Opinion individuelle de M. le juge ad hoc Mampuya

Document Number
103-20070524-JUD-01-02-EN
Parent Document Number
103-20070524-JUD-01-00-EN
Document File
Bilingual Document File

625

OPINION INDIVIDUELLE DE M. LE JUGEAD HOC MAMPUYA

Objet et cause du différend : ambiguïté et amalgame entre le mauvais traite-

ment d’un ressortissant guinéen et les créances de sociétés congolaises — Néces-
sité de percer «le cŒur du différend» — Protection des droits de sociétés congo-
laises et protection d’un national par substitution aux sociétés — Exigence de
l’existence d’un différend interétatique et nouveauté de certaines réclamations et
défaut de notification — Inexistence de différend international pour une partie
de la requête dans l’espèce jugée — Identité et continuité dans le temps entre
l’objet des réclamations internes et des réclamations internationales — Diffé-
rence et discontinuité des réclamations dans la présente affaire — Droits
propres d’actionnaire — Les prétendus faits internationalement illicites
doivent avoir été dirigés directement contre les droits propres de l’actionnaire
en tant que tels — Epuisement des voies de recours internes et nouveauté des
réclamations.

J’ai globalement voté avec la majorité de la Cour, notamment en
faveur du dispositif conclusif de l’arrêt qui déclare la requête de la Guinée
recevable mais seulement dans les limites claires indiquées par l’arrêt de
la Cour; toutefois, j’ai maintenu mes formelles réserves dont j’ai fait état
à la Cour sur un certain nombre de points. J’aimerais expliquer ce vote

favorable au dispositif principal et surtout l’objet de mes réserves sur ces
autres aspects.
La Cour elle-même le confirme dans son arrêt, la vérité est que l’affaire
a été présentée sous les plus mauvais auspices, l’objet de la requête for-
mulé d’une manière ambiguë, tandis que les Parties sont demeurées dans

une sorte de dialogue de sourds et ont eu tout au long de la procédure un
comportement contradictoire; cela a amené la Cour à préciser plus d’une
fois qu’elle a été obligée d’adapter son raisonnement et sa démarche à la
manière dont les Parties avaient présenté les faits ainsi que leurs moyens
de droit. Il en a résulté un flottement qui a, à mon avis, lourdement
affecté le raisonnement mais aussi l’opinion de la Cour sur différents

points de fait et de droit rencontrés dans l’espèce.

1. LA PREMIÈRE EXCEPTION CONGOLAISE

Qualité de la requête: ambiguïté et amalgame

Aussi bien dans ses écritures qu’au cours des plaidoiries, la Guinée pré-
tend fonder son droit d’exercer la protection diplomatique sur deux

niveaux, celui des droits de la personne du ressortissant guinéen M. Diallo,
et celui de la protection de son ressortissant actionnaire au sein de socié-
tés congolaises. Mais le premier volet de l’action guinéenne est présenté

47626 AHMADOU SADIO DIALLO (OP .IND .MAMPUYA )

en un lien très intime avec l’objet du différend et de la requête tel que
l’interprète la Guinée devant la Cour, en rapport avec les mauvais trai-
tements qu’aurait subis son ressortissant de la part des autorités congo-

laises, tandis que la protection de l’actionnaire est envisagée par le
demandeur sur la base des «droits propres» d’actionnaire et sur celle,
particulière et directement liée aux créances de deux sociétés, de la subs-
titution de l’actionnaire à ces deux sociétés congolaises dont il serait
l’actionnaire principal.

Je ne dois pas avoir réussi à faire adopter la thèse selon laquelle, tou-
tefois, ces trois statuts différents (droits individuels, droits d’actionnaire et
substitution) ont, à travers la protection des droits de deux sociétés, Afri-
com-Zaïre et Africontainers-Zaïre, un arrière-fond omniprésent qui, dans

la présentation des faits et dans les conclusions du demandeur, prend le
dessus sur les droits propres du ressortissant guinéen. Il me semblait que
la Cour dût procéder à un nécessaire éclairage sur l’objet réel du différend
qui lui était soumis, la confusion et l’amalgame constamment entretenus

par le demandeur dans toutes ses écritures comme dans ses plaidoiries
ayant couvert d’un voile et présenté dans des conditions de doute le véri-
table objet de l’instance, voguant continuellement entre le mauvais traite-
ment d’un ressortissant guinéen et les créances de sociétés congolaises.
Une telle démarche eût eu le mérite de vérifier et de dire que la requête

guinéenne portait sur un objet principal, les droits et les créances des deux
sociétés contrôlées par M. Diallo dont le sort aurait pu affecter les autres
objets, à vrai dire secondaires ou subsidiaires dans la démarche du deman-
deur lui-même. Ce constat m’a semblé important, car il est le seul à expli-

quer pourquoi la République démocratique du Congo (RDC) fonde sa
première exception préliminaire de défaut de qualité de la Guinée par le
fait que «sa requête» vise «essentiellement à obtenir la réparation pour
des dommages résultant de la violation de droits des sociétés qui ne pos-
sèdent pas sa nationalité», c’est-à-dire le non-paiement des créances dues

à ces deux sociétés de nationalité congolaise. Tout le malaise ressenti par
la Cour s’explique par ce passage continu de ces prétendues violations des
droits des sociétés à celles des droits de M. Diallo, tandis que le malen-
tendu et le flottement ont constamment persisté, en particulier dans le fait

qu’en relation avec l’exception de non-épuisement des recours internes les
deux Parties n’ont argumenté qu’à propos des voies de recours exercées
par les sociétés devant les juridictions congolaises.
Certes, on ne peut contester à un Etat partie à un différend le droit de

modifier, même jusqu’au dépôt des dernières conclusions à l’issue de la
phase orale, la présentation qu’il fait du différend et de ses prétentions
auprès des juridictions afin de mieux soutenir sa cause.
Mais dans le cas de la Guinée, nous avons deux requêtes, et tout au
long de la procédure le demandeur n’a cessé de passer de l’une à l’autre

ou encore d’en amalgamer le contenu. La première requête est, telle que
le Greffe de la Cour en a fait notification aux membres le 7 octobre 1998,
datée du 23 septembre 1998, référencée n 1794/MAE/DAJC/98, trans-
mise par une lettre du 21 août 1998 (n 1579/MAE/DAJC) qui a pour

48627 AHMADOU SADIO DIALLO (OP. IND.MAMPUYA )

objet «Requête au paiement contre le Gouvernement de la République

démocratique du Congo »
«relative au paiement des créances dues à M. Ahmadou Sadio

Diallo, un ressortissant guinéen installé depuis plus de trois décen-
nies dans ce pays et qui, pour avoir réclamé le paiement de ses
créances dues par l’Etat et des sociétés installées au Zaïre, a été
emprisonné durant deux mois et quinze jours et expulsé du
Congo en 1996».

La requête elle-même précise, quant à elle, en guise d’objet de la requête,
que le ressortissant guinéen était expulsé et

«dépouillé par cette expulsion illégale et arbitraire de ses avoirs ban-

caires, mobiliers et immobiliers, des retombées de ses entreprises
ainsi que de ses nombreuses créances vis-à-vis de l’Etat lui-même et
de nombreuses sociétés privées installées sur son territoire » (requête
du 23 septembre 1998, p. 2; les italiques sont de moi).

Suivaient, rattachées à la requête, des «notes préliminaires» exposant des
éléments de fait et de droit, ainsi qu’un jeu de pièces diverses (voir la lettre

d’accusé de réception et celle de transmission de documents du Greffe de la
Cour en date du 28 septembre). Dans ses conclusions présentées dans cette
requête, la Guinée demandait à la Cour de déclarer la recevabilité de la
requête et, quant au fond, d’ordonner à la RDC la présentation des excu-
ses officielles et publiques à la Guinée, de constater le caractère certain,

liquide et exigible des créances, de constater que «ces créances doivent être
endossées par l’Etat congolais», de condamner la RDC à verser des som-
mes d’argent représentant les préjudices financiers subis par M. Diallo, les
dommages-intérêts de 15%, ainsi que les intérêts bancaires et moratoires
de 15% (pour les sommes en dollars américains) et 26% (pour les sommes

en zaïres, la monnaie nationale zaïroise alors en circulation).
Pour fonder la recevabilité de cette requête, dans la deuxième partie de
ses «notes préliminaires» consacrée aux éléments de droit, la Guinée crut
suffisant de n’évoquer, en vertu de l’article 93, paragraphe 1, de la Charte
de l’Organisation des Nations Unies, que sa qualité de Membre des

Nations Unies et ipso facto partie au Statut de la Cour, ainsi que l’ar-
ticle 35 du Statut de la Cour qui stipule que «[l]a Cour est ouverte aux
Etats parties au présent Statut». La Guinée n’ayant indiqué aucune base
de la compétence de la Cour en cette espèce, le greffier l’invita à «bien
vouloir [lui] faire savoir dans les meilleurs délais ce qu’il en est», confor-

mément au paragraphe 2 de l’article 38 du Règlement de la Cour (accusé
de réception du Greffe en date du 28 septembre 1998).
Il n’était pas inutile, pour comprendre les confusions que je relève ici,
d’évoquer ces circonstances brouillées et emmêlées du dépôt de la requête
guinéenne. Le premier fait est qu’à ces dates la Guinée n’avait pas encore

souscrit la déclaration d’acceptation de la compétence de la Cour, la
RDC l’ayant fait, quant à elle, le 6 février 1989. Cela explique l’invitation

49628 AHMADOU SADIO DIALLO (OP. IND. MAMPUYA )

faite par le Greffe d’indiquer la base de la compétence de la Cour en
l’affaire dont elle était saisie. Mais cela explique aussi qu’au lieu d’indi-
quer cette base, alors inexistante, la Guinée dut déposer une autre requête
o
datée do 23 décembre 1998 (n 2290/MAE/CAB/98, lettre de transmis-
sion n 2289/MAE/CAB/98), non sans avoir pris soin de signer et de
déposer dans la précipitation, le 11 novembre 1998, la déclaration du
paragraphe 2 de l’article 36 du Statut de la Cour qui manquait en août et
septembre 1998.

Nous avons, en cette requête du 23 décembre, une véritable «nouvelle
requête», même si la Cour n’avait autorisé aucun acte de procédure sur la
base de la requête irrégulière du 23 septembre, sans pourtant l’avoir reje-
tée. Cette dernière requête est vraiment «nouvelle», même si le mémoire

fait un amalgame révélateur, se référant à la requête introduite par la
lettre du 21 août et «reçue au Greffe de la Cour le 25 septembre suivant»,
parle d’une requête qui «a été régularisée le 28 décembre 1998» (mémoire
de la Guinée, par. 1.3). Comme nous allons le voir, en fait, il ne s’était agi

que d’une régularisation. La requête du 23 décembre fait appel à d’autres
moyens de droit: elle a pour objet «Requête aux fins de protection diplo-
matique»; elle précise l’objet du «différend», qui serait que M. Diallo
était «incarcéré», «spolié de ses importants investissements, entreprises
et avoirs mobiliers, immobiliers et bancaires» et puis «expulsé» alors

qu’il poursuivait le recouvrement d’importantes créances de ses entre-
prises. Cette nouvelle requête fournit une précision toute nouvelle, impor-
tante, selon laquelle la Guinée s’adresse à la Cour «après de vaines ten-
tatives de règlement amiable»; cette précision est reprise dans le mémoire,

qui évoque «plusieurs démarches diplomatiques» tentées en vain «pour
obtenir du Zaïre, ... qu’il fasse droit aux demandes en réparation de
M. Diallo, injustement réduit à l’indigence la plus totale» (mémoire de la
Guinée, par. 1.2); elle se termine en concluant que la Guinée est fondée à
agir contre la RDC qui

«a violé ... de grands principes du droit international: le principe du
traitement des étrangers selon «le standard minimum de civilisa-
tion», l’obligation de respect de la liberté et de la propriété des
étrangers, la reconnaissance aux étrangers incriminés du droit à un
jugement équitable et contradictoire rendu par une juridiction

impartiale» (ibid.).

Le problème n’est pas celui de l’irrégularité d’une requête unilatérale
dont la Cour n’a pas tenu compte parce que non fondée sur une déclara-
tion d’acceptation de la compétence de la Cour ni sur une quelconque
clause compromissoire, ni même, selon l’article 38, paragraphe 5 du
Règlement de la Cour, sur un consentement postérieur du défendeur.

D’autant plus que, notifiée dès le 28 septembre 1998, la RDC, qui aurait
pu se prévaloir de ce défaut de base de la compétence de la Cour pour
s’opposer à toute instance devant la Cour, n’avait pas réagi négativement
à la requête guinéenne, sans doute pour des raisons certes compréhen-

50629 AHMADOU SADIO DIALLO (OP. IND. MAMPUYA )

sibles d’une agression qui a provoqué la mort de près de cinq millions de

Congolais et un profond climat d’insécurité en sept ans, mais qui n’ont
aucune pertinence ici. Le problème n’est pas non plus que la Guinée ait
subrepticement reconnu après coup la compétence de la Cour.
Certes, aussi, dans cette nouvelle démarche, la Guinée a laborieuse-
ment tenté de découpler sa requête des créances des sociétés contrôlées

par M. Diallo, en affirmant dans son mémoire, «pour lever d’emblée
toute ambiguïté», «qu’elle prend fait et cause pour l’un de ses nationaux,
et agit pour faire respecter les droits propres de celui-ci en tant que per-
sonne et en tant qu’actionnaire et dirigeant des sociétés... » (mémoire de la
Guinée, par. 1.12; les italiques sont de moi), et que «M. Diallo est privé

de ses droits d’actionnaire » (mémoire de la Guinée, par. 1.13; les ita-
liques sont de moi), ajoutant dans ses observations sur les exceptions
préliminaires de la RDC que «la République de Guinée ne prétend exercer
sa protection diplomatique qu’à l’égard de son ressortissant, M. Sadio

Diallo, en ses diverses qualités» (observations de la Guinée, par. 0.10).
Mais on se rend compte que l’objet de la première requête, «au paiement
contre le Gouvernement de la République démocratique du Congo », «rela-
tive au paiement des créances dues à M. Ahmadou Sadio Diallo», demeure
la toile de fond constante de toutes les démarches ultérieures du deman-

deur, au point de, parfois, submerger le détachement affecté dans quel-
ques-unes de ses assertions. On ne peut apprécier une telle démarche,
même et surtout aux fins de la recevabilité de la requête, en faisant abs-
traction de l’objet réel du différend. La Cour ne peut pas se contenter des
assertions tactiques des Parties jouant avec elle au chat et à la souris; elle

se doit de percer le voile et découvrir le vrai différend dissimulé derrière.
Dans cette perspective, d’une part, le non-paiement des créances appa-
raît très clairement comme le cŒur du différend mais aussi de la requête,
dès les premières lignes des «notes préliminaires» accompagnant la
requête de la Guinée, donc pour l’expliciter et l’éclairer, les mêmes que

celles qui avaient été attachées à la requête irrégulière de septembre 1998.
On y voit dès le début, présentés en première partie comme «éléments de
fait» (du différend), non seulement le capital de l’une des sociétés de
M. Diallo, mais aussi et surtout l’alignement de ses nombreuses créances,
créances contre l’Etat congolais (A) et créances contractuelles (B), dont

les longs détails couvrent toute cette première partie. D’autre part, dans
la deuxième partie de la requête ayant pour objet «les éléments de droit»,
on peut lire au point III (le bien-fondé de la protection diplomatique)
«[a]ttendu que la Guinée le protège de même que les sociétés qu’il a
créées et qui lui appartiennent» (mémoire accompagnant la requête,

p. 32; les italiques sont de moi). Tout comme, malgré les précautions
prises, le mémoire de la Guinée n’a pas pu éviter d’insister de nouveau
sur les créances, tentant d’assimiler le recouvrement de ces créances à
un droit d’actionnaire, lorsque, au point 1.16, il remarque que, «en par-
ticulier, M. Diallo se trouve dans l’incapacité de recouvrer les créances

considérables qu’il possède » (les italiques sont de moi), mais nous savons
que ce sont les créances des deux sociétés congolaises.

51630 AHMADOU SADIO DIALLO (OP. IND.MAMPUYA )

Par ailleurs, l’exposé des faits n’étaie nulle part l’expulsion de M. Diallo,
celle-ci n’apparaissant que brièvement, paradoxalement dans les «garan-
ties légales des créances », le point II de la deuxième partie sur les élé-
ments de droit, et assez longuement dans le point III «du bien-fondé de la

protection diplomatique», sous forme de la violation des conventions
relatives aux droits des étrangers, alors que les conclusions de la requête
sont les mêmes qu’en septembre et, évidemment, s’intéressent exclusive-
ment aux créances. Le flou est d’autant plus artistique que la requête
datée du 25 septembre 1998 n’a pas été retirée ni remplacée par une autre

mais simplement «régularisée le 28 décembre 1998» (mémoire de la Gui-
née, par. 1.3), «en fonction des recommandations de forme [que le greffier
de la Cour avait bien voulu lui faire]» (c’est ce que note la lettre de trans-
mission du ministre guinéen des affaires étrangères, en date du 23 dé-
cembre; les italiques sont de moi). Nous savons que la régularisation

porte uniquement sur l’indication de la base de la compétence de la
Cour et celle de l’agent du demandeur, ainsi que le lui avait conseillé le
greffier de la Cour en sa lettre du 28 septembre 1998, tandis que, concrè-
tement, la requête du 23 décembre conserve les mêmes motivations

et les mêmes prétentions que celles du 23 septembre, dont l’objet était
si clairement le recouvrement des créances.
De fait, après avoir indiqué

«[q]u’au total, la réparation due à la Guinée devant couvrir tout le
préjudice matériel et moral devra porter sur la perte subie (dam-
num emergens) et sur le manque à gagner (lucrum cessans) sans
oublier les intérêts sur les sommes allouées à raison des délais entre

la survenance du préjudice et sa réparation effective» (requête,
p. 36),

le demandeur, ayant ainsi précisé que «le préjudice» réside dans ces
«sommes» représentant le damnum emergens,e llucrum cessans et les
intérêts, conclut:

«P AR CES MOTIFS :

En la forme: Recevoir la présente requête.
Au fond: Ordonner aux autorités de la République démocratique

du Congo de présenter des excuses officielles et publiques à l’Etat de
Guinée pour les nombreux torts qu’elles lui ont causés en la per-
sonne de son ressortissant Ahmadou Sadio Diallo;

Constater le caractère certain, liquide et exigible des créances
réclamées;
............................

Condamner l’Etat congolais à verser à l’Etat de Guinée, pour le
compte de son ressortissant Ahmadou Sadio Diallo, les sommes de
31334685888,45 dollars des Etats-Unis et 14207082872,7 Z cou-

vrant les préjudices financiers subis par ledit ressortissant;

52631 AHMADOU SADIO DIALLO (OP. IND. MAMPUYA )

Verser également à l’Etat de Guinée des dommages-intérêts à hau-

teur de 15% de la condamnation principale, soit 4700202883,26 dol-
lars et 2131062430,9Z;
Adjuger à l’Etat requérant les intérêts bancaires et moratoires aux

taux respectifs de 15% et 26% l’an courant de la fin de l’année 1995
jusqu’à la date du parfait paiement;
Condamner également ledit Etat à restituer au requérant tous les

biens non valorisés répertoriés sous la rubrique des créances diverses;
Ordonner à la République démocratique du Congo de présenter
dans un délai d’un mois un échéancier acceptable de remboursement
de ces montants;

A défaut de production de cet échéancier dans le délai indiqué ou
en cas d’irrespect de celui qui serait produit, autoriser l’Etat de Gui-
née à saisir les biens de l’Etat congolais partout où ils se trouvent

jusqu’à concurrence du principal et de l’accessoire de la condam-
nation;
Mettre les frais et dépens de la présente procédure à la charge de
l’Etat congolais.» (Requête, p. 36; les italiques sont dans l’original.)

De même, dans les conclusions présentées dans son mémoire, la Guinée
montre que ces créances sont le véritable objet du différend et de la

requête. Elle dit que
«en le privant de l’exercice de ses droits de propriété et de direction

des sociétés qu’il a fondées en RDC, en l’empêchant de poursuivre le
recouvrement des nombreuses créances qui lui sont dues, à lui-même
et auxdites sociétés, ... en ne s’acquittant pas de ses propres dettes
envers lui et envers ses sociétés , la République démocratique du
Congo a commis des faits internationalement illicites qui engagent sa

responsabilité envers la République de Guinée» (mémoire de la Gui-
née, par. 5.1.1; les italiques sont de moi).
Réclamant une réparation due sous forme d’indemnisation que, contrai-

rement à la requête, le mémoire, comme c’est sans doute le droit de la
Guinée, n’évalue plus, l’Etat demandeur ajoute néanmoins que l’indem-
nisation doit couvrir «l’ensemble des dommages causés ... y compris le
manque à gagner, et [doit] comprendre les intérêts» (mémoire de la Gui-
née, par. 5.1, 1-3; les italiques sont de moi).

A la suite de ces conclusions, la Guinée, par un élément supplémen-
taire, confirme que le contentieux commercial portant sur les créances des
sociétés Africom et Africontainers est bien le véritable objet du différend:

«La République de Guinée prie en outre la Cour de bien vouloir
l’autoriser à présenter une évaluation du montant de l’indemnité qui
lui est due à ce titre ... dans une phase ultérieure de la procédure au
cas où les deux Parties ne pourraient s’accorder sur son montant

dans un délai de six mois suivant le prononcé de l’arrêt.» (Mémoire
de la Guinée, par. 5.2; les italiques sont de moi.)

53632 AHMADOU SADIO DIALLO (OP. IND. MAMPUYA )

Parallèlement, dans ses exceptions préliminaires, le défendeur lui-même

s’en tient mêmement au différend tel qu’il semble naître, par tous ces élé-
ments, du non-paiement des créances dues aux sociétés de M. Diallo.
C’est, en effet, sur la base du différend ainsi perçu que la RDC soulève
ses deux exceptions portant sur l’irrecevabilité de la requête aux motifs,
notamment, que le différend porte sur les créances appartenant à des

sociétés congolaises et que, dans cette affaire, la Guinée et son protégé
n’auraient pas épuisé les voies de recours internes.
Par ailleurs, jusque dans ses observations sur les exceptions prélimi-
naires de la RDC, la Guinée n’a cessé de, partout, se référer aux affaires
des deux sociétés en les collant au sieur Diallo, attribuant à ce dernier

les recours internes exercés par les sociétés ou au nom des sociétés (obser-
vations de la République de Guinée, par. 3.9. et 3.15, pratiquement toutes
les sections 1 et 2 du chapitre consacré à l’exception relative à l’épuise-
ment des recours internes), l’associant aux sociétés dans la propriété des

créances (exemple: observations de la République de Guinée, par. 3.4).
Enfin, lors de son premier tour de plaidoiries, la Guinée a, cette fois
expressément et sans plus se cacher derrière l’individu Diallo, rappelé à la
Cour que

«trois «personnes» différentes sont protégées par la République de
Guinée dans cette affaire. Son ressortissant, M. Diallo, mais aussi
deux sociétés dont M. Diallo était l’unique gérant et associé...»

(CR2006/51, p. 52, par. 7).
Il est légitime, pour tout le moins, de se demander dans ces conditions

quel est, au milieu de ce flou, le véritable objet de la requête guinéenne.

Il me semble que la Cour se soit laissé convaincre par ces «actes de
divertissement» que soupçonnait le juge Ranjeva dans sa déclaration
relative à l’affaire des Plates-formes pétrolières (République islamique

d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique) (arrêt, C.I.J. Recueil 2003 , p. 220,
par. 3, déclaration du juge Ranjeva) qui, alors et dans la cause présente,
donnent un caractère purement artificiel à l’objet du prétendu différend
et de la requête tel qu’à la fin le présente la Guinée, sans rapport avec la
cause qui est à la base de la protection diplomatique. Elle aurait pu

mêmement procéder au «percement du véritable cŒur du différend»
opposant les Parties à la présente instance, afin de s’interroger, au-delà
du quid, sur le cur qui permet de pénétrer la cause de l’affaire; cette ques-
tion se pose certes pour le fond mais, dans le cas d’espèce, elle se pose
encore plus au niveau de l’examen de la recevabilité.

Sous un autre point de vue, le percement du véritable cŒur du diffé-
rend aurait contribué à régler sur de meilleures bases, y compris juri-
diques, le vrai litige: tandis que la tactique de la Guinée, prétendant avan-
cer la situation personnelle de son ressortissant, aura eu un effet pervers

en entrant en conflit avec les intérêts directs de ce dernier. En effet,
comme nous le montrent les écritures guinéennes, c’est M. Diallo — et son

54633 AHMADOU SADIO DIALLO (OP.IND . MAMPUYA )

conseil — qui a provoqué la protection diplomatique, motivé par l’espoir
de voir les autorités de son pays l’aider à récupérer les créances litigieuses
et non par le souci de voir effacer une quelconque atteinte par les condi-

tions de son expulsion. D’autant plus que, ainsi que nous allons le voir
plus loin, sur l’expulsion et les droits d’actionnaire du ressortissant gui-
néen, il n’a pas surgi de différend entre la Guinée et la RDC.
Sauf profond respect dû à la Cour, il est incontestable que le véritable
objet et, même, la cause du différend, malgré leur dilution de la part du

demandeur principal, résident dans les créances impayées des sociétés
congolaises Africom et Africontainers. En tout état de cause, il est légi-
time de se demander dans quelle mesure la Cour n’aurait pas dû consi-
dérer que l’auteur d’une telle requête a, sinon commis un abus de procé-

dure, du moins
«n’a pas fait connaître l’objet de sa demande dans les conditions

de précision et de clarté correspondant aux exigences d’une bonne
administration de la justice» (Phosphates du Maroc, arrêt, 1938,
C.P.J.I. série A/B n 74 (citant le contre-mémoire de la France), p. 16)

et, donc, déclarer sa requête irrecevable, même si le défendeur n’a usé de
cette argumentation que brièvement dans ses plaidoiries (CR2006/50,
p. 41). En tout cas, à son propos, il ne me semble pas que la Cour, si elle

s’était posé dans ce sens la question, pût à coup sûr répondre, comme en
1938 à la préoccupation de la France, que

«les précisions qui ont été apportées permettent de se former une
idée suffisamment claire de l’objet de la demande contenue dans la
requête» (Phosphates du Maroc, exceptions préliminaires, arrêt,
1938, C.P.J.I. série A/B n o74, p. 21),

sinon qu’il s’agit des créances présentées dans les conclusions du deman-
deur. C’est, en effet, l’objet des conclusions que de refléter ce que le plai-

deur déduit des faits et motifs qu’il allègue; or, les conclusions de la
Guinée visent en demande principale le paiement, avec intérêts, des
créances, propriété de sociétés qui n’ont pas sa nationalité, bien qu’elle
ait pris soin de se dissimuler derrière la façade des droits de la personne

de son ressortissant.
Dans ces conditions, même si le défendeur n’a pas opposé d’exception
pour obscuri libelli, il revenait selon moi à la Cour, sans qu’il puisse lui
être reproché d’avoir statué ultra petita, d’aller au-delà du seul motif tiré

de l’absence du jus standi, pour examiner la qualité de la requête elle-
même et en tirer les conclusions dans la mesure où la demande principale
porte en réalité sur les droits et intérêts de sociétés congolaises. A mon
avis, ce n’est qu’après cet examen préalable que la Cour aurait pu alors se
demander si, concernant les créances des sociétés, cŒur du différend, la

requête pouvait s’avérer recevable sur la base de la théorie de substitution
avancée par le demandeur; ce n’est également qu’après cet examen que la
Cour pouvait passer aux autres griefs.

