Opinion individuelle de M. Kreca, juge ad hoc

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091-20070226-JUD-01-11-EN
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457

OPINION INDIVIDUELLE DU JUGE AD HOC KREC uA

[Traduction]

TABLE DES MATIÈRES

Paragraphes
PARTIE I. QUESTIONS DE COMPÉTENCE 1-78

I. Considérations générales relatives à la règle de la res judicata 1-6
II. Le principe de la res judicata en ce qui concerne les décisions sur
la compétence 7-19
III. Application de la règle de la res judicata à l’arrêt de 1996 20-78

1. Conception de la règle de la res judicata 21-26
2. Appréciation erronée des conditions permettant l’application
de la règle en la présente affaire 27-29
3. Le jus standi en tant que condition processuelle autonome 30-31

3.1. La force juridique de la règle du jus standi 32-33
3.2. Differentia specifica entre jus standi et compétence de la
Cour ratione personae 34-36
4. Appréciation, par la majorité, de la qualité pour agir du
défendeur (jus standi) 37-47

5. Les effets de l’arrêt de 2004 47-60
6. La déclaration de 1992 61-74
7. La question de la partie défenderesse 75-78

PARTIE II. Q UESTIONS DE FOND 79-153
I. La convention sur le génocide en tant que droit applicable 79-105

1. L’intention génocidaire est une condition sine qua non du
crime de génocide 79-82
2. Degré de l’intention 83
3. La destruction 84-98

3.1. L’ampleur de la destruction 90
3.2. L’objet de la destruction 91-98
4. «Comme tel» 99-100
5. Le nettoyage ethnique au sens de la Convention 101-105

II. L’application de la convention sur le génocide en la présente
affaire 106-137

1. Observations générales sur les possibilités qui s’offraient à la
Cour en la présente affaire 107-110
2. L’interprétation des obligations des parties contractantes sur
le fondement de la convention sur le génocide 111-130

2.1. L’obligation de prévention 113-119
2.2. Le devoir corollaire d’agir 120-125

418 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KRECu ) 458

2.2.1. L’application de l’obligation de prévention en
l’espèce 123-125
2.3. L’obligation de ne pas commettre de génocide 126-129
2.4. L’obligation de punir 130

3. La question de la responsabilité 131-137
3.1. La Convention et la question de la responsabilité 131-137

III. La qualification juridique du massacre de Srebrenica 138-153

1. Les éléments de l’intention génocidaire 138-153
1.1. Le degré d’intention 138-139
1.2. Le type de destruction 140
1.3. Le groupe visé 141
1.4. En tout ou en partie 142-144
1.5. Comment conclure à l’intention de détruire 145-150

1.6. Le véritable sens juridique des décisions du TPIY dans
les affaires Blagoje´ et Krst´c 151-153

419 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND .KRECu ) 459

PARTIE I. QUESTIONS DE COMPÉTENCE

I. Considérations générales relatives à la règle de la res judicata

1. L’expression res judicata revêt plus d’un sens. Elle est employée

au sens d’une question tranchée par une décision judiciaire, à savoir
une décision qui ne saurait être contestée par des moyens juridiques
ordinaires et, également, au sens d’une décision qui est immuable et
irrévocable.

L’utilisation très large qui est faite de cette expression peut s’expliquer
par une certaine confusion quant à la nature même des décisions judi-
ciaires et de leurs effets tant subjectifs qu’objectifs. Parfois, et tout parti-
culièrement en ce qui concerne certains types de décisions, il n’est pas tenu
compte de la différence qui existe entre caractère irréfutable et caractère

irrévocable. Etant donné qu’il n’existe, dans le Statut et le Règlement de
la Cour, aucun moyen juridique ordinaire permettant à une partie non
satisfaite d’obtenir la réformation d’un arrêt, on peut dire que les arrêts
de la Cour sont en principe irréfutables. On ne saurait toutefois dire
qu’ils sont également irrévocables, en raison non seulement de la possi-

bilité de revision prévue à l’article 61 du Statut en tant que moyen juri-
dique extraordinaire, mais aussi de l’existence d’autres moyens judiciaires
figurant dans les règles qu’applique la Cour, tel le principe de la «com-
pétence de la compétence» en ce qui concerne les questions de compé-

tence, et les exceptions non préliminaires à la compétence de la Cour.
2. On peut distinguer deux aspects de la res judicata, telle qu’énoncée
dans le Statut de la Cour:

i) un aspect procédural qui veut que «[l]’arrêt est définitif et sans recours.
En cas de contestation sur le sens et la portée de l’arrêt, il appartient
à la Cour de l’interpréter, à la demande de toute partie» (art. 60);
et

ii) un aspect substantiel qui veut que «[l]a décision de la Cour n’est obli-
gatoire que pour les parties en litige et dans le cas qui a été décidé»
(art. 59).

3. L’effet principal de la règle de la res judicata, au sens procédural,
consiste à faire obstacle à toute contestation — c’est-à-dire qu’il est
impossible d’engager une nouvelle action judiciaire pour le même motif

(non bis in idem), tandis que son effet substantiel est principalement lié à
la validité juridique de la décision de la Cour en tant qu’application du
droit objectif à une question concrète particulière — pro veritate accipi-
tur — et, également, à l’impossibilité d’appliquer le principe stare decisis.

4. Ces deux aspects de la res judicata — aspect procédural et aspect
substantiel — ne se retrouvent pas nécessairement ensemble dans une
affaire donnée. Bien que chaque décision de la Cour — qu’il s’agisse d’un
arrêt ou d’une ordonnance — soit obligatoire à l’égard des parties, même
si ce n’est pas de la même manière, il ne s’ensuit pas nécessairement que

chaque décision de la Cour revêt un caractère définitif.

420 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KRECu ) 460

La relation entre ces deux aspects de la res judicata n’est ni intangible

ni définie à priori, dans la mesure où elle est le reflet de l’équilibre entre
les considérations qui sous-tendent chacun de ces aspects.

Les considérations qui sous-tendent l’aspect substantiel de la res judi-
cata servent essentiellement à protéger l’autorité de la Cour en tant
qu’organe judiciaire et la légitimité de ses décisions. Il est dès lors pos-
sible de dire que la force obligatoire des décisions de la Cour découle de

la nature même de sa fonction judiciaire, indépendamment du contenu
de ses décisions. Ainsi que la Cour l’a établi dans l’affaire du Cameroun
septentrional (C.I.J. Recueil 1963, p. 38), l’arrêt par lequel elle dit qu’il
est impossible de changer la situation juridique créée est également revêtu

de l’autorité de la chose jugée.
Les considérations qui sous-tendent la res judicata au sens procédural
sont, en fait, des considérations de sécurité et de prévisibilité juridiques
conjuguées à une bonne administration de la justice.

5. La distinction entre la nature d’une décision judiciaire et l’effet de
celle-ci découle de la différence existant entre la res judicata, au sens nor-
matif abstrait de l’expression, et sa mise en Œuvre dans le cadre du droit

régissant l’activité judiciaire de la Cour, c’est-à-dire son sens juridique
dans le cas d’espèce.
Bien que cette règle revête une importance fondamentale, puisqu’elle
fait partie du système juridique de toutes les nations civilisées, la res judi-

cata n’est certainement ni intangible ni considérée comme un deus ex
machina par les juridictions, y compris la Cour internationale de Justice.
La règle de la res judicata est mise en Œuvre dans le cadre du droit que
la Cour applique de pair avec d’autres règles de caractère objectif. Autre-

ment dit, la règle de la res judicata, à l’instar d’autres règles fondamen-
tales régissant l’activité judiciaire de la Cour, ne constitue qu’une partie
— aussi importante soit-elle — du cadre normatif dans lequel la Cour exerce
sa fonction et qui, dans son ensemble, détermine l’effet de ses décisions.

L’un des effets que les autres règles de caractère objectif peuvent avoir
sur celle de la res judicata peut se résumer comme suit: «le caractère défi-
nitif lui-même de la décision ... est plutôt une expression flexible qui
1
n’impose pas l’interdiction d’un réexamen» . Il semble clair que la revi-
sion faite dans les conditions énoncées à l’article 61 du Statut «constitue
une exception directe au principe de la res judicata, exception qui affecte
la validité de l’arrêt définitif» . Il semble également vrai que la mise

en Œuvre du principe de «la compétence de la compétence» et la présen-
tation d’exceptions non préliminaires à l’égard d’un arrêt par lequel
la Cour se déclare compétente peuvent entraîner la réformation d’un
certain type d’arrêts de la Cour, à savoir ceux portant sur les exceptions

préliminaires.

1 M. Reisman, Nullity and Revision, 1971, p. 341.
2 B. Cheng, General Principles of Law as Applied by International Courts and Tribu-
nals, 1953, p. 372.

421 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KRECu ) 461

6. A cet égard, aucun des moyens juridiques conçus ou susceptibles
d’être utilisés pour contester une question d’ores et déjà tranchée ne porte

atteinte à l’existence de la res judicata en tant que telle, car ces moyens
sont fondés sur l’autorité du droit que la Cour applique dans son en-
semble et ce, par le biais d’une décision obligatoire pour les parties, par
laquelle la décision antérieure de la Cour est réformée — judicum poste-

rior derogat priori. Etant donné que les effets de la res judicata s’at-
tachent uniquement aux décisions rendues lege artis, conformément
aux règles de procédure et de fond du droit appliqué par la Cour, l’on
pourrait dire que les exceptions au caractère définitif d’un arrêt de
cette dernière font partie intégrante de la règle de la res judicata.

En conséquence, dans le cadre du droit appliqué par la Cour, le carac-
tère définitif de ses arrêts peut être relatif ou absolu. Ce n’est que dans
cette dernière hypothèse que l’on peut considérer que le caractère définitif
est l’équivalent de la res judicata pour ce qui concerne l’irrévocabilité.

L’arrêt (sententia) et la res judicata, au sens de décision définitive et
irrévocable de la Cour, ne sont manifestement pas des notions identiques.
L’arrêt en tant que tel est res judicans, alors que la res judicata est causa
sinae finem controversiae accepit .

En tant qu’acte judiciaire, tout arrêt rendu par une juridiction peut
potentiellement être revêtu de l’autorité de la chose jugée, en ce sens qu’il
peut ou non devenir irrévocable, selon le résultat des procédures et
moyens conçus pour contester les décisions rendues par ladite juridiction.

Ainsi, le caractère intrinsèque de la res judicata constitue, en réalité,
l’aboutissement de l’autorité inhérente à toute décision de justice, le
moment où le «jugement passe en force de chose jugée» et devient exé-
cutoire.

II. Le principe de la res judicata en ce qui concerne les décisions sur la
compétence

7. Le plein effet de la règle de la res judicata est, en principe, attaché à

«une décision définitive d’un tribunal international» (Cour permanente
d’arbitrage, affaire de la Fonderie de Trail, Recueil des sentences arbi-
trales (RSA), vol. 3, p. 1950-1951). Dans son opinion individuelle en
l’affaire de la Compétence en matière de pêcheries , le juge Waldock a

déclaré que, «[a]ux termes de l’article 60 du Statut, l’arrêt est «définitif et
sans recours». Il tranche donc de façon définitive l’affaire portée devant
la Cour par la requête du 14 avril 1972» (C.I.J. Recueil 1974, p. 125,
par. 46) .

Il ne s’ensuit toutefois pas, a contrario, que les arrêts de la Cour
sur les exceptions préliminaires sont exclus du champ d’application

3A. V. Freeman, International Responsibility of States for Denial of Justice , 1938,
p. 975; B. Cheng, op. cit., 1953, p. 337; Schwarzenberger, International Law, I, 1949,
p. 454-455.

422 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND .KRECu ) 462

des articles 59 et 60 de son Statut. Pareille interprétation serait mani-

festement contraire à la solution générale retenue dans lesdits
articles.
8. Il semble que les effets des arrêts sur les exceptions préliminaires ou,

tout au moins, de certains types d’arrêts sur lesdites exceptions revêtent
— tant en ce qui concerne la force obligatoire que le caractère définitif de
la décision — un caractère particulier qui, dans une certaine mesure, dif-
fère des effets des arrêts rendus au fond.

Appliqué à un arrêt sur des exceptions préliminaires, le qualificatif
«définitif» signifie seulement que, une fois que cet arrêt est rendu, les
parties sont dans l’impossibilité de soulever des exceptions préliminaires
de quelque nature que ce soit qui conduiraient à la réactivation ou au

déclenchement de la procédure sur les exceptions préliminaires, telle que
visée à l’article 79 du Règlement de la Cour.
Les exceptions préliminaires ne constituent cependant pas, en tant que
telles, le seul moyen juridique existant dans le droit qu’applique la Cour

pour contester ses décisions. Il est par conséquent difficile de dire que la
décision rendue sur les exceptions préliminaires soulevées par l’une des
parties à un différend devant la Cour met un point final à la question de

la compétence, de sorte que celle-ci ne pourrait plus être soulevée. Dans
la jurisprudence de la Cour, et sur la base du paragraphe 1 de l’article 79
du Règlement, s’est développée la notion d’exception non préliminaire à
la compétence de la Cour, ce qui prouve, en soi, que la notion d’excep-

tion à la compétence est plus large que celle d’exception préliminaire. Il
peut également être procédé au réexamen d’une décision sur la compé-
tence en vertu du principe fondamental de «la compétence de la
compétence».

Tant qu’elle n’est pas functus officio dans une affaire, la Cour, en
tant que juridiction, a le pouvoir inhérent de rouvrir et de réexaminer
toute question de droit ou de fait déjà tranchée. Or, ce pouvoir serait
privé de toute substance s’il ne s’accompagnait pas du pouvoir de

réformer, dans certaines conditions, une décision juridictionnelle
antérieure.
9. Le fait d’attribuer, sans discernement, un caractère immuable à tout

arrêt relève de l’obsession et n’existe que dans certaines décisio4s ca-
duques de longue date et rendues du temps du droit langobarde. Depuis le
droit romain (en droit romain, le caractère de res judicata ne peut être
conféré qu’aux décisions définitives rendues au fond ), la solution adop-

tée est que, en principe, seules les décisions rendues sur le fond d’une
affaire sont revêtues de l’autorité de la chose jugée. Par exemple, en droit
français, les décisions rendues sur des questions incidentes ne sauraient

4
Le Capitula 370 Edictum Langobardorum disposait que les affaires jugées étaient
semper in eadem deliberatione debeant permanere , même si la décision pouvait être
réformée par une instance supérieure — Pugliese, Giudicato civile, Enciclopedia di
di5itto XVI, 1969, p. 158.
Pugliese, op. cit., 752; Kaser, Das römische Zivilprozessrecht , MCMLXVI, p. 504.

423 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND .KRECAu ) 463

acquérir l’«autorité de la chose jugée», à moins que cela ne soit indispen-
sable pour l’interprétation du dispositif de la décision au fond ou qu’elles
constituent le «soutien nécessaire» . En Italie, le pouvoir judiciaire tend

également à concevoir la res judicata comme s’attachant à la solution du
différend que les parties ont porté devant la juridiction concernée .E 7 n
Allemagne, le paragraphe 322 du Zivilprocessrechnung (Materielle

Rechtskraft) dispose que seules peuvent produire effet les décisions por-
tant sur une demande (Auspruch) formulée dans l’accusation ou la
contre-accusation.

En droit anglais également, la res judicata désigne la décision judiciaire
définitive rendue par la juridiction compétente en l’affaire, ou sur la ques-
tion en litige . En outre, le fait que la juridiction soit compétente est
9
considéré comme une condition de la validité de toute res judicata .
Dès lors, dans le droit des nations civilisées, prédomine l’idée que

l’application du principe de la res judicata est objectivement limitée aux
questions tranchées par une décision judiciaire définitive.
10. A cet égard, l’on peut considérer que les décisions sur les excep-

tions préliminaires sont de trois types:

— la décision par laquelle une exception préliminaire, indépendamment
de sa nature, est retenue et le différend prend fin ipso facto ;
— la décision par laquelle une exception préliminaire est rejetée et la

Cour se déclare compétente pour connaître du fond de l’affaire; et
— la décision par laquelle une exception préliminaire est considérée
comme n’ayant pas un caractère exclusivement préliminaire.

Seules les décisions sur les exceptions préliminaires en vertu desquelles
une exception est retenue possèdent les effets de la res judicata qui carac-

térisent une décision rendue sur le fond d’une affaire. Par opposition aux
deux autres types de décisions juridictionnelles — qui sont l’une et l’autre
en partie constitutives de l’affaire qui nous occupe — ce type de décision

juridictionnelle met fin à une affaire, revêtant ainsi le plein effet de la
règle de la res judicata qui s’attache à la décision définitive rendue dans
une affaire donnée. Certaines différences existent en ce qui concerne les

effets de la res judicata entre les deux derniers types de décisions sur les
exceptions préliminaires, d’une part, et les décisions sur le fond, d’autre
part.

11. La différence existant entre le caractère définitif des décisions juri-
dictionnelles, d’une part, et celui des décisions sur le fond, d’autre part,
est, en principe, de nature quantitative et non qualitative. Le caractère dé-

6 Perrot, Chose jugée, Répertoire de procédure civile et commerciale , 19558, 45,
78-87; Vincent, Procédure civile, 1978, p. 98, n
7 Pugliese, op cit., p. 834.
8 Bower, Turner et Handley, The Doctrine of Res Judicata, 1969, II, p. 1; Walker et
Walker, The English Legal System , 1885, vol. 6, p. 589.
9 Bower, Turner et Handley, op. cit.,p.92.

424 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KRECA ) 464
u

finitif des décisions juridictionnelles est plus relatif en raison du nombre
plus important de moyens juridiques par lesquels celles-ci peuvent
être contestées. En effet, outre la revision prévue à l’article 61 du Statut,

une décision juridictionnelle peut également être contestée, en cours de
procédure, par le biais d’une exception non préliminaire, à savoir, par
une exception à la compétence 10de la Cour soulevée après que la procé-

dure sur les exceptions préliminaires a pris fin par le prononcé d’un arrêt.
Dans la pratique des instances internationales, en particulier celle de la
Cour internationale de Justice, cette différence revêt un aspect qualitatif.

La possibilité de réformer des décisions sur le fond, par opposition aux
décisions juridictionnelles, est inexistante dans la jurisprudence de la
Cour internationale de Justice, contrairement à celle des tribunaux arbi-
traux .1

12. La question de savoir si une juridiction se trouve liée de manière
irrévocable par la décision qu’elle a rendue sur des exceptions prélimi-
naires a été soulevée pour la première fois dans l’affaire Tiedemann

(1926) dont a connu le Tribunal arbitral mixte germano-polonais.
Sedes materiae de la question, le tribunal a expliqué de manière suc-
cincte et convaincante que:

«[l]e Tribunal estime que, dans l’intérêt de la sécurité du droit, il
importe que ce qui a été jugé soit, en principe, tenu pour définitif.

Mais la question se présente sous un aspect tout particulier
lorsque le jugement préliminaire rendu est un jugement affirmant
la compétence du Tribunal et que celui-ci constate dans la suite, mais

avant le jugement au fond, qu’en réalité il est incompétent. En pareil
cas, s’il était obligé de se regarder comme lié par sa première déci-
sion, il serait amené à statuer sur une matière dont il reconnaît

cependant qu’elle échappe à sa juridiction. Et lorsque — comme en
l’espèce — il a entre-temps proclamé son incompétence dans des
causes identiques, il se mettrait en contradiction irréductible avec
lui-même en jugeant néanmoins au fond et il s’exposerait au risque

de voir l’Etat défendeur s’autoriser de l’aveu d’incompétence éma-
nant du Tribunal même pour refuser d’exécuter sa sentence.

En d’autres termes, pour rester fidèle au principe du respect de
la chose jugée, il devrait commettre un abus manifeste de pou-
voir.» 12

La Cour a également confirmé, dans sa jurisprudence, le principe sui-
vant lequel une juridiction qui connaît d’une affaire après qu’une décision

10
Le terme «compétence » est employé au sens générique, c’est-à-dire qu’il désigne le
lo11s standi in judicio et la juridiction spéciale.
J. L. Simpson et M. Fox, International Arbitration — Law and Practice , 1959, p. 250
et suiv.
12Von Tiedemann v. Polish State, Rec. TAM, t. VI, p. 997-1003; voir aussi CR 2006/44
(Varady).

425 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND .KRECu ) 465

a été rendue sur des exceptions préliminaires n’est pas liée de façon irré-

vocable par ladite décision.
13. Dans l’affaire Nottebohm (exception préliminaire), la Cour a rejeté
par son arrêt du 18 novembre 1953 l’exception préliminaire d’incompé-
tence soulevée par le Guatemala et a poursuivi la procédure sur le fond
(C.I.J. Recueil 1953, p. 124). Le Guatemala a cependant soulevé plu-

sieurs exceptions à la recevabilité, dans son contre-mémoire, puis dans sa
réplique et au cours de la procédure orale sur le fond, mais les a consi-
dérées comme étant subsidiaires à l’objet du différend. Dans son arrêt du
6 avril 1955, la Cour a retenu l’une de ces exceptions — laquelle avait
trait à la recevabilité de la demande du Liechtenstein — au motif que, au

moment de la naturalisation, aucun «lien effectif» n’existait entre Notte-
bohm et le Liechtenstein (C.I.J. Recueil 1955, p. 4-65).
L’affaire Nottebohm peut être prise pour exemple de la réformation
d’un arrêt sur des exceptions préliminaires à la suite d’une exception non

préliminaire soulevée par le défendeur.
14. Les affaires du Sud-Ouest africain (deuxième phase) illustrent,
quant à elles, la réformation d’un arrêt sur des exceptions préliminaires à
la suite d’une décision proprio motu de la Cour.
Lors de la phase relative aux exceptions préliminaires (C.I.J.

Recueil 1962, p. 319), la Cour a rejeté quatre exceptions soulevées par
l’Afrique du Sud, parmi lesquelles l’exception concernant la qualité du
demandeur à ester devant elle (locus standi) et le fait qu’il ait un intérêt
juridique en cause. L’Afrique du Sud a notamment fait observer que,

«[d]euxièmement, ni le Gouvernement de l’Ethiopie ni le Gouver-
nement du Libéria ne sont «un autre Membre de la Société des
Nations», ainsi que l’article 7 du Mandat pour le Sud-Ouest africain
l’exige pour qu’il y ait locus standi ; [t]roisièmement, ... plus parti-

culièrement en tant qu’aucun intérêt concret des Gouvernements de
l’Ethiopie et/ou du Libéria ... n’est en cause ou n’est affecté en
l’espèce» (ibid., p. 327).

Lors de la phase du fond, la Cour est revenue sur la décision prise dans
l’arrêt de 1962 et a indiqué que, en réalité, les demandeurs n’avaient pas
qualité pour agir (C.I.J. Recueil 1966, p. 36-38). Plus précisément, dans
son arrêt du 21 décembre 1962 sur les exceptions préliminaires, la Cour a

notamment dit que
«[l]a portée et l’objet manifestes des dispositions de cet article
indiquent en effet qu’on entendait par là que les Membres de la

Société des Nations eussent un droit ou un intérêt juridique à ce que
le mandataire observât ses obligations à la fois à l’égard des habi-
tants du territoire sous Mandat et à l’égard de la Société des Nations
et de ses Membres»,

et que,

«[i]l va de soi que la protection des intérêts concrets des Membres ou
de leurs ressortissants est comprise dans ce cadre, mais le bien-être et

426 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND .KRECu ) 466

le développement des habitants du territoire sous Mandat ne sont pas

moins importants »( Sud-Ouest africain, exceptions préliminaires,
arrêt, C.I.J. Recueil 1962 , p. 343-344; les italiques sont de moi).

La Cour a, pour l’essentiel, justifié être revenue sur sa conclusion anté-
rieure en rappelant la nature de la décision rendue sur les exceptions pré-
liminaires. Elle a notamment déclaré:

«La Cour n’estime pas nécessaire de se prononcer sur les divers
points qui ont été soulevés au sujet d’une telle forclusion, comme le
point de savoir si une décision sur une exception préliminaire a force
de chose jugée au sens propre du terme, si elle constitue une «déci-
sion» aux fins de l’article 59 du Statut ou si elle est «définitive» au

sens de l’article 60. L’essentiel est qu’en aucun cas une décision sur
une exception préliminaire ne saurait empêcher l’examen d’une ques-
tion relevant du fond, que celle-ci ait été en fait traitée ou non à pro-
pos de l’exception préliminaire. »( C.I.J. Recueil 1966, p. 36-37,
par. 59; les italiques sont de moi.)

Toutefois, raisonnant plus avant sur l’effet de forclusion de l’arrêt de 1962,
la Cour a défini — bien qu’indirectement — les décisions juridictionnelles

de la manière suivante:
«Les décisions interlocutoires ne pouvant préjuger les questions de
fond, il ne saurait y avoir d’opposition entre la décision admettant

que les demandeurs avaient qualité pour invoquer la clause juridic-
tionnelle ... et la décision d’après laquelle les demandeurs n’ont pas
établi la base juridique de leur demande au fond .» ( Ibid.,p .,
par. 61; les italiques sont de moi.)

Lors de la phase du fond, la Cour est revenue sur la décision prise dans
l’arrêt de 1962 et a conclu que, en réalité, les demandeurs n’avaient pas
qualité pour agir (C.I.J. Recueil 1966, p. 36-38).

15. Le fondement juridique permettant le réexamen d’une décision sur
des exceptions préliminaires et, éventuellement, la réformation d’une
déclaration de compétence, repose sur le pouvoir inhérent de la Cour
d’établir sa propre compétence (à savoir, le principe de la «compétence
de la compétence»), au sens étroit comme au sens large.

Au sens étroit, tel que l’exprime le paragraphe 6 de l’article 36 du Sta-
tut, la Cour rend des décisions juridictionnelles en cas de désaccord entre
les parties sur sa compétence. Les décisions juridictionnelles qu’elle rend
en vertu du paragraphe 6 de l’article 36 sont de deux types: les arrêts sur
les exceptions préliminaires soulevées en vertu de l’article 79 du Règle-

ment; et les décisions rendues sur des exceptions non préliminaires. Les
décisions sur des exceptions non préliminaires ont pour spécificité d’être
prises lors de phases de la procédure autres que celle consacrée aux excep-
tions préliminaires, généralement lors de la phase qui devrait porter sur le
fond et qui, dans la pratique de la Cour, donne lieu à un arrêt sur la com-

pétence (affaire Nottebohm) ou simplement à un arrêt sur la deuxième
phase (affaires du Sud-Ouest africain). Cette dernière expression désigne

427 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KRECA ) 467
u

en réalité la deuxième phase relative à la compétence, étant donné qu’un
arrêt sur les exceptions préliminaires a déjà été rendu.
Toutefois, comme il est fréquemment fait observer, la Cour est tenue

de rester attentive à la question de sa compétence indépendamment de
l’attitude adoptée par les parties au litige. La Cour se conforme à cette
obligation en appliquant le principe de la «compétence de la compé-
tence» sous sa forme la plus large (affaire Nottebohm, C.I.J. Recueil 1953,
p. 120), en tant que fondement de toute action proprio motu de sa part.

Pour la Cour, «rester attentive» sans agir n’a aucun effet concret sur la
question fondamentale qui est de savoir si elle est compétente dans le cas
d’espèce. Compte tenu de sa compétence ex officio à partir du moment
où la procédure est introduite jusqu’à ce qu’elle prenne fin, la Cour prend

diverses décisions à cet égard. Plus précisément, pour elle, la «compé-
tence de la compétence»:

«n’est pas limitée au fait de vérifier dans chaque affaire si elle peut
connaître du fond... En étendant la portée de ce pouvoir [celui de la
«compétence de la compétence»] à toutes les questions relevant de

sa compétence incidente, la Co13 a fait de celui-ci sa fonction la plus
nettement pré-préliminaire.»

La saisine de la Cour, en tant que premier acte de nature procédurale,
implique la mise en Œuvre du principe de la «compétence de la compé-
tence» par une action proprio motu de la Cour. La nécessité de recourir
au principe de la «compétence» découle directement de ce que la saisine

de la Cour n’est pas la conséquence automatique de mesures dûment
prises par les parties à un différend, et que la saisine de la Cour n’est pas
un pur fait, mais un acte judiciaire lié à la compétence de celle-ci (voir
Nottebohm, exception préliminaire, arrêt , C.I.J. Recueil 1953, p. 122;

Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn
(Qatar c. Bahreïn), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil
1995, p. 23, par. 43).
Sans la mise en Œuvre du principe de la «compétence de la compé-

tence» en tant que principe du droit international général, il serait juri-
diquement impossible d’établir la compétence de la Cour pour indiquer
des mesures conservatoires, dès lors que, conformément à l’article 79 du
Règlement, les exceptions à sa compétence peuvent être soulevées dans le
délai fixé pour le dépôt du contre-mémoire, pour ce qui est du défendeur,

et dans le délai fixé pour le dépôt de la première pièce de procédure, pour
une partie autre que le défendeur. La mise en Œuvre du principe aboutit
alors à une présomption judiciaire en faveur de la compétence de la Cour,
sous forme d’une «compétence prima facie » (voir Licéité de l’emploi de

la force, exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2004 , opinion
individuelle du juge Krec ´a, par. 12).
16. Il apparaît que la particularité d’un arrêt rendu sur une exception

13Shihata, op. cit., p. 41-42; les italiques sont de moi.

428 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND .KRECu ) 468

préliminaire existe relativement aux deux aspects de la règle de la res judi-

cata, à savoir les caractères obligatoire et définitif de celle-ci.
Une impression de relativité particulière des décisions juridictionnelles
de la Cour se dégage de l’ensemble du droit régissant l’activité de celle-ci.
Les règles relatives aux exceptions préliminaires sont regroupées dans la

sous-section 2 de la section D du Règlement de la Cour, intitulée «Pro-
cédures incidentes». Le fait que les règles sur les exceptions préliminaires
soient ainsi placées dans le Règlement donne à penser, comme la Cour l’a
dit dans les affaires du Sud-Ouest africain (deuxième phase)

(C.I.J. Recueil 1966, p. 38, par. 61), que l’arrêt rendu sur une exception
préliminaire est «de caractère interlocutoire», ce qui implique qu’il est
provisoire et non définitif. De plus, le paragraphe 1 de l’article 79 du
Règlement qui prévoit que «[t]oute exception à la compétence de la Cour

ou à la recevabilité de la requête ou toute exception sur laquelle le défen-
deur demande une décision avant que la procédure sur le fond se pour-
suive» (les italiques sont de moi) exprime per se le caractère définitif
relatif de l’arrêt rendu sur des exceptions préliminaires. Cependant, les

exceptions préliminaires n’épuisent pas, en tant que telles, les exceptions
à la compétence de la Cour. Dès les années quatre-vingt, la jurisprudence
de la Cour, étayée par la pratique des Etats, s’est développée à l’effet que
la procédure formelle portant sur une exception préliminaire n’épuise pas
14
la question , et que les exceptions non préliminaires à la compétence
puissent elles aussi entraîner la réformation d’un arrêt rendu sur des
exceptions préliminaires, comme l’a démontré l’affaire Nottebohm. Les
exceptions non préliminaires à la compétence de la Cour donnent lieu à

l’application du principe de la «compétence de la compétence» compris,
comme je l’ai indiqué plus haut (Licéité de l’emploi de la force (Yougo-
slavie c. Belgique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2004 ,
par. 43-50), dans son sens étroit.

Enfin, le principe de la «compétence de la compétence» compris au
sens large de l’expression apparaît dans la disposition de la résolution
visant la pratique interne de la Cour en matière judiciaire selon laquelle
«la Cour peut procéder à l’examen de l’affaire au fond ou, au cas où ce

stade est déjà atteint, sur la question globale de savoir si en définitive la
Cour est compétente ou la demande recevable » (art. 8, al. ii), point b);
les italiques sont de moi). Il apparaît clairement que la «question glo-
bale» est «une question qui se serait normalement posée après que toutes

les questions qui la précèdent et le fond ont été débattus (c’est-à-dire que
chaque phase a donné lieu à une décision )» . 15
17. S’agissant de la force obligatoire d’un arrêt sur des exceptions pré-
liminaires, il apparaît clairement que pareille décision ne crée pas d’obli-

14Voir Shabtai Rosenne, «The Reconceptualization of Objections in the ICJ», Com-
municazioni e studi, vol. 14, 1975, p. 735-761.
15Shabtai Rosenne, Procedure in the International Court. A Commentary on the 1978
Rules of the International Court of Justice , 1983, p. 232; les italiques sont de moi.

429 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND .KRECu ) 469

gations juridiques stricto sensu, obligations que les parties à l’instance

seraient tenues de respecter. La partie qui a soulevé une exception préli-
minaire rejetée par la Cour ne subit aucune conséquence juridique si, par
exemple, elle décide de ne pas prendre part à la procédure pour laquelle
la Cour s’est déclarée compétente. Un arrêt affirmatif rendu lors de la

phase des exceptions préliminaires crée pour la partie en question une
charge processuelle et non une obligation juridique stricto sensu. Par
ailleurs, le demandeur n’a pas non plus d’obligation juridique de conti-
nuer à plaider sa cause. Alors qu’une décision juridictionnelle affirmative

crée une charge processuelle pour le défendeur, elle ne crée, à l’égard du
demandeur, qu’un pur droit processuel qu’il utilise en toute discrétion
(discretio legalis) sans subir de sanction quelconque dans le cas où il ne
se conformerait pas à la lettre de ladite décision.

De fait, un arrêt affirmatif rendu dans la phase des exceptions prélimi-
naires crée un devoir pour la Cour de poursuivre la procédure au fond,
mais son action judiciaire à cet égard dépend des propres actions des
parties à l’affaire.

Contrairement à un arrêt sur la compétence, un arrêt sur le fond a un
effet obligatoire en ce sens qu’il crée des obligations juridiques à l’égard
des parties, de sorte qu’«aucune des Parties ne saurait s’affranchir
unilatéralement de l’obligation qui lui incombe en vertu du droit inter-
16
national d’exécuter l’arrêt de bonne foi» .
18. Plusieurs raisons justifient le caractère plus relatif des décisions
juridictionnelles de la Cour par rapport au caractère définitif des arrêts
rendus au fond.

Les questions de compétence ne sont pas, en principe, des questions
fondamentales des affaires dont la Cour est saisie, ni la raison d’être du
recours à celle-ci par les parties à un différend. La seule exception est
constituée par des affaires telles que celle de l’Appel concernant la com-

pétence du Conseil de l’OACI (C.I.J. Recueil 1972) , dans lesquelles la
Cour agit en tant que juridiction d’appel.
Les parties à un différend saisissent la Cour pour protéger un droit ou
un intérêt subjectifs au sens du droit positif, et non en raison de la ques-

tion de compétence en tant que telle. Un arrêt affirmatif sur les questions
de compétence n’est qu’une condition préalable nécessaire pour le règle-
ment de la question principale et il se rapporte au droit positif, en ce sens
qu’il confère ou impose aux parties un droit ou une obligation juridique

de nature positive ou négative. En ce sens, un arrêt sur les questions juri-
dictionnelles est

«de nature purement déclaratoire, sans pouvoir jamais revêtir le
caractère constitutif et attribuer à la Cour elle-même une juridiction
qui ne trouverait pas d’appui dans les règles juridiques, soit géné-

rales, soit particulières, applicables» (Certains intérêts allemands en

16Société commerciale de Belgique, arrêt, 1939, C.P.J.I. série78, p. 176.

430 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KRECA ) 470
u
o
Haute-Silésie polonaise, compétence, arrêt n 6, 1925, C.P.J.I. série A
n 6, opinion dissidente du juge Rostworowski, p. 32).

Autrement dit, un arrêt rendu sur des questions juridictionnelles a, par
nature, un caractère procédural et non substantiel et, partant, ses effets
sont de même nature. Une décision de cette nature ne crée pas de situa-
tion juridique nouvelle au sens du droit positif et ne prescrit pas non plus
d’agir d’une certaine manière puisqu’elle n’énonce pas la façon dont le

droit en litige entre les parties doit être appliqué. (Pour une classification
des décisions internationales, voir l’Encyclopedia of Public International
Law, vol. III, 1997, p. 33-34.)
Comme l’a indiqué la majorité de la Cour (arrêt, par. 116), la réforma-

tion par une juridiction, dans le cadre des prérogatives judiciaires dont
elle est investie, d’un arrêt portant sur sa compétence dans une affaire
pendante n’affecte pas de manière substantielle — si tant est qu’elle
puisse les affecter — la stabilité et la prévisibilité, en tant que principes

sur lesquels se fonde le caractère définitif de l’arrêt. Il en est ainsi parce
que l’objet de l’arrêt en question n’est pas constitué par les droits et obli-
gations de fond des parties. Etant donné qu’une décision juridictionnelle
affirmative habilite simplement à voir une demande examinée et tranchée
par la Cour, l’on peut difficilement dire que sa réformation peut avoir

pour conséquence de perturber les relations juridiques du droit positif. La
seule perturbation dont on pourrait parler en cas de réformation d’une
décision juridictionnelle affirmative est celle qui pourrait affecter la rela-
tion processuelle établie par la décision juridictionnelle. Une telle pertur-

bation concerne les attentes subjectives des parties à un différend et n’est
pas une question d’ordre public sous-tendant l’effet définitif de la déci-
sion rendue par la Cour.
Au contraire, si la Cour conclut, après avoir rendu une décision juri-
dictionnelle et avant de rendre sa décision sur le fond, que sa décision

était erronée pour quelque motif que ce soit, elle commettrait, en respec-
tant la règle de la res judicata, un excès de pouvoir manifeste. Ainsi, plu-
tôt que de renforcer la règle de la res judicata, insister sur le caractère
définitif des décisions juridictionnelles dans tous les cas porterait préju-

dice à cette règle, une telle insistance paralysant, voire frappant de nullité,
l’activité de la Cour en tant que juridiction qui dit le droit et en tant que
tribunal. En effet, outre les éléments intrinsèques de la règle de la res judi-
cata, il existe une condition extrinsèque fondamentale qui est que la déci-

sion de la Cour doit être valide du point de vue du droit substantiel et du
droit procédural.
Enfin, le caractère plus relatif des décisions juridictionnelles, du point
de vue de leur caractère définitif, résulte ou peut résulter de la mise en
Œuvre du principe de la «compétence de la compétence». Plus précisé-

ment, le principe de la «compétence de la compétence» joue exclusive-
ment pour les questions juridictionnelles.
19. Concrètement, le caractère relatif des décisions juridictionnelles,
notamment des arrêts sur les exceptions préliminaires conçus comme un

431 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KRECu ) 471

type formel de décision juridictionnelle, pourrait résulter du rapport

entre deux considérations de nature distincte:

i) des circonstances spéciales qui représentent un élément objectif tenant
à la justification légale imposant la réformation de la décision juridic-
tionnelle; et
ii) un élément subjectif qui implique que la juridiction est disposée à

connaître de la question.
En ce qui concerne ce dernier élément, bien que quelque peu excessive,

la conception selon laquelle «l’avenir du règlement judiciaire internatio-
nal, si ce n’est la paix dans le monde, peut paradoxalement dépendre de
la capacité de notre organe judiciaire suprême de dire qu’il s’est trompé» 17

est juste.

III. Application de la règle de la res judicata à l’arrêt de 1996

20. La position adoptée par la majorité quant à l’application de la res

judicata à l’arrêt rendu par la Cour en 1996 souffre de deux faiblesses
fondamentales:

a) une conception étroite et obsessionnelle de la règle de la res judicata ;
b) une appréciation erronée des conditions permettant l’application de
la règle en la présente espèce.

Il est donc possible de dire que la conception de la règle de la res judi-
cata ainsi que son application à l’arrêt de 1996 sont totalement erronées.

1. Conception de la règle de la res judicata

21. La majorité a réduit à un seul élément, à savoir sa force obliga-
toire, la structure binaire, dont les deux éléments sont intrinsèquement

liés, de la règle de la res judicata telle qu’elle est conçue dans les ar-
ticles 59 et 60 du Statut, alors même que la question cruciale en l’espèce
porte sur le caractère définitif de l’arrêt de 1996. A cet égard, il a été dit
que le «Statut ... énonce à son article 60 le principe de l’autorité de la

chose jugée sans l’assortir d’aucune exception» (arrêt, par. 119).
Pour l’essentiel, cette conception peut s’énoncer comme suit:

«L’article 59 du Statut, en dépit de sa formulation négative, a
pour élément central la proposition positive selon laquelle la décision
de la Cour est obligatoire pour les parties dans l’affaire qui a été
tranchée. L’article 60 du Statut dispose que l’arrêt est définitif et

sans recours; l’article 61 assortit la faculté des parties de demander
la revision de l’arrêt de strictes conditions de fond et de délais.»
(Arrêt, par. 115; les italiques sont de moi.)

17
W. M. Reisman, «Revision of West South Africa Cases — An Analysis of the
Grounds of Nullity in the Decision of 18 July 19o6 and Methods of Revision», The
Virginia Journal of International Law , 1966, vol. 7, n4.

432 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND .KRECu ) 472

Il y a, semble-t-il, dans ce raisonnement, confusion entre les caracté-
ristiques et les effets de la règle de la res judicata.

La force obligatoire de la décision de la Cour constitue incontestable-
ment son aspect de fond. Mais cette caractéristique de la décision de la
Cour n’implique pas nécessairement qu’elle est définitive, puisque cela
relève des effets procéduraux de la décision de la Cour.

En réalité, toute décision de la Cour, dès lors qu’elle exprime valable-
ment le pouvoir judiciaire, a force obligatoire. Dans la formule auctoritas
res judicata ou «autorité de la chose jugée», le terme «autorité» ne signi-
fie pas en soi «caractère définitif», mais désigne plutôt le poids ou crédit
particulier d’une décision judiciaire qui fonde le caractère définitif de

celle-ci. Le caractère définitif n’est jamais un attribut de l’autorité
elle-même. Il peut devenir l’attribut de l’autorité de l’arrêt une fois épui-
sées les voies juridiques, ordinaires ou extraordinaires, par lesquelles
il est possible de contester l’arrêt.

22. D’après la majorité, l’arrêt de 1996 aurait un caractère définitif car

«[l]e Statut prévoit, à cette fin, une seule procédure: celle de l’ar-
ticle 61, qui ouvre la possibilité de la revision d’un arrêt» (arrêt,
par. 120),

et, en outre,

«[s]ous la seule réserve de cette possibilité de revision, le principe
applicable est celui de la res judicata pro veritate habetur ,c eui
signifie que les conclusions d’un arrêt doivent, aux fins de l’affaire et
entre les parties, être considérées comme exactes, et ne sauraient être

remises en question au motif que des événements postérieurs feraient
planer sur elles des doutes » (arrêt, par. 120; les italiques sont de
moi).

Cette conception du caractère définitif des arrêts semble par trop res-
trictive, car elle ne prend, à l’évidence, pas en considération toutes les
voies juridiques dont disposent les parties et la Cour elle-même en vue du

réexamen de la question de la compétence. Dans le droit qu’applique la
Cour, il existe, outre la revision envisagée à l’article 61 du Statut, deux
moyens juridiques pertinents. Comme indiqué ci-dessus, il s’agit du prin-
cipe de la «compétence de la compétence» — tel que prévu au para-

graphe 5 de l’article 36 du Statut et en droit international général (Notte-
bohm, exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1953 , p. 119-120) — et
des exceptions non préliminaires à la compétence de la Cour.
23. Le principe de la «compétence de la compétence» est «absolument
18
indispensable à l’exécution des obligations» de toute autorité judiciaire.
Bien que, contrairement aux exceptions d’incompétence soulevées par les

18Commissaire Gore des Etats-Unis dans l’affaire Betsey (1797), J. B. Moore (dir.
publ.), International Adjudications, Ancient and Modern History and Documents , Modern
Series, vol. IV, p. 183.

433 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KREuA ) 473

parties, ce principe ne vise pas précisément à contester la compétence
de la Cour, son application, proprio motu ou à la suite d’une exception
soulevée par une partie, a toujours une incidence positive ou négative
sur la compétence de la Cour.

La faculté qu’a la Cour d’établir si elle est compétente, faculté qui
découle de ce principe de la «compétence de la compétence», est un droit
et une obligation inhérents qui ne connaît pas de limite (Compagnie
d’électricité de Sofia et de Bulgarie, arrêt, 1939, C.P.J.I. série A/B no 77,
opinion dissidente du juge Urrutia, p. 102-103). La Cour exerce ce pou-

voir du début à la fin de la procédure de sorte à établir si elle est compé-
tente ou non dans l’affaire en cause. En réalité, la Cour exerce ce pouvoir
de deux façons:

a) en prenant de manière informelle, et sans en faire état, une décision
prima facie sur la question de savoir s’il est satisfait aux conditions
processuelles de compétence, ce qui revient au fond à une présomp-

tion judiciaire de compétence;
b) en prenant une décision formelle sur la question de la compétence.

En ce sens, la faculté qu’a la Cour d’établir si elle a compétence dans
une affaire donnée équivaut semble-t-il à un pouvoir absolu, dans la
mesure où, même si elle déclare qu’elle n’est pas compétente en l’affaire

en cause, elle exerce ce pouvoir inhérent.
24. En conséquence, l’exercice de ce pouvoir ne saurait être limité
ratione temporis tant que la Cour n’est pas functus officio dans une
affaire. Le droit de rouvrir et de réexaminer la question de la compétence,
que ce soit proprio motu ou à la suite d’une exception d’incompétence

soulevée par une partie au différend, est inhérent à la faculté qu’a la Cour
d’établir si elle est compétente ad casum, comme cela a été clairement
démontré en l’affaire Nottebohm (par. 13 ci-dessus) et dans les affaires du
Sud-Ouest africain (par. 14 ci-dessus).

Cela ne signifie naturellement pas, comme il est à juste titre indiqué
dans l’arrêt, que «les décisions portant sur la compétence peuvent être
indéfiniment réexaminées» (arrêt, par. 118).
Il existe des limites claires, tant sur le plan temporel que quant au fond,
dans lesquelles les décisions sur la compétence peuvent être réexaminées.

Pour ce qui est des limites temporelles, une décision juridictionnelle peut
être réexaminée jusqu’à ce que la Cour devienne functus officio dans une
affaire donnée, tandis que les limites de fond ont trait à la nature des cir-
constances qui justifient le réexamen. Celles-ci doivent revêtir un carac-
tère spécial ayant une incidence sur la légalité, laquelle est l’intérêt prin-

cipal et l’objectif ultime des décisions judiciaires de toute juridiction, car

«[j]usqu’à ce que ses travaux prennent fin, la Commission est un tri-
bunal siégeant de manière ininterrompue, doté de tous les attributs
et fonctions d’une juridiction permanente. Quand la Commission a
mal interprété les éléments de preuve ou a fait une erreur dans ses

calculs, ou quand sa décision n’est pas compatible avec les résultats

434 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KREuA ) 474

de ses recherches ou encore quand la décision comporte une erreur
de droit importante, la Commission a non seulement le pouvoir mais
a l’obligation, aux fins d’accomplir correctement sa mission, de rou-
vrir et de réformer la décision en cause pour la faire correspondre

aux faits et aux règles juridiques applicables.» (Commission de récla-
mations mixtes — Etats-Unis d’Amérique et Allemagne, AJIL, 1940,
vol. 34, n 1, p. 154.)

Pareil pouvoir inhérent, voire obligation, découle de la nature même de la
fonction judiciaire, car, comme l’a dit le commissaire Owen Roberts, «[i]l
n’y a pas de tribunal digne de ce nom ou d’un quelconque respect qui

puisse permettre que sa décision demeure si de telles allégations sont fon-
dées» (ibid., p. 164).
25. Une interprétation abusivement restrictive de la règle de la res judi-
cata aboutit inévitablement à la conclusion surprenante selon laquelle:

«[s]ous la seule réserve de cette possibilité de revision, le principe

applicable est celui de la res judicata pro veritate habetur ,c eui
signifie que les conclusions d’un arrêt doivent, aux fins de l’affaire et
entre les parties, être considérées comme exactes, et ne sauraient être
remises en question au motif que des événements postérieurs feraient
planer sur elles des doutes » (arrêt, par. 120; les italiques sont de

moi).

En considérant que les conclusions de la Cour sont immuables même
quand des événements postérieurs font planer des doutes sur leur véra-
cité, la majorité ne tient aucun compte de l’aspect de légalité inhérent à la
règle de la res judicata.
Les événements postérieurs ne pouvant guère être considérés comme

un «fait nouveau» au sens de l’article 61 du Statut, il apparaît que la
Cour prend, en règle générale, des décisions ex jure proprio, sans tenir
compte du droit international, de sorte que la situation juridique établie
par elle est, ex definitione, la véritable situation en droit international.

Une telle conception ne peut que représenter un jusqu’au-boutisme
judiciaire qui ne saurait qu’aboutir à des résultats absurdes, ce qu’illustre
d’ailleurs bien la présente affaire.
Si les conclusions de la Cour doivent être considérées comme exactes,
indépendamment des doutes que des événements postérieurs peuvent

faire planer sur elles, la conclusion qui s’impose est que l’Etat défendeur
en la présente espèce est la République fédérale de Yougoslavie, puisque
la Cour en a décidé ainsi dans son arrêt de 1996, lequel est, d’après les
conclusions de la majorité, res judicata.

26. Une exception non préliminaire, en tant que moyen permettant de
contester un arrêt rendu sur des exceptions préliminaires, met en jeu le
principe de la «compétence de la compétence», conformément au para-
graphe 6 de l’article 36 du Statut.
Tel est précisément ce qui s’est passé en l’espèce.

En mai 2001, la République fédérale de Yougoslavie a communiqué un

435 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND .KRECu ) 475

document intitulé «Initiative présentée à la Cour aux fins d’un réexamen
d’office de sa compétence» à l’égard de la Yougoslavie, dans lequel elle

priait la Cour de dire et juger qu’elle n’était pas compétente ratione per-
sonae à son égard. L’argument sur lequel reposait cette demande était
que la République fédérale de Yougoslavie n’était pas partie au Statut de
la Cour avant son admission à l’Organisation des Nations Unies le
er
1 novembre 2000 et qu’elle n’avait pas été partie à la convention sur le
génocide (arrêt, par. 26). En outre, la Yougoslavie demandait à la Cour
de surseoir à statuer sur le fond tant qu’elle ne se serait pas prononcée sur
l’initiative (ibid.).
Dans une lettre en date du 3 décembre 2001, la Bosnie-Herzégovine

priait la Cour, notamment, de «répond[re] par la négative à la demande
formulée par le biais de cette «Initiative»» (arrêt, par. 28).
Prenant position sur cette question, la Cour a décidé, comme le montre
une lettre du greffier en date du 12 juin 2003, qu’elle ne pouvait sus-

pendre la procédure.
En ce qui concerne la question du réexamen de sa compétence en
l’affaire, il a notamment été indiqué que:

«comme l’a en fait relevé la Serbie-et-Monténégro dans l’«Initia-
tive» et comme elle l’a elle-même souligné dans le passé, la Cour est

autorisée à examiner des questions de compétence proprio motu,et
doit «toujours s’assurer de sa compétence» (Appel concernant la
compétence du Conseil de l’OACI, C.I.J. Recueil 1972 , p. 52). Il va
donc sans dire que la Cour ne se prononcera sur le fond de la présente

affaire qu’à condition d’avoir pu établir qu’elle a compétence; si la
Serbie-et-Monténégro souhaite présenter à la Cour des arguments
supplémentaires sur les questions de compétence lors de la procédure
orale au fond, elle est libre de le faire .» (Lettre du 12 juin 2003; les

italiques sont de moi.)

En résumé, la thèse de la majorité selon laquelle, «sous [la] seule
réserve de la possibilité de révision, le principe applicable est celui de la
res judicata pro veritate habetur » (arrêt, par. 120) apparaît contra factum
proprium.

2. Appréciation erronée des conditions permettant l’application de la
règle en la présente espèce

27. Les conditions dans lesquelles s’applique la règle de la res judicata

pourraient se diviser en condition intrinsèque et condition extrinsèque.
S’agissant de la condition intrinsèque, suivant la formule classique, la res
judicata s’applique uniquement lorsqu’il y a identité des parties (eadem
personae) et identité de la question en cause (eadem res). Ce dernier élé-

ment est parfois subdivisé en deux, l’objet (petitum) et les motifs invo-os
qués (causa petendi). Voir, par exemple, Interprétation des arrêts n 7
et 8 (Usine de Chorzów), arrêt n o11, 1927, C.P.J.I. série A n o 13, opi-

436 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KRECA ) 476
u

nion dissidente du juge Anzilotti, p. 23; Service postal polonais à Dant-
zig, avis consultatif, 1925, C.P.J.I. série B no 11,p.30.
La condition extrinsèque pour l’application de la règle de la res judi-

cata, à supposer que les éléments intrinsèques soient réunis, est constituée
par la validité de l’arrêt. Dans l’affaire de l’Effet de jugements du Tribu-
nal administratif des Nations Unies accordant indemnité , la Cour a clai-
rement énoncé la condition de la validité en interprétant la question que
lui avait posée l’Assemblée générale comme se rapportant «uniquement à

des jugements accordant indemnité rendus par le tribunal administratif
régulièrement constitué et agissant dans les limites de sa compétence sta-
tutaire» (C.I.J. Recueil 1954, p. 55).
28. La «longue marche» que la majorité de la Cour s’est imposée pour

régler la question du jus standi du défendeur a pris fin, après près de qua-
torze ans, lorsque la Cour a adopté, pour la troisième fois, une nouvelle
position, tout aussi incomplète que les deux précédentes. Autrement dit,
la majorité n’a pas répondu à la question qui constitue le sedes materiae

du complexe problème de compétence en l’espèce, celle de savoir si, en
vertu de l’article 35 du Statut de la Cour, le défendeur a ou non le droit
d’ester devant elle.
La première position adoptée par la Cour, laquelle est énoncée dans
l’arrêt de 1996, pourrait être qualifiée d’attitude tendant manifestement à

éluder la question. La majorité a tout simplement fermé les yeux sur la
question pertinente, comme si elle n’existait pas. La deuxième position
adoptée par la Cour, laquelle est énoncée dans l’arrêt rendu en l’affaire
de la Demande en revision de l’arrêt du 11 juillet 1996 en l’affaire relative

à’l Application de la convention pour la prévention et la répression du
crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions
préliminaires (Yougoslavie c. Bosnie-Herzégovine) (arrêt, C.I.J. Recueil
2003, p. 7), est une tentative d’élaboration d’une situation sui generis du
défendeur vis-à-vis de l’Organisation des Nations Unies pour la

période allant de 1992 à 2000. Il s’agit là d’une manière d’explication du
fait que le défendeur ait été tacitement considéré comme un Etat ayant
qualité pour ester devant la Cour. Dans le présent arrêt, la majorité a
formulé une troisième position, laquelle peut être qualifiée, quant au

fond, de retour à une nouvelle solution visant à éluder le problème. Plus
précisément, cette troisième position revient à accepter le fait incontes-
table que le défendeur a été admis sur décision des organes politiques
compétents de l’Organisation des Nations Unies en tant que Membre de
er
l’Organisation mondiale le 1 novembre 2000 (arrêt, par. 99), en qualité
de nouveau Membre, sans en reconnaître les conséquences qui s’imposent
quant au jus standi du défendeur et ce, sur le fondement d’une interpréta-
tion erronée de la règle de la res judicata.
Cela étant, dans un autre différend auquel a pris part la Serbie-et-

Monténégro, à savoir les affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la
force, la Cour a jugé que l’admission de la Serbie-et-Monténégro comme
Membre de l’Organisation des Nations Unies était décisive quant à la
question du jus standi.

437 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KRECu ) 477

Une aussi nette contradiction en ce qui concerne les conséquences juri-
diques de l’admission aux Nations Unies de la Serbie-et-Monténégro
quant à sa qualité à ester devant la Cour justifie peut-être le cynisme

d’Honoré de Balzac lorsqu’il fit observer que «[l]es lois sont des toiles
d’araignée à travers lesquelles passent les grosses mouches et où restent
les petites» .
29. La question du jus standi mérite d’être examinée de manière plus

détaillée, dans la mesure où elle revêt une importance cruciale en la pré-
sente affaire.

3. Le jus standi 20en tant que condition processuelle autonome

30. Le jus standi, dans sa relation à la compétence comprise dans son

sens classique en tant que pouvoir de la Cour de résoudre des différends
concrets, est une condition processuelle autonome et distincte. Dans son
sens qui se rapporte au fond, il représente un droit potentiel d’ordre géné-

ral que possède un Etat et en vertu duquel celui-ci, sous la réserve sup-
plémentaire de l’existence d’un instrument juridictionnel pertinent, peut
prendre part, en tant que partie, à une affaire soumise à la Cour, soit en
qualité de demandeur ou de défendeur, soit en tant que partie interve-

nante. En tant que tel, le jus standi est une condition processuelle géné-
rale et positive. Il est matérialisé lorsqu’un Etat qui a qualité pour agir
introduit une action en justice ou qu’une action est introduite contre lui

ou lorsque, conformément aux règles pertinentes de la Cour, ledit Etat
intervient à une instance pendante. Etant autonome, le jus standi est
propre à l’Etat, même si celui-ci n’est pas partie au différend ou à l’ins-
tance pendante devant la Cour.

