑

cratique du Congo c. Burundi, Rwanda et Ouganda (2003) dont a connu la
Commission africaine des droits de l’homme et des peuples 6. C’est dans la
jurisprudence constituée par la Cour interaméricaine des droits de l’homme

60 R. Maison, La responsabilité individuelle pour crime d’Etat en droit internat▯ional
public, Bruxelles, Bruylant/Editions de l’Université de Bruxelles, 2004,p p. 24, 85, 262-264

et 616-287.
Ibid., p. 294, 298, 409-410, 412, 459 et 511.
62 Voir E. J. Roucounas, « Les infractions graves au droit humanitaire », Revue hellé‑
nique de droit international, vol. 31 (1978), p. 60-139.
63 Voir J.-M. Henckaerts, « The Grave Breaches Regime as Customary International

Law64,Journal of International Criminal Justice, vol. 7 (2008), p. 683-701.
Voir par exemple W. A. Schabas, «Gravity and the International Criminal Court »,
Protecting Humanity — Essays in International Law and Policy in Honour of N. Pillay (dir.
publ., C. Eboe-Osuji), Leyde, Nijhoff, 2010, p. 689-706.
65 La gravité de certaines violations de droits fondamentaux (par exempple les dispari -
tions forcées et les exécutions sommaires ou extrajudiciaires) a été reconnue par la CIADH

peu après sa création ;elle a fait œuvre de pionnière à cet égard et a inspiré lpa jurisprudence
correspondante de la CEDH, en particulier dans le cadre du cycle des affaires turques vers
la fin du XX siècle. Voir sur ces affaires, par exemple, J. Benzimra-Hazan, « En marge de
l’arrêt Timurtas contre la Turquie : vers l’homogénéisation des approches du phénomène
des disparitions forcées de personnes », Revue trimestrielle des droits de l’homme, vol. 48
(2001), p. 983-997 ; Leo Zwaak, « The European Court of Human Rights Has the Turkish

Security Forces Held Responsible for Violations of Human Rights : The Case of Akdivar
and Others », Leiden Journal of International Law, vol. 10 (1997), p. 99-110.

66 Comme je l’ai récemment fait observer dans mon opinion individuelle en l’affaire
Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo), fond,
arrêt, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 803-804, par. 218, note 158.

106

6 CIJ1031.indb 209 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 202

(CIADH) tout au long de la dernière décennie dans les affairesp de mas -
sacres susmentionnées que l’on trouve les avancées les plus remparquables. 67
62. On peut mentionner à cet égard les arrêts rendus par la CIADH dpans

les affaires, parmi d’autres, Massacre de Plan de Sánchez c. Guatemala
(29 avril 2004), Massacre de Mapiripán c. Colombie (15 septembre 2005),
Massacres d’Ituango c. Colombie (1 er juillet 2006), Goiburú et autres c.

Paraguay (22 septembre 2006 — voir infra), Almonacid Arellano c. Chili
(26 septembre 2006), Prison de Castro‑Castro c. Pérou (25 novembre 2006)
et La Cantuta c. Pérou (29 novembre 2006). Il est possible de favoriser une

convergence jurisprudentielle entre le droit international des droits dep
l’homme et le droit pénal international contemporain. Un autre poipnt de
convergence réside dans la participation des victimes elles-mêmes p— leur

locus standi in judicio — aux procédures respectives des tribunaux inter-
nationaux des droits de l’homme et des tribunaux pénaux internatiopnaux.

VIII. La question de la renonpciation aux réclamatpions

s’agissant du droit d’apccès à la justice dansp la procédure
devant la Cour : évaluation

63. La question de la renonciation aux réclamations s’agissant du droit
d’accès à la justice (afin de demander réparation) a suscité une contro -
verse entre les Parties (l’Allemagne et l’Italie) et l’Etat ipntervenant (la

Grèce) lors des plaidoiries devant la Cour. L’Allemagne affirmaipt, contes -
tant l’argument italien quant à l’existence d’un droit indivpiduel à répara-
tion , que le respect de l’immunité d’un Etat étranger était upne limitation
69
licite du droit d’accès à la justice . Elle a en outre fait valoir qu’aucune
règle n’interdisait de renoncer à des réclamations pécunipaires, la violation
ayant déjà pris fin 70. Si on acceptait l’argument de l’Italie, poursuivait

l’Allemagne, l’ensemble du régime de réparation mis en place après la
seconde guerre mondiale serait mis à bas, puisque des demandes de réppa -
rations massives pourraient être formulées aussi bien par que contpre

l’Allemagne pour des violations des lois de la guerre par l’Allemagne et
les forces alliées71. L’Allemagne faisait finalement valoir que le système de

67Pour une évaluation récente, voir [divers auteurs]Réparer les violations graves et
massives des droits de l’homme : la Cour interaméricaine, pionnière et modèle ? (dir. publ.,
E. Lambert Abdelgawad et K. Martin-Chenut), Paris, Société de législation comparée,
2010, p. 17-334.
68CR 2011/17, p. 41-42, par. 14 et 16.
69
Ibid., p. 43-44, par. 23-24. A cet égard, l’Allemagne ajoutait que, même s’il exisptait
un droit à réparation et un intérêt pour agir en droit interpnational, elle en a tenu compte
puisqu’elle a donné plein accès, sans discrimination aucune, àp ses tribunaux à tous les plai
gnants (italiens et grecs) ; ibid., p. 46, par. 30.
70CR 2011/20, p. 15-16, par. 2-3.
71Ibid., p. 17-18, par. 4-6.

107

6 CIJ1031.indb 211 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 203

réparation mis en place était complet et visait à réaliser un équilibre entre
les intérêts des Etats victimes et ceux de l’Allemagne 72.

64. L’Italie répliqua que la clause de renonciation figurant au paragraphe 4
de l’article 77 du traité de paix de 1947 ne couvrait pas les violations du droit
international humanitaire. Contestant l’argument allemand, elle répitéra sa

position selon laquelle elle n’avait pas renoncé aux demandes de rpéparation
pour violations graves du droit international humanitaire car celles-ci pn’en -
traient pas dans le champ d’application du paragraphe 4 de l’article 77 du

traité de paix de 1947. L’Italie faisait ainsi valoir que la seule interprétation
de cette disposition du traité de 1947 était qu’elle ne constituait pas une renon -
ciation aux demandes de réparation à raison des violations du droipt inter-
73
national humanitaire . Même si l’intention avait été de renoncer à toutes
les réclamations de ce type contre l’Allemagne, ajoutait l’Italie, pla disposition
aurait été illicite, car elle absoudrait l’Allemagne de tous leps crimes de guerre
74
commis, ce que n’autorise pas le régime des conventions de Genève .
65. Evoquant plus précisément le droit à réparation des internéps mili -
taires italiens, l’Italie a souligné le traitement paradoxal qui lpeur a été

réservé: ils avaient été exclus du système de réparation mis en place avec la
fondation «Mémoire, responsabilité et avenir» parce qu’ils étaient des pri -

sonniers de guerre, alors même que l’Allemagne nazie les a75it privés de ce
statut pour les utiliser comme travailleurs forcés . L’Italie ajoutait que les
réclamations des victimes de massacres ne pouvaient être considéprées comme

ayant fait l’objet d’une renonciation parce qu’à l’épopque de la prétendue
renonciation (soit dans le cadre du traité de paix de 1947, soit dans le cadre
des accords de 1961) les crimes en question n’avaient pas encore été établp;is

de plus, reconnaître une telle renonciation aboutirait à la situatpion absurde
dans laquelle les auteurs de ces crimes seraient responsables pénalement
mais pas civilement. Une telle solution irait également à l’encpontre de l’évo -

lution récente du droit pénal international, qui atteste que la responsabilité
pénale et la responsabilité civile pour crime de guerre vont de papir 76.

72
CR 2011/20, p. 23-26, par. 17-24. De plus, il comprenait une renonciation par l’Italie
à toutes les réclamations contre l’Allemagne, à titre de sanpction pour sa participation à
l’Axe ;ibid., p. 26-27, par. 23-25. Et les deux accords bilatéraux de 1961 ont été un geste en
direction de l’Italie qui visait à améliorer encore les relatiopns entre les deux Etats, tandis
que la clause de renonciation demeurait pleinement en vigueur ; ibid., p. 29-30, par. 32.
73 CR 2011/21, p. 24, par. 29, et CR 2011/18, p. 26-27, par. 4-8.
74 Voir CR 2011/18, p. 31-32, par. 18-23 ; voir aussi p. 20-21, par. 11-13, et p. 22-23,
par. 14. L’Italie soutient que les affaires de réparation qui sont enp cause ne concernent pas

les victimes des persécutions nazies, qui ont déjà bénéficiép de réparationsCR 2011/21,
p. 25, par. 33. Il est question ici des victimes telles que les internés militairpes, qui n’ont pas
reçu de réparations.
75 CR 2011/18, p. 33, par. 28.
76 Ibid., p. 34, par. 29-30. De plus, l’Italie relève que, comme l’a admis l’Allempagne, ces
réparations accordées ex gratia n’étaient que partielles ; CR 2011/21, p. 25-26, par. 34-35.
L’Italie soutient qu’un nombre important de citoyens italiens ont pdroit à réparation et n’en

ont encore reçu aucune. L’Italie fait valoir que les juridictions pitaliennes étaient ainsi la seule
voie de recours de ces victimes, et qu’elles n’auraient pas refusép d’accorder l’immunit- à l’Al
lemagne si le Gouvernement allemand avait accepté de prendre des mesupres pour accorder
à ces victimes les réparations auxquelles elles avaient droit ;CR 2011/18, p. 13-14, par. 11.

108

6 CIJ1031.indb 213 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 204

66. La Grèce, pour sa part, affirmait que les tribunaux grecs avaient
accepté l’existence d’un droit individuel à réparation popur les violations
graves du droit international humanitaire, sur le fondement de l’artipcle 3
77
de la convention IV de La 78ye de 1907 , de l’article 91 du protocole
additionnel I de 1977 , de la règle 150 de l’étude du CICR sur le droit
international humanitaire 79(le droit international coutumier, voir supra),

du paragrap80 2 de l’article 33 des articles de la CDI sur la responsabilité
de l’Etat et de la pratique internationale. C’est un point sur lequel la
Grèce a particulièrement insisté (voir par. 147 infra) et qui mérite qu’on
l’étudie de près.

67. En effet, à un stade antérieur de la présente instance, j’pai jugé bon
de me pencher sur ce point dans l’opinion dissidente que j’ai joinpte à l’or -
donnance de la Cour (qui a rejeté la demande reconventionnelle italipenne)

du 6 juillet 2010. L’article 3 de la convention IV de La Haye de 1907 dis -
pose qu’un Etat belligérant qui violerait les dispositions du rèpglement
annexé à la convention sera responsable de tous les actes commis ppar les

personnes faisant partie de ses forces armées et « sera tenu à indemnité ».
Les travaux préparatoires de cette disposition (qui a son origine dapns une
proposition du représentant de l’Allemagne) étayent l’idépe que l’indemni -
81
sation était due aux victimes individuelles des violations susmentionpnées.
68. Soixante-dix ans plus tard, cette disposition a été actualisée ppar
l’article 91 du protocole additionnel I aux conventions de Genève de 1949

sur le droit international humanitaire. Il n’y a eu ni controverse nip contes -
tation (que ce soit en 1907 ou en 1977) s’agissant de reconnaître la res -
ponsabilité de l’Etat à raison des violations du règlement dpe 1907 et de

l’obligation en82écoulant pour l’Etat concerné d’indemnisper les victimes
individuelles . Dans le même ordre d’idées, dans l’opinion dissidente que p
j’ai jointe à l’ordonnance de la Cour du 6 juillet 2010, je faisais l’observa -

tion suivante :

«A l’époque de la deuxième conférence de la paix historique, ptenue
ici, à La Haye, les Etats participants décidèrent d’instituer une obliga -
tion générale d’accorder des réparations, incombant à toutes les par -
ties à un conflit armé (et non seulement aux Etats vaincus en fpaveur

des puissances victorieuses, comme dans le cadre de la pratique éta -
tique antérieure). Cette idée fut réalisée sur la base d’une proposition
allemande qui aboutit à l’article 3 de la convention IV de La Haye 83,

77 CR 2011/19, p. 17, par. 28.
78 Ibid., p. 32, par. 77.
79 Ibid., p. 32, par. 78.
80
81 Ibid., p. 34, par. 85.
F. Kalshoven, « Article 3 of the Convention (IV) respecting the Laws and Customs
of War on Land, Signed at The Hague, 18 October 1907 », War and the Rights of Indi ‑
viduals — Renaissance of Individual Compensation (dir. publ., H. Fujita, I. Suzuki et
K. Nagano), Tokyo, Nippon Hyoron-sha Co. Publishing, 1999, p. 34-36.
82 Cela, a-t-on fait valoir, reflétait le « droit coutumier et établi » ;ibid., p. 36-37.
83 Aux termes de l’article 3 : «La partie belligérante qui violerait les dispositions dudit
Règlement [règlement concernant les lois et coutumes de la guerre psur terre, annexé à la

109

6 CIJ1031.indb 215 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 205

la première disposition prévoyant expressément un régime de répara ‑
tion à raison de violations du droit international humanitaire . Grâce 84

à la proposition rassurante de l’Allemagne, l’article 3 de la conven -
tion IV de La Haye de 1907 indiquait clairement qu’il entendait
85
conférer des droits directement aux individus , aux êtres humains, plu-
tôt qu’aux Etats.
Cet héritage de la deuxième conférence de la paix de La Haye
86
de 1907 conserve son empreinte jusqu’à nos jours . Le prolongement
temporel des souffrances de ceux qui furent déportés et astreintps au
travail forcé au cours de la seconde guerre mondiale (pendant la

période allant de 1943 à 1945) a été souligné en doctrine, également
en ce qui concerne les longs efforts des victimes en vue d’obtenir prépa -
ration… Non seulement ces victimes subirent un traitement inhumain

et dégradant, mais elles arrivèrent par la suite au bout de leur vpie
ingrate après avoir assisté à l’impunité, sans obtenir dep réparation et
dans une situation d’injustice flagrante. Le temps de la justice hupmaine

n’est décidément pas celui des êtres humains.» (Immunités juridiction ‑
nelles de l’Etat (Allemagne c. Italie), demande reconventionnelle,

ordonnance du 6 juillet 2010 (I), p. 374-375, par. 116-118.)

IX. Les États ne peuvent, dapns le cadre de leurs replations,
renoncer à des droits pappartenant à des indivpidus victimes
de violations graves dup droit internationalp

69. La pertinence du droit individuel d’accès à la justice ne saurapit donc
être remise en cause. Dans le cas de ces violations graves, les victipmes peuvent

ainsi invoquer la responsabilité de l’Etat concerné de leur proppre initiative et

convention IV de La Haye] sera tenue à indemnité, s’il y a lieup. Elle sera responsable de
tous actes commis par les personnes faisant partie de sa force armée.p »
84 Cet article de la convention IV de La Haye de 1907 finit par être cponsidéré comme
relevant également du droit international coutumier et fut repris àp l’article 91 du proto -
cole additionnel I (de 1977) aux conventions de Genève de 1949 sur le droit international

humanitaire. Aux termes de l’article 91 (« Responsabilité ») du protocole I : « La Partie au
conflit qui violerait les dispositions des Conventions ou du présent Protocole sera tenue à
indemnité, s’il y a lieu. Elle sera responsable de tous actes commpis par les personnes faisant
partie de ses forces armées. »
85 Voir en ce sens Eric David, « The Direct Effect of Article 3 of the Fourth Hague
Convention of 18 October 1907 respecting the Laws and Customs of War on Land »,
War and the Rights of Individuals — Renaissance of Individual Compensation, op. cit. supra

note 81, p. 50-53; voir aussi, par exemple, F. Kalshoven, «State Responsibility for Warlike
Acts of the Armed Forces », International and Comparative Law Quarterly, vol. 40 (1991),
p. 831-833 ; D. Shelton, Remedies in International Human Rights Law, 2 eéd., Oxford
University Press, 2006, p. 400.
86 Pour un réexamen général de cette conférence de 1907 à l’occasion de la commé -
moration de son centenaire en 2007, voir [divers auteurs], Actualité de la conférence de La
Haye de 1907, deuxième conférence de la paix/Topicality of the 1907 Hague ▯Conference,

the Second Peace Conference (dir. publ., Yves Daudet), Leyde, Nijhoff/Académie de droit
international de La Haye, 2008, p. 3-302.

110

6 CIJ1031.indb 217 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 206

sans passer par l’intermédiaire d’un Etat; elles peuvent le faire en tant que
sujets du droit des nations et conformément à l’état de droipt — tel qu’il est
aujourd’hui reconnu par l’Organisation des Nations Unies — aux niveaux

national et international. La théorie classique de l’« act of State » ne peut
absolument pas être invoquée face à des violations graves des dproits de
l’homme et du droit international humanitaire par l’Etat concernép.
70. Dans de telles circonstances, c’est le droit de la victime d’accépder à

la justice pour demander réparation qui prévaut. En résumé, l’article 3 de
la convention IV de La Haye de 1907 et l’article 91 du protocole addition -
nel I de 1977 confèrent aux victimes de ces violations graves un droit de
réparation au niveau international. Et les Etats responsables sont tepnus

de leur accorder cette réparation. Une vaste pratique s’est fait jpour en ce
sens ces dernières années dans le domaine du corpus juris du droit inter -
national des droits de l’homme, qui dénote l’émancipation des individus
de la tutelle de leur Etat de nationalité dans la défense des droipts qui leur
87
sont inhérents, et est l’un des multiples aspects de cette émanpcipation .
71. Dans l’opinion dissidente que j’ai jointe à l’ordonnance de pla Cour
du 6 juillet 2010 dans la présente affaire des Immunités juridictionnelles de
l’Etat, j’exposais en outre les fondements de ma position selon laquelle

un Etat ne peut renoncer qu’aux revendications formulées en son proprpe
nom, et non aux revendications formulées au nom d’êtres humainsp et
concernant des droits propres à ceux-ci en tant que victimes de violaptions
graves du droit international. Les droits des victimes de violations grapves
du droit international et du droit international humanitaire subsistent et

leurs Etats de nationalité ne sauraient y renoncer en leur nom ni inter se
(par. 114-115). Une renonciation de ce type serait privée de tout epffet juri -
dique (par. 151 et 153). Et j’ajoutais, dans la même opinion dissidente :

«En tout état de cause, toute prétendue renonciation par un Etat
aux droits inhérents à la personne humaine serait, à mon avis,
contraire à l’ordre public international et dépourvue de tout epffet juri -

dique. Soutenir que cela n’était pas encore reconnu à l’éppoque de la
seconde guerre mondiale et du traité de paix de 1947 — un point de
vue rappelant l’ancienne conception positiviste et sa servilité
inéluctable envers le pouvoir établi — serait à mon avis infondé. Cela

reviendrait à reconnaître que les Etats pourraient perpétrer deps crimes
contre l’humanité en toute impunité, qu’ils pourraient systépmatique -
ment commettre des actes d’homicide, humilier les personnes, les
réduire en esclavage, les déporter et les astreindre au travail foprcé,

pour s’abriter ensuite derrière une clause de renonciation négopciée

87Voir A. A. Cançado Trindade, « The Emancipation of the Individual from His
Own State — The Historical Recovery of the Human Person as Subject of the Law of
Nations »,Human Rights, Democracy and the Rule of Law — Liber Amicorum L. Wildhaber
(dir. publ., S. Breitenmoser et al.), Zurich/Baden-Baden, Dike/Nomos, 2007, p. 151-171 ;
R. P. Mazzeschi, « Reparation Claims by Individuals for State Breaches of Humanitarian
Law and Human Rights : An Overview », Journal of International Criminal Justice, vol. 1
(2003), p. 343 et 345-347 ; M. Frulli, « When Are States Liable towards Individuals for
Serious Violations of Humanitarian Law ? The Marković Case », ibid., p. 424 et 427.

111

6 CIJ1031.indb 219 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 207

avec un ou plusieurs autres Etats, en essayant de régler toute revendpi -
cation au moyen de traités de paix avec l’Etat ou les Etats respecptif(s).
A l’époque du III e Reich, comme avant celle-ci, cette impossibilité
était déjà profondément ancrée dans la conscience humainep, dans la
conscience juridique universelle qui représente à mon avis la source

matérielle ultime de tout le dreit. Déclarer que le travail forcé n’étpait
pas interdit à l’époque du III Reich allemand ne serait pas tenable …,
même en vertu des anciens dogmes positivistes. Une telle affirmationp
n’est point tenable ni en temps de conflit armé, ni en temps de ppaix.
Les restrictions progressives ayant abouti à l’interdiction du trapvail

forcé, de manière à éviter et à condamner les abus commisp contre la
personne humaine dans le passé, se manifestèrent non seulement danps
le domaine du droit international humanitaire, mais également dans
celui de la réglementation des relations de travail (propre aux convpen -

tions internationales de l’Organisation internationale du Travail ou
OIT). A mon avis, même avant l’apparition de tous ces instrumentsp …,
l’esclavage et le travail forcé étaient proscrits par la conscipence
humaine, qui était trop marquée par le poids des abus flagrants pdu
passé. » (C.I.J. Recueil 2010 (I), p. 377-378, par. 124-125.)

72. Il faut ici, une fois encore, dépasser la stricte perspective inter-
étatique. Toujours dans l’opinion dissidente que j’ai jointe àp l’ordonnance

de la Cour du 6 juillet 2010 (demande reconventionnelle), je faisais
observer que ma propre conception du droit international, tout à faitp
distincte de celle de la majorité des membres de la Cour,

«[allait] bien au-delà de la stricte perspective interétatique pour tou -
cher les titulaires ultimes des droits, les êtres humains, confrontés à
la renonciation à leurs créances concernant la réparation des vpiola -

tions graves de leurs droits par les Etats censés les protéger, etp non
les opprimer.
Les Etats sont libres de renoncer à des revendications portant sur
leurs propres droits. Mais ils ne sauraient renoncer aux revendica -
tions portant sur la réparation de violations graves de droits qui ne

sont pas les leurs, de droits qui sont inhérents à la personne humaine.
Toute prétendue renonciation en ce sens est contraire à l’ordrep public
international et constitue une violation du jus cogens. Cette perspec -
tive plus large, dans le cadre d’une échelle de valeurs supérieure, est

conforme à la vision des « pères fondateurs» du droit des gens (le jus
gentium), ainsi qu’à ce qui représente à mon avis le courant le plpus
lucide de la pensée internationaliste contemporaine.
On ne saurait bâtir (et tenter de maintenir) un ordre juridique
international sur la souffrance d’êtres humains, sur le silence pdes

innocents voués à l’oubli. A l’époque où des civils fuprent déportés en
masse et furent envoyés au travail forcé au cours des deux guerres
mondiales (en 1916-1918 et en 1943-1945) du XX e siècle (et non pas
uniquement pendant la seconde guerre mondiale), nul n’ignorait qu’pil
s’agissait là d’un acte illicite, d’une atrocité, d’une violation grave des

112

6 CIJ1031.indb 221 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 208

droits de l’homme et du droit international humanitaire, qui finit ppar
être reconnue comme un crime de guerre et un crime contre l’huma -
nité. La conscience, supérieure à la volonté, fait progressepr le droit,

dont elle est la source matérielle ultime, en éliminant l’injustice mani -
feste. » (C.I.J. Recueil 2010 (I), p. 396-397,par. 177-179.)

X. Positions des Parties qpuant au droit d’accès p
à la justice

73. L’Allemagne et l’Italie entendent le droit d’accès à la jpustice de

manières fondamentalement différentes. Toutes deux conviennent qpue l’ac -
cès à la justice est un droit fondamental comprenant deux élépments (com-
plémentaires), à savoir le droit à un recours effectif et lep droit à un procès
88
équitable , mais elles ne sont pas d’accord quant à sa portée et aux consp-é
quences de son exercice en l’espèce. L’Allemagne fait valoir qupe le droit
d’accès à la justice implique une obligation qui se limite àp garantir de la

même manière aux nationaux et aux étrangers un accès sans enptrave et no89
discriminatoire à des recours effectifs et à un procès équitable , alors que
l’Italie interprète ce droit comme impliquant une obligation de saptisfaction

à l’égard de la partie demanderesse ; elle élargit le droit d’accès à la ju90ice
aux résultats de l’instance et elle fait valoir qu’une partie lpésée qui n’a
aucune autre voie de recours doit être autorisée à demander unep réparation
effective devant ses tribunaux nationaux, même à l’encontre dp’un Etat

étranger, et que dans un tel cas, pour éviter un déni de justicpe, l’immunité
doit être refusée 9.
74. L’Allemagne interprète le droit d’accès à la justice trèps étroitement

et fait valoir qu’il se limite à l’accès au système judicpiaire de l’Etat du for
sans discrimination et avec tous les droits procéduraux. En ce sens, ples
citoyens italiens ont eu pleinement accès aux diverses voies de recouprs que

leur ouvrait la loi allemande, ce jusqu’à la Cour constitutionnellpe fédé -
rale 92; et les citoyens grecs ont eu exactement la même possibilité 93. De
plus, l’Allemagne distingue l’accès à la justice et le droitp à un recours

effectif de la question de savoir si le « plaignant est ou non juridiquement
fondé à présenter une réclamation » 94.
75. Selon l’Allemagne, il n’existe pas de droit individuel à réparation à

raison des crimes de guerre et autres violations du droit international huma -
nitaire et, en conséquence, pas de droit d’agir (correspondant).p De même, le
traité de paix de 1947 et l’accord de 1961 constituent un régime interétatique

de réparation des dommages causés à des Italiens par la guerre qui ne sau -

88
89CR 2011/17, p. 43, par. 24 ; contre-mémoire de l’Italie, par. 4.88.
Réplique de l’Allemagne, p. 19, par. 34 ; CR 2011/17, p. 45, par. 28-29.
90CR 2011/18, p. 62, par. 27.
91Contre-mémoire de l’Italie, p. 80, par. 4.103.
92Réplique de l’Allemagne, p. 19, par. 34.
93CR 2011/17, p. 45, par. 30.
94Réplique de l’Allemagne, p. 20, par. 34.

113

6 CIJ1031.indb 223 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 209

95
rait être remis en cause rétroactivement . De plus, l’Allemagne fait valoir
que l’on interprète l’article 3 commun de la convention de La Haye de 1907

et des conventions de Ge96ve de 1949 comme ne créant pas de droit pindivi -
duel à indemnisation . Elle souligne aussi que les textes plus récents, comme
la résolution 60/147 (2005) de l’Assemblée générale des Nations Unies et le

projet de l’ADI sur la réparation en faveur des victimes de conflpit armé, qui
prévoient un tel droit individuel, ne sont pas fondés sur une rèpgle coutumière
ou conventionnelle existante du droit international mais visent à intproduire
des règles nouvelles . Ainsi, les décisions des tribunaux allemands dans ces

affaires ne constituent pas un déni de justice mais ne font que conpstater que
les nationaux italiens n’ont pas les droits substantiels qu’ils repvendiquent.
76. L’Allemagne argue de plus que, même si un tel droit d’action etp à

réparation devait être reconnu, elle ne l’a pas violé. L’paccès intégral à tous
les niveaux de l’appareil judiciaire allemand a été accordé pà tous les plai-
gnants, et l’Allemagne n’a jamais été accusée d’avoir pviolé les droits proc-é

duraux de citoyens italiens ou grecs; aucune discrimination n’a non plus été
exercée à leur encontre en raison de leur nationalité 98. L’Allemagne argue
enfin que, si le droit d’accès à la justice devait être inpterprété comme per-

mettant à un individu qui n’a pas obtenu satisfaction devant les tpribunaux
de l’Etat (dont il allègue qu’il a violé ses droits) d’intenter une action contre
cet Etat devant les tribunaux d’un Etat étranger (voire devant leps tribunaux

de plus d’un Etat, successivement ou simultanément), rien n’empêcherait
alors une quête incessante de la juridiction la plus avantageuse . 99
77. L’Italie, pour sa part, fait valoir à l’opposé qu’il exispte un droit indi -

viduel à réparation pour dommages de guerre et un droit d’agir pcorrespo-n
dant. Elle estime que ce droit a son origine dans les dispositions adoptpées
après la première guerre mondiale dans le cadre du traité de Versailles

(art. 304) et dans la création de tribunaux arbitraux mixtes ; elle reconnaît
toutefois que la même voie n’a pas été suivie après la sepconde guerre mon -
diale 10. Elle fait néanmoins valoir que, à défaut d’une procédurpe interna-tio

nale alternative, l’accès aux voies de recours nationales ne saurait être
exclu 101. En fait, les tribunaux italiens ont accueilli des actions engagées
contre l’Italie malgré l’existence du traité de paix et du mpécanisme interéta -
102
tique d’indemnisation prévu par celui-ci . L’Italie va plus loin. Elle pré -
sente le droit d’accès à la justice tel qu’il est interprépté par les différents
systèmes régionaux et mondiaux de protection des droits de l’hopmme et, se

fondant sur une décision de la CIDH en l’affaire Goiburú et autres (voir
section XVII infra), elle affirme que le droit d’accès à la justice est une norpme
impérative si le droit substantiel qui a été violé a le mêpme caractère . 103

95 Mémoire de l’Allemagne, p. 12, par. 12.
96 Réplique de l’Allemagne, p. 23, par. 39.
97 Ibid., p. 24-25, par. 40-42.
98 CR 2011/17, p. 45-46, par. 29-30.
99 Ibid., p. 46-48, par. 33-39.
100
101Contre-mémoire de l’Italie, p. 74, par. 4.90-4.91.
102Ibid., p. 75, par. 4.92.
Ibid., p. 74-75, par. 4.91.
103Ibid., p. 76, par. 4.93-4.94.

114

6 CIJ1031.indb 225 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 210

78. De plus, l’Italie soutient que l’accès à la justice impliquep une pro -
tection contre le déni de justice, celui-ci étant entendu comme lep « refus
104
d’accorder à quelqu’un ce qui lui est dû » . Ainsi, lorsque des citoyens
italiens, comme M. Ferrini et d’autres avant et après lui, ont été déboutéps
devant les juridictions et autorités administratives allemandes 105, ils ont

intenté une action contre l’Allemagne devant les juridicti106 italpiennes car
c’était la seule voie de droit qui leur était ouverte . De plus, le refus de
l’immunité à l’Etat allemand par les tribunaux italiens dansp de telles affaires,
où les victimes sont privées de toute autre voie de recours, est npécessaire
107
pour qu’elles puissent exercer effectivement leur droit d’accèps à la justice .
79. Telles sont les positions de base, opposées, défendues par l’Alple -
magne et l’Italie sur le droit d’accès à la justice. Avant dpe procéder à leur
évaluation en approfondissant la question (voir section XII infra), j’es -

time qu’il échet de passer en revue les éclaircissements qu’pelles ont donnés
en réponse à des questions que j’ai jugé bon de leur poser, painsi qu’à la
Grèce en tant qu’intervenant, lors de la procédure orale devantp la Cour.

Après avoir évoqué ces éclaircissements, je passerai à l’pexamen des autres
aspects de la présente affaire suivant la logique.

XI. Éclaircissements donpnés par les Parties et pla Grèce
en réponse aux questipons posées par la Cour

1. Questions posées aux Parties et à la Grèce

80. A la fin de la procédure orale devant la Cour, le 16 septembre 2011,
j’ai jugé bon de poser une série de questions aux Parties, l’pAllemagne et

l’Italie, ainsi qu’à l’Etat intervenant, la Grèce, afinp d’obtenir des éclaircis-
sements sur les conclusions qu’elles avaient présentées à lap Cour. Les
questions que j’ai posées à cette occasion étaient les suivapntes:

«Pour garder l’équilibre linguistique de la Cour, je poserai mes
questions en anglais. Trois questions à l’Allemagne et à l’Iptalie et une

question à la Grèce.
La première question que j’adresse à l’Allemagne et à l’pItalie est la
suivante: à la lumière des arguments que vous avez développés pendanpt

ces audiences publiques et au vu des accords de règlement conclus en
1961 entre l’Allemagne et l’Italie, quelle est la portée exacte des clauses
de renonciation contenues dans ceux-ci et de la clause de renonciation
figurant au paragraphe 4 de l’article 77 du traité de paix de 1947 ? La

question des réparations peut-elle être considérée comme totalement
close aujourd’hui, ou certains de ses aspects demeurent-ils en suspen? ps

104
105 CR 2011/18, p. 62, par. 27.
106 CR 2011/21, p. 48, par. 30 ; contre-mémoire de l’Italie, p. 19-25, par. 2.20-2.34.
107 Contre-mémoire de l’Italie, p. 29, par. 2.44.
Ibid., p. 80, par. 4.103.

115

6 CIJ1031.indb 227 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 211

La deuxième question que j’adresse à l’Allemagne et à l’pItalie est
la suivante: l’exception délictuelle (applicable aux actes préjudiciables

commis sur le territoire de l’Etat du for) est-elle limitée aux apctes jure
gestionis? Peut-elle l’être? Les actes jure imperii connaissent-ils égale -
ment une telle exception ? Comment les crimes de guerre peuvent-ils
être considérés comme des actes jure — je répète, jure — imperii ?

La troisième question que j’adresse à l’Allemagne et à l’pItalie est la
suivante: les victimes italiennes auxquelles le défendeur se réfère
spécifiquement ont-elles effectivement été indemnisées? Si tel n’est pas
le cas, ont-elles droit à une telle réparation et comment peuvent-elles

être effectivement indemnisées, si ce n’est par une procédure de droit
interne? Peut-on encore considérer que, lorsque des violations graves
des droits de l’homme et du droit international humanitaire sont en
cause, le régime des réparations s’épuise au niveau inter étatique? Le

droit à réparation est-il lié au droit à l’accès à pla justice lato sensu ? Et
quelle est la relation entre ce droit à l’accès à la justice et le juscogens ?
Et, enfin, la question que j’adresse à la Grèce est la suivanpte: dans
l’ordre juridique grec, quels sont les effets juridiques de la dépcision du

Tribunal supérieur spécial en l’affaire Margellos sur la décision de la
Cour de cassation en l’affaire du Massacre de Distomo ? Cet arrêt de
la Cour de cassation en l’affaire du Massacre de Distomo est-il tou -
jours en attente d’exécution dans l’ordre juridique grec et au-delà ?» 108

2. Première série de réponses

81. Pour la clarté, je vais résumer les réponses données par l’pAlle -

magne, l’Italie et la Grèce aux questions que je leur ai poséesp à la fin de la
procédure orale devant la Cour, le 16 septembre 2011. Je commencerai
par passer en revue les réponses de l’Allemagne et de l’Italie,p les Parties,
puis celles de la Grèce, l’Etat intervenant.

a) Réponses de l’Allemagne et de l’Italie

82. En ce qui concerne la première question que j’ai posée aux Par -
ties 10, l’Allemagne a répondu que l’ordonnance que la Cour a rendue le
6 juillet 2010 détermine la pertinence du traité de paix de 1947 et des deux

accords de 1961 aux fins de l’instance en cours. L’Allemagne a rappelé sa
position selon laquelle la question de savoir si les réparations liépes à la
seconde guerre mondiale étaient toujours dues n’était pas l’pobjet de la pré -

108
CR 2011/21, audience publique du 16 septembre 2011, p. 53-54.
109 A savoir :
«A la lumière des arguments que vous avez développés pendant cesp audiences

publiques et au vu des accords de règlement conclus en 1961 entre l’pAllemagne et
l’Italie, quelle est la portée exacte des clauses de renonciation pcontenues dans ceux-ci
et de la clause de renonciation figurant au paragraphe 4 de l’article 77 du traité de
paix de 1947 ? La question des réparations peut-elle être considérée comme ptotale
ment close aujourd’hui, ou certains de ses aspects demeurent-ils en spuspens ? »

116

6 CIJ1031.indb 229 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 212

sente instance. L’Italie a répondu que les deux accords de 1961 étaient le
résultat d’un processus qui témoignait de divergences d’opinpions entre les

Parties quant à la portée de la clause de renonciation figurant pdans le traité
de paix de 1947, et que l’Allemagne devait prendre des mesures pour remé -
dier à ces divergences. L’Italie a fait ainsi valoir que les accorpds consti -
tuaient une mesure de réparation visant, d’une part, à réglepr les questions

économiques en suspens (l’accord de « règlement») et, d’autre part, à
indemniser les victimes de persécutions (l’accord d’«indemnisation»).
83. L’Italie a affirmé que l’accord de règlement prouvait de mapnière

concluante qu’elle n’avait jamais accepté l’interprétation que l’Allemagne
faisait de la clause de renonciation, et que l’accord d’indemnisatpion portait
sur une catégorie spécifique de victimes, visées sur la base pde motifs discri -
minatoires spécifiques. A cet égard, l’Italie considère qupe les accords de

1961 ne couvrent que les questions économiques en suspens et les réppara -
tions aux victimes de persécutions. Si ces accords contiennent des clpauses de
renonciation, ajoutait-elle, ces clauses «concernaient uniquement l’objet de
l’accord et n’étaient pas (et n’auraient pu être) d’pune portée telle qu’elles

couvraient, en plus de cet objet, les demandes de répa ration à raison de
crimes de guerre». Quant à la clause de renonciation du paragraphe 4 de
l’article 77 du traité de paix de 1947, l’Italie a réitéré sa position, à savoir
que cette clause ne s’appliquait pas aux demandes d’indemnisation népes de

violations graves du droit international humanitaire.
84. Pour ce qui est de la deuxième question que j’ai posée aux Parties 110,
l’Allemagne a répondu que l’exception délictuelle ne s’apppliquait pas aux

activités militaires et que les affaires en cause dans l’instance devant la Cour
concernaient des actes qui s’étaient produits durant un conflit parmé. Elle
ajoutait que la qualification de l’acte d’un Etat dépendait de la nature de cet
acte et était sans rapport avec sa licéité. Elle faisait valoirp que, en ce sens, les

violations graves du droit international pouvaient aussi entrer dans la pcaté -
gorie des actes souverains et que le droit international énonçait pdes règles
substantielles sur la responsabilité de l’Etat et la responsabilitpé pénale inter -
nationale qui ne remettaient pas en cause l’immunité ni n’y déprogeaient.

85. Pour sa part, l’Italie a répondu que la question des réparationps
n’était pas close, car plusieurs catégories de victimes n’avpaient jamais été
prises en compte dans le cadre des réparations, y compris les victimes ita -

liennes appartenant aux catégories évoquées dans les affaires à l’origine du
présent différend. L’Italie affirmait que l’exception déplictuelle s’appliquait à
la fois aux actes jure gestionis et aux actes jure imperii 11. Elle ajoutait qu’il

110A savoir :

«L’exception délictuelle (applicable aux actes préjudiciables cpommis sur le terri
toire de l’Etat du for) est-elle limitée aux actes jure gestionis ?Peut-elle l’être ?Les actes
jure imperii connaissent-ils également une telle exceptioComment les crimes de
guerre peuvent-ils être considérés comme des actes jure — je répète, jure — imperii ? »
111
Elle faisait valoir que son opinion était confirmée par la pratipque des Etats, le
commentaire de la CDI sur le projet d’articles sur les immunités jpuridictionnelles des Etats
et de leurs biens, l’article 11 de la convention européenne sur l’immunité des Etats et la
doctrine en la matière.

117

6 CIJ1031.indb 231 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 213

n’existait pas d’obligation d’accorder l’immunité pour des actes jure imperii
lorsque l’exception délictuelle s’appliquait. L’Italie affiprmait en outre que

«[r]ien dans la notion d’actes jure imperii n’oblige[ait] à conclure que
l’exception délictuelle ne s’appliqu[ait] pas à cette catépgorie d’actes.

La justification de cette exception à l’immunité [était] fpondée sur l’af -
firmation de la juridiction ou du contrôle local sur les actes prépjudi -
ciables commis sur le territoire de l’Etat du for ».

Elle soutenait donc que, sur la base de cette justification, l’excepption s’ap-
pliquait à tous les actes d’un Etat étranger sur le territoire pde l’Etat du

for, qu’il s’agisse d’actes jure imperii ou d’actes jure gestionis.
86. L’Italie a ajouté que, si elle savait que certains estimaient que ples crimes
de guerre et les crimes contre l’humanité ne pouvaient être considérés comme
des actes de souveraineté pour lesquels l’Etat était en droit d’invoquer l’im -

munité souveraine comme moyen de défense, elle constatait que dansp ce
domaine le droit de l’immunité de l’Etat était en train d’pévoluer. C’est pour -
quoi, tenant compte des circonstances spécifiques et uniques caractpérisant les
affaires portées devant les tribunaux italiens, l’Italie faisaitp reposer sa position

devant la Cour sur deux autres arguments, à savoir l’exception déplictuelle et
l’existence d’un conflit insoluble entre l’immunité et l’application effective de
règles impératives, pour étayer son opinion selon laquelle ellep n’était pas
tenue d’accorder l’immunité juridictionnelle à l’Allemagnpe.
112
87. Pour ce qui est de la troisième question que j’ai posée aux Parties ,
l’Allemagne a de nouveau invoqué l’ordonnance de la Cour en date du
6 juillet 2010, faisant valoir que la question de savoir si les réparations àp

raison d’actes commis pendant la seconde guerre mondiale étaient
toujours dues ne constituait pas l’objet de la présente instance ; elle esti-
mait que le régime de réparation après la seconde guerre mondiaple était
un régime de réparation interétatique classique et global. Ellep faisait en

outre valoir que les victimes qui s’estimaient fondées à le faipre pouvaient
intenter une action contre l’Allemagne devant les tribunaux allemands,
ce qui était conforme au paragraphe 1 de l’article 6 de la convention
européenne des droits de l’homme, qui garantit le droit à l’paccès à la

justice.
88. L’Italie a répondu qu’aucune des victimes entrant dans les catépgo -
ries mentionnées dans les affaires à l’origine du présent pdifférend n’avait
été indemnisée ; elle ajoutait que certaines des victimes n’avaient jamais

eu la possibilité de demander réparation car aucun mécanisme n’pavait

112A savoir :

«Les victimes italiennes auxquelles le défendeur se réfère spépcifiquement ont-elles
effectivement été indemnisées ? Si tel n’est pas le cas, ont-elles droit à une telle répa
ration et comment peuvent-elles être effectivement indemnisées, psi ce n’est par une
procédure de droit interne ? Peut-on encore considérer que, lorsque des violations
graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire sopnt en cause, le
régime des réparations s’épuise au niveau interétatique ? Le droit à réparation est-il
lié au droit à l’accès à la justice lato sensu ? Et quelle est la relation entre ce droit à
l’accès à la justice et le jus cogens ? »

118

6 CIJ1031.indb 233 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 214

jamais été mis en place à cet effet, alors que d’autres espsayaient en vain
d’obtenir réparation depuis presque une décennie. Selon elle, lp’Allemagne
ne semblait aucunement avoir l’intention de conclure avec elle un accpord

en vue d’indemniser ces catégories de victimes. Elle faisait aussip valoir
que, pour l’instant, il n’y avait pour ces victimes, pour obtenir répara -
tion, d’autres recours que les recours internes. L’Italie affirmep que, si les
juges internes n’avaient pas refusé d’accorder l’immunitép, les victimes de

crimes de guerre n’auraient disposé d’aucun autre recours pour pobtenir
réparation étant donné, par exemple, la forte réticence des pautorités alle -
mandes à conclure un accord pour indemniser les « internés militaires
italiens ».

89. L’Italie affirme que, lorsque des violations graves des droits de
l’homme et du droit international humanitaire sont en cause, le répgime
des réparations ne s’épuise pas au niveau interétatique et qpue les victimes
individuelles de ces violations peuvent saisir les tribunaux internes dep leurs

demandes. Selon elle, lorsque le recours aux tribunaux nationaux est
l’unique et ultime moyen d’obtenir réparation, une exception àp l’immunité
est justifiée. Elle ajoute que, «[d]ans certaines circonstances, le déni d’accès
à la justice qui résulte de l’immunité accordée à un Eptat étranger peut avoir

pour corollaire le déni d’une indemnisation effective ». Elle fait ensuite
valoir que la notion de jus cogens concerne non seulement les règles pri -
maires, mais également les recours disponibles en cas de violations gpraves
des obligations prescrites par les normes qui ont ce caractère. Pour pelle,
lorsqu’un conflit survient entre des règles qui empêchent des individus

d’avoir accès à la justice et l’application effective de rpègles de jus cogens, s’il
n’existe aucun autre moyen d’obtenir l’application effective pdu jus cogens,
«la priorité doit être accordée à ce dernier en refusant l’pimmunité et en
permettant ainsi aux victimes individuelles d’accéder à la justpic» e.

b) La réponse de la Grèce
113
90. En réponse à la question I que j’ai posée à l’Etat intervenant —
à ma connaissance, c’est la première fois dans l’histoire dep la Cour qu’une
question est posée à un Etat intervenant non partie —, la Grèpce a com -

mencé par rappeler que le Tribunal supérieur spécial n’étpait pas considéré
comme une cour suprême ni une cour constitutionnelle dans l’ordre pjuri -
dique grec ; il avait un statut juridique sui generis. Elle a ajouté que ce
tribunal était une juridiction indépendante et non permanente qui pn’en -

trait pas dans la hiérarchie du système judiciaire grec. Selon la pGrèce, le
Tribunal supérieur spécial avait notamment pour fonction d’idenptifier ou
de qualifier une règle coutumière du droit international « au stade actuel

113A savoir :

«Dans l’ordre juridique grec, quels sont les effets juridiques de lap décision du
Tribunal supérieur spécial en l’affaire Margellos sur la décision de la Cour de cassa
tion en l’affaire du Massacre de Distomo ? Cet arrêt de la Cour de cassation en l’af -
faire du Massacre de Distomo est-il toujours en attente d’exécution dans l’ordre juri -
dique grec et au-delà ? »

119

6 CIJ1031.indb 235 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 215

du développement du droit international ». Dans ce domaine de ses fonc -

tions, ses arrêts n’avaient pas que des effets limités et, enp pratique, un
arrêt du Tribunal supérieur spécial n’avait un effet contraignant que vis-
à-vis des juridictions dont émanait la question précise qui lui avait été
posée. La Grèce indiquait en outre que les arrêts du Tribunal supérieur
spécial n’avaient pas force de chose jugée erga omnes ; c’était aux tribu -

naux de droit commun ou au Tribunal supérieur spécial qu’il apppartenait
de déterminer ultérieurement s’il y avait eu changement dans l’paffirmation
de l’existence d’une norme coutumière.
91. La Grèce ajoutait qu’un arrêt du Tribunal supérieur spécipal « reflète

toujours les considérations d’une opinio juris exprimée « au même stade
temporel du développement du droit international et de ses règles comme
généralement acceptées»». Elle faisait valoir que l’arrêt Margellos et autres
«ne [pouvait] influencer aucunement » ni avoir des incidences juridic-
tionnelles sur l’arrêt de l’Areios Pagos dans l’affaire du Massacre de

Distomo, rendu avant l’arrêt Margellos et qui concernait une affaire
différente. En ce sens, selon la Grèce, l’arrêt de l’Areios Pagos «est définitif
et irrévocable. Il est en vigueur et produit des effets juridiques pdans l’ordre
juridique hellénique, restant pendant quant à son exécution. » La Grèce
indiquait enfin que le fait que le ministre de la justice n’ait pasp encore au-o

risé l’exécution de l’arrêt de l’Areios Pagos ne signifiait pas que cet arrêt
était « vidé de sens et de force exécutoire »; l’arrêt Distomo « est toujours
ouvert ».

3. Deuxième série de réponses

92. Les Parties ont jugé bon de faire des observations sur les réponses
apportées aux questions que je leur avais posées durant la procépdure orale
(supra). Ces observations additionnelles constituent la seconde série de

leurs réponses, que je vais également reviser et résumer par souci de clarté
quant aux positions distinctes prises par les Parties dans la présentpe affaire
des Immunités juridictionnelles de l’Etat devant la Cour.

a) Observations de l’Allemagne

93. L’Allemagne n’a fait d’observations que sur la réponse de la Grèce à

la question que j’avais posée à cet Etat. Elle a commencé papr citer le para -
graphe 1 de l’article 100 de la Constitution grecque, le paragraphe 1 de l’a-r
ticle 54 de la loi grecque n 345/1976 relative au Tribunal supérieur spécial
grec et un arrêt de celui-ci sur ce paragraphe 1. Sur cette base, l’Allemagne
a fait valoir que, depuis l’arrêt de 2002 rendu dans l’affairpe Margellos et

autres, « aucun tribunal grec n’av[ait] rendu de jugement méconnaissant
l’immunité de l’Etat allemand à raison d’actes jure imperii commis pendant
la seconde guerre mondiale et aucune mesure d’exécution n’av[aipt] été prise
dans l’affaire Distomo». L’Allemagne a ensuite invoqué deux arrêts (rendus
en 2007 et 2009) de l’Areios Pagos qui suivaient la jurisprudence du Tribu-

nal supérieur spécial, « selon laquelle la règle de l’immunité de juridiction

120

6 CIJ1031.indb 237 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 216

demeure inaltérée même dans des affaires ayant pour objet des allégations
de violations graves du droit international humanitaire».

b) Observations de l’Italie

94. L’Italie, à son tour, a fait des observations sur certaines partieps des
réponses de l’Allemagne aux questions que j’avais posées à celle-cpi (supra).
Au sujet de ma première question, contrairement à ce qu’affirmpait l’Alle-

magne, l’Italie faisait valoir que la conclusion de la Cour figuranpt aux
paragraphes de l’ordonnance du 6 juillet 2010 cités par l’Allemagne était
strictement limitée à la question de la recevabilité de la demapnde recon-
ventionnelle de l’Italie et qu’elle était sans incidence sur lap solution de la

question soulevée par la demande principale de l’Allemagne. L’Iptalie affir-
mait qu’il appartenait donc toujours à la Cour d’apprécier les arpguments
avancés par l’Italie sur le fond de la demande principale de l’pAllemagne
et, en particulier, celui selon lequel l’obligation d’accorder répparation aux
victimes de crimes de guerre avait des conséquences particulières psur l’im -

munité de l’Etat.
95. S’agissant de la réponse de l’Allemagne à ma troisième question, l’Ita -
lie contestait l’affirmation de l’Allemagne selon laquelle le répgime de répa -ra
tion mis en place après la seconde guerre mondiale était « global». Elle
faisait observer que l’Allemagne elle-même, tant dans ses écritpures que lors

des plaidoiries, avait reconnu n’avoir indemnisé que « partiellement» les vic -
times italiennes de crimes de guerre. Elle soulignait en outre que l’accord
de 1961 ne prévoyait de réparations qu’au bénéfice des vicptimes de persécu -
tions. Qui plus est, ajoutait-elle, l’affirmation selon laquelle le prégime de

réparation était « global» ne pouvait être exacte, en particulier en ce qui
concerne les victimes italiennes de crimes de guerre. Elle faisait en ouptre
valoir que les arguments de l’Allemagne démontraient clairement qupe de
nombreuses victimes italiennes de crimes de guerre n’avaient bénépficié d’au -
cune réparation 11.

96. L’Italie soutient enfin que l’argument de l’Allemagne selon lequel
les victimes italiennes de crimes de guerre n’ont pas été indempnisées parce
que l’Italie était une alliée de l’Allemagne jusqu’au 8 septembre 1943

«est … erroné … car il confond le régime de la responsabilité de
l’Etat pour violations du jus ad bellum avec les conséquences des vio -
lations du jus in bello, et ignore en particulier le régime spécial de la

responsabilité de l’Etat en cas de violations graves du droit intepr-
national humanitaire ».

Egalement en relation avec ma troisième question, l’Italie soutienpt que
«[l]e fait que les victimes italiennes aient eu accès aux tribunaux alplemands
ne signifie pas qu’elles se sont vu offrir un recours effectif ». La législation

114Comme l’Allemagne soutient que la clause de renonciation figurant àp l’article 77
du traité de paix de 1947 l’exonère de son obligation de réparer, un argument que l’pItalie

conteste dans le cadre de la présente instance.

121

6 CIJ1031.indb 239 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 217

allemande, ajoute-t-elle, imposait un certain nombre de «conditions exces-
sives» aux victimes italiennes qui souhaitaient obtenir réparation 115.

XII. L’interdiction du travpail forcé
à l’époque de la seconpde guerre mondiale

1. L’interdiction normative

97. A l’époque de la seconde guerre mondiale, la réglementation jurpi -
dique du travail forcé reposait sur la convention (n° 29) sur le travail forcé de
l’OIT de 1930, entrée en vigueur le 1 ermai 1932. Cette convention prévoyait

des restrictions et interdictions concernant le travail forcé dont l’pobjectif
final était de le supprimer totalement. Cette convention indique clpairement
que les prisonniers de guerre ne peuvent être affectés à un epmploi lié aux

opérations de guerre (fabrication ou transport d’armes et de muniptions) ni
employés à des travaux malsains ou dangereux (art. 31-32). En cas de viola -
tions, ils ont le droit de se plaindre (art3 . 1); de plus, les conditions de travail

ne peuvent être rendues plus pénibles par des mesures disciplinairpes (art. 31).
98. Le travail forcé, au sens de travail exigé sous la menace d’unep peine
quelconque (art. 2, par. 1), est condamné et expressément interdit depuis
116
la convention (n° 29) de l’OIT de 1930 , en dépit des différents contextes
dans lesquels le travail forcé a été imposé au fil du tempps. La convention
(n° 29) de l’OIT de 1930 a été suivie par la convention de 1957 sur l’abo -

lition du travail forcé, et ces deux instruments jouissent d’une rpeconnais-
sance quasi universelle. Comme je l’ai soutenu dans l’opinion disspidente
(par. 130-132) que j’ai jointe à l’ordonnance de la Cour du 6 juillet 2010

dans l’affaire des Immunités juridictionnelles de l’Etat (Allemagne c. Ita ‑
lie) (demande reconventionnelle), les principes qui y sont consacrés, qpui
sont à l’origine de l’abolition du travail forcé en droit inpternational géné -
117
ral et lui ont donné forme, appartiennent maintenant au jus cogens .
99. De plus, dans le domaine du droit international humanitaire, le trai -
tement des prisonniers de guerre et des populations civiles durant un conflit

115 L’Italie fait valoir à cet égard que le renvoi de l’Allemagnpe à la jurisprudence de la

Cour européenne des droits de l’homme est « inopportun », puisque cette jurisprudence
postule que « la convention n’impose pas d’obligations spécifiques à la pcharge des Etats
contractants d’indemniser des dommages causés avant qu’ils n’aient ratifié la conven -
tion ». L’Italie ajoute que les actions intentées contre l’Allemagne pdevant la Cour euro -
péenne reposaient sur le droit de propriété énoncé à lp’article premier du protocole n 1 à la
convention européenne et que la Cour avait jugé ces demandes irrecpevables au motif que
les faits incriminés ne relevaient pas de cette règle.
116ILO/OIT, Halte au travail forcé — Rapport global en vertu du suivi de la Déclara ‑

tion de l’OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travai▯l, OIT, Genève, 2001,
p. 1170.
Voir en ce sens, par exemple, M. Kern et C. Sottas, «The Abolition of Forced or
Compulsory Labour », Fundamental Rights at Work and International Labour Standards,
Genève, OIT, 2003, p. 44, et voir p. 33 ; Bureau international du travail, Eradication of
Forced Labour, Genève, OIT, 2007, p. 111.

122

6 CIJ1031.indb 241 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 218

armé était régi, à l’époque de la seconde guerre mondipale, par la convention IV
de La Haye de 1907 et par la convention de Genève de 1929 relative au trai -

tement des prisonniers de guerre; ce dernier texte interdisait d’employer des
prisonniers de guerre à des travaux insalubres ou dangereux (art. 28-34).
Toujours en rapport avec l’interdiction du travail forcé, dans le pmême temps,
la convention de Genève de 1926 sur l’esclavage interdisait l’esclavage et la

traite des esclaves; elle énonçait expressément, à la charge des Etats, l’obpli -
gation de « prendre des mesures utiles pour éviter que le travail forcé ou
obligatoire n’amène des conditions analogues à l’esclavage » (art. 5).
100. Le Règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur

terre, annexé à la convention IV de La Haye de 1907 susmentionnée,
interdisait, en ce qui concerne le travail forcé des habitants des teprritoires
occupés, d’obliger ces habitants à participer « aux opérations de la guerre
contre leur patrie » (art. 52). L’Allemagne a signé la convention IV de

La Haye de 1907 le 18 octobre 1907 et l’a ratifiée le 27 novembre 1909. Il
convient en outre de noter que l’Allemagne n’a ratifié la conpvention
(n° 29) de l’OIT de 1930 sur le travail forcé que le 13 juin 1956. Quoi qu’il
en soit, même si cette ratification ultérieure interdit d’invpoquer cette

convention comme base de compétence avant le milieu de 1956, la respon ‑
sabilité de l’Allemagne nazie a subsisté. Nul n’oserait nier que le travpail
forcé était déjà illicite à l’époque de la seconde guerre mondiale.
101. Le régime de travail forcé organisé par l’Allemagne nazie peut être

assimilé à une «réduction en esclavage» étant donné la présence d’éléments
constitutifs de ce crime, à savoir l’assujettissement d’une parptie d’une popu -
lation d’un territoire occupé afin de lui faire exécuter un tpravail forcé ou

obligatoire devant être permanent, et effectué dans des condit118ns compa -
rables à l’esclavage sous l’autorité de personnes privéesp . Les autorités de
l’Allemagne nazie avaient pour politique de laisser mourir les travaiplleurs
forcés épuisés; parfois elles mettaient ces travailleurs forcés à mort lors -

qu’ils ne pouvaient plus travailler. Du fait de ces circonstances, lepur poli- 119
tique pouvait entrer dans la définition de la «réduction en esclavage» .

2. Reconnaissance judiciaire de l’interdiction

102. La politique d’Etat de l’Allemagne nazie devait avoir des réperp -
cussions sur les travaux et les conclusions du Tribunal militaire inter-
national de Nuremberg peu après la seconde guerre mondiale. Le
Statut (1945) du Tribunal de Nuremberg faisait notamment figurer, parmi

les crimes de guerre, la « déportation pour des travaux forcés, ou pour
tout autre but, des populations civiles dans les territoires occupés» (art. 6,
al. b)) et, parmi les crimes contre l’humanité, « la réduction en esclavage,

118
L. Hannikainen, Peremptory Norms (Jus Cogens) in International Law : Histo‑
rical Development, Criteria, Present Status, Helsinki, Lakimiesliiton Kustannus/Finnish
Lawyers’ Publ. Co., 1988, p. 455-456.
119 Voir CICR, Droit international humanitaire coutumier, règle 95 :travail forcé, dépor-
tation pour des travaux forcés, n 19.

123

6 CIJ1031.indb 243 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 219

la déportation, et tout autre acte inhumain commis contre toutes popupla-

tions civiles, avant ou pendant la guerre » (art. 6, al. c)). L’interdiction du
travail forcé et de la réduction en esclavage était déjà pétablie, comme indi -
qué ci-dessus, dans le corpus juris gentium et dans les instruments inter-
nationaux de l’OIT et du droit international humanitaire.

103. Cette interdiction devait alors, grâce aux travaux du Tribunal de
Nuremberg, acquérir également une reconnaissance judiciaire. En fapit, la
question du travail forcé durant la seconde guerre mondiale a été exa-

minée par le Tribunal de Nuremberg, qui, dans le cadre du procès dpes
Grands criminels de guerre (jugement du 1 eroctobre 1946), a rappelé que
l’alinéa b) de l’article 6 de son Statut 120disposait que constituent un
crime de guerre « les mauvais traitements et la déportation pour des tra -

vaux forcés, ou pour tout autre but, des populations civiles dans lesp terri-
toires occupés». Le Tribunal a de plus rappelé que «[l]es règles concernant
les travaux forcés imposés aux habitants de territoires occupésp se trouvent
121
dans l’article 52 de la convention de La Haye » de 1907 .
104. A cet égard, le Tribunal de Nuremberg a conclu que « [l]a poli-
tique des autorités d’occupation allemandes a constitué une violationp

flagrante des termes de [la convention de La Haye de 1907] » et que
l’«[o]n peut se rendre compte de ce qu’était cette politique en lisanpt la
déclaration faite par Hitler dans un discours prononcé le 9 novembre
1941», ajoutant que « les autorités d’occupation allemandes parvinrent

à astreindre un grand nombre d’habitants des territoires occupés àp l’effort
de guerre du Reich … [et] déportèrent en Allemagne au moins cinq millions
de personnes pour les contraindre à des travaux agricoles». Il fit aussi ob -

server que «[l]es habitants furent recensés et forcés de travailler sur place pau
bénéfice de l’économie de guerre allemande » et que, « [b]ien souvent, ils
durent construire des fortifications et des installations militaires» 122.
105. Il ressort sans l’ombre d’un doute de la déclaration d’Hitlepr sus-

visée, que le Tribunal de Nuremberg a lui-même citée, que le trpavail forcé
généralisé des populations des territoires occupés dans l’pindustrie de
guerre allemande durant la seconde guerre mondiale correspondait à unpe

politique d’Etat de l’Allemagne nazie. Une telle politique d’Etpat consti -
tuait une violation flagrante du droit international, conventionnel etp
coutumier.
106. En fait, le Tribunal de Nuremberg a en outre fait observer qu’une

énergique campagne de propagande avait été entreprise pour incipter les
travailleurs à aller travailler en Allemagne et que, dans certains caps, les
travailleurs et leurs familles avaient été menacés de représpailles par la
123
police s’ils refusaient de partir pour l’Allemagne . Les preuves soumises

120Ci-après le «Statut de Nuremberg ».
121Tribunal militaire international, jugement du 1octobre 1946, dans The Trial of
German Major War Criminals: Proceedings of the International Military Tribunal Sitting at
Nuremberg, Germany, partie 22 (22 août 1946-1roctobre 1946), p. 460.
122
123Ibid., p. 460.
Ibid., p. 461.

124

6 CIJ1031.indb 245 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 220

au Tribunal montraient que les travailleurs déportés en Allemagne py
étaient envoyés sous escorte, souvent entassés dans des trains pnon chauf-

fés, sans nourriture, sans vêtements et sans installations sanitaipres, et que
le traitement qui leur était infligé en Allemagne avait étép brutal et dégra -
dant; le Tribunal a aussi conclu que beaucoup de prisonniers de guerre
avaient été employés à des travaux en rapport direct avec leps opérations
124
militaires, en violation de l’article 31 de la convention de Genève de 1929 .
107. En ce qui concerne le caractère coutumier des règles qu’il applpi -
quait, le Tribunal de Nuremberg déclara en outre ce qui suit :

«L’article 6 du Statut soumet à la compétence du Tribunal :

b) Les crimes de guerre : c’est-à-dire les violations des lois et cou -
tumes de la guerre. Ces violations comprennent, sans y être limi -
tées, l’assassinat, les mauvais traitements ou la déportation ppour
des travaux forcés, ou pour tout autre but, des populations civiles

dans les territoires occupés, l’assassinat ou les mauvais traitemepnts
des prisonniers de guerre ou des personnes en mer, l’exécution desp
otages, le pillage des biens publics ou privés, la destruction sans
motif des villes et des villages ou la dévastation que ne justifient

pas les exigences militaires ;
c) Les crimes contre l’humanité : c’est-à-dire l’assassinat, l’extermi -
nation, la réduction en esclavage, la déportation, et tout autre apcte
inhumain commis contre toutes populations civiles, avant ou pen -

dant la guerre, ou bien les persécutions pour des motifs politiques,
raciaux ou religieux, lorsque ces actes ou persécutions, qu’ils aipent
constitué ou non une violation du droit interne des pays où ils onpt
été perpétrés, ont été commis à la suite de tout crpime rentrant dans

la compétence du Tribunal, ou en liaison avec ce crime.
Le Statut lie le Tribunal quant à la définition des crimes de guperre

et des crimes contre l’humanité. Mais, dès avant le Statut, lesp crimes
de guerre énumérés par l’article 6 b) tenaient du droit international
leur qualification de crimes de guerre. Ils étaient prévus par lpes
articles 46, 50, 52 et 56 de la convention de La Haye de 1907, et par

les articles 2, 3, 4, 46 et 51 de la convention de Genève de 1929. Il
n’est pas douteux que la violation de ces textes constitue un crime, p
entraînant un châtiment. » 125

108. Le Tribunal de Nuremberg conclut en outre que, en 1939, les
règles énoncées dans la convention de La Haye de 1907 étaient reconnues
par tous « les Etats civilisés » et considérées comme déclaratoires des lois

124
125 Op. cit. supra note 121, p. 462.
Ibid., p. 467. Le jugement déclarait aussi, en ce qui concerne les crimes commis epn
Tchécoslovaquie : « Bien que la Tchécoslovaquie ne fût pas partie à la convention dpe La Haye
de 1907, les règles de la guerre sur terre énoncées dans cette C▯ sont déclaratoires du
droit international existant et sont donc appli, p. 524 (les italiques sont de moi).

125

6 CIJ1031.indb 247 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 221

et coutumes de la guerre visées à l’alinéa b) de l’article 6 du Statut du
Tribunal. Quant aux crimes contre l’humanité, le Tribunal a conclup que
«[l]a politique de terreur était assurément mise en œuvre sur unpe grande

échelle, et [qu’]elle était souvent organisée et systématpique » et, en ce qui
concerne « [l]a politique de persécution, de répression et de meurtre de
civils présumés hostiles au gouvernement mis en œuvre en Allemapgne

avant la guerre de 1939», il a jugé que cette politique « a[vait] été poursui -
vie impitoyablement». Le Tribunal a ainsi conclu que « dès le début de la
guerre en 1939 des crimes de guerre furent commis sur une grande échelle,
qui étaient aussi des crimes contre l’humanité », et il a jugé qu’« ils

[avaient] tous été commis en exécution ou à l’occasion d’pune guerre
d’agression, et qu’ils constituaient des crimes contre l’humanipté» 126.
109. Le Tribunal militaire international pour l’Extrême-Orient (le Tripbu -

nal de Tokyo), dans son jugement du 12 novembre 1948, s’est pour sa part
déclaré préoccupé par le recours au travail forcé, la mépthode de recrutement
et l’internement des travailleurs dans des camps ; il a aussi relevé que l’on ne

distinguait guère, voire pas du tout, «entre ces travailleurs recrutés de force
d’une part et les prisonniers de guerre et internés civils d’auptre part», tous
étant considérés comme des «travailleurs réduits en esclavage» 127.

110. De nos jours, dans le jugement qu’elle a rendu dans l’affaire Kono ‑
nov c. Lettonie (2008-2010), portée devant elle par un survivant de la
seconde guerre mondiale, la CEDH (arrêt du 24 juillet 2008 de l’ancienne

troisième section de la Cour) a jugé opportun d’examiner l’pévolution du
droit international humanitaire entre les première et deuxième conpfé -
rences de paix de La Haye (1899 et 1907) et les suites de la seconde guerre

mondiale (Tribunaux de Nuremberg et de Tokyo, et conventions
de Genève de 1949) pour décider que, bien avant la seconde guerre

126
127 Op. cit. supra note 121, p. 468.
Comme l’a déclaré le Tribunal :
«Ayant décidé d’employer les prisonniers de guerre et internéps civils à des travaux

contribuant directement à la poursuite de la guerre, et ayant étabpli un système pour
mettre en œuvre cette politique, les Japonais sont allés plus loinp et ont complété cette
source de main-d’œuvre en recrutant des travailleurs dans la populpation indigène
des territoires occupés. Ce recrutement de travailleurs fut accompli pau moyen de
fausses promesses et par la force. Une fois recrutés, les travailleurps étaient trans
portés et enfermés dans des camps. Il semble qu’on n’ait guèpre fait de distinction,
voire aucune, entre ces travailleurs recrutés de force d’une part pet les prisonniers de
guerre et internés civils d’autre part. Ils étaient tous considpérés comme des travail -
leurs réduits en esclavage, à utiliser jusqu’à la limite de pleurs forces. Pour cette raison,

l’expression «internés civils » désignait également ces travailleurs recrutés de force…
Le sort de ces travailleurs recrutés de force fut aggravé par le fpait qu’ils ignoraient
généralement les principes de l’hygiène applicables dans lesp conditions inhabituelles
de surpopulation qui étaient les leurs et qu’ils succombaient plusp facilement aux
maladies résultant de l’insalubrité de leur enfermement et des travaux que leurs
geôliers japonais les obligeaient à exécuter. » (Tribunal militaire international pour
l’Extrême-Orient, jugement du 12 novembre 1948, dans J. Pritchard et S. M. Zaide
(dir. publ.), The Tokyo War Crimes Trial, vol. 22, p. 693-694.)

126

6 CIJ1031.indb 249 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 222

mondiale, il était déjà interdit d’opprimer et de maltraiterp les civils
(par. 55-70).
111. Dans le même ordre d’idées, la CEDH, dans l’arrêt qu’eplle a rendu
ultérieurement en l’affaire Kononov c. Lettonie (Grande Chambre,

17 mai 2010), a examiné l’évolution du droit international humanitairpe de
manière encore plus approfondie, des premières codifications du p
XIX esiècle à la période ayant suivi la seconde guerre mondiale (par. 206-
217), et elle a conclu que le fait d’infliger à des villageois p(de toutes façons

hors de combat) « des mauvais traitements, des blessures, puis la mort »
constituait, déjà à l’époque du Règlement de La Haye dpe 1907, «un crime
de guerre» (par. 216). La Cour a notamment déclaré ce qui suit :

«Si la notion de crimes de guerre est connue depuis des siècles, les
actes constitutifs de crimes de guerre susceptibles d’engager la resppon -
sabilité pénale de leur auteur ont commencé à faire l’objpet d’une cod-ifi
e
cation solide au milieu du XIX siècle. Le Code Lieber [de] 1863 … [le
Manuel d’Oxford de 1880] …, et en particulier le projet de Déclaration
de Bruxelles [de 1874], ont … inspiré la Convention et le Règlement de
La Haye de 1907. Ce sont ces deux derniers instruments qui ont été les
plus marquants dans le processus de codification. En 1907, ils étaipent

déclaratifs des lois et coutumes de la guerre : ils définissaient notam -
ment des notions clés pertinentes (combattants, levée en masse, hpors de
combat), énuméraient en détail les infractions aux lois et couptumes de
la guerre et assuraient, par le biais de la clause Martens, une protectipon

résiduelle aux populations et aux belligérants dans les cas non copuverts
par l’une de leurs dispositions. Ces textes posaient en principe la rpes -
ponsabilité des Etats, qui devaient donner à leurs forces armées des
instructions conformes au Règlement concernant les lois et coutumes

de la guerre et verser une indemnité en cas de violation par des membres
de leurs forces des dispositions dudit Règlement» . (Par. 207.)

112. Après avoir examiné le droit humanitaire « de La Haye et celui de
Genève», «le second complétant le premier», au cours de la seconde moi -
tié du XIX siècle et de la première moitié du XX esiècle, la Cour euro -
péenne a en outre rappelé que le Statut du Tribunal de Nuremberg

«définissait de manière non limitative les crimes de guerre », que dans son
jugement le Tribunal avait émis l’opinion que les règles humanitaires qui
figuraient dans la convention et le règlement de La Haye de 1907 étaient
généralement reconnues comme « «l’expression, codifiée, des lois et cou -
tumes de la guerre » applicables en 1939 et que les violations de ces textes

constituaient des crimes dont les auteurs devaient être punis » (par. 207).
113. La Cour européenne des droits de l’homme ajoute ensuite que
«[t]ant le droit international que le droit national (celui-ci incluant ples
normes internationales transposées) servaient de base aux poursuitesp et à
128
la détermination de la responsabilité au niveau national » (par. 208) .
En résumé, il ressort clairement de ce qui précède qu’il py a aussi eu une

128Voir aussi par. 212.

127

6 CIJ1031.indb 251 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 223

reconnaissance judiciaire du fait que, bien avant la seconde guerre mon -
diale, maltraiter les civils (par exemple en leur imposant un travail fporcé)

était illicite — c’était un crime de guerre — et engageait la responsabilité
de l’Etat comme la responsabilité individuelle.

3. L’interdiction dans les travaux de codification

114. L’interdiction du travail forcé en tant que forme d’esclavage npe
doit pas être prise à la légère, si l’on songe au temps qpu’il a fallu pour
éliminer ce phénomène, même s’il survit encore de nos jouprs. A de nom -
breuses reprises, l’attention a été appelée sur la lutte sans fin menée à cet

égard. En 1958, par exemple, J. H. W. Verzijl a fait observer qu’il était
«choquant de devoir reconnaître » que les tentatives faites pour se pen -
cher sur les abus et phénomènes du passé étaient « relativement récentes».
Ainsi :

«Il suffira de rappeler les preuves historiques humiliantes attestant

que l’abolition formelle de l’esclavage n’a été réalispée qu’avec réti -
cence, petit à petit, au XIX siècle, que des formes cachées ou même
ouvertes de servitude existent encore …, qu’il était encore népcessaire
en 1956 de conclure une convention, la convention supplémentaire

relative à l’abolition de l’esclavage, de la traite des esclaveps et des
institutions et pratiques analogues à l’esclavage … une sinistrpe survi -
vance du passé qui existe toujours. » 129

115. Lorsque, peu après sa création et celle de l’Organisation des
Nations Unies elle-même, la Commission du droit international (CDI) a

formulé les Principes du droit international consacrés par le Statut du Tribu ‑
nal de Nuremberg et dans le Jugement de ce tribunal (1950), elle a fait figurer
au nombre des « crimes de guerre » la « déportation pour les travaux forcés,
ou pour tout autre but, des populations civiles dans les territoires occpupé »s

(principe VI b)); elle a de même fait figurer parmi les « crimes contre l’hu ‑
manité » «la réduction en esclavage, la déportation ou tout autre acte inhu-
main commis contre toutes populations civile» s (principe VI c)) . Codifiés
en 1950, ces principes étaient déjà depuis longtemps profondémepnt gravés

dans la conscience juridique universelle. Ces crimes étaient de mêpme déjà
interdits depuis longtemps par le droit international.
116. Le fait demeure que l’interdiction du travail forcé en tant que
forme d’esclavage est bientôt apparue dans les travaux de codifipcation
e
non seulement de la CDI au milieu du XX siècle, mais aussi du Comité
international de la Croix-Rouge (CICR) au milieu de la dernière dépcen -
nie. En fait, selon l’étude du CICR intitulée Droit international humani ‑

taire coutumier, publiée en 2005, le travail forcé non rémunéré ou abusif

129
J. H. W. Verzijl, Human Rights in Historical Perspective, Haarlem, Haarlem Press,
1958, p. 5-6.
130 Nations Unies, La Commission du droit international et son œuvre, 7 éd., vol. I, New
York, Nations Unies, 2007, p. 265.

128

6 CIJ1031.indb 253 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 224

est interdit ; selon l’étude, cette interdiction du travail forcé constitue p
«une norme de droit international coutumier applicable dans les conflitps
131
armés tant internationaux que non internationaux » (règle 95).

4. Les crimes internationaux et les interdictions du jus cogens

117. Le fait demeure que, lorsque la seconde guerre mondiale a éclaté, p
le travail forcé était déjà interdit par le droit internatiopnal comme une
forme d’esclavage. Bien avant cette guerre et, de fait, avant la prempière
guerre mondiale, son illicéité était largement reconnue. Le fait que des

pratiques illicites aient néanmoins subsisté, en temps de paix ou pde conflit
armé — comme elles subsistent encore aujourd’hui —, ne signipfie pas qu’il
y avait un vide juridique à cet égard. Les interdictions du droit pinternatio -
nal ne disparaissent pas parce que les violations se produisent. Bien aup

contraire, de telles violations entraînent des conséquences juridipques pour
ceux qui en sont responsables.
118. Déjà au début du XX esiècle, la convention IV de La Haye (1907)

contenait, dans son préambule, la célèbre clause Martens (voir supra),
invoquant, pour les cas qui n’étaient pas couverts par le règlement annexé
à la convention, les «lois de l’humanité» et les «exigences de la conscience
publique» (par. 8). On avait pris soin de faire en sorte que nul ne soit

privé de la protection accordée par le corpus juris gentium — par le droit
international conventionnel et coutumier — contre le travail forcép assimi -
lable à l’esclavage dans l’industrie de l’armement. Le jus gentium faisait
bénéficier tous les êtres humains de cette protection, bien apvant le sinistre
e
cauchemar et les horreurs du III Reich.
119. Dans le même ordre d’idées, dans ma précédente opinion dipssi -
dente (par. 144-146) jointe à l’ordonnance de la Cour du 6 juillet 2010
dans la présente affaire des Immunités juridictionnelles de l’Etat (Alle ‑

magne c. Italie) (demande reconventionnelle), j’appelais l’attention (à la
lumière des conclusions des Parties elles-mêmes, qui n’étaiepnt pas néces -
sairement divergentes sur ce point) sur l’incidence du jus cogens en ce qui
concerne l’interdiction absolue du travail forcé dans l’industrpie de guerre.

A cet égard, je faisais observer :

«En réalité, on peut remonter — même avant la deuxième confé -
rence de la paix de La Haye (1907) — à l’époque de la prempière
conférence de la paix de La Haye (1899)… A la fin du XIX esiècle, on
estimait, lors de la première conférence de la paix de La Haye, qupe

les Etats pourraient voir leur responsabilité délictuelle engagépe en cas
de mauvais traitements infligés à des personnes (à raison, ppar

131
CICR, Droit international humanitaire coutumier — vol. I : Règles (dir. publ.,
J.-M. Henckaerts et L. Doswald-Beck), Genève/Cambridge, CICR/Cambridge Univer -
sity Press, 2005, p. 330, et voir p. 331-334; voir aussi CICR, Droit international humanitaire
coutumier — vol. II :Pratique, première partie (dir. publ., J.-M. Henckaerts et L. Doswald-
Beck), Genève/Cambridge, CICR/Cambridge University Press, 2005, p. 2225-2262.

129

6 CIJ1031.indb 255 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 225

exemple, du transfert de civils pour travail forcé) ; cela annonçait
l’époque de la responsabilité pénale des agents individuels pde l’Etat

qui suivit, avec la consécration des concepts de crimes de guerre et de
crimes contre l’humanité.
L’éveil progressif de la conscience humaine conduisit à l’épvolution
allant de la consécration du concept des delicta juris gentium à celle

des violations du droit international humanitaire (sous la forme des
crimes de guerre et des crimes contre l’humanité) — représentant
l’héritage de Nuremberg — suivie de celle des violations graves du
droit international humanitaire (avec les quatre conventions de

Genève sur le droit internation132humanitaire de 1949 et leur proto -
cole additionnel I de 1977) . A la suite de cet éveil progressif de la
conscience humaine, les êtres humains cessèrent également d’pêtre un
objet de protection pour être considérés comme des sujets de droits,

à commencer par le droit fondamental à la vie, comportant le droit
de vivre dignement.
Les êtres humains furent reconnus comme sujets de droits en
toutes circonstances, en temps de paix comme en temps de conflit

armé. Pour ce qui est du temps de paix, il convient de rappeler brièp -
vement que, bien avant la Déclaration universelle des droits de
l’homme de 1948, les expériences pionnières du système des minori -
tés et du système des mandats mis en place dans le cadre de la Socpiété

des Nations au cours de l’entre-deux-guerres octroyaient un accès p
direct aux individus concernés aux instances internationales (respecp -
tivement les Comités des minorités et la Commission permanente des

mandats) pour leur permettre de faire valoir les droits découlant
directement du droit des gens (le jus gentium en évolution). Pour ce
qui est de ce dernier également, à partir de la deuxième conféprence de
la paix de La Haye, les êtres humains se voyaient reconnaître le dproit

de revendiquer des réparations de guerre. » (C.I.J. Recueil 2010 (I),
pp. 385-386, par. 144-146.)

120. Cela étant, les Etats ne peuvent dans leurs accords avec d’autres p
Etats renoncer à ce droit de revendiquer des réparations de guerrep,
reconnu bien avant la fin de la seconde guerre mondiale ; il était lié à
d’autres droits inhérents aux êtres humains victimes de la cruaputé et de

souffrances indicibles causés par la détention arbitraire, la dépportation et

132Première convention de Genève, art. 49 et 50; deuxième convention de Genève,
art. 50 et 51; troisième convention de Genève, art. 129 et 130 ; quatrième convention de

Genève, art. 146 et 147 ; protocole additionnel I, art. 85 à 88. Le protocole additionnel I
de 1977 (art. 85) a préféré s’en tenir à cet égard à la terminolpogie des quatre c-nven
tions de Genève de 1949 et a conservé l’expression d’« infractions graves » au droit inter -
national humanitaire, étant donné les « objectifs purement humanitaires » de ces traités
humanitaires ;il a néanmoins jugé nécessaire de préciser que les « infractions graves » à ces
traités (les quatre conventions de Genève et le protocole additiopnne[étaie]nt consi-
dérées comme des crimes de guerre » (art. 85, par. 5). Voir Y. Sandoz, Ch. Swinarski et
B. Zimmermann (dir. publ.), Commentaire sur les protocoles additionnels du 8 juin 1977
aux conventions de Genève du 12 août 1949, Genève, CICR/Nijhoff, 1987, p. 1016 et 1027.

130

6 CIJ1031.indb 257 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 226

le travail forcé dans les industries de guerre. J’ai déjà expaminé ce point
dans la présente opinion dissidente (voir section VII supra). Suivant
l’ordre logique, je vais maintenant me pencher sur les plaidoiries deps Par-

ties et de l’intervenant en ce qui concerne le jus cogens et le refus d’accor -
der l’immunité, puis sur le problème de l’opposition entre ipmmunité de
l’Etat et droit d’accès à la justice de l’individu.

XIII. Plaidoiries des Partieps et de l’État intervepnant
concernant le Jus Cogens et le refus d’accordepr l’immunité:

évaluation

121. En ce qui concerne le jus cogens et l’immunité de l’Etat, l’Alle -

magne soutient que le jus cogens concerne les règles primaires du droit
international et non les règles secondaires (par exemple les consépquences
des violations) 133. Elle fait valoir qu’il ne peut s’agir d’un conflit entre

deux règles de droit international général mais qu’il s’apgit uniquement de
la question de savoir si une règle a été modifiée par l’peffet de l’autre, et,
dans la présente affaire, pour l’Allemagne, la pratique des Etatps n’indique

pas que les règles de l’immunité de l’Etat aient été mpodifiées d’une manière
quelconque 134.
122. L’Italie, pour sa part, soutient que les normes du jus cogens ont

des effets dans le domaine de la responsabilité de l’Etat, de mêpme qu’en ce
qui concerne la prévention des infractions au droit international 13. Selon
l’Italie, dans certains cas, le droit international permet de refuser d’accor -
136
der l’immunité afin de donner effet à des règles du jus cogens . C’est
pourquoi la décision de la Cour de cassation italienne d’écartepr l’immu -
nité en cas de violation de règles du jus cogens était correcte, en ce qu’elle
137
mettait fin à la violation continue de l’Allemagne .
123. La Grèce fait quant à elle valoir que, selon les tribunaux grecs, ps’il
y a eu violation de règles de caractère impératif, l’immunitpé de l’Etat ne
peut être invoquée 138 ; selon elle, il n’était pas juridiquement justifié de

tenter d’établir une distinction entre une règle substantielle p(le jus cogens)
et une règle procédurale (l’immunité de l’Etat). Une rèpgle procédurale ne
pouvait prévaloir sur une règle substantielle du jus cogens, car cela serait

incompatible avec l’objet et la raison d’être de la règle supbstantielle, et
reviendrait à accorder l’impunité aux Etats ayant commis des vipolations
graves de normes impératives 13. De plus — ajoutait-elle — une telle dis -

133CR 2011/17, p. 49-50, par. 3 ; il fait valoir en outre que le jus cogens ne peut être

compris comme exprimant des principes de droit de valeur supérieure qpui primeraient tous
les134tres principes, exprimant des valeurs moindres.
Ibid., p. 53, par. 6.
135CR 2011/18, p. 47-48, par. 25.
136Ibid., p. 49, par. 28.
137Ibid., p. 56-58, par. 16-18.
138CR 2011/19, p. 36, par. 98.
139Ibid., p. 37, par. 102.

131

6 CIJ1031.indb 259 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 227

tinction entraverait l’exercice du droit à un recours effectif cponsacré dans
divers instruments internationaux 140; ainsi, l’accès effectif aux tribunaux
pour faire respecter de telles règles (sans que l’immunité faspse obstacle à
141
la compétence) devait être reconnu .
124. L’Allemagne a répondu à cela que décider d’écarter l’pimmunité dés -
tabiliserait les règlements de paix et le principe pacta sunt servanda lui-même,

car tous les traités de paix seraient compromis par des actions indivpiduelles
en réparation (l’Italie elle-même pourrait se trouver confrontpée à de tels pro -
cès) 14. Elle faisait aussi valoir que l’intérêt collectif ne devait ppas être mis en

péril par celui de l’individu, et qu’on ne pouvait permettre qupe les droits de
l’homme portent ainsi atteinte à la structure de la société pinternationale.
125. L’Italie a répondu que ce qui était demandé à la Cour éptait d’exa -

miner la légalité de certaines décisions de tribunaux italiens psur la base
d’un contexte factuel très précis, qui rendait la présente affaire unique.
Ainsi, la décision que rendrait la Cour ne pouvait être considéprée comme

risquant d’avoir les conséquences catastrophiques sur l’ensemblpe de l’ordre
juridique international qu’invoquait l’Allemagne 143. L’Italie ajoutait que
sa position se rapprochait du « principe de complémentarité», puisqu’elle

faisait valoir qu’un individu ne pouvait saisir ses tribunaux nationapux que
s’il avait vainement saisi ceux de l’Etat auteur de la violation 144.
126. Quant au jugement de l’Areios Pagos dans l’affaire du Massacre

de Distomo, la Grèce relate la procédure devant les tribunaux grecs et les
décisions de ceux-ci, et affirme que la Cour suprême spéciale pgrecque n’est
pas une « cour constitutionnelle »; elle n’a vocation à apprécier la consti -

tutionnalité des lois que dans un nombre limité de situations et eplle n’est
pas assimilable aux cours constitutionnelles d’autres Etats, dont lesp déci -
sions ont valeur de précédent dans leur ordre juridique interne 145. Ainsi,

l’impact de cette décision dans l’ordre juridique grec soulèpve des ques -
tions, mais on ne peut considérer qu’il a inversé la décisiopn rendue par
l’Areios Pagos dans l’affaire du Massacre de Distomo 146.

127. A cet égard, l’Allemagne soutient que, quoi qu’en dise la Grèpce,
c’est un fait que, à la suite de la décision de la Cour spécpiale suprême dans
l’affaire Margellos, l’ordre juridique grec ne reconnaît aucune limite à

l’immunité souveraine pour les actes jure imperii, puisque la décision de

140
141 CR 2011/19, p. 38, par. 106.
Ibid.
142 CR 2011/17, p. 55-56, par. 13. L’Allemagne affirme également qu’on risque ainsi
de créer une culture du «forum shopping », ce qui causerait de graves problèmes dans les
relations internationales et poserait un problème s’agissant des bpiens dont les Etats sont
propriétaires à l’étranger ; ibid., p. 59, par. 18.
143 CR 2011/21, p. 14-16, par. 4-7. L’Italie contestait également qu’il existât, comme le

faisait valoir l’Allemagne, un risque réel de «forum shopping » ;pour l’Italie, sa position et
celle de la Cour de cassation italienne n’avaient rien à voir avec une quelconque « compé-
tence civile universelle » ;ibid., p. 49-50, par. 31-33.
144 Ibid., p. 49-50, par. 31-33.
145 CR 2011/19, p. 23-24.
146 Ibid., p. 23-24, par. 43 et 46.

132

6 CIJ1031.indb 261 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 228

cette cour est un précédent qui s’impose à tous les tribunaux grecs 14. Elle
soutient aussi que la reconnaissance et l’exécution de la décispion grecque

rendue dans l’affaire Distomo par les tribunaux italiens ont violé
son immunité 14. A cet égard, l’Allemagne relève également que l’agent
de l’Italie a admis l’illégalité de l’hypothèque judiciaipre prise sur la
Villa Vigoni et la volonté de l’Italie de remédier à cette situatipon 14.

128. L’Italie fait valoir que l’exécution du jugement rendu dans l’paffaire
Distomo n’a pas été la conséquence du « forum shopping » qu’aurait créé la
décision Ferrini, et qu’aucun principe ne confère d’immunité à l’Etat pen
matière d’exequatur. Elle fait en outre valoir que, puisque les tribunaux

grecs n’ont pas reconnu l’immunité à l’Allemagne pour lesp mêmes raisons
que dans l’affaire Ferrini et dans des circonstances similaires, elle n’avait
aucune obligation d’accorder l’immunité à l’Allemagne 150.
129. Selon moi, ce qui compromet ou déstabilise l’ordre juridique

international, ce sont les crimes internationaux et non les actions en rpépa -
ration engagées par des individus souhaitant obtenir justice. A mon apvis,
c’est l’occultation de tels crimes internationaux associés àp l’impunité dont
bénéficient leurs auteurs, et non la quête de justice des vicptimes, qui

trouble l’ordre international. Lorsqu’un Etat mène une politiqupe crimi -
nelle consistant à assassiner des segments de sa propre population etp de la
population d’autres Etats, il ne peut, ultérieurement, se protépger en invo-
quant les immunités souveraines, qui n’ont jamais été conçpues à cette fin.

Les violations graves des droits de l’homme et du droit internationalp
humanitaire qui constituent des crimes internationaux ne sont pas du toupt
des actes jure imperii. Il s’agit d’actes antijuridiques, de violations du
jus cogens, que l’on ne peut tout simplement pas faire disparaître ou jeter p

aux oubliettes en invoquant l’immunité de l’Etat. Cela bloquerapit l’accès
à la justice et ferait triompher l’impunité. En fait, c’est pl’opposé qui
devrait se produire : les violations du jus cogens écartent les revendica -
tions d’immunité souveraine de manière à ce que justice puispse être faite.

XIV. L’immunité de l’État cpontre le droit d’accèsp à la justice

1. La tension existant dans la jurisprudence de la Cour européenne
des droits de l’homme

a) L’affaire Al-Adsani (2001)

130. La tension entre le droit d’accès à la justice et l’immunitép de l’Etat
s’est manifestée dans la jurisprudence récente de la Cour europpéenne des

droits de l’homme (CEDH). L’affaire Al‑Adsani c. Royaume‑Uni (2001),
qui a fait date, avait son origine dans une requête d’une personnep ayant
la double nationalité britannique et koweïtienne qui faisait valoipr que les

147
148 CR 2011/20, p. 19, par. 10.
149 Ibid., p. 28-29, par. 28-30.
150 Ibid., p. 29, par. 31.
CR 2011/21, p. 28-29, par. 1-4.

133

6 CIJ1031.indb 263 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 229

tribunaux britanniques, en violation des articles 6 et 13 de la convention
européenne des droits de l’homme, n’avaient pas protégé spon droit d’ac -
cès à un tribunal en accordant l’immunité à l’Etat kowpeïtien, contre lequel

il avait engagé une procédure devant les tribunaux civils en invoqpuant les
tortures subies alors qu’il était détenu par les autorités apu Koweït.
131. Dans son arrêt du 21 novembre 2001, la CEDH (Grande Chambre),

tout en reconnaissant que l’interdiction de la torture avait acquis lpe statut de
norme de jus cogens en droit international, s’est néanmoins déclarée inca -
pable de discerner aucun élément solide lui permettant de conclurep qu’un

Etat «ne jouit plus de l’immunité d’une action civile devant les courps et tri -
bunaux d’un autre Etat devant lesquels sont formulées des allégpations de
torture » . Cette décision a été adoptée par la CEDH (Grande Chambre)p
par neuf voix contre huit 152. Les carences du raisonnement majoritaire sont

bien formulées dans l’opinion dissidente commune des juges Rozakisp et
Caflisch, auxquels se sont joints les juges Wildhaber, Costa, Cabral Bparreto
et Vajić; ils conclurent à juste titre que, lorsqu’il y a conflit entre pune norme

du jus cogens et toute autre règle du droit international, la première prévaput,
avec la conséquence que la règle en conflit avec elle n’a pasp d’effets juri -
diques contredisant le contenu de la norme impérative . 153

132. A mon avis, les juges dissidents ont relevé la carence fondamentale
du raisonnement de la majorité. A la différence de celle-ci, ils ont dûment tiré
la conséquence nécessaire de la conclusion selon laquelle l’intperdiction de la

torture avait acquis le statut de norme du jus cogens, à savoir qu’un Etat ne
peut s’abriter derrière les règles de l’immunité de l’pEtat pour se soustraire aux
conséquences de ses actes et échapper à une procédure civilep découlant d’al -
154
légations de torture devant un tribunal étranger . Les juges dissidents ont
aussi fait valoir que la distinction faite par la majorité entre la pprocédure civile
et la procédure pénale ne s’accordait pas avec la finalitép même des règles de

jus cogens: ils considèrent que la nature pénale ou civile de la procédurpe n’est
pas pertinente, car ce qui compte réellement est le fait qu’il y ap eu violation
d’une norme du jus cogens et qu’ainsi l’obstacle juridictionnel a été écarté
155
«par l’interaction même des règles internationales en jeu » .
133. De même, dans son opinion dissidente, le juge Loucaides a fait
observer que, une fois que l’on acceptait que l’interdiction de lap torture

était effectivement une norme du jus cogens, il en découlait qu’aucune
immunité ne pouvait être invoquée dans le cadre d’une procédure visant
à attribuer à une partie la responsabilité d’actes de torturpe 15. Il est effec-

tivement regrettable que dans son raisonnement la majorité de la Courp

15CEDH, Al‑Adsani c. Royaume‑Uni, requête n 35763/97, arrêt du 21 novembre 2001,
par. 59-61.
152Sur la question de la violation alléguée de l’article 6 de la convention.
153 o
CEDH, Al‑Adsani c. Royaume‑Uni, requête n 35763/97, arrêt du 21 novembre 2001,
opinion dissidente commune aux juges Rozakis et Caflisch, à laquelle se sont ralliés les
juges Wildhaber, Costa, Cabral Barreto et Vajić, par. 1.
154Ibid., par. 3.
155Ibid., par. 4.
156Ibid., opinion dissidente du juge Loucaides, p. 1.

134

6 CIJ1031.indb 265 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 230

n’ait pas tiré les conclusions qui découlaient de la constatatipon que l’inter -
diction de la torture était une norme du jus cogens, ce qui, dans les cir -

constances de157affaire Al‑Adsani, aurait invalidé l’invocation de l’immunité
souveraine . Pourtant, la majorité de la Cour a au moins admis le carac-
tère de droit coutumier des règles sur l’immunité de l’Etpat, en reconnais -
sant qu’elles étaient en transition et qu’il était possible pde leur imposer des

limites (même lorsque les Etats agissaient jure imperii), ce qui semble lais 158 -
ser la porte ouverte à une évolution future dans la bonne directiopn .
134. Dans la présente affaire opposant l’Allemagne à l’Italie, pc’est à juste
titre que les tribunaux italiens ont tiré la conclusion juridique népcessaire de

l’effet des violations de normes qui ont le statut de jus cogens sur l’invoca -
tion de l’immunité de l’Etat dans des procédures civiles. Leps faits dont
découle la présente affaire constituent des violations des normeps impératives,
et la responsabilité de l’Allemagne n’est pas contestée s’pagissant de ces viola -

tions. Ainsi, comme l’ont soutenu à juste titre les juges dissidenpts dans l’a -f
faire Al‑Adsani dont a connu la CEDH, la conséquence est que l’Allemagne
ne peut se cacher derrière les règles de l’immunité de l’pEtat pour se soustraire
à des actions en réparation engagées devant une juridiction éptrangère (Italie)

pour des violations de normes du jus cogens. A cet égard, il convient de
remarquer qu’à la différence de l’affaire Al‑Adsani, dans laquelle les faits
visés n’avaient pas eu lieu dans l’Etat du for (mais au Koweït), certaines des
demandes introduites devant les tribunaux italiens concernaient des crimpes
159
commis totalement ou en partie sur le territoire italien lui-même .

b) L’affaire McElhinney (2001)

135. L’affaire McElhinney c. Irlande (2001) concernait une demande en
dommages-intérêts, touchant une action en justice introduite en Irplande

contre le militaire britannique qui avait tiré sur le requérant etp contre le
Secrétaire d’Etat à l’Irlande du Nord. Les tribunaux internes ont débouté
le requérant, le Royaume-Uni ayant invoqué l’immunité. La CEDH
(Grande Chambre), dans son arrêt du 21 novembre 2001, a jugé que, s’il

semblait exister en droit international et comparé « une tendance à limiter
l’immunité des Etats » en cas de dommages corporels dus à un acte ou à
une omission survenus dans l’Etat du for, cette pratique n’étaipt « nulle-
ment universelle » (par. 38). Elle a donc décidé, par douze voix contre

cinq, que les décisions des juridictions irlandaises n’avaient pasp outre -
passé « la marge d’appréciation reconnue aux Etats quand il s’agit de
limiter le droit d’accès d’un individu à un tribunal » (par. 40).

136. Deux des cinq juges dissidents (les juges Rozakis et Loucaides),
dans leurs opinions dissidentes respectives, ont considéré que la pdécision de
la majorité ne tenait pas compte de l’évolution du droit internpational et

157
Voir Ch. L. Rozakis, «The Law of State Immunity Revisited : The Case Law of the
European Court of Human Rights », Revue hellénique de droit international, vol. 61 (2008),
p. 579-680.
158Voir ibid., p. 593.
159 CR 2011/18, p. 41-46.

135

6 CIJ1031.indb 267 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 231

restreignait de manière disproportionnée le droit d’accès àp un tribunal, por -
tant indûment atteinte à l’essence de ce droit. Le juge Loucaidpes ajoutai:t

«Les immunités du droit international sont nées à une époque poù
les droits individuels n’existaient pratiquement pas et où les Etapts
avaient besoin de se protéger davantage contre un éventuel harcèple -
ment sous la forme de procédures judiciaires abusives. A l’époqpue

moderne, la théorie de l’immunité de l’Etat fait de plus en pplus l’objet
de restrictions, la tendance étant à réduire son application enp raison
de l’évolution qui a eu lieu dans le domaine des droits de l’hopmme et
qui renforce la position de l’individu. » (Par. 4.)

137. Les trois autres juges dissidents (les juges Caflisch, Cabral Barretop
et Vajić), dans leur opinion dissidente commune, ont également dépfendu

le respect du droit d’accès à un tribunal consacré au paragrpaphe 1 de l’ar -
ticle 6 de la convention européenne (restreint de manière disproportionp -
née en l’espèce), indiquant que, aux termes de l’article 12 de la convention
des Nations Unies sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs

biens, les Etats n’ont « aucune obligation internationale d’accorder l’im -
munité à d’autres Etats quand des actes dommageables d’agentps de
ceux-ci sont en cause ». Ils ont fait observer ce qui suit :

«Le principe de l’immunité des Etats a cessé depuis longtemps
d’être une règle générale faisant échapper les Etats àp la compétence
des tribunaux… [l]a construction de l’immunité absolue de juridic -

tion (et même e’exécution) a commencé à se fissurer dpans le premier
quart du XX siècle, avec l’avènement de l’Etat commerçant…
… Les législateurs et tribunaux nationaux, d’abord en Europe ocpci -
dentale continentale et, beaucoup plus tard, dans les pays de la com‑
mon law, ont peu à peu reconnu les exceptions à l’immunité absolue…p

Les exceptions dont il s’agit, en particulier celles relatives aux
quasi-délits, se sont aussi introduites dans le droit international rpégis -
sant l’immunité des Etats. » (Par. 2-4.)

138. Dans la présente affaire des Immunités juridictionnelles de l’Etat
dont la Cour est saisie, il est révélateur, comme le fait valoir lp’Italie, que
les plaignants aient saisi les tribunaux allemands, qui les ont débouptés.
Ainsi, le raisonnement de la CEDH dans l’affaire McElhinney, selon

lequel le requérant avait la faculté de saisir la justice en Irlande du Nord
(ce qu’il a effectivement fait), ne peut être appliqué tel pquel aux circons -
tances de la présente affaire, puisque le plaignant initial a bien recouru à
d’autres voies de droit avant de se tourner vers les tribunaux italiens :

dans la présente espèce, il n’y avait pas d’au160 moyen raisponnable de
protéger efficacement les droits en cause .

160Voir contre-mémoire de l’Italie, par. 4.100. Voir également répponses écrites de l’Italie
aux questions posées par M. le juge Cançado Trindade au terme de l’audience publique du
16 septembre 2011, p. 9, document dans lequel l’Italie déclare que, « si les juges nationaux
n’avaient pas écarté l’immunité, il ne serait resté aupx victimes de crimes de guerre aucun
autre moyen d’obtenir réparation ».

136

6 CIJ1031.indb 269 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 232

c) L’affaire Fogarty (2001)

139. L’affaire Fogarty c. Royaume‑Uni (arrêt du 21 novembre 2001)
concernait un litige en matière d’emploi (une allégation de vipctimisation et
de discrimination formulée par une ex-employée de l’ambassade dpes Etats-

Unis à Londres). La CEDH a dans cette affaire fait observer qu’pil existait
une tendance en droit international et comparé à limiter l’immupnité des
Etats dans les litiges portant sur des questions liées à l’emplpoi. Elle a de plus
relevé que la CDI n’entendait pas exclure l’application de l’pimmunité des
Etats lorsque la procédure avait pour objet l’engagement d’une ppersonne, y

compris l’engagement sur un poste d’une mission diplomatique.
140. La CEDH a conclu que la pratique des Etats concernant l’emploi
d’individus par l’ambassade d’un Etat étranger n’étaitp pas uniforme. Elle
a fait observer que les limitations au droit d’accès à un tribupnal « ne res -

treign[aien]t pas l’accès offert à l’individu d’une manpière ou à un point tels
que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même » (par. 33), mais
elle a tranché comme dans les affaires susmentionnées. Toutefoisp, dans les
circonstances de la présente affaire des Immunités juridictionnelles de

l’Etat, il semble, comme l’a fait valoir l’Italie, qu’« il ne serait resté 161
victimes de crimes de guerre aucun autre moyen d’obtenir réparatiopn» .

d) L’affaire Kalogeropoulou et autres (2002)

141. Enfin, mais non moins importante, l’affaire Kalogeropoulou et
autres (2002) concerne une procédure engagée par des parents des vic -

times du massacre de Distomo. Les requérants invoquaient l’articleo 6 de
la convention européenne et l’article premier du protocole n 1 à celle-ci.
La Chambre de la CEDH saisie de l’affaire déclara la requête pirrecevable
(décision du 12 décembre 2002) alors que, comme cela n’était pas le cas
dans l’affaire Al‑Adsani, la requête concernait des crimes contre l’huma -

nité commis sur le territoire de l’Etat du for (c’est-à-dirpe la Grèce). Ce
nonobstant, la décision de la Chambre de la Cour reposait sur le postpulat
que le droit d’accès à un tribunal pouvait être soumis à pdes restrictions
(proportionnelles au but poursuivi). Néanmoins, selon moi, de telles res -

trictions ne sauraient porter atteinte à l’essence même du droipt d’accès à
un tribunal.
142. La conclusion à laquelle la Chambre de la Cour est parvenue était p
que certaines restrictions au droit d’accès à un tribunal devaipent être

considérées comme inhérentes à la garantie d’un procèsp équitable, et elle
a mentionné l’immunité des Etats ; mais elle a ajouté « ce qui n’exclut pas
un développement du droit international coutumier dans le futur » (p. 9).
Ce prononcé semble aller un peu plus loin que ce qu’a jugé la Cour dans
les affaires Al‑Adsani et McElhinney, qui ne laissaient pas expressément la

«porte ouverte » à des développements futurs. Même si cette conclusion
selon laquelle «une porte est ouverte» pour des développements futurs ne

161Réponses écrites de l’Italie aux questions posées par M. le juge Cançado Trindade
au terme de l’audience publique du 16 septembre 2011, p. 9.

137

6 CIJ1031.indb 271 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 233

semble pas tout à fait suffisante pour la Chambre de la CEDH, elle ap au
moins ainsi reconnu, il y a une décennie (en 2002), que le droit en la
162
matière était en transition .

2. La tension existant dans la jurisprudence des tribunaux internes

143. La tension susmentionnée, qui existe également dans la jurispru -
dence des tribunaux internes, a retenu l’attention des Parties dans lpe cadre

de leurs plaidoiries devant la Cour, en particulier lorsqu’elles ont pexprimé
leur opinion sur l’arrêt rendu par la Cour de cassation italienne dans

l’affaireFerrini (2004). L’Allemagne a affirmé que la Corte di Cassazione
avait décidé de se substituer au législateur et d’introduirep une nouvelle
règle, qui n’était pas encore étayée au niveau internatiopnal par la pratique
163
des Etats et la jurisprudence d’autres Etats ; elle a également fait valoir
que la pratique des tribunaux internes attestait que la règle de l’pimmunité
des Etats était reconnue même dans le cas de crimes internationauxp 16.

Sur ce point, l’Allemagne concluait que l’arrêt Ferrini de la Corte di Cas ‑
sazione demeurait selon elle une décision isolée dans la pratique des Etatps
et que l’immunité juridictionnelle à raison des actes jure imperii demeurait
165
une règle solidement établie en droit international .
144. L’Italie a quant à elle fait valoir que la décision Ferrini ne portait pas
atteinte à la règle de l’immunité, qui demeurait essentiellep, mais la redéfinissait

afin d’assurer le respect des obligations fondamentales de la communauté
internationale 166; l’immunité souveraine pour les actesjure imperii ne devait

pas être considérée comme absolue, car elle était soumise à des exceptions
comme l’exception délictuelle. Selon elle, il appartenait aux tribpunaux natio -
naux de classer et de définir les actes d’un Etat étranger popur décider s’ils
167
étaient ou non couverts par l’immunité . L’Italie faisait valoir en outre que,
comme dans l’affaire Ferrini, la Corte di Cassazione garantissait également
l’accès effectif à la justice aux victimes de violations, ce pqui comportait deux

éléments constitutifs: le droit à un procès équitable et le droit à réparation.

162 La Chambre de la Cour a beaucoup insisté sur le fait qu’il étaipt nécessaire, en

droit grec, que le ministre de la justice autorise les procédures d’pexécution (article 923 du
code grec de procédure civile), une autorisation qui n’avait pas pété obtenue en l’espèce
(voir p. 11-12). En ce sens, l’affaire Ferrini jugée en Italie est différente, puisqu’en Italie
le consentement du ministre de la justice ne semble pas être nécespsaire pour engager une
procédure d’exécution.
163 CR 2011/17, p. 21-22, p. 29-31, par. 16-17, et p. 27-28, par. 13-14.
164 Ibid., p. 33, par. 27, et voir par. 26. Elle affirmait en outre que la décision Ferrini

ne distinguait pas entre les règles de fond et les règles de procépdure, outre qu’elle ne tenait
pas compte du contexte systémique des réparations de guerre qui, spelon elle, relevaient
de la compétence exclusive des Etats et reposaient sur des accords mutuels (ou l’action du
Conseil de sécurité) ; ibid., p. 25, par. 9. L’Allemagne affirmait en outre que l’arrêt Ferrini
confondait les notions d’immunité personnelle et d’immunité pde l’Etat ; ibid., p. 26-27,
par. 10-12.
165 Ibid., p. 61-62.
166
167 CR 2011/18, p. 60, par. 24.
Ibid., p. 13, par. 9, et p. 16, par. 3.

138

6 CIJ1031.indb 273 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 234

Puisque, selon les tribunaux allemands, M. Ferrini et les autres victimes
n’avaient pas droit à des réparations sur la base de la légipslation allemande,

ils ne pouvaient avoir recours qu’aux tribunaux italiens, et la Corte di Cas‑
sazione avait donc ainsi ajusté le principe de l’immunité afin de préserver la
168
cohérence des règles internationales applicables dans cette affapire .
145. La décision rendue par la Corte di Cassazione dans l’affaire Fer ‑
rini (2004) n’était qu’une des décisions de juridictions interpnes invoquées

par les Parties (l’Allemagne et l’Italie) et l’Etat intervenapnt (la Grèce) au
cours de la procédure dans la présente affaire des Immunités juridiction ‑
nelles de l’Etat dont est saisie la Cour. Durant la procédure, les Parties

ainsi que l’Etat intervenant ont invoqué d’autres décisions pde tribunaux
internes pour étayer leurs arguments. Ainsi, en ce qui concerne la prpa -
tique des tribunaux nationaux relative à l’immunité des Etats, pl’Alle -

magne a par exemple, pour étayer ses arguments, invoqué une décision
succincte récente de la cour de district israélienne de Tel-Aviv-Jpaffa 169,
une décision du Tribunal fédéral de Rio de Janeiro 170et une décision de
171
la Cour suprême polonaise .
146. L’Italie a pour sa part répliqué à ces arguments en affirmapnt que,

«face à des réclamations portant sur des violations de règles imppératives du
droit international, les juridictions internes ont porté différentes apprécia -
tions sur la question de l’immunité dont jouit l’Etat fautif» 172. A l’appui de

cet argument, l’Italie cite, outre les jugements susmentionnés de pl’Areios
Pagos grec dans l’affaire du Massacre de Distomo et de la Corte di Cassa ‑
zione italienne dans l’affaire Ferrini, deux autres jugements récents, rendus
173
respectivement par la Cour supérieure du Québec et la Cour de cassation
française 174, qui, selon elle, « tendent … à reconnaître que le principe de
l’immunité en matière d’actes se rattachant à l’exercipce de droits souverains
175
peut faire l’objet de restrictions dans ce type d’affaires» .
147. La Grèce, pour sa part, fait observer que « l’argument de base

dans la thèse des tribunaux grecs s’affirme autour de la constataption qu’il

168CR 2011/18, p. 61-62, par. 27.
16Affaire Orith Zemach et autres c. République fédérale d’Allemagne, cour de district

de Tel-Aviv-Jaffa, décision du 21 décembre 2009, affaire 2143-07, mentionnée par l’Alle -
magne dans ses plaidoiries : CR 2011/17, p. 32, par. 24.
17Affaire Barreto c. République fédérale d’Allemagne, Justiça Federal, Seção Judiciária
do Rio de Janeiro, procédure ordinaire n o2006.5101016944-1, 9 juillet 2008, évoquée par
l’Allemagne dans ses plaidoiries : CR 2011/17, p. 32, par. 23. L’appel de cette décision est
encore pendant.
17Affaire Natoniewski c. République fédérale d’Allemagne, Cour suprême polonaise,

décision du 29 octobre 2010, dossier IV CSK 465/09, évoquée par l’Allemagne dans ses
plaidoiries :CR 2011/17, p. 33, par. 25.
172CR 2011/18, p. 40, par. 7.
17Affaire Kazemi (succession de) et Hashemi c. Iran, ayatollah Ali Khamenei et autres,
Cour supérieure du Québec, 25 janvier 2011, 2011 QCCS 196, mentionnée par l’Italie dans
ses plaidoiries : CR 2011/18, p. 40, par. 7.
174Cour de cassation, première chambre civile, France, 9 mars 2011, numéro de pourvoi

09-11753, invoquée par l’Italie dans ses plaidoiries : CR 2011/18, p. 40, par. 7.
CR 2011/18, p. 40, par. 7.

139

6 CIJ1031.indb 275 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 235

existe un droit individuel à la réparation en cas de violations grpaves du
droit humanitaire » . Elle fait valoir que

«l’obligation de l’Etat d’indemniser des individus pour violatiopn des

règles de droit humanitaire semble dériver de l’article 3 de la qua -
trième convention de La Haye de 1907… Cela devient évident par le
fait qu’il n’y a pas exclusion des individus du texte de l’artipcle 3. Ce
raisonnement ressort également des travaux préparatoires de la deup -
177
xième conférence de La Haye. »

La Grèce ajoute que l’obligation de verser des réparations qui pincombe
à l’Etat ayant commis le fait illicite est, selon elle, bien étpablie en droit
international 17. Les traités relatifs aux droits de l’homme et au droit
international humanitaire contiennent certaines règles spécifiqupes énon -

çant à la charge de l’Etat une obligation de réparer au bénéfice des vic -
times individuelles de violations.
148. Il ressort globalement des plaidoiries devant la Cour qu’il existe

une tension entre la jurisprudence des tribunaux nationaux concernant
l’invocation de l’immunité de l’Etat et l’exercice du dropit d’accès à la jus -
tice. Ainsi, la Cour ne peut guère s’appuyer sur la seule pratique des
tribunaux internes. Elle doit recourir à d’autres manifestations cpontempo -

raines du droit international, telles que celles énumérées à l’article 38 de
son Statut (les «sources» formelles du droit international) et aller au-delà,
comme elle l’a parfois fait par le passé. Ce n’est que de cette manière
qu’elle peut exercer sa fonction comme il convient, s’agissant de prégler

une affaire contentieuse comme celle dont elle est saisie en sa qualitpé
d’«organe judiciaire principal des Nations Unies » (article 92 de la Charte
des Nations Unies).

3. La tension susmentionnée à l’ère de l’état de droit
aux niveaux national et international

149. Cela est encore plus justifié si l’on songe à la tension susmpention-
née à l’heure actuelle, celle de l’état de droit aux nivepaux national et inter -
national. Les origines de ce concept (l’état de droit, essentiellpement au
niveau interne) dans les pays de droit civil et de common law remontent à
e
la fie du XVIII siècle, et il a progressivement pris forme tout au long eu
XIX siècle. Il en est arrivé à être perçu, spécialement aup XX siècle,
comme correspondant à une série de valeurs et principes fondamentapux,
et à l’idée qui le sous-tend d’une nécessaire limitation du pouvoir. L’un de

ces principes est celui de l’égalité de tous devant la loi.

176 CR 2011/19, p. 22.
177
178 Ibid., p. 22-23.
Voir les passages cités p. 4 de la présente opinion. La Grèce mentionne la commis -
sion des réclamations Erythrée-Ethiopie à l’appui de son argpument selon lequel « les indi-
vidus sont perçus, en droit international humanitaire, comme les tituplaires de droit secon-
daire » ;CR 2011/19, p. 26.

140

6 CIJ1031.indb 277 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 236

150. La notion d’état de droit s’écarte de la myopie du positivispme juri -
dique (avec la servilité devant les pouvoirs établis qui le caracptérise) et se
rapproche de l’idée d’une justice « objective», aux niveaux national et

international, conformément à la doctrine du droit naturel. Dans le cadre
de cette dernière, il renvoie à la protection des droits de l’homme, anté -
rieurs et supérieurs à l’Etat. Il n’est pas non plus surprenpant que la notion

d’état de droit ait aussi fait sentir sa présence dans les domapines contem -
porains du droit des organisations internationales, dans lequel elle s’pest
propagée ces dernières années.

151. Nous sommes de nos jours les témoins, dans le cadre du phéno -
mène général de notre époque, de la juridictionnalisation de l’ordre juri -
dique international lui-même, avec l’expansion de la juridiction ipnter-

nationale (attestée par la création et la coexistence de multipleps tribunaux
internationaux) 179 et l’élargissement rassurant de l’accès à la justice — au
niveau international — d’un nombre croissant de justiciables 180. Le thème

de l’état de droit (la primauté du droit) aux niveaux national et internatio -
nal a, cela n’est pas surprenant, récemment été inscrit àp l’ordre du jour de
l’Assemblée générale des Nations Unies elle-même (depuis 2006), au sein
181
de laquelle une attention croissante lui est accordée .
152. J’ai appelé l’attention sur ce développement dans mon opiniopn
dissidente en l’affaire des Questions concernant l’obligation de poursuivre

ou d’extrader (Belgique c. Sénégal), mesures conservatoires, ordonnance du
28 mai 2009, C.I.J. Recueil 2009 (p. 185, par. 55, et p. 199, par. 101). Une
impulsion a été donnée à cet égard dans le cadre de l’pAssemblée générale

des Nations Unies par l’examen effectué en 2005 de la mise en œuvre de
la Déclaration du Millénaire et de la réalisation des Objectifs du Millé -
naire pour le développement. L’attention a été appelée àp cette occasion
182
sur un groupe de traités multilatéraux fondamentaux , concernant, en
dernier ressort et dans une large mesure, les droits de la personne humapine.
153. Le document final du Sommet mondial adopté en septembre 2005

reconnaissait la nécessité de respecter et de réaliser l’éptat de droit aux

179Voir par exemple Société française pour le droit international p(SFDI), La juridictio‑n
nalisation du droit international (colloque de Lille de 2002), Paris, Pedone, 2003, p. 3-545 ;
A. A. Cançado Trindade, «Le développement du droit international des droits de l’homme

à travers l’activité et la jurisprudence des Cours européennpe et interaméricaine des droits de
l’h180e »,Revue universelle des droits de l’homme, vol. 16 (2004), p. 177-180.
Voir à cet égard A. A. Cançado Trindade, El Derecho de Acceso a la Justicia en su
Amplia Dimensión, Santiago du Chili, CECOH/Librotecnia, 2008, p. 61-407.
181Voir, sur la question « L’état de droit aux niveaux national et international »,
les résolutions ci-après de l’Assemblée générale des Npations Unies : A/RES/61/39 du
4 décembre 2006, A/RES/62/70 du 6 décembre 2007, A/RES/63/128 du 11 décembre
2008, A/RES/64/116 du 16 décembre 2009 et A/RES/65/32 du 6 décembre 2010. Pour un

examen récent de la question à la lumière de ces résolutionsp de e’Assemblée générale, voir
A. A. Cançado Trindade, Direito das Organizações Internacionais, 4 éd., Belo Horizonte/
Brésil, Edit. Del Rey, 2009, p. 584-587 et 645-651.
182Voir Nations Unies, Multilateral Treaty Framework : An Invitation to Universal
Participation — Focus 2005 : Responding to Global Challenges, New York, Nations Unies,
2005, p. 1-154.