55634 AHMADOU SADIO DIALLO (OP .IND .MAMPUYA )

Au lieu de cela, mais sans justifier son option, la Cour a implicitement

crevé à sa manière le cŒur du différend, au différend réel elle a préféré le
différend artificiel en estimant, malgré tout cet amalgame aveuglant, que
la requête portait nettement et clairement sur les droits individuels et
droits propres d’associé d’un ressortissant guinéen, n’abordant l’aspect
que j’évoque ici que sous l’angle indirect de la théorie de substitution. Et

sur ce point, non convaincu par la démarche implicite de la Cour, j’ai
maintenu mes réserves, que je développe ici.
Je n’ai pas, pour autant, voulu voter contre la recevabilité de la requête
pour défaut de jus standi de la Guinée, parce que les objets secondaires et
subsidiaires de la requête privilégiés par la démarche de la Cour méri-

taient d’être examinés, en particulier parce que présentés dans le cadre du
respect des droits de l’homme. Une autre raison explique mon vote: il
m’a semblé en effet que, en rejetant par son arrêt les prétentions gui-
néennes de protéger les droits des deux sociétés sur la base d’une pré-

tendue règle générale du droit international d’action par substitution qui
serait une exception à la norme classique rappelée par l’arrêt rendu
dans l’affaire de laBarcelona Traction, Light and Power Company, Limited
(Belgique c. Espagne), la Cour confirme ainsi cette dernière. De ce point
de vue, l’état actuel du droit international ne permet pas de constater

l’existence d’une règle coutumière consacrant la protection diplomatique
par «substitution», à laquelle une partie de la doctrine, interprétant
inexactement l’arrêt Elettronica Sicula S.p.A. (ELSI) (Etats-Unis
d’Amérique c. Italie), tout comme les travaux de la CDI donnaient
l’impression d’adhérer. Finalement, la Cour s’en tient à son rôle de régler

les différends qui lui sont soumis en appliquant le droit international
positif de lege lata, signifiant par là que, quelle que soit la fonction de
développement progressif du droit qu’elle puisse se reconnaître, ce der-
nier ne saurait consister en l’édiction d’une norme nouvelle par la Cour
ou, encore, anticiper, ainsi que l’en priait la Guinée, au regard des tra-

vaux de la CDI dont la conclusion reste ainsi, comme c’est de règle pour
tous ses projets, réservée aux Etats. La Cour renforce en plus cette règle,
nonobstant le fait, avancé avec insistance par la Guinée, qu’il s’agit ici
non de sociétés anonymes au centre de l’affaire de la Barcelona Traction,
mais de sociétés privées à responsabilité limitée (SPRL). A la suite de la

Guinée (CR2006/51, p. 46-50, et CR2006/53, p. 38-41), il a été en effet
prétendu qu’un caractère intuitu personae marque celles-ci et aboutit à
confondre la société et ses associés, surtout s’il n’existe qu’un seul associé,
comme fut présenté le cas des sociétés contrôlées par le ressortissant gui-
néen en RDC, avec la conséquence qu’il conviendrait alors d’écarter la

règle générale de la protection diplomatique qui ne viserait que les socié-
tés anonymes et, indépendamment de la théorie de substitution, recevoir
l’action de M. Diallo ainsi que celle de son Etat de nationalité. Mais cette
différence entre sociétés anonymes et SPRL est sans pertinence dans la
mesure où la conséquence à laquelle s’était tenue la Cour dans l’affaire de

la Barcelona Traction est la distinction des personnalités juridiques et des
patrimoines entre la société et ses actionnaires. Le présent arrêt rappelle

56635 AHMADOU SADIO DIALLO (OP .IND .MAMPUYA )

judicieusement ce que la Cour avait déjà dit: «il est ... inutile d’examiner

les multiples formes que prennent les différentes entités juridiques dans le
droit interne» (C.I.J. Recueil 1970, p. 34, par. 40), affirmant que «[c]e
qui importe, du point de vue du droit international, c’est de déterminer si
celles-ci sont ou non dotées d’une personnalité juridique indépendante de
leurs membres» (arrêt, par. 61) et que «[c]ela demeure la règle fondamen-

tale en la matière, qu’il s’agisse d’une SPRL ou d’une société anonyme»
(arrêt, par. 63). En raisonnant autrement, la Cour aurait soit péremptoi-
rement modifié le droit congolais des sociétés qui reconnaît cette classifi-
cation, certes, mais attribue sans distinction une personnalité juridique
indépendante, avec toutes les conséquences de droit, à toutes les formes

de sociétés, anonymes ou SPRL, soit choisi d’ignorer sans raison le droit
interne d’une partie dans une matière et dans un cas où, justement, c’est
ce droit seul qui est applicable. C’est donc à juste titre que la Cour rejette
la prétention guinéenne. Cependant, tout en refusant d’appliquer la théo-

rie de substitution, la Cour renonce à examiner un moyen de droit ayant
constitué la majeure partie de l’argumentation de la Guinée selon laquelle
la substitution, telle qu’exprimée par l’article 11, paragraphe b), du pro-
jet d’articles de la CDI sur la protection diplomatique, serait une excep-
tion consacrée par le droit international coutumier (arrêt, par. 93). Je

pense, au contraire, qu’on aurait pu s’attendre à ce que la Cour examinât
cette question de la valeur de cette proposition de la CDI argumentant la
thèse guinéenne, tant que ses destinataires, les Etats, ne l’ont pas encore
adoptée comme nouvelle norme et, enfin, trancher. On peut en effet, à la
suite de ceux qui se sont penchés avec expertise sur la question, considé-

rer que

«[l]es solutions sont trop diverses pour qu’on puisse affirmer qu’elles
sont une preuve ou qu’elles constituent une norme de droit interna-
tional coutumier» (Diez de Velasco Manuel, «La protection diplo-
matique des sociétés et des actionnaires», Recueil des cours de l’Aca-
démie de droit international , vol. 141 (1974), p. 145; les italiques sont

de moi).

Tandis que la CDI elle-même affirme que:

«La jurisprudence est tout aussi peu concluante [que la doctrine et
la pratique des Etats]. Les sentences rendues dans les affaires Alsop,
Cerruti, Orinoco Steamship et Ziat Ben Kiran, qui sont parfois citées
à l’appui d’une exception en faveur du droit des actionnaires de
demander réparation, n’apportent pas vraiment de force à cet argu-

ment. Les sentences rendues dans les affaires Baasch & Romer et
Kunhardt sont, au mieux, vagues mais pourraient être interprétées
comme étant contre l’exception en question , étant donné que, dans
ces affaires comme dans d’autres affaires, les commissions mixtes
vénézuéliennes ont rejeté les recours formés au nom des actionnaires

des sociétés de nationalité vénézuélienne.» (CDI, op. cit., par. 70; les
italiques sont de moi.)

57636 AHMADOU SADIO DIALLO (OP .IND .MAMPUYA )

De même, en général à propos de toutes ces thèses fondées, comme celle-

ci, sur le contrôle économique, on peut encore affirmer comme la CDI
qu’«il est douteux qu’une règle en faveur du contrôle économique béné-
ficie de nos jours de l’appui de la majorité des Etats» (A/CN.4/530,
par. 36). Une éventuelle exception ne serait introduite que lorsque les
Etats, actuellement saisis de ce projet d’articles, se seront prononcés dans

le sens de son article 11, paragraphe b).

Soudaineté des réclamations, discontinuité des griefs et inexistence

de différend

Dans le cadre de cette première exception, j’ai encore des réserves sur le
procédé de la Cour pour la rejeter s’agissant des droits individuels et des
«droits propres d’associé» de M. Diallo. C’est que le début des plaidoi-
ries a renforcé l’impression que celles-ci amenaient devant la Cour un

autre différend que celui dont l’avait saisie la requête, portant essentiel-
lement sur ces droits du ressortissant guinéen, même si par la suite la
Guinée réintroduisait l’amalgame entre ces derniers et les créances dues
aux deux sociétés congolaises. Il apparaissait ainsi, certes, avec les plai-
doiries, un différend secondaire à travers les prétendues violations de ces

droits et un différend subsidiaire relatif à la protection par substitution.
L’examen de ces nouveaux litiges par la Cour s’est déroulé sans à aucun
moment voir si leur soudaineté et leur nouveauté n’étaient pas de nature
à affecter la qualité de l’action guinéenne.
La première question qui aurait pu être examinée est, sans doute, celle

de savoir si, en matière de droits privés de personnes, un éventuel diffé-
rend entre les Etats concernés peut naître directement dans l’ordre juri-
dique interne de l’Etat auquel les violations alléguées sont imputées ou
dans l’ordre international. Il ne s’agit pas nécessairement du débat sur les
conditions de naissance d’un différend à soumettre à la Cour, mais il me

semble logique de se demander si le différend dont est saisie la Cour a
existé lors de ces violations alléguées des droits de M. Diallo dans
l’ordre interne ou dans le fait que, l’Etat national ayant sans succès pris
fait et cause pour son ressortissant devant les autorités compétentes de
l’Etat prétendument fautif, il en naît un différend interétatique. Selon

l’article 38 de son Statut, la Cour a reçu mission «de régler, conformé-
ment au droit international, les différends qui lui sont soumis» (les ita-
liques sont de moi). Il faut donc que du fait illicite allégué soit né un
différend juridique entre les Etats concernés pour que la Cour en
connaisse. Ce n’est pas la seule saisine de la Cour par une requête qui

crée, fait naître ou fait constater le différend. La seule existence d’un fait
internationalement illicite au détriment d’un ressortissant étranger ne
constitue pas en elle-même un différend entre l’Etat de ce dernier et l’Etat
auteur du prétendu fait internationalement illicite, le litige demeurant
interne tant que l’Etat de nationalité n’a pas soulevé l’illicéité et élevé une

réclamation devant l’Etat auteur du fait. Il ne s’agit pas ici de négocia-
tions diplomatiques que certaines clauses de juridiction prévoient comme

58637 AHMADOU SADIO DIALLO (OP .IND .MAMPUYA )

condition préalable à la saisine de la Cour, mais d’une pure logique que

suit habituellement la Cour aux fins d’établir l’existence d’un différend
interétatique par-delà les faits dont serait victime un individu.
C’est de cette manière que, dans une pratique constante, il est toujours
procédé devant la Cour, en cas de requête unilatérale. Il suffirait de citer
ici l’une des plus anciennes affaires soumises à la Cour, celle des Phos-

phates du Maroc (exceptions préliminaires) . Le demandeur lui-même,
l’Italie, établit qu’un différend est né des faits dont ses ressortissants
auraient été victimes. En effet, après avoir exposé tous les faits, notam-
ment les actes qu’elle estimait illicites de la part des autorités chérifiennes
et de celles de la puissance protectrice ainsi que l’opposition persistante

des thèses, y compris sur la nature du règlement du litige, l’Italie en
conclut que

«le différend juridique qui en est surgi , n’ayant pu former l’objet
d’un compromis d’arbitrage à cause de la persistante attitude évasive
du Gouvernement de la République [française], est soumis à la Cour
par voie de requête unilatérale» (arrêt, 1938, C.P.J.I. série A/B

n° 74, p. 14 (citant la requête du Royaume d’Italie); les italiques sont
de moi).

Parallèlement, le défendeur dans la même instance, la France, pour sa
part, estime sur un autre grief que, un différend n’ayant pas surgi sur une
partie des faits soulevés, ceux-ci ne pouvaient faire l’objet de la réclama-
tion devant la Cour:

«Attendu que cette question n’a fait l’objet d’aucun examen par la
voie diplomatique, et qu’en conséquence elle ne saurait être déférée à
la Cour par voie de requête sur la base des déclarations par lesquelles

la France et l’Italie ont accepté la juridiction obligatoire de la
Cour.» (Ibid., p. 17; les italiques sont de moi.)

Je signale que la Cour permanente a répondu à cette objection, sans reje-
ter le principe, au contraire même, en indiquant que «les négociations
diplomatiques préalables ont embrassé tout entière la controverse sou-
mise à la Cour...», faisant pour cela, en particulier, état «[de] clairs aver-
tissements donnés par les intéressés, l’ambassade italienne et l’agent du

gouvernement royal» et «[de] deux notes remises» à M. Laval et au Quai
d’Orsay (ibid., p. 19).

Aussi, dans l’affaire de l’Interprétation des traités de paix conclus
avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, première phase, avis consul-

tatif, l’une des questions auxquelles devait répondre la Cour était ainsi
libellée: «Ressort-il de la correspondance diplomatique entre [les
trois Etats] et certaines Puissances alliées et associées ... qu’il existe des
différends »( C.I.J. Recueil 1950, p. 74; les italiques sont de moi) pour
lesquels une procédure de règlement est prévue par les traités? C’est, sur

la base de la définition selon l’arrêt relatif aux Concessions Mavrommatis
en Palestine, après avoir examiné la correspondance diplomatique échan-

59638 AHMADOU SADIO DIALLO (OP.IND . MAMPUYA )

gée entre les Etats concernés, et observé que les points de vue des deux

Parties étaient nettement opposés, en particulier que certains Etats avaient
porté contre d’autres des accusations que ceux-ci repoussaient, que la
Cour en a conclu que des différends internationaux s’étaient produits:

«Dans la correspondance diplomatique qui a été soumise à la
Cour, le Royaume-Uni, agissant de concert avec l’Australie, le
Canada et la Nouvelle-Zélande, et les Etats-Unis d’Amérique ont
accusé la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie d’avoir enfreint, à

divers égards, les dispositions des articles qui, dans les traités de
paix, ont trait aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales;
ils ont invité les trois gouvernements à prendre des mesures de redres-
sement afin d’exécuter les obligations que leur imposent les traités.
Les trois gouvernements , d’autre part, ont repoussé ces accusations .

Il s’est donc produit une situation dans laquelle les points de vue des
deux parties, quant à l’exécution ou à la non-exécution de certaines
obligations découlant des traités, sont nettement opposés. En pré-
sence d’une telle situation, la Cour doit conclure que des différends
internationaux se sont produits .» ( Interprétation des traités de paix

conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, première phase,
avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950 , p. 74; les italiques sont de moi.)
La Cour a rappelé ces mêmes termes dans l’affaire de l’Applicabilité de

l’obligation d’arbitrage en vertu de la section 21 de l’accord du 26 juin
1947 relatif au siège de l’Organisation des Nations Unies , mettant en évi-
dence la nécessité, indépendamment de simples affirmations ou contesta-
tions des faits, de déterminer l’existence d’un différend entre l’Organisa-

tion et les Etats-Unis. A cet effet, elle a rappelé la résolution 42/229 B du
3 mars 1988, par laquelle l’Assemblée générale confirmait
«la position du Secrétaire général qui a constaté l’existence d’un dif-

férend entre l’Organisation des Nations Unies et le pays hôte quant
à l’interprétation ou l’application de l’accord entre l’Organisation
des Nations Unies et les Etats-Unis d’Amérique relatif au siège de
l’Organisation des Nations Unies...» (Applicabilité de l’obligation
d’arbitrage en vertu de la section 21 de l’accord du 26 juin 1947 rela-

tif au siège de l’Organisation des Nations Unies, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 1988, p. 13, par. 1),
et que «l’attitude opposée des parties établissait clairement l’existence d’un

différend» (ibid., p. 27, par. 35).
Dans l’affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et
contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), compétence et
recevabilité, la Cour constate

«qu’il n’est pas douteux que, dans les circonstances où le Nicaragua
a présenté sa requête à la Cour et d’après les faits qui y sont allégués,
il existe un différend entre les Parties: notamment quant à «l’inter-

prétation ou à l’application» du traité» (arrêt, C.I.J. Recueil 1984 ,
p. 428, par. 83).

60639 AHMADOU SADIO DIALLO (OP .IND .MAMPUYA )

On retrouve la même préoccupation dans l’arrêt du 30 juin 1995 dans

l’affaire du Timor oriental (Portugal c. Australie) (C.I.J. Recueil 1995,
p. 99-100, par. 22), ainsi que dans l’arrêt du 11 juillet 1996 relatif
à’l Application de la convention pour la prévention et la répression du
crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie )( C.I.J. Recueil
1996 (II), p. 614-615, par. 29).

Dans une affaire toute récente (Activités armées sur le territoire du
Congo (nouvelle requête: 2002) (République démocratique du Congo c.
Rwanda), arrêt, C.I.J. Recueil 2006 , p. 40, par. 90), la Cour commence
par rappeler la définition donnée du différend par l’arrêt des Concessions
Mavrommatis et reprend sa propre jurisprudence qui décide que «[p]our

établir l’existence d’un différend: «Il faut démontrer que la réclamation
de l’une des parties se heurte à l’opposition manifeste de l’autre ».»
(Les italiques sont de moi.) A l’appui de cela, la Cour donne la longue
liste des affaires où il avait été ainsi décidé (Sud-Ouest africain, excep-

tions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1962 , p. 328; Interprétation des
traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, pre-
mière phase, avis consultatif , C.I.J. Recueil 1950,p.74;Timor oriental
(Portugal c. Australie) , arrêt, C.I.J. Recueil 1995 , p. 100, par. 22; Ques-
tions d’interprétation et d’application de la convention de Montréal de

1971 résultant de l’incident aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe
libyenne c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil
1998, p. 17, par. 22; Questions d’interprétation et d’application de la
convention de Montréal de 1971 résultant de l’incident aérien de Locker-
bie (Jamahiriya arabe libyenne c. Etats-Unis d’Amérique) , exceptions

préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1998 , p. 122-123, par. 21; Certains
biens (Liechtenstein c. Allemagne) , arrêt, C.I.J. Recueil 2005 ,p .,
par. 24). Par la suite, la Cour

«note qu’en l’espèce la RDC a formulé de nombreuses protestations
contre les agissements du Rwanda prétendument contraires au droit
international relatif aux droits de l’homme, tant au plan bilatéral, à
travers des contacts directs avec le Rwanda, qu’au plan multilatéral

dans le cadre d’organes internationaux tels que le Conseil de sécurité
des Nations Unies et la Commission africaine des droits de l’homme
et des peuples de l’Organisation de l’Unité africaine... Quelle que
puisse être la qualification juridique de telles protestations au regard
de l’exigence de l’existence d’un différend entre la RDC et le

Rwanda... »( Activités armées sur le territoire du Congo (nouvelle
requête: 2002) (République démocratique du Congo c. Rwanda),
arrêt, C.I.J. Recueil 2006, p. 40-41, par. 91; les italiques sont de
moi.)

Même si dans cette affaire la clause compromissoire qui prévoyait la juri-
diction de la Cour la subordonnait, en plus de cette condition de l’exis-
tence d’un différend, à une autre concernant la soumission dudit diffé-

rend à des négociations entre les deux Etats préalablement à la saisine de
la Cour, l’essentiel, aux fins de la démonstration qui nous intéresse ici, est

61640 AHMADOU SADIO DIALLO (OP. IND. MAMPUYA )

de constater que la Cour confirme qu’il existe bien une «exigence de

l’existence d’un différend» interétatique, pour engager une procédure
devant la Cour mondiale. C’est que, en réalité, cette exigence signifie que
ce n’est pas tant des prétendus faits illicites que du différend né de ces
faits allégués que la Cour est normalement saisie.
Un différend juridique est constaté lorsqu’il est établi, il ne se présume

pas uniquement des faits, encore faut-il que ces faits aient donné lieu, ainsi
qu’il en est des créances privées, à une réclamation non satisfaite tel que
c’est le sens de la jurisprudence et de la pratique depuis l’arrêtMavrom-
matis; il ne se produit pas non plus directement par la saisine de la Cour;
les prétendues violations de droits de particuliers, en l’absence d’un diffé-

rend interétatique, demeurent de simples faits, et non un différend inter-
étatique. Cette exigence, exprimée dans tous ces cas à propos de litiges
d’Etat à Etat et portant sur des obligations internationales relatives aux
rapports interétatiques directs, vaut encore plus impérativement en matière

des droits des particuliers spécialement. Certes, dans l’affaireAvena et
autres ressortissants mexicains (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique) ,e l
Mexique avait directement présenté ses réclamations concernant ses res-
sortissants devant la Cour, mais il avait expressément conçu, et la Cour en
avait pris acte, son action non comme exercice de la protection diploma-

tique mais comme une requête visant les «violations de la convention de
Vienne sur les relations consulaires du 24 avril 1963» à laquelle les deux
Etats sont parties (requête du Mexique du 9 janvier 2003, p. 1, etfond,
arrêt, C.I.J. Recueil 2004, p. 17, par. 1, et p. 28, par. 22).
Une telle exigence d’existence de différend interétatique est d’autant

plus logique et compréhensible que, comme le constate et le consigne la
CDI dans ses articles sur la responsabilité de l’Etat, il est admis habituel-
lement que l’Etat qui invoque la responsabilité d’un autre Etat lui notifie
sa demande, de façon à préciser

«a) le comportement que devrait adopter l’Etat responsable pour
mettre fin au fait illicite si ce fait continue;
b) la forme que devrait prendre la réparation» (James Crawford,

Articles de la CDI sur la responsabilité de l’Etat, Introduction,
textes et commentaires, article 43, p. 313, 2003).

Certes, le seul fait de la violation par lui d’une obligation internationale
qui lui incombe est susceptible d’engager juridiquement la responsabilité
de l’Etat, mais, comme le dit Crawford commentant cette disposition,

«la première réaction [de l’Etat lésé] devrait être d’appeler l’attention
de l’Etat responsable sur la situation et de lui demander de prendre
les mesures voulues pour mettre fin à la violation et réparer» (ibid.,

p. 313).
En réalité, ce n’est que lorsque pareille demande est restée sans réponse

ou sans réponse satisfaisante que naît le différend.

62641 AHMADOU SADIO DIALLO (OP .IND .MAMPUYA )

De fait, le plus souvent, lorsque l’on évoque la définition du différend,

on s’arrête à une partie du travail de définition fourni par la Cour dans
son arrêt dans l’affaire des Concessions Mavrommatis en Palestine disant
du différend que c’est «un désaccord sur un point de droit ou de fait, une
contradiction, une opposition de thèses juridiques ou d’intérêts entre
deux personnes» (1924, arrêt, C.P.J.I. série A n° 2, p. 11). Ce faisant, on

oublie que la Cour n’énonce cette définition qu’après avoir établi que les
conditions d’existence d’un différend sont remplies. Cette opération est
menée, dans ce sens, par la Cour dans l’affaire du Sud-Ouest africain,
lorsqu’elle précise que

«il ne suffit pas que l’une des parties à une affaire contentieuse
affirme l’existence d’un différend avec l’autre partie. La simple affir-

mation ne suffit pas pour prouver l’existence d’un différend, tout
comme le simple fait que l’existence d’un différend est contestée ne
prouve pas que ce différend n’existe pas. Il n’est pas suffisant non
plus de démontrer que les intérêts des deux parties à une ... affaire
sont en conflit. Il faut démontrer que la réclamation de l’une des

parties se heurte à l’opposition manifeste de l’autre .» ( Exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1962 , p. 328; les italiques sont de
moi.)

Et, dans cet arrêt de 1962, la Cour procède largement à cette analyse en
passant en revue tous les échanges diplomatiques entre les Parties. Encore
une fois, on voit bien ainsi que ce dont doit être saisie la Cour ce ne sont
pas les faits ou le litige interne, mais le différend qui en naît entre les

Etats. La Cour permanente l’avait confirmé à sa manière, dans l’affaire
des Concessions Mavrommatis en Palestine , lorsqu’elle dit que

«il est vrai que le différend a d’abord été celui d’un particulier et
d’un Etat, celui de Mavrommatis et de la Grande-Bretagne; puis le
Gouvernement hellénique a pris l’affaire en mains; le différend est
entré dans une phase nouvelle: il s’est porté sur le terrain

international...; dès lors, la possibilité existe qu’il relève désormais
de la compétence de la Cour permanente de Justice internationale »
(1924, arrêt, C.P.J.I. série A n° 2 , p. 12; les italiques sont de moi).

Le fait que la RDC n’ait pas contesté l’existence d’un différend entre elle
et la Guinée n’a aucune espèce d’importance dans la mesure où cette exis-
tence est la première condition, objective, pour que soit régulièrement sai-

sie la Cour (selon l’article 38 de son Statut, chargée de «régler les
différends...»), et ne peut aucunement limiter le pouvoir de la Cour de
vérifier l’existence préalable d’un différend. D’ailleurs, en examinant cette
question dans l’affaire du Sud-Ouest africain, la Cour ne le fait pas en
tant qu’exception préliminaire soulevée par le défendeur (l’Union sud-

africaine) mais, «[a]vant d’entreprendre cette tâche» d’examiner, «au
stade actuel de la procédure» les exceptions préliminaires sud-africaines,

63642 AHMADOU SADIO DIALLO (OP. IND.MAMPUYA )

comme une «question préliminaire touchant l’existence du différend qui

fait l’objet des requêtes» (C.I.J. Recueil 1962, p. 328), ne procédant à
l’examen des exceptions préliminaires qu’ensuite. Il n’est pas non plus
pertinent de prétendre que, le défendeur ayant d’emblée accepté la com-
pétence de la Cour, il n’y aurait plus lieu d’examiner cette question: il y a
là, de fait, deux problématiques différentes, existence d’un différend et

compétence, que la Cour se doit d’examiner l’une et l’autre.