Il n’existe aucun lien organique direct entre le jus standi devant la Cour
et la compétence de celle-ci. Ainsi que la Cour l’a indiqué dans les affaires
du Sud-Ouest africain (deuxième phase):

«C’est un principe universel, nécessaire et cependant presque élé-
mentaire du droit de la procédurequ’il faut distinguer entre ... le droit

de saisir un tribunal et le droit du tribunal de connaître du fond de la
demande.»( Sud-Ouest africain, deuxième phase, arrêt, C.I.J. Recueil
1966, p. 39, par. 64; Compétence en matière de pêcheries (République
fédérale d’Allemagne c. Islande), compétence de la Cour, arrêt,

C.I.J. Recueil 1973, p. 53, par. 11; les italiques sont de moi.)
En conséquence, la Cour n’acquiert pas eo ipso compétence dans un

différend donné simplement parce que les parties au différend ont qualité
pour ester devant elle; de même que, inversement, l’existence d’un instru-

19Honoré de Balzac, La Maison Nucingen (http://www.citationspolitiques.com/
recherche.php3?rechercheLes+lois+sont+des+toiles+d92araignE9es).
20L’expression «locus standi» ou «locus standi in judicio» est généralement utilisée.
L’expression «jus standi» semble néanmoins plus appropriée puisqu’elle porte directe-
ment sur le droit énoncé à l’article 35 du Statut. L’expression «locus standi» est utilisée

quand elle est, en tant que telle, employée dans la jurisprudence de la Cour.

438 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KRECu ) 478

ment juridictionnel pertinent en vigueur entre les parties au différend ne

signifie pas que lesdites parties ont qualité pour ester devant la Cour.
31. Par rapport à la question de la compétence, celle du jus standi est
par nature antérieure puisque c’est une condition préalable à l’établisse-
ment de la compétence de la Cour dans le cas d’espèce. Si un Etat (ou

plusieurs Etats) partie au différend n’a pas qualité pour agir, la Cour ne
peut juridiquement établir sa compétence, car «seuls les Etats auxquels la
Cour est ouverte peuvent lui conférer compétence» (Licéité de l’emploi de
la force (Serbie-et-Monténégro c. Pays-Bas), exceptions préliminaires,

arrêt, C.I.J. Recueil 2004 , p. 1030, par. 45). En outre, dans une telle
hypothèse, la Cour ne serait pas autorisée à examiner la question de sa
compétence ni à entreprendre un quelconque acte relatif au fond.
Non seulement un Etat dépourvu de jus standi ne peut être partie à une

procédure devant la Cour, mais encore celle-ci ne saurait stricti juris exer-
cer une quelconque action judiciaire — par opposition aux actions admi-
nistratives — à l’égard de cet Etat. La Cour ne saurait exercer, vis-à-vis
dudit Etat, le pouvoir qu’elle a d’établir si elle a compétence («compé-

tence de la compétence»), ni indiquer des mesures conservatoires, ni exer-
cer l’un quelconque des pouvoirs inhérents à sa fonction judiciaire.
Dès lors, les actes qu’accomplirait la Cour, à l’exception de ceux qui
visent à établir le jus standi d’un Etat à un différend, seraient non fondés

au regard du droit qu’elle applique. L’on ne saurait même pas dire de
pareils actes qu’ils ont été accomplis ultra vires, parce que l’effet d’un
acte ultra vires implique une appréciation du pouvoir judiciaire à l’égard
duquel la Cour commet un excès dans un cas concret; il s’agit plutôt d’un

sine vires puisqu’il s’agit d’actes factuels inexistants au regard du droit.
En conséquence, l’absence du jus standi entraînerait la nullité absolue
des décisions de la Cour censées revêtir une nature judiciaire.

3.1. La force juridique de la règle du jus standi

32. Le paragraphe 1 de l’article 35 du Statut est de caractère constitu-
tionnel et fait partie intégrante de l’ordre public établi par la Charte des
Nations Unies. En tant que telle, et considérée avec d’autres dispositions
du Statut de même nature, cette disposition représente un jus cogens , 21

qui n’est susceptible d’aucune modification, fût-ce par la Cour elle-même.
Par conséquent,

«la Cour se doit ... d’examiner la question pour tirer ses propres
conclusions indépendamment du consentement des parties, ce qui
n’est en aucun cas incompatible avec le principe selon lequel la
compétence de la Cour est subordonnée [au] consentement»

(Licéité de l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c. Pays-

21G. Schwarzenberger, «International Law as Applied by International Courts and
Tribunals», vol. IV, International Judicial Law , 1986, p. 434-435; R. Kolb, Théorie du jus
cogens international, Essai de relecture du concept , 2001, p. 344-348; Fachiri, The Per-
manent Court of International Justice , 1932, p. 63.

439 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KREuA ) 479

Bas), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2004 , p. 1027,

par. 35).

L’article 35 du Statut dispose:

«1) La Cour est ouverte aux Etats parties au présent Statut.

2) Les conditions auxquelles elle est ouverte aux autres Etats
sont, sous réserve des dispositions particulières des traités en vigueur,
réglées par le Conseil de sécurité, et, dans tous les cas, sans qu’il

puisse en résulter pour les parties aucune inégalité devant la Cour.»
(Les italiques sont de moi.)

La forme impérative des paragraphes 1 et 2 de l’article 35 du Statut
revêt un double sens, permissif et prohibitif.

D’une part, ces dispositions autorisent une partie au Statut, et un Etat
non partie au Statut — à condition que celui-ci accepte la juridiction

générale de la Cour conformément à la résolution 9 (1946) du Conseil de
sécurité —, à avoir accès à la Cour. Et, d’autre part, elles interdisent
l’accès à la Cour à un Etat non partie au Statut qui n’a pas accepté la
juridiction générale de la Cour conformément à la résolution 9 (1946) du
Conseil de sécurité.

Les effets combinés des paragraphes 1 et 2 de l’article 35 du Statut, lus
conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 34 du Statut, traduisent le
caractère limité du droit à la protection judiciaire devant la Cour inter-
nationale de Justice.
Ce droit limité fait partie de l’ordre public de l’Organisation des

Nations Unies dont la Cour est le principal organe judiciaire. Aux para-
graphes 1 et 2 de l’article 93, la Charte des Nations Unies dispose:

«1. Tous les Membres des Nations Unies sont ipso facto parties
au Statut de la Cour internationale de Justice.
2. Les conditions dans lesquelles les Etats qui ne sont pas

Membres de l’Organisation peuvent devenir parties au Statut de la
Cour internationale de Justice sont déterminées, dans chaque cas,
par l’Assemblée générale sur recommandation du Conseil de sécurité.»

Cet article doit être lu avec le paragraphe 1 de l’article 34 et les para-
graphes 1 et 2 de l’article 35 du Statut de la Cour, lequel est annexé «à
la présente Charte dont il fait partie intégrante» (article 92 de la Charte).

En tant que telles, les dispositions énoncées aux paragraphes 1 et 2 de
l’article 35 du Statut sont de nature obligatoire et la Cour est tenue de les
appliquer ex officio. En ce qui concerne l’élément temporel de l’applica-
tion de ces règles, compte tenu du caractère préalable de la question du
jus standi, la Cour est tenue d’établir la qualité pour agir des parties au

différend avant d’effectuer le moindre acte de procédure et d’en tenir
compte tout au long de l’instance. Il peut, par exemple, arriver qu’une

440 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KRECu ) 480

partie à l’affaire dont connaît la Cour cesse d’exister en tant qu’Etat au

cours de la procédure.
33. Le raisonnement ex lege de la Cour, dans la jurisprudence plutôt
modeste de celle-ci en matière de jus standi, apparaît dans l’arrêt qu’elle a
rendu dans l’affaire de la Compétence en matière de pêcheries (Répu-
blique fédérale d’Allemagne c. Islande) :

«[p]ar cette mention, le ministre des Affaires étrangères d’Islande
paraît laisser entendre que le moment auquel a été faite la déclara-
tion de la République fédérale d’Allemagne du 29 octobre 1971,
déposée au Greffe le 22 novembre 1971, n’est peut-être pas sans effet

sur la force obligatoire de l’accord constitué par l’échange de notes
du 19 juillet 1961 ou sur le droit de la République fédérale d’Alle-
magne d’ester devant la Cour. En ce qui concerne le premier point, il
est clair que la force obligatoire de l’accord conclu entre les deux

gouvernements, qui sera examinée dans le présent arrêt, n’a aucun
rapport avec la date à laquelle la déclaration requise par la résolution
du Conseil de sécurité du 15 octobre 1946 a été déposée au Greffe:
l’accord a pour but d’établir la compétence de la Cour à l’égard d’une
catégorie particulière de différends; la déclaration concerne l’accès à

la Cour d’Etats qui ne sont pas parties au Statut. Pour ce qui est du
second point, à savoir la question du droit de la République fédérale
d’ester devant la Cour, on doit noter qu’en application de la résolu-
tion du Conseil de sécurité tout Etat qui n’est pas partie au Statut
doit déposer une déclaration, laquelle peut avoir soit un caractère

particulier soit un caractère général, avant d’ester devant la Cour.
Cela a été fait. »( Compétence de la Cour, arrêt, C.I.J. Recueil 1973 ,
p. 53, par. 11; les italiques sont de moi.)

Le même raisonnement a été suivi par la Cour dans les affaires relatives

àlaLicéité de l’emploi de la force :

«[l]a question de savoir si la Serbie-et-Monténégro était ou non par-
tie au Statut de la Cour à l’époque de l’introduction des présentes
instances est une question fondamentale; en effet, si elle n’avait pas

été partie au Statut, la Cour ne lui aurait pas été ouverte en vertu du
paragraphe 1 de l’article 35 du Statut . En pareille situation, et sous
réserve d’une possible application du paragraphe 2 dudit article, la
Serbie-et-Monténégro n’aurait pu saisir la Cour de manière valable,
quel que soit le titre de compétence qu’elle puisse invoquer, pour la

simple raison qu’elle n’avait pas le droit d’ester devant la Cour .
La Cour ne peut exercer sa fonction judiciaire qu’à l’égard des
seuls Etats auxquels elle est ouverte en vertu de l’article 35 du Statut.
Et seuls les Etats auxquels la Cour est ouverte peuvent lui conférer
compétence.» (Licéité de l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro

c. Belgique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2004 ,
p. 299, par. 46; les italiques sont de moi.)

441 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KREuA ) 481

3.2. Differentia specifica entre jus standi et compétence de la Cour

ratione personae

34. Les deux notions, celle de jus standi et celle de compétence ratione
personae, ont pour caractéristique commune d’appartenir au corpus des
conditions requises aux fins de la validité d’une procédure — qu’elle soit

incidente ou sur le fond — devant la Cour, et de la possibilité de sou-
mettre un différend à la Cour pour qu’elle le tranche. Elles ont également
en commun d’être des conditions processuelles absolues qui doivent exis-
ter dans chaque cas particulier et d’être des conditions positives, en ce
sens que, s’il n’y est pas satisfait, la Cour ne peut connaître de demandes

formulées.
35. Les différences qui existent entre elles sont, toutefois, beaucoup
plus importantes et ce sont ces différences qui font d’elles des conditions
processuelles distinctes. Premièrement, elles reflètent les différents aspects
de la nature juridique de la Cour. Alors que la compétence ratione per-

sonae, qui est l’un des aspects pertinents de la compétence, exprime la
nature consensuelle de la juridiction de la Cour, le jus standi découle du
fait que la Cour internationale de Justice, contrairement aux tribunaux
arbitraux, n’est pas une juridiction totalement ouverte. L’accès à la Cour
est limité à deux égards sur le fondement du paragraphe 1 de l’article 34

et des paragraphes 1 et 2 de l’article 35 de son Statut. Troisièmement,
bien que la compétence ratione personae et le jus standi soient régis par
les règles du Statut ayant un caractère objectif et constitutionnel, il existe
une différence fondamentale dans l’application desdites règles. Les règles
du Statut qui ont trait au jus standi sont appliquées par la Cour ex lege,

alors que les règles correspondantes qui ont trait à la compétence ratione
personae sont appliquées sur la base du consentement des Etats parties au
différend. Dans l’arrêt qu’elle a rendu en les affaires relatives à la Licéité
de l’emploi de la force, la Cour a notamment indiqué que

«une question de compétence [est] liée au consentement d’une partie
et [que] celle du droit d’une partie à ester devant la Cour conformé-
ment aux prescriptions du Statut ... n’implique pas un tel consente-

ment» (Licéité de l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c.
Pays-Bas), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2004 ,
p. 1026, par. 35).

Dès lors, l’on peut dire, en substance, que la compétence de la Cour est
régie par le droit en vigueur entre les parties, tandis que le jus standi est
régi par les règles objectives du Statut en tant que tel.

Quatrièmement, la différence de nature existant entre le jus standi,
d’une part, et la compétence ratione personae, de l’autre, s’exprime, en
cours de procédure, dans les conséquences juridiques correspondant à
chacune de ces notions. Le défaut de jus standi produit un effet automa-
tique étant donné qu’il ne saurait, en principe, être surmonté au cours

d’une procédure devant la Cour, alors que le défaut de compétence
ratione personae peut, quant à lui, l’être puisque les parties peuvent

442 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KRECu ) 482

conférer compétence à la Cour lors de la procédure ou parfaire celle-ci

(par exemple par un accord exprès ou par forum prorogatum).
Dès lors, le défaut de compétence ratione personae, contrairement au
défaut de jus standi, ne fait pas obstacle à la validité de la saisine de la
Cour.
Cinquièmement, la compétence ou compétence spéciale en une affaire

donnée de la Cour internationale de Justice, en tant que juridiction semi-
ouverte dotée d’une compétence fondée sur le consentement des parties à
un différend, implique un consentement double de la part des Etats.
Ceux-ci

a) consentent à reconnaître la Cour en tant qu’«organe institué pour
«dire le droit»» (affaire du Détroit de Corfou, exception préliminaire,

arrêt, 1948, C.I.J. Recueil 1947-1948 , opinion dissidente du juge
Daxner, p. 39). Ce consentement est exprimé de manière indirecte,
par l’adhésion aux Nations Unies en tant qu’Etat Membre, ou directe,
pour ce qui concerne les Etats non membres des Nations Unies, soit
par l’adhésion au Statut de la Cour, soit par l’acceptation de la juri-

diction générale de la Cour conformément à la résolution 9 (1946) du
Conseil de sécurité, comme condition préalable; et
b) consentent à reconnaître que la Cour est compétente pour connaître
d’un différend particulier ou d’un type de différend donné et ce, sur le
fondement des bases de compétence pertinentes de l’article 36 du Sta-

tut, comme condition de fond éventuellement assortie de réserves.
Comme la Cour l’a dit dans l’affaire Nottebohm : «la saisine de la Cour

par voie de requête, dans le système du Statut, n’est pas ouverte de plein
droit à tout Etat partie au Statut, elle n’est ouverte que dans la mesure
définie par les déclarations applicables» (Nottebohm (Liechtenstein
c. Guatemala), exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1953 , p. 122).
Elle a ensuite développé ce principe dans les affaires relatives à la Licéité

de l’emploi de la force comme suit:
«Considérant qu’en vertu de son Statut la Cour n’a pas automa-

tiquement compétence pour connaître des différends juridiques entre
les Etats parties audit Statut ou entre les autres Etats qui ont été
admis à ester devant elle ... que la Cour ne peut donc exercer sa com-
pétence à l’égard d’Etats parties à un différend que si ces derniers ont
non seulement accès à la Cour mais ont en outre accepté sa compé-

tence, soit d’une manière générale, soit pour le différend particulier
dont il s’agit.» (Mesures conservatoires, ordonnance du 2 juin 1999,
C.I.J. Recueil 1999 (I), p. 549-550, par. 20; les italiques sont de
moi.)

36. Dans l’application des deux règles autonomes que sont la compé-
tence ratione personae et le jus standi — chacune ayant son objet et ses
effets propres —, la seconde a une priorité logique et normative. Le jus

standi, parce qu’il exprime le droit à la protection judiciaire, revêt un
caractère préalable et constitue une question préliminaire qui doit être

443 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KRECu ) 483

«examinée préalablement à toute question de compétence» (affaire du

Cameroun septentrional (Cameroun c. Royaume-Uni), exceptions préli-
minaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1963 , opinion individuelle de sir G. Fitz-
maurice, p. 105; les italiques sont dans l’original), étant donné que

«[l]a Cour ne peut exercer sa fonction judiciaire qu’à l’égard des
seuls Etats auxquels elle est ouverte en vertu de l’article 35 du Statut.
Et seuls les Etats auxquels la Cour est ouverte peuvent lui conférer
compétence.» (Licéité de l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro

c. Pays-Bas), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2004,
p. 1030, par. 45.)

4. Appréciation, par la majorité, de la qualité pour agir du défendeur
(jus standi)

37. La manière dont la majorité analyse la qualité pour agir du défen-
deur est assez confuse et nettement contradictoire, principalement parce
qu’elle cherche à concilier l’inconciliable.

En ce qui concerne la nature du jus standi, c’est-à-dire la question de
savoir si celui-ci est ou non une obligation processuelle autonome, la
majorité a adopté pour position que ce pouvait être «une question préa-
lable à celle de la compétence ratione personae, ou ... un élément consti-
tutif de la compétence ratione personae » (arrêt, par. 102).

Cette conclusion pourrait être considérée comme exacte si elle était en
rapport avec la terminologie utilisée pour les deux notions en question,
mais non dans le contexte dont il s’agit.
Si, comme nous l’avons indiqué, pour ce qui concerne le jus standi,
contrairement aux questions juridictionnelles, «ce n’est pas du consente-

ment des parties qu’il s’agit» (ibid.), alors il est manifeste que le second
élément ne joue pas. Comme toute autre obligation processuelle, le jus
standi ne peut pas reposer à la fois sur le consentement des parties et sur
les dispositions du Statut, qui ne relèvent pas du consentement, comme
cela a été précisé dans l’arrêt susmentionné rendu dans les affaires rela-

tives à la Licéité de l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c. Bel-
gique) (C.I.J. Recueil 2004, arrêt , p. 295, par. 36).
Après tout, poursuivant le raisonnement, l’arrêt définit le jus standi de
manière négative, comme une condition distincte, en disant que «la capa-
cité de se présenter devant la Cour ... constitue un élément du raisonne-

ment suivi dans l’arrêt de 1996, qui peut — et même doit — en toute
logique être sous-entendu dans celui-ci » (arrêt, par. 135; les italiques sont
de moi). Si le jus standi est effectivement un élément de la compétence
ratione personae, il n’est alors probablement pas nécessaire de chercher la
moindre «construction logique» permettant de constater dans l’arrêt sa

présence, bien qu’il ne soit pas expressément mentionné. Il semble toute-
fois que la situation juridique soit différente. Comme la Cour l’a dit dans
les affaires du Sud-Ouest africain :

«C’est un principe universel, nécessaire et cependant presque élé-

444 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND .KRECu ) 484

mentaire du droit de la procédure qu’il faut distinguer entre ... le

droit de saisir un tribunal et le droit du tribunal de connaître du
fond de la demande.» (Sud-Ouest africain, deuxième phase, arrêt,
C.I.J. Recueil 1966, p. 39, par. 64; Compétence en matière de pêche-
ries (Royaume-Uni c. Islande), compétence de la Cour, arrêt,
C.I.J. Recueil 1973, p. 53, par. 11.)

Le jus standi ne peut être conçu comme un élément de la compétence
ratione personae qu’au sens descriptif ou si la compétence ratione perso-
nae est considérée lato sensu comme englobant différentes notions juri-
diques énoncées aux articles 35 et 36 du Statut.

38. En la présente espèce, le problème pertinent n’est pas celui de la
compétence ratione personae, mais celui du droit de la Serbie à ester
devant la Cour. L’exception non préliminaire soulevée par la Serbie a
trait à son jus standi et non à la compétence ratione personae,etla causa

petendi est l’article 35 du Statut et non son article 36. En ce sens, la
conclusion énoncée par la Cour dans l’affaire du Droit d’asile semble
devoir s’appliquer. Dans ladite affaire, la Cour a notamment dit ceci:

«l’arrêt du 20 novembre n’a pas statué sur la question de la remise

du réfugié. Cette question est nouvelle... Par conséquent, il n’y a pas
chose jugée en ce qui concerne la question de la remise.»
(C.I.J. Recueil 1951, p. 80.)

Il est exact que le défendeur, alors même qu’il invoque son défaut de jus

standi, utilise également l’expression «compétence ratione personae ».
Mais cela peut difficilement servir d’excuse à la Cour, car se pose ici une
questio juris qui relève de la règle jura novit curia.
39. L’arrêt reconnaît très justement que la capacité de la République
fédérale de Yougoslavie à ester devant la Cour en vertu du Statut n’avait

«donn[é] lieu à aucune observation» dans l’arrêt de 1996 et que «[r]ien
n’était dit dans l’arrêt de 1996 sur ... la question de [l]a capacité de [la
République fédérale de Yougoslavie] à participer à une procédure devant
la Cour...» (arrêt, par. 122). La question est manifestement évidente.
Et elle n’est pas seulement évidente en ce qui concerne le dispositif de

l’arrêt. Les motifs de droit sur lesquels le dispositif repose sont essentiel-
lement limités à la question de savoir si les parties au différend auraient
pu être considérées comme des parties à la convention sur le génocide
(arrêt de 1996, par. 17-20). Ils sont également limités à quelques ques-
tions connexes comme la succession automatique à l’égard de certains

types de traités et conventions internationaux (ibid., par. 21 et 23), à la
nature de la convention sur le génocide (ibid., par. 22) et à la non-
reconnaissance du nexus contractuel entre les parties à un traité multi-
latéral (ibid., par. 25-26).
Par conséquent, les éléments de preuve paraissent irréfutables: l’arrêt

de la Cour du 11 juillet 1996 n’a évoqué ni dans le dispositif ni dans
les principes sur lesquels il se fonde — et a encore moins tranché — la

445 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND .KRECu ) 485

question de la qualité de la République fédérale de Yougoslavie à ester

devant la Cour.
En outre, rien dans les autres composantes de l’arrêt de 1996 — le som-
maire exposant les principales questions examinées, le résumé de la pro-
cédure, y compris les conclusions des parties — n’indique que la Cour ait
ne serait-ce qu’examiné la question.

Quoi qu’il en soit, la majorité n’a pas tiré les conséquences qui s’impo-
sent du factum proprium. Indépendamment des différences qui peuvent
exister quant à la conception de la règle de la res judicata en ce qui
concerne sa nature et ses effets, il faut encore compter avec les conditions
intrinsèques classiques permettant l’application de la règle en la présente

espèce. Et il est manifeste, d’après ce qu’estime la majorité elle-même, que
l’un des éléments — l’identité de la question posée eadem res — fait
défaut, ce qui empêche automatiquement la règle de s’appliquer à l’arrêt
de 1996.

40. L’arrêt a été élaboré par déduction, ce qui, outre une conception
curieuse de la règle de la res judicata, est supposé éviter les conséquences
qui découlent nécessairement du défaut de jus standi du défendeur en
l’espèce.
Les principaux éléments du raisonnement sont les suivants:

Revêtant l’autorité de la chose jugée, le dispositif de l’arrêt de 1996,
aux termes duquel «[la Cour] a compétence, sur la base de l’article IX de

la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide,
pour statuer sur le différend», a établi la compétence de la Cour en
l’espèce.

«Cette compétence est donc établie avec toute l’autorité juridic-
tionnelle de la Cour. Qu’une partie affirme aujourd’hui que, à
l’époque où l’arrêt a été rendu, la Cour n’avait pas compétence
pour statuer au motif qu’il apparaîtrait à présent que l’une des

parties n’avait pas qualité pour se présenter devant elle revient ... à
remettre en cause la force de chose jugée du dispositif de l’arrêt.»
(Arrêt, par. 123.)

Le fait que la Cour n’ait pas examiné, et encore moins tranché, la ques-
tion du jus standi du défendeur est sans importance, parce qu’il faut

«nécessairement [l]’interpréter comme signifiant en toute logique que
la Cour estimait à l’époque que le défendeur avait qualité pour par-
ticiper à des affaires portées devant elle. Sur cette base, la Cour a

alors formulé une conclusion sur sa compétence avec l’autorité de la
chose jugée.» (Arrêt, par. 132.)

Le raisonnement découlant de cette «interprétation» se poursuit, de
sorte que

«la conclusion expresse énoncée dans l’arrêt de 1996 selon laquelle
[la Cour] avait compétence ratione materiae en l’espèce ... n’est

446 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KRECu ) 486

conciliable, en droit et en toute logique, qu’avec l’idée que, à

l’égard des deux Parties, elle avait compétence ratione personae
au sens large — c’est-à-dire que la situation de l’une et de l’autre
était de nature à satisfaire aux conditions du Statut concernant
la capacité des Etats à se présenter devant la Cour» (arrêt,
par. 133).

Cette «interprétation» qui sous-tend le raisonnement exposé ci-dessus

constitue en réalité une tentative visant à faire entrer une décision de logi-
que, ou une décision obtenue par déduction, dans le domaine du raison-
nement judiciaire.
Vu la notion même d’arrêt, que «[r]ien n’était dit dans l’arrêt de 1996
sur ... la question de [l]a capacité de [la République fédérale de Yougo-

slavie] à participer à une procédure devant la Cour...» (arrêt, par. 122), et
compte tenu des dispositions relatives au contenu et à la structure des
arrêts, qui sont énoncées au paragraphe 1 de l’article 56 du Statut et au
paragraphe 1 de l’article 95 du Règlement, les considérations juridiques

sous-jacentes, voire le simple bon sens, l’interprétation de l’arrêt par la
seule logique est, à tout le moins, contradictio in adiecto. Cela vaut en
particulier pour ce qui concerne la question du jus standi dont on ne
peut en aucun cas dire qu’elle est tributaire de la question de la com-
pétence ratione personae — laquelle a été formellement tranchée —

ou bien qu’elle en est un simple aspect. Ce n’est pas seulement
une question distincte et autonome, c’est aussi une question qui
détermine les limites objectives du pouvoir judiciaire de la Cour,
c’est-à-dire la légalité de ses actes sur le plan du droit international
objectif.

41. Le libellé de l’arrêt donne à penser que la raison pour laquelle la
Cour n’a pas examiné et n’a pas tranché la question du jus standi du
défendeur tenait à la position adoptée à ce sujet par les parties au diffé-
rend, et tout particulièrement le défendeur.

«Rien n’était dit dans l’arrêt de 1996 sur ... la question de la capa-
cité [de la RFY] à participer à une procédure devant la Cour; ... les

deux Parties s’étaient abstenues de solliciter une décision sur ces
questions.» (Arrêt, par. 122.)

Le défendeur a soulevé sept exceptions préliminaires, mais «aucune de
ces exceptions ne reposait sur la thèse selon laquelle la RFY n’aurait pas
été partie au Statut au moment du dépôt de la requête; il ne s’agissait pas
là d’une thèse formulée expressément au stade des exceptions prélimi-

naires» (arrêt, par. 106).
Etant donné la nature de la question de la compétence, la raison invo-
quée n’est pas une excuse valable et n’a pas d’effet juridique à l’égard de
la question dont il s’agit.
42. Etant donné qu’«établir ou ne pas établir sa compétence n’est pas

une question qui relève des parties; elle est du ressort de la Cour elle-
même» (Compétence en matière de pêcheries (Espagne c. Canada), com-

447 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND .KRECu ) 487

pétence de la Cour, arrêt, C.I.J. Recueil 1998 , p. 450, par. 37; voir

également l’opinion individuelle de sir Arnold McNair dans la phase juri-
dictionnelle de l’affaire relative à l’Anglo-Iranian Oil Co., dans laquelle il
a déclaré qu’«[u]n tribunal international ne saurait considérer une

question de compétence comme une simple question inter partes »
(exception préliminaire, arrêt , C.I.J. Recueil 1952, p. 116)), l’existence
d’un désaccord entre les parties quant à la compétence au stade des
exceptions préliminaires n’est pas une condition nécessaire pour que

la Cour examine la question de sa compétence et, à fortiori, celle du
jus standi.
Les exceptions préliminaires soulevées par une partie ne sont qu’un
outil, un moyen conçu sur le plan procédural pour l’établissement de la

compétence de la Cour suo nomine et suo vigore, car la Cour a l’obli-
gation d’établir cette compétence ex officio. Le rôle juridique des pro-
cédures sur les exceptions préliminaires a été définie par la Cour dans
l’affaire relative aux Droits de minorités en Haute-Silésie (écoles minori-

taires) (ci-après dénommée «Ecoles minoritaires»):
«l’exception de la Partie ne fait qu’attirer l’attention du tribunal sur

une objection à la compétence qu’il doit examiner d’office »( Droits de
minorités en Haute-Silésie (écoles minoritaires), arrêt n o 12, 1928,
C.P.J.I. série A n 15, p. 23; les italiques sont de moi).

Ou bien, comme la Cour l’a dit dans l’affaire de la Convention sur le

génocide:
«[l]a Cour doit, dans chaque instance introduite devant elle, vérifier

si elle a compétence pour connaître de l’affaire et ... [les] exceptions
éventuellement soulevées par la partie défenderesse peuvent être
utiles pour clarifier la situation juridique» (exceptions préliminaires,
arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II) , p. 622, par. 46; les italiques sont de

moi).
Par conséquent, le fait que la Cour établisse sa compétence en l’espèce

n’est pas nécessairement lié au désaccord quant à sa compétence. Si la
Cour a l’obligation de vérifier qu’elle est bien compétente dans chaque
affaire dont elle connaît, qu’une exception préliminaire soit ou non sou-
levée à cet égard, les exposés des parties lors de la procédure n’ont pas, à

fortiori, une importance déterminante relativement à cette question. Si,
comme le précise Shabtai Rosenne dans un commentaire sur l’affaire de
l’Or monétaire pris à Rome en 1943 (ci-après dénommée «affaire de l’Or

monétaire »)
«le fait qu’une exception soit soulevée ne veut pas dire — aux

yeux de la Cour — qu’elle est priée de s’abstenir de statuer sur 22
le fond de la demande quelles que soient les circonstances» ,

22Shabtai Rosenne, The Law and Practice of the International Court, 1920-1996 ,
3eéd., vol. II, Jurisdiction, 1997, p. 863.

448 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND . KRECu ) 488

dans ce cas, le contraire est également vrai, c’est-à-dire que la Cour est

priée de ne pas statuer sur le fond de la demande si aucune exception à
l’exception préliminaire n’est soulevée. La pratique de la Cour est abon-
dante à cet égard.

Le prononcé de la Cour en l’affaire relative à l’Appel concernant la
compétence du Conseil de l’OACI (ci-après dénommée «affaire du Conseil
de l’OACI») peut être considéré comme une synthèse de cette pratique:

«[l]a Cour n’en doit pas moins toujours s’assurer de sa compétence et elle
doit, s’il y a lieu, l’examiner d’office» (arrêt, C.I.J. Recueil 1972 ,p.52,
par. 13).
Les opinions des juges confortent également cette pratique. Dans

l’affaire relative aux Concessions Mavrommatis en Palestine , le juge
Moore a, dans son opinion dissidente, déclaré que, «même dans le silence
des Parties, le tribunal est tenu de se dessaisir d’office s’il estime qu’il y a
o o
défaut de compétence» (arrêt n 2, 1924, C.P.J.I. série A n 2, p. 58);
dans l’affaire des Ecoles minoritaires, le juge Huber a, dans son opinion
dissidente, dit que la Cour «recherchera d’office quelle sera sa base juri-
o
dique pour se prononcer sur les demandes des Parties» (arrêt n 12, 1928,
C.P.J.I. série A n 15, p. 54); et dans l’affaire relative aux Zones franches
de la Haute-Savoie et du Pays de Gex , le juge Kellogg a indiqué, dans les

observations qu’il a jointes à l’ordonnance du 6 décembre 1930, qu’il
n’était pas indispensable que la question de la compétence soit
soulevée par l’une des parties, car «[e]lle peut et devrait être soulevée

par la Cour de sa propre initiative, ainsi qu’elle l’a fait dans l’affaire
de la Carélie orientale» (ordonnance du 6 décembre 1930, C.P.J.I.
série A n 24, p. 43).
23
43. En tant que questio juris , la compétence de la Cour s’inscrit dans
le cadre du principe jura novit curia. Dans l’affaire de la Juridiction ter-
ritoriale de la Commission internationale de l’Oder (ci-après dénommée
«affaire de l’Oder»), ce ne fut que lors de la procédure orale que le Gou-

vernement polonais prit pour thèse que la convention de Barcelone
n’avait pas été ratifiée par la Pologne. Les six défendeurs ont prié la
Cour d’écarter in limine la thèse polonaise, au motif qu’elle avait été

présentée à un stade très avancé de la procédure. La Cour a rejeté
l’exception qu’elle a jugée non valable parce que «[l]e fait que la
Pologne n’a pas ratifié la Convention de Barcelone n’étant pas contesté,

23«L’existence de la compétence de la Cour dans un cas particulier n’est... pas une
question de fait, mais une question de droit qui doit être tranchée à la lumière des faits
pertinents.» (Actions armées frontalières et transfrontalières (Nicaragua c. Honduras),
compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1988 , p. 76, par. 16.) La question de la
compétence de la Cour est

«une question nécessairement préalable et indépendante, c’est-à-dire une question de
droit objective, qui ne saurait être régie par des considérations de forclusion pouvant
être formulées de façon à jouer contre l’une des Parties ou contre les deux» (Appel
concernant la compétence du Conseil de l’OACI, arrêt, C.I.J. Recueil 1972 ,p.54,
par. 16 c)).

449 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND .KRECA ) 489
u

il est évident qu’il s’agit d’une pure question de droit que la Cour
pourrait et devrait examiner même d’office» (arrêt n o 16, 1929,
C.P.J.I. série A n 23, p. 19).

La Cour est liée par le droit, mais elle ne l’est pas par les arguments
des parties. Cela résulte clairement du principe jura novit curia qu’elle a
rappelé dans les arrêts qu’elle a rendus dans les affaires relatives à la
Compétence en matière de pêcheries (Royaume-Uni c. Islande) e tàl
Compétence en matière de pêcheries (République fédérale d’Allemagne

c. Islande) :
«La Cour, en tant qu’organe judiciaire international, n’en est

pas moins censée constater le droit international et, dans une affaire
relevant de l’article 53 du Statut comme dans toute autre, est
donc tenue de prendre en considération de sa propre initiative
toutes les règles de droit international qui seraient pertinentes

pour le règlement du différend ... car le droit ressortit au domaine
de la connaissance judiciaire de la Cour.» (Fond, arrêt, C.I.J.
Recueil 1974, p. 9, par. 17; ibid., p. 181, par. 18; les italiques
sont de moi.)

Le principe a également été confirmé dans l’affaire du Nicaragua par le
prononcé suivant:

«[l]e principe jura novit curia signifie que, pour décider que les
conclusions sont fondées en droit, la Cour ne doit pas s’appuyer
uniquement sur les exposés des parties relativement au droit appli-

cable» (fond, arrêo, C.I.J. Recueil 1986 , p. 2o, par. 29; voir l’affaire
du Lotus, arrêt n 9, 1927, C.P.J.I. série A n 10, p. 31).

Par conséquent, la règle selon laquelle c’est à la partie qui cherche à
affirmer un fait qu’incombe la charge de la preuve «est sans pertinence
aux fins d’établir la compétence de la Cour» (Compétence en matière de
pêcheries (Espagne c. Canada), compétence de la Cour, arrêt, C.I.J

Recueil 1998, p. 450, par. 37).
44. Dans son arrêt de 1996, la Cour est partie du «postulat» que la
RFY avait la capacité de se présenter devant elle en vertu du Statut
(arrêt, par. 135).

Ce postulat «était un élément du raisonnement suivi dans l’arrêt de 1996,
qui peut — et même doit — en toute logique être sous-entendu dans
celui-ci» (ibid.). Mais cet «élément ne saurait à tout moment être remis
en question et réexaminé» (ibid.).

Ce raisonnement semble omettre de prendre en considération la
distinction qui existe entre présomption juridique (praesumptio
juris) et présomption judiciaire (praesumptio facti vel homine) ,

catégorie dans laquelle entre en réalité le «postulat» relatif au jus
standi de la République fédérale de Yougoslavie devant la
Cour.

450 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP . IND .KRECA ) 490
u

La présomption judiciaire, tout comme la présomption juridique , est 24

l’un des principaux types de présomptions en droit international.
Elle signifie qu’un fait donné ou un état de fait, alors même qu’il
n’a pas été prouvé, est considéré comme véridique par une instance

internationale. En tant que tel, il ne coïncide pas nécessairement au
fait réel ou à la situation de fait ou n’en est pas nécessairement
l’équivalent.

Des considérations d’ordre pratique président au recours à la présomp-
tion judiciaire.
En effet, cette dernière permet de ne pas attendre trop longtemps

l’entier établissement des faits et de la situation précise dont dépendent
l’existence, le contenu ou la cessation d’un droit, lorsque l’écoulement

d’un laps de temps trop important aurait des conséquences négatives
pour les parties concernées ou ferait obstacle au bon déroulement de la
procédure.

45. En tant que type de présomption, la présomption judiciaire présente
certaines caractéristiques particulières qui la différencient de la
présomption juridique (praesumptio juris).

Il convient de mentionner à cet égard deux caractéristiques principales
de la présomption judiciaire:

En premier lieu, la présomption judiciaire est, en principe, une pré-
somption naturelle et factuelle (praesumptio facti vel homine) qui

n’est pas fondée sur les règles particulières qui constituent le droit de la
juridiction internationale saisie ni le droit qu’elle applique. C’est
un élément inhérent au raisonnement juridique qu’applique la

juridiction internationale pour interpréter et appliquer les règles de
droit.

24 Mieux connues que les présomptions judiciaires, les présomptions juridiques (prae-
sumptio juris) sont abondamment appliquées en droit international. Les juridictions inter-
nationales ont l’habitude de recourir à la preuve par déduction de fait (présomption de
fait) ou aux preuves indirectes (Détroit de Corfou (Royaume-Uni c. Albanie), fond, arrêt,

C.I.J. Recueil 1949, p. 18). En ce qui concerne la présomption juridique dans la pratique
de la Cour inter-américaine des droits de l’homme, voir T. Buergenthal, R. Noreis
et D. Shelton, Protecting Human Rights in the Americas, Selected Problems ,2 éd.,
1986, p. 130-132 et p. 139-144.
La pratique des juridictions internationales abonde en présomptions fondées sur les
principes généraux du droit international, qui peuvent être des présomptions de bonne foi
(voir, par exemple, l’affaire des Concessions Mavrommatis à Jérusalem, arrêt n 1925,
C.P.J.I. série A n5, p. 43) ou des présomptions négatives telles des présomptions d’abus
de droit (Certains intérêts allemands en Haute-Silésie polonaise, fond, arrêt n1926,
C.P.J.I. série A n7, p. 30; Zones franches de la Haute-Savoie et du Pays de Gex, ordon-
nance du 6 décembre 1930, C.P.J.I. série A n 24,p.12; Détroit de Corfou, fond, arrêt,

C.I.J. Recueil 1949, p. 119: opinion dissidente du juˇer). Ces présomptions possèdent
un poids spécial dans l’interprétation des traités puisque celle-ci a pour rôle de découvrir
«ce qui fut l’intention ou ce que l’on peut raisonnablement présumer avoir été l’intention
des parties à un traité quand elles l’ont conclu» (Harvard Law School, Research in
International Law, partie III, «Le droit des traités», art. 19, p. 940; les italiques sont de
moi).

451 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND. KREuA ) 491

En second lieu, contrairement aux présomptions juridiques qui

peuvent être irréfutables (praesumptio juris et de jure) , les pré-
somptions judiciaires, qui sont naturelles ou factuelles, sont par
définition réfutables. Leur caractère réfutable est toutefois d’une nature
particulière.
Etant donné qu’elle fait partie du raisonnement de la juridiction inter-

nationale, la présomption judiciaire ne saurait être réfutable de la même
façon qu’une présomption juridique. Une présomption judiciaire est, en
tant que telle, en réalité susceptible d’être abandonnée ou remplacée par
la juridiction internationale.
Dans son raisonnement juridique, l’instance internationale aban-

donne la présomption ou la remplace par une autre présomption ou
par un fait établi. Stricto sensu, seules les conclusions ou décisions
de la juridiction internationale qui sont fondées sur des présomptions
juridiques sont réfutables. Toutefois, les présomptions judiciaires

perdent le fondement de leur existence lorsque la juridiction
internationale identifie le point en litige qui constitue l’objet de
ladite présomption. Ces présomptions s’excluent d’elles-mêmes
parce qu’elles sont privées de leur objet. Mais alors toutefois, il
incombe à la juridiction internationale de réformer, suivant la

procédure voulue, sa propre conclusion ou décision fondée sur ladite
présomption.
En outre, par opposition à une présomption juridique, une présomp-
tion judiciaire n’est pas une conclusion judiciaire de la Cour — et
ne saurait en être l’équivalent par ses effets — car elle est

son substitut factuel. Par suite, on ne peut pas considérer que,
en se fondant sur cette présomption particulière, la Cour
a pris une décision quant à la question du jus standi du défendeur.
La Cour l’a fait de facto, en formulant un élément de son
raisonnement.

46. La raison d’être des présomptions judiciaires est de remplacer
provisoirement des faits ou des circonstances prouvés afin d’éviter
de différer l’identification de faits et de situations exacts quand une
telle attente risque d’avoir des conséquences néfastes pour les par-
ties à un différend ou d’empêcher le bon déroulement de la procé-

dure.
Néanmoins, une fois les faits et les circonstances réels établis, il faut
renoncer aux présomptions judiciaires et les remplacer par des faits prou-
vés. A contrario, si une juridiction s’en tient à des présomptions juri-
diques de préférence à des faits dûment prouvés, elle entretient une

fiction judiciaire, sa propre vérité, face à des faits et des situations rele-
vant du droit.
C’est exactement ce que fait la Cour en conservant son postulat
relatif au jus standi du défendeur et à la question qui lui est inextri-
cablement liée, à savoir celle de la qualité d’Etat Membre des

Nations Unies du défendeur pendant la période allant de 1992 à
2000.

452 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND .KRECu ) 492

5. Les effets de l’arrêt de 2004

47. La question de savoir si le défendeur était un Etat Membre de
l’Organisation des Nations Unies, laquelle est déterminante en ce qui

concerne sa qualité à ester devant la Cour dans les circonstances de la
question à résoudre — étant donné que cette question porte sur un statut
—, semble avoir été tranchée par la Cour dans l’arrêt qu’elle a rendu en
2004 dans les affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la force . Par
ailleurs, la majorité estime que la RFY a été admise à l’Organisation des

Nations Unies en tant que «nouveau Membre en 2000» (arrêt, par. 109).
Mais la Cour n’a pas tiré de ce fait, qui revêt une importance juridiction-
nelle déterminante en la présente espèce, les conséquences qui s’imposent
en ce qui concerne le jus standi du défendeur. Cela tient au fait que
les Parties reconnaissent que ces arrêts «n’ont pas force de chose

jugée aux fins de la présente instance» (arrêt, par. 84). Il y a lieu de
formuler deux observations en ce qui concerne cette interprétation
des effets des arrêts de 2004. En premier lieu, la question des effets
des arrêts de la Cour est une questio juris et, en tant que telle, entre
dans le champ du principe jura novit curia, ce qui signifie que la

Cour n’est pas tributaire de l’accord des parties en ce qui concerne
le droit applicable. En second lieu, les effets d’un arrêt ne sont
pas pleinement épuisés par la règle de la res judicata.
48. Point n’est réellement besoin de dire que l’arrêt rendu par la Cour
le 15 décembre 2004 dans les affaires relatives à la Licéité de l’emploi de

la force ne produit pas les effets de la res judicata en la présente instance,
car l’un des éléments intrinsèques de cette règle — eadem personae — fait
défaut. La Bosnie-Herzégovine n’était pas partie aux affaires relatives à
la Licéité de l’emploi de la force , de sorte qu’elle n’est pas liée par la déci-
sion de la Cour dans lesdites affaires.

49. Voilà pour un premier point. Les effets substantiels de l’arrêt de
2004 sur la présente espèce en constituent un autre. Il est clairement éta-
bli dans la jurisprudence de la Cour que les effets substantiels de ses déci-
sions ne sont pas nécessairement limités à l’espèce tranchée et peuvent
par conséquent, selon les circonstances, avoir à l’occasion une portée plus

large.
Dans l’affaire de la Mer Egée, la Cour a notamment dit:

«Bien qu’en vertu de l’article 59 du Statut «la décision de la Cour
[ne soit] obligatoire que pour les parties en litige et dans le cas qui a
été décidé», il est évident que tout prononcé sur la situation de l’Acte

de 1928 [Acte général pour le règlement pacifique des différends
internationaux], par lequel la Cour déclarerait que celui-ci est ou
n’est plus une convention en vigueur pourrait influencer les relations
d’Etats autres que la Grèce et la Turquie [les Parties à la présente
instance].» (Plateau continental de la mer Egée (Grèce c. Turquie),

arrêt, C.I.J. Recueil 1978 , p. 17-18, par. 39; les italiques sont de
moi.)

453 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP .IND .KRECu ) 493

Une interprétation restrictive de l’article 59 du Statut n’a tout simple-
25
ment pas sa place dans la jurisprudence de la Cour .
50. En conséquence, la vraie question qui se pose concrètement n’est
pas de savoir si l’arrêt de 2004 a des effets concrets en la présente affaire,

mais de savoir «si, dans la présente espèce, il existe pour la Cour des rai-
sons de s’écarter des motifs et des conclusions adoptés dans ces précé-
dents» (Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria

(Cameroun c. Nigéria), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil
1998, par. 28), ou bien s’il faut considérer l’arrêt de 2004 «comme un
énoncé de ce que la Cour a jugé être la situation juridique exacte»
(Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande), exceptions prélimi-

naires, arrêt, C.I.J. Recueil 1961 , p. 27).
51. On constate non seulement qu’il n’y a aucune raison de le faire,
mais encore qu’il existe plusieurs raisons pour lesquelles la Cour doit

suivre le raisonnement adopté précédemment, ce qui la conduit
inévitablement aux conclusions qu’elle a adoptées dans son arrêt
de 2004.

Tout d’abord, la question pertinente — le défendeur était-il un Etat
Membre de l’Organisation des Nations Unies à l’époque pertinente et, en
tant que tel, partie au Statut de la Cour — se pose dans les deux affaires

de manière identique et produit des conséquences juridiques identiques.
Le locus standi de la Serbie-et-Monténégro en la présente instance est,
exactement comme dans les affaires relatives à la Licéité de l’emploi de

la force, inextricablement lié à sa qualité de Membre de l’Organisation
des Nations Unies, étant donné que la Serbie-et-Monténégro ne
pouvait être considérée comme partie au Statut sur un autre fonde-

ment que celui d’Etat Membre de l’Organisation, dès lors que son
locus standi ne pouvait être fondé sur le paragraphe 2 de l’article 35 du
Statut. En règle générale, quand un même état de fait et un même

25
«S’il était vrai qu’un arrêt de la Cour n’est revêtu de l’autorité de la chose jugée que
dans le seul cas qui a été décidé, cela signifierait que, si le «cas» concerne l’interpréta-
tion d’une clause de traité, l’interprétation donnée pourrait être remise en discussion
dans des «cas» futurs ayant trait à la même clause de traité. Un tel résultat ne serait
pas seulement absurde, mais mettrait l’article 59 en contradiction inconciliable avec
la phrase finale de l’article 63 du même Statut déclarant que, lorsqu’un Etat tiers
intervient à un procès dans lequel il s’agit de l’interprétation d’une convention mul-
tilatérale à laquelle il est partie ensemble avec les Etats litigants, l’interprétation
contenue dans la sentence est également obligatoire à son égard. La res judicata
s’étend, par conséquent, hors des limites strictes du cas décidé. Y a-t-il vraiment
dans l’arrêt de 1937 des éléments qui soient également décisifs pour la réclamation
actuelle? Le Tribunal ne le croit pas.» (Arbitrage entre la France et la Grèce,
Cour permanente d’arbitrage, 23 ILR 81 p. 86 (1956).)

Voir également le juge Oda dans son opinion individuelle dans l’affaire du Plateau
continental (Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne), requête à fin d’intervention, arrêt,
C.I.J. Recueil 1981, p. 30, par. 14; Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/
Malte), requête à fin d’intervention, arrêt, C.I.J. Recueil 1984 , opinion dissidente du juge
Jennings, p. 157-160; ibid., opinion dissidente du vice-président Sette-Camara, p. 87,
par. 81; ibid., opinion dissidente du juge Schwebel, p. 134, par. 9-10).

454 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND .KRECu ) 494

statut juridique se présentent dans deux affaires différentes, il faut leur

accorder le même traitement en vertu des principes de la cohérence du
raisonnement judiciaire et de l’égalité devant la Cour.
En outre, la Cour, en constatant que, «au moment où il a déposé sa
requête pour introduire la présente instance devant [elle], le 29 avril 1999,

le demandeur en l’espèce, la Serbie-et-Monténégro, n’était pas membre de
l’Organisation des Nations Unies» (Licéité de l’emploi de la force (Ser-
bie-et-Monténégro c. Portugal), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J.
Recueil 2004, p. 1195, par. 90), a essentiellement pris acte, sur le plan

judiciaire, d’un fait établi objectivement par les organes compétents de
l’Organisation des Nations Unies, fait qui, dans le contexte de l’affaire, a
été un fait juridictionnel déterminant. De par sa résolution 55/12, l’Assem-
blée générale des Nations Unies a créé un statut juridique objectif erga

omnes. Même en laissant de côté la force obligatoire de la résolution 55/
12, la partie de l’arrêt de la Cour relative à l’établissement du statut de la
Serbie-et-Monténégro vis-à-vis de l’Organisation des Nations Unies pen-
dant la période pertinente n’en demeure pas moins, par sa nature même,

un jugement déclaratoire in rem produisant des effets déterminants, tout
au moins en ce qui concerne les Etats parties au Statut de la Cour. En
tant que tel, l’arrêt ne saurait, pour ce qui concerne ce point, être traité
comme un arrêt in personam n’ayant des effets déterminants que pour les

parties à l’affaire, dès lors qu’il traite du statut de la Serbie-et-Monténé-
gro à la fois vis-à-vis de l’Organisation des Nations Unies elle-même et
vis-à-vis des Etats Membres de celle-ci.
52. La résolution 55/12 relève du type de résolutions de l’Assemblée

générale des Nations Unies qui ont un effet définitif et obligatoire pour
l’ensemble de la structure de l’Organisation.

«L’article 18 [de la Charte] traite des «décisions» de l’Assemblée
générale «sur les questions importantes» . Ces «décisions» com-
prennent en effet certaines recommandations, mais d’autres ont

une valeur et un effet d26caractère impératif . Parmi ces dernières
décisions l’article 18 comprend la suspension des droits et
privilèges des Membres dans le cadre des articles 5 et 6, c’est le
Conseil de Sécurité dont le pouvoir se borne à faire des recom-

mandations et c’est l’Assemblée générale qui décide et dont la
décision fixe le statut des Etats en question.» (Certaines dépenses
des Nations Unies (article 17, paragraphe 2, de la Charte),
avis consultatif, C.I.J. Recueil 1962 , p. 163-164; les italiques sont

de moi.)

26L’article 18 de la Charte se lit comme suit:

«2. Les décisions de l’Assemblée générale sur les questions importantes sont prises
à la majorité des deux tiers des membres présents et votants. Sont considérées comme
questions importantes ... l’admission de nouveaux Membres dans l’Organisation, la
suspension des droits et privilèges de Membres, l’exclusion de Membres...»

455 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND .KRECu ) 495

Conformément au paragraphe 2 de l’article 4 de la Charte, «[l]’admis-

sion comme Membre des Nations Unies de tout Etat ... se fait par déci-
sion de l’Assemblée générale sur recommandation du Conseil de sécurité»
(les italiques sont de moi).

53. Relevant de la compétence exclusive de deux des principaux
organes politiques des Nations Unies — le Conseil de sécurité et l’Assem-
blée générale —, les décisions relatives à l’admission d’un Etat comme

Membre des Nations Unies font partie intégrante du droit international
que «[la Cour] ... est tenue de respecter» (Questions d’interprétation et d’ap-
plication de la convention de Montréal de 1971 résultant de l’incident
aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. Royaume-Uni), mesures

conservatoires, ordonnance du 14 avril 1992, C.I.J. Recueil 1992, opinion
individuelle du juge Lachs, p. 26). Dans un système de parallélisme fonc-
tionnel, il faut considérer comme un principe régissant les rapports entre

les organes principaux des Nations Unies que «la Cour doit collaborer à la
réalisation des buts de l’Organisation et s’attacher à donner effet aux déci-
sions des autres organes principaux en évitant tout résultat qui les priverait
27
d’effet» .
La conclusion selon laquelle le défendeur jouissait du statut d’Etat
Membre à compter du 1 er novembre 2004 fait désormais partie de la

réalité objective établie par les organes des Nations Unies dans leur en-
semble. Dans une lettre datée du 27 décembre 2001, adressée au Président
de l’Assemblée générale des Nations Unies par le Secrétaire général

Kofi Annan, ce dernier a déclaré:
«J’ai l’honneur de me référer à la résolution 55/12 de l’Assemblée
er
générale en date du 1 novembre 2000, par laquelle l’Assemblée a
décidé d’admettre la République fédérale de Yougoslavie à l’Orga-
nisation des Nations Unies. Cette décision a mis fin ipso facto àa l

qualité de Membre de l’Organisation de l’ex-Yougoslavie, qui avait
été admise en 1945.» 28

Sous l’intitulé «Information historique sur les traités multilatéraux
déposés auprès du Secrétaire général» , il est expressément indiqué que

la «Yougoslavie», à laquelle le conseiller juridique se réfère dans sa lettre
du 29 septembre 1992, comme étant l’Etat dont la résolution «ne me[t]
pas fin à l’appartenance ... à l’Organisation, et ... ne la suspen[d] pas», est
l’ex-Yougoslavie, c’est-à-dire la République fédérative socialiste de You-

goslavie, et non la République fédérale de Yougoslavie: «Le Conseiller
juridique, toutefois, a été d’avis que la résolution de l’Assemblée générale
ne mettait pas fin à l’appartenance de l’ex-Yougoslavie à l’Organisation,

et qu’elle ne la suspendait pas.»

27
e Shabtai Rosenne, The Law and Practice of the International Court , 1920-2005,
3 28., vol. I, The Court and the United Nations , 1997, p. 69-70.
Nations Unies, doc. A/56/767; les italiques sont de moi.
29Voir «Renseignements historiques», http://untreaty.un.org/FRENCH/bible/french-
internetbible/historicalinfo.asp sous la rubrique «ex-Yougoslavie».

456 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KRECA ) 496
u

Il est également pertinent de constater qu’aucun Etat n’a fait objection
à l’avis juridique susmentionné, alors que certains Etats Membres de
l’Organisation ont formulé des objections lorsque la République fédérale

de Yougoslavie d’Etat a été qualifiée de d’Etat prédécesseur dans le «Pré-
cis de la pratique du Secrétaire général en tant que dépositaire des traités
multilatéraux» ; en réponse aux objections soulevées, le conseiller juri-
31
dique a d’ailleurs fait publier des «errata» , supprimant notamment la
mention d’«Etat prédécesseur» pour la République fédérale de Yougo-
slavie.

54. Ce fait témoigne en soi de l’acceptation universelle, tant par les
Etats Membres de l’Organisation des Nations Unies que par les organes
de l’Organisation elle-même, des conséquences juridiques de l’admission
de la République fédérale de Yougoslavie en tant que Membre des

Nations Unies. La Cour a résumé la situation comme suit:

«Le demandeur [la Serbie-et-Monténégro] a ainsi le statut de er
Membre de l’Organisation des Nations Unies depuis le 1 no-
vembre 2000. Toutefois, son admission au sein de l’Organisation
des Nations Unies n’a pas remonté et n’a pu remonter à l’époque

de l’éclatement et de la disparition de la République fédérative
socialiste de Yougoslavie; il n’était pas question en 2000 de réta-
blir les droits de la République fédérative socialiste de Yougoslavie

en tant que Membre de l’Organisation au bénéfice de la Répu-
blique fédérale de Yougoslavie.» (Licéité de l’emploi de la force
(Serbie-et-Monténégro c. Belgique), exceptions préliminaires,
arrêt, C.I.J. Recueil 2004 , p. 310, par. 78.)

55. Cette interprétation de la résolution 47/1 n’est pas nouvelle. Il faut

savoir que la doctrine la préconisait également. Dans un article intitulé
«La nouvelle Organisation des Nations Unies et l’ancienne Yougo-
slavie», le professeur Rosalyn Higgins écrivait ceci:

«L’Assemblée a bien recommandé que la nouvelle République
fédérale (la Serbie-et-Monténégro) présente une demande d’admis-

sion à l’Organisation des Nations Unies . Mais la résolution n’a ni
suspendu ni mis fin à l’appartenance de la Yougoslavie aux
Nations Unies. Le résultat est absolument anormal. Le siège et
la plaque portant le nom du pays demeurent inchangés. L’ancien
e
drapeau yougoslave flotte toujours sur la 42 Rue. «La Yougo-
slavie demeure un Membre des Nations Unies, c’est-à-dire non
pas la Serbie-et-Monténégro, mais la Yougoslavie dans son
32
intégralité.» »
56. Bien que s’étant bornée dans le dispositif de l’arrêt de 2004 à la

question de sa compétence pour connaître de l’affaire, la Cour s’est prin-

30ST/LEG.8, p. 89, par. 297.
31Document des Nations Unies LA41TR/220.
32International Affairs, vol. 69, 1993, p. 479; les italiques sont de moi.

457 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND . KRECA ) 497
u

cipalement intéressée, dans l’exposé des motifs, à la question de savoir si
la République fédérale de Yougoslavie était Membre de l’Organisation
des Nations Unies durant la période pertinente. Sa conclusion selon

laquelle la République fédérale de Yougoslavie n’était pas Membre de
l’Organisation des Nations Unies avant d’y être admise en novembre 2000
a été déterminante eu égard à sa compétence en l’espèce.