141

6 CIJ1031.indb 279 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 237

niveaux national et international. Les principaux résultats de ce sompmet
mémorable peuvent donc être énoncés comme suit: premièrement, l’accent
mis comme on l’a vu sur les traités multilatéraux ; deuxièmement, la

recherche de la primauté de l’état de droit; troisièmement, l’affirmation de
cette primauté aux niveaux national et international; et, quatrièmement, le
dépassement de la conception purement étatique de la question.
154. Cela a à mon avis une incidence dans des domaines distincts du

droit international contemporain. En ce qui concerne les immunités de
l’Etat, par exemple, la convention européenne de 1972 sur l’immpunité des
Etats (art. 11) et la convention de 2004 sur les immunités juridictionnelles
des Etats et de leurs biens (art. 12) prévoient l’exception délictuelle. Ces

deux conventions reconnaissent ainsi que leur sujet ne s’épuise pas dans
les relations purement interétatiques.
155. Il va en fait au-delà de celles-ci, en envisageant la manière dont les
Etats traitent les êtres humains placés sous leur juridiction. Lesp immunités

de l’Etat n’ont pas été conçues pour protéger les Etatps qui commettent des
atrocités (delicta imperii). Avant de me pencher sur ce point, j’examinerai
dans les paragraphes qui suivent la vieille dichotomie entre actes jure impe ‑
rii et actes jure gestionis (dans le cadre de la présente affaire) et le traite -

ment de la personne humaine face aux immunités de l’Etat, en soulipgnant
la myopie de la conception strictement interétatique et son dépasspement.

XV. Les arguments des Partipes en ce qui concernep

les actes Jure ImPerII et les actes Jure gestIonIs

156. Dans la présente affaire, qui oppose l’Allemagne à l’Italipe devant
la Cour, les Parties avancent des arguments distincts en ce qui concernep la

distinction entre acta jure imperii et acta jure gestionis aux fins de l’appli -
cation de l’immunité souveraine et, plus généralement, sur lpa question de
l’évolution de l’immunité absolue à l’immunité relaptive. L’Allemagne fait
valoir pour l’essentiel qu’à l’époque de la présence apllemande sur le sol

italien, de 1943 à 1945, « la doctrine de l’immunité souveraine absolue
régnait de manière incontestée ». Elle affirme que ce fut la « lettre Tate »
(Etats-Unis) qui, « fondée sur un consensus général, opéra un tournant
radical en 1952 ». Selon elle, depuis lors, « la pratique judiciaire distingue

deux catégories d’actes accomplis par l’Etat : les actes jure imperii et les
actes jure gestionis »183.
157. L’Italie fait valoir pour sa part que, si au départ la compétenpce
était exercée exclusivement sur la base de la distinction entre acta jure

imperii et acta jure gestionis, « [p]lus récemment, le droit et la pratique de
nombreux pays » ont également admis « des exceptions à l’immunité des
Etats dans le cas de certaines activités relevant de la catégorie pdes actes
souverains » 184. Selon elle, l’évolution de l’immunité absolue à l’immunité

183Mémoire de l’Allemagne, par. 91-92.
184Contre-mémoire de l’Italie, p. 45, par. 4.13.

142

6 CIJ1031.indb 281 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 238

relative a son origine dans les décisions successives des tribunaux ipnternes.

Et la Grèce a réitéré cette opinion dans sa « déclaration écrite » du
4 août 2011 (par. 43-49). A cet égard, l’Italie renvoie à la jurisprudence
belge, qui a fait figure de pionnière dans l’évolution de l’pexception à l’im -
munité pour les actes privés, et soutient que la jurisprudence itaplienne,
e
depuis le XIX siècle, « applique d’une manière constante la distinction
entre l’Etat en tant qu’entité politique exerçant des pouvoiprs souverains et
bénéficiant de l’immunité, et l’Etat en tant que personpne morale, ne béné -
185
ficiant pas de l’immunité » .
158. L’Italie ajoute que « [l]es jurisprudences belge et italienne ne res -
tèrent pas longtemps isolées », et qu’il y eut aussi des répercussions dans
le même sens dans la doctrine juridique à partir de la fin du XIpX e siècle186.

L’Italie soutient ainsi que le tournant de la distinction entre acta jure
imperii et acta jure gestionis ne fut pas, comme le soutient l’Allemagne,
représenté par la « lettre Tate » de 1952, du fait que, « bien avant la

seconde guerre mondiale, le refus de l’immunité des Etats par les pjuridic -
tions nationales n’était pas considéré comme portant atteintpe à la dignité
ou à la souveraineté d’un Etat étranger » et que « l’évolution vers l’immu -

nité restreinte a pour raison d’être la nécessité de protpéger les personnes
privées». Elle ajoute que « les exceptions à l’immunité ne se limitent pas
aux acta jure gestionis » 187.
159. Lors des plaidoiries devant la Cour, au sujet de l’exception délicp -

tuelle — telle que prévue à l’article 12 de la convention des Nations Unies
sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens (200p4) —, l’Al -
lemagne a soutenu que cette disposition ne codifiait pas le droit coutpumier et

ne s’appliquait pas aux actions des forces armées, et que la pratiq188des Etats
excluait les forces armées de toute exception à l’immunité . L’Italie, pour
sa part, affirme que l’exception délictuelle permet d’écartper l’immunité si
l’acte délictueux a été commis en tout ou en partie dans l’pEtat du for, comme
189
c’est le cas dans la présente affaire . Elle soutient de plus que l’article 12 de
la convention des Nations Unies de 2004 ne fait aucune distinction entre actes
jure imperii et actes jure gestionis. Et elle ajoute que les actes dommageables

spécifiques commis par les forces allemandes en Italie n’étaipent pas juste des
actes dommageables mais étaient de graves violations du jus cogen;sainsi, la
tendance à reconnaître l’exception délictuelle pour accorderp réparation et
ouvrir l’accès à la justice, associée à la tendance à pécarter l’immunité en cas

de violation de normes impératives, signifiait que l’Italie n’pétait pas tenue
d’accorder l’immunité à l’Allemagne pour ces actes 190.
160. Ce débat entre les Parties s’est limité au paradigme des relatipons

interétatiques. Il ne s’est pas libéré des chaînes du lexpique traditionnel

185Contre-mémoire de l’Italie, par. 4.15-4.16.
186Voir ibid., par. 4.17.
187Ibid., par. 4.20-4.50.
188CR 2011/17, p. 37-38, par. 2-3.
189
190CR 2011/18, p. 41, par. 9-11.
CR 2011/21, p. 35-36, par. 16-17.

143

6 CIJ1031.indb 283 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 239

du droit international, à la seule exception d’une référence unpique au

jus cogens. L’évolution du droit évoquée par les Parties, chacune d’pelles
avançant à cet égard une opinion et une interprétation diffpérentes, peut
être mieux appréciée dans un cadre plus large, en allant bien apu-delà de la

stricte conception d’un ordre juridique interétatique. J’entendps appeler
l’attention, dans les paragraphes qui suivent, sur ce point, de manièpre à
arriver à une meilleure compréhension de la question qui se pose.

XVI. La personne humaine etp les immunités de l’Étpa:t
myopie de la perspectivpe strictement interéptatique

161. A cette fin, il convient de commencer par recenser les distorsions de
la vision de l’ordre juridique international centrée sur l’Etatp, pour aboutir à

une prise de conscience du mythe entourant le rôle de l’Etat. Secopué par les
horreurs de la seconde guerre mondiale et l’effondrement de la raispon (la
pensée rationnelle) dans les relations européennes, Ernst Cassirer (1874-

1945) a étudié le rôle joué par le mythe dans cet effondrpement. Il a conclu
peu avant sa mort que, contrairement à l’opinion largement répapndue, la
civilisation n’était pas solide du tout, mais n’était qu’une couche fragile sous

laquelle se cachait une violence extrême ayan191onné lieu à desp massacres et
à des atrocités tout au long de l’histoire . L’éminent penseur E. Cassirer,
axant sa réflexion sur le mythe de l’Etat en vogue au XX esiècle, a mis en
lumière l’influence délétère des traces de la penséep de Machiavel (rejet des

considérations éthiques ou indifférence à cet égard), pde la pensée de Hobbes
(liens indissociables entre les dirigeants et les dirigés, ces dernipers étant assu-
jettis aux premiers) et de la pensée de Hegel (l’Etat comme réalité historique

suprême qui doit se préserver et dont les intérêts sont au-dpessus de tout, les
considérations éthiques étant sans pertinence) 192.
162. Il faut être prudent avec les mythes, avertissait en outre E. Cassirer,

y coepris les « mythes politiques», en particulier ceux qui 193 abouti, au
XX siècle, à une violence extrême et au totalitarisme . Un autre penseur
éminent, l’historien Arnold Toynbee, a exprimé la même opinipon sur ce sujet
particulier. Dans un essai pénétrant publié en 1948, A. Toynbee remettait en

cause les bases mêmes de ce qui était perçu comme la civilisation(« un mou -
vement et non un état »), caractérisant celle-ci comme n’étant rien de plus
que des avancées modestes aux niveaux social et éthique. Il ajoutait que sous
194
cette fine pellicule la barbarie malheureusement subsistait , comme l’avait
démontré la violence incontrôlée et extrême de son épopque.

191E. Cassirer, El Mito del Estado, Bogotá/Mexico, Fondo de Cultura Económica,
1996 (rééd.), p. 338-339, et voir p. 347 et 350. Son ouvrage Le mythe de l’Etat a été publié
à titre posthume dans plusieurs langues (à partir de 1946).
192Ibid., p. 168 (Machiavel), 207 (Hobbes), 311 et 313 (Hegel), et voir p. 323.
193Ibid., p. 333-336, 341-342, 344-345 et 351.
194A. J. Toynbee, Civilization on Trial, Oxford/New York, Oxford University Press,
1948, p. 54-55, 150-151, 159, 161, 213, 222 et 234.

144

6 CIJ1031.indb 285 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 240

163. La mise en avant de l’Etat à l’exclusion de l’être humainp a progres -
sivement fait des incursions dans la doctrine des publicistes, avec des pcon-sé

quences désastreuses, comme l’illustrent les horreurs de la secondpe guerre
mondiale et les atrocités successives dont tout le XX esiècle et le début du
XXI e siècle ont été les témoins. Le terme « souveraineté», par exemple, a

une histoire longue et troublante : depuis l’époque de Jean Bodin (1530-
1596) et d’Emerich de Vattel (1714-1767) jusqu’à nos jours, au nom de la
souveraineté de l’Etat, détournée indûment et par inadverptance des relations

interétatiques pour être introduite dans les relations intra-étpatiques, des mil -
lions d’êtres humains ont été sacrifiés. Les abus de lapngage, ayant des rép-er
cussions dans la doctrine des publicistes, ont voulu exercer une influence sur

la scène internationale, à quelques fins que ce soit, sans aucunpe considération
éthique.
164. On a compris bientôt qu’il devait y avoir des limites à ce que pl’on

pouvait faire dans la sphère des relations interétatiques. La langpue juri -
dique internationale s’est alors engagée dans la reconnaissance etp la
construction du principe de l’égalité des Etats, mais là encpore dans le

cadre de la souveraineté (interne et externe), suivant une perspectpive et
une réflexion essentiellement centrées sur l’Etat 195. Ce fut dans la perspec-

tive interétatique brouillée de souverainetés en confrontation ppotentielle
ou actuelle qu’un certain jargon, rappelant le paradigme westphalien,p
devait faire florès. Tel fut le cas des immunités de l’Etat.

165. En fait, les origines du terme « immunité» (du latin immunitas, dérivé
de immunis) remontent au milieu du XVIII e siècle; le mot fut utilisé à partir
de cette époque pour désigner l’état de celui qui est exemptpé d’impôts, taxes
e
ou redevances. Vers la fin du XIX siècle, le terme « immunité» a été
introduit dans le lexique du droit constitutionnel et du droit international
(en relation avec les parlementaires et les diplomates, respectivement)p 196. En
197
droit pénal, il a été associé à «cause d’impunité» . En droit international,
ce terme peut également être utilisé en ce qui concerne les « prérogatives» de
l’Etat souverain 19.

166. Quoi qu’il en soit, en tant que tel, le terme « immunité» a toujours
été censé désigner quelque chose de totalement exceptionnel,p une exemption
de la juridiction ou de l’exécution 19. Il n’a jamais été censé être un « prin-

cipe», ni une norme d’application générale. Il n’a assurémpent jamais été

195S. Beaulac, The Power of Language in the Making of International Law, Leyde,
Nijhoff, 2004, p. 154-155 et 188, et voir p. 29, 190-191 et 196.
196 e
Dictionnaire historique de la langue française (dir. publ., A.Rey), 3 éd., Paris,
Dictionnaires Le Robert, 2000, p. 1070-1071 ; The Oxford English Dictionnary (dir. publ.,
J. A. Simpson et E. S. C. Weiner), 2 éd., vol. VII, Oxford, Clarendon Press, 1989, p. 691 ;
The Oxford Dictionary of English Etymology (dir. publ., C. T. Onions et al.), Oxford,
Clarendon Press, 1966, p. 463 ; Dictionnaire étymologique et historique du français (dir.
publ., J. Dubois, H. Mitterand et A. Dauzat), Paris, Larousse, 2007, p. 415.
197G. Cornu/Association Henri Capitant, Vocabulaire juridique, 8 éd. rév., Paris, PUF,

200198p. 467.
199Ibid., p. 468.
Dictionnaire de droit international public (dir. publ., J. Salmon), Bruxelles, Bruylant,
2001, p. 559-560.

145

6 CIJ1031.indb 287 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 241

conçu pour, par son invocation, exclure la compétence en cas de crpimes inter -

nationaux ni pour couvrir ces crimes, sans parler des atrocités ou vipolations
graves des droits de l’homme ou du droit international humanitaire. Il n’a
assurément jamais été censé exclure les réparations dues aux victimes de telles
atrocités ou violations graves. Arguer le contraire non seulement éluderait la

question, mais constituerait une grave distorsion du terme « immunité».
167. La théorie de l’immunité de l’Etat a été construite àp une époque et
dans une atmosphère qui ne se préoccupaient guère du traitement dis -

pensé par les Etats aux êtres humains placés sous leur juridictpion. Pro -
gressivement, dans une perspective interétatique atteinte de myopie, pon
assista, vers la fin du XIX e siècle, dans une large mesure en raison de
l’activité des tribunaux italiens et belges et des tribunaux interpnes des

principales nations commerçantes, à l’introduction de la distinpction entre
acta jure imperii et acta jure gestionis: l’immunité de l’Etat était alors limi -
tée aux premiers, les acta jure imperii.

168. Comme cette évolution se faisait jour, ceux qui en étaient respon -
sables n’avaient pas à l’esprit les crimes internationaux : leur souci était
plutôt, et principalement, les relations commerciales, et il s’agipssait

d’exclure l’immunité lorsque l’Etat agissait comme une entitpé privée.
La consécration de cette distinction dans des entreprises normatives,
y compris l’élaboration de conventions sur les immunités de l’Etat comme
la convention européenne de 1972 sur l’immunité des Etats, adop -

tée à Bâle il y a quatre décennies et entrée en vigueur en 1976, a au moins
servi à mettre fin à la notion d’immunité absolue 200. De même, sur le
continent américain, le comité juridique interaméricain de l’pOrganisation

des Etats américains (OEA) a conclu, en 1983, le projet de convention
interaméricaine sur les immunités juridictionnelles des Etats, qui tenait
compte de l’évolution en cours vers une restriction de l’immunipté de
l’Etat.

169. Cette évolution a été suscitée par l’implication des Etats dans
les relations commerciales, exclues du domaine de l’immunité de l’Eptat.
Le comité juridique interaméricain a mis en cause la « rigidité» de la dis-

tinction classique entre actes jure imperii et actes jure ges201nis, et a refusé
de recourir à cette catégorisation traditionnelle . Quoi qu’il en
soit, il s’est délibérément écarté de l’immunité absolue.p Le fait demeure

200 e
Voir en général, notamment, H. Fox, The Law of State Immunity, 2 éd., Oxford
University Press, 2008, p. 502-598 ; M. Cosnard, La soumission des Etats aux tribunaux
internes face à la théorie des immunités des Etats, Paris, Pedone, 1996, p. 203-40;3T. R. Giut-
tari, The American Law of Sovereign Immunity — An Analysis of Legal Interpretation,
Londres, Praeger Publs., 1970, p. 63-142 ; I. Sinclair, «The Law of Sovereign Immunity —
Recent Developments », RCADI, vol. 167 (1980), p. 121-217 et 243-266 ; P. D. Trooboff,
«Foreign State Immunity : Emerging Consensus on Principles », RCADI, vol. 200 (1986),
p. 252-274; W. W. Bishop Jr., « New United States Policy Limiting Sovereign Immunity »,
American Journal of International Law, vol. 47 (1953), p. 93-106 ; J. Combacau, « L’immu
nité de l’Etat étranger aux Etats-Unis : la lettre Tate vingt ans après », Annuaire français de
droit international, vol. 18 (1972), p. 455-468.
201
Voir Comité Jurídico Interamericano, Informes y Recomendaciones, vol. XV (1983),
Washington D.C., OEA/Secretaría General, 1983, p. 48.

146

6 CIJ1031.indb 289 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 242

que l’immunité restrictive est largement entrée dans le lexique du droit
international moderne, mais, une fois encore, la préoccupation majeure

et prioritaire et la principale motivation concernaient le commerce,
essentiellement les relations et transactions commerciales, exclues de
l’immunité.
170. Critiquant très vivement les immunités de l’Etat en 1951,

Hersch Lauterpacht a contesté les prérogatives de l’Etat souverain, leps -
quelles privaient les individus des recours juridiques pour faire valoir
leurs droits ; pour lui, l’immunité absolue était source d’injustice et la
transition vers l’immunité restrictive, sur la base de la distinctpion

entre actes jure imperii et jure gestionis, n’était pas non plus une
solution, en ce qu’elle n’offrait ni orientation ni fondement au déve-
loppement du droit international 202. Pour H. Lauterpacht, le concept de
l’immunité de l’Etat était quelque peu « absolutiste», une manifesta -

tion de la conception hobbesienne de l’Etat ; plutôt qu’un principe, il
s’agissait en fait d’une « anomalie» qu’il convenait de réévaluer dans le
cadre de la « progression générale vers l’état de droit à l’intérpieur de
l’Etat » 203. Après tout, on ne pouvait plus « tolérer l’injustice » qui exis -

tait chaque fois qu’un Etat « s’abrite derrière le bouclier de l’immunité
pour faire échec à une réclamation légitime » 20.
171. Cela devient plus clair si nous nous éloignons du contexte histo -
rique assez circonscrit qui a motivé la formulation de la distinction entre

actes jure imperii et jure gestionis, à savoir les relations et opérations com -
merciales. Si l’on entre dans le domaine plus large du traitement disppensé
par l’Etat aux êtres humains placés sous sa juridiction, cette pdistinction

traditionnelle apparaît encore plus insuffisante et inadéquate. Ipl faut arri -
ver à surmonter définitivement la perspective exclusivement inteprétatique
du passé, stricte et dangereuse.

XVII. La perspective interétpatique viciée
face à l’impératif de pjustice

172. Le début de la personnification de l’Etat — en fait, le début de la
théorie moderne de l’Etat — dans le domaine du droit international a eu
lieu au milieu du XVIII e siècle avec l’œuvre d’Emer de Vattel (Le droit des
gens ou Principes de la loi naturelle appliqués à la conduite et a▯ux affaires

des nations et des souverains, 1758), qui devait avoir de vastes répercus -
sions dans la pratique juridique internationale de son époque. L’apccent
mis sur la personnalité et la souveraineté de l’Etat a abouti àp la concep -
tion d’un droit international applicable strictement aux relations entre

Etats (le jus inter gentes, et non le jus gentium), c’est-à-dire un ordre juri -

202
H. Lauterpacht, « The Problem of Jurisdictional Immunities of Foreign States »,
British Yearbook of International Law, vol. 28 (1951), p. 220 et 226-227.
203 Ibid., p. 232-233 et 249-250.
204 Ibid., p. 235.

147

6 CIJ1031.indb 291 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 243

dique interétatique ; il s’agissait d’une perspective réductionniste dans le
cadre de laquelle les Etats étaient seuls et exclusivement considéprés comme
des sujets du droit des nations 205.

173. Les conséquences de cette distorsion centrée sur l’Etat devaienpt se
révéler désastreuses pour les êtres humains, comme cela a été largement
reconnu au milieu du XX esiècle. A l’apogée de la frénésie interétatique,

les individus avaient été relégués au second rang. Pour G. W. F. Hegel
(1770-1831), apologiste de l’Etat prussien, par exemple, l’indivpidu était
entièrement assujetti à l’Etat ; la société elle-même était aussi subordon -
née à l’Etat 206. L’Etat était une fin en soi (Selbstzweck) et la liberté ne
207
pouvait être que celle qu’il accordait lui-même . Hegel soutenait et jus -
tifiait l’Etat autoritaire et absolument souverain ; pour lui, l’Etat devait
être plus fort que la société, et les individus ne pouvaient popursuivre leurs
208
intérêts que dans le cadre de l’Etat souverain .
174. A partir de la fin du XIX e siècle, le positivisme juridique a totale -
ment personnifié l’Etat, le dotant d’une « volonté propre» et réduisant les

droits des êtres humains à ceux que l’Etat leur « concédait». Le consen-
tement de la « volonté» des Etats (selon le positivisme volontariste) fut
érigé en critère prédominant en droit international, dénipant tout jus standi

aux individus, aux êtres humains; cela a rendu une compréhension appro -
priée de la communauté internationale difficile, et a porté atpteinte au droit
international lui-même, le réduisant à un droit strictement intperétatique,
209
non plus au‑dessus des Etats souverains mais entre eux . En fait, lorsque
l’ordre juridique international s’est éloigné de la vision upniverselle des
«pères fondateurs » du droit des nations (le droit des gens, voir supra),

des atrocités successives ont été commises contre des êtres phumains,
contre l’humanité.
175. Cette succession d’atrocités, crimes de guerre et crimes contre l’phu -

manité, est survenue alors que régnait le mythe de l’Etat tout-ppuissant,
et même le milieu social a été mobilisé à cette fin. Les politiques cri-
minelles de l’Etat qui ont progressivement pris forme depuis le dépclenche -
ment de la première guerre mondiale s’appuyaient sur la « rationalité

technique» et l’organisation bureaucratique ; face aux crimes susmention -
nés, en l’absence de responsabilité, les individus sont devenusp de plus en
plus vulnérables 210, sinon sans défense. Il est très vite apparu qu’il y avait

un immense besoin de justice, non seulement pour les victimes des crimes
des Etats et leurs proches, mais aussi pour le milieu social dans son enp -

205Voir par exemple E. Jouannet, Emer de Vattel et l’émergence doctrinale du droit
international classique, Paris, Pedone, 1998, p. 255, 311, 318-319, 344 et 347.
206 e
Eric Weil, Hegel et l’Etat [1950], 4 éd., Paris, Librairie philosophique J. Vrin, 1974,
p. 207 24 et 44.
Ibid., p. 45 et 53.
208Ibid., p. 55-56, 59, 62, 100 et 103.
209P. P. Remec, The Position of the Individual in International Law According to Grotius▯
and Vattel, La Haye, Nijhoff, 1960, p. 36-37.
210G. Bensoussan, Auschwitz en héritage ? D’un bon usage de la mémoire, 9 e éd. rév.,
Paris, Mille et Une Nuits, 2006, p. 174, 183, 187, 197 et 246.

148

6 CIJ1031.indb 293 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 244

semble; à défaut, la vie deviendrait insupportable, étant donné lep déni de
la personne humaine, son annihilation, perpétré par ces crimes d’pEtat
211
successifs .
176. C’est à l’époque où la myopie interétatique prévalapit que la pra -
tique de l’immunité de l’Etat a pris forme et a atteint son plepin développe -
ment, refusant à l’individu toute possibilité d’agir en justpice contre ce qui

en est arrivé à être considéré comme des «actes de l’Etat» souverain. Pour -
tant, la soumission de l’individu à la « volonté» de l’Etat n’a jamais été
convaincante pour tous, et elle a bientôt été ouvertement contepstée par une
doctrine plus éclairée. L’idée de la souveraineté étatpique absolue, qui a

abouti à l’irresponsabilité et à la prétendue omnipotencep de l’Etat et n’a
pas empêché les atrocités successives commises par l’Etat (pou en son nom)
contre des êtres humains, est avec le passage du temps apparue comme p
totalement infondée. L’Etat — cela est aujourd’hui reconnu —p est respon -

sable de tous ses actes — aussi bien jure gestionis que jure imperii — ainsi
que de toutes ses omissions 212. En cas de violations (graves) des droits de
l’homme, l’accès direct des individus concernés à la justice internationale
est ainsi pleinement justifié, pour qu’ils puissent faire valoirp leurs droits,
213
même contre leur propre Etat .

XVIII. La personne humaine etp les immunités de l’Étpa:t

le dépassement de la peprspective strictemenpt interétatique

177. Dans la présente affaire concernant les Immunités juridictionnelles

de l’Etat (Allemagne c. Italie ; Grèce (intervenant)) dont la Cour est sai -
sie, nous sommes confrontés à une question totalement différepnte de celles
qui ont motivé les doctrines traditionnelles du passé. Nous sommesp en
présence de l’invocation de l’immunité de l’Etat en ce qupi concerne la

perpétration de crimes internationaux (des violations graves des dropits de
l’homme et du droit international humanitaire) et le droit des victipmes
individuelles d’avoir accès à la justice pour faire valoir leurps droits à répa -
ration en vertu du droit international général. En quoi la distincption entre

acta jure imperii et acta jure gestionis est-elle pertinente pour l’examen de
la présente affaire ? En rien.
178. Les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité ne doivent
pas être considérés comme acta jure gestionis, autrement dit des « actes

privés»; il s’agit de crimes. Ils ne doivent pas non plus être considéprés
comme acta jure imperii ; il s’agit de delicta graves, de crimes. La distinc -
tion entre actes jure imperii et actes jure gestionis, entre actes souverains
ou officiels d’un Etat et actes de caractère privé, est un vesptige de doc -

211
212 Op. cit. supra note 210, p. 207.
Ibid., p. 247-259.
213 S. Glaser, « Les droits de l’homme à la lumière du droit international positpif »,
Mélanges offerts à H. Rolin — Problèmes de droit des gens, Paris, Pedone, 1964, p. 117-118,
et voir p. 105-106 et 114-116.

149

6 CIJ1031.indb 295 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 245

trines traditionnelles qui sont totalement inadéquates aux fins de pl’exa -
men de la présente affaire. Ces théories traditionnelles, dans lpa myopie de

leur focalisation sur l’Etat, oublient les leçons des pères fondateurs du
droit des nations, qui indiquent qu’il faut reconnaître que les inpdividus
sont des sujets du droit des nations (le droit des gens).
179. Aucun Etat ne peut, ni ne doit jamais être autorisé à, invoquerp la

souveraineté pour réduire des êtres humains en esclavage et/ou les exter -
miner, et ensuite se soustraire aux conséquences juridiques en s’apbritant
derrière le bouclier de l’immunité de l’Etat. Il n’y a pas d’immunité pour
les violations graves des droits de l’homme et du droit internationalp
humanitaire, pour les crimes de guerre et les crimes contre l’humanitpé.

L’immunité n’a jamais été conçue pour permettre une teplle inéquité.
S’obstiner à suivre une approche strictement étatique dans les prelations de
responsabilité aboutit à une injustice manifeste. La présente apffaire des
Immunités juridictionnelles de l’Etat (Allemagne c. Italie ; Grèce (interve‑
nant)) en témoigne éloquemment.

180. Les individus sont effectivement des sujets de droit international
(pas seulement des « acteurs»), et, chaque fois que la doctrine juridique
s’est écartée de cette proposition, les conséquences et les présultats ont été
catastrophiques. Les individus sont titulaires de droits et débiteursp d’obli -

gations qui découlent directement du droit international (le jus gentium).
Les évolutions convergentes intervenues ces dernières décenniesp dans le
droit international des droits de l’homme, le droit international humpani -
taire et le droit international des réfugiés, puis dans le droit ipnternational
pénal, en témoignent sans équivoque.

181. La doctrine des immunités souveraines, à laquelle la myopie d’upne
approche centrée sur l’Etat, qui ne pouvait envisager que les relaptions
interétatiques, a permis de prospérer, a indûment sous-estimép et négligé
de manière irresponsable la situation de la personne humaine en droitp
international, dans le droit des nations (droit des gens). La distinctpion

entre actes jure imperii et actes jure gestionis n’est d’aucune aide dans une
affaire comme la présente affaire. Les crimes internationaux ne spont pas
des actes d’Etat, pas plus qu’ils ne sont des « actes privés »; un crime est
un crime, quel que soit son auteur.

182. L’histoire montre que les crimes de guerre et les crimes contre
l’humanité sont généralement commis par des individus avec l’appui des
services de renseignements (« intelligence») de l’Etat (avec toute sa
cruauté), au moyen d’abus de langage et grâce aux ressources matérielles
et à l’appareil de l’Etat, dans la poursuite des politiques de pcelui-ci. Les

responsabilités de l’individu et de l’Etat pour de tels crimes psont ainsi
complémentaires, l’une n’exclut pas l’autre ; il n’y a aucune possibilité
d’invoquer les immunités de l’Etat face à de tels crimes.
183. Les auteurs de tels crimes, individus comme Etats, ne peuvent se
soustraire aux conséquences juridiques de ces actes antijuridiques, dpe ces

violations du jus cogens, en invoquant les immunités. La doctrine juri -
dique internationale contemporaine semble être au moins prête àp recon -

150

6 CIJ1031.indb 297 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 246

naître les obligations des Etats vis-à-vis des individus placésp sous leur
juridiction 214. Tel aurait dû être le premier souci de la Cour dans la pré -

sente affaire.

XIX. Pas d’immunités de l’Éptat en cas de delICta ImPerII

184. Cela m’amène au point suivant de mon examen, à savoir l’absepnce
ou l’inadmissibilité des immunités de l’Etat face à des delicta imperii, ou

crimes internationaux violant le jus cogens. Je vais me pencher sur deux
exemples de tels delicta imperii souvent mentionnés lors de la présente
procédure, à savoir les massacres de civils sans défense (illupstrés notam -
ment par le massacre de Distomo en Grèce et le massacre de Civitella pen

Italie), et la pratique de la déportation et du travail forcé danps les indus -
tries de guerre durant la seconde guerre mondiale. Ces delicta imperii, qui
sont à l’origine factuelle de l’invocation de l’immunité pde l’Etat devant la

Cour, ont été commis avec une violence extrême et systématiqpue qui s’est
manifestée dans plusieurs autres épisodes de la même espèce,p non seule -
ment en Grèce et en Italie, mais aussi dans d’autres pays occupéps durant
la seconde guerre mondiale.

1. Massacres de civils sans défense

a) Le massacre de Distomo

185. Dans l’opinion individuelle que j’ai jointe à l’ordonnance rpendue
par la Cour le 4 juillet 2011 sur la requête en intervention de la Grèce
dans la présente affaire, j’ai souvent mentionné le massacre pde Distomo
(intervenu le 10 juin 1944), dans le cadre duquel 218 villageois (hommes,

femmes et enfants) ont été assassinés par les forces nazies, upn massacre
qui a été porté à l’attention de la Cour durant la procépdure. Dans cette
opinion individuelle, j’évoquais une des relations historiques de pcet événe -
ment (par. 29).

186. Il existe en outre d’autres comptes rendus historiques de ce mas -
sacre, y compris un faisant état de la dévastation et de la déspolation du
village grec de Distomo peu après sa commission : il émane de Sture Lin -

nér, qui était alors chef de la mission du Comité international de la Croix-
Rouge (CICR) en Grèce, qui est arrivé dans le village peu aprèps le
massacre pour apporter son assistance. Le compte rendu qui suit (extraipts)

214Voir par exemple J. Stigen, «Which Immunity for Human Rights Atrocities ? »,
Protecting Humanity — Essays in International Law and Policy in Honour of N. Pillay (dir.
publ., C. Eboe-Osuji), Leyde, Nijhoff, 2010, p. 750-751, 756, 758, 775-779, 785 et ;87

M. Panezi, « Sovereign Immunity and Violation of Jus Cogens Norms », Revue hellénique
de droit international, vol. 56 (2003), p. 208-210 et 213; P. Gaeta, « Are Victims of
Serious Violations of International Humanitarian Law Entitled to Compenspation ? »,
International Humanitarian Law and International Human Rights Law (dir. publ.,
O. Ben-Naftali), Oxford University Press, 2011, p. 319-320 et 325.

151

6 CIJ1031.indb 299 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 247

décrit les brutalités commises par les forces nazies, attestéesp par les corps
des victimes qu’il a trouvés dans le village de Distomo et sur la route y
menant :

«Il nous a fallu beaucoup trop de temps pour traverser les routes

détruites et les nombreux barrages pour atteindre, à l’aube, la route
centrale qui menait à Distomo. Sur les bords de la route, des vau -
tours ont pris de l’altitude, lentement et avec réticence, quand ils
nous ont entendus approcher. Sur chaque arbre, le long de la route

et sur des centaines de mètres, des corps humains pendaient, stabili -
sés par des baïonnettes, dont certains étaient encore en vie. Ipl s’agis-
sait des villageois punis de cette manière : ils étaient soupçonnés

d’avoir aidé les partisans de la région qui avaient attaqué pun détache -
ment SS. L’odeur était insupportable.
A l’intérieur du village, les maisons étaient en cendres, mais ple feu

brûlait encore. Des centaines de personnes, de tous âges, des per -
sonnes âgées aux nouveau-nés, étaient étendues sur le sol. Ils [les
nazis] avaient déchiré l’utérus et coupé les seins de nompbreuses

femmes ; d’autres gisaient étranglées, les intestins encore enroulés p
autour du cou. Il semblait que personne n’ait survécu.
Soudain, un vieil homme au bout du village ! Il avait miraculeuse -

ment survécu au massacre. Il était paralysé de terreur, son regard
était vide et ses paroles incompréhensibles. Nous sommes sortis dep
la voiture au milieu du désastre et avons crié en grec : « La Croix-
215
Rouge, la Croix-Rouge ! Nous venons vous aider ». »

187. Dans le jugement de l’affaire du Massacre de Distomo, il découle
des décisions du tribunal de première instance de Livadia (affaire Préfec ‑
ture de Voiotia c. République fédérale d’Allemagne, 1997) et de l’Areios

215 «Απαιτήθηκε ανυπόφορpα μεγάλο χρονικό διάσpτημα έως ότου διασχίσpουμε τους
χαλασμένους δρόμουςp και τα πολλά μπλόκα γpια να φτάσουμε, χαράμpατα πια, στον
κεντρικό δρόμο που οδpηγούσε στο Δίστομο. Αpπό τις άκρες του δρόμpου ανασηκώνονταν
γύπες από χαμηλό ύψοςp, αργά και απρόθυμα, ότpαν μας άκουγαν που πλpησιάζαμε. Σε

κάθε δέντρο, κατά μήκος του δρόμουp για εκατοντάδες μέτρpα, κρεμόντουσαν ανθρώpπινα
σώματα, σταθεροποιημpένα με ξιφολόγχες, κάpποια εκ των οποίων ήτpαν ακόμη ζωντανά.
Ήταν οι κάτοικοι του pχωριού που τιμωρήθηκpαν με αυτόν τον τρόποp : θεω ρήθηκαν
ύποπτοι για παροχή βοήθειας στους αντάρτες της περιοχής, οι οποίοι επιτέθηκαν σε
δύναμη των Ες Ες. Η μυρpωδιά ήταν ανυπόφορη.
Μέσα στο χωριό σιγόκαpιγε ακόμη φωτιά στα αpποκαΐδια των σπιτιώνp. Στο χώμα
κείτονταν διασκορπιpσμένοι εκατοντάδες άpνθρωποι κάθε ηλικίαςp, από υπερήλικες
έως νεογέννητα. Σε πολλές γυναίκες είχαν σχίσει τη μήτρα με την ξιφολόγχη και
αφαιρέσει τα στήθη, άpλλες κείτονταν στραγpγαλισμένες, με τα εντpόσθια τυλιγμένα γύρωp

από το λαιμό. Φαινόταpν σαν να μην είχε επιζpήσει κανείς.
Μα να! Ένας παππούς στην άκpρη του χωριο!υΑπό θαύμα είχε καταφpέρει να γλυτώσει
τη σφαγή. Ήταν σοκαριpσμένος από τον τρόμο,p με άδειο βλέμμα, τα λόpγια του πλέον μη
κατανοητά. Κατεβήκαμpε στη μέση της συμφορpάς και φωνάζαμε στα εpλλη:ν« ικΕάρυθρός
Σταυρός! Ερυθρός Σταυρός! ‘Ήρθαμε να βοηθήσουμε’» (Sture Linnér, Min Odyssé (1982),
reproduit dans Petros Antaios et al. (dir. publ.), Η Μαύρη Βίβλος τ▯ οχής (Le livre noir
de l’occupation), 2 éd., Athènes, Conseil national des demandes de réparations dues par
l’Allemagne à la Grèce, 2006, p. 114-115.) [Traduction non officielle.]

152

6 CIJ1031.indb 301 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 248

Pagos (2001, sur appel de l’Allemagne) — que l’on soit ou non pleine -
ment d’accord avec l’ensemble de leur raisonnement — que les actes du
IIIeReich (de ses forces armées) commis sur le territoire de l’Etat pdu for

(c’est-à-dire le massacre de Distomo en Grèce) étaient nonp pas des actes
jure imperii, mais bien des violations du jus cogens (non-respect des obli -
gations imposées par le Règlement annexé à la quatrième cponvention de

La Haye (1907) relatif au respect des lois et coutumes de la guerre sur 216
terre), ce qui élimine la possibilité d’invoquer l’immunitép souveraine .
188. De plus, il convient de remarquer que, au cours de la procédure
devant la Cour dans la présente affaire concernant les Immunités juridic ‑

tionnelles de l’Etat, le conseil de l’Allemagne a pris une initiative louable,
signe de maturité, en reconnaissant la responsabilité de l’Etatp pour le
massacre de Distomo. A cet effet, en audience publique, après avoirp rap -

pelé les origines de la demande formulée contre l’Allemagne « traitée dans
le jugement du tribunal de Livadia » concernant l’affaire du Massacre de
Distomo, le conseil de l’Allemagne — tout en affirmant que la question de

l’immunité de l’Etat était une question distincte — a déclaré :

«… Je ne le répéterai jamais assez : ce crime était abominable. En
tant que conseil de l’Allemagne, et au nom de cet Etat, nous déplop -
rons profondément les événements de Distomo, et ne parvenons paps

nous-mêmes à comprendre comment des militaires peuvent aller
au-delà de ce qu’exigent le droit et le principe d’humanité pen assassi -
nant des femmes, des enfants et des personnes âgées… » 217

b) Le massacre de Civitella

189. Un autre massacre a été perpétré avec la même violence extrême
le 29 juin 1944 par les forces nazies dans la ville de Civitella (près

d’Arezzo), en Italie, au cours duquel 203 civils ont été tués. La question a
de nouveau été portée devant la Cour de cassation italienne, unpe demi-
décennie après sa décision de 2004 dans l’affaire Ferrini. C’est ainsi que,
le 29 mai 2008, la Corte di Cassazione a rendu douze décisions identiques
218
reprenant la position qu’elle avait adoptée dans l’affaire Ferrini , à

216
Sur l’opinion selon laquelle l’accent mis sur la territorialitép (par les décisions des
tribunaux grecs comme par celle de la Corte di Cassazione italienne dans l’affaire Ferrini
en 2004) aurait pu mettre davantage à l’épreuve les valeurs universelles partagées par la
communauté internationale, voir Xiaodong Yang, «Jus Cogens and State Immunity »,New
Zealand Yearbook of International Law, vol. 3 (2006), p. 163-164 et 167-169. Et, sur les
divergences de la pratique des Etats amenant une érosion des immunitéps de l’Etat face à
l’exigence croissante de protection des droits de la personne humainep, voir R. Garnett,

«Should Foreign State Immunity Be Abolished ? », Australian Year Book of International
Law217ol. 20 (1999), p. 175-177 et 190.
CR 2011/20, p. 28, par. 28.
218Voir R. Pavoni et S. Beaulac, « L’immunité des Etats et le jus cogens en droit
international — Etude croisée Italie/Canada », Revue juridique Thémis, vol. 43 (2009),
Montréal, p. 503-506 et 515-516 ;et A. Atteritano, «Immunity of States and Their Organs :
The Contribution of Italian Jurisprudence over the Past Ten Years », Italian Yearbook of
International Law, vol. 19 (2009), p. 35.

153

6 CIJ1031.indb 303 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 249

savoir que l’immunité des Etats ne s’applique pas dans les cas pde crimes
internationaux (violations graves des droits de l’homme et du droit inter -

national humanitaire) constituant des violations du jus cogens.
190. Peu après, le 13 janvier 2009, la Cour de cassation italienne a
confirmé cette position (arrêt du 21 octobre 2008) dans l’affaire du Mas ‑
sacre de Civitella. En fait, l’affaire Milde c. Civitella concernait une instance

pénale engagée contre un officier nazi, ancien membre de la Wehrmacht (les
forces armées), qui avait participé au massacre perpétré papr la division blin -
dée Hermann-Göring le 29 juin 1944. La Corte di Cassazione, ayant jugé
que le massacre de Civitella constituait un crime international, a refuspé

d’accorder l’immunité de juridiction civile et a confirmé ple droit à répara -
tion des victimes ou de leurs parents survivants, un droit opposable àp la
République d’Allemagne et à Milde (en tant que débiteurs soplidaires).
191. Le point clé de la décision de la Cour de cassation italienne, danps
219
la ligne des directives d’interprétation de l’arrêt Ferrini , est qu’elle
déniait toute immunité à un Etat poursuivant une politique crimpinelle pro -
pice à la perpétration de crimes contre l’humanité. La dépcision de la Corte
di Cassazione dans l’affaire du Massacre de Civitella fut manifestement

axée sur les valeurs, au sens où un Etat ne peut se prévaloir dpe l’immunité
en cas de violations graves des droits de l’homme; l’accent est mis, dans de
telles circonstances, sur le droit à réparation de la victime indipviduelle 22.

2. Déportation et travail forcé dans l’industrie de guerre

192. L’attention a déjà été appelée sur le fait qu’il espt depuis longtemps
interdit, en droit international humanitaire, de maltraiter les civils, de les

déporter, ou de les forcer à travailler dans l’industrie de gueprre dans des
conditions inhumaines. Cette interdiction, comme on l’a déjà sopuligné, est
énoncée au niveau normatif et figure dans des codifications dup droit inter -
national. Elle relève des traitements cruels, inhumains ou dégradapnts

(dans le domaine du droit international des droits de l’homme) et dpu
domaine du jus cogens.
193. Ce crime international a rapidement été sanctionné par la justipce,
non seulement dans le cadre des tribunaux pénaux internationaux, commpe

lors des procès des tribunaux de Nuremberg et de Tokyo, mais aussi dapns
le cadre des tribunaux internationaux des droits de l’homme, comme l’at -
teste le jugement rendu récemment par la CEDH dans l’affaire Kononov
c. Lettonie (2008-2010). Un tel crime n’est pas un acte jure imperii ni un

acte jure gestionis : il s’agit d’un crime international, quel que soit son
auteur, engageant et la responsabilité de l’Etat et celle de l’pindividu.

219
Voir A. Gianelli, « Crimini Internazionali ed Immunità degli Stati dalla Giurisdi -
zione nella Sentenza Ferrini », Rivista di Diritto Internazionale, vol. 87 (2004), p. 648-650,
6552207, 660-667, 671-680 et 683-684.
A. Ciampi, «The Italian Court of Cassation Asserts Civil Jurisdiction over Germany
in a Criminal Case relating to the Second World War — The Civitella Case »,Journal of
International Criminal Justice, vol. 7 (2009), p. 605 et 607-6et voir p. 599-601 sur le
caractère unique de l’affaire Civitella.

154

6 CIJ1031.indb 305 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 250

194. Parallèlement aux camps de concentration (d’extermination),
durant la seconde guerre mondiale l’Allemagne nazie a aussi créép un

réseau de camps de travail forcé, moins étudiés jusqu’icip par les historiens.
Ces camps visaient à exploiter le travail forcé de prisonniers oripginaires de

pays occupés. Il y eut de nombreux camps de ce type, également conpstruits
par des entreprises privées dans des lieux leur appartenant ; dans ce
système « privatisé», le travail forcé des détenus fut exploité 221, sans

même être rémunéré, dans des conditions de vie, ou plutôpt de survie,
infra-humaines.
195. Les personnes soumises à cette épreuve étaient des civils et deps

prisonniers de guerre des pays occupés, qui furent déportés pour travailler
dans l’industrie privée en Allemagne nazie ; ils y furent soumis au travail
forcé pour la production d’armes dans des conditions de travail supb-
222
humaines . Ils prirent place dans une vaste entreprise de production
visant à la destruction planifiée d’ennemis et la perpétration de massacres,
en une campagne d’extermination menée dans le cadre de la guerre
223
totale . Des civils et des prisonniers de guerre devenus des travailleurs
forcés 224 furent tous soumis à ce processus de déshumanisation de tous

ceux qui participèrent à cette entreprise.
196. Le régime de travail forcé durant la seconde guerre mondiale,
insuffisamment étudié à ce jour, fut marqué par des manipulpations, dis -

torsions et mensonges. Selon les quelques comptes rendus historiques
existants, les travailleurs étaient constamment menacés, et le trapvail forcé
fut ramené à un travail d’esclave dans l’industrie de guerrep de l’Allemagne
225
nazie . A partir de 1943, le travail forcé devint vital pour les efforts de
guerre de l’Allemagne nazie ; les travailleurs-esclaves espéraient survivre
en participant, sous la contrainte et la domination, à l’industriep de guerre
226
de ceux qui les persécutaient . Le travail forcé dans les pays occupés fut
mis en pratique par le III e Reich avec une projection à long terme, afin de
227
soutenir l’économie de guerre .

221C. R. Browning, A l’intérieur d’un camp de travail nazi —Récits des survivants :
mémoire et histoire, Paris, Les Belles Lettres, 2010, p. 24.
222
E. Traverso, La Violencia Nazi — Una Genealogía Europea, Buenos Aires/
Mexico D.F., Fondo de Cultura Económica, 2002, p. 42-43, et voir p. 92.
223Le sinistre ouvrage de E. Ludendorff (La guerre totale [1935], Paris, Perrin, 2010
(rééd.), p. 49-286), une exhortation brutale à la guerre totale (d’extermination)p avec
la participation de l’ensemble de la population, publié en 1935, s’était en 1939 vendu à
quelque 100 000 exemplaires, anticipant la guerre totale d’Hitler de 1939-1945, avec pses
conséquences dévastatrices.
224
225E. Traverso, op. cit. supra note 222, p. 96 et 100.
C. R. Browning, op. cit. supra note 221, p. 34 et 197.
226Ibid., p. 350-351.
227A cet égard, Himmler aurait souligné, dans un discours prononcép devant les hauts
dirigeants de la SS en juin 1942, que, « si nous ne remplissons pas nos camps d’esclaves …,
même après des années de guerre nous n’aurons pas assez d’pargent pour équiper nos colo
nies de telle manière que le vrai peuple germanique puisse y vivre etp y prendre racine dès

la première génération » ;cité dans M. Mazower, Hitler’s Empire — Nazi Rule in Occupied
Europe, Londres, Penguin Books, 2009, p. 309.

155

6 CIJ1031.indb 307 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 251

197. Des membres des populations civiles des pays occupés durant la
seconde guerre mondiale furent déportés et astreints à travaillper comme

esclaves dans l’industrie de guerre en Allemagne. De même, comme lpe
révèle la présente affaire, outre des civils, des membres desp forces armées

italiennes se virent dénier le statut de prisonnier de guerre (et leps protec -
tions en découlant) et furent forcés à travailler dans l’inpdustrie de guerre
allemande. Ces crimes, commis avec une grande cruauté 22, ont suscité,

cela n’est pas surprenant, beaucoup de ressentiment dans les pays occpu -
pés, et incité les mouvements de résistance organisés de cesp pays à les
combattre 229.

198. On estime que, « à l’automne 1944, 7,7 millions de travailleurs
étrangers se trouvaient en Allemagne » 230. La « réduction en esclavage »
et le « travail forcé » ont été ainsi définis par la loi allemande sur les
231
réparations :

«[Réduction en esclavage :] Travail accompli de force dans un
camp de concentration (tel que défini dans la loi allemande d’indem -

nisation) ou un ghetto ou un autre lieu de détention dans des condi -
tions de pénibilité comparables, telles que définies par la fpondation

allemande.
[Travail forcé :] Travail exécuté de force (autre que la « réduction
en esclavage ») sur le territoire du Reich allemand ou dans une zone

occupée par l’Allemagne, et hors du territoire de l’Autriche, dpans une
situation comparable à la détention et dans des conditions de vie p
extrêmement dures ; ou travail exécuté de force dans le cadre d’un

programme de mise en œuvre de la politique nationale-socialiste
d’«extermination par le travail » (Vernichtung durch Arbeit) hors du
territoire de l’Autriche. » 232

228Dans l’un des témoignages les concernant, de Maideneck (Communiqué de la
Commission extraordinaire polono-soviétique), on peut lire ce qui supit :

«Les Allemands ont fait faire un travail au-dessus de leurs forces — lpe trans-
port de pierres lourdes — à de nombreux groupes (1 200 personnes) de profes -
seurs, médecins, ingénieurs et autres spécialistes amenés de la Grèpce. Les SS
frappaient à mort les savants qui tombaient, affaiblis par ce lourdp travail. Tout

ce groupe de savants grecs a été exterminé en cinq semaines parp un système de
famine, de travail épuisant, de matraquages et de meurtres. » Cité dans Paroles
de déportés — Témoignages et rapports officiels, Paris, Bartillat, 2009 (rééd.),
p. 113.
229
J. Bourke, La Segunda Guerra Mundial — Una Historia de las Víctimas, Barcelone,
Paidós, 2002, p. 43, et voir p. 144 et 175.
230J. Authers, « Making Good Again : German Compensation for Forced and Slave
Labourers », The Handbook of Reparations (dir. publ., P. de Greiff), Oxford University
Press, 2006, p. 421-422.
231Article 11 de la loi de 2000 (sur les « Personnes pouvant prétendre à

rép232tions »).
Cité dans J. Authers, op. cit. supra note 230, p. 435.

156

6 CIJ1031.indb 309 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 252

XX. La prévalence du droit d’paccès à la justice

de l’individu: l’invocation par lesp Parties
de l’affaire g oIburú et autres (CIADH, 2006)

199. Il résulte selon moi de tout ce qui précède que ce n’est pas du tout
l’immunité de l’Etat qui ne peut être écartée, comme continuent de l’affir -
mer certains « droit-d’étatistes» même de nos jours, apparemment inca -

pables de tirer des leçons de l’histoire (y compris de l’histopire juridique
internationale). Il n’y a pas d’immunité pour les crimes contre l’humanité.
En cas de crimes internationaux, de delicta imperii, ce qui ne peut être
écarté, selon moi, c’est le droit de l’individu d’accépder à la justice, qui com -

prend le droit à réparation pour les violations graves des droits pde l’homme
qui lui sont inhérents en tant qu’être humain. En l’absence pde ce droit, il n’y
a absolument aucun système juridique crédible, au plan national oup inter -

national.
200. Il y a quelques décennies, sur la base d’un aphorisme kantien
(«On n’a jamais rien fabriqué de droit à partir du tronc tordu dep l’huma -

nité»), Isaiah Berlin se demandait si « [l]a première obligation publique
est d’éviter les extrêmes de la souffrance » 23. Forcer les gens à porter des
«uniformes soignés » comme l’exigeaient les dogmatismes, ajoutait-il, est

«presqueetoujours la voie de l’inhumanité »; les atrocités sans précédent
du XX siècle montrent qu’il est possible de parvenir à un « haut degré de
connaissance et de compétence scientifique » et pourtant de soumettre,
d’humilier et « de détruire d’autres personnes sans pitié » 23.

201. La tragédie, distincte d’une simple catastrophe, est due à des p
«erreurs humaines inévitables », dont certaines ont eu des conséquences
dévastatrices. Au final, concluait I. Berlin, on en revient toujours à

l’idée d’une justice « objective», à des principes universels, dans la ligne
du droit naturel, interdisant de traiter les êtres humains comme des p
«moyens de réaliser des objectifs » 23. A cet égard, un autre grand pen -
e
seur du XX siècle, Simone Weil, soulignait dans un essai éclairant 236
1934, republié depuis dans divers pays et diverses langues) que, depuis
le temps de L’Iliade d’Homère jusqu’à nos jours, l’influence de la guerre
sur les êtres humains avait toujours révélé un « mal essentiel» de l’huma -

nité, à savoir « le remplacement des fins par les moyens »; la recherche
du pouvoir se substitue aux fins, et transforme la vie de l’homme en upn
moyen, qui peut être sacrifié 237.

202. Depuis L’Iliade d’Homère jusqu’à nos jours, ajoutait-elle, les exi -
gences déraisonnables de la lutte pour le pouvoir ne laissent pas le ptemps

233
I. Berlin, The Crooked Timber of Humanity — Chapters in the History of Ideas
[1959], Princeton University Press, 1991, p. 17, et voir p. 18-19.
234Ibid., p. 19 et 180.
235Ibid., p. 185, 204-205 et 257.
236S. Weil, « Réflexions sur les causes de la liberté et de l’oppression sopciale »,Œuvres,
Paris, Quarto Gallimard, 1999, p. 273-347.
237S. Weil, Reflexiones sobre las Causas de la Libertad y de la Opresión Social, Barce -
lone, Ed. Paidós/Universidad Autónoma de Barcelona, 1995, p. 81-82.

157

6 CIJ1031.indb 311 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 253

de penser à ce qui est réellement important ; les individus sont « complète-
ment abandonnés à une collectivité aveugle », incapables d’« assujettir
238
leurs actions à leurs pensées », incapables de penser . Les termes
«oppresseurs et opprimés » et la distinction entre eux perdent presque
leur sens, étant donné l’« impuissance» de tous les individus face à la
«machine sociale » de destruction de l’esprit et de fabrication de l’in -

conscience; nous commençons tous à vivre — ou plutôt à survivre —
dans le domaine douloureux de l’inhumain, dans un monde où « rien n’est
à la mesure de l’homme », ou l’on ne prête nulle attention aux besoins de
l’esprit239.

203. La primauté du droit d’accès à la justice de l’individu npe peut être
contestée même à la lumière du mécanisme judiciaire interétatique strati -
fié devant la CIJ. A cet égard, dans l’opinion dissidente que j’ai jointe à
l’ordonnance rendue par la Cour le 28 mai 2009 dans l’affaire des Ques ‑

tions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgiq▯ue c. Séné ‑
gal), j’ai jugé bon de faire observer ce qui suit :

«Les faits tendent à précéder les normes, qui doivent dès lors être
capables de s’étendre aux situations nouvelles qu’elles visent pà régle -
menter, compte dûment tenu des valeurs supérieures 240. Devant la

Cour, jus standiet locus standi in judicio demeurent certes le propre des
Etats, en ce qui concerne les demandes en indication de mesures
conservatoires, mais cela ne s’est pas révélé incompatible avec la pro -
tection des droits de la personne humaine, couplés à ceux des Etatps.

Après tout, les bénéficiaires ultimes des droits à sauvegaprder ainsi sont,
le plus souvent, des êtres humains en même temps que leurs Etats.
Réciproquement, les Etats demandeurs eux-mêmes ont, dans leurs
exposés devant la Cour, dépassé cette ancienne vision purement pinteré -

tatique, en invoquant des principes et des normes du droit internatio-
nal relatif aux droits de l’homme et du droit international humanitaipre
pour assurer la sauvegarde des droits fondamentaux de la personne
humaine.

Du point de vue du droit matériel ou des règles de fond, la struc -
ture interétatique des procédures de la Cour n’a jamais constitpué un
obstacle insurmontable empêchant de défendre ainsi le respect des p
principes et normes du droit international relatif aux droits de

l’homme et du droit international humanitaire… » (Mesures conser ‑
vatoires, ordonnance du 28 mai 2009, C.I.J. Recueil 2009, p. 174-175,
par. 23-24.)

204. De plus, dans l’opinion individuelle que j’ai jointe à l’avips consul -
tatif rendu avant-hier par la Cour dans la procédure concernant le Juge ‑
o
ment n 2867 du Tribunal administratif de l’Organisation internationale du

238
Op. cit. supra note 237, p. 84 et 130.
239Ibid., p. 130-131.
240Voir notamment G. Morin, La révolte du droit contre le code — La révision néces ‑
saire des concepts juridiques, Paris, Libr. Rec. Sirey, 1945, p. 2, 6-7 et 109-115.

158

6 CIJ1031.indb 313 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 254

Travail sur requête contre le Fonds international de développement▯ agricole,
je m’arrêtais plus avant sur ce point particulier. Je n’ai pas pl’intention de

reprendre ici les réflexions critiques que j’ai développéeps il y a deux jours
(en ayant à l’esprit la mission de la Cour en tant qu’organe jpudiciaire
principal des Nations Unies) dans l’opinion individuelle que j’ai jointe à
cet avis consultatif. Je me limite donc aux réflexions qui y figuprent et sont

pertinentes aux fins de la présente opinion dissidente.
205. Au cours de la procédure dans la présente affaire des Immunités
juridictionnelles de l’Etat, aussi bien l’Allemagne que l’Italie ont expres -
sément évoqué le jugement du 22 septembre 2006 de la CIADH dans

l’affaire Goiburú et autres c. Paraguay. L’Italie a été la première à invo -
quer ce jugement, dans son contre-mémoire en date du 22 décembre 2009,
à l’appui de son argument selon lequel, « dans tous les systèmes relatifs
à la protection des droits de l’homme », le droit d’accès à la justice « est

conçu comme un complément nécessaire des droits substantiels gapran -
tis» (par. 4.94). Elle ajoute :

«Il n’est donc pas surprenant que la Cour interaméricaine des
droits de l’homme ait caractérisé l’accès à la justicep comme étant une
norme impérative du droit international, dans une affaire où lesp

droits substantiels auxquels il était porté241teinte étaient épgalement
garantis par des règles de jus cogens. » (Par. 4.94.)

206. L’Allemagne a pour sa part évoqué le jugement rendu par la
CIADH dans l’affaire Goiburú et autres durant le premier tour de plaidoi -
ries pour répondre à l’argument de l’Italie sur ce point. L’Allemagne fait

tout d’abord valoir que l’affaire Goiburú et autres (comme d’autres affaires
tranchées par la CIADH) « ne concerne pas les dommages de guerre »
(par. 25). L’Allemagne ajoute que cette affaire portait sur l’accèps à la jus -
tice dans l’Etat responsable du fait illicite et ne concerne donc en paucune
242
manière la règle de l’immunité des Etats étrangers (par.p 25) .
207. L’affaire Goiburú et autres concernait l’«opération Condor», dans
le cadre de laquelle les Etats du cône sud de l’Amérique du Sudp, durant la
période de dictature des années 1970, ont organisé un réseau de collabo -

ration de leurs « services de renseignements » pour mettre en œuvre au
niveau interétatique leurs politiques criminelles communes de répression.
Il s’agissait de politiques d’Etat coordonnées d’exterminatipon de certains
segments de leurs populations respectives, qui consistaient en des opépra -

tions « contre-insurrectionnelles» transfrontières, à savoir des détentions
illégales ou arbitraires, des enlèvements, des actes de torture, des meurtres
et des exécutions extrajudiciaires, ainsi que des disparitions forcépes. Plani -
fiée au plus haut niveau de l’Etat, l’« opération Condor » assurait égale -

241
242Contre-mémoire de l’Italie, p. 76-77.
CR 2011/17, p. 44, par. 25 ; l’Allemagne évoquait également « une approche simi -
laire à celle de la Cour interaméricaine des droits de l’homme » adoptée une année plus tard
par le Comité des droits de l’homme des Nations Unies dans son «observation générale
n 32 sur l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ».

159

6 CIJ1031.indb 315 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 255

ment que les opérations resteraient secrètes et donc l’irresponpsabilité et
l’impunité absolues des agents de l’Etat responsables 24.
208. Dans le cas d’espèce dont était saisie la CIADH, l’Etat dépfendeur
lui-même a reconnu, dans un esprit louable de coopération procépdurale,

sa propre responsabilité internationale en raison de l’existence, pà l’époque
où les violations graves ont été commises, d’une politique d’Etat crimi ‑
nelle. Il s’agissait de crimes d’Etat, comparables par leur gravité aux
crimes perpétrés en Asie durant les années 1970 également, en Europe

trois décennies auparavant, et en Europe de nouveau, ainsi qu’en Apfrique,
deux décennies plus tard. A maintes reprises, des générations qpui se sont
succédé ont été les témoins, dans différentes régions du monde, de la per -
pétration de véritables crimes d’Etat (que certains segments de la doctrine
juridique internationale aiment ou non cette expression).

209. Dans son arrêt du 22 septembre 2006 dans l’affaire Goiburú et
autres, concernant le Paraguay, la CIADH a établi que des violations gravesp
des droits de l’homme s’étaient produites et, en conséquencep, a ordonné
des réparations. Dans un obiter dictum, elle a fait observer que, si l’Etat,

par le truchement de ses institutions, mécanismes et pouvoirs, devaitp fonc -
tionner «de manière à assurer une protection contre le crime », en l’espèce
le pouvoir de l’Etat avait été instrumentalisé pour violer lpes droits qu’il
était censé protéger: pire encore, les violations reposaient sur la « collabo -

ration interétatique », l’Etat devenant « le principal auteur des crimes
graves commis, instaurant clairement une situation de « terrorisme
d’Etat » » (par.66-67).
210. Dans mon opinion dissidente dans l’affaire Goiburú et autres, j’es -
sayais notamment de recenser les éléments d’approximation et dep complé -

mentarité (sur lesquels la doctrine ne s’est pas suffisamment pepnchée à ce
jour) entre le droit international des droits de l’homme et le droitp pénal
international, à savoir : a) la personnalité juridique internationale (active
et passive) de l’individu ; b) la complémentarité de la responsabilité

internationale de l’Etat et de celle de l’individu ; c) la conceptualisation
des crimes contre l’humanité ; d) la prévention et les garanties de non-
répétition (des violations graves des droits de l’homme) ; et e) la justice
réparatrice à la jonction du droit international des droits de l’homme et
244
du droit pénal international (par. 34) .
211. Bien que l’« opération Condor» appartienne au passé, elle a laissé
des cicatrices qui ne disparaîtront probablement jamais. Les pays danps les -
quels elle a été organisée luttent toujours avec leur passé, chacun d’une
manière qui lui est propre. Pourtant, l’Amérique du Sud étanpt une région

où la doctrine internationale est traditionnellement forte, des avancées
dans la justice internationale s’y sont produites, certaines affairpes et
d’autres situations du même genre ayant été portées devanpt la justice inter -
nationale, devant la CIADH, et aucun Etat de la région n’ose aujouprd’hui

243A. A. Cançado Trindade, Evolution du droit international au droit des gens — L’accès
des individus à la justice internationale : le regard d’un juge, Paris, Pedone, 2008, p. 174-175
244Ibid., p. 139 et 167.

160

6 CIJ1031.indb 317 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 256

invoquer l’immunité de l’Etat en ce qui concerne ces crimes. Qup’il me soit

permis de rappeler ici, dans une perspective historique, que l’articlpe 8 de la
Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 a, en ce qui concerne
le droit à un recours effectif devant les juridictions nationales cpompétentes
contre les actes violant les droits fondamentaux, une origine latino-
américaine, comme ses travaux préparatoires l’attestent, et conpstitue une

contribution latino-américaine à la Déclaration universelle.
212. En fait, retenir l’immunité de l’Etat dans les cas les plus grapves
constitue une parodie ou un déni de justice, non seulement du point dpe
vue des victimes (et de leurs familles), mais aussi de celui du milieup social
concerné dans son ensemble. Admettre l’immunité de l’Etat enp faisant

abstraction de la gravité des violations en cause revient à dénpier la justice
à toutes les victimes (y compris leurs familles en tant que victimesp indi -
rectes, voire directes). De plus, cette acceptation empêche abusivement
l’ordre juridique de réagir en proportion du dommage causé par ples atro -
cités commises en exécution des politiques de l’Etat.

213. La constatation de violations particulièrement graves des droits
de l’homme et du droit international humanitaire constitue selon moi pun
critère précieux pour lever tout obstacle à la compétence, apfin de réaliser
la justice. En résumé et pour conclure sur ce point : a) il n’y a pas d’im -
munité de l’Etat dans de tels cas de gravité extrême, les caps de delicta

imperii ; etb) les violations graves des droits de l’homme et du droit inter -
national humanitaire impliquent nécessairement l’obligation de répparer
au profit des victimes.

XXI. Le droit d’accès à la jupstice de l’individu:
évolution de la jurisprpudence sur la loi du Jus Cogens

214. A la différence de la CIADH, la CEDH s’était penchée sur upn
droit fondamental, comme le droit d’accès à la justice et à pun procès équi -

table (articles 6, paragraphe 1, et 13 de la convention européenne des
droits de l’homme), en s’intéressant également aux restrictions admispsibles
ou implicites. Ainsi, dans sa jurisprudence constante (arrêts rendus dansp
les affairesAshingdane c. Royaume‑Uni, le 28 mai 1985; Waite et Kennedy
c. Allemagne, le 18 février 1999 ; T. P. et K. M. c. Royaume‑Uni, le

10 mai 2001; Z. et autres c. Royaume‑Uni, le 10 mai 2001 ; Cordova c. Ita ‑
lie, le 30 janvier 2003 ; Ernst c. Belgique, le 15 juillet 2003, entre autres), la
CEDH a énoncé les critères appliqués pour déterminer si upne restriction
est admissible, à savoir la poursuite d’un objectif légitime, lpa proportion -
nalité et l’absence d’atteinte à l’essence du droit.

215. Cette souplesse a été utile à la majorité de la CEDH (Grandpe
Chambre) dans les décisions rendues en matière d’immunité (voir sec -
tion XII supra). Mais il convient de remarquer que l’affaire Ashingdane, la
première dans laquelle la CEDH a adopté cette approche insuffisanpte
d’un droit fondamental comme le droit d’accès à la justice, n’était pas une

affaire de violations graves des droits de l’homme concernant plusipeurs

161

6 CIJ1031.indb 319 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 257

victimes; il s’agissait d’un cas individuel unique de violations allégupées
des paragraphes 1 et 4 de l’article 5 et du paragraphe 1 de l’article 6 de la
convention européenne, la CEDH n’ayant relevé aucune violation pde ce

dernier. En résumé, c’est selon moi en tant que tel, et non du ppoint de vue
des restrictions admissibles ou «implicites», qu’un droit fondamental doit
être envisagé.

216. De l’autre côté de l’Atlantique, la CIADH a pour sa part accpordé
beaucoup plus d’attention à l’essence du droit fondamental d’paccès à la
justice lui-même, et non à ses «restrictions». Ces dernières n’ont jamais été
utilisées ni invoquées — à ce jour — pour admettre l’ipmmunité de l’Etat.

La CEDH a laissé une « marge d’appréciation» aux Etats contractants,
mais la CIADH n’a pas fait la même chose (au moins pas à l’pépoque où
j’en étais membre). De ce fait, cette dernière a envisagé lpe droit d’accès à la

justice (articles 8 et 25 de la convention américaine relative aux droits de
l’homme) comme un véritable droit fondamental, ne laissant pas beaucoup
de place aux « restrictions». Le principal souci a été de garantir ce droit.

217. Le jugement par la CIADH d’affaires de violations des droits de
l’homme d’une certaine gravité a amené une évolution jurisprudentielle
soulignant le caractère fondamental du droit d’accès à la jupstice. Ce droit

revêt un caractère impératif face à un crime d’Etat: c’est un véritable droit
au Droit, un droit à un ordre juridique qui protège effectivement les drpoits
fondamentaux de la personne humaine 245, qui assure l’intangibilité des

garanties judiciaires (articles 8 et 25 de la convention américaine) en
toutes circonstances. Nous sommes ici, pour résumer, dans le domaine pdu
jus cogens 246, comme la CIADH elle-même l’a reconnu dans ses arrêts

dans les affaires Goiburú et autres c. Paraguay (du247 septembre 2006) et
La Cantuta c. Pérou (du 29 novembre 2006) .
218. La CEDH aurait pu parvenir à une conclusion similaire si sa

majorité avait développé son raisonnement sur les dispositions correspon -
dantes (articles 6, paragraphe 1, et 13 de la convention européenne) en
faisant porter son attention sur l’essence du droit d’accès àp la justice et
non sur ses « restrictions» admissibles ou implicites. Si elle l’avait fait,

245
CIADH, affaire Myrna Mack Chang c. Guatemala, arrêt du 25 novembre 2003,
opinion individuelle du juge Cançado Trindade, par. 9-55.
246CIADH, affaire du Massacre de Pueblo Bello, concernant la Colombie, arrêt du
31 janvier 2006, opinion individuelle du juge Cançado Trindade, par. 60-62 et 64.
247Par. 131 et 160, respectivement. Sur cette construction jurisprudentielle, voir
A. A. Cançado Trindade, « The Expansion of the Material Content of Jus Cogens : The
Contribution of the Inter-American Court of Human Rights », La convention européenne
des droits de l’homme, un instrument vivant — Mélanges en l’honneur de Ch. L. Rozakis (dir.

publ., D. Spielmann et al.), Bruxelles, Bruylant, 2011, p. 27-46 ; A. A. Cançado Trindade,
«Jus Cogens : The Determination and the Gradual Expansion of Its Material Content in
Contemporary International Case Law », XXXV Curso de Derecho Internacional Organi ‑
zado por el Comité Jurídico Interamericano — 2008, Washington D.C., Secrétariat général
de l’OEA, 2009, p. 3-29 ; A. A. Cançado Trindade, « La Ampliación del Contenido Mate-
rial del Jus Cogens », XXXIV Curso de Derecho Internacional Organizado por el Comité
Jurídico Interamericano — 2007, Washington D.C., Secrétariat général de l’OEA, 2008,
p. 1-15.

162

6 CIJ1031.indb 321 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 258

comme elle aurait dû, la majorité de la Cour n’aurait pas admisp l’immu -
nité de l’Etat (voir section XII supra). Selon moi, les articles 6 et 13 de la
convention européenne — comme les articles 8 et 25 de la convention

américaine — indiquent une direction totalement différente, ept ne sont
pas du tout « limités» en ce qui concerne l’immunité de l’Etat.
219. Autrement, les Etats pourraient perpétrer de graves violations des
droits de l’homme (par exemple massacrer des êtres humains ou lesp

contraindre à un travail forcé) et s’en tirer en invoquant l’immunité de
l’Etat, une situation de non-droit. Bien au contraire, les Etats partpies sont
tenus, en application des articles 6 et 13 de la convention européenne, d’ac -
corder des recours (internes) effectifs et un procès équitablep, avec toutes les

garanties judiciaires nécessaires, en toutescirconstances. C’est le propre de
l’état de droit, visé dans le préambule de la convention eurpopéenne. Il n’y a
pas de place ici pour le privilège de l’immunité de l’Etat 248; lorsqu’il n’y a
pas de droit d’accès à la justice, il n’y a pas du tout de spystème juridique. Le

respect du droit d’accès à la justice est impératif, il n’pest pas «limité» par
l’immunité de l’Etat; nous sommes ici dans le domaine du jus cogens.
220. Peu importe que l’acte préjudiciable violant gravement les droits p
de l’homme ait été commis par un gouvernement (jure imperii) ou par

une personne privée avec l’acquiescement de l’Etat (jure gestionis), ou
qu’il ait été commis ou non entièrement dans l’Etat du fopr (déportation
en vue d’un travail forcé dans le cadre d’un crime transfrontièpre). Cette
formulation traditionnelle — dont la pauvreté théorique est manifeste —
n’a rien à voir avec ce qui nous importe ici, à savoir l’imppératif de réalisa -

tion de la justice dans les cas de violations graves des droits de l’homme
et du droit international humanitaire. L’immunité de l’Etat n’pa pas cours
dans le domaine de la réparation des violations graves de droits fondpa -
mentaux de la personne humaine.

XXII. Sortir du non-droit : le droit au Droit
de la victime individueplle

221. Cela m’amène au droit d’accès à la justice, dans la dimenpsion qui
lui est propre : le droit d’accès à la justice lato sensu comprend non seule -
ment l’accès formel à la justice (le droit d’engager une inpstance judiciaire)

au moyen d’un recours effectif, mais aussi les garanties d’une procédure
régulière (l’égalité des armes assurant un procès équitable) jusqu’au juge -
ment (en tant que prestation juridictionnelle), son exécution scruppuleuse
et l’octroi de la réparation due. La réalisation de la justice pest en elle-

même une forme de réparation, accordant satisfaction à la victime. De

248Voir, sur ce point, J. Bröhmer, State Immunity and the Violation of Human Rights,
La Haye, Nijhoff, 1997, p. 164, 181 et 186-188; W. P. Pahr, «Die Staatenimmunität
und Artikel 6 Absatz 1 der Europäischen Menschenrechtkonvention », Mélanges offerts
à P. Modinos — Problèmes des droits de l’homme et de l’unification européen▯ne, Paris,
Pedone, 1968, p. 222-232.

163

6 CIJ1031.indb 323 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 259

cette manière, les victimes de l’oppression voient leur droit au Dproit
dûment réalisé.
222. Je n’ai pas l’intention de m’attarder beaucoup plus sur ce poinpt, je
l’ai fait ailleurs4, mais seulement de le mentionner dans le cadre de mon
raisonnement dans la présente opinion dissidente. Je me contenterai dpe

rappeler que, dans sa jurisprudence constante, la CIADH a à juste titpre
tenu compte en même temps des dispositions connexes sur le droit àp un
recours effectif et les garanties judiciaires (articles 8 et 25 de la conven -
tion américaine relative aux droits de l’homme), alors que la CEDH n’pa
commencé que plus récemment, durant la dernière décennie, àp partir de

l’affaire Kudla c. Pologne (arrêt du 18 octobre 2000), à suivre la même
approche, en réunissant les articles 6, paragraphe 1, et 13 de la conven -
tion européenne des droits de l’homme. Cela est rassurant, car cesp deux
dispositions se renforcent mutuellement, au bénéfice des personnpes proté -

gées. La construction jurisprudentielle de ces deux juridictions internatio -
nales des droits de l’homme est en train de converger en ce qui conceprne
le droit d’accès à la justice lato sensu.
223. Le droit de l’individu à réparation, comme je l’ai déjàp souligné,
fait partie du droit d’accès à la justice. Dans l’affaire pHornsby c. Grèce

(arrêt du 19 mars 1997), la CEDH, après avoir rappelé le droit d’engager
une instance devant un tribunal et le droit à des garanties procédpurales, a
ajouté que le droit d’accès à la justice serait « illusoire» si le système juri -
dique ne prévoyait pas une décision judiciaire contraignante finpale et opé-

rante; pour la CEDH, un jugement qui n’est pas dûment exécuté aboputit
à une situation incompatible avec l’état de droit que les Etatsp parties se
sont engagés à respecter lorsqu’ils ont ratifié la conventpion européenne.
224. La construction jurisprudentielle faisant entrer le droit d’accès pà la
justice dans le domaine du jus cogens (supra) est selon moi extrêmement

pertinente en l’espèce, pour asseoir l’évolution en cours dup droit internatio -
nal contemporain sur des fondements humanistes. Dans cette perspective, pil
est extrêmement regrettable que la convention des Nations Unies sur les
immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens de 2004 ignorpe de
manière olympienne les incidences du jus cogens. Les travaux préparatoires

montrent que ses rédacteurs ont eu l’occasion d’en tenir dûmpent compte,
mais ils ont tout simplement préféré ne pas le faire : ils ont abandonné la
question en 1999, lorsque le groupe de travail de la CDI a été évasif sur cpe
point, et que le groupe de travail de la Sixième Commission de l’Apssemblée

générale des Nations Unies a affirmé que la question « ne sembl[ait] pas
assez mûre» pour être codifiée (affirmation que la Cour a rappeléep en l’ap -
prouvant dans le présent arrêt, par. 89).
225. Cela n’est tout simplement pas vrai car, à cette époque, la CIApDH
et le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) pétaient

déjà en train, dans leur jurisprudence, d’élargir la portépe matérielle du
jus cogens (il s’agit des deux juridictions internationales contemporaines

249A. A. Cançado Trindade, Evolution du droit international au droit des gens — L’accès

des individus à la justice internationale…, op. cit. supra note 243, p. 113-119.

164

6 CIJ1031.indb 325 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 260

qui ont le plus contribué à cette évolution à ce jour) . Il existait, en outre,

d’autres manifestations du droit international contemporain qui auraipent
pu être prises en compte, mais ne l’ont pas été. La conventipon des
Nations Unies de 2004, qui n’est pas encore entrée en vigueur, a étép vive -
251
ment critiquée pour n’avoir pas abordé le problème des immunités juri-
dictionnelles de l’Etat face aux violations graves des droits de l’homme et
du droit international humanitaire.

226. Les rédacteurs de cette convention étaient conscients du pro -
blème, mais le groupe de travail de la CDI ainsi que celui de la Sixipème
Commission de l’Assemblée générale, estimant que la question n’était
«pas mûre », ont choisi la facilité afin que la convention soit conclue et

approuvée, le problème restant sans solution et empreint d’incertitude,
comme en témoigne la présente affaire concernant les Immunités juridic ‑
tionnelles de l’Etat. Pire encore, la majorité de la CEDH (Grande

Chambre), dans l’affaire Al‑Adsani (voir supra), a invoqué cette omission
des rédacteurs de la convention des Nations Unies de 2004 pour aboutir
à sa décision très critiquée en 2001 252et, plus d’une décennie plus tard, la

majorité de la Cour fait la même chose dans l’arrêt (par. 89-90) adopté
aujourd’hui dans la présente affaire. Je ne puis en aucune manièpre accep -
ter que le droit international contemporain soit ainsi « gelé», d’où le soin

que j’ai pris pour élaborer et présenter mon opinion dissidentep.

XXIII. Vers la primauté de la reCta ratIo ,

qui ne disparaît jamaips

227. Les violations graves des droits de l’homme et du droit internatio -

nal humanitaire constituent des violations du jus cogens qui engagent la
responsabilité de l’Etat avec des circonstances aggravantes, et oupvrent un
droit à réparation aux victimes. Cela est conforme à l’idépe de rectitude

(conformément à la recta ratio du droit naturel), qui sous-tend la concep -
tion du droit (dans les différents systèmes juridiques — Recht/diritto/droit/
direito/derecho/right) dans son ensemble. Avant de passer à mon point
suivant, je me permettrai, à ce stade de la présente opinion dissipdente, de

soulever simplement les questions que de fait je juge approprié de popser.

250 Voir note 247 supra.
251Par exemple L. Caflisch, « Immunité des Etats et droits de l’homme : Evolution
récente », Internationale Gemeinschaft und Menschenrecht — Festschrift für G. Ress,

Cologne/Berlin, C. Heymanns Verlag, 2005, p. 937-938, 943 et 945 ; C. Keith Hall,
«U N Convention on State Immunity : The Need for a Human Rights Protocol », Inter‑
national and Comparative Law Quarterly, vol. 55 (2006), p. 412-413 et 426; L. McGregor,
«Torture and State Immunity : Deflecting Impunity, Distorting Sovereignty », European
Journal of International Law, vol. 18 (2007), p. 903-904, 914 et 918-9; L. McGregor,
«State Immunity and Jus Cogens », International and Comparative Law Quarterly, vol. 55
(2006), p. 437-439 et 445.
252 La CEDH (Grande Chambre) a évoqué en détail cette omission dup groupe de travail
de la CDI en 1999 aux paragraphes 23-24, 62-63 et 65-67 de son arrêt du 21 novembre 2001
dans l’affaire Al‑Adsani.

165

6 CIJ1031.indb 327 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 261

Quand les êtres humains tireront-ils des enseignements du passé ? Quand
tireront-ils des enseignements des souffrances terribles des généprations
précédentes, du type de celles constituant les origines factuellesp de la pré-

sente affaire? S’ils n’ont (comme il semble) rien appris jusqu’ici, peut-êptre
n’apprendront-ils jamais rien.
228. Quand cesseront-ils de déshumaniser leurs frères humains ?
Comme ils n’ont pas cessé à ce jour, peut-être ne le feront-pils jamais.

Quand traduiront-ils dans leurs lois les valeurs supérieures (neminem lae ‑
dere) nécessaires pour vivre dans la paix et la justice ? Comme ils ne l’ont
pas encore fait, peut-être ne le feront-ils jamais. Selon toute probapbilité,
ils continueront à vivre avec le mal, en se soumettant à lui. Pourptant,

même dans cette sombre perspective, les tentatives faites pour assurepr la
primauté de la recta ratio ne semblent non plus jamais disparaître, don -
nant à penser que, dans la quête éternelle de la justice, un esppoir demeure
qui n’aboutit jamais, comme dans le mythe de Sisyphe.

229. Il n’est ainsi pas surprenant de constater que le problème (sous-p
jacent) du mal a été tout au long de l’histoire de la pensépe humaine et
demeure une préoccupation majeure. Comme le révérend père Seprtillanges
l’a souligné avec lucidité après la seconde guerre mondiale,p durant des

siècles philosophes, théologiens et écrivains ont appelé l’pattention sur ce
problème, sans toutefois y trouver une solution définitive et enptièrement
satisfaisante. Pour lui, « l’angoisse du mal s’impose à toutes les âmes, à
tous les groupes et à toutes les civilisations… Le problème du pmal met en
cause la destinée de chacun, l´avenir du genre humain. » 253
e
230. Les effets des politiques étatiques criminelles planifiées du pIIR I eich
ont été décrits par divers contemporains de ces années de pépnombre. Les
romans historiques des années 1930 d’une personne sensible comme Klaus
Mann, par exemple, tout en critiquant les intellectuels qui se sont laispsé

coopter par le nazisme (dans Mephisto, publié en 1936) ou en décrivant le
drame de ceux qui se sont exilés pour échapper aux persécutionsp (dans Le
volcan, publié en 1939), sont empreints de prémonitions du cataclysme
sociétal qui allait bientôt se produire (comme un volcan déjàp en éruption)
254
et devait victimiser des millions d’êtres humains , parmi lesquels des res-
sortissants des pays occupés astreints au travail forcé.

231. En fait, tout au long du siècle dernier, des Etats ont effectivemenpt

mené des politiques criminelles par l’intermédiaire de ceux quip parlaient et
agissaient en leur nom (car les institutions n’ont pas de consciencep morale)
et victimisé des millions d’êtres humains, engageant leur respopnsabilité pour
toutes sortes de violations graves des droits de l’homme et du droit pinterna -

tional humanitaire. Les faits sont pleinement documentés aujourd’hui par
les historiens. Ce qui doit être davantage développé, cette foips par les

253A.-D. Sertillanges, Le problème du mal — L’histoire, Paris, Aubier, 1948, p. 5.

254Voir K. Mann, Mefisto [Mephisto, 1936], Barcelone, Debolsillo, 2006 (rééd.),
p. 31-366; K. Mann, Le volcan [1939], Paris, Grasset, 1993, p. 9-404.

166

6 CIJ1031.indb 329 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 262

juristes, c’est la responsabilité des Etats eux-mêmes (outre cpelle de leurs

agents) pour les crimes perpétrés, responsabilité qui de tempsp à autre, au fil
des décennies, a fait l’objet d’études assez solitaires maisp pénétrantes . 255
232. La souffrance humaine causée par ces atrocités (relatées danps les

comptes rendus et témoignages historiques de survivants) ne peut guère être
mesurée, dépasse l’imagination et est tout simplement dévastpatrice. De plus,
la souffrance se projette dans le temps, en particulier si les victimes de viola -

tions graves de leurs droits n’ont pas obtenu justice. D’après pmon expérience
de l’examen des affaires de massacres par une juridiction internatiponale (la
CIADH), il existe des cas dans lesquels, de nombreuses années aprèps les faits,
les victimes survivantes (ou leurs ayants droit) continuent de rechercher une
256
reconnaissance judiciaire de leur souffrance . Contrairement à ce que l’on
aurait tendance à supposer, la souffrance humaine ne s’efface ppas toujours
avec le passage du temps: elle peut aussi augmenter face à l’injustice mani -

feste, en particulier dans les cultures qui cultivent avec sagesse les lpiens entre
les vivants et leurs morts. La souffrance humaine, dans les cas d’injustice
persistante, peut se projeter dans la dimension intergénérationnelple.

233. Le lucide penseur allemand Max Scheler (1874-1928), dans un
essai publié après sa mort (Le sens de la souffrance, 1951), se déclarait
convaincu que toutes les souffrances des êtres humains ont un sens et que
257
plus elles étaient profondes, plus dure était la lutte contre leurs causes .
Et, dans un de ses écrits pénétrants des années suivant la speconde guerre
mondiale (un essai initialement publié en 1953), l’éminent philosophe alle -
mand Karl Jaspers (1883-1969) a fait observer que la raison n’existe « que

par décision », elle « découle de la liberté », elle est inséparable de l’exis -
tence elle-même; bien que nous sachions que nous sommes tous à la merci
d’événements échappant à notre contrôle, « [l]a raison ne peut être solide
258
que dans la force de la Raison elle-même » .
234. Peu après, dans son ouvrage Origine et sens de l´histoire (1954),
Karl Jaspers a clairement exprimé sa conviction selon laquelle :

«… C’est sur [le droit naturel] que se fonde le droit des gens, surp lui

que se constituerait une juridiction, dans l´ordre mondial, pour protpé -
ger l’individu contre les abus de l’Etat en lui permettant de recourir à
une justice efficace, exercée au nom de l’humanité souveraine.p
… [O]n peut démontrer que l’Etat totalitaire, la guerre totale sont

contraires au droit naturel, non seulement parce qu’ils prennent pour

255Voir par exemple Vespasien V. Pella, La criminalité collective des Etats et le droit

pénal de l’avenir, Bucarest, Imprimerie de l’Etat, 1925, p. 1-340 ; Roberto Ago, « Le délit
international »,RCADI, vol. 68 (1939), p. 419-545 ; Pieter N. Drost, The Crime of State —
Book I : Humanicide, Leyde, Sijthoff, 1959, p. 1-352 ; J. Verhaegen, Le droit international
pénal de Nuremberg — Acquis et régressions, Bruxelles, Bruylant, 2003, p. 3-222.
256Voir A. A. Cançado Trindade, El Ejercicio de la Función Judicial Internacional —
Memorias de la Corte Interamericana de Derechos Humanos, Belo Horizonte/Brésil, Edit.
Del Rey, 2011, p. 159-165.
257M. Scheler, Le sens de la souffrance, Paris, Aubier, 1951, p. 5 et 27.
258K. Jaspers, Reason and Anti‑Reason in Our Time [1953], Hamden/Conn., Archon
Books, 1971 (rééd.), p. 50, 59 et 84.

167

6 CIJ1031.indb 331 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 263

un but ce qui est moyens et conditions de la vie, mais aussi parce
qu’ils proclament la valeur absolue des moyens, détruisant ainsi le

sens de l’ensemble, les droits de l’homme.
Le droit naturel se borne à organiser les conditions vitales[,] …
actualiser en ce monde la condition humaine dans son intégralité.» 259

235. Dans un essai éclairant publié en Allemagne peu après la guerrep,
en 1946 (sous le titre Die Schuldfrage/La question de la culpabilité), tiré d’un

cours donné durant l’hiver 1945-1946 à l’Université d’pHeidelberg, et qui a
toujours été réédité depuis et a survécu au passage dup temps, K. Jaspers
distinguait entre culpabilité pénale, culpabilité politique, cuplpabilité morale

et culpabilité métaphysique, en s’efforçant d’établipr, dans la responsabilité
personnelle, des degrés proportionnels à la participation aux faitps en cause.
Dans un passage de cet essai, K. Jaspers, au sujet de la « différenciation de
la culpabilité allemande», rejetant les excuses se fondant sur la souveraineté

de l’Etat, affirmait, en ce qui concerne la seconde guerre mondiale:

«Cette fois il n’est pas douteux que l’Allemagne ait préparé pméthodi -
quement la guerre et qu’elle l’ait commencée sans provocation venue de
l’autre côté. C’est tout différent de 1914… [L’] pAllemagne a commis de
nombreuses actions … contraires au droit des gens, qui menaient à pl’ex -
260
termination de populations entières et à d’autres faits inhumaipn»s.

236. Il a ensuite énoncé la question, en ces termes : «Comment peut-on
parler de crime dans le domaine de la souveraineté politique ?», évoquant
«une habitude de pensée issue de la tradition de la vie politique en
Europe». Et il a ajouté que

«les chefs d’Etat … sont des hommes, et ils sont responsables de lepurs

actes… Les actes de l’Etat sont en même temps des actes personnpels. Ce
sont des individus qui en portent la responsabilité… [A]u sens de pl’hu -
manité, des droits de l’homme et du droit naturel … il existe dpéjà des
lois pouvant servir de normes à la détermination des crimes» .261

En fait, tout au long de la procédure devant la Cour dans la présente

affaire des Immunités juridictionnelles de l’Etat, l’Allemagne a reconnu sa
responsabilité en tant qu’Etat (voir par. 24-31) à raison des faits histo -
riques qui sont à l’origine du présent cas d’espèce.
237. De plus, durant les dernières décennies, elle a accordé des indpemni -

sations en des occasions et circonstances distinctes. En outre, à plupsieurs
occasions, l’Allemagne — patrie de penseurs et d’auteurs universels comme,
par exemple, E.Kant (1724-1804) et J.W. Goethe (1749-1832) — a exprimé

259 K. Jaspers, Origine et sens de l’histoire, Paris, Libr. Plon, 1954, p. 245.

260
K. Jaspers, The Question of German Guilt, New York, Fordham University Press,
2001 (rééd.), p. 47 ; et voir K. Jaspers, La culpabilité allemande, Paris, Editions de Minuit,
200261rééd.), p. 64-65.
K. Jaspers, The Question of German Guilt, op. cit. supra note 260, p. 49-50 ; et voir
K. Jaspers, La culpabilité allemande, op. cit. supra note 260, p. 66.

168

6 CIJ1031.indb 333 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 264

des excuses publiques, dont la fameuse excuse silencieuse de l’ex-chapncelier
Willy Brandt à Varsovie (Pologne) le 7 décembre 1970 est un exemple,

parmi d’autres actes de contrition successifs. Cela étant, je me demande
pourquoi l’Allemagne n’a pas encore versé de réparations aux internés mili -
taires italiens survivants qui n’en ont pas reçu à ce jour (voir infra), au lieu

de porter la présente affaire devant la Cour.
238. Selon moi, dans le présent arrêt, la Cour pouvait et devait faire p
davantage qu’estimer «surprenant» et «regrettable» (par. 99) que la situa -
tion des internés militaires italiens ne soit toujours pas réglépe. En effet,

tenter de faire abstraction des graves violations des droits de l’homme et du
droit international humanitaire, ou tenter de les assimiler à un quelpconque
«délit civil », est comme essayer de bloquer la lumière du soleil avec un
bandeau. Même dans le domaine des immunités de l’Etat propremenpt dit,

il a été reconnu qu’une évolution était intervenue dans lpe sens d’une limita -
tion ou d’un refus de ces immunités en cas de violations graves, epn raison
de l’apparition du droit international des droits de l’homme, l’pattention

s’étant portée sur le droi262’accès à la justice et l’pobligation internationale
de rendre des comptes .
239. Il existe aujourd’hui dans l’opinion une tendance croissante en
faveur de l’absence d’immunité en cas de crimes internationaux pdont les
263
victimes demandent réparation . En effet, admettre l’absence d’immunité
de l’Etat en matière de relations commerciales ou en ce qui concerpne les
quasi-délits (par exemple les accidents de la route), et insister dpans le même
temps pour que les Etats puissent s’abriter derrière l’immunitép en cas de

crimes internationaux — marqués par des violations graves des droits de
l’homme et du droit international humanitaire — en exécution dep poli -
tiques (criminelles) d’Etat, constitue selon moi une absurdité jpuridique.

XXIV. Le droit des individus à préparation
en tant que victimes dpe violations graves desp droits de l’homme

et du droit internatiopnal humanitaire

1. Obligation de l’Etat d’accorder une réparation

aux victimes individuelles

240. Dès 1927-1928, la CPJI a expressément conféré une reconnais -
sance judiciaire à un précepte du droit international coutumier, rpeflétant
un principe fondamental du droit international, estimant que

262Voir [divers auteurs], Le droit international des immunités :contestation ou consolida‑
tion ?(colloque de Paris de 2003, dir. publ., J. Verhoeven), Paris/Bruxelles, LGDJ/Larcier,
2004, p. 6-7, 52-53 et 55.
263
Voir ibid., p. 121, et voir p. 128-129, 138 et 274. Voir aussi M. FImmunità e
Crimini Internazionali — L’Esercizio della Giurisdizione Penale e Civile nei Confronti degli
Organi Statali Sospettati di Gravi Crimini Internazionali, Turin, G. Giappichelli Edit., 2007,
p. 135, 140 et 307-309 ;[divers auteurs], Droit des immunités et exigences du procès équitable
(colloque de Paris de 2004, dir. publ., I. Pingel), Paris, Pedone, 2004, p. 20, 31, 150 et 152.

169

6 CIJ1031.indb 335 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 265

«la violation d’un engagement entraîne l’obligation de réparepr dans
une forme adéquate. La réparation est donc le complément indisppen -

sable d’un manquement à l’applicaoion d’une convention. » (Usino de
Chorzów, compétence, arrêt n 8, 1927, C.P.J.I. série A n 9, p. 21.)

La CPJI ajoutait que la réparation « doit, autant que possible, effacer
toutes les conséquences de l’acte illicite et rétablir l’éptat qui aurait vrai -
semblablement existé si ledit acte n’avait pas été commis » (Usine de
Chorzów, fond, arrêt n o 13, 1928, C.P.J.I. série A n 17, p. 29 et 47-48).

241. Dans la présente affaire concernant les Immunités juridictionnelles
de l’Etat, comme on l’a indiqué, l’Allemagne elle-même a reconnu sa rpes -
ponsabilité en tant qu’Etat pour les violations graves des droits pde

l’homme et du droit international humanitaire qui sont à l’origpine de la
présente affaire (voir section III supra). L’obligation de l’Etat de réparer
en découle nécessairement, en tant que « complément indispensable » de

ces violations graves. Comme l’indique en outre la jurisprudence consptante
de la CPJI, déjà entre les deux guerres, cette obligation est répgie par le
droit international dans tous ses aspects (par exemple quant à sa poprtée,
ses formes et ses bénéficiaires) ; son exécution ne saurait être soumise à

modification ou à suspension par l’Etat défendeur en invoquanpt les dispo -
sitions, interprétations ou difficultés touchant son droit internpe (Compé ‑
tence des tribunaux de Dantzig, avis consultatif, 1928, C.P.J.I. séri▯e B
no 15, p. 26-27 ; « Communautés» gréco‑bulgares, avis consultatif, 1930,
o
C.P.J.I. série B n 17, p. 32 et 35 ; Zones franchos de la Haute‑Savoie et du
Pays de Gex, arrêt, 1932, C.P.J.I. série A/B n 46, p. 167 ; Traitement des
nationaux polonais et des autres personnes d’origine ou de langue pol▯onaise
dans le territoire de Dantzig, avis consultatif, 1932, C.P.J.I. série▯ A/B
o
n 44, p. 24).
242. Le droit des individus à réparation en tant que victimes de viola -
tions graves des droits de l’homme et du droit international humanitapire a
été beaucoup débattu devant la Cour dans la présente espèce. A cet égard,

l’Allemagne a fait valoir qu’en droit international général pil n’existe pas de
droit individuel à réparation, « et en tout cas pas en ce qui concerne les
dommages de guerre » 264. Selon elle, « l’article 3 de la quatrième conven -
tion de La Haye de 1907 ainsi que l’article 91 du premier protocole addi -

tionnel de 1977 aux quatre conventions de Genève ne portent [en raison de
leur structure même] que sur la responsabilité interétatique etp ne peuvent
donc avoir d’effet direct pour les personnes physiques » 26. Sur le point

plus précis de savoir si les victimes individuelles ont des droits supsceptibles
d’être invoqués devant les tribunaux, l’Allemagne fait obserpver que

«on imagine difficilement comment l’alliage peu naturel de deux
concepts différents, dont l’un — le droit à l’accès pà la justice — est
soumis à différentes limites et l’autre — le prétendu droit d’agir en

264CR 2011/17, p. 42.
265Ibid.

170

6 CIJ1031.indb 337 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 266

conséquence d’un crime de guerre — n’existe tout simplement pas de
lege lata, peut constituer une super règle du jus cogens » 26.

243. L’Italie affirme quant à elle que « la protection des droits indivi -

duels face à un privilège injuste, l’accès individuel à la justice et la répara -
tion des préjudices ont également marqué l’évolution ultéprieure de la règle
de l’immunité et des exceptions à celle-ci » 267. Elle soutient en outre que

«[l]a restriction de l’immunité dans les cas où des personnes phpy -

siques intentent des actions en justice pour obtenir réparation à la
suite d’une violation grave des principes les plus fondamentaux de lap
dignité humaine garantis par des règles de jus cogens apparaît comme
268
une solution raisonnablement équilibrée ».

Elle affirme de plus que, « [l]orsque les victimes de violations de règles
fondamentales de l’ordre juridique international, privées de tout pautre
moyen de réparation, s’adressent aux juridictions nationales, les obstacles

d’ordre procédural tenant à l’immunité des Etats ne sauraient avoir pour
effet de les priver du seul recours disponible » 26.
244. La Grèce estime, elle aussi, à cet égard que « [l]’argument de base

dans la thèse des tribunaux grecs s’affirme autour de la constataption qu’il
existe un droit individuel à la réparation en cas de violations grpaves du
droit humanitaire » 270. Elle fait valoir que

«l’obligation de l’Etat d’indemniser les individus pour violatiopns des

règles du droit humanitaire semble dériver de l’article 3 de la qua -
trième convention de La Haye de 1907, même si elle n’y est pas expli-
citement exprimée et même si les individus avaient besoin de la

médiation de l’Etat ménagée par des traités interétatipques… Cela est
attesté par le fait qu’il n’y a pas exclusion des individus du ptexte de
l’article 3. Ce raisonnement ressort également des travaux prépara -
271
toires de la deuxième Conférence [de paix] de La Haye. »

245. Le droit individuel à réparation est bien établi en droit interpnational
des droits de l’homme, et il repose sur une très abondante jurisprpudence des
tribunaux internationaux des droits de l’homme (par exemple les courps euro -
272
péenne et interaméricaine) en la matière . En outre, le droit international

266 CR 2011/17, p. 45.
267 Contre-mémoire de l’Italie, par. 4.22.
268 Ibid., par. 4.101.
269
270 Ibid., par. 4.103.
CR 2011/19, p. 22.
271 Ibid., p. 22-23.
272La jurisprudence en la matière de la CIADH a été particulièrpement remarquée, pour
la diversité des formes des réparations qu’elle a accordées aux victimevoir par exemple
[divers auteurs], Réparer les violations graves et massives des droits de l’hommla Cour
interaméricaine, pionnière et modèle ?, op. cit. supra note 67, p. 17-334 ; [divers auteurs], Le

particularisme interaméricain des droits de l’homme (dir. publ., L. Hennebel et H. Tigroudja),
Paris, Pedone, 2009, p. 7-413 ; [divers auteurs], Reparations for Victims of Genocide, War
Crimes and Crimes against Humanity — Systems in Place and Systems in the Making (dir.
publ., C. Ferstman, M. Goetz et A. Stephens), Leyde, Nijhoff, 2009, p. 217-282.

171

6 CIJ1031.indb 339 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 267

public lui-même a connu une évolution continue en ce qui concerne les rép -ap

rations en cas de demandes individuelles liées à la guerre, considpérées tra-di
tionnellement comme étant comprises dans les accords de paix entre Etats. A
partir des années 1990, on a tenté de restructurer cette approche classique

dans le cadre de la démarche nouvelle consistant à faire juger lesp demandes
individuelles par les «tribunaux de droit commun» 27. Après tout, les vic-
times ultimes des violations du droit international humanitaire sont desp i-ndi

vidus, non des Etats.
246. Les individus contraints au travail forcé dans l’industrie de guerpre
allemande (1943-1945), ou les proches parents de ceux qui ont étép assassi -
nés à Distomo (Grèce) ou à Civitella (Italie) en 1944, durant la seconde

guerre mondiale, ou ont été victimes d’autres atrocités d’pEtat, sont (avec
leurs ayants droit) les titulaires du droit à réparation correspondant. Les
victimes sont de véritables titulaires de droits, y compris le droit à répara -

tion, comme cela est généralement reconnu de nos jours. Des illustprations
en existent également dans le domaine du droit international humanitapire.
Une étude du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) sur lpes
274
règles du droit international humanitaire coutumier peut être évoquée
à cet égard. La règle 150 se lit comme suit : «L’Etat responsable de viola -
tions du droit international humanitaire est tenu de réparer intégpralement
275
la perte ou le préjudice causé. » Quant à la question plus précise de « la
réparation … demandée directement par des personnes privées », la
règle 150 indique que la « tendance est de plus en plus à autoriser les per -
sonnes victimes de violations du droit international humanitaire à depman -
276
der directement réparation à l’Etat responsable » .
247. De plus, dans son rapport de 2004 au Secrétaire général des
Nations Unies, la commission internationale d’enquête sur le Darfour,

après avoir affirmé que les violations graves des droits de l’homme et du
droit international humanitaire «pouvaient engager non seulement la res -
ponsabilité pénale individuelle de leur auteur mais aussi la responsabilité

internationale de l’Etat (ou de l’entité quasi étatique) dpont celui-ci est
l’agent», a ajouté que cette responsabilité internationale signifie pque
«l’Etat (ou l’entité quasi étatique) doit verser une indemnpisation aux vic -
times» (par. 593).

273R. Dolzer, «The Settlement of War-Related Claims :Does International Law Reco-
gnize a Victim’s Private Right of Action ? Lessons After 1945 », Berkeley Journal of Inter‑
national Law, vol. 20 (2002), p. 296.
27CICR, Droit international humanitaire coutumier (dir. publ., J.-M. Henckaerts et

L. Doswald-Beck), vol. I : Règles, Genève/Cambridge, Cambridge University Press, 2005,
en 275ticulier p. 537-550.
Ibid., p. 537 ;selon le commentaire joint à la règle, selon la pratique des Etats, cette
règle constitue « une norme de droit international coutumier applicable dans les conflitps
armés tant internationaux que non internationaux ».
276Ibid., p. 541 ; à cet égard, la règle 150 renvoie au paragraphe 2 de l’article 33 des
articles de la CDI sur la responsabilité de l’Etat et au commentaipre y relatif, et affirme que
des réparations ont été accordées directement aux victimes ipndividuelles dans le cadre de
différentes procédures allant de mécanismes mis en place par pdes accords interétatiques à des
actions en réparation intentées par des individus directement devant les tribunaux nationaux.

172

6 CIJ1031.indb 341 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 268

248. Après avoir souligné l’impact du droit international des droitsp de
l’homme dans les domaines de la responsabilité de l’Etat, la commission
a déclaré dans le même rapport de 2004 que de nos jours « la tendance
majoritaire [voulait] que l’indemnisation, au titre de la responsabilité des
Etats, soit versée non seulement aux Etats mais aussi aux particulierps »

(p. 151, note 217). La commission concluait dans ce rapport que, eu égard
au droit international des droits de l’homme,

«il est permis d’affirmer qu’à l’heure actuelle, en cas de vpiolation
grave des droits de l’homme constituant un crime de droit internatio -
nal, le droit international coutumier non seulement reconnaît la res -
ponsabilité pénale des auteurs de la violation, mais aussi impose pà

l’Etat ou aux Etats dont ils sont ressortissants ou dont ils sont, enp
droit ou en fait, les agents l’obligation de réparer (y compris ppar une
indemnisation) le préjudice causé » (par. 598).

249. On peut également évoquer le régime juridique de la commission
des réclamations Ethiopie-Erythrée : aux termes du paragraphe 1 de l’ar -
ticle 5 de l’accord du 12 décembre 2000 entre les gouvernements de l’Etat
d’Erythrée et de la République fédérale démocratique dp’Ethiopie, la com -

mission a été créée pour
«statuer dans le cadre d’un arbitrage obligatoire sur toutes les

demandes à raison de pertes, dommages ou préjudices formulées ppar
un gouvernement contre l’autre, et par les nationaux … d’une paprtie
contre le gouvernement de l’autre partie ou des entités appartenanpt
ou contrôlées par l’autre partie ».

De plus, le projet de déclaration de 2010 des principes de droit inteprnatio -
nal sur la réparation en faveur des victimes de conflit armé (qpuestions de

fond) du comité international de l’ADI sur la réparation en fapveur des
victimes de conflit armé, lorsqu’il envisage le droit à répparation (à l’ar -
ticle 6), reconnaît que les individus sont dans une meilleure situation enp
droit international des droits de l’homme et ne voit aucune raison popur
laquelle leur situation serait plus précaire au regard des règles pdu droit

international applicables dans les conflits armés.
250. Dans la même veine, les « principes fondamentaux et directives
concernant le droit à un recours et à réparation des victimes dpe violations
flagrantes du droit international des droits de l’homme et de violaptions
277
graves du droit international humanitaire » adoptés en 2005 énoncent,
au paragraphe 15, l’obligation des Etats d’accorder réparation aux vic -
times :

«Conformément à sa législation interne et à ses obligations jpuri -
diques internationales, l’Etat assure aux victimes la réparation dpes
actes ou omissions qui peuvent lui être imputés et qui constituentp des

277Adoptés et proclamés par l’Assemblée générale des Natipons Unies dans sa résolu -

tion 60/147 du 16 décembre 2005.

173

6 CIJ1031.indb 343 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 269

violations flagrantes du droit international des droits de l’homme pou
des violations graves du droit international humanitaire. »

Tous ces développements récents vont au-delà de la dimension stpricte -
ment interétatique traditionnelle en énonçant le droit à répparation des
victimes individuelles de violations graves des droits de l’homme et pdu
droit international humanitaire.

251. Il serait bizarre, sinon surréel, de ne pas tenir compte dans le
domaine de l’immunité de l’Etat de cette importante évolutiopn intervenue
ces dernières années. Les titulaires du droit à réparation ppour ces viola -
tions graves sont les victimes individuelles qui les ont subies. Comme je

l’ai soutenu dans l’opinion dissidente (par. 178) que j’ai jointe à l’ordon -
nance de la Cour du 6 juillet 2010 (déclarant irrecevable la demande
reconventionnelle de l’Italie) dans la présente affaire concernpant les Immu ‑
nités juridictionnelles de l’Etat, les Etats ne peuvent absolument pas renon-

cer à des droits qui ne leur appartiennent pas. On ne peut absolumentp pas
ignorer les développements importants intervenus dans certains domainpes
du droit international, comme le droit international des droits de l’phomme
et le droit international humanitaire, pour priver la personne humaine dpe
son droit à réparation. Cela aboutirait à une injustice manifespte.

252. Il me semble infondé d’affirmer que les régimes de réparatipon
pour les violations graves des droits de l’homme et du droit internatpional
humanitaire s’épuiseraient au niveau interétatique au détrimpent des indi -
vidus ayant souffert des conséquences de crimes de guerre et de cripmes

contre l’humanité. Après tout, ces individus sont les titulaireps du droit à
réparation découlant de ces graves violations du droit internationpal qui
leur ont été infligées. Interpréter le régime des réparations comme relevant
exclusivement du domaine interétatique traduirait en outre une concep -

tion totalement erronée de la situation de l’individu dans l’orpdre juridique
international. Selon ma propre conception, « la personne humaine s’est
émancipée de son propre Etat, avec la reconnaissance de ses droitsp, qui
sont antérieurs et supérieurs à ce dernier » 278. Ainsi, le régime des répara-
tions pour les violations graves des droits de l’homme et du droit inpter-

national humanitaire ne peut s’épuiser au niveau interétatique,p en laissant
finalement l’individu sans aucune réparation.

253. Il faut aussi se souvenir que les tribunaux internes ne sont pas la

seule voie ouverte aux victimes pour obtenir réparation des violationps
graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire. Ipl y a
en fait d’autres voies, dans les instances internationales, permettant aux
individus de demander et d’obtenir réparation. On peut citer à cet égard

les tribunaux et commissions mixtes des réclamations, et les organes pquasi
judiciaires créés soit par le Conseil de sécurité de l’ONpU, soit par des

278A. A. Cançado Trindade, The Access of Individuals to International Justice, Oxford
University Press, 2011, p. 209; A. A. Cançado Trindade, Evolution du droit international au
droit des gens — L’accès des individus à la justice internationale…, op. cit. supra note 243,
p. 29 et 146.

174

6 CIJ1031.indb 345 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 270

traités de paix ou à l’initiative d’Etats ou de sociétéps, et les arbitrages
relatifs à des « réclamations en sommeil » 279. Ainsi, les tribunaux natio -

naux constituent une voie permettant aux victimes d’obtenir réparaption
en fonction des circonstances de l’espèce, mais ce n’est pas lap seule. En
droit international contemporain, les tribunaux nationaux et internatio -
naux sont en contact de plus en plus étroit, dans des domaines distinpcts.

254. Par exemple, dans la protection des droits de l’individu, où il y pa
convergence entre le droit public national et le droit international, ils le
sont du fait de l’obligation des Etats d’ouvrir des recours effepctifs 28.
Dans le domaine du droit de l’intégration régionale, la procépdure de la

décision préliminaire (par exemple au titre de l’article 234 du traité créant
la Communauté européenne) constitue un autre exemple. En droit pépnal
international, le principe de complémentarité en est encore un autpre. Et
les exemples se multiplient, finissant par révéler l’unité du droit. En fait, ce

qui compte en dernière analyse est la réalisation de la justice aux niveaux
national et international. Après tout, les crimes internationaux ne spont
pas des actes jure imperii, ils demeurent des crimes quels que soient leurs
auteurs; il s’agit de violations graves des droits de l’homme et du droitp

international humanitaire dont les victimes ont droit à réparationp; l’invo -
cation de l’immunité de l’Etat ne peut écarter l’obligatipon de celui-ci d’ac-
corder réparation aux victimes individuelles.
255. En fait, la reconnaissance du droit de l’individu à réparation (qui

correspond à cette obligation de l’Etat), en tant qu’élépment du droit d’ac -
cès à la justice lato sensu de l’individu, reconnu judiciairement aujourd’hui
par la CIADH et la CEDH, s’impose encore plus pour ce qui est des

violations graves des droits de l’homme et du droit international hum▯ani ‑
taire, comme celles qui forment le contexte factuel de la présente affaipre
des Immunités juridictionnelles de l’Etat. Les immunités ne peuvent guère
être envisagées dans un vide juridique. Dès le début de la présente affaire,

durant la procédure écrite et jusqu’à la fin de la procépdure orale, le punc ‑
tum pruriens d’une divergence d’opinions majeure entre les Parties a pré -
cisément été l’opposition des immunités de l’Etat àp l’obligation de l’Etat
d’accorder réparation aux victimes de violations graves des droitsp de

l’homme et du droit international humanitaire.

256. La thèse de l’Allemagne, clairement exposée dans son mémoirep,
est que l’Italie « est … tenue de respecter le principe de l’immunité souve -

raine, qui empêche les personnes physiques d’engager des poursuiteps
contre un autre Etat devant les juridictions de l’Etat du for » (par. 47).

279
Voir par exemple E.-C. Gillard, «Reparation for Violations of International Huma-
nitarian Law », International Review of the Red Cross, vol. 85 (septembre 2003), note 851,
p. 539-545 ; et voir généralement [divers auteurs], Redressing Injustices through Mass
Claims Processes — Innovative Responses to Unique Challenges, Oxford University Press/
PCA, 2006, p. 3-425.
280 A. A. Cançado Trindade, « Exhaustion of Remedies in International Law and
the Role of National Courts », Archiv des Volkerrechts, vol. 17 (1977-1978), Tübingen,
p. 333-370.

175

6 CIJ1031.indb 347 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 271

Pour elle, « [r]ien ne justifie qu’elle méconnaisse l’immunité de l’Alle -
magne en vertu de ce principe » (par. 47). A l’opposé, la thèse de l’Italie,
exposée dans son contre-mémoire, est que

«les Etats ayant commis des violations graves des règles fondamen -
tales ne sauraient être considérés comme ayant le droit de se ppréva -
loir de l’immunité pour leurs faits illicites, même si ces dernpiers

doivent être qualifiés d’actes jure imperii. Si l’immunité était accor -
dée, cela aboutirait à un déni de justice absolu pour les victimes ainsi
qu’à l’impunité de l’Etat. » (Par. 4.110.)

Selon elle,

«[l]’ordre juridique international ne saurait, d’une part, prévoir qu’il
existe certaines règles matérielles fondamentales auxquelles il n’pest
pas permis de déroger et dont la violation ne saurait être toléprée, tout

en accordant d’autre part l’immunité à l’auteur des violations de ces
règles fondamentales dans des situations où il est clair que l’pimmu -
nité équivaut essentiellement à l’impunité » (par. 4.111).

257. Il n’est pas possible d’éluder l’examen de cette question, cpelle de
l’obligation de l’Etat d’accorder réparation aux victimes inpdividuelles de
violations graves des droits de l’homme et du droit international humpani -

taire. Il s’agit d’une obligation de l’Etat en vertu du droit ipnternational
coutumier et d’un principe général fondamental du droit. Cela mp’amène
maintenant à la question de l’exécution ou de l’inexécution, par l’Etat
responsable, de son obligation d’accorder réparation aux victimes pmen -
tionnées par l’Italie pour les violations graves commises durant lpa seconde

guerre mondiale. Je me pencherai successivement sur les points suivants :
premièrement, les catégories de victimes en l’espèce, deuxièmement, le
cadre juridique de la fondation « Mémoire, responsabilité et avenir »
(2000) et, troisièmement, l’évaluation des conclusions des Paprties.

2. Les catégories de victimes en l’espèce

258. Selon l’Italie, il y a trois catégories de victimes des violationsp sus -
mentionnées 281ayant droit à réparation, à savoir :

«i) les soldats emprisonnés qui s’étaient vu refuser le statut de ppri -
sonniers de guerre et furent soumis au travail forcé [les « internés

militaires italiens »] ;ii) les civils qui furent détenus et transférés dans
des camps de détention où ils furent soumis au travail forcé; et iii) les
populations civiles qui furent massacrées dans le cadre d’une strapté -
gie de terreur et de représailles contre les actions des combattants p
282
pour la libération » .

281L’Allemagne range également les victimes dans les trois catégorpies définies par
l’Italie ;voir mémoire de l’Allemagne, par. 13.
282Contre-mémoire de l’Italie, par. 2.8.

176

6 CIJ1031.indb 349 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 272

259. L’Italie affirme que, parmi ces catégories, « quasiment aucune n’a
été indemnisée jusqu’à présent » 283. Elle fait valoir en outre, en ce qui
concerne M. Ferrini en particulier, qu’il entre dans la catégorie ii) des

civils placés en détention et tran284rés dans les camps de dpétention pour y
être astreints au travail forcé . Si M. Ferrini avait déjà engagé une ins -
tance devant le Tribunale di Arezzo en 1998, il a aussi cherché à obtenir

réparation auprès des autorités allemandes. L’Italie fait vaploir que
M. Ferrini a décidé de ne pas présenter de demande d’indemnisatpion en
vertu de la loi du 2 août 2000 (créant la fondation « Mémoire, responsa -
bilité et avenir ») « en raison du fait qu’il n’avait pas été détenu dans un

«autre lieu de détention » au sens du premier alinéa du paragraphe 1 de
l’article 11 de la loi portant création de la fondation et qu’en outre il
n’était pas en mesure de démontrer qu’il remplissait les conditions défi -
285
nies dans les lignes directrices de la fondation » .
260. L’Italie ajoute que, « [e]n 2001, M. Ferrini, conjointement avec
d’autres demandeurs, forma également un recours constitutionnel copncer -

nant les paragraphes 1 de l’article 10, 3 de l’article 11 et 1 et 2 de
l’article 16 de la loi portant création de la fondation devant la Cour
constitutionnelle fédérale » et que « ce recours fut par la suite rejeté par
286
cette dernière » . Gardant ces faits à l’esprit, je vais maintenant exami -
ner le cadre juridique de la fondation « Mémoire, responsabilité et ave -
nir», créée en 2000.

3. Le cadre juridique de la fondation « Mémoire,
responsabilité et avenir » (2000)

261. En 1999-2000, l’Allemagne a mené des négociations diploma -
tiques avec plusieurs Etats, anciennes parties belligérantes lors de pla
seconde guerre mondiale, concernant l’octroi de réparations aux indivi -

dus qui avaient été durant la guerre astreints à un travail forpcé dans des
sociétés allemandes et dans le secteur public 28. Selon l’Italie, ces négocia-
tions furent suscitées par des actions en justice introduites par d’anciens

travailleurs forcés contre des entreprises allemandes devant les tribpunaux

283Contre-mémoire de l’Italie, par. 2.8.
284Selon l’Italie :

«Des crimes de guerre furent commis en masse contre la population civile,p et des
milliers de civils aptes au service militaire, dont M. Ferrini, M. Mantelli et M. Maietta
(dont les affaires sont citées par le demandeur dans son mémoire), furent également
transférés dans des camps de détention situés en Allemagne opu sur des territoires
contrôlés par cette dernière, où ils furent astreints au travail forcé, une autre forme
de représailles contre la population civile italienne. » (Ibid., par. 2.7.)