Or, à cet égard, les deux requêtes successives de la Guinée font état de
«l’objet du différend», mais, dans les circonstances où elle a présenté sa
requête et d’après les faits qui y sont allégués, la Guinée n’établit nulle

part, à propos des faits illicites qu’elle impute devant la Cour à la RDC
relativement aux mauvais traitements allégués, à l’expulsion et, même,
aux droits propres d’associé, à quel moment ni en quels termes s’est
manifesté ou a été constaté le différend juridique dont la Cour pourrait

connaître. La Guinée, sans doute consciente de l’exigence de cette condi-
tion d’existence de différend interétatique, cherche à l’établir en préten-
dant qu’elle n’a saisi la Cour qu’«[a]près de vaines tentatives de règle-
ment amiable» (requête, p. 2), ou après «plusieurs démarches diploma-
tiques» tentées en vain «pour obtenir du Zaïre ... qu’il fasse droit aux

demandes en réparation de M. Diallo, injustement réduit à l’indigence la
plus totale» (mémoire de la Guinée, par. 1.2). Il me semble que, rien que
pour cela, la Cour aurait pu vérifier ces allégations; elle aurait pu ainsi
constater que non seulement ces allégations de tentatives et démarches
diplomatiques qui auraient pu faire éclater l’opposition des thèses, c’est-

à-dire le différend, ne se réfèrent qu’au contentieux commercial relatif
aux sociétés dont M. Diallo est associé et, que, encore, il ne s’agit que de
la correspondance échangée entre les autorités guinéennes elles-mêmes.
C’est en vain que l’on cherche un seul, parmi les centaines des documents
annexés par la Guinée, qui porte sur une quelconque démarche diploma-

tique ou autre du Gouvernement guinéen, ministre ou ambassadeur,
auprès de l’une quelconque des autorités congolaises. Il est, par ailleurs,
symptomatique que même dans sa plaidoirie la Guinée n’en ait plus fait
état. En effet, la seule correspondance gouvernementale guinéenne rela-
tive à M. Diallo a lieu entre les autorités guinéennes elles-mêmes ou entre

le ministre des affaires étrangères et son ambassadeur à Kinshasa, ces
échanges de lettres n’ayant du reste comme seul objet que les créances de
M. Diallo (mémoire de la Guinée, annexes 203, 216, 217 et 223).
Que le conseil de M. Diallo ait, lui seul, adressé aux autorités congo-
laises les seules correspondances envoyées à ces dernières figurant dans le

dossier, cela reste dans le cadre de démarches en vue du règlement du
litige relatif aux créances des deux sociétés engagées par M. Diallo en
tant que gérant desdites sociétés, ne changeant rien au fait qu’aucun
document déposé auprès de la Cour ne prouve l’existence de démarches
diplomatiques en vue de solder le dossier des prétendues vexations impo-

sées à M. Diallo par son emprisonnement et son expulsion. Bien plus,
le dossier en la possession de la Cour ne contient aucune pièce prouvant

64643 AHMADOU SADIO DIALLO (OP. IND. MAMPUYA )

des démarches officielles auprès de la RDC concernant quelque aspect de
l’affaire, même les créances. Certes, la correspondance du conseil de
M. Diallo au président de la République démocratique du Congo fait état
de «[t]outes les correspondances adressées par le ministère des affaires

étrangères de la République de Guinée aux autorités congolaises» qui
seraient «restées sans réponse, dans le mépris vexatoire de la courtoisie
diplomatique», avant de lui signifier la décision de son client «de saisir les
instances internationales compétentes pour obtenir justice» (mémoire de
la Guinée, annexes 245 et 248, lettres des 4 février et 16 mars 1998,

annexes 246 et 249, lettres au ministre de la justice de la RDC en date des
4 février et 16 mars 1998, leur demandant, sur recommandation du secré-
taire général du CIRDI, leur agrément pour la saisine de cet organisme
d’arbitrage international).
Mais, si le conseil de M. Diallo, certainement de bonne foi, sans tou-

tefois pouvoir vérifier quoi que ce soit, a cru le ministre qui lui avait dit
avoir envoyé plusieurs correspondances aux autorités congolaises, le dos-
sier transmis à la Cour et les plaidoiries prononcées en la phase orale n’en
contiennent aucune trace.

Bien plus, même la lettre du ministre guinéen des affaires étrangères à
l’ambassadeur de Guinée, ayant constaté l’interdiction de séjour qui frap-
pait M. Diallo, évoque l’éventualité en disant «à moins que cette inter-
diction ne soit levée officiellement» (mémoire de la Guinée, annexe 216),
et celle du ministre de la justice de Guinée (mémoire de la Guinée,

annexe 212), en date du 11 décembre 1996 (un mois et demi après la
signature du décret d’expulsion et un mois et demi avant l’expulsion), par
laquelle il dit rester à la «disposition pour le suivi du dossier», transmet
à son collègue des affaires étrangères un rapport sur l’expulsion de
M. Diallo et lui expose la «possibilité d’exercer la protection diploma-

tique» auprès de la RDC, ne font entreprendre aucune démarche dans ce
sens. Il n’y a, dans les documents sous les yeux de la Cour, aucune trace
d’une simple protestation diplomatique face aux prétendus mauvais trai-
tements et à l’expulsion, pourtant réputés notoires parce que médiatisés,

qu’aurait subis M. Diallo; ce grief, si tant est qu’il ait existé, n’a jamais
été porté sur le terrain international pour devenir un différend
interétatique.

Enfin, à la suite de cette logique, il est de pratique diplomatique et

d’exigence judiciaire constantes que, indépendamment de la condition de
l’épuisement préalable des voies de recours internes, le requérant inter-
national fasse valoir devant la justice internationale les mêmes griefs
que ceux qu’il a portés devant les instances nationales de l’Etat «respon-

sable»: «les instances étatiques et internationales devront examiner les
mêmes questions... », les griefs doivent «être identiques et s’en prendre
aux mêmes droits prétendument violés » (P. Daillier et A. Pellet, Droit
international public, LGDJ, 7 éd., 2002, p. 814; J. Guinant, «La règle de
l’épuisement des voies de recours internes dans le cadre des systèmes

internationaux de protection des droits de l’homme», Revue belge de

65644 AHMADOU SADIO DIALLO (OP .IND .MAMPUYA )

droit international, 1968, p. 476-477; les italiques sont de moi). Or,
devant les instances nationales congolaises, le demandeur exigeait le paie-
ment des créances des deux sociétés congolaises, tandis que, devant la
Cour, il s’agit de réparer de prétendus mauvais traitements d’un individu

et les violations alléguées des droits propres d’un associé; un tout autre
litige, un tout autre procès. De fait, la réclamation guinéenne, pour
autant que, au vu de l’enchevêtrement des argumentations, il soit possible
de la limiter aux seuls prétendus mauvais traitements du ressortissant gui-
néen, n’apparaît pour la première fois que devant la Cour, surprenant

par sa soudaineté le défendeur. Ainsi, n’ayant connu du litige que ce qui
a été produit devant la Cour au moment du dépôt de la requête gui-
néenne, la RDC n’a pas pu évoquer autrement qu’elle ne l’a fait le
«différend» sur les droits individuels et les droits propres d’associé.
Cette problématique est tout à fait indépendante de celle de la compé-

tence incontestable de la Cour acceptée par ailleurs sans réserve par le
défendeur.
Sur ces aspects relatifs à la qualité de la requête, obscuri libelli, soudai-
neté des réclamations et discontinuité de griefs, j’ai eu l’impression que la

Cour s’éloignait d’une pratique qui me semblait logique, sans que j’aie
compris pourquoi, et il ne m’a pas semblé satisfaisant que la Cour ait fait
l’économie d’une analyse si utile. Enfin, le fait que la RDC s’est d’emblée
jointe à la procédure sans élever des réserves ni des objections sur ces
points n’a aucune importance ici et, pour répondre à l’intention du défen-

deur de voir déclarer irrecevable une requête, la Cour

«reste libre dans le choix des motifs sur lesquels elle fondera son
arrêt et n’est pas tenue d’examiner toutes les considérations présen-
tées par les Parties, si d’autres lui paraissent suffisantes...» (Applica-
tion de la convention de 1902 pour régler la tutelle des mineurs, fond,
arrêt, C.I.J. Recueil 1958 , p. 62).

2. L A DEUXIÈME EXCEPTION CONGOLAISE

Je rappelle, à sa suite, que la Cour s’est trouvée limitée par le fait que
les deux Parties n’ont fait état que des voies de recours exercées par les

sociétés, sans se préoccuper de celles que devait ou qu’aurait dû exercer
M. Diallo pour la défense de ses «droits propres» d’associé ou d’action-
naire (arrêt, par. 74).
Si cet état de choses peut s’expliquer pour le défendeur, la RDC, qui a

calqué ses exceptions préliminaires sur l’objet du différend tel qu’il fut
présenté par la requête, mais toutefois sans adapter ses moyens juridiques
aux nouveaux griefs exprimés par le demandeur, cela est moins compré-
hensible de la part de ce dernier, la Guinée, qui a eu le temps de «corri-
ger» sa démarche en y introduisant des prétendues violations des droits

individuels et des droits propres d’associé de son ressortissant, mais

66645 AHMADOU SADIO DIALLO (OP .IND .MAMPUYA )

toutefois sans indiquer qu’à leur strict propos toutes les voies de recours

auraient été épuisées ou se seraient avérées inefficaces ou inexistantes.
Je me suis trouvé en désaccord avec la Cour sur l’argumentation déve-
loppée pour rejeter cette deuxième exception. Collant aux allégations de
la Guinée, jusqu’aux plus contestables, la Cour a admis, d’une part, qu’il
n’existerait pas dans le système juridique congolais de voies de recours

contre la mesure d’expulsion ayant frappé M. Diallo et, d’autre part, que
l’existence des recours contre les violations alléguées des droits propres
d’associé de ce dernier est tributaire de son expulsion.
La thèse guinéenne suivie par la Cour était que la RDC a délibérément
expulsé M. Diallo pour l’empêcher d’exercer ses droits d’associé et que, par

elle-même, son expulsion a violé ses droits propres d’associé. Dans les pro-
pos de la Guinée, il s’est entretenu comme une idée d’un complot de la part
de la RDC contre M. Diallo, jusque et y compris dans l’argument selon
lequel la RDC aurait délibérément camouflé derrière une mesure de «refou-

lement», non susceptible de recours, l’expulsion dont M. Diallo était
frappé; cette thèse, exposée au paragraphe 46, rejaillit sur le raisonnement
de la Cour au paragraphe 73 de l’arrêt. D’une part, en approuvant cette
interprétation, la Cour fait comme si M. Diallo ignorait qu’il était frappé
d’expulsion, s’était comporté comme s’il savait au contraire qu’il était

refoulé et s’était en conséquence abstenu d’exercer des recours d’ailleurs
non prévus dans ce cas. Or, l’échange de correspondance entre les autorités
guinéennes montre qu’elles étaient au courant de ce décret «portant expul-
sion d’une personne étrangère de la République du Zaïre», alors même que
l’objet de ces deux mesures est différent: on expulse d’un pays quelqu’un

qui y réside déjà et on refoule celui qui n’arrive encore qu’à la frontière.
D’autre part, une telle imputation est d’autant plus inutilement domma-
geable à un Etat qu’elle introduit une contradiction, en tout cas une incohé-
rence, avec les paragraphes 47 et 48 de l’arrêt qui développent un argument
plus acceptable, plus conforme à la réalité et à lui seul suffisant, qui établit

que, en fait, ce n’est pas parce qu’il s’agissait, même dans le chef de la
RDC, d’une mesure de refoulement que M. Diallo ne pouvait exercer des
recours, mais c’est parce que la RDC «n’a pas démontré qu’il existait dans
son ordre juridique des voies de recours disponibles et efficaces qui auraient
permis à M. Diallo de contester son expulsion». Certes, il n’appartenait

pas à la Cour de rechercher par elle-même l’existence des recours effectifs
en droit congolais contre l’expulsion, mais la démonstration simplificatrice
rejetant la thèse d’erreur matérielle, et qui conduit à assimiler refoulement
et expulsion au moment de l’exécution de la mesure d’expulsion de
M. Diallo, ne me semble pas suffisante. J’aurais plus facilement compris

l’idée que, selon une jurisprudence incontestable, on peut affirmer qu’étant
éloigné du territoire congolais M. Diallo ne pouvait pas ou n’aurait pas pu
exercer ces recours, quels qu’ils soient, tandis que la conclusion que de tels
recours n’existent pas me semble être un jugement que fait gratuitement la
Cour du système juridique d’un Etat partie à son Statut. Mais par ailleurs,

si la RDC n’a pas pu démontrer l’existence de recours contentieux, elle a
fait état de recours gracieux. Il n’est pas vrai, à cet égard, que les recours

67646 AHMADOU SADIO DIALLO (OP.IND . MAMPUYA )

gracieux soient à exclure de l’obligation d’épuiser les voies de recours inter-

nes parce qu’ils ne traduiraient qu’une pure pitié ou faveur comme le laisse
entendre l’arrêt (arrêt, par. 47). Cela est important car, si, comme le pré-
tend la Guinée, «la doctrine s’est toujours montrée hostile» au recours gra-
cieux, une autre doctrine, tout aussi crédible, estime que le recours à l’auto-
rité administrative est une voie de recours qui est généralement, aux côtés

des recours contentieux, admise comme l’une des voies de recours efficaces
à propos desquelles l’épuisement des voies de recours internes est exigé:
P. Daillier et A. Pellet disent que le particulier victime de l’acte illicite doit
avoir «épuisé tous les recours internes —gracieux et contentieux — prévus
et mis à sa disposition par l’ordre juridique de l’Etat...»D( roit internatio-

nal public, 2002, p. 812; les italiques sont de moi). Par ailleurs, alors que
l’arrêt laisse entendre qu’il existerait plusieurs formes de recours gracieux,
on ne peut pas faire autrement que, par la nature même du recours gra-
cieux, son issue, à la différence du recours juridictionnel, dépende discré-

tionnairement de l’autorité administrative compétente, ce qui ne devrait
rien enlever à sa valeur en tant que recours.
Quant à la violation des droits propres d’associé de M. Diallo, traitée
«comme une conséquence directe de son expulsion», sans doute aurait-il
été également utile, sans nécessairement toucher lourdement au fond, de

démontrer plus explicitement le lien que l’on prétend établir entre l’expul-
sion et la violation des droits propres d’associé de M. Diallo. Le débat
dès lors eût porté sur, tout au moins comme une simple allégation à
démontrer au stade du fond, le fait que la RDC a posé des actes visant ou
non directement ces droits propres. De fait, dans la mesure où les droits

propres d’associé ne sont exigibles qu’à la société dont la personne est
l’associé, ils ne peuvent concerner les tiers qu’à travers des actes incrimi-
nés qui, selon l’expression de la Cour dans l’affaire de la Barcelona Trac-
tion, sont «dirigés contre les droits propres ... en tant que tels», excluant
l’hypothèse d’un impact indirect ou collatéral, ou à cause d’ingérences de

l’Etat concerné dans le fonctionnement de la société ou dans les relations
entre celle-ci et ses associés. C’est ce que démontre la sentence arbitrale
dans l’affaire de la Salvador Commercial Co. (RSA, vol. XV, p. 474-475)
qui donne des exemples logiques en visant certains actes d’ingérence,
comme le remplacement arbitraire d’administrateurs, la convocation de

réunions d’organes dirigeants de la société au mépris des règles statu-
taires ou sans avertir les actionnaires majoritaires, le refus de laisser cer-
tains actionnaires consulter des documents de la société, etc., ou tout
autre acte de même nature. Or, nulle part, la Guinée, même en réservant
la démonstration à la phase de l’examen au fond, n’a prétendu que la RDC

a commis des faits internationalement illicites dans ce sens «dirigés
contre les droits propres d’associé en tant que tels» de M. Diallo, n’invo-
quant que la simple incidence d’une mesure dirigée contre l’individu
Diallo et non contre ses droits propres d’associé. La démarche différente
adoptée par la Guinée et acceptée par la Cour consiste à ne pas examiner

si les mesures reprochées à la RDC visaient ou, mieux encore, avaient
pour cible directe les droits propres d’associé de M. Diallo «en tant que

68647 AHMADOU SADIO DIALLO (OP .IND .MAMPUYA )

tels» ou s’il ne s’agit que d’un effet collatéral d’une mesure visant

uniquement l’individu M. Diallo; elle ne fait aucun cas de la distinction
essentielle établie par la Cour elle-même dans l’affaire de la Barcelona
Traction.Ilyal comme une insinuation que la RDC ne cherchait par
cette expulsion qu’à violer les droits propres d’associé, insinuation se
comprenant ainsi qu’un procès d’intention, auquel je ne peux adhérer,

fait au défendeur en lui attribuant, comme arrière-plan d’une mesure
frappant clairement un individu, une intention invérifiable d’atteindre
non pas l’individu lui-même mais ses droits propres d’associé. Ce faisant,
la Cour a implicitement entériné, au détriment de la formulation claire et
juridiquement précise de son arrêt dans l’affaire de la Barcelona Traction

— «actes dirigés contre les droits propres des actionnaires en tant que
tels» —, celle de la CDI à l’article 12 de son projet — fait qui «porte
directement atteinte aux droits des actionnaires en tant que tels» (les ita-
liques sont de moi); c’est en effet cette dernière, trop large et ouvrant une

véritable boîte de Pandore, qui a inspiré l’argumentation guinéenne qui
traite «la violation alléguée des droits propres de M. Diallo en tant
qu’associé comme une conséquence directe de son expulsion», argumen-
tation que la Cour reprend à son compte (arrêt, par. 74).
Un autre aspect est à retenir sur l’exception de non-épuisement des

recours internes s’agissant des droits propres d’associé. Tout en précisant
que les Parties «se sont limitées ... à l’examen des recours ouverts aux
sociétés ... sans aborder ceux éventuellement ouverts à M. Diallo en tant
qu’associé» (ibid.), la Cour rejette néanmoins l’exception congolaise sur
une motivation qui note l’absence d’une démonstration par la RDC, que

ni la requête ni le déroulement de la procédure ne permettent d’exiger du
défendeur, de l’existence de voies de recours «qui auraient été distinctes
de celles relatives à son expulsion» (ibid.) et, donc, estimant qu’il n’existe
pas de recours contre l’expulsion, elle en déduit qu’il n’en existe pas non
plus contre les éventuelles violations des droits d’associé. En tout cas, la

démonstration qui aboutit à cette assimilation entre expulsion, même
considérée comme source des violations alléguées des droits propres
d’associé, et ces dernières n’est pas convaincante. Mais la Cour a éludé la
difficulté devant laquelle elle se trouvait du fait qu’aucune conséquence
déterminante logique et raisonnable ne peut être tirée du silence des deux

Parties concluant à l’existence ou à l’inexistence de voies de recours pro-
pres aux droits d’associé; elle le fait en décidant que,

«[d]ans la mesure où il n’a pas été avancé qu’il existait des voies de
recours internes que M. Diallo aurait dû épuiser en ce qui concerne
ses droits propres en tant qu’associé, la question de l’efficacité de
ces voies de recours, en tout état de cause, ne se pose pas»

(ibid.).
Cette assimilation rapide ne semble pas pouvoir aller de soi; en effet,

les voies de recours contre l’expulsion, spécifiques du fait de la nature
même de l’expulsion en tant que relevant du contentieux administratif, ne

69648 AHMADOU SADIO DIALLO (OP .IND .MAMPUYA )

sont pas les mêmes que celles destinées à protéger les droits propres de
l’associé, qui sont les voies de recours qu’organise le droit congolais
comme le montre le cas d’espèce avec les recours exercés par les deux
sociétés, démonstration tentée par le défendeur dans une argumentation

que l’arrêt présente à son paragraphe 69. La prise en compte d’une dif-
férence entre expulsion et droits propres d’associé ainsi que de la distinc-
tion des contentieux (administratif ou commercial) relatifs aux deux
matières aurait dû conduire la Cour à ainsi reconnaître l’existence de
voies de recours en droit congolais en matière commerciale qui se prê-

taient aux violations alléguées des droits propres d’associé et à en exami-
ner l’efficacité, quitte à conclure, à cet égard, qu’elles sont inefficaces.
En tout état de cause, le principe de l’identité et de la continuité de
l’objet du litige que nous avons évoqué plus avant est ainsi au cŒur de la
logique et du bien-fondé de la règle de l’épuisement préalable des voies de

recours internes. Dans la mesure où la réclamation internationale de
l’Etat de nationalité ne fait qu’endosser la réclamation déjà portée et trai-
tée devant le juge interne ou les autorités de l’Etat de résidence, un Etat
ne peut porter devant la juridiction internationale, au nom d’un particu-

lier, une cause toute nouvelle dont n’ont jamais été saisies les autorités
nationales de l’Etat de résidence, et qui ne leur a jamais été notifiée. De ce
point de vue, le litige sur les droits propres d’associé de M. Diallo est un
nouveau litige qui a fait brutalement irruption directement devant la
Cour; il est clair, en ces circonstances, qu’il n’a pu avoir fait l’objet de

recours internes qui auraient dû au moins être tentés. Tout en sachant
qu’un recours, quel qu’il soit, n’est pas réputé efficace uniquement quand
l’intéressé obtient satisfaction et inefficace quand il est débouté, au moins
«une tentative aurait dû être faite pour épuiser ces recours, si éventuels et
théoriques qu’ils pussent être» , pour citer le juge Lauterpacht (Certains

emprunts norvégiens, exceptions préliminaires , arrêt, C.I.J. Recueil 1957 ,
p. 39, opinion individuelle du juge Lauterpacht).
Selon ce raisonnement, la Cour aurait pu retenir l’exception prélimi-
naire de non-épuisement préalable des voies de recours internes en ce

qu’elle a trait à la protection des droits propres dont M. Diallo est titu-
laire en tant qu’associé des sociétés Africom-Zaïre et Africontainers-
Zaïre.

(Signé) Auguste M AMPUYA .

70

Bilingual Content

625

OPINION INDIVIDUELLE DE M. LE JUGEAD HOC MAMPUYA

Objet et cause du différend : ambiguïté et amalgame entre le mauvais traite-

ment d’un ressortissant guinéen et les créances de sociétés congolaises — Néces-
sité de percer «le cŒur du différend» — Protection des droits de sociétés congo-
laises et protection d’un national par substitution aux sociétés — Exigence de
l’existence d’un différend interétatique et nouveauté de certaines réclamations et
défaut de notification — Inexistence de différend international pour une partie
de la requête dans l’espèce jugée — Identité et continuité dans le temps entre
l’objet des réclamations internes et des réclamations internationales — Diffé-
rence et discontinuité des réclamations dans la présente affaire — Droits
propres d’actionnaire — Les prétendus faits internationalement illicites
doivent avoir été dirigés directement contre les droits propres de l’actionnaire
en tant que tels — Epuisement des voies de recours internes et nouveauté des
réclamations.

J’ai globalement voté avec la majorité de la Cour, notamment en
faveur du dispositif conclusif de l’arrêt qui déclare la requête de la Guinée
recevable mais seulement dans les limites claires indiquées par l’arrêt de
la Cour; toutefois, j’ai maintenu mes formelles réserves dont j’ai fait état
à la Cour sur un certain nombre de points. J’aimerais expliquer ce vote

favorable au dispositif principal et surtout l’objet de mes réserves sur ces
autres aspects.
La Cour elle-même le confirme dans son arrêt, la vérité est que l’affaire
a été présentée sous les plus mauvais auspices, l’objet de la requête for-
mulé d’une manière ambiguë, tandis que les Parties sont demeurées dans

une sorte de dialogue de sourds et ont eu tout au long de la procédure un
comportement contradictoire; cela a amené la Cour à préciser plus d’une
fois qu’elle a été obligée d’adapter son raisonnement et sa démarche à la
manière dont les Parties avaient présenté les faits ainsi que leurs moyens
de droit. Il en a résulté un flottement qui a, à mon avis, lourdement
affecté le raisonnement mais aussi l’opinion de la Cour sur différents

points de fait et de droit rencontrés dans l’espèce.

1. LA PREMIÈRE EXCEPTION CONGOLAISE

Qualité de la requête: ambiguïté et amalgame

Aussi bien dans ses écritures qu’au cours des plaidoiries, la Guinée pré-
tend fonder son droit d’exercer la protection diplomatique sur deux

niveaux, celui des droits de la personne du ressortissant guinéen M. Diallo,
et celui de la protection de son ressortissant actionnaire au sein de socié-
tés congolaises. Mais le premier volet de l’action guinéenne est présenté

47 625

SEPARATE OPINION OF JUDGE AD HOC MAMPUYA

[Translation]

Subject and underlying cause of the dispute: ambiguity and conflation of mis-
treatment of a Guinean national and debts owed to Congolese companies —
Need to go to the “heart of the dispute” — Protection of the rights of Congolese
companies and protection of a national by way of substitution for the compa-
nies — Requirement of the existence of a dispute between States; novelty of

certain claims and lack of notification — Non-existence of an international dis-
pute in respect of part of the Application here ruled on — Identity and conti-
nuity in time of the subject of the domestic claims and the international
claims — Dissimilarity and discontinuity of the claims in the present case —
Direct rights of a shareholder — Alleged internationally wrongful acts must
have been aimed directly at the direct rights of the shareholder as such —
Exhaustion of local remedies and novelty of the claims.

I have voted on the whole with the majority of the Court, in particular
in favour of that part of the dispositif declaring Guinea’s Application to
be admissible but only within the clear limits laid down in the Court’s
Judgment. I do however maintain the formal reservations which I
expressed to the Court on a number of points. I should like to explain my

vote in favour of the main operative provision and, more importantly,
the subject of my reservations as to other aspects.
As the Court itself affirms in the Judgment, the fact is that the way in
which the case has been presented to it does not bode well, the subject-
matter of the Application was ambiguously defined, the Parties have

remained locked in a dialogue of the deaf, as it were, and each has taken
inconsistent positions during the proceedings. This has prompted the
Court to make clear more than once that it has been forced to tailor its
reasoning and approach to the way in which the Parties have presented

the facts and their legal arguments. Inconstancy has resulted and this, in
my opinion, has seriously impaired both the Court’s reasoning and its
decisions on various issues of fact and law raised in the present case.