57. Le dispositif de l’arrêt de 2004 ne découle pas du raisonnement de
la Cour consistant à choisir parmi les différentes solutions possibles ou

l’une des diverses interprétations auxquelles le fait juridictionnel perti-
nent fournirait un motif; c’est le résultat inévitable du fait que la Répu-
blique fédérale de Yougoslavie n’était pas Membre de l’Organisation des
Nations Unies ou bien, en d’autres termes, une manière de constat judi-

ciaire du fait établi par les organes politiques principaux dans l’exercice
de leur compétence exclusive en vertu de la Charte des Nations Unies qui,
dans les circonstances de l’espèce, constitue un fait juridictionnel déter-

minant.
Les résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies, telle la
résolution 55/12, créent une situation juridique objective, une situation
produisant des effets erga omnes. Cela se manifeste dans les effets des

arrêts de la Cour en vertu desquels un tel statut est créé ad casum.
58. Les arrêts que la Cour rend sur des questions de statut ne
sauraient, dans leur effet ratione personae — à la différence d’autres

arrêts —, être limités aux parties à un différend. Leurs effets substantiels
vont au-delà des effets des arrêts énoncés à l’article 60 du Statut. En rai-
son de la nature même de leur objet, les arrêts portant sur des questions
de statut, qui ne tolèrent ni l’incertitude ni l’insécurité, ont un effet intra

partes. L’effet d’un arrêt portant sur une question de statut, c’est-à-dire
la création d’une situation légale objective , est intégré au droit
interne des nations civilisées .34

Toutefois, il ne s’agit pas de savoir quel est l’effet intra partes en vertu
de l’article 59 du Statut des arrêts portant sur des questions de statut. La
question est de savoir quel effet matériel ont, par répercussion, ces arrêts

sur des Etats tiers. De tels arrêts sont obligatoires erga omnes non pas en
tant qu’actes judiciaires au sens formel, mais en raison de leur force
intrinsèque associée à la force obligatoire de l’arrêt au sens technique,
fondée sur la présomption de vérité — pro veritate accipitur — qui doit,

s’agissant des questions de statut, en tant que droit absolu, avoir un effet
universel. Cela vaut tout particulièrement pour les arrêts de la Cour

33Dugguit, Traité de droit constitutionnel , vol. II, 1923.
34Voir, par exemple, le nouvel article 311 du code civil (loi de 1972), Vincent, op. cit.,
p. 108, n79; en droit italien, il est traditionnellement considéré que les décisions relatives
à des questions de statut ont un effet erga omnes — pour des exemples de décisions ren-
dues par des juridictions italiennes, voir Pugliese, op. cit., p. 888; en anglais existe, en ce
sens, la notion de «judgments in rem» (voir Bower, Turner et Handley, The Doctrine of
Res Judicata, 1965, p. 213 et suiv.).

458 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND. KREuA ) 498

comme celui rendu dans les affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la

force, qui, en substance, ne font que confirmer sur le plan judiciaire le
statut déterminé de façon déterminante par les organes compétents des
Nations Unies (voir l’arrêt, par. 88 et suiv.).
59. Il semble parfaitement clair que le jus standi du défendeur en
la présente espèce est, comme dans les affaires relatives à la Licéité

de l’emploi de la force, intrinsèquement lié à son statut d’Etat
Membre des Nations Unies étant donné que le défendeur ne pouvait
être considéré comme partie au Statut sur aucun autre fondement
que celui de Membre des Nations Unies et que son jus standi ne
saurait être fondé sur le paragraphe 2 de l’article 35 du Statut de la

Cour.
La manière dont la majorité aborde cette double question est vérita-
blement étonnante.
D’une part, il est admis que, «s’il lui a paru clair en 2004 que le

défendeur n’était pas membre de l’Organisation des Nations Unies...,
la situation n’était absolument pas aussi claire en 1999 —
et encore moins en 1996» (arrêt, par. 131; les italiques sont de
moi).
D’autre part, il est précisé que:

«[i]l est donc impossible, juridiquement, que la Cour puisse «rendre
une décision finale envers une partie à l’égard de laquelle elle ne peut

pas exercer sa fonction judiciaire», parce que la question de savoir
si un Etat est ou non une partie à l’égard de laquelle la Cour a
compétence est de celles que seule la Cour a le pouvoir
de trancher ... l’application «des prescriptions impératives du
Statut» relève de la décision de la Cour dans chaque affaire qui

lui est soumise et, lorsque la Cour s’est déclarée compétente avec
l’autorité de la chose jugée, il ne peut y avoir excès de pouvoir
aux fins de cette affaire, la Cour étant seule compétente pour se
prononcer sur de telles questions en vertu de son Statut» (arrêt,
par. 138 et 139).

Ce raisonnement donne à penser que quidquid judicii placuit, habet
legis vigorem. Il exprime l’idée anachronique et totalement inacceptable

que la Cour n’est pas le gardien, mais le créateur de la légalité et que, en
réalité, elle rend des décisions indépendamment du droit objectif établi
par son Statut.
Cela conduit, nolens volens, à la création d’une réalité judiciaire propre
à la Cour et contraire à la réalité juridique objective, ce qui donne nais-

sance à un véritable judicium illusorum.
La conception erronée de la règle de la res judicata consacrée dans
cet arrêt donne naissance à une ambivalence absurde en ce qui
concerne le statut du défendeur vis-à-vis de l’Organisation des Nations
Unies.

Contrairement aux effets erga omnes de la résolution 55/12 de l’Assem-
blée générale, l’arrêt de la Cour, comme le prévoit l’article 59 du Statut,

459 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KREuA ) 499

n’est obligatoire que pour les parties en litige. Logiquement cela veut dire

que, dans le cadre du différend porté devant la Cour, le défendeur est
considéré, tacitement du moins, comme ayant été Membre des Nations
Unies pendant la période allant de 1992 à 2000 pour ce qui concerne la
Cour et le demandeur, tandis que, pour l’Organisation elle-même, le
défendeur n’était pas un Etat Membre; et pour la Bosnie-Herzégovine, le

défendeur n’était pas non plus un Etat Membre pour toute question autre
que l’instance elle-même. En outre, la Cour considère le défendeur comme
un Etat Membre des Nations Unies en la présente affaire et comme un
Etat non membre dans les affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la
force.

60. Le prononcé établissant que, «s’il lui a paru clair en 2004 que le
défendeur n’était pas membre de l’Organisation des Nations Unies..., la
situation n’était absolument pas aussi claire en 1999 — et encore moins
en 1996», pose une question tout à fait déplaisante sur le rôle de la Cour

en l’espèce compte tenu du principe de bonne foi qui, en tant que principe
obligatoire, est tout au moins aussi valable pour la Cour que pour les
Etats.
Si, pendant plus d’une décennie, il a paru si clairement à la Cour
que le défendeur n’était pas membre des Nations Unies — alors

même que la qualité de Membre des Nations Unies est le seul
fondement sur lequel le défendeur aurait pu être considéré partie au
Statut de la Cour —, alors la Cour a délibérément évité de reconnaître
un fait juridictionnel ayant une incidence sur la légalité même de
la totalité de ses actes en la présente espèce. Un tel comportement de

la Cour pourrait être qualifié d’arbitraire judiciaire confinant à l’excès
de pouvoir, sinon d’excès de pouvoir, et non de pouvoir discrétionnaire
ayant entraîné une indécision judiciaire.

6. La déclaration de 1992

61. Dans son arrêt de 1996, la Cour a jugé qu’elle avait compétence
ratione personae sur le fondement de la déclaration formelle du 27 avril
1992 adoptée par les participants à la session commune de l’Assemblée de

la RFSY, de l’Assemblée nationale de la République de Serbie et
de l’Assemblée de la République du Monténégro. La Cour a considéré
cette déclaration comme un acte unilatéral ayant des conséquences
juridiques pertinentes quant à sa compétence ratione personae.C e
point de vue paraît douteux et mérite, selon moi, d’être réexaminé

à la lumière des règles pertinentes du droit international et de la
jurisprudence de la Cour, respectivement. Il s’agit de le réexaminer non
seulement en ce qui concerne la présomption d’identité et de continuité
juridiques entre le défendeur et la RFSY, thèse jugée inacceptable par
la communauté internationale et qui a servi de fondement à la conclu-

sion de la Cour, mais aussi en ce qui concerne la qualification de la
nature et des effets de la déclaration.

460 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND .KRECu ) 500

62. La déclaration adoptée le 27 avril 1992 répondait-elle aux condi-
tions requises pour être considérée comme un acte unilatéral produisant
des conséquences juridiques?

63. Il semble évident que le fait, pour un Etat unique, d’effectuer un
acte ne saurait, en soi, constituer un acte unilatéral à même de produire
des effets juridiques in foro externo. Le caractère unilatéral d’un acte ne
constitue qu’un élément extrinsèque qui, lorsqu’il est associé à d’autres

éléments tant extrinsèques qu’intrinsèques, donne naissance à un acte
juridique unilatéral au sens du droit international.
64. Dans les circonstances de la présente espèce, un certain nombre
d’éléments revêtent une pertinence particulière. Le tout premier élément

extrinsèque à considérer porte sur la capacité des participants à la session
commune de l’Assemblée de la RFSY, de l’Assemblée nationale de la
République de Serbie et de l’Assemblée de la République du Monténégro

à produire des actes unilatéraux au sens du droit international. La session
commune de l’Assemblée de la RFSY, de l’Assemblée nationale de la
République de Serbie et de l’Assemblée de la République du Monténégro
n’a pas été constituée en tant que Parlement de la République fédérale de

Yougoslavie; il s’agissait plutôt d’un ensemble de représentants in
statu nascendi. Même à supposer, arguendo, qu’il s’agissait d’une
représentation du Parlement, ce n’était manifestement pas un organe

étatique doté de la capacité d’accomplir des actes unilatéraux pour le
compte de l’Etat. Les représentants d’un Etat ayant la faculté d’accom-
plir des actes juridiques unilatéraux sont le chef de l’Etat, le chef du
gouvernement et le ministre des affaires étrangères . Cette règle a

d’ailleurs été confirmée dans la jurisprudence de la Cour (Statutojuridique
du Groënland oriental, arrêt, 1933, C.P.J.I. série A/B n 53, p. 22).
Par conséquent, il semble que la déclaration, si elle était conçue comme

un acte juridique unilatéral in foro externo, n’émanait pas d’un organe
compétent au sens du droit international et, en tant que telle, ne
produisait aucun effet juridique .36
65. Certes, la déclaration a été, comme la Cour l’a indiqué, «confirmée

dans une note officielle du 27 avril 1992 adressée au Secrétaire général
par la mission permanente de la Yougoslavie auprès des Nations Unies»
(C.I.J. Recueil 1996 (II) , p. 610, par. 17). Dans le présent contexte, le
terme «confirmée» peut avoir deux sens: un sens descriptif qui est que la

lettre du représentant permanent reproduisait le texte de la déclaration et
un sens «technique» qui est qu’elle confirmait un acte unilatéral émanant
d’un organe étatique non autorisé. Aucun de ces deux sens du terme

«confirmée» ne peut être retenu in concreto. S’agissant du sens descriptif

35Art. 4, Rapport sur les actes unilatéraux des Etats, Annuaire de la Commission du
droit international, 1998, II, première partie, doc. A/CN.4/486; Nations Unies, doc.
A/CN.4/500 et Add. 1.
36Voir art. 4 (confirmation ultérieure d’un acte émanant d’une personne n’ayant pas
l’autorité voulue à cette fin) dans le troisième rapport du Rapporteur spécial, Commission

du droit international, 2000, I, p. 96.

461 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP .IND . KRECu ) 501

37
du terme, il est évident que la lettre du représentant permanent ne
reproduit qu’une partie du texte de la déclaration, en ce sens qu’elle ne
cite qu’un bref passage dudit texte portant exclusivement sur l’identité et

la continuité juridiques.
Par définition, en raison des pouvoirs limités qu’ont les chefs de mis-
sion permanente auprès des organisations internationales, y compris les
missions permanentes auprès des Nations Unies, la note officielle de la

mission permanente de la Yougoslavie du 27 avril 1992 ne saurait être
comprise comme étant la «confirmation» d’un acte émanant d’un organe
— si c’était un organe à l’époque pertinente —, organe n’ayant pas com-

pétence au sens du droit international pour accomplir des actes juridiques
au nom de l’Etat.
66. C’est pourquoi il faut voir dans la note de la mission permanente

de Yougoslavie du 27 avril 1992 la transmission de la déclaration, sui-
vie de la reproduction correspondante d’une partie de cette déclaration
ayant directement trait à la thèse de la République fédérale de Yougoslavie

selon laquelle elle assurait l’identité et la continuité juridiques de l’ex-
RFSY vis-à-vis de l’Organisation des Nations Unies.
67. Cette analyse de la note de la mission permanente de la Yougo-

slavie donne à penser que la déclaration du 27 avril 1992 et la note de la
mission permanente sont deux actes distincts, bien que n’étant pas tota-
lement indépendants l’un de l’autre, tant par leur nature que par leurs

effets. La déclaration est essentiellement une déclaration de politique
générale portant sur des questions se rattachant directement ou non à la
thèse de l’identité et de la continuité juridiques de la République fédérale

de Yougoslavie, alors que la note semble principalement être une notifi-
cation, dans le sens classique du mot. En atteste le fait que la note était
destinée au Secrétaire général, qui était prié de bien vouloir faire distri-

buer la déclaration et la note comme document officiel de l’Assemblée
générale , alors que la déclaration était, en tant que telle, adressée urbi et
orbi.

37
Le texte de ladite lettre se lit comme suit:
«L’Assemblée de la République fédérative socialiste de Yougoslavie, à la session
qu’elle a tenue le 27 avril 1992, a promulgué la Constitution de la République fédé-
rale de Yougoslavie. Aux termes de la Constitution, et compte tenu de la continuité

de la personnalité de la Yougoslavie et des décisions légitimes qu’ont prises la Serbie
et le Monténégro de continuer à vivre ensemble en Yougoslavie, la République
fédérative socialiste de Yougoslavie devient la République fédérale de Yougoslavie,
composée de la République de Serbie et de la République du Monténégro. Dans le
strict respect de la continuité de la personnalité internationale de la Yougoslavie, la
République fédérale de Yougoslavie continuera à exercer tous les droits conférés à la
République fédérative socialiste de Yougoslavie et à s’acquitter de toutes les obliga-
tions assumées par cette dernière dans les relations internationales, y compris en ce
qui concerne son appartenance à toutes les organisations internationales et sa par-
ticipation à tous les traités internationaux que la Yougoslavie a ratifiés ou auxquels
elle a adhéré.» (Nations Unies, doc. A/46/915, annexe I.)
38
Nations Unies, doc. A/46/915.

462 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KRECu ) 502

68. Plusieurs éléments intrinsèques de la déclaration méritent qu’on s’y

intéresse dans ce contexte particulier: sa portée ratione materiae, l’inten-
tion de son auteur et ses effets éventuels.
69. S’agissant de sa portée ratione materiae, la déclaration a trait à
diverses questions.
Elle se lit comme suit:

«Les représentants du peuple de la République de Serbie et de la
République du Monténégro,

Exprimant la volonté des citoyens de leurs républiques respectives
de demeurer au sein de l’Etat commun de Yougoslavie,

Acceptant tous les principes fondamentaux de la Charte des
Nations Unies et de l’acte final d’Helsinki adopté par la Conférence
sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE) ainsi que de la
Charte de Paris pour une nouvelle Europe, et en particulier les prin-
cipes de la démocratie parlementaire, de l’économie de marché et du

respect des droits de l’homme et des droits des minorités nationales,
Restant profondément déterminés à parvenir à un règlement paci-
fique de la crise yougoslave,

Souhaitent exprimer leurs vues sur les objectifs fondamentaux,
immédiats et à long terme de la politique de leur Etat commun, ainsi
que sur ses relations avec les anciennes républiques yougoslaves.

A cette fin, les représeultants de peuple de la République de Serbie
et de la République des Monténégro font la déclaration suivante:

1. La République fédérale de Yougoslavie, assurant la continuité de
l’Etat et de la personnalité juridique et politique internationale de
la République fédérative socialiste de Yougoslavie, respectera
strictement tous les engagements que la République fédérative
socialiste de Yougoslavie a pris à l’échelon international.

Simultanément, elle est disposée à respecter pleinement les
droits et les intérêts des républiques yougoslaves qui ont déclaré
leur indépendance. La reconnaissance des Etats nouvellement
constitués interviendra une fois qu’auront été réglées les ques-
tions en suspens actuellement en cours de négociation dans le

cadre de la conférence sur la Yougoslavie.
Restant liée par toutes ses obligations vis-à-vis des organisa-
tions et institutions internationales auxquelles elle appartient, la
République fédérale de Yougoslavie ne fera rien pour empêcher
les Etats nouvellement constitués d’adhérer à ces organisations et

institutions, notamment à l’Organisation des Nations Unies et à
ses institutions spécialisées. La République fédérale de Yougo-
slavie respectera et honorera les droits et obligations que la
République fédérative socialiste de Yougoslavie a contractés vis-
à-vis des territoires de Krajina qui ont été placés, dans le cadre de

l’opération de maintien de la paix de l’Organisation des Nations
Unies, sous la protection de l’organisation mondiale.

463 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP .IND. KRECu ) 503

La République fédérale de Yougoslavie demeure également

prête à négocier, dans le cadre de la conférence sur la Yougosla-
vie, tous les problèmes liés à la répartition des actifs acquis et des
dettes contractées conjointement. En cas de litige sur ces ques-
tions, la République fédérale de Yougoslavie est disposée à accep-
ter l’arbitrage de la Cour permanente d’arbitrage de La Haye.

2. Les missions diplomatiques et consulaires qui représentent la
République fédérale de Yougoslavie à l’étranger continueront,
sans interruption, à s’acquitter de leurs fonctions qui consistent à
représenter et à protéger les intérêts de la Yougoslavie. Jusqu’à
nouvel ordre, elles continueront à se charger de la gestion de tous

les avoirs de la Yougoslavie à l’étranger. De plus, elles offriront
une protection consulaire à tous les ressortissants de la Répu-
blique fédérative socialiste de Yougoslavie qui la solliciteront, en
attendant que leur statut national soit définitivement arrêté. La

République fédérale de Yougoslavie reconnaît, simultanément, la
pleine continuité de la représentation des Etats étrangers assurée
par les missions diplomatiques et consulaires de ces Etats sur son
territoire.
3. La République fédérale de Yougoslavie souhaite le rétablisse-

ment de tous les liens qui existaient sur le territoire de la Répu-
blique fédérative socialiste de Yougoslavie, notamment dans les
domaines de l’économie, des transports et de l’énergie. Elle est
disposée à coopérer pleinement à la réalisation de cet objectif.
4. La République fédérale de Yougoslavie n’a aucune ambition sur

les territoires de ses voisins, quels qu’ils soient. Fidèle aux objec-
tifs et principes de la Charte des Nations Unies et aux documents
de la CSCE, elle reste profondément attachée aux principes du
non-recours à la force dans le règlement des différends.
5. La République fédérale de Yougoslavie garantira le plus haut

niveau de protection des droits de l’homme et des droits des
minorités nationales prévue dans les instruments juridiques inter-
nationaux et ceux de la CSCE. La République fédérale de You-
goslavie se déclare en outre disposée à accorder aux minorités
nationales qui résident sur son territoire tous les droits reconnus

aux minorités nationales qui résident dans les autres Etats
Membres de la CSCE.
6. Dans ses relations avec l’étranger, la République fédérale de
Yougoslavie se laissera guider par les principes de la Charte des
Nations Unies ainsi que par ceux qui sont consacrés dans les

documents de la CSCE, notamment la Charte de Paris pour une
nouvelle Europe. En sa qualité de membre fondateur du Mouve-
ment des pays non alignés, elle demeurera fidèle aux principes et
objectifs de la politique du non-alignement.

Elle établira des relations de confiance et de compréhension
avec ses voisins, sur la base du principe du bon voisinage. En

464 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KRECu ) 504

qualité d’Etat de citoyens libres, la République fédérale de You-
goslavie se laissera guider, dans son développement démocra-

tique, par les normes et les décisions du Conseil de l’Europe, de la
Communauté européenne et des autres institutions européennes,
auxquelles elle envisage d’adhérer prochainement.» (Nations
Unies, doc. A/46/915, annexe II; les italiques sont de moi.)

Il semble que, si on considère ce texte isolément, seule une partie de la
déclaration — l’extension de la «protection consulaire à tous les ressor-

tissants de la République fédérative socialiste de Yougoslavie» — est à
même de produire per se certains effets sous certaines conditions. Bien
qu’elle ne soit pas adressée à des Etats tiers, cette déclaration peut, dans
un contexte plus large, être rangée dans la catégorie des actes relevant du

«pouvoir d’autolimitation que le droit international conf[ère] aux Etats:
en d’autres termes, la possibilité que ceux-ci [ont] de se soumettre à des
obligations juridiques internationales» .39
Dans la partie de la déclaration portant sur «les engagements que la

République fédérative socialiste de Yougoslavie a pris à l’échelon inter-
national», laquelle est pertinente aux fins de déterminer si la République
fédérale de Yougoslavie pouvait être considérée comme liée par la conven-
tion sur le génocide, la situation est toutefois fondamentalement diffé-

rente.
70. La formule «respectera strictement tous les engagements» peut-
elle être comprise comme signifiant que la République fédérale de You-
goslavie consent à être liée par la convention sur le génocide? Cette inter-
prétation semble, à la lumière de la règle de l’interprétation des actes

juridiques unilatéraux reconnue dans la jurisprudence de la Cour, totale-
ment erronée. Quand il faut interpréter des actes unilatéraux d’Etats, «les
déclarations ... doivent être considérées comme un tout» et «interpré-
tées» comme formant un tout (Compétence en matière de pêcheries

(Espagne c. Canada), compétence de la Cour, arrêt, C.I.J. Recueil 1998 ,
p. 452-454, par. 47 et 44). En outre, les actes unilatéraux «doi[ven]t être
interprété[s] tel[s] qu’[ils] se présente[nt], en tenant compte des mots effec-
tivement employés» (Anglo-Iranian Oil Co., exception préliminaire, arrêt,

C.I.J. Recueil 1952, p. 105).
L’intention de l’auteur de la déclaration présente un intérêt primordial,
car «[q]uand l’Etat auteur de la déclaration entend être lié conformément
à ces termes, cette intention confère à sa prise de position le caractère

d’un engagement juridique» (Essais nucléaires (Australie c. France),
arrêt, C.I.J. Recueil 1974 , p. 267, par. 43 ; Essais nucléaires (Nouvelle-
Zélande c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974 , p. 472, par. 46 ; Différend
frontalier, arrêt, C.I.J. Recueil 1986 , p. 573-574, par. 39-40; les italiques

sont de moi). Lorsque des Etats «font des déclarations qui limitent leur
liberté d’action future, une interprétation restrictive s’impose »( Essais

39V. Rodrigues Cedeno, Rapporteur spécial, Commission du droit international , 1998,
II, deuxième partie, p. 51, par. 140.

465 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KRECu ) 505

nucléaires (Australie c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974 , p. 267,

par. 44; Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France), arrêt, C.I.J.
Recueil 1974, p. 472-473, par. 47; les italiques sont de moi).
71. Compte tenu des règles propres à l’interprétation des actes juri-
diques unilatéraux, la question se pose naturellement de savoir si la Ré-
publique fédérale de Yougoslavie avait, par cette déclaration, l’intention

d’assumer des obligations ex foro externo.
72. Si la déclaration est lue comme un tout et interprétée comme for-
mant un tout, la réponse doit, semble-t-il, être négative. Il est souligné
dans l’introduction que les participants à la session commune de l’Assem-
blée de la RFSY, de l’Assemblée nationale de la République de Serbie et

de l’Assemblée de la République du Monténégro «[s]ouhaitent exprimer
leurs vues sur les objectifs fondamentaux, immédiats et à long terme de
la politique de leur Etat commun, ainsi que sur ses relations avec les an-
ciennes républiques yougoslaves» (les italiques sont de moi). On trouve

rarement dans le domaine du droit international des déclarations de
politique générale. Dans l’affaire du Nicaragua, examinant la ques-
tion de savoir si l’on pouvait déduire un quelconque engagement juri-
dique des communications adressées par la junte du gouvernement de
reconstruction nationale du Nicaragua au Secrétaire général de l’Orga-

nisation des Etats américains avec le «plan pour la paix», la Cour a
notamment constaté ceci:

«Il s’était agi d’une promesse essentiellement politique , faite non
seulement à l’Organisation mais aussi au peuple du Nicaragua qui
devait en être le premier bénéficiaire... Cette partie de la résolution
n’est qu’une simple déclaration ne comportant pas d’offre formelle
pouvant constituer, par son acceptation, une promesse en droit et

donc une obligation juridique. »( Activités militaires et paramilitaires
au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amé-
rique), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986 , p. 132, par. 261; les italiques
sont de moi.)

En outre, si, par hypothèse, les participants avaient souhaité que la décla-
ration produise des effets juridiques, ces effets auraient été exprimés
comme étant la confirmation ou la sauvegarde de droits et obligations

existants et non comme la prise en charge d’obligations pro futuro.
L’interprétation de la déclaration «en tenant compte des mots effective-
ment employés», «telle qu’elle se présente», porte inévitablement à la
conclusion, comme la Cour elle-même l’a dit, que l’intention était de
«demeurer liée par les traités internationaux auxquels était partie l’ex-

Yougoslavie» (C.I.J. Recueil 1996, p. 610, par. 17; les italiques sont de
moi). Dès lors, en vertu tant de considérations juridiques que de la décla-
ration elle-même, cela signifie qu’il y a identité et continuité juridiques
entre l’ex-RFSY et la République fédérale de Yougoslavie. Si, en re-
vanche, l’identité et la continuité juridiques étaient une condition dont dé-

pendait le statut de la République fédérale de Yougoslavie en tant que
partie à des conventions multilatérales, y compris la convention sur le

466 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KREuA ) 506

génocide, il se pose alors une autre question éminemment pertinente: la
déclaration est-elle à même de produire des effets juridiques sans avoir

été acceptée, expressément ou tacitement, par d’autres sujets de droit
international, y compris l’Organisation des Nations Unies?
A l’évidence non, car les déclarations, comme les autres actes
unilatéraux établis aux fins d’assumer des obligations conventionnelles,

sont régies par le droit des traités, tel qu’il s’applique à la convention
particulière dont il s’agit. En règle générale, les actes juridiques unilaté-
raux étant, en tant que tels, autonomes, ils ne sont pas de même nature
que les obligations synallagmatiques qui constituent l’essence des traités.
73. La Convention pour la prévention et la répression du crime de

génocide (1948) dispose, en son article XI:

«La présente Convention sera ouverte jusqu’au 31 décembre 1949

à la signature au nom de tout Membre de l’Organisation des Nations
Unies et de tout Etat non membre à qui l’Assemblée générale aura
adressé une invitation à cet effet.
La présente Convention sera ratifiée et les instruments de ratifica-

tion seront déposés auprès du Secrétaire général de l’Organisation
des Nations Unies.
A partir du 1 er janvier 1950, il pourra être adhéré à la présente
Convention au nom de tout Membre de l’Organisation des Nations
Unies et de tout Etat non membre qui aura reçu l’invitation susmen-

tionnée.
Les instruments d’adhésion seront déposés auprès du Secrétaire
général de l’Organisation des Nations Unies.»

Il apparaît que la ratification et l’adhésion sont les seuls moyens
d’exprimer le consentement à être lié par la Convention. L’article XI
exprime l’intention des auteurs de la Convention:

«Le projet du secrétariat ne proposait comme alternative que
l’adhésion, adoptant pour théorie que l’approbation de la Conven-
tion par les représentants des gouvernements présents à l’Assemblée

générale pouvait pallier la nécessité de signature. Le comité ad hoc,
toutefois, a préféré adopter la procédure habituelle de signature sui-
vie de la ratification pour les Membres fondateurs.» 40

74. Il semble que la Cour s’appuyait en outre fermement sur la conclu-
sion selon laquelle «il n’a pas été contesté que la Yougoslavie soit
partie à la convention sur le génocide» (C.I.J. Recueil 1996, p. 610,
par. 17). Toutefois, cette conclusion ne paraît guère convaincante

compte tenu de la nature juridique de la question de la compétence (voir
par. 41-44 ci-dessus).

40N. Robinson, The Genocide Convention , 1949, p. 47.

467 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP.IND .KRECu ) 507

7. La question de la partie défenderesse

La Serbie a été désignée comme la partie défenderesse à partir de deux

hypothèses:
i) son statut d’Etat continuateur de la communauté étatique de Serbie-

et-Monténégro; et
ii) l’idée que la République du Monténégro, en tant qu’Etat successeur,
était ipso facto privée de toute forme de responsabilité délictuelle.

Toutefois, aucune de ces deux hypothèses n’a été appliquée de façon
cohérente.
En ce qui concerne la première, il paraît clair que la Serbie est le conti-
nuateur juridique de la communauté étatique de Serbie-et-Monténégro.
La question délicate qui se pose, et qui n’a pas même été abordée dans

l’arrêt, est celle du statut juridique de la Serbie-et-Monténégro à partir de
l’an 2000.
75. A la fin de l’an 2000, la RFY a, dans le contexte pertinent, fait
deux choses:

i) elle a renoncé à sa prétention de continuité et a accepté le statut
d’Etat successeur de l’ex-RFSY; et
ii) agissant sur le fondement de cette nouvelle capacité — celle d’Etat

successeur —, elle a présenté une demande d’admission à l’Organisa-
tion des Nations Unies.
76. L’Etat, en tant que notion de droit international, est composé de

deux éléments, c’est-à-dire qu’il a deux facettes:
i) le statut d’Etat, entendu au sens des attributs pertinents comme un
territoire défini, une population stable, un pouvoir souverain;

ii) la personnalité juridique, c’est-à-dire que c’est un sujet de droit inter-
national ayant des droits et des obligations. Dans les circonstances de
l’espèce, la personnalité juridique de la République fédérale de You-
goslavie peut être établie par déduction et de manière dérivée — étant
fondée sur l’identité juridique et la continuation de la République

fédérative socialiste de Yougoslavie — ou bien être inhérente et ini-
tiale — étant fondée sur la qualité d’Etat nouveau.

77. En présentant une demande d’admission à l’Organisation des
Nations Unies, la Yougoslavie n’a pas seulement renoncé à sa thèse de
l’identité et de la continuité juridiques; elle a voulu en même temps être
reconnue comme un Etat nouveau, un Etat doté d’une personnalité juri-
dique différente — un Etat successeur et non un Etat assurant la conti-

nuité partielle de l’ex-République fédérative socialiste de Yougoslavie —
de celle revendiquée jusqu’en 2000. En fait, elle a accepté ladite thèse
comme étant celle de la communauté internationale au moment où la
République fédérale de Yougoslavie a été proclamée officiellement en
avril 1992, une thèse que les organisations internationales compétentes et

les Etats, agissant individuellement ou in corpore en tant que membres
d’organisations, n’ont toutefois pas mise en Œuvre ni formellement ni

468 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND. KRECu ) 508

substantiellement. Ils ont opté pour des solutions fondées sur des consi-
dérations politiques pragmatiques et non sur le droit international. S’est
alors posé un problème de droit à la «Rashomon» quant au statut juri-
dique de la Yougoslavie — était-ce un Etat nouveau ou bien l’ancien

Etat? Et le problème se posait quant à son statut au sein des Nations
Unies — était-ce ou non un Etat Membre des Nations Unies?
78. L’admission de la Yougoslavie aux Nations Unies à compter du
1ernovembre 2000 signifiait aussi que sa demande visant à être reconnue
en qualité d’Etat nouveau était acceptée, en ce sens qu’elle avait désor-

mais une personnalité internationale nouvelle, différente de sa personna-
lité controversée et hybride de la période allant de 1992 à 2000. Cette
thèse a été acceptée par des accords accessoires en forme simplifiée, ou un
accord accessoire général en forme simplifiée, conclus entre la Répu-
blique fédérale de Yougoslavie, d’une part, et les Etats Membres des

Nations Unies et l’Organisation mondiale elle-même, de l’autre, accords
consacrés tacitement dans la lettre et l’esprit de la résolution 55/12 de
l’Assemblée générale et la pratique cohérente ultérieure de l’Organisation
(voir par exemple la lettre du Secrétaire général adjoint, conseiller juri-

dique de l’Organisation des Nations Unies, en date du 8 décembre 2000 et
la liste des Etats Membres dans laquelle figure la date de leur admission
aux Nations Unies (communiqué de presse des Nations Unies ORG/
1317, mise à jour du 18 décembre 2000). Ces accords accessoires ou
l’accord accessoire général ont en réalité pour objet la reconnaissance de

la République fédérale de Yougoslavie en tant que personnalité juridique
nouvelle, en tant qu’Etat successeur de l’ex-RFSY, et son admission en
cette qualité à l’Organisation mondiale dont elle devient Membre. Dès
lors, la Yougoslavie, tout en étant l’«ancien Etat» au sens du statut
d’Etat, a été universellement reconnue comme un «Etat nouveau» au

sens de sa personnalité juridique internationale. Etant donné que la
reconnaissance d’un Etat a ex definitione un effet rétroactif, il s’ensuit
nécessairement que tous les prononcés et décisions adoptés se rapportent
à la RFY qui prétendait assurer la continuité de la RFSY. Et, en tant

que République fédérale de Yougoslavie après l’an 2000, son existence
juridique en tant que nouvelle entité juridique internationale a com-
mencé en novembre 2000 avec son admission à l’Organisation des
Nations Unies.
La seconde hypothèse n’a, en revanche, pas été suivie de façon cohé-

rente en ce qui concerne la République du Monténégro. Elle a été appli-
quée dans certaines parties de l’arrêt, mais pas dans son ensemble. Dès
lors, la République du Monténégro doit prendre immédiatement des
mesures efficaces pour garantir le plein respect de l’obligation qui lui

incombe en vertu des articles I et VI de la convention pour la prévention
et la répression du crime de génocide de punir les actes de génocide défi-
nis à l’article II de la Convention ou tout autre acte prohibé par l’ar-
ticle III et de transférer au Tribunal pénal pour l’ex-Yougoslavie les per-
sonnes accusées de génocide ou d’autres actes et de coopérer pleinement

avec ledit Tribunal. Cela pourrait d’ailleurs être considéré comme attes-

469 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KRECu ) 509

tant une hypersensibilité à l’aspect factuel et politique du problème dans

son ensemble.

P ARTIE II. Q UESTIONS DE FOND

I. La convention sur le génocide en tant que droit applicable

1. L’intention génocidaire est une condition sine qua non du crime de
génocide

79. L’existence d’un acte de génocide en tant que tel ne peut être éta-

blie qu’au regard des conditions prévues par les dispositions de la conven-
tion. Les actes énumérés aux litt. a) à e) de l’article II ne sont pas en
eux-mêmes des actes de génocide mais seulement l’expression physique

ou matérielle d’une intention génocidaire spécifique. A défaut de pouvoir
être directement rattachés à l’intention génocidaire, les actes énumérés à
l’article II de la Convention sont simplement des actes punissables qui

relèvent d’autres crimes, les crimes de guerre ou crimes contre l’humanité,
par exemple.
80. Le génocide en tant que crime distinct se caractérise par son élé-

ment subjectif — l’intention de détruire un groupe national, ethnique,
racial ou religieux, comme tel —, élément qui constitue la differentia spe-
cifica distinguant le génocide d’autres crimes internationaux avec lesquels
41
il partage, en grande partie, l’élément objectif . En l’absence de cette
intention, un acte, quels que soient son degré d’atrocité et sa similitude
avec les actes visés par la Convention, ne peut pas être qualifié de géno-
cidaire .2

81. L’intention génocidaire recouvre, semble-t-il, quatre composantes
distinctes: a) le degré d’intention; b) la destruction; c) le groupe natio-
nal, ethnique, racial ou religieux; d) en tout ou en partie.

Bien que distinctes, les quatre composantes forment un tout juridique;
ensemble, elles constituent l’intention génocidaire, élément subjectif du
crime de génocide. L’absence de l’une quelconque de ces composantes

interdit de considérer l’intention comme une intention génocidaire. En
tant qu’ensemble juridique, ces composantes, prises in corpore, sont la
preuve que l’intention génocidaire n’est pas un élément qui viendrait sim-

plement s’ajouter à des actes physiques à même de détruire un groupe
d’individus. L’intention est une qualité intrinsèque, omniprésente, de ces

41
N. Robinson, The Genocide Convention , 1949, p. 15; Drost, Genocide, II, 1959,
p. 82; «Etude sur la question de la prévention et la répression du crime de génocide»
établie par N. Ruhashyankiko, rapporteur spécial, E/CN.4/Sub.2/416, 4 juillet 1978,
par. 96; version revisée et mise à jour de l’«Etude sur la question de la prévention et
la répression du crime de génocide» établie par M. B. Whitaker, Nations Unies,
doc. E/CN.4/Sub.2/1985/6, 2 juillet 1985, par. 38-39.
42Nations Unies, Documents officielsede l’Assemblée générale, troisième session,
première partie, Sixième Commission ,69éance.

470 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP .IND .KRECu ) 510

actes pris individuellement, qui transforme de simples actes punissables
en actes de génocide. Autrement dit, cette intention est une composante
qualitative du génocide, qui le distingue de tous les autres crimes — c’est,

à la vérité, son élément constitutif stricto sensu.
82. L’intention génocidaire existe comme telle. Elle ne caractérise pas
seulement un esprit coupable, mais un esprit coupable de la destruction
d’un groupe national, ethnique, racial ou religieux comme tel. Elle ne se

résume pas à l’élément discriminatoire, qui n’en constitue que la caracté-
ristique la plus générale — qu’elle partage, par exemple, avec les crimes
contre l’humanité. Mais alors que, dans le cas de la persécution, acte rele-
vant du crime contre l’humanité, l’intention discriminatoire peut revêtir

diverses formes inhumaines et s’exprimer par le biais d’une multitude
d’actes, dont l’assassinat, l’intention requise pour le génocide, étant donné
que le génocide est une forme extrême de persécution — la plus inhu-

maine des formes qu’elle puisse revêtir —, doit s’accompagner de celle de
détruire, en tout ou en partie, le groupe auquel les victimes appar-
tiennent .Lamens rea revêt, en ce qui concerne le crime de génocide,
une nature complexe et ne se réduit pas à la forme classique de la mens

rea du droit pénal. Deux niveaux sont à prendre en compte — la mens
rea en tant que complément de l’actus reus, à savoir les actes constitutifs
de génocide au sens de l’article II (litt. a), b), c), d) et e)) et «l’intention

de détruire» des groupes protégés comme tels, en tant qu’intention par-
ticulière inhérente au génocide. C’est donc à juste titre qu’il a été souligné
que, «pour garantir la primauté du droit et le respect du principe nullum
crimen sine lege, il convient de distinguer rigoureusement les «deux inten-

tions» lorsqu’il s’agit d’établir les faits requis pour décider de l’innocence
ou de la culpabilité d’un accusé» . En outre, les deux aspects de la mens
rea se caractérisent par la présence de deux composantes — la conscience

(conscience; Wissen) et la volonté (will; Wollen). Dans leur manifesta-
tion cumulative, ils se déclinent — par ordre décroissant de gravité — en
dolus specialis, dolus directus, dolus indirectus (intention indirecte) et
dolus eventualis (intention conditionnelle), qui correspondent globale-

ment à l’intention, l’imprudence (recklessness) et la négligence criminelle
(criminal negligence) en droit anglo-saxon. La mens rea comme complé-
ment des actes constitutifs de l’élément matériel — actus reus — du crime
doit être présente sous forme de dolus directus. Autrement dit, l’auteur

du crime doit être conscient de l’effet de l’acte (élément psychologique) et
avoir la volonté de commettre l’acte (élément d’intention ou élément
émotionnel).

2. Le degré de l’intention

83. Pour ce qui est de son degré, l’intention de détruire le groupe, en

43TPIY, Le procureur c. Kupre∏´ , chambre de première instance, jugement, par. 636.
44Triffterer, «Genocide, Its Particular Intent to Destroy in Whole or in Part the Group
o
as Such», Leiden Journal of International Law , vol. 14, n001, p. 400.

471 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND .KRECAu ) 511

tant qu’intention précise (dolus specialis), se situe au sommet de la

hiérarchie des états mentaux de la culpabilité. En tant que telle, elle
exclut la culpa,eldolus eventualis (imprudence) ou la négligence . 45
Le crime de génocide est «unique en raison de l’élément de dolus
46
specialis (intention précise)» , qui est de fait l’élément constitutif
de ce crime. Le degré de dolus specialis requis implique qu’il ne suffit

pas que l’accusé «sache que ses actes auront pour conséquence
certaine, voire ... vraisemblable, la destruction du groupe en ques-
tion»; il doit «rechercher la destruction de tout ou partie du
47
groupe» .
En d’autre termes, l’intention précise se caractérise par l’élément de

volonté — volonté délibérée et active de détruire le groupe protégé. Le
fait de savoir quelles seront les conséquences naturelles et prévisibles des
actes accomplis n’est pas, par lui-même, constitutif de l’intention

de détruire. Il doit s’y ajouter le fait de chercher à détruire le groupe,
critère supplémentaire au sens structurel, et prépondérant au sens
normatif. Pour être réputés prohibés par l’article II de la Convention,

les actes doivent être commis dans «l’intention de détruire, ou tout
ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme

tel».

3. La destruction

84. Le terme «détruire», au sens de l’article II de la convention,

désigne le génocide de type matériel (physique et biologique). Le génocide
physique est visé aux litt. a), b) et c), le génocide biologique
au litt. d).

S’agissant des litt. a) et c), la question semble évidente. Si le meurtre
est à n’en pas douter unmodus operandi du génocide physique , l’expres-8
sion «destruction physique» employée au litt. c) exclut la possibilité de

considérer que la soumission du groupe à des conditions d’existence qui
ne conduiraient pas à cette destruction pourrait constituer un acte de

génocide. L’adjectif «intentionnelle» a été introduit pour marquer une
intention précise de destruction, en d’autres termes la préméditation liée à
la création de certaines conditions d’existence . Au vu des travaux pré-

paratoires de la convention, pourraient, par exemple, constituer de tels
actes «la soumission d’un groupe ... à un régime alimentaire de subsis-

45Cassese, Genocide in the Rome Statute of the International Criminal Court , 2002, I,
p. 338.
46TPIR, Le procureur c. Kambanda , affaire n o ICTR-97-23-S, 4 septembre 1998,
par. 16.
47TPIY, Le procureur c. Jeli´ , par. 85-86.
48Les critères requis pour qu’il y ait meurtre de membres du groupe, en tant qu’élément

matériel de la composante visée à l’alinéa a), seraient remplis si la victime était morte et
que sa mort était rosultée d’un acte illégal ou d’une omission illégale (TPIR, Le procureur
c. Akayesu, affaire nICTR-96-4-T, 1998, par. 589).
49A/C.6/SR.82, p. 3; N. Robinson, op. cit.,p.16.

472 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND . KRECu ) 512

tance, la réduction des services médicaux prescrits au-dessous d’un mini-
50
mum, le fait de ne pas fournir de logements suffisants, etc.» — impli-
quant une mort lente, par opposition à la mort immédiate visée aulitt. a)
de l’article II. La differentia specifica entre le meurtre et la soumission à

des conditions d’existence devant entraîner la destruction s’exprime donc
essentiellement en termes de modalités de destruction — dans le second

cas, le caractère d’immédiateté du meurtre en tant que moyen d’extermi-
nation (modus operandi) est absent; il s’agit d’une extermination à terme.
Il ressort également de la genèse du litt. b) que les auteurs de la

convention interprétaient l’«atteinte grave à l’intégrité physique ou men-
tale» comme une forme de génocide physique. Les souffrances physiques

ou atteintes à l’intégrité physique n’entraînant pas la mort tombe51 dans
la catégorie des crimes contre l’humanité et de la torture . L’expression
«atteinte à l’intégrité mentale», en revanche, a un sens spécifique dans le

libellé du litt. b). Elle a été insérée à la demande insistante de la Chine.
Expliquant sa proposition en évoquant les actes commis au moyen de
stupéfiants par les forces d’occupation japonaises contre la nation chi-

noise, la Chine relevait que, si ces actes ne revêtaient pas le caractère
spectaculaire des massacres et des chambres à gaz de l’Allemagne nazie,
52
leurs conséquences n’en avaient pas été moins fatales . Toute atteinte à
l’intégrité physique ou mentale ne suffit donc pas pour constituer l’élé-
ment matériel du génocide: comme l’a affirmé la Commission du droit

international, elle «doit être d’une gravité telle qu’elle menace de
détruire ... [l]e groupe» , étant entendu par destructions celles définies
par la convention — à savoir la destruction physique ou biologique.

Des actes tels que la stérilisation des femmes, la castration, l’interdic-
tion des mariages, etc., réunis dans la catégorie des «mesures visant à

entraver les naissances au sein du groupe», sont constitutifs de génocide
biologique. C’est l’extrême ampleur des mesures imposées pour empêcher
les naissances au sein du groupe afin d’anéantir le potentiel biologique

national d’un groupe qui constitue le critère permettant d’établir une dis-
tinction entre l’acte de génocide défini à l’alinéa b) et les mesures suscep-
tibles d’être prises contre le gré des membres d’un groupe dans le cadre de

programmes de régulation des naissances et de planification familiale,
mesures parfois qualifiées de «génocide qui ne dit pas son nom» ou
54
«génocide occulte» (black genocide) .
85. A première vue, seul l’acte de transfert forcé d’enfants du groupe à

50 N. Robinson, op. cit.,p.18.
51 TPIY, Le procureur c. Delal´ et consorts , chambre de première instance, jugement,
p. 511.
52 Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale, troisième session,
première partie, Sixième Commission ,69eséance, p. 59-60.
53 Projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, Nations Unies,
o
Documents officiels de l’Assemblée générale, cinquante et unième session , supplément n
Na54ons Unies, doc. A/51/10 (1996), art. 17.
o M. Treadwell, «Is Abortion Black Genocide?», Family Planning Perspectives , vol. 4,
n 4/1986, p. 24.

473 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP . IND. KRECu ) 513

un autre groupe ne rentre pas dans le cadre de la notion de génocide phy-
sique/biologique telle que définie par la Convention. Toutefois, il convient
de souligner que l’acte de transfert forcé d’enfants a été incorporé parmi

les actes constitutifs de génocide au motif qu’il avait des effets physiques
et biologiques, puisqu’il impose à de jeunes personnes des conditions
d’existence susceptibles de porter gravement atteinte à leur intégrité,
voire d’entraîner leur mort . Il est, en ce sens, fort significatif que la pro-

position d’inclure dans la convention le génocide culturel ait également
été comprise comme recouvrant un ensemble d’actes détruisant spirituel-
lement les caractéristiques vitales du groupe, comme dans le cas de l’assi-

milation forcée. La proposition fut rejetée par vingt-six voix contre seize,
avec quatre abstentions . Il semble donc raisonnable de postuler que le
motif sous-jacent du litt. e) est de «condamner les mesures visant à

détruire une génération nouvelle, action qui est liée à la destruction d’un
groupe, c’est-à-dire au génocide physique» . Même s’il était admis que
l’acte visé au litt. e) est constitutif de génocide «culturel» ou «sociolo-

gique», sa signification, en la présente espèce, serait d’une importance limi-
tée. Premièrement, en tant que tel, il constituerait une exception à la règle
relative au génocide matériel visé à l’article II de la convention et serait,

par conséquent, susceptible d’être interprété de manière restrictive.
Deuxièmement, le demandeur n’allègue pas le «transfert forcé d’enfants»
parmi les actes de génocide qui auraient été commis sur son territoire.

86. Il s’ensuit que la distinction entre l’acte de meurtre de membres du
groupe et d’autres actes constituant l’actus reus du crime de génocide
réside plutôt dans les modalités que dans les conséquences finales. En ce

sens, la qualification donnée par le TPIR en l’affaire Akayesu semble
exacte. L’acte visé au litt. c) de l’article II de la convention sur le géno-
cide y est décrit comme un «moye[n] de destruction par [lequel] l’auteur

ne cherche pas nécessairement à tuer immédiatement les membres du
groupe, mais, à terme, vise leur destruction physique» , autrement dit la
«mort lente».

87. L’interprétation du terme «destruction» suscite deux interroga-
tions juridiques fondamentales:

a) la question de savoir si la destruction doit effectivement avoir lieu,

autrement dit si elle doit être effective; et
b) l’ampleur de cette destruction.

88. En ce qui concerne le caractère effectif de la destruction, il existe
une certaine différence entre les actes énumérés à l’article II de la conven-

tion.

55A/C.6/242.
56Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale, troisième session,
première partie, Sixième Commission ,83séance, p. 206.
57
Etude sur la question de la prévention et la répression du crime de génocide, établie par
N.58uhashyankiko, rapporteur spécial, E/CN.4/Sub.2/416, p. 24.
TPIR, Le procureur c. Akayesu, par. 505.

474 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP .IND .KRECu ) 514

L’acte de «meurtre» implique une destruction réelle exprimée par le

résultat obtenu et prouvé. En ce sens, l’élément essentiel de cet acte est la
mort de la victime. Sur cet aspect des choses, les deux tribunaux ont déve-
loppé une jurisprudence très large et pratiquement uniforme — d’un

point de vue déclaratif du moins puisque, par exemple, dans l’affaire Krs- 59
ti´, les «personnes portées disparues» sont traitées comme «décédées» .
Contrairement au meurtre, les atteintes graves à l’intégrité physique ou
mentale ainsi que le transfert forcé d’enfants s’accompagnent non pas

d’une réelle destruction, mais d’un résultat équivalent qui s’exprime par
un grave dommage physique ou mental ou le déplacement d’enfants et
entraîne la destruction. En d’autres termes, dans ces deux cas, le résultat
recherché s’inscrit dans une relation de cause à effet — lequel effet est

décalé dans le temps — c’est-à-dire à la destruction.
En ce qui concerne les actes consistant à soumettre les intéressés à des
conditions d’existence devant entraîner leur destruction, ou à entraver les
naissances, aucune preuve du résultat n’est toutefois requise; en effet, ces

actes représentent en eux-mêmes le résultat. A des fins d’équilibre et de
sécurité juridique, cependant, le critère de l’intention est dans ce cas plus
strict, puisque, à la différence des actes appelant des résultats, ceux-ci

doivent avoir été accomplis de manière «intentionnelle», par la soumis-
sion du groupe à des conditions «devant» entraîner sa destruction, et
«délibérés», par des mesures visant à entraver les naissances.
89. Les différences intrinsèques qui existent entre les actes énumérés à

l’article II de la convention, pour ce qui est de leur rapport à la destruc-
tion du groupe protégé en tant que ratio legis ultime de la convention,
appellent une approche particulièrement prudente quand il faut établir
l’actus reus du crime de génocide.

Contrairement au cas du «meurtre», tous les autres actes constitutifs
de l’actus reus du crime de génocide, en tant qu’ils n’équivalent pas à une
destruction effective, ont seulement le potentiel, plus ou moins grand, de
détruire un groupe protégé, ce qui les rapproche plutôt, d’un point de vue

juridique, de la tentative de génocide. De fait, ces actes peuvent donc être
perçus davantage comme une preuve de l’intention que comme des actes
de génocide proprement dit. Bien évidemment, du point de vue du droit

pénal, on peut entendre par génocide toute forme de déni à un groupe de
son droit à survivre; la Convention de 1948 est certes une convention sur
la prévention et la répression du crime de génocide, mais il n’en demeure
pas moins que la frontière entre des actes n’équivalant pas à une destruc-

tion effective et des tentatives de génocide peut être difficile à établir, en
particulier au moment de la prise de décision.

59
TPIY, Le procureur c.{elebi´i, chambre d’appel, arrêt, par. 422-423; Le procureur
c. Bla∏k´, chambre de première instance, jugement, par. 217; Le procureur c. K´ ,e∏kic
chambre de première instance, jugement, par. 560-561; TPIR, Le procureur c. Kayishema ,
chambre de première instance, jugement, par. 140; Le procureur c. Akayesu, chambre de
première instance, jugement, par. 588; TPIY, Le procureur c´ , chambre de première
instance, jugement, par. 485.

475 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KRECu ) 515

La bonne application du droit relatif au génocide, tel qu’il est énoncé
dans la Convention, implique nécessairement que les actes de génocide

— ou, plus précisément, les méthodes et les moyens par lesquels sont
commis des actes de génocide n’équivalant pas à une destruction effec-
tive — soient rigoureusement évalués non seulement du point de vue

subjectif, mais également du point de vue objectif. Ce dernier concerne
pour l’essentiel l’aptitude d’une ou de plusieurs actions à produire
des effets relevant du génocide. Ce potentiel de destruction, s’agissant

de destruction matérielle, doit, en d’autres termes, pouvoir être discer-
né dans l’action elle-même, indépendamment et en sus de l’intention
de l’auteur.

3.1. L’ampleur de la destruction

90. En ce qui concerne la question de l’ampleur de la destruction, deux

critères ressortent de la jurisprudence récente des tribunaux.
Le premier critère vise la destruction du groupe du point de vue de ses
dimensions mêmes et de sa composition numérique homogène: il s’agit
de l’approche dite quantitative. Il est généralement fait référence à une

«partie substantielle», ce qui correspond à «une forte proportion du
groupe en question» . 60
Le second critère vise en revanche la destruction de l’élite ou des diri-

geants du groupe, qui sont considérés comme revêtant une forte impor-
tance pour l’existence de tout le groupe. «[S]i cette destruction vise une
composante importante de ce groupe, telle que ses dirigeants», elle est
61
considérée comme suffisante .
Une autre hypothèse consiste à dire que le genus proximum du crime de
génocide ne cadre pas avec l’ampleur qualitative et l’ampleur quantitative
de la destruction — ce qui, du reste, serait contraire à la logique. On voit

mal comment deux critères qui, par nature, sont diamétralement opposés
pourraient permettre une bonne administration de la justice en l’espèce.
Leur application conjuguée, et la désintégration des éléments constitutifs

du crime de génocide qu’elle suppose, pourrait tout simplement conduire
à une relativisation de la protection conférée par la convention aux
groupes nationaux, ethniques, raciaux ou religieux. L’application des

deux critères revient à scinder l’intention de détruire un groupe entre
la «volonté de destruction massive du groupe» et celle de détruire «un
nombre plus limité de personnes, celles-ci étant sélectionnées en raison de
62
l’impact qu’aurait leur disparition pour la survie du groupe...» . Intro-
duire la qualification de génocide même quand la volonté d’extermina-
tion ne recouvre qu’une zone géographique limitée ouvre notamment la
voie à des déterminations subjectives et arbitraires. L’on pourrait dire

60TPIY, Le procureur c. Jel´ , chambre de première instance, jugement, par. 82.
61TPIY, Le procureur c. Stak´ , chambre de première instance, jugement, par. 525;
Le procureur c. Krs´ , chambre de première instance, jugement, par. 587.
62TPIY, Le procureur c. Jel´ , chambre de première instance, jugement, par. 82.

476 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND .KRECu ) 516

que «ce degré d’incertitude place le génocide aux confins du principe
nullum crimen sine lege » .63

Dans l’alternative critère quantitatif/critère qualitatif, l’on peine à voir
ce qui justifierait de privilégier ce dernier.
Tout d’abord, le critère fondé sur «les dirigeants» est ambigu et sub-
jectif. On ne sait pas bien s’il s’applique à l’élite politique, militaire ou

intellectuelle, ou s’il revêt un sens générique. Il introduit insidieusement
l’idée que les dirigeants du groupe, quel que soit le domaine dans lequel
ils exercent leur autorité, font l’objet d’une protection particulière, plus
forte que celle dont bénéficient les autres membres de tout ou partie du
groupe, ou qu’ils constituent en fait un sous-groupe distinct. En outre, ce

critère participe d’une promotion voilée du groupe politique en objet pro-
tégé par la Convention. Que le groupe soit scindé en membres de l’élite et
membres ordinaires a, dans notre société moderne, une connotation ana-
chronique et discriminatoire en opposition flagrante avec les idées qui

sont à la base des droits et libertés individuels et collectifs. Citons enfin le
problème, non négligeable, que pose l’interprétation tendant à définir une
partie du groupe par assimilation à ses dirigeants, interprétation dont on
ne trouve aucune trace dans les travaux préparatoires de la convention.

Contrairement au critère dit qualitatif, le critère quantitatif se caracté-
rise par l’objectivité qui découle de sa nature même. Conformément à la
loi des grands nombres, ce critère, quand il est appliqué, porte en règle
générale sur les membres du groupe visés par le critère qualitatif en tant

que paramètre de l’intention de détruire. Il est aussi mieux adapté à
l’esprit et à la lettre de la convention, qui désigne le groupe comme tel en
tant que cible ultime ou que victime escomptée du crime.

3.2. L’objet de la destruction

91. L’objet de la destruction est un «groupe national, ethnique, racial

ou religieux, comme tel». Cet énoncé exprime le caractère collectif spéci-
fique du crime. Celui-ci réside dans les caractéristiques communes aux
victimes — l’appartenance à un même groupe national, ethnique, racial
ou religieux — en tant que qualité exclusive motivant leur soumission aux
actes constituant l’actus reus du génocide. Le génocide vise un certain

nombre d’individus dans leur collectivité, ou ces individus eux-mêmes en
tant que représentants de la collectivité et non ad personam (en tant
qu’éléments passifs de la collectivité). La Commission du droit inter-
national l’a dit dans les termes suivants:

«[l]’acte prohibé [génocide] doit être commis en raison de l’apparte-

nance de la victime à un certain groupe et à titre de mesure concou-
rant à la réalisation de l’objectif global de destruction du groupe...