285Ibid., par. 2.43 (note 43). Voir le résumé des faits dans Associazione Nazionale Reduci
dalla Prigionia dall’Internamento e dalla Guerra di Liberazione (ANR▯P) et 275 autres plai ‑
gnants c. Allemagne, p. 5 (annexe 10 du contre-mémoire de l’Italie).
286Contre-mémoire de l’Italie, par. 2.43 (note 43).
287Ibid., par. 2.27. Et voir généralement J. Authers, op. cit. supra note 230, p. 420-449.

177

6 CIJ1031.indb 351 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 273

des Etats-Unis et, dans ce contexte, l’Allemagne et les Etats-Unis copnclurent
un traité prévoyant la mise en place d’un mécanisme pour le ptraitement
288
des demandes de réparation d’anciens travailleurs forcés .
262. Suite à la conclusion de cet accord, le 2 août 2000, une loi fédérale
allemande fut adoptée qui portait création de la fondation « Mémoire,
289
responsabilité et avenir » . Cette fondation avait pour objet d’indemni -
ser financièrement les personnes qui avaient été soumises au ptravail forcé
«et à d’autres injustices au cours de la période nationale-sociapliste »
(article 2, paragraphe 1, de la loi). La fondation ne versait pas directe -

ment de réparations aux individus définis dans la loi mais les vpersait à des
«organisations partenaires» qui recevaient des sommes forfaitaires déter -
minées (article 9 de la loi) 29.
263. Les catégories de personnes ayant droit à réparation étaientp ainsi

définies à l’article 11 de la loi portant création de la fondation : a) les
individus « détenus dans un camp de concentration, une autre prison ou
un autre camp, ou dans un ghetto dans des conditions comparables, et

astreints au travail forcé » (art. 11, par. 1) ; b) les individus « déportés
depuis leur pays d’origine vers le territoire du Reich allemand selonp les
frontières de 1937, ou vers un territoire occupé par l’Allemagne, et ayant
été astreints au travail forcé dans une entreprise commerciale pou au ser -

vice d’autorités publiques sur place, ou … [en] détention oup dans des
conditions de vie extrêmement difficiles de nature similaire » (art. 11,
par. 2); et c) il était expressément indiqué, ce qui est important pour la
procédure en l’espèce, que le statut des prisonniers de guerre pne donne pas

droit à des versements ou des prestations en vertu de la loi (art. 11,
par. 3) 29.
264. Ainsi, bien que la loi portant création de la fondation eût étép spé -

cifiquement adoptée pour couvrir les catégories de victimes ne rpelevant
pas des autres accords de réparation conclus par l’Allemagne, le ppara -
graphe 3 de l’article 11 de la loi portant création de la fondation excluait
expressément les prisonniers de guerre de son champ d’application,p indi -

quant que « [l]e droit à réparation ne peut être fondé sur le statut de ppri -
sonnier de guerre ». Pour ce qui est de la portée de cette disposition, le
commentaire officiel de la loi indique ce qui suit :

«le Gouvernement fédéral a expliqué cette clause d’exclusion pcomme
suit :

«Les prisonniers de guerre astreints à un travail forcé n’ont enp
principe pas droit à des versements parce que les règles du droit p

international autorisent la puissance qui les détient à engager les

288 Contre-mémoire de l’Italie, par. 2.27.
289Ci-après « la fondation ».
290
Voir B. Fassbender, « Compensation for Forced Labour in World War II : The
German Compensation Law of 2 August 2000 », Journal of International Criminal Justice,
vol291 (2005), p. 244-245 ; voir également contre-mémoire de l’Italie, par. 2.27-2.28.
Voir B. Fassbender, « Compensation for Forced Labour in World War II… »,
op. cit. supra note 290, p. 246.

178

6 CIJ1031.indb 353 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 274

prisonniers de guerre comme travailleurs. Toutefois, les personnes
libérées comme prisonniers de guerre et transformées en « travail-

leurs civils » (Zivilarbeiter) peuvent avoir droit à indemnisation
en vertu de la [loi portant création de la fondation] si les autres
conditions sont réunies. »

Toutefois, dans des « directives» adoptées en août 2001 en accord
avec le ministère fédéral des finances, le conseil d’adminpistration de
la fondation a encore limité l’effet d’exclusion de cette clapuse en déci -
dant que «les prisonniers de guerre qui ont été internés dans un camp

de concentration» ne sont pas exclus du bénéfice de la loi « parce que
dans un tel cas la discrimination et les mauvais traitements particu -
liers subis en raison de l’idéologie nationale-socialiste sont pertinents,
et que l’emprisonnement dans un camp de concentration ne peut êtrep
292
considéré comme un sort habituel en temps de guerre ».»

265. Dans ce contexte, l’avis d’un spécialiste (C. Tomuschat) concer -
nant la question du droit à réparation des « internés militaires italiens» au
regard de la loi portant création de la fondation 293 doit être cité ici. Selon
cet avis adressé au Gouvernement allemand, bien que l’Allemagne aipt

traité les personnes devant recevoir le statut de prisonniers de guerpre
comme les travailleurs forcés, elles avaient effectivement le statupt de pri -
sonniers de guerre. Selon l’avis, les « internés militaires italiens » « possé-
daient, jusqu’à leur libération finale à la fin de la sepconde guerre mondiale,

le statut de prisonniers de guerre en application des règles du droitp inter -
national, bien que le Reich allemand ait massivement contrevenu à ce
statut. En conséquence, la clause d’exclusion [article 11, paragraphe 3, de
la loi portant création de la fondation] peut en principe leur êtrpe appli -
294
quée » .
266. Ainsi, cet avis juridique a donné la priorité au statut de jure des
internés militaires, statut (avec tous les droits qui s’y attachepnt) qui leur a en

fait été dénié, sur leur traitement de facto. Au regard de cet avis juridique, de
nombreuses victimes relevaient de l’exception prévue au paragraphep 3 de
l’article 11 de la loi portant création de la fondation (supra) et furent donc
exclues du régime de réparation. Dans ce contexte, l’Italie faipt valoir que

depuis 2000 « des milliers d’[internés militaires italiens] et de civils italiens
ayant été soumis au travail forcé avaient présenté des depmandes d’indemni -
sation» en vertu de la loi portant création de la fondation et que « la
quasi-totalité de ces demandes avaient été rejetées ». Elle ajoute que,

«[e]n 2003, les juridictions administratives allemandes rejetèrent lesp

recours formés par un certain nombre d’[internés militaires itapliens].
A la seule exception de l’affaire Ferrini, toutes les actions devant les

292
293Op. cit. supra note 290, p. 246.
Contre-mémoire de l’Italie, annexe 8.
294Cet avis concluait toutefois qu’il fallait évaluer différemment la situation des
«internés militaires italiens » qui, outre qu’il avait été porté atteinte à leur sta-ut pde prison
niers de guerre, subirent des mesures de persécution raciste.

179

6 CIJ1031.indb 355 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 275

juridictions italiennes ont été introduites après 2004. A cette époque,
il était déjà évident que les travailleurs forcés italienps n’avaient pas

la possibilité d’obtenir une indemnisation de la part des autoritéps
allemandes. » 295

267. Selon moi, il est regrettable que les « internés militaires italiens »
aient été effectivement exclus du bénéfice des réparations sur la base d’un

statut qui en fait leur avait été dénié. Il s’agit là pprécisément d’une des
nombreuses violations commises par l’Allemagne nazie contre ces per -
sonnes: le déni de leur droit, en droit international, d’être traitépes comme

des prisonniers de guerre. Invoquer cette violation pour en commettre
une autre, le déni de réparation, aboutit, comme le dit l’Italipe, à «un vide
juridique kafkaïen » 296, de même qu’à une double injustice 297.

4. Evaluation des conclusions des Parties

268. Je vais maintenant me pencher sur les arguments des Parties
concernant la question des réparations dues aux victimes mentionnépes par
l’Italie, tels qu’elles les ont présentés lors des procédures écrite et orale

dans la présente affaire. Les pièces et conclusions de l’Allepmagne n’in -
diquent pas généralement quelles victimes précises ont en fait pbénéficié de
réparations. Si l’Allemagne ne rend pas pleinement compte des réppara -

tions qu’elle a versées après 1945 en déclarant qu’« [i]l n’y a[vait] pas lieu
de dresser ici un bilan complet de l’ensemble des réparations que ples Puis -
sances alliées ont reçues de l’Allemagne après 1945 », elle fait néanmoins

valoir que, dans le cadre des deux accords conclus par l’Allemagne etp
l’Italie en 1961, « des sommes considérables ont été versées à l’Italie » 298 ;
elle ajoute qu’elle a indemnisé l’Italie « pour des raisons d’équité», malgré
299
la clause de renonciation que contenait le traité de paix .
269. L’observation la plus révélatrice de l’Allemagne est celle opù elle
admet clairement que les « internés militaires italiens » n’ont pas reçu de

réparations en raison de l’interprétation donnée à la loip portant création
de la fondation :

295 Contre-mémoire de l’Italie, par. 2.43. Des articles de doctrine attestent également
que les internés militaires italiens n’avaient pas reçu de répparations pour leur travail
forcé ; voir R. Buxbaum, « German Reparations after the Second World War », African‑
American Law and Policy Report, vol. 6 (2004) p. 39.
296 CR 2011/18, p. 33, par. 28.
297
On a fait observer à cet égard que « [l]es Italiens n’étaient pas des prisonniers de
guerre qui se trouvèrent également astreints à un travail forcép. En effet, l’exploitation de
leur travail forcé était la principale raison de leur maintien en pdétention en Allemagne »
(B. Fassbender, « Compensation for Forced Labour in World War II… », op. cit. supra
note 290, p. 251). De plus, « les conditions de vie des Italiens étaient pires que celles des
soldats alliés occidentaux capturés par l’Allemagne. En particuplier, les détenus italiens
étaient mal nourris. » Durant une troisième période, entre août 1944 et la fin de la guerre,

on conféra aux soldats italiens détenus le statut de « travailleurs civils »(Zivilarbeiter) afin
de 298voir «exploiter leur force de travail de manière plus efficace » (ibid.,p. 244 (note 2)).
Réplique de l’Allemagne, par. 30-33.
299 Ibid., par. 33.

180

6 CIJ1031.indb 357 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 276

«Ce n’est qu’après que l’Allemagne a adopté la loi de 2000p sur la

fondation «Mémoire, responsabilité et avenir » que l’Italie a fait des
représentations auprès de celle-ci au sujet de l’exclusion des internés
militaires italiens de la portée ratione personae de cette loi. En tant

que prisonniers de guerre, les membres de ce groupe n’avaient pas
été pris en compte dans ce régime de réparation mis en place
tardivement. » 300

270. Pour sa part, dans ses écritures, l’Italie relève qu’« [u]n très grand

nombre de301ctimes n’étaient pas visées et n’ont jamais été dûment indem -
nisées » . Si l’Italie reconnaît que l’Allemagne a adopté et mis en œuvre
au cours des dernières décennies diverses mesures en réponse aupx
demandes de réparations des victimes d’atrocités de guerre, et prelève que

deux lois importantes (la loi fédérale d’indemnisation de 1953 et la loi
portant création de la fondation du 2 août 2000) ont été adoptées, elle
ajoute qu’aucune de ces deux lois ne pouvait constituer une voie de dproit
302
effective permettant aux victimes italiennes d’obtenir réparatiopn . A cet
égard, l’Italie fait valoir que, dans le cadre de la loi fédéprale d’indemnisa -
tion de 1953, les étrangers étaient généralement exclus du bénépfice d’une

indemnisation et que, en ce qui concerne la loi portant création de lpa
fondation,

«même si plus de 130 000 travailleurs forcés italiens présentèrent des
demandes d’indemnisation au titre de la loi du 2 août 2000, la grande
majorité de ces demandes (plus de 127 000) furent rejetées à cause

des critères indûment restrictifs prévus par ce texte pour bépnéficier de
l’indemnisation » 303.

271. L’Italie affirme également que

«les mesures adoptées jusqu’à présent par l’Allemagne (enp vertu
aussi bien d’accords pertinents que d’actes unilatéraux) se sopnt révé -

lées insuffisantes, en particulier parce que plusieurs catégoriesp de vic-
times, parmi lesquelles les internés militaires italiens et les victipmes
des massacres perpétrés par les forces allemandes pendant les der -
niers mois de la guerre, n’en ont pas bénéficié. » 304

L’Allemagne pour sa part ne mentionne pas de victimes spécifiqueps et se

contente de faire valoir de manière générale que des réparatpions furent
versées dans le cadre d’« un régime global bénéficiant à tous les pays
concernés et couvrant l’ensemble des dommages de guerre » 305.

272. L’Allemagne rappelle également les montants forfaitaires versésp
à l’Italie et à la Grèce, et affirme qu’« [e]nviron 3 400 civils italiens ont

300Réplique de l’Allemagne, par. 13 (les italiques sont de moi).
301Contre-mémoire de l’Italie, par. 2.18.
302Ibid., par. 2.20-2.21.
303Ibid., par. 2.21.
304Ibid., par. 7.9.
305CR 2011/20, p. 11-12.

181

6 CIJ1031.indb 359 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 277

été indemnisés par la fondation « Mémoire, responsabilité et avenir »
pour [leur] travail forcé» et que «quelque 1 000 internés militaires italiens
ont été indemnisés pour cause de travail forcé dans le cadrep du régime
306
mis en place par ladite fondation » . Quant à ce dernier groupe de
victimes, l’Allemagne fait valoir qu’elle a décidé, « en 2000, de verser
aux anciens travailleurs forcés une indemnisation ex gratia », mais

admet ensuite que « les prisonniers de guerre ne bénéficiaient pas de
ce régime particulier »; seuls « les internés militaires qui avaient égale-
ment subi une persécution raciale ou idéologique avaient droit à des
indemnités» 307.

273. Il ressort des écritures susvisées que tous les « internés militaires
italiens» n’ont pas reçu de réparations, mais seulement ceux qui avapient
aussi été victimes d’« une persécution raciale ou idéologique » 308. L’Italie

répond à cet argument allemand que la question qui sous-tend le prpésent
différend ne concerne pas ces dernières victimes mais bien l’p« obligation
d’accorder réparation à plusieurs milliers d’Italiens victimpes de crimes de

guerre qui n’ont reçu de réparation sous aucune forme que ce soit, ce que
l’Allemagne a indirectement reconnu » 309. L’Italie conclut ainsi que «l’Alle-
magne a donc reconnu de manière claire et sans réserve que le restpe des

victimes — autrement dit, pas les victimes de persécutions mais toputes les
autres, qui représentent une large majorité — n’avaient nullpement obtenu
satisfaction » 31.

274. Comme je l’ai déjà souligné, à la fin de l’audience pde la Cour du
16 septembre 2011, l’une des questions que j’ai posées aux Parties visait à
clarifier ce point de fait particulier: j’ai demandé si « les victimes italiennes

auxquelles le défendeur se réfère spécifiquement [avaient] … effectivement
été indemnisées» et, si tel n’était pas le cas, si « elles [avaient] droit à une
telle réparation et comment elles [pouvaient] être effectivementp indemni -
311
sées, si ce n’est par une procédure de droit interne » . Les réponses des
Parties à cette question ont contribué à clarifier leurs posiptions respectives
en la matière.
275. L’Allemagne pour sa part a semblé éluder la question en se répfé -

rant à l’ordonnance de la Cour du 6 juillet 2010 (demande reconvention -
nelle) en affirmant que « la question de savoir si des réparations à raison
d’actes commis pendant la seconde guerre mondiale étaient toujoursp dues
312
ne constituait pas l’objet du présent différend porté devant la Cour » .

306CR 2011/20, p. 12-13.
307
308Ibid., p. 13, par. 10.
Auxquels l’Italie a déjà reconnu que des réparations ont épté accordées, voir
CR 2011/21, p. 25, par. 33.
309Ibid.
310Ibid., p. 26, par. 35.
311Ibid., p. 54.
312Réponse écrite de l’Allemagne aux questions posées par M. le juge Cançado Trin -
dade au terme de l’audience publique du 16 septembre 2011, p. 3.

182

6 CIJ1031.indb 361 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 278

Elle a aussi fait valoir que le régime de réparation mis en place paprès la
seconde guerre mondiale était un régime de réparation interéptatique clas-
313
sique et global , et ajouté que les victimes qui s’estimaient fondées à le
faire pouvaient intenter une action contre l’Allemagne devant les tripbunaux
314
allemands . L’Allemagne ne répond donc aucunement à la question fac -
tuelle de savoir si ces victimes spécifiques ont été indemnispées; elle semble
éluder cette question en invoquant, de manière quelque peu équipvoque,

l’ordonnance de la Cour du 6 juillet 2010 (demande reconventionnelle).
276. L’Italie pour sa part a répondu clairement à cette question prépcise
en affirmant sans ambiguïté qu’« [a]ucune des victimes entrant dans les

catégories mentionnées dans les affaires qui sont à l’origpine du présent
différend n’a reçu d’indemnisation » 315. Elle ajoute que certaines de ces
victimes n’ont jamais eu la possibilité de demander réparation pparce

qu’aucun mécanisme n’a été mis en place alors que d’auptres tentaient en
vain depuis presque une décennie d’obtenir réparation. L’Itaplie fait valoir
en outre que les autorités allemandes semblent très réticentes pà conclure

un accord en vue d’indemniser ces catégories de victimes. Elle affiprme éga -
lement que la question de l’indemnisation des internés militaires pitaliens a

été évoquée par l’ambassadeur d’Italie à Berlin lors de pourparlers relatifs
à une éventuelle indemnisation par la fondation 316.
277. L’Italie fait également valoir que, pour l’instant, il n’y ap d’autres

recours pour ces catégories de victimes que les recours internes et qpue, si ses
tribunaux internes n’avaient pas refusé l’immunité, les victpimes de crimes de
guerre n’auraient disposé d’aucun autre recours pour obtenir répparation 317.

Dans ses observations sur la réponse écrite de l’Allemagne à ma qpuestion,
l’Italie affirme en outre que les arguments de l’Allemagne démpontrent clai -
rement que de nombreuses victimes italiennes de crimes de guerre n’onpt eu

droit à aucune réparation, puisque l’Allemagne justifie son rpefus de les
indemniser en soutenant que la clause de renonciation contenue dans l’ar -
318
ticle 77 du traité de paix de 1947 l’a exonérée de son obligation . L’Alle-

313 L’Italie conteste l’affirmation de l’Allemagne selon laquelle ple régime de réparation
mis en place après la seconde guerre mondiale était «global ». Elle fait valoir que l’Alle

magne elle-même, tant dans ses écritures que dans ses plaidoiries,p admet n’avoir indemnisé
que « partiellement » les victimes italiennes de crimes de guerre. Elle ajoute que l’accorpd
de 1961 ne prévoyait que l’indemnisation des victimes de persécutipon. Elle estime donc que
l’assertion selon laquelle le régime de réparation étaitglobal » ne peut être tenue pour
exacte, en particulier en ce qui concerne les victimes italiennes de cripmes de guerre. Obser-
vations de l’Italie sur la réponse écrite de l’Allemagne auxp questions posées par M. le juge
Cançado Trindade au terme de l’audience publique du 16 septembre 2011, p. 1-2.
314
Réponse écrite de l’Allemagne aux questions posées par M. le juge Cançado Trin -
dade au terme de l’audience publique du 16 septembre 2011, p. 3.
315 Réponse écrite de l’Italie aux questions posées par M. le juge Cançado Trindade au
terme de l’audience publique du 16 septembre 2011, p. 12.
316 Op. cit. supa note 315, p. 12-13.
317 Ibid.
318 Observations de l’Italie sur la réponse écrite de l’Allemagnpe aux questions posées

par M. le juge Cançado Trindade au terme de l’audience publique du 16 septembre 2011,
p. 2.

183

6 CIJ1031.indb 363 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 279

magne n’a pas contesté l’assertion claire de l’Italie selon plaquelle [«a]ucune
des victimes entrant dans les catégories mentionnées dans les affpaires qui
sont à l’origine du présent différend n’a reçu d’pindemnisatio» n319; dans ses

observations sur la réponse de l’Italie à ma question, l’Allpemagne avait la
possibilité de réfuter cette affirmation pour rétablir les faipts. Or, elle est
restée muette sur cette affirmation catégorique 320, et cela mérite de retenir
l’attention.

278. Comme je l’ai déjà indiqué, la question de savoir si des réppara -
tions ont ou non été versées doit être évaluée à lap lumière du dossier de la
Cour; de larges possibilités ont été données aux parties de clarpifier cette
question dans leurs écritures et leurs plaidoiries. Je les ai en outrpe priées

de répondre clairement à une question factuelle simple. L’Italipe l’a fait ;
l’Allemagne a éludé la question, faisant valoir que la questionp des répara -
tions était exclue du présent différend par l’effet de lp’ordonnance rendue
par la Cour le 6 juillet 2010 (demande reconventionnelle). Cela est loin

d’être convaincant ; si l’Allemagne avait répondu clairement à ma ques -
tion, elle aurait aidé la Cour à clarifier encore cette question factuelle. Sur
la base de ce qui précède, il ressort des pièces produites par les Parties et
de leurs écritures que les victimes spécifiques visées dans la jurisprudence

italienne récente n’ont pas en fait reçu de réparations.
279. Pour conclure sur cette question, le dossier de la Cour montre que
l’Italie a affirmé à maintes reprises lors de la présente pprocédure qu’au -
cune des victimes visées dans la jurisprudence italienne récente np’avait
reçu de réparations. Il s’agit là d’un argument fondamentpal, sur lequel

repose la thèse de l’Italie. L’Allemagne a eu largement la posspibilité, dans
ses écritures et ses plaidoiries ainsi que dans ses réponses aux questions
que j’ai posées aux Parties (supra), de même que dans ses observations
relatives à ces réponses, de réfuter cet argument. Elle n’a ppas produit

d’éléments attestant qu’une réparation avait été veprsée à ces victimes spé -
cifiques et s’est contentée de références générales pà des paiements, tout en
admettant que les « internés militaires italiens » étaient exclus du régime
de réparation de la fondation « Mémoire, responsabilité et avenir ».

280. En résumé, comme je l’ai déjà indiqué, l’Allemagne, en se fondant
sur l’avis d’un expert (C. Tomuschat), n’a pas accordé de réparations par
l’intermédiaire de la fondation aux prisonniers de guerre italiensp utilisés
comme travailleurs forcés (les «internés militaires italiens»). Elle a recouru

à une évaluation qui l’a amenée à traiter ces victimes d’une manière qui
selon moi aboutit à une double injustice. Premièrement, quand ils pauraient
pu bénéficier des droits attachés au statut de prisonniers de guerre, ce statut
leur a été dénié; et deuxièmement, maintenant qu’ils demandent réparation

pour les violations du droit international humanitaire dont ils ont épté vic -

319Réponse écrite de l’Italie aux questions posées par M. le juge Cançado Trindade au
terme de l’audience publique du 16 septembre 2011, p. 12.
320Observations de l’Allemagne sur la réponse écrite de l’Italipe à la question posée par
M. le juge Cançado Trindade à l’audience publique tenue le 16 septembre 2011, p. 1-2.

184

6 CIJ1031.indb 365 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 280

times (y compris la violation consistant à leur dénier le statut pde prisonniers
de guerre), ils se voient traités comme des prisonniers de guerre.
281. Il est malheureusement trop tard pour les considérer comme des

prisonniers de guerre (et, pire encore, pour leur refuser réparationp) : ils
auraient dû être considérés ainsi durant la seconde guerre mondiale et
dans la période qui a immédiatement suivi (aux fins de protectipon), mais
ils ne l’ont pas été. Tels sont les faits, incontestés et bopuleversants. Sur la

base de ce qui précède, on peut donc enfin conclure, à partirp du dossier de
la Cour, que de nombreuses victimes des violations graves des droits de p
l’homme et du droit international humanitaire commises par l’Allempagne

nazie n’ont en fait pas été indemnisées.

XXV. L’impératif d’accordepr réparation aux victipmes

individuelles de violaptions graves des droitsp de l’homme
et du droit internatiopnal humanitaire

1. La réalisation de la justice en tant que forme de réparation

282. Selon moi, il est impératif d’accorder réparation aux victimes p
individuelles de violations graves des droits de l’homme et du droit inter -
national humanitaire en cause dans la présente espèce. Le droit àp répara-

tion de la victime individuelle est inéluctablement lié aux violatpions graves
des droits de l’homme et du droit international humanitaire dont ellep a
souffert. Dans la présente affaire concernant les Immunités juridiction ‑
nelles de l’Etat, les invocations concurrentes du droit à des réparations de

guerre et des immunités de l’Etat n’auraient pas du tout dû pêtre disso -
ciées, et assurément pas de la manière dont elles l’ont été par la Cour dans
son ordonnance du 6 juillet 2010 rejetant sommairement la demande
reconventionnelle italienne. Cette décision a été prise par la pCour (avec

ma vigoureuse opinion dissidente) sans tenir d’audience publique surp le
fondement de deux paragraphes succincts (28 et 29) contenant chacun
une petitio principii, une simple pétition de principe 32.

283. Néanmoins, comme je l’ai souligné dans la présente opinion dpissi-
dente (par. 18-23 supra), les Parties, l’Allemagne et l’Italie, ont continué à
évoquer le contexte factuel et historique de la présente affairep, formulant
leurs arguments opposés sur les immunités de l’Etat. Ce n’espt pas surpre-

nant, car les demandes concernant les immunités de l’Etat et les réparations
de guerre sont, dans les circonstances de la présente espèce, inépvitablement
liées comme les deux faces d’une même médaille. C’est l’pune des nom -
breuses leçons à tirer de la présente affaire. Son contexte fpactuel confirme

que, chaque fois qu’un Etat veut se placer au-dessus de la loi, des apbus sont

321Voir Jugement n o 2867 du Tribunal administratif de l’Organisation internationale
du Travail sur requête contre le Fonds international de développem▯ent aavis consul‑
tatif, C.I.J. Recueil 2012 (I), opinion individuelle de M. le juge Cançado Trindade, p. 91,
par. 111.

185

6 CIJ1031.indb 367 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 281

322
commis contre des êtres humains , notamment des violations graves des
droits de l’homme et du droit international humanitaire.
284. L’état de droit implique des restrictions imposées au pouvoir de

l’Etat par le droit, car aucun Etat n’est au-dessus de celui-ci; l’état de droit
vise à préserver et garantir certaines valeurs fondamentales, confpormément
à la doctrine du droit naturel. Lorsque ces valeurs sont oubliées pdans l’édi -

fication d’un appareil étatique d’oppression aboutissant à des violations
systématiques et graves des droits de l’homme et du droit internatpional
humanitaire, le droit réagit. Et la réalisation de la justice, qui intervient
aussi pour mettre un terme à l’impunité, constitue selon moi enp elle-même

une forme pertinente de réparation (satisfaction) au profit des vpictimes.

2. La réparation en tant que réaction du droit aux violations graves

285. Elle ressemble effectivement à une réaction du droit à la vioplence
extrême s’abattant sur des êtres humains. Nous entrons ici dansp le domaine
du jus cogens (voir infra) ; le droit réagit pour affirmer sa primauté sur la

force brutale, pour essayer de réguler les relations humaines selon lpes pré -
ceptes de la recta ratio (du droit naturel) et pour atténuer les souffrances
humaines. D’où l’impératif que justice soit faite et d’acpcorder une réparation

aux victimes. Dans son ouvrage L’Ordinamento Giuridico (initialement
publié en 1918), le philosophe du droit italien Santi Romano soutenait que
la sanction n’était pas circonscrite à des formes juridiques spécifiques mais

était immanente à l’ordre juridique dans son ensemble, opérant comme une 323
«garantie effective» de tous les droits subjectifs existant dans cet ordre .
Face à des actes d’une violence extrême dont sont victimes des pêtres humains,
et qui violent les droits fondamentaux qui leur sont inhérents, l’pordre juri -

dique (national et international) réagit afin d’assurer la pripmauté de la ju-s
tice et de permettre la réparation (satisfaction) au bénéfipce des victimes.
286. J’ai eu l’occasion, il y a une décennie, de me pencher sur ce ppoint

particulier lors du jugement d’une affaire par une autre juridictiopn inter-
nationale (la CIADH). J’ai fait observer à cette occasion que lep droit, qui
émane en dernière analyse de la conscience humaine qui le fait épvoluer, est

là pour accorder la reparatio (du latin reparare, « préparer de nouveau ») ;
et le droit intervient en outre pour garantir la non-répétition des actes
dommageables 324. La reparatio ne met pas fin aux violations des droits de
325
l’homme déjà commises , mais au moins elle évite l’aggravation (par l’in-
différence du milieu social, par l’impunité ou par l’oublip) du mal déjà fait.

322E. Cassirer, El Mito del Estado, op. cit. supra note 191, p. 311-319; A. Ross, Sobre el
e
Der323o y la Justicia, 2 éd., Buenos Aires, Eedeba, 1997, p. 314-315.
324Santi Romano, L’ordre juridique (trad., 2 éd.), Paris, Dalloz, 2002 (rééd.), p. 16.
CIADH, affaire Bulacio c. Argentine, arrêt du 18 septembre 2003, opinion indivi-
duelle du juge Cançado Trindade, par. 35.
325La capacité de l’homme de promouvoir le bien commun comme de commepttre
le mal n’a pas cessé d’attirer l’attention des penseurs toutp au long des sièvoir par
exemple F. Alberoni, Las Razones del Bien y del Mal, Mexico, Gedisa Edit., 1988, p. 9-196;
A.-D. Sertillanges, Le problème du mal, op. cit. supra note 253, p. 5-412.

186

6 CIJ1031.indb 369 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 282

287. Dans cette perspective, la reparatio revêt selon moi une double
signification que j’ai définie en cette occasion :

«elle donne satisfaction (comme forme de réparation) aux victimes,
ou aux membres de leur famille, dont les droits ont été violés, et dans

le même temps rétablit l’ordre juridique rompu par ces violatiopns, un
ordre juridique édifié dans le respect intégral des droits inphérents à la
personne humaine. L’ordre juridique, ainsi rétabli, exige la garanptie
de la non-répétition des actes dommageables…

La reparatio redispose, réorganise la vie des survivants victimisés,
mais elle ne réussit pas à éliminer la souffrance qui a dépjà été inévita -
blement incorporée à leur existence quotidienne. La perte est, de pce
point de vue, rigoureusement irréparable. Pourtant, la reparatio
constitue une obligation à laquelle ceux qui ont la responsabilitép de

faire justice ne peuvent se soustraire. A un stade avancé du dévelpop-
pement de la conscience humaine, et donc du droit lui-même, il n’est
pas douteux que la réalisation de la justice surmonte tous les obsta -
cles, y compris ceux qui découlent de l’invocation abusive de rèpgles

ou institutions du droit positif, rendant ainsi imprescriptibles les vio -
lations graves des droits de l’homme… La reparatio est une réaction,
au niveau du droit, à la cruauté humaine, qui se manifeste sous leps
formes les plus diverses : la violence dans le traitement d’êtres

humains semejantes, l’impunité dont bénéficient les responsables de
la part des pouvoirs publics, l’indifférence et l’oubli du miplieu social.
Cette réaction de l’ordre juridique rompu (dont le substratum est pré -
cisément le respect des droits de l’homme) est suscitée, en dernière an-a

lyse, par l’esprit de solidarité humaine… La réparation, ainpsi comprise,
qui inclut, dans le cadre de la réalisation de la justice, la satisfapction
accordée aux victimes (ou aux membres de leur famille) et la garantpie
de non-répétition des actes dommageables … revêt une importance
indéniable. Le rejet de l’indifférence et de l’oubli, et lpa garantie de la

non-répétition des violations, sont des manifestations des liens dpe soli -
darité entre ceux qui ont été victimisés et ceux qui peuventp l’être, dans
le monde violent, dépourvu de valeurs, dans lequel nous vivons. Cela
constitue en dernière analyse une expression éloquente des liens dpe soli -
326 327
darité qui unissent les vivants à leurs morts … »

XXVI. La primauté du Jus Cogens :

une réfutation de sa dpéconstruction

288. Cela m’amène à ma dernière série de considérations. Dapns la pré-
sente opinion dissidente, j’ai déjà exprimé ma ferme oppositpion à la pos -

326
Sur ces liens de solidarité, voir mes opinions individuelles dans l’paffaire Bámaca
Velásquez c. Guatemala, arrêts de la CIADH sur le fond du 25 novembre 2000 et sur les
réparations du 22 février 2002.
327CIADH, affaire Bulacio c. Argentine, arrêt du 18 septembre 2003, opinion ind-vi
duelle du juge Cançado Trindade, par. 36 et 38-40.

187

6 CIJ1031.indb 371 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 283

ture de stagnation adoptée en ce qui concerne le jus cogens chaque fois que

l’immunité de l’Etat est invoquée (par. 224-227 supra). En fait, à cet égard
comme à d’autres (méthodologie, approche adoptée et suivie, raisonne -
ment et conclusions), il semble y avoir un abîme entre ma propre pospition
et celle de la majorité de la Cour dans la présente affaire concernant les

Immunités juridictionnelles de l’Etat. J’ai exposé les fondements de ma
position personnelle sur les questions envisagées dans le présent parrêt, mais
je souhaiterais maintenant axer mon opinion dissidente, enfin, sur un ppoint

qui m’est particulièrement cher : la consolidation et la primauté du
jus cogens en droit international. En effet, sans la primauté du jus cogens,
l’avenir du droit international serait bien sombre. Je ne pourrais l’paccepter,
car alors tout espoir d’un avenir meilleur disparaîtrait.

289. Je suis un juge survivant de l’exercice douloureux de la fonction
judiciaire internationale dans une série d’affaires de massacresp récemment
portées devant une juridiction internationale contemporaine, la CIDH,p

qui ont pour moi été l’occasion d’être en contact avec lap part la plus
sombre de la nature humaine. Maintenant que ces affaires ont étép tran -
chées et appartiennent à l’histoire du droit international contpemporain (et

en particulier du droit international d328droits de l’homme), j’api organisé
mes souvenirs de cette expérience , afin que les générations présentes et
futures de publicistes (les spécialistes du droit des gens) puissenpt peut-être
bénéficier des enseignements que j’en ai tirés. Je n’aip pas l’intention de

rappeler ces enseignements dans la présente opinion dissidente, mais pseu -
lement de m’y référer brièvement pour faire observer que, seplon moi, on
ne peut envisager des affaires concernant des violations graves des drpoits

de l’homme et du droit international humanitaire sans accorder l’aptten -
tion qu’elles méritent aux valeurs fondamentales de l’humanité. Contraire -
ment à ce que suppose le positivisme juridique, le droit et l’épthique sont
indissolublement liés, et il ne faut pas l’oublier pour réalisepr fidèlement la

justice aux niveaux national et international.
290. L’invocation des « considérations élémentaires d’humanité » 329ne
peut être que rhétorique, et manquer de cohérence en n’anticpipant et n’en -

visageant pas les conséquences de l’application de ces considérpations en
pratique. De plus, il ne faut pas adopter une vue très restrictive de l’opinio
juris 33, en la réduisant à l’élément subjectif de la coutume et pen l’éloi -
gnant des principes généraux du droit au point de n’en pas du tpout tenir
331
compte . Dans la présente espèce, « les actes commis, sur le territoire de

328A. A. Cançado Trindade, El Ejercicio de la Función Judicial Internacional — Memo‑
rias de la Corte Interamericana de Derechos Humanos, op. cit. supra note 256, p. 1-340; voir
aussi A. A. Cançado Trindade, State Responsibility in Cases of Massacres : Contemporary
Advances in International Justice (allocution inaugurale du 10 novembre 2011), Utrecht,
Universiteit Utrecht, 2011, p. 1-71 ; A. A. Cançado Trindade, « Die Entwicklung des inter-
amerikanischen Systems zum Schutz der Menschenrechte », Zeitschrift für ausländisches
öffentliches Recht und Völkerrecht, vol. 70 (2010), p. 629-699, en particulier p. 695-699.
329 Voir arrêt, par. 52.
330
331Voir ibid., par. 55.
Voir ibid., par. 78.

188

6 CIJ1031.indb 373 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 284

l’Etat du for, par les forces armées d’un Etat étranger » 332(comme la
Cour les dépeint) sont des « actes» dont l’illégalité a été reconnue par

l’Etat responsable lui-même, l’Allemagne, « à toutes les étapes de la pro -
cédure » 333dans la présente affaire. Il ne s’agit pas d’acta jure imperii 33,
comme la Cour les qualifie à maintes reprises ; il s’agit d’actes illicites, de

delicta imperii, d’atrocités, de crimes internationaux de la pire gravité,
engageant la responsabilité de l’Etat et des individus qui les ontp commis.
La distinction traditionnelle entre actes jure imperii et jure gestionis,
comme je l’ai déjà indiqué, est dénuée de pertinence dpans une affaire aussi

grave que la présente affaire.
291. Le principe de l’égalité souveraine des Etats est effectivemepnt un
principe fondamental applicable au niveau des relations inter‑étatiques 335:
eût-il été dûment observé, ces atrocités ou crimes intpernationaux n’auraient

pas été commis de la manière et à l’époque où ils lp’ont été (en 1943-1945).
Quoi qu’il en soit, ce principe n’est pas le punctum pruriens car en l’espèce
nous avons affaire à des atrocités ou crimes internationaux commpis au

niveau intra-étatique. Les principes fondamentaux en cause sont ici, selon
moi, le principe d’humanité et le principe de la dignité humainpe. J’estime
que l’immunité de l’Etat ne peut être indûment placée 336au-dessus de la
responsabilité de l’Etat à raison de crimes internationaux et spon corollaire

inéluctable, l’obligation de l’Etat responsable d’indemniserp les victimes.
292. Comme je l’ai déjà indiqué, la jurisprudence constante de la Cour
de La Haye (la CPJI et la CIJ) confirme que, par principe, une violation
du droit international et l’obligation correspondante de réparer fporment

un tout indissoluble, de telle manière que l’immunité est privée d’effets. pOn
ne peut faire opérer les immunités de l’Etat, comme dans le prépsent arrêt,
tel un coup de tonnerre au milieu d’une tempête violente (le catapclysme

sociétal de la seconde guerre mondiale) qui tomberait sur ce tout inpdisso -
luble en le démantelant. Comme je l’ai également indiqué, l’pimmunité de
l’Etat n’est pas un droit, c’est une prérogative ou un priviplège ; elle ne peut
être retenue d’une manière qui aboutisse à une injustice manpifeste.

293. Afin de justifier la confirmation de l’immunité de l’Etatp jusque
dans les circonstances de la présente espèce, la majorité de lap Cour se livre
à un exercice factuel empirique consistant à recenser la jurisprudpence
incongrue de tribunaux internes et la pratique incohérente des légpislations

nationales sur la question en cause. Cet exercice est caractéristique des
méthodes du positivisme juridique, qui accorde une attention exagéprée
aux faits pour oublier les valeurs. Quoi qu’il en soit, même consipdéré en

lui-même, l’examen des décisions des tribunaux internes n’espt à mes yeux
pas du tout concluant s’agissant de confirmer l’immunité de lp’Etat en cas
de crimes internationaux.

332
333 Voir arrêt, par. 65.
334Voir ibid., par. 60.
335Voir ibid., par. 60, de même que par. 61-65, 72 et 77.
336Voir ibid., par. 57.
Voir ibid., par. 90 et 106.

189

6 CIJ1031.indb 375 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 285

294. Quant aux législations nationales, de rares dispositions législatipves
dans une poignée d’Etats 337ne sauraient selon moi empêcher de refuser

l’immunité dans les cas de violations graves des droits de l’hopmme et du
droit international humanitaire. Telles sont les manifestations du positpi -
visme qui aboutissent à une fossilisation du droit international et révèlent

son sous-développement persistant, et non son développement progrepssif
comme on pourrait l’espérer. Cette méthodologie indue est assocpiée à des
conceptualisations inadéquates et peu persuasives du type de celles qpui
sont si répandues dans les professions juridiques, comme l’oppositpion des

règles « primaires» aux règles « secondaires», des règles « procédurales»
aux règles « matérielles » 338, ou des obligations de « comportement» à
celles de « résultat». Des mots, des mots, des mots… Où sont les valeurs ?
295. Le recours à des conceptualisations de ce type peut parfois abou -

tir à une injustice manifeste, comme dans la présente affaire copncernant
les Immunités juridictionnelles de l’Etat. Une fois encore la Cour oppose le
droit procédural (dans lequel elle situe l’immunité, comme ellpe l’a fait

dans son arrêt de 2002 en l’affaire du Mandat d’arrêt du 11 avril 2000, qui
opposait la République démocratique du Congo à la Belgique) etp le droit
matériel 33. Selon moi, la distinction entre droit procédural et droit maté -
riel n’est viable ni ontologiquement ni déontologiquement : la forme

conforme le fond. La procédure judiciaire n’est pas une fin en spoi, c’est un
moyen de réaliser la justice. Et l’application du droit matériepl est finaliste,
elle vise à faire justice.
296. Dans le présent arrêt, la majorité de la Cour part de l’hypopthèse

erronée selon laquelle il n’existe ou ne peut exister de conflitp entre ler sègles
[matérielles] du jus cogens» (qui interdisent «de tuer des civils en territoire
occupé ou de déporter des civils ou des prisonniers de guerre pourp les

astreindre au travail forc340 et « celles qui régissent l’immunité de l’Etat»,
des règles procédurales . Cette hypothèse tautologique amène la Cour à
confirmer l’immunité de l’Etat même dans les graves circonpstances de la pré -
sente affaire. Il y a ainsi un conflit de fond, même si un conflpit formel ne peut

être discerné. Le fait demeure qu’un conflit existe bien, et ple raisonnement de
la Cour aboutit à ce que je considère comme une destruction infondpée du
jus cogens, qui prive ce dernier de ses effets et de ses conséquences juridiqpues.
297. Ce n’est pas la première fois que cela se produit ; c’est déjà arrivé,

par exemple au cours de la dernière décennie dans les arrêts que la Cour
a rendus dans les affaires du Mandat d’arrêt (2002) et des Activités
armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo

c. Rwa341) (2006), rappelés avec approbation par la Cour dans le présent
arrêt . Il est grand temps d’accorder au jus cogens l’attention qu’il
appelle et mérite. Sa déconstruction, comme dans la présente affpaire,

337
338Voir arrêt, par. 88.
339Voir ibid., par. 58 et 100.
340C.I.J. Recueil 2002, p. 3. Et voir arrêt, par. 58.
341Voir arrêt, par. 93, de même que par. 95.
Voir ibid., par. 95.

190

6 CIJ1031.indb 377 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 286

porte préjudice non seulement aux victimes individuelles de violationps
graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire, mpais
aussi au droit international contemporain lui-même. En résumé, selon
moi, il ne peut y avoir de prérogative ni de privilège d’immunitép de l’Etat
en cas de crimes internationaux, comme les massacres de populations

civiles, ou la déportation de civils et prisonniers de guerre pour leps
astreindre au travail forcé : il s’agit de violations graves d’interdictions
absolues du jus cogens, pour lesquelles il ne saurait y avoir d’immunités.
298. On ne peut continuer d’envisager des immunités de l’Etat dans upne
perspective atomisée ou autosuffisante (en les considérant dans pun vide:)il

faut le faire dans le cadre d’une vision globale de l’intégralipté du droit inter-
national contemporain et de son rôle au sein de la communauté inteprnati-o
nale. Le droit international ne peut être gelé en maintenant et en prolongeant
les omissions du passé, que ce soit au plan normatif (par exemple loprs de la

rédaction de la convention des Nations Unies sur les immunités juridiction -
nelles des Etats et de leurs biens de 2004) ou au plan judiciaire (parp exemple
la décision majoritaire de la CEDH [Grande Chambre] dans l’affaipre Al‑
Adsani en 2001 et l’arrêt de la Cour dans la présente affaire), que j’pai déjà
évoquées. L’assertion par la Cour dans le présent arrêt selon laquelle, du

point de vue analogique, il n’y a riend «’intrinsèque à la notion de jus cogens »
qui imposerait de modifier ou d’écarter l’application des rèpgles qui déter -
minent la portée et l’étendue de la juridiction ne fait qu’éluder la question :
elle nécessite une démonstration persuasive qui n’a pas étép faite à ce jour.

299. La Cour ne peut, par ses décisions, demeurer indifférente aux
immenses souffrances des victimes de violations graves des droits de lp’homme
et du droit international humanitaire ni les oublier ; elle ne peut continuer
d’accorder une attention indue aux sensibilités apparentes des Etapts au point
de se rendre complice d’un déni de justice, en conférant indûpment aux

immunités de l’Etat une valeur absolue. Bien au contraire, les vicptimes indi -
viduelles d’atrocités des Etats ne peuvent être laissées sanps aucune forme de
recours. L’immunité de l’Etat n’est pas censée faire obstpacle à la compétence
dans des circonstances comme celles qui prévalent dans la présentep affaire
concernant les Immunités juridictionnelles de l’Etat. Elle ne doit pas faire

obstacle à la réalisation de la justice. La recherche de la justice doit être pré-
servée comme l’objectif ultime. Assurer la justice au bénéfipce des victimes
consiste notamment à leur permettre de demander et d’obtenir répparation
pour les crimes dont elles ont souffert. Le jus cogens est au-dessus de la pré -

rogative ou du privilège de l’immunité de l’Etat, avec touteps les conséquences
qui en découlent, empêchant ainsi un déni de justice et l’imppunité.

XXVII. Une récapitulation: conclusions

300. Il ressort à l’évidence de toutes les considérations qui prépcèdent
que ma position, en ce qui concerne tous les points qui constituent l’pobjet

342
Voir arrêt, par. 95.

191

6 CIJ1031.indb 379 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 287

du présent arrêt dans l’affaire des Immunités juridictionnelles de l’Etat, est

clairement opposée à celle que la majorité de la Cour a fait sipenne. Mon
opinion dissidente repose non seulement sur l’évaluation des argumpents
formulés devant la Cour par les Parties (l’Allemagne et l’Italpie) et l’Etat
intervenant (la Grèce), mais surtout sur des questions de principe pet sur
des valeurs fondamentales, auxquelles j’attache encore plus d’impoprtance.

Je me suis donc ainsi senti obligé, dans l’exercice scrupuleux de pla fonc -
tion judiciaire internationale, d’exposer dans la présente les fonpdements
de mon opinion dissidente. J’estime approprié, à ce stade, de rpécapituler
tous les points de cette opinion tant par souci de clarté que pour enp sou -
ligner la connexité.

301. Primus: On ne peut tenir compte du droit intertemporel unique -
ment d’une manière qui serve ses propres intérêts dans un prpocès, en
acceptant le passage du temps et l’évolution du droit par rapport pà cer -
tains faits mais non à d’autres, s’agissant de la même situaption continue.
On ne peut se cacher derrière des dogmes statiques pour échapper apux

conséquences juridiques de la perpétration d’atrocités dans ple passé ;
l’évolution du droit doit être prise en considération. Secundus : De même,
on ne peut faire abstraction du contexte factuel de la présente affpaire; les
immunités de l’Etat ne peuvent être considérées dans un vpide, il s’agit
d’une question inéluctablement liée aux faits qui sont à l’porigine d’une

affaire contentieuse. La reconnaissance de cette connexité s’impose encore
plus dans une affaire unique et sans précédent comme la présepnte affaire,
dans laquelle l’Etat demandeur, tout au long de la procédure devant la
Cour (phases écrite et orale), a reconnu sa propre responsabilitép à raison
des actes préjudiciables qui sont à l’origine de la présentep affaire et en

constituent le contexte factuel.
302. Tertius: Il y a eu des développements doctrinaux, émanant d’une
génération de juristes qui ont été témoins des horreurs dpes deux dernières
guerres du XX e siècle, qui ne suivaient pas du tout une approche centrée
sur l’Etat et étaient axés sur les valeurs humaines fondamentalpes et sur la

personne humaine, et étaient fidèles aux origines historiques dup droit des
gens, comme on devrait l’être de nos jours. Les immunités de l’pEtat sont
après tout une prérogative ou un privilège, et elles ne peuventp continuer à
faire abstraction de l’évolution du droit international qui se propduit de
nos jours à la lumière des valeurs humaines fondamentales.

303. Quartus: La doctrine du droit international contemporain la plus
éclairée, notamment les travaux d’institutions savantes de droipt inter-
national, réduit progressivement la tension entre l’immunité dep l’Etat et le
droit d’accès à la justice, à juste titre en faveur de ce deprnier, en particulier
dans les cas de crimes internationaux. Elle se soucie de la nécessitép de respec-

ter les impératifs de justice et d’éviter l’impunité lorsque des crimes interna -
tionaux ont été commis, s’efforçant ainsi de garantir leurp non-répétition à
l’avenir.Quintus: Le seuil de gravité des violations des droits de l’homme et
du droit international humanitaire lève tout obstacle à la compéptence lors -
qu’il s’agit d’indemniser les victimes individuelles. Il est effpectivement imp -or

tant que toutes les atrocités de masse soient de nos jours considérées à la

192

6 CIJ1031.indb 381 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 288

lumière de ce seuil de gravité, quels que soient leurs auteurs. Les politiques
d’Etat criminelles et la perpétration qui en découle d’atrocpités d’Etat ne

doivent pas être couvertes par le bouclier de l’immunité de l’pEtat.
304. Sextus: Les renonciations interétatiques à des droits inhérents à p
la personne humaine sont inadmissibles ; elles sont contraires à l’ordre
public international et doivent être privées de tout effet juridpique. Cela est
profondément gravé dans la conscience humaine, dans la conscience juri ‑

dique universelle, source matérielle ultime de l’ensemble du droit. Septi ‑
mus: A l’époque de la seconde guerre mondiale, la déportation pourp
travail forcé (en tant que forme d’esclavage) était déjàp interdite par le
droit international. Bien avant la seconde guerre mondiale, son illicépité
était déjà largement reconnue au niveau normatif (dans la convpention IV
de La Haye de 1907 et dans la convention de l’OIT de 1930 sur le travail

forcé); cette prohibition était aussi reconnue dans les œuvres de codifica -
tion, et elle l’a de plus été judiciairement. Octavus : Le droit à des répara -
tions de guerre a de même été reconnu bien avant la fin de lap seconde
guerre mondiale (dans la convention IV de La Haye de 1907).
305. Nonus: Ce sont les crimes internationaux, et non les actions indi -

viduelles en réparation intentées pour obtenir justice, qui compropmettent
ou déstabilisent l’ordre juridique international. Ce qui trouble lp’ordre
juridique international, c’est l’occultation de ces crimes internaptionaux
accompagnée de l’impunité de leurs auteurs, et non la quête pde justice des
victimes. Lorsqu’un Etat mène une politique criminelle consistant pà assas -

siner des segments de sa propre population et de la population d’autrpes
Etats, il ne peut par la suite se placer derrière le bouclier des immunités
souveraines, car ces dernières n’ont jamais été conçues àp cette fin.
306. Decimus: Les violations graves des droits de l’homme et du droit
international humanitaire assimilables à des crimes internationaux sopnt
des actes antijuridiques, des violations du jus cogens qui ne peuvent être

simplement effacées ou jetées dans l’oubli en invoquant l’pimmunité de
l’Etat. Undecimus: Les crimes internationaux commis par des Etats ne
sont pas des actes jure gestionis ni des actes jure imperii; ce sont des crimes,
des delicta imperii, pour lesquels il n’y a pas d’immunité. Cette distinction
traditionnelle battue en brèche est dénuée de pertinence en l’pespèce.

307. Duodecimus: En cas de violations graves des droits de l’homme et
du droit international humanitaire, l’accès direct des individus concernés
à la juridiction internationale est ainsi pleinement justifié afipn qu’ils
puissent faire valoir ces droits, même contre leur propre Etat. Tertius
decimus: Les individus sont de fait des sujets du droit international (pas

seulement des « acteurs») et, chaque fois que la doctrine juridique s’est
écartée de cette proposition, les conséquences et les résultpats ont été catas -
trophiques. Les individus sont titulaires de droits et débiteurs d’pobliga -
tions qui émanent directement du droit international (le jus gentium). Les
développements convergents intervenus lors des dernières décennpies en
droit international des droits de l’homme, en droit international humpani -

taire et en droit international des réfugiés, puis en droit pénpal internatio-
nal, l’attestent sans équivoque.

193

6 CIJ1031.indb 383 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 289

308. Quartus decimus: Ce n’est pas du tout l’immunité de l’Etat qui ne
peut être refusée. Il n’y a pas d’immunité pour les crimeps contre l’huma -

nité. En cas de crimes internationaux, de delicta imperii, ce qui ne peut être
refusé est le droit d’accès à la justice de l’individu, qui comprend le droit à
réparation pour les violations graves des droits qui lui sont inhéprents en
tant qu’être humain. En l’absence de ce droit, il n’y a absoplument pas de
système juridique crédible, aux niveaux national comme internationpal.

309. Quintus decimus : La constatation de violations particulièrement
graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire four -
nit un critère précieux pour la levée de tout obstacle à la pcompétence,
eu égard à l’impératif de réalisation de la justice. Sextus decimus : Peu
importe que l’acte préjudiciable violant gravement les droits de lp’homme
ait été le fait d’un Etat ou d’une personne privée avec lp’acquiescement de

l’Etat, ou qu’il ait été commis entièrement ou non dans lp’Etat du for (la
déportation pour travail forcé est un crime transfrontière). Lp’immunité de
l’Etat n’a pas cours dans le domaine de la réparation des violaptions graves
des droits fondamentaux de la personne humaine.
310. Septimus decimus: Le droit d’accès à la justice lato sensu comprend

non seulement l’accès formel à la justice (le droit d’intropduire une instance)
au moyen d’un recours effectif, mais aussi les garanties d’une procédure
régulière (avec l’égalité des armes dans le cadre d’upn procès équitable)
jusqu’au jugement (la prestation juridictionnelle) et son exécutpion intégrale,
la réparation due étant accordée. La réalisation de la justipce est en elle-

même une forme de réparation, accordant satisfaction à la victime. De cette
manière, le droit au Droit des victimes de l’oppression est dûmpent réalisé.
311. Duodevicesimus: Même dans le domaine des immunités de l’Etat
proprement dit, des changements ont été reconnus, dans le sens d’pune
restriction ou d’un refus de ces immunités dans le cas de violatiopns graves,
en raison de l’apparition du droit international des droits de l’hpomme,

l’attention voulue ayant été accordée au droit d’accèsp à la justice et à
l’obligation internationale de rendre des comptes. Undevicesimus : L’obli -
gation de l’Etat d’indemniser les victimes individuelles de violations
graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire est
une obligation qui découle du droit international coutumier et d’upn

principe général fondamental du droit.
312. Vicesimus: Il existe aujourd’hui une tendance croissante en faveur
du refus de l’immunité en cas de crimes internationaux lorsque lesp vic -
times demandent réparation. De fait, admettre qu’il n’y a pas dp’immunité
de l’Etat dans le domaine des relations commerciales ou en matière quasi

délictuelle (par exemple, dans le domaine des accidents de la route)p, tout
en insistant pour permettre aux Etats de s’abriter derrière l’ipmmunité en
cas de crimes internationaux marqués par des violations graves des drpoits
de l’homme et du droit international humanitaire commis dans le cadrep
de politiques étatiques (criminelles), constitue une absurdité jpuridique.
313. Vicesimus primus: Le droit d’accès à la justice lato sensu doit être

envisagé en prêtant attention à son essence en tant que droit fpondamental et
non à ses « restrictions» admissibles ou implicites. Vicesimus secundus : Les

194

6 CIJ1031.indb 385 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 290

violations graves des droits de l’homme et du droit international humpani-
taire constituent des violations du jus cogens qui engagent la responsabilité

de l’Etat et donnent naissance à un droit à réparation au prpofit des victimes.
Cela est conforme à l’idée de rectitude (selon la recta ratio du droit naturel)
qui sous-tend la conception du droit (dans les différents systèpmes juri -
diques — Recht/diritto/droit/direito/derecho/right) dans son ensemble.
314. Vicesimus tertius: Il est injustifié d’affirmer que le régime des répa -

rations pour les violations graves des droits de l’homme et du droit pinter-
national humanitaire s’épuiserait au niveau interétatique au déptriment des
victimes des conséquences des crimes de guerre et crimes contre l’phuma -
nité. Il ressort clairement du dossier de la présente affaire qup’il y a des
internés militaires italiens, victimes de violations graves des droitps de
l’homme et du droit international humanitaire commises par l’Allempagne

nazie, qui n’ont effectivement pas été indemnisés à ce pjour. Vicesimus
quartus: Ces victimes individuelles d’atrocités étatiques ne peuvent être
laissées sans aucune forme de recours. L’immunité de l’Etat pn’est pas cen -
sée faire obstacle à la compétence dans des circonstances commep celles de
la présente espèce concernant les Immunités juridictionnelles de l’Etat. Elle

ne saurait faire obstacle à la réalisation de la justice. La recherche de la
justice doit être préservée comme objectif ultime ; assurer la justice au
bénéfice des victimes consiste notamment à leur permettre de pdemander et
d’obtenir réparation pour les crimes dont elles ont souffert.
315. Vicesimus quintus : On ne saurait partir de l’hypothèse fautive et

formaliste de l’absence de conflit entre règles « procédurales» et « maté -
rielles» et priver le jus cogens de ses effets et conséquences juridiques.
Le fait demeure qu’il existe bien un conflit, et la primauté revienpt au
jus cogens, qui résiste à cette tentative infondée de le déconstruire pet y
survit. Il ne peut y avoir de prérogative ou de privilège de l’pimmunité de
l’Etat dans le cas des crimes internationaux, comme les massacres de p

populations civiles et la déportation de civils et de prisonniers de pguerre
pour les astreindre au travail forcé : il s’agit de violations graves d’inter -
dictions absolues relevant du jus cogens, pour lesquelles il ne peut y avoir
d’immunités.
316. Vicesimus sextus : Lejus cogens est au-dessus de la prérogative ou

du privilège de l’immunité de l’Etat, avec toutes les consépquences qui en
découlent, de manière à éviter un déni de justice et l’pimpunité. Sur la base
de tout ce qui précède, je suis fermement convaincu qu’il n’py a pas d’im -
munité de l’Etat pour les crimes internationaux, pour les violations graves
des droits de l’homme et du droit international humanitaire. Selon moi,

c’est ce que la Cour internationale de Justice aurait dû décider dans le
présent arrêt.

(Signé) Antônio Augusto Cançado Trindade.

195

6 CIJ1031.indb 387 22/11/13 12:25

Bilingual Content

179

DISSENTING OPINION OF JUDGE CANÇADO TRINDADE

table of contents

Paragraphs

I. P rolegomena 1-6

II. Preliminary Issue : The Inter-Temporal Dimensiopn in
the Consideration of Stpate Immunity 7-17

III. State Immunities and Wapr Reparation Claims : An
Ineluctable Relationsphip in the Present Casep 18-23

IV. Germany’s Recognitionp of State Responsibilitpy in the
C as d’esPèCe 24-31

V. Fundamental Human Valueps: Rescuing some Forgot -

ten Doctrinal Developmpents 32-40

VI. The Collegial Doctrinalp Work of Learned Institup -
tions of Internationapl Law 41-52

VII. The Threshold of the Grapvity of the Breaches ofp

Human Rights and of International Humanitarian
Law 53-62

VIII. The Question of Waiver opf Claims in respect of pthe
Right of Access to Justipce in the Pleadings befpore the

Court : Assessment 63-68

IX. The Inadmissibility ofp Inter-State Waiver of the
Rights of the Individualps, Victims of Grave Violaptions
of International Law 69-72

X. Positions of the Contepnding Parties as to thep Right of
Access to Justice 73-79

XI. Clarifications from tphe Contending Parties apnd from
Greece in Response to Qupestions from the Bencph 80-96

1. Questions put to the contending Parties and to Greece 80
2. First round of answers 81-91

(a) Germany’s and Italy’s answers 82-89
(b) Greece’s answer 90-91

84

6 CIJ1031.indb 164 22/11/13 12:25 179

OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE CANÇADO TRINDADE

[Traduction]

table des matières

Paragraphes

I. Prolégomènes 1-6

II. Question préliminairpe: la dimension intertepmporelle
dans l’examen de l’immpunité de l’État 7-17

III. Les immunités de l’Étapt et les demandes de répparations

de guerre : une relation inélucptable dans la présentep
affaire 18-23

IV. Reconnaissance par l’Allemagne de la responsabilité
de l’État en l’espèce 24-31

V. Valeurs humaines fondpamentales: des développements

doctrinaux tirés de l’poubli 32-40

VI. L’œuvre doctrinale colplégiale d’institutiopns savantes
de droit internationapl 41-52

VII. Le seuil de gravité des aptteintes aux droits dep l’homme
et au droit internatiponal humanitaire 53-62

VIII. La question de la renonpciation aux réclamatpions
s’agissant du droit d’apccès à la justice dansp la procé-
dure devant la Cour : évaluation 63-68

IX. Les États ne peuvent, dapns le cadre de leurs replations,

renoncer à des droits pappartenant à des indivpidus vic -
times de violations grpaves du droit internatpional 69-72

X. Positions des Parties qpuant au droit d’accès pà la jus -

tice 73-79

XI. Éclaircissements donpnés par les Parties et pla Grèce en
réponse aux questionps posées par la Cour 80-96

1. Questions posées aux Parties et à la Grèce 80
2. Première série de réponses 81-91

a) Réponses de l’Allemagne et de l’Italie 82-89
b) La réponse de la Grèce 90-91

84

6 CIJ1031.indb 165 22/11/13 12:25 180 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

3. Second round of answers 92-96

(a) Germany’s comments 93
(b) Italy’s comments 94-96

XII. The Prohibition of Forcped Labour at the Time ofp the

Second World War 97-120

1. Normative prohibition 97-101
2. Judicial recognition of the prohibition 102-113
3. The prohibition in works of codification 114-116

4. International crimes and the prohibitions of jus
cogens 117-120

XIII. Oral Pleadings of the Parpties, and the Intervenipng

State, on Jus C ogens and Removal of Immunityp :
Assessment 121-129

XIV. State Immunity v. the Right of Access to Jpustice 130-155

1. The prevailing tension in the case law of the European
Court of Human Rights 130-142

(a) The Al‑Adsani case (2001) 130-134
(b) The McElhinney case (2001) 135-138
(c) The Fogarty case (2001) 139-140

(d) The Kalogeropoulou and Others case (2002) 141-142

2. The prevailing tension in the case law of national courts143-148

3. The aforementioned tension in the age of the rule of law
at national and international levels 149-155

XV. The Contentions of thep Parties as to Acts Jure ImPe -

rIIand Acts J ure g estIonIs 156-160

XVI. The Human Person and Statpe Immunities : The Short -
sightedness of the Strpict Inter-State Outlook 161-171

XVII. The State-Centric Distorted Outlook in Face of the

Imperative of Justice 172-176

XVIII. The Human Person and Statpe Immunities : The Over -
coming of the Strict Inpter-State Outlook 177-183

XIX. No State Immunities forp delICta ImPerII 184-198

1. Massacres of civilians in situations of defencelessness 185-191

(a) The massacre of Distomo 185-188
(b) The massacre of Civitella 189-191

2. Deportation and subjection to forced labour in war
industry 192-198

85

6 CIJ1031.indb 166 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 180

3. Deuxième série de réponses 92-96

a) Observations de l’Allemagne 93
b) Observations de l’Italie 94-96

XII. L’interdiction du travpail forcé à l’époque dpe la se-
conde guerre mondialep 97-120

1. L’interdiction normative 97-101

2. Reconnaissance judiciaire de l’interdiction 102-113
3. L’interdiction dans les travaux de codification 114-116

4. Les crimes internationaux et les interdictions du jus
cogens 117-120

XIII. Plaidoiries des Partieps et de l’État intervepnant concer-
nant le Jus Cogens et le refus d’accordepr l’immunité:

évaluation 121-129

XIV. L’immunité de l’État cpontre le droit d’accèsp à la jus -
tice 130-155

1. La tension existant dans la jurisprudence de la Cour

européenne des droits de l’homme 130-142
a) L’affaire Al‑Adsani (2001) 130-134

b) L’affaire McElhinney (2001) 135-138
c) L’affaire Fogarty (2001) 139-140
d) L’affaire Kalogeropoulou et autres (2002) 141-142

2. La tension existant dans la jurisprudence des tribunaux

internes 143-148
3. La tension susmentionnée à l’ère de l’état de droit aupx
niveaux national et international 149-155

XV. Les arguments des Partipes en ce qui concernep les actes
Jure ImPerII et les actes Jure gestIonIs 156-160

XVI. La personne humaine etp les immunités de l’Étpa:tmyopie
de la perspective stricptement interétatiqupe 161-171

XVII. La perspective interétpatique viciée face à lp’impératif

de justice 172-176

XVIII. La personne humaine etp les immunités de l’Étpa:tle dé -
passement de la perspecptive strictement intperétatique 177-183

XIX. Pas d’immunités de l’Éptat en cas de delICta ImPerII 184-198

1. Massacres de civils sans défense 185-191

a) Le massacre de Distomo 185-188

b) Le massacre de Civitella 189-191
2. Déportation et travail forcé dans l’industrie de guerre 192-198

85

6 CIJ1031.indb 167 22/11/13 12:25 181 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

XX. The Prevalence of the Inpdividual’s Right of Accepss to
Justice: The Contending Parties’p Invocation of the

Case g oIburú et a l. (IACtHR, 2006) 199-213

XXI. The Individual’s Right ofp Access to Justice : The
Evolving Case Law towards Jus C ogens 214-220

XXII. Out of Lawlessness : The Individual Victim’sp Right to
the Law (d roIt au d roIt) 221-226

XXIII. Towards the Primacy of tphe Never-Vanishing r eCta
r atIo 227-239

XXIV. The Individuals’ Right top Reparation as Victims pof
Grave Violations of Humpan Rights and of Internap -

tional Humanitarian Lpaw 240-281

1. The State’s duty to provide reparation to individual vic
tims 240-257
2. The categories of victims in the cas d’es258-260

3. The legal framework of the “Remembrance, Responsi -
bility and Future” Foundation (2000) 261-267

4. Assessment of the submissions of the contending Partie268-281

XXV. The Imperative of Providipng Reparation to Individupal
Victims of Grave Violatpions of Human Rights anpd of
International Humanitparian Law 282-287

1. The realization of justice as a form of reparation 282-284

2. Reparation as the reaction of law to grave violations 285-287

XXVI. The Primacy of Jus Cogens : A Rebuttal of Its Decon-
struction 288-299

XXVII. A Recapitulation: Concluding Observationps 300-316

*

I.P rolegomena

1. I regret not to be able to accompany the Court’s majority in the

decision which the Court has just adopted today, 3 February 2012, in the
case concerning the Jurisdictional Immunities of the State (Germany v.
Italy: Greece intervening). My dissenting position pertains to the decision

as a whole, encompassing the adopted methodology, the approach pur -
sued, the whole reasoning in its treatment of issues of substance, as wepll

as the conclusions of the Judgment. This being so, I care to leave on thpe
records the foundations of my dissenting position, given the considerablpe

86

6 CIJ1031.indb 168 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 181

XX. La prévalence du droit d’paccès à la justice de lp’indi-
vidu: l’invocation par lesp Parties de l’affaireg oIburú
et autres (CIADH, 2006) 199-213

XXI. Le droit d’accès à la justice de l’individu : évolution

de la jurisprudence surp la loi du Jus Cogens 214-220

XXII. Sortir du non-droit : le droit au Droit de la victime
individuelle 221-226

XXIII. Vers la primauté de la reCta ratIo , qui ne disparaît

jamais 227-239

XXIV. Le droit des individus à préparation en tant qupe vic -
times de violations graves des droits de l’homme et
du droit international phumanitaire 240-281

1. Obligation de l’Etat d’accorder une réparation aux vic-

times individuelles 240-257
2. Les catégories de victimes en l’espèce 258-260
3. Le cadre juridique de la fondation « Mémoire, respon -

sabilité et avenir » (2000) 261-267
4. Evaluation des conclusions des Parties 268-281

XXV. L’impératif d’accordepr réparation aux victimpes indivi -
duelles de violations graves des droits de l’homme et

du droit internationapl humanitaire 282-287

1. La réalisation de la justice en tant que forme de répara
tion 282-284

2. La réparation en tant que réaction du droit aux viola -
tions graves 285-287

XXVI. La primauté du Jus Cogens : une réfutation de sa pdé -
construction 288-299

XXVII. Une récapitulation: conclusions 300-316

*

I. Prolégomènes

1. Je regrette de ne pouvoir me joindre à la majorité dans la décipsion
que la Cour vient d’adopter aujourd’hui, le 3 février 2012, dans l’affaire
concernant les Immunités juridictionnelles de l’Etat (Allemagne c. Italie ;

Grèce (intervenant)). Ma position dissidente concerne l’ensemble de la
décision, y compris la méthode adoptée, la démarche suivie, l’ensemble
du raisonnement quant aux questions de fond ainsi que les conclusions dep

l’arrêt. Cela étant, je souhaite consigner les fondements de map position
dissidente, étant donné l’importance que j’attache aux questions soulevées

86

6 CIJ1031.indb 169 22/11/13 12:25 182 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

importance that I attach to the issues raised by Germany and Italy, as
well as by Greece, in the course of the proceedings in the cas d’espèce, and

bearing in mind the settlement of the dispute at issue ineluctably linkepd to
the imperative of the realization of justice, as I perceive it.
2. I thus present with the utmost care the foundations of my entirely
dissenting position on the whole matter dealt with by the Court in the
Judgment which it has just adopted, out of respect for, and zeal in, thep

exercise of the international judicial function, guided above all by thep ulti -
mate goal precisely of the realization of justice. To this effect, I shall dwell
upon all the aspects concerning the dispute brought before the Court
which forms the object of its present Judgment, in the hope of thus con -
tributing to the clarification of the issues raised and to the progrespsive
development of international law, in particular in the international adjpu -

dication by this Court of cases of the kind on the basis of fundamental p
considerations of humanity, whenever grave breaches of human rights
and of international humanitarian law lie at their factual origins, as ipn the
cas d’espèce.
3. Preliminarily, I shall dwell upon the inter-temporal dimension in the

consideration of State immunity, moving then onto my initial line of con -
siderations, pertaining, first, to the ineluctable relationship (as Ip perceive
it), in the present case, between State immunities and war reparation
claims, and, secondly, to the recognition by Germany of State responsi -
bility in the present case. I shall then seek to rescue some doctrinal dpevel-

opments, forgotten in our days, acknowledging fundamental human
values, and to recall the pertinent collegial doctrinal work, on the subpject-
matter at issue, of learned institutions in international law. I shall, pnext,
turn to the threshold of the gravity of the breaches of human rights andp
of international humanitarian law.
4. This will lead me into the consideration of the question of waiver of

claims in respect of the right of access to justice in the pleadings before the
Court, and into the position upholding the inadmissibility of inter-State
waiver of the rights of the individuals, victims of grave violations of pinter -
national law. I shall then review the arguments of the contending Partieps
as to the right of access to justice. Attention will then be drawn to thpe

clarifications from the contending Parties, Germany and Italy, and fropm
the intervening State, Greece, in response to a series of questions I pupt to
them in the oral hearings before the Court, on 16 September 2011.
5. I shall next consider the prohibition of forced labour at the time of
the Second World War, and the prohibitions of jus cogens and the removal

of immunity. This will lead me to review the tension, in international cpase
law, between State immunity and the right of access to justice, as well pas
to assess the contentions of the Parties in the present case as to acts pjure
imperii and acts jure gestionis. My next line of considerations will focus
on the human person and State immunities, singling out the shortsighted -
ness of the strict inter-State outlook, particularly when facing the imppera -

tive of justice, and stressing the need to overcome that distorted interp-State
outlook. This will lead me to sustain the position that there are no Stapte

87

6 CIJ1031.indb 170 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 182

en l’espèce par l’Allemagne et l’Italie, ainsi que par la Grèce, et conscient
que le règlement du différend en cause est inéluctablement lipé à l’impératif

de réalisation de la justice telle que je perçois celle-ci.

2. Je présente donc avec le plus grand soin les fondements de ma posi -
tion totalement dissidente sur l’ensemble de la question dont traite pla
Cour dans l’arrêt qu’elle vient d’adopter, par respect pour pl’exercice de la

fonction judiciaire internationale et dans le souci de cet exercice, guipdé
par-dessus tout par l’objectif ultime consistant précisément àp réaliser la
justice. A cette fin, je me pencherai sur tous les aspects du différend pqui
fait l’objet du présent arrêt, dans l’espoir de contribuer àp la clarification
des questions soulevées et au développement progressif du droit inpterna -
tional, notamment dans le cadre de l’administration par la Cour de lap

justice internationale dans les affaires de ce type sur la base de conpsidéra -
tions fondamentales d’humanité, chaque fois que, comme en l’esppèce, les
origines factuelles de ces affaires seront des violations graves des dproits de
l’homme et du droit international humanitaire.
3. A titre préliminaire, j’analyserai la dimension intertemporelle dep l’exa -

men de l’immunité de l’Etat, pour passer ensuite à mon premiper groupe de
considérations touchant, premièrement, la relation inéluctable p(à mon sens)
qui existe en l’espèce entre les immunités de l’Etat et les pdemandes de répa -
rations de guerre et, deuxièmement, la reconnaissance par l’Allemapgne de
la responsabilité de l’Etat dans la présente affaire. J’essaierai ensuite de

réhabiliter certains développements doctrinaux aujourd’hui tombpés dans
l’oubli, consacrant des valeurs humaines fondamentales, et de rappeler le
travail doctrinal collégial effectué sur le sujet par des institutions savantes
de droit international. Je me pencherai ensuite sur le seuil de gravitép des
violations des droits de l’homme et du droit international humanitairpe.
4. Cela m’amènera à examiner la question de la renonciation à dpes récla -

mations du point de vue du droit d’accès à la justice dans les pécritures devant
la Cour, et à faire valoir que les Etats ne peuvent, dans leurs relatpions,
renoncer à des droits appartenant à des individus victimes de violations
graves du droit international. Je passerai ensuite aux arguments des Parpties
quant au droit d’accès à la justice. J’appellerai alors l’attention sur les éclair

cissements donnés par lesdites Parties, l’Allemagne et l’Italie, et par l’Etat
intervenant, la Grèce, en réponse à une série de questions qpue je leur ai
posées lors de la procédure orale devant la Cour, le 16 septembre 2011.
5. J’examinerai ensuite l’interdiction du travail forcé à l’pépoque de la
seconde guerre mondiale, et les interdictions relevant du jus cogens et le

déni de l’immunité. Cela m’amènera à me pencher sur lap tension existant,
dans la jurisprudence internationale, entre l’immunité de l’Etapt et le droit
d’accès à la justice, ainsi qu’à évaluer les argumentsp des Parties quant aux
actes jure imperii et jure gestionis. J’exposerai alors mes réflexions sur la
personne humaine et les immunités de l’Etat, en insistant sur la myopie
dont font preuve ceux qui adoptent une perspective strictement inter-

étatique, surtout face à l’impératif de justice, et en soulipgnant la nécessité
d’abandonner cette perspective tronquée. Cela m’amènera à défendre

87

6 CIJ1031.indb 171 22/11/13 12:25 183 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

immunities for delicta imperii, with the prevalence of the individual’s right

of access to justice, in the domain of jus cogens.

6. In sequence, I shall dwell upon the configuration of the individual

victim’s right to the law (droit au Droit), bearing witness of the primacy
of the never-vanishing recta ratio. My following line of reasoning will
concentrate on the individuals’ right to reparation as victims of grapve vio -

lations of human rights and of international humanitarian law, and on
the imperative of the State’s duty to provide reparation to those victims.
This will lead me to uphold the primacy of jus cogens, with a rebuttal of
its deconstruction. The path will then be paved, last but not least, forp the

presentation of my concluding observations.

II. Preliminary Issue: The Inter-Temporal Dimenpsion
in the Consideration opf State Immunity

7. The consideration of the issue of the application of State immunity
calls for addressing an ineluctable preliminary question, namely, the
inter-temporal dimension in that consideration. This raises the prelimi -
nary issue as to whether State immunity should be considered in the presp-

ent case opposing Germany to Italy as it was understood at the time of
the commission of acts for which immunity is claimed (in the 1940s), opr
as it stands when the Court was lately seized of the present dispute.

8. Germany claims, in this respect, that, at the time when German
forces were present in Italy in 1943-1945, “the doctrine of absolute immu -
nity was uncontested” , and that, even today, “[a]bsolute jurisdictional

immunity in respect of sovereign act2 of government is still the generalply
acknowledged customary rule” . Germany further contends that a depar-
ture from this doctrine, or the creation of new exceptions to State immup-
nity with retroactive effect, would be in contradiction with general
3
principles of international law .
9. Italy, for its part, argues that the acts sub judice in the present case,
the Italian judgments from 2004 onwards, that have asserted jurisdictionp

vis-à-vis Germany, have applied correctly the modern-day understanding
of the principle of State immunity 4. It further claims that immunity is a
procedural rule, and as such it must be assessed on the basis of the lawp in
5
force at the time that a Court is seized ; it adds that courts have generally
applied the law in existence at the “moment of the judicial action anpd not
of the original injurious facts” 6.

1Memorial of Germany, para. 91 ; and Reply of Germany, para. 37.
2Compte rendu (CR) 2011/17, para. 29.
3Memorial of Germany, para. 91 ; and Reply of Germany, para. 37.
4Counter-Memorial of Italy, paras. 1.14-1.16 ; CR 2011/18, pp. 23-24.
5Rejoinder of Italy, para. 4.2.
6Counter-Memorial of Italy, para. 4.47.

88

6 CIJ1031.indb 172 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 183

la position selon laquelle il n’y a pas d’immunités de l’Etat pour les

delicta imperii, le droit d’accès à la justice de l’individu prévalant dpans le
domaine du jus cogens.
6. Enfin, je me pencherai sur la configuration du droit de la victime

individuelle au droit (le droit au Droit), attestant la primauté de la
recta ratio, toujours d’actualité. Je passerai ensuite au droit à réparpation
des individus victimes de violations graves des droits de l’homme et pdu

droit international humanitaire, et à l’obligation impérative qpui s’impose
à l’Etat d’accorder réparation à ces victimes. Cela m’pamènera à réaffirmer
la primauté du jus cogens, en en réfutant la déconstruction. Il me sera
alors possible, enfin et surtout, de présenter mes conclusions.

II. Question préliminairpe : la dimension intertepmporelle
dans l’examen de l’immpunité de l’État

7. L’examen de la question de l’immunité de l’Etat oblige à pse pencher
sur une question préliminaire, à savoir celle de la dimension inteprtempo -
relle de cet examen. Il s’agit de savoir si l’immunité de l’pEtat doit être
envisagée dans la présente espèce opposant l’Allemagne à pl’Italie comme

on l’entendait à l’époque (les années 1940) où les actes pour lesquels elle
est invoquée ont été commis, ou telle qu’elle est alors que pla Cour a été
saisie du présent différend.

8. A cet égard, l’Allemagne fait valoir que, à l’époque oùp les forces alle -
mandes se trouvaient en Italie, en 1943-1945, « la doctrine de l’immunité
souveraine absolue régnait de manière incontestée» 1 et que, même de nos

jours, «[l’]immunité juridictionnelle absolue pour les actes souverains d’pun
gouvernement demeure, aujourd’hui comme hier, la règle coutumièpre géné -
ralement reconnue ». L’Allemagne fait en outre valoir que s’écarter de cette
doctrine, ou créer de nouvelles exceptions à l’immunité de lp’Etat avec effet
3
rétroactif, serait contraire aux principes généraux du droit inpternational .
9. L’Italie argue quant à elle que les actes en cause dans la présente
affaire, à savoir les décisions des juges italiens qui, depuis 2004, retiennent

la compétence des juridictions italiennes à l’égard de l’pEtat allemand, ont
appliqué correctement le principe de l’immunité de l’Etat tepl qu’il est
interprété aujourd’hui . Elle fait en outre valoir que l’immunité est une

règle procédurale, qu’elle doit donc être appréciée aup regard du droit en
vigueur au moment où la juridiction est saisie 5; elle ajoute que les juridic-
tions ont généralement appliqué le droit en vigueur « au moment de l’ac-
6
tion en justice, et non pas à l’époque des fait dommageables d’porigine» .

1 Mémoire de l’Allemagne, par. 91 ; réplique de l’Allemagne, par. 37.
2 Compte rendu (CR) 2011/17, par. 29.
3 Mémoire de l’Allemagne, par. 91 ; réplique de l’Allemagne, par. 37.
4 Contre-mémoire de l’Italie, par. 1.14-1.16 ; CR 2011/18, p. 23-24.
5 Duplique de l’Italie, par. 4.2.
6 Contre-mémoire de l’Italie, par. 4.47.

88

6 CIJ1031.indb 173 22/11/13 12:25 184 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

10. Inter-temporal considerations for the application or otherwise of

State immunity call into question two issues, namely : first, whether State
immunity has changed, or evolved, in the past decades ; and secondly,
whether State immunity should be applied in the present case as it is
understood today, the time when the Court is seized of the dispute. As tpo

the first question, the law of State immunity has clearly developed anpd
evolved; it has not remained static. Developments in the domains of
international human rights law, of contemporary international criminal
law, and of international humanitarian law, cannot be said to have had

no influence on the evolving law of State immunity.

11. As to the second question, there is a case for focusing on State
immunity as it stands when the Court is seized of the dispute. After allp, it

would not make sense to consider the matter at issue as it was understoopd
at the time of the Second World War, in relation to Italian courts’ jpudg -
ments rendered from 2004 onwards, setting aside State immunity and
awarding reparations to the individual victims. The formation and devel -

opment of international law, as well as its interpretation and applicatipon,
can hardly be dissociated from the inter-temporal dimension. The
“inter-temporal law” issue came to the fore in the arbitral award of
4 April 1928, in the Island of Palmas case (Netherlands v. United States),

wherein arbitrator Max Huber pondered that :

“As regards the question which of different legal systems prevai -
ling at successive periods is to be applied in a particular case (the
so-called intertemporal law), a distinction must be made between the
creation of rights and the existence of rights. The same principle

which subjects the act creative of a right to the law in force at the
time the right arises, demands that the existence of the right, in other
words its continued manifestation, shall follow the conditions required ▯
by the evolution of law.” 7

12. In modern times it has been clearly reckoned that there are no
“immutable” rules of international law, as erroneously assumed in ptimes

long past. The Institut de droit international covered the topic of
“inter-temporal law”, in its Sessions of Rome (1973) and Wiesbaden
(1975). There was general acknowledgement as to the basic proposition
that any given situation is to be appreciated in the light of legal ruleps
8
contemporary to it , and evolving in time ; awareness of the underlying
tension was reflected in the cautious resolution adopted by the Institput in
Wiesbaden in 1975 . 9

7Reports of International Arbitral Awards (RIAA),Vol. II : Island of Palmas case
(Netherlands v. United States), 4 April 1928, p. 845 (emphasis added), and cf. pp. 829-871.
8Cf. 55 Annuaire de l’Institut de droit international (AIDI) (1973), pp. 33, 27, 37,
48, 50 and 86 ; 56 AIDI (1975), p. 536 (para. 1 of the resolution of the Institut). And
cf. M. Sorensen, “Le problème dit du droit intertemporel dans l’ordre internat—onal
Rapport provisoire”, 55 AIDI (1973), pp. 35-36.
9
Cf. 56 AIDI (1975), pp. 536-541 (cf., particularly, the second considerandum of the
preambular part of the resolution).

89

6 CIJ1031.indb 174 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 184

10. La détermination du moment à prendre en considération pour

savoir s’il faut ou non retenir l’immunité de l’Etat soulèpve deux ques -
tions: celles de savoir, premièrement, si cette immunité a changé oup évo -
lué durant les dernières décennies et, deuxièmement, si ellep doit être en
l’espèce appliquée telle qu’elle est interprétée aujouprd’hui, au moment où

la Cour est saisie du différend. S’agissant de la première qupestion, il est
clair que le droit de l’immunité de l’Etat s’est développpé et a évolué ; il
n’est pas resté statique. On ne peut dire que l’évolution suprvenue dans les
domaines du droit international des droits de l’homme, du droit pépnal

international contemporain et du droit international contemporain n’ap eu
aucune influence sur le droit en évolution de l’immunité de lp’Etat.
11. Quant à la seconde question, il y a de bonnes raisons d’envisager
l’immunité telle qu’elle existe au moment où la Cour est saipsie du différend.

Après tout, s’agissant de jugements rendus par les tribunaux italipens
depuis 2004 qui écartent l’immunité de l’Etat et accordent des répparations
aux victimes, envisager la question comme on la comprenait durant la
seconde guerre mondiale n’aurait aucun sens. La formation et le dépvelop-

pement du droit international, de même que son interprétation et spon ap- pli
cation, ne peuvent guère être dissociés de sa dimension intertepmporelle. La
question du « droit intertemporel» est posée dans le cadre de la sentence
arbitrale rendue le 1 avril 1928 dans l’affaire de l’Ile de Palmas (Pays‑Bas

c. Etats‑Unis), dans laquelle l’arbitre, Max Huber, déclarait ce qui suit:

«En ce qui concerne la question de savoir lequel des différents sys -
tèmes juridiques en vigueur à des époques successives doit êptre appli-
qué dans un cas déterminé — question du droit dit intertemporel — il
faut distinguer entre la création du droit en question et le maintienp

de ce droit. Le même principe, qui soumet un acte créateur de droipt
au droit en vigueur au moment où naît le droit, exige que l’existence
de ce droit, en d’autres termes sa manifestation continue, suive les
conditions requises par l’évolution du droit. » 7

12. A l’époque moderne, on considère qu’il n’existe pas de rèpgles de
droit international « immuables», comme on le pensait erronément il y a

longtemps. Lors des sessions qu’il a tenues à Rome en 1973 et à Wiesba -
den en 1975, l’Institut de droit international a examiné le sujet du «p droit
intertemporel». Un accord général s’est fait jour sur l’idée fondampentale
que toute situation doit être appréciée à la lumière des prègles juridiques
8
qui lui sont contemporaines , et qui évoluent avec le temps ; la résolution
prudente adoptée par l’Institut à Wiesbaden en 1975 montre qu’il était
conscient de la tension sous-jacente . 9

7 Recueil des sentences arbitrales (RSA), vol. II : affaire de l’Ile de Palmas (Pays‑Bas
c. Etats‑Unis), 4 avril 1928, p. 845 (les italiques sont de moi) ; voir aussi p. 829-871.
8Voir Annuaire de l’Institut de droit international (AIDIvol. 55 (1973), p. 33, 27,
37, 48, 50 et 86; AIDI, vol. 56 (1975), p. 536 (par1 de la résolution de l’Institut). Et
voir M. Sorensen, « Le problème dit du droit intertemporel dans l’ordre international p
— Rapport provisoire », AIDI, vol. 55 (1973), p. 35-36.
9
Voir AIDI, vol. 56 (1975), p. 536-541 ; voir en particulier le second considérant du
préambule de la résolution.

89

6 CIJ1031.indb 175 22/11/13 12:25 185 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

13. The impact or influence of the passage of time in the formation and
evolution of the rules of international law is not a phenomenon externalp
10
to law . The surpassed positivist-voluntarist conception of international
law nourished the pretension of attempting (in vain) to establish the pinde -

pendence of law in relation to time, while concomitantly privileging the
method of observation (e.g., of State practice) in its undue minimizatpion
of the principles of international law, which touch on the foundations opf

our discipline.
14. Within the conceptual universe of this latter, aspects of inter-tem -
poral law came to be studied, e.g., keeping in mind the relationship

between the contents and the effectiveness of the norms of internationpal
law and the social transformations which took place in the new times. A p
locus classsicus in this respect lies in the well-known obiter dictum of this

Court, in its Advisory Opinion on Namibia (1971), wherein affirmed that
the system of mandates (territories under mandate) 11 was “not static”,
but “by definition evolutionary” ; and it added that its interpretation of

the matter could not fail to take into account the transformation occurred
over the following fifty years, and the considerable evolution of the pcor ‑

pus juris gentium in time. In the words of the Court, “an international
instrument has to be interpreted and applied within the framework of thep
entire legal system prevailing at the time of the interpretation” 1.

15. In respect of the present case opposing Germany to Italy, the fact
remains that, even after Court’s Order of 6 July 2010 13, dismissing as
“inadmissible” the Italian counter-claim, and thus, much to my regret,

10 In the aforementioned work of the Institut, attention was in fact turnedp to the impact
of the passage of time on the development of international law ; cf.55 AIDI (1953), pp. 108
and 114-115 (interventions by M. Lachs, P. Reuter and S. Rosenne).
11
And in particular the concepts incorporated in Article 22 of the Covenant of the
Lea12e of Nations.
Legal Consequences for States of the Continued Presence of South Africa ▯in Namibia
(South West Africa) notwithstanding Security Council Resolution 276 (▯1970), Advisory
Opinion, I.C.J. Reports 1971, pp. 31-32, para. 53.
13 The effects of this Order of the Court were interpreted distinctly by pthe contending
Parties. Germany claimed that the cas d’espèce does not concern the Second World War

violations of international humanitarian law and the question of reparations, and that this
ensues from the Court’s Order of 6 July 2010 (CR 2011/17, p. 18, para. 11) ; in Germany’s
view, the Court does not have jurisdiction to adjudicate upon this issuep (CR 2011/20, p. 11,
para. 4). Italy, in turn, argued that the aforementioned Order of the Court dpoes not bar
it from raising the issue of reparations at this stage of the proceedingps, in order to have
Germany’s immunity lifted (CR 2011/18, p. 13, para. 10). Turning to the inter-temporal
dimension of the present dispute, Germany, however, went back to the timpes of the Second

World War, to claim that the question whether it enjoys immunity before pItalian courts
should be examined according to the standards in force from 1943-1945, spince immunity
is the procedural counterpart of the substantive rule that provides for pwar reparations
at inter-State level (CR 2011/17, pp. 35-36, para. 32). Italy, for its part, argued that the
rules of State immunity, as procedural rules, must be applied by courts as they exist at the
time of the filing of the complaint and not as they existed at the timpe the alleged violation
of international law took place, and claims that such position is supporpted by Article 4

of the 2004 UN Convention on Jurisdictional Immunities of States and Their Property
(CR 2011/18, pp. 23-24, paras. 15-18).

90

6 CIJ1031.indb 176 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 185

13. L’impact ou l’influence du passage du temps sur la formation et p
l’évolution des règles du droit international n’est pas un phénomène exté -
10
rieur au droit . La conception positiviste/volontariste du droit inter-
national, aujourd’hui dépassée, a nourri les tentatives (vaineps) visant à

établir l’indépendance du droit par rapport au temps, tout en pprivilégiant
simultanément la méthode d’observation (par exemple, de la praptique
des Etats) réduisant indûment au minimum les principes du droit inter-

national, ce qui touche aux fondements de notre discipline.
14. Dans l’univers conceptuel de celle-ci, des aspects du droit inter-
temporel en sont venus à être étudiés, par exemple, en gardapnt à l’esprit la

relation entre le contenu et l’efficacité des normes du droit intpernational et
les transformations sociales intervenues lors des époques nouvelles. pConsti -
tue un locus classicus à cet égard l’obiter dictum bien connu de la Cour

dans l’avis consultatif rendu sur la Namibie (1971), dans lequel lap Cour a
confirmé que le système des mandats (territoires sous mandat) 11 n’était
«pas statique », mais était « par définition évoluti[f] »; et elle a ajouté

qu’elle se devait de prendre en considération les transformations psurvenues
dans le demi-siècle qui avait suivi, et l’évolution considérpable du corpus

juris gentium intervenu au fil du temps. Pour la Cour, « tout instrument
international doit être interprété et appliqué dans le cadrep de l’ensemble du
système juridique en vigueur au moment où l’interprétation ap lieu» 12.

15. Dans la présente affaire, qui oppose l’Allemagne à l’Italie, le fait
demeure que, même après l’ordonnance rendue le 6 juillet 2010 par la
Cour 13, qui a déclaré la demande reconventionnelle italienne « irrece-

10 Dans les travaux susmentionnés, l’Institut met l’accent sur l’pimpact du passage
du temps sur le développement du droit international ; voir AIDI, vol. 55 (1953), p. 108
et 114-115 (interventions de M. Lachs, P. Reuter et S. Rosenne).
11
En particulier, les concepts incorporés à l’article 22 du Pacte de la Société des
Nat12ns.
Conséquences juridiques pour les Etats de la présence continue de ▯l’Afrique du Sud en
Namibie (Sud‑Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité,
avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971, p. 31-32, par. 53.
13 Les Parties ont interprété différemment les effets de cettep ordonnance de la Cour.
L’Allemagne affirme que l’affaire n’a pas pour objet les vioplations du droit international

humanitaire commises pendant la seconde guerre mondiale et la question dpes réparations, et
que l’ordonnance de la Cour du 6 juillet 2010 le confirme (CR 2011/17, p. 18, par. 11) ;pour
l’Allemagne, la Cour n’est pas compétente pour connaître de pcette question (CR 2011/20,
p. 11, par. 4). L’Italie soutient, quant à elle, que l’ordonnance susmentiponnée de la Cour ne
l’empêche pas de soulever la question des réparations à ce sptade de la procédure pour faire
lever l’immunité de l’Allemagne (CR 2011/18, p. 13, par. 10). S’agissant de la dimension
intertemporelle du présent différend, l’Allemagne revient parp contre à la seconde guerre

mondiale pour faire valoir que la question de savoir si elle jouit de l’pimmunité devant les
tribunaux italiens doit être examinée selon les normes en vigueur pde 1943 à 1945, puisque
l’immunité est la contrepartie procédurale de la règle de fopnd qui prévoit des réparations
de guerre dans les relations entre Etats (CR 2011/17, p. 35-36, par. 32). L’Italie soutient,
pour sa part, que les règles de l’immunité de l’Etat, en tant que règles procédurales, doivent
être appliquées par les tribunaux en l’état qui est le leur pau moment où le juge est saisi et
non au moment où la violation alléguée du droit international ap eu lieu, et elle affirme que

cette position est étayée par l’article 4 de la convention des Nations Unies de 2004 sur les
immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens (CR 2011/18, p. 23-24, par. 15-18).

90

6 CIJ1031.indb 177 22/11/13 12:25 186 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

trying to dissociate State immunities from war claims for reparations, tphe

contending Parties themselves, Germany and Italy, continued to relate
their (written and oral) submissions on the issue of State immunities to
the factual background of war reparations claims. This appears inelucta -
ble to me, as one cannot consider State immunities in the void, outside p
the factual context (including the factual origin) wherein they are invoked.

The two go together, as the proceedings in the present case clearly dem -
onstrated. I shall come back to this point throughout the present dissenpt-
ing opinion.

16. It is not warranted, in my view, to invoke the factual origin of a

dispute simply to try to argue that forced labour in the war industry waps
not prohibited in the past (the Second World War), or that jus cogens did
not exist then, or that rights inherent to the human person were not yet
recognized, and at the same time hide oneself behind the shield of State
immunity. That makes no sense to me at all, and leads to impunity and

manifest injustice. That goes against international law. That is inacceppt -
able today, as was inacceptable in the past. It goes against the recta ratio,
which lies in the foundations of the law of nations, today as in the paspt.

17. One cannot take account of inter-temporal law only in a way that
serves one’s interests in litigation, accepting the passing of time apnd the
evolution of law in relation to certain facts but not to others, of the psame
continuing situation. There may be greater awareness of the interrelated -
ness between State immunities and war reparations claims today, and thisp

is reassuring. One cannot simply discard such interrelatedness without
providing any foundation for such dogmatic position. One cannot hide
behind static dogmas so as to escape the legal consequences of the perpep -
tration of atrocities in the past. The evolution of law is to be taken ipnto
account, in the unending struggle to put an end to atrocities and to see to

it that they do not happen again, anywhere in the world.

III. State Immunities and Wapr Reparation Claims:
An Ineluctable Relatiopnship in the Present Capse

18. It should not pass unnoticed that, after the Court’s Order of
6 July 2010 summarily dismissing the Italian counter-claim, references to
the facts underlying the dispute between the Parties, and conforming its
historical background, continued to be made by the contending Parties

(Germany and Italy). It is in fact striking to note that, even after the
Court’s Order of 6 July 2010, both Parties — and, more significantly,
Germany — have kept on referring to the factual and historical back -
ground of the present case. More specifically as to the question of reppara-
tions, Germany has dedicated part of its written and oral pleadings to tphis

topic.

91

6 CIJ1031.indb 178 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 186

vable», et ainsi, à mon grand regret, tenté de dissocier les immunitpés de
l’Etat des demandes de réparations de guerre, les Parties elles-mêpmes,

l’Allemagne et l’Italie, continuent de lier leurs conclusions (épcrites et
orales) sur la question des immunités de l’Etat au contexte factupel des
demandes de réparations de guerre. Cela me semble inévitable, car on ne
peut envisager les immunités de l’Etat dans un vide, hors du contepxte
factuel (y compris leur origine factuelle) dans lequel elles sont invopquées.

Les deux vont ensemble, comme l’a clairement démontré la procédure
dans la présente affaire. Je reviendrai sur ce point tout au long dpe la pré -
sente opinion dissidente.
16. Il n’est pas justifié à mes yeux d’invoquer l’origine fpactuelle d’un
différend simplement pour faire valoir que le travail obligatoire dpans l’in -
dustrie de guerre n’était pas interdit par le passé (la secondpe guerre mon-

diale), ou que le jus cogens n’existait pas alors, ou que les droits inhérents
à la personne humaine n’étaient pas encore reconnus, tout en s’pabritant
simultanément derrière le bouclier de l’immunité de l’Etapt. Pour moi, cela
n’a absolument aucun sens, et aboutit à l’impunité et à une injustice
manifeste. Cela va à l’encontre du droit international. Cela est ipnaccep -

table aujourd’hui, comme c’était inacceptable par le passé. pCela va à l’en-
contre de la recta ratio, qui est au fondement du droit des gens aujourd’hui
comme par le passé.
17. On peut tenir compte du droit intertemporel uniquement d’une
manière qui serve ses propres intérêts dans un litige, et accepter le passage

du temps et l’évolution du droit en relation avec certains faits mpais non
d’autres, relevant de la même situation qui continue. On est peut-être plus
conscient aujourd’hui du rapport entre les immunités de l’Etat pet les demandes
de réparations de guerre, et c’est rassurant. On ne peut tout simpplement pas
écarter cette relation sans justifier une position aussi dogmatiquep. On ne
saurait invoquer des dogmes statiques pour échapper aux conséquencpes juri -

diques de la perpétration d’atrocités. Il faut tenir compte de pl’évolution du
droit dans la lutte sans fin menée pour mettre fin aux atrocitéps et faire en
sorte qu’elles ne se reproduisent pas, où que ce soit dans le mondpe.

III. Les immunités de l’Étapt et les demandes de répparations
de guerre: une relation inélucptable dans la présentep affaire

18. Force est de remarquer qu’après l’ordonnance de la Cour du 6 juil -
let 2010 déclarant la demande reconventionnelle italienne irrecevable, les

Parties (l’Allemagne et l’Italie) ont continué d’évoquer les faits qui sous-
tendent leur différend et son contexte historique. Il est de fait fprappant
que, même après l’ordonnance de la Cour du 6 juillet 2010, les deux Par -
ties, et l’Allemagne de manière plus significative, n’ont pas cessé d’évo -
quer le contexte factuel et historique de la présente affaire. S’pagissant plus
précisément de la question des réparations, l’Allemagne lui pa consacré

une partie de ses écritures et plaidoiries.

91

6 CIJ1031.indb 179 22/11/13 12:25 187 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

19. In fact, after the Court’s Order of 6 July 2010 concerning Italy’s

counter-claim, Germany submitted its Reply (of 5 October 2010) where it
dedicates its Section III, paras. 12-34, to “Reparation Issues concerning
Italy and Italian Citizens” 14. As to Germany’s arguments concerning the
question of reparation and the factual context of the present case, in

paragraph 13 of its Reply, for example, it claims that Italy was involved
in the post-war reparations scheme and that it received appreciable
amounts of compensation from Germany. In paragraph 34 of its Reply,

Germany further contends that, through the various mechanisms of repa -
ration, in particular through collective reparations, it has fulfilled its duty
to provide reparation in a fully satisfactory manner.

20. The same is true concerning the arguments of the Parties during the
oral hearings 15. A statement by the counsel for Italy is illustrative of this :

“Is it not surprising to hear the Agent of Germany assert again at
this stage that the question of reparation ‘do[es] not form part of tphe

present proceedings’, whereas most of the discussions and the remarksp
your Court has heard throughout this week of pleadings have been and
continue to be focused on this topic, and each of the counsel for the
opposing Party has in particular made every effort to demonstrate thatp
16
no violation of the obligations in question was ever committed?”

21. While Germany states that the case is not about “the [Second
World War], violations of international humanitarian law committed
17
during the war and the question of reparations” , during its second
pleadings in the oral proceedings, the agent of Germany stated that she p
intended “to dispel any erroneous impression that might have been crep -
ated by our Italian and Greek friends that victims of German war crimes p
18
were deliberately left without compensation” . She then went on to
describe the mechanism of reparation that was put in place after the Secp -
ond World War, stating that

“— At the beginning of the 1960s the Federal Republic of Germany
paid DM115 million to Greece for victims of racial and reli -

gious persecution. Germany likewise concluded the two treaties
with Italy referred to in our Memorials, under which a lump sum
of DM80 million was paid to Italy.

— Roughly 3,400 Italian civilians were compensated for their
forced labour by the Foundation ‘Remembrance, Responsibil -

14 Reply of Germany, paras. 12-34.
15 Cf., e.g., CR 2011/20, p. 11 ;CR 2011/21, p. 14.
16 CR 2011/21, p. 14 (official translation).
17
18 CR 2011/17, p. 18.
CR 2011/20, pp. 11-12.

92

6 CIJ1031.indb 180 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 187

19. En fait, après l’ordonnance de la Cour du 6 juillet 2010 concernant

la demande reconventionnelle italienne, l’Allemagne a soumis sa répplique
(datée du 5 octobre 2010), dont la section III (par. 12 à 34) est intitulée
«Questions liées aux réparations concernant l’Italie et les citopyens ita -
liens » . Quant aux arguments de l’Allemagne concernant la question des

réparations et le contexte factuel de la présente affaire, au papragraphe 13
de sa réplique, par exemple, elle fait valoir que l’Italie a bépnéficié du
régime de réparation d’après guerre et a reçu d’importpantes indemnités de

l’Allemagne. Au paragraphe 34 de sa réplique, l’Allemagne affirme en
outre que, par le biais de divers mécanismes de réparation, en parpticulier
dans le cadre de réparations collectives, elle s’est acquittée pde son obliga -
tion de réparer de manière pleinement satisfaisante.
15
20. Il en va de même des arguments des Parties lors des plaidoiries .
Une déclaration du conseil de l’Italie peut servir d’exemple àp cet égard:

«N’est-ce pas bien étonnant d’entendre M me l’agent de l’Alle -
magne affirmer encore à ce stade que le dossier des réparations

«do[es] not form part of the present proceedings », alors que le plus
gros des débats et des propos que votre Cour a pu entendre tout au
long de cette semaine de plaidoiries a été et continue d’êtrpe centré
essentiellement sur ce dossier et qu’en particulier chacun des plai -

deurs de la Partie adverse s’est évertué à démontrer qu’paucune viola-
tion des obligations en question n’a jamais été commise ?» 16

21. Bien que l’Allemagne affirme que l’affaire ne concerne pas «ples vio-
lations du droit humanitaire commises pendant la [seconde] guerre [mon -
17
diale] et la question des réparations» , lors du second tour de plaidoiries,
l’agent de l’Allemagne a indiqué qu’elle avait l’intentiopn « de dissiper
l’impression erronée que nos amis italiens et grecs ont pu créepr, à savoir
que les victimes de crimes de guerre commis par l’Allemagne n’auraient
18
délibérément pas été indemnisées » . Elle poursuivait alors en décrivant
comme suit le régime de réparation mis en place après la secondpe guerre
mondiale :

«— Au début des années 1960, la République fédérale d’Alle -
magne a versé 115 millions de DM à la Grèce en faveur des

victimes de la persécution raciale et religieuse. De même, elle a p
conclu avec l’Italie les deux traités auxquels il a été faitp réfé -
rence dans notre mémoire, en application desquels une somme

forfaitaire de 80 millions de DM a été versée à l’Italie.
— Environ 3400 civils italiens ont été indemnisés par la fondation
«Mémoire, responsabilité et avenir» pour le travail forcé qu’ils

14 Réplique de l’Allemagne, par. 12-34.
15 Voir, par exemple, CR 2011/20, p. 11 ;CR 2011/21, p. 14.
16 CR 2011/21, p. 14.
17
18 CR 2011/17, p. 18.
CR 2011/20, p. 11-12.

92

6 CIJ1031.indb 181 22/11/13 12:25 188 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

ity, Future’. The total amount of funds awarded to Italian indi-
viduals by this Foundation was close to €2 million.

— Furthermore, roughly 1,000 Italian military internees were
awarded compensation for forced labour under the Founda -
tion scheme.

— In addition, numerous Italian and Greek individuals received
payments under the German post-war compensation legisla -
tion.” 19

22. The question is addressed again in the pleadings of counsel for Ger-
many, wherein it is claimed that Italy’s stance that Germany has failped to

provide reparation collectively “requires an explanation of the entirpe 20
system of reparations as it was conceived by the community of States”p .
The argument goes on to explain the foundations of the system of repara -
tions “conceived by the community of States having declared war on

Germany . . . [which] were laid down at Potsdam, a few months after
Germany’s surrender” 21. Thus, counsel for Germany presented “the
political, historical and legal context of the waiver clause which must pnot
be seen as a kind of accident, a derailing provision which does not fit into
22
the system of international responsibility” .

23. In conclusion on the point at issue, one cannot make abstraction of

the factual context, of the historical background of the facts which gavpe
origin to the present case. State immunities cannot be considered in thep
void, they constitute a matter which is ineluctably linked to the facts p
which give origin to a contentious case. This is precisely what I upheldp in

my dissenting opinion in the Court’s Order of 6 July 2010, whereby the
Court decided, however, to dismiss the Italian counter-claim, much to my
regret. Shortly after that Order, the contending Parties themselves (Gepr -
many and Italy) kept on relating their (written and oral) submissionsp on

the issue of State immunities to the factual background of war repara -
tions claims. It could not have been otherwise, as one and the other arep
ineluctably interrelated.

IV. Germany’s Recognitionp of State Responsibilitpy
in the C as d ’e sPèCe

24. Having established the ineluctable interrelatedness between the
claims of State immunities and of war reparations in the cas d’espèce

(supra), I now move on to the next point, namely, Germany’s recognition
of State responsibility for the wrongful acts which lie in the factual oprigin
of the present case. This comes to reveal the uniqueness of the present p

19
20CR 2011/20, pp. 11-13.
21Ibid., pp. 25-26.
22Ibid., pp. 25-26.
Ibid., p. 27.

93

6 CIJ1031.indb 182 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 188

avaient dû effectuer. La somme totale versée à des ressortisspants
italiens par cette fondation avoisinait les 2 millions d’euros.

— Par ailleurs, quelque 1000 internés militaires italiens ont été
indemnisés pour cause de travail forcé dans le cadre du régime p
mis en place par ladite fondation.

— Enfin, de nombreux ressortissants italiens et grecs se sont vu
verser des indemnités en application de la législation alle -
mande d’après guerre en matière d’indemnisation. » 19

22. Le conseil de l’Allemagne revient sur la question dans sa plaidoirie,
affirmant que la position de l’Italie selon laquelle l’Allemagne pavait failli

à l’obligation de réparation collective qui lui incombait « exige[ait] une
explication du régime de réparation tel qu’il a été conçpu par la commu -
nauté des Etats » . Le conseil de l’Allemagne poursuit en expliquant les
fondements du régime de réparation « conçus par la communauté des

Etats ayant déclaré la guerre à l’Allemagne … posés à Potsdam, quelques
mois après la capitulation de l’Allemagne » 2. C’est ainsi que le conseil de
l’Allemagne a présenté «le contexte politique, historique et juridique de la
clause de renonciation, qui ne [devait] pas être considérée compme une

sorte d’accident, une disposition déviante qui ne cadr[ait] pas avpec le
régime de la responsabilité internationale » 22.
23. Pour conclure sur ce point, on ne peut faire abstraction du contexte

factuel, du contexte historique qui est à l’origine de la présepnte affaire.
Les immunités de l’Etat ne peuvent être envisagées dans un vpide, elles
sont inéluctablement liées aux faits qui sont à l’origine dup litige. C’est
précisément ce que j’ai déclaré dans l’opinion dissidepnte que j’ai jointe à

l’ordonnance du 6 juillet 2010, par laquelle la Cour a décidé à mon grand
regret de rejeter la demande reconventionnelle italienne. Peu après cpette
ordonnance, les Parties (l’Allemagne et l’Italie) ont elles-mêpmes continué
de lier leurs conclusions (écrites et orales) sur la question des ipmmunités

de l’Etat au contexte factuel des demandes de réparations de guerrpe. Il
n’aurait pu en être autrement, puisque les deux questions sont inéplucta -
blement liées.

IV. Reconnaissance par l’pAllemagne de la responspabilité
de l’État en l’espèce

24. Ayant établi que l’invocation des immunités de l’Etat et lesp
demandes de réparations de guerre étaient inéluctablement liépes en l’es -

pèce (supra), je passe maintenant au point suivant, à savoir la reconnais -
sance par l’Allemagne de la responsabilité de l’Etat pour les fpaits illicites
qui sont à l’origine de la présente affaire. Cette reconnaissance illustre

19
20 CR 2011/20, p. 11-13.
21 Ibid., p. 25-26.
22 Ibid., p. 25-26.
Ibid., p. 27.

93

6 CIJ1031.indb 183 22/11/13 12:25 189 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

case concerning the Jurisdictional Immunities of the State, a very rare one
in the inter-State contentieux before the Hague Court, and an unprece -

dented one in that the Complainant State recognizes its own responsibil -
ity for the harmful acts lying in the origins, and forming the factual
background, of the present case.
25. Throughout the proceedings before this Court in the present case

concerning the Jurisdictional Immunities of the State, in the written and
oral phases, Germany took the commendable initiative of repeatedly rec -
ognizing State responsibility for the wrongful acts lying in the factualp ori-
gins of the cas d’espèce, i.e., for the crimes committed by the Third Reich
23
during the Second World War . Thus, in the written proceedings, in its
Memorial Germany stated that

“the historical context of the dispute cannot be fully understood with-
out at least a summary description of the unlawful conduct of the
forces of the German Reich, on the one hand, and the steps under -

taken by post-war Germany, at the inter-State level, to give effect to
the international responsibility of Germany deriving from that
conduct, on the other. (. . .)
The democratic Germany, which emerged after the end of the

Nazi dictatorship, has consistently expressed its deepest regrets over
the egregious violations of international humanitarian law perpe -
trated by German forces during the period from 8/9 September 1943
until the liberation of Italy.” 24

26. Germany then referred to its own previous “symbolic gestures”, on p

many occasions, to remember the Italian citizens who became “victims pof
barbarous strategies in an aggressive war”. It added that it was “pprepared
to do so in the future” again. Germany recalled, in particular, the
2008 ceremony held in the memorial site “La Risiera di San Sabba” close

to Trieste (which had been used as a concentration camp during the Ger -
man occupation in the Second World War), where Germany fully
acknowledged the untold suffering inflicted on Italian men and womenp in
particular during massacres, and on former Italian military internees”p 2.

27. One of the conclusions of the meeting of German and Italian
authorities during the ceremony in the memorial site near Trieste (on
18 November 2008) was the decision to create a joint commission of Ger -

man and Italian historians.

“with the mandate to look into the common history of both coun -
tries during the period when they were both governed by totalitarian
regimes, giving special attention to those who suffered from war

23
Cf., e.g., Memorial of Germany, paras. 7, 15, 59, Reply of Germany, para. 2 ;
CR 2011/17, p. 15, para. 5; pp. 18-19, para. 12; p. 31, para. 20; p. 48, para. 41 ;CR 2011/20,
para. 1.
24 Memorial of Germany, paras. 7 and 15.
25 Ibid., para. 15.

94

6 CIJ1031.indb 184 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 189

l’unicité de la présente affaire concernant les Immunités juridictionnelles de
l’Etat, car il est très rare, voire sans précédent, que devant la Coupr l’Etat

demandeur reconnaisse sa responsabilité pour les faits dommageables qpui
sont à l’origine de l’affaire et en constituent le contexte fpactuel.

25. Tout au long de la procédure écrite et orale, l’Allemagne a prips
l’initiative louable de reconnaître à maintes reprises la respopnsabilité de
l’Etat allemand pour les faits illicites qui sont à l’origine dpu litige, c’est-à-
dire les crimes commis par le III eReich durant la seconde guerre mon -
23
diale . C’est ainsi que, dans son mémoire, l’Allemagne a déclarép

«on ne saurait … se faire une idée claire du contexte historique du
différend sans revenir, même succinctement, sur la conduite illipcite

des forces du Reich allemand, d’une part, et sur les mesures prises apu
niveau interétatique par l’Allemagne de l’après-guerre pour pmettre en
œuvre la responsabilité de l’Allemagne découlant de cette copnduite,
d’autre part…

L’Allemagne démocratique qui a vu le jour après la chute de la p
dictature nazie n’a pas laissé d’exprimer ses regrets les plus pprofonds
pour les violations massives du droit international humanitaire per -

pétrées par les forces allemandes à parti24des 8 et 9 septembre 1943 et
ce, jusqu’à la libération de l’Italie. »

26. L’Allemagne a ensuite évoqué ses maints « gestes symboliques »
pour honorer la mémoire des citoyens italiens « victimes de stratégies bar -
bares dans le cadre de cette guerre d’agression ». Elle a ajouté qu’elle était

«prête à en faire autant dans l’avenir ». Elle a en particulier rappelé la
cérémonie organisée en 2008 sur le site commémoratif « La Risiera di San
Saba», situé près de Trieste (qui avait été utilisé commep camp de concen -
tration durant l’occupation allemande lors de la seconde guerre mon -

diale), au cours de laquelle elle avait pleinement reconnu « les souffrances
indicibles infligées aux hommes et aux femmes d’Italie, en partipculier lors
des massacres, ainsi qu’aux anciens internés militaires italiens » 2.
27. Une des conclusions de la réunion des autorités allemandes et

italiennes pendant cette cérémonie organisée près de Trieste le 18novembre
2008 a été la décision de créer une commission conjointe d’historiens alle -
mands et italiens

«qui aurait pour mission de revenir sur l’histoire commune des deux pays

pendant la période ou l’un et l’autre étaient sous la coupe pd’un régime
totalitaire, en prêtant une attention spéciale aux victimes de cripmes de

23
Voir, par exemple, mémoire de l’Allemagne, par. 7, 15, 59, 94réplique de l’Alle -
magne, par. 2 ;CR 2011/17, p. 15, par. 5, p. 18-19, par. 12, p. 31, par. 20, et p. 48, par. 41 ;
CR 2411/20, par. 1.
25 Mémoire de l’Allemagne, par. 7 et 15.
Ibid., par. 15.

94

6 CIJ1031.indb 185 22/11/13 12:25 190 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

crimes, including those Italian soldiers whom the authorities of the

Third Reich abusively used as forced labourers (‘military internees’).
In fact, the first conference of that joint commission, which com -
prises five eminent scholars from each side, was held on 28 March 2009
in Villa Vigoni, the prominent centre for cultural encounters in Ger -
26
man-Italian relations.”

28. Germany added that it “does not challenge the assertion that
indeed very serious violations, even crimes, were committed by its occu -
pation forces in Italy” 27. It added that “[t]he unlawful actions of the

armed forces of the Third Reich took place between 1943 and 1945. Since p
that time, no injurious new element was added to the damage originally
caused.” 28 In its Reply, Germany again referred to “[t]he horrendous
events of World War II, when German occupation forces perpetrated
29
indeed serious violations of the laws of war” (which it sought, however,
to separate from the issue of State immunity submitted to the jurisdictipon
of the Court).

29. Likewise, in the course of the oral proceedings, in the public sitting
of 12 September 2011 before the Court, counsel for Germany stated that

“The democratic Germany which emerged after the end of the Nazi
dictatorship has consistently expressed its deepest regret over the egrep -
gious violations of international humanitarian law perpetrated by

German forces and fully acknowledges the suffering inflicted on the p
Italian people during the period from September 1943 until the liber -
ation of Italy in May 1945. In this context, the German Government

has, in co-operation with the Italian Government, made a number of
gestures to reach out to the victims and their families. (. . .).
[M]ost horrendous crimes were committed by Germans during
World War II. Germany is fully aware of her responsibility in this

regard. Those crimes were unique, as were the instruments and
mechanisms for compensation and reparation — financially, politi -
cally and otherwise — set up and implemented by Germany since the

end of the war. We cannot undo history. If victims or descendants of
victims feel that these mechanisms were not sufficient, we do regret
this.”30

30. Shortly afterwards, in the public sitting of 15 November 2011
before the Court, counsel for Germany reiterated that

“We are well aware that the complex legal nature of these procee -
dings on State immunity cannot do justice at all to the human dimen-

26 Memorial of Germany, para. 15.
27 Ibid., para. 59.
28 Ibid., para. 94.
29 Reply of Germany, para. 2.
30 CR 2011/17, pp. 15 and 18, paras. 5 and 12 ; and cf. p. 31, para. 20, for yet another

reference to the “grave breaches of the law perpetrated by the authorpities of the German
Third Reich”.