1. T HE CONGO S F IRSTO BJECTION

Quality of the Application: Ambiguity and Conflation

In both its written pleadings and oral argument, Guinea sought to
found its right to exercise diplomatic protection on two bases: the indi-
vidual rights of Mr. Diallo, a Guinean national; and protection of a Gui-
nean national as shareholder in Congolese companies. But the first basis

for Guinea’s action is presented as closely linked to the subject, as

47626 AHMADOU SADIO DIALLO (OP .IND .MAMPUYA )

en un lien très intime avec l’objet du différend et de la requête tel que
l’interprète la Guinée devant la Cour, en rapport avec les mauvais trai-
tements qu’aurait subis son ressortissant de la part des autorités congo-

laises, tandis que la protection de l’actionnaire est envisagée par le
demandeur sur la base des «droits propres» d’actionnaire et sur celle,
particulière et directement liée aux créances de deux sociétés, de la subs-
titution de l’actionnaire à ces deux sociétés congolaises dont il serait
l’actionnaire principal.

Je ne dois pas avoir réussi à faire adopter la thèse selon laquelle, tou-
tefois, ces trois statuts différents (droits individuels, droits d’actionnaire et
substitution) ont, à travers la protection des droits de deux sociétés, Afri-
com-Zaïre et Africontainers-Zaïre, un arrière-fond omniprésent qui, dans

la présentation des faits et dans les conclusions du demandeur, prend le
dessus sur les droits propres du ressortissant guinéen. Il me semblait que
la Cour dût procéder à un nécessaire éclairage sur l’objet réel du différend
qui lui était soumis, la confusion et l’amalgame constamment entretenus

par le demandeur dans toutes ses écritures comme dans ses plaidoiries
ayant couvert d’un voile et présenté dans des conditions de doute le véri-
table objet de l’instance, voguant continuellement entre le mauvais traite-
ment d’un ressortissant guinéen et les créances de sociétés congolaises.
Une telle démarche eût eu le mérite de vérifier et de dire que la requête

guinéenne portait sur un objet principal, les droits et les créances des deux
sociétés contrôlées par M. Diallo dont le sort aurait pu affecter les autres
objets, à vrai dire secondaires ou subsidiaires dans la démarche du deman-
deur lui-même. Ce constat m’a semblé important, car il est le seul à expli-

quer pourquoi la République démocratique du Congo (RDC) fonde sa
première exception préliminaire de défaut de qualité de la Guinée par le
fait que «sa requête» vise «essentiellement à obtenir la réparation pour
des dommages résultant de la violation de droits des sociétés qui ne pos-
sèdent pas sa nationalité», c’est-à-dire le non-paiement des créances dues

à ces deux sociétés de nationalité congolaise. Tout le malaise ressenti par
la Cour s’explique par ce passage continu de ces prétendues violations des
droits des sociétés à celles des droits de M. Diallo, tandis que le malen-
tendu et le flottement ont constamment persisté, en particulier dans le fait

qu’en relation avec l’exception de non-épuisement des recours internes les
deux Parties n’ont argumenté qu’à propos des voies de recours exercées
par les sociétés devant les juridictions congolaises.
Certes, on ne peut contester à un Etat partie à un différend le droit de

modifier, même jusqu’au dépôt des dernières conclusions à l’issue de la
phase orale, la présentation qu’il fait du différend et de ses prétentions
auprès des juridictions afin de mieux soutenir sa cause.
Mais dans le cas de la Guinée, nous avons deux requêtes, et tout au
long de la procédure le demandeur n’a cessé de passer de l’une à l’autre

ou encore d’en amalgamer le contenu. La première requête est, telle que
le Greffe de la Cour en a fait notification aux membres le 7 octobre 1998,
datée du 23 septembre 1998, référencée n 1794/MAE/DAJC/98, trans-
mise par une lettre du 21 août 1998 (n 1579/MAE/DAJC) qui a pour

48 AHMADOU SADIO DIALLO (SEP.OP .MAMPUYA ) 626

Guinea sees it and describes it to the Court, of the dispute and of the

Application, and as relating to the mistreatment allegedly inflicted by
Congolese authorities on its national, while Guinea approaches the ques-
tion of shareholder protection from the perspective of a shareholder’s
“direct rights” and from the specific perspective, directly linked to the
debts owed to the two companies, of substitution of the shareholder for

the two Congolese companies in which he is said to be the main share-
holder.
I was apparently unsuccessful in advocating the view that the ever-
present background to these three different bases for action (individual
rights, shareholder rights and substitution) is the protection of the rights

of two companies, Africom-Zaire and Africontainers-Zaire, and that it
prevails over the Guinean national’s direct rights in the Applicant’s pres-
entation of the facts and its submissions. In my opinion, the Court
should have brought to light the real subject of the dispute before it, as

the Applicant, constantly switching back and forth between mistreatment
of a Guinean national and claims held by Congolese companies, offered
at every turn in its written and oral arguments a confused amalgam sow-
ing doubt and obscuring the true subject. The virtue in doing so would
have lain in the ascertainment and finding that Guinea’s Application had

a primary subject, the rights and claims of the two companies controlled
by Mr. Diallo, the outcome of which could affect other subjects, in reality
secondary or subsidiary for the Applicant itself. To me, this realization
appeared important, because it alone explains why the Democratic
Republic of the Congo (DRC) based its first preliminary objection as to

Guinea’s lack of standing on the fact that “its Application” seeks “essen-
tially to secure reparation for injury suffered on account of the alleged
violation of rights of companies not possessing its nationality”, i.e., for
the non-payment of debts owed to the two Congolese companies. The
uneasiness felt by the Court can be explained by the constant shifting

between these alleged violations of the companies’ rights and violations
of Mr. Diallo’s rights, and the misunderstanding and loose thinking pre-
vailed throughout, as evidenced specifically by the fact that, in arguing
the objection based on failure to exhaust local remedies, the Parties dis-
cussed only the remedies pursued by the companies in Congolese courts.

Granted, a State party to a dispute is undeniably entitled, even as late
as in its final submissions at the conclusion of the oral phase, to change
the way it presents the dispute and its claims in order to make a better

case.
But in the instance of Guinea we have two Applications and through-
out the proceedings the Applicant kept jumping back and forth between
them and even conflating them. The first Application, dated 23 Septem-
ber 1998 and forwarded to Members of the Court by the Registry on

7 October 1998, bore the reference No. 1794/MAE/DAJC/98, and was
transmitted by letter dated 21 August 1998 (No. 1579/MAE/DAJC)

48627 AHMADOU SADIO DIALLO (OP. IND.MAMPUYA )

objet «Requête au paiement contre le Gouvernement de la République

démocratique du Congo »
«relative au paiement des créances dues à M. Ahmadou Sadio

Diallo, un ressortissant guinéen installé depuis plus de trois décen-
nies dans ce pays et qui, pour avoir réclamé le paiement de ses
créances dues par l’Etat et des sociétés installées au Zaïre, a été
emprisonné durant deux mois et quinze jours et expulsé du
Congo en 1996».

La requête elle-même précise, quant à elle, en guise d’objet de la requête,
que le ressortissant guinéen était expulsé et

«dépouillé par cette expulsion illégale et arbitraire de ses avoirs ban-

caires, mobiliers et immobiliers, des retombées de ses entreprises
ainsi que de ses nombreuses créances vis-à-vis de l’Etat lui-même et
de nombreuses sociétés privées installées sur son territoire » (requête
du 23 septembre 1998, p. 2; les italiques sont de moi).

Suivaient, rattachées à la requête, des «notes préliminaires» exposant des
éléments de fait et de droit, ainsi qu’un jeu de pièces diverses (voir la lettre

d’accusé de réception et celle de transmission de documents du Greffe de la
Cour en date du 28 septembre). Dans ses conclusions présentées dans cette
requête, la Guinée demandait à la Cour de déclarer la recevabilité de la
requête et, quant au fond, d’ordonner à la RDC la présentation des excu-
ses officielles et publiques à la Guinée, de constater le caractère certain,

liquide et exigible des créances, de constater que «ces créances doivent être
endossées par l’Etat congolais», de condamner la RDC à verser des som-
mes d’argent représentant les préjudices financiers subis par M. Diallo, les
dommages-intérêts de 15%, ainsi que les intérêts bancaires et moratoires
de 15% (pour les sommes en dollars américains) et 26% (pour les sommes

en zaïres, la monnaie nationale zaïroise alors en circulation).
Pour fonder la recevabilité de cette requête, dans la deuxième partie de
ses «notes préliminaires» consacrée aux éléments de droit, la Guinée crut
suffisant de n’évoquer, en vertu de l’article 93, paragraphe 1, de la Charte
de l’Organisation des Nations Unies, que sa qualité de Membre des

Nations Unies et ipso facto partie au Statut de la Cour, ainsi que l’ar-
ticle 35 du Statut de la Cour qui stipule que «[l]a Cour est ouverte aux
Etats parties au présent Statut». La Guinée n’ayant indiqué aucune base
de la compétence de la Cour en cette espèce, le greffier l’invita à «bien
vouloir [lui] faire savoir dans les meilleurs délais ce qu’il en est», confor-

mément au paragraphe 2 de l’article 38 du Règlement de la Cour (accusé
de réception du Greffe en date du 28 septembre 1998).
Il n’était pas inutile, pour comprendre les confusions que je relève ici,
d’évoquer ces circonstances brouillées et emmêlées du dépôt de la requête
guinéenne. Le premier fait est qu’à ces dates la Guinée n’avait pas encore

souscrit la déclaration d’acceptation de la compétence de la Cour, la
RDC l’ayant fait, quant à elle, le 6 février 1989. Cela explique l’invitation

49 AHMADOU SADIO DIALLO (SEP.OP .MAMPUYA ) 627

regarding “Application for payment filed against the Government of the

Democratic Republic of the Congo ”
“concerning the payment of sums due to Mr. Ahmadou Sadio Diallo,

a Guinean national resident for over 30 years in the Congo, who, in
1996, as a result of having claimed payment of sums owed to him by
the State and by various companies established in Zaire, was impris-
oned for two months and fifteen days and then unjustly expelled
from the Congo”.

The Application itself states, as its object, that the Guinean national was
expelled and,

“by this unlawful and arbitrary expulsion, was divested of his bank

accounts, his moveable and immovable property, the benefits deriv-
ing from his businesses and of the numerous sums owed to him by the
State itself and by a large number of private companies established
on that State’s territory ” (Application of 23 September 1998, p. 2;
emphasis added).

Annexed to the Application were “Preliminary Notes” setting out points of
fact and law, together with various documents (see the letter acknowledg-

ing receipt and the letter transmitting documents from the Registry of the
Court dated 28 September). In the submissions in this Application, Guinea
requested the Court to declare the Application admissible and, on the mer-
its: to order the DRC to make an official public apology to Guinea; to find
that the sums claimed were certain, liquidated and legally due; to find that

“the Congolese State must assume responsibility for the payment of these
debts”; and to order the DRC to make payment in amounts representing
financial losses suffered by Mr. Diallo, damages at the rate of 15 per cent
and bank and moratory interest at rates of 15 per cent (on amounts
denominated in United States dollars) and 26 per cent (on amounts denomi-

nated in zaires, Zaire’s national currency at the time).
To justify the admissibility of the Application in Part Two of its “Pre-
liminary Notes”, which was devoted to legal arguments, Guinea thought
it need only cite: its status as a Member of the United Nations and, ipso
facto, as a party to the Statute of the Court pursuant to Article 93, para-

graph 1, of the United Nations Charter; and Article 35 of the Statute of
the Court, providing “The Court shall be open to the States parties to the
present Statute.” As Guinea failed to state any basis for the Court’s juris-
diction in the case, the Registrar asked Guinea to “be good enough to
inform [him] as soon as possible of [its] position in this regard”, in

accordance with Article 38, paragraph 2, of the Rules of Court (acknowl-
edgment of receipt by the Registry dated 28 September 1998).
For an understanding of the confusion to which I am referring, it was
helpful to describe the cloudy and muddled circumstances surrounding
the filing of Guinea’s Application. The first fact is that Guinea at those

dates had not yet made a declaration recognizing the Court’s jurisdiction.
The DRC, for its part, had done so on 6 February 1989. This explains

49628 AHMADOU SADIO DIALLO (OP. IND. MAMPUYA )

faite par le Greffe d’indiquer la base de la compétence de la Cour en
l’affaire dont elle était saisie. Mais cela explique aussi qu’au lieu d’indi-
quer cette base, alors inexistante, la Guinée dut déposer une autre requête
o
datée do 23 décembre 1998 (n 2290/MAE/CAB/98, lettre de transmis-
sion n 2289/MAE/CAB/98), non sans avoir pris soin de signer et de
déposer dans la précipitation, le 11 novembre 1998, la déclaration du
paragraphe 2 de l’article 36 du Statut de la Cour qui manquait en août et
septembre 1998.

Nous avons, en cette requête du 23 décembre, une véritable «nouvelle
requête», même si la Cour n’avait autorisé aucun acte de procédure sur la
base de la requête irrégulière du 23 septembre, sans pourtant l’avoir reje-
tée. Cette dernière requête est vraiment «nouvelle», même si le mémoire

fait un amalgame révélateur, se référant à la requête introduite par la
lettre du 21 août et «reçue au Greffe de la Cour le 25 septembre suivant»,
parle d’une requête qui «a été régularisée le 28 décembre 1998» (mémoire
de la Guinée, par. 1.3). Comme nous allons le voir, en fait, il ne s’était agi

que d’une régularisation. La requête du 23 décembre fait appel à d’autres
moyens de droit: elle a pour objet «Requête aux fins de protection diplo-
matique»; elle précise l’objet du «différend», qui serait que M. Diallo
était «incarcéré», «spolié de ses importants investissements, entreprises
et avoirs mobiliers, immobiliers et bancaires» et puis «expulsé» alors

qu’il poursuivait le recouvrement d’importantes créances de ses entre-
prises. Cette nouvelle requête fournit une précision toute nouvelle, impor-
tante, selon laquelle la Guinée s’adresse à la Cour «après de vaines ten-
tatives de règlement amiable»; cette précision est reprise dans le mémoire,

qui évoque «plusieurs démarches diplomatiques» tentées en vain «pour
obtenir du Zaïre, ... qu’il fasse droit aux demandes en réparation de
M. Diallo, injustement réduit à l’indigence la plus totale» (mémoire de la
Guinée, par. 1.2); elle se termine en concluant que la Guinée est fondée à
agir contre la RDC qui

«a violé ... de grands principes du droit international: le principe du
traitement des étrangers selon «le standard minimum de civilisa-
tion», l’obligation de respect de la liberté et de la propriété des
étrangers, la reconnaissance aux étrangers incriminés du droit à un
jugement équitable et contradictoire rendu par une juridiction

impartiale» (ibid.).

Le problème n’est pas celui de l’irrégularité d’une requête unilatérale
dont la Cour n’a pas tenu compte parce que non fondée sur une déclara-
tion d’acceptation de la compétence de la Cour ni sur une quelconque
clause compromissoire, ni même, selon l’article 38, paragraphe 5 du
Règlement de la Cour, sur un consentement postérieur du défendeur.

D’autant plus que, notifiée dès le 28 septembre 1998, la RDC, qui aurait
pu se prévaloir de ce défaut de base de la compétence de la Cour pour
s’opposer à toute instance devant la Cour, n’avait pas réagi négativement
à la requête guinéenne, sans doute pour des raisons certes compréhen-

50 AHMADOU SADIO DIALLO (SEP.OP .MAMPUYA ) 628

why the Registry requested an indication of the basis for the Court’s

jurisdiction in the case being referred to it. But this also explains why
Guinea, instead of asserting a jurisdictional basis which did not exist at
the time, filed another Application, this one dated 23 December 1998
(No. 2290/MAE/CAB/98, transmittal letter No. 2289/MAE/CAB/98),
after having rushed to sign and file, on 11 November 1998, a declaration

under Article 36, paragraph 2, of the Statute of the Court, no such dec-
laration having existed in August and September 1998.
The Application of 23 December is indeed a “new Application”; while
the Court did not dismiss the defective Application of 23 September, it
did not authorize any procedural action pursuant to it. The later Appli-

cation is genuinely “new”, even though the Memorial revealingly con-
flates the two, describing the Application submitted by means of the
letter of 21 August and “received in the Registry of the Court the follow-
ing 25 September” as having been “put into proper form on 28 December

1998” (Memorial of Guinea, para. 1.3). As we shall see, the truth is that
this did not involve merely putting the document into proper form. The
23 December Application relies on different legal grounds: it is an
“Application for purposes of diplomatic protection”; it specifies the sub-
ject of the “dispute”, which is claimed to be that Mr. Diallo was “impris-

oned”, “despoiled of his sizable investments, businesses, movable and
immovable property and bank accounts” and then “expelled” at a time
when he was seeking to collect significant sums owed to his companies.
The second Application adds the entirely new and important point that
Guinea is turning to the Court “[a]fter vain attempts to arrive at an out-

of-court settlement”, a point repeated in the Memorial, which refers to
“several fruitless diplomatic initiatives aimed at inducing Zaire...ot
accede to requests for compensation made by Mr. Diallo, who had been
unjustly reduced to total penury” (Memorial of Guinea, para. 1.2). The
Application concludes with the assertion that Guinea is entitled to insti-

tute proceedings against the DRC, which
“has violated certain major principles of international law...:the

principle that foreign nationals should be treated in accordance with
a minimum standard of civilization, the obligation to respect the
freedom and property of foreign nationals, the right of foreign
nationals accused of an offence to a fair trial on adversarial princi-
ples by an impartial court” (ibid.).

The problem is not that of a flawed unilateral Application which the
Court disregarded because it was not founded on a declaration recogniz-

ing the Court’s jurisdiction, a compromissory clause or even the Respon-
dent’s subsequent consent under Article 38, paragraph 5, of the Rules of
Court. This is all the more evident since the DRC, which had been noti-
fied on 28 September 1998 and could have relied on the lack of basis for
the Court’s jurisdiction to challenge any proceedings before the Court,

did not react adversely to Guinea’s Application; this was undoubtedly
for easily understood reasons — aggression having led to nearly five mil-

50629 AHMADOU SADIO DIALLO (OP. IND. MAMPUYA )

sibles d’une agression qui a provoqué la mort de près de cinq millions de

Congolais et un profond climat d’insécurité en sept ans, mais qui n’ont
aucune pertinence ici. Le problème n’est pas non plus que la Guinée ait
subrepticement reconnu après coup la compétence de la Cour.
Certes, aussi, dans cette nouvelle démarche, la Guinée a laborieuse-
ment tenté de découpler sa requête des créances des sociétés contrôlées

par M. Diallo, en affirmant dans son mémoire, «pour lever d’emblée
toute ambiguïté», «qu’elle prend fait et cause pour l’un de ses nationaux,
et agit pour faire respecter les droits propres de celui-ci en tant que per-
sonne et en tant qu’actionnaire et dirigeant des sociétés... » (mémoire de la
Guinée, par. 1.12; les italiques sont de moi), et que «M. Diallo est privé

de ses droits d’actionnaire » (mémoire de la Guinée, par. 1.13; les ita-
liques sont de moi), ajoutant dans ses observations sur les exceptions
préliminaires de la RDC que «la République de Guinée ne prétend exercer
sa protection diplomatique qu’à l’égard de son ressortissant, M. Sadio

Diallo, en ses diverses qualités» (observations de la Guinée, par. 0.10).
Mais on se rend compte que l’objet de la première requête, «au paiement
contre le Gouvernement de la République démocratique du Congo », «rela-
tive au paiement des créances dues à M. Ahmadou Sadio Diallo», demeure
la toile de fond constante de toutes les démarches ultérieures du deman-

deur, au point de, parfois, submerger le détachement affecté dans quel-
ques-unes de ses assertions. On ne peut apprécier une telle démarche,
même et surtout aux fins de la recevabilité de la requête, en faisant abs-
traction de l’objet réel du différend. La Cour ne peut pas se contenter des
assertions tactiques des Parties jouant avec elle au chat et à la souris; elle

se doit de percer le voile et découvrir le vrai différend dissimulé derrière.
Dans cette perspective, d’une part, le non-paiement des créances appa-
raît très clairement comme le cŒur du différend mais aussi de la requête,
dès les premières lignes des «notes préliminaires» accompagnant la
requête de la Guinée, donc pour l’expliciter et l’éclairer, les mêmes que

celles qui avaient été attachées à la requête irrégulière de septembre 1998.
On y voit dès le début, présentés en première partie comme «éléments de
fait» (du différend), non seulement le capital de l’une des sociétés de
M. Diallo, mais aussi et surtout l’alignement de ses nombreuses créances,
créances contre l’Etat congolais (A) et créances contractuelles (B), dont

les longs détails couvrent toute cette première partie. D’autre part, dans
la deuxième partie de la requête ayant pour objet «les éléments de droit»,
on peut lire au point III (le bien-fondé de la protection diplomatique)
«[a]ttendu que la Guinée le protège de même que les sociétés qu’il a
créées et qui lui appartiennent» (mémoire accompagnant la requête,

p. 32; les italiques sont de moi). Tout comme, malgré les précautions
prises, le mémoire de la Guinée n’a pas pu éviter d’insister de nouveau
sur les créances, tentant d’assimiler le recouvrement de ces créances à
un droit d’actionnaire, lorsque, au point 1.16, il remarque que, «en par-
ticulier, M. Diallo se trouve dans l’incapacité de recouvrer les créances

considérables qu’il possède » (les italiques sont de moi), mais nous savons
que ce sont les créances des deux sociétés congolaises.

51 AHMADOU SADIO DIALLO (SEP.OP .MAMPUYA ) 629

lion Congolese deaths and seven years of rampant violence — but they

are of little relevance here. Nor is the problem Guinea’s surreptitious,
after-the-fact recognition of the Court’s jurisdiction.

It is also true that Guinea strove in its new approach to dissociate its
Application from the debts owed to the companies controlled by

Mr. Diallo. It stated in its Memorial “[i]n order to dispel all ambiguity
from the outset” that “it is taking up the cause of one of its nationals,
and is acting to enforce his direct rights as an individual and as share-
holder and managing director of companies ” (Memorial of Guinea,
para. 1.12; emphasis added) and that “Mr. Diallo has been deprived of

his rights as a shareholder” (Memorial of Guinea, para. 1.13; emphasis
added), adding in its Observations on the DRC’s Preliminary Objections
that “the Republic of Guinea is only seeking to exercise its diplomatic
protection in respect of its national, Mr. Ahmadou Sadio Diallo, in his

various capacities” (Observations of Guinea, para. 0.10). But it becomes
clear that the object of the first Application, “for payment filed against
the Government of the Democratic Republic of the Congo ”“ concerning
payment of sums due to Mr. Ahmadou Sadio Diallo”, remains the ever-
present background to all the Applicant’s subsequent actions, sometimes

even eclipsing the detachment feigned in a number of its assertions. The
true subject of the dispute cannot be ignored in assessing the Applicant’s
case, even and especially in determining the admissibility of the Applica-
tion. The Court cannot content itself with tactical assertions made by the
Parties playing cat and mouse with it; it is duty-bound to pierce the veil

and bring to light the real dispute lying concealed behind it.
From this viewpoint, non-payment of the debts clearly emerges as the
heart not only of the dispute but also of the Application, as can be seen
in the opening lines of the “Preliminary Notes” annexed to Guinea’s
Application to expound and clarify it; these same notes had been attached

to the defective Application submitted in September 1998. At the begin-
ning, among the “facts” (of the dispute) presented in Part One, we find
not only a statement of the capital in one of Mr. Diallo’s companies but
also, and more importantly, a list of the numerous claims held by it
(claims against the Congolese State (Section A) and contractual claims

(Section B)), the extensive details of which take up all of Part One. Fur-
ther, it is stated in Section III (“The Right to Diplomatic Protection”) of
Part Two of the Application, devoted to “The Law”: “Whereas Guinea is
his protector, and also the protector of the companies which he founded
and owns.” (Memorial accompanying the Application, p. 33; emphasis

added.) Likewise, despite the precautions taken, Guinea in its Memorial
could not help laying further stress on the debts, seeking to treat their
recovery as a right of the shareholder, as seen in its comment in para-
graph 1.16: “In particular, Mr. Diallo is unable to recover the substantial
debts owed to him.” (Emphasis added.) However, as we know, these are

owed to the two Congolese companies.

51630 AHMADOU SADIO DIALLO (OP. IND.MAMPUYA )

Par ailleurs, l’exposé des faits n’étaie nulle part l’expulsion de M. Diallo,
celle-ci n’apparaissant que brièvement, paradoxalement dans les «garan-
ties légales des créances », le point II de la deuxième partie sur les élé-
ments de droit, et assez longuement dans le point III «du bien-fondé de la

protection diplomatique», sous forme de la violation des conventions
relatives aux droits des étrangers, alors que les conclusions de la requête
sont les mêmes qu’en septembre et, évidemment, s’intéressent exclusive-
ment aux créances. Le flou est d’autant plus artistique que la requête
datée du 25 septembre 1998 n’a pas été retirée ni remplacée par une autre

mais simplement «régularisée le 28 décembre 1998» (mémoire de la Gui-
née, par. 1.3), «en fonction des recommandations de forme [que le greffier
de la Cour avait bien voulu lui faire]» (c’est ce que note la lettre de trans-
mission du ministre guinéen des affaires étrangères, en date du 23 dé-
cembre; les italiques sont de moi). Nous savons que la régularisation

porte uniquement sur l’indication de la base de la compétence de la
Cour et celle de l’agent du demandeur, ainsi que le lui avait conseillé le
greffier de la Cour en sa lettre du 28 septembre 1998, tandis que, concrè-
tement, la requête du 23 décembre conserve les mêmes motivations

et les mêmes prétentions que celles du 23 septembre, dont l’objet était
si clairement le recouvrement des créances.
De fait, après avoir indiqué

«[q]u’au total, la réparation due à la Guinée devant couvrir tout le
préjudice matériel et moral devra porter sur la perte subie (dam-
num emergens) et sur le manque à gagner (lucrum cessans) sans
oublier les intérêts sur les sommes allouées à raison des délais entre

la survenance du préjudice et sa réparation effective» (requête,
p. 36),

le demandeur, ayant ainsi précisé que «le préjudice» réside dans ces
«sommes» représentant le damnum emergens,e llucrum cessans et les
intérêts, conclut:

«P AR CES MOTIFS :

En la forme: Recevoir la présente requête.
Au fond: Ordonner aux autorités de la République démocratique

du Congo de présenter des excuses officielles et publiques à l’Etat de
Guinée pour les nombreux torts qu’elles lui ont causés en la per-
sonne de son ressortissant Ahmadou Sadio Diallo;

Constater le caractère certain, liquide et exigible des créances
réclamées;
............................