63P. Akhavan, «Contributions of the International Criminal Tribunals for the Former
Yugoslavia and Rwanda to the Development of Definitions of Crimes against Humanity
and Genocide», American Society of International Law Proceeding , avril 2000, p. 283.

477 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP . IND .KRECA ) 517
u

[L]’intention doit être de détruire le groupe «comme tel» c’est-à-dire

comme entité séparée distincte, et non simplement quelques individus
en raison de leur appartenance à ce groupe .» 64

Le TPIY définit les groupes protégés pertinents comme des groupes qui
peuvent «être identifiés [par le] recours au critère subjectif de stigmatisa-
65
tion dudit groupe, notamment par les auteurs du crime» .
92. Le critère subjectif servant à déterminer si un groupe constitue un

«groupe national, ethnique, racial ou religieux» est une chose, le subjec-
tivisme en est une autre.

Le critère subjectif, servant de substitut ou de complément du critère
objectif, est le critère juridique utilisé tant en droit national qu’en droit
international en ce qui concerne les groupes nationaux, ethniques, raciaux

ou religieux, ceux-ci «correspondant en gros à ce qu’il était convenu
d’appeler, avant la seconde guerre mondiale, les «minorités nationa-
66
les»» . Il comprend, comme le relève à juste titre Schabas, les «races» et
«groupes religieux» , notions dont le sens n’a donné lieu à aucune

controverse notable. En ce qui concerne les groupes ethniques, l’expres-
sion semble avoir revêtu, dans l’usage contemporain, le caractère d’expres-
sion générique recouvrant les notions de «minorités nationales» «races»
68
et «groupes religieux» . Cette expression a été employée dans l’affaire
Akayesu par le TPIR, qui a conclu que les Hutus et les Tutsis «étaient

considérés ... comme formant deux groupes ethniques différents aussi bien
par les autorités que par les populations elles-mêmes» . 69
70
A l’inverse, la «stigmatisation du groupe par les auteurs du crime »
semble ressortir à l’introduction de subjectivisme dans la qualification du
groupe protégé plutôt qu’à une juste application du critère subjectif en

tant que tel. Cette notion peut entraîner une remise en question du
contenu juridique du crime de génocide, ramené à l’un des ses éléments

constitutifs — l’élément groupe protégé —, transformant le groupe
«national, ethnique, racial ou religieux» comme tel en une collectivité

humaine abstraite définie de manière subjective. La différence entre
groupes protégés au sens de la convention sur le génocide et les groupes,

64 Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale, cinquante et unième ses-
sion, supplément no10, doc. A/51/10/1996, p. 88; les italiques sont de moi.
65 TPIY, Le procureur c. Brdjanin , chambre de première instance, jugement, par. 683;
TPIY, Le procureur c. Krsti´ , chambre de première instance, jugement, par. 557; TPIY,

Le66rocureur c. Jeli´ , chambre de première instance, jugement, par. 70.
TPIY, Le procureur c. Krstic´ , chambre de première instance, jugement, par. 555;
TPIR, Le procureur c. Rutaganda , chambre de première instance, jugement, par. 56;
TPIR, Le procureur c. Kajelijeli , chambre de première instance, jugement, par. 811.
67 W. Schabas, Genocide in International Law , p. 113.
68 Ibid.
69 TPIR, Le procureur c. Akayesu, par. 122, note n 56; les italiques sont de moi.
70
TPIY, Le procureur c. Nikoli´, décision prise en application de l’article 61, par. 27;
TPIY, Le procureur c. Krsti´ , chambre de première instance, jugement, par. 557; TPIY,
Le procureur c. Jeli´ , chambre de première instance, jugement, par. 70; les italiques sont
de moi.

478 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND .KRECu ) 518

politiques par exemple, qui ne sont pas considérés comme tels risque ainsi

de s’effacer. Les contours des crimes internationaux s’estompent donc,
parce que les actes physiques au moyen desquels les crimes de guerre, les
crimes contre l’humanité et le génocide sont commis sont au fond les
mêmes. En outre, la stigmatisation personnelle en tant que critère d’iden-

tification du groupe protégé peut remettre en question l’existence objec-
tive du groupe «national, ethnique, racial ou religieux» et introduire
dans la notion de groupes protégés les groupes exclus du champ d’appli-
cation de la convention sur le génocide.

93. Les effets négatifs cumulés que présente le choix de la stigmatisa-
tion opérée par l’auteur en tant que critère pertinent découlent de l’absence
de congruence — voire du conflit ouvert — entre, d’une part, ce critère et,
d’autre part, les principes juridiques généralement reconnus et les consi-

dérations juridiques pertinentes.
Premièrement, les éléments constitutifs du génocide relèvent du droit
positif. En tant que tels, et même indépendamment de toute valeur juri-
dique, ils ne peuvent, sauf disposition expresse contraire, être déterminés

par l’auteur d’un crime. Il est sans exemple dans le domaine du droit
pénal international ainsi que du droit pénal comparé que l’auteur
d’un délit puisse être à même de déterminer la portée du délit commis. La
portée d’un délit relève du droit positif et non du jugement de valeur

personnel de l’auteur. Déterminer un groupe «national, ethnique,
racial ou religieux» en tant qu’élément constitutif du crime de
génocide à partir du jugement de valeur personnel de son auteur
est totalement contraire à l’essence même de l’opinion juridique dans

le domaine du droit pénal. La qualification «comme tel» qui apparaît
à l’article II de la convention pose le groupe «national, ethnique,
racial ou religieux» comme un élément de la réalité objective
et non comme la résultante d’un jugement de valeur personnel de

l’auteur.
Deuxièmement, en rendant une décision fondée sur un jugement de
valeur personnel de l’auteur, une cour de justice, quelle qu’elle soit, en cas
de divergence entre le critère subjectif de la stigmatisation et la définition

du groupe «national, ethnique, racial ou religieux» comme tel, crée une
réalité judiciaire virtuelle qui n’est pas conforme à la réalité objective
envisagée à l’article II de la convention, avec en outre pour conséquence
possible l’identification en tant que groupe pris pour cible — un groupe
71
qui n’existe même pas dans la réalité .
Troisièmement, le critère subjectif ne saurait à lui seul suffire à déter-
miner le groupe protégé au sens de la convention sur le génocide; en effet,
les actes énumérés aux litt. a) à e) de l’article II de la convention doivent
72
viser des «membres du groupe» .
Quatrièmement, au cas où les auteurs du crime seraient plusieurs, le

71W. Schabas, op. cit., p. 110.
72Ibid.

479 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND .KRECu ) 519

critère de la stigmatisation peut facilement déboucher sur des identifica-
tions hétérogènes, sensiblement différentes, des groupes concernés.

Cinquièmement, la perception qu’a l’auteur du groupe «national, eth-
nique, racial ou religieux», si elle est erronée, entraîne une error in per-
sonam qui, par elle-même, disqualifie l’intention génocidaire. C’est un

principe général du droit pénal que quiconque, au moment de commettre
un délit pénal, ignore que l’un des éléments du délit relève d’une classifi-
cation juridique ne peut être réputé avoir agi intentionnellement. La res-

ponsabilité délictuelle pour négligence n’en demeure pas moins.
Sixièmement, une telle interprétation donne à la Cour des pouvoirs
discrétionnaires trop larges. Vu la nature de la perception de l’auteur, on
pourrait aller jusqu’à dire que ces pouvoirs sont quasiment des pouvoirs

discrétionnaires illimités (discretio generalis).
94. La jurisprudence des deux tribunaux pénaux a aussi montré les fai-
blesses du critère subjectif. Dans l’affaire Brdjanin, le TPIY a expressé-

ment indiqué que «l’exacte détermination du groupe protégé concerné
doit s’effectuer au cas par cas, sur la base à la fois du critère objectif et du
critère subjectif » . C’est ainsi que le TPIR a posé, comme critère objectif

d’identification des Tutsis, les cartes d’identité indiquant l’appartenance
ethnique (identification par d’autres), ou le critère subjectif des membres
des groupes visés (auto-identification) . Il est par conséquent de la plus
haute importance que le critère subjectif, s’il doit être appliqué sous sa

forme de «stigmatisation», soit conçu dans le cadre de normes juridiques
objectives découlant de la lettre et de l’esprit des dispositions correspon-
dantes de la convention sur le génocide, dans le respect des normes éta-

blies par le droit des minorités nationales.
95. Il faut en déduire que le critère de la stigmatisation non seulement
ne saurait être le seul critère, mais encore ne saurait être le critère essen-

tiel de la détermination du groupe «national, ethnique, racial ou reli-
gieux» aux fins de la convention sur le génocide. Il s’agit plutôt d’une
confirmation personnelle par l’auteur de l’existence du groupe protégé, et

non de son élément constituant . Il est intéressant de relever que, dans le
cas de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, le TPIY a appli-
qué le critère objectif à la détermination des groupes protégés . 75
Fondamentalement, la stigmatisation du groupe comme tel revêt une

importance en matière d’administration de la preuve en tant qu’il s’agit
de l’un des éléments dont peut se déduire l’existence d’une intention
génocidaire.

96. Le groupe «national, ethnique, racial ou religieux», du moins

73TPIY, Le procureur c. Brdjanin , chambre de première instance, jugement, par. 684;
voir également TPIR, Le procureur c. Semanza, chambre de première instance, jugement,
par. 317; TPIR, Le procureur c. Kajelijeli , chambre de première instance, jugement,
par. 811; les italiques sont de moi.
74TPIR, Le procureur c. Kayishema , chambre de première instance, jugement, par. 90,
98.
75Jones, p. 69, 94.

480 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND .KRECu ) 520

lorsque l’Etat sur le territoire duquel s’est déroulé le crime allégué de géno-

cide reconnaît l’existence de ces groupes en tant qu’entités distinctes et
séparées, doit être déterminé sur la base des critères énoncés par le droit
interne de l’Etat en question, ou sur la base des traités internationaux en
vigueur auxquels l’Etat en question est partie. D’une certaine manière, il
s’agit ici de se référer au droit interne de la Bosnie-Herzégovine, à la fois

parce que le droit international ne dispose pas de critères précis univer-
sellement admis pour la détermination des groupes «nationaux, eth-
niques, religieux ou raciaux» et parce que, dans l’affaire qui nous intéresse,
il est invoqué des entités dont la définition relève du droit interne et de la
structure de la société de Bosnie-Herzégovine. Ou, si nous ne nous réfé-

rons pas strictement au droit interne, du moins nous faut-il prendre acte
de l’existence de groupes en droit interne de la Bosnie-Herzégovine, ainsi
que des critères sur la base desquels ces groupes ont été définis. Cette
démarche se justifie d’autant plus que le TPIY lui-même, lorsqu’il l’a jugé

approprié, s’est appuyé sur le droit interne pour déterminer les éléments
constitutifs de crimes internationaux.
L’application du critère subjectif se heurte à des limites objectives,
essentiellement liées au sens fondamental du groupe «national, ethnique,
racial ou religieux» comme tel. Bien que la convention ne propose pas de

définition explicite de ces groupes, la signification première des expres-
sions utilisées paraît être relativement claire. Les attributs «national»,
«ethnique», «religieux» et «racial», bien qu’ils ne soient pas déterminés
d’une façon rigoureusement précise ni universellement reconnue, possè-
dent par eux-mêmes un sens générique reconnaissable par tous, et qui a

d’ailleurs été, jusqu’à un certain point, affiné dans d’autres conventions
internationales (par exemple, la convention internationale pour l’élimina-
tion de toutes les formes de discrimination raciale). L’absence de distinc-
tion spécifique — differentia specifica — entre ces quatre groupes, absence
qui risque d’entraîner des recoupements, ne saurait avoir d’incidence

négative significative sur la bonne application de la convention sur le
génocide, dans la mesure où le sens générique qu’on leur prête générale-
ment permet d’identifier clairement les groupes qui ne sont pas protégés
par la convention, ou emporte par lui-même un effet d’exclusion, empê-
chant ainsi la création de nouveaux groupes protégés hors du cadre des

groupes «nationaux, ethniques, religieux ou raciaux». Et cela est parfai-
tement démontré dans le cas précis de la Bosnie-Herzégovine.
97. Le demandeur affirme que les groupes protégés au sens de la
convention sur le génocide sont en l’espèce: le «peuple bosniaque»
(requête, mémoire de la Bosnie-Herzégovine, 2.2.1.2), essentiellement des

«Musulman[s]» (ibid., 2.2.2.1), la «population musulmane» (ibid.,
2.2.5.13), «les groupes nationaux, ethniques ou religieux, notamment
mais non exclusivement sur le territoire de la République de Bosnie-
Herzégovine, en particulier la population musulmane»i(bid., conclusion 1),
la population non serbe (réplique de la Bosnie-Herzégovine, 7); «le

peuple et ... l’Etat de Bosnie-Herzégovine» (Application de la convention
pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzé-

481 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND .KRECu ) 521

govine c. Yougoslavie), mesures conservatoires, ordonnance du 8 avril
1993, C.I.J. Recueil 1993, p. 4, par. 2; ibid., mesures conservatoires,

ordonnance du 13 septembre 1993, C.I.J. Recueil 1993 , p. 332).
En tant qu’ils ont vocation à être protégés contre le génocide, les
groupes «nationaux, ethniques, raciaux ou religieux» doivent être définis
avec précision. Cette obligation de définition revêt une importance

déterminante à la fois du point de vue de la procédure et du point
de vue du fond.
Dans le contexte ethnique, national ou religieux de la Bosnie-Herzégo-
vine, l’expression «non serbe» revêt une signification relativement vague
et large, et ne saurait de ce fait entrer dans le cadre de la définition du

groupe «national, ethnique, racial ou religieux» que donne la convention
sur le génocide. Du moment qu’il s’agit d’une expression générale visant
différents groupes, elle va à l’encontre du critère essentiel qui est que le
groupe protégé constitue une entité distincte et séparée. Outre les Musul-

mans et les Croates, cette expression vise nécessairement d’autres
groupes. La mosaïque ethnique et nationale que constituait la Bosnie-
Herzégovine comprenait non seulement des Yougoslaves, des Juifs et des
Roms, mais également des Monténégrins; comme ces derniers consti-

tuaient la principale communauté ethnique du Monténégro, ancienne
unité fédérale de l’Etat défendeur, l’expression «non serbe» suppose que
le défendeur est également accusé d’autogénocide. En outre, cette expres-
sion recouvre également des Serbes de Bosnie-Herzégovine, dont la plu-

part se déclaraient être des Yougoslaves.
L’expression «peuple bosniaque» repose sur un lien de citoyenneté
individuelle avec l’Etat de Bosnie-Herzégovine; il s’agit d’un critère objec-
tif de détermination du «groupe national». Toutefois, le terme «bos-

niaque» n’existe pas au sens de groupe «national, ethnique, racial ou
religieux», dans la mesure où il reflète la notion de «groupe national» au
sens «politico-juridique» ; il se trouve donc dénué de pertinence pour
des Etats tels que la Bosnie-Herzégovine, qui pratiquent une distinction

entre les notions de «nationalité» et de «citoyenneté». A cet égard, la
qualification de «peuple bosniaque» infirme l’existence de différents
groupes ethniques, nationaux, religieux en Bosnie-Herzégovine et pour-
rait en tant que telle être qualifiée de discriminatoire. Il en va de même

mutatis mutandis pour l’expression «population bosniaque».
L’expression «Musulmans essentiellement bosniaques», que ceux-ci
soient compris au sens de «peuple» ou de «population», est celle qui se
rapproche le plus du concept de «groupe national, ethnique, racial ou
religieux» au sens de la convention sur le génocide, bien qu’elle ne

réponde pas entièrement aux strictes exigences de l’énoncé de la conven-
tion — c’est-à-dire «un groupe national, ethnique, racial ou religieux,
comme tel» (les italiques sont de moi). La qualification «comme tel»

76N. Ruhashyankiko, rapporteur spécial, doc. E/CN.4/Sub.2/416, 4 juillet 1978,
par. 56-61.

482 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND .KRECu ) 522

indique clairement que l’objet du génocide est de détruire un groupe en

tant qu’entité distincte et séparée. Utiliser une expression telle que «essen-
tiellement bosniaque» revient, d’après son sens naturel et ordinaire, à
dire que l’objet du génocide allégué n’était pas les Musulmans bosniaques
en tant que tels, c’est-à-dire, en tant qu’entité distincte et séparée. Cela
signifie en outre que les actes commis contre certaines personnes ne

visaient pas celles-ci en tant que personnification d’un groupe particulier,
ou représentants de la collectivité, ce qui constitue la caractéristique
intrinsèque et véritable du génocide. Cette condition n’étant pas remplie,
l’intention criminelle ne saurait être qualifiée de génocidaire dans le
contexte normatif du droit relatif au génocide en tant que jus strictum.

Il apparaît qu’aucune des définitions du groupe protégé avancées par le
demandeur ne satisfait au critère implicite dans la formule «groupe
national, ethnique, racial ou religieux, comme tel», du moins aux fins de
la procédure devant la Cour internationale de Justice, fondée, notam-

ment, sur le principe essentiel non ultra petita. Ainsi que la Cour l’a
déclaré dans l’affaire du Droit d’asile,

«il y a lieu de rappeler le principe que la Cour a le devoir de ré-
pondre aux demandes des parties telles qu’elles s’expriment dans
leurs conclusions finales, mais aussi celui de s’abstenir de statuer
sur des points non compris dans lesdites demandes ainsi exprimées»
(C.I.J. Recueil 1950, p. 402).

Il convient de relever que le demandeur, dans les conclusions de son
mémoire, élève au rang de groupes protégés «les groupes nationaux, eth-

niques ou religieux notamment mais non exclusivement sur le territoire de
la République de Bosnie-Herzégovine ...» (mémoire, partie 7, conclusions,
point 1)). Dans ses conclusions finales, le demandeur a prié la Cour de
dire et juger que la Serbie-et-Monténégro avait

«violé les obligations qui lui incomb[ai]ent en vertu de la convention
pour la prévention et la répression du crime de génocide, en détrui-
sant en partie et de façon intentionnelle le groupe national, ethnique

ou religieux non serbe, notamment mais non exclusivement , sur le ter-
ritoire de la République de Bosnie-Herzégovine, en particulier la
population musulmane» (CR2006/37, p. 59 (Softic ´); les italiques
sont de moi).

98. Du point de vue procédural, il convient de rappeler que, ainsi que
le prévoit le paragraphe 2 de l’article 38 du Règlement, la requête
«indique ... la nature précise de la demande». La définition du groupe pro-

tégé, en cette affaire concernant l’Application de la convention pour la pré-
vention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c.
Yougoslavie), fait partie intégrante de la demande dans son ensemble.
Du point de vue du fond, la protection du groupe «national, ethnique,
racial ou religieux» constitue, sur le plan juridique, la raison d’être de la

convention. Une détermination inexacte du groupe protégé pourrait avoir
des conséquences considérables lorsqu’il s’agit d’affaires portées devant

483 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KRECu ) 523

la Cour. Contrairement aux juridictions pénales, la Cour internationale

de Justice, dans l’accomplissement de sa fonction judiciaire, est, notam-
ment, soumise au principe fondamental non ultra petitum. N’étant pas en
mesure de se substituer à une partie, la Cour est donc tenue, lorsqu’elle
tranche une affaire, par la détermination du groupe protégé alléguée par
o
le demandeur. (C.P.I.J. série A n 7, p. 35; Essais nucléaires (Australie
c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974 , p. 262-263, par. 29-30; Essais
nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974 ,
p. 466-467, par. 30-31.)

L’intention de détruire un groupe «comme tel» doit se comprendre
comme l’intention de détruire le groupe en tant qu’entité distincte et
séparée, l’acte de génocide ne constituant pas simplement une attaque
contre un individu, mais également une attaque contre un groupe auquel

l’individu en question est identifié.
Le groupe, en tant qu’entité distincte et séparée, peut, en principe, être
déterminé soit de façon positive, soit de façon négative.
En général, le TPIY est plutôt défavorable aux critères dits négatifs,

ainsi que l’atteste sa jurisprudence. Une définition négative du groupe,
fondée sur la formule d’exclusion, comporte, dans son application, des
limites intrinsèques. Une telle définition convient en principe lorsqu’il
s’agit de déterminer le groupe protégé en tant qu’entité distincte et sépa-

rée dans une communauté bi-ethnique voire, dans certaines conditions,
tri-ethnique, encore que la question demeure ouverte de savoir si une
définition négative en tant que telle constitue la forme appropriée pour
procéder à la détermination juridique de questions qui relèvent du jus

strictum, ou bien si une définition descriptive convient davantage. Dans
des communautés multiethniques comptant plus de trois groupes natio-
naux, ethniques ou religieux, la définition négative ne permet jamais de
cerner de manière satisfaisante le groupe protégé aux fins de la conven-

tion. Le principe d’exclusion qui est le principe actif d’une définition
négative n’est de toute évidence pas à même de permettre de définir le
groupe protégé comme un groupe distinct et séparé.

4. «Comme tel»

99. Les mots «comme tel» constituent, pour le groupe «national, eth-
nique, racial ou religieux» au sens de la Convention, une sorte de quali-
ficatif de qualificatif. Il s’agit d’un aspect supplémentaire du critère

d’intention — à savoir que77’intention de détruire doit viser le groupe en
tant que groupe protégé .
Le groupe lui-même constitue la cible ultime, ou la victime escomptée,
du crime de génocide. Mais, afin d’atteindre l’objectif général constitué

par la destruction du groupe, il est indispensable que l’acte soit commis à

77Lipman, «The 1948 Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of
Genocide: Forty-five Years Later», Temp. Int. Law and Comp. Law Journal , 7-9/1994,
p. 22-24, note 38.

484 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND .KRECu ) 524

l’encontre d’individus constituant le groupe en tant que victimes immé-
diates. Le fait que les individus qui constituent le groupe soient intention-

nellement soumis à des actes constitutifs de l’actus reus de génocide
ne suffit toutefois pas à lui seul, compte tenu de leur qualification
«comme tel». Ainsi que la Chambre de première instance l’a relevé dans
l’affaire Krstic´ : «[l]a simple connaissance que les auteurs des

crimes [peuvent] avoir de l’appartenance des victimes à un groupe dis-
tinct ne permet pas d’établir l’intention de détruire le groupe comme
tel» .
Pour pouvoir être qualifiée de génocidaire, l’intention doit viser
des individus représentant le groupe à titre collectif — en tant que

membres du groupe dont la destruction constitue une étape supplémen-
taire dans la réalisation de l’objectif global consistant à détruire le
groupe protégé.
La qualification «comme tel» marque également la differentia specifica

entre l’intention discriminatoire en tant qu’élément dont peut se déduire
le crime de persécution, lequel peut également viser un groupe racial,
mais non ethnique , et l’intention génocidaire.
En conséquence, quand bien même des actes prohibés par l’article II de

la Convention prendraient pour cible une large fraction d’un groupe pro-
tégé, ces actes ne seraient pas constitutifs de génocide s’ils s’inscrivaient
dans le cadre d’une campagne de violence arbitraire ou dans un contexte
général de guerre.

L’on peut penser que c’est cette interprétation qui a amené la Cour à
conclure, dans le cadre de la procédure incidente en indication de mesures
conservatoires dans les affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la
force, que les «bombardements ... comport[aient] effectivement l’élément

d’intentionnalité, dirigé contre un groupe comme tel, que requiert la dis-
position sus-citée [l’article II de la convention sur le génocide]» (C.I.J.
Recueil 1999, p. 138, par. 40).
Car le «bombardement constant de tout le territoire national, la

pollution du sol, de l’air et de l’eau, la destruction de l’écono-
mie du pays, la contamination de l’environnement par de l’uranium
appauvri» (Licéité de l’emploi de la force (Yougoslavie c.
Belgique), CR99/14, p. 30, 10 mai 1999 (M. Etinski)) aurait pu être

assimilé à la soumission à des conditions d’existence devant entraîner
la destruction au même titre, au moins, que le déplacement forcé,
l’encerclement d’une ville ou le fait d’affamer une population.
L’intention motivant les mesures prises a été décrite ainsi par le général
Wesley Clark:

«Nous allons systématiquement et progressivement attaquer, sabo-
ter, détruire, dévaster et, finalement, à moins que le président Milo-

78TPIY, Le procureur c. Kr´ , chambre de première instance, jugement, par. 561.
79TPIY, Le procureur c. Brdjanin , chambre de première instance, jugement, par. 992;
TPIY, Le procureur c. Krnojelac , chambre d’appel, arrêt, par. 185.

485 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND .KRECu ) 525

ševi´ ne se conforme aux exigences de la communauté internationale,

complètement anéantir son armée ainsi que les installations et la
logistique de cette dernière.» 80

C’est également ce qui ressort de l’article de Michael Gordon intitulé «La
population de Belgrade doit souffrir», citant les propos du général Short

qui «espér[ait] que la détresse de la population saper[ait] le soutien dont
bénéfici[aient] les autorités de Belgrade», et poursuivait comme suit: «il
n’y aura plus d’électricité pour votre réfrigérateur, plus de gaz pour votre

cuisinière,81ous ne pourrez plus aller au travail parce que le pont est
démoli...» .
100. La disposition de l’article II de la Convention suivant laquelle
le génocide signifie la destruction d’un groupe en «tout ou en partie»

n’est pas dénuée d’ambiguïté. On ne voit pas très bien si la qualifica-
tion «en partie» s’applique à la portée de l’intention, ou à celle de
l’acte.
Une interprétation grammaticale donnerait à penser que la qualifica-

tion «en partie» concerne les deux aspects du crime — l’aspect objectif
et l’aspect subjectif. Toutefois, cette interprétation ne semble pas tota-
lement satisfaisante, essentiellement parce que l’intention discrimina-
toire est la propriété la plus générale de l’intention de détruire.

C’est-à-dire que l’intention discriminatoire s’exprime doublement et
différemment — elle s’exprime, d’une part, à l’égard d’un «groupe
national, ethnique, racial ou religieux» en tant qu’entité distincte

et séparée et, d’autre part, à l’intérieur de cette entité, dont certaines
parties sont traitées comme constituant elles-mêmes des entités
distinctes et séparées. Autrement dit, la conséquence ultime de l’inter-
prétation selon laquelle la qualification «en partie» s’appliquerait

uniquement à la portée de l’intention serait qu’une partie d’un groupe
constituerait une entité distincte au sein du groupe auquel elle
appartient.
L’idée fondamentale qui sous-tend la convention sur le génocide est la

protection du droit à l’existence de groupes humains entiers, ce qui, par
définition, suppose également la protection des petits groupes qui en sont
les éléments constitutifs.
L’intention de détruire une partie d’un groupe constitue en fait,

ratione personae, une projection limitée et concrète de l’intention de
détruire le groupe dans son ensemble qui est dictée par des circon-
stances factuelles propices, et non par une attitude différente à l’égard
de parties du groupe protégé. Pour reprendre les termes de M. Pellet,

«l’élément subjectif du génocide, l[a] mens rea, c’est-à-dire l’inten-
tion génocidaire, ne peut être que global» (CR2006/10, p. 47,
par. 21).

80
81BBC News, http://news.bbc.co.uk./1/hi/special_report/1998/kosovo2/303641.stm.
New York Times, 13 mai 1999, «Crisis in the Balkans», http://select.nytimes.com/
gst/abstract.html?res=F10711FE3A5B0C708DDDAC0894D1494D81.

486 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP . IND. KRECu ) 526

5. Le nettoyage ethnique au sens de la convention

101. Dans la présente affaire, l’expression «nettoyage ethnique» revêt

plusieurs sens:

i) ce peut être un acte constituant un actus reus (ou élément matériel)
du crime de génocide;

ii) ce peut être un synonyme ou euphémisme du crime de génocide;
iii) ce peut être la base ou le cadre factuel permettant de déduire l’inten-
tion génocidaire, qui est l’élément subjectif du crime de génocide.

102. La situation est claire en ce qui concerne le «nettoyage ethnique»
en tant qu’acte constituant un actus reus du génocide.
Les actes constituant l’actus reus du génocide sont énumérés a limine à

l’article II de la Convention. Cet article ne fait pas figurer le «nettoyage
ethnique» dans les actes de génocide.
Lors de la rédaction de la convention sur le génocide, il fut certes pro-

posé de faire des actes relevant du nettoyage ethnique le sixième acte de
génocide. Mais les propositions de ce type ne furent pas adoptées. La
Syrie soumit un amendement 82visant à inclure dans l’actus reus du géno-

cide l’imposition de «mesures tendant à mettre les populations dans
l’obligation d’abandonner leurs foyers afin d’échapper à la menace de
mauvais traitements ultérieurs». Cet amendement reçut l’appui du repré-

sentant yougoslave, M. Bartos, qui cita le déplacement par les nazis de la
population slave d’une partie de la Yougoslavie comme une action «équi-
va[lant] à détruire un groupe humain par des actes prémédités». Il ajouta

que «[l’o]n p[ouvait] commettre le génocide en contraignant un groupe
humain à abandonner ses foyers» . 83
L’amendement fut toutefois rejeté par une forte majorité, soit vingt-
84
neuf voix contre cinq, avec huit abstentions , parce qu’il s’écartait trop
de la notion de génocide . Examinant spécialement l’argument selon
lequel le déplacement forcé auquel les nazis s’étaient livrés pouvait être

qualifié de destruction délibérée d’un groupe, M. Morozov, le représen-
tant de l’Union soviétique, souligna qu’il s’agissait là d’une conséquence,
et non du génocide proprement dit . 86

La liste exhaustive des actes constitutifs de l’actus reus du génocide
constitue l’expression adéquate et pertinente du principe fondamental de
droit pénal, national ou international, nullum crimen, nulla poena sine

lege.
Au cours du débat à la Sixième Commission, deux amendements
furent proposés 87en vue de l’adoption d’une définition des actes de géno-

82Nations Unies, doc. A/C.6/234.
83Nations Unies, doc. A/C.6/SR.82.
84Ibid.
85Maktos (Etats-Unis d’Amérique), Fitzmaurice (Royaume-Uni), ibid.
86Ibid.
87Nations Unies, doc. A/C.6/232/Rev.1 et A/C.6/223 et Corr.1.

487 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND . KRECA ) 527
u

cide par le biais d’une liste ouverte d’exemples. Après discussion, les
amendements furent rejetés parce que le principe fondamental nulla
poena sine lege imposait une énumération exhaustive. On fit aussi obser-

ver que la méthode de l’énumération exhaustive avait l’avantage de per-
mettre de modifier ultérieurement la convention en y ajoutant d’autres
actes .8

Il convient de noter que, lors de la rédaction du Statut des deux tribu-
naux ad hoc ou du Statut de Rome de la Cour pénale internationale, il ne
fut jamais, ne fût-ce que suggéré, d’allonger la liste des actes ni de consi-

dérer l’énumération figurant à l’article II comme non exhaustive.
Etant complexe, la structure intrinsèque du «nettoyage ethnique» milite
également contre l’inclusion de celui-ci dans les actes de génocide. Le
«nettoyage ethnique» comprend des actes appartenant à un type diffé-

rent de crimes internationaux s’accompagnant d’actes qui, s’ils violent
des droits de l’homme internationalement reconnus, ne sont toutefois pas
punissables en eux-mêmes (voir le paragraphe 103 ci-dessous).

103. Le demandeur assimile génocide et «nettoyage ethnique». Dans
sa réplique, par exemple, il soutient que cette «campagne de nettoyage
ethnique [est] véritablement à inscrire parmi les campagnes de génocide
qui ont frappé l’Europe au cours de ce siècle...» (réplique, par. 703,

chap. 5, sect. 9 — La politique de nettoyage ethnique). Il ne s’agit pas là
d’une conception isolée. Dans la confirmation du deuxième acte d’accu-
sation émis à l’encontre de Karadžic ´ et de Mladic ´ — l’acte d’accusation

Srebrenica (IT-95-18-I) du 16 novembre 1995 —, le juge Mahmud Riad
déclare, quoique de manière plus prudente, que «[l]a politique de «puri-
fication ethnique» ... présente, dans sa manifestation ultime, des caracté-
ristiques de génocide» .89

La réponse à la question de savoir si génocide et «nettoyage ethnique»
peuvent être considérés comme équivalents comporte deux aspects: un
aspect formel et un aspect de fond.

Bien qu’elle ait vu le jour dès la fin de la seconde guerre mondiale dans
«la droite ligne des expressions, en particulier du terme «Säuberung»
(nettoyage)» , que les nazis utilisaient dans le cadre de leurs pro-

grammes dits de purification, l’expression «nettoyage ethnique» n’a pas
trouvé place dans la convention sur le génocide, pas même en tant qu’acte
constituant un actus reus du génocide (voir article II de la Convention)
ni en tant que synonyme du terme «génocide».

Dès lors, utiliser l’expression «nettoyage ethnique» au lieu du terme
«génocide» suppose, d’un point de vue formel, qu’il faut redéfinir le
terme «génocide» tel qu’il est consacré dans la convention sur le géno-

cide. Les termes utilisés dans les textes normatifs, en particulier dans les

88N. Ruhashyankiko, rapporteur spécial, doc. E/CN/4; Sub. 2/416, 4 juillet 1978, op.
cit.,p.14.
89W. Schabas, ««Ethnic Cleansing» and Genocide: Similarities and Distinctions»,
European Yearbook of Minority Issues , vol. 3, 2003/4, p. 111-112.
90Pour d’autres avis en ce sens, voir Schabas, op. cit., p. 113.

488 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KRECu ) 528

conventions telles que la convention sur le génocide, qui posent des prin-

cipes juridiques objectifs revêtant la force du jus cogens, ne sont pas des
termes ordinaires qui peuvent être redéfinis sur la base d’une appréciation
ou d’un accord de nature unilatérale et subjective, puisqu’ils font partie

du droit substantiel établi dans la convention sur le génocide. Intimement
lié, du point de vue juridique, à ces dispositions de nature substantielle de
la convention, le terme technique «génocide» ne saurait être modifié ni
remplacé par un autre terme que dans le cadre d’un processus juridique

tel qu’une revision des dispositions de la convention.
En substance, on ne saurait raisonnablement assimiler génocide et
«nettoyage ethnique» qu’en cas de chevauchement total entre ce dernier
et les éléments — tant d’ordre matériel que d’ordre subjectif — qui cons-

tituent le crime de génocide.
De nombreuses définitions du «nettoyage ethnique» possèdent un
dénominateur commun, qui se rattache à l’objectif visé par l’auteur du
délit. A ce sujet, une définition qui peut être tenue pour fondamentale est

celle qu’a formulée M. Mazowiecki, le rapporteur spécial, dans son
sixième rapport. Aux termes du rapport en question, le ««nettoyage eth-
nique» peut être assimilé à une purge systématique, fondée sur des cri-

tères ethniques, de la populati91 civile en vue de la contraindre à abandon-
ner les territoires où elle vit » . Dans son premier rapport intérimaire du
10 février 1993, la commission d’experts a, elle aussi, adopté le même rai-
sonnement — «le «nettoyage ethnique» consiste à rendre une zone

ethniquement homogène en utilisant la force ou l’intimidation pour
faire disparaître de la zone en question des personnes appartenant à des
groupes déterminés » . En conséquence, le genus proximus du «net-
toyage ethnique» tient à la création de zones ethniquement homogènes

en forçant les habitants à quitter leurs foyers.
C’est précisément en cela que réside la différence fondamentale entre
génocide et nettoyage ethnique. Tandis que le génocide suppose l’exter-
mination des groupes protégés, le «nettoyage ethnique», s’il est certes

perçu comme un crime en soi, suppose l’expulsion de la population d’un
territoire donné et, en général, contesté. Dès lors, tandis que l’interdiction
du génocide a pour objet de protéger l’existence physique ou biologique

d’un groupe, l’interdiction du «nettoyage ethnique», si celui-ci est perçu
comme un crime en soi, aurait pour objet d’empêcher l’expulsion de
groupes.
Il s’ensuit que, en ce qui concerne l’élément subjectif, le génocide est

caractérisé par l’intention de détruire le groupe visé, tandis que le
«nettoyage ethnique» est caractérisé par l’intention d’expulser ou de
chasser la population civile ou des personnes appartenant à des groupes
déterminés.

91
Sixième rapport Mazowiecki (II), p. 56 de la version française, par. 283; les italiques
so92 de moi.
Nations Unies, doc. S/25274.

489 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP .IND . KRECu ) 529

Une autre différence tient aux actes par lesquels sont commis génocide
et «nettoyage ethnique».

On constate que le «nettoyage ethnique» englobe divers actes sensible-
ment différents par leur nature et leurs effets.
Les actes dits de «nettoyage ethnique» peuvent, grosso modo, être scin-

dés en deux grands groupes:

a) le premier groupe se compose d’actes sanctionnés par le droit inter-
national, tels que la déportation en masse, la détention et les mauvais

traitements infligés à la population civile, le fait de tirer de manière
sélective sur des cibles civiles, le déplacement en masse de commu-
nautés, le viol, les exécutions sommaires, l’attaque délibérée et l’obs-

truction des secours humanitaires, le bombardement délibéré de cibles
civiles (en particulier les moyens d’approvisionnement en eau, les
moyens de transport et de communication), la prise d’otages et la

détention de civils à des fins d’échange et, enfin, l’attaque de camps de
réfugiés .3
b) Le second groupe comprend des actes qui, bien qu’illicites car ils

violent les droits d’individus ou de groupes et font partie des droits
de l’homme internationalement reconnus, ne sont pas en soi sanction-
nés par le droit pénal international 9.

Il s’ensuit que les actes constitutifs du «nettoyage ethnique» sont dif-
férents par nature de ceux qui constituent le génocide dans la mesure où
ils confèrent à l’expression «nettoyage ethnique» les traits d’une expres-

sion extensible et «fourre-tout» plutôt que ceux d’une infraction pénale
cohérente et structurée selon les règles de l’art. En tant que tel, le «net-
toyage ethnique» semble être un terme non technique «utilisé par des

soldats, des journalistes, des sociologues et d’autres pour décrire un phé-
nomène qui n’est pas défini par le droit» . Les actes de «nettoyage
ethnique» ne le seraient que s’il existait une norme de droit international

interdisant la recomposition ethnique (ou la modification délibérée de la
composition ethnique) d’un territoire par quelque moyen que ce soit,
admissible ou non (y compris, par exemple, le fait d’accorder des avan-

93 Premier rapport Mazowiecki (I), p. 7 de la version française, par. 15 et 16; quatrième
rapport Mazowiecki (II), p. 6-7 de la version française, par. 26 et 29; sixième rapport
Mazowiecki (II), p. 6 de la version française, par. 13; cinquième rapport Mazowiecki (II),
p. 6 de la version française, par. 15.
94 Par exemple, les mesures administratives telles que la destitution d’autorités élues de
manière régulière — troisième rapport Mazowiecki (I), p. 8 de la version française, par. 17

a); le renvoi — premier rapport Mazowiecki (I), p. 6 de la version française, par. 12; la
soumission constante de membres de minorités ethniques à des contrôles
d’identité — troisième rapport Mazowiecki (I), p. 8 de la version française, par. 17; la
déconnexion des lignes téléphoniques — cinquième rapport Mazowiecki (II), p. 17 de la
version française, par. 84; les travaux forcés, comprenant très souvent des travaux sur les
lignes de front du conflit armé — cinquième rapport Mazowiecki (II), p. 17 de la version
française, par. 84, etc.
95 K. Mulaj, Ethnic Cleansing in the Former Yugoslavia in the 1990s: A Euphemism for
Genocide?, p. 696.

490 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KRECu ) 530

tages, matériels ou autres, à certaines personnes ou à certains groupes de

personnes en vue de les inciter à abandonner le territoire visé).
Dans ce contexte, la question de savoir si une «politique de nettoyage
ethnique» ou une «campagne de nettoyage ethnique» est en cause ne
semble pas revêtir une importance déterminante, car le «nettoyage eth-
nique» d’un territoire donné peut difficilement être réalisé en l’absence d’un

plan et d’une action coordonnée de la part d’un nombre considérable de
personnes ou d’institutions étatiques. Pris dans le sens d’une «politique»
ou d’une «campagne», le nettoyage ethnique n’est en fait que l’expres-
sion ou la manifestation d’une intention d’expulser ou de chasser des
groupes du territoire. En tant que «politique» ou de «campagne», il

revêt par nature un caractère systématique et généralisé car, sans ces
attributs, le «nettoyage ethnique» ne peut être réalisé dans la pratique.
L’utilisation simultanée de ces termes est, pour commencer, un pléo-
nasme (ce qui vaut par exemple pour la «politique délibérée») qui n’ajoute

ni n’enlève rien à la définition juridique fondamentale du «nettoyage
ethnique» en tant que fait de chasser ou d’expulser un groupe d’un terri-
toire donné.
Bien que, en soi, le «nettoyage ethnique» ne constitue pas un actus
reus du génocide dans le cadre de la convention sur le génocide, encore

moins un synonyme ou un euphémisme du génocide, cela ne signifie pas
que certains actes de «nettoyage ethnique» ne sont pas susceptibles de
constituer des moyens ou des méthodes permettant de commettre des
actes de génocide. L’éventuel chevauchement entre des actes de génocide
et des actes de «nettoyage ethnique» ne constitue cependant pas un

lien juridique ou une identité entre ces deux notions. Il signifie plutôt que
certains actes matériels sont en eux-mêmes susceptibles de contribuer
à produire des conséquences qui, dans leurs manifestations concrètes,
entrent dans la catégorie du crime de génocide, du nettoyage ethnique
ou de certains autres crimes tels un crime contre l’humanité ou un crime

de guerre.
En conséquence, il s’agit ici d’une possibilité générale, pour certains
actes matériels, de contribuer à produire des conséquences dont la qua-
lification juridique, dans le cadre des actes répréhensibles en droit inter-
national, doit être déterminée sur la base des caractéristiques — maté-

rielles et subjectives — qui sont propres aux crimes internationaux
pris isolément.
En effet, par exemple, les éléments objectifs des crimes contre l’huma-
nité et du crime de génocide

«peuvent sans conteste se confondre dans une certaine mesure.
..............................

Le meurtre de membres d’un groupe ethnique ou religieux peut en
tant que tel relever des deux catégories. Cela vaut aussi pour le fait
de porter atteinte à l’intégrité physique ou mentale de membres d’un

groupe racial ou religieux, ou même pour les trois autres catégories
d’actes de génocide. Cela étant, les crimes contre l’humanité ont une

491 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND . KRECu ) 531

portée plus large, car ils peuvent englober des actes qui ne relèvent
96
pas du génocide, comme l’emprisonnement et la torture.»

En d’autres termes, ces deux types de crimes sont «spéciaux réciproque-
ment en ce qu’ils forment des cercles qui se chevauchent mais ne se
croisent que ponctuellement» . 97

Pareillement, les mêmes élé98nts objectifs peuvent aussi être assimilés
à certains crimes de guerre .
Le raisonnement tendant à considérer l’un quelconque des actes maté-

riels sans tenir compte de la totalité des caractéristiques particu-
lières — matérielles et subjectives — des crimes internationaux revient
fondamentalement à faire fi de la différence qui existe entre les divers
types de crimes internationaux, si bien que, par exemple, «le lancement

de bombes incendiaires sur Hambourg, Dresde et Tokyo et de bombes ato-
miques sur Hiroshima et Nagasaki peut constituer aussi bien un génocide
que des crimes de guerre», puisque «le trait distinctif d’un bombarde-

ment généralisé est que la population entière d’une ville devient la cible
d’une attaque visant son anéantissement» . 99
104. En principe, le fait que le «nettoyage ethnique» puisse être réa-

lisé, notamment, par des actes matériels également susceptibles de donner
lieu au crime de génocide permet de traiter le «nettoyage ethnique»
comme une base ou un tableau factuel afin de déduire l’intention géno-

cidaire. Cela ne signifie toutefois pas que l’intention génocidaire puisse
automatiquement être déduite de la preuve qu’il y a eu «nettoyage eth-
nique», puisque des actes matériels répréhensibles qui sont identiques ne

sauraient en eux-mêmes être assimilés à des actes constitutifs d’un crime
donné. Par exemple, des meurtres commis en masse peuvent, en tant
qu’actes matériels, constituer l’actus reus de crimes contre l’humanité, de

génocide ou de crimes de guerre. L’acte constituant un crime donné, un
acte matériel concret, acquiert une qualification en droit dans le cadre de
la totalité des caractéristiques juridiques qui définissent le crime concerné
dans son ensemble.

En ce qui concerne la possibilité de déduire une intention génocidaire
d’un nettoyage ethnique avéré, il apparaît que le «nettoyage ethnique»
proprement dit ne peut constituer la base juridique qui permet d’inférer

l’intention génocidaire. Compte tenu de la différence qui existe entre le
génocide et le nettoyage ethnique, seuls les actes de nettoyage ethnique
qui sont punissables et qui sont susceptibles de produire des effets géno-

cidaires peuvent être considérés comme des composantes de la base juri-
dique permettant d’établir, par déduction, l’existence de l’intention géno-

96
The Rome Statute of the ICC: A Commentary (I), 2002, A. Cassese, P. Gaeta et
J.97enes (dir. publ.), p. 339.
98Ibid.
Rapport intérimaire de la commission d’experts constituée conformément à la résolu-
tion 780 (1992) du Conseil de sécurité, Nations Unies, doc. S/35374 (1993), par. 56.
99L. Kuper, Theoretical Issues Relating to Genocide: Uses and Abuses in Genocide:
Conceptual and Historical Dimension , G. I. Andreopulos (dir. publ.), p. 34.

492 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KRECA ) 532
u

cidaire. A cet égard, rien ne différencie en aucune façon les actes de
nettoyage ethnique de tout autre acte punissable susceptible de contri-
buer à produire des effets génocidaires.

En soi, la déduction suppose, dans la pratique, d’appliquer le critère
d’établissement de la preuve approprié à l’égard des éléments constitutifs
de l’intention génocidaire.

Il apparaît que la jurisprudence du TPIY n’offre pas non plus de base
qui permette d’assimiler nettoyage ethnique et génocide.
Cette conclusion ressort aussi bien d’une analyse positive que d’une

analyse négative de la jurisprudence du Tribunal.
Du point de vue de l’analyse négative, notons que, sur environ une
douzaine d’actes d’accusation pour nettoyage ethnique, le Tribunal a
uniquement déclaré le général Krstic ´ coupable de complicité dans le

génocide. Cette affaire est toutefois particulière et doit faire l’objet
d’un examen distinct (voir par. 151-153).
L’analyse positive de la jurisprudence du TPIY en ce sens découle, en

revanche, du raisonnement juridique que le Tribunal a exposé en la
matière. Dans l’affaire Jelisic´, par exemple, l’accusation faisait valoir que
Jelis´ avait été «un participant efficace et enthousiaste à [la] campagne
de génocide » menée contre le groupe, qui était important «de par le fait

qu’il regroupait tous les notables de la communauté musulmane de Bos-
nie de la région, mais également important par son nombre» 10. Or, si
elle a certes déclaré que «les meurtres commis par l’accusé suffisent à éta-

blir l’élément matériel du crime de génocide et [qu’]il est a priori possible
de concevoir que l’accusé nourrissait le projet d’exterminer un groupe
dans son ensemble» (par. 100), la Chambre de première instance a jugé
que

«[e]n conclusion, les actes de Goran Jelisic ´ ne traduisent pas une
volonté affirmée visant la destruction totale ou partielle d’un groupe
en tant que tel.

Au total, le Procureur n’a pas établi au-delà de tout doute raison-
nable qu’un génocide avait été commis à Brcko durant la période
couverte par l’acte d’accusation. Le comportement de l’accusé

semble par ailleurs indiquer que, bien que visant clairement les Mu-
sulmans, celui-ci aurait tué de façon arbitraire, plutôt que sur la
base d’une intention claire de destruction d’un groupe. La Chambre
conclut donc qu’il n’a pas été prouvé au-delà de tout doute raison-

nable que l’accusé était animé du dolus specialis du crime de géno-
cide. Le doute doit toujours profiter à l’accusé. Goran Jelisic ´ doit
donc être déclaré non-coupable de ce chef.» 101

La décision relative à l’article 61 qui a été rendue dans les affaires Kara-

100TPIY, Le procureur c. Jel´ , décision orale du 19 octobre 1999, p. 1.
101TPIY, Le procureur c. Jelis´ ,chambre de première instance, jugement,
par. 107-108.

493 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP .IND .KRECA ) 533
u

d∫i´ et Mladic ´ va dans le même sens. Dans cette affaire, la Chambre de
première instance a estimé nécessaire d’établir si «la ligne de conduite
dont elle [était] saisie, ligne de conduite que l’on a pu appeler «nettoyage

ethnique», révél[ait] dans son ensemble une telle intention génoci-
daire» 102.
105. Le tribunal de district de Jérusalem, dans sa décision en l’affaire

Eichmann, a exposé une explication juridique subtile au sujet de la diffé-
rence entre «nettoyage ethnique» et génocide.
Considérant la politique antisémite nazie, le tribunal a conclu que,

jusqu’en 1941, cette politique, qui s’était traduite par un ensemble de lois
discriminatoires et d’actes de violence, comme la nuit de cristal du 9 au
10 novembre 1938, correspondait sensiblement à ce que l’on appelle
aujourd’hui le «nettoyage ethnique». Bien qu’elle fût basée sur diffé-

rentes formes de persécution, la politique menée par les nazis vis-à-vis
des Juifs jusqu’en 1941 n’a pas été qualifiée de génocidaire, car elle permet-
tait aux Juifs, fût-ce dans des conditions discriminatoires, de quitter l’Alle-

magne et d’émigrer.
De l’avis du tribunal, à partir de la seconde moitié de 1941 et par la
suite, cette politique s’est transformée en «solution finale», c’est-à-dire en
une extermination totale qui était liée à l’arrêt de l’émigration des Juifs
103
des territoires sous contrôle allemand . Eichmann fut acquitté sans être
déclaré coupable de génocide pour les actes commis avant le mois
d’août 1941, puisque le doute subsistait sur le fait de savoir s’il existait

une intention d’extermination avant cette date. Le tribunal réunit les
actes commis contre les Juifs jusqu’à cette date dans la catégorie des cri-
mes contre l’humanité 104, contrairement aux actes commis après cette
date, qu’il qualifia de génocide.

II. L’application de la convention sur le génocide en la présente affaire

106. La manière dont la majorité de la Cour a appréhendé les ques-

tions de fond présente trois traits fondamentaux qui sont contestables, à
savoir:

i) sa conception de la tâche judiciaire de la Cour en l’espèce, notam-
ment l’approche adoptée à l’égard de la jurisprudence du TPIY

pertinente eu égard au présent différend;
ii) son interprétation des obligations incombant aux parties contrac-
tantes en vertu de la convention sur le génocide; et
iii) la manière dont elle traite la question de la responsabilité des parties

contractantes en matière de génocide.

102Affaires Karad∫´ et Mladic´, examen des actes d’accusation dans le cadre de
l’article 61 du Règlement de procédure et de preuve, décision du 11 juillet 1996, par. 94.
103A. G. Israel v. Eichmann, 1968, International Law Reports , vol. 36, p. 5 (tribunal de
district de Jérusalem, par. 80).
104Ibid., par. 186-187 et 244 (points 1-3).

494 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KRECu ) 534

1. Observations générales sur les possibilités qui s’offraient à la Cour

en la présente affaire

107. La tâche de la Cour en l’espèce était, semble-t-il, unique et inédite
en son genre et, en tant que telle, lourde de défis et de difficultés à assu-
mer.

Grosso modo, la Cour avait le choix, du moins en théorie, entre plu-
sieurs options.
La première consistait à jouer le rôle d’une juridiction pénale et à
déterminer si, comme l’affirmait le demandeur, un génocide avait été
commis en Bosnie-Herzégovine. Cette option, singulière et pour le moins

surprenante, pouvait éventuellement trouver un fondement dans l’arrêt
sur les exceptions préliminaires, dans lequel la Cour, statuant sur la cin-
quième exception préliminaire du défendeur, a conclu que l’article IX de
la Convention «n’exclu[ai]t aucune forme de responsabilité d’Etat»

(C.I.J. Recueil 1996 (II) , p. 616, par. 32). Si un Etat pouvait ainsi être
responsable de génocide au regard du droit pénal, l’on voit mal ce qui
aurait empêché la Cour d’agir, sur le fondement de cette interprétation de
l’article IX de la Convention, comme une juridiction pénale, c’est-à-dire
d’apprécier, dans le cadre d’une procédure appropriée — qui, certes, a

fait défaut ici —, les conditions juridiques, tant objectives que subjectives,
établissant le crime de génocide, comme le ferait une juridiction pénale à
l’égard d’actes individuels. Dans ce cas de figure, la Cour se serait donc
bornée à examiner la question du génocide prétendument commis par le
défendeur, sans examiner ab initio celle de savoir si le génocide avait été

commis par des personnes physiques — question qui relève de la com-
pétence du TPIY.
La deuxième option consistait à rendre une décision sur l’allégation du
demandeur relative au prétendu génocide de fait, en appréciant le résul-
tat des actes commis pendant la guerre civile en Bosnie-Herzégovine,

plus ou moins indépendamment des conditions juridiques établissant le
crime de génocide énoncées à l’article II de la Convention étant donné
que, comme l’a indiqué le demandeur, «c’est un événement notoire, ...
un effroyable génocide [a] été commis contre les populations non serbes
de Bosnie-Herzégovine» (CR2006/9, p. 50, par. 2 (Condorelli)) ou à

partir de déductions non fondées sur des faits avérés, mais «logique[s et]
manifestement conforme[s] au bon sens» (CR2006/33, p. 41, par. 16
(Franck)).
La troisième option consistait pour la Cour à s’en tenir à sa position de
juridiction civile et à statuer sur l’allégation du demandeur en se fondant

essentiellement, sinon exclusivement, sur la jurisprudence du TPIY, seule
juridiction à s’être prononcée sur la question en cause sur le plan inter-
national. N’étant pas liée par les décisions du TPIY, la Cour aurait ainsi
dû rendre une décision correspondante en traitant les conclusions fac-
tuelles et juridiques du Tribunal comme des éléments de preuve devant

être appréciés à la lumière des conditions juridiques établissant le crime
de génocide, telles qu’elles sont définies par la convention sur le génocide,

495 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KRECu ) 535

et des critères pertinents qu’elle aurait retenus dans le cadre de son raison-

nement juridique en la matière.
En tout état de cause, il apparaît que, en l’espèce, la Cour devait avant
tout se conformer rigoureusement aux dispositions de la convention sur

le génocide en tant que droit applicable, à la fois pour respecter le prin-
cipe de la légalité et pour veiller à l’intégrité des notions de crime et
d’infraction propres au droit pénal international.
108. Pour ce qui est du principe de légalité, la compétence de la Cour

est fondée en l’espèce sur l’article IX de la convention sur le génocide, qui
prévoit que lui soient soumis, pour règlement, les différends entre les
parties contractantes relatifs «à l’interprétation, l’application ou l’exécu-
tion de la présente convention ...» (les italiques sont de moi) — et non

sur la base du droit relatif au génocide in abstracto, donc, mais sur la
base de la Convention elle-même. Cet élément revêt la plus haute
importance, compte tenu du fait que le droit relatif au génocide
institué par la Convention en est venu à inclure au fil du temps cer-

taines modifications, son développement progressif touchant uniquement
aux éléments clés du crime — tant la mens rea que l’actus reus.I la
sans dire que le développement progressif, qui s’est matérialisé tout

particulièrement dans la jurisprudence des deux tribunaux ad hoc, est
dépourvu de pertinence en l’espèce, car la Cour se doit, dans le cadre de
tels différends, d’appliquer le droit relatif au génocide tel qu’il est établi
par la Convention.

Une telle démarche aurait eu accessoirement des retombées positives
sur le plan de la politique judiciaire même de la Cour internationale, en
tant que gardienne du droit international — et, dans son domaine d’ac-
tion concret, du droit pénal international —, parce qu’elle aurait permis

de préserver l’intégrité des notions des différents crimes et infractions
internationaux reconnus.
Une interprétation trop large des éléments constitutifs du crime de
génocide — apparue chez des auteurs dont les intentions sont certes lou-
105
ables, mais extra-juridiques — transparaît en effet parfois dans le rai-
sonnement judiciaire des deux tribunaux, qui tend à assimiler les crimes
contre l’humanité, en particulier les actes de persécution et d’extermina-

tion, et les crimes de guerre, voire des violations classiques des droits de
l’homme, aux éléments constituant le crime général de génocide, sur la
base de leur seule répétition ou accumulation. Ainsi M me Stern, le conseil
du demandeur, est-elle d’avis qu’«une accumulation de crimes contre

105En voici un exemple:

«Bien qu’il soit important de reconnaître le viol comme étant un crime contre
l’humanité, le qualifier de génocide est essentiel pour susciter une intervention de
l’Etat. Les Etats ne sont généralement pas tenus d’intervenir dans le cas de violations
ou de crimes contre l’humanité; lorsque des actes de génocide sont commis, en
revanche, le droit international coutumier leur en fait obligation.» (MacKinnon,
«Rape, Genocide and Human Rights», Harvard Women’s Law Journal , vol. 17,
1994, p. 5.)

496 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP .IND .KRECu ) 536

l’humanité peut aboutir à un génocide» (CR2006/7, p. 42, par. 113).
Nous touchons ainsi au phénomène de la banalisation du génocide 106.
Intrinsèquement, la banalisation du génocide s’exprime, d’une part,

par la dilution du contenu juridique précis du crime de génocide établi
par la Convention et, d’autre part, par la dissolution des contours des
infractions et crimes internationaux en tant que notions juridiques
distinctes.