95

6 CIJ1031.indb 186 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 190

e
guerre, notamment aux soldats italiens que les autorités du III Reich
utilisèrent abusivement pour le travail forcé (les «internés militaires»).
En fait, la première conférence de cette commission conjointe, composée

de cinq éminents spécialistes de chacune des parties, s’est tenue le
28 mars 2009 à la Villa Vigoni, le centre renommé d’échanges culturels
organisés dans le cadre des relations germano-italiennes». 26

28. L’Allemagne a ajouté qu’elle «ne contest[ait] pas que des violations
graves, voire des crimes, [avaient] effectivement été commises ppar ses
27
forces d’occupation en Italie » et que « [l]es actes illicites des forces
armées du III e Reich furent commis entre 1943 et 1945. Depuis cette
époque, aucun nouvel effet dommageable n’est venu s’ajouter apu préju -
28
dice causé à l’origine. » Dans sa réplique, l’Allemagne évoque de nou -
veau « [l]es terribles événements de la seconde guerre mondiale lorsque
les forces d’occupation allemandes ont, de fait, gravement violé les lpois de
29
la guerre » (en s’efforçant néanmoins de les séparer de la question de
l’immunité de l’Etat soumise à la compétence de la Cour)p.
29. De même, à l’audience du 12 septembre 2011, le conseil de l’Alle -

magne a déclaré :

«L’Allemagne démocratique apparue à la fin de la dictature nazpie
a constamment exprimé son plus profond regret face aux violations
grossières du droit international humanitaire perpétrées par leps forces

allemandes et reconnaît pleinement les souffrances infligées au peuple
italien pendant la période qui s’est écoulée entre septembrep 1943 et la
libération de l’Italie en mai 1945. Dans ce cadre, le Gouvernement

allemand, en coopération avec le Gouvernement italien, a fait plu -
sieurs gestes en faveur des victimes et de leurs familles…
[D]es crimes indicibles ont été commis par des Allemands au cours

de la seconde guerre mondiale. L’Allemagne est tout à fait consciepnte
de sa responsabilité à cet égard. Ces crimes étaient uniquesp, comme
l’ont été les instruments et les mécanismes d’indemnisatipon et de répa -
ration — financiers, politiques et autres — créés et mis en œuvre par

l’Allemagne depuis la fin de la guerre. Nous ne pouvons refaire l’phis -
toire. Si les victimes ou les descendants des victimes croient que ces
mécanismes n’étaient pas suffisants, nous le regrettons sincèpremen»t. 30

30. Peu après, à l’audience du 15 novembre 2011, le conseil de l’Alle -

magne a déclaré à la Cour :

«Nous sommes tout à fait conscients que la complexité juridique
de la présente affaire relative aux immunités de l’Etat ne peprmettra

26
27Mémoire de l’Allemagne, par. 15.
Ibid., par. 59.
28Ibid., par. 94.
29Réplique de l’Allemagne, par. 2.
30CR 2011/17, p. 15, par. 5, et p. 18, par. 12 ; voir aussi p. 31, par. 20, pour une autre
évocation des « violations graves du droit perpétrées par les autorités duReich alle-
mand ».

95

6 CIJ1031.indb 187 22/11/13 12:25 191 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

sion of the terrible wartime events for which Germany has accepted
full responsibility. I would like to take this opportunity to emphasize p
31
our deepest respect for the victims, not only here in the courtroom.”p

Germany further recognized its responsibility specifically for the maspsacre
of Distomo in Greece, perpetrated on 10 June 1944 (cf. para. 188 infra).

31. The massacre of Distomo was by no means an isolated atrocity of
the kind ; there were other massacres in occupied Greece at that time, in
a pattern of systematic oppression and extreme violence 32. The above

statements before this Court, of acknowledgment of State responsibility p
on the part of Germany, commendable as they are, show again the impos -
sibility of making abstraction of the factual background of the present p

case, pertaining to the claim of State immunity as ineluctably related tpo
war reparation claims.

V. Fundamental Human Valueps:
Rescuing some Forgottepn Doctrinal Developmenpts

32. Since legal doctrine (i.e., “the teachings of the most highly qualifiped

publicists of the various nations”) is listed among the formal “sources” of
international law, together with “judicial decisions”, in Article 38 (1) (d)
of the ICJ Statute, consideration of the basic issue raised in the present
case concerning the Jurisdictional Immunities of the State (Germany v.

Italy: Greece intervening) cannot thus prescind from, and be exhausted
in, a review only of case law (both international and domestic) on thep
procedural issue of State immunity strictly. Attention is to be turned aplso
to the most lucid international legal thinking, drawing on the underlyinpg

human values. I thus turn my attention to some writings which I regard
as particularly relevant to the consideration of the cas d’espèce.

33. I do not purport to be exhaustive, but rather selective, in singling

out some ponderations which should not remain seemingly forgotten in
our days, particularly by the active (if not hectic) legal profession, which
appears today oblivious of the lessons of the past, in its persistent obpses -

sion of privileging strategies of litigation over consideration of fundamen-
tal human values. I draw attention to the apparently forgotten thoughts p
of three distinguished jurists, who belonged to the same generation whicph
witnessed and survived two World Wars, who were devoted to interna -

31
CR 2011/20, p. 10, para. 1.
32For one of the few general historical accounts available, cf. M. MazowInside
Hitler’s Greece : The Experience of Occupation, 1941‑44, New Haven/London, Yale Nota
Bene/Yale University Press, 2001, pp. 155-261.

96

6 CIJ1031.indb 188 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 191

nullement d’appréhender la dimension humaine des terribles événe -
ments qui se sont déroulés pendant la guerre, événements àp l’égard

desquels l’Allemagne a reconnu sa pleine responsabilité. Je saisisp
d’ailleurs cette occasion pour témoigner aux victimes, et pas seulpe -
ment à celles qui sont présentes dans cette salle de justice, notrpe plus
profond respect.» 31

L’Allemagne a en outre reconnu spécifiquement sa responsabilitép pour le
massacre de Distomo perpétré en Grèce le 10 juin 1944 (voir par. 188

infra).
31. Le massacre de Distomo n’a aucunement été une atrocité isolépe; il
y a eu d’autres massacres en Grèce occupée à l’époque,p dans le cadre
d’une oppression systématique d’une extrême violence 3. Les déclarations

devant la Cour citées ci-dessus de reconnaissance de la responsabilitpé de
l’Etat allemand, si louables soit-elles, montrent une nouvelle fois qpu’il est
impossible de faire abstraction du contexte factuel de la présente affaire,

l’invocation de l’immunité de l’Etat étant inéluctablepment liée aux
demandes de réparations de guerre.

V. Valeurs humaines fondpamentales:
des développements doctprinaux tirés de l’oubpli

32. Comme la doctrine (c’est-à-dire «la doctrine des publicistes les plus

qualifiés des différentes nations ») figure parmi les « sources» du droit
international avec les «décisions judiciaires» à l’alinéa d) du paragraphe 1
de l’article 38 du Statut de la CIJ, l’examen de la question fondamentale
que soulève la présente affaire concernant les Immunités juridictionnelles de

l’Etat (Allemagne c. Italie; Grèce (intervenant)) ne peut donc se limiter au
seul examen de la jurisprudence (internationale comme nationale) relatpive
à la question procédurale de l’immunité de l’Etat au sensp strict ni consister
en ce seul examen. Il faut aussi prêter attention à la doctrine deps publi -

cistes les plus éclairés, et tirer profit des valeurs humaines qpui la sous-
tendent. Je vais donc me pencher sur des ouvrages que je considère copmme
particulièrement pertinents pour l’examen du présent cas d’epspèce.
33. J’entends ne pas être exhaustif mais être bien sélectif en choisissant

certaines réflexions qui ne devraient pas être ignorées de nops jours, en
particulier par les praticiens actifs (sinon surmenés) du droit, qupi semblent
avoir oublié les leçons du passé, persistant à privilégiepr les stratégies judi -

ciaires au lieu de tenir compte des valeurs humaines fondamentales. J’pap-
pelle l’attention sur les réflexions apparemment oubliées de ptrois juristes
éminents, qui appartenaient à la génération qui a été ptémoin de deux
guerres mondiales et y a survécu, et qui se sont consacrés au droipt inter -

31
CR 2011/20, p. 10, par. 1.
32Pour l’une des relations générales disponibles, voir M. Mazower,Inside Hitler’s
Greece: The Experience of Occupation, 1941‑44,New Haven/Londres, Yale Nota Bene/
Yale University Press, 2001, p. 155-261.

96

6 CIJ1031.indb 189 22/11/13 12:25 192 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

tional law in the epoch of the anguish of the inter-war period and of the

horrors of the Second World War : Albert de La Pradelle (1871-1955),
former member of the Advisory Committee of Jurists which in 1920
drafted the Statute of the old Permanent Court of International Justice
(PCIJ), subsequently to become, with minor changes, the Statute of thep
33
ICJ; Max Huber (1874-1960), former judge of the PCIJ ; and Alejan -
dro Alvarez (1868-1960), former judge of the ICJ.
34. At the same time as the rise of Nazism in Germany, humanism was

being cultivated elsewhere, and not so far away, within the realm of intper -
national legal thinking. In an illuminating series of lectures, deliverepd in
Paris, from November 1932 to May 1933, Albert de La Pradelle pondered
that the droit des gens transcends inter-State relations, it regulates them

so as to protect human beings : it is a true “law of the human commu -
nity”. The droit des gens seeks to ensure respect for the rights of the
human person, to ensure compliance by States of their duties vis-à-vis the

human beings under the respective jurisdictions. International law — he
added — was constructed as from human beings, it exists by and for
them 3.

35. Under the droit des gens, States ought to permit human beings who
compose them to become masters of their own destiny. One is here before p
a true “droit de l’humanité”, in the framework of which general principles
of law — which are those of international law, emanating from natural
35
law — play an important and guiding role. The purely inter-State con -
ception is dangerous, he warned ; in his own words,

“It is extremely grave and perilous that international law is for -
ming on the conception of reciprocal rights and duties of the diffe -
rent States. (. . .) [I]t is essential to move away from that process of

definition. (. . .) [I]t poses an immediate danger, leading States to
focus solely, in respect of the organization and development of inter -
national law, on their particular freedoms grouped together under a
36
new expression, that of sovereignty.”

Attention is, in his view, to be turned to those general principles, emapnat-
ing from the juridical conscience, and to the “evolution of humankind”,
respectful of the rights of the human person 37.
36. On his turn, Max Huber, in a book written in his years of maturity

and published towards the end of his life, drew attention to the relevance
of “superior values”, above “State interests”, in the whole realm of the jus

33 And its former president in the period 1925-1927.
34 A. de La Pradelle, Droit international public (cours sténographié), Paris, Institut des
hautes études internationales/Centre européen de la dotation Carnepgie, November 1932/
May 1933, pp. 49, 80-81, 244, 251, 263, 265-266 and 356.
35 Ibid., pp. 230, 257, 264 and 413.
36
37 Ibid., pp. 33-34. [Translation by the Registry.]
Ibid., pp. 261 and 412.

97

6 CIJ1031.indb 190 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 192

national durant l’entre-deux-guerres, une époque marquée par l’angoisse,

et alors que les horreurs de la seconde guerre mondiale étaient perpéptrées:
Albert de La Pradelle (1871-1955), ancien membre du Comité consultatif
de juristes qui a en 1920 rédigé le Statut de la Cour permanente de Justice

internationale (CPJI), devenu par la suite, moyennant des modificatipons
mineures, le Statut de la CIJ ; Max Huber (1874-1960), ancien juge de la
CPJI 33; et Alejandro Alvarez (1868-1960), ancien juge de la CIJ.

34. A l’époque où en Allemagne le nazisme prenait son essor, l’hpuma -
nisme était cultivé dans d’autres régions, point trop éloignées, dans le
domaine de la réflexion juridique internationale. Dans le cadre d’pune série
de conférences pénétrantes données à Paris de novembre 1932 à mai 1933,

Albert de La Pradelle expliquait que le droit des gens transcende les rela -
tions entre Etats, et les régule de manière à protéger la peprsonne humaine :
c’est un vrai « droit de la communauté humaine ». Le droit des gens vise à

assurer le respect des droits de la personne humaine, pour faire en sorte
que les Etats s’acquittent de leurs obligations vis-à-vis des êptres humains
placés sous leur juridiction. Le droit international, ajoutait-il, s’pest formé
34
à partir de l’être humain, il existe par lui et pour lui .
35. En application du droit des gens, les Etats doivent permettre aux
êtres humains qui les constituent de devenir les maîtres de leur destinée. Il

s’agit là d’un véritable « droit de l’humanité », dans le cadre duquel les
principes généraux du droit, qui sont ceux du droit international pet
découlent du droit naturel 3, jouent un rôle directeur important. La
conception purement étatique du droit est dangereuse, avertissait-il :

«Il est extrêmement grave et dangereux que le droit international

se forme sur la conception de droits et de devoirs réciproques des
différents Etats … [C]ette définition, on doit l’écarter … [E]lle devient
immédiatement périlleuse en menant les Etats à ne se préoccuper,

dans l’organisation et le développement du droit international, qupe
de leurs libertés particulières réunies sous une expression noupvelle
qui est celle de souveraineté. » 36

Il fallait selon lui prêter attention à ces principes générapux, émanant de la
conscience juridique, et à l’« évolution de l’humanité », respectueuse des
37
droits de la personne humaine .
36. Max Huber, à son tour, dans un ouvrage écrit à l’âge mûr ept publié
vers la fin de sa vie, appelait l’attention sur la pertinence des «p valeurs

supérieures» aux «intérêts de l’Etat» dans tout le domaine du jus gentium

33Et qui a présidé cette juridiction de 1925 à 1927.
34A. de La Pradelle, Droit international public (cours sténographié), Paris, Institut des
hautes études internationales/Centre européen de la dotation Carnepgie, novembre 1932/
mai 1933, p. 49, 80-81, 244, 251, 263, 265-266 et 356.
35Ibid., p. 230, 257, 264 et 413.
36Ibid., p. 33-34.
37Ibid., p. 261 et 412.

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6 CIJ1031.indb 191 22/11/13 12:25 193 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

gentium as a law of mankind (droit de l’humanité) 38. Looking back in
time (writing in 1954), he pondered that

“If one compares the current era with that of 1914, it is clear to sepe

that there has been a weakening of the sense of the law, a reduction
in the instinctive respect for the limits it imposes ; this is surely a
consequence of the damage sustained within the legal structures of

States (. . .) Devaluation of the human person and life and wide-
spread deterioration of the legal consciousness. All that explains why
a significant part of humanity accepted, without any apparent strong
39
reaction, a serious debasement of the laws of war.”

37. The jus gentium beheld and advocated by Huber, in the light
of natural law thinking, is meant to protect the human person. Contem -
porary international humanitarian law (as embodied, e.g., in the four

Geneva Conventions) — he added — purported ultimately to the protec -
tion of the human person as such, irrespective of nationality ; it was cen-
tred on human beings. He further recalled the ultimate ideal cultivated pby
40
some international legal philosophers of the civitas maxima gentium .
38. For his part, Alejandro Alvarez, in a book published (originally in
Paris) one year before his death, titled Le droit international nouveau dans

ses rapports avec la vie actuelle des peuples (1959), also visualized the foun -
dations of international law — subsequent to the “social cataclysm” of the
41
Second World War — as from its general princ42les , emanated from the
“international juridical conscience” , wherefrom derive also — he
added — precepts such as those pertaining to the crime against humanity 4.

To him as well, those general principles of international law emanated fprom
the juridical conscience, and should be re-stated in the new times 44.

39. They were endowed with much importance, as historically exempli-
fied by the two Hague Peace Conferences (1899 and 1907) 4. A. Alvarez
further observed that, as a result of the “dynamism” of the evolvipng inter -

national law,

“it is rather often difficult to make in this law the traditional dipstinc-
tion between ‘lex lata’ and ‘lex ferenda’. Beside a formed international
law, there is always an international law in the process of formation.”p 46

38 M. Huber, La pensée et l’action de la Croix‑Rouge, Geneva, CICR, 1954, pp. 26, 247,
270 and 293.
39 Ibid., pp. 291-292. [Translation by the Registry.]
40 Ibid., pp. 247, 270, 286 and 304.
41
A. Alvarez, El Nuevo Derecho Internacional en Sus Relaciones con la Vida Actual de
los Pueblos, Santiago, Editorial Jurídica de Chile, 1962 [reed.], pp. 156, 163 and 292.
42 Ibid., pp. 49, 57, 77, 155-156 and 292.
43 Ibid., pp. 156 and 304.
44 Ibid., pp. 163 and 304.
45 Cf. ibid., pp. 156 and 357.
46 “Es a menudo difícil hacer en este derecho la distinción tradicpional entre la ‘lex lata’

y la ‘lex ferenda’. Al lado de un derecho internacional formado, hay siempre un derecho
internacional en formación.” (Ibid., p. 292.) [My translation.]

98

6 CIJ1031.indb 192 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 193

38
en tant que droit de l’humanité . Se tournant vers le passé (il écrivait en
1954), il exposait ce qui suit :

«Si l’on compare l’époque actuelle avec celle de 1914, on doit bpien
constater un affaiblissement du sens du droit, une diminution du res -

pect instinctif des limites qu’il impose ; conséquence certaine des
dégradations subies à l’intérieur des structures juridiques des Etats…
Dévalorisation de la personne et de la vie humaines ainsi qu’affpaiblis -

sement étendu de la conscience juridique. Tout cela explique pour -
quoi une partie importante de l’humanité accepta, sans grandes
réactions apparentes, de sérieuses altérations du droit de la gpuerre». 39

37. Le jus gentium, envisagé et défendu par M. Huber à la lumière de la

doctrine du droit naturel, est destiné à protéger la personne hpumaine. Le
droit international humanitaire contemporain (consacré, par exemple,p dans
les quatre conventions de Genève) — ajoutait-il — visait en dernière ana -

lyse à protéger la personne humaine en tant que telle, indépendammenpt de
la nationalité; il était axé sur les êtres humains. Il rappelait en outre l’pidéal
ultime cultivé par certains publicistes de la civitas maximagentium 40.

38. Alejandro Alvarez, pour sa part, dans un ouvrage publié (initiale -
ment à Paris) un an avant sa mort et intitulé Le droit internationalnouveau
dans ses rapports avec la vie actuelle des peuples (1959), envisageait égale -

ment les fondements du droit international — à la suite du « cataclysme
social» de la seconde guerre mondiale — découlant de ces principes géné -
raux 41qui émanaient de la « conscience juridique internationale » , d’où 42

découlent également, ajoutait-il, des préceptes comme ceux toucphant le
crime contre l’humanité 43. Pour lui également, ces principes généraux du
droit international émanaient de la conscience juridique et ils devaipent
44
être réaffirmés à l’époque nouvelle .
39. On leur accordait beaucoup d’importance, comme l’attestent, d’upn
point de vue historique, les deux conférences de paix de La Haye (1899
45
et 1907) . A. Alvarez faisait en outre observer que, du fait du « dyna-
misme» de l’évolution du droit international,

«il est souvent assez difficile de distinguer, dans ce droit, la lex lata
de la lex ferenda. A côté d’un droit international formé, il y a tou -
46
jours un droit international en formation. »

38 M. Huber, La pensée et l’action de la Croix‑Rouge, Genève, CICR, 1954, p. 26, 247,
270 et 293.
39
40 Ibid., p. 291-292.
Ibid., p. 247, 270, 286 et 304.
41 A. Alvarez, El Nuevo Derecho Internacional en sus Relaciones con la Vida Actual de
los Pueblos, Santiago, Editorial Jurídica de Chile, 1962 (rééd.), p. 156, 163 et 292.
42 Ibid., p. 49, 57, 77, 155-156 et 292.
43 Ibid., p. 156 et 304.
44 Ibid., p. 163 et 304.
45
46Voir ibid., p. 156 et 357.
«Es a menudo difícil hacer en este derecho la distinción tradicional entre la« lexlata »
y la « lex ferenda ». Al lado de un derecho internacional formado, hay siempre un derecho
internacional en formación.» (Ibid., p. 292.)

98

6 CIJ1031.indb 193 22/11/13 12:25 194 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

40. This brief survey of doctrinal developments, centred on fundamen -

tal human values, discloses that, some of the most distinguished juristsp of
a generation which witnessed the horrors of two World Wars in the twen-
tieth century did not at all pursue a State-centric approach to our disci -
pline. On the contrary, they advanced an entirely distinct approach,
centred on the human person. They were, in my understanding, faithful

to the historical origins of the droit des gens, as one ought to be nowadays
as well. Even a domain so heavily marked by the State-centric
approach — which did not help at all to avoid the horrors of the World
Wars — such as that of State immunities has nowadays to be reassessed

in the light of fundamental human values. State immunities are, after all, a
prerogative or a privilege, and they cannot keep on making abstraction opf
the evolution of international law, taking place nowadays, at last, in the
light of fundamental human values.

VI. The Collegial Doctrinapl Work of Learned Institputions

of International Law

41. The work of learned institutions in the domain of international law
can be invoked in this connection. The subject of the jurisdictional immpu -
nities of the State, central in the cas d’espèce, has attracted the attention

of succeeding generations of legal scholars, as well as of learned institu -
tions, such as the Institut de droit international (IDI) and the Interpna -
tional Law Association (ILA). The Institut de droit international, sinpce
its early days in the late nineteenth century up to the present time, has
occupied itself of the theme. As early as in its Hamburg Session of 1891p,

its Projet de règlement international sur la compétence des tribunaux dans
les procès contre les Etats, souverains ou chefs d’Etat étrangers (Draft -
ing Committee and L. von Bar, J. Westlake and A. Hartmann) stated, in
Article 4 (6), that :

“The only admissible actions against a foreign State are :

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. .
— actions for damages for delicts or quasi-delicts committed on
the territory.” [Translation by the Registry.]

42. Over half-a-century later, its conclusions on L’immunité de juridic ‑

tion et d’exécution forcées des Etats étrangers (Session of Aix-en-Provence,
1954 — rapporteur, E. Lémonon) held, in Article 3, that :

“The courts of a State may entertain actions against a foreign
State and the legal persons referred to in Article 1 whenever the dis-
pute relates to an act which is not an act of public authority.
Whether or not an act is an act of public authority is determined

by the lex fori.” [Translation by the Registry.]

99

6 CIJ1031.indb 194 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 194

40. Ce bref exposé de l’évolution doctrinale axée sur les valeurps
humaines fondamentales révèle que certains des plus éminents jupristes
d’une génération qui a connu les horreurs de deux guerres au XX esiècle
ne souscrivaient pas à une approche de notre discipline axée sur lp’Etat.
Au contraire, ils défendaient une approche totalement distincte, axépe sur

la personne humaine. Ils étaient, pour moi, fidèles aux originesp histo -
riques du droit des gens, comme on devrait également l’être de pnos jours.
Même un domaine aussi lourdement marqué par l’approche axée psur
l’Etat — laquelle n’a pas du tout contribué à éviter les horreurs de pdeux

guerres mondiales — que celui des immunités de l’Etat doit aujourd’hui
être réévalué à la lumière des valeurs humaines fondamentales. Les immu -
nités de l’Etat sont, après tout, une prérogative ou un privpilège, et elles ne
peuvent continuer de faire abstraction de l’évolution du droit intpernatio-

nal qui a lieu de nos jours, enfin, compte tenu des valeurs humaines fpon -
damentales.

VI. L’œuvre doctrinale colplégiale d’institutiopns savantes
de droit internationapl

41. L’œuvre d’institutions savantes dans le domaine du droit internpa -
tional peut être invoquée à cet égard. Le sujet des immunitéps juridiction-
nelles de l’Etat, qui est au cœur de la présente espèce, a apttiré l’attention
de générations successives de juristes, ainsi que d’institutionps savantes
comme l’Institut de droit international (IDI) et l’Association dpe droit

international (ADI). L’Institut de droit international a étudiép le sujet
depuis sa naissance à la fin du XIX e siècle jusqu’à nos jours. Dès sa ses -
sion de Hambourg de 1891, il déclarait, dans son Projet de règlement
international sur la compétence des tribunaux dans les procès cont▯re les

Etats, souverains ou chefs d’Etat étrangers (comité de rédaction et L. von
Bar, J. Westlake et A. Hartmann), au paragraphe 6 de l’article 4, que :

«Les seules actions recevables contre un Etat étranger sont :
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p . . . . . . . . . . . . . .

— Les actions en dommages-intérêts nées d’un délit ou d’un
quasi-délit, commis sur le territoire. »

42. Plus d’un demi-siècle plus tard, on pouvait lire dans ses conclusipons
sur L’immunité de juridiction et d’exécution forcée des Etats▯ étrangers (ses -
sion d’Aix-en-Provence, 1954 ; rapporteur, E. Lémonon), à l’article 3 :

«Les tribunaux d’un Etat peuvent connaître des actions contre un
Etat étranger et les personnes morales visées à l’article 1, toutes les
fois que le litige a trait à un acte qui n’est pas de puissance pupblique.
La question de savoir si un acte n’est pas de puissance publique

relève de la lex fori. »

99

6 CIJ1031.indb 195 22/11/13 12:25 195 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

43. In 1991, at its Basel Session, its conclusions on Contemporary

Problems concerning the Immunity of States in relation to Questions of
Jurisdiction and Enforcement (rapporteur, I. Brownlie) provided (as to the
criteria indicating the competence of courts of the forum State in relatpion
to jurisdictional immunity), in Article 2 (2) (e), that :

“In the absence of agreement to the contrary, the following
criteria are indicative of the competence of the relevant organs of the
forum State to determine the substance of the claim, notwithstanding
a claim to jurisdictional immunity by a foreign State which is a

party :
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. .
— The organs of the forum State are competent in respect of pro -

ceedings concerning the death of, or personal injury to, a per -
son, or loss of or damage to tangible property, which are
attributable to activities of a foreign State and its agents within
the national jurisdiction of the forum State.”

44. One decade later, in its Session of Vancouver of 2001, the
resolution of the IDI on Les immunités de juridiction et d’exécution
du chef d’Etat et de gouvernement en droit international (rapporteur,

J. Verhoeven) stated, in Article 3, that
“In civil and administrative matters, the Head of State does not

enjoy any immunity from jurisdiction before the courts of a foreign
State, unless that suit relates to acts performed in the exercise of hisp
or her official functions. Even in such a case, the Head of State shall
enjoy no immunity in respect of a counter-claim. Nonetheless, nothing
shall be done by way of court proceedings with regard to the Head

of State while he or she is in the territory of that State, in the exercpise
of official functions.”

45. Four years later, in the Krakow Session of 2005, the Institut de
droit international, in its conclusions on Universal Criminal Jurisdiction
with Regard to the Crime of Genocide, Crimes against Humanity and War
Crimes (rapporteur, C. Tomuschat), was of the view (Article 3 (a)) that

“Unless otherwise lawfully agreed, the exercise of universal juris -
diction shall be subject to the following provisions :

— Universal jurisdiction may be exercised over international
crimes identified by international law as falling within that

jurisdiction in matters such as genocide, crimes against human -
ity, grave breaches of the 1949 Geneva Conventions for the
protection of war victims or other serious violations of inter -
national humanitarian law committed in international or
non-international armed conflict.”

100

6 CIJ1031.indb 196 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 195

43. En 1991, à sa session de Bâle, il déclarait à l’alinéa e) du para -
graphe 2 de l’article 2 de ses conclusions sur Les aspects récents de l’immu‑

nité de juridiction et d’exécution des Etats (rapporteur, I. Brownlie), à
propos des critères indicatifs de la compétence des tribunaux de l’Etat
du for en matière d’immunité de juridiction, que :

«En l’absence de convention contraire, les critères suivants sont
indicatifs de la compétence des organes de l’Etat du for pour
connaître du fond de la demande, nonobstant une éventuelle
revendication d’immunité de juridiction formulée par un Etat
étranger:

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p . . . . . . . . . . . . . .
— Les organes de l’Etat du for sont compétents à l’égard d’pac -
tions concernant le décès ou les dommages corporels de per -
sonnes ainsi que la perte ou les dommages aux biens,

imputables à des activités d’un Etat étranger ou de ses agenpts
dans les limites de la compétence interne de l’Etat du for. »

44. Une décennie plus tard, à sa session de Vancouver, en 2001, il
déclarait à l’article 3 de sa résolution sur Les immunités de juridiction et
d’exécution du chef d’Etat et de gouvernement en droit internat▯ional (rap -
porteur, J. Verhoeven) :

«En matière civile ou administrative, le chef d’Etat ne jouit d’pau -
cune immunité de juridiction devant le tribunal d’un Etat étranpger,
sauf lorsqu’il est assigné en raison d’actes qu’il a accomplpis dans
l’exercice de ses fonctions officielles ; dans ce dernier cas, il ne jouit

pas de l’immunité si la demande est reconventionnelle. Toutefois, p
aucun acte lié à l’exercice de la fonction juridictionnelle ne ppeut être
accompli à son endroit lorsqu’il se trouve sur le territoire de cept Etat
dans l’exercice de ses fonctions officielles. »

45. Quatre ans plus tard, à sa session de Cracovie, en 2005, l’Institut de
droit international, à l’alinéa a) de l’article 3 de sa résolution sur La com ‑
pétence universelle en matière pénale à l’égard du cri▯me de génocide, des

crimes contre l’humanité et des crimes de guerre (rapporteur, C. Tomuschat),
déclarait :
«L’exercice de la compétence universelle est subordonné aux dis -

positions ci-après, à moins qu’il n’en soit convenu autrement de
manière licite :
— la compétence universelle peut être exercée en cas de crimes

internationaux identifiés par le droit international comme rele -
vant de cette compétence dans les matières telles que le géno -
cide, les crimes contre l’humanité, les violations graves des
conventions de Genève de 1949 sur la protection des victimes
de guerre, ou d’autres violations sérieuses du droit internatio -

nal humanitaire commises durant un conflit armé internatio -
nal ou non international. »

100

6 CIJ1031.indb 197 22/11/13 12:25 196 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

46. Last but not least, in its resolution on Immunity from Jurisdiction
of the State and of Persons Who Act on Behalf of the State in Case of
International Crimes (rapporteur, Lady Fox), adopted at it Naples Ses -
sion of 2008, the Institut was of the view (Arts. II (2) and (3)) that

— “Pursuant to treaties and customary international law, States
have an obligation to prevent and suppress international

crimes. Immunities should not constitute an obstacle to the
appropriate reparation to which victims of crimes addressed by
this Resolution are entitled.
— States should consider waiving immunity where international

crimes are allegedly committed by their agents.”

47. Furthermore, the same Naples resolution of 2009 of the IDI sig -
nificantly added (Article III (1) and (3) (a) and (b)) that

— “No immunity from jurisdiction other than personal immunity
in accordance with international law applies with regard to
international crimes. (. . .)
— The above provisions are without prejudice to :

— the responsibility under international law of a person
referred to in the preceding paragraphs ;

— the attribution to a State of the act of an47such person
constituting an international crime.”

Article IV of the same resolution adds that the above provisions “are
without prejudice to the issue whether and when a State enjoys immunity p
from jurisdiction before the national courts of another State in civil ppro -
ceedings relating to an international crime committed by an agent of thep

former State”.
48. It is clear from the above that, from the start, the IDI approached
State immunities as evolving in time, certainly not static nor immutable,
and having limitations or exceptions (Sessions of Hamburg of 1891, of
Aix-en-Provence of 1954, and of Basel of 1991). The same may be said of

immunities of Heads of State (Session of Vancouver of 2001). More
recently (Session of Krakow of 2005), the IDI upheld universal jurisdipc -
tion over international crimes (grave violations of human rights and ofp
international humanitarian law). And, in its most recent work on the supb -

ject (Session of Naples of 2009), the IDI held precisely that no Statep
immunity applies with regard to international crimes (Art. III (1)) ; the
resolution was adopted by 43 votes to none, with 14 abstentions.

47And Article V further stated that “The above provisions are without prejudice to
the issue whether and when a State enjoys immunity from jurisdiction befpore the national
courts of another State in civil proceedings relating to an internationapl crime committed by
an agent of the former State.”

101

6 CIJ1031.indb 198 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 196

46. Enfin et surtout, aux paragraphes 2 et 3 de l’article II de sa résolu -
tion sur L’immunité de juridiction de l’Etat et de ses agents en cas de ▯crimes
internationaux (rapporteur, lady Fox), adoptée à sa session de Naples
en 2008, l’Institut déclarait ce qui suit :

— «Conformément au droit international conventionnel et cou -
tumier, les Etats ont l’obligation de prévenir et de réprimer lpes

crimes internationaux. Les immunités ne devraient pas faire
obstacle à la réparation adéquate à laquelle ont droit les vpic -
times des crimes visées par la présente résolution.
— Les Etats devraient envisager de lever l’immunité de leurs

agents lorsque ceux-ci sont soupçonnés ou accusés d’avoir
commis des crimes internationaux. »

47. De plus, dans la même résolution, adoptée à Naples en 2009, l’IDI
ajoute, de manière significative (art. III, par. 1 et 3, a) et b)) :

— «Hors l’immunité personnelle dont un individu bénéficieraitp
en vertu du droit international, aucune immunité n’est appli -
cable en cas de crimes internationaux…
— Les dispositions ci-dessus sont sans préjudice de :

— la responsabilité en vertu du droit international de toute
personne visée aux paragraphes précédents ;

— l’imputation à un Etat des actes de cette personne q47
sont constitutifs de crimes internationaux. »

L’article IV de la même résolution ajoute que, dans une affaire civile metp-
tant en cause le crime international commis par l’agent d’un Etat,p les dis-
positions ci-dessus « ne préjugent pas de l’existence et des conditions
d’application de l’immunité de juridiction dont cet Etat peut lpe cas échéant

se prévaloir devant les tribunaux d’un autre Etat ».
48. Il ressort de ce qui précède que, dès le départ, l’IDI a penvisagé les
immunités de l’Etat comme évoluant avec le temps et assurémepnt pas comme
statiques ni immuables, et comme sujettes à limitations ou exceptionsp (ses -
sions de Hambourg en 1891, d’Aix-en-Provence en 1954 et de Bâle en 1991).

On peut dire la même chose des immunités des chefs d’Etat (sespsion de Van -
couver en 2001). Plus récemment (session de Cracovie en 2005), l’IDI a
confirmé la compétence universelle vis-à-vis des crimes internationaux (vio -
lations graves des droits de l’homme et du droit international humaniptaire).

Et, dans le cadre de ses travaux les plus récents sur le sujet (session de Naples
en 2009), l’IDI a précisément indiqué que l’Etat ne jouissapit d’aucune immu -
nité en cas de crimes internationaux (art. III, par. 1); la résolution en ques-
tion a été adoptée par 43 voix contre zéro, avec 14 abstentions.

47Et l’article IV ajoute : « Dans une affaire civile mettant en cause le crime international
commis par l’agent d’un Etat, les dispositions qui précèdentp ne préjugent pas de -’exis
tence et des conditions d’application de l’immunité de juridictpion dont cet Etat peut le cas
échéant se prévaloir devant les tribunaux d’un autre Etat. »

101

6 CIJ1031.indb 199 22/11/13 12:25 197 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

49. In the debates of that confrèrie which preceded the adoption of the
aforementioned resolution of Naples of 2009, the following views were,
inter alia, expressed : (a) State-planned and State-perpetrated crimes,

engaging State responsibility, removed any bar to jurisdiction, at natiopnal
and international levels, so as to avoid impunity (interventions by
A. A. Cançado Trindade) ; (b) State immunity from jurisdiction cannot
be understood as immunity from criminalization (interventions by

G. Abi-Saab) ;(c) emphasis is to be laid on the need to avoid leaving the
victims without any remedy (intervention by G. Burdeau) ; (d) there is
need to take such progressive approach (intervention by R. Lee) 48.
50. The other learned institution aforementioned, the International

Law Association (ILA), dwelt upon the matter as well. In its final rpeport
on The Exercise of Universal Jurisdiction in Respect of Gross Human
Rights Offences (Conference of London of 2000), the ILA Committee on
International Law and Practice employed the term “gross human rights p

offences” as shorthand for “serious violations of international phumanitar -
ian law and international human rights law that qualify as crimes under p
international law and that are of such gravity as to set them out as desperv -
ing special attention, inter alia, through their being subjected to universal

jurisdiction” (p. 3). One of the “conclusions and recommendations”
(No. 4) reached by that ILA Committee was that :

“No immunities in respect of gross human rights offences subject
to universal jurisdiction shall apply on the grounds that crimes were
perpetrated in an official capacity.” (P. 21.)

51. One decade later, in its report on Reparation for Victims of Armed
Conflict (ILA Conference of The Hague of 2010), the ILA Committee on
Reparation for Victims of Armed Conflict (substantive issues) observped,

in the commentary on Article 6 of its draft Declaration of International
Law Principles on Reparation for Victims of Armed Conflict (Substantive
Issues), that the duty to make reparation has “its roots in general pprinci -
ples of State responsibility” (as expressed by the PCIJ in the Chorzów

Factory case, 1928), in Article 3 of the Hague Convention (IV) of 1907
and in Article 91 of the I Additional Protocol of 1977 to the four Geneva
Conventions of 1949 (p. 311). And the ILA Committee added that :

“Whilst claims of the individual were traditionally denied, the dom-

inant view in the literature has increasingly come to recognize an
individual right to reparation — not only under international human
rights law, but also under international humanitarian law. The same
shift is discernible in State practice.” 49 (P. 312.)

48Cf. 73 Annuaire de l’Institut de droit international — Session de Naples (2009),
pp. 144, 148, 158, 167, 175, 187, 198, 222 and 225.
49And cf. pp. 313-320, on the changes that have occurred in recent years, pointing towards
the recognition of the individual’s right to reparation (cf. infra, on this particular point).

102

6 CIJ1031.indb 200 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 197

49. Lors des débats de l’Institut qui ont précédé l’adoptipon à Naples
en 2009 de la résolution susmentionnée, les vues ci-après ont notapmment
été exprimées :a) les crimes planifiés et perpétrés par l’Etat, qui engagentp

la responsabilité de celui-ci, lèvent tout obstacle à la compéptence aux
niveaux national et international, de manière à éviter l’imppunité (interven -
tions de A. A. Cançado Trindade) ; b) l’immunité de juridiction de l’Etat
ne saurait être interprétée comme l’immunité de juridictipon pénale (inter -

ventions de G. Abi-Saab) ; c) il faut mettre l’accent sur la nécessité de ne
pas laisser les victimes sans aucun recours (intervention de G. Burdeau) ;
d) il faut adopter une approche progressiste (intervention de R. Lee) 4.
50. La seconde institution savante susmentionnée, l’Association de dropit

international (ADI), s’est également penchée sur la question.p Dans son rap -
port final sur L’exercice de la compétence universelle à l’égard des atte ▯ intes
graves aux droits de l’homme (conférence de Londres, tenue en 2000), le
Comité du droit international et de la pratique des Etats a utilisép l’expres -

sion «infractions graves aux droits de l’homme» pour désigner les « viola-
tions graves du droit international humanitaire et du droit internationapl des
droits de l’homme qualifiées de crimes par le droit international et dont la
gravité est telle qu’elles appellent une attention particulièrep, notamment en

ce qu’elles relèvent de la compétence universelle» (p. 3). L’une des «conclu -
sions et recommandations» (n° 4) du comité de l’ADI était la suivante:

«En cas d’infractions graves aux droits de l’homme relevant de la
compétence universelle, aucune immunité ne saurait être tirépe du fait que
les crimes ont été commis dans l’exercice de fonctions officiepl»le(sP .. 21.)

51. Une décennie plus tard, dans son rapport sur les réparations pour ples
victimes de conflits armés (conférence de La Haye, tenue en 2010), le comité
des réparations aux victimes de conflits armés (questions de fopnd) de l’ADI

a fait observer, dans le commentaire relatif à l’article 6 de son projet de
déclaration sur les principes du droit international relatifs aux répparations
pour les victimes de conflits armés (question de fond), que l’pobligation de
réparer avait «son origine dans les principes généraux de la responsabilité

de l’Etat» (tels qu’exprimés par la CPJI dans l’affaire de l’Usine de Chorzów,
en 1928), dans l’article 3 de la convention IV de La Haye de 1907 et dans
l’article 91 du protocole additionnel I de 1977 aux quatre conventions de
Genève de 1949 (p. 311). Et le comité de l’ADI d’ajouter:

«Si, traditionnellement, les réclamations individuelles sont reje -

tées, l’opinion dominante de la doctrine reconnaît de plus en pplus
l’existence d’un droit individuel à réparation — non seulement en
droit international des droits de l’homme, mais aussi en droit inter -
national humanitaire. On peut constater la même évolution dans la p
49
pratique des Etats. » (P. 312.)

48Voir Annuaire de l’Institut de droit internatiovol. 73, session de Naples (2009),
p. 144, 148, 158, 167, 175, 187, 198, 222 et 225.
49 Et voir p. 313-320, sur l’évolution qui s’est produite ces dernières années dans le sens
de la reconnaissance du droit de l’individu à réparation (voirp infra sur ce point particulier).

102

6 CIJ1031.indb 201 22/11/13 12:25 198 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

52. In sum and conclusion, contemporary international legal doctrine,
including the work of learned institutions in international law, gradualply

resolves the tension between State immunity and the right of access to
justice rightly in favour of the latter, particularly in cases of internpational
crimes. It expresses its concern with the need to abide by the imperativpes

of justice and to avoid impunity in cases of perpetration of international
crimes, thus seeking to guarantee their non-repetition in the future. Itp is
nowadays generally acknowledged that criminal State policies and the
ensuing perpetration of State atrocities cannot at all be covered up by the

shield of State immunity.

VII. The Threshold of the Grapvity of the Breaches ofp Human

Rights and of Internatiponal Humanitarian Law

53. This brings me to the consideration of a related aspect, not suffi -

ciently developed in expert writing to date, namely, the threshold of thpe
gravity of the breaches of human rights and of international humanitar -
ian law, removing any bar to jurisdiction, in the quest for reparation tpo
the victimized individuals. In this respect, there have been endeavours,p at

theoretical level, to demonstrate the feasibility of the determination opf the
international criminal responsibility not only of individuals but also opf
States; it has been suggested that the acknowledgement of State responsi -
bility for international crimes is emerging in general international law 50.

It goes without saying that criminal practices of States entail conse -
quences for the determination of reparations to individual victims, eachp
and all of them, — even more cogently from the contemporary out -

look — which I adv51ce — of an international law for the human person,
for humankind .
54. In this line of reasoning, it is important to dwell upon the needed
configuration of the threshold of the gravity of the breaches of human

rights, with ineluctable legal consequences for the removal of any bar tpo
jurisdiction and for the question of reparations to the victims. It is ipndeed
important to consider nowadays all mass atrocities in the light of the
threshold of gravity, irrespective of who committed them ; this may sound

evident, but there subsist in practice regrettable attempts to exempt Stpates
from any kind of responsibility. From time to time there have been
attempts to construe the threshold of the gravity of breaches of human

rights; this concern has been expressed at times, e.g., in the work of the

50N. H. B. Jorgensen, The Responsibility of States for International Crimes, Oxford
University Press 2003, pp. 206-207, 231, 279-280 and 283.
51 Cf. A. A. Cançado Trindade, “International Law for Humankind : Towards a New

Jus Gentium — General Course on Public International Law — Part I”, 316 Recueil
des cours de l’Académie de droit international de La Haye (RCADI)▯ (2005), pp. 31-4;9
A. A. Cançado Trindade, “International Law for Humankind : Towards a New Jus
Gentium — General Course on Public International Law — Part II”, 317 RCADI (2005),
pp. 19-312.

103

6 CIJ1031.indb 202 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 198

52. Pour résumer et en conclusion, la doctrine juridique internationale
contemporaine, y compris les institutions savantes de droit international,

concilie progressivement l’immunité de l’Etat et le droit d’paccès des vic -
times à la justice en faveur de ces dernières, en particulier en cpas de crimes
internationaux. Elle se soucie de la nécessité de respecter les imppératifs de

la justice et d’éviter l’impunité en cas de crimes internatiponaux, ce afin de
garantir la non-répétition de ceux-ci à l’avenir. Il est de pnos jours généra -
lement reconnu que les politiques d’Etat criminelles et la perpétrpation qui
en découle d’atrocités par les Etats ne peuvent aucunement s’pabriter der -

rière l’immunité de l’Etat.

VII. Le seuil de gravité des aptteintes aux droits dep l’homme

et au droit internatiponal humanitaire

53. Cela m’amène à examiner un aspect connexe de la question qui n’pa

pas jusqu’ici été suffisamment traité en doctrine, à savpoir le seuil de gra ‑
vité des atteintes aux droits de l’homme et au droit international humanip-
taire qui lève tout obstacle à la compétence dans la quête dp’une réparation
au bénéfice des victimes individuelles. A cet égard, on a tenpté, au niveau

théorique, de démontrer qu’il était possible de mettre en œuvre la respon -
sabilité pénale internationale non seulement des individus mais aupssi des
Etats; on a dit que la responsabilité de l’Etat en cas de crime internaptional
commençait à être reconnue en droit international généralp 50. Il va sans

dire que les pratiques criminelles des Etats ont des conséquences poupr la
détermination des réparations au bénéfice des victimes indpividuelles, pour
chacune d’entre elles, a fortiori si on se place du point de vue de la doc -

trine contemporaine — que je défends — d’51 droit international pour la
personne humaine, pour l’humanité .
54. Dans le même ordre d’idées, il importe de s’arrêter sur lpa configu -
ration qui doit être celle du seuil de gravité des violations des droits de

l’homme, avec les conséquences juridiques inéluctables qu’elple entraîne
pour ce qui est de l’élimination de tout obstacle à la compéptence et de la
question des réparations au profit des victimes. Il est effectivepment impor -
tant de tenir compte aujourd’hui de toutes les atrocités de masse pà la

lumière du seuil de gravité, quels qu’en soient les auteurs ; cela peut
paraître évident, mais en pratique des tentatives regrettables visant à exo -
nérer les Etats de tout type de responsabilité subsistent. On a tepnté de

temps à autre d’interpréter le seuil de gravité des violatiopns des droits de

50N. H. B. Jorgensen, The Responsibility of States for International Crimes, Oxford
University Press, 2003, p. 206-207, 231, 279-280 et 283.
51Voir A. A. Cançado Trindade, « International Law for Humankind : Towards a

New Jus Gentium — General Course on Public International Law — Part I », Recueil
des cours de l’Académie de droit international de La Haye (RCADI)▯, vol. 316 (2005),
p. 31-439 ; A. A. Cançado Trindade, « International Law for Humankind : Towards a
New Jus Gentium – General Course on Public International Law – Part II », RCADI,
vol. 317 (2005), p. 19-312.

103

6 CIJ1031.indb 203 22/11/13 12:25 199 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

UN International Law Commission (ILC), albeit without concrete results

to date.

55. In 1976, in its consideration of the draft Articles on State Respon -
sibility (rapporteur, Roberto Ago), the ILC admitted that there were

some international wrongs that were “more serious than others”, thpat
amounted to “international crimes”, as they were in breach of fundpamen -
tal principles (such as those of the UN Charter) “deeply rooted in the

conscience of mankind”, as well as of the foundations of “the legapl order
of international society” 5. In acknowledging the need of recognizing
such “exceptionally serious wrongs”, the ILC, invoking “the terprible
memory of the unprecedented ravages of the [Second World War]”, pon -

dered, still in 1976 :

“The feeling of horror left by the systematic massacres of millions
of human beings perpetrated by the Nazi régime, and the outrage felt p
at utterly brutal assaults on human life and dignity, have both pointed p

to the need to ensure that not only the internal law of States but,
above all, the law of the international community itself should lay
down peremptory rules guaranteeing that the fundamental rights of
peoples and of the human person will be safeguarded and respected ;

all this has prompted the most vigorous affirmation of the prohibition p
of crimes such as genocide, apartheid and other inhuman practices of
that kind.” 53

56. One decade later, in the same line of concern, the ILC rapporteur

on the draft Code of Offences against the Peace and Security of Mankinpd
(Doudou Thiam), in his Fifth Report (of 1987) made the point that thpe
offences at issue were “crimes which affect the very foundations of human
society” 54. Shortly later, in 1989, the same rapporteur drew attention to

the concept of “grave breaches” as incorporated into the four Geneva
Conventions on International Humanitarian Law (1949) and Additional
Protocol I (1977) thereto 55. One decade later, in its commentary on Arti -

cle 7 of the aforementioned draft Code (1996 Report), the ILC pondered
that

“It would be paradoxical to allow the individuals who are, in some
respects, the most responsible for the crimes covered by the Code, to

invoke the sovereignty of the State and to hide behind the immunity
that is conferred on them by virtue of their positions, particularly
since these heinous crimes shock the conscience of mankind, violate

52UN, Yearbook of the International Law Commission (1976), Vol. II, Part II, pp. 109
and 113-114, and cf. p. 119.
53Ibid., p. 101.
54UN doc. A/CN.4/404/Corr.1, of 17 March 1987, p. 2, and cf. pp. 5-6.
55
Cf. UN, Yearbook of the International Law Commission (1989), Vol. II, Part I,
pp. 83-85.

104

6 CIJ1031.indb 204 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 199

l’homme; cette préoccupation a parfois été exprimée, par exemple dapns

les travaux de la Commission du droit international (CDI) de l’ONU,p
sans aboutir jusqu’ici à des résultats concrets.
55. En 1976, lors de l’examen de son projet d’articles sur la responsabi -
lité des Etats (rapporteur, Roberto Ago), la CDI a reconnu qu’il existait

des faits internationalement illicites «plus graves que d’autres», qui consti -
tuaient des « crimes internationaux» du fait qu’ils portaient atteinte à des
principes fondamentaux (comme ceux de la Charte des Nations Unies)

«profondément enracinés dans la conscience de l’humanité » ainsi qu’aux
fondements de « l’ordre juridique de la société internationale » 5. Consta-
tant la nécessité de reconnaître ces « illicéités exceptionnellement graves»,
la CDI, invoquant « le terrible souvenir des ravages sans précédent causés

par [la seconde guerre mondiale]», faisait observer en 1976 encore :

«Le sentiment d’horreur laissé par les massacres systématiques de
millions d’êtres humains perpétrés par le régime nazi, l’exécration
ressentie pour les atteintes les plus brutales à la vie et à la dipgnité de

l’homme ont mis en évidence la nécessité de faire en sorte que non
seulement le droit interne des Etats mais avant tout le droit de la
communauté internationale elle-même énoncent des règles impépra -
tives pour la sauvegarde et le respect des droits fondamentaux des

peuples et de l’être humain — tout cela a poussé à l’affirmation la
plus énergique de l’interdiction de crimes tels que le génocidep, l’apar -
theid et d’autres pratiques inhumaines du même genre. » 53

56. Une décennie plus tard, dans le même souci, le rapporteur spécial

de la CDI pour le projet de Code des crimes contre la paix et la sécuprité
de l’humanité (Doudou Thiam) faisait observer dans son cinquième rap -
port (1987) que les infractions en cause étaient des « crimes qui portent
atteinte aux fondements mêmes de la société humaine » 5. Peu après,

en 1989, le même rapporteur spécial a appelé l’attention sur lap notion
d’«infractions graves » consacrée dans les quatre conventions de Genève
de 1949 sur le droit international humanitaire et le protocole addition -
55
nel I (1977) y relatif . Une décennie plus tard, dans son commentaire de
l’article 7 du projet de code susmentionné (rapport de 1996), la CDI fai -
sait l’observation suivante :

«Il serait paradoxal que les individus qui sont, à certains égards,p
les plus responsables des crimes visés par le Code puissent invoquer p

la souveraineté de l’Etat et se retrancher derrière l’immunipté que leur
confèrent leurs fonctions, d’autant plus qu’il s’agit de cripmes odieux
qui bouleversent la conscience de l’humanité, violent certaines deps

52Nations Unies, Annuaire de la Commission du droit international, 1976, vol. II,
2 partie, p. 109 et 113-114 ; voir aussi p. 119.
53 Ibid., p. 94.
54 Nations Unies, doc. A/CN.4/404/Corr.1 du 17 mars 1987, p. 2 ;voir aussi p. 5 et 6.
55 re
Voir Annuaire de la Commission du droit international, 1989, vol. II, 1 partie,
p. 83-85.

104

6 CIJ1031.indb 205 22/11/13 12:25 200 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

some of the most fundamental rules of international law and threaten
international peace and security.” 56

57. Grave breaches of international law were to make their appearance
again in the 2001 Articles on State Responsibility, then adopted by the pILC.

Article 40 defines as “serious breach” of an obligation under “a perepmptory
norm of general international law” that which involves “a gross orp system -
atic failure by the responsible State” to fulfil the obligation. Arpticle 41 again
refers to “serious breach”. The commentary to those provisions underlines
57
the “systematic, gross or egregious nature” of the breaches at isspue . Those
breaches engage State responsibility, which is not effaced by the interna -
tional individual criminal responsibility . State responsibility, in case of

grave breaches, subsists in general international law. State and individpual
responsibility complement each other, as developments in international
human rights law and in international criminal law indicate nowadays.

58. Moreover, in cases of grave breaches of human rights, the States
concerned incur into responsibility for grave harm done ultimately to
individuals, to human beings, and not to other States. The ILC itself so

admitted, in its 2001 final Report, containing the commentaries on the
Articles it had just adopted. The ILC conceded that :

“a State’s responsibility for the breach of an obligation under a ptreaty

concerning the protection of human rights may exist towards all the
other parties to the treaty, but the individuals concerned should be
regarded as the ultimate beneficiaries and in that sense as the holderps
59
of the relevant rights” .

59. In sum, the titulaires of the right to reparation are the individuals
concerned, the victimized human beings. In the perpetration of grave
breaches of human rights and of international humanitarian law, the
criminality of individual executioners acting in the name of States is

ineluctably linked to the criminality of the responsible States themselvpes.
After all, war crimes, crimes against peace, and crimes against humanityp
are committed in a planified and organized way, disclosing a collectivpe

56ILC, Report of the International Law Commission on the Work of Its 48th Session
(6 May-26 July 1996), p. 39, para. 1 (on Article 7).
57J. Crawford, The International Law Commission’s Articles on State Responsibi ‑

lit58— Introduction, Text and Commentaries, Cambridge University Press, 2002, p. 247.
A. A. Cançado Trindade, “Complementarity between State Responsibility and
Individual Responsibility for Grave Violations of Human Rights : The Crime of State
Revisited”, International Responsibility Today — Essays in Memory of O. Schachter (ed.
M. Ragazzi), Leiden, Nijhoff, 2005, pp. 253-269 ; P. S. Rao, “International Crimes and
State Responsibility”, ibid., pp. 76-77.
59“Draft Articles on Responsibility of States for Internationally Wrongpful Acts, with
Commentaries”, UN doc. A/56/10, of 2001, Art. 33, para. 3, p. 95.

105

6 CIJ1031.indb 206 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 200

règles les plus fondamentales du droit international et menacent la
56
paix et la sécurité internationales. »

57. Les violations graves du droit international devaient apparaître de
nouveau en 2001 dans les articles sur la responsabilité de l’Etat adoptés p
cette année-là par la CDI. L’article 40 définit la « violation grave »

d’une obligation découlant « d’une norme impérative du droit internatio -
nal général » comme une violation qui dénote « de la part de l’Etat res -
ponsable un manquement flagrant ou systématique » à l’exécution de

l’obligation. L’article 41 utilise également l’expression « violation grave».
Le commentaire de ces dispositions souligne le « caractère systématique,
flagrant ou répété » des violations en cause 57. Ces violations engagent la
responsabilité de l’Etat, qui n’est pas effacée par la responsabilité pénale
58
internationale de l’individu . La responsabilité de l’Etat subsiste en droit
international général en cas de violations graves. La responsabilipté de
l’Etat et la responsabilité individuelle se complètent, comme lp’atteste

l’évolution contemporaine du droit international des droits de l’phomme et
du droit pénal international.
58. De plus, en cas de violations graves des droits de l’homme, les

Etats concernés voient leur responsabilité engagée en raison deps dom -
mages graves causés à des individus, à des êtres humains et pnon à d’autres
Etats. La CDI elle-même l’a admis dans son rapport de 2001, dans lequel
figurent les commentaires du projet d’articles qu’elle venait d’adopter.

Elle a admis que :

«la responsabilité d’un Etat [pouvait] être engagée pour la vpiolation
d’une obligation conventionnelle concernant la protection des droits pde
l’homme envers toutes les autres parties au traité en question, mapis les

individus concernés [devaient] être considérés comme les bépnéficiaires
ultimes et, en ce sens, comme les titulaires des droits en question» 59.

59. En résumé, les titulaires du droit à réparation sont les indpividus
concernés, les êtres humains victimisés. Lorsque des violationsp graves des

droits de l’homme et du droit international humanitaire sont commises, la
criminalité des individus qui les commettent au nom des Etats est inéplucta -
blement liée à la criminalité des Etats responsables eux-mêmpes. Après tout,
les crimes de guerre, les crimes contre la paix et les crimes contre l’phuma -

nité sont commis de manière planifiée et organisée, ce quip révèle une crim -i

56Rapport de la Commission du droit international sur les travaux de sa 48e session

(6 57i-26 juillet 1996), p. 57, par. 1 (sur l’article 7).
J. Crawford, The International Law Commission’s Articles on State Responsibi ‑
lity — Introduction, Text and Commentaries, Cambridge University Press, 2002, p. 247.
58A. A. Cançado Trindade, «Complementarity between State Responsibility and Indi-
vidual Responsibility for Grave Violations of Human Rights : The Crime of State Revi -
sited »,International Responsibility Today — Essays in Memory of O. Schachter (dir. publ.,
M. Ragazzi), Leyde, Nijhoff, 2005, p. 253-269; P. S. Rao, «International Crimes and State
Responsibility »,ibid., p. 76-77.
59«Projets d’articles sur la responsabilité des Etats pour faits inteprnationalement illi -
cites et commentaires relatifs», Nations Unies, doc. A/56/10 de 2001, art. 33, par. 3, p. 252.

105

6 CIJ1031.indb 207 22/11/13 12:25 201 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

criminality . They count on resources of the State, they are true crimes

of State. There is thus need to take into account, jointly, the internatpional
responsibility of the State and the international criminal responsibility of
61
the individual, complementary to each other as they are .
60. At normative level, the threshold of gravity of breaches of the fun -
damental rights of the human person comes to the fore time and time

again, even though insufficiently developed to date. There are historicpal
moments when it has attracted particular attention, e.g., shortly after pthe
adoption of Additional Protocol I (of 1977, Art. 85) to the four Geneva
62
Conventions on International Humanitarian Law (of 1949) . The regime
of grave breaches set forth in the four Geneva Conventions of 1949

(I Convention, Arts. 49-50 ; II Convention, Articles 50-51 ; III Conven -
tion, Arts. 129-130 ; IV Convention, Arts. 146-147) is nowadays regarded
as forming part of customary international law 6.

61. At jurisprudential level, the threshold of gravity of human rights

breaches is nowadays beginning to attract attention, and to be considered,
within the framework of the emerging case law in the domain of interna -
tional criminal law . It has much developed, above all, in the jurispruden-

tial construction in recent years in the domain of the international lawp of
human rights 65. An example is afforded by the handling of the case of

Democratic Republic of the Congo v. Burundi, Rwanda and Uganda (2003)
by the African Commission on Human and Peoples’ Rights 6. The most
notorious advances in this respect have been achieved by the jurisprudenp -

60R. Maison, La responsabilité individuelle pour crime d’Etat en droit internat▯ional
public, Brussels, Bruylant/Eds. de l’Université de Brussels, 2004, pp. 24, 85, 262-264 and

286-617.
Ibid., pp. 294, 298, 409-410, 412, 459 and 511.
62Cf. E. J. Roucounas, “Les infractions graves au droit humanitaire”, 31 Revue hellé ‑
nique de droit international (1978), pp. 60-139.
63Cf. J.-M. Henckaerts, “The Grave Breaches Regime as Customary International

Law”647 Journal of International Criminal Justice (2008), pp. 683-701.
Cf., e.g., W. A. Schabas, “Gravity and the International Criminal Court”, Protecting
Humanity — Essays in International Law and Policy in Honour of N. Pillay (ed. C. Eboe-
Osuji), Leiden, Nijhoff, 2010, pp. 689-706.
65The gravity of certain breaches of fundamental rights (e.g., forced dispappear -
ances of persons and summary or extra-legal executions) was, early in its historpy, acknow-l

edged by the IACtHR ; its pioneering case law in that regard was served of inspiration
to, and was followed by, the corresponding case law of the ECHR, in partpicular in the
cycle of Turkish cases, towards the end of the twentieth century. Cf., e.g., J. Benzimra-
Hazan, “En marge de l’arrêt Timurtas contre la Turquie : vers l’homogénéisation des
approches du phénomène des disparitions forcées de personnes”p, 48 Revue trimestrielle
des droits de l’homme (2001), pp. 983-997 ; Leo Zwaak, “The European Court of Human

Rights Has the Turkish Security Forces Held Responsible for Violations opf Human
Rights : The Case of Akdivar and Others”, 10 Leiden Journal of International Law (1997),
pp. 99-110.
66As I recently pointed out, in my separate opinion in the case of Ahmadou Sadio
Diallo (Republic of Guinea v. Democratic Republic of the Congo), Merits, Judgment,
I.C.J. Reports 2010 (II), pp. 803-804, para. 218, note 158.

106

6 CIJ1031.indb 208 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 201

nalité collective . Ils utilisent les ressources de l’Etat, ils constituent de

véritables crimes d’Etat. Il n’y a donc pas besoin de tenir comppte, conjoin -
tement, de la responsabilité internationale de l’Etat et de la responsabilité
61
pénale internationale de l’individu, si complémentaires soient-elles .
60. Au niveau normatif, le seuil de gravité des violations des droits fonda -
mentaux de la personne humaine a retenu l’attention à de nombreuseps

reprises, même s’il n’a pas fait jusqu’ici l’objet de dépveloppements suffisants.
A certains moments de l’histoire, il a particulièrement attiré pl’attention, par
exemple peu après l’adoption du protocole additionnel I (de 1997, art. 85)

aux quatre conventions de Genève de 1949 sur le droit international
humanitaire 62. Le régime applicable aux violations graves prévu dans les

quatre conventions de Genève de 1949 (convention I, art. 49-50; conven -
tion II, art. 50-51; convention III, art. 129-130; et convention IV, art. 146-
147) est désormais considéré comme faisant partie du droit intpernational
63
coutumier .
61. Sur le plan de la jurisprudence, le seuil de gravité des violations des

droits de l’homme commence à attirer l’attention et à êtrpe envisagé dans le
cadre de la jurisprudence qui se fait jour en droit pénal internationpal 64. Il
s’est surtout beaucoup développé ces dernières années danps la construction

jurisprudentielle intervenue dans le domaine du droit international des
droits de l’homme 65. Un exemple est fourni par l’affaire République démo‑

cratique du Congo c. Burundi, Rwanda et Ouganda (2003) dont a connu la
Commission africaine des droits de l’homme et des peuples 6. C’est dans la
jurisprudence constituée par la Cour interaméricaine des droits de l’homme

60 R. Maison, La responsabilité individuelle pour crime d’Etat en droit internat▯ional
public, Bruxelles, Bruylant/Editions de l’Université de Bruxelles, 2004,p p. 24, 85, 262-264

et 616-287.
Ibid., p. 294, 298, 409-410, 412, 459 et 511.
62 Voir E. J. Roucounas, « Les infractions graves au droit humanitaire », Revue hellé‑
nique de droit international, vol. 31 (1978), p. 60-139.
63 Voir J.-M. Henckaerts, « The Grave Breaches Regime as Customary International

Law64,Journal of International Criminal Justice, vol. 7 (2008), p. 683-701.
Voir par exemple W. A. Schabas, «Gravity and the International Criminal Court »,
Protecting Humanity — Essays in International Law and Policy in Honour of N. Pillay (dir.
publ., C. Eboe-Osuji), Leyde, Nijhoff, 2010, p. 689-706.
65 La gravité de certaines violations de droits fondamentaux (par exempple les dispari -
tions forcées et les exécutions sommaires ou extrajudiciaires) a été reconnue par la CIADH

peu après sa création ;elle a fait œuvre de pionnière à cet égard et a inspiré lpa jurisprudence
correspondante de la CEDH, en particulier dans le cadre du cycle des affaires turques vers
la fin du XX siècle. Voir sur ces affaires, par exemple, J. Benzimra-Hazan, « En marge de
l’arrêt Timurtas contre la Turquie : vers l’homogénéisation des approches du phénomène
des disparitions forcées de personnes », Revue trimestrielle des droits de l’homme, vol. 48
(2001), p. 983-997 ; Leo Zwaak, « The European Court of Human Rights Has the Turkish

Security Forces Held Responsible for Violations of Human Rights : The Case of Akdivar
and Others », Leiden Journal of International Law, vol. 10 (1997), p. 99-110.

66 Comme je l’ai récemment fait observer dans mon opinion individuelle en l’affaire
Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo), fond,
arrêt, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 803-804, par. 218, note 158.

106

6 CIJ1031.indb 209 22/11/13 12:25 202 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

tial construction, throughout the last decade, of the IACtHR, in the adjpu -
dication of the aforementioned cycle of cases of massacres . 67
62. Reference can here be made, in this connection, to the Judgments of

the IACtHR in the cases, inter alia, of the Massacre of Plan de Sánchez v.
Guatemala (of 29 April 2004), of the Massacre of Mapiripán v. Colombia
(of 15 September 2005), of the Massacres of Ituango v. Colombia (of 1 July

2006), of Goiburú et al. v. Paraguay (of 22 September 2006 — cf. infra),
of Almonacid Arellano v. Chile (of 26 September 2006), of the Prison of
Castro‑Castro v. Peru (of 25 November 2006), of La Cantuta v. Peru (of
29 November 2006). There is here space for fostering a jurisprudential

convergence between the international law of human rights and contem -
porary international criminal law. Another area of convergence lies in tphe
participation of the victims themselves — their locus standi in judicio — in

the respective procedures between international human rights tribunals
and international criminal tribunals.

VIII. The Question of Waiver opf Claims in respect
of the Right of Access tpo Justice

in the Pleadings beforpe the Court: Assessment

63. The question of the waiver of claims in respect of the right of access

to justice (in order to seek reparation) was controverted in the arguments
of the contending Parties (Germany and Italy) as well as of the intervpen -
ing State (Greece) in the course of the oral pleadings before this Couprt.

Germany contended, cha68enging the Italian argument of an individual
right to reparation , that the respect for the immunity of a foreign State
is a lawful limitation to the right to access to justice 69. It further argued

that there is no rule that prohibits the70aiver of pecuniary claims, as pthe
actual violation has already ceased . If the argument of Italy were to be
accepted — Germany went on — the whole structure of the scheme of
reparations built after the Second World War would be destroyed, as

massive claims could be raised both by and against Germany for viola -
tions of the laws of war by Germany and Allied Forces 71. Germany at
last claimed that the system of reparation created was comprehensive

67For a recent assessment, cf. [Various Authors], Réparer les violations graves et
massives des droits de l’homme : La Cour interaméricaine, pionnière et modèle ? (eds.
E. Lambert Abdelgawad and K. Martin-Chenut), Paris, Société de législation comparée,

20168 pp. 17-334.
69CR 2011/17, pp. 41-42, paras. 14 and 16.
Ibid., pp. 43-44, paras. 23-24. In this respect, Germany added that even if a right to
reparation and a cause of action exist under international law, it has apbided by it, since
it has given full and non-discriminatory access to its Courts to all plaintiffs (Italian and
Greek) ;ibid., p. 46, para. 30.
70CR 2011/20, pp. 15-16, paras. 2-3.
71Ibid., pp. 17-18, paras. 4-6.

107

6 CIJ1031.indb 210 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 202

(CIADH) tout au long de la dernière décennie dans les affairesp de mas -
sacres susmentionnées que l’on trouve les avancées les plus remparquables. 67
62. On peut mentionner à cet égard les arrêts rendus par la CIADH dpans

les affaires, parmi d’autres, Massacre de Plan de Sánchez c. Guatemala
(29 avril 2004), Massacre de Mapiripán c. Colombie (15 septembre 2005),
Massacres d’Ituango c. Colombie (1 er juillet 2006), Goiburú et autres c.

Paraguay (22 septembre 2006 — voir infra), Almonacid Arellano c. Chili
(26 septembre 2006), Prison de Castro‑Castro c. Pérou (25 novembre 2006)
et La Cantuta c. Pérou (29 novembre 2006). Il est possible de favoriser une

convergence jurisprudentielle entre le droit international des droits dep
l’homme et le droit pénal international contemporain. Un autre poipnt de
convergence réside dans la participation des victimes elles-mêmes p— leur

locus standi in judicio — aux procédures respectives des tribunaux inter-
nationaux des droits de l’homme et des tribunaux pénaux internatiopnaux.

VIII. La question de la renonpciation aux réclamatpions

s’agissant du droit d’apccès à la justice dansp la procédure
devant la Cour : évaluation

63. La question de la renonciation aux réclamations s’agissant du droit
d’accès à la justice (afin de demander réparation) a suscité une contro -
verse entre les Parties (l’Allemagne et l’Italie) et l’Etat ipntervenant (la

Grèce) lors des plaidoiries devant la Cour. L’Allemagne affirmaipt, contes -
tant l’argument italien quant à l’existence d’un droit indivpiduel à répara-
tion , que le respect de l’immunité d’un Etat étranger était upne limitation
69
licite du droit d’accès à la justice . Elle a en outre fait valoir qu’aucune
règle n’interdisait de renoncer à des réclamations pécunipaires, la violation
ayant déjà pris fin 70. Si on acceptait l’argument de l’Italie, poursuivait

l’Allemagne, l’ensemble du régime de réparation mis en place après la
seconde guerre mondiale serait mis à bas, puisque des demandes de réppa -
rations massives pourraient être formulées aussi bien par que contpre

l’Allemagne pour des violations des lois de la guerre par l’Allemagne et
les forces alliées71. L’Allemagne faisait finalement valoir que le système de

67Pour une évaluation récente, voir [divers auteurs]Réparer les violations graves et
massives des droits de l’homme : la Cour interaméricaine, pionnière et modèle ? (dir. publ.,
E. Lambert Abdelgawad et K. Martin-Chenut), Paris, Société de législation comparée,
2010, p. 17-334.
68CR 2011/17, p. 41-42, par. 14 et 16.
69
Ibid., p. 43-44, par. 23-24. A cet égard, l’Allemagne ajoutait que, même s’il exisptait
un droit à réparation et un intérêt pour agir en droit interpnational, elle en a tenu compte
puisqu’elle a donné plein accès, sans discrimination aucune, àp ses tribunaux à tous les plai
gnants (italiens et grecs) ; ibid., p. 46, par. 30.
70CR 2011/20, p. 15-16, par. 2-3.
71Ibid., p. 17-18, par. 4-6.

107

6 CIJ1031.indb 211 22/11/13 12:25 203 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

and tried to balance the interests of the victim States and those of Gerp -
many . 72

64. Italy retorted that the waiver clause of Article 77 (4) of the 1947
Peace Treaty does not cover violations of international humanitarian lawp.
Taking issue with the German argument, it reiterated the position that

claims of reparation for grave breaches of international humanitarian lapw
have not been waived by Italy, as they were beyond the scope of the pro -
vision of Article 77 (4) of the 1947 Peace Treaty. Italy thus claimed that

the only interpretation of that provision of the 1947 Treaty is that it does
not waive reparations for violations of international humanitarian law 73.
And even if the intention were to waive all such claims against Ger -

many — Italy added — that would be illegal, as it would absolve Ger -
many from all war crimes committed, which was not allowed under the
Geneva Conventions regime 7.

65. Addressing specifically the right to reparation of the Italian mili -
tary internees, Italy referred, in this respect, to the paradoxical treaptment

dispensed to them, who were excluded from the reparations regime pro -
vided by the on “Remembrance, Responsibility and Future” Foundatiopn,

because they were prisoners of war, whereas Nazi Germany had deprived 75
them of this status and had used them as forced labourers . Italy added
that the claims of the victims of massacres cannot be considered as

waived, because at the time of the alleged waiver (either in the 1947 Ppeace
Treaty or in the 1961 Agreements) the crimes had not yet been estab -
lished; moreover, the recognition of such a waiver would lead to the

absurd situation of the perpetrators of these crimes being criminally
responsible but not civilly liable. Such a solution would also be contrapry
to all modern developments of international criminal law, which recog -
76
nizes that criminal responsibility and civil liability are connected .

72
CR 2011/20, pp. 23-26, paras. 17-24. Moreover, it included a waiver by Italy of all
claims against Germany, as a sanction for its participation in the Axis ibid., pp. 26-27,
paras. 23-25. And the two bilateral 1961 Agreements were a gesture towards Italy ipn order
to further improve their relations, while the waiver clause remained in full force ibid.,
pp. 29-30, para. 32.
73 CR 2011/21, p. 24, para. 29, and cf. CR 2011/18, pp. 26-27, paras. 4-8.
74 Cf. CR 2011/18, pp. 31-32, paras. 18-23 ; and cf., pp. 20-21, paras. 11-13, and
pp. 22-23, para. 14. Italy claims that the cases of reparations that are at issuep herein do not

concern victims of Nazi persecution, to which reparations have been madep ; CR 2011/21,
p. 25, para. 33. The present concern is with victims such as the military internees, pwho have
not received any reparation.
75 CR 2011/18, p. 33, para. 28.
76 Ibid., p. 34, paras. 29-30. Moreover, Italy notes that, as Germany conceded, even
those ex gratia reparations were only partial ; CR 2011/21, pp. 25-26, paras. 34-35. Italy
claims that there are a significant number of Italian citizens who are entitled to reparation

and who have not yet received any. Italy thus claimed that their only avpenue for redress
is through the Italian courts, which would not have lifted Germany’s pimmunity had the
German Government agreed to take measures in order to offer them the rpeparations they
are entitled to ; CR 2011/18, pp. 13-14, para. 11.

108

6 CIJ1031.indb 212 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 203

réparation mis en place était complet et visait à réaliser un équilibre entre
les intérêts des Etats victimes et ceux de l’Allemagne 72.

64. L’Italie répliqua que la clause de renonciation figurant au paragraphe 4
de l’article 77 du traité de paix de 1947 ne couvrait pas les violations du droit
international humanitaire. Contestant l’argument allemand, elle répitéra sa

position selon laquelle elle n’avait pas renoncé aux demandes de rpéparation
pour violations graves du droit international humanitaire car celles-ci pn’en -
traient pas dans le champ d’application du paragraphe 4 de l’article 77 du

traité de paix de 1947. L’Italie faisait ainsi valoir que la seule interprétation
de cette disposition du traité de 1947 était qu’elle ne constituait pas une renon -
ciation aux demandes de réparation à raison des violations du droipt inter-
73
national humanitaire . Même si l’intention avait été de renoncer à toutes
les réclamations de ce type contre l’Allemagne, ajoutait l’Italie, pla disposition
aurait été illicite, car elle absoudrait l’Allemagne de tous leps crimes de guerre
74
commis, ce que n’autorise pas le régime des conventions de Genève .
65. Evoquant plus précisément le droit à réparation des internéps mili -
taires italiens, l’Italie a souligné le traitement paradoxal qui lpeur a été

réservé: ils avaient été exclus du système de réparation mis en place avec la
fondation «Mémoire, responsabilité et avenir» parce qu’ils étaient des pri -

sonniers de guerre, alors même que l’Allemagne nazie les a75it privés de ce
statut pour les utiliser comme travailleurs forcés . L’Italie ajoutait que les
réclamations des victimes de massacres ne pouvaient être considéprées comme

ayant fait l’objet d’une renonciation parce qu’à l’épopque de la prétendue
renonciation (soit dans le cadre du traité de paix de 1947, soit dans le cadre
des accords de 1961) les crimes en question n’avaient pas encore été établp;is

de plus, reconnaître une telle renonciation aboutirait à la situatpion absurde
dans laquelle les auteurs de ces crimes seraient responsables pénalement
mais pas civilement. Une telle solution irait également à l’encpontre de l’évo -

lution récente du droit pénal international, qui atteste que la responsabilité
pénale et la responsabilité civile pour crime de guerre vont de papir 76.

72
CR 2011/20, p. 23-26, par. 17-24. De plus, il comprenait une renonciation par l’Italie
à toutes les réclamations contre l’Allemagne, à titre de sanpction pour sa participation à
l’Axe ;ibid., p. 26-27, par. 23-25. Et les deux accords bilatéraux de 1961 ont été un geste en
direction de l’Italie qui visait à améliorer encore les relatiopns entre les deux Etats, tandis
que la clause de renonciation demeurait pleinement en vigueur ; ibid., p. 29-30, par. 32.
73 CR 2011/21, p. 24, par. 29, et CR 2011/18, p. 26-27, par. 4-8.
74 Voir CR 2011/18, p. 31-32, par. 18-23 ; voir aussi p. 20-21, par. 11-13, et p. 22-23,
par. 14. L’Italie soutient que les affaires de réparation qui sont enp cause ne concernent pas

les victimes des persécutions nazies, qui ont déjà bénéficiép de réparationsCR 2011/21,
p. 25, par. 33. Il est question ici des victimes telles que les internés militairpes, qui n’ont pas
reçu de réparations.
75 CR 2011/18, p. 33, par. 28.
76 Ibid., p. 34, par. 29-30. De plus, l’Italie relève que, comme l’a admis l’Allempagne, ces
réparations accordées ex gratia n’étaient que partielles ; CR 2011/21, p. 25-26, par. 34-35.
L’Italie soutient qu’un nombre important de citoyens italiens ont pdroit à réparation et n’en

ont encore reçu aucune. L’Italie fait valoir que les juridictions pitaliennes étaient ainsi la seule
voie de recours de ces victimes, et qu’elles n’auraient pas refusép d’accorder l’immunit- à l’Al
lemagne si le Gouvernement allemand avait accepté de prendre des mesupres pour accorder
à ces victimes les réparations auxquelles elles avaient droit ;CR 2011/18, p. 13-14, par. 11.

108

6 CIJ1031.indb 213 22/11/13 12:25 204 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

66. Greece, for its part, contended that Greek courts have accepted the
existence of an individual right to reparation for grave violations of ipnter -
national humanitarian law, based on Article 3 of the 1907 Hague
77 78
Convention (IV) , Article 91 of the 1977 Additional Protocol I , Rule
150 of the ICRC International Humanitarian Law Codification 79 (of cus-
tomary international law, cf. supra), Article 33 (2) of the ILC Articles on
80
State Responsibility , and international practice. This is a point which
was particularly stressed by Greece (cf. para. 147, infra), and which is
deserving of close attention.

67. In effect, at an earlier stage of the proceedings in this case, I deemped
it fit to address this point, in my dissenting opinion in the Court’ps Order

(which dismissed the Italian counter-claim) of 6 July 2010. Article 3 of the
1907 Hague Convention (IV) determines that a belligerent State party
that violates the provisions of the Regulations annexed thereto is respopn -

sible for all acts committed by members of its armed forces, and “liapble to
pay compensation”. The travaux préparatoires of this provision (origi -
nated in a proposal by the German delegate) supported the view that the

indemnization was due to the individual persons who were victims of the p
aforementioned violations 81.
68. Seven decades later, this provision was updated by Article 91 of

Protocol I Additional to the 1949 Geneva Conventions on Interna -
tional Humanitarian Law. There was no controversy nor dissent (neither
in 1907 nor in 1977) as to the recognition of State responsibility for

breaches of the 1907 Regulations and the ensuing duty of the State con -
cerned to provide indemnization to the individual victims . To this effect,
in my aforementioned dissenting opinion in the Court’s Order of 6 July

2010, I pondered that :

“In the days of the historical Second Peace Conference, held here
in The Hague, the participating States decided to set forth a general

obligation, incumbent on all parties to an armed conflict, to make
reparations (not only on the part of the defeated States in favour of
the victorious powers, as was the case in previous State practice). Thips

was done on the basis of a German proposal, which resulted in Article 3
of the Fourth Hague Convention 8, and is the first provision dealing

77CR 2011/19, p. 17, para. 28.
78Ibid., p. 32, para. 77.
79Ibid., p. 32, para. 78.
80Ibid., p. 34, para. 85.
81F. Kalshoven, “Article 3 of the Convention (IV) respecting the Laws and Customs

of War on Land, Signed at The Hague, 18 October 1907”, War and the Rights of Individ ‑
uals — Renaissance of Individual Compensation (eds. H. Fujita, I. Suzuki and K. Nagano),
Tokyo, Nippon Hyoron-sha Co. Publishing, 1999, pp. 34-36.
82This — it has been argued — reflected “established customary law” ; ibid., pp. 36-37.
83Article 3 states :“A belligerent party which violates the provisions of the said
Regulations [Regulations respecting the laws and customs of war on land,p annexed to

109

6 CIJ1031.indb 214 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 204

66. La Grèce, pour sa part, affirmait que les tribunaux grecs avaient
accepté l’existence d’un droit individuel à réparation popur les violations
graves du droit international humanitaire, sur le fondement de l’artipcle 3
77
de la convention IV de La 78ye de 1907 , de l’article 91 du protocole
additionnel I de 1977 , de la règle 150 de l’étude du CICR sur le droit
international humanitaire 79(le droit international coutumier, voir supra),

du paragrap80 2 de l’article 33 des articles de la CDI sur la responsabilité
de l’Etat et de la pratique internationale. C’est un point sur lequel la
Grèce a particulièrement insisté (voir par. 147 infra) et qui mérite qu’on
l’étudie de près.

67. En effet, à un stade antérieur de la présente instance, j’pai jugé bon
de me pencher sur ce point dans l’opinion dissidente que j’ai joinpte à l’or -
donnance de la Cour (qui a rejeté la demande reconventionnelle italipenne)

du 6 juillet 2010. L’article 3 de la convention IV de La Haye de 1907 dis -
pose qu’un Etat belligérant qui violerait les dispositions du rèpglement
annexé à la convention sera responsable de tous les actes commis ppar les

personnes faisant partie de ses forces armées et « sera tenu à indemnité ».
Les travaux préparatoires de cette disposition (qui a son origine dapns une
proposition du représentant de l’Allemagne) étayent l’idépe que l’indemni -
81
sation était due aux victimes individuelles des violations susmentionpnées.
68. Soixante-dix ans plus tard, cette disposition a été actualisée ppar
l’article 91 du protocole additionnel I aux conventions de Genève de 1949

sur le droit international humanitaire. Il n’y a eu ni controverse nip contes -
tation (que ce soit en 1907 ou en 1977) s’agissant de reconnaître la res -
ponsabilité de l’Etat à raison des violations du règlement dpe 1907 et de

l’obligation en82écoulant pour l’Etat concerné d’indemnisper les victimes
individuelles . Dans le même ordre d’idées, dans l’opinion dissidente que p
j’ai jointe à l’ordonnance de la Cour du 6 juillet 2010, je faisais l’observa -

tion suivante :

«A l’époque de la deuxième conférence de la paix historique, ptenue
ici, à La Haye, les Etats participants décidèrent d’instituer une obliga -
tion générale d’accorder des réparations, incombant à toutes les par -
ties à un conflit armé (et non seulement aux Etats vaincus en fpaveur

des puissances victorieuses, comme dans le cadre de la pratique éta -
tique antérieure). Cette idée fut réalisée sur la base d’une proposition
allemande qui aboutit à l’article 3 de la convention IV de La Haye 83,

77 CR 2011/19, p. 17, par. 28.
78 Ibid., p. 32, par. 77.
79 Ibid., p. 32, par. 78.
80
81 Ibid., p. 34, par. 85.
F. Kalshoven, « Article 3 of the Convention (IV) respecting the Laws and Customs
of War on Land, Signed at The Hague, 18 October 1907 », War and the Rights of Indi ‑
viduals — Renaissance of Individual Compensation (dir. publ., H. Fujita, I. Suzuki et
K. Nagano), Tokyo, Nippon Hyoron-sha Co. Publishing, 1999, p. 34-36.
82 Cela, a-t-on fait valoir, reflétait le « droit coutumier et établi » ;ibid., p. 36-37.
83 Aux termes de l’article 3 : «La partie belligérante qui violerait les dispositions dudit
Règlement [règlement concernant les lois et coutumes de la guerre psur terre, annexé à la

109

6 CIJ1031.indb 215 22/11/13 12:25 205 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

specifically with a reparation regime for violations of international
humanitarian law . Thanks to the reassuring German proposal, Art-i

cle 3 of the Fourth Hague Convention of 1907 clarified that it was
intended to confer rights directly upon individuals 85, human beings,

rather than States.

This legacy of the Second Hague Peace Conference of 1907 projects
86
itself to our days . The time projection of the suffering of those sub-
jected to deportation and sent to forced labour in the Second World
War (period 1943-1945) has been pointed out in expert writing, also in

relation to the prolonged endeavours of the victims to obtain repara -
tion. (. . .) Not only had those victims to endure inhuman and degrad-
ing treatment, but later crossed the final limit of their ungrateful lives

living with impunity, without reparation and amidst manifest injustice.
The time of human justice is definitively not the time of human beingsp.”
(Jurisdictional Immunities of the State (Germany v. Italy), Counter‑

Claim, Order of 6 July 2010 (I), pp. 374-375, paras. 116-118).

IX. The Inadmissibility ofp Inter-State Waiver of the Rightps
of the Individuals, Victpims of Grave Violationsp
of International Law

69. The relevance of the individual right of access to justice is thus
beyond question. In case of those grave breaches, the individual victimsp

can thus invoke the responsibility of the State concerned on their own

the IV Hague Convention] shall, if the case demands, be liable to pay compensation. It
shall be responsible for all acts committed by persons forming part of ipts armed forces.”
84This Article of the Fourth Hague Convention of 1907 came to be regarded pas being
also customary international law, and it was reiterated in Article 91 of the I Additional
Protocol (of 1977) to the 1949 Geneva Conventions on International Humpanitarian Law.

Article 91 (Responsibility) of the I Protocol states : “A Party to the conflict which violates
the provisions of the Conventions or of this Protocol shall, if the casep demands, be liable to
pay compensation. It shall be responsible for all acts committed by perspons forming part
of its armed forces.”
85Cf., to this effect, Eric David, “The Direct Effect of Article 3 of the Fourth Hague
Convention of 18 October 1907 respecting the Laws and Customs of War on Land”, War
and the Rights of Individuals — Renaissance of Individual Compensation, op. cit. supra

note 81, pp. 50-53 ; and cf. also, e.g., F. Kalshoven, “State Responsibility for Warlike
Acts of the Armed Forces”, 40 International and Comparative Law Quarterly (1991),
pp. 831-833; D. Shelton, Remedies in International Human Rights Law, 2nd ed., Oxford
University Press, 2006, p. 400.
86For a general reassessment of that 1907 Conference on the occasion of itps centennial
commemoration in 2007, cf. : [Various Authors], Actualité de la conférence de La Haye de
1907, deuxième conférence de la paix /Topicality of the 1907 Hague▯ Conference, the Second

Peace Conference (ed. Yves Daudet), Leiden, Nijhoff/The Hague Academy of Interna -
tional Law, 2008, pp. 3-302.

110

6 CIJ1031.indb 216 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 205

la première disposition prévoyant expressément un régime de répara ‑
tion à raison de violations du droit international humanitaire . Grâce 84

à la proposition rassurante de l’Allemagne, l’article 3 de la conven -
tion IV de La Haye de 1907 indiquait clairement qu’il entendait
85
conférer des droits directement aux individus , aux êtres humains, plu-
tôt qu’aux Etats.
Cet héritage de la deuxième conférence de la paix de La Haye
86
de 1907 conserve son empreinte jusqu’à nos jours . Le prolongement
temporel des souffrances de ceux qui furent déportés et astreintps au
travail forcé au cours de la seconde guerre mondiale (pendant la

période allant de 1943 à 1945) a été souligné en doctrine, également
en ce qui concerne les longs efforts des victimes en vue d’obtenir prépa -
ration… Non seulement ces victimes subirent un traitement inhumain

et dégradant, mais elles arrivèrent par la suite au bout de leur vpie
ingrate après avoir assisté à l’impunité, sans obtenir dep réparation et
dans une situation d’injustice flagrante. Le temps de la justice hupmaine

n’est décidément pas celui des êtres humains.» (Immunités juridiction ‑
nelles de l’Etat (Allemagne c. Italie), demande reconventionnelle,

ordonnance du 6 juillet 2010 (I), p. 374-375, par. 116-118.)

IX. Les États ne peuvent, dapns le cadre de leurs replations,
renoncer à des droits pappartenant à des indivpidus victimes
de violations graves dup droit internationalp

69. La pertinence du droit individuel d’accès à la justice ne saurapit donc
être remise en cause. Dans le cas de ces violations graves, les victipmes peuvent

ainsi invoquer la responsabilité de l’Etat concerné de leur proppre initiative et

convention IV de La Haye] sera tenue à indemnité, s’il y a lieup. Elle sera responsable de
tous actes commis par les personnes faisant partie de sa force armée.p »
84 Cet article de la convention IV de La Haye de 1907 finit par être cponsidéré comme
relevant également du droit international coutumier et fut repris àp l’article 91 du proto -
cole additionnel I (de 1977) aux conventions de Genève de 1949 sur le droit international

humanitaire. Aux termes de l’article 91 (« Responsabilité ») du protocole I : « La Partie au
conflit qui violerait les dispositions des Conventions ou du présent Protocole sera tenue à
indemnité, s’il y a lieu. Elle sera responsable de tous actes commpis par les personnes faisant
partie de ses forces armées. »
85 Voir en ce sens Eric David, « The Direct Effect of Article 3 of the Fourth Hague
Convention of 18 October 1907 respecting the Laws and Customs of War on Land »,
War and the Rights of Individuals — Renaissance of Individual Compensation, op. cit. supra

note 81, p. 50-53; voir aussi, par exemple, F. Kalshoven, «State Responsibility for Warlike
Acts of the Armed Forces », International and Comparative Law Quarterly, vol. 40 (1991),
p. 831-833 ; D. Shelton, Remedies in International Human Rights Law, 2 eéd., Oxford
University Press, 2006, p. 400.
86 Pour un réexamen général de cette conférence de 1907 à l’occasion de la commé -
moration de son centenaire en 2007, voir [divers auteurs], Actualité de la conférence de La
Haye de 1907, deuxième conférence de la paix/Topicality of the 1907 Hague ▯Conference,

the Second Peace Conference (dir. publ., Yves Daudet), Leyde, Nijhoff/Académie de droit
international de La Haye, 2008, p. 3-302.

110

6 CIJ1031.indb 217 22/11/13 12:25 206 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

initiative, and without the intermediation of any State ; they can do so as
subjects of the law of nations, and in conformity with the rule of law — as
nowadays reckoned by the United Nations — at national and interna -

tional levels. The traditional theory of the “act of State” cannotp at all be
relied upon, in face of grave breaches of human rights and of interna -
tional humanitarian law by the State concerned.
70. In such circumstances, it is the individual victim’s right of access pto

justice, to seek reparation, that prevails. In sum, Article 3 of the
Hague Convention (IV) of 1907 and Article 91 of Additional Protocol I
of 1977 confer the right to reparation at international level to victims ofp
those grave breaches. And the responsible States are bound to provide

them such reparation. A vast practice to this effect has developed in p
recent years, in the domain of the corpus juris of the international law of
human rights, marking — being one of the multiple aspects of — the
emancipation of the individuals from their own State, in the vindicationp
87
of the rights inherent to them .
71. Also in my dissenting opinion in the Court’s Order of 6 July 2010
in the present case of the Jurisdictional Immunities of the State, I further -
more set forth the foundations of my position that a State can waive onlpy

claims on its own behalf, but not claims on behalf of human beings per -
taining to their own rights, as victims of grave violations of internatiponal
law. The rights of victims of grave violations of human rights and of
international humanitarian law subsist, their vindication cannot be
waived by their States, or by States inter se, on their behalf (paras. 114-

115). Any purported waiver to that effect would be deprived of any juprid -
ical effects (paras. 151 and 153). And I added, in that same dissenting
opinion, that :

“In any case, any purported waiver by a State of the rights inherent p
to the human person would, in my understanding, be against the
international ordre public, and would be deprived of any juridical

effects. To hold that this was not yet recognized at the time of the
Second World War and the 1947 Peace Treaty — a view remindful
of the old positivist posture, with its ineluctable subservience to the p
established power — would be, in my view, without foundation. It

would amount to conceding that States could perpetrate crimes
against humanity with total impunity, that they could systematically
perpetrate manslaughter, humiliate and enslave people, deport them
and subject them to forced labour, and then hide themselves behind

the shield of a waiver clause negotiated with other State(s), and try p

87Cf. A. A. Cançado Trindade, “The Emancipation of the Individual from His
Own State — The Historical Recovery of the Human Person as Subject of the Law of
Nations”, in Human Rights, Democracy and the Rule of Law — Liber Amicorum L. Wild‑
haber (eds. S. Breitenmoser et alii), Zurich/Baden-Baden, Dike/Nomos, 2007, pp. 151-171 ;
R. P. Mazzeschi, “Reparation Claims by Individuals for State Breaches of Humanitariapn
Law and Human Rights :An Overview”, 1 Journal of International Criminal Justice (2003),
pp. 343 and 345-347 ; M. Frulli, “When Are States Liable towards Individuals for Serious
Violations of Humanitarian Law ? The Marković Case”, ibid., pp. 424 and 427.

111

6 CIJ1031.indb 218 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 206

sans passer par l’intermédiaire d’un Etat; elles peuvent le faire en tant que
sujets du droit des nations et conformément à l’état de droipt — tel qu’il est
aujourd’hui reconnu par l’Organisation des Nations Unies — aux niveaux

national et international. La théorie classique de l’« act of State » ne peut
absolument pas être invoquée face à des violations graves des dproits de
l’homme et du droit international humanitaire par l’Etat concernép.
70. Dans de telles circonstances, c’est le droit de la victime d’accépder à

la justice pour demander réparation qui prévaut. En résumé, l’article 3 de
la convention IV de La Haye de 1907 et l’article 91 du protocole addition -
nel I de 1977 confèrent aux victimes de ces violations graves un droit de
réparation au niveau international. Et les Etats responsables sont tepnus

de leur accorder cette réparation. Une vaste pratique s’est fait jpour en ce
sens ces dernières années dans le domaine du corpus juris du droit inter -
national des droits de l’homme, qui dénote l’émancipation des individus
de la tutelle de leur Etat de nationalité dans la défense des droipts qui leur
87
sont inhérents, et est l’un des multiples aspects de cette émanpcipation .
71. Dans l’opinion dissidente que j’ai jointe à l’ordonnance de pla Cour
du 6 juillet 2010 dans la présente affaire des Immunités juridictionnelles de
l’Etat, j’exposais en outre les fondements de ma position selon laquelle

un Etat ne peut renoncer qu’aux revendications formulées en son proprpe
nom, et non aux revendications formulées au nom d’êtres humainsp et
concernant des droits propres à ceux-ci en tant que victimes de violaptions
graves du droit international. Les droits des victimes de violations grapves
du droit international et du droit international humanitaire subsistent et

leurs Etats de nationalité ne sauraient y renoncer en leur nom ni inter se
(par. 114-115). Une renonciation de ce type serait privée de tout epffet juri -
dique (par. 151 et 153). Et j’ajoutais, dans la même opinion dissidente :

«En tout état de cause, toute prétendue renonciation par un Etat
aux droits inhérents à la personne humaine serait, à mon avis,
contraire à l’ordre public international et dépourvue de tout epffet juri -

dique. Soutenir que cela n’était pas encore reconnu à l’éppoque de la
seconde guerre mondiale et du traité de paix de 1947 — un point de
vue rappelant l’ancienne conception positiviste et sa servilité
inéluctable envers le pouvoir établi — serait à mon avis infondé. Cela

reviendrait à reconnaître que les Etats pourraient perpétrer deps crimes
contre l’humanité en toute impunité, qu’ils pourraient systépmatique -
ment commettre des actes d’homicide, humilier les personnes, les
réduire en esclavage, les déporter et les astreindre au travail foprcé,

pour s’abriter ensuite derrière une clause de renonciation négopciée

87Voir A. A. Cançado Trindade, « The Emancipation of the Individual from His
Own State — The Historical Recovery of the Human Person as Subject of the Law of
Nations »,Human Rights, Democracy and the Rule of Law — Liber Amicorum L. Wildhaber
(dir. publ., S. Breitenmoser et al.), Zurich/Baden-Baden, Dike/Nomos, 2007, p. 151-171 ;
R. P. Mazzeschi, « Reparation Claims by Individuals for State Breaches of Humanitarian
Law and Human Rights : An Overview », Journal of International Criminal Justice, vol. 1
(2003), p. 343 et 345-347 ; M. Frulli, « When Are States Liable towards Individuals for
Serious Violations of Humanitarian Law ? The Marković Case », ibid., p. 424 et 427.

111

6 CIJ1031.indb 219 22/11/13 12:25 207 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

to settle all claims by means of peace treaties with their counterpart
State(s).

Already in the times of the Third Reich, and before them, this
impossibility was deeply-engraved in human conscience, in the univer ‑
sal juridical conscience, which is, in my understanding, the ultimate
material source of all law. To hold that enforced labour was not pro -
hibited at the time of the German Third Reich would not stand (. . .),

not even on the basis on the old positivist dogmas. It does not stand
at all, neither in times of armed conflict, nor in times of peace. Thep
gradual restrictions leading to its prohibition, so as to avoid and con -
demn abuses of the past against the human person, became manifest
not only in the domain of international humanitarian law, but also
in that of the regulation of labour relations (proper of the interna -

tional Conventions of the International Labour Organization—ILO).
In my own perception, even before all those instruments (. . .), enslave -
ment and forced labour were proscribed by human conscience, as the
gross abuses of the past weighed too heavily on this latter.”
(I.C.J. Reports 2010 (I), pp. 377-378, paras. 124-125.)

72. Here, once again, one ought to go beyond the strict inter-State

level. Still in my earlier dissenting opinion in the Court’s Order of 6 July
2010 (counter-claim) in the present case, I further pointed out that mpy
own conception of international law, quite distinct from that of the
Court’s majority,

“goes well beyond the strict inter-State outlook, so as to reach the
ultimate bearers (titulaires) of rights, the human beings, confronted
with waiver of their claims of reparation of serious breaches of their
rights by States supposed to protect, rather than to oppress, them.

States may, if they so wish, waive claims as to their own rights. But
they cannot waive claims for reparation of serious breaches of rights
that are not theirs, rights that are inherent to the human person. Any
purported waiver to this effect runs against the international ordre

public, is in breach of jus cogens. This broader outlook, in a higher
scale of values, is in line with the vision of the so-called ‘founding
fathers’ of the law of nations (the droit des gens, the jus gentium), and
with what I regard as the most lucid trend of contemporary interna -
tional legal thinking.

One cannot build (and try to maintain) an international legal order
over the suffering of human beings, over the silence of the innocent
destined to oblivion. At the time of mass deportation of civilians, sentp
to forced labour during the two World Wars (in 1916-1918 and in
1943-1945) of the twentieth century (and not only the Second World

War), everyone already knew that that was a wrongful act, an atrocity,
a serious violation of human rights and of international humanitarian

112

6 CIJ1031.indb 220 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 207

avec un ou plusieurs autres Etats, en essayant de régler toute revendpi -
cation au moyen de traités de paix avec l’Etat ou les Etats respecptif(s).
A l’époque du III e Reich, comme avant celle-ci, cette impossibilité
était déjà profondément ancrée dans la conscience humainep, dans la
conscience juridique universelle qui représente à mon avis la source

matérielle ultime de tout le dreit. Déclarer que le travail forcé n’étpait
pas interdit à l’époque du III Reich allemand ne serait pas tenable …,
même en vertu des anciens dogmes positivistes. Une telle affirmationp
n’est point tenable ni en temps de conflit armé, ni en temps de ppaix.
Les restrictions progressives ayant abouti à l’interdiction du trapvail

forcé, de manière à éviter et à condamner les abus commisp contre la
personne humaine dans le passé, se manifestèrent non seulement danps
le domaine du droit international humanitaire, mais également dans
celui de la réglementation des relations de travail (propre aux convpen -

tions internationales de l’Organisation internationale du Travail ou
OIT). A mon avis, même avant l’apparition de tous ces instrumentsp …,
l’esclavage et le travail forcé étaient proscrits par la conscipence
humaine, qui était trop marquée par le poids des abus flagrants pdu
passé. » (C.I.J. Recueil 2010 (I), p. 377-378, par. 124-125.)

72. Il faut ici, une fois encore, dépasser la stricte perspective inter-
étatique. Toujours dans l’opinion dissidente que j’ai jointe àp l’ordonnance

de la Cour du 6 juillet 2010 (demande reconventionnelle), je faisais
observer que ma propre conception du droit international, tout à faitp
distincte de celle de la majorité des membres de la Cour,

«[allait] bien au-delà de la stricte perspective interétatique pour tou -
cher les titulaires ultimes des droits, les êtres humains, confrontés à
la renonciation à leurs créances concernant la réparation des vpiola -

tions graves de leurs droits par les Etats censés les protéger, etp non
les opprimer.
Les Etats sont libres de renoncer à des revendications portant sur
leurs propres droits. Mais ils ne sauraient renoncer aux revendica -
tions portant sur la réparation de violations graves de droits qui ne

sont pas les leurs, de droits qui sont inhérents à la personne humaine.
Toute prétendue renonciation en ce sens est contraire à l’ordrep public
international et constitue une violation du jus cogens. Cette perspec -
tive plus large, dans le cadre d’une échelle de valeurs supérieure, est

conforme à la vision des « pères fondateurs» du droit des gens (le jus
gentium), ainsi qu’à ce qui représente à mon avis le courant le plpus
lucide de la pensée internationaliste contemporaine.
On ne saurait bâtir (et tenter de maintenir) un ordre juridique
international sur la souffrance d’êtres humains, sur le silence pdes

innocents voués à l’oubli. A l’époque où des civils fuprent déportés en
masse et furent envoyés au travail forcé au cours des deux guerres
mondiales (en 1916-1918 et en 1943-1945) du XX e siècle (et non pas
uniquement pendant la seconde guerre mondiale), nul n’ignorait qu’pil
s’agissait là d’un acte illicite, d’une atrocité, d’une violation grave des

112

6 CIJ1031.indb 221 22/11/13 12:25 208 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

law, which came to be reckoned as amounting also to a war crime and
a crime against humanity. Above the will stands conscience, which is,
after all, what moves the law ahead, as its ultimate material source,

removing manifest injustice.” (I.C.J. Reports 2010 (I), pp. 396-397,
paras. 177-179.)

X. Positions of the Contepnding Parties as to thep Right
of Access to Justice

73. Germany and Italy understand the right to access to justice in fun -

damentally different ways. Both agree that access to justice is a funda -
mental right with two (complementary) components, namely, the right to
an effective remedy and the right to a fair trial 88, but they disagree as to

its scope and the consequences of its exercise in the case at issue. Ger -
many argues that the right of access to justice entails an obligation thpe
extent of which is limited to the guarantee of unimpeded and non-dis -

criminatory acc89s to nationals and aliens alike to effective remediesp and
to a fair trial , whereas Italy understands the right as entailing an obliga-
tion of satisfaction of the complaining party ; it expands the right of

access90o justice to the outcome of the case and it argues that an aggripeved
party that has no other avenue ought to be allowed to seek an effective
remedy before its national courts, even against a foreign State, and thapt
in such case immunity has to be lifted in order to avoid a denial of jusp -
91
tice .

74. Germany construes the right of access to justice very narrowly and

argues that it is limited to the access to the judicial system of the forum
State without discrimination and with full procedural rights. In this sepnse,
Italian citizens have had full access to judicial remedies under German p
92
law, up to the Federal Constitutional Court ; while Greek citizens had
exactly the same opportunity 93. Furthermore, Germany distinguishes the
access to justice and the right to an effective remedy from the questipon
94
whether a “plaintiff has a genuine legal claim which he/she can asspert” .

75. According to Germany, there is no individual right to reparation

arising out of war crimes and other violations of international humanitapr -
ian law and consequently no (corollary) right of action. Similarly, thpe
Peace Treaty of 1947 and the Agreement of 1961 provide for an inter-

State reparation regime for injuries to Italian nationals due to the war

88
89CR 2011/17, p. 43, para. 24 ; Counter-Memorial of Italy, para. 4.88.
Reply of Germany, p. 19, para. 34 ; CR 2011/17, p. 45, paras. 28-29.
90CR 2011/18, p. 62, para. 27.
91Counter-Memorial of Italy, p. 80, para. 4.103.
92Reply of Germany, p. 19, para. 34.
93CR 2011/17, p. 45, para. 30.
94Reply of Germany, p. 20, para. 34.

113

6 CIJ1031.indb 222 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 208

droits de l’homme et du droit international humanitaire, qui finit ppar
être reconnue comme un crime de guerre et un crime contre l’huma -
nité. La conscience, supérieure à la volonté, fait progressepr le droit,

dont elle est la source matérielle ultime, en éliminant l’injustice mani -
feste. » (C.I.J. Recueil 2010 (I), p. 396-397,par. 177-179.)

X. Positions des Parties qpuant au droit d’accès p
à la justice

73. L’Allemagne et l’Italie entendent le droit d’accès à la jpustice de

manières fondamentalement différentes. Toutes deux conviennent qpue l’ac -
cès à la justice est un droit fondamental comprenant deux élépments (com-
plémentaires), à savoir le droit à un recours effectif et lep droit à un procès
88
équitable , mais elles ne sont pas d’accord quant à sa portée et aux consp-é
quences de son exercice en l’espèce. L’Allemagne fait valoir qupe le droit
d’accès à la justice implique une obligation qui se limite àp garantir de la

même manière aux nationaux et aux étrangers un accès sans enptrave et no89
discriminatoire à des recours effectifs et à un procès équitable , alors que
l’Italie interprète ce droit comme impliquant une obligation de saptisfaction

à l’égard de la partie demanderesse ; elle élargit le droit d’accès à la ju90ice
aux résultats de l’instance et elle fait valoir qu’une partie lpésée qui n’a
aucune autre voie de recours doit être autorisée à demander unep réparation
effective devant ses tribunaux nationaux, même à l’encontre dp’un Etat

étranger, et que dans un tel cas, pour éviter un déni de justicpe, l’immunité
doit être refusée 9.
74. L’Allemagne interprète le droit d’accès à la justice trèps étroitement

et fait valoir qu’il se limite à l’accès au système judicpiaire de l’Etat du for
sans discrimination et avec tous les droits procéduraux. En ce sens, ples
citoyens italiens ont eu pleinement accès aux diverses voies de recouprs que

leur ouvrait la loi allemande, ce jusqu’à la Cour constitutionnellpe fédé -
rale 92; et les citoyens grecs ont eu exactement la même possibilité 93. De
plus, l’Allemagne distingue l’accès à la justice et le droitp à un recours

effectif de la question de savoir si le « plaignant est ou non juridiquement
fondé à présenter une réclamation » 94.
75. Selon l’Allemagne, il n’existe pas de droit individuel à réparation à

raison des crimes de guerre et autres violations du droit international huma -
nitaire et, en conséquence, pas de droit d’agir (correspondant).p De même, le
traité de paix de 1947 et l’accord de 1961 constituent un régime interétatique

de réparation des dommages causés à des Italiens par la guerre qui ne sau -

88
89CR 2011/17, p. 43, par. 24 ; contre-mémoire de l’Italie, par. 4.88.
Réplique de l’Allemagne, p. 19, par. 34 ; CR 2011/17, p. 45, par. 28-29.
90CR 2011/18, p. 62, par. 27.
91Contre-mémoire de l’Italie, p. 80, par. 4.103.
92Réplique de l’Allemagne, p. 19, par. 34.
93CR 2011/17, p. 45, par. 30.
94Réplique de l’Allemagne, p. 20, par. 34.

113

6 CIJ1031.indb 223 22/11/13 12:25 209 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

95
and that cannot be changed retroactively . In addition, Germany argues
that the common interpretation of Article 3 of the 1907 Hague Conven -

tion and the 1949 Geneva Conventions is in the sense 96at they do not
create an individual right to compensation . It also notes that more
recent developments, such as the UN General Assembly resolution 60/147

(2005) or the draft ILA Report (2010) on reparation of victims of arpmed
conflict that refer to such an individual right are not based on an expisting
customary or conventional rule of international law but rather propose
the introduction of new rules 97. Thus, the decisions of German courts in

these cases are not a denial of justice but a recognition that the Italipan
nationals do not have the substantive rights they claim.
76. Even if such a right of action and to reparation were to be recog -

nized, Germany argues that it has not violated it. Full access to all lepvels
of the German judicial system was granted to all claimants and there hasp
been no accusation of a violation of the procedural rights of Italian orp

Greek citizens ; nor was there any discrimination against them due to
their nationality . Germany at last argues that if the right of access to
justice were to be interpreted as allowing an individual who has not been

successful in his/her claims before the Courts of the State (that allegedly
violated his/her rights) to sue such State before Courts of a foreign Sptate
(and maybe before Courts of more than one State successively or simul -
99
taneously), then a serious case of “forum shopping” could emerge .

77. For its part, and quite distinctly, Italy argues that an individual

right to reparation and a parallel cause of action for war damages existp. In
its view, the origin of this right lies in the post-Second World War arrpange -
ments of the Treaty of Versailles (Art. 304) and the creation of the

Mixed Arbitral Tribunals ; it recognizes, however, that this path was not
followed after the Second World War 100. Nevertheless, it argues that, with
the exception of the existence of an alternative international procedurep,
101
access to domestic remedies cannot be barred . In fact, Italian courts
have allowed lawsuits against Italy, despite the Peace Treaty and the inpter-
State mechanism for compensation it provides for 102. Italy goes further

and presents the right to access to justice as understood by the diffeprent
regional and global systems for the protection of human rights, and, basped
on a decision of the IACtHR (case Goiburú et al., cf. Section XVII infra),

it argues that the right to access to justice is a103remptory right if tphe sub -
stantive right violated is of the same status .

95 Memorial of Germany, p. 12, para. 12.
96 Reply of Germany, p. 23, para. 39.
97 Ibid., pp. 24-25, paras. 40-42.
98 CR 2011/17, pp. 45-46, paras. 29-30.
99 Ibid., pp. 46-48, paras. 33-39.
100
101Counter-Memorial of Italy, p. 74, paras. 4.90-4.91.
102Ibid., p. 75, para. 4.92.
Ibid., pp. 74-75, para. 4.91.
103Ibid., p. 76, paras. 4.93-4.94.

114

6 CIJ1031.indb 224 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 209

95
rait être remis en cause rétroactivement . De plus, l’Allemagne fait valoir
que l’on interprète l’article 3 commun de la convention de La Haye de 1907

et des conventions de Ge96ve de 1949 comme ne créant pas de droit pindivi -
duel à indemnisation . Elle souligne aussi que les textes plus récents, comme
la résolution 60/147 (2005) de l’Assemblée générale des Nations Unies et le

projet de l’ADI sur la réparation en faveur des victimes de conflpit armé, qui
prévoient un tel droit individuel, ne sont pas fondés sur une rèpgle coutumière
ou conventionnelle existante du droit international mais visent à intproduire
des règles nouvelles . Ainsi, les décisions des tribunaux allemands dans ces

affaires ne constituent pas un déni de justice mais ne font que conpstater que
les nationaux italiens n’ont pas les droits substantiels qu’ils repvendiquent.
76. L’Allemagne argue de plus que, même si un tel droit d’action etp à

réparation devait être reconnu, elle ne l’a pas violé. L’paccès intégral à tous
les niveaux de l’appareil judiciaire allemand a été accordé pà tous les plai-
gnants, et l’Allemagne n’a jamais été accusée d’avoir pviolé les droits proc-é

duraux de citoyens italiens ou grecs; aucune discrimination n’a non plus été
exercée à leur encontre en raison de leur nationalité 98. L’Allemagne argue
enfin que, si le droit d’accès à la justice devait être inpterprété comme per-

mettant à un individu qui n’a pas obtenu satisfaction devant les tpribunaux
de l’Etat (dont il allègue qu’il a violé ses droits) d’intenter une action contre
cet Etat devant les tribunaux d’un Etat étranger (voire devant leps tribunaux

de plus d’un Etat, successivement ou simultanément), rien n’empêcherait
alors une quête incessante de la juridiction la plus avantageuse . 99
77. L’Italie, pour sa part, fait valoir à l’opposé qu’il exispte un droit indi -

viduel à réparation pour dommages de guerre et un droit d’agir pcorrespo-n
dant. Elle estime que ce droit a son origine dans les dispositions adoptpées
après la première guerre mondiale dans le cadre du traité de Versailles

(art. 304) et dans la création de tribunaux arbitraux mixtes ; elle reconnaît
toutefois que la même voie n’a pas été suivie après la sepconde guerre mon -
diale 10. Elle fait néanmoins valoir que, à défaut d’une procédurpe interna-tio

nale alternative, l’accès aux voies de recours nationales ne saurait être
exclu 101. En fait, les tribunaux italiens ont accueilli des actions engagées
contre l’Italie malgré l’existence du traité de paix et du mpécanisme interéta -
102
tique d’indemnisation prévu par celui-ci . L’Italie va plus loin. Elle pré -
sente le droit d’accès à la justice tel qu’il est interprépté par les différents
systèmes régionaux et mondiaux de protection des droits de l’hopmme et, se

fondant sur une décision de la CIDH en l’affaire Goiburú et autres (voir
section XVII infra), elle affirme que le droit d’accès à la justice est une norpme
impérative si le droit substantiel qui a été violé a le mêpme caractère . 103

95 Mémoire de l’Allemagne, p. 12, par. 12.
96 Réplique de l’Allemagne, p. 23, par. 39.
97 Ibid., p. 24-25, par. 40-42.
98 CR 2011/17, p. 45-46, par. 29-30.
99 Ibid., p. 46-48, par. 33-39.
100
101Contre-mémoire de l’Italie, p. 74, par. 4.90-4.91.
102Ibid., p. 75, par. 4.92.
Ibid., p. 74-75, par. 4.91.
103Ibid., p. 76, par. 4.93-4.94.

114

6 CIJ1031.indb 225 22/11/13 12:25 210 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

78. In addition, Italy argues that access to justice entails protection
against denial of justice, which can be understood as “refusal to grapnt
104
someone that which he is owed” . Thus, when Italian citizens, such
as Mr. Ferrini and others before and after him, were not successful before
German courts and administrative authorities 105 they filed lawsuits

against 106many before the Italian courts, as their only available legalp
avenue . Furthermore, the lifting of the immunity of the German State
before the Italian courts in such cases, where the victims are deprived pof
any other means of redress, is necessary for the effective exercise ofp their
107
right of access to justice .
79. These are the basic and opposing positions, sustained by Germany
and Italy, on the right of access to justice. Before embarking on an asspess -
ment of them by dwelling further upon the matter (cf. Section XII infra),

I deem it appropriate, next, to review their further clarifications ofp their
arguments, in response to questions which I deemed it fit to pose to bpoth
of them, as well as to Greece as intervenor, in the course of the oral hpear -

ings before the Court. Once such clarifications are reviewed, I shall pthen
proceed to the examination of the remaining aspects of the present case,p
in logical sequence.

XI. Clarifications from tphe Contending Parties apnd from Greece
in Response to Questionps from the Bench

1. Questions Put to the Contending Parties and to Greece

80. At the end of the oral hearings before the Court, on 16 September
2011, I deemed it fit to put a series of questions to the contending Pparties,

Germany and Italy, as well as to the intervening State, Greece, in orderp to
seek clarification on the respective submissions they had presented to the
Court. The questions I asked, on that occasion, were the following :

“In order to maintain the linguistic balance of the Court, I will putp
my questions in the other language of the Court. Three questions to

Germany and Italy and one to Greece.
My first question to Germany and Italy is the following: In relation
to your arguments in these public sittings before the Court and bear -

ing in mind the Settlement Agreements of 1961 between Germany and
Italy, what is the precise scope of the waiver clauses contained thereinp,
and of the waiver clause of Article 77 (4) of the Peace Treaty of 1947?
Can the issue of reparation be considered as entirely closed today ?

Or has any of its aspects remained open to date ?

104
105CR 2011/18, p. 62, para. 27.
106CR 2011/21, p. 48, para. 30 ;Counter-Memorial of Italy, pp. 19-25, paras. 2.20-2.34.
107Counter-Memorial of Italy, p. 29, para. 2.44.
Ibid., p. 80, para. 4.103.

115

6 CIJ1031.indb 226 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 210

78. De plus, l’Italie soutient que l’accès à la justice impliquep une pro -
tection contre le déni de justice, celui-ci étant entendu comme lep « refus
104
d’accorder à quelqu’un ce qui lui est dû » . Ainsi, lorsque des citoyens
italiens, comme M. Ferrini et d’autres avant et après lui, ont été déboutéps
devant les juridictions et autorités administratives allemandes 105, ils ont

intenté une action contre l’Allemagne devant les juridicti106 italpiennes car
c’était la seule voie de droit qui leur était ouverte . De plus, le refus de
l’immunité à l’Etat allemand par les tribunaux italiens dansp de telles affaires,
où les victimes sont privées de toute autre voie de recours, est npécessaire
107
pour qu’elles puissent exercer effectivement leur droit d’accèps à la justice .
79. Telles sont les positions de base, opposées, défendues par l’Alple -
magne et l’Italie sur le droit d’accès à la justice. Avant dpe procéder à leur
évaluation en approfondissant la question (voir section XII infra), j’es -

time qu’il échet de passer en revue les éclaircissements qu’pelles ont donnés
en réponse à des questions que j’ai jugé bon de leur poser, painsi qu’à la
Grèce en tant qu’intervenant, lors de la procédure orale devantp la Cour.

Après avoir évoqué ces éclaircissements, je passerai à l’pexamen des autres
aspects de la présente affaire suivant la logique.