Condamner l’Etat congolais à verser à l’Etat de Guinée, pour le
compte de son ressortissant Ahmadou Sadio Diallo, les sommes de
31334685888,45 dollars des Etats-Unis et 14207082872,7 Z cou-

vrant les préjudices financiers subis par ledit ressortissant;

52 AHMADOU SADIO DIALLO SEP. OP. MAMPUYA ) 630

Moreover, the statement of facts provides no explanation as to
Mr. Diallo’s expulsion, which, strangely, is only referred to briefly in the
section on “The Statutory Guarantees of the Debts” under Section II in
Part Two on the law and at considerable length under Section III, “The

Right to Diplomatic Protection”, in connection with a violation of the
conventions governing the rights of aliens; furthermore, the submissions
in the Application are the same as those made the previous September
and obviously concern the debts alone. The lack of clarity is especially
calculated, since the Application dated 25 September 1998 was neither

withdrawn nor superseded by another but merely “put into proper form
on 28 December 1998” (Memorial of Guinea, para. 1.3) “in the light of
the formal recommendations [made by the Registrar of the Court]” (as
stated in the transmittal letter of 23 December from the Guinean Minis-
ter for Foreign Affairs; emphasis added). It is a fact that the only

changes made to correct the defective Application consisted of stating the
basis for the Court’s jurisdiction and the name of the Agent of the Appli-
cant, as the Registrar of the Court had advised the Applicant to do in his
letter of 28 September 1998; substantively, the Application of 23 Decem-

ber repeated the same reasoning and same claims as those of 23 Septem-
ber, which so clearly aimed at recovering the debts.
Thus, after stating:

“[w]hereas in total, given that the compensation due to Guinea
should cover all of the damage, both material and moral, it should
include not only losses actually suffered (damnum emergens) but
also loss of profits (lucrum cessans), together with interest on the

amounts awarded, calculated by reference to the length of time
elapsed between occurrence of the injury and its effective repara-
tion” (Application, p. 37),

the Applicant, having thereby made clear that “the damage” lay in these
“amounts” corresponding to damnum emergens, lucrum cessans and
interest, asked the Court:

“F OR THESE REASONS :

As to the form: To admit the present Application.
As to the merits: To order the authorities of the Democratic

Republic of the Congo to make an official public apology to the
State of Guinea for the numerous wrongs done to it in the person of
its national Ahmadou Sadio Diallo;

To find that the sums claimed are certain, liquidated and legally
due;
............................

To order the Congolese State to pay to the State of Guinea on
behalf of its national Ahmadou Sadio Diallo the sums of
US$31,334,685,888.45 and Z14,207,082,872.7 in respect of the finan-

cial loss suffered by him;

52631 AHMADOU SADIO DIALLO (OP. IND. MAMPUYA )

Verser également à l’Etat de Guinée des dommages-intérêts à hau-

teur de 15% de la condamnation principale, soit 4700202883,26 dol-
lars et 2131062430,9Z;
Adjuger à l’Etat requérant les intérêts bancaires et moratoires aux

taux respectifs de 15% et 26% l’an courant de la fin de l’année 1995
jusqu’à la date du parfait paiement;
Condamner également ledit Etat à restituer au requérant tous les

biens non valorisés répertoriés sous la rubrique des créances diverses;
Ordonner à la République démocratique du Congo de présenter
dans un délai d’un mois un échéancier acceptable de remboursement
de ces montants;

A défaut de production de cet échéancier dans le délai indiqué ou
en cas d’irrespect de celui qui serait produit, autoriser l’Etat de Gui-
née à saisir les biens de l’Etat congolais partout où ils se trouvent

jusqu’à concurrence du principal et de l’accessoire de la condam-
nation;
Mettre les frais et dépens de la présente procédure à la charge de
l’Etat congolais.» (Requête, p. 36; les italiques sont dans l’original.)

De même, dans les conclusions présentées dans son mémoire, la Guinée
montre que ces créances sont le véritable objet du différend et de la

requête. Elle dit que
«en le privant de l’exercice de ses droits de propriété et de direction

des sociétés qu’il a fondées en RDC, en l’empêchant de poursuivre le
recouvrement des nombreuses créances qui lui sont dues, à lui-même
et auxdites sociétés, ... en ne s’acquittant pas de ses propres dettes
envers lui et envers ses sociétés , la République démocratique du
Congo a commis des faits internationalement illicites qui engagent sa

responsabilité envers la République de Guinée» (mémoire de la Gui-
née, par. 5.1.1; les italiques sont de moi).
Réclamant une réparation due sous forme d’indemnisation que, contrai-

rement à la requête, le mémoire, comme c’est sans doute le droit de la
Guinée, n’évalue plus, l’Etat demandeur ajoute néanmoins que l’indem-
nisation doit couvrir «l’ensemble des dommages causés ... y compris le
manque à gagner, et [doit] comprendre les intérêts» (mémoire de la Gui-
née, par. 5.1, 1-3; les italiques sont de moi).

A la suite de ces conclusions, la Guinée, par un élément supplémen-
taire, confirme que le contentieux commercial portant sur les créances des
sociétés Africom et Africontainers est bien le véritable objet du différend:

«La République de Guinée prie en outre la Cour de bien vouloir
l’autoriser à présenter une évaluation du montant de l’indemnité qui
lui est due à ce titre ... dans une phase ultérieure de la procédure au
cas où les deux Parties ne pourraient s’accorder sur son montant

dans un délai de six mois suivant le prononcé de l’arrêt.» (Mémoire
de la Guinée, par. 5.2; les italiques sont de moi.)

53 AHMADOU SADIO DIALLO (SEP.OP .MAMPUYA ) 631

To pay also to the State of Guinea damages equal to 15 per cent

of the principal award, that is to say US $4,700,202,883.26 and
Z 2,131,062,430.9;
To award to the applicant State bank and moratory interest at

respective annual rates of 15 per cent and 26 per cent from the end
of the year 1995 until the date of payment in full;
To order the said State to return to the Applicant all the unvalued

assets set out in the list of miscellaneous claims;
To order the Democratic Republic of the Congo to submit within
one month an acceptable schedule for the repayment of the above
sums;

In the event that the said schedule is not produced by the date indi-
cated or is not respected, to authorize the State of Guinea to seize the
assets of the Congolese State wherever they may be found, up to an

amount equal to the principal sum due and such further amounts as
the Court shall have ordered;
To order that the costs of the present proceedings be borne by the
Congolese State.” (Application, p. 37; emphasis in the original.)

Similarly, in the submissions in its Memorial, Guinea shows that these
debts are the real subject of the dispute and the Application. It states:

“in depriving him of the exercise of his rights of ownership and man-

agement in respect of the companies founded by him in the DRC; in
preventing him from pursuing recovery of the numerous debts owed
to him — to himself personally and to the said companies —...;in
not paying its own debts to him and to his companies, the Demo-
cratic Republic of the Congo has committed internationally wrong-

ful acts which engage its responsibility to the Republic of Guinea”
(Memorial of Guinea, para. 5.1.1; emphasis added).
Seeking the claimed reparation in the form of compensation to which

Guinea, no doubt acting within its rights, ascribes no value in the Memo-
rial, unlike in the Application, the Applicant nevertheless adds that the
compensation must cover “the totality of the injuries caused...includ-
ing loss of earnings, and [must] also include interest” (Memorial of
Guinea, paras. 5.1 (1)-(3); emphasis added).

These submissions continue with a new element by which Guinea con-
firms that the commercial difference over the debts owed to Africom and
Africontainers is indeed the real subject of the dispute:

“The Republic of Guinea further requests the Court kindly to
authorize it to submit anassessment of the amount of the compensa-
tion due to it on this account...i asubsequent phase of the pro-
ceedings in the event that the two Parties should be unable to agree on

the amount thereof within a period of six months following delivery
of the Judgment.” (Memorial of Guinea, para. 5.2; emphasis added.)

53632 AHMADOU SADIO DIALLO (OP. IND. MAMPUYA )

Parallèlement, dans ses exceptions préliminaires, le défendeur lui-même

s’en tient mêmement au différend tel qu’il semble naître, par tous ces élé-
ments, du non-paiement des créances dues aux sociétés de M. Diallo.
C’est, en effet, sur la base du différend ainsi perçu que la RDC soulève
ses deux exceptions portant sur l’irrecevabilité de la requête aux motifs,
notamment, que le différend porte sur les créances appartenant à des

sociétés congolaises et que, dans cette affaire, la Guinée et son protégé
n’auraient pas épuisé les voies de recours internes.
Par ailleurs, jusque dans ses observations sur les exceptions prélimi-
naires de la RDC, la Guinée n’a cessé de, partout, se référer aux affaires
des deux sociétés en les collant au sieur Diallo, attribuant à ce dernier

les recours internes exercés par les sociétés ou au nom des sociétés (obser-
vations de la République de Guinée, par. 3.9. et 3.15, pratiquement toutes
les sections 1 et 2 du chapitre consacré à l’exception relative à l’épuise-
ment des recours internes), l’associant aux sociétés dans la propriété des

créances (exemple: observations de la République de Guinée, par. 3.4).
Enfin, lors de son premier tour de plaidoiries, la Guinée a, cette fois
expressément et sans plus se cacher derrière l’individu Diallo, rappelé à la
Cour que

«trois «personnes» différentes sont protégées par la République de
Guinée dans cette affaire. Son ressortissant, M. Diallo, mais aussi
deux sociétés dont M. Diallo était l’unique gérant et associé...»

(CR2006/51, p. 52, par. 7).
Il est légitime, pour tout le moins, de se demander dans ces conditions

quel est, au milieu de ce flou, le véritable objet de la requête guinéenne.

Il me semble que la Cour se soit laissé convaincre par ces «actes de
divertissement» que soupçonnait le juge Ranjeva dans sa déclaration
relative à l’affaire des Plates-formes pétrolières (République islamique

d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique) (arrêt, C.I.J. Recueil 2003 , p. 220,
par. 3, déclaration du juge Ranjeva) qui, alors et dans la cause présente,
donnent un caractère purement artificiel à l’objet du prétendu différend
et de la requête tel qu’à la fin le présente la Guinée, sans rapport avec la
cause qui est à la base de la protection diplomatique. Elle aurait pu

mêmement procéder au «percement du véritable cŒur du différend»
opposant les Parties à la présente instance, afin de s’interroger, au-delà
du quid, sur le cur qui permet de pénétrer la cause de l’affaire; cette ques-
tion se pose certes pour le fond mais, dans le cas d’espèce, elle se pose
encore plus au niveau de l’examen de la recevabilité.

Sous un autre point de vue, le percement du véritable cŒur du diffé-
rend aurait contribué à régler sur de meilleures bases, y compris juri-
diques, le vrai litige: tandis que la tactique de la Guinée, prétendant avan-
cer la situation personnelle de son ressortissant, aura eu un effet pervers

en entrant en conflit avec les intérêts directs de ce dernier. En effet,
comme nous le montrent les écritures guinéennes, c’est M. Diallo — et son

54 AHMADOU SADIO DIALLO (SEP. OP. MAMPUYA ) 632

Similarly, the Respondent itself, in its Preliminary Objections, also

confined itself to the dispute as it appeared, based on these various ele-
ments, to have arisen from the default in payment of the debts owed to
Mr. Diallo’s companies. Indeed, it was on the basis of the dispute as thus
perceived that the DRC raised its two objections to the admissibility of
the Application, on the specific grounds that the dispute concerned

claims held by Congolese companies and that Guinea and its protectee
had failed to exhaust local remedies in this case.
Further, even as late as in its Observations on the DRC’s Preliminary
Objections, Guinea continued to refer everywhere to the cases involving
the two companies as Mr. Diallo’s cases, attributing to him the local pro-

ceedings pursued by the companies or in their name (Observations of the
Republic of Guinea, paras. 3.9 and 3.15, virtually all of Sections 1 and 2
of the chapter devoted to the objection based on non-exhaustion of local
remedies) and treating the claims as the joint property of the companies

and Mr. Diallo (e.g., Observations of the Republic of Guinea, para. 3.4).
Finally, in its first round of oral argument Guinea, no longer hiding
behind Mr. Diallo in his individual capacity, expressly told the Court
that

“three separate ‘persons’ are under the Republic of Guinea’s protec-
tion in this case. Its national, Mr. Diallo, but also the two companies
of which Mr. Diallo was the sole gérant and associé... ” (CR 2006/

51, p. 52, para. 7).
Under these circumstances it may at the very least justifiably be asked

where the true subject of Guinea’s Application lies amidst the prevailing
obscurity.
In my view, the Court has allowed itself to be swayed by “diversionary
tactics” such as those suspected by Judge Ranjeva, and referred to in his
declaration, in the case concerning Oil Platforms (Islamic Republic of

Iran v. United States of America) (Judgment, I.C.J. Reports 2003,
p. 220, para. 3, declaration of Judge Ranjeva). As they did in that case,
they lend a completely artificial air in the present case to the subject of
the alleged dispute, as ultimately described by Guinea, and of the Appli-
cation, a subject having nothing to do with the cause of action at the root

of diplomatic protection. In this case as well, the Court could have
“go[ne] directly to the real heart of the dispute” between the Parties to
ponder, in addition to the quid, the cur, by which the underlying cause of
the case could be apprehended. This question does of course arise on the
merits, but in the present case it is even more acute in respect of admis-

sibility.
From a different perspective, going to the real heart of the dispute
would have facilitated the resolution of the actual controversy on more
solid bases, including legal grounds. The approach taken by Guinea,
claiming to champion the personal cause of its national, will however

have the opposite effect, entering into conflict with Mr. Diallo’s direct
interests. In fact, as shown by Guinea’s written pleadings, diplomatic

54633 AHMADOU SADIO DIALLO (OP.IND . MAMPUYA )

conseil — qui a provoqué la protection diplomatique, motivé par l’espoir
de voir les autorités de son pays l’aider à récupérer les créances litigieuses
et non par le souci de voir effacer une quelconque atteinte par les condi-

tions de son expulsion. D’autant plus que, ainsi que nous allons le voir
plus loin, sur l’expulsion et les droits d’actionnaire du ressortissant gui-
néen, il n’a pas surgi de différend entre la Guinée et la RDC.
Sauf profond respect dû à la Cour, il est incontestable que le véritable
objet et, même, la cause du différend, malgré leur dilution de la part du

demandeur principal, résident dans les créances impayées des sociétés
congolaises Africom et Africontainers. En tout état de cause, il est légi-
time de se demander dans quelle mesure la Cour n’aurait pas dû consi-
dérer que l’auteur d’une telle requête a, sinon commis un abus de procé-

dure, du moins
«n’a pas fait connaître l’objet de sa demande dans les conditions

de précision et de clarté correspondant aux exigences d’une bonne
administration de la justice» (Phosphates du Maroc, arrêt, 1938,
C.P.J.I. série A/B n 74 (citant le contre-mémoire de la France), p. 16)

et, donc, déclarer sa requête irrecevable, même si le défendeur n’a usé de
cette argumentation que brièvement dans ses plaidoiries (CR2006/50,
p. 41). En tout cas, à son propos, il ne me semble pas que la Cour, si elle

s’était posé dans ce sens la question, pût à coup sûr répondre, comme en
1938 à la préoccupation de la France, que

«les précisions qui ont été apportées permettent de se former une
idée suffisamment claire de l’objet de la demande contenue dans la
requête» (Phosphates du Maroc, exceptions préliminaires, arrêt,
1938, C.P.J.I. série A/B n o74, p. 21),

sinon qu’il s’agit des créances présentées dans les conclusions du deman-
deur. C’est, en effet, l’objet des conclusions que de refléter ce que le plai-

deur déduit des faits et motifs qu’il allègue; or, les conclusions de la
Guinée visent en demande principale le paiement, avec intérêts, des
créances, propriété de sociétés qui n’ont pas sa nationalité, bien qu’elle
ait pris soin de se dissimuler derrière la façade des droits de la personne

de son ressortissant.
Dans ces conditions, même si le défendeur n’a pas opposé d’exception
pour obscuri libelli, il revenait selon moi à la Cour, sans qu’il puisse lui
être reproché d’avoir statué ultra petita, d’aller au-delà du seul motif tiré

de l’absence du jus standi, pour examiner la qualité de la requête elle-
même et en tirer les conclusions dans la mesure où la demande principale
porte en réalité sur les droits et intérêts de sociétés congolaises. A mon
avis, ce n’est qu’après cet examen préalable que la Cour aurait pu alors se
demander si, concernant les créances des sociétés, cŒur du différend, la

requête pouvait s’avérer recevable sur la base de la théorie de substitution
avancée par le demandeur; ce n’est également qu’après cet examen que la
Cour pouvait passer aux autres griefs.

55 AHMADOU SADIO DIALLO (SEP. OP.MAMPUYA ) 633

protection was put in motion by Mr. Diallo and his counsel, acting in the

hope that the authorities in his country would help him recover the dis-
puted debts, not out of the desire to see any injury caused by the condi-
tions of his expulsion made good. This is particularly evident in that, as
we shall later see, no dispute has arisen between Guinea and the DRC in
respect of the Guinean national’s expulsion and shareholder rights.

With all the deep respect owed to the Court, I would observe that, not-
withstanding the Applicant’s obfuscation of them, the real subject of the
dispute and its very cause indisputably lie in the unpaid debts owed to the
Congolese companies Africom and Africontainers. It is in any case rea-
sonable to ask whether the Court should not have found that the Appli-

cant had, if not committed an abuse of process, at the very least

“not stated the nature of its claim within the degree of precision and
clearness requisite for the administration of justice” (Phosphates in
Morocco, Judgment, 1938, P.C.I.J., Series A/B, No. 74 (quoting
France’s Counter-Memorial), p. 16)

and accordingly should not have declared the Application inadmissible,
even though the Respondent only touched on this argument in its plead-

ings (CR 2006/50, p. 41). In any event, had the Court considered the
question from this angle, I do not think that it could have confidently
responded with the answer given in 1938 to France’s concern —

“the explanations furnished... enable [the Court] to form a suffi-
ciently clear idea of the nature of the claim submitted in the...
Application” (Phosphates in Morocco, Preliminary Objections, Judg-
ment, 1938, P.C.I.J., Series A/B, No. 74 , p. 21) —

except in respect of the debts described in the Applicant’s submissions.
Indeed, the object of the submissions is to reflect what the litigant con-

cludes from the facts and arguments put forward; Guinea’s submissions
aim primarily at obtaining payment, with interest, of the debts held by
companies not of Guinean nationality, even though Guinea was careful
to hide behind the façade of its national’s individual rights.

Accordingly, in my view, even though the Respondent did not raise the
exceptio obscuri libelli , the Court should have looked beyond the sole
ground of lack of standing to examine the quality of the Application
itself and to draw the requisite conclusions from it, in so far as the main
claim actually concerns the rights and interests of Congolese companies;

and it could have done so without exposing itself to criticism for ruling
ultra petita. I believe that it would only have been after such a prelimi-
nary enquiry that the Court could then have considered whether, in
respect of the companies’ claims, the heart of the dispute, the Application
could be found admissible under the theory of substitution advanced by

the Applicant; and it was only after this enquiry that the Court could
have turned to the other grievances.

55634 AHMADOU SADIO DIALLO (OP .IND .MAMPUYA )

Au lieu de cela, mais sans justifier son option, la Cour a implicitement

crevé à sa manière le cŒur du différend, au différend réel elle a préféré le
différend artificiel en estimant, malgré tout cet amalgame aveuglant, que
la requête portait nettement et clairement sur les droits individuels et
droits propres d’associé d’un ressortissant guinéen, n’abordant l’aspect
que j’évoque ici que sous l’angle indirect de la théorie de substitution. Et

sur ce point, non convaincu par la démarche implicite de la Cour, j’ai
maintenu mes réserves, que je développe ici.
Je n’ai pas, pour autant, voulu voter contre la recevabilité de la requête
pour défaut de jus standi de la Guinée, parce que les objets secondaires et
subsidiaires de la requête privilégiés par la démarche de la Cour méri-

taient d’être examinés, en particulier parce que présentés dans le cadre du
respect des droits de l’homme. Une autre raison explique mon vote: il
m’a semblé en effet que, en rejetant par son arrêt les prétentions gui-
néennes de protéger les droits des deux sociétés sur la base d’une pré-

tendue règle générale du droit international d’action par substitution qui
serait une exception à la norme classique rappelée par l’arrêt rendu
dans l’affaire de laBarcelona Traction, Light and Power Company, Limited
(Belgique c. Espagne), la Cour confirme ainsi cette dernière. De ce point
de vue, l’état actuel du droit international ne permet pas de constater

l’existence d’une règle coutumière consacrant la protection diplomatique
par «substitution», à laquelle une partie de la doctrine, interprétant
inexactement l’arrêt Elettronica Sicula S.p.A. (ELSI) (Etats-Unis
d’Amérique c. Italie), tout comme les travaux de la CDI donnaient
l’impression d’adhérer. Finalement, la Cour s’en tient à son rôle de régler

les différends qui lui sont soumis en appliquant le droit international
positif de lege lata, signifiant par là que, quelle que soit la fonction de
développement progressif du droit qu’elle puisse se reconnaître, ce der-
nier ne saurait consister en l’édiction d’une norme nouvelle par la Cour
ou, encore, anticiper, ainsi que l’en priait la Guinée, au regard des tra-

vaux de la CDI dont la conclusion reste ainsi, comme c’est de règle pour
tous ses projets, réservée aux Etats. La Cour renforce en plus cette règle,
nonobstant le fait, avancé avec insistance par la Guinée, qu’il s’agit ici
non de sociétés anonymes au centre de l’affaire de la Barcelona Traction,
mais de sociétés privées à responsabilité limitée (SPRL). A la suite de la

Guinée (CR2006/51, p. 46-50, et CR2006/53, p. 38-41), il a été en effet
prétendu qu’un caractère intuitu personae marque celles-ci et aboutit à
confondre la société et ses associés, surtout s’il n’existe qu’un seul associé,
comme fut présenté le cas des sociétés contrôlées par le ressortissant gui-
néen en RDC, avec la conséquence qu’il conviendrait alors d’écarter la

règle générale de la protection diplomatique qui ne viserait que les socié-
tés anonymes et, indépendamment de la théorie de substitution, recevoir
l’action de M. Diallo ainsi que celle de son Etat de nationalité. Mais cette
différence entre sociétés anonymes et SPRL est sans pertinence dans la
mesure où la conséquence à laquelle s’était tenue la Cour dans l’affaire de

la Barcelona Traction est la distinction des personnalités juridiques et des
patrimoines entre la société et ses actionnaires. Le présent arrêt rappelle

56 AHMADOU SADIO DIALLO (SEP. OP.MAMPUYA ) 634

Instead, and without justifying its choice, the Court implicitly went to

the heart of the dispute in its own fashion; it favoured the artificially
defined dispute over the real dispute, considering, notwithstanding the
glaring confusion, that the Application clearly and plainly concerned a
Guinean national’s individual rights and direct rights as associé, and only
addressing indirectly, through the doctrine of substitution, the issue I

raise here. And on this point, unpersuaded by the Court’s implicit
approach, I have maintained my reservations, which I expound here.
I did not however wish to vote against the admissibility of the Applica-
tion on the ground of lack of standing by Guinea, because the secondary
and subsidiary subjects of the Application, which have taken precedence

in the Court’s view, deserve to be examined, especially since they have
been presented in the context of respect for human rights. There is
another reason for my vote: it is my view that the Court has reaffirmed
the Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited (Belgium v.

Spain) case in rejecting in the present Judgment Guinea’s attempts to
protect the rights of the two companies pursuant to an alleged general
rule of international law allowing action by substitution and forming an
exception to the time-honoured rule set out in the Barcelona Traction
Judgment. International law as it now stands contains no customary rule

enshrining the diplomatic protection by “substitution” to which some
writers, who misinterpret the Elettronica Sicula S.p.A. (ELSI) (United
States of America v. Italy) Judgment, and the ILC’s work have given the
impression of subscribing. Ultimately, the Court confines itself to its task
of resolving disputes submitted to it by applying positive international

law de lege lata ; this means that, whatever role the Court might see for
itself in furthering development of the law, development does not take
place by means of the Court proclaiming new rules of law or even antici-
pating, as Guinea asked it to do, the work of the ILC, the outcome of
which depends, as for all its projects, on States. Furthermore, the Court

reaffirms the established rule, notwithstanding the fact, stressed by
Guinea, that, unlike the company which was the focus of the Barcelona
Traction case, those involved here are not sociétés anonymes, but sociétés
privées à responsabilité limitée (SPRLs). As Guinea had done (CR 2006/
51, pp. 46-50, and CR 2006/53, pp. 38-41), it was later argued that SPRLs

were characterized by their intuitu personae quality, leading to an identity
of company and associé(s), especially where there is only one associé,
and this is how the companies in the DRC controlled by the Guinean
national were described. The claimed consequence was that the general
rule of diplomatic protection, said to apply only to sociétés anonymes,

should be set aside and Mr. Diallo’s action and that of his national State
should be admitted, independently of the doctrine of substitution. But
this distinction between sociétés anonymes and SPRLs is irrelevant, since
the factor relied on by the Court in the Barcelona Traction case was the
separateness of the company’s legal personality and property, on the one

hand, from those of its shareholders, on the other. The present Judgment
wisely repeats the Court’s statement that “[t]here is...no need to inves-

56635 AHMADOU SADIO DIALLO (OP .IND .MAMPUYA )

judicieusement ce que la Cour avait déjà dit: «il est ... inutile d’examiner

les multiples formes que prennent les différentes entités juridiques dans le
droit interne» (C.I.J. Recueil 1970, p. 34, par. 40), affirmant que «[c]e
qui importe, du point de vue du droit international, c’est de déterminer si
celles-ci sont ou non dotées d’une personnalité juridique indépendante de
leurs membres» (arrêt, par. 61) et que «[c]ela demeure la règle fondamen-

tale en la matière, qu’il s’agisse d’une SPRL ou d’une société anonyme»
(arrêt, par. 63). En raisonnant autrement, la Cour aurait soit péremptoi-
rement modifié le droit congolais des sociétés qui reconnaît cette classifi-
cation, certes, mais attribue sans distinction une personnalité juridique
indépendante, avec toutes les conséquences de droit, à toutes les formes

de sociétés, anonymes ou SPRL, soit choisi d’ignorer sans raison le droit
interne d’une partie dans une matière et dans un cas où, justement, c’est
ce droit seul qui est applicable. C’est donc à juste titre que la Cour rejette
la prétention guinéenne. Cependant, tout en refusant d’appliquer la théo-

rie de substitution, la Cour renonce à examiner un moyen de droit ayant
constitué la majeure partie de l’argumentation de la Guinée selon laquelle
la substitution, telle qu’exprimée par l’article 11, paragraphe b), du pro-
jet d’articles de la CDI sur la protection diplomatique, serait une excep-
tion consacrée par le droit international coutumier (arrêt, par. 93). Je

pense, au contraire, qu’on aurait pu s’attendre à ce que la Cour examinât
cette question de la valeur de cette proposition de la CDI argumentant la
thèse guinéenne, tant que ses destinataires, les Etats, ne l’ont pas encore
adoptée comme nouvelle norme et, enfin, trancher. On peut en effet, à la
suite de ceux qui se sont penchés avec expertise sur la question, considé-

rer que

«[l]es solutions sont trop diverses pour qu’on puisse affirmer qu’elles
sont une preuve ou qu’elles constituent une norme de droit interna-
tional coutumier» (Diez de Velasco Manuel, «La protection diplo-
matique des sociétés et des actionnaires», Recueil des cours de l’Aca-
démie de droit international , vol. 141 (1974), p. 145; les italiques sont

de moi).