Dans ce contexte, l’idée sous-jacente au concept entre en conflit avec
l’une des règles pertinentes d’interprétation — celle de l’effet utile, selon
laquelle on ne peut interpréter une disposition ou une partie d’une dis-
position d’une manière qui la rende superflue et sans objet 107 — et avec le

principe de l’économie des notions qui est applicable à tout système juri-
dique dans le cadre duquel risquent de coexister deux concepts ou règles
qui remplissent essentiellement la même fonction ou divergent à propos
108
d’une même situation .
109. La majorité de la Cour a toutefois pris le parti d’en dire trop peu
et trop à la fois.
Elle en dit trop peu, tant en termes normatifs qu’en termes juridiques,

en ce qui concerne la jurisprudence du TPIY qui est pertinente pour sta-
tuer sur le crime de génocide.
La démarche de la majorité revient fondamentalement à considérer que

ce volet de la jurisprudence du TPIY échappe à l’appréciation judiciaire
de la Cour, du moins sur le plan du fond. En conséquence, dans les
parties correspondantes de son arrêt, et en particulier dans la septième
section intitulée «la responsabilité du défendeur en ce qui concerne les

événements de Srebrenica», la Cour se borne à avaliser d’une manière
générale la partie pertinente de la jurisprudence du TPIY.
Il semble toutefois que, dans l’intérêt d’une bonne administration de la

justice, et même de la régularité substantielle de la procédure, la plus
haute juridiction internationale devait, avant de se déclarer compétente
pour connaître d’accusations de génocide, se livrer à un examen des
conclusions du TPIY, en tant qu’éléments permettant d’établir les faits

pertinents, et des critères du raisonnement juridique appliqué au TPIY,
tant du point de vue du droit applicable qu’au regard des conclusions for-
mulées.
Le droit appliqué par le TPIY au crime de génocide ne peut être assi-

milé au droit relatif au génocide qui est établi par la Convention. A cet
égard, la jurisprudence du TPIY peut être considérée comme un dévelop-
pement progressif du droit relatif au génocide qui est consacré dans la

Convention, mais non comme son application au sens propre. L’article 4
du Statut du TPIY, en tant qu’acte unilatéral de l’un des principaux or-
ganes politiques de l’Organisation des Nations Unies, n’est qu’une dispo-

106W. Schabas, Genocide in International Law , p. 114.
107TPIY, Le procureur c. Tad´ , chambre d’appel, arrêt, par. 284.
108
Ibid., opinion séparée du juge Abi-Saab, p. 2.

497 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KRECu ) 537

sition du Statut qui, par son libellé, fait pendant à l’article II de la Conven-

tion. Etant donné qu’elle ne contient aucun renvoi à la convention sur le
génocide, cette disposition ne saurait changer de nature simplement parce
qu’elle reproduit le texte de l’article II de la Convention. En conséquence,

les interprétations de l’article 4 du Statut qui sont basées sur les travaux
préparatoires de la Convention, dont le TPIY se sert abondamment, sont
foncièrement trompeuses, tant sur le plan de la démarche elle-même
qu’en substance, l’interprétation des traités n’obéissant pas nécessaire-

ment aux mêmes règles que l’interprétation des actes unilatéraux.
Ainsi que la Chambre de première instance l’a expressément déclaré, le
jugement rendu dans l’affaire Krstic ´ repose sur le «droit international
coutumier [applicable] à l’époque des événements de Srebrenica» 109.Ce

fait entraîne deux conséquences.
D’une part, la qualification du génocide en droit international coutu-
mier, telle qu’elle est perçue par le TPIY, n’est pas nécessairement iden-
tique à celle qui figure dans la convention sur le génocide. D’autre part, le

chef de compétence influe nécessairement sur le droit applicable. Lorsque
la compétence est fondée sur une clause de juridiction figurant dans un
traité, la Cour n’est habilitée qu’à appliquer le traité concerné.

Le raisonnement juridique du TPIY est loin d’être cohérent. Par
exemple, s’agissant de la possibilité d’établir l’intention génocidaire par
déduction, le raisonnement énoncé dans l’affaire Stakic ´ semble diamétra-
lement opposé à celui qui est exposé dans l’affaire Krstic ´ 11.

110. En même temps, la majorité de la Cour en dit également trop
sous forme de précisions superflues mais peu fondées.
Non contente de se garder de soumettre la jurisprudence du TPIY à un
examen judiciaire autonome, la majorité a en outre, par une opération

très risquée, rendu l’interprétation de l’obligation de prévenir le génocide
plus compliquée du point de vue juridique, en introduisant une «obliga-
tion de ne pas commettre de génocide» à la charge de l’Etat. Compte
tenu de la substance des dispositions de la Convention, cette opération ne

pouvait être accomplie sans verser quelque peu dans le domaine législatif
ou quasi législatif. Il est encore plus surprenant que, à certains égards
cruciaux, cette interprétation soit contraire au bon sens et à des considé-

rations juridiques impérieuses.
Partant, il ne serait guère étonnant que cette interprétation passe pour
un argumentum ad casum.

2. L’interprétation des obligations des parties contractantes sur le
fondement de la convention sur le génocide

111. Contrairement à la conception classique des obligations princi-

109
110TPIY, Le procureur c. Krs´ , chambre de première instance, jugement, par. 541.
TPIY, Le procureur c. Sta´ , chambre de première instance, jugement, par. 553; Le
procureur c. Brdjanin, chambre de première instance, jugement, par. 981 et 978-979; Le
procureur c. Krs´ , chambre de première instance, jugement, par. 594-595.

498 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND .KRECu ) 538

pales que la convention sur le génocide impose aux parties contrac-

tantes — l’obligation de prendre les mesures législatives nécessaires pour
donner effet aux dispositions de fond de la Convention (art. V) et l’obli-
gation de traduire en justice les personnes accusées d’actes répréhensibles
visés à l’article III devant les tribunaux compétents de l’Etat sur le terri-
toire duquel l’acte a été commis (article VI) —, la majorité s’est attachée

à voir dans l’obligation de prévention une obligation complexe compre-
nant «un devoir d’agir» et «une obligation de ne pas commettre» le
génocide, qui serait une sorte d’obligation mère ou d’obligation cadre au
sein de la Convention.
Le sedes materiae de cette position peut être résumé de la manière sui-

vante:
La prévention est perçue comme une «obligation figurant dans la
Convention sur le génocide» (arrêt, par. 129). Par nature, il s’agirait

d’une obligation «de comportement et non de résultat, en ce sens que l’on
ne saurait imposer à un Etat quelconque l’obligation de parvenir à empê-
cher, quelles que soient les circonstances, la commission d’un génocide»
(arrêt, par. 430). L’obligation de prévention de l’Etat serait assortie d’un
«devoir d’agir qui en est le corollaire», au sens d’un devoir

«pren[a]nt naissance, pour un Etat, au moment où celui-ci a connais-

sance, ou devrait normalement avoir connaissance, de l’existence
d’un risque sérieux de commission d’un génocide. Dès cet instant,
l’Etat est tenu, s’il dispose de moyens susceptibles d’avoir un effet
dissuasif à l’égard des personnes soupçonnées de préparer un géno-
cide, ou dont on peut raisonnablement craindre qu’[elles] nourrissent

l’intention spécifique (dolus specialis), de mettre en Œuvre ces
moyens, selon les circonstances.» (Ibid., par. 431.)

De plus, l’obligation de prévention comprendrait «celle de ne pas com-
mettre un génocide et les autres actes énumérés à l’article III», considé-
rant que, en vertu de l’article premier, un Etat contractant est tenu
d’empêcher que ses organes ainsi que les personnes dont les actes lui sont
attribuables commettent lesdits actes génocidaires (arrêt, par. 166-168).

112. La position adoptée par la majorité soulève deux types de ques-
tions:

a) d’une part, quel est le véritable sens de la «prévention» en droit pénal
et dans le cadre de la convention sur le génocide, et
b) quelles sont la nature et la portée du devoir corollaire d’agir? Et,
d’autre part,
c) existe-t-il une obligation propre à l’Etat de ne pas commettre le géno-

cide?

2.1. L’obligation de prévention

113. En ce qui concerne la question de la prévention, la conception de
la majorité semble extrêmement novatrice, transcendant non seulement

499 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KRECA ) 539
u

quant à sa portée mais aussi quant à sa nature les normes généralement
admises dans la catégorie des lois qui régissent ces questions pénales.
La «prévention» d’un crime, au sens ordinaire et naturel du

terme — c’est-à-dire le fait d’agir pour empêcher qu’un événement ait lieu
ou qu’un dessein génocidaire pressenti se concrétise, est étrangère à la
nature même du droit pénal, celui-ci étant entendu au sens national ou
international. La principale fonction de la convention sur le génocide, ou
d’ailleurs de toute autre norme de droit pénal, tient de la protection et

non de la prévention. Le droit pénal, dont la convention sur le génocide
fait partie, entre en jeu après les faits, lorsque l’objet de la protection a
déjà été touché, détruit ou menacé. La fonction protectrice de la conven-
tion sur le génocide ne revêt pas le caractère direct et concret que suppose

la prévention perçue par la majorité. Elle est indirecte par nature
puisqu’elle s’exprime sous la forme de la dissuasion. La vocation protec-
trice de la Convention ne peut être assimilée à la prévention du génocide
en tant qu’obligation juridique car pareille assimilation reviendrait notam-

ment à mettre en doute la légitimité de la convention sur le génocide telle
qu’elle existe actuellement. En outre, faire de la prévention du génocide
une obligation juridique distincte va à l’encontre du principe selon lequel
à l’impossible, nul n’est tenu.
L’obligation de prévenir le génocide constitue en fait une obligation

sociale, morale, voire métaphysique, son objet étant de défendre la société
contre le génocide. La défense sociale contre le génocide a, ratione mate-
riae, une portée bien plus vaste que les effets de la convention sur le géno-
cide proprement dite. Elle fait appel à un ensemble de mesures d’ordre

social, juridique, économique, politique et culturel visant à éliminer les
causes réelles de la pathologie génocidaire. Elle se concrétise sous la
forme de politiques pénales nationales ainsi que dans le cadre de la poli-
tique générale des organes compétents des Nations Unies, en particulier
ceux qui sont visés à l’article VIII de la Convention. Dans ce contexte, il

convient bien de parler d’une obligation, qu’elle soit morale ou sociale, de
prévenir le génocide. Cela étant, il semble s’agir là de la conception cri-
minologique de la prévention du génocide qui est mieux connue sous la
forme de la prévention primaire, secondaire et tertiaire.

114. Les effets de la Convention en matière de prévention du génocide
se traduisent par une dissuasion générale — au sens général et normatif
de la Convention en tant qu’instrument du droit pénal international et de
son application. Les effets préventifs de la Convention elle-même res-

sortent également des travaux préparatoires qui lui ont donné lieu. Dans
son commentaire, le Secrétariat fit valoir qu’une règle établie par la
Convention «tend[rait] à intimider et paralyser ceux qui seraient tentés
de commettre le crime» 11.
L’application de la convention sur le génocide donne également lieu à

une dissuasion plus ciblée, qui est limitée ratione personae à ceux qui

111Nations Unies, doc. E/447, p. 45 [version française: A/AC.10/41, p. 67].

500 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND . KRECu ) 540

commettent le crime, les auteurs potentiels échappant à sa portée. A cet

égard, il convient de souligner que l’application en l’espèce des disposi-
tions de la convention sur le génocide ou des dispositions correspon-
dantes des législations pénales nationales ne tient pas, stricti juris,

de la prévention du génocide mais de sa répression.
115. La prévention visée à l’article premier de la Convention constitue
le principe général qui anime les dispositions énoncées dans la suite de la
Convention, et non une obligation juridique distincte. En ce sens militent

non seulement certaines raisons générales concernant la nature de la pro-
tection propre au droit pénal (par. 113 ci-dessus), mais aussi certaines
raisons spécifiques, qui tiennent à la Convention elle-même.
L’engagement de prévenir le génocide que les parties contractantes

prennent à la fin de l’article premier doit être lu en tenant compte de
l’objet et du but de la Convention, et non isolément.
Le préambule de la Convention indique notamment que:

«Les Parties contractantes,
.............................

Convaincues que, pour libérer l’humanité d’un fléau aussi odieux,
la coopération internationale est nécessaire ,
Conviennent de ce qui suit...» (Les italiques sont de moi.)

La «coopération internationale» ne peut guère viser ici autre chose que
la défense de la communauté internationale contre le génocide. La conven-

tion sur le génocide est une expression juridique idoine et une compo-
sante de la coopération internationale générale dans la lutte contre
l’odieux fléau qu’est le génocide.
Le rôle essentiel de la coopération internationale en matière de préven-

tion du génocide est confirmé tant dans le texte de la Convention que
dans les travaux préparatoires.
L’article VIII de la Convention, qui évoque la possibilité d’une action

préventive de l’Organisation des Nations Unies à la demande des parties
contractantes, «est le seul article de la Convention ... qui traite de la pré-
vention de ce crime» 112. Etant donné que la Convention

«n’établit aucun organe conventionnel indépendant qui serait chargé
de [s]a mise en Œuvre», il apparaît que, «[d]ans le domaine de la pré-
vention, le seul mandat auquel il est fait allusion est celui qui est

accordé aux «organes compétents des Nations Unies», conformé-
ment à l’article VIII» 11.

En substance, l’article VIII ne fait qu’exprimer en termes normatifs
l’essence des travaux préparatoires à cet égard.
Dans son commentaire, le Secrétariat déclare notamment que:

112
N. Ruhashyankiko, op. cit., p. 79, par. 304; Version revisée et mise à jour de l’étude
sur la question de la prévention et de la répression du crime de génocide , établie par
M.113 Whitaker, Nations Unies, doc. E/CN.4/Sub.2/1985/6 (2 juillet 1985), p. 36, par. 66.
W. Schabas, Genocide in International Law , 2000, p. 448.

501 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP .IND . KRECu ) 541

«pour que l’action préventive ait le maximum de chances de succès,

il est nécessaire que les Membres des Nations Unies ne restent pas
passifs ou indifférents. Il convient donc que dans la Convention qui
prévoit la répression des crimes de génocide les Etats s’engagent à

faire ce qui est en leur pouvoir pour seconder l’actio114es Nations
Unies destinée à les prévenir ou à y mettre fin .»

La proposition des Etats-Unis d’Amérique allait dans le même sens:

«Les Hautes Parties contractantes ... conviennent d’agir de
concert, en leur qualité de Membres, afin de faire en sorte que
l’Organisation des Nations Unies prenne toute mesure pouvant se

révéler appropriée au regard de la Charte pour prévenir et réprimer le
génocide...» 115

La position de l’URSS peut être résumée de la manière suivante:

«Un acte de génocide quel qu’il soit constitue toujours une menace
à la paix et à la sécurité internationales, et, comme tel, doit relever
des chapitres VI et VII de la Charte... Les dispositions des chapitres

VI et VII de la Charte fournissent, pour prévenir le génocide et le
châtier, des moyens infiniment plus concrets et efficaces que tous
ceux dont dispose la juridiction internationale... » 116

La pratique des organes compétents des Nations Unies en matière de
prévention du génocide s’est manifestée dans le cadre des principes énon-
117
cés à l’article VIII de la Convention .
116. L’obligation de prévenir le génocide en termes juridiques est une
chose, et l’obligation juridique de prendre des mesures préventives à cet

égard en est une autre.
Si l’obligation de prévention est définie en termes juridiques, le titulaire
de l’obligation se trouve alors en position de garant, de sorte que sa res-

ponsabilité se trouve engagée du fait même de la commission du géno-
cide. Sur ce point, les mesures préventives sont de nature différente.
Elles peuvent être prises dans un sens plus large ou dans un sens plus

étroit.
Dans leur acception plus large, la prévention fait appel à des mesures
positives telles que la création d’un environnement social et culturel qui,

en soi, exclut l’émergence d’une pathologie génocidaire ou qui réduit au
minimum le risque de la voir se créer.
Dans un sens plus restreint, la prévention peut se limiter à des actes
qui, bien que n’étant pas des actes de commission et n’étant pas condam-

nés en général, ont pour effet de faciliter la commission du génocide ou
de la rendre possible, c’est-à-dire des actes préparatoires.

114
115Nations Unies, doc. E/447, p. 45-46 [version française: A/AC.10/41, p. 67-68].
Basic Principles of a Convention on Genocide , Nations Unies, doc. E/AC.25/7; les
italiques sont de moi.
116Nations Unies, doc. A/C.6/SR.101; les italiques sont de moi.
117W. Schabas, Genocide in International Law , 2000, p. 453-479.

502 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KRECu ) 542

Dans son projet de convention sur le crime de génocide, le Secrétariat

condamnait notamment les actes préparatoires suivants:

«a) les études et recherches destinées à mettre au point les tech-
niques du génocide;
b) le fait d’établir des installations, de fabriquer, de se procurer, de
détenir ou de fournir des matériaux et produits, sachant qu’ils

sont destinés à l’exécution des crimes de génocide;
c) les instructions, ordres, consignes, répartition des tâches en vue
de l’exécution du génocide» 118.

Cette proposition ne fut toutefois pas retenue, sans doute pour suivre

la pratique prévalant dans les systèmes nationaux de droit pénal qui ten-
dait à ne pas ériger en crimes des actes qui, du point de vue juridique,
n’étaient pas des actes de commission, ou l’actus reus, du crime de géno-
cide. Ainsi, pour reprendre les termes de l’éminent auteur cité plus haut,

«l’idée de réprimer des actes préparatoires du génocide semble avoir été
oubliée par les législateurs tant à l’échelle internationale que sur le plan
interne», si bien que rien «n’autorise à réprimer au pénal pareils actes
tant qu’ils n’ont pas atteint le seuil de la tentative» 11.

Toutefois, probablement par souci d’équilibre, la Convention a érigé
en crimes certains actes tels que l’incitation directe et publique à com-
mettre le génocide ou la tentative de génocide.
Contrairement à la convention sur le génocide, certaines conventions

internationales énoncent un dispositif limité ou fort large de mesures de
prévention, que ce soit dans un sens plus large, plus étroit ou associant les
deux types de mesures (voir, par exemple, l’article 2 de la convention

internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination
raciale (1965), les articles 3 et 4 de la convention concernant la lutte
contre la discrimination dans le domaine de l’enseignement (1960); les
articles 1, 3 et 8 de la convention supplémentaire relative à l’abolition de

l’esclavage, de la traite des esclaves et des institutions et pratiques ana-
logues à l’esclavage (1956), et les articles 2 et 3 de la convention concer-
nant la discrimination en matière d’emploi et de profession (1958).
Il existe une différence substantielle entre l’obligation de prévenir en

termes juridiques, d’une part, et les mesures préventives qui sont définies
par les dispositions d’une convention, de l’autre. Si la violation de l’obli-
gation juridique de prévention engage la responsabilité de son auteur en
droit pénal, un manquement à l’obligation de prendre les mesures pré-

ventives stipulées équivaut en revanche à la violation d’un instrument
conventionnel, sauf s’il présente les caractéristiques d’une infraction
pénale comme la complicité ou la coaction.
117. La position de la majorité quant à la portée ratione personae de

ce qu’elle conçoit comme une obligation juridique de prévenir le génocide

118Nations Unies, doc. E/447, p. 29 [version française: A/AC.10/41, p. 10].
119W. Schabas, Genocide in International Law , 2000, p. 490-491.

503 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KREuA ) 543

semble très problématique. Cette position consiste à établir une diffé-

rence qualitative entre les effets de l’expression «s’engagent à prévenir»
qui conclut l’article premier, d’une part, et ceux de l’article VIII de la
Convention, de l’autre. Tandis qu’elle perçoit dans l’expression «s’enga-
gent à prévenir» une «obligation de prévenir le génocide» «distincte»
que «les parties contractantes ont directement» (arrêt, par. 165), la majo-

rité voit les effets de l’article VIII comme «parachevant le système en
appelant tant à la prévention qu’à la répression du crime de génocide,
cette fois au niveau politique et non plus sous l’angle de la responsabilité
juridique » (arrêt, par. 159; les italiques sont de moi). En somme, la
Convention impose aux parties contractantes l’obligation juridique de

prévenir le génocide et aux organes compétents des Nations Unies qui
sont visés à l’article VIII de la Convention une obligation sociale et poli-
tique de prévenir le génocide.
Cette double obligation est difficile à concilier avec la nature de la

convention sur le génocide. Celle-ci consacre des droits et des obligations
qui revêtent un caractère erga omnes (C.I.J. Recueil 1996 (II) , p. 31) et
qui appartiennent au corpus juris cogentis. En tant que telle, ladite obli-
gation constitue une expression normative d’intérêts substantiels et fon-
damentaux de la communauté internationale dans son ensemble, intérêts

qui transcendent ceux des Etats pris individuellement. Si le génocide
«bouleverse la conscience humaine, inflige de grandes pertes à l’huma-
nité, et...est contraire à la fois à la loi morale et à l’esprit et aux fins des
Nations Unies (résolution 96 (I) de l’Assemblée générale, 11 décembre
1946)» (C.I.J. Recueil 1951,p .23; C.I.J. Recueil 1996 (II) , p. 616,

par. 31), il n’est guère aisé de saisir comment les parties contractantes et
les organes compétents des Nations Unies — les seuls à être désignés en
la matière à l’article VIII de la Convention, qui traite expressément de la
question de la prévention — peuvent être placés dans une position juri-
dique foncièrement différente à l’égard de la prévention du génocide,

d’autant plus que cette règle du jus cogens devrait en tant que telle se
situer au premier rang et posséder un caractère absolument obligatoire.
S’agissant de sa nature impérative, il est difficile de voir comment une
obligation qui, par définition, s’impose de manière absolue et qui, de ce
fait, n’autorise aucune autre solution ni condition, peut être conçue

comme une obligation «de mettre en Œuvre les mesures de prévention du
génocide qui [sont] à sa portée» (arrêt, par. 430) sans être une «obliga-
tion de parvenir à empêcher, quelles que soient les circonstances, la com-
mission d’un génocide» (ibid.). Ainsi perçue, l’obligation serait d’agir
pour empêcher le génocide autant que possible, et non pas de le prévenir.

Une obligation de prévention qui est tributaire d’une pléthore de condi-
tions factuelles et juridiques ne peut guère être considérée comme une
norme impérative.
En outre, faut-il entendre par là — étant donné que, suivant les vues de
la majorité, l’obligation de prévention comprend «celle de ne pas com-

mettre de génocide et les autres actes énumérés à l’article III» de la
Convention — que les organes de l’Organisation des Nations Unies ne

504 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND .KRECu ) 544

sont pas liés sur le plan juridique par l’obligation de ne pas commettre de

génocide ni les autres actes punissables en vertu de la Convention ou
bien, conformément à la logique dont s’inspire l’opinion de la majorité, à
supposer que l’Organisation commette le génocide, ne serait-elle pas
tenue, contrairement à un Etat, pour directement responsable?
Toujours est-il que, ces aspects discutables mis à part, l’affirmation

selon laquelle l’article VIII parachève «le système en appelant tant à la
prévention qu’à la répression du crime de génocide, cette fois au niveau
politique» (arrêt, par. 159) semble clairement militer en soi pour une
obligation de prévention de caractère social et politique.
118. Seule clause du dispositif de la Convention qui traite de la

prévention du génocide, l’article VIII peut revêtir deux significations
juridiques selon les circonstances:

i) en cas de génocide présumé sur le territoire d’un Etat, que celui-ci soit
ou non membre de l’Organisation des Nations Unies, il est exclu
d’arguer qu’il s’agit d’une affaire relevant essentiellement de la com-
pétence nationale de l’Etat en vertu du paragraphe 7 de l’article 2 de

la Charte;
ii) en ce qui concerne l’action des organes compétents des Nations
Unies, les Parties sont tenues de faire tout ce qui est en leur pouvoir
pour lui donner pleinement effet.

119. Les points discutables se sont multipliés avec une facilité remar-
quable au sein de la majorité sur la nature de la prévention.
A supposer, arguendo, que la prévention du génocide existe bien en

tant qu’obligation juridique, il est alors contradictoire en soi d’y voir une
«obligation de comportement et non de résultat» (arrêt, par. 430) car
cela revient à transformer l’obligation de prévenir en obligation d’agir
sans prévention pour résultat. En son sens ordinaire et naturel, le terme
«prévention» signifie agir pour empêcher un dessein génocidaire pres-

senti de se concrétiser ou pour le rendre impossible. Dès lors, la préven-
tion devrait par définition appeler un résultat.
Certes, la majorité a vu dans l’obligation de prévention un «devoir
d’agir qui en est le corollaire», mais la validité de cet élément complé-
mentaire est douteuse.

2.2. Le devoir corollaire d’agir

120. S’agissant de son existence, le «devoir d’agir qui en est le corol-
laire» paraît être une pure invention du juge s’érigeant lui-même en légis-

lateur, aucune trace d’une telle obligation figurant nulle part dans le texte
de la Convention ni dans les travaux préparatoires. En tant que telle, il
s’agit d’une revision de la Convention et non de sa juste interprétation.
In abstracto, l’introduction d’un devoir corollaire d’agir pourrait rai-
sonnablement servir deux objectifs qui ont pour effet commun d’annuler

l’existence de l’obligation juridique de prévenir le génocide en son sens
propre et véritable.

505 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KREuA ) 545

Un objectif pourrait être de conférer à l’obligation de prévention une

force active ou une sorte de capacité d’exécution. Si, toutefois, la préven-
tion du génocide constitue une obligation juridique distincte, le «devoir
d’agir qui en est le corollaire» est alors superflu. En ce sens, ce devoir
corollaire d’agir prive en fait l’obligation de prévention supposée de son
propre contenu normatif pour en faire un principe juridique général.

L’autre objectif serait de servir à transformer la prévention, dans son
sens originel et accepté, en une façon plus souple et modulable d’utiliser
tous les moyens disponibles selon les circonstances. Ainsi, l’obligation de
prévenir se convertirait en devoir d’agir, sans certitude quant au résultat
pour ce qui concerne la prévention, sur la base d’un critère général et abs-

trait mieux adapté au droit civil qu’au droit pénal.
121. La majorité n’a pas non plus échappé aux problèmes terminolo-
giques. Si l’obligation de prévention comprend aussi celle de ne pas com-
mettre de génocide, le terme «prévention» ne semble alors pas adéquat,

du moins en ce qui concerne cet aspect, car il s’agirait en fait d’«auto-
prévention» — ce qui n’aurait pourtant absolument aucun sens dans ce
contexte particulier, car comment peut-on exercer une prévention sur soi-
même du point de vue juridique, en agissant simultanément comme le
Dr. Jekyll et Mr. Hyde?

Si la prévention est entendue comme une obligation juridique, l’absence
de prévention du génocide appartiendrait à la catégorie des infractions
pénales constituées par l’omission d’agir. Pour que l’omission d’agir ait le
moindre sens, elle doit se rattacher à une infraction pénale définie par le
défaut d’action. Ainsi qu’il est expressément indiqué dans le Model Penal

Code, la responsabilité peut être basée sur une omission lorsque «l’omis-
sion est expressément établie de manière suffisante par le droit définissant
l’infraction» (par. 2.01, al. 3)). Or, non seulement la convention sur le
génocide n’impose pas de devoir d’agir dans le concret (il s’agit là d’un
produit de l’interprétation créatrice de la majorité), mais elle n’inclut

même pas l’omission d’agir parmi les actes punissables qui sont définis de
manière exhaustive en son article III.
Il s’ensuit donc que l’obligation de prévention, y compris le «devoir
d’agir qui en est le corollaire», est une invention judiciaire qui a été créée
ad exemplum legis avant que le principe de légalité soit devenu le patri-

moine commun du droit pénal moderne. En effet, pour que l’obligation
juridique de prévenir le génocide ainsi construite puisse servir à fonder la
moindre responsabilité, il fallait qu’existe déjà sur le plan judiciaire,
fût-ce tacitement, une infraction pénale tenant au défaut d’action. En ce
sens, la position de la majorité touche plutôt dangereusement au cŒur

même du principe nullum crimen sine lege.
L’impératif de légalité immanent au droit pénal ne souffre pas d’inter-
prétations dues à l’imagination et extratextuelles, surtout lorsqu’elles
entraînent la création de nouvelles infractions pénales ou étendent
l’essence de celles qui existent déjà, ou de l’un ou l’autre de leurs éléments

constitutifs. En conséquence, l’interprétation de la convention sur le
génocide, en tant que traité de droit pénal, doit en principe être plus res-

506 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND .KRECu ) 546

trictive et se rattacher davantage au texte de la Convention que celle

d’autres traités internationaux.
122. L’obligation «de ne pas commettre de génocide» est, aux yeux de
la majorité, comprise dans l’obligation de prévention, qui est perçue
comme une norme complexe ou une sorte de règle cadre au sein de la
Convention.

Mis à part le fait que cette obligation soit perçue comme une norme
complexe du point de vue de la responsabilité, le moins que l’on puisse
dire, au sujet de sa structure, c’est qu’il ne s’agit pas d’une interprétation
cohérente, tant en ce qui concerne la technique juridique que le fond.
Du point de vue de la technique juridique, il est inhabituel de définir

différemment les éléments constitutifs d’une norme complexe. Tandis que
l’obligation «de ne pas commettre» de génocide a été définie de façon
négative, l’obligation de prévention, qui est la norme principale, et le
«devoir d’agir qui en est le corollaire» ont été définis de façon positive.

Pour ce qui est du fond, la règle complexe de la prévention compren-
drait aux yeux de la majorité diverses obligations, à savoir, d’une part,
celles qui concernent la prévention proprement dite — l’obligation de
prévenir et le devoir d’agir qui en est le corollaire — et, de l’autre, celle
«de ne pas commettre de génocide», qui se rapporte à la notion même de

génocide, c’est-à-dire à son auteur lui-même.
La nature hétérogène des devoirs constitutifs de l’obligation de préven-
tion révèle le caractère artificiel de cette construction, qui est adaptée aux
besoins. Cela devient encore plus frappant au regard des infractions cor-
respondantes. La violation de toute obligation constituant en droit pénal

une infraction pénale, nous serions appelés ici à connaître d’un cas tout à
fait inhabituel d’infraction complexe (zusammengesetztes Verbrechen) ,
composée de diverses infractions. Ainsi, la commission d’un acte de géno-
cide par un Etat produirait deux conséquences dans le cadre d’une règle
complexe unique — une violation de l’obligation «de ne pas commettre

de génocide» emportant du même coup violation de l’obligation de pré-
vention ou, plus précisément, de l’obligation d’auto-prévention, assortie
du «devoir d’agir qui en est le corollaire».

2.2.1. L’application de l’obligation de prévention en l’espèce

123. Quand bien même, aux fins de l’argumentation, l’existence de
l’obligation juridique de prévention serait acceptée, il semble erroné de

l’appliquer dans le cas du défendeur.
Les arguments sur la base desquels la majorité a conclu que le défen-
deur avait «violé son obligation de prévenir le génocide de Srebrenica»
sont les suivants:

i) la RFY «se trouvait, à l’égard des Serbes de Bosnie ..., dans une posi-
tion d’influence qui n’était comparable à celle d’aucun des autres

Etats parties à la convention sur le génocide» (arrêt, par. 434);
ii) la RFY «ne pouvai[t] pas ne pas être conscient[e] du risque sérieux

507 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND .KRECu ) 547

qui existait à cet égard dès lors que les forces de la VRS avaient décidé

de prendre possession de l’enclave de Srebrenica» (arrêt, par. 436);
iii) le défendeur n’a démontré «l’existence d’aucune initiative à des fins
préventives ... de sa part», ce dont il faudrait déduire «que [s]es
organes ... n’ont rien fait pour prévenir les massacres de Srebre-
nica» (ibid., par. 438).

Il faut bien admettre qu’aucun des arguments avancés ne paraît convain-
cant.
S’agissant du premier, il semble reposer sur une certaine confusion
entre les notions d’«influence» et de «pouvoir» et entre leurs effets res-

pectifs, et en matière de prévention du génocide.
L’«influence» en tant que telle peut difficilement être un moyen de pré-
venir le génocide. Etant une forme de pouvoir indirect, elle pourrait inci-
ter le criminel présumé à l’«auto-prévention» mais, en soi, elle ne permet

nullement de prévenir le génocide, en particulier lorsque l’intention géno-
cidaire serait apparue de manière apparemment spontanée au cours d’une
opération de quelques jours. En tant que moyen d’inciter à la retenue ou
à l’«auto-prévention», l’influence doit s’exercer pendant une période bien
plus longue que la durée de l’opération au cours de laquelle un massacre

a été commis.
Dans son raisonnement, la majorité envisage des actes allant au-delà
de l’influence, sous la forme du pouvoir dont le défendeur disposait dans
les faits et en droit à l’égard de l’événement dont il s’agit.
La majorité attribue une importance majeure à la notion de «due dili-

gence» pour déterminer si une partie contractante a agi dans le sens
voulu.
Il semble toutefois que cette notion de diligence ne soit pas d’une
grande aide, ni même d’aucun secours sur le plan concret. Comme il res-
sort des décisions de la Cour dans l’affaire du Détroit de Corfou

(Royaume-Uni c. Albanie) et dans celle du Personnel diplomatique et
consulaire des Etats-Unis à Téhéran (Etats-Unis d’Amérique c. Iran) ,la
«due diligence» s’applique principalement dans le cas d’un sujet rele-
vant de la souveraineté ou du contrôle effectif de l’Etat auquel le défaut de
diligence est imputé. Or, la Cour a conclu que le défendeur n’exerçait

pas de contrôle effectif sur le territoire dont il s’agissait (arrêt, par. 413).
Qui plus est, les mesures qu’un Etat devrait prendre pour ne pas prêter
le flanc à l’accusation de défaut de diligence sont difficiles, voire impos-
sibles à mettre en Œuvre tout en respectant les limites de ce que permet
la légalité internationale lorsqu’il est question du territoire d’un autre

Etat.
Il est intéressant de noter que, dans le passage consacré à la responsa-
bilité de l’Etat pour avoir manqué à l’obligation de prévention qui figure
au paragraphe 438 de l’arrêt, le terme «pouvoir» a remplacé le terme
général «influence». On ne voit pas clairement s’il s’agit là d’une incohé-

rence linguistique dans le texte ou de l’expression d’un argumentum ad
casum.

508 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND .KRECA ) 548
u

L’idée que l’influence constitue par elle-même un facteur de responsa-
bilité tenant à l’omission d’agir est peut-être un emprunt au droit régis-
sant la responsabilité du commandement. En tant que telle, elle est tota-

lement inapplicable en matière de prévention dans les circonstances de
l’affaire qui nous occupe, étant donné, notamment, que, dans le cas de la
responsabilité du commandement, l’influence est exercée sur une per-
sonne qui est également soumise à un contrôle effectif. A titre incident,
elle traduit aussi une application hâtive de cette analogie au droit pénal.

En effet, exception faite des cas d’analogia legis, c’est-à-dire établies par
la règle juridique elle-même, les analogies avec le droit pénal ne sauraient
être admises compte tenu du principe de la légalité.
Le deuxième argument a essentiellement trait à la connaissance du

risque général de génocide, car, comme elle l’a conclu, «la Cour n’a pas
non plus jugé que les informations dont disposaient les autorités de Belgrade
indiquaient de manière certaine l’imminence du génocide» (par. 436).
Pourtant, la triste vérité est que, en temps de guerre civile, surtout lorsque

les lignes de démarcation militaire coïncident dans une large mesure avec
des frontières ethniques ou religieuses, il existe toujours un risque élevé et
grave que des crimes à motivation ethnique soient commis, y compris le
génocide. Ce phénomène est tout simplement inhérent à ce type de
guerre.

Ainsi, dans le cadre de cette construction baptisée obligation juridique
de prévention, la connaissance du risque imminent de génocide semble
constituer une meilleure base d’action. Vu, en particulier, que le risque
général de génocide, si fréquent en temps de guerre civile, impose en fait

de convertir l’action préventive en prévention des guerres civiles, il s’agit
en réalité ici de la prévention primaire de situations conduisant ou ris-
quant de conduire au génocide, c’est-à-dire de la prévention au sens cri-
minologique ou de la défense sociale, et non de la prévention répondant
à une obligation juridique.

Enfin, l’argument selon lequel le défendeur n’a démontré «l’existence
d’aucune initiative à des fins préventives ... de sa part» n’est pas exempt
de difficultés tant sur le plan des faits qu’au regard du droit.
Pour ce qui est des faits, il apparaît que le défendeur a produit des élé-

ments attestant que Miloševic ´ avait indiqué à Karadžic ´ que prendre Sre-
brenica serait une erreur, parce qu’un massacre pouvait fort bien avoir
lieu du fait d’événements intervenus plus tôt à Bratunac 120. En outre,
pour reprendre les termes de lord Owen:

«Je n’avais quasiment jamais entendu M. Miloševic ´ faire montre
d’une telle exaspération, mais aussi d’une telle inquiétude; il crai-

gnait que, si les forces serbes de Bosnie entraient dans Srebrenica, il
y ait un bain de sang en raison de la terrible animosité entre les deux
armées. Les Serbes de Bosnie tenaient le jeune commandant des

120Rapport néerlandais concernant Srebrenica, deuxième partie, chap. 2, sect. 5 (avec,
en note de bas de page, la mention «information confidentielle n° 43»).

509 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND .KRECA ) 549
u

forces musulmanes de Srebrenica, Naser Oric ´, pour responsable d’un
massacre commis près de Bratunac en décembre 1992, au cours
duquel de nombreux civils serbes avaient été tués.» 121

Les propos tenus par le président Miloševic ´ à lord Owen, qui était
alors coprésident du comité directeur de la conférence internationale sur

l’ex-Yougoslavie, doivent être interprétés comme une mise en garde sur le
risque de massacre à Srebrenica.
Etant donné que «chaque Etat ne peut déployer son action que dans
les limites de ce que lui permet la légalité internationale» (arrêt, par. 430),

cette mise en garde ainsi que les instructions données à Karadžic ´, le pré-
sident de la Republika Srpska, semblent constituer la seule mesure que le
défendeur pouvait prendre dans les circonstances.
Il convient de noter que, dans l’affaire du Détroit de Corfou, l’Albanie
fut déclarée responsable parce qu’elle n’avait «ni notifié l’existence du

champ de mines ni averti les navires de guerre britanniques du danger
vers lequel ils avançaient» (Détroit de Corfou, fond, arrêt, C.I.J. Recueil
1949, p. 22). Or, si le défaut d’avertissement a servi de base pour déclarer
l’Albanie responsable de l’événement intervenu sur son territoire, il est

alors difficile de saisir pourquoi l’avertissement formulé par le président
Miloševic´ ne satisfait pas au devoir d’agir, puisqu’il s’agissait en fait de la
seule mesure de prévention possible à l’égard du territoire de l’autre Etat
concerné. En outre, pour appliquer en l’espèce l’obligation de prévention

envisagée, une autre condition de causalité devait être remplie, à savoir
que le défaut allégué d’agir devait avoir causé le massacre. Cette condi-
tion n’a été ni établie ni appliquée dans l’arrêt.
124. Compte tenu de la responsabilité de premier plan qui incombe
aux organes compétents des Nations Unies en matière de prévention du

génocide, telle qu’elle figure à l’article VIII de la Convention, l’inquiétude
exprimée au président Miloševic ´ par le négociateur de l’Union euro-
péenne, M. Bildt, sur laquelle l’arrêt appelle particulièrement l’attention
(par. 436), n’a guère de pertinence en l’espèce, puisqu’elle traduit simple-

ment une inquiétude de caractère humanitaire. Elle ne peut guère, comme
le suggère tacitement le libellé de ce passage, se justifier en tant que mise
en garde probable que le représentant de la communauté internationale
organisée — qui avait le pouvoir voulu dans les faits et la faculté juri-
dique d’agir et dont les unités militaires étaient en outre, sur la base de la

résolution du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies,
tenues de sécuriser la zone de sécurité qu’était Srebrenica — aurait adres-
sée au chef d’Etat qui, d’après la conclusion de la Cour (arrêt, par. 413),
n’exerçait pas de contrôle effectif sur le territoire concerné et n’avait

d’ailleurs aucun pouvoir de fait comparable à celui que possédait la com-
munauté internationale organisée (une conclusion foncièrement diffé-
rente ne s’imposerait que si l’autorité de l’organe international compétent

121Lord Owen, Balkan Odyssey, 1995, p. 134-135.

510 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KRECu ) 550

avait alors été déléguée au président Miloševic ´ en temps voulu pour lui

permettre d’intervenir sur le territoire de la Bosnie-Herzégovine afin de
prévenir le massacre de Srebrenica).
125. L’autre argument avancé concerne les ordonnances que la Cour a
rendues le 8 avril 1993 ainsi que le 13 septembre 1993, pour indiquer des
mesures conservatoires précisant que «la RFY était ... soumise à des obli-

gations très spécifiques du fait des deux ordonnances en indication de
mesures conservatoires» (arrêt, par. 435).
Il est possible de formuler deux observations au sujet de cette conclu-
sion particulière de la majorité.
Premièrement, le caractère obligatoire de l’ordonnance indiquant des

mesures conservatoires n’a été exprimé qu’à l’époque de l’affaire LaGrand
(C.I.J. Recueil 2001, p. 503, par. 102). Avant cette affaire, la force obli-
gatoire de l’ordonnance en indication de mesures conservatoires ne pou-
vait pas être tenue pour établie. Ce fait est confirmé par l’ordonnance du

13 septembre 1993 elle-même. Au paragraphe 58 de l’ordonnance, la
Cour renvoie à sa conclusion antérieure en l’affaire Nicaragua, qui est
celle-ci: «lorsque la Cour conclut que la situation exige l’adoption de
mesures de ce genre, il incombe à chaque partie de prendre sérieusement
en considération les indications ainsi données...» (Activités militaires et

paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis
d’Amérique), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986 , p. 144, par. 289), ajou-
tant qu’«il en va particulièrement ainsi dans une situation telle qu’elle se
présente actuellement en Bosnie-Herzégovine» (Application de la conven-
tion pour la prévention et la répression du crime de génocide, mesures

conservatoires, ordonnance du 13 septembre 1993, C.I.J. Recueil 1993 ,
p. 349).
Deuxièmement, cet argument n’est guère justifié, puisque les ordon-
nances indiquent nettement qu’il s’agit en fait d’une décision provisoire
par excellence. Celles-ci prévoient

«des conditions pratiquement illimitées, mal définies et vagues
concernant l’exercice de la responsabilité du défendeur dans l’exécu-

tion de l’ordonnance de la Cour et l’exposent à des accusations
infondées de ne pas de conformer à cette mesure conservatoire»
(Application de la convention pour la prévention et la répression du
crime de génocide, mesures conservatoires, ordonnance du 8 avril
1993, C.I.J. Recueil 1993 , déclaration du juge Tarassov, p. 27).

Un fait encore plus remarquable est que les mesures ont été indiquées
lors d’une phase de la procédure qui ne permettait à la Cour «d’avoir

qu’une idée provisoire et simplement prima facie du dossier» (Questions
d’interprétation et d’application de la convention de Montréal de 1971
résultant de l’incident aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne
c. Royaume-Uni), mesures conservatoires, ordonnance du 14 avril 1992,
C.I.J. Recueil 1992,p.33 ). Ces mesures conservatoires touchaient de si

près à l’objet de l’affaire que la Cour risquait de créer un estoppel à
l’égard des faits allégués par une partie.

511 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KRECA ) 551
u

En fait, c’est dans ces ordonnances consacrées aux événements inter-
venus lors de la guerre civile en Bosnie-Herzégovine que fut utilisée pour
la première fois la qualification de «génocide». La première apparition

du terme «génocide» dans des résolutions du Conseil de sécurité remonte
au 16 avril 1993, lorsque le Conseil prit acte de l’ordonnance du
8 avril 1993 12. La résolution du 8 mai 1993 portant création du tribunal
ad hoc pour l’ex-Yougoslavie ne faisait pas même mention du génocide.
La Cour jouit évidemment d’une autorité considérable, mais il convien-

drait qu’elle trouve un juste milieu entre l’autorité et la responsabilité qui
sont les siennes dans chaque affaire. C’est en faisant preuve de prudence
judiciaire et en se conformant strictement à sa compétence dans chaque
phase du différend qu’elle pourra trouver l’équilibre non seulement dési-

rable, mais aussi nécessaire entre autorité et responsabilité judiciaires.
Sinon, il existe un risque d’abus de la fonction judiciaire.

2.3. L’obligation de ne pas commettre de génocide

126. Pour la majorité, l’obligation de ne pas commettre de génocide
est implicite: il s’agit d’une obligation qu’«implique nécessairement»

celle de prévenir le génocide (arrêt, par 166).
Le raisonnement qui sous-tend cette thèse est que

«L’obligation [de prévenir le génocide] impose notamment aux
Etats parties de mettre en Œuvre les moyens dont ils disposent ... afin
d’empêcher des personnes ou groupes de personnes qui ne relèvent
pas directement de leur autorité de commettre un acte de génocide
ou l’un quelconque des autres actes mentionnés à l’article III. Il

serait paradoxal que les Etats soient ainsi tenus d’empêcher, dans la
mesure de leurs moyens, des personnes sur lesquelles ils peuvent
exercer une certaine influence de commettre le génocide, mais qu’il
ne leur soit pas interdit de commettre eux-mêmes de tels actes par

l’intermédiaire de leurs propres organes, ou des personnes sur
lesquelles ils exercent un contrôle si étroit que le comportement de
celles-ci leur est attribuable selon le droit international.»
(Arrêt, par. 166.)

A cet égard, la question qu’il convient de se poser préalablement est
celle de savoir si l’on peut imposer de manière implicite à une partie
contractante à la Convention une obligation pénale.

A l’évidence, la réponse ne peut être que négative. La thèse selon
laquelle l’obligation de ne pas commettre le génocide serait nécessaire-
ment contenue dans celle de prévenir ce crime et ce, quelle que soit la
manière dont est perçue la prévention — à tort ou à raison —, procède

d’une interprétation extensive de la Convention que l’on ne peut accep-
ter. Elle est en outre contraire à l’essence même du principe de légalité en
droit pénal international. Rien ne justifie le recours à une interprétation

122Nations Unies, doc. S/RES/819 (1993).

512 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KRECu ) 552

extensive pour ce qui concerne l’auteur du génocide. Les dispositions de
la Convention sont très claires à cet égard. Les termes employés aux ar-
ticles II à VIII ne laissent aucun doute quant au sens des dispositions de
ce texte (lex dixit minus quam voluit) , suivant lesquelles seules des per-

sonnes physiques peuvent commettre un génocide. En conséquence, rien,
absolument rien, ne justifie de recourir à une interprétation extensive.
127. Il est encore moins justifié, concrètement, en l’espèce, de recourir
à une interprétation extratextuelle qui ignore et invalide l’intention des
parties contractantes clairement exprimée dans le texte de la Convention

et confirmée par les travaux préparatoires. De ce point de vue, l’interpré-
tation dépasse très nettement le cadre autorisé.
Une telle interprétation aurait pour conséquence d’imposer une obliga-
tion nouvelle aux parties contractantes et ce, en contradiction avec le
principe général du droit international selon lequel une obligation incom-

bant à un Etat ne peut être présumée et doit avoir été établie de manière
non équivoque, principe sur lequel il est particulièrement mis l’accent en
droit pénal international compte tenu des exigences strictes qui entourent
la règle nullum crimen sine lege.

Il s’agit donc là d’une réécriture de la Convention par incorporation
d’une obligation nouvelle, étrangère à l’intention des parties contrac-
tantes, et non d’une interprétation stricto sensu.
La référence à l’objet et au but de la Convention et la confiance dans le
principe de l’effet utile ne semblent guère convaincantes. Elle est énoncée

de manière abstraite, par quelques mots — «prévention du génocide» —
qui sont détachés du reste de la Convention (voir Compétence de l’OIT
pour la réglementation internationale des conditions du travail des per-
sonnes employées dans l’agriculture, avis consultatif, 1922 , C.P.J.I.
série B n 2, p. 23). Le principe de l’effet utile semble, en outre, ne pas

être correctement interprété à cet égard non plus, ou n’être pas applicable,
car ses effets sont essentiellement négatifs et il ne suffit pas per se comme
fondement à une interprétation correcte du but de la convention.
128. L’opinion de la majorité semble résulter d’une certaine confusion

entre la perpétration du crime — c’est-à-dire la situation dans laquelle se
trouve l’auteur du crime de génocide — et la responsabilité découlant de
cet acte.
Lorsque des Etats ou d’autres entités juridiques sont en cause, le statut
de l’auteur du crime et la responsabilité pénale découlant de sa perpé-

tration peuvent être deux choses distinctes.
Le fait qu’une partie contractante ait pour obligation de ne pas com-
mettre de génocide signifierait, en réalité, implicitement qu’un Etat peut
être l’auteur d’un génocide.

Cette thèse est pour le moins étrange. En effet, elle ne tient pas compte
de ce que l’on appelle le genus proximus qui caractérise tout crime, y
compris le crime de génocide.
Un crime, quel qu’il soit, est avant tout un acte physique ou une omis-
sion présentant un élément moral, qui — en tant que tel — ne peut être

513 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND .KRECu ) 553

commis par des entités telles que des Etats, lesquels ne possèdent ni attri-

buts physiques leur permettant d’accomplir des actes physiques ou maté-
riels, ni volonté propre. Bien qu’il s’agisse là d’une évidence, cela a de
réelles implications en droit pénal.
Le fait qu’un Etat, comme toute autre entité juridique, puisse être tenu
pour responsable au regard du droit pénal à raison de crimes commis par

des personnes physiques est fort différent. La responsabilité pénale des
personnes morales est, toutefois, une fiction par rapport à la responsabi-
lité pénale bien réelle des personnes physiques. Elle est établie comme une
fiction juridique (fictio legalis) par une règle spéciale.
L’une des versions modernes de cette fiction juridique, dont les origines

remontent au droit canonique et médiéval élaboré sous l’influence de
Bartolus, est, en droit national, la responsabilité pénale des personnes
morales qui consiste à considérer certains actes commis par des personnes
physiques comme étant commis par la personne morale en question, ou à

recourir à l’imputation comme forme de responsabilité par procuration.
Il semblerait que la majorité se soit inspirée de la responsabilité pénale
des personnes morales et qu’elle ait procédé par analogie. Si tel est le cas,
l’approche est totalement erronée. En tant que méthode d’interprétation,
l’analogie n’a qu’un champ d’application limité en droit pénal, et ce

même lorsqu’elle reste intra legem, c’est-à-dire qu’elle ne crée pas de règle
nouvelle, ce qui est pourtant le cas en l’espèce.
Un autre aspect est toutefois bien plus important. La responsabilité
pénale des personnes morales, en tant que fiction juridique, est établie en
droit pénal interne par des règles juridiques spéciales. Or, aussi bien la

convention sur le génocide que le droit international positif ignorent de
telles règles.
Cela ne signifie cependant pas que la responsabilité pénale des Etats ou
des organisations internationales n’aura pas, un jour, sa place en droit
international positif. Néanmoins, la Cour «en tant que tribunal, ne sau-

rait rendre de décisions sub specie legis ferendae , ni énoncer le droit avant
que le législateur l’ait édicté» (affaire de la Compétence en matière de
pêcheries (Royaume-Uni c. Islande), arrêt, C.I.J. Recueil 1974 , p. 23-24,
par. 53; Compétence en matière de pêcheries (République fédérale d’Alle-
magne c. Islande), arrêt, C.I.J. Recueil 1974 , p. 192, par. 45).

129. S’agissant de la responsabilité d’un Etat à raison de la perpétra-
tion d’un génocide, l’opinion de la majorité de la Cour ne laisse pas non
plus de susciter des difficultés juridiques. Celles-ci sont de deux ordres.
Premièrement, si un Etat peut, au même titre qu’une personne,
commettre un génocide, alors la responsabilité pénale de l’Etat

en tant qu’auteur de ce crime est une conséquence naturelle et inévi-
table. L’arrêt n’évoque cependant que la «responsabilité» ou la
«responsabilité internationale» d’un Etat à cet égard, ce qui n’est
certainement pas sans pertinence s’agissant du sens de l’expression
«responsabilité d’un Etat».

Deuxièmement, le fondement de la responsabilité d’un Etat pour géno-
cide est défini de manière peu claire et contradictoire.

514 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KRECu ) 554

Supposons, aux fins de l’argumentation, qu’un Etat puisse être l’auteur
d’un génocide; dans ce cas, sa responsabilité pénale est originelle et réelle.

La majorité estime cependant que

«si un organe de l’Etat ou une personne ou un groupe de personnes
dont les actes sont juridiquement attribuables à l’Etat en question
commet l’un des actes prohibés par l’article III de la Convention, la
responsabilité internationale de celui-ci est engagée» (arrêt, par. 179).

Dès lors, la responsabilité de l’Etat est fondée sur des actes commis par
les organes de cet Etat, ou par une personne ou un groupe ayant commis

l’un des actes prohibés par l’article III de la Convention, lesquels sont
juridiquement attribuables à l’Etat . L’opération juridique d’attribution ne
semble cependant pas nécessaire si la responsabilité de l’Etat pour géno-
cide est originelle et réelle, comme l’implique le fait de définir l’Etat

comme un auteur potentiel de ce crime.

2.4. L’obligation de punir

130. Certains éléments du raisonnement de la majorité, quand il s’agit
du respect par le défendeur de l’obligation de punir, sont formulés d’une

manière qui, au regard des critères du raisonnement juridique, ressemble
par trop aux demandes adressées au défendeur par certaines institutions
politiques internationales et certains Etats. En l’espèce, c’est sur un plan
formel et non sur le fond 123que la Cour a agi en tant que principal
organe judiciaire.

Cette forte ressemblance, qui vaut principalement pour les conclusions
de la Cour et les demandes d’ordre politique adressées au défendeur, est
particulièrement manifeste au paragraphe 449 de l’arrêt.
Engager une procédure appropriée à l’encontre d’une personne accusée

de génocide est une chose, l’obligation de punir cette personne en est une
autre. Il est particulièrement frappant que la majorité ait passé sous
silence cette distinction qui touche à l’essence même du principe fonda-
mental de la présomption d’innocence.

Se pose en outre la question de savoir si le défendeur a manqué à son
«obligation de punir», au sens des obligations internationales s’agissant
des personnes poursuivies par le TPIY.
Comme chacun sait, lors de la réunion tenue à Rome les 17 et 18

février 1996 à l’initiative du président de l’Union européenne de l’époque,
S. Agnelli — réunion à laquelle ont participé également le secrétaire
d’Etat adjoint des Etats-Unis d’Amérique, M. Holbrooke, le haut repré-
sentant, M. Bildt, le commandant de l’IFOR, l’amiral Smith, le comman-

dant des forces américaines, le général Joulwan, parmi d’autres personna-
lités — les présidents Izetbegovic´, Miloševic´ et Tudjman convinrent que

123Sur cette distinction, voir Shabtai Rosenne, The Law and Practice of the Inter-
national Court, 1920-2005, I, p. 107.

515 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND .KRECu ) 555

«les personnes autres que celles qui sont déjà accusées par le Tribu-

nal ne peuvent être arrêtées ou détenues pour des violations graves
du droit international humanitaire qu’en vertu d’une décision, d’un
mandat ou d’un acte d’accusation émis précédemment qui a fait

l’objet d’un examen et a été jugé conforme aux règles de droit inter-
national par le Tribunal. Des procédures permettant au Tribunal de
se prononcer rapidement seront élaborées et seront immédiatement
mises en mouvement dès que de tels cas se présenteront.» 124

Dès lors, ni le défendeur ni le demandeur n’étaient juridiquement en
mesure de condamner qui que ce soit pour génocide. En octobre 2004, le
procureur général, Carla del Ponte, acheva son examen des plaintes
déposées en Bosnie-Herzégovine et, dans le cadre de la fermeture progres-

sive du TPIY, les remit au Gouvernement de la Bosnie-Herzégovine pour
qu’il y soit donné suite et pour que des poursuites pénales 125 soient
engagées.

Accuser le défendeur de ne pas avoir coopéré avec le TPIY au motif
que l’une des personnes mises en accusation n’a pas été arrêtée, et ce en
l’absence d’éléments de preuve crédibles attestant que l’intéressé se trouve
sur le territoire du défendeur, est contraire au principe selon lequel les

faits négatifs n’ont pas à être prouvés dans le cadre d’une procédure judi-
ciaire. Cela est d’autant plus vrai si l’on se souvient que le défendeur, en
arrêtant ou en extradant les individus mis en accusation qui se sont ren-
dus volontairement, a clairement démontré sa position à cet égard.

J’estime qu’un Etat qui a ainsi livré au TPIY trente-sept personnes mises
en accusation, dont la quasi-totalité des membres des autorités politiques
et militaires, peut difficilement être accusé de ne pas avoir coopéré d’un
strict point de vue juridique.

Un autre exemple de formulation semblable à celles contenues dans les
communiqués émanant d’institutions internationales figure dans la partie
du dispositif qui se rapporte précisément à cette question. Il y est notam-

ment indiqué que le défendeur doit prendre immédiatement des mesures
effectives pour «transférer les personnes accusées de génocide ou de l’un
quelconque de ces autres actes [prohibés par l’article III de la Conven-
tion]» (les italiques sont de moi), alors même qu’il est de notoriété

publique que ces personnes n’ont pas été arrêtées.
Se pose également la question de savoir si le TPIY peut être considéré
comme un «tribunal pénal international» au sens de l’article VI de la
Convention.

La réponse enthousiaste consistant à dire «oui, assurément» repose sur
une explication qui n’est pas très convaincante:

«La notion de «cour criminelle internationale» au sens de l’ar-

124
Rome communiqué, Sect. 5, «Cooperation on War Crimes and Respect for Human
Ri125s», http://www.barns-dle.demon.co.uk/bosnia/mostar.html.
http://www.un.org/icty/glance-e/index.htm.