XI. Éclaircissements donpnés par les Parties et pla Grèce
en réponse aux questipons posées par la Cour

1. Questions posées aux Parties et à la Grèce

80. A la fin de la procédure orale devant la Cour, le 16 septembre 2011,
j’ai jugé bon de poser une série de questions aux Parties, l’pAllemagne et

l’Italie, ainsi qu’à l’Etat intervenant, la Grèce, afinp d’obtenir des éclaircis-
sements sur les conclusions qu’elles avaient présentées à lap Cour. Les
questions que j’ai posées à cette occasion étaient les suivapntes:

«Pour garder l’équilibre linguistique de la Cour, je poserai mes
questions en anglais. Trois questions à l’Allemagne et à l’Iptalie et une

question à la Grèce.
La première question que j’adresse à l’Allemagne et à l’pItalie est la
suivante: à la lumière des arguments que vous avez développés pendanpt

ces audiences publiques et au vu des accords de règlement conclus en
1961 entre l’Allemagne et l’Italie, quelle est la portée exacte des clauses
de renonciation contenues dans ceux-ci et de la clause de renonciation
figurant au paragraphe 4 de l’article 77 du traité de paix de 1947 ? La

question des réparations peut-elle être considérée comme totalement
close aujourd’hui, ou certains de ses aspects demeurent-ils en suspen? ps

104
105 CR 2011/18, p. 62, par. 27.
106 CR 2011/21, p. 48, par. 30 ; contre-mémoire de l’Italie, p. 19-25, par. 2.20-2.34.
107 Contre-mémoire de l’Italie, p. 29, par. 2.44.
Ibid., p. 80, par. 4.103.

115

6 CIJ1031.indb 227 22/11/13 12:25 211 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

My second question to both Germany and Italy is the following :
Is the delicts exceptio (territorial torts) limited to acts jure gestionis ?

Can it be ? Are acts jure imperii understood to contain also a delicts
exceptio? How can war crimes be considered as acts jure — I repeat,
jure — imperii ?

My third question to both Germany and Italy is the following :
Have the specific Italian victims to whom the Respondent refers effepc -
tively received reparation ? If not, are they entitled to it and how can
they effectively receive it, if not through national proceedings ? Can

the regime of reparations for grave breaches of human rights and of
international humanitarian law still be regarded as exhausting itself
at inter-State level ? Is the right to reparation related to the right of
access to justice lato sensu? And what is the relationship of such right

of access to justice with jus cogens ?

And, finally, my question to Greece is the following : Within the
Greek legal system, what are the legal effects of the Greek Special

Supreme Court decision in the Margellos case upon the Areios Pagos
decision in the Distomo Massacre case ? Is the Areios Pagos decision
in the Distomo Massacre case still pending of execution within and
beyond the Greek legal system ?” 108

2. First Round of Answers

81. For the sake of clarity, I proceed to revise and summarize the

answers provided by Germany, Italy and Greece, to the questions I put to
them at the close of the oral hearings before the Court, last 16 Septem -
ber 2011. I shall proceed first, to a review of the answers of Germany andp
Italy as contending Parties, and then of Greece as the intervening Statep.

(a) Germany’s and Italy’s answers

82. In the relation to the first question I put to the contending Par -
ties 10, Germany submitted that the Court’s Order of 6 July 2010 (in par -
ticular paras. 27-28) determines the relevance of the 1947 Peace Treaty

and of the two 1961 Agreements for the current proceedings. Germany
reiterated its position that the question whether reparations related to the
Second World War are still due is not the subject of the present proceedp -

108
CR 2011/21, public sitting of 16 September 2011, pp. 53-54.
109Namely :
“In relation to your arguments in these public sittings before the Copurt and

bearing in mind the Settlement Agreements of 1961 between Germany and Itpaly,
what is the precise scope of the waiver clauses contained therein, and opf the waiver
clause of Article 77 (4) of the Peace Treaty of 1947 ? Can the issue of reparation
be considered as entirely closed today ? Or has any of its aspects remained open to
date ?”

116

6 CIJ1031.indb 228 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 211

La deuxième question que j’adresse à l’Allemagne et à l’pItalie est
la suivante: l’exception délictuelle (applicable aux actes préjudiciables

commis sur le territoire de l’Etat du for) est-elle limitée aux apctes jure
gestionis? Peut-elle l’être? Les actes jure imperii connaissent-ils égale -
ment une telle exception ? Comment les crimes de guerre peuvent-ils
être considérés comme des actes jure — je répète, jure — imperii ?

La troisième question que j’adresse à l’Allemagne et à l’pItalie est la
suivante: les victimes italiennes auxquelles le défendeur se réfère
spécifiquement ont-elles effectivement été indemnisées? Si tel n’est pas
le cas, ont-elles droit à une telle réparation et comment peuvent-elles

être effectivement indemnisées, si ce n’est par une procédure de droit
interne? Peut-on encore considérer que, lorsque des violations graves
des droits de l’homme et du droit international humanitaire sont en
cause, le régime des réparations s’épuise au niveau inter étatique? Le

droit à réparation est-il lié au droit à l’accès à pla justice lato sensu ? Et
quelle est la relation entre ce droit à l’accès à la justice et le juscogens ?
Et, enfin, la question que j’adresse à la Grèce est la suivanpte: dans
l’ordre juridique grec, quels sont les effets juridiques de la dépcision du

Tribunal supérieur spécial en l’affaire Margellos sur la décision de la
Cour de cassation en l’affaire du Massacre de Distomo ? Cet arrêt de
la Cour de cassation en l’affaire du Massacre de Distomo est-il tou -
jours en attente d’exécution dans l’ordre juridique grec et au-delà ?» 108

2. Première série de réponses

81. Pour la clarté, je vais résumer les réponses données par l’pAlle -

magne, l’Italie et la Grèce aux questions que je leur ai poséesp à la fin de la
procédure orale devant la Cour, le 16 septembre 2011. Je commencerai
par passer en revue les réponses de l’Allemagne et de l’Italie,p les Parties,
puis celles de la Grèce, l’Etat intervenant.

a) Réponses de l’Allemagne et de l’Italie

82. En ce qui concerne la première question que j’ai posée aux Par -
ties 10, l’Allemagne a répondu que l’ordonnance que la Cour a rendue le
6 juillet 2010 détermine la pertinence du traité de paix de 1947 et des deux

accords de 1961 aux fins de l’instance en cours. L’Allemagne a rappelé sa
position selon laquelle la question de savoir si les réparations liépes à la
seconde guerre mondiale étaient toujours dues n’était pas l’pobjet de la pré -

108
CR 2011/21, audience publique du 16 septembre 2011, p. 53-54.
109 A savoir :
«A la lumière des arguments que vous avez développés pendant cesp audiences

publiques et au vu des accords de règlement conclus en 1961 entre l’pAllemagne et
l’Italie, quelle est la portée exacte des clauses de renonciation pcontenues dans ceux-ci
et de la clause de renonciation figurant au paragraphe 4 de l’article 77 du traité de
paix de 1947 ? La question des réparations peut-elle être considérée comme ptotale
ment close aujourd’hui, ou certains de ses aspects demeurent-ils en spuspens ? »

116

6 CIJ1031.indb 229 22/11/13 12:25 212 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

ings. Italy retorted that the two 1961 Agreements were the result of a
process which demonstrated that there were differences of opinion
between the Parties as to the scope of the waiver clause of the 1947

Peace Treaty, and that Germany had to take some measures to address
them. Italy thus argued that the Agreements were, on the one hand, a
measure of reparation for some pending economic questions (the “Settle -
ment Agreement”) and, on the other, an indemnification for victims of

persecution (the “Indemnity Agreement”).
83. Italy contended that the Settlement Agreement represents conclu -
sive evidence that Italy never accepted Germany’s interpretation of tphe
waiver clause and the Indemnity Agreement focused on a specific cate -

gory of victims targeted on the basis of specific discriminatory grounpds.
In this regard, Italy submits that the 1961 Agreements only cover pending
economic questions and reparations to victims of persecutions. While
these Agreements contain waiver clauses — it added — these “merely

referred to the subject-matter of the Agreement and were not (and
could not have been) so expansive as to cover, in addition, war crimes
reparation claims”. As to the waiver clause of Article 77 (4) of the
1947 Peace Treaty, Italy reiterated its position that this clause does not

cover claims of compensation arising out of grave breaches of interna -
tional humanitarian law.

84. With regard to the second question I posed to the contending Par -
110
ties , Germany submitted that the delicts exceptio does not apply to
military activities and that the cases subject to the proceedings beforep the
Court concern acts having occurred during an armed conflict. It further

contended that the qualification of an act of a State is based on the pnature
of the act and is independent of the legality of such act. In this sensep,
Germany argued that sovereign acts may also involve serious breaches of p
international law and that international law counts on substantive rulesp

on State responsibility and international criminal responsibility that dpo
not repeal or derogate from State immunity.
85. For its part, Italy argued that the issue of reparations is not closed, p
as there are several categories of victims that have never been taken inpto

account for the purpose of awarding reparations, including those catego -
ries referred to in the cases underlying the present dispute. Italy submpitted
that the delicts exceptio applies to both acts jure gestionis and jure impe ‑
rii111, and added that there is no obligation to accord immunity for acts

110
Namely :
“Is the delicts exceptio (territorial torts) limited to acts jure gestionis ? Can it be ?
Are acts jure imperii understood to contain also a delicts exceptHow can war
crimes be considered as acts jure — I repeat, jure — imperii ?”

111
And argues that its view is confirmed by the practice of States, the IpLC’s commen-
tary on the draft Articles on Jurisdictional Immunities of States and Thpeir Property,
Article 11 of the European Convention on Jurisdictional Immunity, and the relevantp legal
literature.

117

6 CIJ1031.indb 230 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 212

sente instance. L’Italie a répondu que les deux accords de 1961 étaient le
résultat d’un processus qui témoignait de divergences d’opinpions entre les

Parties quant à la portée de la clause de renonciation figurant pdans le traité
de paix de 1947, et que l’Allemagne devait prendre des mesures pour remé -
dier à ces divergences. L’Italie a fait ainsi valoir que les accorpds consti -
tuaient une mesure de réparation visant, d’une part, à réglepr les questions

économiques en suspens (l’accord de « règlement») et, d’autre part, à
indemniser les victimes de persécutions (l’accord d’«indemnisation»).
83. L’Italie a affirmé que l’accord de règlement prouvait de mapnière

concluante qu’elle n’avait jamais accepté l’interprétation que l’Allemagne
faisait de la clause de renonciation, et que l’accord d’indemnisatpion portait
sur une catégorie spécifique de victimes, visées sur la base pde motifs discri -
minatoires spécifiques. A cet égard, l’Italie considère qupe les accords de

1961 ne couvrent que les questions économiques en suspens et les réppara -
tions aux victimes de persécutions. Si ces accords contiennent des clpauses de
renonciation, ajoutait-elle, ces clauses «concernaient uniquement l’objet de
l’accord et n’étaient pas (et n’auraient pu être) d’pune portée telle qu’elles

couvraient, en plus de cet objet, les demandes de répa ration à raison de
crimes de guerre». Quant à la clause de renonciation du paragraphe 4 de
l’article 77 du traité de paix de 1947, l’Italie a réitéré sa position, à savoir
que cette clause ne s’appliquait pas aux demandes d’indemnisation népes de

violations graves du droit international humanitaire.
84. Pour ce qui est de la deuxième question que j’ai posée aux Parties 110,
l’Allemagne a répondu que l’exception délictuelle ne s’apppliquait pas aux

activités militaires et que les affaires en cause dans l’instance devant la Cour
concernaient des actes qui s’étaient produits durant un conflit parmé. Elle
ajoutait que la qualification de l’acte d’un Etat dépendait de la nature de cet
acte et était sans rapport avec sa licéité. Elle faisait valoirp que, en ce sens, les

violations graves du droit international pouvaient aussi entrer dans la pcaté -
gorie des actes souverains et que le droit international énonçait pdes règles
substantielles sur la responsabilité de l’Etat et la responsabilitpé pénale inter -
nationale qui ne remettaient pas en cause l’immunité ni n’y déprogeaient.

85. Pour sa part, l’Italie a répondu que la question des réparationps
n’était pas close, car plusieurs catégories de victimes n’avpaient jamais été
prises en compte dans le cadre des réparations, y compris les victimes ita -

liennes appartenant aux catégories évoquées dans les affaires à l’origine du
présent différend. L’Italie affirmait que l’exception déplictuelle s’appliquait à
la fois aux actes jure gestionis et aux actes jure imperii 11. Elle ajoutait qu’il

110A savoir :

«L’exception délictuelle (applicable aux actes préjudiciables cpommis sur le terri
toire de l’Etat du for) est-elle limitée aux actes jure gestionis ?Peut-elle l’être ?Les actes
jure imperii connaissent-ils également une telle exceptioComment les crimes de
guerre peuvent-ils être considérés comme des actes jure — je répète, jure — imperii ? »
111
Elle faisait valoir que son opinion était confirmée par la pratipque des Etats, le
commentaire de la CDI sur le projet d’articles sur les immunités jpuridictionnelles des Etats
et de leurs biens, l’article 11 de la convention européenne sur l’immunité des Etats et la
doctrine en la matière.

117

6 CIJ1031.indb 231 22/11/13 12:25 213 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

jure imperii in cases in which the delicts exceptio applies. Italy further
submitted that

“[t]here is nothing inherent in the notion of acts jure imperii which
dictates the conclusion that the tort exception does not cover this

category of acts. The justification of this exception to immunity is
based on the assertion of local control or jurisdiction over torts com -
mitted within the territory of the forum State”.

Italy thus contended that, on the basis of this justification, the exception
applies to all acts of a foreign State that took place on the territory pof the

forum State, whether they were performed jure imperii or jure gestionis.
86. Italy added that, while it was aware of the view that crimes against
humanity and war crimes cannot be considered sovereign acts for which
a State is entitled to invoke the defence of sovereign immunity, it acknpowl -

edged that this area of the law of State immunity is undergoing a procesps
of change. Thus, under the unique and specific circumstances of the capses
submitted to Italian courts, Italy contended that its case before this Cpourt
is based on other arguments : the tort exception and the existence of an

irreconcilable conflict between immunity and the effective enforcemepnt of
peremptory rules, which support its position that Italy had no obligatiopn
to accord immunity to Germany.

112
87. In respect of the third question I asked the contending Parties ,
Germany again referred to the Court’s Order of 6 July 2010, arguing that
the question whether reparations related to the Second World War are

still due is not, in its view, the subject of the present proceedings ; it con -
sidered the reparation scheme for the Second World War to be a classic
inter-State and comprehensive scheme. It further argued that those vic -
tims who consider to have a claim against Germany can institute proceed-

ings in German courts, which abide by Article 6 (1) of the European
Convention on Human Rights that guarantees the right of access to jus -
tice.

88. Italy retorted that none of the categories of victims referred to in
the cases underlying the present dispute has received reparation ; it added
that some categories of victims were never able to claim compensation

because no mechanism was put in place while others have been trying to

112Namely :

“Have the specific Italian victims to whom the Respondent refers effpectively
received reparation ?If not, are they entitled to it and how can they effectively receive
it, if not through national proceedingsCan the regime of reparations for grave
breaches of human rights and of international humanitarian law still be pregarded as
exhausting itself at inter-State level ? Is the right to reparation related to the right of
access to justice lato sensu ? And what is the relationship of such right of access to
justice with jus cogens ?”

118

6 CIJ1031.indb 232 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 213

n’existait pas d’obligation d’accorder l’immunité pour des actes jure imperii
lorsque l’exception délictuelle s’appliquait. L’Italie affiprmait en outre que

«[r]ien dans la notion d’actes jure imperii n’oblige[ait] à conclure que
l’exception délictuelle ne s’appliqu[ait] pas à cette catépgorie d’actes.

La justification de cette exception à l’immunité [était] fpondée sur l’af -
firmation de la juridiction ou du contrôle local sur les actes prépjudi -
ciables commis sur le territoire de l’Etat du for ».

Elle soutenait donc que, sur la base de cette justification, l’excepption s’ap-
pliquait à tous les actes d’un Etat étranger sur le territoire pde l’Etat du

for, qu’il s’agisse d’actes jure imperii ou d’actes jure gestionis.
86. L’Italie a ajouté que, si elle savait que certains estimaient que ples crimes
de guerre et les crimes contre l’humanité ne pouvaient être considérés comme
des actes de souveraineté pour lesquels l’Etat était en droit d’invoquer l’im -

munité souveraine comme moyen de défense, elle constatait que dansp ce
domaine le droit de l’immunité de l’Etat était en train d’pévoluer. C’est pour -
quoi, tenant compte des circonstances spécifiques et uniques caractpérisant les
affaires portées devant les tribunaux italiens, l’Italie faisaitp reposer sa position

devant la Cour sur deux autres arguments, à savoir l’exception déplictuelle et
l’existence d’un conflit insoluble entre l’immunité et l’application effective de
règles impératives, pour étayer son opinion selon laquelle ellep n’était pas
tenue d’accorder l’immunité juridictionnelle à l’Allemagnpe.
112
87. Pour ce qui est de la troisième question que j’ai posée aux Parties ,
l’Allemagne a de nouveau invoqué l’ordonnance de la Cour en date du
6 juillet 2010, faisant valoir que la question de savoir si les réparations àp

raison d’actes commis pendant la seconde guerre mondiale étaient
toujours dues ne constituait pas l’objet de la présente instance ; elle esti-
mait que le régime de réparation après la seconde guerre mondiaple était
un régime de réparation interétatique classique et global. Ellep faisait en

outre valoir que les victimes qui s’estimaient fondées à le faipre pouvaient
intenter une action contre l’Allemagne devant les tribunaux allemands,
ce qui était conforme au paragraphe 1 de l’article 6 de la convention
européenne des droits de l’homme, qui garantit le droit à l’paccès à la

justice.
88. L’Italie a répondu qu’aucune des victimes entrant dans les catépgo -
ries mentionnées dans les affaires à l’origine du présent pdifférend n’avait
été indemnisée ; elle ajoutait que certaines des victimes n’avaient jamais

eu la possibilité de demander réparation car aucun mécanisme n’pavait

112A savoir :

«Les victimes italiennes auxquelles le défendeur se réfère spépcifiquement ont-elles
effectivement été indemnisées ? Si tel n’est pas le cas, ont-elles droit à une telle répa
ration et comment peuvent-elles être effectivement indemnisées, psi ce n’est par une
procédure de droit interne ? Peut-on encore considérer que, lorsque des violations
graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire sopnt en cause, le
régime des réparations s’épuise au niveau interétatique ? Le droit à réparation est-il
lié au droit à l’accès à la justice lato sensu ? Et quelle est la relation entre ce droit à
l’accès à la justice et le jus cogens ? »

118

6 CIJ1031.indb 233 22/11/13 12:25 214 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

obtain compensation for a decade without any success. Italy further
argued that there does not seem to be any willingness on Germany’s paprt
to conclude an agreement aimed at making reparation to these categories
of victims. It also submitted that, at the moment, there is no other altper -

native than national proceedings for these categories of victims to recepive
reparation. Italy argues that had domestic judges not removed immunity, p
no other avenue would have remained open for war crime victims to
obtain reparation, considering, for example, the strong reluctance of Gepr -

man authorities to enter into an agreement providing for reparation for p
the “Italian military internees”.

89. Italy claimed that the regime of reparations for grave breaches of
human rights and international humanitarian law does not exhaust itself p

at the inter-State level and that individual victims can address their cplaims
in domestic courts. It also submitted that the removal of immunity is jups -
tified when resort to domestic courts represents the only and last meapns
available to obtain some form of redress. Italy further argues that

“[u]nder certain circumstances, the denial of access to justice because of
the immunity granted to a foreign State may imply a denial of effectivpe
reparation”. It next submitted that the concept of jus cogens does not
confine itself to the realm of primary rules, but also relates to the preme -

dies available in cases of grave breaches of obligations prescribed by
norms having such character. In Italy’s submission, when there is a
conflict between rules that prevent individuals from having access to pjus -
tice and the effective enforcement of jus cogens rules, if there is no other
avenue open to obtain effective enforcement of jus cogens, “priority must

be given to jus cogens by removing immunity, thereby allowing access to
justice to individual victims”.

(b) Greece’s answer

90. In answer to the question I put to the intervening State 113— to the
best of my knowledge, the first question ever put to a non-party interpve -

nor in the history of the Hague Court —, Greece first recalled that the
Special Supreme Court does not rank as a Supreme Court nor is it a con -
stitutional court within the Greek legal system ; rather, it has a sui generis
legal status in Greece. It added that the Special Supreme Court is an inde -

pendent and non-permanent organ which does not fit within the hierar -
chy of the Greek court system. Greece further argued that, as part of thpe
Special Supreme Court’s function, it identifies or defines a customary rule
of international law “in the present development of international lawp”. In

113
Namely :
“Within the Greek legal system, what are the legal effects of the Gpreek Special
Supreme Court decision in the Margellos case upon the Areios Pagos decision in the
Distomo Massacre case ? Is the Areios Pagos decision in the Distomo Massacre case
still pending of execution within and beyond the Greek legal system ?”

119

6 CIJ1031.indb 234 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 214

jamais été mis en place à cet effet, alors que d’autres espsayaient en vain
d’obtenir réparation depuis presque une décennie. Selon elle, lp’Allemagne
ne semblait aucunement avoir l’intention de conclure avec elle un accpord

en vue d’indemniser ces catégories de victimes. Elle faisait aussip valoir
que, pour l’instant, il n’y avait pour ces victimes, pour obtenir répara -
tion, d’autres recours que les recours internes. L’Italie affirmep que, si les
juges internes n’avaient pas refusé d’accorder l’immunitép, les victimes de

crimes de guerre n’auraient disposé d’aucun autre recours pour pobtenir
réparation étant donné, par exemple, la forte réticence des pautorités alle -
mandes à conclure un accord pour indemniser les « internés militaires
italiens ».

89. L’Italie affirme que, lorsque des violations graves des droits de
l’homme et du droit international humanitaire sont en cause, le répgime
des réparations ne s’épuise pas au niveau interétatique et qpue les victimes
individuelles de ces violations peuvent saisir les tribunaux internes dep leurs

demandes. Selon elle, lorsque le recours aux tribunaux nationaux est
l’unique et ultime moyen d’obtenir réparation, une exception àp l’immunité
est justifiée. Elle ajoute que, «[d]ans certaines circonstances, le déni d’accès
à la justice qui résulte de l’immunité accordée à un Eptat étranger peut avoir

pour corollaire le déni d’une indemnisation effective ». Elle fait ensuite
valoir que la notion de jus cogens concerne non seulement les règles pri -
maires, mais également les recours disponibles en cas de violations gpraves
des obligations prescrites par les normes qui ont ce caractère. Pour pelle,
lorsqu’un conflit survient entre des règles qui empêchent des individus

d’avoir accès à la justice et l’application effective de rpègles de jus cogens, s’il
n’existe aucun autre moyen d’obtenir l’application effective pdu jus cogens,
«la priorité doit être accordée à ce dernier en refusant l’pimmunité et en
permettant ainsi aux victimes individuelles d’accéder à la justpic» e.

b) La réponse de la Grèce
113
90. En réponse à la question I que j’ai posée à l’Etat intervenant —
à ma connaissance, c’est la première fois dans l’histoire dep la Cour qu’une
question est posée à un Etat intervenant non partie —, la Grèpce a com -

mencé par rappeler que le Tribunal supérieur spécial n’étpait pas considéré
comme une cour suprême ni une cour constitutionnelle dans l’ordre pjuri -
dique grec ; il avait un statut juridique sui generis. Elle a ajouté que ce
tribunal était une juridiction indépendante et non permanente qui pn’en -

trait pas dans la hiérarchie du système judiciaire grec. Selon la pGrèce, le
Tribunal supérieur spécial avait notamment pour fonction d’idenptifier ou
de qualifier une règle coutumière du droit international « au stade actuel

113A savoir :

«Dans l’ordre juridique grec, quels sont les effets juridiques de lap décision du
Tribunal supérieur spécial en l’affaire Margellos sur la décision de la Cour de cassa
tion en l’affaire du Massacre de Distomo ? Cet arrêt de la Cour de cassation en l’af -
faire du Massacre de Distomo est-il toujours en attente d’exécution dans l’ordre juri -
dique grec et au-delà ? »

119

6 CIJ1031.indb 235 22/11/13 12:25 215 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

this area of its functions, the Special Supreme Court judgments — it con -

tinued — have limited effects, and, in practice, a judgment by the Spe -
cial Supreme Court is binding only on the courts which have posed to it
the specific question. Greece further submitted that judgments of the pSpe -
cial Supreme Court do not have the force of res judicata erga omnes ; it is
for the ordinary courts or the Special Supreme Court to determine subse -

quently whether there has been any change in the assertion that a custom-
ary norm exists.

91. Greece added that a judgment of the Special Supreme Court

“always reflects the considerations of an opinio juris expressed ‘at the
same temporal stage of development of international law and its generallpy
accepted rules’”. It argued that the judgment in the Margellos and Others
case “has no effect whatever” or legal implications on the judgmpent of the
Areios Pagos in the Distomo Massacre case, which was rendered prior to

the Margellos judgment and concerned a different case. In this sense,
Greece claimed that the Areios Pagos judgment “is final and irrevocable.
It is in force and produces legal effects within the Greek legal orderp,
remaining pending of execution.” Greece at last contended that the fapct
that the Minister of Justice has not authorized the enforcement of the

Areios Pagos judgment yet does not signify that it is “emptied of meaning
and unenforceable”; the Distomo judgment “remains open”.

3. Second Round of Answers

92. The contending Parties saw it fit to comment on the answers they
provided to the questions I put to them during the oral hearings before pthe
Court (supra). These additional comments form the second round of their

answers, which I proceed likewise to revise and summarize, for the sake of
clarity as to the distinct positions taken by the contending Parties in pthe
present case on the Jurisdictional Immunities of the State before the Court.

(a) Germany’s comments

93. Germany only made observations on Greece’s response to my

question addressed to it. Germany first referred to Article 100 (1) of the
Greek Constitution, Article 54 (1) of Greek Law No. 345/1976 regarding
the Greek Special Supreme Court, and to a ruling by the Spe -
cial Supreme Court on this latter provision. On this basis, Germany
argued that, since the judgment of 2002 in the Margellos and Others case,

“no Greek Court has issued a judgment disregarding Germany’s statep
immunity for acts jure imperii during World War II and no measures of
execution in the Distomo case have been taken”. Germany then referred
to two judgments of the Areios Pagos (in 2007 and in 2009) that followed
the jurisprudence of the Special Supreme Court, “according to which

the rule of jurisdictional immunity stands unaffected even in cases the

120

6 CIJ1031.indb 236 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 215

du développement du droit international ». Dans ce domaine de ses fonc -

tions, ses arrêts n’avaient pas que des effets limités et, enp pratique, un
arrêt du Tribunal supérieur spécial n’avait un effet contraignant que vis-
à-vis des juridictions dont émanait la question précise qui lui avait été
posée. La Grèce indiquait en outre que les arrêts du Tribunal supérieur
spécial n’avaient pas force de chose jugée erga omnes ; c’était aux tribu -

naux de droit commun ou au Tribunal supérieur spécial qu’il apppartenait
de déterminer ultérieurement s’il y avait eu changement dans l’paffirmation
de l’existence d’une norme coutumière.
91. La Grèce ajoutait qu’un arrêt du Tribunal supérieur spécipal « reflète

toujours les considérations d’une opinio juris exprimée « au même stade
temporel du développement du droit international et de ses règles comme
généralement acceptées»». Elle faisait valoir que l’arrêt Margellos et autres
«ne [pouvait] influencer aucunement » ni avoir des incidences juridic-
tionnelles sur l’arrêt de l’Areios Pagos dans l’affaire du Massacre de

Distomo, rendu avant l’arrêt Margellos et qui concernait une affaire
différente. En ce sens, selon la Grèce, l’arrêt de l’Areios Pagos «est définitif
et irrévocable. Il est en vigueur et produit des effets juridiques pdans l’ordre
juridique hellénique, restant pendant quant à son exécution. » La Grèce
indiquait enfin que le fait que le ministre de la justice n’ait pasp encore au-o

risé l’exécution de l’arrêt de l’Areios Pagos ne signifiait pas que cet arrêt
était « vidé de sens et de force exécutoire »; l’arrêt Distomo « est toujours
ouvert ».

3. Deuxième série de réponses

92. Les Parties ont jugé bon de faire des observations sur les réponses
apportées aux questions que je leur avais posées durant la procépdure orale
(supra). Ces observations additionnelles constituent la seconde série de

leurs réponses, que je vais également reviser et résumer par souci de clarté
quant aux positions distinctes prises par les Parties dans la présentpe affaire
des Immunités juridictionnelles de l’Etat devant la Cour.

a) Observations de l’Allemagne

93. L’Allemagne n’a fait d’observations que sur la réponse de la Grèce à

la question que j’avais posée à cet Etat. Elle a commencé papr citer le para -
graphe 1 de l’article 100 de la Constitution grecque, le paragraphe 1 de l’a-r
ticle 54 de la loi grecque n 345/1976 relative au Tribunal supérieur spécial
grec et un arrêt de celui-ci sur ce paragraphe 1. Sur cette base, l’Allemagne
a fait valoir que, depuis l’arrêt de 2002 rendu dans l’affairpe Margellos et

autres, « aucun tribunal grec n’av[ait] rendu de jugement méconnaissant
l’immunité de l’Etat allemand à raison d’actes jure imperii commis pendant
la seconde guerre mondiale et aucune mesure d’exécution n’av[aipt] été prise
dans l’affaire Distomo». L’Allemagne a ensuite invoqué deux arrêts (rendus
en 2007 et 2009) de l’Areios Pagos qui suivaient la jurisprudence du Tribu-

nal supérieur spécial, « selon laquelle la règle de l’immunité de juridiction

120

6 CIJ1031.indb 237 22/11/13 12:25 216 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

subject-matter of which are allegations of serious violations of interna -
tional humanitarian law”.

(b) Italy’s comments

94. In turn, Italy commented on some parts of Germany’s responses to
the questions I posed (supra). In relation to my first question, contrary to

what Germany contended, Italy argued that the conclusion by the Court
in the paragraphs of the Order of 6 July 2010 cited by Germany was
strictly limited to the issue of the admissibility of Italy’s counterp-claim
and it did not affect the solution of the question raised by Germany’s

main claim. Italy contended that it remains for the Court to examine Itap -
ly’s arguments on the merits of Germany’s main claim, and in partipcular,
the argument whereby the obligation to make reparation for war crimes
has some specific implications for State immunity.

95. As to Germany’s response to my third question, Italy took issue
with Germany’s statement that the reparation regime set up for the

Second World War was “comprehensive”. Italy argued that Germany
itself, both in its written and oral submissions, admitted that reparatipons
made in relation to Italian victims of war crimes were only “partial”p. Italy
further contended that the 1961 Agreement provided only for reparations

for victims of persecution. Thus, Italy added that the characterization p
of the reparation scheme as “comprehensive” cannot be accurate, in
particular concerning Italian victims of war crimes. It further claimed p
that Germany’s arguments make it clear that no reparation has been
114
made to numerous Italian victims of war crimes .

96. Italy at last contended that Germany’s argument that Italian vic -
tims of war crimes did not receive compensation because Italy had been

an ally of Germany until 8 September 1943

“is flawed because it confuses the regime of responsibility for viopla -
tions of jus ad bellum with the consequences of violations of the pro -
visions of jus in bello, and in particular it ignores the special regime
of responsibility for serious breaches of international humanitarian
law”.

Also in relation to my third question, Italy claimed that “[t]he factp that

Italian victims had access to German courts does not mean that they werep
given an effective legal avenue to obtain reparation”. It argued thpat Ger -

114As Germany claims that it has been relieved of the obligation to make repparation
on the basis of the waiver clause of Article 77 of the 1947 Peace Treaty, an argument which
Italy challenges in the present proceedings.

121

6 CIJ1031.indb 238 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 216

demeure inaltérée même dans des affaires ayant pour objet des allégations
de violations graves du droit international humanitaire».

b) Observations de l’Italie

94. L’Italie, à son tour, a fait des observations sur certaines partieps des
réponses de l’Allemagne aux questions que j’avais posées à celle-cpi (supra).
Au sujet de ma première question, contrairement à ce qu’affirmpait l’Alle-

magne, l’Italie faisait valoir que la conclusion de la Cour figuranpt aux
paragraphes de l’ordonnance du 6 juillet 2010 cités par l’Allemagne était
strictement limitée à la question de la recevabilité de la demapnde recon-
ventionnelle de l’Italie et qu’elle était sans incidence sur lap solution de la

question soulevée par la demande principale de l’Allemagne. L’Iptalie affir-
mait qu’il appartenait donc toujours à la Cour d’apprécier les arpguments
avancés par l’Italie sur le fond de la demande principale de l’pAllemagne
et, en particulier, celui selon lequel l’obligation d’accorder répparation aux
victimes de crimes de guerre avait des conséquences particulières psur l’im -

munité de l’Etat.
95. S’agissant de la réponse de l’Allemagne à ma troisième question, l’Ita -
lie contestait l’affirmation de l’Allemagne selon laquelle le répgime de répa -ra
tion mis en place après la seconde guerre mondiale était « global». Elle
faisait observer que l’Allemagne elle-même, tant dans ses écritpures que lors

des plaidoiries, avait reconnu n’avoir indemnisé que « partiellement» les vic -
times italiennes de crimes de guerre. Elle soulignait en outre que l’accord
de 1961 ne prévoyait de réparations qu’au bénéfice des vicptimes de persécu -
tions. Qui plus est, ajoutait-elle, l’affirmation selon laquelle le prégime de

réparation était « global» ne pouvait être exacte, en particulier en ce qui
concerne les victimes italiennes de crimes de guerre. Elle faisait en ouptre
valoir que les arguments de l’Allemagne démontraient clairement qupe de
nombreuses victimes italiennes de crimes de guerre n’avaient bénépficié d’au -
cune réparation 11.

96. L’Italie soutient enfin que l’argument de l’Allemagne selon lequel
les victimes italiennes de crimes de guerre n’ont pas été indempnisées parce
que l’Italie était une alliée de l’Allemagne jusqu’au 8 septembre 1943

«est … erroné … car il confond le régime de la responsabilité de
l’Etat pour violations du jus ad bellum avec les conséquences des vio -
lations du jus in bello, et ignore en particulier le régime spécial de la

responsabilité de l’Etat en cas de violations graves du droit intepr-
national humanitaire ».

Egalement en relation avec ma troisième question, l’Italie soutienpt que
«[l]e fait que les victimes italiennes aient eu accès aux tribunaux alplemands
ne signifie pas qu’elles se sont vu offrir un recours effectif ». La législation

114Comme l’Allemagne soutient que la clause de renonciation figurant àp l’article 77
du traité de paix de 1947 l’exonère de son obligation de réparer, un argument que l’pItalie

conteste dans le cadre de la présente instance.

121

6 CIJ1031.indb 239 22/11/13 12:25 217 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

man laws imposed a number of “unduly restrictive requirements” forp Ital -
ian victims to receive reparation 115.

XII. The Prohibition of Forcped Labour at the Time
of the Second World War

1. Normative Prohibition

97. The legal regulation of forced labour at the time of Second World

War was based on the 1930 ILO Convention (No. 29) on Forced Labour,
which came into force on 1 May 1932. The Convention provided for a
series of restrictions and prohibitions of forced labour, aiming ultimatpely

to its total suppression. The 1930 ILO Convention (No. 29) made clear
that prisoners of war may not be employed in any way that is connected
with the operations of war (manufacture, transport of arms and muni -

tions) or for unhealthy or dangerous work (Arts. 31-32). In case of viola -
tions they have the right to complaint (Art. 31) ; moreover, more arduous
work cannot be used as a disciplinary measure (Art. 31).
98. Forced labour, in the sense of labour imposed under coercion or

the threat of penalty (Art. 2 (1)), has been condemned and expressly pro -
hibited ever since the 1930 ILO Convention (No. 29) 116, despite the dis -
tinct contexts wherein forced labour was imposed as time went on. The

1930 ILO Convention (No. 29) was followed by the 1957 Abolition of
Forced Labour Convention, to meet practically universal acceptance. As
I sustained in my earlier dissenting opinion (paras. 130-132) in the Court’s

Order of 6 July 2010 in the case of the Jurisdictional Immunities of the
State (Germany v. Italy) (Counter-Claim), their underlying principles,
informing and conforming the abolition of forced labour in general inter -
117
national law, belong nowadays to the domain of jus cogens .

99. Furthermore, in the domain of international humanitarian law, the

treatment of prisoners of war or civilian populations during armed con -

115
Italy argued, in this respect, that the reference made by Germany to thep jurispru -
dence of the European Court of Human Rights is “inapposite”, as such jurisprudence relies
on the assumption that “the Convention imposes no specific obligation on the Contracting
States to provide redress for wrongs or damage caused prior to their ratpification of the
Convention”. Italy added that the cases against Germany before the Eupropean Court were
based on the right to property under Article 1 of Protocol No. 1 to the European Conven -
tion, and the Court considered those cases inadmissible as the facts at pissue did not fall

wit116 the ambit of that norm.
ILO/OIT, Alto al Trabajo Forzoso — Informe Global con Arreglo al Seguimiento de
la Declaración de la OIT Relativa a los Principios y Derechos Fundame▯ntales en el Trabajo,
ILO, Geneva, 2001, pp. 9-10.
117Cf., to this effect, e.g., M. Kern and C. Sottas, “The Abolition of Forced or
Compulsory Labour”, in Fundamental Rights at Work and International Labour Standards,
Geneva, ILO, 2003, p. 44, and cf. p. 33 ; and International Labour Office, Eradication of
Forced Labour, Geneva, ILO, 2007, p. 111.

122

6 CIJ1031.indb 240 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 217

allemande, ajoute-t-elle, imposait un certain nombre de «conditions exces-
sives» aux victimes italiennes qui souhaitaient obtenir réparation 115.

XII. L’interdiction du travpail forcé
à l’époque de la seconpde guerre mondiale

1. L’interdiction normative

97. A l’époque de la seconde guerre mondiale, la réglementation jurpi -
dique du travail forcé reposait sur la convention (n° 29) sur le travail forcé de
l’OIT de 1930, entrée en vigueur le 1 ermai 1932. Cette convention prévoyait

des restrictions et interdictions concernant le travail forcé dont l’pobjectif
final était de le supprimer totalement. Cette convention indique clpairement
que les prisonniers de guerre ne peuvent être affectés à un epmploi lié aux

opérations de guerre (fabrication ou transport d’armes et de muniptions) ni
employés à des travaux malsains ou dangereux (art. 31-32). En cas de viola -
tions, ils ont le droit de se plaindre (art3 . 1); de plus, les conditions de travail

ne peuvent être rendues plus pénibles par des mesures disciplinairpes (art. 31).
98. Le travail forcé, au sens de travail exigé sous la menace d’unep peine
quelconque (art. 2, par. 1), est condamné et expressément interdit depuis
116
la convention (n° 29) de l’OIT de 1930 , en dépit des différents contextes
dans lesquels le travail forcé a été imposé au fil du tempps. La convention
(n° 29) de l’OIT de 1930 a été suivie par la convention de 1957 sur l’abo -

lition du travail forcé, et ces deux instruments jouissent d’une rpeconnais-
sance quasi universelle. Comme je l’ai soutenu dans l’opinion disspidente
(par. 130-132) que j’ai jointe à l’ordonnance de la Cour du 6 juillet 2010

dans l’affaire des Immunités juridictionnelles de l’Etat (Allemagne c. Ita ‑
lie) (demande reconventionnelle), les principes qui y sont consacrés, qpui
sont à l’origine de l’abolition du travail forcé en droit inpternational géné -
117
ral et lui ont donné forme, appartiennent maintenant au jus cogens .
99. De plus, dans le domaine du droit international humanitaire, le trai -
tement des prisonniers de guerre et des populations civiles durant un conflit

115 L’Italie fait valoir à cet égard que le renvoi de l’Allemagnpe à la jurisprudence de la

Cour européenne des droits de l’homme est « inopportun », puisque cette jurisprudence
postule que « la convention n’impose pas d’obligations spécifiques à la pcharge des Etats
contractants d’indemniser des dommages causés avant qu’ils n’aient ratifié la conven -
tion ». L’Italie ajoute que les actions intentées contre l’Allemagne pdevant la Cour euro -
péenne reposaient sur le droit de propriété énoncé à lp’article premier du protocole n 1 à la
convention européenne et que la Cour avait jugé ces demandes irrecpevables au motif que
les faits incriminés ne relevaient pas de cette règle.
116ILO/OIT, Halte au travail forcé — Rapport global en vertu du suivi de la Déclara ‑

tion de l’OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travai▯l, OIT, Genève, 2001,
p. 1170.
Voir en ce sens, par exemple, M. Kern et C. Sottas, «The Abolition of Forced or
Compulsory Labour », Fundamental Rights at Work and International Labour Standards,
Genève, OIT, 2003, p. 44, et voir p. 33 ; Bureau international du travail, Eradication of
Forced Labour, Genève, OIT, 2007, p. 111.

122

6 CIJ1031.indb 241 22/11/13 12:25 218 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

flict was governed, at the time of the Second World War, by the
1907 Hague Convention (IV) and by the 1929 Geneva Convention on
Prisoners of War ; the 1929 Geneva Convention added the prohibition of

forced labour that was unhealthy or dangerous for the prisoners of war
(Arts. 28-34). Still in connection with the prohibition of forced labour, at
that same time, the 1926 Geneva Anti-Slavery Convention prohibited
slavery and slave trade ; it expressly set forth the obligation of States “to

take all measures to prevent compulsory or forced labour from develop -
ing into conditions analogous to slavery” (Art. 5).
100. The Regulations concerning the Laws and Customs of War on
Land, annexed to the aforementioned 1907 Hague Convention (IV),

prohibited, with regard to forced labour of inhabitants of occupied terrpi -
tories, to involve those inhabitants in the work of “military operatipons
against their own country” (Art. 52). Germany signed the 1907 Hague Con -
vention (IV) on 18 October 1907 and ratified it on 27 November 1909. In

addition, it should be noted that Germany ratified the 1930 ILO Conven -
tion (No. 29) on Forced Labour only on 13 June 1956. Be that as it may,
even if this later ratification removed jurisdiction on the basis of this Con -
vention before mid-1956, the responsibility of Nazi Germany subsisted.

No one would dare to deny the wrongfulness of forced labour, already at p
the time of the Second World War.
101. The forced labour regime, as organized by Nazi Germany,
could be equated to “enslavement”, given the presence of the elements
constitutive of this crime, namely, the subjection of a part of a populap -

tion of an occupied territory, in order to sever forced or compulsory
labour, meant to be permanent, and undertaken in conditions similar to
slavery under the heel of private persons 11. It was the policy of Nazi
German authorities to let exhausted forced labourers die ; sometimes

they actively killed forced labourers when they could no longer work.
Such circumstances could make their policy fall under the “enslavement”
definition 119.

2. Judicial Recognition of the Prohibition

102. That State policy of Nazi Germany was to have repercussions in
the work and findings of the International Military Tribunal of Nurem -

berg, shortly after the Second World War. The 1945 Charter of the
Nuremberg Tribunal listed, among war crimes, the “deportation to slave
labour or for any other purpose of civilian population of or in occupied
territory” (Art. 6 (b)); and, among crimes against humanity, the “enslave -

ment, deportation, and other inhumane acts committed against any civil -

118L. Hannikainen, Peremptory Norms (Jus Cogens) in International Law : Histor‑
ical Development, Criteria, Present Status, Helsinki, Lakimiesliiton Kustannus/Finnish
Lawyers’ Publ. Co., 1988, pp. 455-456.
119Cf. ICRC, Customary International Humanitarian Law, Rule 95 : Forced Labour,
Deportation to Slave Labour, No. 19.

123

6 CIJ1031.indb 242 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 218

armé était régi, à l’époque de la seconde guerre mondipale, par la convention IV
de La Haye de 1907 et par la convention de Genève de 1929 relative au trai -

tement des prisonniers de guerre; ce dernier texte interdisait d’employer des
prisonniers de guerre à des travaux insalubres ou dangereux (art. 28-34).
Toujours en rapport avec l’interdiction du travail forcé, dans le pmême temps,
la convention de Genève de 1926 sur l’esclavage interdisait l’esclavage et la

traite des esclaves; elle énonçait expressément, à la charge des Etats, l’obpli -
gation de « prendre des mesures utiles pour éviter que le travail forcé ou
obligatoire n’amène des conditions analogues à l’esclavage » (art. 5).
100. Le Règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur

terre, annexé à la convention IV de La Haye de 1907 susmentionnée,
interdisait, en ce qui concerne le travail forcé des habitants des teprritoires
occupés, d’obliger ces habitants à participer « aux opérations de la guerre
contre leur patrie » (art. 52). L’Allemagne a signé la convention IV de

La Haye de 1907 le 18 octobre 1907 et l’a ratifiée le 27 novembre 1909. Il
convient en outre de noter que l’Allemagne n’a ratifié la conpvention
(n° 29) de l’OIT de 1930 sur le travail forcé que le 13 juin 1956. Quoi qu’il
en soit, même si cette ratification ultérieure interdit d’invpoquer cette

convention comme base de compétence avant le milieu de 1956, la respon ‑
sabilité de l’Allemagne nazie a subsisté. Nul n’oserait nier que le travpail
forcé était déjà illicite à l’époque de la seconde guerre mondiale.
101. Le régime de travail forcé organisé par l’Allemagne nazie peut être

assimilé à une «réduction en esclavage» étant donné la présence d’éléments
constitutifs de ce crime, à savoir l’assujettissement d’une parptie d’une popu -
lation d’un territoire occupé afin de lui faire exécuter un tpravail forcé ou

obligatoire devant être permanent, et effectué dans des condit118ns compa -
rables à l’esclavage sous l’autorité de personnes privéesp . Les autorités de
l’Allemagne nazie avaient pour politique de laisser mourir les travaiplleurs
forcés épuisés; parfois elles mettaient ces travailleurs forcés à mort lors -

qu’ils ne pouvaient plus travailler. Du fait de ces circonstances, lepur poli- 119
tique pouvait entrer dans la définition de la «réduction en esclavage» .

2. Reconnaissance judiciaire de l’interdiction

102. La politique d’Etat de l’Allemagne nazie devait avoir des réperp -
cussions sur les travaux et les conclusions du Tribunal militaire inter-
national de Nuremberg peu après la seconde guerre mondiale. Le
Statut (1945) du Tribunal de Nuremberg faisait notamment figurer, parmi

les crimes de guerre, la « déportation pour des travaux forcés, ou pour
tout autre but, des populations civiles dans les territoires occupés» (art. 6,
al. b)) et, parmi les crimes contre l’humanité, « la réduction en esclavage,

118
L. Hannikainen, Peremptory Norms (Jus Cogens) in International Law : Histo‑
rical Development, Criteria, Present Status, Helsinki, Lakimiesliiton Kustannus/Finnish
Lawyers’ Publ. Co., 1988, p. 455-456.
119 Voir CICR, Droit international humanitaire coutumier, règle 95 :travail forcé, dépor-
tation pour des travaux forcés, n 19.

123

6 CIJ1031.indb 243 22/11/13 12:25 219 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

ian population, before or during the war” (Art. 6 (c)). The prohibition of
forced labour and enslavement was already established, as indicated

above, in the corpus juris gentium, in international instruments of the ILO
as well as of international humanitarian law.

103. It was then, with the work of the Nuremberg Tribunal, to gain
judicial recognition as well. In fact, the question of forced labour durping
the Second World War was examined by the Nuremberg Tribunal, which,
in the case of the Major War Criminals (judgment of 1 October 1946),
120
recalled that Article 6 (b) its Charter provides that the “ill-treatment,
or deportation to slave labour or for any other purpose, of civilian popu -
lation of or in occupied territory shall be a war crime”. The Tribunapl
further reminded that “[t]he laws relating to forced labour by the inphabit -

ants of occupied territories are found in Article 52 of the Hague Conven -
tion” of 1907 12.

104. In this regard, the Nuremberg Tribunal concluded that “[t]he pol -
icy of the German occupation authorities was in flagrant violation of pthe
terms of [the Hague Convention of 1907]” and that an “idea of this policy
may be gathered from the statement made by Hitler in a speech on

9 November 1941”, asserting that “the German occupation authorities
did succeed in forcing many of the inhabitants of the occupied territoripes
to work for the German war effort, and in deporting at least 5,000,000p per -
sons to Germany to serve German industry and agriculture”. It also

noted that “[i]nhabitants of the occupied countries were conscripted pand
compelled to work in local occupations, to assist the German war econ -
omy” and that “[i]n many cases they were forced to work on German p
122
fortifications and military installations” .
105. From the above statement by Hitler, singled out by the Nurem -
berg Tribunal itself, there can be no doubt whatsoever that widespread
forced labour of inhabitants of the occupied territories in the German

war industry during the Second World War, was a State policy of Nazi
Germany. Such State policy was in flagrant violation of international plaw,
both conventional and customary.

106. In fact, the Nuremberg Tribunal further observed that a vigorous
propaganda campaign was set up to induce workers to volunteer to work
in Germany, and, in some instances, labourers and their families were
123
threatened by the police in case they refused to go to Germany . The
evidence before the Tribunal showed that the workers were sent under

120 Hereinafter referred to as the “Nuremberg Charter”.
121
International Military Tribunal, judgment of 1 October 1946, in The Trial of
German Major War Criminals :Proceedings of the International Military Tribunal Sitting at
Nur122erg, Germany, Part 22 (22 August 1946-1 October 1946), p. 460.
123 Ibid., p. 460.
Ibid., p. 461.

124

6 CIJ1031.indb 244 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 219

la déportation, et tout autre acte inhumain commis contre toutes popupla-

tions civiles, avant ou pendant la guerre » (art. 6, al. c)). L’interdiction du
travail forcé et de la réduction en esclavage était déjà pétablie, comme indi -
qué ci-dessus, dans le corpus juris gentium et dans les instruments inter-
nationaux de l’OIT et du droit international humanitaire.

103. Cette interdiction devait alors, grâce aux travaux du Tribunal de
Nuremberg, acquérir également une reconnaissance judiciaire. En fapit, la
question du travail forcé durant la seconde guerre mondiale a été exa-

minée par le Tribunal de Nuremberg, qui, dans le cadre du procès dpes
Grands criminels de guerre (jugement du 1 eroctobre 1946), a rappelé que
l’alinéa b) de l’article 6 de son Statut 120disposait que constituent un
crime de guerre « les mauvais traitements et la déportation pour des tra -

vaux forcés, ou pour tout autre but, des populations civiles dans lesp terri-
toires occupés». Le Tribunal a de plus rappelé que «[l]es règles concernant
les travaux forcés imposés aux habitants de territoires occupésp se trouvent
121
dans l’article 52 de la convention de La Haye » de 1907 .
104. A cet égard, le Tribunal de Nuremberg a conclu que « [l]a poli-
tique des autorités d’occupation allemandes a constitué une violationp

flagrante des termes de [la convention de La Haye de 1907] » et que
l’«[o]n peut se rendre compte de ce qu’était cette politique en lisanpt la
déclaration faite par Hitler dans un discours prononcé le 9 novembre
1941», ajoutant que « les autorités d’occupation allemandes parvinrent

à astreindre un grand nombre d’habitants des territoires occupés àp l’effort
de guerre du Reich … [et] déportèrent en Allemagne au moins cinq millions
de personnes pour les contraindre à des travaux agricoles». Il fit aussi ob -

server que «[l]es habitants furent recensés et forcés de travailler sur place pau
bénéfice de l’économie de guerre allemande » et que, « [b]ien souvent, ils
durent construire des fortifications et des installations militaires» 122.
105. Il ressort sans l’ombre d’un doute de la déclaration d’Hitlepr sus-

visée, que le Tribunal de Nuremberg a lui-même citée, que le trpavail forcé
généralisé des populations des territoires occupés dans l’pindustrie de
guerre allemande durant la seconde guerre mondiale correspondait à unpe

politique d’Etat de l’Allemagne nazie. Une telle politique d’Etpat consti -
tuait une violation flagrante du droit international, conventionnel etp
coutumier.
106. En fait, le Tribunal de Nuremberg a en outre fait observer qu’une

énergique campagne de propagande avait été entreprise pour incipter les
travailleurs à aller travailler en Allemagne et que, dans certains caps, les
travailleurs et leurs familles avaient été menacés de représpailles par la
123
police s’ils refusaient de partir pour l’Allemagne . Les preuves soumises

120Ci-après le «Statut de Nuremberg ».
121Tribunal militaire international, jugement du 1octobre 1946, dans The Trial of
German Major War Criminals: Proceedings of the International Military Tribunal Sitting at
Nuremberg, Germany, partie 22 (22 août 1946-1roctobre 1946), p. 460.
122
123Ibid., p. 460.
Ibid., p. 461.

124

6 CIJ1031.indb 245 22/11/13 12:25 220 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

guard to Germany and were often crammed in trains without adequate
food, heat, clothing or sanitary facilities, and demonstrated that the tpreat -
ment of workers in Germany was, in many cases, brutal and degrading ;

the Tribunal also found that, many prisoners of war were allocated to
work directly in relation to military operations, in violation of Articlpe 31
of the 1929 Geneva Convention 124.

107. As to the customary nature of the rules that it applied, the Nurem-
berg Tribunal further stated that

“Article 6 of the Charter provides :
(b) War Crimes : namely, violations of the laws or customs of war.

Such violations shall include, but not be limited to, murder,
ill-treatment or deportation to slave labour or for any other pur -
pose of civilian population of or in occupied territory, murder or
ill-treatment of prisoners of war or persons on the seas, killing of
hostages, plunder of public or private property, wanton destruc -

tion of cities, towns or villages or devastation not justified by
military necessity ;

(c) Crimes against Humanity: namely, murder, extermination, enslav-e

ment, deportation, and other inhumane acts committed against any
civilian population, before or during the war, or persecutions on
political, racial or religious grounds in execution of or in connection
with any crime within the jurisdiction of the Tribunal, whether or

not in violation of the domestic law of the country where perpe -
trated. (. . .)

The Tribunal is of course bound by the [Nuremberg] Charter, in
the definition which it gives both of war crimes and crimes against
humanity. With respect to war crimes, however, as has already been

pointed out, the crimes defined by Article 6, Section (b), of the
[Nuremberg] Charter were already recognized as war crimes under
international law. They were covered by Articles 46, 50, 52, and 56
of the Hague Convention of 1907, and Articles 2, 3, 4, 46, and 51 of

the Geneva Convention of 1929. That violations of these provisions
constituted crimes for which the guilty individuals were punishable is
too well settled to admit of argument.” 125

108. The Nuremberg Tribunal further found that, by 1939, the rules
laid down in the Hague Convention of 1907 were recognized by all “civi -
lized nations”, and were regarded as being declaratory of the laws anpd

124 Op. cit. supra note 121, p. 462.
125 Ibid., p. 467. The Judgment also stated, in relation to the crimes committed in
Czechoslovakia, that : “Although Czechoslovakia was not a party to the Hague Conven -
tion of 1907, the rules of land warfare expressed in this Convention are declaratory o▯f existing
international law and hence are applicable”, p. 524 (emphasis added).

125

6 CIJ1031.indb 246 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 220

au Tribunal montraient que les travailleurs déportés en Allemagne py
étaient envoyés sous escorte, souvent entassés dans des trains pnon chauf-

fés, sans nourriture, sans vêtements et sans installations sanitaipres, et que
le traitement qui leur était infligé en Allemagne avait étép brutal et dégra -
dant; le Tribunal a aussi conclu que beaucoup de prisonniers de guerre
avaient été employés à des travaux en rapport direct avec leps opérations
124
militaires, en violation de l’article 31 de la convention de Genève de 1929 .
107. En ce qui concerne le caractère coutumier des règles qu’il applpi -
quait, le Tribunal de Nuremberg déclara en outre ce qui suit :

«L’article 6 du Statut soumet à la compétence du Tribunal :

b) Les crimes de guerre : c’est-à-dire les violations des lois et cou -
tumes de la guerre. Ces violations comprennent, sans y être limi -
tées, l’assassinat, les mauvais traitements ou la déportation ppour
des travaux forcés, ou pour tout autre but, des populations civiles

dans les territoires occupés, l’assassinat ou les mauvais traitemepnts
des prisonniers de guerre ou des personnes en mer, l’exécution desp
otages, le pillage des biens publics ou privés, la destruction sans
motif des villes et des villages ou la dévastation que ne justifient

pas les exigences militaires ;
c) Les crimes contre l’humanité : c’est-à-dire l’assassinat, l’extermi -
nation, la réduction en esclavage, la déportation, et tout autre apcte
inhumain commis contre toutes populations civiles, avant ou pen -

dant la guerre, ou bien les persécutions pour des motifs politiques,
raciaux ou religieux, lorsque ces actes ou persécutions, qu’ils aipent
constitué ou non une violation du droit interne des pays où ils onpt
été perpétrés, ont été commis à la suite de tout crpime rentrant dans

la compétence du Tribunal, ou en liaison avec ce crime.
Le Statut lie le Tribunal quant à la définition des crimes de guperre

et des crimes contre l’humanité. Mais, dès avant le Statut, lesp crimes
de guerre énumérés par l’article 6 b) tenaient du droit international
leur qualification de crimes de guerre. Ils étaient prévus par lpes
articles 46, 50, 52 et 56 de la convention de La Haye de 1907, et par

les articles 2, 3, 4, 46 et 51 de la convention de Genève de 1929. Il
n’est pas douteux que la violation de ces textes constitue un crime, p
entraînant un châtiment. » 125

108. Le Tribunal de Nuremberg conclut en outre que, en 1939, les
règles énoncées dans la convention de La Haye de 1907 étaient reconnues
par tous « les Etats civilisés » et considérées comme déclaratoires des lois

124
125 Op. cit. supra note 121, p. 462.
Ibid., p. 467. Le jugement déclarait aussi, en ce qui concerne les crimes commis epn
Tchécoslovaquie : « Bien que la Tchécoslovaquie ne fût pas partie à la convention dpe La Haye
de 1907, les règles de la guerre sur terre énoncées dans cette C▯ sont déclaratoires du
droit international existant et sont donc appli, p. 524 (les italiques sont de moi).

125

6 CIJ1031.indb 247 22/11/13 12:25 221 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

customs of war referred to in Article 6 (b) of the Nuremberg Charter.
As to crimes against humanity, the Nuremberg Tribunal concluded that
“[t]he policy of terror was certainly carried out on a vast scale, anpd in

many cases was organized and systematic” and concerning “[t]he polpicy
of persecution, repression and murder of civilians in Germany before thep
war of 1939, who were likely to be hostile to the Government” it founpd

that such policy “was most ruthlessly carried out”. The Tribunal tphus
concluded that “from the beginning of the war in 1939 war crimes were
committed on a vast scale, which were also crimes against humanity”
and held that “they were all committed in execution of, or in connec -

tion with, the aggressive war, and therefore constituted crimes against
humanity” 12.
109. For its part, the International Military Tribunal for the Far East

(the Tokyo Tribunal), in its judgment of 12 November 1948, also
expressed concern with regards to the use of forced labour, the method opf
recruitment, the confination of labourers in camps ; the Tokyo Tribunal

was also concerned with the little or no distinction made “between thpese
conscripted labourers on the one hand and prisoners of war and civilian p
internees on the other hand”, all being regarded as “slave labourers” 127.

110. In our days, in its recent adjudication of the case Kononov v. Lat ‑
via (2008-2010), lodged with the European Court of Human Rights
(ECHR) by a survivor of the Second World War, the ECHR (for -

mer Section III, judgment of 24 July 2008) saw it fit to undertake an
examination of the evolution of international humanitarian law, from thep
First and Second Hague Peace Conferences (1899 and 1907) to the after -

math of the Second World War (the Nuremberg and Tokyo Tribunals
trials, and the 1949 Geneva Conventions), to determine that the subjuga -

126
127Op. cit. supra note 121, p. 468.
In the words of the Tribunal :
“Having decided upon a policy of employing prisoners of war and civilpian internees

in work directly contributing to the prosecution of the war, and having pestablished
a system to carry that policy into execution, the Japanese went further pand supple
mented this source of manpower by recruiting labourers from the native ppopulation
of the occupied territories. This recruiting of labourers was accomplishped by false
promises, and by force. After being recruited, the labourers were transpported to and
confined in camps. Little or no distinction appears to have been made pbetween these
conscripted labourers on the one hand and prisoners of war and civilian pinternees
on the other hand. They were all regarded as slave labourers to be used pto the limit
of their endurance. For this reason, we have included these conscripted labourers in

the term ‘civilian internees’ (. . .). The lot of these conscripted labourers was made
worse by the fact that generally they were ignorant of the principles ofp hygience [sic]
applicable to their unusual and crowded conditions and succumbed more repadily to
the diseases resulting from the insanitary conditions of confinement apnd work forced
upon them by their Japanese captors.” (International Military Tribunpal for the Far
East, judgment of 12 November 1948, in J. Pritchard and S. M. Zaide (eds.), The
Tokyo War Crimes Trial, Vol. 22, pp. 693-694.)

126

6 CIJ1031.indb 248 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 221

et coutumes de la guerre visées à l’alinéa b) de l’article 6 du Statut du
Tribunal. Quant aux crimes contre l’humanité, le Tribunal a conclup que
«[l]a politique de terreur était assurément mise en œuvre sur unpe grande

échelle, et [qu’]elle était souvent organisée et systématpique » et, en ce qui
concerne « [l]a politique de persécution, de répression et de meurtre de
civils présumés hostiles au gouvernement mis en œuvre en Allemapgne

avant la guerre de 1939», il a jugé que cette politique « a[vait] été poursui -
vie impitoyablement». Le Tribunal a ainsi conclu que « dès le début de la
guerre en 1939 des crimes de guerre furent commis sur une grande échelle,
qui étaient aussi des crimes contre l’humanité », et il a jugé qu’« ils

[avaient] tous été commis en exécution ou à l’occasion d’pune guerre
d’agression, et qu’ils constituaient des crimes contre l’humanipté» 126.
109. Le Tribunal militaire international pour l’Extrême-Orient (le Tripbu -

nal de Tokyo), dans son jugement du 12 novembre 1948, s’est pour sa part
déclaré préoccupé par le recours au travail forcé, la mépthode de recrutement
et l’internement des travailleurs dans des camps ; il a aussi relevé que l’on ne

distinguait guère, voire pas du tout, «entre ces travailleurs recrutés de force
d’une part et les prisonniers de guerre et internés civils d’auptre part», tous
étant considérés comme des «travailleurs réduits en esclavage» 127.

110. De nos jours, dans le jugement qu’elle a rendu dans l’affaire Kono ‑
nov c. Lettonie (2008-2010), portée devant elle par un survivant de la
seconde guerre mondiale, la CEDH (arrêt du 24 juillet 2008 de l’ancienne

troisième section de la Cour) a jugé opportun d’examiner l’pévolution du
droit international humanitaire entre les première et deuxième conpfé -
rences de paix de La Haye (1899 et 1907) et les suites de la seconde guerre

mondiale (Tribunaux de Nuremberg et de Tokyo, et conventions
de Genève de 1949) pour décider que, bien avant la seconde guerre

126
127 Op. cit. supra note 121, p. 468.
Comme l’a déclaré le Tribunal :
«Ayant décidé d’employer les prisonniers de guerre et internéps civils à des travaux

contribuant directement à la poursuite de la guerre, et ayant étabpli un système pour
mettre en œuvre cette politique, les Japonais sont allés plus loinp et ont complété cette
source de main-d’œuvre en recrutant des travailleurs dans la populpation indigène
des territoires occupés. Ce recrutement de travailleurs fut accompli pau moyen de
fausses promesses et par la force. Une fois recrutés, les travailleurps étaient trans
portés et enfermés dans des camps. Il semble qu’on n’ait guèpre fait de distinction,
voire aucune, entre ces travailleurs recrutés de force d’une part pet les prisonniers de
guerre et internés civils d’autre part. Ils étaient tous considpérés comme des travail -
leurs réduits en esclavage, à utiliser jusqu’à la limite de pleurs forces. Pour cette raison,

l’expression «internés civils » désignait également ces travailleurs recrutés de force…
Le sort de ces travailleurs recrutés de force fut aggravé par le fpait qu’ils ignoraient
généralement les principes de l’hygiène applicables dans lesp conditions inhabituelles
de surpopulation qui étaient les leurs et qu’ils succombaient plusp facilement aux
maladies résultant de l’insalubrité de leur enfermement et des travaux que leurs
geôliers japonais les obligeaient à exécuter. » (Tribunal militaire international pour
l’Extrême-Orient, jugement du 12 novembre 1948, dans J. Pritchard et S. M. Zaide
(dir. publ.), The Tokyo War Crimes Trial, vol. 22, p. 693-694.)

126

6 CIJ1031.indb 249 22/11/13 12:25 222 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

tion and the ill-treatment of civilians was already prohibited well befopre
the Second World War (paras. 55-70).
111. In the same line of reasoning, the ECHR, in its subsequent judg -
ment (Grand Chamber, of 17 May 2010) in the Kononov v. Latvia case,
deemed it fit to undertake to an ever greater depth such examination opf

the evolution of international humanitarian law, this time from the earlier
codifications of the nineteenth century to the aftermath of the Second
World War (paras. 206-217), to find that “the ill-treatment, wounding
and killing” of villagers (in any case hors de combat) constituted, already
by the time of the 1907 Hague Regulations, “a war crime” (para. 216).

The Court pondered, inter alia, that :

“While the notion of war crimes can be traced back centuries, the
mid-nineteenth century saw a period of solid codification of the acts
constituting a war crime and for which an individual could be held
criminally liable. The Lieber Code [of] 1863 [the Oxford Manual
of 1880 (. . .)], and in particular the [1874] draft Brussels Declaration,

(. . .) inspired the Hague Convention and Regulations [of] 1907. These
latter instruments were the most influential of the earlier codificaptions
and were, in 1907, declaratory of the laws and customs of war : they
defined, inter alia, relevant key notions (combatants, levée en masse,
hors de combat), they listed detailed offences against the laws and

customs of war and they provided a residual protection through the
Martens clause, to inhabitants and belligerents for cases not covered
by the specific provisions of the Hague Convention and Regulations
[of] 1907. Responsibility therein was on States, which had to issue

consistent instructions to their armed forces and pay compensation if
their armed forces violated those rules.” (Para. 207.)

112. After reviewing the “Hague” and the “Geneva” branches of
humanitarian law, “the latter supplementing the former”, in the copurse of
the second half of the nineteenth century and the first half of the twenti -

eth century, the European Court further recalled that the Charter of the
Nuremberg Tribunal provided a “non-exhaustive definition of war
crimes”, and its judgment opined that the humanitarian rules enshrinepd
into the 1907 Hague Convention and Regulations were generally recog -

nized as being “‘declaratory of the laws and customs of war’ by 1939 and
that violations of those provisions constituted crimes for which individpu -
als were punishable” (para. 207).
113. The ECHR then added that “[i]nternational and national law (the
latter including transposition of international norms) served as a basips for
128
domestic prosecutions and liability” (para. 208) . In sum, from the
review above, it is clear that there has also been further judicial recopg-
nition of the fact that, well before the Second World War, ill-treatmentp of

128
Cf. also para. 212.

127

6 CIJ1031.indb 250 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 222

mondiale, il était déjà interdit d’opprimer et de maltraiterp les civils
(par. 55-70).
111. Dans le même ordre d’idées, la CEDH, dans l’arrêt qu’eplle a rendu
ultérieurement en l’affaire Kononov c. Lettonie (Grande Chambre,

17 mai 2010), a examiné l’évolution du droit international humanitairpe de
manière encore plus approfondie, des premières codifications du p
XIX esiècle à la période ayant suivi la seconde guerre mondiale (par. 206-
217), et elle a conclu que le fait d’infliger à des villageois p(de toutes façons

hors de combat) « des mauvais traitements, des blessures, puis la mort »
constituait, déjà à l’époque du Règlement de La Haye dpe 1907, «un crime
de guerre» (par. 216). La Cour a notamment déclaré ce qui suit :

«Si la notion de crimes de guerre est connue depuis des siècles, les
actes constitutifs de crimes de guerre susceptibles d’engager la resppon -
sabilité pénale de leur auteur ont commencé à faire l’objpet d’une cod-ifi
e
cation solide au milieu du XIX siècle. Le Code Lieber [de] 1863 … [le
Manuel d’Oxford de 1880] …, et en particulier le projet de Déclaration
de Bruxelles [de 1874], ont … inspiré la Convention et le Règlement de
La Haye de 1907. Ce sont ces deux derniers instruments qui ont été les
plus marquants dans le processus de codification. En 1907, ils étaipent

déclaratifs des lois et coutumes de la guerre : ils définissaient notam -
ment des notions clés pertinentes (combattants, levée en masse, hpors de
combat), énuméraient en détail les infractions aux lois et couptumes de
la guerre et assuraient, par le biais de la clause Martens, une protectipon

résiduelle aux populations et aux belligérants dans les cas non copuverts
par l’une de leurs dispositions. Ces textes posaient en principe la rpes -
ponsabilité des Etats, qui devaient donner à leurs forces armées des
instructions conformes au Règlement concernant les lois et coutumes

de la guerre et verser une indemnité en cas de violation par des membres
de leurs forces des dispositions dudit Règlement» . (Par. 207.)

112. Après avoir examiné le droit humanitaire « de La Haye et celui de
Genève», «le second complétant le premier», au cours de la seconde moi -
tié du XIX siècle et de la première moitié du XX esiècle, la Cour euro -
péenne a en outre rappelé que le Statut du Tribunal de Nuremberg

«définissait de manière non limitative les crimes de guerre », que dans son
jugement le Tribunal avait émis l’opinion que les règles humanitaires qui
figuraient dans la convention et le règlement de La Haye de 1907 étaient
généralement reconnues comme « «l’expression, codifiée, des lois et cou -
tumes de la guerre » applicables en 1939 et que les violations de ces textes

constituaient des crimes dont les auteurs devaient être punis » (par. 207).
113. La Cour européenne des droits de l’homme ajoute ensuite que
«[t]ant le droit international que le droit national (celui-ci incluant ples
normes internationales transposées) servaient de base aux poursuitesp et à
128
la détermination de la responsabilité au niveau national » (par. 208) .
En résumé, il ressort clairement de ce qui précède qu’il py a aussi eu une

128Voir aussi par. 212.

127

6 CIJ1031.indb 251 22/11/13 12:25 223 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

civilians (such as forced labour) was illegal — it was a war crime — and
engaged both State and individual responsibility.

3. The Prohibition in Works of Codification

114. The prohibition of forced labour as a form of slavery is not to be

taken lightly, keeping in mind the long time it has taken to eradicate ipt,
and the fact that it still survives in our days. Time and time again atten -
tion has been drawn into the everlasting struggle against forced labour pas
slave work. In this respect, in 1958, for instance, J. H. W. Verzijl pointed

out that it was “shocking to have to acknowledge” that any attemptp to
deal with stigmatized abuses and disgraces of the past was “relativelpy
recent”. Thus :

“It will suffice to remind ourselves of the humiliating historical evi -
dence that the formal abolition of slavery was only reluctantly
achieved, little by little, during the nineteenth century, that hidden or

even overt forms of serfdom still flourish (. . .), that it was still neces -
sary in 1956 to conclude a Convention for the Abolition of Slavery,
the Slave Trade and Institutions and Practices Similar to Slavery,
(. . .) a still existing evil surviving from the past.” 129

115. When, early in its life and in the era of the United Nations itself,
the International Law Commission (ILC) formulated the Principles of
International Law Recognized in the Charter of the Nuremberg Tribunal
and in the Judgment of the Tribunal (1950), it included, among “war

crimes”, the “deportation to slave-labour or for any other purpose of
civilian population of or in occupied territory” (Principle VI (b)) ; and it
likewise included, among “crimes against humanity”, the “enslavement,
deportation and other inhuman acts done against any civilian popula -
130
tion” (Principle VI (c)) . Codified in 1950, those principles were already
deeply-engraved in the universal juridical conscience for a long time.
Those crimes were already prohibited by international law likewise for ap
long time.

116. The fact remains that the prohibition of forced labour as a form
of slavery soon marked its presence in endeavours of codification, not
only of the ILC in the mid-twentieth century, but also of the Interna -
tional Committee of the Red Cross (ICRC) in the middle of last decade.

In fact, in accordance with a study undertaken by the ICRC entitled Cus ‑
tomary International Humanitarian Law, published in 2005, uncompen -

129J. H. W. Verzijl, Human Rights in Historical Perspective, Haarlem, Haarlem Press,
1958, pp. 5-6.
130UN, The Work of the International Law Commission, 7th ed., Vol. I, N.Y.,2007,
p. 265.

128

6 CIJ1031.indb 252 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 223

reconnaissance judiciaire du fait que, bien avant la seconde guerre mon -
diale, maltraiter les civils (par exemple en leur imposant un travail fporcé)

était illicite — c’était un crime de guerre — et engageait la responsabilité
de l’Etat comme la responsabilité individuelle.

3. L’interdiction dans les travaux de codification

114. L’interdiction du travail forcé en tant que forme d’esclavage npe
doit pas être prise à la légère, si l’on songe au temps qpu’il a fallu pour
éliminer ce phénomène, même s’il survit encore de nos jouprs. A de nom -
breuses reprises, l’attention a été appelée sur la lutte sans fin menée à cet

égard. En 1958, par exemple, J. H. W. Verzijl a fait observer qu’il était
«choquant de devoir reconnaître » que les tentatives faites pour se pen -
cher sur les abus et phénomènes du passé étaient « relativement récentes».
Ainsi :

«Il suffira de rappeler les preuves historiques humiliantes attestant

que l’abolition formelle de l’esclavage n’a été réalispée qu’avec réti -
cence, petit à petit, au XIX siècle, que des formes cachées ou même
ouvertes de servitude existent encore …, qu’il était encore népcessaire
en 1956 de conclure une convention, la convention supplémentaire

relative à l’abolition de l’esclavage, de la traite des esclaveps et des
institutions et pratiques analogues à l’esclavage … une sinistrpe survi -
vance du passé qui existe toujours. » 129

115. Lorsque, peu après sa création et celle de l’Organisation des
Nations Unies elle-même, la Commission du droit international (CDI) a

formulé les Principes du droit international consacrés par le Statut du Tribu ‑
nal de Nuremberg et dans le Jugement de ce tribunal (1950), elle a fait figurer
au nombre des « crimes de guerre » la « déportation pour les travaux forcés,
ou pour tout autre but, des populations civiles dans les territoires occpupé »s

(principe VI b)); elle a de même fait figurer parmi les « crimes contre l’hu ‑
manité » «la réduction en esclavage, la déportation ou tout autre acte inhu-
main commis contre toutes populations civile» s (principe VI c)) . Codifiés
en 1950, ces principes étaient déjà depuis longtemps profondémepnt gravés

dans la conscience juridique universelle. Ces crimes étaient de mêpme déjà
interdits depuis longtemps par le droit international.
116. Le fait demeure que l’interdiction du travail forcé en tant que
forme d’esclavage est bientôt apparue dans les travaux de codifipcation
e
non seulement de la CDI au milieu du XX siècle, mais aussi du Comité
international de la Croix-Rouge (CICR) au milieu de la dernière dépcen -
nie. En fait, selon l’étude du CICR intitulée Droit international humani ‑

taire coutumier, publiée en 2005, le travail forcé non rémunéré ou abusif

129
J. H. W. Verzijl, Human Rights in Historical Perspective, Haarlem, Haarlem Press,
1958, p. 5-6.
130 Nations Unies, La Commission du droit international et son œuvre, 7 éd., vol. I, New
York, Nations Unies, 2007, p. 265.

128

6 CIJ1031.indb 253 22/11/13 12:25 224 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

sated and abusive forced labour is prohibited ; the study asserts that such
prohibition of forced labour attained the status of “a norm of custompary
international law applicable in both international and non-international
131
armed conflicts” (Rule 95).

4. International Crimes and the Prohibitions of Jus Cogens

117. The fact remains that, by the time of the Second World War,

forced labour as a form of slave work was already prohibited by interna -
tional law. Well before the Second World War, and indeed before the
First World War, its wrongfulness was widely acknowledged. The fact
that wrongful practices nevertheless persisted, in times of peace and or

armed conflict — as they still persist today — does not mean that there
was a legal void in that respect. The prohibitions of international law pdo
not cease to exist because violations occur. Quite on the contrary, suchp
violations entail legal consequences for those responsible for them.

118. Already at the beginning of the twentieth century, the Hague
Convention (IV) of 1907 contained, in its preamble, the célèbre Mar ‑
tens clause (cf. supra), invoking, for cases not included in the adopted

regulations annexed to it, “the principles of humanity” and “thpe dictates
of the public conscience” (para. 8). Due attention had been taken not to
leave anyone outside the protection granted by the corpus juris gentium —
by conventional and customary international law — against forced and p

slave work in armaments industry. Such protection was extended by the
jus gentium to human beings, well before the sinister nightmare and the
horrors of the Third Reich.
119. In this line of thinking, in my previous dissenting opinion

(paras. 144-146) in the Court’s Order of 6 July 2010 in the present case of
the Jurisdictional Immunities of the State (Germany v. Italy) (counter-
claim), I drew attention (in the light of the submissions of the con -
tending Parties themselves in the present case, not necessarily diverging

herein) to the incidence of jus cogens, in the absolute prohibition of forced
and slave work in the war industry. In this respect, I pondered therein :

“In fact, we can go back — even before the Second Hague Peace
Conference (1907) — to the time of the First Hague Peace Con-
ference (1899) (. . .). By the end of the nineteenth century, in the

days of the First Hague Peace Conference, there was a sense that States
could incur delictual responsibility for mistreatment of persons (e.g.,p
for transfer of civilians for forced labour) ; this heralded the subse -

131ICRC, Customary International Humanitarian Law —Vol. I :Rules (eds. J.-M. Henc-
kaerts and L.Doswald-Beck), Geneva/Cambridge, ICRC/Cambridge University Press,
2005, p. 330, and cf. pp. 331-334 ; and cf. also ICRC, Customary International Humani ‑
tarian Law — Vol. II : Practice — Part I (eds. J.-M. Henckaerts and L. Doswald-Beck),
Geneva/Cambridge, ICRC/Cambridge University Press, 2005, pp. 2225-2262.

129

6 CIJ1031.indb 254 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 224

est interdit ; selon l’étude, cette interdiction du travail forcé constitue p
«une norme de droit international coutumier applicable dans les conflitps
131
armés tant internationaux que non internationaux » (règle 95).

4. Les crimes internationaux et les interdictions du jus cogens

117. Le fait demeure que, lorsque la seconde guerre mondiale a éclaté, p
le travail forcé était déjà interdit par le droit internatiopnal comme une
forme d’esclavage. Bien avant cette guerre et, de fait, avant la prempière
guerre mondiale, son illicéité était largement reconnue. Le fait que des

pratiques illicites aient néanmoins subsisté, en temps de paix ou pde conflit
armé — comme elles subsistent encore aujourd’hui —, ne signipfie pas qu’il
y avait un vide juridique à cet égard. Les interdictions du droit pinternatio -
nal ne disparaissent pas parce que les violations se produisent. Bien aup

contraire, de telles violations entraînent des conséquences juridipques pour
ceux qui en sont responsables.
118. Déjà au début du XX esiècle, la convention IV de La Haye (1907)

contenait, dans son préambule, la célèbre clause Martens (voir supra),
invoquant, pour les cas qui n’étaient pas couverts par le règlement annexé
à la convention, les «lois de l’humanité» et les «exigences de la conscience
publique» (par. 8). On avait pris soin de faire en sorte que nul ne soit

privé de la protection accordée par le corpus juris gentium — par le droit
international conventionnel et coutumier — contre le travail forcép assimi -
lable à l’esclavage dans l’industrie de l’armement. Le jus gentium faisait
bénéficier tous les êtres humains de cette protection, bien apvant le sinistre
e
cauchemar et les horreurs du III Reich.
119. Dans le même ordre d’idées, dans ma précédente opinion dipssi -
dente (par. 144-146) jointe à l’ordonnance de la Cour du 6 juillet 2010
dans la présente affaire des Immunités juridictionnelles de l’Etat (Alle ‑

magne c. Italie) (demande reconventionnelle), j’appelais l’attention (à la
lumière des conclusions des Parties elles-mêmes, qui n’étaiepnt pas néces -
sairement divergentes sur ce point) sur l’incidence du jus cogens en ce qui
concerne l’interdiction absolue du travail forcé dans l’industrpie de guerre.

A cet égard, je faisais observer :

«En réalité, on peut remonter — même avant la deuxième confé -
rence de la paix de La Haye (1907) — à l’époque de la prempière
conférence de la paix de La Haye (1899)… A la fin du XIX esiècle, on
estimait, lors de la première conférence de la paix de La Haye, qupe

les Etats pourraient voir leur responsabilité délictuelle engagépe en cas
de mauvais traitements infligés à des personnes (à raison, ppar

131
CICR, Droit international humanitaire coutumier — vol. I : Règles (dir. publ.,
J.-M. Henckaerts et L. Doswald-Beck), Genève/Cambridge, CICR/Cambridge Univer -
sity Press, 2005, p. 330, et voir p. 331-334; voir aussi CICR, Droit international humanitaire
coutumier — vol. II :Pratique, première partie (dir. publ., J.-M. Henckaerts et L. Doswald-
Beck), Genève/Cambridge, CICR/Cambridge University Press, 2005, p. 2225-2262.

129

6 CIJ1031.indb 255 22/11/13 12:25 225 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

quent age of criminal responsibility of individual State officials, witph
the typification of war crimes and crimes against humanity.

The gradual awakening of human conscience led to the evolution

from the conceptualization of the delicta juris gentium to that of the
violations of international humanitarian law (in the form of war
crimes and crimes against humanity)— the Nuremberg legacy — and
from these latter to that of the grave violations of international

humanitarian law (with the four Geneva Conventions on interna -
tional humanitarian law of 1949, and their I Additional Protocol of
1977) 132. With that gradual awakening of human conscience, likewise,
human beings ceased to be objects of protection and became reckoned

as subjects of rights, starting with the fundamental right to life,
encompassing the right of living in dignified conditions.

Human beings were recognized as subjects of rights in all circum -
stances, in times of peace as well as of armed conflict. As to the forpmer,
may it here be briefly recalled that, well before the 1948 Universal
Declaration of Human Rights, in the inter-war period, the pioneering

experiments of the minorities system and the mandates system under
the League of Nations granted direct access to the individuals con -
cerned to international instances (the Minorities Committees and the
Permanent Mandates Commission, respectively), in order to vindicate

the rights emanated directly from the law of nations (the evolving jus
gentium). As to the latter, likewise, as from the Second Hague Peace Con -
ference of 1907 onwards, human beings were recognized as being ent- i

tled to war reparations claims.” (I.C.J. Reports 2010 (I), pp. 385-386,
paras. 144-146.)

120. This being so, such right to war reparations claims, being recog -

nized well before the end of the Second World War, could not be waived
by States in their agreements with other States ; it was related to other
rights inherent to the human beings victimized by the cruelty and untold
human suffering of arbitrary detention, deportation and forced labour pin

132I Geneva Convention, Arts. 49-50 ; II Geneva Convention, Arts. 50-51 ;
III Geneva Convention, Arts. 129-130 ; IV Geneva Convention, Arts. 146-147 ; I Addi-
tional Protocol, Arts. 85-88. The I Additional Protocol of 1977 (Art. 85) preferred to stick
to the terminology of the four Geneva Conventions of 1949 in this particpular respect, and
maintained the expression of “grave breaches” on international humpanitarian law, in view
of the “purely humanitarian objectives” of those humanitarian treapties ; yet, it saw it fit

to state that “grave breaches” of those treaties (the four GeneConventions and the
I Additional Protocol) “shall be regarded as war crimes” (Art85 (5)). Cf. Y. Sandoz,
Ch. Swinarski and B. Zimmermann (eds.), Commentary on the Additional Protocols of 1977
to the Geneva Conventions of 1949, Geneva, ICRC/Nijhoff, 1987, pp. 990 and 1003.

130

6 CIJ1031.indb 256 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 225

exemple, du transfert de civils pour travail forcé) ; cela annonçait
l’époque de la responsabilité pénale des agents individuels pde l’Etat

qui suivit, avec la consécration des concepts de crimes de guerre et de
crimes contre l’humanité.
L’éveil progressif de la conscience humaine conduisit à l’épvolution
allant de la consécration du concept des delicta juris gentium à celle

des violations du droit international humanitaire (sous la forme des
crimes de guerre et des crimes contre l’humanité) — représentant
l’héritage de Nuremberg — suivie de celle des violations graves du
droit international humanitaire (avec les quatre conventions de

Genève sur le droit internation132humanitaire de 1949 et leur proto -
cole additionnel I de 1977) . A la suite de cet éveil progressif de la
conscience humaine, les êtres humains cessèrent également d’pêtre un
objet de protection pour être considérés comme des sujets de droits,

à commencer par le droit fondamental à la vie, comportant le droit
de vivre dignement.
Les êtres humains furent reconnus comme sujets de droits en
toutes circonstances, en temps de paix comme en temps de conflit

armé. Pour ce qui est du temps de paix, il convient de rappeler brièp -
vement que, bien avant la Déclaration universelle des droits de
l’homme de 1948, les expériences pionnières du système des minori -
tés et du système des mandats mis en place dans le cadre de la Socpiété

des Nations au cours de l’entre-deux-guerres octroyaient un accès p
direct aux individus concernés aux instances internationales (respecp -
tivement les Comités des minorités et la Commission permanente des

mandats) pour leur permettre de faire valoir les droits découlant
directement du droit des gens (le jus gentium en évolution). Pour ce
qui est de ce dernier également, à partir de la deuxième conféprence de
la paix de La Haye, les êtres humains se voyaient reconnaître le dproit

de revendiquer des réparations de guerre. » (C.I.J. Recueil 2010 (I),
pp. 385-386, par. 144-146.)

120. Cela étant, les Etats ne peuvent dans leurs accords avec d’autres p
Etats renoncer à ce droit de revendiquer des réparations de guerrep,
reconnu bien avant la fin de la seconde guerre mondiale ; il était lié à
d’autres droits inhérents aux êtres humains victimes de la cruaputé et de

souffrances indicibles causés par la détention arbitraire, la dépportation et

132Première convention de Genève, art. 49 et 50; deuxième convention de Genève,
art. 50 et 51; troisième convention de Genève, art. 129 et 130 ; quatrième convention de

Genève, art. 146 et 147 ; protocole additionnel I, art. 85 à 88. Le protocole additionnel I
de 1977 (art. 85) a préféré s’en tenir à cet égard à la terminolpogie des quatre c-nven
tions de Genève de 1949 et a conservé l’expression d’« infractions graves » au droit inter -
national humanitaire, étant donné les « objectifs purement humanitaires » de ces traités
humanitaires ;il a néanmoins jugé nécessaire de préciser que les « infractions graves » à ces
traités (les quatre conventions de Genève et le protocole additiopnne[étaie]nt consi-
dérées comme des crimes de guerre » (art. 85, par. 5). Voir Y. Sandoz, Ch. Swinarski et
B. Zimmermann (dir. publ.), Commentaire sur les protocoles additionnels du 8 juin 1977
aux conventions de Genève du 12 août 1949, Genève, CICR/Nijhoff, 1987, p. 1016 et 1027.

130

6 CIJ1031.indb 257 22/11/13 12:25 226 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

war industry. I have already considered this point in the present dissenpt -
ing opinion (cf. Section VII supra). In a logical sequence, I deem it now
appropriate to turn attention to the oral pleadings of the contending Papr -

ties, and the intervening State, on jus cogens and removal of immunity,
and next to the problem of the opposition of State immunity to the indi -
viduals’ right of access to justice.

XIII. Oral Pleadings of the Parpties, and the Intervenipng State,

on Jus C ogens and Removal of Immunityp:
Assessment

121. As to jus cogens and State immunity, Germany contends that ref -
erence is here made to primary rules of international law and not second -
ary rules (such as the consequences of violations) 13. Germany argues

that there cannot be an issue of conflict between two rules of generalp
international law, only a question of whether one of them has been mod -
ified by the operation of the other, and in the present case, in its vpiew,

State practice does not indicate that rules of State immunity have been
modified in any way 134.

122. Italy, in turn, claims that jus cogens norms have effects on the
realm of State responsibility, also for the prevention of breaches of inter -
national law 135. Italy’s position is that in some specific cases, there is a
136
right to lift immunity in order to enforce jus cogens rules . Hence the
correctness of the decision of the Italian Court of Cassation to lift impmu -
nity in such cases of violation of jus cogens rules, putting an end to the
137
continuation of the violation by Germany .

123. Greece, for its part, argued that, according to the Greek courts, if

rules endowed with a peremptory character have been breached, State
immunity cannot be invoked 138; in its view, the attempt to draw a distinc-
tion between a substantive rule (jus cogens) and a procedural one

(State immunity) does not have a legal value. A procedural rule cannot
take precedence over the substantive jus cogens rule, since that would be
inconsistent with the purpose and ratio of the substantive rule, and would

result in impunity for the States that have committed such grave breacheps
of peremptory norms 139. Moreover — it added — such a distinction

133 CR 2011/17, pp. 49-50, para. 3 ; it further argues that jus cogens cannot be under -
stood as expressing principles of law of higher value that override all pother principles which
express less high values.
134
135 Ibid., p. 53, para. 6.
136 CR 2011/18, pp. 47-48, para. 25.
Ibid., p. 49, para. 28.
137 Ibid., pp. 56-58, paras. 16-18.
138 CR 2011/19, p. 36, para. 98.
139 Ibid., p. 37, para. 102.

131

6 CIJ1031.indb 258 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 226

le travail forcé dans les industries de guerre. J’ai déjà expaminé ce point
dans la présente opinion dissidente (voir section VII supra). Suivant
l’ordre logique, je vais maintenant me pencher sur les plaidoiries deps Par-

ties et de l’intervenant en ce qui concerne le jus cogens et le refus d’accor -
der l’immunité, puis sur le problème de l’opposition entre ipmmunité de
l’Etat et droit d’accès à la justice de l’individu.

XIII. Plaidoiries des Partieps et de l’État intervepnant
concernant le Jus Cogens et le refus d’accordepr l’immunité:

évaluation

121. En ce qui concerne le jus cogens et l’immunité de l’Etat, l’Alle -

magne soutient que le jus cogens concerne les règles primaires du droit
international et non les règles secondaires (par exemple les consépquences
des violations) 133. Elle fait valoir qu’il ne peut s’agir d’un conflit entre

deux règles de droit international général mais qu’il s’apgit uniquement de
la question de savoir si une règle a été modifiée par l’peffet de l’autre, et,
dans la présente affaire, pour l’Allemagne, la pratique des Etatps n’indique

pas que les règles de l’immunité de l’Etat aient été mpodifiées d’une manière
quelconque 134.
122. L’Italie, pour sa part, soutient que les normes du jus cogens ont

des effets dans le domaine de la responsabilité de l’Etat, de mêpme qu’en ce
qui concerne la prévention des infractions au droit international 13. Selon
l’Italie, dans certains cas, le droit international permet de refuser d’accor -
136
der l’immunité afin de donner effet à des règles du jus cogens . C’est
pourquoi la décision de la Cour de cassation italienne d’écartepr l’immu -
nité en cas de violation de règles du jus cogens était correcte, en ce qu’elle
137
mettait fin à la violation continue de l’Allemagne .
123. La Grèce fait quant à elle valoir que, selon les tribunaux grecs, ps’il
y a eu violation de règles de caractère impératif, l’immunitpé de l’Etat ne
peut être invoquée 138 ; selon elle, il n’était pas juridiquement justifié de

tenter d’établir une distinction entre une règle substantielle p(le jus cogens)
et une règle procédurale (l’immunité de l’Etat). Une rèpgle procédurale ne
pouvait prévaloir sur une règle substantielle du jus cogens, car cela serait

incompatible avec l’objet et la raison d’être de la règle supbstantielle, et
reviendrait à accorder l’impunité aux Etats ayant commis des vipolations
graves de normes impératives 13. De plus — ajoutait-elle — une telle dis -

133CR 2011/17, p. 49-50, par. 3 ; il fait valoir en outre que le jus cogens ne peut être

compris comme exprimant des principes de droit de valeur supérieure qpui primeraient tous
les134tres principes, exprimant des valeurs moindres.
Ibid., p. 53, par. 6.
135CR 2011/18, p. 47-48, par. 25.
136Ibid., p. 49, par. 28.
137Ibid., p. 56-58, par. 16-18.
138CR 2011/19, p. 36, par. 98.
139Ibid., p. 37, par. 102.

131

6 CIJ1031.indb 259 22/11/13 12:25 227 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

would hamper the right to an effective remedy, as provided for in inteprna -
tional instruments 14; thus, effective access to courts for the enforcement
of such rules (with no bar to jurisdiction due to immunity) ought to bpe
141
recognized .
124. Germany retorted that a decision to set aside immunity would
destabilize peace settlements and the principle of pacta sunt servanda

itself, as all peace treaties would be undermined by individual suits fopr
compensation (and even Italy itself could face such suits) 14. It also
claimed that the common good ought not to be undermined for the indi -

vidual good — and thus human rights cannot be recognized to be able to
jeopardize the structure of the international society.
125. Italy replied that what is requested from the Court is to examine

the legality of certain decisions of Italian courts based on a very specpific
factual background, which makes the present case unique. Thus, the deci -
sion of the Court cannot be considered to have the catastrophic conse -

quences that Germany claims that it may have on the whole international p
legal system 143. Italy added that its view brings one closer to the “princi -
ple of complementarity”, as its argument is that an individual has thpe

right to address his/her national courts only if he/she is unsuccessful p
before the courts of the State in breach 14.
126. As to the judgment of the Areios Pagos in the Distomo Massacre

case, Greece recounts the proceedings before Greek courts and the deci -
sions thereof, and argues that the Greek Special Supreme Court is not a
“constitutional court” ; it enjoys such a role only in limited situations

regarding the constitutionality of laws and it does not correspond to thpe
courts of other States, the decisions of which take precedence within thpeir
legal order 14. Thus, the impact of the decision in the Greek legal order

raises some questions, but cannot be considered as having reversed the
decision of Areios Pagos in the Distomo Massacre case 146.

127. In this respect, Germany claims that, despite the arguments raised
by Greece, it is a fact that following the Special Supreme Court’s depcision
on the Margellos case, the Greek legal order does not recognize any limi -

tation to sovereign immunity for acts jure imperii, as the decision of that

140
141 CR 2011/19, p. 38, para. 106.
Ibid.
142 CR 2011/17, pp. 55-56, para. 13. It further claimed that there is a risk of creating a
culture of “forum shopping”, which would cause serious problems in international relations
and would create an issue for the ownership of property abroad ; ibid., p. 59, para. 18.

143 CR 2011/21, pp. 14-16, paras. 4-7. Italy further questioned whether the risk of

“forum shopping”, as argued by Germany, is a real risk or not ; Italy claimed that its
argument and that of the Italian Court of Cassation have nothing to do wpith any sort of
“universal civil jurisdiction” ; ibid., pp. 49-50, paras. 31-33.
144 Ibid., pp. 49-50, paras. 31-33.
145 CR 2011/19, pp. 23-24.
146 Ibid., pp. 23-24, paras. 43 and 46.

132

6 CIJ1031.indb 260 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 227

tinction entraverait l’exercice du droit à un recours effectif cponsacré dans
divers instruments internationaux 140; ainsi, l’accès effectif aux tribunaux
pour faire respecter de telles règles (sans que l’immunité faspse obstacle à
141
la compétence) devait être reconnu .
124. L’Allemagne a répondu à cela que décider d’écarter l’pimmunité dés -
tabiliserait les règlements de paix et le principe pacta sunt servanda lui-même,

car tous les traités de paix seraient compromis par des actions indivpiduelles
en réparation (l’Italie elle-même pourrait se trouver confrontpée à de tels pro -
cès) 14. Elle faisait aussi valoir que l’intérêt collectif ne devait ppas être mis en

péril par celui de l’individu, et qu’on ne pouvait permettre qupe les droits de
l’homme portent ainsi atteinte à la structure de la société pinternationale.
125. L’Italie a répondu que ce qui était demandé à la Cour éptait d’exa -

miner la légalité de certaines décisions de tribunaux italiens psur la base
d’un contexte factuel très précis, qui rendait la présente affaire unique.
Ainsi, la décision que rendrait la Cour ne pouvait être considéprée comme

risquant d’avoir les conséquences catastrophiques sur l’ensemblpe de l’ordre
juridique international qu’invoquait l’Allemagne 143. L’Italie ajoutait que
sa position se rapprochait du « principe de complémentarité», puisqu’elle

faisait valoir qu’un individu ne pouvait saisir ses tribunaux nationapux que
s’il avait vainement saisi ceux de l’Etat auteur de la violation 144.
126. Quant au jugement de l’Areios Pagos dans l’affaire du Massacre

de Distomo, la Grèce relate la procédure devant les tribunaux grecs et les
décisions de ceux-ci, et affirme que la Cour suprême spéciale pgrecque n’est
pas une « cour constitutionnelle »; elle n’a vocation à apprécier la consti -

tutionnalité des lois que dans un nombre limité de situations et eplle n’est
pas assimilable aux cours constitutionnelles d’autres Etats, dont lesp déci -
sions ont valeur de précédent dans leur ordre juridique interne 145. Ainsi,

l’impact de cette décision dans l’ordre juridique grec soulèpve des ques -
tions, mais on ne peut considérer qu’il a inversé la décisiopn rendue par
l’Areios Pagos dans l’affaire du Massacre de Distomo 146.

127. A cet égard, l’Allemagne soutient que, quoi qu’en dise la Grèpce,
c’est un fait que, à la suite de la décision de la Cour spécpiale suprême dans
l’affaire Margellos, l’ordre juridique grec ne reconnaît aucune limite à

l’immunité souveraine pour les actes jure imperii, puisque la décision de

140
141 CR 2011/19, p. 38, par. 106.
Ibid.
142 CR 2011/17, p. 55-56, par. 13. L’Allemagne affirme également qu’on risque ainsi
de créer une culture du «forum shopping », ce qui causerait de graves problèmes dans les
relations internationales et poserait un problème s’agissant des bpiens dont les Etats sont
propriétaires à l’étranger ; ibid., p. 59, par. 18.
143 CR 2011/21, p. 14-16, par. 4-7. L’Italie contestait également qu’il existât, comme le

faisait valoir l’Allemagne, un risque réel de «forum shopping » ;pour l’Italie, sa position et
celle de la Cour de cassation italienne n’avaient rien à voir avec une quelconque « compé-
tence civile universelle » ;ibid., p. 49-50, par. 31-33.
144 Ibid., p. 49-50, par. 31-33.
145 CR 2011/19, p. 23-24.
146 Ibid., p. 23-24, par. 43 et 46.

132

6 CIJ1031.indb 261 22/11/13 12:25 228 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

court is a binding precedent for all Greek courts 14. Germany also argues
that the recognition and the enforcement of the Greek decision in the
148
Distomo case by the Italian courts violated Germany’s immunity . In
this regard, Germany also notes the acceptance of the Agent of Italy
regarding the illegality of the judicial mortgage on the Villa Vigoni and
the will of Italy to remedy the situation 149.

128. Italy argues that the enforcement of the Distomo Massacre judg -
ment was not a consequence of the alleged “forum shopping” created by
the Ferrini decision, and that there is no principle that renders any foreign
State immune for recognitions proceedings. Furthermore, it argues that

since the Greek courts had not recognized immunity to Germany based
on the same justifications and on similar circumstances as those of thpe
Ferrini case, Italy had no duty to accord immunity to Germany 150.
129. In my understanding, what jeopardizes or destabilizes the interna-

tional legal order are the international crimes and not individual suitsp for
reparation in the search for justice. In my perception, what troubles thpe
international legal order, are the cover-up of such international crimesp
accompanied by the impunity of the perpetrators, and not the victims’p

search for justice. When a State pursues a criminal policy of murdering
segments of its own population, and of the population of other States, ipt
cannot, later on, place itself behind the shield of sovereign immunitiesp, as
these latter were never conceived for that purpose. Grave breaches of

human rights and of international humanitarian law, amounting to inter -
national crimes, are not at all acts jure imperii. They are anti-juridical
acts, they are breaches of jus cogens, that cannot simply be removed or
thrown into oblivion by reliance on State immunity. This would block thep

access to justice, and impose impunity. It is, in fact, the opposite thapt
should take place : breaches of jus cogens bring about the removal of
claims of State immunity, so that justice can be done.

XIV. State Immunity v. the Right of Access to Jpustice

1. The Prevailing Tension in the Case Law of the European Court
of Human Rights

(a) The Al-Adsani case (2001)

130. The tension between the right of access to justice and State immu -
nity has been present in the recent case law of the European Court of

Human Rights (ECHR). The leading case of Al‑Adsani v. United King‑
dom (2001) concerned the claim of a dual British/Kuwaiti national againstp
the United Kingdom, wherein he argued that British courts had failed, in

147
148CR 2011/20, p. 19, para. 10.
149Ibid., pp. 28-29, paras. 28-30.
150Ibid., p. 29, para. 31.
CR 2011/21, pp. 28-29, paras. 1-4.

133

6 CIJ1031.indb 262 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 228

cette cour est un précédent qui s’impose à tous les tribunaux grecs 14. Elle
soutient aussi que la reconnaissance et l’exécution de la décispion grecque

rendue dans l’affaire Distomo par les tribunaux italiens ont violé
son immunité 14. A cet égard, l’Allemagne relève également que l’agent
de l’Italie a admis l’illégalité de l’hypothèque judiciaipre prise sur la
Villa Vigoni et la volonté de l’Italie de remédier à cette situatipon 14.

128. L’Italie fait valoir que l’exécution du jugement rendu dans l’paffaire
Distomo n’a pas été la conséquence du « forum shopping » qu’aurait créé la
décision Ferrini, et qu’aucun principe ne confère d’immunité à l’Etat pen
matière d’exequatur. Elle fait en outre valoir que, puisque les tribunaux

grecs n’ont pas reconnu l’immunité à l’Allemagne pour lesp mêmes raisons
que dans l’affaire Ferrini et dans des circonstances similaires, elle n’avait
aucune obligation d’accorder l’immunité à l’Allemagne 150.
129. Selon moi, ce qui compromet ou déstabilise l’ordre juridique

international, ce sont les crimes internationaux et non les actions en rpépa -
ration engagées par des individus souhaitant obtenir justice. A mon apvis,
c’est l’occultation de tels crimes internationaux associés àp l’impunité dont
bénéficient leurs auteurs, et non la quête de justice des vicptimes, qui

trouble l’ordre international. Lorsqu’un Etat mène une politiqupe crimi -
nelle consistant à assassiner des segments de sa propre population etp de la
population d’autres Etats, il ne peut, ultérieurement, se protépger en invo-
quant les immunités souveraines, qui n’ont jamais été conçpues à cette fin.

Les violations graves des droits de l’homme et du droit internationalp
humanitaire qui constituent des crimes internationaux ne sont pas du toupt
des actes jure imperii. Il s’agit d’actes antijuridiques, de violations du
jus cogens, que l’on ne peut tout simplement pas faire disparaître ou jeter p

aux oubliettes en invoquant l’immunité de l’Etat. Cela bloquerapit l’accès
à la justice et ferait triompher l’impunité. En fait, c’est pl’opposé qui
devrait se produire : les violations du jus cogens écartent les revendica -
tions d’immunité souveraine de manière à ce que justice puispse être faite.

XIV. L’immunité de l’État cpontre le droit d’accèsp à la justice

1. La tension existant dans la jurisprudence de la Cour européenne
des droits de l’homme

a) L’affaire Al-Adsani (2001)

130. La tension entre le droit d’accès à la justice et l’immunitép de l’Etat
s’est manifestée dans la jurisprudence récente de la Cour europpéenne des

droits de l’homme (CEDH). L’affaire Al‑Adsani c. Royaume‑Uni (2001),
qui a fait date, avait son origine dans une requête d’une personnep ayant
la double nationalité britannique et koweïtienne qui faisait valoipr que les

147
148 CR 2011/20, p. 19, par. 10.
149 Ibid., p. 28-29, par. 28-30.
150 Ibid., p. 29, par. 31.
CR 2011/21, p. 28-29, par. 1-4.

133

6 CIJ1031.indb 263 22/11/13 12:25 229 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

breach of Articles 6 and 13 of the European Convention on Human
Rights, to protect his right of access to a court by granting State immup -
nity to Kuwait, against which he had brought a civil suit for torture supf -
fered while he was detained by the authorities in Kuwait.

131. In its judgment of 21 November 2001, the ECHR (Grand Cham -
ber), while accepting that the prohibition of torture has acquired the psta-

tus of a norm of jus cogens in international law, nevertheless found itself
unable to discern any firm basis for the conclusion that a State “no longer
enjoys immunity from civil suit in the courts of another State where actps
151
of torture are alleged” . This de152ion of the ECHR (Grand Chamber)
was taken by nine votes to eight . The shortcomings of the majority’s
reasoning are well formulated in the joint dissenting opinion of Judges
Rozakis and Caflisch joined by Judges Wildhaber, Costa, Cabral Barretop

and Vajić; they rightly concluded that, when there is a conflict between a
jus cogens norm and any other rule of international law, the former pre -
vails, with the consequence that the conflicting rule does not have lepgal
153
effects which contradict the content of the peremptory rule .

132. In my understanding, the dissenting judges touched upon the crux
of the matter in the majority’s reasoning. Unlike the majority, they pduly

drew the necessary consequence of the finding that the prohibition of ptor-
ture has attained the status of jus cogens, namely : a State cannot hide
itself behind the rules of State immunity in order to evade the conse -

quences of its actions and to avoid civil proceedings for a claim of torpture
before a foreign jurisdiction 15. The dissenting judges also reasoned that
the distinction drawn by the majority between criminal and civil proceedp -

ings is not in line with the very essence of the operation of jus cogens
rules: indeed, the criminal or civil nature of the proceedings at issue is nopt
material, as what really matters is the fact that there was a violation pof a

jus cogens norm and thus any jurisdictional bar has to be lifted “by the
very interaction of the international rules involved” 15.
133. Similarly, in his dissenting opinion, Judge Loucaides pondered

that, once it is accepted that the prohibition of torture is indeed a jus
cogens norm, the consequence is that no immunity can be invoked in
respect of proceedings whose object is the attribution of responsibilityp for
156
acts of torture . It is indeed regrettable that the reasoning of the Court’s
majority failed to draw the relevant conclusions of the finding that tphe

15ECHR, Al‑Adsani v. United Kingdom, application No. 35763/97, judgment of

21 152ember 2001, paras. 59-61.
153On the question of the alleged violation of Article 6 of the Convention.
ECHR, Al‑Adsani v. United Kingdom, application No. 35763/97, judgment of
21 November 2001, dissenting opinion of Judges Rozakis and Caflisch, joined by Judges
Wildhaber, Costa, Cabral Barreto and Vajić, para. 1.
154Ibid., para. 3.
155Ibid., para. 4.
156Ibid., dissenting opinion of Judge Loucaides, p. 1.

134

6 CIJ1031.indb 264 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 229

tribunaux britanniques, en violation des articles 6 et 13 de la convention
européenne des droits de l’homme, n’avaient pas protégé spon droit d’ac -
cès à un tribunal en accordant l’immunité à l’Etat kowpeïtien, contre lequel

il avait engagé une procédure devant les tribunaux civils en invoqpuant les
tortures subies alors qu’il était détenu par les autorités apu Koweït.
131. Dans son arrêt du 21 novembre 2001, la CEDH (Grande Chambre),

tout en reconnaissant que l’interdiction de la torture avait acquis lpe statut de
norme de jus cogens en droit international, s’est néanmoins déclarée inca -
pable de discerner aucun élément solide lui permettant de conclurep qu’un

Etat «ne jouit plus de l’immunité d’une action civile devant les courps et tri -
bunaux d’un autre Etat devant lesquels sont formulées des allégpations de
torture » . Cette décision a été adoptée par la CEDH (Grande Chambre)p
par neuf voix contre huit 152. Les carences du raisonnement majoritaire sont

bien formulées dans l’opinion dissidente commune des juges Rozakisp et
Caflisch, auxquels se sont joints les juges Wildhaber, Costa, Cabral Bparreto
et Vajić; ils conclurent à juste titre que, lorsqu’il y a conflit entre pune norme

du jus cogens et toute autre règle du droit international, la première prévaput,
avec la conséquence que la règle en conflit avec elle n’a pasp d’effets juri -
diques contredisant le contenu de la norme impérative . 153

132. A mon avis, les juges dissidents ont relevé la carence fondamentale
du raisonnement de la majorité. A la différence de celle-ci, ils ont dûment tiré
la conséquence nécessaire de la conclusion selon laquelle l’intperdiction de la

torture avait acquis le statut de norme du jus cogens, à savoir qu’un Etat ne
peut s’abriter derrière les règles de l’immunité de l’pEtat pour se soustraire aux
conséquences de ses actes et échapper à une procédure civilep découlant d’al -
154
légations de torture devant un tribunal étranger . Les juges dissidents ont
aussi fait valoir que la distinction faite par la majorité entre la pprocédure civile
et la procédure pénale ne s’accordait pas avec la finalitép même des règles de

jus cogens: ils considèrent que la nature pénale ou civile de la procédurpe n’est
pas pertinente, car ce qui compte réellement est le fait qu’il y ap eu violation
d’une norme du jus cogens et qu’ainsi l’obstacle juridictionnel a été écarté
155
«par l’interaction même des règles internationales en jeu » .
133. De même, dans son opinion dissidente, le juge Loucaides a fait
observer que, une fois que l’on acceptait que l’interdiction de lap torture

était effectivement une norme du jus cogens, il en découlait qu’aucune
immunité ne pouvait être invoquée dans le cadre d’une procédure visant
à attribuer à une partie la responsabilité d’actes de torturpe 15. Il est effec-

tivement regrettable que dans son raisonnement la majorité de la Courp

15CEDH, Al‑Adsani c. Royaume‑Uni, requête n 35763/97, arrêt du 21 novembre 2001,
par. 59-61.
152Sur la question de la violation alléguée de l’article 6 de la convention.
153 o
CEDH, Al‑Adsani c. Royaume‑Uni, requête n 35763/97, arrêt du 21 novembre 2001,
opinion dissidente commune aux juges Rozakis et Caflisch, à laquelle se sont ralliés les
juges Wildhaber, Costa, Cabral Barreto et Vajić, par. 1.
154Ibid., par. 3.
155Ibid., par. 4.
156Ibid., opinion dissidente du juge Loucaides, p. 1.

134

6 CIJ1031.indb 265 22/11/13 12:25 230 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

prohibition of torture is a jus cogens norm, which would entail, in the
circumstances of the Al‑Adsani case, an invalidating effect on the plea of
157
State immunity . Yet, the Court’s majority at least accepted the custom-
ary law nature of rules on State immunity, with the recognition of their
state of transition and of the possibility of imposing limitations upon p

them (even when States act jure imperii), which seems t158eave the door
open for future developments in the correct line .

134. In the present case of Germany v. Italy before this Court, Italian

courts rightly drew the necessary legal conclusion on the effect of vipola -
tions of norms that have the status of jus cogens upon the plea for State
immunity in relation to civil claims. The facts underpinning the presentp
case constitute violations of peremptory norms, and the responsibility opf

Germany for these violations is not contested. Thus, in the line of the
right reasoning of the dissenting judges in the case of Al‑Adsani before the
ECHR, the consequence is that Germany cannot hide behind rules of

State immunity to avoid proceedings relating to reparations for violatiopns
of jus cogens norms before a foreign jurisdiction (Italy). In this regard, it
should not pass unnoticed that, unlike in the Al‑Adsani case, where the
complained conduct did not take place in the forum State (but rather inp

Kuwait), some of the claims lodged with Italian courts pertained to cripmes
committed in whole or in part on the territory of Italy itself 159.

(b) The McElhinney case (2001)

135. The McElhinney v. Ireland case (2001) concerned a claim for dam-
ages, pertaining to a legal action lodged in Ireland against both the Brpit -
ish soldier who shot the claimant and the Secretary of State for
Northern Ireland. The domestic courts rejected his claim on the basis of

the plea of immunity submitted by the United Kingdom. The ECHR
(Grand Chamber), in its judgment of 21 November 2001, held that, while
there appeared to be “a trend in international and comparative law

towards limiting State immunity” for personal injury caused by an actp or
omission committed in the territory of the forum State, the practice was
“by no means universal” (para. 38). It then found, by twelve votes to five,
that the decisions of the Irish courts had not exceeded “the margin opf

appreciation in limiting an individual’s right to access to court”p (para. 40).

136. Two of the five dissenting judges (Rozakis and Loucaides), in

their respective individual dissenting opinions, held that the majority’ps
decision did not take into account developments in international law, anpd

157
Cf. Ch. L. Rozakis, “The Law of State Immunity RevisitedT:he Case Law of the-Euro
pean Court of Human Rights”, 61 Revue hellénique de droit international (2008), pp. 579-680.
158
159Cf. ibid., p. 593.
CR 2011/18, pp. 41-46.

135

6 CIJ1031.indb 266 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 230

n’ait pas tiré les conclusions qui découlaient de la constatatipon que l’inter -
diction de la torture était une norme du jus cogens, ce qui, dans les cir -

constances de157affaire Al‑Adsani, aurait invalidé l’invocation de l’immunité
souveraine . Pourtant, la majorité de la Cour a au moins admis le carac-
tère de droit coutumier des règles sur l’immunité de l’Etpat, en reconnais -
sant qu’elles étaient en transition et qu’il était possible pde leur imposer des

limites (même lorsque les Etats agissaient jure imperii), ce qui semble lais 158 -
ser la porte ouverte à une évolution future dans la bonne directiopn .
134. Dans la présente affaire opposant l’Allemagne à l’Italie, pc’est à juste
titre que les tribunaux italiens ont tiré la conclusion juridique népcessaire de

l’effet des violations de normes qui ont le statut de jus cogens sur l’invoca -
tion de l’immunité de l’Etat dans des procédures civiles. Leps faits dont
découle la présente affaire constituent des violations des normeps impératives,
et la responsabilité de l’Allemagne n’est pas contestée s’pagissant de ces viola -

tions. Ainsi, comme l’ont soutenu à juste titre les juges dissidenpts dans l’a -f
faire Al‑Adsani dont a connu la CEDH, la conséquence est que l’Allemagne
ne peut se cacher derrière les règles de l’immunité de l’pEtat pour se soustraire
à des actions en réparation engagées devant une juridiction éptrangère (Italie)

pour des violations de normes du jus cogens. A cet égard, il convient de
remarquer qu’à la différence de l’affaire Al‑Adsani, dans laquelle les faits
visés n’avaient pas eu lieu dans l’Etat du for (mais au Koweït), certaines des
demandes introduites devant les tribunaux italiens concernaient des crimpes
159
commis totalement ou en partie sur le territoire italien lui-même .

b) L’affaire McElhinney (2001)

135. L’affaire McElhinney c. Irlande (2001) concernait une demande en
dommages-intérêts, touchant une action en justice introduite en Irplande

contre le militaire britannique qui avait tiré sur le requérant etp contre le
Secrétaire d’Etat à l’Irlande du Nord. Les tribunaux internes ont débouté
le requérant, le Royaume-Uni ayant invoqué l’immunité. La CEDH
(Grande Chambre), dans son arrêt du 21 novembre 2001, a jugé que, s’il

semblait exister en droit international et comparé « une tendance à limiter
l’immunité des Etats » en cas de dommages corporels dus à un acte ou à
une omission survenus dans l’Etat du for, cette pratique n’étaipt « nulle-
ment universelle » (par. 38). Elle a donc décidé, par douze voix contre

cinq, que les décisions des juridictions irlandaises n’avaient pasp outre -
passé « la marge d’appréciation reconnue aux Etats quand il s’agit de
limiter le droit d’accès d’un individu à un tribunal » (par. 40).

136. Deux des cinq juges dissidents (les juges Rozakis et Loucaides),
dans leurs opinions dissidentes respectives, ont considéré que la pdécision de
la majorité ne tenait pas compte de l’évolution du droit internpational et

157
Voir Ch. L. Rozakis, «The Law of State Immunity Revisited : The Case Law of the
European Court of Human Rights », Revue hellénique de droit international, vol. 61 (2008),
p. 579-680.
158Voir ibid., p. 593.
159 CR 2011/18, p. 41-46.

135

6 CIJ1031.indb 267 22/11/13 12:25 231 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

disproportionately restricted the right of access to courts, unduly affpect -
ing and impairing the essence of this right. Judge Loucaides added that

“The international law immunities originated at a time when indi -
vidual rights were practically non-existent and when States needed
greater protection from possible harassment through abusive judicial
proceedings. The doctrine of State immunity has in modern times

been subjected to an increasing number of restrictions, the trend being p
to reduce its application in view of developments in the field of humapn
rights which strengthen the position of the individual.” (Para. 4.)

137. The other three dissenting judges (Caflisch, Cabral Barreto and
Vajić), in their joint dissenting opinion, also supported compliancep with

the right of access to courts under Article 6 (1) of the European Conven -
tion (disproportionately restricted in the present case), as under Artpicle 12
of the UN Convention on the Jurisdictional Immunity of States and their
Property, there was at present “no international duty, on the part of

States, to grant immunity to other States in matters of torts caused by pthe
latter’s agents”. They further pondered that

“The principle of State immunity has long ceased to be a blanket
rule exempting States from the jurisdiction of courts of law. (. . .)
[T]he edifice of absolute immunity of jurisdiction (and even of execu -

tion) began to crumble, in the first quarter of the twentieth centuryp,
with the advent of State trading (. . .).
(. . .) [E]xceptions to absolute immunity have gradually come to be
recognized by national legislators and courts, initially in continental p
Western Europe and, much later, in common law countries (. . .)

The exceptions in question have also found their way into the inter -
national law on State immunity, especially the tort exception.”
(Paras. 2-4.)