Tandis que la CDI elle-même affirme que:

«La jurisprudence est tout aussi peu concluante [que la doctrine et
la pratique des Etats]. Les sentences rendues dans les affaires Alsop,
Cerruti, Orinoco Steamship et Ziat Ben Kiran, qui sont parfois citées
à l’appui d’une exception en faveur du droit des actionnaires de
demander réparation, n’apportent pas vraiment de force à cet argu-

ment. Les sentences rendues dans les affaires Baasch & Romer et
Kunhardt sont, au mieux, vagues mais pourraient être interprétées
comme étant contre l’exception en question , étant donné que, dans
ces affaires comme dans d’autres affaires, les commissions mixtes
vénézuéliennes ont rejeté les recours formés au nom des actionnaires

des sociétés de nationalité vénézuélienne.» (CDI, op. cit., par. 70; les
italiques sont de moi.)

57 AHMADOU SADIO DIALLO (SEP. OP. MAMPUYA ) 635

tigate the many different forms of legal entity provided for by the munici-
pal laws of States” (I.C.J. Reports 1970, p. 34, para. 40), affirming that
“[w]hat matters, from the point of view of international law, is to deter-
mine whether or not these have a legal personality independent of their

members” (Judgment, para. 61) and that “[t]his remains the fundamental
rule in this respect, whether for a SPRL or for a public limited company”
(Judgment, para. 63). Had it reasoned otherwise, the Court would either
have imperiously altered Congolese corporate law — which, while recog-
nizing these corporate classifications, does confer independent legal per-

sonality, with all attendant legal consequences, without distinction on all
forms of companies, whether sociétés anonymes or SPRLs — or have
chosen without reason to disregard the municipal law of a party in an
area and a case in which it is precisely this body of law alone which
applies. Thus, the Court rightly rejected Guinea’s argument. However, in

refusing to apply the doctrine of substitution, the Court abstains from
examining a legal ground which accounted for the greater part of Guin-
ea’s case: substitution, as set out in Article 11, paragraph (b), of the ILC
draft Articles on Diplomatic Protection, was claimed to be an exception

enshrined in customary international law (Judgment, para. 93). For my
part, I believe that, as the States to which the ILC proposal has been
made have not yet adopted it as a new rule of law, and have not finally
resolved the question, the Court could reasonably have been expected to
examine the question of the force of the ILC draft language cited in sup-

port of Guinea’s argument. The view of those who have applied their
expertise to the question can be taken:

“[t]he solutions are too divers e...to support the assertion that they
are evidence or constitute a norm of customary international law ”

(Diez de Velasco Manuel, “La protection diplomatique des sociétés
et des actionnaires”, Recueil des cours de l’Académie de droit inter-
national, Vol. 141 (1974), p. 145; emphasis added).

And the ILC itself states:

“Judicial decisions are likewise [i.e., like doctrine and State prac-
tice] inconclusive. The Alsop, Cerruti, Orinoco Steamship and Ziat

Ben Kiran claims, sometimes cited in support of an exception in
favour of shareholder claims, do not really provide such support . The
Baasch & Romer and Kunhardt claims are at best unclear, but pos-
sibly against the proposed exception , as in these and other claims,

the Venezuelan Mixed Commissions rejected claims on behalf of the
shareholders of corporations of Venezuelan nationality.” (ILC, op.
cit., para. 70; emphasis added.)

57636 AHMADOU SADIO DIALLO (OP .IND .MAMPUYA )

De même, en général à propos de toutes ces thèses fondées, comme celle-

ci, sur le contrôle économique, on peut encore affirmer comme la CDI
qu’«il est douteux qu’une règle en faveur du contrôle économique béné-
ficie de nos jours de l’appui de la majorité des Etats» (A/CN.4/530,
par. 36). Une éventuelle exception ne serait introduite que lorsque les
Etats, actuellement saisis de ce projet d’articles, se seront prononcés dans

le sens de son article 11, paragraphe b).

Soudaineté des réclamations, discontinuité des griefs et inexistence

de différend

Dans le cadre de cette première exception, j’ai encore des réserves sur le
procédé de la Cour pour la rejeter s’agissant des droits individuels et des
«droits propres d’associé» de M. Diallo. C’est que le début des plaidoi-
ries a renforcé l’impression que celles-ci amenaient devant la Cour un

autre différend que celui dont l’avait saisie la requête, portant essentiel-
lement sur ces droits du ressortissant guinéen, même si par la suite la
Guinée réintroduisait l’amalgame entre ces derniers et les créances dues
aux deux sociétés congolaises. Il apparaissait ainsi, certes, avec les plai-
doiries, un différend secondaire à travers les prétendues violations de ces

droits et un différend subsidiaire relatif à la protection par substitution.
L’examen de ces nouveaux litiges par la Cour s’est déroulé sans à aucun
moment voir si leur soudaineté et leur nouveauté n’étaient pas de nature
à affecter la qualité de l’action guinéenne.
La première question qui aurait pu être examinée est, sans doute, celle

de savoir si, en matière de droits privés de personnes, un éventuel diffé-
rend entre les Etats concernés peut naître directement dans l’ordre juri-
dique interne de l’Etat auquel les violations alléguées sont imputées ou
dans l’ordre international. Il ne s’agit pas nécessairement du débat sur les
conditions de naissance d’un différend à soumettre à la Cour, mais il me

semble logique de se demander si le différend dont est saisie la Cour a
existé lors de ces violations alléguées des droits de M. Diallo dans
l’ordre interne ou dans le fait que, l’Etat national ayant sans succès pris
fait et cause pour son ressortissant devant les autorités compétentes de
l’Etat prétendument fautif, il en naît un différend interétatique. Selon

l’article 38 de son Statut, la Cour a reçu mission «de régler, conformé-
ment au droit international, les différends qui lui sont soumis» (les ita-
liques sont de moi). Il faut donc que du fait illicite allégué soit né un
différend juridique entre les Etats concernés pour que la Cour en
connaisse. Ce n’est pas la seule saisine de la Cour par une requête qui

crée, fait naître ou fait constater le différend. La seule existence d’un fait
internationalement illicite au détriment d’un ressortissant étranger ne
constitue pas en elle-même un différend entre l’Etat de ce dernier et l’Etat
auteur du prétendu fait internationalement illicite, le litige demeurant
interne tant que l’Etat de nationalité n’a pas soulevé l’illicéité et élevé une

réclamation devant l’Etat auteur du fait. Il ne s’agit pas ici de négocia-
tions diplomatiques que certaines clauses de juridiction prévoient comme

58 AHMADOU SADIO DIALLO SEP .OP .MAMPUYA ) 636

Similarly, in respect of all theories based, like this one, on economic con-

trol, the ILC’s assertion that “it is doubtful whether a rule in favour of
economic control enjoys the support of most States in today’s world”
(A/CN.4/530, para. 36) still holds. Any possible exception would not
come into being until States, which are now considering the draft Arti-
cles, have taken a decision in accord with draft Article 11, paragraph (b).

Sudden Assertion of the Claims, Dissimilarity of the Grievances

and Non-existence of a Dispute

On the subject of the first objection, I still have reservations as to the
process by which the Court rejected it in respect of Mr. Diallo’s indi-
vidual rights and his “direct rights as associé”. This is because the feeling
was reinforced early in the hearings that the Court was being presented

with a dispute different from the one referred to it by the Application,
essentially concerning these rights of the Guinean national, even though
Guinea subsequently again conflated them and the debts owed to the two
Congolese companies. While it clearly emerged in the hearings that there
was a secondary dispute relating to alleged violations of these rights and

a subsidiary dispute over protection by substitution, the Court examined
these new disputes without ever considering whether their abrupt asser-
tion and their novelty affected the nature of Guinea’s action.

The first issue which could have been examined is undoubtedly whether

a dispute between States over an individual’s private rights arises directly
in the internal legal order of the State accused of the alleged violations or
in the international order. This does not necessarily involve arguing the
conditions required to give rise to a dispute to come before the Court, but
I find it logical to ask whether the dispute before the Court existed when

the alleged violations of Mr. Diallo’s rights under internal law took place
or whether an inter-State dispute arose upon the national State’s unsuc-
cessful espousal of its national’s cause before the competent authorities
of the State alleged to be at fault. Under Article 38 of its Statute, the
Court’s function is “to decide in accordance with international law such

disputes as are submitted to it” (emphasis added). Thus, for the Court to
have jurisdiction, the alleged wrongful act must have given rise to a legal
dispute between the States concerned. The mere filing of an Application
with the Court does not create a dispute, give rise to one or place one on
record. The existence of an internationally wrongful act harmful to an

alien does not by itself constitute a dispute between the alien’s national
State and the State having committed the alleged internationally wrong-
ful act; the dispute remains internal until such time as the national State
raises the issue of wrongfulness and asserts a claim against the State hav-
ing committed the act. What is concerned here is not the diplomatic

negotiations required by some jurisdictional clauses as a precondition on
referral to the Court, but rather the reasoning usually applied by the

58637 AHMADOU SADIO DIALLO (OP .IND .MAMPUYA )

condition préalable à la saisine de la Cour, mais d’une pure logique que

suit habituellement la Cour aux fins d’établir l’existence d’un différend
interétatique par-delà les faits dont serait victime un individu.
C’est de cette manière que, dans une pratique constante, il est toujours
procédé devant la Cour, en cas de requête unilatérale. Il suffirait de citer
ici l’une des plus anciennes affaires soumises à la Cour, celle des Phos-

phates du Maroc (exceptions préliminaires) . Le demandeur lui-même,
l’Italie, établit qu’un différend est né des faits dont ses ressortissants
auraient été victimes. En effet, après avoir exposé tous les faits, notam-
ment les actes qu’elle estimait illicites de la part des autorités chérifiennes
et de celles de la puissance protectrice ainsi que l’opposition persistante

des thèses, y compris sur la nature du règlement du litige, l’Italie en
conclut que

«le différend juridique qui en est surgi , n’ayant pu former l’objet
d’un compromis d’arbitrage à cause de la persistante attitude évasive
du Gouvernement de la République [française], est soumis à la Cour
par voie de requête unilatérale» (arrêt, 1938, C.P.J.I. série A/B

n° 74, p. 14 (citant la requête du Royaume d’Italie); les italiques sont
de moi).

Parallèlement, le défendeur dans la même instance, la France, pour sa
part, estime sur un autre grief que, un différend n’ayant pas surgi sur une
partie des faits soulevés, ceux-ci ne pouvaient faire l’objet de la réclama-
tion devant la Cour:

«Attendu que cette question n’a fait l’objet d’aucun examen par la
voie diplomatique, et qu’en conséquence elle ne saurait être déférée à
la Cour par voie de requête sur la base des déclarations par lesquelles

la France et l’Italie ont accepté la juridiction obligatoire de la
Cour.» (Ibid., p. 17; les italiques sont de moi.)

Je signale que la Cour permanente a répondu à cette objection, sans reje-
ter le principe, au contraire même, en indiquant que «les négociations
diplomatiques préalables ont embrassé tout entière la controverse sou-
mise à la Cour...», faisant pour cela, en particulier, état «[de] clairs aver-
tissements donnés par les intéressés, l’ambassade italienne et l’agent du

gouvernement royal» et «[de] deux notes remises» à M. Laval et au Quai
d’Orsay (ibid., p. 19).

Aussi, dans l’affaire de l’Interprétation des traités de paix conclus
avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, première phase, avis consul-

tatif, l’une des questions auxquelles devait répondre la Cour était ainsi
libellée: «Ressort-il de la correspondance diplomatique entre [les
trois Etats] et certaines Puissances alliées et associées ... qu’il existe des
différends »( C.I.J. Recueil 1950, p. 74; les italiques sont de moi) pour
lesquels une procédure de règlement est prévue par les traités? C’est, sur

la base de la définition selon l’arrêt relatif aux Concessions Mavrommatis
en Palestine, après avoir examiné la correspondance diplomatique échan-

59 AHMADOU SADIO DIALLO (SEP. OP.MAMPUYA ) 637

Court in ascertaining whether an inter-State dispute exists over and

above the acts from which an individual allegedly suffered.

This is the Court’s settled, invariable practice in dealing with unilateral
applications. One need only cite one of the oldest cases to have come
before the Court, Phosphates in Morocco (Preliminary Objections). The

Applicant, Italy, established that a dispute had arisen out of acts alleged
to have harmed its nationals. After setting out all the facts, including spe-
cifically the acts which Italy deemed wrongful on the part of the Sheree-
fian authorities and the authorities of the protecting Power, and describ-
ing the enduring conflict in the Parties’ positions, on inter alia the nature

of the settlement of the dispute, Italy submitted that

“the legal dispute which has arisen could not form the subject of a
special arbitration agreement, owing to the persistently evasive atti-
tude of the Government of the [French] Republic, and is therefore
submitted to the Court by a unilateral application” (Judgment, 1938,

P.C.I.J., Series A/B, No. 74 , p. 14 (quoting the Application of the
Kingdom of Italy); emphasis added).

France, the Respondent in the case, asserted in respect of a different
grievance that, as no dispute had arisen over some of the facts alleged,
they could not be the subject of a claim before the Court:

“Whereas this question has not been investigated through diplo-
matic channels and as, accordingly, it cannot be submitted to the
Court by application on the basis of the declarations whereby France

and Italy have accepted the compulsory jurisdiction of the Court.”
(Ibid., p. 17; emphasis added.)

I shall point out that the Permanent Court responded to this objection
without rejecting the underlying principle; on the contrary even, it stated
that “the preliminary diplomatic negotiations covered the whole of the
controversy submitted to the Court . . .”, on this point specifically citing
“the positive statements made...bythe interested parties, by the Italian

Embassy and by the Royal Government’s Agent” and “the two notes...
handed” one to Mr. Laval and the other to the Quai d’Orsay (ibid.,
p. 19).
Further, in the Advisory Opinion on Interpretation of Peace Treaties
with Bulgaria, Hungary and Romania, First Phase, one of the questions

to be answered by the Court was: “do the diplomatic exchanges between
[the three States] and certain Allied and Associated Powers...disclose
any disputes”( I.C.J. Reports 1950, p. 74; emphasis added) for which the
treaties established a settlement mechanism. It was on the basis of the
definition formulated in the Judgment in the Mavrommatis Palestine

Concessions case that, after examining the diplomatic correspondence
exchanged between the States concerned and observing that the two

59638 AHMADOU SADIO DIALLO (OP.IND . MAMPUYA )

gée entre les Etats concernés, et observé que les points de vue des deux

Parties étaient nettement opposés, en particulier que certains Etats avaient
porté contre d’autres des accusations que ceux-ci repoussaient, que la
Cour en a conclu que des différends internationaux s’étaient produits:

«Dans la correspondance diplomatique qui a été soumise à la
Cour, le Royaume-Uni, agissant de concert avec l’Australie, le
Canada et la Nouvelle-Zélande, et les Etats-Unis d’Amérique ont
accusé la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie d’avoir enfreint, à

divers égards, les dispositions des articles qui, dans les traités de
paix, ont trait aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales;
ils ont invité les trois gouvernements à prendre des mesures de redres-
sement afin d’exécuter les obligations que leur imposent les traités.
Les trois gouvernements , d’autre part, ont repoussé ces accusations .

Il s’est donc produit une situation dans laquelle les points de vue des
deux parties, quant à l’exécution ou à la non-exécution de certaines
obligations découlant des traités, sont nettement opposés. En pré-
sence d’une telle situation, la Cour doit conclure que des différends
internationaux se sont produits .» ( Interprétation des traités de paix

conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, première phase,
avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950 , p. 74; les italiques sont de moi.)
La Cour a rappelé ces mêmes termes dans l’affaire de l’Applicabilité de

l’obligation d’arbitrage en vertu de la section 21 de l’accord du 26 juin
1947 relatif au siège de l’Organisation des Nations Unies , mettant en évi-
dence la nécessité, indépendamment de simples affirmations ou contesta-
tions des faits, de déterminer l’existence d’un différend entre l’Organisa-

tion et les Etats-Unis. A cet effet, elle a rappelé la résolution 42/229 B du
3 mars 1988, par laquelle l’Assemblée générale confirmait
«la position du Secrétaire général qui a constaté l’existence d’un dif-

férend entre l’Organisation des Nations Unies et le pays hôte quant
à l’interprétation ou l’application de l’accord entre l’Organisation
des Nations Unies et les Etats-Unis d’Amérique relatif au siège de
l’Organisation des Nations Unies...» (Applicabilité de l’obligation
d’arbitrage en vertu de la section 21 de l’accord du 26 juin 1947 rela-

tif au siège de l’Organisation des Nations Unies, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 1988, p. 13, par. 1),
et que «l’attitude opposée des parties établissait clairement l’existence d’un

différend» (ibid., p. 27, par. 35).
Dans l’affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et
contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), compétence et
recevabilité, la Cour constate

«qu’il n’est pas douteux que, dans les circonstances où le Nicaragua
a présenté sa requête à la Cour et d’après les faits qui y sont allégués,
il existe un différend entre les Parties: notamment quant à «l’inter-

prétation ou à l’application» du traité» (arrêt, C.I.J. Recueil 1984 ,
p. 428, par. 83).

60 AHMADOU SADIO DIALLO (SEP. OP.MAMPUYA ) 638

Parties held clearly opposite views, and specifically that the accusations

made by some States against others had been denied by those accused,
the Court concluded that international disputes had arisen:

“In the diplomatic correspondence submitted to the Court , the
United Kingdom, acting in association with Australia, Canada and
New Zealand, and the United States of America charged Bulgaria,
Hungary and Romania with having violated, in various ways, the

provisions of the articles dealing with human rights and fundamen-
tal freedoms in the Peace Treaties and called upon the three Govern-
ments to take remedial measures to carry out their obligations under
the Treaties. The three Governments, on the other hand, denied the
charges. There has thus arisen a situation in which the two sides hold

clearly opposite views concerning the question of the performance or
non-performance of certain treaty obligations. Confronted with such
a situation, the Court must conclude that international disputes have
arisen.” (Interpretation of Peace Treaties with Bulgaria, Hungary
and Romania, First Phase, Advisory Opinion, I.C.J. Reports 1950,

p. 74; emphasis added.)

The Court quoted this very language in the Advisory Opinion on the

Applicability of the Obligation to Arbitrate under Section 21 of the
United Nations Headquarters Agreement of 26 June 1947, highlighting
the need to look beyond mere assertions or denials of alleged facts to
ascertain whether a dispute existed between the United Nations and the

United States. To this end, it cited resolution 42/229 B of 3 March 1988,
whereby the General Assembly affirmed
“the position of the Secretary-General that a dispute exists between

the United Nations and the host country concerning the interpreta-
tion or application of the Agreement between the United Nations
and the United States of America regarding the Headquarters of the
United Nations..” . ( Applicability of the Obligation to Arbitrate
under Section 21 of the United Nations Headquarters Agreement of

26 June 1947, I.C.J. Reports 1988, p. 13, para. 1),

and recalled a finding that “the opposing attitudes of the parties clearly

established the existence of a dispute” (ibid., p. 27, para. 35).
In the case concerning Military and Paramilitary Activities in and
against Nicaragua (Nicaragua v. United States of America), Jurisdiction
and Admissibility, the Court found:

“there can be no doubt that, in the circumstances in which Nicara-
gua brought its Application to the Court, and on the basis of the
facts there asserted, there is a dispute between the Parties, inter alia,

as to the ‘interpretation or application’ of the Treaty” (Judgment,
I.C.J. Reports 1984, p. 428, para. 83).

60639 AHMADOU SADIO DIALLO (OP .IND .MAMPUYA )

On retrouve la même préoccupation dans l’arrêt du 30 juin 1995 dans

l’affaire du Timor oriental (Portugal c. Australie) (C.I.J. Recueil 1995,
p. 99-100, par. 22), ainsi que dans l’arrêt du 11 juillet 1996 relatif
à’l Application de la convention pour la prévention et la répression du
crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie )( C.I.J. Recueil
1996 (II), p. 614-615, par. 29).

Dans une affaire toute récente (Activités armées sur le territoire du
Congo (nouvelle requête: 2002) (République démocratique du Congo c.
Rwanda), arrêt, C.I.J. Recueil 2006 , p. 40, par. 90), la Cour commence
par rappeler la définition donnée du différend par l’arrêt des Concessions
Mavrommatis et reprend sa propre jurisprudence qui décide que «[p]our

établir l’existence d’un différend: «Il faut démontrer que la réclamation
de l’une des parties se heurte à l’opposition manifeste de l’autre ».»
(Les italiques sont de moi.) A l’appui de cela, la Cour donne la longue
liste des affaires où il avait été ainsi décidé (Sud-Ouest africain, excep-

tions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1962 , p. 328; Interprétation des
traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, pre-
mière phase, avis consultatif , C.I.J. Recueil 1950,p.74;Timor oriental
(Portugal c. Australie) , arrêt, C.I.J. Recueil 1995 , p. 100, par. 22; Ques-
tions d’interprétation et d’application de la convention de Montréal de

1971 résultant de l’incident aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe
libyenne c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil
1998, p. 17, par. 22; Questions d’interprétation et d’application de la
convention de Montréal de 1971 résultant de l’incident aérien de Locker-
bie (Jamahiriya arabe libyenne c. Etats-Unis d’Amérique) , exceptions

préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1998 , p. 122-123, par. 21; Certains
biens (Liechtenstein c. Allemagne) , arrêt, C.I.J. Recueil 2005 ,p .,
par. 24). Par la suite, la Cour

«note qu’en l’espèce la RDC a formulé de nombreuses protestations
contre les agissements du Rwanda prétendument contraires au droit
international relatif aux droits de l’homme, tant au plan bilatéral, à
travers des contacts directs avec le Rwanda, qu’au plan multilatéral

dans le cadre d’organes internationaux tels que le Conseil de sécurité
des Nations Unies et la Commission africaine des droits de l’homme
et des peuples de l’Organisation de l’Unité africaine... Quelle que
puisse être la qualification juridique de telles protestations au regard
de l’exigence de l’existence d’un différend entre la RDC et le

Rwanda... »( Activités armées sur le territoire du Congo (nouvelle
requête: 2002) (République démocratique du Congo c. Rwanda),
arrêt, C.I.J. Recueil 2006, p. 40-41, par. 91; les italiques sont de
moi.)

Même si dans cette affaire la clause compromissoire qui prévoyait la juri-
diction de la Cour la subordonnait, en plus de cette condition de l’exis-
tence d’un différend, à une autre concernant la soumission dudit diffé-

rend à des négociations entre les deux Etats préalablement à la saisine de
la Cour, l’essentiel, aux fins de la démonstration qui nous intéresse ici, est

61 AHMADOU SADIO DIALLO (SEP. OP.MAMPUYA ) 639

The same concern is to be found in the Judgment of 30 June 1995 in the

case concerning East Timor (Portugal v. Australia) (I.C.J. Reports 1995,
pp. 99-100, para. 22) and in the Judgment of 11 July 1996 in respect of
Application of the Convention on the Prevention and Punishment of the
Crime of Genocide (Bosnia and Herzegovina v. Yugoslavia) (I.C.J.
Reports 1996 (II), pp. 614-615, para. 29).

In a very recent case (Armed Activities on the Territory of the Congo
(New Application: 2002) (Democratic Republic of the Congo v.
Rwanda), Judgment, I.C.J. Reports 2006 , p. 40, para. 90), the Court
began by repeating the definition of “dispute” set out in the Mavromma-
tis Concessions Judgment and quoted its own jurisprudence, providing

that “[i]n order to establish the existence of a dispute, ‘it must be shown
that the claim of one party is positively opposed by the other ’” (emphasis
added). In support of this proposition, the Court cited a long list of cases
in which it had been so held (South West Africa, Preliminary Objections,

Judgment, I.C.J. Reports 1962 , p. 328; Interpretation of Peace Treaties
with Bulgaria, Hungary and Romania, First Phase, Advisory Opinion,
I.C.J. Reports 1950,p .4; East Timor (Portugal v. Australia), Judg-
ment, I.C.J. Reports 1995 , p. 100, para. 22; Questions of Interpretation
and Application of the 1971 Montreal Convention arising from the Aerial

Incident at Lockerbie (Libyan Arab Jamahiriya v. United Kingdom),
Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 1998 , p. 17, para. 22;
Questions of Interpretation and Application of the 1971 Montreal Con-
vention arising from the Aerial Incident at Lockerbie (Libyan Arab
Jamahiriya v. United States of America), Preliminary Objections, Judg-

ment, I.C.J. Reports 1998 , pp. 122-123, para. 21; Certain Property
(Liechtenstein v. Germany), Judgment, I.C.J. Reports 2005 ,p .,
para. 24). The Court then noted:

“in the present case the DRC made numerous protests against Rwan-
da’s actions in alleged violation of international human rights law,
both at the bilateral level through direct contact with Rwanda and at
the multilateral level within the framework of international institu-

tions such as the United Nations Security Council and the Commis-
sion on Human and Peoples’ Rights of the Organization of African
Unity... Whatever may be the legal characterization of such pro-
tests as regards the requirement of the existence of a dispute between
the DRC and Rwanda... ”( Armed Activities on the Territory of the

Congo (New Application: 2002) (Democratic Republic of the
Congo v. Rwanda), Judgment, I.C.J. Reports 2006 , pp. 40-41,
para. 91; emphasis added.)