516 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND .KRECu ) 556

ticle VI doit s’entendre au moins de toute juridiction pénale interna-
tionale créée après l’adoption de la Convention ... à vocation poten-

tiellement universelle et compétente pour juger les auteurs d’un géno-
cide ou de l’un quelconque des autres actes énumérés à l’article III.
Peu importe, à cet égard, la nature de l’instrument juridique en
vertu duquel cette juridiction est créée.» (Arrêt, par. 445; les italiques

sont de moi.)
Bien que n’ayant nullement l’intention de m’intéresser à cette question

de manière approfondie, je me demande comment il est possible d’affir-
mer que «la nature de l’instrument juridique en vertu duquel cette juri-
diction est créée [importe peu]», sans qu’il ait été préalablement établi
que les résolutions du Conseil de sécurité sont ou non des instruments

juridiques stricto sensu ou autre chose, ou que «l’article VI doit s’enten-
dre au moins de toute juridiction pénale internationale créée», sans qu’il
soit précisé que cette «création» doit avoir eu lieu conformément au droit
international.

En réalité, toute interprétation portant directement ou indirectement
légitimation ou, à l’inverse, absence de légitimation du TPIY n’est certai-
nement pas compatible avec la prudence judiciaire qu’imposent, d’une
part, les circonstances particulières dans lesquelles ce tribunal a été créé

et, d’autre part, le caractère contentieux de la présente espèce.
En outre, si l’intention de la Cour était de se pencher sur le fond de la
question, c’est-à-dire de chercher à savoir si le TPIY avait été établi de
manière juridiquement valable et était compétent aux termes de l’ar-

ticle VI de la Convention ou d’un organe judiciaire qui serait le fruit d’une
justice sélective et militante, elle aurait dû examiner tous les arguments
pertinents pro et contra afin de parvenir à la bonne conclusion.
En effet, la question de la licéité du TPIY n’a pas même à ce jour été
jamais tranchée au terme d’une procédure judiciaire irréprochable. La

seule décision judiciaire sur cette question — à savoir celle rendue par le
TPIY lui-même dans l’affaire Tadic ´126 — ne peut guère être considérée
comme irréprochable à la lumière du principe fondamental nemo judex in
causa sua.

3. La question de la responsabilité

3.1. La Convention et la question de la responsabilité

131. L’expression «responsabilité d’un Etat en matière de génocide ou
de l’un quelconque des autres actes énumérés à l’article III» est abstraite

et son caractère vague la rend fort englobante, notamment au regard de
la convention sur le droit pénal.

126Décision relative à l’exception préjudicielle d’incompétence soulevée par la défense ,
10 août 1995, par. 1-40; Arrêt relatif à l’appel de la défense concernant l’exception préju-
dicielle d’incompétence , 2 octobre 1995, par. 26-48.

517 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND .KRECu ) 557

En droit international, le terme «responsabilité» 127 peut être utilisé

lato sensu et stricto sensu, ce qui est d’ailleurs le cas.
Considérée lato sensu, la responsabilité revêt diverses formes:

i) La responsabilité au sens courant, c’est-à-dire que l’auteur d’un acte
en assume les conséquences. A titre d’exemple, l’on peut citer la posi-
tion du juge Anzilotti dans l’affaire relative à la Réforme agraire

polonaise et minorité allemande (mesures conservatoires) lorsqu’il
indiqua qu’«un gouvernement [doit] supporte[r] les conséquences de
la rédaction peu claire d’un document qui émane de lui »( C.P.J.I.
série A/B n 58, p. 182; les italiques sont de moi).

ii) La responsabilité morale ou politique. Cela implique que l’auteur
d’un acte a une obligation morale et politique de réparer les consé-
quences de son acte qui ont porté préjudice à d’autres personnes.
Ainsi la commission mixte des réclamations Etats-Unis-Allemagne

(1922) a-t-elle jugé que «la responsabilité de l’Allemagne pour
l’ensemble des pertes et dommages subis du fait de la guerre [était]
une responsabilité morale » [traduction du Greffe] (décision adminis-
trative n II (1923), par. 5, p. 15; les italiques sont dans l’original;

voir également l’affaire des Indemnités russes (1912), HCR, vol. 1,
p. 547).
iii) La responsabilité d’un point de vue juridique. Cela pourrait être
interprété comme désignant la responsabilité stricto sensu. Toutefois,

la «responsabilité d’un point de vue juridique», ou «responsabilité
juridique», est plus une expression générale qu’une qualification
précise. Elle regroupe deux formes intrinsèquement différentes de
responsabilité — la responsabilité civile et la responsabilité pénale,

lesquelles doivent être précisées au cas par cas.

S’agissant de l’expression «responsabilité d’un Etat en matière de
génocide» employée à l’article IX, le fait qu’elle ait trait à la responsabi-
lité lato sensu ou stricto sensu n’est pas clair. Tel est, à fortiori, le cas si

l’on estime qu’existe une différence significative entre les versions anglaise
et française de l’article IX, lesquelles font «également foi» aux termes de
l’article X de la Convention. Alors que la version anglaise du texte de
l’article IX parle, notamment, de «responsibility of a State for genocide»,

dans le texte français, l’expression est «responsabilité d’un Etat en matière
de génocide » (les italiques sont de moi). Cette dernière formule est bien
plus proche du sens général du terme «responsabilité» que de son sens
strict.

Cela est d’autant plus vrai si l’on garde à l’esprit le fait que la référence
à la responsabilité de l’Etat et à la compétence de la Cour internationale
de Justice avait pour but de renforcer l’efficacité de la Convention. L’on
estimait en effet qu’en temps de paix il était quasiment impossible que

s’exerce une compétence nationale ou internationale effective à l’égard de

127B. Cheng, op. cit.

518 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP . IND .KRECu ) 558

dirigeants ou de chefs d’Etat (Documents officiels de l’Assemblée géné-
rale, troisième session, première partie , 103 séance, p. 430, et 104 séance,
p. 436 et 444).

Ainsi, le terme «responsabilité» peut également être compris comme
signifiant «obligation», de sorte que l’article IX conférerait à

««la Cour internationale de Justice compétence à l’égard de diffé-

rends entre Etats parties» au sujet de «l’interprétation, l’application
et l’exécution» de diverses obligations nées d’obligations spécifiques
énoncées dans la Convention, à savoir la poursuite, l’extradition et
128
l’adoption de mesures législatives» .

132. Les dispositions de fond de la Convention établissent exclusive-
ment la responsabilité individuelle pour génocide, de manière directe ou

indirecte.
Les articles IV, V, VI et VII font directement référence à la responsa-
bilité pénale individuelle. Les travaux préparatoires, notamment ceux des

articles IV et VI (qui revêtent une importance particulière pour l’examen
de la question à l’étude), confirment le sens clair et naturel des articles
auxquels il est fait référence à cet égard. Lors de débats menés au sein de

la Sixième Commission au sujet de l’article IV, le Royaume-Uni a pré-
senté un amendement 129qui avait pour objet d’établir la responsabilité
étatique pour génocide. L’amendement présenté par la Belgique 130 allait

dans le même sens. Ces amendements ont été rejetés pour des raisons
résumées par le rapporteur spécial, M. Ruhashyankiko, de la manière
suivante:

«la pratique internationale d’après la seconde guerre mondiale a fait
constamment application du principe de la responsabilité pénale
individuelle en matière de crimes de droit international parmi les-
131
quels se place le génocide» .

Une expression indirecte des mêmes idées figure dans les dispositions
des articles I, II et III. La notion de «crime du droit des gens», énoncée

à l’article premier de la Convention, renvoie en droit international positif
— à l’exception des projets de lege ferenda — à des actes ou omissions
commis exclusivement par des individus. Les articles II et III, lesquels

traitent spécifiquement de la définition juridique du crime de génocide et
des actes punissables en vertu de la Convention, respectivement, et
expriment par leur formulation et leur contenu l’idée qu’un Etat, en tant

128W. Schabas, Genocide in International Law , 2000, p. 434.
129Nations Unies, doc. A/C.6/236 et corr.1.
130Nations Unies, doc. A/SR95.
131M. N. Ruhashyankiko, rapporteur spécial, op. cit., p. 36, par. 151. Voir également
le Projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, Rapport de la
Commission du droit international sur les travaux de sa trente-sixième session (7 mai-
27 juillet 1984) (doc. A/39/10, Annuaire de la Commission du droit international (1984), II,
2e partie, p. 11, par. 32).

519 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND .KRECu ) 559

que personne juridique abstraite, sans attributs physiques ni volonté propre,
ne peut être responsable en droit pénal (societas delinquere non potest) .

Ainsi, aucune des dispositions de fond de la Convention ne prévoit
d’autre forme de responsabilité juridique pour génocide que la responsa-
bilité pénale individuelle.
133. La majorité ne conteste pas l’idée que le texte de la Convention

n’établit pas, en soi, la responsabilité de l’Etat. Il est notamment souligné
ceci:

«Il est vrai que les notions utilisées dans les litt. b) à e) de
l’article III ... renvoient à des catégories bien connues du droit pénal,
et paraissent, à ce titre, spécialement adaptées à l’exercice de la
répression pénale contre des individus.» (Arrêt, par. 167.)

Cependant, la responsabilité d’un Etat pour génocide figure à l’ar-

ticle IX de la Convention. Elle découle de l’obligation imposée aux parties
contractantes «de ne pas commettre de génocide» dans le cadre des règles
de la responsabilité des Etats telles qu’énoncées dans les articles de la
CDI, lesquels expriment l’état du droit international coutumier actuel

(par. 414), et ce bien que la position de la CDI — la convention sur le
génocide n’envisageait pas le crime d’Etat ou la responsabilité pénale des
Etats dans son article IX — semble claire à cet égard 132.
L’article IX permet-il d’établir la responsabilité d’un Etat pour géno-
cide? Cet article dispose:

«Les différends entre les Parties contractantes relatifs à l’interpré-

tation, l’application ou l’exécution de la présente Convention, y
compris ceux relatifs à la responsabilité d’un Etat en matière de
génocide ou de l’un quelconque des autres actes énumérés à
l’article III, seront soumis à la Cour internationale de Justice, à la

requête d’une Partie au différend.»

134. L’article IX de la Convention est, par nature, une clause compro-
missoire classique. En tant que tel, son objet est d’établir la compétence
de la Cour pour ce qui concerne l’interprétation, l’application ou le res-
pect des dispositions de fond de la Convention. Ainsi que Manley
Hudson le dit très bien en conclusion:

«L’article va plus loin cependant en déclarant «compris» les dif-

férends «relatifs à la responsabilité d’un Etat en matière de génocide
ou de l’un quelconque des autres actes énumérés à l’article III».
Comme aucune autre disposition de la Convention ne traite expres-
sément de la responsabilité de l’Etat, on voit mal comment un diffé-

rend dont cette responsabilité ferait l’objet pourrait être «compris»
parmi les différends relatifs à l’interprétation, à l’application ou à

132Rapport de la Commission du droit international sur les travaux de sa cinquantième
session, 20 avril-2 juin 1998, 27 juillet-14 août 1998, Nations Unies, doc. A/53/10 et corr.1,
par. 249.

520 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND .KRECu ) 560

l’exécution de la Convention. Comme les Parties s’engagent à l’ar-
ticle premier à prévenir le génocide, on peut concevoir qu’un diffé-

rend relatif à la responsabilité d’un Etat soit un différend relatif à
l’exécution de la Convention. Pourtant, si on la considère dans son
ensemble, celle-ci ne vise que le châtiment des individus; elle
n’entrevoit pas du tout la répression des Etats, exclue d’ailleurs à

l’article V, où les Parties s’engagent à prendre les mesures législa-
tives nécessaires. La «responsabilité d’un Etat» dont il est question
à l’article IX n’est donc pas la responsabilité pénale.» 133

Les clauses attributives de compétence ne sauraient modifier ni empor-
ter revision du droit matériel. Ce principe, qui exprime des considérations

juridiques primordiales, est tout particulièrement pertinent pour le type
de conventions auquel appartient la convention sur le génocide.
Comme les dispositions de fond de la Convention appartiennent au
corpus juris cogentis, elles ne peuvent être modifiées «que par une nou-

velle norme du droit international général ayant le même caractère» (ar-
ticle 53 de la convention sur le droit des traités). De toute évidence, la règle
énoncée dans l’article IX n’est pas une «norme du droit international
général ayant le même caractère», c’est une règle du jus dispositivum à

laquelle les parties contractantes peuvent déroger de manière discrétion-
naire. Si l’article IX était susceptible de modifier la situation juridique
établie par les dispositions de fond de la Convention, cela reviendrait, du
point de vue de la dichotomie jus cogens/jus dispositivum , à dire qu’au
moins certaines règles relevant du jus dispositivum sont susceptibles de

modifier le régime établi du jus cogens. En outre, il s’ensuivrait, d’un
point de vue pratique, qu’une partie contractante ayant formulé une
réserve à l’article IX serait libérée de la responsabilité que ledit article IX
ajouterait aux dispositions de fond de la Convention.

135. A supposer, aux seules fins de l’argumentation, que les rédacteurs
de la Convention, lorsqu’ils ont employé le terme «responsabilité» à
l’article IX, aient eu à l’esprit la responsabilité d’un point de vue juri-

dique, l’on pourrait alors affirmer avec certitude qu’ils n’envisageaient
pas la responsabilité pénale de l’Etat.
La Convention ne prévoit pas spécifiquement la responsabilité civile de
l’Etat pour génocide.

Non seulement le texte de la Convention ne contient pas, dans son dis-
positif, de dispositions spécifiques à cet égard, mais les termes généraux
correspondants, tels que «responsabilité civile», ou les précisions concer-
nant la «réparation» ou la «compensation» et les autres notions du

même ordre, font également défaut. Il est vrai qu’il a été fait mention de
la «responsabilité civile» dans les travaux préparatoires de l’article IX,

133Hudson, «The Twenty-ninth Year of the World Court», 45 American Journal of
International Law (AJIL) , 1951, cité dans M. M. Whiteman, Digest of International
Law, 1968, vol. 11, p. 857.

521 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KRECu ) 561

mais cela ne présente qu’un intérêt limité dans la mesure où ils n’ont

qu’un caractère de confirmation et un rôle de soutien dans le cadre de
l’interprétation des traités.
Ainsi, on peut dire que la Convention envisage la responsabilité sui
generis d’une manière plus proche de la responsabilité lato sensu que
stricto sensu. Cela est également confirmé par la nature du droit interna-

tional pénal et par le fait que l’article VIII de la Convention soit le seul
article traitant de la suppression et de la prévention du génocide sur le
plan international. Avoir à l’esprit que le crime de génocide, qui contre-
vient non seulement au droit moral mais aussi à l’esprit et aux buts de la
Charte des Nations Unies, constitue une menace pour la paix et la sécu-

rité internationales, et que les organes politiques compétents des Nations
Unies, en particulier le Conseil de sécurité, ont l’obligation d’agir proprio
motu lorsqu’un génocide est suspecté.
Dès lors, on peut dire que la responsabilité d’un Etat pour génocide est

essentiellement morale et politique, comme dans le cas d’autres crimes
internationaux tels que l’apartheid ou l’agression, qu’elle s’articule avec des
mesures de répression décidées par les organes compétents des Nations Unies
comme une forme de réaction collective d’une société interétatique décen-
tralisée. Une telle forme de responsabilité de l’Etat pour génocide — laquelle

rappelle pour partie la responsabilité collective ou la responsabilité des per-
sonnes morales — s’explique par la nature relativement inorganisée, le
caractère de facto de la communauté internationale, et l’état embryonnaire
dans lequel se trouve encore le droit pénal international.
En principe, s’agissant de la logique du droit matériel, une telle concep-

tion de la responsabilité de l’Etat pour génocide n’exclut pas la respon-
sabilité civile de l’Etat. Cette responsabilité, bien qu’elle ne soit pas pri-
maire pour ce qui est des crimes internationaux, tire son fondement de ce
que la perpétration d’un crime a également des conséquences civiles. Jus-
tifiée du point de vue du droit matériel, la responsabilité civile de l’Etat

pour génocide est très douteuse d’un point de vue juridictionnel, à tout le
moins lorsque la compétence de la Cour est fondée sur l’article IX de la
Convention en tant que clause compromissoire.
136. Quand on s’interroge sur la compétence, se pose la question de
savoir si ces règles sont applicables quand il est tenu compte du principe

lex specialis derogat legi generali .
Tout traité en vigueur qui fonde la compétence de la Cour constitue,
par lui-même et en soi, le droit applicable à l’espèce. Relevant du jus spe-
cialis, un traité de cette nature exclut l’application des règles du droit
international général. Il convient de présumer que les parties à la Conven-

tion connaissaient les règles générales qui existent en matière de respon-
sabilité des Etats et ont décidé d’examiner la question conformément à la
Convention. Si leur intention avait été différente, elles se seraient référées
— conformément à la pratique habituellement observée en matière de
conventions internationales — aux règles du droit international général,

par incorporation ou renvoi.
Le principe du jus specialis est reconnu comme une règle générale de la

522 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP .IND .KRECu ) 562

responsabilité de l’Etat. L’article 55 des articles sur la responsabilité de

l’Etat dispose que:

«Les présents articles ne s’appliquent pas dans les cas et dans la
mesure où les conditions d’existence d’un fait internationalement illi-
cite ou le contenu ou la mise en Œuvre de la responsabilité interna-
tionale d’un Etat sont régis par des règles spéciales de droit inter-
134
national.»
Aux fins de la présente affaire, les règles spéciales de droit international

sont, sans nul doute, les règles de fond de la convention sur le génocide.
Le principe du jus specialis s’applique, évidemment, en cas de conflit
entre des dispositions ayant un caractère spécial et les règles du droit

international général. Un tel conflit naît d’une incohérence ou différence,
positive ou négative, entre ces deux catégories de règles. Un tel conflit
existe bien en l’espèce, dans la mesure où la convention sur le génocide ne
traite pas des questions de responsabilité civile d’un Etat pour génocide.

Ainsi, comme l’a souligné le rapporteur spécial dans son premier rap-
port sur la responsabilité des Etats, «les parties à la Convention n’ont pas
accepté la juridiction obligatoire de la Cour à cet égard» 135.

Ce n’est qu’en établissant une distinction entre la responsabilité des
Etats dans l’absolu, et quand il s’agit de la juridiction de la Cour, que l’on
trouve un fondement au raisonnement de cette dernière lorsqu’elle se
déclare incompétente pour connaître des demandes au motif que

«[i]l existe une distinction fondamentale entre l’acceptation par un
Etat de la juridiction de la Cour et la compatibilité de certains actes

avec le droit international...
Que les Etats acceptent ou non la juridiction de la Cour, ils
demeurent en tout état de cause responsables des actes portant

atteinte aux droits d’autres Etats qui leur seraient imputables.»
(Compétence en matière de pêcheries (Espagne c. Canada), compé-
tence de la Cour, arrêt, C.I.J. Recueil 1998 , p. 456, par. 55-56; Inci-
dent aérien du 10 août 1999 (Pakistan c. Inde), compétence de la

Cour, arrêt, C.I.J. Recueil 2000 , p. 33, par. 51; affaires relatives à la
Licéité de l’emploi de la force , par exemple, Licéité de l’emploi de la
force (Serbie-et-Monténégro c. Belgique), exceptions préliminaires,
arrêt, C.I.J. Recueil 2004 , p. 328, par. 128.)

Cependant, lorsque la Cour parvient à la conclusion qu’elle n’est pas com-
pétente pour connaître des demandes formulées en matière de responsa-

bilité, elle ne peut, ainsi qu’il est indiqué dans l’arrêt relatif à laLicéité de
l’emploi de la force, «se prononcer ni formuler de commentaire sur [la
question de] la responsabilité internationale qui pourrait en découler».

134
135ACDI, 2001, vol. II, partie 2.
Premier rapport sur la responsabilité des Etats, présenté par le rapporteur spécial,
M. James Crawford, Nations Unies, doc. A/CN.4/490/Add.2, par. 43.

523 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND .KRECu ) 563

137. En ce qui concerne le volet relatif au fond, l’on peut douter que

les règles générales qui régissent la responsabilité de l’Etat puissent en
l’état actuel des choses avoir objectivement trait aux crimes internatio-
naux.
Il est vrai que les délits et les crimes internationaux présentent certaines
similitudes. Ils ont pour trait commun d’être illicites. En ce sens, ces deux

notions appartiennent à la catégorie des «actes illicites», c’est-à-dire des
actes contraires aux règles pertinentes du droit international. Ils diffèrent
toutefois sur d’autres plans, constituant ainsi deux sous-catégories dis-
tinctes d’actes au sein de ladite catégorie.
Les règles générales en matière de responsabilité de l’Etat, quand il

s’agit de la responsabilité à raison du préjudice causé, ont été créées
comme jus aequum. Ainsi, contrairement à la responsabilité pénale, la
responsabilité civile peut exister sine delicto. Elle découle de la violation
du droit subjectif de l’Etat lésé.

La responsabilité pénale est, quant à elle, une responsabilité à raison de
la perpétration d’une infraction pénale, responsabilité qui a pour fonc-
tion de protéger les valeurs de la communauté internationale dans son
ensemble, ainsi que l’intérêt général exprimé dans les règles du droit
objectif en tant que tel; elle est considérée comme jus strictum.

Du fait de leur différence de nature juridique, les délits et les crimes
internationaux donnent lieu à des sanctions différentes. En matière de
responsabilité civile, la sanction est essentiellement le rétablissement de la
situation qui aurait existé si le droit subjectif de l’Etat lésé n’avait pas été
violé. Par opposition, la sanction d’un crime international — qui consti-

tue principalement un préjudice à l’ordre juridique objectif — consiste à
punir l’auteur.

Ces responsabilités étant intrinsèquement différentes, la responsabilité
pénale ne peut pas être transformée en responsabilité civile ni vice versa.

Les tentatives de transposition aboutissent soit à la pénalisation de la res-
ponsabilité civile, soit à la dépénalisation du droit pénal — deux résultats
tout aussi peu satisfaisants l’un que l’autre. Dans le cas du génocide, une
telle tentative reviendrait soit à créer un «délit civil de génocide», vidé de
sa substance dans le cadre de l’article II de la Convention, soit à une

timide incursion dans le domaine de la responsabilité pénale de l’Etat,
laquelle n’est pas prévue dans les règles primaires. Il semble toutefois que
la Cour se soit précisément engagée majoritairement dans cette voie. Les
articles premier et 2 de la CDI sur la responsabilité des Etats constituent
prima facie un terrain fertile pour procéder à une telle transposition, dans

la mesure où ils laissent transparaître une nouvelle approche de la notion
de responsabilité par un glissement des notions classiques de faute et de
dommage vers un concept de responsabilité absolue. Mais il ne s’agit là
que d’une illusion, et ce en raison du critère de la violation qui doit être
appliqué comme condition nécessaire à l’existence d’un acte internatio-

nalement illicite attribuable à un Etat. Ainsi qu’il est indiqué dans le com-
mentaire de l’article 2:

524 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KRECu ) 564

«Le fait qu’il y ait ou non manquement à une règle peut dépendre

de l’intention des organes ou agents habilités de l’Etat ou de la
connaissance qu’ils ont; en ce sens, déterminer l’existence ou l’inexis-
tence d’une violation peut être «subjectif». Ainsi, l’article II de la

convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
dispose: «Dans la présente Convention, le génocide s’entend de l’un
quelconque des actes ci-après, commis dans l’intention de détruire,
en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou reli-

gieux, comme tel...» Dans d’autres cas, le critère de violation d’une
obligation peut être «objectif», en ce sens que le fait que les organes
ou agents habilités de l’Etat en aient été conscients ou non peut être
sans objet.» 136

Les règles relatives à la responsabilité, en tant que règles secondaires,
constituent le cadre des conséquences d’une violation, tandis que la déter-

mination du contenu d’une obligation, y compris le critère de violation,
est réservée aux règles primaires. En tant que telles, les règles secondaires
ne peuvent pas modifier ou déroger aux règles primaires, ce qui per se

revient à priver de réels effets toute tentative de transposition des règles
du droit pénal dans le domaine de la responsabilité des Etats.

III. La qualification juridique du massacre de Srebrenica

Deux décisions rendues par le TPIY, dans les affaires Krstic ´ et Blago-

jevi´, portent sur le tragique massacre de Srebrenica. Pour qualifier juri-
diquement celui-ci, la Cour s’appuie de la même manière sur ces deux
décisions bien que la seconde ne soit pas définitive.

1. Les éléments de l’intention génocidaire

Il s’avère qu’aucun des éléments particuliers de l’intention génocidaire
n’est réuni dans la décision Krstic ´.

1.1. Le degré d’intention

138. Les deux chambres du TPIY — la chambre de première instance
ainsi que la chambre d’appel — ont, dans l’affaire Krstic ´, considéré
l’intention génocidaire alléguée sous l’angle de la «connaissance» et de la
«conscience».

Par exemple, la chambre de première instance a jugé que «les forces
des Serbes de Bosnie avaient nécessairement conscience de l’effet catas-
trophique qu’aurait la disparition de deux ou trois générations d’hommes
137
sur la survie...» ou que,
«[a]u moment où elles ont décidé de tuer tous les hommes en âge de

136
Articles de la CDI sur la responsabilité de l’Etat, introduction, texte et commen-
ta137s, J. Crawford (dir. publ.), 2003, p. 99, par. 3.
TPIY, Le procureur c. Krs´ , jugement, par. 595; les italiques sont de moi.

525 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP .IND . KRECu ) 565

porter les armes, les forces des Serbes de Bosnie savaient déjà que ces
meurtres, conjugués au transfert forcé des femmes, des enfants et des

personnes âgées, entraîneraient inévitablement la disparition phy-
sique de la population musulmane de Bosnie à Srebrenica». 138

La chambre d’appel a, quant à elle, estimé que «les forces serbes de
Bosnie avaient conscience de ces conséquences lorsqu’elles ont décidé de

procéder à l’élimination systématique des hommes musulmans faits pri-
sonniers» 139; elle a indiqué en outre:

«La conclusion selon laquelle des membres de l’état-major prin-
cipal de la VRS ont formé le projet de tuer les hommes faits pri-

sonniers alors qu’ils avaient pleinement conscience des conséquences
préjudiciables que cela aurait pour la survie physique de la commu-
nauté musulmane de Bosnie à Srebrenica étaye la conclusion de

la chambre de première instance selon laquelle les instigateurs de
l’opération avaient l’intention génocidaire requise .» 140

Dans l’affaire Blagojevic ´, la chambre de première instance a, au fond,
séparé l’intention spécifique des actes de génocide, détruisant ainsi l’unité

organique entre l’élément objectif et l’élément subjectif qui constitue
l’essence du crime de génocide. Ayant conclu qu’il conviendrait de faire

une

«distinction entre la nature des «actes» [de génocide] énumérés et
«l’intention» avec laquelle ils sont commis», au sens où, «tandis que
les actes énumérés doivent effectivement prendre une forme phy-
141
sique ou biologique, cette condition ne s’applique pas à l’intention» ,

la chambre de première instance écarte en fait, dans les actes pertinents
de cette affaire, l’intention de détruire un groupe protégé car, à l’excep-
tion des actes énumérés aux alinéas c) et d) du paragraphe 2 de l’ar-

ticle 4, «le Statut n’exige pas [l’intention d’entraîner la destruction phy-
sique ou biologique du groupe, en tout ou en partie]» 142.
139. Toutefois, la «connaissance» ou la «conscience» est une chose et

l’«intention spécifique» en est une autre. La «connaissance» ou la «cons-
cience», en tant qu’élément intellectuel passif de l’intention, constitue en
réalité un dolus generalis. En revanche, l’intention spécifique entraîne un
143
dolus specialis , sens qui ressort clairement du chapeau du para-
graphe 2 de l’article 4 du Statut du TPIY. Tandis que ldeolus generalisexige
que l’auteur «entend[e] causer» certaine conséquence ou soit conscient

que celle-ci adviendra dans le cours normal des événements (Statut de la
CPI, art. 30, par. 2 b)), le dolus specialis nécessite que l’auteur ait claire-

138TPIY, Le procureur c. Krst´ , jugement, par. 595; les italiques sont de moi.
139TPIY, Le procureur c. Krst´ , arrêt, par. 29; les italiques sont de moi.
140Ibid. ; les italiques sont de moi.
141TPIY, Le procureur c. Blagojev´ , jugement, par. 659.
142Ibid.
143TPIY, Le procureur c. Jeli´ , arrêt, par. 51.

526 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP .IND . KRECu ) 566

ment cherché le résultat ou ait nettement cherché à provoquer l’acte incri-
miné. La différence réside donc dans l’élément actif de volonté, lequel est
primordial dans l’intention spécifique en tant qu’il constitue l’élément

subjectif constitutif du crime de génocide.
En ce qui concerne le groupe protégé, «[l]a simple connaissance que les
auteurs des crimes pouvaient avoir de l’appartenance des victimes à un
groupe distinct ne permet pas d’établir l’intention de détruire le groupe
144
comme tel» . Même si les auteurs des crimes savaient qu’exécuter les
hommes aurait des conséquences à long terme, cela ne signifie pas néces-
sairement que cette connaissance fondait leur intention, en particulier

lorsqu’il est tenu compte du fait que, parallèlement, des mesures concer-
nant le transfert des femmes, des enfants et des personnes âgées ont été
prises délibérément afin de protéger le reste de la communauté 145.

1.2. Le type de destruction

140. La destruction, telle que la considère le TPIY dans les affaires

Krstic´ et Blagojevic´, est une destruction au sens social plutôt que phy-
sique ou biologique, qui en sont les formes juridiquement pertinentes
au regard de la convention sur le génocide.

Dans l’affaire Krstic ´, la chambre de première instance a jugé notam-
ment que la destruction d’un nombre considérable d’hommes en âge de
porter les armes «entraînerait inévitablement la disparition physique de
la population musulmane de Bosnie à Srebrenica» 14, puisque «leurs

épouses ne seront pas en mesure de se remarier et donc d’avoir d’autres
enfants» 147. Une telle conclusion, qui exprime l’idée de destruction
sociale, paraît extrêmement incertaine du point de vue juridique. Dans le

contexte décrit, les conséquences possibles sur la descendance de la com-
munauté musulmane, à supposer même que les meurtres d’hommes aient
été commis avec l’intention de produire de telles conséquences, pour-

raient difficilement être qualifiées de génocide. Il semble évident que ces
conséquences, si elles survenaient, ne sauraient avoir comme cause directe
le meurtre des hommes mais l’impossibilité pour leurs épouses de «se

remarier et ... d’avoir d’autres enfants» étant donné le «caractère patriar-
cal de la société des Musulmans de Srebrenica» 14. Cette interprétation
ne convient pas à ce qu’il est convenu d’appeler l’imputation objective

(imputatio facti), car elle suggère une intervention délibérée de la victime
ainsi qu’une prise de décision de sa part dans le lien de causalité (Selbst-
verantwortung). Plus encore, elle signifie qu’il y a eu libre décision de la

part de la victime elle-même.

144TPIY, Le procureur c. Krst´ , jugement, par. 561.
145K. Southwick, «Srebrenica as Genocide? The Krst´ Decision and the Language of
the Unspeakable», Yale Human Rights and Development Law Journal, 2005, p. 7.
146
147TPIY, Le procureur c. Krst´ , jugement, par. 595.
148TPIY, Le procureur c. Krst´ , arrêt, par. 28.
Ibid.

527 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND .KRECAu ) 567

L’affaire Blagojevic ´ insiste même davantage sur la conception sociale
de la destruction. La chambre de première instance a appliqué «une
notion élargie du verbe «détruire», s’étendant également à des «actes qui

peuvent ne pas causer la mort» (par. 662), une interprétation qui ne cor-
respond pas à l’interprétation de la destruction au regard de la conven-
tion sur le génocide (voir ci-après, par. 84 et suiv.). En ce sens, la
chambre de première instance trouve un soutien dans la décision du tri-

bunal constitutionnel fédéral allemand, qui a jugé expressis verbis que:

«la définition légale du génocide protège un sujet de droit supra-
individuel, à savoir l’existence sociale du groupe [et que] l’intention
de détruire le groupe ... va au-delà de l’extermination physique et

biologique... Le texte de la loi n’impose donc pas d’interpréter l’inten-
tion du coupable comme devant être d’exterminer physiquement à
tout le moins une partie substantielle du groupe.» 149

Interprété de cette façon, le terme de «destruction» «peut, dans la défi-
150
nition du génocide, couvrir le transfert forcé de population» .

1.3. Le groupe visé

141. Dans l’affaire Krstic ´, l’accusation, dans son réquisitoire, a dit que

les «Musulmans de Bosnie orientale» étaient le groupe visé. La chambre
de première instance n’a pas retenu cette définition, jugeant que le groupe
protégé, «au sens de l’article 4 du Statut, [était] en l’espèce celui des
151
Musulmans de Bosnie» . Dans un exposé exact de l’idée sous-tendant
la disposition de l’article II de la convention sur le génocide, la chambre
a jugé que: «[l]es Musulmans de Bosnie de Srebrenica ou les Musulmans

de Bosnie orientale constituaient une partie du groupe protégé aux
termes de l’article 4 du Statut» (lequel reproduit textuellement l’article II
de la convention sur le génocide) 152. Il faut cependant noter que la cham-

bre a également jugé que:

«aucune caractéristique nationale, ethnique, raciale ou religieuse ne
permet de distinguer les Musulmans de Bosnie habitant à Srebre-
nica lors de l’offensive de 1995 des autres Musulmans de Bosnie.

Leur seul trait distinctif serait la localisation géographique, laquelle
ne figure pas au nombre des critères envisagés par la Conven-
tion.» 153

La chambre de première instance a défini les Musulmans de Bosnie en
termes généraux comme étant le groupe protégé, sans rechercher de base

nationale, ethnique, religieuse ou raciale pour le qualifier d’entité dis-

149TPIY, Le procureur c. Krsti´ , arrêt, par. 28; TPIY, Le procureur c. Blagoj´ ,c
jugement, par. 664.
150TPIY, Le procureur c. Blagojev´ , jugement, par. 665.
151
152TPIY, Le procureur c. Krst´ , jugement, par. 560.
153Ibid.
Ibid., par. 559; les italiques sont de moi.

528 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND .KRECAu ) 568

tincte et particulière. Ainsi, suivant l’interprétation des travaux prépara-
toires de la Convention réalisée par la chambre de première instance, il
ressort que

«cette énumération visait davantage à décrire un seul et même phé-
nomène, correspondant en gros à ce qu’il était convenu d’appeler,

avant la seconde guerre mondiale, les «minorités nationales», qu’à
renvoyer à différents types distincts de groupes humains» 154.

Il faut comprendre l’interprétation au sens où il suffit qu’il s’agisse
d’un groupe reconnaissable par son contenu générique, sans qu’il soit

nécessaire «de chercher à distinguer chacun des groupes énumérés à par-
tir de critères scientifiquement objectifs ... ce qui serait contraire à l’objet
et au but de la Convention» 155. La mise en place de critères scientifique-
ment objectifs est souhaitable en soi et ne peut que favoriser une admi-

nistration saine de la justice, en particulier en ce qui concerne l’élément
relatif à l’intention génocidaire. En outre, dans certains cas, il ne s’agit
pas d’un objectif inaccessible, comme la jurisprudence du TPIR l’a éga-
156
lement démontré . La recherche de «critères scientifiquement objectifs»
pourrait cependant aller à l’encontre de l’objet et du but de la Conven-
tion s’il s’agissait de laisser sans protection un groupe d’individus qui ne

pourrait être identifié sur la base de critères de nationalité, d’apparte-
nance ethnique, de religion ou de race, pris individuellement, mais qui, au
sens général et générique, remplirait les conditions pour être considéré

comme un groupe distinct et séparé au sens de la convention sur le
génocide.

1.4. En tout ou en partie

142. L’expression «en partie» dans le cadre de l’article II de la Conven-
tion ne signifie pas une quelconque partie du groupe protégé, mais une
partie déterminée. S’il fallait entendre une partie d’un groupe comme une

partie quelconque, «l’intention qui fonde l’actus reus et la mens rea spé-
cifique au crime de génocide se chevaucheraient, faisant ainsi disparaître
l’intention génocidaire qui constitue la caractéristique particulière de ce
157
crime» .
Parmi les «Musulmans de Bosnie» en tant que groupe protégé en vertu
de la Convention, la chambre de première instance a défini les «Musul-

mans de Bosnie de Srebrenica» ou «les Musulmans de Bosnie orientale»
comme une partie du groupe protégé 15.
Les «Musulmans de Bosnie de Srebrenica ou les Musulmans de Bosnie

orientale» peuvent-ils être considérés comme une partie substantielle des

154TPIY, Le procureur c. Krst´ , jugement, par. 556.
155 Ibid.
156 TPIR, Le procureur c. Akayesu, jugement, par. 510-516.
157
C. Tournaye, «Genocidal Intent before the ICTY», International and Comparative
La158uarterly, vol. 52, avril 2003, p. 459.
TPIY, Le procureur c. Krst´ , jugement, par. 560.

529 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND .KRECA ) 569
u

Musulmans de Bosnie? A titre de remarque préliminaire, on peut dire
que, contrairement à la manière dont elles sont formulées, les expressions
«Musulmans de Bosnie de Srebrenica» et «Musulmans de Bosnie orien-

tale» ne peuvent être considérées comme synonymes. Même si la popula-
tion musulmane de Srebrenica a considérablement progressé au cours de
la période considérée, elle était loin d’atteindre, en nombre, la population
musulmane de Bosnie orientale qui comptait plus de 170 000 personnes.
En tenant compte du fait que quelque 40 000 Musulmans de Bosnie

ont été concentrés à Srebrenica au cours de la période critique et si l’on
acceptait comme prouvé que quelque 5000 à 7000 personnes ont été mas-
sacrées, ils pourraient alors difficilement, suivant un critère quantitatif,
représenter une «partie substantielle» de la communauté. Au demeurant,

la chambre de première instance a en réalité défini le groupe visé en
termes précis comme «les Musulmans de Bosnie de Srebrenica ou les
Musulmans de Bosnie orientale».
Suivant les chiffres issus du dernier recensement réalisé en Bosnie-

Herzégovine en 1991, il y avait en Bosnie orientale plus de 170000 Mu-
sulmans (26316 à Gorazde, 18699 à Vlasenica, 21564 à Bratunac, 4007
à Cajnice, 30314 à Bijeljina, 48208 à Zvornik, 13438 à Visegrad, 4140
à Bosanski Brod et 2248 à Bosanski Samac).
Pour savoir si les «Musulmans de Bosnie» de Srebrenica ou les «Musul-

mans de Bosnie orientale» pouvaient être qualifiés, suivant le critère
quantitatif, de partie substantielle des Musulmans de Bosnie en tant que
groupe protégé en vertu de la Convention, on doit tenir compte du fait
que, sur la base des chiffres du dernier recensement réalisé en Bosnie-

Herzégovine en 1991, la communauté musu159ne de Bosnie-Herzégovine
comptait plus de 1900 000 personnes .
Pour ce qui est du critère qualitatif, le jugement ne précise pas quelle
élite a été massacrée. L’élite dont il s’agit — élite politique, militaire ou
intellectuelle — n’apparaît pas clairement.

Il ressort du dictum de la chambre de première instance, ainsi que de
son raisonnement, que l’élite est, en fait, composée d’hommes en âge de
porter les armes. Ainsi, l’élite militaire, dirigée par le commandant de
division Naser Oric, a également, comme tout le monde le sait, quitté la

ville quelques jours avant qu’elle ne tombe.
Il y avait, à Srebrenica, pendant la période considérée, environ 40 000 Mu-
sulmans de Bosnie, dont les membres de l’armée de Bosnie-Herzégovine.
Compte tenu des critères quantitatifs pour définir une partie substantielle

d’un groupe protégé, il semble évident que, comparés à plus d’un million et
quelques centaines de milliers de Musulmans de Bosnie, ceux qui se trou-
vaient à Srebrenica ne pouvaient constituer une partie substantielle de ce
groupe. La même conclusion s’impose également dans le cas de l’application
de l’autre critère, le critère qualitatif, parce que les élites politique et intellec-

tuelle des Musulmans de Bosnie se trouvaient à Sarajevo.

159Voir www.FZS.ba.

530 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP .IND .KRECu ) 570

143. Le nombre d’hommes en âge de porter les armes massacrés à Sre-
brenica n’a jamais été déterminé avec précision. En outre, il est possible

que ce chiffre soit nettement plus faible que celui que le Tribunal cite
dans l’affaire Krstic´.
En l’occurrence, le Tribunal a assimilé les hommes en âge de combattre

qui ont été portés disparus et ceux qui ont été tués à Srebrenica. Une telle
assimilation n’est pas seulement contestable du point de vue des normes
juridiques acceptées dans la jurisprudence du Tribunal (voir par. 88 ci-

dessus), mais également, au regard de certains éléments que, notamment,
ni le TPIY ni la Cour n’ont examinés. Si l’on compare la liste électorale
définitive de la municipalité de Srebrenica, établie par l’Organisation
pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), et la liste des corps

identifiés des personnes inhumées au mémorial de «Srebrenica — Poto-
care» (The «Srebrenica Potocare Memorial and Mezaje», Srebrenica,
septembre 2003) et les ordres d’inhumation au JKP «cimetières munici-
160
paux», Visoko , il ressort que plus d’un tiers des noms figurent dans les
deux documents.
En outre, un certain nombre de soldats de l’armée de Bosnie-Herzégo-

vine inhumés au mémorial de «Srebrenica — Potocare» ont, d’après les
archives de l’armée, été tués lors de combats qui se sont déroulés avant
les événements de Srebrenica. Voir, par exemple, la proposition et la jus-
tification du commandement de la 28 division de l’armée de Bosnie-
161
Herzégovine .
144. Toutefois, concernant l’intention spécifique, la chambre de
première instance a introduit une autre notion de «partie» du groupe

protégé fondée sur des critères de zone géographique. La chambre de pre-
mière instance a jugé que

«l’intention de détruire un groupe, fût-ce en partie, implique la
volonté de détruire une fraction distincte du groupe , et non une mul-

titude d’individus isolés appartenant au groupe. S’il n’est pas néces-
saire que les auteurs d’actes de génocide aient eu l’intention de
détruire la totalité du groupe protégé par la Convention, il est en

revanche impératif qu’ils aient considéré la partie du groupe qu’ils
souhaitaient détruire comme une entité distincte devant être élimi-
née, comme telle ... le massacre de tous les membres de la fraction
d’un groupe présente dans une zone géographique restreinte peut, en

dépit d’un nombre inférieur de victimes, recevoir la qualification de
génocide s’il a été perpétré avec l’intention de détruire la fraction en
question comme telle.» 162

Une telle interprétation pourrait être considérée comme large par rap-

160Voir www.gradska.groblja.co.br.srebrenica.html.
161Document classé n 04-16/95 du 30 mars 1995, pour la remise de l’ordre du «Lys
d’or», figurant dans le «Guide of the Chronicle of the Bosnia and Herzegovina Army»;
M. Ivanisevic, «Srebrenica, July 1995, Looking for the Truth in the Press».
162TPIY, Le procureur c. Krs´ , jugement, par. 590; les italiques sont de moi.

531 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP .IND .KRECu ) 571

port à la définition énoncée à l’article II de la convention sur le génocide,
allant bien au-delà de sa signification réelle.
En outre, il semble que la chambre de première instance soit volontaire-

ment allée au-delà de la portée de la Convention parce qu’elle a jugé que
«[l]eur seul trait distinctif serait la localisation géographique, laquelle ne
figure pas au nombre des critères envisagés par la Convention» 163.
Réduire la «partie visée» aux municipalités pourrait avoir un effet

déformant, comme l’a dit la chambre de première instance dans l’affaire
Brdjanin 16, essentiellement parce que l’intention de détruire un groupe en
partie signifie chercher à détruire une «fraction distincte» du groupe. Il
est cependant difficile de comprendre comment les Musulmans de Bosnie

vivant à Srebrenica constituent une fraction distincte par rapport aux
Musulmans de Bosnie dans leur ensemble. Au regard de la Convention,
un groupe national, ethnique ou religieux n’est pas une entité composée

de fractions distinctes mais une entité distincte en soi. Lorsque la Conven-
tion protège le groupe en partie elle protège, en réalité, le groupe dans
son intégralité. A cet égard, reconnaître qu’une fraction d’un groupe est
distincte sur la base de sa localisation géographique diminuerait l’effica-

cité de la protection dont le groupe bénéficie dans son ensemble. Si, tou-
tefois, des fractions d’un groupe se distinguent relativement aux caracté-
ristiques qui constituent le genus proximus du groupe (par exemple, les

Sunnites et les Chiites parmi les Musulmans), il est possible de parler de
sous-groupes constituant un regroupement par opposition aux groupes
homogènes auxquels très certainement les Musulmans de Bosnie appar-
tiennent également.

En fait, une telle interprétation revient à transformer une partie du
groupe en un «sous-groupe», les Musulmans de Bosnie vivant à Srebre-
nica, sur la base de la perception qu’en auraient eue les auteurs des

crimes, à savoir celle d’une entité distincte. L’intention de détruire les
Musulmans de Bosnie de Srebrenica, en tant que «sous-groupe», consti-
tue donc une intention de détruire une partie substantielle du groupe des
Musulmans de Bosnie.

En outre, la chambre de première instance a utilisé le critère du carac-
tère substantiel à deux reprises successivement de telle sorte que:
«[l]’intention génocidaire démontrée dans l’affaire Krstic ´ est une inten-
tion de détruire une partie substantielle d’une partie substantielle » 16,et

non, comme il est exigé, une partie substantielle du groupe protégé. A
savoir que, en plus de qualifier les Musulmans de Bosnie de Srebrenica de
partie substantielle du groupe protégé des Musulmans de Bosnie, la

chambre de première instance a jugé que l’intention de détruire les hom-
mes en âge de porter les armes à l’intérieur du sous-groupe signifiait une
intention de détruire une partie substantielle de ce sous-groupe, du point

163TPIY, Le procureur c. Krs´ , jugement, par. 559.
164TPIY, Le procureur c. Brdjanin , jugement, par. 966.
165
Tournaye, op. cit., p. 460; les italiques sont de moi.

532 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP .IND . KRECu ) 572

de vue non seulement quantitatif (jugement, par. 594), mais également
qualitatif (jugement, par. 595). En fait, la qualification de «groupe ... en

partie», appliquée aux hommes musulmans de Srebrenica en âge de se
battre et physiquement capables de le faire, est fondée sur un triple cri-

tère, à savoir le sexe des victimes (uniquement des hommes), leur âge
(seulement ou principalement ceux en âge de porter les armes) et leur ori-
gine géographique (Srebrenica et ses environs) 166. La qualification en soi

excède donc de loin le sens du «groupe ... en partie» de l’article II de la
Convention tel qu’il est envisagé par la chambre elle-même 167.

1.5. Comment conclure à l’intention de détruire

145. La chambre de première instance a conclu à l’intention génoci-

daire à partir de trois sources différentes.
Premièrement, «le massacre par la VRS de l’ensemble des hommes de
cette communauté en âge de combattre» 16est qualifié de «génocide
169
sélectif» . Mise à part la question du bien-fondé de la conclusion selon
laquelle «l’ensemble des hommes ... en âge de combattre» a été massa-
170
cré , et afin d’analyser l’aspect concret de l’intention de détruire, la
question de savoir si les hommes en âge de porter les armes ont été mas-
sacrés exclusivement pour des raisons de nationalité, d’appartenance

ethnique ou de religion revêt une importance cruciale.
La réponse à cette question est donnée par l’arrêt lui-même, qui

166G. Mettraux, International Crimes and the Ad Hoc Tribunals, 2005, p. 222.
167TPIY, Le procureur c. Krsti´, jugement, par. 559.
168Ibid., par. 594; TPIY, Le procureur c. Krst´ , arrêt, par. 26.
169
170TPIY, Le procureur c. Krsti´, jugement, par. 593.
La conclusion contredit apparemment les faits établis. Par exemple, la chambre de
première instance a jugé que les attaques d’artillerie visaient «une colonne d’hommes
musulmans de Bosnie marchant sur Tuzla» (TPIY, Le procureur c. Krstic ´ , jugement,
par. 546) et que, «pendant la semaine fatale du 11 au 16 juillet ... ils ont abouti à
l’ouverture de négociations entre les camps musulmans de Bosnie et serbes de Bosnie, et
une partie [un groupe de 3000 hommes] de la colonne d’hommes musulmans de Bosnie a
finalement pu passer en territoire sous contrôle gouvernemental» (ibid.). La conclusion

finale de la chambre de première instance est que: «sur les 10 000 à 15 000 Musulmans de
Bosnie que comptait la colonne, 8000 à 10 000 hommes ont finalement été portés disparus
(ibid. ; les italiques sont de moi). Il faut mentionner que l’écrasante majorité est encore
considérée comme «portés disparus», bien que le droit en vigueur en Bosnie-Herzégovine
prévoie une période de deux ans à compter de la disparition des personnes en temps de
guerre pour pouvoir les déclarer décédées. Il est raisonnablement permis de douter que
toutes les personnes portées disparues soient mortes. Ibrahim Mustafic, le représentant

musulman au sein du Parlement fédéral et de celui de Bosnie, qui a fondé le SDA à Sre-
brenica, a suggéré au Parlement de Bosnie de mettre en place une commission spéciale
chargée de rechercher les survivants de l’enclave, sans obtenir de réaction du Parlement. Il
indique que:

«l’attitude actuelle des autorités à l’égard de ces personnes suffit à me convaincre que
les autorités s’attendaient à ce qu’il y ait moins de survivants; il semble que le nombre
de survivants soit trop élevé pour leurs calculs. Ils me font dire ceci: «[i]l semble que
vous ayez peur des habitants de Srebrenica qui sont en vie»» (Slobodna Bosna,
Sarajevo, 14 juillet 1996).

533 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KRECu ) 573

indique que «l’extermination de ces hommes n’était pas motivé ueniquement
par des considérations militaires» 171.
Il apparaît que la chambre de première instance a exclu que des consi-

dérations exclusivement militaires aient été à l’origine du massacre et, à
cette fin, s’est fondée sur deux éléments:

a) aucune distinction n’a été faite entre les militaires et les civils; et

b) des hommes n’ayant pas l’âge de combattre figuraient parmi les per-

sonnes massacrées.
Divers arguments semblent cependant pouvoir relativiser cette conclu-

sion. En ce qui concerne la distinction entre les militaires et les civils, le
rapport de Srebrenica cite notamment le fait que des membres du bataillon
néerlandais ont parlé de «conflit dans lequel la distinction entre civils et
172
soldats était souvent floue» . Il est possible de comprendre une telle
situation si l’on tient compte du concept particulier de défense en RFSY,
à savoir la défense dite populaire. Les forces armées y étaient constituées
de l’armée régulière et de la défense territoriale, qui comprenait non seu-

lement des hommes en âge de combattre qui ne faisaient pas partie de
l’armée régulière, mais également des personnes qui n’entraient pas dans
cette catégorie. Le jugement ne fournit aucune information concernant
les hommes qui n’étaient pas en âge de porter les armes et qui ont été

massacrés. En ce qui concerne les jeunes gens (TPIY, Le procureur c.
Krsti´, arrêt, par. 27), il s’agit probablement de grands mineurs, à la dif-
férence des «enfants», lesquels ont été déplacés. En pratique, cependant,

ces mineurs relèvent bien de la catégorie des appelés dans de nombreux
pays (par exemple, à partir de l’âge de seize ans aux Etats-Unis d’Amé-
rique). Pour écarter les considérations militaires, la chambre de première
instance s’est également appuyée sur la preuve que «certaines victimes

étaient des personnes gravement handicapées, et qu’il ne pouvait donc
s’agir de combattants» 173. Toutefois, on ne trouve mention que d’un seul
cas de cette nature (ibid.).

En outre, il semble que le raisonnement du Tribunal permette de
conclure que les personnes pour lesquelles il a été estimé qu’elles
n’entraient pas dans la catégorie des hommes en âge de combattre ne
représentaient, elles aussi, qu’une menace militaire légère et non une

menace sérieuse. La chambre d’appel a en effet jugé que:

«[s]’il est possible que les jeunes et les vieillards aient été à même de
porter les armes, la chambre de première instance était fondée à
conclure qu’ils ne représentaient pas une menace militaire sérieuse ...»
(TPIY, Le procureur c. Krstic ´ , arrêt, par. 27; les italiques sont de

moi.)

171TPIY, Le procureur c. Krs´, arrêt, par. 26.
172Deuxième partie, chap. 8, sect. 10, p. 4.
173
TPIY, Le procureur c. Krs´ , jugement, par. 75.

534 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND . KRECA ) 574
u

Deuxièmement, les conséquences des meurtres d’hommes de la com-
munauté musulmane de Srebrenica sur la postérité de celle-ci.
Troisièmement, le transfert de femmes, d’enfants et de personnes âgées

qui se trouvaient à l’intérieur de leur zone de contrôle (celle des Serbes de
Bosnie) vers d’autres régions de la Bosnie sous contrôle musulman. Même
si «le transfert forcé ne constitue pas par lui-même un acte génoci-
174
daire» , cela n’empêche pas la chambre de première instance de s’en ser-
vir comme d’un élément de preuve des intentions de l’état-major de la VRS.
146. Il apparaît évident que l’intention de détruire les Musulmans de

Bosnie à Srebrenica en tant que tels n’est pas la seule conclusion raison-
nable qu’il soit possible de tirer des éléments de preuve disponibles. Dans
le cas où il faut énoncer une conclusion, il faut que ce soit la seule conclu-
sion raisonnable possible au vu des éléments de preuve. Concrètement,

l’intention génocidaire de l’auteur du massacre n’est pas la seule déduc-
tion raisonnable; or, à en juger par la conclusion de la chambre de pre-
mière instance, «l’extermination ... n’était pas motivée uniquement par
175
des considérations militaires» et, compte tenu des arguments avancés,
voilà une conclusion dont on peut difficilement dire qu’elle répondrait
même à un critère plus souple que celui de la preuve au-delà de tout doute
raisonnable. «Il semble assez démesuré de conclure qu’en tuant les hom-

mes et les garçons en âge de porter les armes l’intention était d’éliminer la
communauté dans son intégralité,... en se fondant sur le fait que des hom-
mes et des jeunes gens en âge de porter les armes ont été massacrés.» 176

La manière dont la chambre de première instance est parvenue à sa
conclusion dans l’affaire Krstic ´ diverge nettement des décisions rendues
par le Tribunal dans les affaires Jelisic ´ (jugement, par. 107-108) et
Brdjanin. Dans cette dernière affaire, la chambre de première instance,

d’une manière qui peut être considérée comme un exemple classique de
démonstration de la condition intrinsèque d’une déduction, a conclu que

«les forces des Serbes de Bosnie contrôlaient le territoire de la région
autonome de Krajina (RAK), comme l’a démontré le fait qu’elles
étaient en mesure de gérer les ressources logistiques pour déplacer
par la force des dizaines de milliers de Musulmans de Bosnie..., res-

sources qui, si telle avait été l’intention, auraient pu être utilisées
pour détruire tous les Musulmans de Bosnie ... de la RAK»,

et que, par conséquent,

«les victimes des actes énumérés à l’article 4 2) jusqu’à l’alinéa c),en
particulier dans les camps et centres de détention, étaient essentiel-

lement des hommes en âge de combattre mais pas seulement. Cet élé-

174TPIY, Le procureur c. Krs´ , arrêt, par. 33.
175TPIY, ibid., par. 26.
176W. Schabas, «Was Genocide Committed in Bosnia and Herzegovina?», Fordham
International Law Journal , vol. 25, 2001, p. 46.

535 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP . IND. KRECu ) 575

ment supplémentaire pourrait jouer encore contre la conclusion
selon laquelle l’existence de l’intention génocidaire est la seule déduc-

tion raisonnable pouvant être tirée des éléments de preuve sou-
mis.» 177

147. La conclusion du Tribunal, selon laquelle les meurtres d’hommes
à Srebrenica ont de graves conséquences pour la postérité de la commu-

nauté musulmane de Bosnie, puisque cette destruction «entraînerai[t] iné-
vitablement la disparition physique de la population musulmane de Bos-
nie à Srebrenica» 178 en empêchant leurs épouses de se remarier et donc
179
d’avoir d’autres enfants , paraît extrêmement incertaine du point de
vue juridique.

On pourrait également dire que «la disparition180ysique de la commu-
nauté musulmane de Bosnie à Srebrenica» ne signifie pas et ne peut
pas signifier, en soi, la destruction physique. Indépendamment des argu-

ments de caractère juridique, l’indéniable réalité témoigne de ce que la
communauté musulmane de Bosnie à Srebrenica s’est reconstituée après
la conclusion de l’accord de Dayton.