138. In the present case of the Jurisdictional Immunities of the State
before this Court, it is telling — as Italy argues — that the claimants pur -
sued their suit before German courts, which did not find in their favopur.
Thus, the reasoning of the ECHR in the McElhinney case, that it was

open to the applicant to bring a legal action in Northern Ireland (as he in
fact did), is not readily applicable to the circumstances of the presenpt case
before this Court, as the original claimant did pursue other avenues
before turning to Italian courts : in the present case there was no other
160
reasonable alternative means to protect the rights at stake effectivelpy .

160Cf. Counter-Memorial of Italy, para. 4.100. Cf. also Written Response of Italy to
the Questions Put by (. . .) Judge Cançado Trindade (. . .) at the End of the Public Sitting
Held on 16 September 2011, p. 9, where Italy states that “had domestic judges not removed
immunity, no other avenue would have remained open for war crime victimsp to obtain
reparation”.

136

6 CIJ1031.indb 268 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 231

restreignait de manière disproportionnée le droit d’accès àp un tribunal, por -
tant indûment atteinte à l’essence de ce droit. Le juge Loucaidpes ajoutai:t

«Les immunités du droit international sont nées à une époque poù
les droits individuels n’existaient pratiquement pas et où les Etapts
avaient besoin de se protéger davantage contre un éventuel harcèple -
ment sous la forme de procédures judiciaires abusives. A l’époqpue

moderne, la théorie de l’immunité de l’Etat fait de plus en pplus l’objet
de restrictions, la tendance étant à réduire son application enp raison
de l’évolution qui a eu lieu dans le domaine des droits de l’hopmme et
qui renforce la position de l’individu. » (Par. 4.)

137. Les trois autres juges dissidents (les juges Caflisch, Cabral Barretop
et Vajić), dans leur opinion dissidente commune, ont également dépfendu

le respect du droit d’accès à un tribunal consacré au paragrpaphe 1 de l’ar -
ticle 6 de la convention européenne (restreint de manière disproportionp -
née en l’espèce), indiquant que, aux termes de l’article 12 de la convention
des Nations Unies sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs

biens, les Etats n’ont « aucune obligation internationale d’accorder l’im -
munité à d’autres Etats quand des actes dommageables d’agentps de
ceux-ci sont en cause ». Ils ont fait observer ce qui suit :

«Le principe de l’immunité des Etats a cessé depuis longtemps
d’être une règle générale faisant échapper les Etats àp la compétence
des tribunaux… [l]a construction de l’immunité absolue de juridic -

tion (et même e’exécution) a commencé à se fissurer dpans le premier
quart du XX siècle, avec l’avènement de l’Etat commerçant…
… Les législateurs et tribunaux nationaux, d’abord en Europe ocpci -
dentale continentale et, beaucoup plus tard, dans les pays de la com‑
mon law, ont peu à peu reconnu les exceptions à l’immunité absolue…p

Les exceptions dont il s’agit, en particulier celles relatives aux
quasi-délits, se sont aussi introduites dans le droit international rpégis -
sant l’immunité des Etats. » (Par. 2-4.)

138. Dans la présente affaire des Immunités juridictionnelles de l’Etat
dont la Cour est saisie, il est révélateur, comme le fait valoir lp’Italie, que
les plaignants aient saisi les tribunaux allemands, qui les ont débouptés.
Ainsi, le raisonnement de la CEDH dans l’affaire McElhinney, selon

lequel le requérant avait la faculté de saisir la justice en Irlande du Nord
(ce qu’il a effectivement fait), ne peut être appliqué tel pquel aux circons -
tances de la présente affaire, puisque le plaignant initial a bien recouru à
d’autres voies de droit avant de se tourner vers les tribunaux italiens :

dans la présente espèce, il n’y avait pas d’au160 moyen raisponnable de
protéger efficacement les droits en cause .

160Voir contre-mémoire de l’Italie, par. 4.100. Voir également répponses écrites de l’Italie
aux questions posées par M. le juge Cançado Trindade au terme de l’audience publique du
16 septembre 2011, p. 9, document dans lequel l’Italie déclare que, « si les juges nationaux
n’avaient pas écarté l’immunité, il ne serait resté aupx victimes de crimes de guerre aucun
autre moyen d’obtenir réparation ».

136

6 CIJ1031.indb 269 22/11/13 12:25 232 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

(c) The Fogarty case (2001)

139. The case of Fogarty v. United Kingdom (judgment of 21 Novem -
ber 2001) concerned an employment-related dispute (an allegation of vic -
timization and discrimination by a former employee of the US Embassy
in London). The ECHR observed in this case that there was a trend in

international and comparative law towards limiting State immunity with
respect to employment-related disputes. It further noted that the ILC dipd
not intend to exclude the application of State immunity when the subjectp
of the proceedings was recruitment, including recruitment to a diplomatic
mission.

140. The ECHR concluded that State practice concerning employment
of individuals by an embassy of a foreign State is not uniform. The ECHRp
observed that the limitations applied to the right of access to court mupst
“not restrict or reduce the access left to the individual in such a wpay or to
such an extent that the very essence of the right is impaired” (para. 33),

but decided as in the other aforementioned cases. In the circumstances opf
the present case of the Jurisdictional Immunities of the State before this
Court, it seems, however, as Italy argued, that “no other avenue woulpd
have remained open for war crime victims to obtain reparation” 161.

(d) The Kalogeropoulou and Others case (2002)

141. Last but not least, the case of Kalogeropoulou and Others (2002)
was brought by applicants who were relatives of the victims of the Dis -
tomo massacre. The applicants raised complaints under Article 6 of the
European Convention on Human Rights and Article 1 of Protocol No. 1
to the European Convention on Human Rights. The ECHR’s Chamber

seized of the case declared it inadmissible (decision of 12 December 2002),
even though, unlike the case of Al‑Adsani, this case of Kalogeropoulou and
Others pertained to crimes against humanity committed in the territory of
the forum State (i.e., Greece). Notwithstanding, the Court’s Chamber’s

decision rested on the premise that the right of access to court may be p
subject to limitations (proportionate to the aim pursued). Such limitap -
tions, however, in my understanding cannot impair the very essence of
the right of access to court.
142. The conclusion reached by the Court’s Chamber was that some

restrictions on access to court ought to be regarded as inherent to fair
trial, and it referred to State immunity ; but it added that this “does not
preclude a development in customary international law in the future” p
(p. 9). This statement seems to go slightly further than the finding in tphe
Al‑Adsani and the McElhinney precedents, which did not expressly articu -

late this “open door” for future developments. Even if such an “popen
door” for future developments may not appear an entirely sufficient pfind -
ing of the ECHR’s Chamber, it thus at least reckoned, one decade ago p

161Written Response of Italy to the Questions Put by (. . .) Judge Cançado Trindade

(. . .) at the End of the Public Sitting Held on 16 September 2011, p. 9.

137

6 CIJ1031.indb 270 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 232

c) L’affaire Fogarty (2001)

139. L’affaire Fogarty c. Royaume‑Uni (arrêt du 21 novembre 2001)
concernait un litige en matière d’emploi (une allégation de vipctimisation et
de discrimination formulée par une ex-employée de l’ambassade dpes Etats-

Unis à Londres). La CEDH a dans cette affaire fait observer qu’pil existait
une tendance en droit international et comparé à limiter l’immupnité des
Etats dans les litiges portant sur des questions liées à l’emplpoi. Elle a de plus
relevé que la CDI n’entendait pas exclure l’application de l’pimmunité des
Etats lorsque la procédure avait pour objet l’engagement d’une ppersonne, y

compris l’engagement sur un poste d’une mission diplomatique.
140. La CEDH a conclu que la pratique des Etats concernant l’emploi
d’individus par l’ambassade d’un Etat étranger n’étaitp pas uniforme. Elle
a fait observer que les limitations au droit d’accès à un tribupnal « ne res -

treign[aien]t pas l’accès offert à l’individu d’une manpière ou à un point tels
que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même » (par. 33), mais
elle a tranché comme dans les affaires susmentionnées. Toutefoisp, dans les
circonstances de la présente affaire des Immunités juridictionnelles de

l’Etat, il semble, comme l’a fait valoir l’Italie, qu’« il ne serait resté 161
victimes de crimes de guerre aucun autre moyen d’obtenir réparatiopn» .

d) L’affaire Kalogeropoulou et autres (2002)

141. Enfin, mais non moins importante, l’affaire Kalogeropoulou et
autres (2002) concerne une procédure engagée par des parents des vic -

times du massacre de Distomo. Les requérants invoquaient l’articleo 6 de
la convention européenne et l’article premier du protocole n 1 à celle-ci.
La Chambre de la CEDH saisie de l’affaire déclara la requête pirrecevable
(décision du 12 décembre 2002) alors que, comme cela n’était pas le cas
dans l’affaire Al‑Adsani, la requête concernait des crimes contre l’huma -

nité commis sur le territoire de l’Etat du for (c’est-à-dirpe la Grèce). Ce
nonobstant, la décision de la Chambre de la Cour reposait sur le postpulat
que le droit d’accès à un tribunal pouvait être soumis à pdes restrictions
(proportionnelles au but poursuivi). Néanmoins, selon moi, de telles res -

trictions ne sauraient porter atteinte à l’essence même du droipt d’accès à
un tribunal.
142. La conclusion à laquelle la Chambre de la Cour est parvenue était p
que certaines restrictions au droit d’accès à un tribunal devaipent être

considérées comme inhérentes à la garantie d’un procèsp équitable, et elle
a mentionné l’immunité des Etats ; mais elle a ajouté « ce qui n’exclut pas
un développement du droit international coutumier dans le futur » (p. 9).
Ce prononcé semble aller un peu plus loin que ce qu’a jugé la Cour dans
les affaires Al‑Adsani et McElhinney, qui ne laissaient pas expressément la

«porte ouverte » à des développements futurs. Même si cette conclusion
selon laquelle «une porte est ouverte» pour des développements futurs ne

161Réponses écrites de l’Italie aux questions posées par M. le juge Cançado Trindade
au terme de l’audience publique du 16 septembre 2011, p. 9.

137

6 CIJ1031.indb 271 22/11/13 12:25 233 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

(in 2002), that the law on the matter at issue was undergoing a process of p
transition 162.

2. The Prevailing Tension in the Case Law of National Courts

143. The aforementioned tension, prevailing also in the case law of
national courts, was the object of attention of the contending Parties ipn

their oral pleadings before the Court, particularly in their respective views
of the judgment of the Italian Court of Cassation in the Ferrini case
(2004). Germany claimed that the Corte di Cassazione decided to substi -

tute itself for the legislator and introduce a new rule, which has not ypet
gained international support in State practice and judicial decisions ofp
other States 163; it further contended that the practice of domestic courts

shows recognition of the rule of State immunity even in cases of internap -
tional crimes 164. Germany concluded on this point that the Ferrini judg-
ment of the Corte di Cassazione remained, in its view, an isolated decision

in State practice, and that jurisdictional immunity in respect of acts jure
imperii remains a firm rule in international law 165.

144. Italy, in turn, argued that the Ferrini decision did not harm the rule
of immunity, which still remains fundamental, but rather redefined it pin
order to ensure compliance with the basic obligations of the inter national
166
community ; sovereign immunity for acts jure imperii is not to be regarded
as absolute, as it is subject to exceptions such as the tort exception. pIt is, in
its view, for national courts to classify and define the acts of a forpeign State
167
in order to decide whether they are covered by immunity or not . Italy
further contended that, in the Ferrini case, the Corte di Cassazione also
ensured the effective access to justice for victims of violations, which has

two constitutive elements: the right to a fair trial and the right to repara -
tion. Since, according to the German courts, Mr. Ferrini and the other vic-

162
The Court’s Chamber placed much emphasis on the fact that it was necepssary, under
Greek law, that the Minister of Justice authorized enforcements proceedipngs (Article 923
of the Greek Code of Civil Procedure), which was not obtained in the capse at issue
(cf. pp. 11-12). In this sense, the Ferrini case in Italy can be distinguished on this basis,
since in Italy the consent of the Minister of Justice does not seem to bpe necessary for
enforcement proceedings.
163
164 CR 2011/17, pp. 21-22, and pp. 29-31, paras. 16-17, and pp. 27-28, paras. 13-14.
Ibid., p. 33, para. 27, and cf.para. 26. It further argued that the Ferrini judgment did
not distinguish between substantive and procedural rules, besides disregparding the systemic
context of war reparations, which allegedly falls under the exclusive copmpetence of States
and are based on mutual understandings (or the action of the Security Cpouncil) ; ibid.,
p. 25, para. 9. Germany claimed, moreover, that the judgment in the Ferrini case confused
the concepts of personal and State immunity ; ibid., pp. 26-27, paras. 10-12.

165
166 Ibid., pp. 61-62.
CR 2011/18, p. 60, para. 24.
167 Ibid., p. 13, para. 9, and p. 16, para. 3.

138

6 CIJ1031.indb 272 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 233

semble pas tout à fait suffisante pour la Chambre de la CEDH, elle ap au
moins ainsi reconnu, il y a une décennie (en 2002), que le droit en la
162
matière était en transition .

2. La tension existant dans la jurisprudence des tribunaux internes

143. La tension susmentionnée, qui existe également dans la jurispru -
dence des tribunaux internes, a retenu l’attention des Parties dans lpe cadre

de leurs plaidoiries devant la Cour, en particulier lorsqu’elles ont pexprimé
leur opinion sur l’arrêt rendu par la Cour de cassation italienne dans

l’affaireFerrini (2004). L’Allemagne a affirmé que la Corte di Cassazione
avait décidé de se substituer au législateur et d’introduirep une nouvelle
règle, qui n’était pas encore étayée au niveau internatiopnal par la pratique
163
des Etats et la jurisprudence d’autres Etats ; elle a également fait valoir
que la pratique des tribunaux internes attestait que la règle de l’pimmunité
des Etats était reconnue même dans le cas de crimes internationauxp 16.

Sur ce point, l’Allemagne concluait que l’arrêt Ferrini de la Corte di Cas ‑
sazione demeurait selon elle une décision isolée dans la pratique des Etatps
et que l’immunité juridictionnelle à raison des actes jure imperii demeurait
165
une règle solidement établie en droit international .
144. L’Italie a quant à elle fait valoir que la décision Ferrini ne portait pas
atteinte à la règle de l’immunité, qui demeurait essentiellep, mais la redéfinissait

afin d’assurer le respect des obligations fondamentales de la communauté
internationale 166; l’immunité souveraine pour les actesjure imperii ne devait

pas être considérée comme absolue, car elle était soumise à des exceptions
comme l’exception délictuelle. Selon elle, il appartenait aux tribpunaux natio -
naux de classer et de définir les actes d’un Etat étranger popur décider s’ils
167
étaient ou non couverts par l’immunité . L’Italie faisait valoir en outre que,
comme dans l’affaire Ferrini, la Corte di Cassazione garantissait également
l’accès effectif à la justice aux victimes de violations, ce pqui comportait deux

éléments constitutifs: le droit à un procès équitable et le droit à réparation.

162 La Chambre de la Cour a beaucoup insisté sur le fait qu’il étaipt nécessaire, en

droit grec, que le ministre de la justice autorise les procédures d’pexécution (article 923 du
code grec de procédure civile), une autorisation qui n’avait pas pété obtenue en l’espèce
(voir p. 11-12). En ce sens, l’affaire Ferrini jugée en Italie est différente, puisqu’en Italie
le consentement du ministre de la justice ne semble pas être nécespsaire pour engager une
procédure d’exécution.
163 CR 2011/17, p. 21-22, p. 29-31, par. 16-17, et p. 27-28, par. 13-14.
164 Ibid., p. 33, par. 27, et voir par. 26. Elle affirmait en outre que la décision Ferrini

ne distinguait pas entre les règles de fond et les règles de procépdure, outre qu’elle ne tenait
pas compte du contexte systémique des réparations de guerre qui, spelon elle, relevaient
de la compétence exclusive des Etats et reposaient sur des accords mutuels (ou l’action du
Conseil de sécurité) ; ibid., p. 25, par. 9. L’Allemagne affirmait en outre que l’arrêt Ferrini
confondait les notions d’immunité personnelle et d’immunité pde l’Etat ; ibid., p. 26-27,
par. 10-12.
165 Ibid., p. 61-62.
166
167 CR 2011/18, p. 60, par. 24.
Ibid., p. 13, par. 9, et p. 16, par. 3.

138

6 CIJ1031.indb 273 22/11/13 12:25 234 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

tims were not entitled to reparations based on German legislation, they

could only have recourse to the Italian courts, and the Corte di Cassazione
had thus to adjust the principle of immunity so as to preserve the coherpence
of the international rules that apply in this case 168.

145. The decision of the Corte di Cassazione in the Ferrini case (2004)
was just one of the relevant decisions of the national courts invoked byp the

contending Parties (Germany and Italy) and the intervening State (Grepece)
in the course of the proceedings of the present case on the Jurisdictional

Immunities of the State before this Court. In the course of the proceedings,
the contending Parties as well as the intervening State referred to othepr
pertinent decisions of national courts, in order to substantiate their aprgu -

ments on the matter at issue. Thus, in so far as the practice of nationapl
courts pertaining to State immunity is concerned, for example, Germany
referred, in support of its claims, to a recent summary decision of the pIsraeli
169
District Court of Tel Aviv-Yafo , to a decision of the Federal Court in
Rio de Janeiro 170, and to another decision of the Polish Supreme Court 171.

146. Italy, for its part, countered the claimant’s argument by contend -
ing that “when confronted with claims arising from breaches of jus cogens
rules, domestic courts have taken different views as regards the questpion
172
of the immunity enjoyed by the wrongdoing State” . In support of this
contention, Italy cites, in addition to the aforementioned judgments of p

the Greek Areios Pagos in the Distomo Massacre case and of the Italian
Corte di Cassazione in the Ferrini case, two other recent judgments,
respectively from the Superior Court of Quebec 173, and from the French
174
Cour de cassation , which, in its view, go “in the direction of recognizing
that the principle of immunity for acta iure imperii may be subject to
restrictions in this kind of cases” 175.

147. Greece, for its part, points out that “the fundamental argument in
the position of the Greek courts is based on the recognition that there pis

168 CR 2011/18, pp. 61-62, para. 27.
169 Case of Orith Zemach et al. v. Federal Republic of Germany,District Court Tel Aviv-
Yafo, decision of 31 December 2009, Case 2143-07, referred to by Germany in its oral
pleadings :CR 2011/17, p. 32, para. 24.
170
Case of Barreto v. Federal Republic of Germany, Justiça Federal, Seção Judiciária do
Rio de Janeiro, Ordinary Proceedings No. 2006.5101016944-1, 9 July 2008, referred to by
Germany in its oral pleadings : CR 2011/17, p. 32, para. 23. This decision remains pending
of appeal to date.
171 Case of Natoniewski v. Federal Republic of Germany, Polish Supreme Court, deci -
sion of 29 October 2010, File ref. IV CSK 465/09, referred to by Germany in its oral plead-
ings :CR 2011/17, p. 33, para. 25.
172
173 CR 2011/18, p. 40, para. 7.
Case of Kazemi (Estate of) and Hashemi v. Iran, Ayatollah Ali Khamenei and
Others, Superior Court of Quebec, 25 January 2011, 2011 QCCS 196, referred to by Italy
in its oral pleadings : CR 2011/18, p. 40, para. 7.
174 Cour de cassation, première chambre civile, France, 9 March 2011, No. 09-14743,
referred to by Italy in its oral pleadings : CR 2011/18, p. 40, para. 7.
175
CR 2011/18, p. 40, para. 7.

139

6 CIJ1031.indb 274 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 234

Puisque, selon les tribunaux allemands, M. Ferrini et les autres victimes
n’avaient pas droit à des réparations sur la base de la légipslation allemande,

ils ne pouvaient avoir recours qu’aux tribunaux italiens, et la Corte di Cas‑
sazione avait donc ainsi ajusté le principe de l’immunité afin de préserver la
168
cohérence des règles internationales applicables dans cette affapire .
145. La décision rendue par la Corte di Cassazione dans l’affaire Fer ‑
rini (2004) n’était qu’une des décisions de juridictions interpnes invoquées

par les Parties (l’Allemagne et l’Italie) et l’Etat intervenapnt (la Grèce) au
cours de la procédure dans la présente affaire des Immunités juridiction ‑
nelles de l’Etat dont est saisie la Cour. Durant la procédure, les Parties

ainsi que l’Etat intervenant ont invoqué d’autres décisions pde tribunaux
internes pour étayer leurs arguments. Ainsi, en ce qui concerne la prpa -
tique des tribunaux nationaux relative à l’immunité des Etats, pl’Alle -

magne a par exemple, pour étayer ses arguments, invoqué une décision
succincte récente de la cour de district israélienne de Tel-Aviv-Jpaffa 169,
une décision du Tribunal fédéral de Rio de Janeiro 170et une décision de
171
la Cour suprême polonaise .
146. L’Italie a pour sa part répliqué à ces arguments en affirmapnt que,

«face à des réclamations portant sur des violations de règles imppératives du
droit international, les juridictions internes ont porté différentes apprécia -
tions sur la question de l’immunité dont jouit l’Etat fautif» 172. A l’appui de

cet argument, l’Italie cite, outre les jugements susmentionnés de pl’Areios
Pagos grec dans l’affaire du Massacre de Distomo et de la Corte di Cassa ‑
zione italienne dans l’affaire Ferrini, deux autres jugements récents, rendus
173
respectivement par la Cour supérieure du Québec et la Cour de cassation
française 174, qui, selon elle, « tendent … à reconnaître que le principe de
l’immunité en matière d’actes se rattachant à l’exercipce de droits souverains
175
peut faire l’objet de restrictions dans ce type d’affaires» .
147. La Grèce, pour sa part, fait observer que « l’argument de base

dans la thèse des tribunaux grecs s’affirme autour de la constataption qu’il

168CR 2011/18, p. 61-62, par. 27.
16Affaire Orith Zemach et autres c. République fédérale d’Allemagne, cour de district

de Tel-Aviv-Jaffa, décision du 21 décembre 2009, affaire 2143-07, mentionnée par l’Alle -
magne dans ses plaidoiries : CR 2011/17, p. 32, par. 24.
17Affaire Barreto c. République fédérale d’Allemagne, Justiça Federal, Seção Judiciária
do Rio de Janeiro, procédure ordinaire n o2006.5101016944-1, 9 juillet 2008, évoquée par
l’Allemagne dans ses plaidoiries : CR 2011/17, p. 32, par. 23. L’appel de cette décision est
encore pendant.
17Affaire Natoniewski c. République fédérale d’Allemagne, Cour suprême polonaise,

décision du 29 octobre 2010, dossier IV CSK 465/09, évoquée par l’Allemagne dans ses
plaidoiries :CR 2011/17, p. 33, par. 25.
172CR 2011/18, p. 40, par. 7.
17Affaire Kazemi (succession de) et Hashemi c. Iran, ayatollah Ali Khamenei et autres,
Cour supérieure du Québec, 25 janvier 2011, 2011 QCCS 196, mentionnée par l’Italie dans
ses plaidoiries : CR 2011/18, p. 40, par. 7.
174Cour de cassation, première chambre civile, France, 9 mars 2011, numéro de pourvoi

09-11753, invoquée par l’Italie dans ses plaidoiries : CR 2011/18, p. 40, par. 7.
CR 2011/18, p. 40, par. 7.

139

6 CIJ1031.indb 275 22/11/13 12:25 235 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

an individual right to reparation in the event of grave violations of
humanitarian law” 17. It argues that

“the obligation on the State to compensate individuals for violationsp

of the rules of humanitarian law seems to derive from Article 3 of the
Hague Convention (IV) of 1907 (. . .). That is made clear by the fact
that individuals are not excluded from the text of Article 3. This line
of argument also emerges from the travaux préparatoires of the Sec -
177
ond Hague Conference.”

Greece adds that the obligation to pay reparation, on the part of the
State which committed a wrongful act, is, in its view, well-established in
international law 178. Human rights and international humanitarian law
treaties contain some specific rules that lay down a State obligation pof

reparation to the benefit of individual victims of treaty breaches.

148. The over-all picture resulting from the pleadings before the Court

discloses the tension which ensues from the relevant case law of nationapl
courts, as to claims of State immunity and the exercise of the right of p
access to justice. The Court could hardly thus base its reasoning on thep
practice of national courts only. It has to resort to other present-day p

manifestations of international law, such as those listed in Article 38 of its
Statute (the formal “sources” of international law), and to go beyond
that, as it has done at times in the past. Only in this way can it perfoprm
properly its function, in the settlement of a contentious case like the ppres -

ent one, as “the principal judicial organ of the United Nations” (Arti -
cle 92 of the UN Charter).

3. The Aforementioned Tension in the Age of the Rule of Law
at National and International Levels

149. This is even more compelling if one bears in mind the aforemen -
tioned tension in the current age of the rule of law at national and intper -
national levels. The origins of this concept (the rule of law essentially at
domestic level), in both civil law and common law countries, can be

traced back to the end of the eighteenth century, and it gradually takes
shape throughout the nineteenth century. It comes to be seen, especially
in the twentieth century, as being conformed by a set of fundamental
principles and values, and the underlying idea of the needed limitation of

power. One such principle is that of equality of all before the law.

176CR 2011/19, p. 22 (translation).
177
178Ibid., pp. 22-23 (translation).
Cf. passages on page 4 of this memorandum. Greece refers to the Ethiopia-Eritrea
Claims Commission in support of its claim that “individuals are percepived as the holders of
secondary rights under international humanitarian law” ; CR 2011/19, p. 26 (translation).

140

6 CIJ1031.indb 276 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 235

existe un droit individuel à la réparation en cas de violations grpaves du
droit humanitaire » . Elle fait valoir que

«l’obligation de l’Etat d’indemniser des individus pour violatiopn des

règles de droit humanitaire semble dériver de l’article 3 de la qua -
trième convention de La Haye de 1907… Cela devient évident par le
fait qu’il n’y a pas exclusion des individus du texte de l’artipcle 3. Ce
raisonnement ressort également des travaux préparatoires de la deup -
177
xième conférence de La Haye. »

La Grèce ajoute que l’obligation de verser des réparations qui pincombe
à l’Etat ayant commis le fait illicite est, selon elle, bien étpablie en droit
international 17. Les traités relatifs aux droits de l’homme et au droit
international humanitaire contiennent certaines règles spécifiqupes énon -

çant à la charge de l’Etat une obligation de réparer au bénéfice des vic -
times individuelles de violations.
148. Il ressort globalement des plaidoiries devant la Cour qu’il existe

une tension entre la jurisprudence des tribunaux nationaux concernant
l’invocation de l’immunité de l’Etat et l’exercice du dropit d’accès à la jus -
tice. Ainsi, la Cour ne peut guère s’appuyer sur la seule pratique des
tribunaux internes. Elle doit recourir à d’autres manifestations cpontempo -

raines du droit international, telles que celles énumérées à l’article 38 de
son Statut (les «sources» formelles du droit international) et aller au-delà,
comme elle l’a parfois fait par le passé. Ce n’est que de cette manière
qu’elle peut exercer sa fonction comme il convient, s’agissant de prégler

une affaire contentieuse comme celle dont elle est saisie en sa qualitpé
d’«organe judiciaire principal des Nations Unies » (article 92 de la Charte
des Nations Unies).

3. La tension susmentionnée à l’ère de l’état de droit
aux niveaux national et international

149. Cela est encore plus justifié si l’on songe à la tension susmpention-
née à l’heure actuelle, celle de l’état de droit aux nivepaux national et inter -
national. Les origines de ce concept (l’état de droit, essentiellpement au
niveau interne) dans les pays de droit civil et de common law remontent à
e
la fie du XVIII siècle, et il a progressivement pris forme tout au long eu
XIX siècle. Il en est arrivé à être perçu, spécialement aup XX siècle,
comme correspondant à une série de valeurs et principes fondamentapux,
et à l’idée qui le sous-tend d’une nécessaire limitation du pouvoir. L’un de

ces principes est celui de l’égalité de tous devant la loi.

176 CR 2011/19, p. 22.
177
178 Ibid., p. 22-23.
Voir les passages cités p. 4 de la présente opinion. La Grèce mentionne la commis -
sion des réclamations Erythrée-Ethiopie à l’appui de son argpument selon lequel « les indi-
vidus sont perçus, en droit international humanitaire, comme les tituplaires de droit secon-
daire » ;CR 2011/19, p. 26.

140

6 CIJ1031.indb 277 22/11/13 12:25 236 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

150. The concept of rule of law moves away from the shortsightedness
of legal positivism (with its characteristic subservience to the establpished
power), and comes closer to the idea of an “objective” justice, apt national

and international levels, in line with jusnaturalist legal thinking. Within
the realm of this latter, it is attentive to the protection of human rigphts,
anterior and superior to the State. Not surprisingly, the concept of rulpe of

law has marked its presence also in the modern domain of the law of
international organizations, within which it has gained currency in recent
years.

151. We witness, nowadays, within the framework of the general phe -
nomenon of our age, that of the jurisdictionalization of the international
legal order itself, with the expansion of international jurisdiction (as evi -

denced by the creation and co-existence of multiple contemporary inter -
national tribunals) 179, the reassuring enlargement of the access to
justice — at international level — to a growing number of justiciables 180.

Not surprisingly, the theme of the rule of law (preéminence du droit) at
national and international levels, has lately become one of the items ofp
the UN General Assembly itself (from 2006 onwards), wherein it has been
181
attracting growing attention to date .
152. I have drawn attention to this development in my dissenting opin -
ion in the case concerning Questions relating to the Obligation to Prose ‑

cute or Extradite (Belgium v. Senegal), Provisional Measures, Order of
28 May 2009, I.C.J. Reports 2009 (p. 185, para. 55 and p.199, para. 101).
An impulse to this development in the UN General Assembly was given

by the 2005 progress review in the implementation of the 2000 Millenium
Declaration and the Millenium Development Goals. Attention was drawn
then to a core group of multilateral treaties 182, concerned, ultimately and

to a large extent, with the rights of the human person.

153. The World Summit Outcome, adopted in September 2005, recog -

nized the needed adherence to, and implementation of, the rule of law atp

179Cf., e.g., Société Française pour le droit international (SFDIp), La juridictionnali ‑
sation du droit international (Colloque de Lille de 2002), Paris, Pedone, 2003, pp. 3;545
A. A. Cançado Trindade, “Le développement du droit international des droits de lp’homme

à travers l’activité et la jurisprudente des Cours européennpe et interaméricaine des droits de
l’h180e”, 16 Revue universelle des droits de l’homme (2004), pp. 177-180.
Cf., in this respect, A. A. Cançado Trindade, El Derecho de Acceso a la Justicia en
Su Amplia Dimensión, Santiago de Chile, CECOH/Librotecnia, 2008, pp. 61-407.
181Cf., on the item “The Rule of Law at the National and International Lpevels”,
the following resolutions of the UN General Assembly : resolutions A/RES/61/39, of
4 December 2006 ; A/RES/62/70, of 6 December 2007 ; A/RES/63/128, of 11 December
2008 ; A/RES/64/116, of 16 December 2009 ; A/RES/65/32, of 6 December 2010. For a

recent examination of this issue, in the light of the aforementioned respolutions of the
UN General Assembly, cf. A. A. Cançado Trindade, Direito das Organizações Internacio‑
nais, 4th ed., Belo Horizonte/Brazil, Edit. Del Rey, 2009, pp. 584-587 and 645-651.
182Cf. UN, Multilateral Treaty Framework : An Invitation to Universal Participation —
Focus 2005 : Responding to Global Challenges, New York, UN, 2005, pp. 1-154.

141

6 CIJ1031.indb 278 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 236

150. La notion d’état de droit s’écarte de la myopie du positivispme juri -
dique (avec la servilité devant les pouvoirs établis qui le caracptérise) et se
rapproche de l’idée d’une justice « objective», aux niveaux national et

international, conformément à la doctrine du droit naturel. Dans le cadre
de cette dernière, il renvoie à la protection des droits de l’homme, anté -
rieurs et supérieurs à l’Etat. Il n’est pas non plus surprenpant que la notion

d’état de droit ait aussi fait sentir sa présence dans les domapines contem -
porains du droit des organisations internationales, dans lequel elle s’pest
propagée ces dernières années.

151. Nous sommes de nos jours les témoins, dans le cadre du phéno -
mène général de notre époque, de la juridictionnalisation de l’ordre juri -
dique international lui-même, avec l’expansion de la juridiction ipnter-

nationale (attestée par la création et la coexistence de multipleps tribunaux
internationaux) 179 et l’élargissement rassurant de l’accès à la justice — au
niveau international — d’un nombre croissant de justiciables 180. Le thème

de l’état de droit (la primauté du droit) aux niveaux national et internatio -
nal a, cela n’est pas surprenant, récemment été inscrit àp l’ordre du jour de
l’Assemblée générale des Nations Unies elle-même (depuis 2006), au sein
181
de laquelle une attention croissante lui est accordée .
152. J’ai appelé l’attention sur ce développement dans mon opiniopn
dissidente en l’affaire des Questions concernant l’obligation de poursuivre

ou d’extrader (Belgique c. Sénégal), mesures conservatoires, ordonnance du
28 mai 2009, C.I.J. Recueil 2009 (p. 185, par. 55, et p. 199, par. 101). Une
impulsion a été donnée à cet égard dans le cadre de l’pAssemblée générale

des Nations Unies par l’examen effectué en 2005 de la mise en œuvre de
la Déclaration du Millénaire et de la réalisation des Objectifs du Millé -
naire pour le développement. L’attention a été appelée àp cette occasion
182
sur un groupe de traités multilatéraux fondamentaux , concernant, en
dernier ressort et dans une large mesure, les droits de la personne humapine.
153. Le document final du Sommet mondial adopté en septembre 2005

reconnaissait la nécessité de respecter et de réaliser l’éptat de droit aux

179Voir par exemple Société française pour le droit international p(SFDI), La juridictio‑n
nalisation du droit international (colloque de Lille de 2002), Paris, Pedone, 2003, p. 3-545 ;
A. A. Cançado Trindade, «Le développement du droit international des droits de l’homme

à travers l’activité et la jurisprudence des Cours européennpe et interaméricaine des droits de
l’h180e »,Revue universelle des droits de l’homme, vol. 16 (2004), p. 177-180.
Voir à cet égard A. A. Cançado Trindade, El Derecho de Acceso a la Justicia en su
Amplia Dimensión, Santiago du Chili, CECOH/Librotecnia, 2008, p. 61-407.
181Voir, sur la question « L’état de droit aux niveaux national et international »,
les résolutions ci-après de l’Assemblée générale des Npations Unies : A/RES/61/39 du
4 décembre 2006, A/RES/62/70 du 6 décembre 2007, A/RES/63/128 du 11 décembre
2008, A/RES/64/116 du 16 décembre 2009 et A/RES/65/32 du 6 décembre 2010. Pour un

examen récent de la question à la lumière de ces résolutionsp de e’Assemblée générale, voir
A. A. Cançado Trindade, Direito das Organizações Internacionais, 4 éd., Belo Horizonte/
Brésil, Edit. Del Rey, 2009, p. 584-587 et 645-651.
182Voir Nations Unies, Multilateral Treaty Framework : An Invitation to Universal
Participation — Focus 2005 : Responding to Global Challenges, New York, Nations Unies,
2005, p. 1-154.

141

6 CIJ1031.indb 279 22/11/13 12:25 237 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

national and international levels. The main traits of that memorable exepr -
cise may thus be singled out : first, the aforementioned focus on multilat -
eral treaties ; secondly, the search for the primacy of the rule of law ;

thirdly, the assertion of that primacy at both national and internationapl
levels; and fourthly, the overcoming of the purely inter-State outlook of
the matter.
154. This, in my view, has an incidence in distinct areas of contempo -

rary international law. In so far as State immunities are concerned, forp
example, the 1972 European Convention on State Immunity (Art. 11)
and the 2004 UN Convention on Jurisdictional Immunities of States and
Their Property (Art. 12) provide for the personal injury (tort) exception.

Both Conventions thus acknowledge that their subject-matter does not
exhaust itself in purely inter-State relations.
155. It goes in fact beyond them, in encompassing the way States treat
human beings under their respective jurisdictions. State immunities havep

not been devised to allow States that committed atrocities (delicta impe ‑
rii) to shield themselves behind them. Before turning to this point, I shallp
address, in the following paragraphs, the old dichotomy between acts jure
imperii and acts jure gestionis (as considered in the present case), and the

treatment of the human person in face of State immunities, disclosing the
shortsightedness and the overcoming of the strict inter-State outlook.

XV. The Contentions of thpe Parties as to Acts Jure ImPerII

and Acts Jure g estIonIs

156. In the present case before the Court opposing Germany to Italy,
the contending Parties put forward distinct lines of arguments concerninpg

the distinction between acta jure imperii and acta jure gestionis for the
purpose of the application of sovereign immunity, and, more broadly, on p
the question of the evolution from absolute to relative immunity. Ger -
many essentially argued that at the time of German presence on Italian

soil from 1943-1945 “the doctrine of absolute sovereign immunity was
uncontested”. It submitted that it was the United States Tate Letter,p
“based on a general consensus, [that] brought about a fundamental turn-
around in 1952”. It argued that since then “judicial practice has pdistin -

guished between two categories of State activities, acta jure imperii and
acta jure gestionis”183.
157. For its part, Italy argued that, at first, the exercise of jurisdictiopn
was made exclusively based on the distinction between acta jure imperii

and acta jure gestionis and that “more recently the law and practice of
many States” have also supported “exceptions to State immunity forp
some activities in the domain of sovereign acts” 18. Italy submitted that
the evolution from absolute immunity to relative immunity has its originps

183Memorial of Germany, paras. 91-92.
184Counter-Memorial of Italy, p. 45, para. 4.13.

142

6 CIJ1031.indb 280 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 237

niveaux national et international. Les principaux résultats de ce sompmet
mémorable peuvent donc être énoncés comme suit: premièrement, l’accent
mis comme on l’a vu sur les traités multilatéraux ; deuxièmement, la

recherche de la primauté de l’état de droit; troisièmement, l’affirmation de
cette primauté aux niveaux national et international; et, quatrièmement, le
dépassement de la conception purement étatique de la question.
154. Cela a à mon avis une incidence dans des domaines distincts du

droit international contemporain. En ce qui concerne les immunités de
l’Etat, par exemple, la convention européenne de 1972 sur l’immpunité des
Etats (art. 11) et la convention de 2004 sur les immunités juridictionnelles
des Etats et de leurs biens (art. 12) prévoient l’exception délictuelle. Ces

deux conventions reconnaissent ainsi que leur sujet ne s’épuise pas dans
les relations purement interétatiques.
155. Il va en fait au-delà de celles-ci, en envisageant la manière dont les
Etats traitent les êtres humains placés sous leur juridiction. Lesp immunités

de l’Etat n’ont pas été conçues pour protéger les Etatps qui commettent des
atrocités (delicta imperii). Avant de me pencher sur ce point, j’examinerai
dans les paragraphes qui suivent la vieille dichotomie entre actes jure impe ‑
rii et actes jure gestionis (dans le cadre de la présente affaire) et le traite -

ment de la personne humaine face aux immunités de l’Etat, en soulipgnant
la myopie de la conception strictement interétatique et son dépasspement.

XV. Les arguments des Partipes en ce qui concernep

les actes Jure ImPerII et les actes Jure gestIonIs

156. Dans la présente affaire, qui oppose l’Allemagne à l’Italipe devant
la Cour, les Parties avancent des arguments distincts en ce qui concernep la

distinction entre acta jure imperii et acta jure gestionis aux fins de l’appli -
cation de l’immunité souveraine et, plus généralement, sur lpa question de
l’évolution de l’immunité absolue à l’immunité relaptive. L’Allemagne fait
valoir pour l’essentiel qu’à l’époque de la présence apllemande sur le sol

italien, de 1943 à 1945, « la doctrine de l’immunité souveraine absolue
régnait de manière incontestée ». Elle affirme que ce fut la « lettre Tate »
(Etats-Unis) qui, « fondée sur un consensus général, opéra un tournant
radical en 1952 ». Selon elle, depuis lors, « la pratique judiciaire distingue

deux catégories d’actes accomplis par l’Etat : les actes jure imperii et les
actes jure gestionis »183.
157. L’Italie fait valoir pour sa part que, si au départ la compétenpce
était exercée exclusivement sur la base de la distinction entre acta jure

imperii et acta jure gestionis, « [p]lus récemment, le droit et la pratique de
nombreux pays » ont également admis « des exceptions à l’immunité des
Etats dans le cas de certaines activités relevant de la catégorie pdes actes
souverains » 184. Selon elle, l’évolution de l’immunité absolue à l’immunité

183Mémoire de l’Allemagne, par. 91-92.
184Contre-mémoire de l’Italie, p. 45, par. 4.13.

142

6 CIJ1031.indb 281 22/11/13 12:25 238 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

in the successive rulings of national courts. And Greece reiterated thisp

view in its “written statement” of 4 August 2011 (paras. 43-49). In this
regard, Italy referred to Belgian case law as pioneer in the evolution opf
the private-acts exception to immunity and argued that Italian case law,p

since the nineteenth century, “has been consistent in distinguishing the
State as a political entity exercising sovereign powers and entitled to p
immunity and the State as a legal person not entitled to immunity” 18.

158. Italy added that “Belgian and Italian case law did not long remain
isolated”, and there were also repercussions in the same sense in legal
186
doctrine as from the end of the nineteenth century . Italy thus submit -
ted that the turning point of the distinction between acta jure imperii and
acta jure gestionis, was not, as Germany claimed, represented by the

United States Tate Letter of 1952, as “well before the Second World War,
the denial of State immunity before municipal courts was not considered p
prejudicial to the dignity or sovereignty of a foreign State” and “pthe evo -

lution towards restrictive immunity has its ratio in the necessity of pro -
tecting private persons”. It then added that “exceptions to immunity are
not limited to acta jure gestionis” 18.

159. In the course of the oral pleadings before the Court, turning to
the personal injury (tort) exception — as provided for in Article 12 of the
2004 UN Convention on Jurisdictional Immunities of States and Their

Property —, Germany claimed that that provision does not codify cus -
tomary law, and does not apply to the actions of armed forces, and that p
international State practice excludes armed forces from any exception top
188
immunity . Italy, for its part, argued that the tort exception provides
for the lift of immunity if the tortuous act took place in whole or in ppart
within the forum State, as it happened in the present case 189. It further

claimed that Article 12 of the 2004 UN Convention does not make any
distinction between acts jure imperii and acts jure gestionis. And it added
that the specific torts that German forces committed in Italy were not just
torts, but grave violations of jus cogens ; thus, the tendency to recognize

the tort exception in order to provide relief and access to justice, couppled
with the tendency to lift immunity in case of breaches of peremptory
norms, means that there was no obligation of Italy to accord immunity top
190
Germany for these acts .
160. This debate between the contending Parties was confined to the
paradigm of inter-State relations. It did not free itself from the chains of

185Counter-Memorial of Italy, paras. 4.15-4.16.
186Cf. ibid., para. 4.17.
187Ibid., paras. 4.20-4.50.
188CR 2011/17, pp. 37-38, paras. 2-3.
189CR 2011/18, p. 41, paras. 9-11.
190CR 2011/21, pp. 35-36, paras. 16-17.

143

6 CIJ1031.indb 282 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 238

relative a son origine dans les décisions successives des tribunaux ipnternes.

Et la Grèce a réitéré cette opinion dans sa « déclaration écrite » du
4 août 2011 (par. 43-49). A cet égard, l’Italie renvoie à la jurisprudence
belge, qui a fait figure de pionnière dans l’évolution de l’pexception à l’im -
munité pour les actes privés, et soutient que la jurisprudence itaplienne,
e
depuis le XIX siècle, « applique d’une manière constante la distinction
entre l’Etat en tant qu’entité politique exerçant des pouvoiprs souverains et
bénéficiant de l’immunité, et l’Etat en tant que personpne morale, ne béné -
185
ficiant pas de l’immunité » .
158. L’Italie ajoute que « [l]es jurisprudences belge et italienne ne res -
tèrent pas longtemps isolées », et qu’il y eut aussi des répercussions dans
le même sens dans la doctrine juridique à partir de la fin du XIpX e siècle186.

L’Italie soutient ainsi que le tournant de la distinction entre acta jure
imperii et acta jure gestionis ne fut pas, comme le soutient l’Allemagne,
représenté par la « lettre Tate » de 1952, du fait que, « bien avant la

seconde guerre mondiale, le refus de l’immunité des Etats par les pjuridic -
tions nationales n’était pas considéré comme portant atteintpe à la dignité
ou à la souveraineté d’un Etat étranger » et que « l’évolution vers l’immu -

nité restreinte a pour raison d’être la nécessité de protpéger les personnes
privées». Elle ajoute que « les exceptions à l’immunité ne se limitent pas
aux acta jure gestionis » 187.
159. Lors des plaidoiries devant la Cour, au sujet de l’exception délicp -

tuelle — telle que prévue à l’article 12 de la convention des Nations Unies
sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens (200p4) —, l’Al -
lemagne a soutenu que cette disposition ne codifiait pas le droit coutpumier et

ne s’appliquait pas aux actions des forces armées, et que la pratiq188des Etats
excluait les forces armées de toute exception à l’immunité . L’Italie, pour
sa part, affirme que l’exception délictuelle permet d’écartper l’immunité si
l’acte délictueux a été commis en tout ou en partie dans l’pEtat du for, comme
189
c’est le cas dans la présente affaire . Elle soutient de plus que l’article 12 de
la convention des Nations Unies de 2004 ne fait aucune distinction entre actes
jure imperii et actes jure gestionis. Et elle ajoute que les actes dommageables

spécifiques commis par les forces allemandes en Italie n’étaipent pas juste des
actes dommageables mais étaient de graves violations du jus cogen;sainsi, la
tendance à reconnaître l’exception délictuelle pour accorderp réparation et
ouvrir l’accès à la justice, associée à la tendance à pécarter l’immunité en cas

de violation de normes impératives, signifiait que l’Italie n’pétait pas tenue
d’accorder l’immunité à l’Allemagne pour ces actes 190.
160. Ce débat entre les Parties s’est limité au paradigme des relatipons

interétatiques. Il ne s’est pas libéré des chaînes du lexpique traditionnel

185Contre-mémoire de l’Italie, par. 4.15-4.16.
186Voir ibid., par. 4.17.
187Ibid., par. 4.20-4.50.
188CR 2011/17, p. 37-38, par. 2-3.
189
190CR 2011/18, p. 41, par. 9-11.
CR 2011/21, p. 35-36, par. 16-17.

143

6 CIJ1031.indb 283 22/11/13 12:25 239 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

the lexicon of traditional international law, with the exception of the psole

reference to jus cogens. The evolution of law to which the two contending
Parties referred — with an entirely different reading and interpretation
advanced by each of them — can be better appreciated within a larger
framework, going well beyond the strict outlook of an inter-State legal

order. I purport to draw attention, in the following paragraphs, to thisp
point, so as to arrive at a better understanding of the matter at issue.p

XVI. The Human Person and Statpe Immunities:
The Shortsightedness opf the Strict Inter-State Outlook

161. To that end, an appropriate starting-point lies in the identification
of the distortions of the State-centric outlook of the international legal
order, leading to an awareness of myth surrounding the role of the Statep.

Shaken by the horrors of the Second World War and the collapse of rea -
son (rational thinking) in European relations, the learned thinker
Ernst Cassirer (1874-1945), studied the role played by myth in that col -

lapse. He concluded, shortly before dying, that civilization was — unlike
what most people used to assume — not solid at all, but rather a fragile
layer, below which lay extreme violence and recurring massacres and
atrocities throughout history 191. Cassirer, focusing on the twentieth cen -

tury myth of the State, identified the deleterious influence of tracpes of
Machiavellian thinking (dismissal of, or indifference to, ethical conpsider -
ations), of Hobbesian thinking (indissoluble links between the rulers pand

those ruled, with the subjection of the latter to the former), and of Hege -
lian thinking (the State as the supreme historical reality that has to pre -
serve itself, the interests of which stand above anything, irrespective of
any ethical considerations) 192.

162. One has to be careful with myths — E. Cassirer further warned —
including the “political myths”, in particular those which have lepd, in the
twentieth century, to so much extreme violence and to totalitarianism 19.

Another learned thinker, the historian Arnold Toynbee, also propounded
the same view in this particular respect. In an insightful essay publishped
in 1948, Toynbee questioned the very bases of what was understood by
civilization (as “a movement and not a condition”), characterizing this

latter as no more than quite modest advances at social and ethical levelps.
Under its thin layer — he added— barbarism unfortunately persisted 19,
as demonstrated by the uncontrolled and extreme violence of his times.

191E. Cassirer, El Mito del Estado, Bogotá/Mexico City, Fondo de Cultura Econó -
mica, 1996 [reed.], pp. 338-339, and cf. pp. 347 and 350. His book The Myth of State was
published posthumously in distinct idioms (1946 onwards).
192Ibid., pp. 168 (Machiavelli), 207 (Hobbes) and 311 and 313 (Hegel), and cf. p. 323.
193Ibid., pp. 333-336, 341-342, 344-345 and 351.
194
A. J. Toynbee, Civilization on Trial, Oxford/New York, Oxford University Press,
1948, pp. 54-55, 150-151, 159, 161, 213, 222 and 234.

144

6 CIJ1031.indb 284 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 239

du droit international, à la seule exception d’une référence unpique au

jus cogens. L’évolution du droit évoquée par les Parties, chacune d’pelles
avançant à cet égard une opinion et une interprétation diffpérentes, peut
être mieux appréciée dans un cadre plus large, en allant bien apu-delà de la

stricte conception d’un ordre juridique interétatique. J’entendps appeler
l’attention, dans les paragraphes qui suivent, sur ce point, de manièpre à
arriver à une meilleure compréhension de la question qui se pose.

XVI. La personne humaine etp les immunités de l’Étpa:t
myopie de la perspectivpe strictement interéptatique

161. A cette fin, il convient de commencer par recenser les distorsions de
la vision de l’ordre juridique international centrée sur l’Etatp, pour aboutir à

une prise de conscience du mythe entourant le rôle de l’Etat. Secopué par les
horreurs de la seconde guerre mondiale et l’effondrement de la raispon (la
pensée rationnelle) dans les relations européennes, Ernst Cassirer (1874-

1945) a étudié le rôle joué par le mythe dans cet effondrpement. Il a conclu
peu avant sa mort que, contrairement à l’opinion largement répapndue, la
civilisation n’était pas solide du tout, mais n’était qu’une couche fragile sous

laquelle se cachait une violence extrême ayan191onné lieu à desp massacres et
à des atrocités tout au long de l’histoire . L’éminent penseur E. Cassirer,
axant sa réflexion sur le mythe de l’Etat en vogue au XX esiècle, a mis en
lumière l’influence délétère des traces de la penséep de Machiavel (rejet des

considérations éthiques ou indifférence à cet égard), pde la pensée de Hobbes
(liens indissociables entre les dirigeants et les dirigés, ces dernipers étant assu-
jettis aux premiers) et de la pensée de Hegel (l’Etat comme réalité historique

suprême qui doit se préserver et dont les intérêts sont au-dpessus de tout, les
considérations éthiques étant sans pertinence) 192.
162. Il faut être prudent avec les mythes, avertissait en outre E. Cassirer,

y coepris les « mythes politiques», en particulier ceux qui 193 abouti, au
XX siècle, à une violence extrême et au totalitarisme . Un autre penseur
éminent, l’historien Arnold Toynbee, a exprimé la même opinipon sur ce sujet
particulier. Dans un essai pénétrant publié en 1948, A. Toynbee remettait en

cause les bases mêmes de ce qui était perçu comme la civilisation(« un mou -
vement et non un état »), caractérisant celle-ci comme n’étant rien de plus
que des avancées modestes aux niveaux social et éthique. Il ajoutait que sous
194
cette fine pellicule la barbarie malheureusement subsistait , comme l’avait
démontré la violence incontrôlée et extrême de son épopque.

191E. Cassirer, El Mito del Estado, Bogotá/Mexico, Fondo de Cultura Económica,
1996 (rééd.), p. 338-339, et voir p. 347 et 350. Son ouvrage Le mythe de l’Etat a été publié
à titre posthume dans plusieurs langues (à partir de 1946).
192Ibid., p. 168 (Machiavel), 207 (Hobbes), 311 et 313 (Hegel), et voir p. 323.
193Ibid., p. 333-336, 341-342, 344-345 et 351.
194A. J. Toynbee, Civilization on Trial, Oxford/New York, Oxford University Press,
1948, p. 54-55, 150-151, 159, 161, 213, 222 et 234.

144

6 CIJ1031.indb 285 22/11/13 12:25 240 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

163. State-centric thinking, to the exclusion of human beings, gradual-
ly made its incursions into international legal thinking — with disas -
trous consequences, as illustrated by the horrors of the Second World

War, and the successive atrocities throughout the twentieth century and
the beginning of the twenty-first century. The term “sovereignty”, for
example, has a long-standing and troubling history : from the times of

Jean Bodin (1530-1596) and of Emerich de Vattel (1714-1767) up to the
present, in the name of State sovereignty — unduly and inadvertently
diverted from inter-State to intra-State relations — millions of human
beings were sacrificed. The misuses of language, having repercussions pin

international legal thinking, sought to exert influence in the internaptional
scenario, for whatever purposes, devoid of ethical considerations.

164. Soon it was realized that there should be limits to what one could
do, in the sphere of inter-State relations. International legal languagep
became then engaged in the recognition and construction of the principlep

of the equality of States, but again in the framework of sovereignty (ipnter -
nal and external), pursuant to an essentially State-centric outlook andp re-a
soning 195. It was in the blurred inter-State outlook of sovereignties in

potential or actual confrontation that some jargon, remindful of the Wespt -
phalian paradigm, was to flourish. Such was the case of State immunitipes.

165. In fact, the origins of the term “immunity” (from Latin immunitas,
deriving from immunis) go back to the mid-eighteenth centur ;ythe word was
used, from then onwards, to refer to the condition of someone exempted

from taxes, or from any charges or duties. Towards the end of the nineteenth
century, the term “immunity” was introduced into the lexicon of constitutional
law and international law (in relation to parliamentarians and diplomats,
196
respectively197 . In criminal law, it became associated with “cause of
impunity” . In international law, the term came to be used also in respect of
“prerogatives” of the sovereign State 198.
166. In any case, as such, the term “immunity” has all the time meant

to refer to something wholly exceptional, an exemption from jurisdictionp
or from execution 199. It was never meant to be a “principle”, nor a norm
of general application. It has certainly never been intended, by its invpoca -

195 S. Beaulac, The Power of Language in the Making of International Law, Leiden,
Nijhoff, 2004, pp. 154-155 and 188, and cf. pp. 29, 190-191 and 196.
196 Dictionnaire historique de la langue française (eds. A. Rey), 3rd ed., Paris, Diction -
naires Le Robert, 2000, pp. 1070-1071; The Oxford English Dictionary (prep. J. A. Simpson
and E. S. C., Weiner), 2nd ed., Vol. VII, Oxford, Clarendon Press, 1989, p.691 ;The Oxford

Dictionary of English Etymology (eds. C. T. Onions et al.), Oxford, Clarendon Press, 1966,
p. 463 ; Dictionnaire étymologique et historique du français) (eds. J. Dubois, H. Mitterand
and A. Dauzat), Paris, Larousse, 2007, p. 415.
197 G. Cornu/Association Henri Capitant, Vocabulaire juridique, 8th rev. ed., Paris,
PUF, 2007, p. 467.
198 Ibid., p. 468.
199 Dictionnaire de droit international public (ed. J. Salmon), Brussels, Bruylant, 2001,
pp. 559-560.

145

6 CIJ1031.indb 286 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 240

163. La mise en avant de l’Etat à l’exclusion de l’être humainp a progres -
sivement fait des incursions dans la doctrine des publicistes, avec des pcon-sé

quences désastreuses, comme l’illustrent les horreurs de la secondpe guerre
mondiale et les atrocités successives dont tout le XX esiècle et le début du
XXI e siècle ont été les témoins. Le terme « souveraineté», par exemple, a

une histoire longue et troublante : depuis l’époque de Jean Bodin (1530-
1596) et d’Emerich de Vattel (1714-1767) jusqu’à nos jours, au nom de la
souveraineté de l’Etat, détournée indûment et par inadverptance des relations

interétatiques pour être introduite dans les relations intra-étpatiques, des mil -
lions d’êtres humains ont été sacrifiés. Les abus de lapngage, ayant des rép-er
cussions dans la doctrine des publicistes, ont voulu exercer une influence sur

la scène internationale, à quelques fins que ce soit, sans aucunpe considération
éthique.
164. On a compris bientôt qu’il devait y avoir des limites à ce que pl’on

pouvait faire dans la sphère des relations interétatiques. La langpue juri -
dique internationale s’est alors engagée dans la reconnaissance etp la
construction du principe de l’égalité des Etats, mais là encpore dans le

cadre de la souveraineté (interne et externe), suivant une perspectpive et
une réflexion essentiellement centrées sur l’Etat 195. Ce fut dans la perspec-

tive interétatique brouillée de souverainetés en confrontation ppotentielle
ou actuelle qu’un certain jargon, rappelant le paradigme westphalien,p
devait faire florès. Tel fut le cas des immunités de l’Etat.

165. En fait, les origines du terme « immunité» (du latin immunitas, dérivé
de immunis) remontent au milieu du XVIII e siècle; le mot fut utilisé à partir
de cette époque pour désigner l’état de celui qui est exemptpé d’impôts, taxes
e
ou redevances. Vers la fin du XIX siècle, le terme « immunité» a été
introduit dans le lexique du droit constitutionnel et du droit international
(en relation avec les parlementaires et les diplomates, respectivement)p 196. En
197
droit pénal, il a été associé à «cause d’impunité» . En droit international,
ce terme peut également être utilisé en ce qui concerne les « prérogatives» de
l’Etat souverain 19.

166. Quoi qu’il en soit, en tant que tel, le terme « immunité» a toujours
été censé désigner quelque chose de totalement exceptionnel,p une exemption
de la juridiction ou de l’exécution 19. Il n’a jamais été censé être un « prin-

cipe», ni une norme d’application générale. Il n’a assurémpent jamais été

195S. Beaulac, The Power of Language in the Making of International Law, Leyde,
Nijhoff, 2004, p. 154-155 et 188, et voir p. 29, 190-191 et 196.
196 e
Dictionnaire historique de la langue française (dir. publ., A.Rey), 3 éd., Paris,
Dictionnaires Le Robert, 2000, p. 1070-1071 ; The Oxford English Dictionnary (dir. publ.,
J. A. Simpson et E. S. C. Weiner), 2 éd., vol. VII, Oxford, Clarendon Press, 1989, p. 691 ;
The Oxford Dictionary of English Etymology (dir. publ., C. T. Onions et al.), Oxford,
Clarendon Press, 1966, p. 463 ; Dictionnaire étymologique et historique du français (dir.
publ., J. Dubois, H. Mitterand et A. Dauzat), Paris, Larousse, 2007, p. 415.
197G. Cornu/Association Henri Capitant, Vocabulaire juridique, 8 éd. rév., Paris, PUF,

200198p. 467.
199Ibid., p. 468.
Dictionnaire de droit international public (dir. publ., J. Salmon), Bruxelles, Bruylant,
2001, p. 559-560.

145

6 CIJ1031.indb 287 22/11/13 12:25 241 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

tion, to except jurisdiction on, and to cover-up, international crimes, let

alone atrocities or grave violations of human rights or of internationalp
humanitarian law. It has certainly never been intended to exclude reparap-
tions to victims of such atrocities or grave violations. To argue otherwpise
would not only beg the question, but also incur a serious distortion of pthe

term “immunity”.
167. The theory of State immunity was erected at a time and in an
atmosphere which displayed very little concern with the treatment dis -

pensed by States to human beings under their respective jurisdictions.
Gradually, pursuant to an inter-State outlook perceived with myopia, thep
gradual introduction was to take place, towards the end of the nine -
teenth century — due to a large extent to the work of Italian and Belgian

courts, and of national courts of the leading trading nations — of the
distinction between acta jure imperii and acta jure gestionis : State immu -
nity was then limited only to the former, to the so-called acta jure imperii.

168. As this development took place, those responsible for it did not
have in mind international crimes: concern was rather turned to commer -
cial transactions mainly, so as to exclude the incidence of immunity whepn

the State was acting as a private entity. Reliance upon this distinctionp in
legislative endeavours, including the drafting of conventions on State
immunities — such as the 1972 European Convention on State Immunity,
adopted in Basel four decades ago and in force as from 1976 — served at
200
least to put an end to the notion of absolute immunity . Likewise, in the
American continent, the Inter-American Juridical Committee of the
Organization of American States (OAS) concluded, in 1983, the draft

Inter-American Convention on Jurisdictional Immunities of States, which p
took into account the on-going evolution towards restricting State immu -
nity.

169. Such evolution was prompted by the involvement of States in
commercial relations, excluded from the domain of State immunity. The
Inter-American Juridical Committee questioned the “rigidity” of the clasp -

sic distinction between acts jure imperii and jure gestionis, and 201used to
make reference to such traditional categorization of acts . In any case,
it deliberately shifted away from absolute immunity. The fact remains

200
Cf., in general, inter alia,H. Fox,The Law of State Immunity, 2nd ed., Oxford Unive-r
sity Press, 2008, pp. 502-598 ; M. Cosnard, La soumission des Etats aux tribunaux internes
face à la théorie des immunités des Etats, Paris, Pedone, 1996, pp. 203-403 ; T. R. Giuttari,
The American Law of Sovereign Immunity — An Analysis of Legal Interpretation, London,
Praeger Publs., 1970, pp. 63-142 ; I. Sinclair, “The Law of Sovereign Immunity — Recent
Developments”, 167 RCADI (1980), pp. 121-217 and 243-266 ; P. D. Trooboff, “Foreign
State Immunity : Emerging Consensus on Principles”, 200 RCADI (1986), pp. 252-274 ;
W. W. Bishop Jr., “New United States Policy Limiting Sovereign Immunity”, 47 Amer ‑
ican Journal of International Law (1953), pp. 93-106 ; J. Combacau, “L’immunité de l’Etat
étranger aux Etats-Unis :la lettre Tate vingt ans après”, 18 Annuaire français de droit inter‑
national (1972), pp. 455-468.
201
Cf. Comité Jurídico Interamericano, Informes y Recomendaciones, Vol. XV (1983),
Washington D.C., OEA/Secretaría General, 1983, p. 48.

146

6 CIJ1031.indb 288 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 241

conçu pour, par son invocation, exclure la compétence en cas de crpimes inter -

nationaux ni pour couvrir ces crimes, sans parler des atrocités ou vipolations
graves des droits de l’homme ou du droit international humanitaire. Il n’a
assurément jamais été censé exclure les réparations dues aux victimes de telles
atrocités ou violations graves. Arguer le contraire non seulement éluderait la

question, mais constituerait une grave distorsion du terme « immunité».
167. La théorie de l’immunité de l’Etat a été construite àp une époque et
dans une atmosphère qui ne se préoccupaient guère du traitement dis -

pensé par les Etats aux êtres humains placés sous leur juridictpion. Pro -
gressivement, dans une perspective interétatique atteinte de myopie, pon
assista, vers la fin du XIX e siècle, dans une large mesure en raison de
l’activité des tribunaux italiens et belges et des tribunaux interpnes des

principales nations commerçantes, à l’introduction de la distinpction entre
acta jure imperii et acta jure gestionis: l’immunité de l’Etat était alors limi -
tée aux premiers, les acta jure imperii.

168. Comme cette évolution se faisait jour, ceux qui en étaient respon -
sables n’avaient pas à l’esprit les crimes internationaux : leur souci était
plutôt, et principalement, les relations commerciales, et il s’agipssait

d’exclure l’immunité lorsque l’Etat agissait comme une entitpé privée.
La consécration de cette distinction dans des entreprises normatives,
y compris l’élaboration de conventions sur les immunités de l’Etat comme
la convention européenne de 1972 sur l’immunité des Etats, adop -

tée à Bâle il y a quatre décennies et entrée en vigueur en 1976, a au moins
servi à mettre fin à la notion d’immunité absolue 200. De même, sur le
continent américain, le comité juridique interaméricain de l’pOrganisation

des Etats américains (OEA) a conclu, en 1983, le projet de convention
interaméricaine sur les immunités juridictionnelles des Etats, qui tenait
compte de l’évolution en cours vers une restriction de l’immunipté de
l’Etat.

169. Cette évolution a été suscitée par l’implication des Etats dans
les relations commerciales, exclues du domaine de l’immunité de l’Eptat.
Le comité juridique interaméricain a mis en cause la « rigidité» de la dis-

tinction classique entre actes jure imperii et actes jure ges201nis, et a refusé
de recourir à cette catégorisation traditionnelle . Quoi qu’il en
soit, il s’est délibérément écarté de l’immunité absolue.p Le fait demeure

200 e
Voir en général, notamment, H. Fox, The Law of State Immunity, 2 éd., Oxford
University Press, 2008, p. 502-598 ; M. Cosnard, La soumission des Etats aux tribunaux
internes face à la théorie des immunités des Etats, Paris, Pedone, 1996, p. 203-40;3T. R. Giut-
tari, The American Law of Sovereign Immunity — An Analysis of Legal Interpretation,
Londres, Praeger Publs., 1970, p. 63-142 ; I. Sinclair, «The Law of Sovereign Immunity —
Recent Developments », RCADI, vol. 167 (1980), p. 121-217 et 243-266 ; P. D. Trooboff,
«Foreign State Immunity : Emerging Consensus on Principles », RCADI, vol. 200 (1986),
p. 252-274; W. W. Bishop Jr., « New United States Policy Limiting Sovereign Immunity »,
American Journal of International Law, vol. 47 (1953), p. 93-106 ; J. Combacau, « L’immu
nité de l’Etat étranger aux Etats-Unis : la lettre Tate vingt ans après », Annuaire français de
droit international, vol. 18 (1972), p. 455-468.
201
Voir Comité Jurídico Interamericano, Informes y Recomendaciones, vol. XV (1983),
Washington D.C., OEA/Secretaría General, 1983, p. 48.

146

6 CIJ1031.indb 289 22/11/13 12:25 242 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

that restrictive immunity entered into the lexicon of modern internationpal
law; but again, the underlying major concern, and the main motivation,

were with commerce, essentially with commercial relations and transac -
tions, excluded therefrom.

170. In his sharp criticism of State immunities in 1951, Hersch Lauter -

pacht challenged the prerogatives of the sovereign State that denied legpal
remedies to individuals for the vindication of their rights ; to him, abso -
lute immunity led to injustice, and the move towards restrictive immu -
nity, on the ground of the distinction between acts jure imperii and jure

gestionis, was not a solution either, it fa202d to provide a guide or basis for
the development of international law . To Lauterpacht, the concept of
State immunity was rather “absolutist”, a manifestation of the Hobpbesian
conception of the State ; rather than a principle, it was an “anomaly”, to

be reassessed in the gradual “general progression towards the rule ofp law
within the State” 20. After all, one could no longer “tolerate the injustice”
arising whenever the State “screens itself behind the shield of immunpity in
order to defeat a legitimate claim” 204.

171. This becomes clearer if we move away from the rather circum -
scribed historical context which motivated the formulation of the distinpc-

tion between acts jure imperii and jure gestionis, namely, trade relations
and transactions. If we enter the larger domain to the treatment dispensped
by the State to human beings under their respective jurisdictions, that p

traditional distinction will appear even more insufficient and inadequate.
One ought to proceed to the definitive overcoming of the strict and dan -
gerous exclusively inter-State outlook of the past.

XVII. The State-Centric Distorted Outlopok
in Face of the Imperatipve of Justice

172. The beginning of the personification of the State — in fact, of the
modern theory of the State — in the domain of international law took
place, in the mid-eighteenth century, with the work of Emer de Vattel (Le
droit des gens ou Principes de la loi naturelle appliquées à la co▯nduite et aux

affaires des nations et des souverains, 1758), which was to have many
repercussions in the international legal practice of his times. The emphpa -
sis on State personality and sovereignty led to the conception of an inter -
national law applicable strictly to the relations among States (the jus inter

gentes, rather than the jus gentium), that is, an inter-State legal order ; it

202
H. Lauterpacht, “The Problem of Jurisdictional Immunities of Foreign Staptes”, 28
British Yearbook of International Law (1951), pp. 220 and 226-227.
203 Ibid., pp. 232-233 and 249-250.
204 Ibid., p. 235.

147

6 CIJ1031.indb 290 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 242

que l’immunité restrictive est largement entrée dans le lexique du droit
international moderne, mais, une fois encore, la préoccupation majeure

et prioritaire et la principale motivation concernaient le commerce,
essentiellement les relations et transactions commerciales, exclues de
l’immunité.
170. Critiquant très vivement les immunités de l’Etat en 1951,

Hersch Lauterpacht a contesté les prérogatives de l’Etat souverain, leps -
quelles privaient les individus des recours juridiques pour faire valoir
leurs droits ; pour lui, l’immunité absolue était source d’injustice et la
transition vers l’immunité restrictive, sur la base de la distinctpion

entre actes jure imperii et jure gestionis, n’était pas non plus une
solution, en ce qu’elle n’offrait ni orientation ni fondement au déve-
loppement du droit international 202. Pour H. Lauterpacht, le concept de
l’immunité de l’Etat était quelque peu « absolutiste», une manifesta -

tion de la conception hobbesienne de l’Etat ; plutôt qu’un principe, il
s’agissait en fait d’une « anomalie» qu’il convenait de réévaluer dans le
cadre de la « progression générale vers l’état de droit à l’intérpieur de
l’Etat » 203. Après tout, on ne pouvait plus « tolérer l’injustice » qui exis -

tait chaque fois qu’un Etat « s’abrite derrière le bouclier de l’immunité
pour faire échec à une réclamation légitime » 20.
171. Cela devient plus clair si nous nous éloignons du contexte histo -
rique assez circonscrit qui a motivé la formulation de la distinction entre

actes jure imperii et jure gestionis, à savoir les relations et opérations com -
merciales. Si l’on entre dans le domaine plus large du traitement disppensé
par l’Etat aux êtres humains placés sous sa juridiction, cette pdistinction

traditionnelle apparaît encore plus insuffisante et inadéquate. Ipl faut arri -
ver à surmonter définitivement la perspective exclusivement inteprétatique
du passé, stricte et dangereuse.

XVII. La perspective interétpatique viciée
face à l’impératif de pjustice

172. Le début de la personnification de l’Etat — en fait, le début de la
théorie moderne de l’Etat — dans le domaine du droit international a eu
lieu au milieu du XVIII e siècle avec l’œuvre d’Emer de Vattel (Le droit des
gens ou Principes de la loi naturelle appliqués à la conduite et a▯ux affaires

des nations et des souverains, 1758), qui devait avoir de vastes répercus -
sions dans la pratique juridique internationale de son époque. L’apccent
mis sur la personnalité et la souveraineté de l’Etat a abouti àp la concep -
tion d’un droit international applicable strictement aux relations entre

Etats (le jus inter gentes, et non le jus gentium), c’est-à-dire un ordre juri -

202
H. Lauterpacht, « The Problem of Jurisdictional Immunities of Foreign States »,
British Yearbook of International Law, vol. 28 (1951), p. 220 et 226-227.
203 Ibid., p. 232-233 et 249-250.
204 Ibid., p. 235.

147

6 CIJ1031.indb 291 22/11/13 12:25 243 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

amounted to a reductionist outlook of the subjects of the law of nationsp,
admitting only and exclusively the States as such 20.

173. The consequences of this State-centric distortion were to prove
disastrous for human beings, as widely acknowledged in the mid-tenth
century. In the heyday of the inter-State frenzy, individuals had been rpel -

egated to a secondary level. To G. W. F. Hegel (1770-1831), apologist of
the Prussian State, for example, the individual was entirely subsumed
under the State ; society itself was likewise subordinated to the State 206.
The State was an end in itself (Selbstzweck), and freedom could only be
207
the one granted by the State itself . Hegel endorsed and justified the
authoritarian and absolutely sovereign State ; to him, the State should be
stronger than society, and individuals could only pursue their interestsp
208
within the sovereign State .
174. From the late nineteenth century onwards, legal positivism wholly
personified the State, endowing it with a “will of its own”, andp reducing

the rights of human beings to those which the State “conceded” to pthem.
The consent of the “will” of the States (according to the voluntaprist posi -
tivism) was erected into the alleged predominant criterion in internatiponal

law, denying jus standi to individuals, to human beings ; this rendered dif -
ficult a proper understanding of the international community, and undepr-
mined international law itself, reducing its dimension to that of a stripctly
209
inter-State law, no more above but rather among sovereign States . In
fact, when the international legal order moved away from the universal
vision of the so-called “founding fathers” of the law of nations (droit des

gens — supra), successive atrocities were committed against human
beings, against humankind.
175. Such succession of atrocities — war crimes and crimes against

humanity — occurred amidst the myth of the all-powerful State, and even
the social milieu was mobilized to that end. The criminal policies of thpe
State — gradually taking shape from the outbreak of the First World
War onwards — counted on “technical rationality” and bureaucratic

organization; in face of the aforementioned crimes, without accountabil -
ity, individuals became increasingly vulnerable 210, if not defenceless. It
soon became clear that there was a great need for justice, not only for the

victims of their crimes and their relatives, but for the social milieu aps a
whole; otherwise life would become unbearable, given the denial of the

205Cf., e.g., E. Jouannet, Emer de Vattel et l’émergence doctrinale du droit international
classique, Paris, Pedone, 1998, pp. 255, 311, 318-319, 344 and 347.
206
Eric Weil, Hegel et l’Etat [1950], 4th ed., Paris, Librairie Philosophique Vrin,
197207pp. 11, 24 and 44.
Ibid., pp. 45 and 53.
208Ibid., pp. 55-56, 59, 62, 100 and 103.
209P. P. Remec, The Position of the Individual in International Law According to Grotius▯
and Vattel, The Hague, Nijhoff, 1960, pp. 36-37.
210G. Bensoussan, Auschwitz en héritage ? D’un bon usage de la mémoire, 9th rev. ed.,
Paris, Mille et Une Nuits, 2006, pp. 174, 183, 187, 197 and 246.

148

6 CIJ1031.indb 292 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 243

dique interétatique ; il s’agissait d’une perspective réductionniste dans le
cadre de laquelle les Etats étaient seuls et exclusivement considéprés comme
des sujets du droit des nations 205.

173. Les conséquences de cette distorsion centrée sur l’Etat devaienpt se
révéler désastreuses pour les êtres humains, comme cela a été largement
reconnu au milieu du XX esiècle. A l’apogée de la frénésie interétatique,

les individus avaient été relégués au second rang. Pour G. W. F. Hegel
(1770-1831), apologiste de l’Etat prussien, par exemple, l’indivpidu était
entièrement assujetti à l’Etat ; la société elle-même était aussi subordon -
née à l’Etat 206. L’Etat était une fin en soi (Selbstzweck) et la liberté ne
207
pouvait être que celle qu’il accordait lui-même . Hegel soutenait et jus -
tifiait l’Etat autoritaire et absolument souverain ; pour lui, l’Etat devait
être plus fort que la société, et les individus ne pouvaient popursuivre leurs
208
intérêts que dans le cadre de l’Etat souverain .
174. A partir de la fin du XIX e siècle, le positivisme juridique a totale -
ment personnifié l’Etat, le dotant d’une « volonté propre» et réduisant les

droits des êtres humains à ceux que l’Etat leur « concédait». Le consen-
tement de la « volonté» des Etats (selon le positivisme volontariste) fut
érigé en critère prédominant en droit international, dénipant tout jus standi

aux individus, aux êtres humains; cela a rendu une compréhension appro -
priée de la communauté internationale difficile, et a porté atpteinte au droit
international lui-même, le réduisant à un droit strictement intperétatique,
209
non plus au‑dessus des Etats souverains mais entre eux . En fait, lorsque
l’ordre juridique international s’est éloigné de la vision upniverselle des
«pères fondateurs » du droit des nations (le droit des gens, voir supra),

des atrocités successives ont été commises contre des êtres phumains,
contre l’humanité.
175. Cette succession d’atrocités, crimes de guerre et crimes contre l’phu -

manité, est survenue alors que régnait le mythe de l’Etat tout-ppuissant,
et même le milieu social a été mobilisé à cette fin. Les politiques cri-
minelles de l’Etat qui ont progressivement pris forme depuis le dépclenche -
ment de la première guerre mondiale s’appuyaient sur la « rationalité

technique» et l’organisation bureaucratique ; face aux crimes susmention -
nés, en l’absence de responsabilité, les individus sont devenusp de plus en
plus vulnérables 210, sinon sans défense. Il est très vite apparu qu’il y avait

un immense besoin de justice, non seulement pour les victimes des crimes
des Etats et leurs proches, mais aussi pour le milieu social dans son enp -

205Voir par exemple E. Jouannet, Emer de Vattel et l’émergence doctrinale du droit
international classique, Paris, Pedone, 1998, p. 255, 311, 318-319, 344 et 347.
206 e
Eric Weil, Hegel et l’Etat [1950], 4 éd., Paris, Librairie philosophique J. Vrin, 1974,
p. 207 24 et 44.
Ibid., p. 45 et 53.
208Ibid., p. 55-56, 59, 62, 100 et 103.
209P. P. Remec, The Position of the Individual in International Law According to Grotius▯
and Vattel, La Haye, Nijhoff, 1960, p. 36-37.
210G. Bensoussan, Auschwitz en héritage ? D’un bon usage de la mémoire, 9 e éd. rév.,
Paris, Mille et Une Nuits, 2006, p. 174, 183, 187, 197 et 246.

148

6 CIJ1031.indb 293 22/11/13 12:25 244 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

human person, her annihilation, perpetrated by those successive crimes opf
State 21.

176. It was at the time of the prevalence of the inter-State myopia that
the practice on State immunity took shape and found its greatest developp -
ment, discarding legal action on the part of individuals against what capme

to be regarded as sovereign “acts of State”. Yet, the individual’ps submis -
sion to the “will” of the State was never convincing to all, and ipt soon
became openly challenged by the more lucid doctrine. The idea of abso -
lute State sovereignty — which led to the irresponsibility and the alpleged

omnipotence of the State, not impeding the successive atrocities commit -
ted by it (or in its name) against human beings — appeared with the pass-
ing of time entirely unfounded. The State — it is nowadays
acknowledged — is responsible for all its acts — both jure gestionis and
212
jure imperii — as well as for all its omissions . In case of (grave) viola -
tions of human rights, the direct access of the individuals concerned to
the international jurisdiction is thus fully justified, to vindicate spuch
rights, even against their own State 213.

XVIII. The Human Person and Stpate Immunities:

The Overcoming of the Strpict Inter-State Outlook

177. In the present case concerning the Jurisdictional Immunities of the

State (Germany v. Italy : Greece intervening) before this Court, we are
faced with a matter entirely different from those which prompted the tpra -
ditional doctrines of the past. We are here before the invocation of Stapte
immunity in respect of the perpetration of international crimes (of grave

violations of human rights and of international humanitarian law), and pof
the individual victims’ right of access to justice, in order to vindipcate their
right to reparation under general international law. What is the relevance
of that distinction between acta jure imperii and acta jure gestionis for the

consideration of the present case before the Court ? None.

178. War crimes and crimes against humanity are not to be considered
acta jure gestionis, or else “private acts” ; they are crimes. They are not to

be considered acta jure imperii either ; they are grave delicta, crimes. The
distinction between acts jure imperii and acts jure gestionis, between sov -
ereign or official acts of a State and acts of a private nature, is a rpemnant
of traditional doctrines which are wholly inadequate to the examination p

211
212 Op. cit. supra note 210, p. 207.
Ibid., pp. 247-259.
213 S. Glaser, “Les droits de l’homme à la lumière du droit internaptional positif”, in
Mélanges offerts à H. Rolin — Problèmes de droit des gens, Paris, Pedone, 1964, pp. 117-118,
and cf. pp. 105-106 and 114-116.

149

6 CIJ1031.indb 294 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 244

semble; à défaut, la vie deviendrait insupportable, étant donné lep déni de
la personne humaine, son annihilation, perpétré par ces crimes d’pEtat
211
successifs .
176. C’est à l’époque où la myopie interétatique prévalapit que la pra -
tique de l’immunité de l’Etat a pris forme et a atteint son plepin développe -
ment, refusant à l’individu toute possibilité d’agir en justpice contre ce qui

en est arrivé à être considéré comme des «actes de l’Etat» souverain. Pour -
tant, la soumission de l’individu à la « volonté» de l’Etat n’a jamais été
convaincante pour tous, et elle a bientôt été ouvertement contepstée par une
doctrine plus éclairée. L’idée de la souveraineté étatpique absolue, qui a

abouti à l’irresponsabilité et à la prétendue omnipotencep de l’Etat et n’a
pas empêché les atrocités successives commises par l’Etat (pou en son nom)
contre des êtres humains, est avec le passage du temps apparue comme p
totalement infondée. L’Etat — cela est aujourd’hui reconnu —p est respon -

sable de tous ses actes — aussi bien jure gestionis que jure imperii — ainsi
que de toutes ses omissions 212. En cas de violations (graves) des droits de
l’homme, l’accès direct des individus concernés à la justice internationale
est ainsi pleinement justifié, pour qu’ils puissent faire valoirp leurs droits,
213
même contre leur propre Etat .

XVIII. La personne humaine etp les immunités de l’Étpa:t

le dépassement de la peprspective strictemenpt interétatique

177. Dans la présente affaire concernant les Immunités juridictionnelles

de l’Etat (Allemagne c. Italie ; Grèce (intervenant)) dont la Cour est sai -
sie, nous sommes confrontés à une question totalement différepnte de celles
qui ont motivé les doctrines traditionnelles du passé. Nous sommesp en
présence de l’invocation de l’immunité de l’Etat en ce qupi concerne la

perpétration de crimes internationaux (des violations graves des dropits de
l’homme et du droit international humanitaire) et le droit des victipmes
individuelles d’avoir accès à la justice pour faire valoir leurps droits à répa -
ration en vertu du droit international général. En quoi la distincption entre

acta jure imperii et acta jure gestionis est-elle pertinente pour l’examen de
la présente affaire ? En rien.
178. Les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité ne doivent
pas être considérés comme acta jure gestionis, autrement dit des « actes

privés»; il s’agit de crimes. Ils ne doivent pas non plus être considéprés
comme acta jure imperii ; il s’agit de delicta graves, de crimes. La distinc -
tion entre actes jure imperii et actes jure gestionis, entre actes souverains
ou officiels d’un Etat et actes de caractère privé, est un vesptige de doc -

211
212 Op. cit. supra note 210, p. 207.
Ibid., p. 247-259.
213 S. Glaser, « Les droits de l’homme à la lumière du droit international positpif »,
Mélanges offerts à H. Rolin — Problèmes de droit des gens, Paris, Pedone, 1964, p. 117-118,
et voir p. 105-106 et 114-116.

149

6 CIJ1031.indb 295 22/11/13 12:25 245 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

of the present case on the Jurisdictional Immunities of the State before the

Court. Such traditional theories, in their myopia of State-centrism, forgot
the lessons of the founding fathers of the law of nations, pointing to tphe
acknowledgement that individuals are subjects of the law of nations (droit
des gens).

179. No State can, nor was ever allowed, to invoke sovereignty to
enslave and/or to exterminate human beings, and then to avoid the legal p
consequences by standing behind the shield of State immunity. There is
no immunity for grave violations of human rights and of international
humanitarian law, for war crimes and crimes against humanity. Immu -

nity was never conceived for such iniquity. To insist on pursuing a strictly
inter-State approach in the relationships of responsibility leads to manpi -
fest injustice. The present case of the Jurisdictional Immunities of the State
(Germany v. Italy: Greece intervening) gives eloquent testimony of this.

180. Individuals are indeed subjects of international law (not merely
“actors”), and whenever legal doctrine departed from this, the copnse -

quences and results were catastrophic. Individuals are titulaires of rights
and bearers of duties which emanate directly from international law (the
jus gentium). Converging developments, in recent decades, of the interna -
tional law of human rights, of international humanitarian law, and of thpe
international law of refugees, followed by those of international criminpal

law, give unequivocal testimony of this.

181. The doctrine of sovereign immunities, which blossomed with the
myopia of a State-centric approach — which could only behold inter-

State relations — unduly underestimated and irresponsibly neglected the
position of the human person in international law, in the law of nationsp
(droit des gens). The distinction between acts jure imperii and acts jure
gestionis is of no assistance to a case like the present one before the Court.
International crimes are not acts of State, nor are they “private actps”

either; a crime is a crime, irrespective of who committed it.

182. History shows that war crimes and crimes against humanity are
generally committed by individuals with the support of the so-called Stapte

“intelligence” (with all its cruelty), misuse of language, materpial resources
and the apparatus of the State, in pursuance of State policies. The indip -
vidual and the State responsibilities for such crimes are thus complemenp-
tary, one does not exclude the other ; there is no room for the invocation

of State immunities in face of those crimes.

183. Perpetrators of such crimes — individuals and States alike — can-
not seek to avoid the legal consequences of those anti-juridical acts, opf
those breaches of jus cogens, by invoking immunities. International legal

doctrine in our days appears to be at last prepared to acknowledge the

150

6 CIJ1031.indb 296 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 245

trines traditionnelles qui sont totalement inadéquates aux fins de pl’exa -
men de la présente affaire. Ces théories traditionnelles, dans lpa myopie de

leur focalisation sur l’Etat, oublient les leçons des pères fondateurs du
droit des nations, qui indiquent qu’il faut reconnaître que les inpdividus
sont des sujets du droit des nations (le droit des gens).
179. Aucun Etat ne peut, ni ne doit jamais être autorisé à, invoquerp la

souveraineté pour réduire des êtres humains en esclavage et/ou les exter -
miner, et ensuite se soustraire aux conséquences juridiques en s’apbritant
derrière le bouclier de l’immunité de l’Etat. Il n’y a pas d’immunité pour
les violations graves des droits de l’homme et du droit internationalp
humanitaire, pour les crimes de guerre et les crimes contre l’humanitpé.

L’immunité n’a jamais été conçue pour permettre une teplle inéquité.
S’obstiner à suivre une approche strictement étatique dans les prelations de
responsabilité aboutit à une injustice manifeste. La présente apffaire des
Immunités juridictionnelles de l’Etat (Allemagne c. Italie ; Grèce (interve‑
nant)) en témoigne éloquemment.

180. Les individus sont effectivement des sujets de droit international
(pas seulement des « acteurs»), et, chaque fois que la doctrine juridique
s’est écartée de cette proposition, les conséquences et les présultats ont été
catastrophiques. Les individus sont titulaires de droits et débiteursp d’obli -

gations qui découlent directement du droit international (le jus gentium).
Les évolutions convergentes intervenues ces dernières décenniesp dans le
droit international des droits de l’homme, le droit international humpani -
taire et le droit international des réfugiés, puis dans le droit ipnternational
pénal, en témoignent sans équivoque.

181. La doctrine des immunités souveraines, à laquelle la myopie d’upne
approche centrée sur l’Etat, qui ne pouvait envisager que les relaptions
interétatiques, a permis de prospérer, a indûment sous-estimép et négligé
de manière irresponsable la situation de la personne humaine en droitp
international, dans le droit des nations (droit des gens). La distinctpion

entre actes jure imperii et actes jure gestionis n’est d’aucune aide dans une
affaire comme la présente affaire. Les crimes internationaux ne spont pas
des actes d’Etat, pas plus qu’ils ne sont des « actes privés »; un crime est
un crime, quel que soit son auteur.

182. L’histoire montre que les crimes de guerre et les crimes contre
l’humanité sont généralement commis par des individus avec l’appui des
services de renseignements (« intelligence») de l’Etat (avec toute sa
cruauté), au moyen d’abus de langage et grâce aux ressources matérielles
et à l’appareil de l’Etat, dans la poursuite des politiques de pcelui-ci. Les

responsabilités de l’individu et de l’Etat pour de tels crimes psont ainsi
complémentaires, l’une n’exclut pas l’autre ; il n’y a aucune possibilité
d’invoquer les immunités de l’Etat face à de tels crimes.
183. Les auteurs de tels crimes, individus comme Etats, ne peuvent se
soustraire aux conséquences juridiques de ces actes antijuridiques, dpe ces

violations du jus cogens, en invoquant les immunités. La doctrine juri -
dique internationale contemporaine semble être au moins prête àp recon -

150

6 CIJ1031.indb 297 22/11/13 12:25 246 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

duties of States vis-à-vis individuals under their respective jurisdipctions .214
This should have been the primary concern in the adjudication of the

present case before the Court.

XIX. No State Immunities forp d elICta ImPerII

184. This brings me to the next point to consider, namely, the absence
or inadmissibility of State immunities in face of delicta imperii, of interna -

tional crimes in breach of jus cogens. I shall refer to two illustrations of
such delicta imperii often referred in the course of proceedings of the cas
d’espèce, namely, the perpetration of massacres of civilians in situations
of defencelessness (as illustrated, inter alia, by the massacre of Distomo in

Greece, and the massacre of Civitella in Italy), and the practice of deppor -
tation and subjection to forced labour in war industry, that took place p
during the Second World War. Such delicta imperii, marking the factual

origin of the claim of State immunity before the Court, were committed
within a pattern of extreme violence which led to several other episodesp of
the kind, not only in Greece and Italy, but also in other occupied coun -
tries as well, during the Second World War.

1. Massacres of Civilians in Situations of Defencelessness

(a) The massacre of Distomo

185. In my separate opinion at a prior stage of the present case oppos -
ing Germany to Italy, with Greece intervening (Court’s Order of 4 July
2011, on Greece’s Request for Intervention), I have already referredp to
the massacre of Distomo (on 10 June 1944) — wherein 218 villagers (men,

women and children) were murdered by the Nazi forces — a massacre
which was brought to the attention of the Court in the course of the prop -
ceedings. In that separate opinion, I evoked one of the historical accoupnts
of it (para. 29).

186. There are, furthermore, other historical accounts of that massa -
cre, including one of the devastation of, and the desolation in, the Grepek
village of Distomo, shortly after its perpetration : this was recalled by

Sture Linnér, the (then) Head of the Mission of the International Com -
mittee of the Red Cross (ICRC) in Greece, who arrived at the village
shortly after the aforementioned massacre in order to provide assistancep.

214Cf., e.g., J. Stigen, “Which Immunity for Human Rights Atrocities ?”, in Protecting
Humanity — Essays in International Law and Policy in Honour of N. Pillay (edEboe-
Osuji), Leiden, Nijhoff, 2010, pp. 750-751, 756, 758, 775-779, 785 and; M. Panezi,

“Sovereign Immunity and Violation of Jus Cogens Norms”, 56 Revue hellénique de droit
international (2003), pp. 208-210 and 213-214; P. Gaeta, “Are Victims of Serious Violations
of International Humanitarian Law Entitled to Compensation ?”International Humani‑
tarian Law and International Human Rights Law (ed. O. Ben-Naftali), Oxford University
Press, 2011, pp. 319-320 and 325.

151

6 CIJ1031.indb 298 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 246

naître les obligations des Etats vis-à-vis des individus placésp sous leur
juridiction 214. Tel aurait dû être le premier souci de la Cour dans la pré -

sente affaire.

XIX. Pas d’immunités de l’Éptat en cas de delICta ImPerII

184. Cela m’amène au point suivant de mon examen, à savoir l’absepnce
ou l’inadmissibilité des immunités de l’Etat face à des delicta imperii, ou

crimes internationaux violant le jus cogens. Je vais me pencher sur deux
exemples de tels delicta imperii souvent mentionnés lors de la présente
procédure, à savoir les massacres de civils sans défense (illupstrés notam -
ment par le massacre de Distomo en Grèce et le massacre de Civitella pen

Italie), et la pratique de la déportation et du travail forcé danps les indus -
tries de guerre durant la seconde guerre mondiale. Ces delicta imperii, qui
sont à l’origine factuelle de l’invocation de l’immunité pde l’Etat devant la

Cour, ont été commis avec une violence extrême et systématiqpue qui s’est
manifestée dans plusieurs autres épisodes de la même espèce,p non seule -
ment en Grèce et en Italie, mais aussi dans d’autres pays occupéps durant
la seconde guerre mondiale.

1. Massacres de civils sans défense

a) Le massacre de Distomo

185. Dans l’opinion individuelle que j’ai jointe à l’ordonnance rpendue
par la Cour le 4 juillet 2011 sur la requête en intervention de la Grèce
dans la présente affaire, j’ai souvent mentionné le massacre pde Distomo
(intervenu le 10 juin 1944), dans le cadre duquel 218 villageois (hommes,

femmes et enfants) ont été assassinés par les forces nazies, upn massacre
qui a été porté à l’attention de la Cour durant la procépdure. Dans cette
opinion individuelle, j’évoquais une des relations historiques de pcet événe -
ment (par. 29).

186. Il existe en outre d’autres comptes rendus historiques de ce mas -
sacre, y compris un faisant état de la dévastation et de la déspolation du
village grec de Distomo peu après sa commission : il émane de Sture Lin -

nér, qui était alors chef de la mission du Comité international de la Croix-
Rouge (CICR) en Grèce, qui est arrivé dans le village peu aprèps le
massacre pour apporter son assistance. Le compte rendu qui suit (extraipts)

214Voir par exemple J. Stigen, «Which Immunity for Human Rights Atrocities ? »,
Protecting Humanity — Essays in International Law and Policy in Honour of N. Pillay (dir.
publ., C. Eboe-Osuji), Leyde, Nijhoff, 2010, p. 750-751, 756, 758, 775-779, 785 et ;87

M. Panezi, « Sovereign Immunity and Violation of Jus Cogens Norms », Revue hellénique
de droit international, vol. 56 (2003), p. 208-210 et 213; P. Gaeta, « Are Victims of
Serious Violations of International Humanitarian Law Entitled to Compenspation ? »,
International Humanitarian Law and International Human Rights Law (dir. publ.,
O. Ben-Naftali), Oxford University Press, 2011, p. 319-320 et 325.

151

6 CIJ1031.indb 299 22/11/13 12:25 247 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

The account that follows (excerpt), describes the brutalities of the Nazi
forces, as verified in the bodies of the victims that he found at the pvillage
of Distomo and on the way thereto :

“We needed too much time to cross the broken roads and the many

blockades to reach, at dawn, the central road that led to Distomo.
From the edges of the road, vultures got up from low height, slowly
and unwillingly, when they heard us approach. From every tree, along

the road and for hundreds of metres, human bodies were hanging,
stabilised with bayonets, some of whom were still alive. They were
villagers who were punished in this way :they were suspected for help -

ing the partisans of the area, who attacked an SS detachment. The
smell was unbearable.

Inside the village, the fire was still burning in the ashes of the
houses. Hundreds of people, of all ages, from elders to newborns,
were lying on the ground. They [the Nazis] had torn the uterus and

removed the breasts of many women ;others were lying strangled with
their intestines still tied around their necks. It seemed that no one had
survived.

But ! An elder man at the end of the village ! He had miraculously
survived the massacre. He was shocked by the terror, his gaze was
empty and his speech was incomprehensible. We got out of the car in

the middle of the disaster and we shouted in Greek : ‘The Red Cross,
the Red Cross ! We came to help’.” 215

187. In the adjudication of the case of the Massacre of Distomo, the
legacy of the decisions of the Livadia Court of First Instance (case of Pre ‑

fecture of Voiotia v. Federal Republic of Germany, 1997) and of the Areios

215
“Απαιτήθηκε ανυπόφοpρα μεγάλο χρονικό διάpστημα έως ότου διασχίpσουμε τους
χαλασμένους δρόμουςp και τα πολλά μπλόκα γpια να φτάσουμε, χαράμpατα πια, στον
κεντρικό δρόμο που οδpηγούσε στο Δίστομο. Αpπό τις άκρες του δρόμpου ανασηκώνονταν
γύπες από χαμηλό ύψοςp, αργά και απρόθυμα, ότpαν μας άκουγαν που πλpησιάζαμε. Σε
κάθε δέντρο, κατά μήκpος του δρόμου για εκαpτοντάδες μέτρα, κρεμόpντουσαν ανθρώπινα
σώματα, σταθεροποιημpένα με ξιφολόγχες, κάpποια εκ των οποίων ήτpαν ακόμη ζωντανά.
Ήταν οι κάτοικοι του pχωριού που τιμωρήθηκpαν με αυτόν τον τρόποp : θεωρήθηκαν

ύποπτοι για παροχή βοpήθειας στους αντάρτεpς της περιοχής, οι οποpίοι επιτέθηκαν σε
δύναμη των Ες Ες. Η μυρpωδιά ήταν ανυπόφορη.
Μέσα στο χωριό σιγόκαpιγε ακόμη φωτιά στα αpποκαΐδια των σπιτιώνp. Στο χώμα
κείτονταν διασκορπιpσμένοι εκατοντάδες άpνθρωποι κάθε ηλικίαςp, από υπερήλικες έως
νεογέννητα. Σε πολλέςp γυναίκες είχαν σχίσεpι τη μήτρα με την ξιφοpλόγχη και αφαι-
ρέσει τα στήθη, άλλεςp κείτονταν στραγγαλιpσμένες, με τα εντόσθιpα τυλιγμένα γύρω από p
το λαιμό. Φαινόταν σαpν να μην είχε επιζήσεpι κανείς.
Μα να! Ένας παππούς στην άκpρη του χωριο!υΑπό θαύμα είχε καταφpέρει να γλτυώσει

τη σφαγή. Ήταν σοκαριpσμένος από τον τρόμο,p με άδειο βλέμμα, τα λόpγια του πλέον μη
κατανοητά. Κατεβήκαμpε στη μέση της συμφοράς και pφωνάζαμε στα ελλην:ικ «pάρυθρός
Σταυρός! Ερυθρός Σταυρός! ‘Ήρθαμε να βοηθήσουpμε’” (Sture Linnér, Min Odyssé (1982),
as reprinted in :Petros Antaios et al. (eds.), Η Μαύρη Βίβλος της Κατοχής (The Black Book
of Occupation), 2nd ed., Athens, National Council for the Claim of Reparations Owed byp
Germany to Greece, 2006, pp. 114-115.)[Unofficial translation.]

152

6 CIJ1031.indb 300 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 247

décrit les brutalités commises par les forces nazies, attestéesp par les corps
des victimes qu’il a trouvés dans le village de Distomo et sur la route y
menant :

«Il nous a fallu beaucoup trop de temps pour traverser les routes

détruites et les nombreux barrages pour atteindre, à l’aube, la route
centrale qui menait à Distomo. Sur les bords de la route, des vau -
tours ont pris de l’altitude, lentement et avec réticence, quand ils
nous ont entendus approcher. Sur chaque arbre, le long de la route

et sur des centaines de mètres, des corps humains pendaient, stabili -
sés par des baïonnettes, dont certains étaient encore en vie. Ipl s’agis-
sait des villageois punis de cette manière : ils étaient soupçonnés

d’avoir aidé les partisans de la région qui avaient attaqué pun détache -
ment SS. L’odeur était insupportable.
A l’intérieur du village, les maisons étaient en cendres, mais ple feu

brûlait encore. Des centaines de personnes, de tous âges, des per -
sonnes âgées aux nouveau-nés, étaient étendues sur le sol. Ils [les
nazis] avaient déchiré l’utérus et coupé les seins de nompbreuses

femmes ; d’autres gisaient étranglées, les intestins encore enroulés p
autour du cou. Il semblait que personne n’ait survécu.
Soudain, un vieil homme au bout du village ! Il avait miraculeuse -

ment survécu au massacre. Il était paralysé de terreur, son regard
était vide et ses paroles incompréhensibles. Nous sommes sortis dep
la voiture au milieu du désastre et avons crié en grec : « La Croix-
215
Rouge, la Croix-Rouge ! Nous venons vous aider ». »

187. Dans le jugement de l’affaire du Massacre de Distomo, il découle
des décisions du tribunal de première instance de Livadia (affaire Préfec ‑
ture de Voiotia c. République fédérale d’Allemagne, 1997) et de l’Areios

215 «Απαιτήθηκε ανυπόφορpα μεγάλο χρονικό διάσpτημα έως ότου διασχίσpουμε τους
χαλασμένους δρόμουςp και τα πολλά μπλόκα γpια να φτάσουμε, χαράμpατα πια, στον
κεντρικό δρόμο που οδpηγούσε στο Δίστομο. Αpπό τις άκρες του δρόμpου ανασηκώνονταν
γύπες από χαμηλό ύψοςp, αργά και απρόθυμα, ότpαν μας άκουγαν που πλpησιάζαμε. Σε

κάθε δέντρο, κατά μήκος του δρόμουp για εκατοντάδες μέτρpα, κρεμόντουσαν ανθρώpπινα
σώματα, σταθεροποιημpένα με ξιφολόγχες, κάpποια εκ των οποίων ήτpαν ακόμη ζωντανά.
Ήταν οι κάτοικοι του pχωριού που τιμωρήθηκpαν με αυτόν τον τρόποp : θεω ρήθηκαν
ύποπτοι για παροχή βοήθειας στους αντάρτες της περιοχής, οι οποίοι επιτέθηκαν σε
δύναμη των Ες Ες. Η μυρpωδιά ήταν ανυπόφορη.
Μέσα στο χωριό σιγόκαpιγε ακόμη φωτιά στα αpποκαΐδια των σπιτιώνp. Στο χώμα
κείτονταν διασκορπιpσμένοι εκατοντάδες άpνθρωποι κάθε ηλικίαςp, από υπερήλικες
έως νεογέννητα. Σε πολλές γυναίκες είχαν σχίσει τη μήτρα με την ξιφολόγχη και
αφαιρέσει τα στήθη, άpλλες κείτονταν στραγpγαλισμένες, με τα εντpόσθια τυλιγμένα γύρωp

από το λαιμό. Φαινόταpν σαν να μην είχε επιζpήσει κανείς.
Μα να! Ένας παππούς στην άκpρη του χωριο!υΑπό θαύμα είχε καταφpέρει να γλυτώσει
τη σφαγή. Ήταν σοκαριpσμένος από τον τρόμο,p με άδειο βλέμμα, τα λόpγια του πλέον μη
κατανοητά. Κατεβήκαμpε στη μέση της συμφορpάς και φωνάζαμε στα εpλλη:ν« ικΕάρυθρός
Σταυρός! Ερυθρός Σταυρός! ‘Ήρθαμε να βοηθήσουμε’» (Sture Linnér, Min Odyssé (1982),
reproduit dans Petros Antaios et al. (dir. publ.), Η Μαύρη Βίβλος τ▯ οχής (Le livre noir
de l’occupation), 2 éd., Athènes, Conseil national des demandes de réparations dues par
l’Allemagne à la Grèce, 2006, p. 114-115.) [Traduction non officielle.]

152

6 CIJ1031.indb 301 22/11/13 12:25 248 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

Pagos (2001, upon appeal from Germany) — whether one fully agrees
with the whole of their reasoning or not — is that the Third Reich’s acts
(of their armed forces) carried out in the territory of the forum Statpe (i.e.

the massacre of Distomo, in Greece) were not acts jure imperii, but rather
breaches of jus cogens (failing to comply with the obligations imposed
upon it by the Regulations annexed to the IV Hague Convention (1907)

respecting the Laws and Customs of War on Land), thereby di216rding thep
possibility of any invocation of sovereign immunity .
188. Furthermore, it should not pass unnoticed that, in the course of
the proceedings before this Court in the present case concerning the Juris ‑

dictional Immunities of the State, counsel for Germany took the commend-
able initiative — in a sign of maturity — of recognizing the responsibility
of the State for the massacre of Distomo. To this effect, in the publipc sit -

ting before the Court, after recalling the origins of the claim against Ger -
many “enshrined in the judgment of the Court of Livadia”, pertainipng to
the Massacre of Distomo case, counsel for Germany — though contending

that the issue of State immunity was a distinct one — stated :

“(. . .) Let me emphasize again: this was an abominable crime. We,
as counsel for Germany, in the name of Germany, deplore deeply
what happened at Distomo, being ourselves unable to understand

how military forces may exceed any boundaries of law and humanity
by killing women, children and elderly men (. . .).” 217

(b) The massacre of Civitella

189. Another massacre, in the same pattern of extreme violence, was
perpetrated, on 29 June 1944, by the Nazi forces in the town of Civitella

(near the town of Arezzo), in Italy, during which 203 civilians were kpilled.
The matter was again brought into the cognizance of the Italian Court of
Cassation, half a decade after its decision of 2004 in the Ferrini case.
Thus, on 29 May 2008, the Corte di Cassazione rendered 12 identical deci -
218
sions endorsing its position in the Ferrini case , to the effect that State

216
For the view that the focus on territoriality (of those two Greek courts’ decisions
as well as of the decision of the Italian Corte di Cassazione in the Ferrini case, 2004) could
have yielded to greater stress on universal values shared by the international community,
cf. Xiaodong Yang, “Jus Cogens and State Immunity”, 3 New Zealand Yearbook of Inter ‑
national Law (2006), pp. 163-164 and 167-169. And, on the divergences of State practice
causing the erosion of State immunities, in face of the growing demand fpor protection of
the rights of the human person, cf. R. Garnett, “Should Foreign State Immunity Be Aboli-

shed ?”, 20 Australian Year Book of International Law (1999), pp. 175-177 and 190.
217
CR 2011/20, p. 28, para. 28.
218Cf. R. Pavoni and S. Beaulac, “L’immunité des Etats et le jus cogens en droit inter -
national — Etude croisée Italie/Canada”, 43 Revue juridique Thémis (2009), Montréal,
pp. 503-506 and 515-516 ; and A. Atteritano, “Immunity of States and Their Organs : The
Contribution of Italian Jurisprudence over the Past Ten Years”, 19 Italian Yearbook of
International Law (2009), p. 35.

153

6 CIJ1031.indb 302 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 248

Pagos (2001, sur appel de l’Allemagne) — que l’on soit ou non pleine -
ment d’accord avec l’ensemble de leur raisonnement — que les actes du
IIIeReich (de ses forces armées) commis sur le territoire de l’Etat pdu for

(c’est-à-dire le massacre de Distomo en Grèce) étaient nonp pas des actes
jure imperii, mais bien des violations du jus cogens (non-respect des obli -
gations imposées par le Règlement annexé à la quatrième cponvention de

La Haye (1907) relatif au respect des lois et coutumes de la guerre sur 216
terre), ce qui élimine la possibilité d’invoquer l’immunitép souveraine .
188. De plus, il convient de remarquer que, au cours de la procédure
devant la Cour dans la présente affaire concernant les Immunités juridic ‑

tionnelles de l’Etat, le conseil de l’Allemagne a pris une initiative louable,
signe de maturité, en reconnaissant la responsabilité de l’Etatp pour le
massacre de Distomo. A cet effet, en audience publique, après avoirp rap -

pelé les origines de la demande formulée contre l’Allemagne « traitée dans
le jugement du tribunal de Livadia » concernant l’affaire du Massacre de
Distomo, le conseil de l’Allemagne — tout en affirmant que la question de

l’immunité de l’Etat était une question distincte — a déclaré :

«… Je ne le répéterai jamais assez : ce crime était abominable. En
tant que conseil de l’Allemagne, et au nom de cet Etat, nous déplop -
rons profondément les événements de Distomo, et ne parvenons paps

nous-mêmes à comprendre comment des militaires peuvent aller
au-delà de ce qu’exigent le droit et le principe d’humanité pen assassi -
nant des femmes, des enfants et des personnes âgées… » 217

b) Le massacre de Civitella

189. Un autre massacre a été perpétré avec la même violence extrême
le 29 juin 1944 par les forces nazies dans la ville de Civitella (près

d’Arezzo), en Italie, au cours duquel 203 civils ont été tués. La question a
de nouveau été portée devant la Cour de cassation italienne, unpe demi-
décennie après sa décision de 2004 dans l’affaire Ferrini. C’est ainsi que,
le 29 mai 2008, la Corte di Cassazione a rendu douze décisions identiques
218
reprenant la position qu’elle avait adoptée dans l’affaire Ferrini , à

216
Sur l’opinion selon laquelle l’accent mis sur la territorialitép (par les décisions des
tribunaux grecs comme par celle de la Corte di Cassazione italienne dans l’affaire Ferrini
en 2004) aurait pu mettre davantage à l’épreuve les valeurs universelles partagées par la
communauté internationale, voir Xiaodong Yang, «Jus Cogens and State Immunity »,New
Zealand Yearbook of International Law, vol. 3 (2006), p. 163-164 et 167-169. Et, sur les
divergences de la pratique des Etats amenant une érosion des immunitéps de l’Etat face à
l’exigence croissante de protection des droits de la personne humainep, voir R. Garnett,

«Should Foreign State Immunity Be Abolished ? », Australian Year Book of International
Law217ol. 20 (1999), p. 175-177 et 190.
CR 2011/20, p. 28, par. 28.
218Voir R. Pavoni et S. Beaulac, « L’immunité des Etats et le jus cogens en droit
international — Etude croisée Italie/Canada », Revue juridique Thémis, vol. 43 (2009),
Montréal, p. 503-506 et 515-516 ;et A. Atteritano, «Immunity of States and Their Organs :
The Contribution of Italian Jurisprudence over the Past Ten Years », Italian Yearbook of
International Law, vol. 19 (2009), p. 35.

153

6 CIJ1031.indb 303 22/11/13 12:25 249 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

immunity does not apply in cases of international crimes (grave breaches
of human rights and of international humanitarian law) amounting to

breaches of jus cogens.
190. Shortly afterwards, on 13 January 2009, the Italian Court of Cas -
sation again confirmed its position (judgment of 21 October 2008), in the
case of the Massacre of Civitella. In effect, the case Milde v. Civitella con -

cerned criminal proceedings against a Nazi officer, former member of thpe
Wehrmacht (the armed forces), who took part in that massacre, con -
ducted by the Hermann Göring tank division on 29 June 1944. The Corte
di Cassazione, having found that the Massacre of Civitella was an interna -

tional crime, denied immunity from civil jurisdiction, and upheld the
right to reparation of the victims or their surviving relatives, from thpe
Federal Republic of Germany and from Milde (as joint debtors).
191. The keypoint of the Italian Court of Cassation’s decision, in the
219
line of the interpretative guidelines of the Ferrini judgment , was its
denial of State immunity in the occurrence of State pursuance of a crimip -
nal policy conducive to the perpetration of crimes against humanity. The
decision of theCorte di Cassazione, in the case of theMassacre of Civitella,

was clearly value-oriented, in the sense that a State cannot avail itselpf of
immunity in case of grave violations of human rights; emphasis was led, in
such circumstances, on the individual victim’s right to reparation 220.

2. Deportation and Subjection to Forced Labour in War Industry

192. Attention has already been drawn to the long-standing prohibi -
tion, in the realm of international humanitarian law, of ill-treatment of

civilians, deported and subjected to forced labour in war industry, in
infrahuman conditions. This prohibition, as already pointed out, is set
forth at normative level, and found in works of codification of interna -
tional law. It amounts to cruel, inhuman and degrading treatment (in thpe

domain of international human rights law), and belongs to the domain ofp
jus cogens.
193. Such international crime soon met with judicial recognition, not
only of international criminal tribunals, such as in the pioneering triapls of

the Nuremberg and the Tokyo Tribunals, but also of international human
rights tribunals, as acknowledged by the recent adjudication by the
ECHR of the case Kononov v. Latvia (2008-2010). Such crime is not an
act jure imperii nor an act jure gestionis : it is an international crime, irre -

spective of whom committed it, engaging both State and individual
responsibility.

219
Cf. A. Gianelli, “Crimini Internazionali ed Immunità degli Stati dalla Giurisdizipone
nella Sentenza Ferrini”, 87 Rivista di diritto internazionale (2004), pp. 648-650, 655-657,
6602207, 671-680 and 683-684.
A. Ciampi, “The Italian Court of Cassation Asserts Civil Jurisdiction ovper Germany
in a Criminal Case relating to the Second World War — The Civitella Case”, 7 Journal
of International Criminal Justice (2009), pp. 605 and 607-608 ; and cf. pp. 599-601, on the
uniqueness of the Civitella proceedings.

154

6 CIJ1031.indb 304 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 249

savoir que l’immunité des Etats ne s’applique pas dans les cas pde crimes
internationaux (violations graves des droits de l’homme et du droit inter -

national humanitaire) constituant des violations du jus cogens.
190. Peu après, le 13 janvier 2009, la Cour de cassation italienne a
confirmé cette position (arrêt du 21 octobre 2008) dans l’affaire du Mas ‑
sacre de Civitella. En fait, l’affaire Milde c. Civitella concernait une instance

pénale engagée contre un officier nazi, ancien membre de la Wehrmacht (les
forces armées), qui avait participé au massacre perpétré papr la division blin -
dée Hermann-Göring le 29 juin 1944. La Corte di Cassazione, ayant jugé
que le massacre de Civitella constituait un crime international, a refuspé

d’accorder l’immunité de juridiction civile et a confirmé ple droit à répara -
tion des victimes ou de leurs parents survivants, un droit opposable àp la
République d’Allemagne et à Milde (en tant que débiteurs soplidaires).
191. Le point clé de la décision de la Cour de cassation italienne, danps
219
la ligne des directives d’interprétation de l’arrêt Ferrini , est qu’elle
déniait toute immunité à un Etat poursuivant une politique crimpinelle pro -
pice à la perpétration de crimes contre l’humanité. La dépcision de la Corte
di Cassazione dans l’affaire du Massacre de Civitella fut manifestement

axée sur les valeurs, au sens où un Etat ne peut se prévaloir dpe l’immunité
en cas de violations graves des droits de l’homme; l’accent est mis, dans de
telles circonstances, sur le droit à réparation de la victime indipviduelle 22.

2. Déportation et travail forcé dans l’industrie de guerre

192. L’attention a déjà été appelée sur le fait qu’il espt depuis longtemps
interdit, en droit international humanitaire, de maltraiter les civils, de les

déporter, ou de les forcer à travailler dans l’industrie de gueprre dans des
conditions inhumaines. Cette interdiction, comme on l’a déjà sopuligné, est
énoncée au niveau normatif et figure dans des codifications dup droit inter -
national. Elle relève des traitements cruels, inhumains ou dégradapnts

(dans le domaine du droit international des droits de l’homme) et dpu
domaine du jus cogens.
193. Ce crime international a rapidement été sanctionné par la justipce,
non seulement dans le cadre des tribunaux pénaux internationaux, commpe

lors des procès des tribunaux de Nuremberg et de Tokyo, mais aussi dapns
le cadre des tribunaux internationaux des droits de l’homme, comme l’at -
teste le jugement rendu récemment par la CEDH dans l’affaire Kononov
c. Lettonie (2008-2010). Un tel crime n’est pas un acte jure imperii ni un

acte jure gestionis : il s’agit d’un crime international, quel que soit son
auteur, engageant et la responsabilité de l’Etat et celle de l’pindividu.

219
Voir A. Gianelli, « Crimini Internazionali ed Immunità degli Stati dalla Giurisdi -
zione nella Sentenza Ferrini », Rivista di Diritto Internazionale, vol. 87 (2004), p. 648-650,
6552207, 660-667, 671-680 et 683-684.
A. Ciampi, «The Italian Court of Cassation Asserts Civil Jurisdiction over Germany
in a Criminal Case relating to the Second World War — The Civitella Case »,Journal of
International Criminal Justice, vol. 7 (2009), p. 605 et 607-6et voir p. 599-601 sur le
caractère unique de l’affaire Civitella.

154

6 CIJ1031.indb 305 22/11/13 12:25 250 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

194. Parallel to the concentration camps (of extermination), in the
course of the Second World War Nazi Germany established also a net -

work of forced labour camps, less studied by historians to date. They
were intended to exploit the forced labour of detainees from the occupied

countries. There were numerous camps of this kind, erected also by pri -
vate enterprises within their premises ; in this “privatized” system, the
forced labour of detainees was exploited 221, even without remuneration,

and in infra-human conditions of living, or rather surviving.

195. Those subjected to this ordeal were detained civilians and prison -

ers of war from occupied countries, who were deported to work in privatep
industry in Nazi Germany ; there, they were subjected to forced labour in
the production of weapons, in sub-human conditions of work 22. They

became part of a vast productive enterprise aimed at the planified destruc -
tion of the enemies and the perpetration of massacres, in a campaign of p
extermination in the so-called total war 22. Civilians, and prisoners of war
224
who became forced labourers , were all subsumed in this process of
dehumanization of all those involved in this enterprise.

196. The regime of forced labour during the Second World War —
insufficiently studied to date — was marked by manipulation, distortions

and lies; according to the few historical accounts available, workers were
constantly threatened, and forced labour was reduced into slave work in p
Nazi Germany’s war industry 225. From 1943 onwards, forced labour

became vital to Nazi Germany’s war efforts ; slave workers hoped to sur -
vive by participating, under coercion and domination, in the war industrpy
of their persecutors 226. Forced labour in occupied countries was put in

practice by the Third Reich with a long-term projection, in order to susp -
tain the war economy 227.

22C. R. Browning, A l’intérieur d’un camp de travail nazi— Récits des survivants :
mémoire et histoire, Paris, Les Belles Lettres, 2010, p. 24.
222
E. Traverso, La Violencia Nazi — Una Genealogía Europea, Buenos Aires/
Mexico D.F., Fondo de Cultura Económica, 2002, pp. 42-43, and cf. p. 92.
223The sinister book by E. Ludendorff (La guerre totale [1935], Paris, Perrin, 2010
(reed.), pp. 49-286), a crude incitement to total war (of extermination) involving the wphole
population, launched in 1935, had by 1939 sold some 100,000 copies, in apnticipation of
Hitler’s total war of 1939-1945, with its devastating consequences.

224
225E. Traverso, op. cit. supra note 222, pp. 96 and 100.
C. R. Browning, op. cit. supra note 221, pp. 34 and 197.
226Ibid., pp. 350-351.
227In this regard, Himmler is reported to have stressed, in a speech delivepred to the
senior leadership of the SS in June 1942, that “if we do not fill our camps with slaves
(. . .), then even after years of war we will not have enough money to be abple to equip the
settlements in such a manner that real Germanic people can live there anpd take root in the

first generation” ; cited in M. Mazower, Hitler’s Empire — Nazi Rule in Occupied Europe,
London, Penguin Books, 2009, p. 309.