While the jurisdiction conferred on the Court by the compromissory
clause in that case was subject not only to satisfaction of the condition
requiring the existence of a dispute but also to submission of the dispute

to negotiations between the two States prior to any referral to the Court,
what is important for purposes of the argument of interest here is that the

61640 AHMADOU SADIO DIALLO (OP. IND. MAMPUYA )

de constater que la Cour confirme qu’il existe bien une «exigence de

l’existence d’un différend» interétatique, pour engager une procédure
devant la Cour mondiale. C’est que, en réalité, cette exigence signifie que
ce n’est pas tant des prétendus faits illicites que du différend né de ces
faits allégués que la Cour est normalement saisie.
Un différend juridique est constaté lorsqu’il est établi, il ne se présume

pas uniquement des faits, encore faut-il que ces faits aient donné lieu, ainsi
qu’il en est des créances privées, à une réclamation non satisfaite tel que
c’est le sens de la jurisprudence et de la pratique depuis l’arrêtMavrom-
matis; il ne se produit pas non plus directement par la saisine de la Cour;
les prétendues violations de droits de particuliers, en l’absence d’un diffé-

rend interétatique, demeurent de simples faits, et non un différend inter-
étatique. Cette exigence, exprimée dans tous ces cas à propos de litiges
d’Etat à Etat et portant sur des obligations internationales relatives aux
rapports interétatiques directs, vaut encore plus impérativement en matière

des droits des particuliers spécialement. Certes, dans l’affaireAvena et
autres ressortissants mexicains (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique) ,e l
Mexique avait directement présenté ses réclamations concernant ses res-
sortissants devant la Cour, mais il avait expressément conçu, et la Cour en
avait pris acte, son action non comme exercice de la protection diploma-

tique mais comme une requête visant les «violations de la convention de
Vienne sur les relations consulaires du 24 avril 1963» à laquelle les deux
Etats sont parties (requête du Mexique du 9 janvier 2003, p. 1, etfond,
arrêt, C.I.J. Recueil 2004, p. 17, par. 1, et p. 28, par. 22).
Une telle exigence d’existence de différend interétatique est d’autant

plus logique et compréhensible que, comme le constate et le consigne la
CDI dans ses articles sur la responsabilité de l’Etat, il est admis habituel-
lement que l’Etat qui invoque la responsabilité d’un autre Etat lui notifie
sa demande, de façon à préciser

«a) le comportement que devrait adopter l’Etat responsable pour
mettre fin au fait illicite si ce fait continue;
b) la forme que devrait prendre la réparation» (James Crawford,

Articles de la CDI sur la responsabilité de l’Etat, Introduction,
textes et commentaires, article 43, p. 313, 2003).

Certes, le seul fait de la violation par lui d’une obligation internationale
qui lui incombe est susceptible d’engager juridiquement la responsabilité
de l’Etat, mais, comme le dit Crawford commentant cette disposition,

«la première réaction [de l’Etat lésé] devrait être d’appeler l’attention
de l’Etat responsable sur la situation et de lui demander de prendre
les mesures voulues pour mettre fin à la violation et réparer» (ibid.,

p. 313).
En réalité, ce n’est que lorsque pareille demande est restée sans réponse

ou sans réponse satisfaisante que naît le différend.

62 AHMADOU SADIO DIALLO (SEP. OP. MAMPUYA ) 640

Court affirmed that there is indeed a “requirement of the existence of a

dispute” between States before proceedings can be brought before the
World Court. This requirement actually signifies that what is properly
referred to the Court is not so much the alleged wrongful acts as the dis-
pute having arisen out of them.
A legal dispute cannot be found to exist until it has been established; it

cannot simply be presumed from the facts. As in the case of private debt
claims, those facts have to have given rise to an unmet demand; the juris-
prudence and practice have so required ever since the Mavrommatis
Judgment. Nor does a dispute come into existence directly out of the
referral to the Court. In the absence of an inter-State dispute, alleged vio-

lations of an individual’s rights remain mere acts; they do not constitute
an inter-State dispute. This requirement, expressed in all these cases in
respect of inter-State disputes involving international obligations in direct
State-to-State relations, is even more compelling in regard to individuals’

rights. Granted, in the Avena and Other Mexican Nationals (Mexico v.
United States of America) case Mexico presented its claims concerning
its nationals directly to the Court, but it expressly framed its action as
one involving “violations of the Vienna Convention on Consular Rela-
tions (done on 24 April 1963)”, to which the two States are parties

(Application of Mexico dated 9 January 2003, p. 1, and Merits, Judg-
ment, I.C.J. Reports 2004 , p. 17, para. 1, and p. 28, para. 22), not one
involving the exercise of diplomatic protection, and the Court took cog-
nizance of this.
That the existence of an inter-State dispute should be required is espe-

cially logical and understandable since, as the ILC observes and docu-
ments in its Articles on Responsibility of States, it is generally accepted
that a State invoking the responsibility of another State must give notice
of the claim to it, specifying

“(a) the conduct that the responsible State should take in order to
cease the wrongful act, if it is continuing;
(b) what form reparation should take” (James Crawford, The

International Law Commission’s Articles on State Responsi-
bility, Introduction, Text and Commentaries, Article 43, p. 261).

While the fact alone of a State’s breach of an international obligation is
capable of giving rise to its responsibility under the law,

“the first step [by an injured State] should be to call the attention of
the responsible State to the situation, and to call on it to take appro-
priate steps to cease the breach and to provide redress” (ibid.,

p. 261),
as Crawford says in commenting on Article 43. In fact, it is only where

there is no response or an unsatisfactory response that the dispute is
born.

62641 AHMADOU SADIO DIALLO (OP .IND .MAMPUYA )

De fait, le plus souvent, lorsque l’on évoque la définition du différend,

on s’arrête à une partie du travail de définition fourni par la Cour dans
son arrêt dans l’affaire des Concessions Mavrommatis en Palestine disant
du différend que c’est «un désaccord sur un point de droit ou de fait, une
contradiction, une opposition de thèses juridiques ou d’intérêts entre
deux personnes» (1924, arrêt, C.P.J.I. série A n° 2, p. 11). Ce faisant, on

oublie que la Cour n’énonce cette définition qu’après avoir établi que les
conditions d’existence d’un différend sont remplies. Cette opération est
menée, dans ce sens, par la Cour dans l’affaire du Sud-Ouest africain,
lorsqu’elle précise que

«il ne suffit pas que l’une des parties à une affaire contentieuse
affirme l’existence d’un différend avec l’autre partie. La simple affir-

mation ne suffit pas pour prouver l’existence d’un différend, tout
comme le simple fait que l’existence d’un différend est contestée ne
prouve pas que ce différend n’existe pas. Il n’est pas suffisant non
plus de démontrer que les intérêts des deux parties à une ... affaire
sont en conflit. Il faut démontrer que la réclamation de l’une des

parties se heurte à l’opposition manifeste de l’autre .» ( Exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1962 , p. 328; les italiques sont de
moi.)

Et, dans cet arrêt de 1962, la Cour procède largement à cette analyse en
passant en revue tous les échanges diplomatiques entre les Parties. Encore
une fois, on voit bien ainsi que ce dont doit être saisie la Cour ce ne sont
pas les faits ou le litige interne, mais le différend qui en naît entre les

Etats. La Cour permanente l’avait confirmé à sa manière, dans l’affaire
des Concessions Mavrommatis en Palestine , lorsqu’elle dit que

«il est vrai que le différend a d’abord été celui d’un particulier et
d’un Etat, celui de Mavrommatis et de la Grande-Bretagne; puis le
Gouvernement hellénique a pris l’affaire en mains; le différend est
entré dans une phase nouvelle: il s’est porté sur le terrain

international...; dès lors, la possibilité existe qu’il relève désormais
de la compétence de la Cour permanente de Justice internationale »
(1924, arrêt, C.P.J.I. série A n° 2 , p. 12; les italiques sont de moi).

Le fait que la RDC n’ait pas contesté l’existence d’un différend entre elle
et la Guinée n’a aucune espèce d’importance dans la mesure où cette exis-
tence est la première condition, objective, pour que soit régulièrement sai-

sie la Cour (selon l’article 38 de son Statut, chargée de «régler les
différends...»), et ne peut aucunement limiter le pouvoir de la Cour de
vérifier l’existence préalable d’un différend. D’ailleurs, en examinant cette
question dans l’affaire du Sud-Ouest africain, la Cour ne le fait pas en
tant qu’exception préliminaire soulevée par le défendeur (l’Union sud-

africaine) mais, «[a]vant d’entreprendre cette tâche» d’examiner, «au
stade actuel de la procédure» les exceptions préliminaires sud-africaines,

63 AHMADOU SADIO DIALLO SEP .OP .MAMPUYA ) 641

The truth is that, more often than not when the definition of “dispute”

is under discussion, one stops at that part of it formulated by the Court
in its Judgment in the Mavrommatis Palestine Concessions case to the
effect that a dispute is “a disagreement on a point of law or fact, a con-
flict of legal views or of interests between two persons” (Judgment No. 2,
1924, P.C.I.J., Series A, No. 2 , p. 11). Sight is lost of the fact that the

Court laid down this definition only after establishing that the conditions
for the existence of a dispute had been fulfilled. This was the process fol-
lowed by the Court in the South West Africa case when it made clear:

“it is not sufficient for one party to a contentious case to assert that
a dispute exists with the other party. A mere assertion is not suffi-

cient to prove the existence of a dispute any more than a mere denial
of the existence of the dispute proves its non-existence. Nor is it
adequate to show that the interests of the two parties t o...a case
are in conflict. It must be shown that the claim of one party is posi-
tively opposed by the other .” (Preliminary Objections, Judgment,

I.C.J. Reports 1962, p. 328; emphasis added.)

And in that 1962 Judgment the Court carried out a thorough analysis in
this respect, reviewing the entire diplomatic correspondence between the
parties. Once again, it is clear from this that what must be referred to the
Court is neither the facts nor the internal controversy, but the inter-State

dispute arising out of them. The Permanent Court affirmed this in its
own way in the case concerning Mavrommatis Palestine Concessions
when it said:

“it is true that the dispute was at first between a private person and
a State — i.e. between M. Mavrommatis and Great Britain. Subse-
quently, the Greek Government took up the case. The dispute then
entered upon a new phase; it entered the domain of international

law... Henceforward therefore it is a dispute which may or may not
fall under the jurisdiction of the Permanent Court of International
Justice.” (Judgment No. 2, 1924, P.C.I.J., Series A, No. 2, p. 12;
emphasis added.)

The fact that the DRC has not denied the existence of a dispute between
it and Guinea is wholly immaterial, since the existence of a dispute is the
first, objective, condition to be met for a valid referral to the Court

(whose function, under Article 38 of its Statute, is “to decide...
disputes . . .”), and the Court is in no way limited in its power to ascer-
tain whether a dispute already exists. Further, in examining this issue in
the South West Africa case, the Court addressed it not as a preliminary
objection raised by the Respondent (the Union of South Africa) but as a

“preliminary question relating to the existence of the dispute which is the
subject of the Applications” (Preliminary Objections, Judgment, I.C.J.

63642 AHMADOU SADIO DIALLO (OP. IND.MAMPUYA )

comme une «question préliminaire touchant l’existence du différend qui

fait l’objet des requêtes» (C.I.J. Recueil 1962, p. 328), ne procédant à
l’examen des exceptions préliminaires qu’ensuite. Il n’est pas non plus
pertinent de prétendre que, le défendeur ayant d’emblée accepté la com-
pétence de la Cour, il n’y aurait plus lieu d’examiner cette question: il y a
là, de fait, deux problématiques différentes, existence d’un différend et

compétence, que la Cour se doit d’examiner l’une et l’autre.

Or, à cet égard, les deux requêtes successives de la Guinée font état de
«l’objet du différend», mais, dans les circonstances où elle a présenté sa
requête et d’après les faits qui y sont allégués, la Guinée n’établit nulle

part, à propos des faits illicites qu’elle impute devant la Cour à la RDC
relativement aux mauvais traitements allégués, à l’expulsion et, même,
aux droits propres d’associé, à quel moment ni en quels termes s’est
manifesté ou a été constaté le différend juridique dont la Cour pourrait

connaître. La Guinée, sans doute consciente de l’exigence de cette condi-
tion d’existence de différend interétatique, cherche à l’établir en préten-
dant qu’elle n’a saisi la Cour qu’«[a]près de vaines tentatives de règle-
ment amiable» (requête, p. 2), ou après «plusieurs démarches diploma-
tiques» tentées en vain «pour obtenir du Zaïre ... qu’il fasse droit aux

demandes en réparation de M. Diallo, injustement réduit à l’indigence la
plus totale» (mémoire de la Guinée, par. 1.2). Il me semble que, rien que
pour cela, la Cour aurait pu vérifier ces allégations; elle aurait pu ainsi
constater que non seulement ces allégations de tentatives et démarches
diplomatiques qui auraient pu faire éclater l’opposition des thèses, c’est-

à-dire le différend, ne se réfèrent qu’au contentieux commercial relatif
aux sociétés dont M. Diallo est associé et, que, encore, il ne s’agit que de
la correspondance échangée entre les autorités guinéennes elles-mêmes.
C’est en vain que l’on cherche un seul, parmi les centaines des documents
annexés par la Guinée, qui porte sur une quelconque démarche diploma-

tique ou autre du Gouvernement guinéen, ministre ou ambassadeur,
auprès de l’une quelconque des autorités congolaises. Il est, par ailleurs,
symptomatique que même dans sa plaidoirie la Guinée n’en ait plus fait
état. En effet, la seule correspondance gouvernementale guinéenne rela-
tive à M. Diallo a lieu entre les autorités guinéennes elles-mêmes ou entre

le ministre des affaires étrangères et son ambassadeur à Kinshasa, ces
échanges de lettres n’ayant du reste comme seul objet que les créances de
M. Diallo (mémoire de la Guinée, annexes 203, 216, 217 et 223).
Que le conseil de M. Diallo ait, lui seul, adressé aux autorités congo-
laises les seules correspondances envoyées à ces dernières figurant dans le

dossier, cela reste dans le cadre de démarches en vue du règlement du
litige relatif aux créances des deux sociétés engagées par M. Diallo en
tant que gérant desdites sociétés, ne changeant rien au fait qu’aucun
document déposé auprès de la Cour ne prouve l’existence de démarches
diplomatiques en vue de solder le dossier des prétendues vexations impo-

sées à M. Diallo par son emprisonnement et son expulsion. Bien plus,
le dossier en la possession de la Cour ne contient aucune pièce prouvant

64 AHMADOU SADIO DIALLO SEP. OP. MAMPUYA ) 642

Reports 1962, p. 328), “[b]efore undertaking th[e] task” of considering

South Africa’s preliminary objections “in the present phase of the pro-
ceedings”; the Court only turned to consideration of the preliminary
objections afterwards. Nor is it correct to claim that there is no longer
any need to deal with this question because the Respondent accepted the
Court’s jurisdiction at the outset; these are in fact two separate issues —

existence of a dispute and jurisdiction — each of which the Court is duty
bound to consider.
Now, in this context Guinea’s two successive Applications set out the
“subject of the dispute”, but nowhere does Guinea show, through the cir-
cumstances surrounding the submission of its Application or through the

facts alleged therein, either when or in what terms the legal dispute cog-
nizable by the Court became apparent or acknowledged in respect of the
wrongful acts it ascribes to the DRC in connection with Mr. Diallo’s
alleged mistreatment, his expulsion and even his direct rights as associé.

Guinea, no doubt aware that the existence of an inter-State dispute is
required, seeks to establish one by claiming that it only turned to the
Court “[a]fter vain attempts to arrive at an out-of-court settlement”
(Application, p. 3) or after “several fruitless diplomatic initiatives aimed
at inducing Zaire...o accede to requests for compensation made by

Mr. Diallo, who had been unjustly reduced to total penury” (Memorial
of Guinea, para. 1.2). I believe that for this reason alone the Court could
have checked the substance of these allegations; it would then have seen
not only that any alleged attempts and diplomatic initiatives which might
have been capable of precipitating the conflict of views, that is to say the

dispute, concerned only the commercial disagreements involving the com-
panies in which Mr. Diallo is associé, but also that they consisted of
nothing but correspondence exchanged between various Guinean authori-
ties themselves. Among the hundreds of documents annexed by Guinea,
not even one can be found bearing on any diplomatic or other approach

made by the Guinean Government, a minister or ambassador to any
Congolese authority. Incidentally, it is telling that Guinea made no
further reference to these in oral argument. In fact, the only correspon-
dence of the Guinean Government concerning Mr. Diallo was between
Guinean authorities themselves or between the Minister for Foreign

Affairs and his Ambassador in Kinshasa; moreover, the sole subject
dealt with in these letters was Mr. Diallo’s debt claims (Memorial of
Guinea, Anns. 203, 216, 217 and 223).
The only correspondence sent to the Congolese authorities which
appears in the record was from Mr. Diallo’s counsel, and him alone, and

fell within the scope of steps taken in pursuit of a settlement of the litiga-
tion which Mr. Diallo, as the companies’ gérant, brought over the debts
owed to them. This in no way detracts from the fact that no document
filed with the Court proves that diplomatic démarches were undertaken
to resolve the matter of the alleged harm suffered by Mr. Diallo from his

imprisonment and expulsion. What is more, the record before the Court
contains no evidence substantiating any official approaches to the DRC

64643 AHMADOU SADIO DIALLO (OP. IND. MAMPUYA )

des démarches officielles auprès de la RDC concernant quelque aspect de
l’affaire, même les créances. Certes, la correspondance du conseil de
M. Diallo au président de la République démocratique du Congo fait état
de «[t]outes les correspondances adressées par le ministère des affaires

étrangères de la République de Guinée aux autorités congolaises» qui
seraient «restées sans réponse, dans le mépris vexatoire de la courtoisie
diplomatique», avant de lui signifier la décision de son client «de saisir les
instances internationales compétentes pour obtenir justice» (mémoire de
la Guinée, annexes 245 et 248, lettres des 4 février et 16 mars 1998,

annexes 246 et 249, lettres au ministre de la justice de la RDC en date des
4 février et 16 mars 1998, leur demandant, sur recommandation du secré-
taire général du CIRDI, leur agrément pour la saisine de cet organisme
d’arbitrage international).
Mais, si le conseil de M. Diallo, certainement de bonne foi, sans tou-

tefois pouvoir vérifier quoi que ce soit, a cru le ministre qui lui avait dit
avoir envoyé plusieurs correspondances aux autorités congolaises, le dos-
sier transmis à la Cour et les plaidoiries prononcées en la phase orale n’en
contiennent aucune trace.

Bien plus, même la lettre du ministre guinéen des affaires étrangères à
l’ambassadeur de Guinée, ayant constaté l’interdiction de séjour qui frap-
pait M. Diallo, évoque l’éventualité en disant «à moins que cette inter-
diction ne soit levée officiellement» (mémoire de la Guinée, annexe 216),
et celle du ministre de la justice de Guinée (mémoire de la Guinée,

annexe 212), en date du 11 décembre 1996 (un mois et demi après la
signature du décret d’expulsion et un mois et demi avant l’expulsion), par
laquelle il dit rester à la «disposition pour le suivi du dossier», transmet
à son collègue des affaires étrangères un rapport sur l’expulsion de
M. Diallo et lui expose la «possibilité d’exercer la protection diploma-

tique» auprès de la RDC, ne font entreprendre aucune démarche dans ce
sens. Il n’y a, dans les documents sous les yeux de la Cour, aucune trace
d’une simple protestation diplomatique face aux prétendus mauvais trai-
tements et à l’expulsion, pourtant réputés notoires parce que médiatisés,

qu’aurait subis M. Diallo; ce grief, si tant est qu’il ait existé, n’a jamais
été porté sur le terrain international pour devenir un différend
interétatique.

Enfin, à la suite de cette logique, il est de pratique diplomatique et

d’exigence judiciaire constantes que, indépendamment de la condition de
l’épuisement préalable des voies de recours internes, le requérant inter-
national fasse valoir devant la justice internationale les mêmes griefs
que ceux qu’il a portés devant les instances nationales de l’Etat «respon-

sable»: «les instances étatiques et internationales devront examiner les
mêmes questions... », les griefs doivent «être identiques et s’en prendre
aux mêmes droits prétendument violés » (P. Daillier et A. Pellet, Droit
international public, LGDJ, 7 éd., 2002, p. 814; J. Guinant, «La règle de
l’épuisement des voies de recours internes dans le cadre des systèmes

internationaux de protection des droits de l’homme», Revue belge de

65 AHMADOU SADIO DIALLO (SEP. OP.MAMPUYA ) 643

in respect of any aspect of the case, not even the debt claims. In his letter

to the President of the Democratic Republic of the Congo, Mr. Diallo’s
counsel does of course refer to “[a]ll of the letters sent by the Minister for
Foreign Affairs of the Republic of Guinea to the Congolese authorities”,
to which “no response has been forthcoming, in a showing of vexatious
disregard for diplomatic courtesy”, but he then informs the President of

his client’s decision “to refer the matter to the competent international
bodies in order to obtain justice” (Memorial of Guinea, Anns. 245 and
248, letters of 4 February and 16 March 1998, Anns. 246 and 249, letters
to the Minister of Justice of the DRC dated 4 February and 16 March
1998, seeking their consent, as required by the Secretary-General of the

ICSID, to the submission to that international arbitration body).

However, while Mr. Diallo’s counsel, undoubtedly acting in good faith
but in no position to check anything, believed the Minister’s assertion

that he had sent several letters to the Congolese authorities, no evidence
of them is to be found in the written record before the Court or the state-
ments made in the oral proceedings.
What is more, no diplomatic démarche followed even from the letter
from the Guinean Minister for Foreign Affairs to the Guinean Ambas-

sador referring to Mr. Diallo’s banishment from Zaire and raising the
possibility of an approach in stating “unless that ban is officially lifted”
(Memorial of Guinea, Ann. 216), or from the letter from the Guinean
Minister of Justice (Memorial of Guinea, Ann. 212) dated 11 December
1996 (a month-and-a-half after the expulsion order was signed and a

month-and-a-half before the expulsion), in which the Minister states that
he remains at the “disposal [of the Minister for Foreign Affairs] to follow
up the case”, transmits a report on Mr. Diallo’s expulsion to his counter-
part at the Ministry of Foreign Affairs and raises the “possibility of exer-
cising diplomatic protection” vis-à-vis the DRC. There is no evidence in

the documents before the Court of even a simple diplomatic protest
against Mr. Diallo’s alleged mistreatment and his expulsion, even though
these received media coverage and must therefore be deemed to have
been matters of public knowledge; this grievance, insofar as there was
any substance to it, was never raised at the international level in such a

way as to become a dispute between States.
Finally, in accordance with this logic, it is settled diplomatic practice
and an established judicial requirement that, apart from having first to
exhaust local remedies, an international applicant must assert the same
claims before the international court as those raised before the national

courts of the “responsible” State: “the national and international judicial
fora must examine the same question s... ”; the claims must “be identical
and must aim at the same allegedly violated rights ” (P. Daillier and
A. Pellet, Droit international public, LGDJ, 7th ed., 2002, p. 814;
J. Guinant, “La règle de l’épuisement des voies de recours internes dans

le cadre des systèmes internationaux de protection des droits de l’homme”,
Revue belge de droit international , 1968, pp. 476-477; emphasis added).

65644 AHMADOU SADIO DIALLO (OP .IND .MAMPUYA )

droit international, 1968, p. 476-477; les italiques sont de moi). Or,
devant les instances nationales congolaises, le demandeur exigeait le paie-
ment des créances des deux sociétés congolaises, tandis que, devant la
Cour, il s’agit de réparer de prétendus mauvais traitements d’un individu

et les violations alléguées des droits propres d’un associé; un tout autre
litige, un tout autre procès. De fait, la réclamation guinéenne, pour
autant que, au vu de l’enchevêtrement des argumentations, il soit possible
de la limiter aux seuls prétendus mauvais traitements du ressortissant gui-
néen, n’apparaît pour la première fois que devant la Cour, surprenant

par sa soudaineté le défendeur. Ainsi, n’ayant connu du litige que ce qui
a été produit devant la Cour au moment du dépôt de la requête gui-
néenne, la RDC n’a pas pu évoquer autrement qu’elle ne l’a fait le
«différend» sur les droits individuels et les droits propres d’associé.
Cette problématique est tout à fait indépendante de celle de la compé-

tence incontestable de la Cour acceptée par ailleurs sans réserve par le
défendeur.
Sur ces aspects relatifs à la qualité de la requête, obscuri libelli, soudai-
neté des réclamations et discontinuité de griefs, j’ai eu l’impression que la

Cour s’éloignait d’une pratique qui me semblait logique, sans que j’aie
compris pourquoi, et il ne m’a pas semblé satisfaisant que la Cour ait fait
l’économie d’une analyse si utile. Enfin, le fait que la RDC s’est d’emblée
jointe à la procédure sans élever des réserves ni des objections sur ces
points n’a aucune importance ici et, pour répondre à l’intention du défen-

deur de voir déclarer irrecevable une requête, la Cour

«reste libre dans le choix des motifs sur lesquels elle fondera son
arrêt et n’est pas tenue d’examiner toutes les considérations présen-
tées par les Parties, si d’autres lui paraissent suffisantes...» (Applica-
tion de la convention de 1902 pour régler la tutelle des mineurs, fond,
arrêt, C.I.J. Recueil 1958 , p. 62).