148. En ce qui concerne le transfert des femmes, enfants et personnes
âgées, la preuve du transfert ne peut servir de véritable substrat pour
déduire l’intention génocidaire, puisque, suivant la conclusion du Tribu-

nal lui-même, ce transfert «ne constitue pas en soi un acte génoci-
daire» 181. En effet, la chambre de première instance a utilisé le transfert
pour étayer sa conclusion, qui est que «des membres de l’état-major prin-

cipal de la VRS avaient l’intention de détruire les Musulmans de Bosnie
vivant à Srebrenica» 182. Sur ce point, le Tribunal semble avoir une
conception large comparée à l’esprit et à la lettre de la convention sur le

génocide. Le substrat factuel permettant de déduire l’intention génoci-
daire devrait, en principe, consister en actes matériels susceptibles, objec-

tivement, de produire des effets génocidaires. Les actes matériels qui ne
peuvent avoir de tels effets, comme l’acte de transfert, ne peuvent
qu’étayer la conclusion de l’intention génocidaire qui a déjà été adoptée

ou confirmer son existence. Dans le cas contraire, la preuve du transfert
serait traitée implicitement comme une preuve de la destruction des
parties visées du groupe protégé, ce qui reviendrait en fait, bien que de

manière déguisée, à considérer le transfert forcé comme un acte sous-
jacent au regard de l’article II de la convention sur le génocide. Concrè-
tement, et en tenant compte de ce que les meurtres, à Srebrenica, ont

concerné essentiellement des hommes en âge de porter les armes, il n’est
pas permis de conclure à l’intention génocidaire comme la seule déduc-

177
TPIY, Le procureur c. Brdjanin , chambre de première instance, par. 978-979.
178TPIY, Le procureur c. Krst´ , jugement, par. 595.
179TPIY, Le procureur c. Krst´ , arrêt, par. 28.
180TPIY, Le procureur c. Krst´ , jugement, par. 595.
181TPIY, Le procureur c. Stakic, jugement, par. 519; TPIY, Le procureur c. Krs´ ,
arrêt, par. 33.
182TPIY, Le procureur c. Krst´ , arrêt, par. 33.

536 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KRECu ) 576

tion raisonnable en s’appuyant sur la preuve du transfert, laquelle trans-

cenderait les limites permises pour être considérée comme corroborante
en cherchant à remédier à une valeur probante insuffisante aux fins de
déduire l’intention génocidaire ou même de s’y substituer.
Les actes matériels qui, en soi, ne sont pas en mesure de produire des

effets génocidaires, même s’ils sont motivés par une intention de détruire
un groupe protégé, ne représentent juridiquement rien de plus qu’une ten-
tative manquée que l’on peut distinguer de celle de commettre un géno-
cide prévue à l’article III de la Convention, à savoir «des actes qui, par

leur caractère substantiel, constituent un commencement d’exécution mais
sans que le crime soit accompli en raison de circonstances indépendantes
de [l]a volonté [de l’individu qui agit]» 18.
149. Ces moyens ne peuvent pas être assimilés à une «atteinte grave à

l’intégrité physique ou mentale» au sens de l’article II de la Convention.
Différents par leur nature même — certains d’entre eux comprennent
l’actus reus des crimes contre l’humanité (traitement inhumain, déporta-
tion) tandis que d’autres sont des crimes internationaux distincts (torture,

viol) —, ces moyens, même s’ils peuvent produire une «atteinte grave à
l’intégrité physique ou mentale», ne constituent pas un acte répondant à
la définition de la Convention. A cet égard, une «atteinte grave à l’inté-
grité physique ou mentale» apparaît comme un résultat des méthodes ou

des moyens appliqués et non comme un acte en soi. C’est-à-dire qu’on
devrait le considérer «sur les bases de l’intention et de la possibilité
d’appliquer cette intention au dommage causé» 184.
150. L’interprétation du génocide en ce qui concerne le massacre de Sre-

brenica, que le TPIY a exposée dans les affaires Krsti´ et Blagojevi´ (le der-
nier jugement n’étant pas définitif), est fondée sur un raisonnement erroné.
Dans le cas de Srebrenica, l’existence d’un plan de génocide, que ce soit
à l’échelle locale ou à l’échelle régionale, dont le massacre une fois com-

mis constituerait la mise en Œuvre, n’a pas été démontrée. Par consé-
quent, les chambres de première instance ont tenté de retenir l’intention
génocidaire alléguée en la déduisant des faits présentés.
Il apparaît cependant que le processus de déduction n’a pas été appli-

qué lege artis, à savoir qu’il n’a pas respecté les conditions intrinsèques
que l’exercice de déduction proprement dit impose nécessairement. Le
substrat à partir duquel il est possible de déduire l’intention spécifique
doit respecter intrinsèquement les normes applicables tant sur le plan

quantitatif que sur le plan qualitatif.
En ce qui concerne les conditions qualitatives, le substrat doit consister
en actes en mesure de produire, au sens objectif, des effets génocidaires
ou d’être constitutifs de génocide.

Il semble évident, même dans la jurisprudence du Tribunal, que le
transfert des femmes, des enfants et des personnes âgées n’a pas en soi

183Article 25 (par. 3, al. f)) du Statut de la CPI.
184N. Robinson, op. cit.,p.18.

537 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND . KRECu ) 577

cette capacité génocidaire. En réalité, le transfert a été utilisé comme source
d’information subsidiaire par la chambre de première instance pour

déduire l’intention génocidaire, compte tenu du fait que les «meurtres»,
en tant que source primaire d’une telle conclusion, n’étaient pas une
source suffisante et qu’ils ne constituaient pas non plus une source cré-
dible à cet égard. En l’occurrence, il semble que tant l’étendue que l’objet

des meurtres ne peuvent donner lieu qu’à l’interprétation énoncée dans
l’affaire Krsti´, à savoir celle du «génocide sélectif», notion qui, au vu
des conditions de l’article II de la Convention, ne représente rien d’autre
qu’une contradictio in adjecto .
«Le génocide sélectif», qui est par nature non génocidaire, l’est devenu

par le biais de l’interprétation de l’intention génocidaire à partir d’autres
sources que celle des meurtres, c’est-à-dire d’actes qui ne sont pas consti-
tutifs de ce crime.
Suivant cette interprétation, l’intention génocidaire est alors considérée

comme démontrable en ce qui concerne la nature d’actes comme le dépla-
cement forcé et les pertes subies par les survivants (Krstic ´, jugement de
première instance, par. 543; Blagojevic ´, jugement de première instance,
par. 644, 654), actes que la majorité considère comme «l’élément matériel

d’atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale» au sens du litt. b) de
l’article II de la Convention (par. 290 de l’arrêt).
Un tel processus ne saurait être admis. Déduire une intention génoci-
daire d’actes qui ne peuvent avoir en soi des effets génocidaires et qui,

comme tels, ne peuvent être considérés comme des actes au sens de l’ar-
ticle II de la Convention, conduit inévitablement à affaiblir la notion de
génocide telle qu’elle est établie par la Convention 185.
Des actes incapables de produire des effets génocidaires ne peuvent que

corroborer ou étayer une intention génocidaire déjà établie.
En ce qui concerne le massacre de Srebrenica, le TPIY a, en quelque
sorte, en déduisant l’intention génocidaire alléguée à partir d’un substrat
erroné, transformé d’éventuels effets corroborant ou étayant la déduction

tirée à partir d’un tel substrat en effets constituant cette déduction. Bref,
le TPIY a eu recours à l’interprétation au lieu de déduire l’intention géno-
cidaire.
Même si, par hypothèse, l’intention génocidaire avait été prouvée à

Srebrenica, il serait possible de parler plutôt de tentative de commettre
un génocide plutôt que de génocide proprement dit.
Il s’avère que la chambre de première instance a procédé à partir d’une
distinction insoutenable au regard de la nature du nettoyage ethnique.
Même si elle a jugé expressis verbis que le nettoyage ethnique ne saurait

être comparé au génocide, elle l’utilise comme substrat pour déduire
l’intention génocidaire.

185William A. Schabas, «Was Genocide Committed in Bosnia and Herzegovina? First
Judgments of the International Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia», Fordham
International Law Journal , vol. 25, 2001, p. 45-46.

538 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KRECA ) 578
u

1.6. Le véritable sens juridique des décisions du TPIY dans les
affaires Blagojevic´ et Krsti´

151. Le général Krstic ´ a été condamné pour complicité de génocide.

De par sa nature même, la complicité dans le génocide est un crime
accessoire. La complicité en tant que telle ne produit pas de conséquences
ni d’actes leur faisant suite, c’est juste une condition ou l’une des condi-
tions qui les favorise.
La convention sur le génocide établit une nette distinction entre le géno-

cide et la complicité dans le génocide. Cette distinction est faite de manière
stricte aux articles III, IV, V, VI, VII et VIII, avec la formule «le génocide
et ... autres actes énumérés à l’article III». L’expression «actes de géno-
cide» n’apparaît qu’à l’article VIII, indiquant que l’expression renvoie aux

cinq al186as de l’article II et non aux «autres actes» définis à l’arti-
cle III . De nature qualitative, la distinction entre génocide et complicité
dans le génocide implique que ces deux notions s’excluent mutuellement.
En l’absence d’un auteur de génocide en tant que crime principal, le

général Krstic´ a en réalité été condamné pour complicité de meurtres et
non de génocide comme tel.
En effet, le meurtre est l’un des actes définis à l’article II de la Convention
comme constituant la ’ctus reus du génocide au sens normatif, mais c’est un
acte qui constitue un crime d’extermination ou bien un crime de guerre.

152. Un acte répréhensible au sens du droit pénal existe en tant que
tel, le crime international est autre chose.
L’analyse qui assimile l’acte répréhensible à un crime réduit essentiel-
lement la notion de crime à l’illicéité en tant qu’élément objectif du crime.

Quoi qu’il en soit, la notion de crime est fondée sur l’association de
deux éléments — l’un, objectif, consistant dans l’illicéité d’un acte concret
ou d’une omission, et l’autre, subjectif, constitué par la culpabilité person-
nifiée et personnalisée. La notion de crime existe donc comme le résultat
d’un lien entre acte illicite et culpabilité personnifiée. Une telle notion

constitue un patrimoine commun dans la législation moderne en matière
pénale et fonde également les catégories proprement dites du droit pénal.
En matière de droit pénal international, par exemple, sans un élément sub-
jectif sous les différentes formes que peut prendre une intention criminelle,

il n’est pas possible de faire une véritable distinction entre le génocide, le
crime contre l’humanité et le crime de guerre. Même en ce qui concerne les
crimes relevant de la responsabilité objective, il existe nécessairement un
élément subjectif sous la forme d’une présomption absolue de culpabilité.

Le crime international implique une accumulation de plusieurs élé-
ments, parmi lesquels l’existence d’un auteur du crime. Comme le TPIY
l’a souvent indiqué:

«Afin d’établir la responsabilité pénale individuelle pour avoir pla-
nifié, incité à commettre, ordonné ou de toute autre manière aidé et

186W. Schabas, Genocide in International Law , 2000, p. 155.

539 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP . IND .KRECu ) 579

encouragé la planification et la préparation d’un crime visé aux articles

2à5duStatut, il faut prouver que le crime en question a effectivement
été commis par l’auteur principal (ou les auteurs principaux) .»187

La conclusion concrète du Tribunal est à fortiori valable pour les
crimes caractérisés par une intention spécifique comme le génocide. Sans
auteur en tant que personne ayant l’intention criminelle de détruire un

groupe ethnique, national, religieux ou racial, il est tout simplement im-
possible juridiquement de parler de génocide comme d’un crime commis.
La culpabilité est un élément subjectif sans lequel il n’existe pas de

crime au sens juridique. L’acte même n’est pas en soi suffisant pour cons-
tituer un crime; il s’agit juste d’une solide indication de son existence.
De même qu’un acte criminel n’existe pas en l’absence d’un auteur, la

culpabilité, comme élément indispensable d’un crime, n’existe pas juridi-
quement en tant que culpabilité abstraite, non personnifiée. Elle est la
substance de la notion de responsabilité pénale individuelle. L’acte maté-

riel, qui viole une norme juridique pénale, se transforme, en principe, en
crime lorsque la condition subjective est remplie, à savoir l’intention cri-
minelle d’un auteur, mais si la culpabilité n’est pas véritablement établie
à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes, il ne représente

qu’un acte répréhensible au sens du droit pénal (Unrecht, acte illicite).
153. Le général Krstic ´ a été déclaré coupable de participation à une
«entreprise criminelle commune». L’absence de plan visant à perpétrer

un génocide jusqu’aux jours qui ont immédiatement précédé le massacre
n’a pas empêché la chambre de première instance de juger que le général
Krstic´ «se doutait forcément que l’objectif originel de nettoyage ethnique

par le transfert forcé s’était mué en un projet meurtrier, celui d’en finir
une fois pour toutes avec la population masculine de Srebrenica» 188.
Formuler quelques observations semble, sur ce point, d’une impor-

tance cruciale.
Comme la notion d’«entreprise criminelle commune» est fondée sur les
conséquences naturelles et prévisibles d’un acte particulier, elle relève de par sa

nature de la catégorie des infractions de négligence difficilement conciliable
avec les crimes les plus graves, en particulier le génocide, essentiellement carac-
térisé par son intention spécifique. En tant que telle, «[i]l s’agit plutôt d’une

forme de comportement antisocial jugé d’après un critère différent de ce189qui
caractérisent les crimes avec intention criminelle et préméditation» .

187TPIR, Le procureur c. Akayesu, jugement, par. 473; TPIY, Le procureur c. Blas´ ,
jugement, par. 278; TPIY, Le procureur c. Kordi´ , jugement, par. 386; TPIY, Le pro-

cureur c. Stak´ , jugement, par. 445; TPIY, Le procureur c. ´ , arrêt, par. 229; TPIY,
Le procureur c. Aleksovski , arrêt, par. 164; TPIY, Le procureur c. Furundzija , jugement,
par. 235; TPIY, Le procureur c. Vasil´ , jugement, par. 70; TPIY, Le procureur c. Nale-
til´, jugement, par. 63; TPIY, Le procureur c. Sim´ , jugement, par. 161; les italiques
so188de moi.
TPIY, Le procureur c. Krsti´ , jugement, par. 622.
189W. Schabas, «Mens rea and the ICTY», New England Law Review, vol. 37, 2003,
p. 1033.

540 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND . KRECu ) 580

Le plus important en l’espèce est que la notion d’«entreprise criminelle

commune» n’appartient manifestement pas au droit du génocide établi
par la Convention. L’«entreprise criminelle commune» ne figure pas
parmi les actes punissables, autres que le génocide, qui sont énumérés de

manière exhaustive à l’article III de la Convention sur le génocide. La
totalité de ces actes exprimant la condition énoncée dans l’intitulé de
l’article II est basée sur un critère subjectif de l’appréciation de la mens

rea. Par opposition, l’«entreprise criminelle commune» implique plutôt
un critère objectif formulé en fonction du caractère raisonnable mieux
adapté à la responsabilité civile du fait d’autrui qu’à la responsabilité
pénale. En outre, elle ne figure pas, comme forme de participation, au

paragraphe 1 de l’article 7 du Statut du TPIY, étant, en fait, une création
des juges du TPIY 190 peut-être au mépris du principe nullum crimen nulla
poena sine lege. Ses effets reviennent à élargir la mens rea du crime de

génocide, avec de dangereuses conséquences.
Comme l’a souligné la chambre de première instance (les juges May,
Bennouna et Robins) dans le jugement qu’elle a rendu en l’affaire Kordic ´ :

«Une conception trop large de la notion de mens rea pourrait

mener à imputer à des individus une pleine responsabilité pénale
pour ce qui ne relève en réalité que d’une «culpabilité par associa-
tion», ce qui est contraire aux principes fondateurs de ce Tribunal
191
international.»

Les dangers de la «culpabilité par association» ont été présentés par le
Tribunal dans son premier rapport annuel. Le Tribunal a estimé qu’elle
pouvait conduire à une «responsabilité collective» sous forme de concept

primitif et archaïque signifiant qu’«on tiendra des groupes entiers pour
coupables d’avoir massacré, torturé et violé, d’avoir procédé au net-
toyage ethnique et d’avoir détruit aveuglément villes et villages». Et l’his-
toire montre que, «si l’on s’accroche à ces idées de «responsabilité col-

lective», cela dégénère facilement en rancune, en haine et en frustration et
conduit inévitablement à un regain de violences et de crimes» 192.

(Signé) Milenko K REuA .

190
TPIY, Le procureur c. Furundzija , jugement, par. 199-226; TPIY, Le procureur c.
Ta191, jugement, par. 190.
192TPIY, Le procureur c. Kord´ , jugement, par. 219.
Rapport du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées
responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le ter-
ritoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991, GAOR/SCOR, quarante-neuvième session,
Nations Unies, doc. A/49/342-S/1994/1007, 1994, par. 16.

541

Bilingual Content

457

SEPARATE OPINION OF JUDGE AD HOC KREC uA

TABLE OF CONTENTS

Paragraphs

PART I. JURISDICTIONAL SSUES 1-78

I. General Considerations in Respect of the Res Judicata Rule 1-6
II. Res Judicata as Regards Jurisdictional Decisions 7-19

III. Application of the Res Judicata Rule to the 1996 Judgment 20-78
1. Perception of the res judicata rule 21-26

2. Erroneous assessment of the relevant conditions for its appli-
cation in casu 27-29
3. Jus standi as an autonomous processual condition 30-31
3.1. Legal force of the jus standi rule 32-33
3.2. Differentia specifica between jus standi and jurisdiction
of the Court ratione personae 34-36

4. Assessment of the Respondent’s jus standi by the majority 37-46

5. The effects of the 2004 Judgment 47-60
6. 1992 Declaration 61-74
7. The issue of the respondent Party 75-78

PART II. SUBSTANTIVE ISSUES 79-153

I. Genocide Convention as Applicable Law 79-105

1. Genocidal intent as conditio sine qua non of the crime of
genocide 79-82
2. Degree of intent 83
3. Destruction 84-98
3.1. Scope of destruction 90
3.2. The object of destruction 91-98

4. “As such” 99-100
5. The meaning of ethnic cleansing under the Convention 101-105

II. Application of the Genocide Convention in Casu 106-137

1. General remarks about possible approaches of the Court in
casu 107-110
2. Interpretation of the duties of the Contracting Parties on the
basis of the Genocide Convention 111-130
2.1. The duty to prevent 113-119

2.2. Corresponding duty to act 120-125

418 457

OPINION INDIVIDUELLE DU JUGE AD HOC KREC uA

[Traduction]

TABLE DES MATIÈRES

Paragraphes
PARTIE I. QUESTIONS DE COMPÉTENCE 1-78

I. Considérations générales relatives à la règle de la res judicata 1-6
II. Le principe de la res judicata en ce qui concerne les décisions sur
la compétence 7-19
III. Application de la règle de la res judicata à l’arrêt de 1996 20-78

1. Conception de la règle de la res judicata 21-26
2. Appréciation erronée des conditions permettant l’application
de la règle en la présente affaire 27-29
3. Le jus standi en tant que condition processuelle autonome 30-31

3.1. La force juridique de la règle du jus standi 32-33
3.2. Differentia specifica entre jus standi et compétence de la
Cour ratione personae 34-36
4. Appréciation, par la majorité, de la qualité pour agir du
défendeur (jus standi) 37-47

5. Les effets de l’arrêt de 2004 47-60
6. La déclaration de 1992 61-74
7. La question de la partie défenderesse 75-78

PARTIE II. Q UESTIONS DE FOND 79-153
I. La convention sur le génocide en tant que droit applicable 79-105

1. L’intention génocidaire est une condition sine qua non du
crime de génocide 79-82
2. Degré de l’intention 83
3. La destruction 84-98

3.1. L’ampleur de la destruction 90
3.2. L’objet de la destruction 91-98
4. «Comme tel» 99-100
5. Le nettoyage ethnique au sens de la Convention 101-105

II. L’application de la convention sur le génocide en la présente
affaire 106-137

1. Observations générales sur les possibilités qui s’offraient à la
Cour en la présente affaire 107-110
2. L’interprétation des obligations des parties contractantes sur
le fondement de la convention sur le génocide 111-130

2.1. L’obligation de prévention 113-119
2.2. Le devoir corollaire d’agir 120-125

418458 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION SEP .OP .KRECu )

2.2.1. Application of the duty to prevent in casu 123-125

2.3. The duty not to commit genocide 126-129
2.4. The duty to punish 130

3. Responsibility issue 131-137
3.1. The Convention and the issue of responsibility 131-137

III. The Legal Determination of the Srebrenica Massacre 138-153

1. The components of the genocidal intent 138-153
1.1. Level of intent 138-139
1.2. Type of destruction 140
1.3. Targeted group 141
1.4. In whole or in part 142-144
1.5. The inference of intent to destroy 145-150

1.6. The true legal meaning of the Judgments of the ICTY
in the Blagojev´ and Krsti´ cases 151-153

419 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KRECu ) 458

2.2.1. L’application de l’obligation de prévention en
l’espèce 123-125
2.3. L’obligation de ne pas commettre de génocide 126-129
2.4. L’obligation de punir 130

3. La question de la responsabilité 131-137
3.1. La Convention et la question de la responsabilité 131-137

III. La qualification juridique du massacre de Srebrenica 138-153

1. Les éléments de l’intention génocidaire 138-153
1.1. Le degré d’intention 138-139
1.2. Le type de destruction 140
1.3. Le groupe visé 141
1.4. En tout ou en partie 142-144
1.5. Comment conclure à l’intention de détruire 145-150

1.6. Le véritable sens juridique des décisions du TPIY dans
les affaires Blagoje´ et Krst´c 151-153

419459 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP. OP. KRECA )
u

PART I. URISDICTIONAL ISSUES

I. General Considerations in Respect of the Res Judicata Rule

1. The expression res judicata has more than one meaning. It is used to
mean an issue decided by a court of law; a judgment which cannot be
refuted by ordinary legal vehicles; and, also, a decision which is immu-
table and irrevocable.

The broad use of the expression res judicata could be attributed to a
certain confusion about the very quality of a judicial decision and its
effects both subjective and objective. Occasionally and especially as

regards some kinds of judgments, account is not taken of the difference
existing between irrefutability and irrevocability. If, bearing in mind the
absence of ordinary legal vehicles provided by the Statute and the Rules
of Court to a dissatisfied party for overturning the judgment, it could be
said that in general the judgments of the Court are irrefutable. It could

not however be said that they are irrevocable as well, owing not only to
the rule on revision embodied in Article 61 of the Statute, as an extraor-
dinary legal vehicle, but also due to some other judicial vehicles existing
in the law of the Court, such as the principle compétence de la com-

pétence in regard to jurisdictional issues as well as non-preliminary objec-
tions to the jurisdiction of the Court.

2. Two components may be discerned in the substance of res judicata
as provided in the Statute of the Court:

(i) procedural, which implies that: “The judgment is final and without

appeal. In the event of dispute as to the meaning or scope of the
judgment, the Court shall construe it upon the request of any party”
(Art. 60); and
(ii) substantive, according to which: “The decision of the Court has no

binding force except between the parties and in respect of that par-
ticular case.” (Art. 59).

3. The primary effect of res judicata in the procedural sense is claim
preclusion — meaning that a future lawsuit on the same cause of action
is precluded (non bis in idem), whereas the effect of res judicata in the
substantive sense is mainly related to the legal validity of the Court’s

decision as an individualization of objective law in the concrete matter —
pro veritate accipitur — and, also, to the exclusion of the application of
the principle of stare decisis.
4. Two components of res judicata — procedural and substantive —
do not necessarily go hand in hand in each particular case. Each decision

of the Court — be it judgment or order — is binding upon the parties,
although not in an identical way, but such characteristic of the decision
of the Court is not necessarily followed by its finality.

420 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND .KRECu ) 459

PARTIE I. QUESTIONS DE COMPÉTENCE

I. Considérations générales relatives à la règle de la res judicata

1. L’expression res judicata revêt plus d’un sens. Elle est employée

au sens d’une question tranchée par une décision judiciaire, à savoir
une décision qui ne saurait être contestée par des moyens juridiques
ordinaires et, également, au sens d’une décision qui est immuable et
irrévocable.

L’utilisation très large qui est faite de cette expression peut s’expliquer
par une certaine confusion quant à la nature même des décisions judi-
ciaires et de leurs effets tant subjectifs qu’objectifs. Parfois, et tout parti-
culièrement en ce qui concerne certains types de décisions, il n’est pas tenu
compte de la différence qui existe entre caractère irréfutable et caractère

irrévocable. Etant donné qu’il n’existe, dans le Statut et le Règlement de
la Cour, aucun moyen juridique ordinaire permettant à une partie non
satisfaite d’obtenir la réformation d’un arrêt, on peut dire que les arrêts
de la Cour sont en principe irréfutables. On ne saurait toutefois dire
qu’ils sont également irrévocables, en raison non seulement de la possi-

bilité de revision prévue à l’article 61 du Statut en tant que moyen juri-
dique extraordinaire, mais aussi de l’existence d’autres moyens judiciaires
figurant dans les règles qu’applique la Cour, tel le principe de la «com-
pétence de la compétence» en ce qui concerne les questions de compé-

tence, et les exceptions non préliminaires à la compétence de la Cour.
2. On peut distinguer deux aspects de la res judicata, telle qu’énoncée
dans le Statut de la Cour:

i) un aspect procédural qui veut que «[l]’arrêt est définitif et sans recours.
En cas de contestation sur le sens et la portée de l’arrêt, il appartient
à la Cour de l’interpréter, à la demande de toute partie» (art. 60);
et

ii) un aspect substantiel qui veut que «[l]a décision de la Cour n’est obli-
gatoire que pour les parties en litige et dans le cas qui a été décidé»
(art. 59).

3. L’effet principal de la règle de la res judicata, au sens procédural,
consiste à faire obstacle à toute contestation — c’est-à-dire qu’il est
impossible d’engager une nouvelle action judiciaire pour le même motif

(non bis in idem), tandis que son effet substantiel est principalement lié à
la validité juridique de la décision de la Cour en tant qu’application du
droit objectif à une question concrète particulière — pro veritate accipi-
tur — et, également, à l’impossibilité d’appliquer le principe stare decisis.

4. Ces deux aspects de la res judicata — aspect procédural et aspect
substantiel — ne se retrouvent pas nécessairement ensemble dans une
affaire donnée. Bien que chaque décision de la Cour — qu’il s’agisse d’un
arrêt ou d’une ordonnance — soit obligatoire à l’égard des parties, même
si ce n’est pas de la même manière, il ne s’ensuit pas nécessairement que

chaque décision de la Cour revêt un caractère définitif.

420460 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP. OP. KRECu )

The relationship between these two components of res judicata is not

static and a priori defined because it reflects the balancing power of the
considerations underlying the procedural and substantive aspects of res
judicata rule, respectively.

The considerations underlying the substantive aspect of res judicata
essentially protect the authority of the Court as a court of law and the
legitimacy of its decisions. Hence, it is possible to say that the binding
force of the Court’s decisions derives from the very nature of the judicial

function irrespective of the nature and content of a Court’s decision. As
the Court established in the Northern Cameroons case (I.C.J. Reports
1963, p. 38), the effect of res judicata extends also to the judgment of the
Court establishing the impossibility of changing the created legal situa-

tion.
Underlying res judicata in the procedural sense are, in fact, considera-
tions of legal security and predictability combined with economy of the
judicial process.

5. The distinction between characteristic of a judicial decision and its
effect derives from contrasting res judicata in its abstract normative
meaning and its application within the body of law regulating the judicial

activity of the Court, i.e. its legal meaning in casu.

Although it is a rule of fundamental importance, forming part of the
legal system of all civilized nations, res judicata is certainly not a fetish

of, or seen as a deus ex machina by, courts of law, including the Inter-
national Court of Justice.
The res judicata rule operates within the law that the Court applies in
parallel with other rules having an objective nature. In other words, the

res judicata rule, just like other fundamental rules governing judicial
activity of the Court, is only a part, however important it may be, of the
normative milieu in which the Court operates and which, as a whole,
determines the effect of a Court’s decision. A possible effect that the

other rules of an objective nature have upon res judicata might be sum-
marized as follows: “Finality itself . . . is rather a plastic term that need
not prohibit re-examination.” It seems clear that revision in accordance

with the conditions specified in Article 61 of the Statute “constitutes
direct exception to the principle res judicata, affecting the validity of a
final judgment” . It is equally true that the operation of the principle of
compétence de la compétence and non-preliminary objections to the

affirmed jurisdiction of the Court may result in a reversal of one sort of
Court judgment, i.e., judgments on preliminary objections.

1 M. Reisman, Nullity and Revision, 1971, p. 341.
2 B. Cheng, General Principles of Law as Applied by International Courts and Tribu-
nals, 1953, p. 372.

421 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KRECu ) 460

La relation entre ces deux aspects de la res judicata n’est ni intangible

ni définie à priori, dans la mesure où elle est le reflet de l’équilibre entre
les considérations qui sous-tendent chacun de ces aspects.

Les considérations qui sous-tendent l’aspect substantiel de la res judi-
cata servent essentiellement à protéger l’autorité de la Cour en tant
qu’organe judiciaire et la légitimité de ses décisions. Il est dès lors pos-
sible de dire que la force obligatoire des décisions de la Cour découle de

la nature même de sa fonction judiciaire, indépendamment du contenu
de ses décisions. Ainsi que la Cour l’a établi dans l’affaire du Cameroun
septentrional (C.I.J. Recueil 1963, p. 38), l’arrêt par lequel elle dit qu’il
est impossible de changer la situation juridique créée est également revêtu

de l’autorité de la chose jugée.
Les considérations qui sous-tendent la res judicata au sens procédural
sont, en fait, des considérations de sécurité et de prévisibilité juridiques
conjuguées à une bonne administration de la justice.

5. La distinction entre la nature d’une décision judiciaire et l’effet de
celle-ci découle de la différence existant entre la res judicata, au sens nor-
matif abstrait de l’expression, et sa mise en Œuvre dans le cadre du droit

régissant l’activité judiciaire de la Cour, c’est-à-dire son sens juridique
dans le cas d’espèce.
Bien que cette règle revête une importance fondamentale, puisqu’elle
fait partie du système juridique de toutes les nations civilisées, la res judi-

cata n’est certainement ni intangible ni considérée comme un deus ex
machina par les juridictions, y compris la Cour internationale de Justice.
La règle de la res judicata est mise en Œuvre dans le cadre du droit que
la Cour applique de pair avec d’autres règles de caractère objectif. Autre-

ment dit, la règle de la res judicata, à l’instar d’autres règles fondamen-
tales régissant l’activité judiciaire de la Cour, ne constitue qu’une partie
— aussi importante soit-elle — du cadre normatif dans lequel la Cour exerce
sa fonction et qui, dans son ensemble, détermine l’effet de ses décisions.

L’un des effets que les autres règles de caractère objectif peuvent avoir
sur celle de la res judicata peut se résumer comme suit: «le caractère défi-
nitif lui-même de la décision ... est plutôt une expression flexible qui
1
n’impose pas l’interdiction d’un réexamen» . Il semble clair que la revi-
sion faite dans les conditions énoncées à l’article 61 du Statut «constitue
une exception directe au principe de la res judicata, exception qui affecte
la validité de l’arrêt définitif» . Il semble également vrai que la mise

en Œuvre du principe de «la compétence de la compétence» et la présen-
tation d’exceptions non préliminaires à l’égard d’un arrêt par lequel
la Cour se déclare compétente peuvent entraîner la réformation d’un
certain type d’arrêts de la Cour, à savoir ceux portant sur les exceptions

préliminaires.

1 M. Reisman, Nullity and Revision, 1971, p. 341.
2 B. Cheng, General Principles of Law as Applied by International Courts and Tribu-
nals, 1953, p. 372.

421461 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP. OP. KRECu )

6. In that regard, none of the legal vehicles designed to challenge or

capable of use to challenge a matter already decided derogates the exist-
ence of the res judicata rule as such, for they are based on the authority
of the law which the Court applies in its totality and are made opera-
tional in the form of a binding decision by which the previous decision of

the Court is repudiated — judicum posterior derogat priori . As the effects
of res judicata attach only to decisions brought lege artis, in accordance
with the rules, procedural and substantive, of the law applied by the
Court, it could be said that the exceptions to the finality of a Court judg-

ment constitute a part of the substance of res judicata.

Consequently, finality of the Court’s judgments within the law applied
by the Court may be relative or absolute. Only for the latter can it be said

that finality is tantamount to res judicata in terms of irrevocability.

The judgment (sententia) and res judicata in the sense of a final and
irrevocable decision of the Court obviously are not identical notions. The

judgment as such is res judicans while res judicata est causa sinae finem
controversiae accepit.
As a judicial act, every judgment of a court of law has a potential of res
judicata in terms of irrevocability which may be materialized or not,

depending on the outcome of procedures and weapons designed to chal-
lenge the decision of the court. So, the intrinsic quality of res judicata is,
in fact, the end point in the development of the authority which is inher-
ent in every judgment, the point in which jugement passe en force de la

chose jugée, judgment becomes enforceable.

II. Res Judicata as Regards Jurisdictional Decisions

7. The full effect of the res judicata rule is in principle attached to “a
final decision of an international tribunal” (Permanent Court of Arbitra-

tion (Trail Smelter case), Reports of International Arbitral Awards
(RIAA), Vol. III, pp. 1950-1951). In his separate opinion in the Fisheries
Jurisdiction case, Judge Waldock stated, “[u]nder Article 60 of the Stat-
ute the Judgment is ‘final and without appeal’. It thus constitutes a final

disposal of the case brought before the Court by the Appli3ation of
14 April 1972” (I.C.J. Reports 1974, p. 125, para. 46) .

However, it does not follow a contrario that the Court’s judgments

on preliminary objections are excluded from the scope of Articles 59

3A. V. Freeman, International Responsibility of States for Denial of Justice , 1938,
p. 975; B. Cheng, op. cit., 1953, p. 337; Schwarzenberger, International Law, I, 1949,
pp. 454-455.

422 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KRECu ) 461

6. A cet égard, aucun des moyens juridiques conçus ou susceptibles
d’être utilisés pour contester une question d’ores et déjà tranchée ne porte

atteinte à l’existence de la res judicata en tant que telle, car ces moyens
sont fondés sur l’autorité du droit que la Cour applique dans son en-
semble et ce, par le biais d’une décision obligatoire pour les parties, par
laquelle la décision antérieure de la Cour est réformée — judicum poste-

rior derogat priori. Etant donné que les effets de la res judicata s’at-
tachent uniquement aux décisions rendues lege artis, conformément
aux règles de procédure et de fond du droit appliqué par la Cour, l’on
pourrait dire que les exceptions au caractère définitif d’un arrêt de
cette dernière font partie intégrante de la règle de la res judicata.

En conséquence, dans le cadre du droit appliqué par la Cour, le carac-
tère définitif de ses arrêts peut être relatif ou absolu. Ce n’est que dans
cette dernière hypothèse que l’on peut considérer que le caractère définitif
est l’équivalent de la res judicata pour ce qui concerne l’irrévocabilité.

L’arrêt (sententia) et la res judicata, au sens de décision définitive et
irrévocable de la Cour, ne sont manifestement pas des notions identiques.
L’arrêt en tant que tel est res judicans, alors que la res judicata est causa
sinae finem controversiae accepit .

En tant qu’acte judiciaire, tout arrêt rendu par une juridiction peut
potentiellement être revêtu de l’autorité de la chose jugée, en ce sens qu’il
peut ou non devenir irrévocable, selon le résultat des procédures et
moyens conçus pour contester les décisions rendues par ladite juridiction.

Ainsi, le caractère intrinsèque de la res judicata constitue, en réalité,
l’aboutissement de l’autorité inhérente à toute décision de justice, le
moment où le «jugement passe en force de chose jugée» et devient exé-
cutoire.

II. Le principe de la res judicata en ce qui concerne les décisions sur la
compétence

7. Le plein effet de la règle de la res judicata est, en principe, attaché à

«une décision définitive d’un tribunal international» (Cour permanente
d’arbitrage, affaire de la Fonderie de Trail, Recueil des sentences arbi-
trales (RSA), vol. 3, p. 1950-1951). Dans son opinion individuelle en
l’affaire de la Compétence en matière de pêcheries , le juge Waldock a

déclaré que, «[a]ux termes de l’article 60 du Statut, l’arrêt est «définitif et
sans recours». Il tranche donc de façon définitive l’affaire portée devant
la Cour par la requête du 14 avril 1972» (C.I.J. Recueil 1974, p. 125,
par. 46) .

Il ne s’ensuit toutefois pas, a contrario, que les arrêts de la Cour
sur les exceptions préliminaires sont exclus du champ d’application

3A. V. Freeman, International Responsibility of States for Denial of Justice , 1938,
p. 975; B. Cheng, op. cit., 1953, p. 337; Schwarzenberger, International Law, I, 1949,
p. 454-455.

422462 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP. OP. KRECu )

and 60 of the Statute of the Court. Such an interpretation would
obviously run counter to the general determination made in these
Articles.

8. It appears that the effects of judgments on preliminary objections,
or at least some types of judgment on preliminary objections, with
respect to both their binding force and finality, are of a specific character
distinguishable to some extent from the effects of judgments on the mer-

its of the case.
The meaning of the characterization “final” in regard to a judgment on
a preliminary objection lies solely in the fact that, after it is pronounced,
all the parties are precluded from raising any preliminary objections

whatsoever leading to revival or restitution of the preliminary objection
proceeding, as provided for in Article 79 of the Rules of Court.

But a preliminary objection as such is not the only legal vehicle in the
body of law of the Court designed to challenge a decision of the Court.
Therefore, it is difficult to say that the judgment on the preliminary
objections raised by a party to a dispute before the Court puts a final end

to the issue of jurisdiction, so that the issue of jurisdiction can never be
raised. In the jurisprudence of the Court, and on the basis of Article 79,
paragraph 1, of the Rules, the notion of non-preliminary objection to the

jurisdiction of the Court has developed, which proves, by itself, that the
notion of objection to jurisdiction is broader than the notion of prelimi-
nary objection. The fundamental principle compétence de la compétence
may also give rise to reconsideration of the jurisdictional decision taken.

As long as it is the functus officio in the case, the Court, as a court of

law, has the inherent power to re-open and reconsider any issue of law
and fact decided. That power would be devoid of substance if not accom-
panied by the power of the Court to reverse its earlier jurisdictional deci-
sion under special circumstances.

9. The uncritical ascribing of immutability to every judgment is fetish-
ist and may find a model only in some long-abandoned decisions under
Langobardic law . Since the Roman Law (in the Roman Law the char-
5
acter of res judicata could be given only to final decisions in meritum ),
the solution has been adopted that the authority of res judicata belongs,
as a rule, only to decision on the merits of a case. For instance, in French

law, decisions on incidental questions may not acquire the autorité de la
chose jugée, unless that is indispensable for the interpretation of the dis-

4 Capitula 370 Edictum Langobardorum stipulated that an adjudicated case semper in
eadem deliberatione debeant permanere , although there existed the possibility of its rejec-
tion by a higher instance — Pugliese, Giudicato civile, Enciclopedia di diritto XVI, 1969,
p. 158.
5
Pugliese, op. cit., p. 752; Kaser, Das römische Zivilprozessrecht , MCMLXVI, p. 504.

423 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND .KRECu ) 462

des articles 59 et 60 de son Statut. Pareille interprétation serait mani-

festement contraire à la solution générale retenue dans lesdits
articles.
8. Il semble que les effets des arrêts sur les exceptions préliminaires ou,

tout au moins, de certains types d’arrêts sur lesdites exceptions revêtent
— tant en ce qui concerne la force obligatoire que le caractère définitif de
la décision — un caractère particulier qui, dans une certaine mesure, dif-
fère des effets des arrêts rendus au fond.

Appliqué à un arrêt sur des exceptions préliminaires, le qualificatif
«définitif» signifie seulement que, une fois que cet arrêt est rendu, les
parties sont dans l’impossibilité de soulever des exceptions préliminaires
de quelque nature que ce soit qui conduiraient à la réactivation ou au

déclenchement de la procédure sur les exceptions préliminaires, telle que
visée à l’article 79 du Règlement de la Cour.
Les exceptions préliminaires ne constituent cependant pas, en tant que
telles, le seul moyen juridique existant dans le droit qu’applique la Cour

pour contester ses décisions. Il est par conséquent difficile de dire que la
décision rendue sur les exceptions préliminaires soulevées par l’une des
parties à un différend devant la Cour met un point final à la question de

la compétence, de sorte que celle-ci ne pourrait plus être soulevée. Dans
la jurisprudence de la Cour, et sur la base du paragraphe 1 de l’article 79
du Règlement, s’est développée la notion d’exception non préliminaire à
la compétence de la Cour, ce qui prouve, en soi, que la notion d’excep-

tion à la compétence est plus large que celle d’exception préliminaire. Il
peut également être procédé au réexamen d’une décision sur la compé-
tence en vertu du principe fondamental de «la compétence de la
compétence».

Tant qu’elle n’est pas functus officio dans une affaire, la Cour, en
tant que juridiction, a le pouvoir inhérent de rouvrir et de réexaminer
toute question de droit ou de fait déjà tranchée. Or, ce pouvoir serait
privé de toute substance s’il ne s’accompagnait pas du pouvoir de

réformer, dans certaines conditions, une décision juridictionnelle
antérieure.
9. Le fait d’attribuer, sans discernement, un caractère immuable à tout

arrêt relève de l’obsession et n’existe que dans certaines décisio4s ca-
duques de longue date et rendues du temps du droit langobarde. Depuis le
droit romain (en droit romain, le caractère de res judicata ne peut être
conféré qu’aux décisions définitives rendues au fond ), la solution adop-

tée est que, en principe, seules les décisions rendues sur le fond d’une
affaire sont revêtues de l’autorité de la chose jugée. Par exemple, en droit
français, les décisions rendues sur des questions incidentes ne sauraient

4
Le Capitula 370 Edictum Langobardorum disposait que les affaires jugées étaient
semper in eadem deliberatione debeant permanere , même si la décision pouvait être
réformée par une instance supérieure — Pugliese, Giudicato civile, Enciclopedia di
di5itto XVI, 1969, p. 158.
Pugliese, op. cit., 752; Kaser, Das römische Zivilprozessrecht , MCMLXVI, p. 504.

423463 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP. OP. KRECu )

6
positifs of the decision in meritum or they are its “soutien nécessaire” .
The Italian judiciary also tends to perceive res judicata to cover the solu-
tion of the dispute which the parties submitted to the court . Para- 7

graph 322 of the German Zivilprozessrechnung (Materielle Rechtskraft)
states that only those decisions which on the demand (Anspruch) which
is stipulated in the accusation or counter-accusation may be effective.

In English law as well, res judicata indicates the final judicial decision

adopted by the judicial tribunal competent for the causa, or the matter in
litigation . Also, the existence of the competent jurisdiction is considered
a condition of validity of every res judicata . 9

Therefore, the view that the application of res judicata is objectively
limited to the issues decided by the final judicial decision is dominant in
the law of civilized nations.

10. In that regard three types of judgments on preliminary objections
may be distinguished:

— judgments by which a preliminary objection, irrespective of its nature,

is accepted and the dispute ipso facto ended;
— judgments by which the objection is rejected and the Court is declared
competent to entertain the merits of the case; and

— judgments by which a preliminary objection raised is determined to
be an objection which does not possess an exclusively preliminary
character.

The effects of res judicata such as those characterizing a judgment on

the merits of a case are possessed only by those judgments on preliminary
objections by which an objection is accepted. In contrast to the other two
remaining jurisdictional decisions, which are both constituent parts of the

pending case, this kind of jurisdictional decision puts an end to a case,
thus assuming the full effects of the res judicata rule attaching to a final
judgment in the case. There are certain differences as regards res judicata

effects between the two remaining kinds of judgments on preliminary
objections, on the one hand, and judgments on the merits, on the other.

11. The difference in finality between jurisdictional decisions, on the
one hand, and decisions on the merits, on the other, is, in principle, quan-

titative rather than qualitative in nature. The finality of jurisdictional

6 Perrot, Chose jugée, Répertoire de procédure civile et commerciale , 1955, 1, Nos. 8,
45, 78-87; Vincent, Procédure civile, 1978, p. 98, No. 76.
7 Pugliese, op. cit., p. 834.
8
Bower, Turner and Handley, The Doctrine of Res Judicata, 1969, II, p. 1; Walker and
Wa9ker, The English Legal System , 1885, Vol. 6, p. 589.
Bower, Turner and Handley, op. cit.,p.92.

424 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND .KRECAu ) 463

acquérir l’«autorité de la chose jugée», à moins que cela ne soit indispen-
sable pour l’interprétation du dispositif de la décision au fond ou qu’elles
constituent le «soutien nécessaire» . En Italie, le pouvoir judiciaire tend

également à concevoir la res judicata comme s’attachant à la solution du
différend que les parties ont porté devant la juridiction concernée .E 7 n
Allemagne, le paragraphe 322 du Zivilprocessrechnung (Materielle

Rechtskraft) dispose que seules peuvent produire effet les décisions por-
tant sur une demande (Auspruch) formulée dans l’accusation ou la
contre-accusation.

En droit anglais également, la res judicata désigne la décision judiciaire
définitive rendue par la juridiction compétente en l’affaire, ou sur la ques-
tion en litige . En outre, le fait que la juridiction soit compétente est
9
considéré comme une condition de la validité de toute res judicata .
Dès lors, dans le droit des nations civilisées, prédomine l’idée que

l’application du principe de la res judicata est objectivement limitée aux
questions tranchées par une décision judiciaire définitive.
10. A cet égard, l’on peut considérer que les décisions sur les excep-

tions préliminaires sont de trois types:

— la décision par laquelle une exception préliminaire, indépendamment
de sa nature, est retenue et le différend prend fin ipso facto ;
— la décision par laquelle une exception préliminaire est rejetée et la

Cour se déclare compétente pour connaître du fond de l’affaire; et
— la décision par laquelle une exception préliminaire est considérée
comme n’ayant pas un caractère exclusivement préliminaire.

Seules les décisions sur les exceptions préliminaires en vertu desquelles
une exception est retenue possèdent les effets de la res judicata qui carac-

térisent une décision rendue sur le fond d’une affaire. Par opposition aux
deux autres types de décisions juridictionnelles — qui sont l’une et l’autre
en partie constitutives de l’affaire qui nous occupe — ce type de décision

juridictionnelle met fin à une affaire, revêtant ainsi le plein effet de la
règle de la res judicata qui s’attache à la décision définitive rendue dans
une affaire donnée. Certaines différences existent en ce qui concerne les

effets de la res judicata entre les deux derniers types de décisions sur les
exceptions préliminaires, d’une part, et les décisions sur le fond, d’autre
part.

11. La différence existant entre le caractère définitif des décisions juri-
dictionnelles, d’une part, et celui des décisions sur le fond, d’autre part,
est, en principe, de nature quantitative et non qualitative. Le caractère dé-

6 Perrot, Chose jugée, Répertoire de procédure civile et commerciale , 19558, 45,
78-87; Vincent, Procédure civile, 1978, p. 98, n
7 Pugliese, op cit., p. 834.
8 Bower, Turner et Handley, The Doctrine of Res Judicata, 1969, II, p. 1; Walker et
Walker, The English Legal System , 1885, vol. 6, p. 589.
9 Bower, Turner et Handley, op. cit.,p.92.

424464 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP.OP . KRECA )
u

decisions is more relative owing to a larger number of legal weapons by
which they can be challenged. It is reflected in the fact that a jurisdic-
tional decision may be challenged not only through revision proceeding

under Article 61 of the Statute but also in the further course of the pro-
ceedings and by a non-preliminary objection, i.e., by an objection which
is raised to the Court’s jurisdiction 10after the preliminary objection pro-

cedure has been completed by the delivery of the judgment.
In the practice of international courts, in particular that of the Inter-
national Court of Justice, this difference assumes qualitative proportions.

Reversal of judgments on the merits, as opposed to jurisdictional deci-
sions, is unknown in the jurisprudence of the International Court of Jus-
tice, unlike that of arbitration courts .11

12. The question as to whether the tribunal is irrevocably bound by its
preliminary objection judgment was raised for the first time in the
Tiedemann case (1926) before the Polish-German Mixed Arbitral Tribu-

nal.
Sedes materiae of the matter, the Tribunal explained succinctly and
convincingly:

“the Tribunal considers that, in the interests of legal security, it is
important that a judgment, once rendered, should in principle be

held to be final.
However, the question takes on a special complexion when the
preliminary judgment rendered is a judgment upholding the Tribu-
nal’s jurisdiction and the latter finds subsequently, but prior to the

judgment on the merits, that in fact it lacks jurisdiction. In such a
case, if it were obliged to regard itself as being bound by its first deci-
sion, it would be required to rule on a matter which it nevertheless

acknowledges to stand outside its jurisdiction. And when — as in the
instant case — it has in the meantime ruled that it has no jurisdiction
in cases of the same nature, it would totally contradict itself by nev-
ertheless ruling on the merits, and it would expose itself to the risk

that the respondent State might take advantage of the Tribunal’s
own acknowledgment of its lack of jurisdiction, in order to refuse to
execute its judgment . . .

In other words, in order to remain faithful to the res judicata pri12
ciple, it would have to commit a manifest abuse of authority.”

The principle that a court of law hearing a case which has proceeded
beyond a judgment on preliminary objections is not irrevocably bound

10
The word “jurisdiction” is used in its generic sense comprising both general, i.e.,
lo11s standi in judicio, and special jurisdiction.
See J. L. Simpson and M. Fox, International Arbitration — Law and Practice, 1959,
pp. 250 et seq.
12Von Tiedemann v. Polish State, Rec. TAM, t. VI, pp. 997-1003; see also CR 2006/44,
Varady, translation.

425 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KRECA ) 464
u

finitif des décisions juridictionnelles est plus relatif en raison du nombre
plus important de moyens juridiques par lesquels celles-ci peuvent
être contestées. En effet, outre la revision prévue à l’article 61 du Statut,

une décision juridictionnelle peut également être contestée, en cours de
procédure, par le biais d’une exception non préliminaire, à savoir, par
une exception à la compétence 10de la Cour soulevée après que la procé-

dure sur les exceptions préliminaires a pris fin par le prononcé d’un arrêt.
Dans la pratique des instances internationales, en particulier celle de la
Cour internationale de Justice, cette différence revêt un aspect qualitatif.

La possibilité de réformer des décisions sur le fond, par opposition aux
décisions juridictionnelles, est inexistante dans la jurisprudence de la
Cour internationale de Justice, contrairement à celle des tribunaux arbi-
traux .1

12. La question de savoir si une juridiction se trouve liée de manière
irrévocable par la décision qu’elle a rendue sur des exceptions prélimi-
naires a été soulevée pour la première fois dans l’affaire Tiedemann

(1926) dont a connu le Tribunal arbitral mixte germano-polonais.
Sedes materiae de la question, le tribunal a expliqué de manière suc-
cincte et convaincante que:

«[l]e Tribunal estime que, dans l’intérêt de la sécurité du droit, il
importe que ce qui a été jugé soit, en principe, tenu pour définitif.

Mais la question se présente sous un aspect tout particulier
lorsque le jugement préliminaire rendu est un jugement affirmant
la compétence du Tribunal et que celui-ci constate dans la suite, mais

avant le jugement au fond, qu’en réalité il est incompétent. En pareil
cas, s’il était obligé de se regarder comme lié par sa première déci-
sion, il serait amené à statuer sur une matière dont il reconnaît

cependant qu’elle échappe à sa juridiction. Et lorsque — comme en
l’espèce — il a entre-temps proclamé son incompétence dans des
causes identiques, il se mettrait en contradiction irréductible avec
lui-même en jugeant néanmoins au fond et il s’exposerait au risque

de voir l’Etat défendeur s’autoriser de l’aveu d’incompétence éma-
nant du Tribunal même pour refuser d’exécuter sa sentence.

En d’autres termes, pour rester fidèle au principe du respect de
la chose jugée, il devrait commettre un abus manifeste de pou-
voir.» 12

La Cour a également confirmé, dans sa jurisprudence, le principe sui-
vant lequel une juridiction qui connaît d’une affaire après qu’une décision

10
Le terme «compétence » est employé au sens générique, c’est-à-dire qu’il désigne le
lo11s standi in judicio et la juridiction spéciale.
J. L. Simpson et M. Fox, International Arbitration — Law and Practice , 1959, p. 250
et suiv.
12Von Tiedemann v. Polish State, Rec. TAM, t. VI, p. 997-1003; voir aussi CR 2006/44
(Varady).

425465 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP. OP. KREuA )

by that judgment has also been confirmed by the jurisprudence of the

Court.
13. In the Nottebohm case (Preliminary Objections) the Court rejected
by its Judgment of 18 November 1953 Guatemala’s preliminary objection
to its jurisdiction and resumed proceedings on the Merits (I.C.J. Reports
1953, p. 124). Guatemala, however, raised a number of objections to

admissibility in its Counter-Memorial, in its Reply and in the course of
the oral proceedings on the merits but treated them as subsidiary to the
subject of the dispute. In its Judgment of 6 April 1955, the Court
accepted one of the objections, which related to the admissibility of
Liechtenstein’s claim given that at the time of naturalization no “genuine

link” had existed between Nottebohm and Liechtenstein (I.C.J. Reports
1955, pp. 4-65).
The Nottebohm case can be taken as an example of reversal of the pre-
liminary objection judgment upon a non-preliminary objection raised by

the Respondent.
14. On the other hand, the South West Africa cases (Second Phase)
illustrate the pattern of reversal of the judgment on preliminary objec-
tions by action of the Court proprio motu.
In the preliminary objections phase (I.C.J. Reports 1962, p. 319), the

Court rejected four South African objections, amongst others the objec-
tion concerning the standing (locus standi) of the Applicant as well as its
interests. South Africa pointed out, inter alia, that:

“Secondly, neither the Government of Ethiopia nor the Govern-
ment of Liberia is ‘another Member of the League of Nations’, as
required for locus standi by Article 7 of the Mandate for South West
Africa; Thirdly,...moreparticularlyinthatnomaterialinterestsof

the Governments of Ethiopia and/or Liberia . . . are involved therein
or affected thereby” (ibid., p. 327).

In the merits phase the Court returned to the determination made in its
1962 Judgment and found that, in fact, the Applicants did not have
standing in the proceedings (I.C.J. Reports 1966, pp. 36-38). Namely, in
its Judgment on Preliminary Objections of 21 December 1962, the Court

established inter alia that:
“For the manifest scope and purport of the provisions of this Arti-
cle indicate that the Members of the League were understood to have

a legal right or interest in the observance by the Mandatory of its
obligations both toward the inhabitants of the Mandated Territory,
and toward the League of Nations and its Members ”,

and that:

“Protection of the material interests of the Members or their
nationals is of course included within its compass, but the well-being

426 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND .KRECu ) 465

a été rendue sur des exceptions préliminaires n’est pas liée de façon irré-

vocable par ladite décision.
13. Dans l’affaire Nottebohm (exception préliminaire), la Cour a rejeté
par son arrêt du 18 novembre 1953 l’exception préliminaire d’incompé-
tence soulevée par le Guatemala et a poursuivi la procédure sur le fond
(C.I.J. Recueil 1953, p. 124). Le Guatemala a cependant soulevé plu-

sieurs exceptions à la recevabilité, dans son contre-mémoire, puis dans sa
réplique et au cours de la procédure orale sur le fond, mais les a consi-
dérées comme étant subsidiaires à l’objet du différend. Dans son arrêt du
6 avril 1955, la Cour a retenu l’une de ces exceptions — laquelle avait
trait à la recevabilité de la demande du Liechtenstein — au motif que, au

moment de la naturalisation, aucun «lien effectif» n’existait entre Notte-
bohm et le Liechtenstein (C.I.J. Recueil 1955, p. 4-65).
L’affaire Nottebohm peut être prise pour exemple de la réformation
d’un arrêt sur des exceptions préliminaires à la suite d’une exception non

préliminaire soulevée par le défendeur.
14. Les affaires du Sud-Ouest africain (deuxième phase) illustrent,
quant à elles, la réformation d’un arrêt sur des exceptions préliminaires à
la suite d’une décision proprio motu de la Cour.
Lors de la phase relative aux exceptions préliminaires (C.I.J.

Recueil 1962, p. 319), la Cour a rejeté quatre exceptions soulevées par
l’Afrique du Sud, parmi lesquelles l’exception concernant la qualité du
demandeur à ester devant elle (locus standi) et le fait qu’il ait un intérêt
juridique en cause. L’Afrique du Sud a notamment fait observer que,

«[d]euxièmement, ni le Gouvernement de l’Ethiopie ni le Gouver-
nement du Libéria ne sont «un autre Membre de la Société des
Nations», ainsi que l’article 7 du Mandat pour le Sud-Ouest africain
l’exige pour qu’il y ait locus standi ; [t]roisièmement, ... plus parti-

culièrement en tant qu’aucun intérêt concret des Gouvernements de
l’Ethiopie et/ou du Libéria ... n’est en cause ou n’est affecté en
l’espèce» (ibid., p. 327).

Lors de la phase du fond, la Cour est revenue sur la décision prise dans
l’arrêt de 1962 et a indiqué que, en réalité, les demandeurs n’avaient pas
qualité pour agir (C.I.J. Recueil 1966, p. 36-38). Plus précisément, dans
son arrêt du 21 décembre 1962 sur les exceptions préliminaires, la Cour a

notamment dit que
«[l]a portée et l’objet manifestes des dispositions de cet article
indiquent en effet qu’on entendait par là que les Membres de la

Société des Nations eussent un droit ou un intérêt juridique à ce que
le mandataire observât ses obligations à la fois à l’égard des habi-
tants du territoire sous Mandat et à l’égard de la Société des Nations
et de ses Membres»,

et que,

«[i]l va de soi que la protection des intérêts concrets des Membres ou
de leurs ressortissants est comprise dans ce cadre, mais le bien-être et

426466 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP.OP .KRECu )

and development of the inhabitants of the Mandated territory are not

less important”( South West-Africa, Preliminary Objections, Judg-
ment, I.C.J. Reports 1962 , pp. 343-344; emphasis added).