155

6 CIJ1031.indb 306 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 250

194. Parallèlement aux camps de concentration (d’extermination),
durant la seconde guerre mondiale l’Allemagne nazie a aussi créép un

réseau de camps de travail forcé, moins étudiés jusqu’icip par les historiens.
Ces camps visaient à exploiter le travail forcé de prisonniers oripginaires de

pays occupés. Il y eut de nombreux camps de ce type, également conpstruits
par des entreprises privées dans des lieux leur appartenant ; dans ce
système « privatisé», le travail forcé des détenus fut exploité 221, sans

même être rémunéré, dans des conditions de vie, ou plutôpt de survie,
infra-humaines.
195. Les personnes soumises à cette épreuve étaient des civils et deps

prisonniers de guerre des pays occupés, qui furent déportés pour travailler
dans l’industrie privée en Allemagne nazie ; ils y furent soumis au travail
forcé pour la production d’armes dans des conditions de travail supb-
222
humaines . Ils prirent place dans une vaste entreprise de production
visant à la destruction planifiée d’ennemis et la perpétration de massacres,
en une campagne d’extermination menée dans le cadre de la guerre
223
totale . Des civils et des prisonniers de guerre devenus des travailleurs
forcés 224 furent tous soumis à ce processus de déshumanisation de tous

ceux qui participèrent à cette entreprise.
196. Le régime de travail forcé durant la seconde guerre mondiale,
insuffisamment étudié à ce jour, fut marqué par des manipulpations, dis -

torsions et mensonges. Selon les quelques comptes rendus historiques
existants, les travailleurs étaient constamment menacés, et le trapvail forcé
fut ramené à un travail d’esclave dans l’industrie de guerrep de l’Allemagne
225
nazie . A partir de 1943, le travail forcé devint vital pour les efforts de
guerre de l’Allemagne nazie ; les travailleurs-esclaves espéraient survivre
en participant, sous la contrainte et la domination, à l’industriep de guerre
226
de ceux qui les persécutaient . Le travail forcé dans les pays occupés fut
mis en pratique par le III e Reich avec une projection à long terme, afin de
227
soutenir l’économie de guerre .

221C. R. Browning, A l’intérieur d’un camp de travail nazi —Récits des survivants :
mémoire et histoire, Paris, Les Belles Lettres, 2010, p. 24.
222
E. Traverso, La Violencia Nazi — Una Genealogía Europea, Buenos Aires/
Mexico D.F., Fondo de Cultura Económica, 2002, p. 42-43, et voir p. 92.
223Le sinistre ouvrage de E. Ludendorff (La guerre totale [1935], Paris, Perrin, 2010
(rééd.), p. 49-286), une exhortation brutale à la guerre totale (d’extermination)p avec
la participation de l’ensemble de la population, publié en 1935, s’était en 1939 vendu à
quelque 100 000 exemplaires, anticipant la guerre totale d’Hitler de 1939-1945, avec pses
conséquences dévastatrices.
224
225E. Traverso, op. cit. supra note 222, p. 96 et 100.
C. R. Browning, op. cit. supra note 221, p. 34 et 197.
226Ibid., p. 350-351.
227A cet égard, Himmler aurait souligné, dans un discours prononcép devant les hauts
dirigeants de la SS en juin 1942, que, « si nous ne remplissons pas nos camps d’esclaves …,
même après des années de guerre nous n’aurons pas assez d’pargent pour équiper nos colo
nies de telle manière que le vrai peuple germanique puisse y vivre etp y prendre racine dès

la première génération » ;cité dans M. Mazower, Hitler’s Empire — Nazi Rule in Occupied
Europe, Londres, Penguin Books, 2009, p. 309.

155

6 CIJ1031.indb 307 22/11/13 12:25 251 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

197. Members of the civilian populations of the occupied countries
during the Second World War were deported and subjected to conditions

of slave labour in the war industry in Germany. Likewise — as the pres -
ent case discloses — besides civilians, members of the Italian armed forces

were denied and deprived of the status of prisoners of war (and the prop -
tections ensuing from that status) and used as forced labourers in the p
German war industry. These crimes, perpetrated with great cruelty 228,

generated, not surprisingly, much resentment in occupied countries, and p
incited the organized resistance movements therein to struggle against
them 229.

198. It is estimated that, “[b]y the fall of 1944, 7.7 million foreign
workers were in Germany” 230. The conditions of “slave labour” and
“forced labour” have thus been defined by German reparations lawp 23:

“[Slave labour :] Work performed by force in a concentration camp
(as defined in the German Indemnification Law) or a ghetto or anotpher

place of confinement under comparable conditions of hardship, as
determined by the German Foundation.

[Forced labour :] Work performed by force (other than ‘slave
labour’) in the territory of the German Reich or in a German-occupiepd

area, and outside the territory of Austria, under conditions resem -
bling imprisonment or extremely harsh living conditions ; or work
performed by force under a program of implementing the National

Socialist policy of ‘extermination through work’ (Vernichtung durch
Arbeit) outside the territory of Austria.” 232

228In one of the testimonies on them, from Maideneck (Communiqué of the Commis -
sion extraordinaire polono-soviétique), it is reported that :

“The Germans forced numerous groups (1,200 people) of professors, dpoctors,
engineers and other specialists brought over from Greece to carry out woprk beyond
their physical capabilities — the transport of heavy stones. The SS beat to death any
who fell, exhausted by this back-breaking work. That entire group of Greek intel-

lectuals was wiped out within five weeks by a system of starvation, grpuelling work,
beatings and murder.” [Translation by the Registry.] In : Paroles de déportés —
Témoignages et rapports officiels, Paris, Bartillat, 2009 (reed.), p. 113.

229
J. Bourke, La Segunda Guerra Mundial — Una Historia de las Víctimas, Barcelona,
Paidós, 2002, p. 43, and cf. pp. 144 and 175.
230J. Authers, “Making Good Again : German Compensation for Forced and Slave
Labourers”, in The Handbook of Reparations (ed. P. de Greiff), Oxford University Press,
2006, pp. 421-422.
231Law of 2000, Art. 11 (on “Eligible Persons”).

232
J. Authers, op. cit. supra note 230, p. 435.

156

6 CIJ1031.indb 308 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 251

197. Des membres des populations civiles des pays occupés durant la
seconde guerre mondiale furent déportés et astreints à travaillper comme

esclaves dans l’industrie de guerre en Allemagne. De même, comme lpe
révèle la présente affaire, outre des civils, des membres desp forces armées

italiennes se virent dénier le statut de prisonnier de guerre (et leps protec -
tions en découlant) et furent forcés à travailler dans l’inpdustrie de guerre
allemande. Ces crimes, commis avec une grande cruauté 22, ont suscité,

cela n’est pas surprenant, beaucoup de ressentiment dans les pays occpu -
pés, et incité les mouvements de résistance organisés de cesp pays à les
combattre 229.

198. On estime que, « à l’automne 1944, 7,7 millions de travailleurs
étrangers se trouvaient en Allemagne » 230. La « réduction en esclavage »
et le « travail forcé » ont été ainsi définis par la loi allemande sur les
231
réparations :

«[Réduction en esclavage :] Travail accompli de force dans un
camp de concentration (tel que défini dans la loi allemande d’indem -

nisation) ou un ghetto ou un autre lieu de détention dans des condi -
tions de pénibilité comparables, telles que définies par la fpondation

allemande.
[Travail forcé :] Travail exécuté de force (autre que la « réduction
en esclavage ») sur le territoire du Reich allemand ou dans une zone

occupée par l’Allemagne, et hors du territoire de l’Autriche, dpans une
situation comparable à la détention et dans des conditions de vie p
extrêmement dures ; ou travail exécuté de force dans le cadre d’un

programme de mise en œuvre de la politique nationale-socialiste
d’«extermination par le travail » (Vernichtung durch Arbeit) hors du
territoire de l’Autriche. » 232

228Dans l’un des témoignages les concernant, de Maideneck (Communiqué de la
Commission extraordinaire polono-soviétique), on peut lire ce qui supit :

«Les Allemands ont fait faire un travail au-dessus de leurs forces — lpe trans-
port de pierres lourdes — à de nombreux groupes (1 200 personnes) de profes -
seurs, médecins, ingénieurs et autres spécialistes amenés de la Grèpce. Les SS
frappaient à mort les savants qui tombaient, affaiblis par ce lourdp travail. Tout

ce groupe de savants grecs a été exterminé en cinq semaines parp un système de
famine, de travail épuisant, de matraquages et de meurtres. » Cité dans Paroles
de déportés — Témoignages et rapports officiels, Paris, Bartillat, 2009 (rééd.),
p. 113.
229
J. Bourke, La Segunda Guerra Mundial — Una Historia de las Víctimas, Barcelone,
Paidós, 2002, p. 43, et voir p. 144 et 175.
230J. Authers, « Making Good Again : German Compensation for Forced and Slave
Labourers », The Handbook of Reparations (dir. publ., P. de Greiff), Oxford University
Press, 2006, p. 421-422.
231Article 11 de la loi de 2000 (sur les « Personnes pouvant prétendre à

rép232tions »).
Cité dans J. Authers, op. cit. supra note 230, p. 435.

156

6 CIJ1031.indb 309 22/11/13 12:25 252 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

XX. The Prevalence of the pIndividual’s Right of Accpess to Justice :

The Contending Parties’p Invocation of the Casep g oIburú et a l.
(IACtHR, 2006)

199. From all the aforementioned, it results, in my perception, that it
is not at all State immunity that cannot be waived, as some droit‑d’étatistes
keep on insisting even in our days, seemingly incapable of learning the p

lessons of history (including international legal history). There is npo
immunity for crimes against humanity. In cases of international crimes, p
of delicta imperii, what cannot be waived, in my understanding, is the
individual’s right of access to justice, encompassing the right to reppara -

tion for the grave violations of the rights inherent to him as a human
being. Without that right, there is no credible legal system at all, at p
national or international levels.

200. Some decades ago, on the basis of a Kantian aphorism (“Out of
the crooked timber of humanity no straight thing was ever made”),

Isaiah Berlin pondered that “[t]he first public obligation is to avoid
extremes of suffering” 233. To force people into “neat uniforms” demanded
by dogmatisms — he added — is “almost always the road to inhuman -

ity”; the unprecedented atrocities of the twentieth century show that it is
possible to attain “a high degree of scientific knowledge and skillp” and yet
to subjugate, humiliate and “destroy others without pity” 23.

201. Tragedy — distinct from mere disaster — is due to “avoidable
human mistakes”, some with devastating consequences. At the end, con -
cluded Berlin, we are left with a constant return to the idea of an “pobjec-

tive” justice, to universal principles — in the line of natural lapw thinking,
forbidding the treatment of human beings “as means to ends” 235. In this
respect, another great thinker of the twentieth century, Simone Weil, pon -

dered, in an illuminating236say (of 1934, ever since republished in disptinct
countries and idioms) , that, from the times of The Iliad of Homer until
nowadays, the influence of war upon human beings has been constantly
revealing an “essential evil” of humanity, namely, “the substitpution of the

ends by the means”; the search for power takes the place of the ends, and
transforms human life into a means, which can be sacrificed 23.

202. From Homer’s Iliad until today — she added — the unreasonable
demands of the struggle for power leave no time to think of what is trulpy

233
I. Berlin, The Crooked Timber of Humanity — Chapters in the History of Ideas
[1959], Princeton University Press, 1991, p. 17, and cf. pp. 18-19.
234Ibid., pp. 19 and 180.
235Ibid., pp. 185, 204-205 and 257.
236S. Weil, “Réflexions sur les causes de la liberté et de l’opppression sociale”, Œuvres,
Paris, Quarto Gallimard, 1999, pp. 273-347.
237S. Weil, Reflexiones sobre las Causas de la Libertad y de la Opresión Social, Barce -
lona, Ed. Paidós/Universidad Autónoma de Barcelona, 1995, pp. 81-82.

157

6 CIJ1031.indb 310 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 252

XX. La prévalence du droit d’paccès à la justice

de l’individu: l’invocation par lesp Parties
de l’affaire g oIburú et autres (CIADH, 2006)

199. Il résulte selon moi de tout ce qui précède que ce n’est pas du tout
l’immunité de l’Etat qui ne peut être écartée, comme continuent de l’affir -
mer certains « droit-d’étatistes» même de nos jours, apparemment inca -

pables de tirer des leçons de l’histoire (y compris de l’histopire juridique
internationale). Il n’y a pas d’immunité pour les crimes contre l’humanité.
En cas de crimes internationaux, de delicta imperii, ce qui ne peut être
écarté, selon moi, c’est le droit de l’individu d’accépder à la justice, qui com -

prend le droit à réparation pour les violations graves des droits pde l’homme
qui lui sont inhérents en tant qu’être humain. En l’absence pde ce droit, il n’y
a absolument aucun système juridique crédible, au plan national oup inter -

national.
200. Il y a quelques décennies, sur la base d’un aphorisme kantien
(«On n’a jamais rien fabriqué de droit à partir du tronc tordu dep l’huma -

nité»), Isaiah Berlin se demandait si « [l]a première obligation publique
est d’éviter les extrêmes de la souffrance » 23. Forcer les gens à porter des
«uniformes soignés » comme l’exigeaient les dogmatismes, ajoutait-il, est

«presqueetoujours la voie de l’inhumanité »; les atrocités sans précédent
du XX siècle montrent qu’il est possible de parvenir à un « haut degré de
connaissance et de compétence scientifique » et pourtant de soumettre,
d’humilier et « de détruire d’autres personnes sans pitié » 23.

201. La tragédie, distincte d’une simple catastrophe, est due à des p
«erreurs humaines inévitables », dont certaines ont eu des conséquences
dévastatrices. Au final, concluait I. Berlin, on en revient toujours à

l’idée d’une justice « objective», à des principes universels, dans la ligne
du droit naturel, interdisant de traiter les êtres humains comme des p
«moyens de réaliser des objectifs » 23. A cet égard, un autre grand pen -
e
seur du XX siècle, Simone Weil, soulignait dans un essai éclairant 236
1934, republié depuis dans divers pays et diverses langues) que, depuis
le temps de L’Iliade d’Homère jusqu’à nos jours, l’influence de la guerre
sur les êtres humains avait toujours révélé un « mal essentiel» de l’huma -

nité, à savoir « le remplacement des fins par les moyens »; la recherche
du pouvoir se substitue aux fins, et transforme la vie de l’homme en upn
moyen, qui peut être sacrifié 237.

202. Depuis L’Iliade d’Homère jusqu’à nos jours, ajoutait-elle, les exi -
gences déraisonnables de la lutte pour le pouvoir ne laissent pas le ptemps

233
I. Berlin, The Crooked Timber of Humanity — Chapters in the History of Ideas
[1959], Princeton University Press, 1991, p. 17, et voir p. 18-19.
234Ibid., p. 19 et 180.
235Ibid., p. 185, 204-205 et 257.
236S. Weil, « Réflexions sur les causes de la liberté et de l’oppression sopciale »,Œuvres,
Paris, Quarto Gallimard, 1999, p. 273-347.
237S. Weil, Reflexiones sobre las Causas de la Libertad y de la Opresión Social, Barce -
lone, Ed. Paidós/Universidad Autónoma de Barcelona, 1995, p. 81-82.

157

6 CIJ1031.indb 311 22/11/13 12:25 253 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

important; individuals are “completely abandoned to a blind collectiv -
ity”, incapable of “subjecting their actions to their thoughts”p, incapable
238
of thinking . The terms, and distinction between “oppressors and
oppressed”, almost lose meaning, given the “impotence” of all individuals
in face of the “social machine” of destruction of the spirit and fpabrication
of the inconscience; all start living — or rather surviving — in the painful

domain of the inhuman, in a world wherein “nothing is the measure of p 239
man”, wherein there is no attention at all to the needs of the spirit .

203. The prevalence of the individual’s right of access to justice cannot p
be challenged even in the light of the stratified inter-State mechanism of
litigation before the ICJ. In this respect, in my dissenting opinion in pthe
case concerning Questions relating to the Obligation to Prosecute or Extra ‑

dite (Belgium v. Senegal), I deemed it fit to ponder that

“Facts tend to come before the norms, requiring of these latter the
aptitude to cover new situations they are meant to regulate, with due
attention to superior values 24. Before this Court, States keep on

holding the monopoly of jus standi, as well as locus standi in judicio,
in so far as requests for provisional measures are concerned, but this
has not proved incompatible with the preservation of the rights of the
human person, together with those of States. The ultimate beneficiar -

ies of the rights to be thereby preserved have been, not seldom and
ultimately, human beings, alongside the States wherein they live.
Reversely, requesting States themselves have, in their arguments
before this Court, gone beyond the strictly inter-State outlook of the

past, in invoking principles and norms of the international law of
human rights and of international humanitarian law, to safeguard the
fundamental rights of the human person.

In so far as material or substantive law is concerned, the inter-State
structure of litigation before this Court has not been an unsurmount -
able obstacle to such vindication of observance of principles and
norms of international human rights law and international humani -

tarian law (. . .).” (Provisional Measures, Order of 28 May 2009,
I.C.J. Reports 2009, pp. 174-175, paras. 23-34.)

204. Moreover, in my separate opinion appended to this Court’s Advi-
sory Opinion of the day before yesterday, on Judgment No. 2867 of the

Administrative Tribunal of the International Labour Organization upon a ▯

238
Op. cit. supra note 237, pp. 84 and 130.
239 Ibid., pp. 130-131.
240Cf., inter alia, G. Morin, La révolte du droit contre le code — La révision nécessaire
des concepts juridiques, Paris, Libr. Rec. Sirey, 1945, pp. 2, 6-7 and 109-115.

158

6 CIJ1031.indb 312 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 253

de penser à ce qui est réellement important ; les individus sont « complète-
ment abandonnés à une collectivité aveugle », incapables d’« assujettir
238
leurs actions à leurs pensées », incapables de penser . Les termes
«oppresseurs et opprimés » et la distinction entre eux perdent presque
leur sens, étant donné l’« impuissance» de tous les individus face à la
«machine sociale » de destruction de l’esprit et de fabrication de l’in -

conscience; nous commençons tous à vivre — ou plutôt à survivre —
dans le domaine douloureux de l’inhumain, dans un monde où « rien n’est
à la mesure de l’homme », ou l’on ne prête nulle attention aux besoins de
l’esprit239.

203. La primauté du droit d’accès à la justice de l’individu npe peut être
contestée même à la lumière du mécanisme judiciaire interétatique strati -
fié devant la CIJ. A cet égard, dans l’opinion dissidente que j’ai jointe à
l’ordonnance rendue par la Cour le 28 mai 2009 dans l’affaire des Ques ‑

tions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgiq▯ue c. Séné ‑
gal), j’ai jugé bon de faire observer ce qui suit :

«Les faits tendent à précéder les normes, qui doivent dès lors être
capables de s’étendre aux situations nouvelles qu’elles visent pà régle -
menter, compte dûment tenu des valeurs supérieures 240. Devant la

Cour, jus standiet locus standi in judicio demeurent certes le propre des
Etats, en ce qui concerne les demandes en indication de mesures
conservatoires, mais cela ne s’est pas révélé incompatible avec la pro -
tection des droits de la personne humaine, couplés à ceux des Etatps.

Après tout, les bénéficiaires ultimes des droits à sauvegaprder ainsi sont,
le plus souvent, des êtres humains en même temps que leurs Etats.
Réciproquement, les Etats demandeurs eux-mêmes ont, dans leurs
exposés devant la Cour, dépassé cette ancienne vision purement pinteré -

tatique, en invoquant des principes et des normes du droit internatio-
nal relatif aux droits de l’homme et du droit international humanitaipre
pour assurer la sauvegarde des droits fondamentaux de la personne
humaine.

Du point de vue du droit matériel ou des règles de fond, la struc -
ture interétatique des procédures de la Cour n’a jamais constitpué un
obstacle insurmontable empêchant de défendre ainsi le respect des p
principes et normes du droit international relatif aux droits de

l’homme et du droit international humanitaire… » (Mesures conser ‑
vatoires, ordonnance du 28 mai 2009, C.I.J. Recueil 2009, p. 174-175,
par. 23-24.)

204. De plus, dans l’opinion individuelle que j’ai jointe à l’avips consul -
tatif rendu avant-hier par la Cour dans la procédure concernant le Juge ‑
o
ment n 2867 du Tribunal administratif de l’Organisation internationale du

238
Op. cit. supra note 237, p. 84 et 130.
239Ibid., p. 130-131.
240Voir notamment G. Morin, La révolte du droit contre le code — La révision néces ‑
saire des concepts juridiques, Paris, Libr. Rec. Sirey, 1945, p. 2, 6-7 et 109-115.

158

6 CIJ1031.indb 313 22/11/13 12:25 254 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

Complaint Filed against the International Fund for Agricultural Develop ‑
ment, I dwell further upon this particular point. It is not my intention to
repeat herein the critical reflections I developed two days ago (keepping in

mind the Court’s mission as the principal judicial organ of the Unitepd
Nations), in my separate opinion in that Advisory Opinion. I thus limit
myself only to refer to those reflections herein, for the purposes of pthe
present dissenting opinion.

205. In the course of the proceedings in the present case concerning the
Jurisdictional Immunities of the State, both Germany and Italy expressly
referred to the judgment of 22 September 2006 of the IACtHR in the case
of Goiburú et al. v. Paraguay. Italy was the first to invoke this judgment

of the IACtHR, in its Counter-Memorial, of 22 December 2009, in sup -
port of its argument that the right of access to justice “is conceivepd in all
systems of human rights of protection as a necessary complement of the
rights substantively granted” (para. 4.94). Italy added that,

“Accordingly, it is not surprising that the Inter-American Court of

Human Rights has described access to justice as a peremptory norm
of international law in a case in which the substantive rights violated p
were also granted by jus cogens.” 241 (Para. 4.94.)

206. For its part, Germany referred to the IACtHR’s judgment in the
case of Goiburú et al., in the first round of its oral pleadings, so as to

respond to the argument of Italy in this regard. Germany first submitsp
that the Goiburú et al. case (in the line of other cases decided by the IAC -
tHR), in its view “did not concern war damages” (para. 25). Germany
added that that case concerned the right of access to justice in the Stapte

which was responsible for the wrongful act and thus did not concern the p
rule of foreign State immunity (para. 25) 24.
207. The case of Goiburú et al. pertained to the “Operation Condor”,
whereby the States of the Southern Cone of South America, during the

period of the dictatorships in the 70s, mounted a network of collabora -
tion of their so-called “intelligence services”, to pursue, at inter-State
level, their joint criminal policies of repression. These latter were
co-ordinated State policies of extermination of targeted segments of

their respective populations, consisting of “anti-insurrection” trpans-
frontier operations, which comprised illegal or arbitrary detentions, kipd -
nappings, torture, murders or extra-judicial executions, and forced
disappearances of persons. Planified at the highest level of the Statep, the

“Operation Condor” also secured the cover-up of the operations, and,

241Counter-Memorial of Italy, pp. 76-77.
242CR 2011/17, p. 44, para. 25 ;Germany also referred to “an approach similar to that of
the Inter-American Court of Human Rights”, taken one year later, by the UN Committee
of Human Rights, in its “general comment” No. 32, on Article 14 of the UN Covenant on
Civil and Political Rights.

159

6 CIJ1031.indb 314 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 254

Travail sur requête contre le Fonds international de développement▯ agricole,
je m’arrêtais plus avant sur ce point particulier. Je n’ai pas pl’intention de

reprendre ici les réflexions critiques que j’ai développéeps il y a deux jours
(en ayant à l’esprit la mission de la Cour en tant qu’organe jpudiciaire
principal des Nations Unies) dans l’opinion individuelle que j’ai jointe à
cet avis consultatif. Je me limite donc aux réflexions qui y figuprent et sont

pertinentes aux fins de la présente opinion dissidente.
205. Au cours de la procédure dans la présente affaire des Immunités
juridictionnelles de l’Etat, aussi bien l’Allemagne que l’Italie ont expres -
sément évoqué le jugement du 22 septembre 2006 de la CIADH dans

l’affaire Goiburú et autres c. Paraguay. L’Italie a été la première à invo -
quer ce jugement, dans son contre-mémoire en date du 22 décembre 2009,
à l’appui de son argument selon lequel, « dans tous les systèmes relatifs
à la protection des droits de l’homme », le droit d’accès à la justice « est

conçu comme un complément nécessaire des droits substantiels gapran -
tis» (par. 4.94). Elle ajoute :

«Il n’est donc pas surprenant que la Cour interaméricaine des
droits de l’homme ait caractérisé l’accès à la justicep comme étant une
norme impérative du droit international, dans une affaire où lesp

droits substantiels auxquels il était porté241teinte étaient épgalement
garantis par des règles de jus cogens. » (Par. 4.94.)

206. L’Allemagne a pour sa part évoqué le jugement rendu par la
CIADH dans l’affaire Goiburú et autres durant le premier tour de plaidoi -
ries pour répondre à l’argument de l’Italie sur ce point. L’Allemagne fait

tout d’abord valoir que l’affaire Goiburú et autres (comme d’autres affaires
tranchées par la CIADH) « ne concerne pas les dommages de guerre »
(par. 25). L’Allemagne ajoute que cette affaire portait sur l’accèps à la jus -
tice dans l’Etat responsable du fait illicite et ne concerne donc en paucune
242
manière la règle de l’immunité des Etats étrangers (par.p 25) .
207. L’affaire Goiburú et autres concernait l’«opération Condor», dans
le cadre de laquelle les Etats du cône sud de l’Amérique du Sudp, durant la
période de dictature des années 1970, ont organisé un réseau de collabo -

ration de leurs « services de renseignements » pour mettre en œuvre au
niveau interétatique leurs politiques criminelles communes de répression.
Il s’agissait de politiques d’Etat coordonnées d’exterminatipon de certains
segments de leurs populations respectives, qui consistaient en des opépra -

tions « contre-insurrectionnelles» transfrontières, à savoir des détentions
illégales ou arbitraires, des enlèvements, des actes de torture, des meurtres
et des exécutions extrajudiciaires, ainsi que des disparitions forcépes. Plani -
fiée au plus haut niveau de l’Etat, l’« opération Condor » assurait égale -

241
242Contre-mémoire de l’Italie, p. 76-77.
CR 2011/17, p. 44, par. 25 ; l’Allemagne évoquait également « une approche simi -
laire à celle de la Cour interaméricaine des droits de l’homme » adoptée une année plus tard
par le Comité des droits de l’homme des Nations Unies dans son «observation générale
n 32 sur l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ».

159

6 CIJ1031.indb 315 22/11/13 12:25 255 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

with that, the irresponsibility and the absolute impunity of the officipal
perpetrators 243.
208. In the cas d’espèce before the IACtHR, the respondent State itself

recognized, in a commendable spirit of procedural co-operation, its
own international responsibility for the existence, at the time the grave
wrongs took place, of a criminal State policy. Those were crimes of State,
of equivalent gravity to those perpetrated in Asia also in the 70s, in

Europe three decades earlier, and again in Europe, and in Africa, two
decades later. Time and time again succeeding generations witnessed, in p
distinct regions of the world, the perpetration of true crimes of State
(whether segments of the international legal doctrine like this expresspion

or not).

209. In its judgment of 22 September 2006 in the case of Goiburú et
al., concerning Paraguay, the IACtHR established the grave violations of

human rights that had taken place, and, accordingly, it ordered the cor -
responding reparations. In an obiter dictum, the IACtHR observed that,
while the State, through its institutions, mechanisms and powers, shouldp
function “in such a way as to ensure protection against criminal actipon”,

in the present case, however, the instrumentalization of the State power
was a means to violate the rights that it should guarantee : worse still,
such breaches counted on “inter-State collaboration”, with the State con -
stituting itself as “the main factor of the grave crimes committed, giving
place to a clear situation of ‘State terrorism’” (paras. 66-67).

210. In my separate opinion in the Goiburú et al. case, I sought inter
alia to identify the elements of approximation and complementarity
(insufficiently dealt with by international legal doctrine to date) bpetween
the international law of human rights and international criminal law,

namely :(a) the (active and passive) international legal personality of the
individual ;(b) the complementarity of the international responsibility of
the State and that of the individual ; (c) the conceptualization of crimes
against humanity ;(d) the prevention and guarantee of non-repetition (of

the grave violations of human rights) ; and (e) the reparatory justice in
the confluence between the international law of human rights and interp -
national criminal law (para. 34) 244.
211. Although the “Operation Condor” belongs to the past, scars have

not yet healed, and they probably never will. The countries where it wasp
mounted still struggle with their past, each one in its own way. Yet, being
a region with a strong tradition of international legal thinking, advancpes
in international justice have occurred therein, as some cases, and otherp

situations of the kind, have been brought to international justice (befpore
the IACtHR), and no State of the region dares nowadays to invoke State p
immunity in respect of those crimes. May it here be recalled, in historipcal

243A. A. Cançado Trindade, Evolution du droit international au droit des gens — L’accès
des individus à la justice internationale :le regard d’un juge, Paris, Pedone, 2008, pp. 174-175.
244Ibid., pp. 139 and 167.

160

6 CIJ1031.indb 316 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 255

ment que les opérations resteraient secrètes et donc l’irresponpsabilité et
l’impunité absolues des agents de l’Etat responsables 24.
208. Dans le cas d’espèce dont était saisie la CIADH, l’Etat dépfendeur
lui-même a reconnu, dans un esprit louable de coopération procépdurale,

sa propre responsabilité internationale en raison de l’existence, pà l’époque
où les violations graves ont été commises, d’une politique d’Etat crimi ‑
nelle. Il s’agissait de crimes d’Etat, comparables par leur gravité aux
crimes perpétrés en Asie durant les années 1970 également, en Europe

trois décennies auparavant, et en Europe de nouveau, ainsi qu’en Apfrique,
deux décennies plus tard. A maintes reprises, des générations qpui se sont
succédé ont été les témoins, dans différentes régions du monde, de la per -
pétration de véritables crimes d’Etat (que certains segments de la doctrine
juridique internationale aiment ou non cette expression).

209. Dans son arrêt du 22 septembre 2006 dans l’affaire Goiburú et
autres, concernant le Paraguay, la CIADH a établi que des violations gravesp
des droits de l’homme s’étaient produites et, en conséquencep, a ordonné
des réparations. Dans un obiter dictum, elle a fait observer que, si l’Etat,

par le truchement de ses institutions, mécanismes et pouvoirs, devaitp fonc -
tionner «de manière à assurer une protection contre le crime », en l’espèce
le pouvoir de l’Etat avait été instrumentalisé pour violer lpes droits qu’il
était censé protéger: pire encore, les violations reposaient sur la « collabo -

ration interétatique », l’Etat devenant « le principal auteur des crimes
graves commis, instaurant clairement une situation de « terrorisme
d’Etat » » (par.66-67).
210. Dans mon opinion dissidente dans l’affaire Goiburú et autres, j’es -
sayais notamment de recenser les éléments d’approximation et dep complé -

mentarité (sur lesquels la doctrine ne s’est pas suffisamment pepnchée à ce
jour) entre le droit international des droits de l’homme et le droitp pénal
international, à savoir : a) la personnalité juridique internationale (active
et passive) de l’individu ; b) la complémentarité de la responsabilité

internationale de l’Etat et de celle de l’individu ; c) la conceptualisation
des crimes contre l’humanité ; d) la prévention et les garanties de non-
répétition (des violations graves des droits de l’homme) ; et e) la justice
réparatrice à la jonction du droit international des droits de l’homme et
244
du droit pénal international (par. 34) .
211. Bien que l’« opération Condor» appartienne au passé, elle a laissé
des cicatrices qui ne disparaîtront probablement jamais. Les pays danps les -
quels elle a été organisée luttent toujours avec leur passé, chacun d’une
manière qui lui est propre. Pourtant, l’Amérique du Sud étanpt une région

où la doctrine internationale est traditionnellement forte, des avancées
dans la justice internationale s’y sont produites, certaines affairpes et
d’autres situations du même genre ayant été portées devanpt la justice inter -
nationale, devant la CIADH, et aucun Etat de la région n’ose aujouprd’hui

243A. A. Cançado Trindade, Evolution du droit international au droit des gens — L’accès
des individus à la justice internationale : le regard d’un juge, Paris, Pedone, 2008, p. 174-175
244Ibid., p. 139 et 167.

160

6 CIJ1031.indb 317 22/11/13 12:25 256 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

perspective, that Article 8 of the 1948 Universal Declaration of Human

Rights, on the right to an effective remedy before competent national
courts to safeguard fundamental rights, has, as its travaux préparatoires
reveal, a Latin American origin, being a Latin American contribution to p
the Universal Declaration.

212. In effect, to uphold State immunity in cases of the utmost gravity
amounts to a travesty or a miscarriage of justice, from the perspective pnot
only of the victims (and their relatives), but also of the social milipeu con-
cerned as a whole. The upholding of State immunity, making abstraction

of the gravity of the wrongs at issue, amounts to a denial of justice top all
the victims (including their relatives as indirect — or even direct — vic -
tims). Furthermore, it unduly impedes the legal order to react in due ppro-
portion to the harm done by the atrocities perpetrated, in pursuance of p
State policies.

213. The finding of the particularly grave violations of human rights
and of international humanitarian law provides, in my understanding, a
valuable test for the removal of any bar to jurisdiction, in pursuance opf
the necessary realization of justice. In sum and conclusion on this point :
(a) there is no State immunity in such cases of extreme gravity, cases of

delicta imperii ; and (b) grave breaches of human rights and of interna -
tional humanitarian law ineluctably entail the duty to provide reparatiopn
to the victims.

XXI. The Individual’s Right ofp Access to Justice:
The Evolving Case Law towarpds Jus C ogens

214. Unlike the IACtHR, the ECHR has approached a fundamental
right, such as that of access to justice — and to a fair trial — (Articles 6 (1)

and 13 of the European Convention on Human Rights), with attention
drawn also to permissible or implicit limitations. Thus, in its jurisprudence
constante (judgments in cases Ashingdane v. United Kingdom, of 28 May
1985 ; Waite and Kennedy v. Germany, of 18 February 1999 ; T. P. and
K. M. v. United Kingdom, of 10 May 2001 ; Z. and Others v. United King ‑

dom, of 10 May 2001 ; Cordova v. Italy, of 30 January 2003 ; Ernst v. Bel‑
gium, of 15 July 2003 ; among others), the ECHR has laid down the test
for permissible limitations, namely, pursuance of a legitimate aim, proppor -
tionality, and no impairment of the essence of the right.

215. This flexibility was useful to the ECHR’s (Grand Chamber’s)
majority in the decisions on cases concerning immunities (cf. Section XII
supra). But it should not pass unnoticed that the Ashingdane case, which
marks the beginning of the adoption by the ECHR of this inadequate
approach to a fundamental right such as that of access to justice, was npot

a case of grave violations of human rights concerning several victims ; it

161

6 CIJ1031.indb 318 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 256

invoquer l’immunité de l’Etat en ce qui concerne ces crimes. Qup’il me soit

permis de rappeler ici, dans une perspective historique, que l’articlpe 8 de la
Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 a, en ce qui concerne
le droit à un recours effectif devant les juridictions nationales cpompétentes
contre les actes violant les droits fondamentaux, une origine latino-
américaine, comme ses travaux préparatoires l’attestent, et conpstitue une

contribution latino-américaine à la Déclaration universelle.
212. En fait, retenir l’immunité de l’Etat dans les cas les plus grapves
constitue une parodie ou un déni de justice, non seulement du point dpe
vue des victimes (et de leurs familles), mais aussi de celui du milieup social
concerné dans son ensemble. Admettre l’immunité de l’Etat enp faisant

abstraction de la gravité des violations en cause revient à dénpier la justice
à toutes les victimes (y compris leurs familles en tant que victimesp indi -
rectes, voire directes). De plus, cette acceptation empêche abusivement
l’ordre juridique de réagir en proportion du dommage causé par ples atro -
cités commises en exécution des politiques de l’Etat.

213. La constatation de violations particulièrement graves des droits
de l’homme et du droit international humanitaire constitue selon moi pun
critère précieux pour lever tout obstacle à la compétence, apfin de réaliser
la justice. En résumé et pour conclure sur ce point : a) il n’y a pas d’im -
munité de l’Etat dans de tels cas de gravité extrême, les caps de delicta

imperii ; etb) les violations graves des droits de l’homme et du droit inter -
national humanitaire impliquent nécessairement l’obligation de répparer
au profit des victimes.

XXI. Le droit d’accès à la jupstice de l’individu:
évolution de la jurisprpudence sur la loi du Jus Cogens

214. A la différence de la CIADH, la CEDH s’était penchée sur upn
droit fondamental, comme le droit d’accès à la justice et à pun procès équi -

table (articles 6, paragraphe 1, et 13 de la convention européenne des
droits de l’homme), en s’intéressant également aux restrictions admispsibles
ou implicites. Ainsi, dans sa jurisprudence constante (arrêts rendus dansp
les affairesAshingdane c. Royaume‑Uni, le 28 mai 1985; Waite et Kennedy
c. Allemagne, le 18 février 1999 ; T. P. et K. M. c. Royaume‑Uni, le

10 mai 2001; Z. et autres c. Royaume‑Uni, le 10 mai 2001 ; Cordova c. Ita ‑
lie, le 30 janvier 2003 ; Ernst c. Belgique, le 15 juillet 2003, entre autres), la
CEDH a énoncé les critères appliqués pour déterminer si upne restriction
est admissible, à savoir la poursuite d’un objectif légitime, lpa proportion -
nalité et l’absence d’atteinte à l’essence du droit.

215. Cette souplesse a été utile à la majorité de la CEDH (Grandpe
Chambre) dans les décisions rendues en matière d’immunité (voir sec -
tion XII supra). Mais il convient de remarquer que l’affaire Ashingdane, la
première dans laquelle la CEDH a adopté cette approche insuffisanpte
d’un droit fondamental comme le droit d’accès à la justice, n’était pas une

affaire de violations graves des droits de l’homme concernant plusipeurs

161

6 CIJ1031.indb 319 22/11/13 12:25 257 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

was rather a single individualized case, of alleged breaches of Articlesp 5 (1)

and (4) and 6 (1) of the European Convention, wherein the ECHR found
no violation of this latter. In sum, a fundamental right is, in my view,p to
be approached as such, and not as from permissible or “implicit” limita -

tions.

216. For its part, on the other side of the Atlantic, the IACtHR has

focused, to a far greater extent, on the essence of the fundamental right of
access to justice itself, and not on its “limitations”. These lattper have not
been used, or relied upon, to uphold State immunity — not until now.
The ECHR has granted the “margin of appreciation” to Contracting

States, the IACtHR has not done so (at least not in my times serving itp).
The result has been the approach, by the IACtHR, of the right of access
to justice (Articles 8 and 25 of the American Convention on Human

Rights) as a true fundamental right, with not much space left for consid -
eration of “limitations”. The major concern has been with its guarpantee.
217. The adjudication, by the IACtHR, of cases of gravity of viola -

tions of human rights, has led to a jurisprudential development stressinpg
the fundamental character of the right of access to justice. This right p
assumes an imperative character in face of a crime of State : it is a true

droit au Droit, a right to a legal order w245h effectively protects the fun -
damental rights of the human person , which secures the intangibility of
judicial guarantees (Articles 8 and 25 of the American Convention) in any
circumstances. We are here, in sum, in the domain of jus cogens 246, as the

IACtHR itself acknowledged in its judgments in the cases of Goiburú et
al. v. Paraguay (of 22 September 2006) and of La Cantuta v. Peru (of
29 November 2006) 24.

218. The ECHR could have reached a similar conclusion, had its
majority developed its reasoning on the corresponding provisions (Arti -
cles 6 (1) and 13 of the European Convention) with attention focused on

the essence of the right of access to justice, rather than on its permispsible
or implicit “limitations”. Had it done so — as it should — the Court’s

245IACtHR, case of Myrna Mack Chang v. Guatemala (judgment of 25 November 2003),
separate opinion of Judge Cançado Trindade, paras. 9-55.
246IACtHR, case of the Massacre of Pueblo Bello, concerning Colombia (judgment
of 31 January 2006), separate opinion of Judge Cançado Trindade, paras. 60-62 and 64.
247Paras. 131 and 160, respectively. On this jurisprudential construction,
cf. A. A. Cançado Trindade, “The Expansion of the Material Content of Jus Cogens : The

Contribution of the Inter-American Court of Human Rights”, La Convention européenne
des droits de l’homme, un instrument vivant — Mélanges en l’honneur de Ch. L. Rozakis
(eds. D. Spielmann et al.), Brussels, Bruylant, 2011, pp. 27-46 ; A. A. Cançado Trindade,
“Jus Cogens : The Determination and the Gradual Expansion of Its Material Content in
Contemporary International Case Law”, XXXV Curso de Derecho Internacional Orga ‑
nizado por el Comité Jurídico Interamericano — 2008, Washington D.C., Secretaría General
de la OEA, 2009, pp. 3-29; A. A. Cançado Trindade, “La Ampliación del Contenido Mate-
rial del Jus Cogens”, XXXIV Curso de Derecho Internacional Organizado por el Comité
Jurídico Interamericano — 2007, Washington D.C., Secretaría General de la OEA, 2008,
pp. 1-15.

162

6 CIJ1031.indb 320 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 257

victimes; il s’agissait d’un cas individuel unique de violations allégupées
des paragraphes 1 et 4 de l’article 5 et du paragraphe 1 de l’article 6 de la
convention européenne, la CEDH n’ayant relevé aucune violation pde ce

dernier. En résumé, c’est selon moi en tant que tel, et non du ppoint de vue
des restrictions admissibles ou «implicites», qu’un droit fondamental doit
être envisagé.

216. De l’autre côté de l’Atlantique, la CIADH a pour sa part accpordé
beaucoup plus d’attention à l’essence du droit fondamental d’paccès à la
justice lui-même, et non à ses «restrictions». Ces dernières n’ont jamais été
utilisées ni invoquées — à ce jour — pour admettre l’ipmmunité de l’Etat.

La CEDH a laissé une « marge d’appréciation» aux Etats contractants,
mais la CIADH n’a pas fait la même chose (au moins pas à l’pépoque où
j’en étais membre). De ce fait, cette dernière a envisagé lpe droit d’accès à la

justice (articles 8 et 25 de la convention américaine relative aux droits de
l’homme) comme un véritable droit fondamental, ne laissant pas beaucoup
de place aux « restrictions». Le principal souci a été de garantir ce droit.

217. Le jugement par la CIADH d’affaires de violations des droits de
l’homme d’une certaine gravité a amené une évolution jurisprudentielle
soulignant le caractère fondamental du droit d’accès à la jupstice. Ce droit

revêt un caractère impératif face à un crime d’Etat: c’est un véritable droit
au Droit, un droit à un ordre juridique qui protège effectivement les drpoits
fondamentaux de la personne humaine 245, qui assure l’intangibilité des

garanties judiciaires (articles 8 et 25 de la convention américaine) en
toutes circonstances. Nous sommes ici, pour résumer, dans le domaine pdu
jus cogens 246, comme la CIADH elle-même l’a reconnu dans ses arrêts

dans les affaires Goiburú et autres c. Paraguay (du247 septembre 2006) et
La Cantuta c. Pérou (du 29 novembre 2006) .
218. La CEDH aurait pu parvenir à une conclusion similaire si sa

majorité avait développé son raisonnement sur les dispositions correspon -
dantes (articles 6, paragraphe 1, et 13 de la convention européenne) en
faisant porter son attention sur l’essence du droit d’accès àp la justice et
non sur ses « restrictions» admissibles ou implicites. Si elle l’avait fait,

245
CIADH, affaire Myrna Mack Chang c. Guatemala, arrêt du 25 novembre 2003,
opinion individuelle du juge Cançado Trindade, par. 9-55.
246CIADH, affaire du Massacre de Pueblo Bello, concernant la Colombie, arrêt du
31 janvier 2006, opinion individuelle du juge Cançado Trindade, par. 60-62 et 64.
247Par. 131 et 160, respectivement. Sur cette construction jurisprudentielle, voir
A. A. Cançado Trindade, « The Expansion of the Material Content of Jus Cogens : The
Contribution of the Inter-American Court of Human Rights », La convention européenne
des droits de l’homme, un instrument vivant — Mélanges en l’honneur de Ch. L. Rozakis (dir.

publ., D. Spielmann et al.), Bruxelles, Bruylant, 2011, p. 27-46 ; A. A. Cançado Trindade,
«Jus Cogens : The Determination and the Gradual Expansion of Its Material Content in
Contemporary International Case Law », XXXV Curso de Derecho Internacional Organi ‑
zado por el Comité Jurídico Interamericano — 2008, Washington D.C., Secrétariat général
de l’OEA, 2009, p. 3-29 ; A. A. Cançado Trindade, « La Ampliación del Contenido Mate-
rial del Jus Cogens », XXXIV Curso de Derecho Internacional Organizado por el Comité
Jurídico Interamericano — 2007, Washington D.C., Secrétariat général de l’OEA, 2008,
p. 1-15.

162

6 CIJ1031.indb 321 22/11/13 12:25 258 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

majority would not have upheld State immunity the way it did (cf. Sec -
tion XII supra). In my perception, Articles 6 and 13 of the European
Convention — like Articles 8 and 25 of the American Convention —

point to an entirely different direction, and are not at all “limitped” with
regard to State immunity.
219. Otherwise States could perpetrate grave violations of human
rights (such as massacres or subjection of persons to forced labour) apnd

get away with that, by relying on State immunity, in a scenario of lawlepss -
ness. Quite on the contrary, States parties are bound, by Articles 6 and 13
of the European Convention, to provide effective (domestic) remediesp in
a fair trial, with all the guarantees of the due process of law, in any cir -

cumstances. This is proper of the rule of law, referred to in the preambple
of the European Convention. There is no room for the privilege of State
immunity here 24; where there is no right of access to justice, there is no
legal system at all. Observance of the right of access to justice is imppera -

tive, it is not “limited” by State immunity ; we are here in the domain of
jus cogens.
220. It is immaterial whether the harmful act in grave breach of human
rights was a governmental one (jure imperii), or a private one with the

acquiescence of the State (jure gestionis), or whether it was committed
entirely in the forum State or not (deportation to forced labour is a
trans-frontier crime). This traditional language — the conceptual poverty
of which is conspicuous — is alien to what we are here concerned with,
namely, the imperative of the realization of justice in cases of grave

breaches of human rights and of international humanitarian law. State
immunity does not stand in the domain of redress for grave violations ofp
the fundamental rights of the human person.

XXII. Out of Lawlessness : The Individual Victim’sp Right
to the Law (d roIt au d roIt )

221. This leads me to the right of access to justice, in its proper dimen -
sion: the right of access to justice lato sensu comprises not only the formal
access to justice (the right to institute legal proceedings), by meansp of an

effective remedy, but also the guarantees of the due process of law (pwith
equality of arms, conforming the procès équitable), up to the judgment (as
the prestation juridictionnelle), with its faithful execution, with the provi -
sion of the reparation due. The realization of justice is in itself a foprm of

reparation, granting satisfaction to the victim. In this way those victim -

248Cf., to this effect, J. Bröhmer, State Immunity and the Violation of Human Rights,
The Hague, Nijhoff, 1997, pp. 164, 181 and 186-188 ; W. P. Pahr, “Die Staatenimmunität
und Artikel 6 Absatz 1 der Europäischen Menschenrechtkonvention”, Mélanges offerts
à P. Modinos — Problèmes des droits de l’homme et de l’unification européen▯ne, Paris,
Pedone, 1968, pp. 222-232.

163

6 CIJ1031.indb 322 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 258

comme elle aurait dû, la majorité de la Cour n’aurait pas admisp l’immu -
nité de l’Etat (voir section XII supra). Selon moi, les articles 6 et 13 de la
convention européenne — comme les articles 8 et 25 de la convention

américaine — indiquent une direction totalement différente, ept ne sont
pas du tout « limités» en ce qui concerne l’immunité de l’Etat.
219. Autrement, les Etats pourraient perpétrer de graves violations des
droits de l’homme (par exemple massacrer des êtres humains ou lesp

contraindre à un travail forcé) et s’en tirer en invoquant l’immunité de
l’Etat, une situation de non-droit. Bien au contraire, les Etats partpies sont
tenus, en application des articles 6 et 13 de la convention européenne, d’ac -
corder des recours (internes) effectifs et un procès équitablep, avec toutes les

garanties judiciaires nécessaires, en toutescirconstances. C’est le propre de
l’état de droit, visé dans le préambule de la convention eurpopéenne. Il n’y a
pas de place ici pour le privilège de l’immunité de l’Etat 248; lorsqu’il n’y a
pas de droit d’accès à la justice, il n’y a pas du tout de spystème juridique. Le

respect du droit d’accès à la justice est impératif, il n’pest pas «limité» par
l’immunité de l’Etat; nous sommes ici dans le domaine du jus cogens.
220. Peu importe que l’acte préjudiciable violant gravement les droits p
de l’homme ait été commis par un gouvernement (jure imperii) ou par

une personne privée avec l’acquiescement de l’Etat (jure gestionis), ou
qu’il ait été commis ou non entièrement dans l’Etat du fopr (déportation
en vue d’un travail forcé dans le cadre d’un crime transfrontièpre). Cette
formulation traditionnelle — dont la pauvreté théorique est manifeste —
n’a rien à voir avec ce qui nous importe ici, à savoir l’imppératif de réalisa -

tion de la justice dans les cas de violations graves des droits de l’homme
et du droit international humanitaire. L’immunité de l’Etat n’pa pas cours
dans le domaine de la réparation des violations graves de droits fondpa -
mentaux de la personne humaine.

XXII. Sortir du non-droit : le droit au Droit
de la victime individueplle

221. Cela m’amène au droit d’accès à la justice, dans la dimenpsion qui
lui est propre : le droit d’accès à la justice lato sensu comprend non seule -
ment l’accès formel à la justice (le droit d’engager une inpstance judiciaire)

au moyen d’un recours effectif, mais aussi les garanties d’une procédure
régulière (l’égalité des armes assurant un procès équitable) jusqu’au juge -
ment (en tant que prestation juridictionnelle), son exécution scruppuleuse
et l’octroi de la réparation due. La réalisation de la justice pest en elle-

même une forme de réparation, accordant satisfaction à la victime. De

248Voir, sur ce point, J. Bröhmer, State Immunity and the Violation of Human Rights,
La Haye, Nijhoff, 1997, p. 164, 181 et 186-188; W. P. Pahr, «Die Staatenimmunität
und Artikel 6 Absatz 1 der Europäischen Menschenrechtkonvention », Mélanges offerts
à P. Modinos — Problèmes des droits de l’homme et de l’unification européen▯ne, Paris,
Pedone, 1968, p. 222-232.

163

6 CIJ1031.indb 323 22/11/13 12:25 259 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

ized by oppression have their right to the law (droit au Droit) duly vindi -
cated.
222. It is not my intention to dwell much further on this point — which
I have done elsewhere 249— but just refer to it in the course of my reason-
ing in the present dissenting opinion. May I just recall that, in its jurispru‑

dence constante, the IACtHR has rightly taken together the interrelated
provisions of the right to an effective remedy and the guarantees of dpue
process of law (Articles 8 and 25 of the American Convention on Human
Rights), while the ECHR has begun only more recently — in the course
of the last decade, from the case Kudla v. Poland (judgment of 18 October

2000) onwards — to follow the same approach, bringing together Arti -
cles 6 (1) and 13 of the European Convention on Human Rights. This is
reassuring, as the two provisions reinforce each other, to the benefit of
the protected persons. The jurisprudential construction of the two interp -

national human rights tribunals is today converging, in respect of the
right of access to justice lato sensu.

223. The individual’s right to reparation, as already pointed out, is one p
of its components. In the case Hornsby v. Greece (judgment of 19 March

1997), the ECHR, after recalling the right to institute proceedings before
a court and the right to procedural guarantees, added that the right of p
access to justice would be “illusory” if the legal system did not pallow a
final and operative binding judicial decision ; in the view of the ECHR, a

judgment not duly executed would lead to situations incompatible with
the rule of law which the States parties undertook to respect when they p
ratified the European Convention.
224. The jurisprudential construction bringing the right of access to
justice into the domain of jus cogens (supra) is, in my understanding, of

great relevance here, to secure the ongoing evolution of contemporary
international law upon humanist foundations. From this perspective, it ips
most unfortunate that the 2004 UN Convention on the Jurisdictional
Immunities of States and Their Property olympically ignored the inci -
dence of jus cogens. In its travaux préparatoires it had the occasion to take

it in due account, but it preferred simply not to do so : its draftsmen
dropped the matter in 1999, when the Working Group of the ILC was
evasive about it, and the Working Group of the Sixth Committee of the
UN General Assembly argued that the matter “was not yet ripe” for codp -

ification (as recalled with approval by the Court in the present Judgment,
para. 89).

225. This is simply not true, as, by that time, the IACtHR and the ad
hoc International Criminal Tribunal for the former Yugoslavia (ICTY)

were already engaged in their jurisprudential construction on the expandp -
ing material content of jus cogens (being the two contemporary interna -

24A. A. Cançado Trindade, Evolution du droit international au droit des gens gens —

L’accès des individus à la justice internationale (. . .), op. cit. supra note 243, pp. 113-119.

164

6 CIJ1031.indb 324 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 259

cette manière, les victimes de l’oppression voient leur droit au Dproit
dûment réalisé.
222. Je n’ai pas l’intention de m’attarder beaucoup plus sur ce poinpt, je
l’ai fait ailleurs4, mais seulement de le mentionner dans le cadre de mon
raisonnement dans la présente opinion dissidente. Je me contenterai dpe

rappeler que, dans sa jurisprudence constante, la CIADH a à juste titpre
tenu compte en même temps des dispositions connexes sur le droit àp un
recours effectif et les garanties judiciaires (articles 8 et 25 de la conven -
tion américaine relative aux droits de l’homme), alors que la CEDH n’pa
commencé que plus récemment, durant la dernière décennie, àp partir de

l’affaire Kudla c. Pologne (arrêt du 18 octobre 2000), à suivre la même
approche, en réunissant les articles 6, paragraphe 1, et 13 de la conven -
tion européenne des droits de l’homme. Cela est rassurant, car cesp deux
dispositions se renforcent mutuellement, au bénéfice des personnpes proté -

gées. La construction jurisprudentielle de ces deux juridictions internatio -
nales des droits de l’homme est en train de converger en ce qui conceprne
le droit d’accès à la justice lato sensu.
223. Le droit de l’individu à réparation, comme je l’ai déjàp souligné,
fait partie du droit d’accès à la justice. Dans l’affaire pHornsby c. Grèce

(arrêt du 19 mars 1997), la CEDH, après avoir rappelé le droit d’engager
une instance devant un tribunal et le droit à des garanties procédpurales, a
ajouté que le droit d’accès à la justice serait « illusoire» si le système juri -
dique ne prévoyait pas une décision judiciaire contraignante finpale et opé-

rante; pour la CEDH, un jugement qui n’est pas dûment exécuté aboputit
à une situation incompatible avec l’état de droit que les Etatsp parties se
sont engagés à respecter lorsqu’ils ont ratifié la conventpion européenne.
224. La construction jurisprudentielle faisant entrer le droit d’accès pà la
justice dans le domaine du jus cogens (supra) est selon moi extrêmement

pertinente en l’espèce, pour asseoir l’évolution en cours dup droit internatio -
nal contemporain sur des fondements humanistes. Dans cette perspective, pil
est extrêmement regrettable que la convention des Nations Unies sur les
immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens de 2004 ignorpe de
manière olympienne les incidences du jus cogens. Les travaux préparatoires

montrent que ses rédacteurs ont eu l’occasion d’en tenir dûmpent compte,
mais ils ont tout simplement préféré ne pas le faire : ils ont abandonné la
question en 1999, lorsque le groupe de travail de la CDI a été évasif sur cpe
point, et que le groupe de travail de la Sixième Commission de l’Apssemblée

générale des Nations Unies a affirmé que la question « ne sembl[ait] pas
assez mûre» pour être codifiée (affirmation que la Cour a rappeléep en l’ap -
prouvant dans le présent arrêt, par. 89).
225. Cela n’est tout simplement pas vrai car, à cette époque, la CIApDH
et le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) pétaient

déjà en train, dans leur jurisprudence, d’élargir la portépe matérielle du
jus cogens (il s’agit des deux juridictions internationales contemporaines

249A. A. Cançado Trindade, Evolution du droit international au droit des gens — L’accès

des individus à la justice internationale…, op. cit. supra note 243, p. 113-119.

164

6 CIJ1031.indb 325 22/11/13 12:25 260 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

tional tribunals which have most contributed to that development to
date) 25. There were, moreover, other manifestations of contemporary
international law that could have been taken into account, but were not.

The 2004 UN Convent251, which has not yet entered into force, has been
heavily criticized for not having addressed the problem of the jurisdic -
tional immunities of States in face of grave violations of human rights and

of international humanitarian law.
226. Its draftsmen were aware of the problem, but the Working Groups
of the ILC and of the VI Committee of the General Assembly, finding the
matter “not ripe” to be taken into account, took the easier path tpo con -

clude the Convention and have it approved, leaving the problem unre -
solved, continuing to raise uncertainties, — as the present case before this
Court concerning the Jurisdictional Immunities of the State bears witness

of. Worse still, the majority of the ECHR (Grand Chamber) in the Al‑
Adsani case (cf. supra) availed itself of that omission of the draftsmen of
the 2004 UN Convention to arrive at its much-criticized decision in
252
2001 , and, over a decade later, the Court’s majority in the present case p
does the same in the Judgment (paras. 89-90) adopted today. I cannot at
all accept that contemporary international law can thereby be “frozenp”,

and hence the care I have taken to elaborate and to present this dissentping
opinion.

XXIII. Towards the Primacy
of the Never Vanishing r eCta r atIo

227. Grave breaches of human rights and of international humanitar -
ian law amount to breaches of jus cogens, entailing State responsibility

with aggravating circumstances, and the right to reparation to the vic -
tims. This is in line with the idea of rectitude (in conformity with the recta
ratio of natural law), underlying the conception of law (in distinct legal
systems — Recht/diritto/droit/direito/derecho/right) as a whole. Before I

move on to this next point, may I, at this stage of the present dissentipng
opinion, raise just a couple of questions, which I find indeed approprpiate
to ask : when will human beings learn the lessons of the past, when will

250Cf. note 247 supra.
25E.g., L. Caflisch, “Immunité des Etats et droits de l’hommEvolution récente”,
in Internationale Gemeinschaft und Menschenrecht — Festschrift für G. Ress, Cologne/
Berlin, C. Heymanns Verlag, 2005, pp. 937-938, 943 and 945; C. Keith Hall, “UN Conven-
tion on State Immunity : The Need for a Human Rights Protocol”, 55 Internatioand

Comparative Law Quarterly (2006), pp. 412-413 and 426; L. McGregor, “Torture and State
Immunity : Deflecting Impunity, Distorting Sovereignty”, 18 European Journal of Interna
tional Law (2007), pp. 903-904, 914 and 918-919 ; L. McGregor, “State Immunity and Jus
Cogens”, 55 International and Comparative Law Quarterly (2006), pp. 437-439 and 445.

252The ECHR (Grand Chamber) referred in detail to that omission of the Working
Group of the ILC in 1999, in paragraphs 23-24, 62-63 and 65-67 of its judgment of
21 November 2001 in the Al‑Adsani case.

165

6 CIJ1031.indb 326 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 260

qui ont le plus contribué à cette évolution à ce jour) . Il existait, en outre,

d’autres manifestations du droit international contemporain qui auraipent
pu être prises en compte, mais ne l’ont pas été. La conventipon des
Nations Unies de 2004, qui n’est pas encore entrée en vigueur, a étép vive -
251
ment critiquée pour n’avoir pas abordé le problème des immunités juri-
dictionnelles de l’Etat face aux violations graves des droits de l’homme et
du droit international humanitaire.

226. Les rédacteurs de cette convention étaient conscients du pro -
blème, mais le groupe de travail de la CDI ainsi que celui de la Sixipème
Commission de l’Assemblée générale, estimant que la question n’était
«pas mûre », ont choisi la facilité afin que la convention soit conclue et

approuvée, le problème restant sans solution et empreint d’incertitude,
comme en témoigne la présente affaire concernant les Immunités juridic ‑
tionnelles de l’Etat. Pire encore, la majorité de la CEDH (Grande

Chambre), dans l’affaire Al‑Adsani (voir supra), a invoqué cette omission
des rédacteurs de la convention des Nations Unies de 2004 pour aboutir
à sa décision très critiquée en 2001 252et, plus d’une décennie plus tard, la

majorité de la Cour fait la même chose dans l’arrêt (par. 89-90) adopté
aujourd’hui dans la présente affaire. Je ne puis en aucune manièpre accep -
ter que le droit international contemporain soit ainsi « gelé», d’où le soin

que j’ai pris pour élaborer et présenter mon opinion dissidentep.

XXIII. Vers la primauté de la reCta ratIo ,

qui ne disparaît jamaips

227. Les violations graves des droits de l’homme et du droit internatio -

nal humanitaire constituent des violations du jus cogens qui engagent la
responsabilité de l’Etat avec des circonstances aggravantes, et oupvrent un
droit à réparation aux victimes. Cela est conforme à l’idépe de rectitude

(conformément à la recta ratio du droit naturel), qui sous-tend la concep -
tion du droit (dans les différents systèmes juridiques — Recht/diritto/droit/
direito/derecho/right) dans son ensemble. Avant de passer à mon point
suivant, je me permettrai, à ce stade de la présente opinion dissipdente, de

soulever simplement les questions que de fait je juge approprié de popser.

250 Voir note 247 supra.
251Par exemple L. Caflisch, « Immunité des Etats et droits de l’homme : Evolution
récente », Internationale Gemeinschaft und Menschenrecht — Festschrift für G. Ress,

Cologne/Berlin, C. Heymanns Verlag, 2005, p. 937-938, 943 et 945 ; C. Keith Hall,
«U N Convention on State Immunity : The Need for a Human Rights Protocol », Inter‑
national and Comparative Law Quarterly, vol. 55 (2006), p. 412-413 et 426; L. McGregor,
«Torture and State Immunity : Deflecting Impunity, Distorting Sovereignty », European
Journal of International Law, vol. 18 (2007), p. 903-904, 914 et 918-9; L. McGregor,
«State Immunity and Jus Cogens », International and Comparative Law Quarterly, vol. 55
(2006), p. 437-439 et 445.
252 La CEDH (Grande Chambre) a évoqué en détail cette omission dup groupe de travail
de la CDI en 1999 aux paragraphes 23-24, 62-63 et 65-67 de son arrêt du 21 novembre 2001
dans l’affaire Al‑Adsani.

165

6 CIJ1031.indb 327 22/11/13 12:25 261 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

they learn from the terrible sufferings of previous generations, of thpe kind
which lie in the factual origins of the present case ? As they have not
learned to date (as it seems), perhaps they never will.

228. When will they stop dehumanizing their fellow human beings ? As
they have not stopped to date, perhaps they never will. When will they

reflect in their laws the superior values (neminem laedere) needed to live in
peace and with justice ? As they have not done it yet, perhaps they never
will. In all probability, they will keep on living with evil, subjectingp them -
selves thereunder. Yet, even in this grim horizon, endeavours towards thpe

primacy of the recta ratio also seem never to vanish, as if suggesting that
there is still always hope, in the perennial quest for justice, never repaching
an end, like in the myth of Sisyphus.

229. It is thus not surprising to find that the (underlying) problem of
evil has been and continues to be one raising major concern, throughout
the history of human thinking. As lucidly warned, in the aftermath of thpe
Second World War, by R. P. Sertillanges, for centuries philosophers,

theologians and writers have drawn their attention to that problem, with -
out however finding a definite or entirely satisfactory answer to itp. In his
own words, “All souls, all groups and all civilizations fear evil. (p. . .) The
problem of evil calls into question the destiny of all, the future of
humankind.” 253

230. The effects of the planified criminal State policies of the Third
Reich over the population have been addressed by various contempo -
raries of those years of darkness. The historical novels of the thirtiesp, of a
sensitive person like Klaus Mann, for example, while criticizing the intpel -

lectuals who let themselves be co-opted by Nazism (in Mephisto, pub -
lished in 1936), or else describing the drama of those who emigrated inpto
exile to escape persecution (in Le volcan, published in 1939), are perme -
ated by premonitions of the social cataclysm that was soon to take placep

(like a volcano that was already erupting), and was to victimize millipons
of human beings 254— amongst whom forced labourers from the occu -
pied countries.
231. In fact, throughout the last century, there were States which

indeed pursued criminal policies — through those who spoke and acted in
their names (as institutions have no moral conscience) — and victimized
millions of human beings, incurring in responsibility for grave violatiopns
of human rights and of international humanitarian law of various kinds. p

The facts are fully documented nowadays by historians. What remains to
be further developed, by jurists, is the responsibility of States themseplves

253A.-D. Sertillanges, Le problème du mal — L’histoire, Paris, Aubier, 1948, p. 5.
[Translation by the Registry.]
254Cf. K. Mann, Mefisto [Mephisto, 1936], Barcelona, Debolsillo, 2006 (reed.),
pp. 31-366; K. Mann, Le volcan [1939], Paris, Grasset, 1993, pp. 9-404.

166

6 CIJ1031.indb 328 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 261

Quand les êtres humains tireront-ils des enseignements du passé ? Quand
tireront-ils des enseignements des souffrances terribles des généprations
précédentes, du type de celles constituant les origines factuellesp de la pré-

sente affaire? S’ils n’ont (comme il semble) rien appris jusqu’ici, peut-êptre
n’apprendront-ils jamais rien.
228. Quand cesseront-ils de déshumaniser leurs frères humains ?
Comme ils n’ont pas cessé à ce jour, peut-être ne le feront-pils jamais.

Quand traduiront-ils dans leurs lois les valeurs supérieures (neminem lae ‑
dere) nécessaires pour vivre dans la paix et la justice ? Comme ils ne l’ont
pas encore fait, peut-être ne le feront-ils jamais. Selon toute probapbilité,
ils continueront à vivre avec le mal, en se soumettant à lui. Pourptant,

même dans cette sombre perspective, les tentatives faites pour assurepr la
primauté de la recta ratio ne semblent non plus jamais disparaître, don -
nant à penser que, dans la quête éternelle de la justice, un esppoir demeure
qui n’aboutit jamais, comme dans le mythe de Sisyphe.

229. Il n’est ainsi pas surprenant de constater que le problème (sous-p
jacent) du mal a été tout au long de l’histoire de la pensépe humaine et
demeure une préoccupation majeure. Comme le révérend père Seprtillanges
l’a souligné avec lucidité après la seconde guerre mondiale,p durant des

siècles philosophes, théologiens et écrivains ont appelé l’pattention sur ce
problème, sans toutefois y trouver une solution définitive et enptièrement
satisfaisante. Pour lui, « l’angoisse du mal s’impose à toutes les âmes, à
tous les groupes et à toutes les civilisations… Le problème du pmal met en
cause la destinée de chacun, l´avenir du genre humain. » 253
e
230. Les effets des politiques étatiques criminelles planifiées du pIIR I eich
ont été décrits par divers contemporains de ces années de pépnombre. Les
romans historiques des années 1930 d’une personne sensible comme Klaus
Mann, par exemple, tout en critiquant les intellectuels qui se sont laispsé

coopter par le nazisme (dans Mephisto, publié en 1936) ou en décrivant le
drame de ceux qui se sont exilés pour échapper aux persécutionsp (dans Le
volcan, publié en 1939), sont empreints de prémonitions du cataclysme
sociétal qui allait bientôt se produire (comme un volcan déjàp en éruption)
254
et devait victimiser des millions d’êtres humains , parmi lesquels des res-
sortissants des pays occupés astreints au travail forcé.

231. En fait, tout au long du siècle dernier, des Etats ont effectivemenpt

mené des politiques criminelles par l’intermédiaire de ceux quip parlaient et
agissaient en leur nom (car les institutions n’ont pas de consciencep morale)
et victimisé des millions d’êtres humains, engageant leur respopnsabilité pour
toutes sortes de violations graves des droits de l’homme et du droit pinterna -

tional humanitaire. Les faits sont pleinement documentés aujourd’hui par
les historiens. Ce qui doit être davantage développé, cette foips par les

253A.-D. Sertillanges, Le problème du mal — L’histoire, Paris, Aubier, 1948, p. 5.

254Voir K. Mann, Mefisto [Mephisto, 1936], Barcelone, Debolsillo, 2006 (rééd.),
p. 31-366; K. Mann, Le volcan [1939], Paris, Grasset, 1993, p. 9-404.

166

6 CIJ1031.indb 329 22/11/13 12:25 262 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

(besides that of their officials) for the crimes perpetrated, which fprom time

to time, over decades, became the object of some rather solitary and pen -
etrating studies 255.
232. The human suffering which ensued from those atrocities (narrated

in some historical accounts and testimonies of surviving victims) can
hardly be measured, goes beyond imagination, and is simply devastating. p
Moreover, suffering projects itself in time, especially if victims of grave

violations of their rights have not found justice. In my own experience of
the international adjudication (in the IACtHR) of cases of massacres, p
there were episodes when, many years after their occurrence, the surviv -
ing victims (or their ayants droit) remained in search of judicial recogni -
256
tion of their suffering . Unlike what one may easily assume, human
suffering not always effaces with the passing of time : it may also increase,
in face of manifest injustice — and particularly in cultures that wisely

cultivate the links of the living with their dead. Human suffering, in cases
of persisting injustice, may project itself on an inter-generational scale.

233. The lucid German thinker Max Scheler (1874-1928), in an essay
published posthumously (Le sens de la souffrance, 1951), expressed his
belief that all sufferings of human beings have a meaning, and, the mopre
257
profound they are, the harder it is to struggle against their causes . And
in one of his thoughtful writings in the years following the Second Worlpd
War (an essay originally published in 1953), the learned German philoso -
pher Karl Jaspers (1883-1969) pondered that reason exists “only by deci -

sion”, it “arises from freedom”, it is inseparable from existence itself ;
although we know that we stand all at the mercy of events beyond our
control, “[r]eason can stand firm only in the strength of Reason itpself” 258.

234. Shortly afterwards, in his book Origine et sens de l’histoire (1954),
Karl Jaspers clearly expressed his belief that

“(. . .) It is on [natural law] that the law of nations is founded, on

[natural law] that a court would be constituted, within the world order,p
to protect the individual against abuse by the State by allowing him
recourse to effective justice, exercised in the name of huma sovereignty.
(. . .) [I]t can be shown that the totalitarian State and total war are

contrary to natural law, not only because they treat as an end that

255Cf., inter alia, Vespasien V. Pella, La criminalité collective des Etats et le droit pénal

de l’avenir, Bucharest, Imprimerie de l’Etat, 1925, pp. 1-340 ; Roberto Ago, “Le délit inter-
national”, 68 RCADI (1939), pp. 419-545 ; Pieter N. Drost, The Crime of State — Book I :
Humanicide, Leiden, Sijthoff, 1959, pp. 1-352; J. Verhaegen, Le droit international pénal de
Nuremberg — Acquis et regressions, Brussels, Bruylant, 2003, pp. 3-222.
256Cf. A. A. Cançado Trindade, El Ejercicio de la Función Judicial Internacional —
Memorias de la Corte Interamericana de Derechos Humanos, Belo Horizonte/Brazil, Edit.
Del Rey, 2011, pp. 159-165.
257M. Scheler, Le sens de la souffrance, Paris, Aubier, [1951], pp. 5 and 27.
258K. Jaspers, Reason and Anti‑Reason in Our Time [1953], Hamden/Conn., Archon
Books, 1971 (reed.), pp. 50, 59 and 84.

167

6 CIJ1031.indb 330 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 262

juristes, c’est la responsabilité des Etats eux-mêmes (outre cpelle de leurs

agents) pour les crimes perpétrés, responsabilité qui de tempsp à autre, au fil
des décennies, a fait l’objet d’études assez solitaires maisp pénétrantes . 255
232. La souffrance humaine causée par ces atrocités (relatées danps les

comptes rendus et témoignages historiques de survivants) ne peut guère être
mesurée, dépasse l’imagination et est tout simplement dévastpatrice. De plus,
la souffrance se projette dans le temps, en particulier si les victimes de viola -

tions graves de leurs droits n’ont pas obtenu justice. D’après pmon expérience
de l’examen des affaires de massacres par une juridiction internatiponale (la
CIADH), il existe des cas dans lesquels, de nombreuses années aprèps les faits,
les victimes survivantes (ou leurs ayants droit) continuent de rechercher une
256
reconnaissance judiciaire de leur souffrance . Contrairement à ce que l’on
aurait tendance à supposer, la souffrance humaine ne s’efface ppas toujours
avec le passage du temps: elle peut aussi augmenter face à l’injustice mani -

feste, en particulier dans les cultures qui cultivent avec sagesse les lpiens entre
les vivants et leurs morts. La souffrance humaine, dans les cas d’injustice
persistante, peut se projeter dans la dimension intergénérationnelple.

233. Le lucide penseur allemand Max Scheler (1874-1928), dans un
essai publié après sa mort (Le sens de la souffrance, 1951), se déclarait
convaincu que toutes les souffrances des êtres humains ont un sens et que
257
plus elles étaient profondes, plus dure était la lutte contre leurs causes .
Et, dans un de ses écrits pénétrants des années suivant la speconde guerre
mondiale (un essai initialement publié en 1953), l’éminent philosophe alle -
mand Karl Jaspers (1883-1969) a fait observer que la raison n’existe « que

par décision », elle « découle de la liberté », elle est inséparable de l’exis -
tence elle-même; bien que nous sachions que nous sommes tous à la merci
d’événements échappant à notre contrôle, « [l]a raison ne peut être solide
258
que dans la force de la Raison elle-même » .
234. Peu après, dans son ouvrage Origine et sens de l´histoire (1954),
Karl Jaspers a clairement exprimé sa conviction selon laquelle :

«… C’est sur [le droit naturel] que se fonde le droit des gens, surp lui

que se constituerait une juridiction, dans l´ordre mondial, pour protpé -
ger l’individu contre les abus de l’Etat en lui permettant de recourir à
une justice efficace, exercée au nom de l’humanité souveraine.p
… [O]n peut démontrer que l’Etat totalitaire, la guerre totale sont

contraires au droit naturel, non seulement parce qu’ils prennent pour

255Voir par exemple Vespasien V. Pella, La criminalité collective des Etats et le droit

pénal de l’avenir, Bucarest, Imprimerie de l’Etat, 1925, p. 1-340 ; Roberto Ago, « Le délit
international »,RCADI, vol. 68 (1939), p. 419-545 ; Pieter N. Drost, The Crime of State —
Book I : Humanicide, Leyde, Sijthoff, 1959, p. 1-352 ; J. Verhaegen, Le droit international
pénal de Nuremberg — Acquis et régressions, Bruxelles, Bruylant, 2003, p. 3-222.
256Voir A. A. Cançado Trindade, El Ejercicio de la Función Judicial Internacional —
Memorias de la Corte Interamericana de Derechos Humanos, Belo Horizonte/Brésil, Edit.
Del Rey, 2011, p. 159-165.
257M. Scheler, Le sens de la souffrance, Paris, Aubier, 1951, p. 5 et 27.
258K. Jaspers, Reason and Anti‑Reason in Our Time [1953], Hamden/Conn., Archon
Books, 1971 (rééd.), p. 50, 59 et 84.

167

6 CIJ1031.indb 331 22/11/13 12:25 263 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

which is the means and conditions of life, but also because they pro -
claim the absolute value of the means, thus destroying the sense of

the collective, of human rights.
Natural law is confined to organizing the conditions of life (. . .)
representing all aspects of the human condition in this world” 259.

235. In an illuminating essay published in Germany promptly after the
war, in 1946 (titled Die Schuldfrage/La question de la culpabilité) — derived

from a course he delivered in the winter of 1945-1946 at the University of
Heidelberg, which has been re-edited ever since and has survived the onsplaught
of the passing of time —, K. Jaspers distinguished between criminal guilt,

political guilt, moral guilt and metaphysical guilt, seeking to establisph degrees
of personal responsibility proportional to one’s participation in thep occur -
rences at issue. In one passage of his long-lasting essay, in addressingp the
“differentiation of the German guilt”, K. Jaspers, discarding excuses on the

basis of State sovereignty, asserted, in respect of the Second World Warp, that

“This time there can be no doubt that Germany planned and pre -
pared this war and started it without provocation from any other side.
It is altogether different from 1914. (. . .) Germany, (. . .) violating
international law, has committed numerous acts resulting in the exter -
260
mination of populations and in other inhumanities.”

236. And then he identified the question, which he phrased “How can
we speak of crimes in the realm of political sovereignty ?” — with what he
identified as “a habit of thought derived from the tradition of polpitical life
in Europe”. And he added that

“heads of States (. . .) are men and answer for their deeds. (. . .) The

acts of States are also the acts of persons. Men are individually
responsible and liable for them. (. . .) In the sense of humanity, of
human rights and natural law, (. . .) laws already exist by which crimes
may be determined.” 261

In fact, throughout all the proceedings before this Court in the presentp

case concerning the Jurisdictional Immunities of the State, Germany rec -
ognized its State responsibility (cf. paras. 24-31) for the historical facts
lying in the origins of the cas d’espèce.
237. Moreover, in the course of the last decades it provided the corre -

sponding compensation on distinct occasions and circumstances. In addi -
tion, on successive occasions, Germany — homeland of universal thinkers
and writers like, e.g., I. Kant (1724-1804) and J. W. Goethe (1749-1832) —

259 K. Jaspers, Origine et sens de l’histoire, Paris, Libr. Plon, 1954, p. 245. [Translation
by the Registry.]
260
K. Jaspers, The Question of German Guilt, N.Y., Fordham University Press, 2001
(reed.), p. 47. And cf. K. Jaspers, La culpabilité allemande, Paris, Editions de Minuit, 2007
(re261), pp. 64-65.
K. Jaspers, The Question of German Guilt,op. cit. supra note 260, pp. 49-50. And
cf. K. Jaspers, La culpabilité allemande, op. cit. supra note 260, p. 66.

168

6 CIJ1031.indb 332 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 263

un but ce qui est moyens et conditions de la vie, mais aussi parce
qu’ils proclament la valeur absolue des moyens, détruisant ainsi le

sens de l’ensemble, les droits de l’homme.
Le droit naturel se borne à organiser les conditions vitales[,] …
actualiser en ce monde la condition humaine dans son intégralité.» 259

235. Dans un essai éclairant publié en Allemagne peu après la guerrep,
en 1946 (sous le titre Die Schuldfrage/La question de la culpabilité), tiré d’un

cours donné durant l’hiver 1945-1946 à l’Université d’pHeidelberg, et qui a
toujours été réédité depuis et a survécu au passage dup temps, K. Jaspers
distinguait entre culpabilité pénale, culpabilité politique, cuplpabilité morale

et culpabilité métaphysique, en s’efforçant d’établipr, dans la responsabilité
personnelle, des degrés proportionnels à la participation aux faitps en cause.
Dans un passage de cet essai, K. Jaspers, au sujet de la « différenciation de
la culpabilité allemande», rejetant les excuses se fondant sur la souveraineté

de l’Etat, affirmait, en ce qui concerne la seconde guerre mondiale:

«Cette fois il n’est pas douteux que l’Allemagne ait préparé pméthodi -
quement la guerre et qu’elle l’ait commencée sans provocation venue de
l’autre côté. C’est tout différent de 1914… [L’] pAllemagne a commis de
nombreuses actions … contraires au droit des gens, qui menaient à pl’ex -
260
termination de populations entières et à d’autres faits inhumaipn»s.

236. Il a ensuite énoncé la question, en ces termes : «Comment peut-on
parler de crime dans le domaine de la souveraineté politique ?», évoquant
«une habitude de pensée issue de la tradition de la vie politique en
Europe». Et il a ajouté que

«les chefs d’Etat … sont des hommes, et ils sont responsables de lepurs

actes… Les actes de l’Etat sont en même temps des actes personnpels. Ce
sont des individus qui en portent la responsabilité… [A]u sens de pl’hu -
manité, des droits de l’homme et du droit naturel … il existe dpéjà des
lois pouvant servir de normes à la détermination des crimes» .261

En fait, tout au long de la procédure devant la Cour dans la présente

affaire des Immunités juridictionnelles de l’Etat, l’Allemagne a reconnu sa
responsabilité en tant qu’Etat (voir par. 24-31) à raison des faits histo -
riques qui sont à l’origine du présent cas d’espèce.
237. De plus, durant les dernières décennies, elle a accordé des indpemni -

sations en des occasions et circonstances distinctes. En outre, à plupsieurs
occasions, l’Allemagne — patrie de penseurs et d’auteurs universels comme,
par exemple, E.Kant (1724-1804) et J.W. Goethe (1749-1832) — a exprimé

259 K. Jaspers, Origine et sens de l’histoire, Paris, Libr. Plon, 1954, p. 245.

260
K. Jaspers, The Question of German Guilt, New York, Fordham University Press,
2001 (rééd.), p. 47 ; et voir K. Jaspers, La culpabilité allemande, Paris, Editions de Minuit,
200261rééd.), p. 64-65.
K. Jaspers, The Question of German Guilt, op. cit. supra note 260, p. 49-50 ; et voir
K. Jaspers, La culpabilité allemande, op. cit. supra note 260, p. 66.

168

6 CIJ1031.indb 333 22/11/13 12:25 264 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

expressed public apologies, such as the renowned silent apology of former
Chancellor Willy Brandt in Warsaw, Poland, on 7December 1970, among

other and successive acts of contrition. This being so, I wonder why Gerp-
many has not yet provided reparation to the surviving IMIs who have not p
received it to date (cf. infra), instead of having brought the present case

before this Court.
238. In my view, in the present Judgment the Court could and should
have gone beyond expressing its “surprise” and “regret” (papra. 99) at the
persistence of the unresolved situation concerning the IMIs. In effectp, to

attempt to make abstraction of grave violations of human rights or of
international humanitarian law, or to attempt to assimilate them to any
kind of “tort”, is like trying to withhold the sunlight with a blipndfold.
Even in the domain of State immunities, there has been acknowledgment

of the changes undergone by it, in the sense of restricting or discardinpg
such immunities in the occurrence of those grave breaches, due to the
advent of the international law of human rights, with attention focused p
262
on the right of access to justice and international accountability .

239. There is nowadays a growing trend of opinion sustaining the
removal of immunity in cases of international crimes, for which repara -
263
tion is sought by the victims . In effect, to admit the removal of State
immunity in the realm of trade relations, or in respect of local personapl
tort (e.g., in traffic accidents), and at the same time to insist on shielding
States with immunity, in cases of international crimes — marked by grave

violations of human rights and of international humanitarian law — in
pursuance of State (criminal) policies, in my perception amounts to a p
juridical absurdity.

XXIV. The Individuals’ Right top Reparation as Victims p
of Grave Violations of pHuman Rights and

of International Humapnitarian Law

1. The State’s Duty to Provide Reparation

to Individual Victims

240. As early as in 1927-1928, the PCIJ gave express judicial recogni -
tion to a precept of customary international law, reflecting a fundamepntal
principle of international law, to the effect that

262Cf. [Various Authors], Le droit international des immunités : contestation ou consoli‑
dation ?(Colloque de Paris de 2003, ed. J. Verhoeven), Paris/Brussels, LGDJ/Larcier, 2004,
pp. 6-7, 52-53 and 55.
263
Cf. ibid., p. 121, and cf. pp. 128-129, 138 and 274. And cf. also: M. Frulli, Immunità
e Crimini Internazionali — L’Esercizio della Giurisdizione Penale e Civile nei Confronti degli
Organi Statali Sospettati di Gravi Crimini Internazionali, Torino, G. Giappichelli Edit., 2007,
pp. 135, 140 and 307-309 ;[Various Authors], Droit des immunités et exigences du ‑rocès équi
table (Colloque de Paris de 2004, ed. I. Pingel), Paris, Pedone, 2004, pp. 20, 31, 150 and 152.

169

6 CIJ1031.indb 334 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 264

des excuses publiques, dont la fameuse excuse silencieuse de l’ex-chapncelier
Willy Brandt à Varsovie (Pologne) le 7 décembre 1970 est un exemple,

parmi d’autres actes de contrition successifs. Cela étant, je me demande
pourquoi l’Allemagne n’a pas encore versé de réparations aux internés mili -
taires italiens survivants qui n’en ont pas reçu à ce jour (voir infra), au lieu

de porter la présente affaire devant la Cour.
238. Selon moi, dans le présent arrêt, la Cour pouvait et devait faire p
davantage qu’estimer «surprenant» et «regrettable» (par. 99) que la situa -
tion des internés militaires italiens ne soit toujours pas réglépe. En effet,

tenter de faire abstraction des graves violations des droits de l’homme et du
droit international humanitaire, ou tenter de les assimiler à un quelpconque
«délit civil », est comme essayer de bloquer la lumière du soleil avec un
bandeau. Même dans le domaine des immunités de l’Etat propremenpt dit,

il a été reconnu qu’une évolution était intervenue dans lpe sens d’une limita -
tion ou d’un refus de ces immunités en cas de violations graves, epn raison
de l’apparition du droit international des droits de l’homme, l’pattention

s’étant portée sur le droi262’accès à la justice et l’pobligation internationale
de rendre des comptes .
239. Il existe aujourd’hui dans l’opinion une tendance croissante en
faveur de l’absence d’immunité en cas de crimes internationaux pdont les
263
victimes demandent réparation . En effet, admettre l’absence d’immunité
de l’Etat en matière de relations commerciales ou en ce qui concerpne les
quasi-délits (par exemple les accidents de la route), et insister dpans le même
temps pour que les Etats puissent s’abriter derrière l’immunitép en cas de

crimes internationaux — marqués par des violations graves des droits de
l’homme et du droit international humanitaire — en exécution dep poli -
tiques (criminelles) d’Etat, constitue selon moi une absurdité jpuridique.

XXIV. Le droit des individus à préparation
en tant que victimes dpe violations graves desp droits de l’homme

et du droit internatiopnal humanitaire

1. Obligation de l’Etat d’accorder une réparation

aux victimes individuelles

240. Dès 1927-1928, la CPJI a expressément conféré une reconnais -
sance judiciaire à un précepte du droit international coutumier, rpeflétant
un principe fondamental du droit international, estimant que

262Voir [divers auteurs], Le droit international des immunités :contestation ou consolida‑
tion ?(colloque de Paris de 2003, dir. publ., J. Verhoeven), Paris/Bruxelles, LGDJ/Larcier,
2004, p. 6-7, 52-53 et 55.
263
Voir ibid., p. 121, et voir p. 128-129, 138 et 274. Voir aussi M. FImmunità e
Crimini Internazionali — L’Esercizio della Giurisdizione Penale e Civile nei Confronti degli
Organi Statali Sospettati di Gravi Crimini Internazionali, Turin, G. Giappichelli Edit., 2007,
p. 135, 140 et 307-309 ;[divers auteurs], Droit des immunités et exigences du procès équitable
(colloque de Paris de 2004, dir. publ., I. Pingel), Paris, Pedone, 2004, p. 20, 31, 150 et 152.

169

6 CIJ1031.indb 335 22/11/13 12:25 265 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

“the breach of an engagement involves an obligation to make repa -
ration in an adequate form. Reparation therefore is the indispensable
complement of a failure to apply a convention.” (Factory at Chorzów,
Jurisdiction, Judgment No. 8, 1927, P.C.I.J., Series A, No. 9, p. 21.)

The PCIJ added that such reparation “must, as far as possible, wipe oput
all the consequences of the illegal act and re-establish the situation

which would, in all probability, have existed if that act had not been
committed” (Factory at Chorzów, Merits, Judgment No. 13, 1928, P.C.I.J.,
Series A, No. 17, pp. 29 and 47-48).
241. In the present case concerning the Jurisdictional Immunities of the

State, as already indicated, Germany itself recognized its State responsi -
bility for the grave breaches of human rights and of international human -
itarian law which rest in the factual origins of the cas d’espèce
(cf. Section III supra). The State’s obligation of reparation ineluctably

ensues therefrom, as the “indispensable complement” of those gravep
breaches. As the jurisprudence constante of the old PCIJ further indicated,
already in the inter-war period, that obligation is governed by interna -
tional law in all its aspects (e.g., scope, forms, beneficiaries) ; compliance
with it shall not be subject to modification or suspension by the resppon -

dent State, through the invocation of provisions, interpretations or
alleged difficulties of its own domestic law (Jurisdiction of the Courts
of Danzig, Advisory Opinion, 1928, P.C.I.J., Series B, No. 15, pp. 26-
27 ; Greco‑Bulgarian “Communities”, Advisory Opinion, 1930, P.C.I.J.,

Series B, No. 17, pp. 32 and 35 ; Free Zones of Upper Savoy and the Dis ‑
trict of Gex, Judgment, 1932, P.C.I.J., Series A/B, No. 46, p. 167 ; Treat‑
ment of Polish Nationals and Other Persons of Polish Origin or Speech
in the Danzig Territory, Advisory Opinion, 1932, P.C.I.J., Series A/B,

No. 44, p. 24).
242. The individuals’ right to reparation as victims of grave violations
of human rights and of international humanitarian law was much dis -
cussed before this Court in the present case. In this regard, Germany copn -
tended that, under general international law, individuals are not grantepd
264
the right of reparation, “and certainly not for war damages” . In its
view, “Article 3 of the IV Hague Convention of 1907, as well as Article 91
of the First Additional Protocol (of 1977) to the Four Geneva Conven -
tions on International Humanitarian Law of 1949, given the very struc -

ture of the Conventions, can only deal with State responsibility at
inter-State level, and, hence, cannot have any direct effect for individu-
als” 26. As to, more specifically, whether individual victims are conferred
rights which can be invoked before courts of law, Germany argued that

“it is hard to see how the unwarranted blend of two different conceppts,
one of which — the right of access to justice — is subjected to various

limitations, and the other of which — the alleged right of action as a

264CR 2011/17, p. 42.
265Ibid.

170

6 CIJ1031.indb 336 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 265

«la violation d’un engagement entraîne l’obligation de réparepr dans
une forme adéquate. La réparation est donc le complément indisppen -

sable d’un manquement à l’applicaoion d’une convention. » (Usino de
Chorzów, compétence, arrêt n 8, 1927, C.P.J.I. série A n 9, p. 21.)

La CPJI ajoutait que la réparation « doit, autant que possible, effacer
toutes les conséquences de l’acte illicite et rétablir l’éptat qui aurait vrai -
semblablement existé si ledit acte n’avait pas été commis » (Usine de
Chorzów, fond, arrêt n o 13, 1928, C.P.J.I. série A n 17, p. 29 et 47-48).

241. Dans la présente affaire concernant les Immunités juridictionnelles
de l’Etat, comme on l’a indiqué, l’Allemagne elle-même a reconnu sa rpes -
ponsabilité en tant qu’Etat pour les violations graves des droits pde

l’homme et du droit international humanitaire qui sont à l’origpine de la
présente affaire (voir section III supra). L’obligation de l’Etat de réparer
en découle nécessairement, en tant que « complément indispensable » de

ces violations graves. Comme l’indique en outre la jurisprudence consptante
de la CPJI, déjà entre les deux guerres, cette obligation est répgie par le
droit international dans tous ses aspects (par exemple quant à sa poprtée,
ses formes et ses bénéficiaires) ; son exécution ne saurait être soumise à

modification ou à suspension par l’Etat défendeur en invoquanpt les dispo -
sitions, interprétations ou difficultés touchant son droit internpe (Compé ‑
tence des tribunaux de Dantzig, avis consultatif, 1928, C.P.J.I. séri▯e B
no 15, p. 26-27 ; « Communautés» gréco‑bulgares, avis consultatif, 1930,
o
C.P.J.I. série B n 17, p. 32 et 35 ; Zones franchos de la Haute‑Savoie et du
Pays de Gex, arrêt, 1932, C.P.J.I. série A/B n 46, p. 167 ; Traitement des
nationaux polonais et des autres personnes d’origine ou de langue pol▯onaise
dans le territoire de Dantzig, avis consultatif, 1932, C.P.J.I. série▯ A/B
o
n 44, p. 24).
242. Le droit des individus à réparation en tant que victimes de viola -
tions graves des droits de l’homme et du droit international humanitapire a
été beaucoup débattu devant la Cour dans la présente espèce. A cet égard,

l’Allemagne a fait valoir qu’en droit international général pil n’existe pas de
droit individuel à réparation, « et en tout cas pas en ce qui concerne les
dommages de guerre » 264. Selon elle, « l’article 3 de la quatrième conven -
tion de La Haye de 1907 ainsi que l’article 91 du premier protocole addi -

tionnel de 1977 aux quatre conventions de Genève ne portent [en raison de
leur structure même] que sur la responsabilité interétatique etp ne peuvent
donc avoir d’effet direct pour les personnes physiques » 26. Sur le point

plus précis de savoir si les victimes individuelles ont des droits supsceptibles
d’être invoqués devant les tribunaux, l’Allemagne fait obserpver que

«on imagine difficilement comment l’alliage peu naturel de deux
concepts différents, dont l’un — le droit à l’accès pà la justice — est
soumis à différentes limites et l’autre — le prétendu droit d’agir en

264CR 2011/17, p. 42.
265Ibid.

170

6 CIJ1031.indb 337 22/11/13 12:25 266 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

consequence of a war crime — simply does not exist de lege lata, can
together create a super-rule of jus cogens” 266.

243. In turn, Italy contended that the goal of “preserving individual

rights from an unjust privilege and granting the individual access to jups -
tice and to tort reparation also characterized further developments of tphe
immunity rule and its exceptions” 267. It further claimed that

“[t]he restriction of immunity in cases of individuals bringing lawsupits

to obtain redress for a grave breach of the most fundamental princi -
ples of human dignity granted by jus cogens rules seems to be a rea -
sonably balanced solution”. 268

Moreover, it also argued that “[w]hen the victims of violations of fun -
damental rules of the international legal order, deprived of any other
means of redress, resort to national courts, the procedural bars of Statpe

immunity cannot bring the effect of depriving such victims of the onlyp
available remedy” 269.
244. For its part, Greece also held, in this respect, that “the funda-

mental argument in the position of the Greek courts is based on the rec -
ognition that there is an individual right to reparation in the event ofp
grave violations of humanitarian law” 270. Greece claimed that

“the obligation on the State to compensate individuals for violationsp

of the rules of humanitarian law seems to derive from Article 3 of the
IV Hague Convention of 1907, even though it is not expressly stated
in that Article and even though individuals needed State mediation

through inter-State treaties. (. . .) That is made clear by the fact that
individuals are not excluded from the text of Article 3. This line of
argument also emerges from the travaux préparatoires of the Sec -
271
ond Hague [Peace] Conference.”

245. The individual right to reparation is well-established in interna -
tional human rights law, which counts on a considerable case law of
international human rights tribunals (such as the European and
272
Inter-American Courts) on the matter . Beyond that, public interna -

266 CR 2011/17, p. 45.
267 Counter-Memorial of Italy, para. 4.22.
268 Ibid., para. 4.101.
269
270 Ibid., para. 4.103.
CR 2011/19, p. 22 (translation).
271 Ibid., pp. 22-23 (translation).
272 The case law on the matter of the IACtHR has been particularly singled oput, for
the diversity of forms of the reparations it has granted to the victimscf., e.g. [Various
Authors], Réparer les violations graves et massives des droits de l’homme la Cour inter‑
américaine, pionnière et modèle ?, op. cit. supra note 67, pp. 17-334 ; [Various Authors], Le

particularisme interaméricain des droits de l’homme (eds. L. Hennebel and H. Tigroudja),
Paris, Pedone, 2009, pp. 7-413 ; [Various Authors], Reparations for Victims of Genocide,
War Crimes and Crimes against Humanity — Systems in Place and Systems in the Making
(eds. C. Ferstman, M. Goetz and A. Stephens), Leiden, Nijhoff, 2009, pp. 217-282.

171

6 CIJ1031.indb 338 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 266

conséquence d’un crime de guerre — n’existe tout simplement pas de
lege lata, peut constituer une super règle du jus cogens » 26.

243. L’Italie affirme quant à elle que « la protection des droits indivi -

duels face à un privilège injuste, l’accès individuel à la justice et la répara -
tion des préjudices ont également marqué l’évolution ultéprieure de la règle
de l’immunité et des exceptions à celle-ci » 267. Elle soutient en outre que

«[l]a restriction de l’immunité dans les cas où des personnes phpy -

siques intentent des actions en justice pour obtenir réparation à la
suite d’une violation grave des principes les plus fondamentaux de lap
dignité humaine garantis par des règles de jus cogens apparaît comme
268
une solution raisonnablement équilibrée ».

Elle affirme de plus que, « [l]orsque les victimes de violations de règles
fondamentales de l’ordre juridique international, privées de tout pautre
moyen de réparation, s’adressent aux juridictions nationales, les obstacles

d’ordre procédural tenant à l’immunité des Etats ne sauraient avoir pour
effet de les priver du seul recours disponible » 26.
244. La Grèce estime, elle aussi, à cet égard que « [l]’argument de base

dans la thèse des tribunaux grecs s’affirme autour de la constataption qu’il
existe un droit individuel à la réparation en cas de violations grpaves du
droit humanitaire » 270. Elle fait valoir que

«l’obligation de l’Etat d’indemniser les individus pour violatiopns des

règles du droit humanitaire semble dériver de l’article 3 de la qua -
trième convention de La Haye de 1907, même si elle n’y est pas expli-
citement exprimée et même si les individus avaient besoin de la

médiation de l’Etat ménagée par des traités interétatipques… Cela est
attesté par le fait qu’il n’y a pas exclusion des individus du ptexte de
l’article 3. Ce raisonnement ressort également des travaux prépara -
271
toires de la deuxième Conférence [de paix] de La Haye. »

245. Le droit individuel à réparation est bien établi en droit interpnational
des droits de l’homme, et il repose sur une très abondante jurisprpudence des
tribunaux internationaux des droits de l’homme (par exemple les courps euro -
272
péenne et interaméricaine) en la matière . En outre, le droit international

266 CR 2011/17, p. 45.
267 Contre-mémoire de l’Italie, par. 4.22.
268 Ibid., par. 4.101.
269
270 Ibid., par. 4.103.
CR 2011/19, p. 22.
271 Ibid., p. 22-23.
272La jurisprudence en la matière de la CIADH a été particulièrpement remarquée, pour
la diversité des formes des réparations qu’elle a accordées aux victimevoir par exemple
[divers auteurs], Réparer les violations graves et massives des droits de l’hommla Cour
interaméricaine, pionnière et modèle ?, op. cit. supra note 67, p. 17-334 ; [divers auteurs], Le

particularisme interaméricain des droits de l’homme (dir. publ., L. Hennebel et H. Tigroudja),
Paris, Pedone, 2009, p. 7-413 ; [divers auteurs], Reparations for Victims of Genocide, War
Crimes and Crimes against Humanity — Systems in Place and Systems in the Making (dir.
publ., C. Ferstman, M. Goetz et A. Stephens), Leyde, Nijhoff, 2009, p. 217-282.

171

6 CIJ1031.indb 339 22/11/13 12:25 267 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

tional law itself has been undergoing a continuous development in rela -
tion to reparation for war-related individual claims, traditionally regaprded
as being subsumed by inter-State peace arrangements. From the nineties

onwards, there have been attempts to re-structure such classical approacph
into the new line of the adjudication of individual claims by “regulapr
courts of law” 273. After all, the ultimate victims of violations of interna -

tional humanitarian law are individuals, not States.

246. Individuals subjected to forced labour in the German war indus -
try (1943-1945), or the close relatives of those murdered in Distomo,

Greece, or in Civitella, Italy, in 1944, during the Second World War, orp
victimized by other State atrocities, are the titulaires (with their ayants‑
droits) of the corresponding right to reparation. Victims are the true bear -

ers of rights, including the right to reparation, as generally recognized
nowadays. Illustrations exist nowadays also in the domain of interna -
tional humanitarian law. A study of the International Committee of the
274
Red Cross (ICRC) on customary international humanitarian law rules
can be recalled in this connection. Rule 150 reads as follows : “A State
responsible for violations of international humanitarian law is requiredp to
275
make full reparation for the loss or injury caused.” As to, specifically,
the question of “reparation sought directly by individuals”, Rule 150
refers to “an increasing trend in favour of enabling individual victipms of

violations of international humanitarian law to seek reparation directly
from the responsible State” 276.

247. Furthermore, the 2004 Report of the International Commission
of Inquiry on Darfur to the UN Secretary-General, after asserting that
grave violations of human rights and of international humanitarian law

“can entail not only the individual criminal liability of the perpetrpator but
also the international responsibility of the State (or State-like entity) on
whose behalf the perpetrator was acting”, added that such internationpal
responsibility requires that that “the State (or the State-like entity) must

pay compensation to the victim” (para. 593).

273R. Dolzer, “The Settlement of War-Related Claims : Does International Law Reco-
gnize a Victim’s Private Right of Action ?Lessons After 1945”, 20 Berkeley Journal of
International Law (2002), p. 296.
274ICRC, Customary International Humanitarian Law (eds. J.-M. Henckaerts and
L. Doswald-Beck), Vol. I : Rules, Geneva/Cambridge, Cambridge University Press, 2005,
esp. pp. 537-550.
275
Ibid., p. 537 ; according to the appended summary, State practice establishes this
Rule as one of “customary international law applicable in both internpational and non-
international armed conflicts”.
276Ibid., p. 541 ; in this regard, Rule 150 refers to Article 33 (2) of the ILC Articles on
State Responsibility and the commentary thereof, and asserts that reparaptions have been
granted directly to individual victims through different procedures, rpanging from mecha -
nisms set up by inter-State agreements to reparations sought by individuals directly before
national courts.

172

6 CIJ1031.indb 340 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 267

public lui-même a connu une évolution continue en ce qui concerne les rép -ap

rations en cas de demandes individuelles liées à la guerre, considpérées tra-di
tionnellement comme étant comprises dans les accords de paix entre Etats. A
partir des années 1990, on a tenté de restructurer cette approche classique

dans le cadre de la démarche nouvelle consistant à faire juger lesp demandes
individuelles par les «tribunaux de droit commun» 27. Après tout, les vic-
times ultimes des violations du droit international humanitaire sont desp i-ndi

vidus, non des Etats.
246. Les individus contraints au travail forcé dans l’industrie de guerpre
allemande (1943-1945), ou les proches parents de ceux qui ont étép assassi -
nés à Distomo (Grèce) ou à Civitella (Italie) en 1944, durant la seconde

guerre mondiale, ou ont été victimes d’autres atrocités d’pEtat, sont (avec
leurs ayants droit) les titulaires du droit à réparation correspondant. Les
victimes sont de véritables titulaires de droits, y compris le droit à répara -

tion, comme cela est généralement reconnu de nos jours. Des illustprations
en existent également dans le domaine du droit international humanitapire.
Une étude du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) sur lpes
274
règles du droit international humanitaire coutumier peut être évoquée
à cet égard. La règle 150 se lit comme suit : «L’Etat responsable de viola -
tions du droit international humanitaire est tenu de réparer intégpralement
275
la perte ou le préjudice causé. » Quant à la question plus précise de « la
réparation … demandée directement par des personnes privées », la
règle 150 indique que la « tendance est de plus en plus à autoriser les per -
sonnes victimes de violations du droit international humanitaire à depman -
276
der directement réparation à l’Etat responsable » .
247. De plus, dans son rapport de 2004 au Secrétaire général des
Nations Unies, la commission internationale d’enquête sur le Darfour,

après avoir affirmé que les violations graves des droits de l’homme et du
droit international humanitaire «pouvaient engager non seulement la res -
ponsabilité pénale individuelle de leur auteur mais aussi la responsabilité

internationale de l’Etat (ou de l’entité quasi étatique) dpont celui-ci est
l’agent», a ajouté que cette responsabilité internationale signifie pque
«l’Etat (ou l’entité quasi étatique) doit verser une indemnpisation aux vic -
times» (par. 593).

273R. Dolzer, «The Settlement of War-Related Claims :Does International Law Reco-
gnize a Victim’s Private Right of Action ? Lessons After 1945 », Berkeley Journal of Inter‑
national Law, vol. 20 (2002), p. 296.
27CICR, Droit international humanitaire coutumier (dir. publ., J.-M. Henckaerts et

L. Doswald-Beck), vol. I : Règles, Genève/Cambridge, Cambridge University Press, 2005,
en 275ticulier p. 537-550.
Ibid., p. 537 ;selon le commentaire joint à la règle, selon la pratique des Etats, cette
règle constitue « une norme de droit international coutumier applicable dans les conflitps
armés tant internationaux que non internationaux ».
276Ibid., p. 541 ; à cet égard, la règle 150 renvoie au paragraphe 2 de l’article 33 des
articles de la CDI sur la responsabilité de l’Etat et au commentaipre y relatif, et affirme que
des réparations ont été accordées directement aux victimes ipndividuelles dans le cadre de
différentes procédures allant de mécanismes mis en place par pdes accords interétatiques à des
actions en réparation intentées par des individus directement devant les tribunaux nationaux.

172

6 CIJ1031.indb 341 22/11/13 12:25 268 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

248. After singling out the impact of international human rights law
on the domain of State responsibility, the 2004 Report stated that there is
nowadays “a strong tendency towards providing compensation not only
to States but also to individuals based on State responsibility” (p.p 151,

note 217). The aforementioned Report of the Commission on Darfur
then concluded that, under the impact of the international law of human p
rights,

“the proposition is warranted that at present, whenever a gross breacph
of human rights is committed which also amounts to an international
crime, customary international law not only provides for the criminal

liability of the individuals who have committed that breach, but also
imposes an obligation on States of which the perpetrators are nation -
als, or for which they acted as de jure or de facto organs, to make
reparation (including compensation) for the damage made” (para 5.98).

249. Reference can also be made to the legal regime of the Ethiopia-
Eritrea Claims Commission : according to Article 5 (1) of the Agreement

of 12 December 2000 between the Governments of the State of Eritrea
and of the Federal Democratic Republic of Ethiopia, the Commission
was thereby set up in order

“to decide through binding arbitration all claims for loss, damage orp
injury by one Government against the other, and by nationals (. . .)
of one party against the Government of the other party or entities

owned or controlled by the other party”.

Furthermore, the 2010 draft Declaration of International Law Principles
on Reparation for Victims of Armed Conflict (Substantive Issues), of the
ILA International Committee on Reparation for Victims of Armed Con -
flict, in addressing the right to reparation (under Article 6), acknowledges

the enhanced position of individuals in international human rights law, p
and sees no reason why individuals were to have a weaker position under p
the rules of international law applicable in armed conflicts.

250. In the same vein, the 2005 Basic Principles and Guidelines on the
Right to a Remedy and Reparation for Victims of Gross Violations of
International Human Rights Law and Serious Violations of International
Humanitarian Law 27, sets forth, in Article 15, the duty of States to pro -
vide for reparation to victims :

“In accordance with its domestic laws and international legal obli -
gations, a State shall provide reparation to victims for acts or omis -
sions which can be attributed to the State and constitute gross

277Adopted and proclaimed by UN General Assembly resolution 60/147, of 16 Dec -
ember 2005.

173

6 CIJ1031.indb 342 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 268

248. Après avoir souligné l’impact du droit international des droitsp de
l’homme dans les domaines de la responsabilité de l’Etat, la commission
a déclaré dans le même rapport de 2004 que de nos jours « la tendance
majoritaire [voulait] que l’indemnisation, au titre de la responsabilité des
Etats, soit versée non seulement aux Etats mais aussi aux particulierps »

(p. 151, note 217). La commission concluait dans ce rapport que, eu égard
au droit international des droits de l’homme,

«il est permis d’affirmer qu’à l’heure actuelle, en cas de vpiolation
grave des droits de l’homme constituant un crime de droit internatio -
nal, le droit international coutumier non seulement reconnaît la res -
ponsabilité pénale des auteurs de la violation, mais aussi impose pà

l’Etat ou aux Etats dont ils sont ressortissants ou dont ils sont, enp
droit ou en fait, les agents l’obligation de réparer (y compris ppar une
indemnisation) le préjudice causé » (par. 598).

249. On peut également évoquer le régime juridique de la commission
des réclamations Ethiopie-Erythrée : aux termes du paragraphe 1 de l’ar -
ticle 5 de l’accord du 12 décembre 2000 entre les gouvernements de l’Etat
d’Erythrée et de la République fédérale démocratique dp’Ethiopie, la com -

mission a été créée pour
«statuer dans le cadre d’un arbitrage obligatoire sur toutes les

demandes à raison de pertes, dommages ou préjudices formulées ppar
un gouvernement contre l’autre, et par les nationaux … d’une paprtie
contre le gouvernement de l’autre partie ou des entités appartenanpt
ou contrôlées par l’autre partie ».

De plus, le projet de déclaration de 2010 des principes de droit inteprnatio -
nal sur la réparation en faveur des victimes de conflit armé (qpuestions de

fond) du comité international de l’ADI sur la réparation en fapveur des
victimes de conflit armé, lorsqu’il envisage le droit à répparation (à l’ar -
ticle 6), reconnaît que les individus sont dans une meilleure situation enp
droit international des droits de l’homme et ne voit aucune raison popur
laquelle leur situation serait plus précaire au regard des règles pdu droit

international applicables dans les conflits armés.
250. Dans la même veine, les « principes fondamentaux et directives
concernant le droit à un recours et à réparation des victimes dpe violations
flagrantes du droit international des droits de l’homme et de violaptions
277
graves du droit international humanitaire » adoptés en 2005 énoncent,
au paragraphe 15, l’obligation des Etats d’accorder réparation aux vic -
times :

«Conformément à sa législation interne et à ses obligations jpuri -
diques internationales, l’Etat assure aux victimes la réparation dpes
actes ou omissions qui peuvent lui être imputés et qui constituentp des

277Adoptés et proclamés par l’Assemblée générale des Natipons Unies dans sa résolu -

tion 60/147 du 16 décembre 2005.

173

6 CIJ1031.indb 343 22/11/13 12:25 269 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

violations of international human rights law or serious violations of
international humanitarian law.”

All these recent developments go beyond the strict and traditional
inter-State dimension, in establishing the individuals’ right to reparation
as victims of grave violations of human rights and of international
humanitarian law.

251. It would appear odd, if not surreal, if the domain of State immu -
nity were to remain oblivious of such significant developments in recepnt
years. The titulaires of the right to reparation for those grave violations
are the individual victims who suffered them. As I sustained in my

dissenting opinion (para. 178) in this Court’s Order of 6 July 2010 (dis -
missing the Italian counter-claim) in the present case concerning the
Jurisdictional Immunities of the State, States cannot at all waive rights
that do not belong to them. One cannot at all turn one’s back to signifi -

cant developments in areas of international law, such as those of the
international law of human rights and international humanitarian law, sop
as to deprive the human person of its right to redress. This would lead pto
manifest injustice.

252. It appears clearly to me without foundation to claim that the
regime of reparations for grave breaches of human rights and of interna -
tional humanitarian law would exhaust itself at inter-State level, to the
detriment of the individuals who suffered the consequences of war crimpes

and crimes against humanity. After all, those individuals are the titulaires
of the right to reparation, as a consequence of those grave violations opf
international law inflicted upon them. An interpretation of the regime of
reparations as belonging purely to the inter-State level would furthermore

equate to a complete misconception of the position of the individual in p
the international legal order. In my own conception, “the human persopn
has emancipated herself from her own State, with the acknowledgement
of her rights, which are prior and superior to this latter” 278. Thus, the
regime of reparations for grave breaches of human rights and of interna -

tional humanitarian law cannot possibly exhaust itself at the inter-State
level, wherein the individual is left at the end without any reparation p
at all.
253. It is also to be kept in mind that national courts are not the only

avenue for victims to obtain redress for grave violations of human rightps
and of international humanitarian law. There have been, in fact, other
avenues, in the international fora, for individuals to seek and obtain repa -
ration. These include Mixed Claims Tribunals and Commissions, and

quasi-judicial bodies set up either by the UN Security Council, or by
peace treaties, or at the initiative of States or corporations, and “pdormant

278A. A. Cançado Trindade, The Access of Individuals to International Justice, Oxford
University Press, 2011, p. 209; A. A. Cançado Trindade, Evolution du droit international au
droit des gens — L’accès des individus à la justice internationale…, op. cit. supra note 243,
pp. 29 and 146.

174

6 CIJ1031.indb 344 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 269

violations flagrantes du droit international des droits de l’homme pou
des violations graves du droit international humanitaire. »

Tous ces développements récents vont au-delà de la dimension stpricte -
ment interétatique traditionnelle en énonçant le droit à répparation des
victimes individuelles de violations graves des droits de l’homme et pdu
droit international humanitaire.

251. Il serait bizarre, sinon surréel, de ne pas tenir compte dans le
domaine de l’immunité de l’Etat de cette importante évolutiopn intervenue
ces dernières années. Les titulaires du droit à réparation ppour ces viola -
tions graves sont les victimes individuelles qui les ont subies. Comme je

l’ai soutenu dans l’opinion dissidente (par. 178) que j’ai jointe à l’ordon -
nance de la Cour du 6 juillet 2010 (déclarant irrecevable la demande
reconventionnelle de l’Italie) dans la présente affaire concernpant les Immu ‑
nités juridictionnelles de l’Etat, les Etats ne peuvent absolument pas renon-

cer à des droits qui ne leur appartiennent pas. On ne peut absolumentp pas
ignorer les développements importants intervenus dans certains domainpes
du droit international, comme le droit international des droits de l’phomme
et le droit international humanitaire, pour priver la personne humaine dpe
son droit à réparation. Cela aboutirait à une injustice manifespte.

252. Il me semble infondé d’affirmer que les régimes de réparatipon
pour les violations graves des droits de l’homme et du droit internatpional
humanitaire s’épuiseraient au niveau interétatique au détrimpent des indi -
vidus ayant souffert des conséquences de crimes de guerre et de cripmes

contre l’humanité. Après tout, ces individus sont les titulaireps du droit à
réparation découlant de ces graves violations du droit internationpal qui
leur ont été infligées. Interpréter le régime des réparations comme relevant
exclusivement du domaine interétatique traduirait en outre une concep -

tion totalement erronée de la situation de l’individu dans l’orpdre juridique
international. Selon ma propre conception, « la personne humaine s’est
émancipée de son propre Etat, avec la reconnaissance de ses droitsp, qui
sont antérieurs et supérieurs à ce dernier » 278. Ainsi, le régime des répara-
tions pour les violations graves des droits de l’homme et du droit inpter-

national humanitaire ne peut s’épuiser au niveau interétatique,p en laissant
finalement l’individu sans aucune réparation.

253. Il faut aussi se souvenir que les tribunaux internes ne sont pas la

seule voie ouverte aux victimes pour obtenir réparation des violationps
graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire. Ipl y a
en fait d’autres voies, dans les instances internationales, permettant aux
individus de demander et d’obtenir réparation. On peut citer à cet égard

les tribunaux et commissions mixtes des réclamations, et les organes pquasi
judiciaires créés soit par le Conseil de sécurité de l’ONpU, soit par des

278A. A. Cançado Trindade, The Access of Individuals to International Justice, Oxford
University Press, 2011, p. 209; A. A. Cançado Trindade, Evolution du droit international au
droit des gens — L’accès des individus à la justice internationale…, op. cit. supra note 243,
p. 29 et 146.

174

6 CIJ1031.indb 345 22/11/13 12:25 270 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

claims” arbitrations 279. Thus, national courts are one avenue for victims
to obtain redress, depending on the circumstances of the case, but they p

are not the only one. In contemporary international law, national and
international courts are in increasingly closer contact with each other,p in
distinct domains.

254. For example, in the protection of individual rights, where there is
a convergence between public domestic law and international law, they
are so, by means of the States’ duty, to provide effective local repmedies 28.
In the realm of the law of regional integration, the preliminary ruling

procedure (e.g., as under Article 234 of the EC Treaty) affords another
example to the same effect. In international criminal law, the principple of
complementarity provides yet another illustration. And the examples
multiply, disclosing ultimately the unity of the law. In fact, what ulti -

mately matters is the realization of justice at national and international
levels. After all, international crimes are not acts jure imperii, they remain
crimes irrespective of who committed them ; they are grave breaches of
human rights and of international humanitarian law which require repa -

rations to the victims ; claims of State immunity cannot do away with the
State’s duty to provide reparation to the individual victims.

255. In effect, the acknowledgment of the individual’s right to repara -

tion (corresponding to that obligation of the State), as a component opf
the individual’s right of access to justice lato sensu — with judicial recog -
nition nowadays from both the IACtHR and the ECHR — becomes even

more compelling in respect of grave violations of human rights and of inter ‑
national humanitarian law, like the ones which form the factual back -
ground of the present case relating to the Jurisdictional Immunities of the
State before this Court. Immunities can hardly be considered in a legal

vacuum. From the very start of the present case, in the written phase of
the proceedings, up to the conclusion of the oral phase, the punctum pru ‑
riens of a major difference between the contending Parties was precisely
the counterposition of State immunities to the State’s duty to providpe

reparation to those victimized by grave violations of human rights and opf
international humanitarian law.
256. Germany’s thesis, clearly expounded in its Memorial, is that
“Italy is bound to abide by the principle of sovereign immunity whichp

debars private parties from bringing suits against another State before pthe
courts of the forum State” (para. 47). In its view, “Italy cannot rely on

279
Cf., e.g., E.-C. Gillard, “Reparation for Violations of International Humanitarian
Law”, 85 International Review of the Red Cros(Sept. 2003), note 851, pp. 539-545 ; and
cf., generally, [Various Authors], Redressing Injustices through Mass Claims Processes —
Innovative Responses to Unique Challenges, Oxford University Press/PCA, 2006, pp. 3-425.