2. L A DEUXIÈME EXCEPTION CONGOLAISE

Je rappelle, à sa suite, que la Cour s’est trouvée limitée par le fait que
les deux Parties n’ont fait état que des voies de recours exercées par les

sociétés, sans se préoccuper de celles que devait ou qu’aurait dû exercer
M. Diallo pour la défense de ses «droits propres» d’associé ou d’action-
naire (arrêt, par. 74).
Si cet état de choses peut s’expliquer pour le défendeur, la RDC, qui a

calqué ses exceptions préliminaires sur l’objet du différend tel qu’il fut
présenté par la requête, mais toutefois sans adapter ses moyens juridiques
aux nouveaux griefs exprimés par le demandeur, cela est moins compré-
hensible de la part de ce dernier, la Guinée, qui a eu le temps de «corri-
ger» sa démarche en y introduisant des prétendues violations des droits

individuels et des droits propres d’associé de son ressortissant, mais

66 AHMADOU SADIO DIALLO (SEP.OP .MAMPUYA ) 644

Now, in the Congolese domestic courts the Applicant sought payment of
the debts owed to the two Congolese companies, while what is being

sought in this Court is reparation for the alleged mistreatment of an indi-
vidual and for claimed violations of the direct rights of an associé: com-
pletely different disputes, completely separate proceedings. In fact, Guin-
ea’s claim, insofar as the intertwined arguments allow it to be confined

strictly to the alleged mistreatment of Guinea’s national, first arose
before the Court, its sudden appearance taking the Respondent by sur-
prise. Thus, the DRC, whose knowledge of the controversy was limited
to the information presented to the Court when Guinea filed its Applica-
tion, could only respond as it did in respect of the “dispute” over indi-

vidual rights and direct rights of an associé. The issue here is completely
separate from the question of the Court’s incontrovertible jurisdiction,
which has moreover been accepted unreservedly by the Respondent.

In respect of these points concerning the quality of the Application,
obscuri libelli, the sudden assertion of the claims and the dissimilarity of
the grievances, it was my impression that the Court was retreating from

what seemed to me a logical practice, and I failed to understand why. I
found it unsatisfactory that the Court should dispense with such a pro-
ductive analysis. Finally, the fact that the DRC has participated in the
proceedings from the outset without reservation or objection on these

points is immaterial here and, in acting on a respondent’s attempt to have
an application declared inadmissible, the Court

“retains its freedom to select the ground upon which it will base its
judgment, and is under no obligation to examine all the considera-
tions advanced by the Parties if other considerations appear to it to
be sufficient...”( Application of the Convention of 1902 Governing

the Guardianship of Infants, Merits, Judgment, I.C.J. Reports 1958 ,
p. 62).

2. THE C ONGO ’S SECOND O BJECTION

Like the Court, I shall observe that it found itself constrained by the
fact that the Parties discussed only those remedies sought by the compa-
nies and paid no attention to those which Mr. Diallo might or should
have pursued to safeguard his “direct rights” as associé or actionnaire
(Judgment, para. 74).

While this may be understandable in the case of the Respondent, the
DRC, which geared its preliminary objections to the subject-matter of
the dispute as described in the Application, without tailoring its legal
arguments to the new claims asserted by the Applicant, it is less easily

understood in the case of the Applicant, Guinea, which found the time to
“rectify” its claims by incorporating within them alleged violations of its
national’s individual rights and direct rights as associé, without however

66645 AHMADOU SADIO DIALLO (OP .IND .MAMPUYA )

toutefois sans indiquer qu’à leur strict propos toutes les voies de recours

auraient été épuisées ou se seraient avérées inefficaces ou inexistantes.
Je me suis trouvé en désaccord avec la Cour sur l’argumentation déve-
loppée pour rejeter cette deuxième exception. Collant aux allégations de
la Guinée, jusqu’aux plus contestables, la Cour a admis, d’une part, qu’il
n’existerait pas dans le système juridique congolais de voies de recours

contre la mesure d’expulsion ayant frappé M. Diallo et, d’autre part, que
l’existence des recours contre les violations alléguées des droits propres
d’associé de ce dernier est tributaire de son expulsion.
La thèse guinéenne suivie par la Cour était que la RDC a délibérément
expulsé M. Diallo pour l’empêcher d’exercer ses droits d’associé et que, par

elle-même, son expulsion a violé ses droits propres d’associé. Dans les pro-
pos de la Guinée, il s’est entretenu comme une idée d’un complot de la part
de la RDC contre M. Diallo, jusque et y compris dans l’argument selon
lequel la RDC aurait délibérément camouflé derrière une mesure de «refou-

lement», non susceptible de recours, l’expulsion dont M. Diallo était
frappé; cette thèse, exposée au paragraphe 46, rejaillit sur le raisonnement
de la Cour au paragraphe 73 de l’arrêt. D’une part, en approuvant cette
interprétation, la Cour fait comme si M. Diallo ignorait qu’il était frappé
d’expulsion, s’était comporté comme s’il savait au contraire qu’il était

refoulé et s’était en conséquence abstenu d’exercer des recours d’ailleurs
non prévus dans ce cas. Or, l’échange de correspondance entre les autorités
guinéennes montre qu’elles étaient au courant de ce décret «portant expul-
sion d’une personne étrangère de la République du Zaïre», alors même que
l’objet de ces deux mesures est différent: on expulse d’un pays quelqu’un

qui y réside déjà et on refoule celui qui n’arrive encore qu’à la frontière.
D’autre part, une telle imputation est d’autant plus inutilement domma-
geable à un Etat qu’elle introduit une contradiction, en tout cas une incohé-
rence, avec les paragraphes 47 et 48 de l’arrêt qui développent un argument
plus acceptable, plus conforme à la réalité et à lui seul suffisant, qui établit

que, en fait, ce n’est pas parce qu’il s’agissait, même dans le chef de la
RDC, d’une mesure de refoulement que M. Diallo ne pouvait exercer des
recours, mais c’est parce que la RDC «n’a pas démontré qu’il existait dans
son ordre juridique des voies de recours disponibles et efficaces qui auraient
permis à M. Diallo de contester son expulsion». Certes, il n’appartenait

pas à la Cour de rechercher par elle-même l’existence des recours effectifs
en droit congolais contre l’expulsion, mais la démonstration simplificatrice
rejetant la thèse d’erreur matérielle, et qui conduit à assimiler refoulement
et expulsion au moment de l’exécution de la mesure d’expulsion de
M. Diallo, ne me semble pas suffisante. J’aurais plus facilement compris

l’idée que, selon une jurisprudence incontestable, on peut affirmer qu’étant
éloigné du territoire congolais M. Diallo ne pouvait pas ou n’aurait pas pu
exercer ces recours, quels qu’ils soient, tandis que la conclusion que de tels
recours n’existent pas me semble être un jugement que fait gratuitement la
Cour du système juridique d’un Etat partie à son Statut. Mais par ailleurs,

si la RDC n’a pas pu démontrer l’existence de recours contentieux, elle a
fait état de recours gracieux. Il n’est pas vrai, à cet égard, que les recours

67 AHMADOU SADIO DIALLO (SEP.OP .MAMPUYA ) 645

stating that all specific remedies for these had been exhausted or had

proved ineffective or non-existent.
I have found myself in disagreement with the Court on the reasoning
expounded in rejecting the second objection. Closely following Guinea’s
contentions, including the most dubious of them, the Court accepted the
arguments that the Congolese legal system offered no remedies against

the decision to expel Mr. Diallo and that the availability of any remedies
against the alleged violations of his direct rights as associé was a function
of his expulsion.
As upheld by the Court, Guinea’s thesis was that the DRC deliberately
expelled Mr. Diallo to prevent him from exercising his rights as associé

and that the expulsion per se was a violation of his direct rights as asso-
cié. The insinuation of a plot by the DRC against Mr. Diallo runs
through Guinea’s case, even taking form in the argument that the DRC
deliberately camouflaged Mr. Diallo’s expulsion as a non-appealable

“refusal of entry” (“refoulement”) ; this contention, described in para-
graph 46, resurfaces in the Court’s reasoning in paragraph 73 of the
Judgment. Further, in sanctioning this interpretation, the Court proceeds
on the basis that Mr. Diallo was unaware that he had been expelled,
acted as though he thought that he had been refused entry instead, and

accordingly refrained from pursuing remedies that were at any rate not
available for refusal of entry. However, the correspondence exchanged
between Guinean authorities shows that they had knowledge of the
decree “expelling an alien from the Republic of Zaire”. And these two
measures have different objects: expulsion from a country involves some-

one already residing there, while entry is refused to someone at the bor-
der. Further, this charge is all the more prejudicial to a State, and to no
avail, in that it introduces a contradiction, or in any event an inconsist-
ency, with paragraphs 47 and 48 of the Judgment, which expound a more
acceptable argument, one closer to the truth and sufficient on its own,

showing that in reality Mr. Diallo was prevented from pursuing remedies
not because the measure involved was a refusal of entry, at least as so
designated by the DRC, but because the DRC “has not proved the exist-
ence in its domestic legal system of available and effective remedies
allowing Mr. Diallo to challenge his expulsion”. True, it was not for the

Court to seek proprio motu to ascertain whether effective remedies against
expulsion existed under Congolese law, but the simplistic reasoning reject-
ing the claim of clerical error and leading to treating refusal of entry and
expulsion as alike upon enforcement of the order expelling Mr. Diallo is,
I believe, deficient. It would have been easier for me to understand the

conclusion, in accordance with unassailable jurisprudence, that
Mr. Diallo, having been removed from the Congo, was unable to pursue
these remedies, whatever they might be, whereas, in concluding that there
are no such remedies, the Court, it seems, is gratuitously passing judg-
ment on the legal system of a State party to its Statute. Moreover, while

the DRC was unable to prove the existence of contentious remedies, it
did draw attention to remedies of grace. It is not true that remedies of

67646 AHMADOU SADIO DIALLO (OP.IND . MAMPUYA )

gracieux soient à exclure de l’obligation d’épuiser les voies de recours inter-

nes parce qu’ils ne traduiraient qu’une pure pitié ou faveur comme le laisse
entendre l’arrêt (arrêt, par. 47). Cela est important car, si, comme le pré-
tend la Guinée, «la doctrine s’est toujours montrée hostile» au recours gra-
cieux, une autre doctrine, tout aussi crédible, estime que le recours à l’auto-
rité administrative est une voie de recours qui est généralement, aux côtés

des recours contentieux, admise comme l’une des voies de recours efficaces
à propos desquelles l’épuisement des voies de recours internes est exigé:
P. Daillier et A. Pellet disent que le particulier victime de l’acte illicite doit
avoir «épuisé tous les recours internes —gracieux et contentieux — prévus
et mis à sa disposition par l’ordre juridique de l’Etat...»D( roit internatio-

nal public, 2002, p. 812; les italiques sont de moi). Par ailleurs, alors que
l’arrêt laisse entendre qu’il existerait plusieurs formes de recours gracieux,
on ne peut pas faire autrement que, par la nature même du recours gra-
cieux, son issue, à la différence du recours juridictionnel, dépende discré-

tionnairement de l’autorité administrative compétente, ce qui ne devrait
rien enlever à sa valeur en tant que recours.
Quant à la violation des droits propres d’associé de M. Diallo, traitée
«comme une conséquence directe de son expulsion», sans doute aurait-il
été également utile, sans nécessairement toucher lourdement au fond, de

démontrer plus explicitement le lien que l’on prétend établir entre l’expul-
sion et la violation des droits propres d’associé de M. Diallo. Le débat
dès lors eût porté sur, tout au moins comme une simple allégation à
démontrer au stade du fond, le fait que la RDC a posé des actes visant ou
non directement ces droits propres. De fait, dans la mesure où les droits

propres d’associé ne sont exigibles qu’à la société dont la personne est
l’associé, ils ne peuvent concerner les tiers qu’à travers des actes incrimi-
nés qui, selon l’expression de la Cour dans l’affaire de la Barcelona Trac-
tion, sont «dirigés contre les droits propres ... en tant que tels», excluant
l’hypothèse d’un impact indirect ou collatéral, ou à cause d’ingérences de

l’Etat concerné dans le fonctionnement de la société ou dans les relations
entre celle-ci et ses associés. C’est ce que démontre la sentence arbitrale
dans l’affaire de la Salvador Commercial Co. (RSA, vol. XV, p. 474-475)
qui donne des exemples logiques en visant certains actes d’ingérence,
comme le remplacement arbitraire d’administrateurs, la convocation de

réunions d’organes dirigeants de la société au mépris des règles statu-
taires ou sans avertir les actionnaires majoritaires, le refus de laisser cer-
tains actionnaires consulter des documents de la société, etc., ou tout
autre acte de même nature. Or, nulle part, la Guinée, même en réservant
la démonstration à la phase de l’examen au fond, n’a prétendu que la RDC

a commis des faits internationalement illicites dans ce sens «dirigés
contre les droits propres d’associé en tant que tels» de M. Diallo, n’invo-
quant que la simple incidence d’une mesure dirigée contre l’individu
Diallo et non contre ses droits propres d’associé. La démarche différente
adoptée par la Guinée et acceptée par la Cour consiste à ne pas examiner

si les mesures reprochées à la RDC visaient ou, mieux encore, avaient
pour cible directe les droits propres d’associé de M. Diallo «en tant que

68 AHMADOU SADIO DIALLO SEP .OP .MAMPUYA ) 646

grace fall outside the scope of the obligation to exhaust local remedies on

the ground that they reflect nothing more than mercy or a favour, as the
Judgment implies (Judgment, para. 47). This is important because, if it is
true, as Guinea contends, that “scholarly opinion has always been hos-
tile” to remedies of grace, another, equally credible, school of thought
holds that remedies sought from administrative authorities are generally

recognized, together with contentious remedies, to be effective local rem-
edies required to be exhausted: according to P. Daillier and A. Pellet, an
individual having suffered from a wrongful act must have “exhausted all
local remedies — both of grace and contentious — provided for and avail-
able in the State’s legal order..”.( Droit international public , 2002,

p. 812; emphasis added). Moreover, although the Judgment implies that
remedies of grace exist in several forms, it cannot help but be observed
that, owing to the very nature of a remedy of grace, the outcome of a
petition for one, unlike that of an application in a legal action, lies within

the discretion of the competent administrative authority and this should
not detract from its value as a remedy.
As for the violation of Mr. Diallo’s direct rights as associé, dealt with
“as a direct consequence of his expulsion”, it would undoubtedly also
have been useful to show more explicitly, but without necessarily address-

ing the merits in depth, the claimed link between the expulsion and the
violation of Mr. Diallo’s direct rights as associé. The discussion would
then have dealt with the question, at the very least as a point to be proved
in the merits phase, whether or not the DRC’s actions were specifically
aimed at the direct rights. In fact, since the direct rights of an associé can

only be exercised vis-à-vis the company in which the individual is associé,
third parties can only be concerned where the complained-of acts are, in
the words of the Court in the Barcelona Traction case, “aimed at the
direct rights...as such”, thus ruling out cases of indirect or collateral
impact, or where the State interferes in the operation of the company or

in its relations with its associés. This can be seen in the Arbitral Award in
the case concerning Salvador Commercial Co. (RIAA, Vol. XV, pp. 474-
475), which gives logical examples of interference, such as arbitrarily
replacing directors, calling meetings of a company’s management bodies
in violation of the rules or without notifying majority shareholders, refus-

ing to allow certain shareholders to inspect corporate records, and other
acts similar in nature. Yet there has been no allegation by Guinea, not
even one which it reserved the right to prove in the merits phase, that the
DRC committed internationally wrongful acts “aimed at [Mr. Diallo’s]
direct rights as associé as such”; it merely cited the effect of an action

taken against Mr. Diallo as an individual, not against his directs rights as
associé. The different approach taken by Guinea, and accepted by the
Court, was to refrain from seeking to determine whether the com-
plained-of actions by the DRC concerned or, better yet, specifically tar-
geted, Mr. Diallo’s direct rights as associé “as such” or whether this was

merely a collateral effect of a measure aimed solely at Mr. Diallo as an
individual; it attached no importance to the fundamental distinction

68647 AHMADOU SADIO DIALLO (OP .IND .MAMPUYA )

tels» ou s’il ne s’agit que d’un effet collatéral d’une mesure visant

uniquement l’individu M. Diallo; elle ne fait aucun cas de la distinction
essentielle établie par la Cour elle-même dans l’affaire de la Barcelona
Traction.Ilyal comme une insinuation que la RDC ne cherchait par
cette expulsion qu’à violer les droits propres d’associé, insinuation se
comprenant ainsi qu’un procès d’intention, auquel je ne peux adhérer,

fait au défendeur en lui attribuant, comme arrière-plan d’une mesure
frappant clairement un individu, une intention invérifiable d’atteindre
non pas l’individu lui-même mais ses droits propres d’associé. Ce faisant,
la Cour a implicitement entériné, au détriment de la formulation claire et
juridiquement précise de son arrêt dans l’affaire de la Barcelona Traction

— «actes dirigés contre les droits propres des actionnaires en tant que
tels» —, celle de la CDI à l’article 12 de son projet — fait qui «porte
directement atteinte aux droits des actionnaires en tant que tels» (les ita-
liques sont de moi); c’est en effet cette dernière, trop large et ouvrant une

véritable boîte de Pandore, qui a inspiré l’argumentation guinéenne qui
traite «la violation alléguée des droits propres de M. Diallo en tant
qu’associé comme une conséquence directe de son expulsion», argumen-
tation que la Cour reprend à son compte (arrêt, par. 74).
Un autre aspect est à retenir sur l’exception de non-épuisement des

recours internes s’agissant des droits propres d’associé. Tout en précisant
que les Parties «se sont limitées ... à l’examen des recours ouverts aux
sociétés ... sans aborder ceux éventuellement ouverts à M. Diallo en tant
qu’associé» (ibid.), la Cour rejette néanmoins l’exception congolaise sur
une motivation qui note l’absence d’une démonstration par la RDC, que

ni la requête ni le déroulement de la procédure ne permettent d’exiger du
défendeur, de l’existence de voies de recours «qui auraient été distinctes
de celles relatives à son expulsion» (ibid.) et, donc, estimant qu’il n’existe
pas de recours contre l’expulsion, elle en déduit qu’il n’en existe pas non
plus contre les éventuelles violations des droits d’associé. En tout cas, la

démonstration qui aboutit à cette assimilation entre expulsion, même
considérée comme source des violations alléguées des droits propres
d’associé, et ces dernières n’est pas convaincante. Mais la Cour a éludé la
difficulté devant laquelle elle se trouvait du fait qu’aucune conséquence
déterminante logique et raisonnable ne peut être tirée du silence des deux

Parties concluant à l’existence ou à l’inexistence de voies de recours pro-
pres aux droits d’associé; elle le fait en décidant que,

«[d]ans la mesure où il n’a pas été avancé qu’il existait des voies de
recours internes que M. Diallo aurait dû épuiser en ce qui concerne
ses droits propres en tant qu’associé, la question de l’efficacité de
ces voies de recours, en tout état de cause, ne se pose pas»

(ibid.).
Cette assimilation rapide ne semble pas pouvoir aller de soi; en effet,

les voies de recours contre l’expulsion, spécifiques du fait de la nature
même de l’expulsion en tant que relevant du contentieux administratif, ne

69 AHMADOU SADIO DIALLO (SEP.OP .MAMPUYA ) 647

drawn by the Court itself in the Barcelona Traction case. This is akin to

insinuating that the DRC’s intent in expelling Mr. Diallo was precisely to
violate his direct rights as associé; the insinuation is tantamount to hold-
ing the Respondent responsible — and I cannot countenance this — not
for its acts but for its supposed motives, ascribing to it, as the impetus for
an action clearly taken against an individual, an unascertainable motive

to strike not at the individual himself but at his direct rights as associé.In
so doing, the Court has, in preference to the clear and legally precise lan-
guage in its Judgment in the Barcelona Traction c se—a nat...
aimed at the direct rights of the shareholder as such” —, implicitly rati-
fied the ILC’s formulation in Article 12 of its draft — an act which

“causes direct injury to the rights of shareholders as such” (emphasis
added). Indeed, it is this latter, over-broad interpretation, opening a veri-
table Pandora’s box, that informed Guinea’s argument dealing with “the
alleged violation of Mr. Diallo’s direct rights as associé ...asa direct

consequence of his expulsion”, reasoning which the Court then adopted
as its own (Judgment, para. 74).

Another point concerning the objection based on failure to exhaust

local remedies bears noting in respect of the direct rights as associé.
While observing that the Parties “have confined themselves...to exam-
ining remedies open to Africom-Zaire and Africontainers-Zaire, without
considering any which may have been open to Mr. Diallo as associé”
(ibid.), the Court nevertheless rejects the Congo’s objection pursuant to

reasoning premised on the DRC’s failure to show that remedies “distinct
from those in respect of Mr. Diallo’s expulsion” (ibid.) existed, even
though neither the Application nor anything else in the proceedings pro-
vides a basis for requiring such a showing by the Respondent. Accord-
ingly, having taken the view that there are no remedies against expulsion,

the Court concludes that there are likewise none against any violations of
rights as associé. In any event, the reasoning that thus leads to equating
expulsion and alleged violations of direct rights as associé, even where
expulsion is deemed the source of the alleged violations, is unpersuasive.
But the Court has got round the difficulty created for it by the fact that

no conclusive, logical inference as to the existence or non-existence of
remedies specific to rights as associé can reasonably be drawn from the
Parties’ silence; it has done so by deciding:

“Inasmuch as it has not been argued that there were remedies that
Mr. Diallo should have exhausted in respect of his direct rights as
associé, the question of the effectiveness of those remedies does not
in any case arise.” (Ibid.)

This facile assimilation is not self-evident; remedies against expulsion,

which are specific owing to the nature itself of expulsion as a matter for
the administrative courts, are not the same as those to protect direct

69648 AHMADOU SADIO DIALLO (OP .IND .MAMPUYA )

sont pas les mêmes que celles destinées à protéger les droits propres de
l’associé, qui sont les voies de recours qu’organise le droit congolais
comme le montre le cas d’espèce avec les recours exercés par les deux
sociétés, démonstration tentée par le défendeur dans une argumentation

que l’arrêt présente à son paragraphe 69. La prise en compte d’une dif-
férence entre expulsion et droits propres d’associé ainsi que de la distinc-
tion des contentieux (administratif ou commercial) relatifs aux deux
matières aurait dû conduire la Cour à ainsi reconnaître l’existence de
voies de recours en droit congolais en matière commerciale qui se prê-

taient aux violations alléguées des droits propres d’associé et à en exami-
ner l’efficacité, quitte à conclure, à cet égard, qu’elles sont inefficaces.
En tout état de cause, le principe de l’identité et de la continuité de
l’objet du litige que nous avons évoqué plus avant est ainsi au cŒur de la
logique et du bien-fondé de la règle de l’épuisement préalable des voies de

recours internes. Dans la mesure où la réclamation internationale de
l’Etat de nationalité ne fait qu’endosser la réclamation déjà portée et trai-
tée devant le juge interne ou les autorités de l’Etat de résidence, un Etat
ne peut porter devant la juridiction internationale, au nom d’un particu-

lier, une cause toute nouvelle dont n’ont jamais été saisies les autorités
nationales de l’Etat de résidence, et qui ne leur a jamais été notifiée. De ce
point de vue, le litige sur les droits propres d’associé de M. Diallo est un
nouveau litige qui a fait brutalement irruption directement devant la
Cour; il est clair, en ces circonstances, qu’il n’a pu avoir fait l’objet de

recours internes qui auraient dû au moins être tentés. Tout en sachant
qu’un recours, quel qu’il soit, n’est pas réputé efficace uniquement quand
l’intéressé obtient satisfaction et inefficace quand il est débouté, au moins
«une tentative aurait dû être faite pour épuiser ces recours, si éventuels et
théoriques qu’ils pussent être» , pour citer le juge Lauterpacht (Certains

emprunts norvégiens, exceptions préliminaires , arrêt, C.I.J. Recueil 1957 ,
p. 39, opinion individuelle du juge Lauterpacht).
Selon ce raisonnement, la Cour aurait pu retenir l’exception prélimi-
naire de non-épuisement préalable des voies de recours internes en ce

qu’elle a trait à la protection des droits propres dont M. Diallo est titu-
laire en tant qu’associé des sociétés Africom-Zaïre et Africontainers-
Zaïre.

(Signé) Auguste M AMPUYA .

70 AHMADOU SADIO DIALLO SEP .OP .MAMPUYA ) 648

rights of an associé, and Congolese law offers the latter remedies, as evi-
denced in the present case by the avenues of redress pursued by the two
companies. The Respondent sought to show this in an argument described
in paragraph 69 of the Judgment. Had the Court taken account of the

difference between expulsion and direct rights as associé and of the dis-
tinction between the types of litigation (administrative or commercial)
possible in these two subject-matters, it would have recognized the exist-
ence under Congolese law of commercial remedies suitable as redress for
the alleged violations of direct rights as associé and would have examined

their effectiveness, even if doing so might have led it to conclude that they
were ineffective in this context.
In any event, the previously discussed principle requiring identity and
continuity of the subject-matter of the dispute thus lies at the heart of the
logic and wisdom of the local remedies rule. Since the assertion of an

international claim by a national State is nothing more than the espousal
of a claim already referred to and dealt with by a domestic court or the
authorities in the State of residence, a State cannot, acting on an indi-
vidual’s behalf, seise an international court of a wholly new cause of

action never referred or notified to the national authorities of the State of
residence. The dispute as to Mr. Diallo’s direct rights as associé is just
such a new dispute, which sprang into existence directly before the Court.
Under the circumstances, it clearly could not have been the object of pro-
ceedings for local remedies, which at the very least should have been pur-

sued. While it is true that a remedy, any remedy, is not deemed effective
only where the party seeking it prevails and ineffective where that party
loses, at the very least, “however contingent and theoretical these rem-
edies may be, an attempt ought to have been made to exhaust them ”, to
quote Judge Lauterpacht (Certain Norwegian Loans, Preliminary Objec-

tions, Judgment, I.C.J. Reports 1957 , p. 39, separate opinion of Judge
Lauterpacht).
In line with this reasoning, the Court could have upheld the prelimi-
nary objection on account of non-exhaustion of local remedies in so far

as it concerns protection of Mr. Diallo’s direct rights as associé in Afri-
com-Zaire and Africontainers-Zaire.

(Signed) Auguste M AMPUYA .

70

Document file FR
Document Long Title

Opinion individuelle de M. le juge <i>ad hoc</i> Mampuya

Links