280A. A. Cançado Trindade, “Exhaustion of Remedies in International Law and the
Role of National Courts”, 17 Archiv des Volkerrechts, Tübingen (1977-1978), pp. 333-370.

175

6 CIJ1031.indb 346 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 270

traités de paix ou à l’initiative d’Etats ou de sociétéps, et les arbitrages
relatifs à des « réclamations en sommeil » 279. Ainsi, les tribunaux natio -

naux constituent une voie permettant aux victimes d’obtenir réparaption
en fonction des circonstances de l’espèce, mais ce n’est pas lap seule. En
droit international contemporain, les tribunaux nationaux et internatio -
naux sont en contact de plus en plus étroit, dans des domaines distinpcts.

254. Par exemple, dans la protection des droits de l’individu, où il y pa
convergence entre le droit public national et le droit international, ils le
sont du fait de l’obligation des Etats d’ouvrir des recours effepctifs 28.
Dans le domaine du droit de l’intégration régionale, la procépdure de la

décision préliminaire (par exemple au titre de l’article 234 du traité créant
la Communauté européenne) constitue un autre exemple. En droit pépnal
international, le principe de complémentarité en est encore un autpre. Et
les exemples se multiplient, finissant par révéler l’unité du droit. En fait, ce

qui compte en dernière analyse est la réalisation de la justice aux niveaux
national et international. Après tout, les crimes internationaux ne spont
pas des actes jure imperii, ils demeurent des crimes quels que soient leurs
auteurs; il s’agit de violations graves des droits de l’homme et du droitp

international humanitaire dont les victimes ont droit à réparationp; l’invo -
cation de l’immunité de l’Etat ne peut écarter l’obligatipon de celui-ci d’ac-
corder réparation aux victimes individuelles.
255. En fait, la reconnaissance du droit de l’individu à réparation (qui

correspond à cette obligation de l’Etat), en tant qu’élépment du droit d’ac -
cès à la justice lato sensu de l’individu, reconnu judiciairement aujourd’hui
par la CIADH et la CEDH, s’impose encore plus pour ce qui est des

violations graves des droits de l’homme et du droit international hum▯ani ‑
taire, comme celles qui forment le contexte factuel de la présente affaipre
des Immunités juridictionnelles de l’Etat. Les immunités ne peuvent guère
être envisagées dans un vide juridique. Dès le début de la présente affaire,

durant la procédure écrite et jusqu’à la fin de la procépdure orale, le punc ‑
tum pruriens d’une divergence d’opinions majeure entre les Parties a pré -
cisément été l’opposition des immunités de l’Etat àp l’obligation de l’Etat
d’accorder réparation aux victimes de violations graves des droitsp de

l’homme et du droit international humanitaire.

256. La thèse de l’Allemagne, clairement exposée dans son mémoirep,
est que l’Italie « est … tenue de respecter le principe de l’immunité souve -

raine, qui empêche les personnes physiques d’engager des poursuiteps
contre un autre Etat devant les juridictions de l’Etat du for » (par. 47).

279
Voir par exemple E.-C. Gillard, «Reparation for Violations of International Huma-
nitarian Law », International Review of the Red Cross, vol. 85 (septembre 2003), note 851,
p. 539-545 ; et voir généralement [divers auteurs], Redressing Injustices through Mass
Claims Processes — Innovative Responses to Unique Challenges, Oxford University Press/
PCA, 2006, p. 3-425.
280 A. A. Cançado Trindade, « Exhaustion of Remedies in International Law and
the Role of National Courts », Archiv des Volkerrechts, vol. 17 (1977-1978), Tübingen,
p. 333-370.

175

6 CIJ1031.indb 347 22/11/13 12:25 271 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

any justification for disregarding the immunity which Germany enjoys
under that principle” (para. 47). Contrariwise, Italy’s thesis, pas expounded
in its Counter-Memorial, is that

“the State which has committed grave violations of fundamental rules p
cannot be regarded as being entitled to invoke immunity for its

wrongful acts, even if these acts are to be qualified as acta jure imperii.
If granted, immunity would amount to an absolute denial of justice
for the victims and to impunity for the State.” (Para. 4.110.)

In its view,

“[t]he international legal order cannot, on the one hand, establish tphat
there are some fundamental substantive rules, which cannot be dero -

gated from and whose violation cannot be condoned, and on the other
hand grant immunity to the author of violations of these fundamen -
tal rules in situations in which it is clear that immunity substantiallyp
amounts to impunity” (para. 4.111).

257. Consideration of this matter — the State’s duty to provide repa -

ration to individual victims of grave violations of human rights and of p
international humanitarian law — cannot possibly be avoided. It is a
State’s duty under customary international law and pursuant to a fundpa -
mental general principle of law. This brings me now to the issue of com -
pliance or otherwise, by the responsible State, with the duty to providep

reparation to the victims — referred to by Italy — for those grave viola -
tions which took place in the Second World War. The following points
will be addressed in sequence : first, the categories of victims in the cas
d’espèce; secondly, the legal framework of the “Remembrance, Responsi -

bility and Future” Foundation (2000); and thirdly, assessment of the sub-
missions of the contending Parties.

2. The Categories of Victims in the Cas d’Espèce

258. According to Italy, there are three categories of victims of the
aforementioned violations 281, entitled to receive reparation, namely :

“(i) soldiers who were imprisoned, denied the status of prisoners of
war, and sent to forced labour [the so-called ‘Italian military intern -
ees’] ; (ii) civilians who were detained and transferred to detention

camps where they were sent to forced labour ; (iii) civilian popula -
tions who were massacred as part of a strategy of terror and reprisals
against the actions of freedom fighters” 28.

281Germany also classifies the victims into the three categories describepd by Italy ;
cf. Memorial of Germany, para. 13.
282Counter-Memorial of Italy, para. 2.8.

176

6 CIJ1031.indb 348 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 271

Pour elle, « [r]ien ne justifie qu’elle méconnaisse l’immunité de l’Alle -
magne en vertu de ce principe » (par. 47). A l’opposé, la thèse de l’Italie,
exposée dans son contre-mémoire, est que

«les Etats ayant commis des violations graves des règles fondamen -
tales ne sauraient être considérés comme ayant le droit de se ppréva -
loir de l’immunité pour leurs faits illicites, même si ces dernpiers

doivent être qualifiés d’actes jure imperii. Si l’immunité était accor -
dée, cela aboutirait à un déni de justice absolu pour les victimes ainsi
qu’à l’impunité de l’Etat. » (Par. 4.110.)

Selon elle,

«[l]’ordre juridique international ne saurait, d’une part, prévoir qu’il
existe certaines règles matérielles fondamentales auxquelles il n’pest
pas permis de déroger et dont la violation ne saurait être toléprée, tout

en accordant d’autre part l’immunité à l’auteur des violations de ces
règles fondamentales dans des situations où il est clair que l’pimmu -
nité équivaut essentiellement à l’impunité » (par. 4.111).

257. Il n’est pas possible d’éluder l’examen de cette question, cpelle de
l’obligation de l’Etat d’accorder réparation aux victimes inpdividuelles de
violations graves des droits de l’homme et du droit international humpani -

taire. Il s’agit d’une obligation de l’Etat en vertu du droit ipnternational
coutumier et d’un principe général fondamental du droit. Cela mp’amène
maintenant à la question de l’exécution ou de l’inexécution, par l’Etat
responsable, de son obligation d’accorder réparation aux victimes pmen -
tionnées par l’Italie pour les violations graves commises durant lpa seconde

guerre mondiale. Je me pencherai successivement sur les points suivants :
premièrement, les catégories de victimes en l’espèce, deuxièmement, le
cadre juridique de la fondation « Mémoire, responsabilité et avenir »
(2000) et, troisièmement, l’évaluation des conclusions des Paprties.

2. Les catégories de victimes en l’espèce

258. Selon l’Italie, il y a trois catégories de victimes des violationsp sus -
mentionnées 281ayant droit à réparation, à savoir :

«i) les soldats emprisonnés qui s’étaient vu refuser le statut de ppri -
sonniers de guerre et furent soumis au travail forcé [les « internés

militaires italiens »] ;ii) les civils qui furent détenus et transférés dans
des camps de détention où ils furent soumis au travail forcé; et iii) les
populations civiles qui furent massacrées dans le cadre d’une strapté -
gie de terreur et de représailles contre les actions des combattants p
282
pour la libération » .

281L’Allemagne range également les victimes dans les trois catégorpies définies par
l’Italie ;voir mémoire de l’Allemagne, par. 13.
282Contre-mémoire de l’Italie, par. 2.8.

176

6 CIJ1031.indb 349 22/11/13 12:25 272 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

259. Italy contends that “none, or very few, of them has obtained [rep -
aration] so far” 283. Italy further argues, with regard to Mr. Ferrini in par-
ticular, that he belongs to the category of (ii) civilians who were detained
284
and transferred to detention camps to be used as forced labour . While
Mr. Ferrini had already initiated proceedings before the Tribunale di
Arezzo in 1998, he also sought to obtain reparation from German author -

ities. Italy claims that Mr. Ferrini decided not to submit a request for
compensation under the law of 2 August 2000 (establishing the “Remem -
brance, Responsibility and Future” Foundation) “since he had not p
been detained in ‘another place of confinement’ within the meaning ofp

Section 11, paragraph 1 of the Foundation Act and was furthermore not
in a position to demonstrate that he met the requirements as set up by tphe
guidelines of the Foundation” 285.

260. Italy adds that “[i]n 2001 Mr. Ferrini, together with other com -
plainants, also lodged a constitutional complaint against Sections 10,

paragraph 1, 11, paragraph 3, and 16, paragraphs 1 and 2 of the Founda -
tion Law with the Federal Constitutional Court” and that “[t]his com -
plaint was later rejected by the Federal Constitutional Court” 286. Keeping

this background information in mind, attention may now be turned to the
legal framework of the “Remembrance, Responsibility and Future” Fopun -
dation, established in 2000.

3. The Legal Framework of the “Remembrance, Responsibility
and Future” Foundation (2000)

261. In the years 1999-2000, Germany conducted diplomatic negotia -
tions with a number of States — which formerly were belligerent parties
in the Second World War — concerning reparation for individuals who

had, during the war, been subjected to forced labour in German compa -
nies and in the public sector 28. According to Italy, those negotiations
were triggered by lawsuits brought by former forced labourers against

German companies in US courts, and, against that background, Ger -

283Counter-Memorial of Italy, para. 2.8.
284In Italy’s words :

“War crimes were widely committed against the civilian population, and thou -
sands of civilians of military age, among them Mr. Ferrini, Mr. Mantelli, and
Mr. Maietta (whose cases are referred to by the Applicant in its Memorial), were palso
transferred to detention camps in Germany, or in territories controlled pby Germany,
where they were employed as forced labour as another form of retaliationp against the
Italian civilian population.” (Ibid., para. 2.7.)

285Ibid., para. 2.43 (note 43). Csummary of facts reported in Associazione Nazio ‑
nale Reduci dalla Prigionia dall’Internamento e dalla Guerra di Liberazion▯e (ANRP) and
275 Others v. Germany, p. 5 (Annex 10 to Italy’s Counter-Memorial).
286Counter-Memorial of Italy, para. 2.43 (note 43).
287Ibid., para. 2.27. And cf., generally, J. Authers, op. cit. supra note 230, pp. 420-449.

177

6 CIJ1031.indb 350 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 272

259. L’Italie affirme que, parmi ces catégories, « quasiment aucune n’a
été indemnisée jusqu’à présent » 283. Elle fait valoir en outre, en ce qui
concerne M. Ferrini en particulier, qu’il entre dans la catégorie ii) des

civils placés en détention et tran284rés dans les camps de dpétention pour y
être astreints au travail forcé . Si M. Ferrini avait déjà engagé une ins -
tance devant le Tribunale di Arezzo en 1998, il a aussi cherché à obtenir

réparation auprès des autorités allemandes. L’Italie fait vaploir que
M. Ferrini a décidé de ne pas présenter de demande d’indemnisatpion en
vertu de la loi du 2 août 2000 (créant la fondation « Mémoire, responsa -
bilité et avenir ») « en raison du fait qu’il n’avait pas été détenu dans un

«autre lieu de détention » au sens du premier alinéa du paragraphe 1 de
l’article 11 de la loi portant création de la fondation et qu’en outre il
n’était pas en mesure de démontrer qu’il remplissait les conditions défi -
285
nies dans les lignes directrices de la fondation » .
260. L’Italie ajoute que, « [e]n 2001, M. Ferrini, conjointement avec
d’autres demandeurs, forma également un recours constitutionnel copncer -

nant les paragraphes 1 de l’article 10, 3 de l’article 11 et 1 et 2 de
l’article 16 de la loi portant création de la fondation devant la Cour
constitutionnelle fédérale » et que « ce recours fut par la suite rejeté par
286
cette dernière » . Gardant ces faits à l’esprit, je vais maintenant exami -
ner le cadre juridique de la fondation « Mémoire, responsabilité et ave -
nir», créée en 2000.

3. Le cadre juridique de la fondation « Mémoire,
responsabilité et avenir » (2000)

261. En 1999-2000, l’Allemagne a mené des négociations diploma -
tiques avec plusieurs Etats, anciennes parties belligérantes lors de pla
seconde guerre mondiale, concernant l’octroi de réparations aux indivi -

dus qui avaient été durant la guerre astreints à un travail forpcé dans des
sociétés allemandes et dans le secteur public 28. Selon l’Italie, ces négocia-
tions furent suscitées par des actions en justice introduites par d’anciens

travailleurs forcés contre des entreprises allemandes devant les tribpunaux

283Contre-mémoire de l’Italie, par. 2.8.
284Selon l’Italie :

«Des crimes de guerre furent commis en masse contre la population civile,p et des
milliers de civils aptes au service militaire, dont M. Ferrini, M. Mantelli et M. Maietta
(dont les affaires sont citées par le demandeur dans son mémoire), furent également
transférés dans des camps de détention situés en Allemagne opu sur des territoires
contrôlés par cette dernière, où ils furent astreints au travail forcé, une autre forme
de représailles contre la population civile italienne. » (Ibid., par. 2.7.)

285Ibid., par. 2.43 (note 43). Voir le résumé des faits dans Associazione Nazionale Reduci
dalla Prigionia dall’Internamento e dalla Guerra di Liberazione (ANR▯P) et 275 autres plai ‑
gnants c. Allemagne, p. 5 (annexe 10 du contre-mémoire de l’Italie).
286Contre-mémoire de l’Italie, par. 2.43 (note 43).
287Ibid., par. 2.27. Et voir généralement J. Authers, op. cit. supra note 230, p. 420-449.

177

6 CIJ1031.indb 351 22/11/13 12:25 273 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

many and the United States concluded an agreement that envisaged the

establishment of a m288anism for addressing reparation claims of former p
forced labourers .
262. Upon the conclusion of such agreement, on 2 August 2000 a Ger -
man federal law was adopted, setting up the “Remembrance, Responsi -
289
bility and Future” Foundation . The purpose of the Foundation was to
make funds available to persons who had been victims of forced labour
“and other injustices from the National Socialist period” (Articlpe 2 (1) of

the Foundation Law). The Foundation did not provide reparation
directly to individuals defined by the Foundation Law, but rather to
so-called “partner organizations”, which received specified global p
amounts (Article 9 of the Foundation Law) 290.

263. The categories of persons entitled to receive reparation, according
to the Article 11 of the Foundation Law, were thus defined : (a) individu -
als “detained in a concentration camp, or in another prison or camp, por

in a ghetto under comparable conditions, and subjected to forced labour”p
(Art. 11 (1)) ; (b) individuals “deported from their home country to Ger -
many in the borders of 1937, or a territory occupied by Germany, and

subjected to forced labour in a private company or in the public sector,p
and (. . .) detained (. . .) or subjected to particularly bad conditions of
life” (Art. 11 (2)) ; and (c) it was expressly stated — importantly for the
proceedings of the present case — that the status of a prisoner of war

does not give entitlement to payments or benefits under the Law
(Art. 11 (3)) 29.

264. Thus, although the Foundation Law was intended specifically to
cover categories of victims who were left out of other German reparationp
arrangements, the Article 11 (3) of the Foundation Law expressly

excluded prisoners of war, stating that “[e]ligibility cannot be basepd on
prisoner-of-war status”. As to the scope of this provision, it has been
pointed out that, in the official commentary of the Foundation Law,

“the Federal Government explained the exclusory clause as follows :

‘Prisoners of war subjected to forced labour are in principle not
entitled to payments because the rules of international law allowed
a detaining power to enlist prisoners of war as workers. However,

288 Counter-Memorial of Italy, para. 2.27.
289 Hereinafter referred to as “the Foundation”.
290 Cf. B. Fassbender, “Compensation for Forced Labour in World War II : The
German Compensation Law of 2 August 2000”, 3 Journal of International Criminal Justice
(2005), pp. 244-245; cf. also, Counter-Memorial of Italy, paras. 2.27-2.28.
291
Cf. B. Fassbender, “Compensation for Forced Labour in World War II...”, op. cit.
supra note 290, p. 246.

178

6 CIJ1031.indb 352 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 273

des Etats-Unis et, dans ce contexte, l’Allemagne et les Etats-Unis copnclurent
un traité prévoyant la mise en place d’un mécanisme pour le ptraitement
288
des demandes de réparation d’anciens travailleurs forcés .
262. Suite à la conclusion de cet accord, le 2 août 2000, une loi fédérale
allemande fut adoptée qui portait création de la fondation « Mémoire,
289
responsabilité et avenir » . Cette fondation avait pour objet d’indemni -
ser financièrement les personnes qui avaient été soumises au ptravail forcé
«et à d’autres injustices au cours de la période nationale-sociapliste »
(article 2, paragraphe 1, de la loi). La fondation ne versait pas directe -

ment de réparations aux individus définis dans la loi mais les vpersait à des
«organisations partenaires» qui recevaient des sommes forfaitaires déter -
minées (article 9 de la loi) 29.
263. Les catégories de personnes ayant droit à réparation étaientp ainsi

définies à l’article 11 de la loi portant création de la fondation : a) les
individus « détenus dans un camp de concentration, une autre prison ou
un autre camp, ou dans un ghetto dans des conditions comparables, et

astreints au travail forcé » (art. 11, par. 1) ; b) les individus « déportés
depuis leur pays d’origine vers le territoire du Reich allemand selonp les
frontières de 1937, ou vers un territoire occupé par l’Allemagne, et ayant
été astreints au travail forcé dans une entreprise commerciale pou au ser -

vice d’autorités publiques sur place, ou … [en] détention oup dans des
conditions de vie extrêmement difficiles de nature similaire » (art. 11,
par. 2); et c) il était expressément indiqué, ce qui est important pour la
procédure en l’espèce, que le statut des prisonniers de guerre pne donne pas

droit à des versements ou des prestations en vertu de la loi (art. 11,
par. 3) 29.
264. Ainsi, bien que la loi portant création de la fondation eût étép spé -

cifiquement adoptée pour couvrir les catégories de victimes ne rpelevant
pas des autres accords de réparation conclus par l’Allemagne, le ppara -
graphe 3 de l’article 11 de la loi portant création de la fondation excluait
expressément les prisonniers de guerre de son champ d’application,p indi -

quant que « [l]e droit à réparation ne peut être fondé sur le statut de ppri -
sonnier de guerre ». Pour ce qui est de la portée de cette disposition, le
commentaire officiel de la loi indique ce qui suit :

«le Gouvernement fédéral a expliqué cette clause d’exclusion pcomme
suit :

«Les prisonniers de guerre astreints à un travail forcé n’ont enp
principe pas droit à des versements parce que les règles du droit p

international autorisent la puissance qui les détient à engager les

288 Contre-mémoire de l’Italie, par. 2.27.
289Ci-après « la fondation ».
290
Voir B. Fassbender, « Compensation for Forced Labour in World War II : The
German Compensation Law of 2 August 2000 », Journal of International Criminal Justice,
vol291 (2005), p. 244-245 ; voir également contre-mémoire de l’Italie, par. 2.27-2.28.
Voir B. Fassbender, « Compensation for Forced Labour in World War II… »,
op. cit. supra note 290, p. 246.

178

6 CIJ1031.indb 353 22/11/13 12:25 274 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

persons released as prisoners of war who were made ‘civilian wor -
kers’ (Zivilarbeiter) can be entitled under the [Foundation Law] if

the other requirements are met.’

However, in ‘guidelines’ adopted in August 2001 in agreement with p
the Federal Ministry of Finance, the Board of the Foundation further
limited the exclusionary effect of the clause by determining that ‘pris -
oners of war who have been taken to a concentration camp’ are not

excluded from benefits under the Statute ‘because in this case special
discrimination and mistreatment on account of the National Socialist
ideology is relevant, and imprisonment in a concentration camp can -
not be regarded as a general wartime fate (. . .)’.” 292

265. Against this background, an expert opinion (by C. Tomuschat)
concerning the issue of the entitlement of “Italian military interneeps” to
reparation under the Foundation Law 293cannot pass unnoticed here.
Such expert opinion advised the German Government that, although

Germany treated persons that were to be given the status of prisoners ofp
war (POWs) as forced labourers, their status was actually that of prison -
ers of war. In the words of the expert opinion, the “Italian militaryp intern -
ees” “possessed, up until their final liberation after the end opf the Second

World War, POW status in accordance with the rules of international
law, although the German Reich massively infringed this status. Accord -
ingly, the exclusion clause [Article 11 (3) of the Foundation Law] can in
principle be applied to them” 29.

266. Thus, the expert opinion prioritized the military internees’ de jure
status — a status (with all the rights attached to it) which was in fact

denied to them — over their de facto treatment. On the basis of the advice
provided by the aforementioned expert opinion, many victims fell under
the exception of Section 11 (3) of the Foundation Law (supra) and were
thus excluded from that reparation scheme. Against this background,

Italy submits that, since the year 2000, “thousands of [Italian militpary
internees] and Italian civilians subjected to forced labour had lodged
requests for compensation” on the basis of the Foundation Law and
those requests “were almost all rejected”. It adds that

“[i]n 2003, German administrative courts had dismissed the lawsuits

filed by a certain number of [Italian military internees]. With the sople
exception of the Ferrini case, all the claims submitted before Italian

292
293Op. cit. supra note 290, p. 246.
Counter-Memorial of Italy, Annex 8.
294The expert opinion concluded, however, that a different assessment should be given
concerning “Italian military internees”, who, in addition to the vpiolation of their prisoner
of war status, suffered measures of racist persecution.

179

6 CIJ1031.indb 354 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 274

prisonniers de guerre comme travailleurs. Toutefois, les personnes
libérées comme prisonniers de guerre et transformées en « travail-

leurs civils » (Zivilarbeiter) peuvent avoir droit à indemnisation
en vertu de la [loi portant création de la fondation] si les autres
conditions sont réunies. »

Toutefois, dans des « directives» adoptées en août 2001 en accord
avec le ministère fédéral des finances, le conseil d’adminpistration de
la fondation a encore limité l’effet d’exclusion de cette clapuse en déci -
dant que «les prisonniers de guerre qui ont été internés dans un camp

de concentration» ne sont pas exclus du bénéfice de la loi « parce que
dans un tel cas la discrimination et les mauvais traitements particu -
liers subis en raison de l’idéologie nationale-socialiste sont pertinents,
et que l’emprisonnement dans un camp de concentration ne peut êtrep
292
considéré comme un sort habituel en temps de guerre ».»

265. Dans ce contexte, l’avis d’un spécialiste (C. Tomuschat) concer -
nant la question du droit à réparation des « internés militaires italiens» au
regard de la loi portant création de la fondation 293 doit être cité ici. Selon
cet avis adressé au Gouvernement allemand, bien que l’Allemagne aipt

traité les personnes devant recevoir le statut de prisonniers de guerpre
comme les travailleurs forcés, elles avaient effectivement le statupt de pri -
sonniers de guerre. Selon l’avis, les « internés militaires italiens » « possé-
daient, jusqu’à leur libération finale à la fin de la sepconde guerre mondiale,

le statut de prisonniers de guerre en application des règles du droitp inter -
national, bien que le Reich allemand ait massivement contrevenu à ce
statut. En conséquence, la clause d’exclusion [article 11, paragraphe 3, de
la loi portant création de la fondation] peut en principe leur êtrpe appli -
294
quée » .
266. Ainsi, cet avis juridique a donné la priorité au statut de jure des
internés militaires, statut (avec tous les droits qui s’y attachepnt) qui leur a en

fait été dénié, sur leur traitement de facto. Au regard de cet avis juridique, de
nombreuses victimes relevaient de l’exception prévue au paragraphep 3 de
l’article 11 de la loi portant création de la fondation (supra) et furent donc
exclues du régime de réparation. Dans ce contexte, l’Italie faipt valoir que

depuis 2000 « des milliers d’[internés militaires italiens] et de civils italiens
ayant été soumis au travail forcé avaient présenté des depmandes d’indemni -
sation» en vertu de la loi portant création de la fondation et que « la
quasi-totalité de ces demandes avaient été rejetées ». Elle ajoute que,

«[e]n 2003, les juridictions administratives allemandes rejetèrent lesp

recours formés par un certain nombre d’[internés militaires itapliens].
A la seule exception de l’affaire Ferrini, toutes les actions devant les

292
293Op. cit. supra note 290, p. 246.
Contre-mémoire de l’Italie, annexe 8.
294Cet avis concluait toutefois qu’il fallait évaluer différemment la situation des
«internés militaires italiens » qui, outre qu’il avait été porté atteinte à leur sta-ut pde prison
niers de guerre, subirent des mesures de persécution raciste.

179

6 CIJ1031.indb 355 22/11/13 12:25 275 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

courts were filed starting from 2004. At that time it was already evi -
dent that Italian forced labourers had no possibility of obtaining
295
redress from German authorities.”

267. In my understanding, it is regrettable that the “Italian military
internees” were actually precluded from obtaining reparation on the bpasis

of a status which they were de facto denied. This was precisely one of the
many violations committed by Nazi Germany against those persons : the
denial of their right, under international law, to be treated as prisoners of

war. Relying on this violation to commit yet another violation — the
denial of reparation — amounts to, as Italy puts it, “a Kafkaesque black
hole of law” 29, and amounts to a double injustice 297.

4. Assessment of the Submissions of the Contending Parties

268. May I now turn to the arguments of the contending Parties con -
cerning the issue of the reparations due to the victims referred to by Iptaly,
put forward by them in the written and oral phases of the proceedings

before the Court in the present case. The materials and submissions of
Germany do not generally address which specific victims have in fact
received reparation. While Germany does not provide a full account of

the reparations it paid after 1945 by stating that “[t]his is not thep place to
provide a complete balance sheet of all the reparations which the Alliedp
Powers received from Germany after 1945”, it nevertheless argues thatp,

under the two 1961 Agreements between Germany and Italy, “consider -
able payments were made to Italy” 298; it adds that it made payments to
Italy “on grounds of equity”, despite the waiver clause of the Peapce
299
Treaty .
269. The more telling submission of Germany is when it clearly admits
that the “Italian military internees” have not received reparation on the

basis of an interpretation given of the Foundation Law :

295Counter-Memorial of Italy, para. 2.43. The assertion that Italian military internees
have not received reparation for their forced labour is also found in exppert writing ;
cf. R. Buxbaum, “German Reparations after the Second World War”, 6 African‑American
Law and Policy Report (2004), p. 39.
296CR 2011/18, p. 33, para. 28.
297
It has been pointed out, in this connection, that “[t]he Italians werpe not prisoners of
war who happened also to be subjected to forced labour. Instead, the exploitation of their
labour force was the principal reason for their continued detention in Gpermany” (B. Fass-
bender, “Compensation for Forced Labour in World War II . . .”, op. cit. supra note 290,
p. 251). Furthermore, “the living conditions of the Italians were worse thanp those of the
Western Allied soldiers captured by Germany. In particular, Italian detapinees suffered
from poor nourishment.” In a third period, between August 1944 and thpe end of the war,

the detained Italian soldiers were given the status of “civilian workpers” (Zivilarbeiter) in
ord298to “exploit their manpower in a more efficient way” (ibid., p. 244, note 2).
Reply of Germany, paras. 30-33.
299Ibid., para. 33.

180

6 CIJ1031.indb 356 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 275

juridictions italiennes ont été introduites après 2004. A cette époque,
il était déjà évident que les travailleurs forcés italienps n’avaient pas

la possibilité d’obtenir une indemnisation de la part des autoritéps
allemandes. » 295

267. Selon moi, il est regrettable que les « internés militaires italiens »
aient été effectivement exclus du bénéfice des réparations sur la base d’un

statut qui en fait leur avait été dénié. Il s’agit là pprécisément d’une des
nombreuses violations commises par l’Allemagne nazie contre ces per -
sonnes: le déni de leur droit, en droit international, d’être traitépes comme

des prisonniers de guerre. Invoquer cette violation pour en commettre
une autre, le déni de réparation, aboutit, comme le dit l’Italipe, à «un vide
juridique kafkaïen » 296, de même qu’à une double injustice 297.

4. Evaluation des conclusions des Parties

268. Je vais maintenant me pencher sur les arguments des Parties
concernant la question des réparations dues aux victimes mentionnépes par
l’Italie, tels qu’elles les ont présentés lors des procédures écrite et orale

dans la présente affaire. Les pièces et conclusions de l’Allepmagne n’in -
diquent pas généralement quelles victimes précises ont en fait pbénéficié de
réparations. Si l’Allemagne ne rend pas pleinement compte des réppara -

tions qu’elle a versées après 1945 en déclarant qu’« [i]l n’y a[vait] pas lieu
de dresser ici un bilan complet de l’ensemble des réparations que ples Puis -
sances alliées ont reçues de l’Allemagne après 1945 », elle fait néanmoins

valoir que, dans le cadre des deux accords conclus par l’Allemagne etp
l’Italie en 1961, « des sommes considérables ont été versées à l’Italie » 298 ;
elle ajoute qu’elle a indemnisé l’Italie « pour des raisons d’équité», malgré
299
la clause de renonciation que contenait le traité de paix .
269. L’observation la plus révélatrice de l’Allemagne est celle opù elle
admet clairement que les « internés militaires italiens » n’ont pas reçu de

réparations en raison de l’interprétation donnée à la loip portant création
de la fondation :

295 Contre-mémoire de l’Italie, par. 2.43. Des articles de doctrine attestent également
que les internés militaires italiens n’avaient pas reçu de répparations pour leur travail
forcé ; voir R. Buxbaum, « German Reparations after the Second World War », African‑
American Law and Policy Report, vol. 6 (2004) p. 39.
296 CR 2011/18, p. 33, par. 28.
297
On a fait observer à cet égard que « [l]es Italiens n’étaient pas des prisonniers de
guerre qui se trouvèrent également astreints à un travail forcép. En effet, l’exploitation de
leur travail forcé était la principale raison de leur maintien en pdétention en Allemagne »
(B. Fassbender, « Compensation for Forced Labour in World War II… », op. cit. supra
note 290, p. 251). De plus, « les conditions de vie des Italiens étaient pires que celles des
soldats alliés occidentaux capturés par l’Allemagne. En particuplier, les détenus italiens
étaient mal nourris. » Durant une troisième période, entre août 1944 et la fin de la guerre,

on conféra aux soldats italiens détenus le statut de « travailleurs civils »(Zivilarbeiter) afin
de 298voir «exploiter leur force de travail de manière plus efficace » (ibid.,p. 244 (note 2)).
Réplique de l’Allemagne, par. 30-33.
299 Ibid., par. 33.

180

6 CIJ1031.indb 357 22/11/13 12:25 276 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

“It is only after the adoption of the 2000 German law on the
‘Remembrance, Responsibility and Future’ Foundation that Italy
made representations to Germany on account of the exclusion of the

Italian military internees (‘IMIs’) from the scope ratione personae of
that law. As prisoners of war, this group of persons was not taken into
account for the purposes of that belated reparation scheme.” 300

270. For its part, in its written submissions, Italy notes that “[a] very p

large number of victims remained uncovered” by the two 1961 Agree -
ments between Germany and Italy and “has never received appropriate
reparation” 301. While Italy recognizes that Germany has adopted and

implemented, over the past decades, a number of measures in order to
address the reparation claims from victims of war atrocities, and notes p
that two important pieces of legislation (the Federal Compensation Law p

of 1953 and the Foundation Law of 2 August 2000) were adopted, it adds
that, nevertheless, neither provided an effective legal avenue for Itaplian
victims to obtain reparation 302. In this regard, Italy argues that under the

1953 federal compensation law, foreign nationals were generally excludedp
from compensation, and that, with regard to the Foundation Law :

“while more than 130,000 Italian forced labourers lodged requests forp

compensation under the law of 2 August 2000, the great majority of
such requests (more than 127,000) were rejected because of the unduly p
strict requirements for compensation set under that law” 30.

271. Italy also claims that

“the measures adopted so far by Germany (both under the relevant
agreements as well as in unilateral acts) have proved insufficient, inp
particular because such measures did not cover several categories of
victims such as the Italian military internees and the victims of mas -

sacres perpetrated by German forces during the last months of the
Second World War.” 304

For its part, Germany does not make reference to specific victims, and,
instead, only argues generally that “reparations were made” througph “a

comprehensive scheme for all countries concerned and covering all war
damages” 30.
272. Germany also recalls the lump-sum payments made to Italy

and Greece, and claims that “[r]oughly 3,400 Italian civilians were com -

300
Reply of Germany, para. 13 (emphasis added).
301 Counter-Memorial of Italy, para. 2.18.
302 Ibid., paras. 2.20-2.21.
303 Ibid., para. 2.21.
304 Ibid., para. 7.9.
305 CR 2011/20, pp. 11-12.

181

6 CIJ1031.indb 358 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 276

«Ce n’est qu’après que l’Allemagne a adopté la loi de 2000p sur la

fondation «Mémoire, responsabilité et avenir » que l’Italie a fait des
représentations auprès de celle-ci au sujet de l’exclusion des internés
militaires italiens de la portée ratione personae de cette loi. En tant

que prisonniers de guerre, les membres de ce groupe n’avaient pas
été pris en compte dans ce régime de réparation mis en place
tardivement. » 300

270. Pour sa part, dans ses écritures, l’Italie relève qu’« [u]n très grand

nombre de301ctimes n’étaient pas visées et n’ont jamais été dûment indem -
nisées » . Si l’Italie reconnaît que l’Allemagne a adopté et mis en œuvre
au cours des dernières décennies diverses mesures en réponse aupx
demandes de réparations des victimes d’atrocités de guerre, et prelève que

deux lois importantes (la loi fédérale d’indemnisation de 1953 et la loi
portant création de la fondation du 2 août 2000) ont été adoptées, elle
ajoute qu’aucune de ces deux lois ne pouvait constituer une voie de dproit
302
effective permettant aux victimes italiennes d’obtenir réparatiopn . A cet
égard, l’Italie fait valoir que, dans le cadre de la loi fédéprale d’indemnisa -
tion de 1953, les étrangers étaient généralement exclus du bénépfice d’une

indemnisation et que, en ce qui concerne la loi portant création de lpa
fondation,

«même si plus de 130 000 travailleurs forcés italiens présentèrent des
demandes d’indemnisation au titre de la loi du 2 août 2000, la grande
majorité de ces demandes (plus de 127 000) furent rejetées à cause

des critères indûment restrictifs prévus par ce texte pour bépnéficier de
l’indemnisation » 303.

271. L’Italie affirme également que

«les mesures adoptées jusqu’à présent par l’Allemagne (enp vertu
aussi bien d’accords pertinents que d’actes unilatéraux) se sopnt révé -

lées insuffisantes, en particulier parce que plusieurs catégoriesp de vic-
times, parmi lesquelles les internés militaires italiens et les victipmes
des massacres perpétrés par les forces allemandes pendant les der -
niers mois de la guerre, n’en ont pas bénéficié. » 304

L’Allemagne pour sa part ne mentionne pas de victimes spécifiqueps et se

contente de faire valoir de manière générale que des réparatpions furent
versées dans le cadre d’« un régime global bénéficiant à tous les pays
concernés et couvrant l’ensemble des dommages de guerre » 305.

272. L’Allemagne rappelle également les montants forfaitaires versésp
à l’Italie et à la Grèce, et affirme qu’« [e]nviron 3 400 civils italiens ont

300Réplique de l’Allemagne, par. 13 (les italiques sont de moi).
301Contre-mémoire de l’Italie, par. 2.18.
302Ibid., par. 2.20-2.21.
303Ibid., par. 2.21.
304Ibid., par. 7.9.
305CR 2011/20, p. 11-12.

181

6 CIJ1031.indb 359 22/11/13 12:25 277 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

pensated for their forced labour by the “Remembrance, Responsibility p
and Future” Foundation, and that “roughly 1,000 Italian military ipntern-
ees were awarded compensation for forced labour under the Foundation
306
scheme” . As to this latter group of victims, Germany argues that
it “decided to make ex gratia payments to former forced labourers in the
year 2000”, but then admits that “prisoners of war were not includped in

this specific scheme” ; only “those military internees who had also been
subjected to racial and/or ideological persecution were entitled to
payments” 30.

273. It ensues, from the aforementioned submissions, that not all “Ital-
ian military internees” were provided reparations, but only those whop
308
had also been victims of “racial and/or ideological persecution” . Italy
retorts to this argument of Germany by arguing that the issue underlying
the present dispute does not concern those latter victims, but rather

hinges upon the “obligation to make reparation for war crimes commit -
ted against several thousands of Italian victims that have not received any
reparation, as indirectly admitted by Germany” 309. Italy thus concludes

that “there is plain and unrestricted recognition of the fact that thpe rest of
the victims — in other words, those who were not victims of persecution,
and these represent the vast majority — remained totally unsatisfied” 310.

274. As already pointed out, at the end of the oral hearings before the
Court of 16 September 2011, one of the questions I put to the contending

Parties aimed at clarifying this particular factual issue : I then asked
whether “the specific Italian victims to whom the Respondent refers effec -
tively received reparation”, and, if they have not received reparatiopn,

whether “they are entitled to it and how can they effectively receive it, if
not through national proceedings” 311. The responses of the contending
Parties to this question served to clarify their respective positions onp the

matter at issue.
275. Germany, for its part, seemed to evade the question by referring
to the Court’s Order of 6 July 2010 (counter-claim) and by arguing

that “the question of whether reparations related to World War II
are still due or not is not the subject-matter of the proceedings before
the Court” 312. It also affirmed that the reparation scheme for the Sec -

306CR 2011/20, pp. 12-13.
307Ibid., p. 13, para. 10.
308To whom Italy has already recognized that reparations were made, cf. CR 2011/21,

p. 309 para. 33.
310Ibid.
Ibid., p. 26, para. 35.
311Ibid., p. 54.
312Written Response of Germany to the Questions Put by (. . .) Judge Cançado Trin -
dade (. . .) at the End of the Public Sitting Held on 16 September 2011, p. 3.

182

6 CIJ1031.indb 360 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 277

été indemnisés par la fondation « Mémoire, responsabilité et avenir »
pour [leur] travail forcé» et que «quelque 1 000 internés militaires italiens
ont été indemnisés pour cause de travail forcé dans le cadrep du régime
306
mis en place par ladite fondation » . Quant à ce dernier groupe de
victimes, l’Allemagne fait valoir qu’elle a décidé, « en 2000, de verser
aux anciens travailleurs forcés une indemnisation ex gratia », mais

admet ensuite que « les prisonniers de guerre ne bénéficiaient pas de
ce régime particulier »; seuls « les internés militaires qui avaient égale-
ment subi une persécution raciale ou idéologique avaient droit à des
indemnités» 307.

273. Il ressort des écritures susvisées que tous les « internés militaires
italiens» n’ont pas reçu de réparations, mais seulement ceux qui avapient
aussi été victimes d’« une persécution raciale ou idéologique » 308. L’Italie

répond à cet argument allemand que la question qui sous-tend le prpésent
différend ne concerne pas ces dernières victimes mais bien l’p« obligation
d’accorder réparation à plusieurs milliers d’Italiens victimpes de crimes de

guerre qui n’ont reçu de réparation sous aucune forme que ce soit, ce que
l’Allemagne a indirectement reconnu » 309. L’Italie conclut ainsi que «l’Alle-
magne a donc reconnu de manière claire et sans réserve que le restpe des

victimes — autrement dit, pas les victimes de persécutions mais toputes les
autres, qui représentent une large majorité — n’avaient nullpement obtenu
satisfaction » 31.

274. Comme je l’ai déjà souligné, à la fin de l’audience pde la Cour du
16 septembre 2011, l’une des questions que j’ai posées aux Parties visait à
clarifier ce point de fait particulier: j’ai demandé si « les victimes italiennes

auxquelles le défendeur se réfère spécifiquement [avaient] … effectivement
été indemnisées» et, si tel n’était pas le cas, si « elles [avaient] droit à une
telle réparation et comment elles [pouvaient] être effectivementp indemni -
311
sées, si ce n’est par une procédure de droit interne » . Les réponses des
Parties à cette question ont contribué à clarifier leurs posiptions respectives
en la matière.
275. L’Allemagne pour sa part a semblé éluder la question en se répfé -

rant à l’ordonnance de la Cour du 6 juillet 2010 (demande reconvention -
nelle) en affirmant que « la question de savoir si des réparations à raison
d’actes commis pendant la seconde guerre mondiale étaient toujoursp dues
312
ne constituait pas l’objet du présent différend porté devant la Cour » .

306CR 2011/20, p. 12-13.
307
308Ibid., p. 13, par. 10.
Auxquels l’Italie a déjà reconnu que des réparations ont épté accordées, voir
CR 2011/21, p. 25, par. 33.
309Ibid.
310Ibid., p. 26, par. 35.
311Ibid., p. 54.
312Réponse écrite de l’Allemagne aux questions posées par M. le juge Cançado Trin -
dade au terme de l’audience publique du 16 septembre 2011, p. 3.

182

6 CIJ1031.indb 361 22/11/13 12:25 278 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

313
ond World War was a classic inter-State and comprehensive regime,
and further argued that those victims who consider to have a claim
314
against Germany can institute proceedings in German courts . Ger -
many thus shed no light into the factual question of whether or not those
specific victims have received reparations ; it appeared to evade this ques -

tion by relying, somewhat equivocally, on the Court’s Order of 6 July
2010 (counter-claim).

276. Italy, for its part, provided a clear answer to this specific questionp,
in affirming unambiguously that “[n]one of the categories of victims
referred to in the cases underlying the present dispute has received
315
reparation” . It added that some categories of victims were never able
to claim compensation because no mechanism was put in place while oth -
ers have been trying to obtain compensation for a decade without any

success. Italy further argues that there is strong reluctance on Germany’s
part to conclude an agreement aimed at making reparation to these cat -
egories of victims. It also claimed that the question of reparation for the

Italian military internees was addressed by the Italian Ambassador in
Berlin during discussions on the possibility of compensation by the Founp -
316
dation .
277. Italy also submitted that, at the moment, there is no other alter -
native than national proceedings for these categories of victims to recepive

reparation. Italy argued that had domestic judges not removed immunity, p
no other avenue would have remained open for war crime victims to
obtain reparation 317. In its comments on Germany’s written reply to my

question, Italy further claimed that Germany’s arguments make it cleapr
that no reparation has been made to numerous Italian victims of war
crimes, as its refusal to make reparation was grounded on the argument

that it had been relieved of the obligation to make reparation on the bapsis
of the waiver clause of Article 77 of the 1947 Peace Treaty 318. Germany

313
Italy takes issue with Germany’s statement that the reparation regimep set up for the
Second World War was “comprehensive”. Italy argues that Germany itpself, both in its written
and oral submissions, admitted that reparations made in relation to Italpian victims of war
crimes were only “partial”. Italy further contends that the 1961 Agreement only provided for
reparations for victims of persecution. Thus, Italy submits that the chapracterization of the
reparation scheme as “comprehensive” cannot be accurate, in particpular concerning Italian
victims of war crimes. Comments of Italy on Germany’s Written Reply tpo the Questions Put

by (. . .) Judge Cançado Trindade and on Greece’s Written Reply to the Qupestion Put by
Judge Cançado Trindade at the Public Sitting Held on 16 September 2011, pp. 1-2.
314Written Response of Germany to the Questions Put by (. . .) Judge Cançado Trin -
dade (. . .) at the End of the Public Sitting Held on 16 September 2011, p. 3.
315Written Response of Italy to the Questions Put by (. . .) Judge Cançado Trindade
(. . .) at the End of the Public Sitting Held on 16 September 2011, p. 9.
316Op. cit. supa note 315, pp. 9-10.
317
318Ibid.
Comments of Italy on Germany’s Written Reply to the Question Put by (p. . .)
Judge Cançado Trindade and on Greece’s Written Reply to the Question Put by
Judge Cançado Trindade at the Public Sitting Held on 16 September 2011, p. 2.

183

6 CIJ1031.indb 362 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 278

Elle a aussi fait valoir que le régime de réparation mis en place paprès la
seconde guerre mondiale était un régime de réparation interéptatique clas-
313
sique et global , et ajouté que les victimes qui s’estimaient fondées à le
faire pouvaient intenter une action contre l’Allemagne devant les tripbunaux
314
allemands . L’Allemagne ne répond donc aucunement à la question fac -
tuelle de savoir si ces victimes spécifiques ont été indemnispées; elle semble
éluder cette question en invoquant, de manière quelque peu équipvoque,

l’ordonnance de la Cour du 6 juillet 2010 (demande reconventionnelle).
276. L’Italie pour sa part a répondu clairement à cette question prépcise
en affirmant sans ambiguïté qu’« [a]ucune des victimes entrant dans les

catégories mentionnées dans les affaires qui sont à l’origpine du présent
différend n’a reçu d’indemnisation » 315. Elle ajoute que certaines de ces
victimes n’ont jamais eu la possibilité de demander réparation pparce

qu’aucun mécanisme n’a été mis en place alors que d’auptres tentaient en
vain depuis presque une décennie d’obtenir réparation. L’Itaplie fait valoir
en outre que les autorités allemandes semblent très réticentes pà conclure

un accord en vue d’indemniser ces catégories de victimes. Elle affiprme éga -
lement que la question de l’indemnisation des internés militaires pitaliens a

été évoquée par l’ambassadeur d’Italie à Berlin lors de pourparlers relatifs
à une éventuelle indemnisation par la fondation 316.
277. L’Italie fait également valoir que, pour l’instant, il n’y ap d’autres

recours pour ces catégories de victimes que les recours internes et qpue, si ses
tribunaux internes n’avaient pas refusé l’immunité, les victpimes de crimes de
guerre n’auraient disposé d’aucun autre recours pour obtenir répparation 317.

Dans ses observations sur la réponse écrite de l’Allemagne à ma qpuestion,
l’Italie affirme en outre que les arguments de l’Allemagne démpontrent clai -
rement que de nombreuses victimes italiennes de crimes de guerre n’onpt eu

droit à aucune réparation, puisque l’Allemagne justifie son rpefus de les
indemniser en soutenant que la clause de renonciation contenue dans l’ar -
318
ticle 77 du traité de paix de 1947 l’a exonérée de son obligation . L’Alle-

313 L’Italie conteste l’affirmation de l’Allemagne selon laquelle ple régime de réparation
mis en place après la seconde guerre mondiale était «global ». Elle fait valoir que l’Alle

magne elle-même, tant dans ses écritures que dans ses plaidoiries,p admet n’avoir indemnisé
que « partiellement » les victimes italiennes de crimes de guerre. Elle ajoute que l’accorpd
de 1961 ne prévoyait que l’indemnisation des victimes de persécutipon. Elle estime donc que
l’assertion selon laquelle le régime de réparation étaitglobal » ne peut être tenue pour
exacte, en particulier en ce qui concerne les victimes italiennes de cripmes de guerre. Obser-
vations de l’Italie sur la réponse écrite de l’Allemagne auxp questions posées par M. le juge
Cançado Trindade au terme de l’audience publique du 16 septembre 2011, p. 1-2.
314
Réponse écrite de l’Allemagne aux questions posées par M. le juge Cançado Trin -
dade au terme de l’audience publique du 16 septembre 2011, p. 3.
315 Réponse écrite de l’Italie aux questions posées par M. le juge Cançado Trindade au
terme de l’audience publique du 16 septembre 2011, p. 12.
316 Op. cit. supa note 315, p. 12-13.
317 Ibid.
318 Observations de l’Italie sur la réponse écrite de l’Allemagnpe aux questions posées

par M. le juge Cançado Trindade au terme de l’audience publique du 16 septembre 2011,
p. 2.

183

6 CIJ1031.indb 363 22/11/13 12:25 279 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

did not contest Italy’s clear assertion that “[n]one of the categopries of
victims referred to in the cases underlying the present dispute has recepived
reparation” 31; in its comments to Italy’s response to my question, Ger -

many had an opportunity to rebut this statement and set the record 320
straight. Yet, it remained silent to this strong statement , and this
should not pass unnoticed.

278. As already indicated, the question of whether reparations have or
have not been paid has to be assessed in light of the records before thep
Court; both Parties have been given ample opportunity to clarify this
issue in their written and oral proceedings. They have further been

requested by me to provide a clear answer to a simple factual question. p
Italy did so; Germany evaded this question, arguing that the issue of rep -
arations is excluded from the present dispute by virtue of the Court’ps
Order of 6 July 2010 (counter-claim). This is far from convincing ; had it

provided a clear answer to my question, it would have assisted the Courtp
to clarify further this factual question. On the basis of the foregoing,p it
appears, from the materials submitted by the contending Parties, togethepr
with their submissions, that the specific victims referred to in Italyp’s recent

case law have not in fact received reparation.
279. In conclusion on the matter at issue, the records before the Court
show that Italy has repeatedly claimed in the present proceedings that
none of the victims referred to in Italy’s recent case law received rpepara -
tion. This is its basic argument, on which its case rests. Germany had

ample opportunity, in its written and oral submissions, as well as in itps
responses and further comments to the questions I put to both contend -
ing Parties (supra), to rebut this argument. It did not provide evidence of
reparation made to these specific victims, and, instead, limited its aprgu -

ments to general references of payments, while admitting that “Italiapn
military internees” were left outside the scope of the scheme of the p
“Remembrance, Responsibility and Future” Foundation.

280. In sum, and as already indicated, on the basis of an expert opin -
ion (by C. Tomuschat), Germany did not make reparation to Italian pris -
oners of war used as forced labourers (“Italian military internees”)
through the Foundation. It resorted to an appraisal which led to a treat -

ment of those victims that incurs, in my understanding, into a double
injustice to them : first, when they could have benefited from the rights
attached to the status of prisoners of war, such status was denied to thpem ;
and secondly, now that they seek reparation for violations of interna -

tional humanitarian law of which they were victims (including the violap -

319Written Response of Italy to the Questions Put by (. . .) Judge Cançado Trindade
(. . .) at the End of the Public Sitting Held on 16 September 2011, p. 9.
320Comments of Germany on Italy’s Written Reply to the Question Put by (. . .)
Judge Cançado Trindade and on Greece’s Written Reply to the Question Put by
Judge Cançado Trindade at the Public Sitting Held on 16 September 2011, pp. 1-2.

184

6 CIJ1031.indb 364 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 279

magne n’a pas contesté l’assertion claire de l’Italie selon plaquelle [«a]ucune
des victimes entrant dans les catégories mentionnées dans les affpaires qui
sont à l’origine du présent différend n’a reçu d’pindemnisatio» n319; dans ses

observations sur la réponse de l’Italie à ma question, l’Allpemagne avait la
possibilité de réfuter cette affirmation pour rétablir les faipts. Or, elle est
restée muette sur cette affirmation catégorique 320, et cela mérite de retenir
l’attention.

278. Comme je l’ai déjà indiqué, la question de savoir si des réppara -
tions ont ou non été versées doit être évaluée à lap lumière du dossier de la
Cour; de larges possibilités ont été données aux parties de clarpifier cette
question dans leurs écritures et leurs plaidoiries. Je les ai en outrpe priées

de répondre clairement à une question factuelle simple. L’Italipe l’a fait ;
l’Allemagne a éludé la question, faisant valoir que la questionp des répara -
tions était exclue du présent différend par l’effet de lp’ordonnance rendue
par la Cour le 6 juillet 2010 (demande reconventionnelle). Cela est loin

d’être convaincant ; si l’Allemagne avait répondu clairement à ma ques -
tion, elle aurait aidé la Cour à clarifier encore cette question factuelle. Sur
la base de ce qui précède, il ressort des pièces produites par les Parties et
de leurs écritures que les victimes spécifiques visées dans la jurisprudence

italienne récente n’ont pas en fait reçu de réparations.
279. Pour conclure sur cette question, le dossier de la Cour montre que
l’Italie a affirmé à maintes reprises lors de la présente pprocédure qu’au -
cune des victimes visées dans la jurisprudence italienne récente np’avait
reçu de réparations. Il s’agit là d’un argument fondamentpal, sur lequel

repose la thèse de l’Italie. L’Allemagne a eu largement la posspibilité, dans
ses écritures et ses plaidoiries ainsi que dans ses réponses aux questions
que j’ai posées aux Parties (supra), de même que dans ses observations
relatives à ces réponses, de réfuter cet argument. Elle n’a ppas produit

d’éléments attestant qu’une réparation avait été veprsée à ces victimes spé -
cifiques et s’est contentée de références générales pà des paiements, tout en
admettant que les « internés militaires italiens » étaient exclus du régime
de réparation de la fondation « Mémoire, responsabilité et avenir ».

280. En résumé, comme je l’ai déjà indiqué, l’Allemagne, en se fondant
sur l’avis d’un expert (C. Tomuschat), n’a pas accordé de réparations par
l’intermédiaire de la fondation aux prisonniers de guerre italiensp utilisés
comme travailleurs forcés (les «internés militaires italiens»). Elle a recouru

à une évaluation qui l’a amenée à traiter ces victimes d’une manière qui
selon moi aboutit à une double injustice. Premièrement, quand ils pauraient
pu bénéficier des droits attachés au statut de prisonniers de guerre, ce statut
leur a été dénié; et deuxièmement, maintenant qu’ils demandent réparation

pour les violations du droit international humanitaire dont ils ont épté vic -

319Réponse écrite de l’Italie aux questions posées par M. le juge Cançado Trindade au
terme de l’audience publique du 16 septembre 2011, p. 12.
320Observations de l’Allemagne sur la réponse écrite de l’Italipe à la question posée par
M. le juge Cançado Trindade à l’audience publique tenue le 16 septembre 2011, p. 1-2.

184

6 CIJ1031.indb 365 22/11/13 12:25 280 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

tion of denying them the status of prisoners of war), they are seen to be
treated as prisoners of war.
281. It is regrettably too late to consider them prisoners of war (and,
worse still, to deny them reparation): they should be so considered during

the Second World War and in its immediate aftermath (for the purpose ofp
protection), but they were not. These are the uncontested and the distrpess -
ing facts. On the basis of the foregoing, it can thus at last be concludped,
on the basis of the records before the Court, that many victims of Nazi p

Germany’s grave violations of human rights and of international humanp-
itarian law have in fact been left without reparation.

XXV. The Imperative of Providipng Reparation to Individupal
Victims of Grave Violatpions of Human Rights

and of International Hupmanitarian Law

1. The Realization of Justice as a Form of Reparation

282. In my understanding, it is imperative that reparation is provided

to the individual victims of the grave violations of human rights and of
international humanitarian law at issue in the cas d’espèce. The individual
victim’s right to reparation is ineluctably linked to the grave violaptions of
human rights and of international humanitarian law that they suffered.p In

the present case concerning the Jurisdictional Immunities of the State, the
contending claims of war reparations and State immunities could not at
all have been dissociated, and certainly not at all in the way they werep
by the Court’s Order of 6 July 2010, summarily dismissing the Italian

counter-claim. That decision was taken by the Court (with my firm
dissent), without a public hearing, and on the basis of two succinct para -
graphs (28 and 29) containing, each of them, a petitio principii, simply
begging the question 32.

283. Notwithstanding, as I have pointed out in the present dissenting
opinion (paras. 18-23 supra), the contending Parties, Germany and Italy,
kept on referring to the factual and historical background of the cas

d’espèce, in advancing their opposite views on State immunities. This was
not surprising, as claims of State immunities and war reparations, in thpe
circumstances of the present case, go inevitably together, as the two fapces
of the same coin. This is one of the many lessons to be extracted from tphe

present case. Its factual background confirms that, whenever a State
sought to stand above the law, abuses were committed against human

321Cf. Judgment No. 2867 of the Administrative Tribunal of the International Labour
Organization upon a Complaint Filed against the International Fund for A▯gricultural
Development, I.C.J. Reports 2012 (I), separate opinion of Judge Cançado Trindade,
p. 91, para. 111.

185

6 CIJ1031.indb 366 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 280

times (y compris la violation consistant à leur dénier le statut pde prisonniers
de guerre), ils se voient traités comme des prisonniers de guerre.
281. Il est malheureusement trop tard pour les considérer comme des

prisonniers de guerre (et, pire encore, pour leur refuser réparationp) : ils
auraient dû être considérés ainsi durant la seconde guerre mondiale et
dans la période qui a immédiatement suivi (aux fins de protectipon), mais
ils ne l’ont pas été. Tels sont les faits, incontestés et bopuleversants. Sur la

base de ce qui précède, on peut donc enfin conclure, à partirp du dossier de
la Cour, que de nombreuses victimes des violations graves des droits de p
l’homme et du droit international humanitaire commises par l’Allempagne

nazie n’ont en fait pas été indemnisées.

XXV. L’impératif d’accordepr réparation aux victipmes

individuelles de violaptions graves des droitsp de l’homme
et du droit internatiopnal humanitaire

1. La réalisation de la justice en tant que forme de réparation

282. Selon moi, il est impératif d’accorder réparation aux victimes p
individuelles de violations graves des droits de l’homme et du droit inter -
national humanitaire en cause dans la présente espèce. Le droit àp répara-

tion de la victime individuelle est inéluctablement lié aux violatpions graves
des droits de l’homme et du droit international humanitaire dont ellep a
souffert. Dans la présente affaire concernant les Immunités juridiction ‑
nelles de l’Etat, les invocations concurrentes du droit à des réparations de

guerre et des immunités de l’Etat n’auraient pas du tout dû pêtre disso -
ciées, et assurément pas de la manière dont elles l’ont été par la Cour dans
son ordonnance du 6 juillet 2010 rejetant sommairement la demande
reconventionnelle italienne. Cette décision a été prise par la pCour (avec

ma vigoureuse opinion dissidente) sans tenir d’audience publique surp le
fondement de deux paragraphes succincts (28 et 29) contenant chacun
une petitio principii, une simple pétition de principe 32.

283. Néanmoins, comme je l’ai souligné dans la présente opinion dpissi-
dente (par. 18-23 supra), les Parties, l’Allemagne et l’Italie, ont continué à
évoquer le contexte factuel et historique de la présente affairep, formulant
leurs arguments opposés sur les immunités de l’Etat. Ce n’espt pas surpre-

nant, car les demandes concernant les immunités de l’Etat et les réparations
de guerre sont, dans les circonstances de la présente espèce, inépvitablement
liées comme les deux faces d’une même médaille. C’est l’pune des nom -
breuses leçons à tirer de la présente affaire. Son contexte fpactuel confirme

que, chaque fois qu’un Etat veut se placer au-dessus de la loi, des apbus sont

321Voir Jugement n o 2867 du Tribunal administratif de l’Organisation internationale
du Travail sur requête contre le Fonds international de développem▯ent aavis consul‑
tatif, C.I.J. Recueil 2012 (I), opinion individuelle de M. le juge Cançado Trindade, p. 91,
par. 111.

185

6 CIJ1031.indb 367 22/11/13 12:25 281 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

beings 322, including grave violations of human rights and of international

humanitarian law.
284. The rule of law (état de droit) implies restrictions imposed upon
the power of the State by the law, as no State stands above this latter ; the
rule of law seeks to preserve and guarantee certain fundamental values, pin

the line of natural law thinking. Whenever those values are forgotten, ipn
the mounting of a State apparatus of oppression leading to systematic
and grave violations of human rights and of international humanitarian

law, law reacts. And the realization of justice, which takes place also to
put an end to impunity, in my view constitutes by itself a relevant formp of
reparation (satisfaction) to the victims.

2. Reparation as the Reaction of Law to Grave Violations

285. It indeed resembles a reaction of the law to the extreme violence
victimizing human beings. We enter here into the domain of jus cogens

(cf. infra); law reacts to assert its primacy over brute force, to seek to
regulate human relations according to the precepts of the recta ratio (of
natural law), and to mitigate human suffering. Hence the imperative opf
having justice done, and of providing reparation to the victims. In his

work L’Ordinamento Giuridico (originally published in 1918), the Italian
jusphilosopher Santi Romano sustained that sanction is not circum -
scribed to specific legal norms, but is rather immanent to the juridicpal

order as a whole, operating as 323“effective guarantee” of all tphe subjec -
tive rights set forth therein . In face of the acts of extreme violence vic -
timizing human beings, violating fundamental rights inherent to them,
the legal order (national and international) reacts, so as to secure the pri -

macy of justice and to render viable the reparation (satisfaction) to pthe
victims.
286. I had the occasion, one decade ago, to dwell upon this particular

point, in the adjudication of a case in another international jurisdictipon
(the IACtHR). I then pointed out that the law, emanating ultimately frpom
human conscience and moved on by this latter, comes to provide the repa ‑
ratio (from the Latin term reparare, “to dispose again”) ; and law inter -
324
venes, moreover, to guarantee the non-repetition of the harmful acts .
The reparatio does not put an end to the human rights violations already
perpetrated 325, but it at least avoids the aggravation of the harm already

done (by the indifference of the social milieu, by impunity or by oblpivion).

322E. Cassirer, El Mito del Estado, op. cit. supra note 191, pp. 311-319 ; A. Ross, Sobre
el Derecho y la Justicia, 2nd ed., Buenos Aires, Eudeba, 1997, pp. 314-315.
323Santi Romano, L’ordre juridique (transl., 2nd ed.), Paris, Dalloz, 2002 (reed.), p. 16.
324IACtHR, case Bulacio v. Argentina (judgment of 18 September 2003), separate
opinion of Judge Cançado Trindade, para. 35.
325Human capacity of both promoting the common good and to commit evil has p
not ceased to attract the attention of human thinking throughout the cenpturies ; cf., e.g.,

F. Alberoni, Las Razones del Bien y del Mal, Mexico, Gedisa Edit., 1988, pp. 9-196 ;
A.-D. Sertillanges, Le problème du mal, op. cit. supra note 253, pp. 5-412.

186

6 CIJ1031.indb 368 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 281

322
commis contre des êtres humains , notamment des violations graves des
droits de l’homme et du droit international humanitaire.
284. L’état de droit implique des restrictions imposées au pouvoir de

l’Etat par le droit, car aucun Etat n’est au-dessus de celui-ci; l’état de droit
vise à préserver et garantir certaines valeurs fondamentales, confpormément
à la doctrine du droit naturel. Lorsque ces valeurs sont oubliées pdans l’édi -

fication d’un appareil étatique d’oppression aboutissant à des violations
systématiques et graves des droits de l’homme et du droit internatpional
humanitaire, le droit réagit. Et la réalisation de la justice, qui intervient
aussi pour mettre un terme à l’impunité, constitue selon moi enp elle-même

une forme pertinente de réparation (satisfaction) au profit des vpictimes.

2. La réparation en tant que réaction du droit aux violations graves

285. Elle ressemble effectivement à une réaction du droit à la vioplence
extrême s’abattant sur des êtres humains. Nous entrons ici dansp le domaine
du jus cogens (voir infra) ; le droit réagit pour affirmer sa primauté sur la

force brutale, pour essayer de réguler les relations humaines selon lpes pré -
ceptes de la recta ratio (du droit naturel) et pour atténuer les souffrances
humaines. D’où l’impératif que justice soit faite et d’acpcorder une réparation

aux victimes. Dans son ouvrage L’Ordinamento Giuridico (initialement
publié en 1918), le philosophe du droit italien Santi Romano soutenait que
la sanction n’était pas circonscrite à des formes juridiques spécifiques mais

était immanente à l’ordre juridique dans son ensemble, opérant comme une 323
«garantie effective» de tous les droits subjectifs existant dans cet ordre .
Face à des actes d’une violence extrême dont sont victimes des pêtres humains,
et qui violent les droits fondamentaux qui leur sont inhérents, l’pordre juri -

dique (national et international) réagit afin d’assurer la pripmauté de la ju-s
tice et de permettre la réparation (satisfaction) au bénéfipce des victimes.
286. J’ai eu l’occasion, il y a une décennie, de me pencher sur ce ppoint

particulier lors du jugement d’une affaire par une autre juridictiopn inter-
nationale (la CIADH). J’ai fait observer à cette occasion que lep droit, qui
émane en dernière analyse de la conscience humaine qui le fait épvoluer, est

là pour accorder la reparatio (du latin reparare, « préparer de nouveau ») ;
et le droit intervient en outre pour garantir la non-répétition des actes
dommageables 324. La reparatio ne met pas fin aux violations des droits de
325
l’homme déjà commises , mais au moins elle évite l’aggravation (par l’in-
différence du milieu social, par l’impunité ou par l’oublip) du mal déjà fait.

322E. Cassirer, El Mito del Estado, op. cit. supra note 191, p. 311-319; A. Ross, Sobre el
e
Der323o y la Justicia, 2 éd., Buenos Aires, Eedeba, 1997, p. 314-315.
324Santi Romano, L’ordre juridique (trad., 2 éd.), Paris, Dalloz, 2002 (rééd.), p. 16.
CIADH, affaire Bulacio c. Argentine, arrêt du 18 septembre 2003, opinion indivi-
duelle du juge Cançado Trindade, par. 35.
325La capacité de l’homme de promouvoir le bien commun comme de commepttre
le mal n’a pas cessé d’attirer l’attention des penseurs toutp au long des sièvoir par
exemple F. Alberoni, Las Razones del Bien y del Mal, Mexico, Gedisa Edit., 1988, p. 9-196;
A.-D. Sertillanges, Le problème du mal, op. cit. supra note 253, p. 5-412.

186

6 CIJ1031.indb 369 22/11/13 12:25 282 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

287. Under this outlook, the reparatio is endowed, in my understand -
ing, with a double meaning, as I stated on that occasion, namely :

“it provides satisfaction (as a form of reparation) to the victims,p or
their relatives, whose rights have been violated, at the same time that p

it re-establishes the legal order broken by such violations — a legal
order erected on the full respect for the rights inherent to the human
person. The legal order, thus re-established, requires the guarantee of
non-repetition of the harmful acts (. . .).

The reparatio disposes again, reorganizes the life of the victimized
survivors, but it does not manage to eliminate the pain which is
already ineluctably incorporated to their day-to-day existence. The
loss is, from this angle, rigorously irreparable. Yet, the reparatio is an
inescapable duty of those who have the responsibility to impart jus -

tice. In a stage of greater development of human conscience, and thus
of law itself, it is beyond doubt that the realization of justice over -
comes every and any obstacle, including those ensuing from the abu -
sive exercise of rules or institutes of positive law, thus rendering

imprescriptible the grave breaches of human rights (. . .). The repara ‑
tio is a reaction, at the level of the law, to human cruelty, manifested
in the most diverse forms : the violence in the treatment of fellow
human beings semejantes, the impunity of those responsible on the

part of the public power, the indifference and oblivion of the social p
milieu.
This reaction of the broken legal order (the substratum of which is
precisely the observance of human rights) is moved, ultimately, by the p

spirit of human solidarity (. . .). The reparation, thus understood,
encompassing, in the framework of the realization of justice, the sat -
isfaction to the victims (or their relatives) and the guarantee of
non-repetition of the harmful acts, (. . .) is endowed with undeniable
importance. The rejection of the indifference and oblivion, and the

guarantee of non-repetition of the violations, are manifestations of
the links of solidarity between those victimized and those who can be
so, in the violent world, devoid of values, wherein we live. This is,
ultimately, an eloquent expression of the links of solidarity that unitep
326 327
the living to their dead . (. . .)”

XXVI. The Primacy of Jus C ogens :

A Rebuttal of Its Deconsptruction

288. This leads me to my last line of considerations. In the present dis -
senting opinion, I have already expressed my firm opposition to the pops-

326
On these links of solidarity, cf. my separate opinions in the case Bámaca Velásquez
v. Guatemala (judgments of the IACtHR on the merits, of 25 November 2000, and on
reparations, of 22 February 2002).
327IACtHR, case Bulacio v. Argentina (judgment of 18 September 2003), separate
opinion of Judge Cançado Trindade, paras. 36 and 38-40.

187

6 CIJ1031.indb 370 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 282

287. Dans cette perspective, la reparatio revêt selon moi une double
signification que j’ai définie en cette occasion :

«elle donne satisfaction (comme forme de réparation) aux victimes,
ou aux membres de leur famille, dont les droits ont été violés, et dans

le même temps rétablit l’ordre juridique rompu par ces violatiopns, un
ordre juridique édifié dans le respect intégral des droits inphérents à la
personne humaine. L’ordre juridique, ainsi rétabli, exige la garanptie
de la non-répétition des actes dommageables…

La reparatio redispose, réorganise la vie des survivants victimisés,
mais elle ne réussit pas à éliminer la souffrance qui a dépjà été inévita -
blement incorporée à leur existence quotidienne. La perte est, de pce
point de vue, rigoureusement irréparable. Pourtant, la reparatio
constitue une obligation à laquelle ceux qui ont la responsabilitép de

faire justice ne peuvent se soustraire. A un stade avancé du dévelpop-
pement de la conscience humaine, et donc du droit lui-même, il n’est
pas douteux que la réalisation de la justice surmonte tous les obsta -
cles, y compris ceux qui découlent de l’invocation abusive de rèpgles

ou institutions du droit positif, rendant ainsi imprescriptibles les vio -
lations graves des droits de l’homme… La reparatio est une réaction,
au niveau du droit, à la cruauté humaine, qui se manifeste sous leps
formes les plus diverses : la violence dans le traitement d’êtres

humains semejantes, l’impunité dont bénéficient les responsables de
la part des pouvoirs publics, l’indifférence et l’oubli du miplieu social.
Cette réaction de l’ordre juridique rompu (dont le substratum est pré -
cisément le respect des droits de l’homme) est suscitée, en dernière an-a

lyse, par l’esprit de solidarité humaine… La réparation, ainpsi comprise,
qui inclut, dans le cadre de la réalisation de la justice, la satisfapction
accordée aux victimes (ou aux membres de leur famille) et la garantpie
de non-répétition des actes dommageables … revêt une importance
indéniable. Le rejet de l’indifférence et de l’oubli, et lpa garantie de la

non-répétition des violations, sont des manifestations des liens dpe soli -
darité entre ceux qui ont été victimisés et ceux qui peuventp l’être, dans
le monde violent, dépourvu de valeurs, dans lequel nous vivons. Cela
constitue en dernière analyse une expression éloquente des liens dpe soli -
326 327
darité qui unissent les vivants à leurs morts … »

XXVI. La primauté du Jus Cogens :

une réfutation de sa dpéconstruction

288. Cela m’amène à ma dernière série de considérations. Dapns la pré-
sente opinion dissidente, j’ai déjà exprimé ma ferme oppositpion à la pos -

326
Sur ces liens de solidarité, voir mes opinions individuelles dans l’paffaire Bámaca
Velásquez c. Guatemala, arrêts de la CIADH sur le fond du 25 novembre 2000 et sur les
réparations du 22 février 2002.
327CIADH, affaire Bulacio c. Argentine, arrêt du 18 septembre 2003, opinion ind-vi
duelle du juge Cançado Trindade, par. 36 et 38-40.

187

6 CIJ1031.indb 371 22/11/13 12:25 283 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

ture of stagnation in respect of jus cogens whenever claims of State

immunity are at stake (paras. 224-227 supra). In fact, in this and other
respects (methodology, approach adopted and pursued, reasoning, con -
clusions), there seems to be an abyss separating my own position from
that of the Court’s majority in the present case concerning the Jurisdic ‑

tional Immunities of the State. In laying the foundations of my own per -
sonal position on the issues dealt with in the present Judgment, may I
now concentrate my dissenting opinion, at last, on one point which is

particularly dear to me : the consolidation and primacy of jus cogens in
international law. In effect, without the primacy of jus cogens, interna -
tional law would have a grim future. I could not accept that, as all hoppe
for a better future would then vanish.

289. I am a surviving Judge from the painful international adjudica -
tion of a cycle of cases of massacres that recently reached a contemporary
international tribunal, the IACtHR, during which I was in contact with

the most somber side of human nature. Now that those cases have been
decided, and belong to the history of contemporary international law
(and in particular the international law of human rights), I have orgap -
328
nized my memories of that experience , so that present and future gen -
erations of scholars of the law of nations (droit des gens) may perhaps
benefit from the lessons I have extracted therefrom. It is not my intention
to recollect those lessons in the present dissenting opinion, but only apnd

briefly to refer to them and to point out that, in my view, one cannot
approach cases of the kind involving grave breaches of human rights and p
of international humanitarian law — without close attention to funda ‑

mental human values. Unlike what legal positivism assumes, law and eth -
ics go ineluctably together, and this should be kept in mind for the faipthful
realization of justice, at national and international levels.

290. The invocation of “elementary considerations of humanity” 329
cannot be rhetorical, failing to guard coherence in not anticipating norp

addressing the consequences of the application of those considerations in
practice. Moreover, one should not pursue a very restrictive view of
opinio juris 330, reducing it to the subjective component of custom and
distancing it from the general principles of law, up to a point of not tpak -
331
ing account of it at all . In the present case, the “acts committed on the

32A. A. Cançado Trindade, El Ejercicio de la Función Judicial Internacional — Memo ‑
rias de la Corte Interamericana de Derechos Humanos, op. cit. supra note 256, pp. 1-340 ;
and cf. also A. A. Cançado Trindade, State Responsibility in Cases of Massacres : Contem‑
porary Advances in International Justice (Inaugural Address, 10 November 2011), Utrecht,
Universiteit Utrecht, 2011, pp. 1-71 ; A. A. Cançado Trindade, “Die Entwicklung des
interamerikanischen Systems zum Schutz der Menschenrechte”, 70 Zeitschrift für auslän ‑
disches öffentliches Recht und Völkerrecht (2010), pp. 629-699, esp. pp. 695-699.
329Cf. Judgment, para. 52.
330
331Cf. ibid., para. 55.
Cf. ibid., para. 78.

188

6 CIJ1031.indb 372 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 283

ture de stagnation adoptée en ce qui concerne le jus cogens chaque fois que

l’immunité de l’Etat est invoquée (par. 224-227 supra). En fait, à cet égard
comme à d’autres (méthodologie, approche adoptée et suivie, raisonne -
ment et conclusions), il semble y avoir un abîme entre ma propre pospition
et celle de la majorité de la Cour dans la présente affaire concernant les

Immunités juridictionnelles de l’Etat. J’ai exposé les fondements de ma
position personnelle sur les questions envisagées dans le présent parrêt, mais
je souhaiterais maintenant axer mon opinion dissidente, enfin, sur un ppoint

qui m’est particulièrement cher : la consolidation et la primauté du
jus cogens en droit international. En effet, sans la primauté du jus cogens,
l’avenir du droit international serait bien sombre. Je ne pourrais l’paccepter,
car alors tout espoir d’un avenir meilleur disparaîtrait.

289. Je suis un juge survivant de l’exercice douloureux de la fonction
judiciaire internationale dans une série d’affaires de massacresp récemment
portées devant une juridiction internationale contemporaine, la CIDH,p

qui ont pour moi été l’occasion d’être en contact avec lap part la plus
sombre de la nature humaine. Maintenant que ces affaires ont étép tran -
chées et appartiennent à l’histoire du droit international contpemporain (et

en particulier du droit international d328droits de l’homme), j’api organisé
mes souvenirs de cette expérience , afin que les générations présentes et
futures de publicistes (les spécialistes du droit des gens) puissenpt peut-être
bénéficier des enseignements que j’en ai tirés. Je n’aip pas l’intention de

rappeler ces enseignements dans la présente opinion dissidente, mais pseu -
lement de m’y référer brièvement pour faire observer que, seplon moi, on
ne peut envisager des affaires concernant des violations graves des drpoits

de l’homme et du droit international humanitaire sans accorder l’aptten -
tion qu’elles méritent aux valeurs fondamentales de l’humanité. Contraire -
ment à ce que suppose le positivisme juridique, le droit et l’épthique sont
indissolublement liés, et il ne faut pas l’oublier pour réalisepr fidèlement la

justice aux niveaux national et international.
290. L’invocation des « considérations élémentaires d’humanité » 329ne
peut être que rhétorique, et manquer de cohérence en n’anticpipant et n’en -

visageant pas les conséquences de l’application de ces considérpations en
pratique. De plus, il ne faut pas adopter une vue très restrictive de l’opinio
juris 33, en la réduisant à l’élément subjectif de la coutume et pen l’éloi -
gnant des principes généraux du droit au point de n’en pas du tpout tenir
331
compte . Dans la présente espèce, « les actes commis, sur le territoire de

328A. A. Cançado Trindade, El Ejercicio de la Función Judicial Internacional — Memo‑
rias de la Corte Interamericana de Derechos Humanos, op. cit. supra note 256, p. 1-340; voir
aussi A. A. Cançado Trindade, State Responsibility in Cases of Massacres : Contemporary
Advances in International Justice (allocution inaugurale du 10 novembre 2011), Utrecht,
Universiteit Utrecht, 2011, p. 1-71 ; A. A. Cançado Trindade, « Die Entwicklung des inter-
amerikanischen Systems zum Schutz der Menschenrechte », Zeitschrift für ausländisches
öffentliches Recht und Völkerrecht, vol. 70 (2010), p. 629-699, en particulier p. 695-699.
329 Voir arrêt, par. 52.
330
331Voir ibid., par. 55.
Voir ibid., par. 78.

188

6 CIJ1031.indb 373 22/11/13 12:25 284 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

territory of the forum State by the armed forces of a foreign State” 332
(as the Court depicts them), are “acts” the illegality of which has been

recognized by the responsible State itself, Germany, “at all stages opf the
proceedings” 333of the present case. They are not acta jure imperii 334, as
the Court repeatedly characterizes them ; they are unlawful acts,

delicta imperii, atrocities, international crimes of the utmost gravity,
engaging the responsibility of the State and of the individuals that perppe -
trated them. The traditional distinction between acts jure imperii and jure
gestionis, as I have already indicated, is immaterial here, in a case of the

gravity of the present one.
291. The principle of the sovereign equality of States is indeed a funda -
mental principle applicable at the level of inter-State relations 33: had it
been duly observed, those atrocities or international crimes would not

have occurred in the way and at the time they did (in 1943-1945). In any
case, that principle is not the punctum pruriens here, as we are concerned
in the cas d’espèce with atrocities or international crimes committed at

intra-State level. The central principles at issue here are, in my perceptionp,
the principle of humanity and the principle of human dignity. State
immunity cannot, in my view, be unduly placed 336above State responsi -
bility for international crimes and its ineluctable complement, the resppon -

sible State’s duty of reparation to the victims.
292. As already indicated, the jurisprudence constante of the Hague
Court (PCIJ and ICJ) upholds the understanding that, as a matter of

principle, a violation of international law and the corresponding duty of
providing reparation form an indissoluble whole, so as to make the conse -
quences thereof cease. State immunities cannot be made to operate, as inp
the present Judgment, like thunder coming out of a dark storm (the socipal

cataclysm of the Second World War) and falling upon that indissoluble
whole, dismantling it altogether. As I have further also indicated, State
immunity is not a right but rather a prerogative or privilege ; it cannot be
upheld in a way that leads to manifest injustice.

293. In order to try to justify the upholding of State immunity even in
the circumstances of the cas d’espèce, the Court’s majority pursues an
empirical factual exercise of identifying the incongruous case law of

national courts and the inconsistent practice of national legislations opn
the subject-matter at issue. This exercise is characteristic of the methpodol -
ogy of legal positivism, over-attentive to facts and oblivious of values. Be
that as it may, even in its own outlook, the examination of national couprts

decisions, in my view, is not at all conclusive for upholding State immup -
nity in cases of international crimes.

332
333Cf. Judgment, para. 65.
334Cf. ibid., para. 60.
335Cf. ibid., para. 60 and cf. also paras. 61-65, 72 and 77.
336Cf. ibid., para. 57.
Cf. ibid., paras 90 and 106.

189

6 CIJ1031.indb 374 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 284

l’Etat du for, par les forces armées d’un Etat étranger » 332(comme la
Cour les dépeint) sont des « actes» dont l’illégalité a été reconnue par

l’Etat responsable lui-même, l’Allemagne, « à toutes les étapes de la pro -
cédure » 333dans la présente affaire. Il ne s’agit pas d’acta jure imperii 33,
comme la Cour les qualifie à maintes reprises ; il s’agit d’actes illicites, de

delicta imperii, d’atrocités, de crimes internationaux de la pire gravité,
engageant la responsabilité de l’Etat et des individus qui les ontp commis.
La distinction traditionnelle entre actes jure imperii et jure gestionis,
comme je l’ai déjà indiqué, est dénuée de pertinence dpans une affaire aussi

grave que la présente affaire.
291. Le principe de l’égalité souveraine des Etats est effectivemepnt un
principe fondamental applicable au niveau des relations inter‑étatiques 335:
eût-il été dûment observé, ces atrocités ou crimes intpernationaux n’auraient

pas été commis de la manière et à l’époque où ils lp’ont été (en 1943-1945).
Quoi qu’il en soit, ce principe n’est pas le punctum pruriens car en l’espèce
nous avons affaire à des atrocités ou crimes internationaux commpis au

niveau intra-étatique. Les principes fondamentaux en cause sont ici, selon
moi, le principe d’humanité et le principe de la dignité humainpe. J’estime
que l’immunité de l’Etat ne peut être indûment placée 336au-dessus de la
responsabilité de l’Etat à raison de crimes internationaux et spon corollaire

inéluctable, l’obligation de l’Etat responsable d’indemniserp les victimes.
292. Comme je l’ai déjà indiqué, la jurisprudence constante de la Cour
de La Haye (la CPJI et la CIJ) confirme que, par principe, une violation
du droit international et l’obligation correspondante de réparer fporment

un tout indissoluble, de telle manière que l’immunité est privée d’effets. pOn
ne peut faire opérer les immunités de l’Etat, comme dans le prépsent arrêt,
tel un coup de tonnerre au milieu d’une tempête violente (le catapclysme

sociétal de la seconde guerre mondiale) qui tomberait sur ce tout inpdisso -
luble en le démantelant. Comme je l’ai également indiqué, l’pimmunité de
l’Etat n’est pas un droit, c’est une prérogative ou un priviplège ; elle ne peut
être retenue d’une manière qui aboutisse à une injustice manpifeste.

293. Afin de justifier la confirmation de l’immunité de l’Etatp jusque
dans les circonstances de la présente espèce, la majorité de lap Cour se livre
à un exercice factuel empirique consistant à recenser la jurisprudpence
incongrue de tribunaux internes et la pratique incohérente des légpislations

nationales sur la question en cause. Cet exercice est caractéristique des
méthodes du positivisme juridique, qui accorde une attention exagéprée
aux faits pour oublier les valeurs. Quoi qu’il en soit, même consipdéré en

lui-même, l’examen des décisions des tribunaux internes n’espt à mes yeux
pas du tout concluant s’agissant de confirmer l’immunité de lp’Etat en cas
de crimes internationaux.

332
333 Voir arrêt, par. 65.
334Voir ibid., par. 60.
335Voir ibid., par. 60, de même que par. 61-65, 72 et 77.
336Voir ibid., par. 57.
Voir ibid., par. 90 et 106.

189

6 CIJ1031.indb 375 22/11/13 12:25 285 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

294. As to national legislations, pieces of sparse legislation in a handful
of States 33, in my view, cannot withhold the lifting of State immunity in

cases of grave violations of human rights and of international humanitarian
law. Such positivist exercises are leading to the fossilization of interpnational
law, and disclosing its persistent underdevelopment, rather than its propgres -

sive development, as one would expect. Such undue methodology is coupledp
with inadequate and unpersuasive conceptualizations, of the kind so widep -
spread in the legal profession, such as, inter alia, the counterpositions of
“primary” to “secondary” rules, or of “procedural” to p“substantive” rules 338,

or of obligations of “conduct” to those of “result”. Words, pwords, words . . .
Where are the values?

295. At times, resorting to conceptualizations of the kind may lead to

manifest injustice, as in the present case concerning the Jurisdictional
Immunities of the State. Once again the Court resorts to the counterposi -
tion between procedural law (where it situates immunity, as it did in its

earlier judgment of 2002 in the Arrest Warrant of 11 April 2000 case,
opposing the Democratic Republic of the Congo to Belgium) and sub -
stantive law 33. To me, the separation between procedural and substan -
tive law is not ontologically nor deontologically viable: la forme conforme

le fond. Legal procedure is not an end in itself, it is a means to the realiza -
tion of justice. And the application of substantive law is finaliste, it pur -
ports to have justice done.
296. In the present Judgment, the Court’s majority starts from the wrong

assumption that no conflict exists, or can exist, between the substantpive
“rules of jus cogens” (imposing the prohibitions of “the murder of civilians
in occupied territory, the deportation of civilian inhabitants to slave plabour

and the deportation of prisone340of war to slave labour”) and the prpocedural
“rules of State immunity” . This tautological assumption leads the Court
to its upholding of State immunity even in the grave circumstances of thpe
present case. There is thus a material conflict, even though a formalipst one

may not be discernible. The fact remains that a conflict does exist, apnd the
Court’s reasoning leads to what I perceive as a groundless deconstrucption of
jus cogens, depriving this latter of its effects and legal consequences.
297. This is not the first time that this happens; it has happened before,

e.g., in the last decade, in the Court’s Judgments in the cases of thpe Arrest
Warrant (2002) and of the Armed Activities on the Territory of the Congo
(Democratic Republic of the Congo v. Rwanda) (2006), recalled by the
341
Court with approval in the present Judgment . It is high time to give
jus cogens the attention it requires and deserves. Its deconstruction, as in
the present case, is to the detriment not only of the individual victimsp of

337
338 Cf. Judgment, para. 88.
339 Cf. ibid., paras. 58 and 100.
340 I.C.J. Reports 2002, p. 3. And cf. Judgment, para. 58.
341 Cf. Judgment, para. 93 and cf. also para. 95.
Cf. ibid., para. 95.

190

6 CIJ1031.indb 376 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 285

294. Quant aux législations nationales, de rares dispositions législatipves
dans une poignée d’Etats 337ne sauraient selon moi empêcher de refuser

l’immunité dans les cas de violations graves des droits de l’hopmme et du
droit international humanitaire. Telles sont les manifestations du positpi -
visme qui aboutissent à une fossilisation du droit international et révèlent

son sous-développement persistant, et non son développement progrepssif
comme on pourrait l’espérer. Cette méthodologie indue est assocpiée à des
conceptualisations inadéquates et peu persuasives du type de celles qpui
sont si répandues dans les professions juridiques, comme l’oppositpion des

règles « primaires» aux règles « secondaires», des règles « procédurales»
aux règles « matérielles » 338, ou des obligations de « comportement» à
celles de « résultat». Des mots, des mots, des mots… Où sont les valeurs ?
295. Le recours à des conceptualisations de ce type peut parfois abou -

tir à une injustice manifeste, comme dans la présente affaire copncernant
les Immunités juridictionnelles de l’Etat. Une fois encore la Cour oppose le
droit procédural (dans lequel elle situe l’immunité, comme ellpe l’a fait

dans son arrêt de 2002 en l’affaire du Mandat d’arrêt du 11 avril 2000, qui
opposait la République démocratique du Congo à la Belgique) etp le droit
matériel 33. Selon moi, la distinction entre droit procédural et droit maté -
riel n’est viable ni ontologiquement ni déontologiquement : la forme

conforme le fond. La procédure judiciaire n’est pas une fin en spoi, c’est un
moyen de réaliser la justice. Et l’application du droit matériepl est finaliste,
elle vise à faire justice.
296. Dans le présent arrêt, la majorité de la Cour part de l’hypopthèse

erronée selon laquelle il n’existe ou ne peut exister de conflitp entre ler sègles
[matérielles] du jus cogens» (qui interdisent «de tuer des civils en territoire
occupé ou de déporter des civils ou des prisonniers de guerre pourp les

astreindre au travail forc340 et « celles qui régissent l’immunité de l’Etat»,
des règles procédurales . Cette hypothèse tautologique amène la Cour à
confirmer l’immunité de l’Etat même dans les graves circonpstances de la pré -
sente affaire. Il y a ainsi un conflit de fond, même si un conflpit formel ne peut

être discerné. Le fait demeure qu’un conflit existe bien, et ple raisonnement de
la Cour aboutit à ce que je considère comme une destruction infondpée du
jus cogens, qui prive ce dernier de ses effets et de ses conséquences juridiqpues.
297. Ce n’est pas la première fois que cela se produit ; c’est déjà arrivé,

par exemple au cours de la dernière décennie dans les arrêts que la Cour
a rendus dans les affaires du Mandat d’arrêt (2002) et des Activités
armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo

c. Rwa341) (2006), rappelés avec approbation par la Cour dans le présent
arrêt . Il est grand temps d’accorder au jus cogens l’attention qu’il
appelle et mérite. Sa déconstruction, comme dans la présente affpaire,

337
338Voir arrêt, par. 88.
339Voir ibid., par. 58 et 100.
340C.I.J. Recueil 2002, p. 3. Et voir arrêt, par. 58.
341Voir arrêt, par. 93, de même que par. 95.
Voir ibid., par. 95.

190

6 CIJ1031.indb 377 22/11/13 12:25 286 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

grave violations of human rights and of international humanitarian law, p
but also of contemporary international law itself. In sum, in my under -
standing, there can be no prerogative or privilege of State immunity in p
cases of international crimes, such as massacres of the civilian populatpion,
and deportation of civilians and prisoners of war to subjection to slavep

labour: these are grave breaches of absolute prohibitions of jus cogens,
for which there can be no immunities.

298. State immunities cannot keep on being approached in the light of
an atomized or self-sufficient outlook (contemplating State immunities in

a void), but rather pursuant to a comprehensive view of contemporary
international law as a whole, and its role in the international communitpy.
International law cannot be frozen by continued and prolonged reliance
on omissions of the past, either at normative level (e.g., in the drafting of

the 2004 United Nations Convention on Jurisdictional Immunities of
States and Their Property), or at judicial level (e.g., the majority dpecision
of the ECHR [Grand Chamber] in the Al‑Adsani case, 2001, and of this
Court in the present case), already pointed out. The assertion by the
Court, in the present Judgment, that, analogically, there is nothing “inher -

ent in the concept of jus cogens” which would require the modification, or
displace the application, of rules determining the scope and extent of
jurisdiction 34, simply begs the question : it requires persuasive demon -
stration, not provided to date.

299. The Court cannot, by its decisions, remain indifferent to, or obliv -
ious of, the enormous suffering of victims of grave violations of humapn
rights and of international humanitarian law; it cannot remain over-atten -
tive to the apparent sensitivities of States, to the point of conniving at
denial of justice, by unduly ascribing to State immunities an absolute

value. Quite on the contrary, the individual victims of State atrocitiesp
cannot be left without any form of redress. State immunity is not sup -
posed to operate as a bar to jurisdiction in circumstances such as those
prevailing in the present case concerning the Jurisdictional Immunities of
the State. It is not to stand in the way of the realization of justice. The

pursuit of justice is to be preserved as the ultimate goal ; securing justice
to victims encompasses, inter alia, enabling them to seek and obtain
redress for the crimes they suffered. Jus cogens stands above the preroga -
tive or privilege of State immunity, with all the consequences that ensupe

therefrom, thus avoiding denial of justice and impunity.

XXVII. A Recapitulation: Concluding Observationps

300. From all the preceding considerations, it is crystal clear that my
own position, in respect of all the points which form the object of the ppres -

342
Cf. Judgment, para. 95.

191

6 CIJ1031.indb 378 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 286

porte préjudice non seulement aux victimes individuelles de violationps
graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire, mpais
aussi au droit international contemporain lui-même. En résumé, selon
moi, il ne peut y avoir de prérogative ni de privilège d’immunitép de l’Etat
en cas de crimes internationaux, comme les massacres de populations

civiles, ou la déportation de civils et prisonniers de guerre pour leps
astreindre au travail forcé : il s’agit de violations graves d’interdictions
absolues du jus cogens, pour lesquelles il ne saurait y avoir d’immunités.
298. On ne peut continuer d’envisager des immunités de l’Etat dans upne
perspective atomisée ou autosuffisante (en les considérant dans pun vide:)il

faut le faire dans le cadre d’une vision globale de l’intégralipté du droit inter-
national contemporain et de son rôle au sein de la communauté inteprnati-o
nale. Le droit international ne peut être gelé en maintenant et en prolongeant
les omissions du passé, que ce soit au plan normatif (par exemple loprs de la

rédaction de la convention des Nations Unies sur les immunités juridiction -
nelles des Etats et de leurs biens de 2004) ou au plan judiciaire (parp exemple
la décision majoritaire de la CEDH [Grande Chambre] dans l’affaipre Al‑
Adsani en 2001 et l’arrêt de la Cour dans la présente affaire), que j’pai déjà
évoquées. L’assertion par la Cour dans le présent arrêt selon laquelle, du

point de vue analogique, il n’y a riend «’intrinsèque à la notion de jus cogens »
qui imposerait de modifier ou d’écarter l’application des rèpgles qui déter -
minent la portée et l’étendue de la juridiction ne fait qu’éluder la question :
elle nécessite une démonstration persuasive qui n’a pas étép faite à ce jour.

299. La Cour ne peut, par ses décisions, demeurer indifférente aux
immenses souffrances des victimes de violations graves des droits de lp’homme
et du droit international humanitaire ni les oublier ; elle ne peut continuer
d’accorder une attention indue aux sensibilités apparentes des Etapts au point
de se rendre complice d’un déni de justice, en conférant indûpment aux

immunités de l’Etat une valeur absolue. Bien au contraire, les vicptimes indi -
viduelles d’atrocités des Etats ne peuvent être laissées sanps aucune forme de
recours. L’immunité de l’Etat n’est pas censée faire obstpacle à la compétence
dans des circonstances comme celles qui prévalent dans la présentep affaire
concernant les Immunités juridictionnelles de l’Etat. Elle ne doit pas faire

obstacle à la réalisation de la justice. La recherche de la justice doit être pré-
servée comme l’objectif ultime. Assurer la justice au bénéfipce des victimes
consiste notamment à leur permettre de demander et d’obtenir répparation
pour les crimes dont elles ont souffert. Le jus cogens est au-dessus de la pré -

rogative ou du privilège de l’immunité de l’Etat, avec touteps les conséquences
qui en découlent, empêchant ainsi un déni de justice et l’imppunité.

XXVII. Une récapitulation: conclusions

300. Il ressort à l’évidence de toutes les considérations qui prépcèdent
que ma position, en ce qui concerne tous les points qui constituent l’pobjet

342
Voir arrêt, par. 95.

191

6 CIJ1031.indb 379 22/11/13 12:25 287 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

ent Judgment on the case concerning the Jurisdictional Immunities of the
State, stands in clear opposition to the view espoused by the Court’s majopr -

ity. My dissenting position is grounded not only on the assessment of the
arguments produced before the Court by the contending Parties (Germany
and Italy) and the intervening State (Greece), but above all on issueps of
principle and on fundamental values, to which I attach even greater impopr -
tance. I have thus felt obliged, in the faithful exercise of the international

judicial function, to lay the foundations of my dissenting position in thecas
d’espèce in the present dissenting opinion. I deem it fit, at this stage, to
recapitulate all the points of my dissenting position, expressed herein,p for
the sake of clarity, and in order to stress their interrelatedness.
301. Primus: One cannot take account of inter-temporal law only in a
way that serves one’s interests in litigation, accepting the passing pof time

and the evolution of law in relation to certain facts but not to others, of
the same continuing situation. One cannot hide behind static dogmas so
as to escape the legal consequences of the perpetration of atrocities inp the
past; the evolution of law is to be taken into account. Secundus : Like -
wise, one cannot make abstraction of the factual context of the present p

case; State immunities cannot be considered in the void, they constitute a
matter which is ineluctably linked to the facts which give origin to a cpon -
tentious case. Recognition of this interrelatedness is even more forcefupl,
in a unique and unprecedented case like the present one, in which the
Complainant State, throughout the proceedings before the Court (writtenp

and oral phases), recognized its own responsibility for the harmful actps
lying in the origins, and forming the factual background, of the presentp
case.

302. Tertius: There have been doctrinal developments, from a genera -
tion of jurists which witnessed the horrors of two World Wars in the

twentieth century, which did not at all pursue a State-centric approach,
and were centred on fundamental human values, and on the human per -
son, guarding faithfulness to the historical origins of the droit des gens, as
one ought to do nowadays as well. State immunities are, after all, a prep -
rogative or a privilege, and they cannot keep on making abstraction of

the evolution of international law, taking place nowadays in the light opf
fundamental human values.
303. Quartus: The more lucid contemporary international legal doc -
trine, including the work of learned institutions in international law,
gradually resolves the tension between State immunity and the right of

access to justice rightly in favour of the latter, particularly in casesp of
international crimes. It expresses its concern with the need to abide byp the
imperatives of justice and to avoid impunity in cases of perpetration ofp
international crimes, thus seeking to guarantee their non-repetition in the
future. Quintus: The threshold of the gravity of the breaches of human
rights and of international humanitarian law removes any bar to jurisdicp -

tion, in the quest for reparation to the victimized individuals. It is ipndeed
important that all mass atrocities are nowadays considered in the light pof

192

6 CIJ1031.indb 380 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 287

du présent arrêt dans l’affaire des Immunités juridictionnelles de l’Etat, est

clairement opposée à celle que la majorité de la Cour a fait sipenne. Mon
opinion dissidente repose non seulement sur l’évaluation des argumpents
formulés devant la Cour par les Parties (l’Allemagne et l’Italpie) et l’Etat
intervenant (la Grèce), mais surtout sur des questions de principe pet sur
des valeurs fondamentales, auxquelles j’attache encore plus d’impoprtance.

Je me suis donc ainsi senti obligé, dans l’exercice scrupuleux de pla fonc -
tion judiciaire internationale, d’exposer dans la présente les fonpdements
de mon opinion dissidente. J’estime approprié, à ce stade, de rpécapituler
tous les points de cette opinion tant par souci de clarté que pour enp sou -
ligner la connexité.

301. Primus: On ne peut tenir compte du droit intertemporel unique -
ment d’une manière qui serve ses propres intérêts dans un prpocès, en
acceptant le passage du temps et l’évolution du droit par rapport pà cer -
tains faits mais non à d’autres, s’agissant de la même situaption continue.
On ne peut se cacher derrière des dogmes statiques pour échapper apux

conséquences juridiques de la perpétration d’atrocités dans ple passé ;
l’évolution du droit doit être prise en considération. Secundus : De même,
on ne peut faire abstraction du contexte factuel de la présente affpaire; les
immunités de l’Etat ne peuvent être considérées dans un vpide, il s’agit
d’une question inéluctablement liée aux faits qui sont à l’porigine d’une

affaire contentieuse. La reconnaissance de cette connexité s’impose encore
plus dans une affaire unique et sans précédent comme la présepnte affaire,
dans laquelle l’Etat demandeur, tout au long de la procédure devant la
Cour (phases écrite et orale), a reconnu sa propre responsabilitép à raison
des actes préjudiciables qui sont à l’origine de la présentep affaire et en

constituent le contexte factuel.
302. Tertius: Il y a eu des développements doctrinaux, émanant d’une
génération de juristes qui ont été témoins des horreurs dpes deux dernières
guerres du XX e siècle, qui ne suivaient pas du tout une approche centrée
sur l’Etat et étaient axés sur les valeurs humaines fondamentalpes et sur la

personne humaine, et étaient fidèles aux origines historiques dup droit des
gens, comme on devrait l’être de nos jours. Les immunités de l’pEtat sont
après tout une prérogative ou un privilège, et elles ne peuventp continuer à
faire abstraction de l’évolution du droit international qui se propduit de
nos jours à la lumière des valeurs humaines fondamentales.

303. Quartus: La doctrine du droit international contemporain la plus
éclairée, notamment les travaux d’institutions savantes de droipt inter-
national, réduit progressivement la tension entre l’immunité dep l’Etat et le
droit d’accès à la justice, à juste titre en faveur de ce deprnier, en particulier
dans les cas de crimes internationaux. Elle se soucie de la nécessitép de respec-

ter les impératifs de justice et d’éviter l’impunité lorsque des crimes interna -
tionaux ont été commis, s’efforçant ainsi de garantir leurp non-répétition à
l’avenir.Quintus: Le seuil de gravité des violations des droits de l’homme et
du droit international humanitaire lève tout obstacle à la compéptence lors -
qu’il s’agit d’indemniser les victimes individuelles. Il est effpectivement imp -or

tant que toutes les atrocités de masse soient de nos jours considérées à la

192

6 CIJ1031.indb 381 22/11/13 12:25 288 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

the threshold of gravity, irrespective of who committed them. Criminal
State policies and the ensuing perpetration of State atrocities are not pto

be covered up by the shield of State immunity.
304. Sextus: Purported inter-State waivers of rights inherent to the
human person are inadmissible; they stand against the international ordre
public, and are to be deprived of any juridical effects. This is deeply-
engraved in human conscience, in the universal juridical conscience, the

ultimate material source of all law. Septimus : By the time of the Second
World War, deportation to forced labour (as a form of slave work) was
already prohibited by international law. Well before the Second World
War its wrongfulness was widely acknowledged, at normative level (in the
IV Hague Convention of 1907 and in the 1930 ILO Convention on
Forced Labour) ; there was recognition of that prohibition in works of

codification. That prohibition has, furthermore, met with judicial recpog -
nition. Octavus: The right to war reparation claims was likewise recog -
nized well before the end of the Second World War (in the IV Hague
Convention of 1907).
305. Nonus: What jeopardizes or destabilizes the international legal

order, are the international crimes, and not the individual suits for reppa -
ration in the search for justice. What troubles the international legal
order, are the cover-up of such international crimes accompanied by the
impunity of the perpetrators, and not the victims’ search for justicep ?
When a State pursues a criminal policy of murdering segments of its own p

population, and of the population of other States, it cannot, later on, p
place itself behind the shield of sovereign immunities, as these latter were
never conceived for that purpose.
306. Decimus: Grave breaches of human rights and of international
humanitarian law, amounting to international crimes, are anti-juridical p
acts, are breaches of jus cogens, that cannot simply be removed or thrown

into oblivion by reliance on State immunity. Undecimus : International
crimes perpetrated by States are not acts jure gestionis, nor acts jure impe ‑
rii; they are crimes, delicta imperii, for which there is no immunity. That
traditional and eroded distinction is immaterial here.

307. Duodecimus: In case of grave violations of human rights and of
international humanitarian law, the direct access of the individuals con -
cerned to the international jurisdiction is thus fully justified, to vpindicate
those rights, even against their own State. Tertius decimus : Individuals
are indeed subjects of international law (not merely “actors”), pand when -

ever legal doctrine departed from this, the consequences and results werpe
catastrophic. Individuals are titulaires of rights and bearers of duties
which emanate directly from international law (the jus gentium). Converg -
ing developments, in recent decades, of the international law of human
rights, of international humanitarian law, and of the international law of
refugees, followed by those of international criminal law, give unequivo -

cal testimony of this.

193

6 CIJ1031.indb 382 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 288

lumière de ce seuil de gravité, quels que soient leurs auteurs. Les politiques
d’Etat criminelles et la perpétration qui en découle d’atrocpités d’Etat ne

doivent pas être couvertes par le bouclier de l’immunité de l’pEtat.
304. Sextus: Les renonciations interétatiques à des droits inhérents à p
la personne humaine sont inadmissibles ; elles sont contraires à l’ordre
public international et doivent être privées de tout effet juridpique. Cela est
profondément gravé dans la conscience humaine, dans la conscience juri ‑

dique universelle, source matérielle ultime de l’ensemble du droit. Septi ‑
mus: A l’époque de la seconde guerre mondiale, la déportation pourp
travail forcé (en tant que forme d’esclavage) était déjàp interdite par le
droit international. Bien avant la seconde guerre mondiale, son illicépité
était déjà largement reconnue au niveau normatif (dans la convpention IV
de La Haye de 1907 et dans la convention de l’OIT de 1930 sur le travail

forcé); cette prohibition était aussi reconnue dans les œuvres de codifica -
tion, et elle l’a de plus été judiciairement. Octavus : Le droit à des répara -
tions de guerre a de même été reconnu bien avant la fin de lap seconde
guerre mondiale (dans la convention IV de La Haye de 1907).
305. Nonus: Ce sont les crimes internationaux, et non les actions indi -

viduelles en réparation intentées pour obtenir justice, qui compropmettent
ou déstabilisent l’ordre juridique international. Ce qui trouble lp’ordre
juridique international, c’est l’occultation de ces crimes internaptionaux
accompagnée de l’impunité de leurs auteurs, et non la quête pde justice des
victimes. Lorsqu’un Etat mène une politique criminelle consistant pà assas -

siner des segments de sa propre population et de la population d’autrpes
Etats, il ne peut par la suite se placer derrière le bouclier des immunités
souveraines, car ces dernières n’ont jamais été conçues àp cette fin.
306. Decimus: Les violations graves des droits de l’homme et du droit
international humanitaire assimilables à des crimes internationaux sopnt
des actes antijuridiques, des violations du jus cogens qui ne peuvent être

simplement effacées ou jetées dans l’oubli en invoquant l’pimmunité de
l’Etat. Undecimus: Les crimes internationaux commis par des Etats ne
sont pas des actes jure gestionis ni des actes jure imperii; ce sont des crimes,
des delicta imperii, pour lesquels il n’y a pas d’immunité. Cette distinction
traditionnelle battue en brèche est dénuée de pertinence en l’pespèce.

307. Duodecimus: En cas de violations graves des droits de l’homme et
du droit international humanitaire, l’accès direct des individus concernés
à la juridiction internationale est ainsi pleinement justifié afipn qu’ils
puissent faire valoir ces droits, même contre leur propre Etat. Tertius
decimus: Les individus sont de fait des sujets du droit international (pas

seulement des « acteurs») et, chaque fois que la doctrine juridique s’est
écartée de cette proposition, les conséquences et les résultpats ont été catas -
trophiques. Les individus sont titulaires de droits et débiteurs d’pobliga -
tions qui émanent directement du droit international (le jus gentium). Les
développements convergents intervenus lors des dernières décennpies en
droit international des droits de l’homme, en droit international humpani -

taire et en droit international des réfugiés, puis en droit pénpal internatio-
nal, l’attestent sans équivoque.

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6 CIJ1031.indb 383 22/11/13 12:25 289 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

308. Quartus decimus : It is not at all State immunity that cannot be
waived. There is no immunity for crimes against humanity. In cases of

international crimes, of delicta imperii, what cannot be waived is the indi -
vidual’s right of access to justice, encompassing the right to reparaption for
the grave violations of the rights inherent to him as a human being. Witph -
out that right, there is no credible legal system at all, at national orp inter-
national levels.

309. Quintus decimus : The finding of particularly grave violations of
human rights and of international humanitarian law provides a valuable
test for the removal of any bar to jurisdiction, in pursuance of the necpes -
sary realization of justice. Sextus decimus : It is immaterial whether the
harmful act in grave breach of human rights was a governmental one, or
a private one with the acquiescence of the State, or whether it was com -

mitted entirely in the forum State or not (deportation to forced labourp is
a trans-frontier crime). State immunity does not stand in the domain of
redress for grave violations of the fundamental rights of the human per -
son.
310. Septimus decimus :The right of access to justice lato sensu comprises

not only the formal access to justice (the right to institute legal propceedings),
by means of an effective remedy, but also the guarantees of the due prpocess
of law (with equality of arms, conforming the proces équitable), up to the
judgment (as the prestation juridictionnelle), with its faithful execution, with
the provision of the reparation due. The realization of justice is in itpself a form

of reparation, granting satisfaction to the victim. In this way those victimized
by oppression have their right to the law (droit au Droit) duly vindicated.
311. Duodevicesimus: Even in the domain of State immunities proper,
there has been acknowledgment of the changes undergone by it, in
the sense of restricting or discarding such immunities in the occurrence of p
those grave breaches, due to the advent of the international law of humapn

rights, with attention focused on the right of access to justice and intperna -
tional accountability. Undevicesimus : The State’s duty to provide repara -
tion to individual victims of grave violations of human rights and of
international humanitarian law is a duty under customary international
law and pursuant to a fundamental general principle of law.

312. Vicesimus: There is nowadays a growing trend of opinion sustain-
ing the removal of immunity in cases of international crimes, for which p
reparation is sought by the victims. In effect, to admit the removal opf
State immunity in the realm of trade relations, or in respect of local pper -

sonal tort (e.g., in traffic accidents), and at the same time to insipst on
shielding States with immunity, in cases of international crimes — marked
by grave violations of human rights and of international humanitarian
law — in pursuance of State (criminal) policies, amounts to a juridicalp
absurdity.
313. Vicesimus primus : The right of access to justice lato sensu is to be

approached with attention focused on its essence as a fundamental right,p
and not on permissible or implicit “limitations” to it. Vicesimus secundus :

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6 CIJ1031.indb 384 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 289

308. Quartus decimus: Ce n’est pas du tout l’immunité de l’Etat qui ne
peut être refusée. Il n’y a pas d’immunité pour les crimeps contre l’huma -

nité. En cas de crimes internationaux, de delicta imperii, ce qui ne peut être
refusé est le droit d’accès à la justice de l’individu, qui comprend le droit à
réparation pour les violations graves des droits qui lui sont inhéprents en
tant qu’être humain. En l’absence de ce droit, il n’y a absoplument pas de
système juridique crédible, aux niveaux national comme internationpal.

309. Quintus decimus : La constatation de violations particulièrement
graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire four -
nit un critère précieux pour la levée de tout obstacle à la pcompétence,
eu égard à l’impératif de réalisation de la justice. Sextus decimus : Peu
importe que l’acte préjudiciable violant gravement les droits de lp’homme
ait été le fait d’un Etat ou d’une personne privée avec lp’acquiescement de

l’Etat, ou qu’il ait été commis entièrement ou non dans lp’Etat du for (la
déportation pour travail forcé est un crime transfrontière). Lp’immunité de
l’Etat n’a pas cours dans le domaine de la réparation des violaptions graves
des droits fondamentaux de la personne humaine.
310. Septimus decimus: Le droit d’accès à la justice lato sensu comprend

non seulement l’accès formel à la justice (le droit d’intropduire une instance)
au moyen d’un recours effectif, mais aussi les garanties d’une procédure
régulière (avec l’égalité des armes dans le cadre d’upn procès équitable)
jusqu’au jugement (la prestation juridictionnelle) et son exécutpion intégrale,
la réparation due étant accordée. La réalisation de la justipce est en elle-

même une forme de réparation, accordant satisfaction à la victime. De cette
manière, le droit au Droit des victimes de l’oppression est dûmpent réalisé.
311. Duodevicesimus: Même dans le domaine des immunités de l’Etat
proprement dit, des changements ont été reconnus, dans le sens d’pune
restriction ou d’un refus de ces immunités dans le cas de violatiopns graves,
en raison de l’apparition du droit international des droits de l’hpomme,

l’attention voulue ayant été accordée au droit d’accèsp à la justice et à
l’obligation internationale de rendre des comptes. Undevicesimus : L’obli -
gation de l’Etat d’indemniser les victimes individuelles de violations
graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire est
une obligation qui découle du droit international coutumier et d’upn

principe général fondamental du droit.
312. Vicesimus: Il existe aujourd’hui une tendance croissante en faveur
du refus de l’immunité en cas de crimes internationaux lorsque lesp vic -
times demandent réparation. De fait, admettre qu’il n’y a pas dp’immunité
de l’Etat dans le domaine des relations commerciales ou en matière quasi

délictuelle (par exemple, dans le domaine des accidents de la route)p, tout
en insistant pour permettre aux Etats de s’abriter derrière l’ipmmunité en
cas de crimes internationaux marqués par des violations graves des drpoits
de l’homme et du droit international humanitaire commis dans le cadrep
de politiques étatiques (criminelles), constitue une absurdité jpuridique.
313. Vicesimus primus: Le droit d’accès à la justice lato sensu doit être

envisagé en prêtant attention à son essence en tant que droit fpondamental et
non à ses « restrictions» admissibles ou implicites. Vicesimus secundus : Les

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6 CIJ1031.indb 385 22/11/13 12:25 290 jurisdictional immunpities of the state (dipss. op. cançado trindadep)

Grave breaches of human rights and of international humanitarian law

amount to breaches of jus cogens, entailing State responsibility and the
right to reparation to the victims. This is in line with the idea of rectitude
(in conformity with the recta ratio of natural law), underlying the concep -
tion of law (in distinct legal systems — Recht/diritto/droit/direito/derecho/
right) as a whole.

314. Vicesimus tertius: It is groundless to claim that the regime of rep -
arations for grave breaches of human rights and of international human -
itarian law would exhaust itself at inter-State level, to the detriment of the
individuals who suffered the consequences of war crimes and crimes
against humanity. It is clear from the records of the present case that p

there are IMIs, victims of Nazi Germany’s grave violations of human
rights and of international humanitarian law, who have in fact been leftp
without reparation to date. Vicesimus quartus : These individual victims
of State atrocities cannot be left without any form of redress. State immu -
nity is not supposed to operate as a bar to jurisdiction in circumstanceps

such as those prevailing in the present case concerning the Jurisdictional
Immunities of the State. It is not to stand in the way of the realization of
justice. The pursuit of justice is to be preserved as the ultimate goal ;
securing justice to victims encompasses, inter alia, enabling them to seek
and obtain redress for the crimes they suffered.

315. Vicesimus quintus : One cannot embark on a wrongfully assumed
and formalist lack of conflict between “procedural” and “subsptantive”
rules, depriving jus cogens of its effects and legal consequences. The fact
remains that a conflict does exist, and the primacy is of jus cogens, which

resists to, and survives, such groundless attempt at its deconstruction.
There can be no prerogative or privilege of State immunity in cases of
international crimes, such as massacres of the civilian population, and p
deportation of civilians and prisoners of war to subjection to slave labpou:r
these are grave breaches of absolute prohibitions of jus cogens, for which

there can be no immunities.

316. Vicesimus sextus: Jus cogens stands above the prerogative or priv-
ilege of State immunity, with all the consequences that ensue therefrom,p
thus avoiding denial of justice and impunity. On the basis of all the afpore -

said, my firm position is that there is no State immunity for international
crimes, for grave violations of human rights and of international human -
itarian law. In my understanding, this is what the International Court of
Justice should have decided in the present Judgment.

(Signed) Antônio Augusto Cançado Trindade.

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6 CIJ1031.indb 386 22/11/13 12:25 immunités juridictiopnnelles de l’état (op. dpiss. cançado trindade) 290

violations graves des droits de l’homme et du droit international humpani-
taire constituent des violations du jus cogens qui engagent la responsabilité

de l’Etat et donnent naissance à un droit à réparation au prpofit des victimes.
Cela est conforme à l’idée de rectitude (selon la recta ratio du droit naturel)
qui sous-tend la conception du droit (dans les différents systèpmes juri -
diques — Recht/diritto/droit/direito/derecho/right) dans son ensemble.
314. Vicesimus tertius: Il est injustifié d’affirmer que le régime des répa -

rations pour les violations graves des droits de l’homme et du droit pinter-
national humanitaire s’épuiserait au niveau interétatique au déptriment des
victimes des conséquences des crimes de guerre et crimes contre l’phuma -
nité. Il ressort clairement du dossier de la présente affaire qup’il y a des
internés militaires italiens, victimes de violations graves des droitps de
l’homme et du droit international humanitaire commises par l’Allempagne

nazie, qui n’ont effectivement pas été indemnisés à ce pjour. Vicesimus
quartus: Ces victimes individuelles d’atrocités étatiques ne peuvent être
laissées sans aucune forme de recours. L’immunité de l’Etat pn’est pas cen -
sée faire obstacle à la compétence dans des circonstances commep celles de
la présente espèce concernant les Immunités juridictionnelles de l’Etat. Elle

ne saurait faire obstacle à la réalisation de la justice. La recherche de la
justice doit être préservée comme objectif ultime ; assurer la justice au
bénéfice des victimes consiste notamment à leur permettre de pdemander et
d’obtenir réparation pour les crimes dont elles ont souffert.
315. Vicesimus quintus : On ne saurait partir de l’hypothèse fautive et

formaliste de l’absence de conflit entre règles « procédurales» et « maté -
rielles» et priver le jus cogens de ses effets et conséquences juridiques.
Le fait demeure qu’il existe bien un conflit, et la primauté revienpt au
jus cogens, qui résiste à cette tentative infondée de le déconstruire pet y
survit. Il ne peut y avoir de prérogative ou de privilège de l’pimmunité de
l’Etat dans le cas des crimes internationaux, comme les massacres de p

populations civiles et la déportation de civils et de prisonniers de pguerre
pour les astreindre au travail forcé : il s’agit de violations graves d’inter -
dictions absolues relevant du jus cogens, pour lesquelles il ne peut y avoir
d’immunités.
316. Vicesimus sextus : Lejus cogens est au-dessus de la prérogative ou

du privilège de l’immunité de l’Etat, avec toutes les consépquences qui en
découlent, de manière à éviter un déni de justice et l’pimpunité. Sur la base
de tout ce qui précède, je suis fermement convaincu qu’il n’py a pas d’im -
munité de l’Etat pour les crimes internationaux, pour les violations graves
des droits de l’homme et du droit international humanitaire. Selon moi,

c’est ce que la Cour internationale de Justice aurait dû décider dans le
présent arrêt.

(Signé) Antônio Augusto Cançado Trindade.

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6 CIJ1031.indb 387 22/11/13 12:25

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Opinion dissidente de M. le juge Cançado Trindade

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