In essence, the Court explained the reversal of its previous finding by
describing the nature of the decision on preliminary objection. The Court
stated inter alia :

“As regards the issue of preclusion, the Court finds it unnecessary
to pronounce on various issues which have been raised in this con-
nection, such as whether a decision on preliminary objection consti-
tutes a res judicata in the proper sense of that term, whether it ranks
as a ‘decision’ for the purposes of Article 59 of the Court’s Statute,

or as ‘final’ within the meaning of Article 60. The essential point is
that a decision on a preliminary objection can never be preclusive of
a matter appertaining to the merits, whether or not it has in fact been
dealt with in connexion with the preliminary objection .” (I.C.J.
Reports 1966, pp. 36-37, para. 59; emphasis added.)

However, reasoning further about the preclusive effect of the 1962 Judg-
ment, the Court characterized — albeit indirectly — jurisdictional deci-

sions, finding that:
“Since decisions of an interlocutory character cannot pre-judge
questions of merits, there can be no contradiction between a decision

allowing that the Applicants had the capacity to invoke the jurisdic-
tional clause . . . and a decision that the Applicants have not estab-
lished the legal basis of their claim on the merits .” (I.C.J. Reports
1966, p. 38, para. 61; emphasis added.)

In the merits phase the Court returned to the determination made in its
1962 Judgment and found that, in fact, the Applicants did not have
standing in the proceedings (I.C.J. Reports 1966, pp. 36-38).

15. The legal basis for reconsideration of a preliminary objection judg-
ment and, possibly, a reversal of an affirmative finding on jurisdiction lies
in the inherent power of the Court to determine its own jurisdiction (the
principle of compétence de la compétence ), in both its narrow and broad
meanings.

In the narrow sense, as expressed in Article 36, paragraph 6 of the Stat-
ute, the Court takes jurisdictional decisions in cases of disputes between
the parties as regards its jurisdiction. Jurisdictional decisions of the Court
under Article 36, paragraph 6, may be of either of two types: judgments
on preliminary objection raised in accordance with Article 79 of the

Rules of Court; and decisions taken upon non-preliminary objection.
Characteristic of decisions on non-preliminary objections is that they are
taken in phases of the proceedings other than the preliminary objection
stage, generally in the phase which should be on the merits and which is
determined in the practice of the Court to be a Judgment on jurisdiction

(Nottebohm case) or simply a Judgment in the Second Phase (South West
Africa cases). The real meaning of the last expression is in fact the second

427 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND .KRECu ) 466

le développement des habitants du territoire sous Mandat ne sont pas

moins importants »( Sud-Ouest africain, exceptions préliminaires,
arrêt, C.I.J. Recueil 1962 , p. 343-344; les italiques sont de moi).

La Cour a, pour l’essentiel, justifié être revenue sur sa conclusion anté-
rieure en rappelant la nature de la décision rendue sur les exceptions pré-
liminaires. Elle a notamment déclaré:

«La Cour n’estime pas nécessaire de se prononcer sur les divers
points qui ont été soulevés au sujet d’une telle forclusion, comme le
point de savoir si une décision sur une exception préliminaire a force
de chose jugée au sens propre du terme, si elle constitue une «déci-
sion» aux fins de l’article 59 du Statut ou si elle est «définitive» au

sens de l’article 60. L’essentiel est qu’en aucun cas une décision sur
une exception préliminaire ne saurait empêcher l’examen d’une ques-
tion relevant du fond, que celle-ci ait été en fait traitée ou non à pro-
pos de l’exception préliminaire. »( C.I.J. Recueil 1966, p. 36-37,
par. 59; les italiques sont de moi.)

Toutefois, raisonnant plus avant sur l’effet de forclusion de l’arrêt de 1962,
la Cour a défini — bien qu’indirectement — les décisions juridictionnelles

de la manière suivante:
«Les décisions interlocutoires ne pouvant préjuger les questions de
fond, il ne saurait y avoir d’opposition entre la décision admettant

que les demandeurs avaient qualité pour invoquer la clause juridic-
tionnelle ... et la décision d’après laquelle les demandeurs n’ont pas
établi la base juridique de leur demande au fond .» ( Ibid.,p .,
par. 61; les italiques sont de moi.)

Lors de la phase du fond, la Cour est revenue sur la décision prise dans
l’arrêt de 1962 et a conclu que, en réalité, les demandeurs n’avaient pas
qualité pour agir (C.I.J. Recueil 1966, p. 36-38).

15. Le fondement juridique permettant le réexamen d’une décision sur
des exceptions préliminaires et, éventuellement, la réformation d’une
déclaration de compétence, repose sur le pouvoir inhérent de la Cour
d’établir sa propre compétence (à savoir, le principe de la «compétence
de la compétence»), au sens étroit comme au sens large.

Au sens étroit, tel que l’exprime le paragraphe 6 de l’article 36 du Sta-
tut, la Cour rend des décisions juridictionnelles en cas de désaccord entre
les parties sur sa compétence. Les décisions juridictionnelles qu’elle rend
en vertu du paragraphe 6 de l’article 36 sont de deux types: les arrêts sur
les exceptions préliminaires soulevées en vertu de l’article 79 du Règle-

ment; et les décisions rendues sur des exceptions non préliminaires. Les
décisions sur des exceptions non préliminaires ont pour spécificité d’être
prises lors de phases de la procédure autres que celle consacrée aux excep-
tions préliminaires, généralement lors de la phase qui devrait porter sur le
fond et qui, dans la pratique de la Cour, donne lieu à un arrêt sur la com-

pétence (affaire Nottebohm) ou simplement à un arrêt sur la deuxième
phase (affaires du Sud-Ouest africain). Cette dernière expression désigne

427467 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION SEP .OP. KRECA )
u

jurisdictional phase, given that the judgment upon preliminary objection
was adopted previously.
However, as commonly observed, the Court is bound to remain atten-

tive to the issue of jurisdiction independently from the actions of the
parties in the litigation. The Court achieves this by application of the
principle compétence de la compétence in its wider form (Nottebohm case,
I.C.J. Reports 1953, p. 120) as the basis for proprio motu action of the
Court.

“Remain attentive” as such, without proper action of the Court, has
no practical effect on the fundamental question — whether the Court has
jurisdiction in casu. The Court, bearing in mind ex officio its competence
from the moment the proceedings are begun until their end, undertakes

various decisions in that regard. Specifically, the Court’s compétence de
la compétence :

“is not limited to verifying in each case whether the Court can deal
with the merits . . . By extending the scope of the power in issue
[compétence de la compétence] to all matters within the incidental

jurisdiction of the Court, the Court has established this13ower as the
most pre-preliminary function the Court undertakes.”

The very seisin of the Court as a first step of a procedural nature
implies the operation of the principle compétence de la compétence by
proprio motu action of the Court. The need to resort to the principle com-
pétence de la compétence results directly from the fact that the seisin of

the Court is not the automatic consequence of the proper actions of the
parties to a dispute, and the seisin of the Court is not a pure fact but a
judicial act linked to the jurisdiction of the Court (see Nottebohm, Pre-
liminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 1953 , p. 122; Maritime

Delimitation and Territorial Questions between Qatar and Bahrain
(Qatar v. Bahrain), Jurisdiction and Admissibility, Judgment, I.C.J.
Reports 1995, p. 23, para. 43).
Without the operation of the principle compétence de la compétence as

a principle of general international law, it would be legally impossible to
establish the competence of the Court to indicate provisional measures,
for the objections to the Court’s jurisdiction, pursuant to Article 79 of
the Rules, may be submitted by the Respondent within the time-limit
fixed for the delivery of the Counter-Memorial and by a party other than

the Respondent within the time-limit fixed for the delivery of the first
pleading. The operation of the principle in this case results in the judicial
presumption on proper jurisdiction of the Court in the form of “prima
facie jurisdiction” (Legality of Use of Force, Preliminary Objections,

Judgment, I.C.J. Reports 2004 ; separate opinion of Judge Kreca, u
para. 12; emphasis added).
16. The special position of a judgment on preliminary objection exists

13Shihata, op. cit., pp. 41-42; emphasis added.

428 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KRECA ) 467
u

en réalité la deuxième phase relative à la compétence, étant donné qu’un
arrêt sur les exceptions préliminaires a déjà été rendu.
Toutefois, comme il est fréquemment fait observer, la Cour est tenue

de rester attentive à la question de sa compétence indépendamment de
l’attitude adoptée par les parties au litige. La Cour se conforme à cette
obligation en appliquant le principe de la «compétence de la compé-
tence» sous sa forme la plus large (affaire Nottebohm, C.I.J. Recueil 1953,
p. 120), en tant que fondement de toute action proprio motu de sa part.

Pour la Cour, «rester attentive» sans agir n’a aucun effet concret sur la
question fondamentale qui est de savoir si elle est compétente dans le cas
d’espèce. Compte tenu de sa compétence ex officio à partir du moment
où la procédure est introduite jusqu’à ce qu’elle prenne fin, la Cour prend

diverses décisions à cet égard. Plus précisément, pour elle, la «compé-
tence de la compétence»:

«n’est pas limitée au fait de vérifier dans chaque affaire si elle peut
connaître du fond... En étendant la portée de ce pouvoir [celui de la
«compétence de la compétence»] à toutes les questions relevant de

sa compétence incidente, la Co13 a fait de celui-ci sa fonction la plus
nettement pré-préliminaire.»

La saisine de la Cour, en tant que premier acte de nature procédurale,
implique la mise en Œuvre du principe de la «compétence de la compé-
tence» par une action proprio motu de la Cour. La nécessité de recourir
au principe de la «compétence» découle directement de ce que la saisine

de la Cour n’est pas la conséquence automatique de mesures dûment
prises par les parties à un différend, et que la saisine de la Cour n’est pas
un pur fait, mais un acte judiciaire lié à la compétence de celle-ci (voir
Nottebohm, exception préliminaire, arrêt , C.I.J. Recueil 1953, p. 122;

Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn
(Qatar c. Bahreïn), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil
1995, p. 23, par. 43).
Sans la mise en Œuvre du principe de la «compétence de la compé-

tence» en tant que principe du droit international général, il serait juri-
diquement impossible d’établir la compétence de la Cour pour indiquer
des mesures conservatoires, dès lors que, conformément à l’article 79 du
Règlement, les exceptions à sa compétence peuvent être soulevées dans le
délai fixé pour le dépôt du contre-mémoire, pour ce qui est du défendeur,

et dans le délai fixé pour le dépôt de la première pièce de procédure, pour
une partie autre que le défendeur. La mise en Œuvre du principe aboutit
alors à une présomption judiciaire en faveur de la compétence de la Cour,
sous forme d’une «compétence prima facie » (voir Licéité de l’emploi de

la force, exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2004 , opinion
individuelle du juge Krec ´a, par. 12).
16. Il apparaît que la particularité d’un arrêt rendu sur une exception

13Shihata, op. cit., p. 41-42; les italiques sont de moi.

428468 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP. OP. KRECu )

in respect of both aspects of the res judicata rule — its binding force and
finality.
A perception of distinct relativity of a jurisdictional decision of the

Court pervades the body of law regulating the Court’s activity. The rules
regarding preliminary objections are grouped in Subsection 2 of Sec-
tion D of the Rules of Court, entitled “Incidental Proceedings”. Such
placement of the rules on preliminary objections suggests, as the Court

stated in the South West Africa cases (Second Phase) (I.C.J. Reports
1966, p. 38, para. 61), that judgment on a preliminary objection is “of an
interlocutory character”, which implies a provisional, rather than final,
character. Furthermore, Article 79, paragraph 1, of the Rules of Court,

providing that “[a]ny objection . . . to the jurisdiction of the Court or to
the admissibility . . . or other objection the decision upon which is
requested before any further proceedings on the merits” (emphasis added),

per se expresses the relative finality of a judgment on preliminary objec-
tions. Preliminary objections as such do not, however, exhaust objections
to the jurisdiction of the Court. As early as the 1980s, the jurisprudence
of the Court, supported by State practice, developed to the effect that the
14
formal preliminary objection procedure is not exhaustive of the matter ,
as well as that non-preliminary objections to jurisdiction are also capable
of reversing a judgment on preliminary objections as demonstrated in the

Nottebohm case. Non-preliminary objections to the jurisdiction of the
Court give rise to application of the principle of compétence de la com-
pétence understood, as I have noted before (Legality of Use of Force
(Serbia and Montenegro v. Belgium), Preliminary Objections, Judgment,

I.C.J. Reports 2004, paras. 43-50), in the narrow sense.

Finally, the principle of compétence de la compétence understood in a
general sense can be seen in the Resolution Concerning the Internal Judi-
cial Practice of the Court in its provision stating that “the Court may pro-

ceed to entertain the merits of the case or, if that stage has already been
reached, on the global question of whether, finally, the Court is competent
or the claim admissible” (Art. 8 (ii) (b); emphasis added). It seems clear
that the “global question” is “one which would normally arise only after

all the previous questions and the merits have been pleaded (that is to
say, the substance of any particular phase [has] thus been decided ”) . 15

17. With regard to the binding force of a judgment on preliminary
objections, it seems clear that it does not create legal obligations stricto

14See Shabtai Rosenne, «The Reconceptualization of Objections in the ICJ», Communi-
cazioni e studi, volume quattordicesimo, 1975, pp. 735-761.
15Shabtai Rosenne, Procedure in the International Court. A Commentary on the 1978

Rules of the International Court of Justice , 1983, p. 232; emphasis added.

429 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND .KRECu ) 468

préliminaire existe relativement aux deux aspects de la règle de la res judi-

cata, à savoir les caractères obligatoire et définitif de celle-ci.
Une impression de relativité particulière des décisions juridictionnelles
de la Cour se dégage de l’ensemble du droit régissant l’activité de celle-ci.
Les règles relatives aux exceptions préliminaires sont regroupées dans la

sous-section 2 de la section D du Règlement de la Cour, intitulée «Pro-
cédures incidentes». Le fait que les règles sur les exceptions préliminaires
soient ainsi placées dans le Règlement donne à penser, comme la Cour l’a
dit dans les affaires du Sud-Ouest africain (deuxième phase)

(C.I.J. Recueil 1966, p. 38, par. 61), que l’arrêt rendu sur une exception
préliminaire est «de caractère interlocutoire», ce qui implique qu’il est
provisoire et non définitif. De plus, le paragraphe 1 de l’article 79 du
Règlement qui prévoit que «[t]oute exception à la compétence de la Cour

ou à la recevabilité de la requête ou toute exception sur laquelle le défen-
deur demande une décision avant que la procédure sur le fond se pour-
suive» (les italiques sont de moi) exprime per se le caractère définitif
relatif de l’arrêt rendu sur des exceptions préliminaires. Cependant, les

exceptions préliminaires n’épuisent pas, en tant que telles, les exceptions
à la compétence de la Cour. Dès les années quatre-vingt, la jurisprudence
de la Cour, étayée par la pratique des Etats, s’est développée à l’effet que
la procédure formelle portant sur une exception préliminaire n’épuise pas
14
la question , et que les exceptions non préliminaires à la compétence
puissent elles aussi entraîner la réformation d’un arrêt rendu sur des
exceptions préliminaires, comme l’a démontré l’affaire Nottebohm. Les
exceptions non préliminaires à la compétence de la Cour donnent lieu à

l’application du principe de la «compétence de la compétence» compris,
comme je l’ai indiqué plus haut (Licéité de l’emploi de la force (Yougo-
slavie c. Belgique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2004 ,
par. 43-50), dans son sens étroit.

Enfin, le principe de la «compétence de la compétence» compris au
sens large de l’expression apparaît dans la disposition de la résolution
visant la pratique interne de la Cour en matière judiciaire selon laquelle
«la Cour peut procéder à l’examen de l’affaire au fond ou, au cas où ce

stade est déjà atteint, sur la question globale de savoir si en définitive la
Cour est compétente ou la demande recevable » (art. 8, al. ii), point b);
les italiques sont de moi). Il apparaît clairement que la «question glo-
bale» est «une question qui se serait normalement posée après que toutes

les questions qui la précèdent et le fond ont été débattus (c’est-à-dire que
chaque phase a donné lieu à une décision )» . 15
17. S’agissant de la force obligatoire d’un arrêt sur des exceptions pré-
liminaires, il apparaît clairement que pareille décision ne crée pas d’obli-

14Voir Shabtai Rosenne, «The Reconceptualization of Objections in the ICJ», Com-
municazioni e studi, vol. 14, 1975, p. 735-761.
15Shabtai Rosenne, Procedure in the International Court. A Commentary on the 1978
Rules of the International Court of Justice , 1983, p. 232; les italiques sont de moi.

429469 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP. OP. KRECu )

sensu which parties in the proceedings are required to comply with. The
party that raised a preliminary objection rejected by the Court does not

suffer any legal consequences if, for instance, it decides not to participate
in the proceedings for which the Court declared itself competent. An
affirmative judgment in the preliminary objection procedure creates for
that party a processual burden rather than a legal duty stricto sensu.

Moreover, the Applicant has no legal obligation to proceed to plead the
claim either. While an affirmative jurisdictional decision creates a pro-
cessual burden for the Respondent, vis-à-vis the Applicant it constitutes a
pure processual entitlement which the Applicant uses with absolute dis-
cretion (discretio legalis) without suffering any sanctions in proceedings

of failure to comply with the letter of affirmative jurisdictional decisions.

In fact, an affirmative judgment in the preliminary objections phase
creates a duty for the Court only to proceed to the merits phase, but judi-

cial action by the Court in that regard is dependent upon proper actions
by the parties to a case.
In contrast to a jurisdictional judgment, a judgment on the merits of a
case possesses binding effect in terms of creating legal duties for the

parties, so that “neither party can by unilateral means free itself from its
obligation under international law to carry out the judgment in good
faith” .
18. The more relative character of jurisdictional decisions of the Court

as compared with the finality of a judgment on the merits of the case is
justified on a number of grounds.
Jurisdictional issues are not, as a rule, core issues of cases before the
Court, nor are they the raison d’être of recourse to the Court by the

parties to a dispute. Cases, such as the Appeal Relating to the Jurisdiction
of the ICAO Council (I.C.J. Reports 1972) , in which the Court acts as a
court of appeal, are the only exceptions.

The parties to a dispute turn to the Court to protect a subjective right
or interest in the sense of substantive law, not because of the issue of
jurisdiction as such. An affirmative judgment on jurisdictional issues
establishes only the necessary prerequisite for resolving the main issue

and it concerns substantive law in terms of conferring or imposing upon
the parties a legal right or obligation of a positive or negative nature. In
this sense, a judgment on jurisdictional issues is of

“a purely declaratory nature and it can never create a right i.e.,
bestow on the Court itself a jurisdiction which is not supported by

applicable rules of law either general or particular” (Certain German
Interests in Polish Upper Silesia, Jurisdiction, Judgment No. 6, 1925,

16Société Commerciale de Belgique, Judgment, 1939, P.C.I.J., Series A/B, No. 78 ,
p. 176.

430 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND .KRECu ) 469

gations juridiques stricto sensu, obligations que les parties à l’instance

seraient tenues de respecter. La partie qui a soulevé une exception préli-
minaire rejetée par la Cour ne subit aucune conséquence juridique si, par
exemple, elle décide de ne pas prendre part à la procédure pour laquelle
la Cour s’est déclarée compétente. Un arrêt affirmatif rendu lors de la

phase des exceptions préliminaires crée pour la partie en question une
charge processuelle et non une obligation juridique stricto sensu. Par
ailleurs, le demandeur n’a pas non plus d’obligation juridique de conti-
nuer à plaider sa cause. Alors qu’une décision juridictionnelle affirmative

crée une charge processuelle pour le défendeur, elle ne crée, à l’égard du
demandeur, qu’un pur droit processuel qu’il utilise en toute discrétion
(discretio legalis) sans subir de sanction quelconque dans le cas où il ne
se conformerait pas à la lettre de ladite décision.

De fait, un arrêt affirmatif rendu dans la phase des exceptions prélimi-
naires crée un devoir pour la Cour de poursuivre la procédure au fond,
mais son action judiciaire à cet égard dépend des propres actions des
parties à l’affaire.

Contrairement à un arrêt sur la compétence, un arrêt sur le fond a un
effet obligatoire en ce sens qu’il crée des obligations juridiques à l’égard
des parties, de sorte qu’«aucune des Parties ne saurait s’affranchir
unilatéralement de l’obligation qui lui incombe en vertu du droit inter-
16
national d’exécuter l’arrêt de bonne foi» .
18. Plusieurs raisons justifient le caractère plus relatif des décisions
juridictionnelles de la Cour par rapport au caractère définitif des arrêts
rendus au fond.

Les questions de compétence ne sont pas, en principe, des questions
fondamentales des affaires dont la Cour est saisie, ni la raison d’être du
recours à celle-ci par les parties à un différend. La seule exception est
constituée par des affaires telles que celle de l’Appel concernant la com-

pétence du Conseil de l’OACI (C.I.J. Recueil 1972) , dans lesquelles la
Cour agit en tant que juridiction d’appel.
Les parties à un différend saisissent la Cour pour protéger un droit ou
un intérêt subjectifs au sens du droit positif, et non en raison de la ques-

tion de compétence en tant que telle. Un arrêt affirmatif sur les questions
de compétence n’est qu’une condition préalable nécessaire pour le règle-
ment de la question principale et il se rapporte au droit positif, en ce sens
qu’il confère ou impose aux parties un droit ou une obligation juridique

de nature positive ou négative. En ce sens, un arrêt sur les questions juri-
dictionnelles est

«de nature purement déclaratoire, sans pouvoir jamais revêtir le
caractère constitutif et attribuer à la Cour elle-même une juridiction
qui ne trouverait pas d’appui dans les règles juridiques, soit géné-

rales, soit particulières, applicables» (Certains intérêts allemands en

16Société commerciale de Belgique, arrêt, 1939, C.P.J.I. série78, p. 176.

430470 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP. OP. KRECu )

P.C.I.J., Series A, No. 6 , dissenting opinion of Judge Rostworowski,
p. 32).

In other words, a judgment on jurisdictional issues is adjective rather

than substantive in its nature and, consequently, in its effects as well.
It does not create a new legal situation in terms of substantive law nor
gives an order to perform an act as it does not state how the law
disputed between the parties is to be applied. (For classification of inter-
national judgments, see Encyclopedia of Public International Law , III,

1997, pp. 33-34.)

The reversal by a court of law acting within its judicial prerogatives of
the jurisdictional judgment in a pending case does not substantially, if at
all, affect stability and predictability as the rationale of finality of the

judgment, as advocated by the majority (Judgment, para. 116). This is
because the subject matter here is not substantive rights and obligations
of the parties. As an affirmative jurisdictional decision merely confers
entitlement to have a claim entertained and decided by the court, it is

hard to say that its reversal may result in disturbing jural relations under
substantive law. The only disturbance that can be spoken of in case of a
reversal of an affirmative jurisdictional decision is the disturbance in the
processual relationship established by the jurisdictional decision, distur-
bance which is a matter of the subjective expectations of the parties to a

dispute rather than a matter of public policy underlying the finality of the
Court’s decision.

On the contrary, if, after adopting a jurisdictional decision and before
handing down its judgment on the merits, the Court found that its deci-
sion was erroneous for any reason, it would commit a manifest abuse of
its power if it were to abide by the res judicata rule. Thus, rather than

strengthening the res judicata rule, insistence on the finality of jurisdic-
tional decisions in all circumstances would be to its detriment, paralyz-
ing, and even nullifying, the activity of the Court as a court of law and
justice, for, besides the intrinsic, constituent elements of the res judicata
rule, there exists the fundamental extrinsic condition, the requisite valid-

ity of the Court’s decision in terms of substantive and procedural law.

Finally, the more relative character of jurisdictional decisions, as

regards finality, results or may result from the operation of the principle
of compétence de la compétence . Specifically, the principle of compétence
de la compétence operates exclusively in respect of jurisdictional issues.

19. In practical terms, the relativity of jurisdictional decisions, espe-

cially judgments on preliminary objections as a formal type of jurisdic-

431 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KRECA ) 470
u
o
Haute-Silésie polonaise, compétence, arrêt n 6, 1925, C.P.J.I. série A
n 6, opinion dissidente du juge Rostworowski, p. 32).

Autrement dit, un arrêt rendu sur des questions juridictionnelles a, par
nature, un caractère procédural et non substantiel et, partant, ses effets
sont de même nature. Une décision de cette nature ne crée pas de situa-
tion juridique nouvelle au sens du droit positif et ne prescrit pas non plus
d’agir d’une certaine manière puisqu’elle n’énonce pas la façon dont le

droit en litige entre les parties doit être appliqué. (Pour une classification
des décisions internationales, voir l’Encyclopedia of Public International
Law, vol. III, 1997, p. 33-34.)
Comme l’a indiqué la majorité de la Cour (arrêt, par. 116), la réforma-

tion par une juridiction, dans le cadre des prérogatives judiciaires dont
elle est investie, d’un arrêt portant sur sa compétence dans une affaire
pendante n’affecte pas de manière substantielle — si tant est qu’elle
puisse les affecter — la stabilité et la prévisibilité, en tant que principes

sur lesquels se fonde le caractère définitif de l’arrêt. Il en est ainsi parce
que l’objet de l’arrêt en question n’est pas constitué par les droits et obli-
gations de fond des parties. Etant donné qu’une décision juridictionnelle
affirmative habilite simplement à voir une demande examinée et tranchée
par la Cour, l’on peut difficilement dire que sa réformation peut avoir

pour conséquence de perturber les relations juridiques du droit positif. La
seule perturbation dont on pourrait parler en cas de réformation d’une
décision juridictionnelle affirmative est celle qui pourrait affecter la rela-
tion processuelle établie par la décision juridictionnelle. Une telle pertur-

bation concerne les attentes subjectives des parties à un différend et n’est
pas une question d’ordre public sous-tendant l’effet définitif de la déci-
sion rendue par la Cour.
Au contraire, si la Cour conclut, après avoir rendu une décision juri-
dictionnelle et avant de rendre sa décision sur le fond, que sa décision

était erronée pour quelque motif que ce soit, elle commettrait, en respec-
tant la règle de la res judicata, un excès de pouvoir manifeste. Ainsi, plu-
tôt que de renforcer la règle de la res judicata, insister sur le caractère
définitif des décisions juridictionnelles dans tous les cas porterait préju-

dice à cette règle, une telle insistance paralysant, voire frappant de nullité,
l’activité de la Cour en tant que juridiction qui dit le droit et en tant que
tribunal. En effet, outre les éléments intrinsèques de la règle de la res judi-
cata, il existe une condition extrinsèque fondamentale qui est que la déci-

sion de la Cour doit être valide du point de vue du droit substantiel et du
droit procédural.
Enfin, le caractère plus relatif des décisions juridictionnelles, du point
de vue de leur caractère définitif, résulte ou peut résulter de la mise en
Œuvre du principe de la «compétence de la compétence». Plus précisé-

ment, le principe de la «compétence de la compétence» joue exclusive-
ment pour les questions juridictionnelles.
19. Concrètement, le caractère relatif des décisions juridictionnelles,
notamment des arrêts sur les exceptions préliminaires conçus comme un

431471 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP. OP. KRECu )

tional decision might result from balancing two considerations which

differ by nature:
(i) special circumstances forming an objective element deriving from

legality which dictate reversal of the jurisdictional decision; and

(ii) a subjective element, which implies the readiness of a court of law to
address the matter.

As regards this element, while somewhat pathetic, the warning is essen-
tially correct that the “future of international adjudication, if not global

peace, may paradoxically depend on the capacity of our supreme judicial
organ to say mea culpa” . 17

III. Application of the Res Judicata Rule to the 1996 Judgment

20. The position taken by the majority on the application of res judi-
cata to the 1996 Judgment of the Court suffers from two basic weak-
nesses:

(a) a narrow and fetishist perception of the res judicata rule;
(b) an erroneous assessment of the relevant conditions for its applica-

tion in casu.

As a consequence, it can be said that the perception of the res judicata
rule as well as its application to the 1996 Judgment is completely misguided.

1. Perception of the res judicatarule

21. The dual, organically linked, structure of the res judicata rule as

designed in Articles 59 and 60 of the Statute has been reduced by the
majority to only one element — its binding force, although the crucial
question in the case at hand is, in fact, the finality of the 1996 Judgment.
In that regard, it is said that the “Statute . . . declares, in Article 60, the

res judicata principle without exception” (Judgment, para. 119).

The essence of the perception can be expressed as follows:

“Article 59 of the Statute, notwithstanding its negative wording,
has as its core the positive statement that the parties are bound by the

decision of the Court in respect of the particular case. Article 60 of
the Statute provides that the judgment is final and without appeal;
Article 61 places close limits of time and substance on the ability of
the parties to seek the revision of the judgment.” (Judgment,

para. 115; emphasis added.)

17W. M. Reisman, “Revision of West South Africa Cases — An Analysis of the
Grounds of Nullity in the Decision of 18 July 1966 and Methods of Revision”, The Vir-
ginia Journal of International Law , 1966, Vol. 7, No. 1, p. 4.

432 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KRECu ) 471

type formel de décision juridictionnelle, pourrait résulter du rapport

entre deux considérations de nature distincte:

i) des circonstances spéciales qui représentent un élément objectif tenant
à la justification légale imposant la réformation de la décision juridic-
tionnelle; et
ii) un élément subjectif qui implique que la juridiction est disposée à

connaître de la question.
En ce qui concerne ce dernier élément, bien que quelque peu excessive,

la conception selon laquelle «l’avenir du règlement judiciaire internatio-
nal, si ce n’est la paix dans le monde, peut paradoxalement dépendre de
la capacité de notre organe judiciaire suprême de dire qu’il s’est trompé» 17

est juste.

III. Application de la règle de la res judicata à l’arrêt de 1996

20. La position adoptée par la majorité quant à l’application de la res

judicata à l’arrêt rendu par la Cour en 1996 souffre de deux faiblesses
fondamentales:

a) une conception étroite et obsessionnelle de la règle de la res judicata ;
b) une appréciation erronée des conditions permettant l’application de
la règle en la présente espèce.

Il est donc possible de dire que la conception de la règle de la res judi-
cata ainsi que son application à l’arrêt de 1996 sont totalement erronées.

1. Conception de la règle de la res judicata

21. La majorité a réduit à un seul élément, à savoir sa force obliga-
toire, la structure binaire, dont les deux éléments sont intrinsèquement

liés, de la règle de la res judicata telle qu’elle est conçue dans les ar-
ticles 59 et 60 du Statut, alors même que la question cruciale en l’espèce
porte sur le caractère définitif de l’arrêt de 1996. A cet égard, il a été dit
que le «Statut ... énonce à son article 60 le principe de l’autorité de la

chose jugée sans l’assortir d’aucune exception» (arrêt, par. 119).
Pour l’essentiel, cette conception peut s’énoncer comme suit:

«L’article 59 du Statut, en dépit de sa formulation négative, a
pour élément central la proposition positive selon laquelle la décision
de la Cour est obligatoire pour les parties dans l’affaire qui a été
tranchée. L’article 60 du Statut dispose que l’arrêt est définitif et

sans recours; l’article 61 assortit la faculté des parties de demander
la revision de l’arrêt de strictes conditions de fond et de délais.»
(Arrêt, par. 115; les italiques sont de moi.)

17
W. M. Reisman, «Revision of West South Africa Cases — An Analysis of the
Grounds of Nullity in the Decision of 18 July 19o6 and Methods of Revision», The
Virginia Journal of International Law , 1966, vol. 7, n4.

432472 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP.OP .KRECu )

This reasoning seems to confuse the characteristics and effects of the res
judicata rule.

The binding force of the Court’s decision most certainly constitutes its
substantive aspect. But, such a characteristic of the decision of the Court
does not necessarily imply its finality, which is a matter of the procedural
effects of the Court’s decision.

In fact, each decision of the Court, being a proper expression of the
judicial power, possesses binding force. In the formula auctoritas res judi-
cata or l’autorité de la chose jugée , auctoritas does not per se mean final-
ity, but rather the specific weight or credit of a judicial decision serving as
a basis for its finality. Finality is never an attribute of the auctoritas itself.

It may be the attribute of the auctoritas of the judgment after exhausting
legal avenues, either regular or extraordinary, by which the judgment can
be challenged.

22. According to the majority view, the 1996 Judgment is considered
final, for

“[t]he Statute provides for only one procedure in such an event: the
procedure under Article 61, which offers the possibility for the revi-
sion of judgments . . .” (Judgment, para. 120),

and, furthermore,

“Subject only to this possibility of revision, the applicable princi-
ple is res judicata pro veritate habetur , that is to say that the findings
of a judgment are, for the purposes of the case and between the
parties, to be taken as correct, and may not be reopened on the basis

of claims that doubt has been thrown on them by subsequent events. ”
(Judgment, para. 120; emphasis added.)

Such a perception of the finality of a judgment seems too narrow,
because it obviously does not take into account all legal vehicles avail-
able, either to the parties or to the Court itself, for the purpose of recon-

sideration of the issue of jurisdiction. The law of the Court knows, in
addition to revision under Article 61 of the Statute, two legal vehicles
which are relevant in that regard. As stated above, these are the principle
of compétence de la compétence in terms of both Article 36, paragraph 5,

of the Statute and the rule of general international law (Nottebohm, Pre-
liminary Objection, Judgment, I.C.J. Reports 1953 , pp. 119-120) and
non-preliminary objections to the jurisdiction of the Court.
23. The principle compétence de la compétence is “indispensably nec-
18
essary to the discharge of any . . . duties” of any judicial authority.
Although, in contrast to jurisdictional objections raised by the parties, it

18United States Commissioner Gore in the Betsey case (1797), J. B. Moore (ed.), Inter-
national Adjudications, Ancient and Modern History and Documents , Modern Series,
Vol. IV, p. 183.

433 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND .KRECu ) 472

Il y a, semble-t-il, dans ce raisonnement, confusion entre les caracté-
ristiques et les effets de la règle de la res judicata.

La force obligatoire de la décision de la Cour constitue incontestable-
ment son aspect de fond. Mais cette caractéristique de la décision de la
Cour n’implique pas nécessairement qu’elle est définitive, puisque cela
relève des effets procéduraux de la décision de la Cour.

En réalité, toute décision de la Cour, dès lors qu’elle exprime valable-
ment le pouvoir judiciaire, a force obligatoire. Dans la formule auctoritas
res judicata ou «autorité de la chose jugée», le terme «autorité» ne signi-
fie pas en soi «caractère définitif», mais désigne plutôt le poids ou crédit
particulier d’une décision judiciaire qui fonde le caractère définitif de

celle-ci. Le caractère définitif n’est jamais un attribut de l’autorité
elle-même. Il peut devenir l’attribut de l’autorité de l’arrêt une fois épui-
sées les voies juridiques, ordinaires ou extraordinaires, par lesquelles
il est possible de contester l’arrêt.

22. D’après la majorité, l’arrêt de 1996 aurait un caractère définitif car

«[l]e Statut prévoit, à cette fin, une seule procédure: celle de l’ar-
ticle 61, qui ouvre la possibilité de la revision d’un arrêt» (arrêt,
par. 120),

et, en outre,

«[s]ous la seule réserve de cette possibilité de revision, le principe
applicable est celui de la res judicata pro veritate habetur ,c eui
signifie que les conclusions d’un arrêt doivent, aux fins de l’affaire et
entre les parties, être considérées comme exactes, et ne sauraient être

remises en question au motif que des événements postérieurs feraient
planer sur elles des doutes » (arrêt, par. 120; les italiques sont de
moi).

Cette conception du caractère définitif des arrêts semble par trop res-
trictive, car elle ne prend, à l’évidence, pas en considération toutes les
voies juridiques dont disposent les parties et la Cour elle-même en vue du

réexamen de la question de la compétence. Dans le droit qu’applique la
Cour, il existe, outre la revision envisagée à l’article 61 du Statut, deux
moyens juridiques pertinents. Comme indiqué ci-dessus, il s’agit du prin-
cipe de la «compétence de la compétence» — tel que prévu au para-

graphe 5 de l’article 36 du Statut et en droit international général (Notte-
bohm, exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1953 , p. 119-120) — et
des exceptions non préliminaires à la compétence de la Cour.
23. Le principe de la «compétence de la compétence» est «absolument
18
indispensable à l’exécution des obligations» de toute autorité judiciaire.
Bien que, contrairement aux exceptions d’incompétence soulevées par les

18Commissaire Gore des Etats-Unis dans l’affaire Betsey (1797), J. B. Moore (dir.
publ.), International Adjudications, Ancient and Modern History and Documents , Modern
Series, vol. IV, p. 183.

433473 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP.OP .KRECu )

is not specifically designed to challenge the jurisdiction of the Court, its
operation, either proprio motu or upon an objection by a party, always
affects, positively or negatively, the jurisdiction of the Court.

The power of the Court to determine whether it has jurisdiction, ema-
nating from the principle of compétence de la compétence , is an inherent
right and duty of the Court and it knows no bounds (Electricity Com-
pany of Sofia and Bulgaria, Judgment, 1939, P.C.I.J., Series A/B, No. 77 ,
dissenting opinion of Judge Urrutia, pp. 102-103). The Court exercises its

inherent power from beginning to end of the proceedings with a view to
establishing whether it possesses jurisdiction or not in the particular case.
In reality, the Court exercises its inherent power in two ways:

(a) by taking a quiet, informal decision as to the existence of the proc-
essual requirements for jurisdiction through prima facie assessment,
this being substantively a judicial presumption of jurisdiction; and

(b) by adopting a formal decision on jurisdiction.

In that sense, the Court’s power to determine whether it has jurisdic-
tion in a given case seems absolute, considering that the Court, even if it
declares that it has no jurisdiction in casu, exercises that inherent power.

24. Accordingly, the exercise of that power cannot be limited ratione
temporis as long as the Court is functus officio in the case. Inherent in the
power of the Court to determine whether it has jurisdiction ad casum is
the proper right to reopen and reconsider the issue of jurisdiction, either

proprio motu or upon jurisdictional objection by a party to a dispute, as
clearly demonstrated in the Nottebohm case (para. 13 above) and the
South West Africa cases (para. 14 above).

This, of course, does not mean, as the Judgment correctly stated, that
“jurisdictional decisions remain reviewable indefinitely . . .” (Judgment,
para. 118).
There exist clear limits, both temporal and substantive, within which
jurisdictional decisions are reviewable. As regards temporal limits, the

jurisdictional decision is reviewable until the Court is functus officio in a
given case, whereas substantive limits concern the nature of the circum-
stances which justify reconsideration. They must be of a special nature
affecting legality as the primary value and ultimate purpose of judicial
decisions of any court of law, for

“The Commission is a tribunal sitting continuously with all the
attributes and functions of a continuing tribunal until its work shall
have been closed. Where the Commission has misinterpreted the evi-
dence, or made a mistake in calculation, or where its decision does

not follow its fact findings, or where in any other respect the decision

434 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KREuA ) 473

parties, ce principe ne vise pas précisément à contester la compétence
de la Cour, son application, proprio motu ou à la suite d’une exception
soulevée par une partie, a toujours une incidence positive ou négative
sur la compétence de la Cour.

La faculté qu’a la Cour d’établir si elle est compétente, faculté qui
découle de ce principe de la «compétence de la compétence», est un droit
et une obligation inhérents qui ne connaît pas de limite (Compagnie
d’électricité de Sofia et de Bulgarie, arrêt, 1939, C.P.J.I. série A/B no 77,
opinion dissidente du juge Urrutia, p. 102-103). La Cour exerce ce pou-

voir du début à la fin de la procédure de sorte à établir si elle est compé-
tente ou non dans l’affaire en cause. En réalité, la Cour exerce ce pouvoir
de deux façons:

a) en prenant de manière informelle, et sans en faire état, une décision
prima facie sur la question de savoir s’il est satisfait aux conditions
processuelles de compétence, ce qui revient au fond à une présomp-

tion judiciaire de compétence;
b) en prenant une décision formelle sur la question de la compétence.

En ce sens, la faculté qu’a la Cour d’établir si elle a compétence dans
une affaire donnée équivaut semble-t-il à un pouvoir absolu, dans la
mesure où, même si elle déclare qu’elle n’est pas compétente en l’affaire

en cause, elle exerce ce pouvoir inhérent.
24. En conséquence, l’exercice de ce pouvoir ne saurait être limité
ratione temporis tant que la Cour n’est pas functus officio dans une
affaire. Le droit de rouvrir et de réexaminer la question de la compétence,
que ce soit proprio motu ou à la suite d’une exception d’incompétence

soulevée par une partie au différend, est inhérent à la faculté qu’a la Cour
d’établir si elle est compétente ad casum, comme cela a été clairement
démontré en l’affaire Nottebohm (par. 13 ci-dessus) et dans les affaires du
Sud-Ouest africain (par. 14 ci-dessus).

Cela ne signifie naturellement pas, comme il est à juste titre indiqué
dans l’arrêt, que «les décisions portant sur la compétence peuvent être
indéfiniment réexaminées» (arrêt, par. 118).
Il existe des limites claires, tant sur le plan temporel que quant au fond,
dans lesquelles les décisions sur la compétence peuvent être réexaminées.

Pour ce qui est des limites temporelles, une décision juridictionnelle peut
être réexaminée jusqu’à ce que la Cour devienne functus officio dans une
affaire donnée, tandis que les limites de fond ont trait à la nature des cir-
constances qui justifient le réexamen. Celles-ci doivent revêtir un carac-
tère spécial ayant une incidence sur la légalité, laquelle est l’intérêt prin-

cipal et l’objectif ultime des décisions judiciaires de toute juridiction, car

«[j]usqu’à ce que ses travaux prennent fin, la Commission est un tri-
bunal siégeant de manière ininterrompue, doté de tous les attributs
et fonctions d’une juridiction permanente. Quand la Commission a
mal interprété les éléments de preuve ou a fait une erreur dans ses

calculs, ou quand sa décision n’est pas compatible avec les résultats

434474 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION SEP .OP. KRECu )

does not comport with the record as made, or where the decision
involves a material error of law, the Commission not only has
power, but is under the duty, upon a proper showing, to re-open and
correct a decision to accord with the facts and the applicable legal

rules.” (Mixed Claims Commission — United States of America and
Germany, AJIL, 1940, Vol. 34, No. 1, p. 154.)

Such inherent power and, even, a duty emanate from the very nature
of the judicial function, for, as Commissioner Owen Roberts stated, “No
tribunal worthy of its name or of any respect may allow its decision to

stand if such allegations are well-founded” (ibid., p. 164).

25. The unjustifiably narrow interpretation of the res judicata rule
inevitably leads to a striking conclusion that

“Subject only to [the] possibility of revision, the applicable prin-

ciple is res judicata pro veritate habetur , that is to say that the find-
ings of a judgment are, for the purposes of the case and between the
parties, to be taken as correct, and may not be reopened on the basis
of claims that doubt has been thrown on them by subsequent events. ”
(Judgment, para. 120; emphasis added.)

Considering the Court’s findings to be immutable even in the face of
subsequent events throwing doubt on their veracity, the majority view
neglects the aspect of legality in the substance of the res judicata rule.

As subsequent events can hardly be considered as “a new fact” under

Article 61 of the Statute, it appears that the Court as a rule takes deci-
sions ex jure proprio, independently of international law, so that the legal
situation determined by the Court is, ex definitione, the true position
under international law.

Such a view can only be seen as judicial extremism, which cannot but
be conducive to absurd results. A good illustration in that regard is pre-
cisely this particular case.
If the findings of the Court are to be taken as correct, whatever doubt
may be thrown on them by subsequent events, the conclusion that fol-

lows is that the Respondent State in the case at hand is the Federal
Republic of Yugoslavia because the Court so decided in its 1996 Judg-
ment, which, according to the finding by the majority of the Court, is res
judicata.

26. A non-preliminary objection, as a vehicle for challenging a judg-
ment on preliminary objections, brings into play the principle of com-
pétence de la compétence in accordance with paragraph 6 of Article 36 of
the Statute.
That is exactly what happened in the present case.

In May 2001, the Federal Republic of Yugoslavia submitted a docu-

435 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KREuA ) 474

de ses recherches ou encore quand la décision comporte une erreur
de droit importante, la Commission a non seulement le pouvoir mais
a l’obligation, aux fins d’accomplir correctement sa mission, de rou-
vrir et de réformer la décision en cause pour la faire correspondre

aux faits et aux règles juridiques applicables.» (Commission de récla-
mations mixtes — Etats-Unis d’Amérique et Allemagne, AJIL, 1940,
vol. 34, n 1, p. 154.)

Pareil pouvoir inhérent, voire obligation, découle de la nature même de la
fonction judiciaire, car, comme l’a dit le commissaire Owen Roberts, «[i]l
n’y a pas de tribunal digne de ce nom ou d’un quelconque respect qui

puisse permettre que sa décision demeure si de telles allégations sont fon-
dées» (ibid., p. 164).
25. Une interprétation abusivement restrictive de la règle de la res judi-
cata aboutit inévitablement à la conclusion surprenante selon laquelle:

«[s]ous la seule réserve de cette possibilité de revision, le principe

applicable est celui de la res judicata pro veritate habetur ,c eui
signifie que les conclusions d’un arrêt doivent, aux fins de l’affaire et
entre les parties, être considérées comme exactes, et ne sauraient être
remises en question au motif que des événements postérieurs feraient
planer sur elles des doutes » (arrêt, par. 120; les italiques sont de

moi).

En considérant que les conclusions de la Cour sont immuables même
quand des événements postérieurs font planer des doutes sur leur véra-
cité, la majorité ne tient aucun compte de l’aspect de légalité inhérent à la
règle de la res judicata.
Les événements postérieurs ne pouvant guère être considérés comme

un «fait nouveau» au sens de l’article 61 du Statut, il apparaît que la
Cour prend, en règle générale, des décisions ex jure proprio, sans tenir
compte du droit international, de sorte que la situation juridique établie
par elle est, ex definitione, la véritable situation en droit international.

Une telle conception ne peut que représenter un jusqu’au-boutisme
judiciaire qui ne saurait qu’aboutir à des résultats absurdes, ce qu’illustre
d’ailleurs bien la présente affaire.
Si les conclusions de la Cour doivent être considérées comme exactes,
indépendamment des doutes que des événements postérieurs peuvent

faire planer sur elles, la conclusion qui s’impose est que l’Etat défendeur
en la présente espèce est la République fédérale de Yougoslavie, puisque
la Cour en a décidé ainsi dans son arrêt de 1996, lequel est, d’après les
conclusions de la majorité, res judicata.

26. Une exception non préliminaire, en tant que moyen permettant de
contester un arrêt rendu sur des exceptions préliminaires, met en jeu le
principe de la «compétence de la compétence», conformément au para-
graphe 6 de l’article 36 du Statut.
Tel est précisément ce qui s’est passé en l’espèce.

En mai 2001, la République fédérale de Yougoslavie a communiqué un

435475 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP.OP .KRECu )

ment entitled “Initiative to the Court to Reconsider Ex Officio Jurisdic-
tion over Yugoslavia”, requesting the Court to adjudge and declare that
it had no jurisdiction ratione personae over it. The request was based on
the argument that the Federal Republic of Yugoslavia had not been a

party to the Statute of the Court until its admission to the United
Nations on 1 November 2000 and that it had not been a party to the
Genocide Convention (Judgment, para. 26). In addition, Yugoslavia
asked the Court to suspend the proceedings on the merits until the deci-
sion on the Initiative was rendered (ibid.).

In a letter of 3 December 2001, Bosnia and Herzegovina requested the
Court, inter alia, to “respond in the negative to the request embodied in
the ‘Initiative’” (Judgment, para. 28).
Acting on this matter, the Court decided, as shown by a letter from the

Registrar dated 12 June 2003, that it could not effect a suspension of the
proceedings.
As regards the issue of reconsideration by the Court of its jurisdiction
in the case, it was stated inter alia :

“The Court . . . as was in fact observed by Serbia and Montenegro

in the ‘Initiative’ document, and as the Court has emphasized in the
past, is entitled to consider jurisdictional issues proprio motu, and
must ‘always be satisfied that it has jurisdiction’ (Appeal Relating to
the Jurisdiction of the ICAO Council, I.C.J. Reports 1972 , p. 52). It
goes without saying that the Court will not give judgment on the mer-

its of the present case unless it is satisfied that it has jurisdiction.
Should Serbia and Montenegro wish to present further argument to
the Court on jurisdictional questions during the oral proceedings on
the merits, it will be free to do so. ” (Letter of 12 June 2003; emphasis

added.)

In a word, the view of the majority that “[s]ubject only to [the] possi-
bility of revision, the applicable principle is res judicata pro veritate
habetur . . .” (Judgment, para. 120) seems to run contra factum proprium.

2. Erroneous assessment of the relevant conditions for its application in
casu

27. The conditions for the application of the res judicata rule can be
divided into two categories: intrinsic and extrinsic. As regards the intrin-

sic one, according to the classic formula, res judicata applies only where
there is an identity of parties (eadem personae) and an identity of the
question at issue (eadem res). The latter element is sometimes divided
into the object (petitum) and the grounds advanced (causa petendi), for
example, Interpretation of Judgments Nos. 7 and 8 (Factory at Chorzów),

Judgment No. 11, 1927, P.C.I.J., Series A, No. 13 , dissenting opinion of

436 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND .KRECu ) 475

document intitulé «Initiative présentée à la Cour aux fins d’un réexamen
d’office de sa compétence» à l’égard de la Yougoslavie, dans lequel elle

priait la Cour de dire et juger qu’elle n’était pas compétente ratione per-
sonae à son égard. L’argument sur lequel reposait cette demande était
que la République fédérale de Yougoslavie n’était pas partie au Statut de
la Cour avant son admission à l’Organisation des Nations Unies le
er
1 novembre 2000 et qu’elle n’avait pas été partie à la convention sur le
génocide (arrêt, par. 26). En outre, la Yougoslavie demandait à la Cour
de surseoir à statuer sur le fond tant qu’elle ne se serait pas prononcée sur
l’initiative (ibid.).
Dans une lettre en date du 3 décembre 2001, la Bosnie-Herzégovine

priait la Cour, notamment, de «répond[re] par la négative à la demande
formulée par le biais de cette «Initiative»» (arrêt, par. 28).
Prenant position sur cette question, la Cour a décidé, comme le montre
une lettre du greffier en date du 12 juin 2003, qu’elle ne pouvait sus-

pendre la procédure.
En ce qui concerne la question du réexamen de sa compétence en
l’affaire, il a notamment été indiqué que:

«comme l’a en fait relevé la Serbie-et-Monténégro dans l’«Initia-
tive» et comme elle l’a elle-même souligné dans le passé, la Cour est

autorisée à examiner des questions de compétence proprio motu,et
doit «toujours s’assurer de sa compétence» (Appel concernant la
compétence du Conseil de l’OACI, C.I.J. Recueil 1972 , p. 52). Il va
donc sans dire que la Cour ne se prononcera sur le fond de la présente

affaire qu’à condition d’avoir pu établir qu’elle a compétence; si la
Serbie-et-Monténégro souhaite présenter à la Cour des arguments
supplémentaires sur les questions de compétence lors de la procédure
orale au fond, elle est libre de le faire .» (Lettre du 12 juin 2003; les

italiques sont de moi.)

En résumé, la thèse de la majorité selon laquelle, «sous [la] seule
réserve de la possibilité de révision, le principe applicable est celui de la
res judicata pro veritate habetur » (arrêt, par. 120) apparaît contra factum
proprium.

2. Appréciation erronée des conditions permettant l’application de la
règle en la présente espèce

27. Les conditions dans lesquelles s’applique la règle de la res judicata

pourraient se diviser en condition intrinsèque et condition extrinsèque.
S’agissant de la condition intrinsèque, suivant la formule classique, la res
judicata s’applique uniquement lorsqu’il y a identité des parties (eadem
personae) et identité de la question en cause (eadem res). Ce dernier élé-

ment est parfois subdivisé en deux, l’objet (petitum) et les motifs invo-os
qués (causa petendi). Voir, par exemple, Interprétation des arrêts n 7
et 8 (Usine de Chorzów), arrêt n o11, 1927, C.P.J.I. série A n o 13, opi-

436476 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP. OP. KREuA )

Judge Anzilotti, p. 23; Polish Postal Service in Danzig, Advisory Opin-

ion, 1925, P.C.I.J., Series B, No. 11 ,p.30.
The extrinsic condition for applying the res judicata rule, assuming the
intrinsic elements are present, is the validity of the judgment. In the
Effect of Awards of Compensation Made by the United Nations Adminis-
trative Tribunal case, the Court clearly set out the requirement of validity

by construing the question put to it by the General Assembly as referring
“only to awards of compensation made by the Administrative Tribunal,
properly constituted and acting within the limits of its statutory compe-
tence” (I.C.J. Reports 1954, p. 55).

28. The “Long March” on the part of the majority of the Court
through the issue of the Respondent’s jus standi, ended, after almost
14 years, by its adoption of a third successive position, a position sharing
a negative characteristic with the preceding two. That is to say, it has not

provided any answer to the question which is the sedes materiae of the
jurisdictional complex in the present case, whether the Respondent,
under Article 35 of the Statute of the Court, possesses the right to appear
before the Court or not.
The Court’s first position, embodied in the 1996 Judgment, could be

characterized as that of clearly avoiding the question. The majority sim-
ply closed their eyes to the relevant issue, as if it did not exist at all. A
characteristic feature of the second position, elaborated in the Judgment
in Application for Revision of the Judgment of 11 July 1996 in the Case
concerning Application of the Convention on the Prevention and Punish-

ment of the Crime of Genocide (Bosnia and Herzegovina v. Yugoslavia),
Preliminary Objections (Yugoslavia v. Bosnia and Herzegovina) (Judg-
ment, I.C.J. Reports 2003 , p. 7), is the attempt to construct a sui generis
position of the Respondent vis-à-vis the United Nations in the period
1992-2000. It is some type of explanation for the tacit treatment of the

Respondent as a State having jus standi before the Court. In the present
Judgment, the majority has formulated a third position, one that can be
described, from the substantive point of view, as a return to a modified
avoidance position. Specifically, the third position accepts the incontest-
able fact that the Respondent was admitted, by decision of the competent

political organs of the United Nations, to membership of the world
Organization on 1 November 2000 (Judgment, para. 99) as a new Mem-
ber, but it avoids accepting the necessary consequences of that fact as
regards the Respondent’s jus standi relying on an erroneous perception of
the res judicata rule.

However, in another dispute in which Serbia and Montenegro was
involved, namely, the Legality of Use of Force cases, the Court decided
that the act of admission of Serbia and Montenegro to United Nations

membership was determinative as regards jus standi.

437 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KRECA ) 476
u

nion dissidente du juge Anzilotti, p. 23; Service postal polonais à Dant-
zig, avis consultatif, 1925, C.P.J.I. série B no 11,p.30.
La condition extrinsèque pour l’application de la règle de la res judi-

cata, à supposer que les éléments intrinsèques soient réunis, est constituée
par la validité de l’arrêt. Dans l’affaire de l’Effet de jugements du Tribu-
nal administratif des Nations Unies accordant indemnité , la Cour a clai-
rement énoncé la condition de la validité en interprétant la question que
lui avait posée l’Assemblée générale comme se rapportant «uniquement à

des jugements accordant indemnité rendus par le tribunal administratif
régulièrement constitué et agissant dans les limites de sa compétence sta-
tutaire» (C.I.J. Recueil 1954, p. 55).
28. La «longue marche» que la majorité de la Cour s’est imposée pour

régler la question du jus standi du défendeur a pris fin, après près de qua-
torze ans, lorsque la Cour a adopté, pour la troisième fois, une nouvelle
position, tout aussi incomplète que les deux précédentes. Autrement dit,
la majorité n’a pas répondu à la question qui constitue le sedes materiae

du complexe problème de compétence en l’espèce, celle de savoir si, en
vertu de l’article 35 du Statut de la Cour, le défendeur a ou non le droit
d’ester devant elle.
La première position adoptée par la Cour, laquelle est énoncée dans
l’arrêt de 1996, pourrait être qualifiée d’attitude tendant manifestement à

éluder la question. La majorité a tout simplement fermé les yeux sur la
question pertinente, comme si elle n’existait pas. La deuxième position
adoptée par la Cour, laquelle est énoncée dans l’arrêt rendu en l’affaire
de la Demande en revision de l’arrêt du 11 juillet 1996 en l’affaire relative

à’l Application de la convention pour la prévention et la répression du
crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions
préliminaires (Yougoslavie c. Bosnie-Herzégovine) (arrêt, C.I.J. Recueil
2003, p. 7), est une tentative d’élaboration d’une situation sui generis du
défendeur vis-à-vis de l’Organisation des Nations Unies pour la

période allant de 1992 à 2000. Il s’agit là d’une manière d’explication du
fait que le défendeur ait été tacitement considéré comme un Etat ayant
qualité pour ester devant la Cour. Dans le présent arrêt, la majorité a
formulé une troisième position, laquelle peut être qualifiée, quant au

fond, de retour à une nouvelle solution visant à éluder le problème. Plus
précisément, cette troisième position revient à accepter le fait incontes-
table que le défendeur a été admis sur décision des organes politiques
compétents de l’Organisation des Nations Unies en tant que Membre de
er
l’Organisation mondiale le 1 novembre 2000 (arrêt, par. 99), en qualité
de nouveau Membre, sans en reconnaître les conséquences qui s’imposent
quant au jus standi du défendeur et ce, sur le fondement d’une interpréta-
tion erronée de la règle de la res judicata.
Cela étant, dans un autre différend auquel a pris part la Serbie-et-

Monténégro, à savoir les affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la
force, la Cour a jugé que l’admission de la Serbie-et-Monténégro comme
Membre de l’Organisation des Nations Unies était décisive quant à la
question du jus standi.

437477 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP .OP .KRECA )
u

This sharp contradiction in determining the legal consequences of the
admission of Serbia and Montenegro as regards its jus standi before the
Court perhaps vindicates, Honoré de Balzac’s cynicism in observing that:

“Les lois sont des toiles d’araignées à travers lesquelles passent les grosses
mouches et où restent les petites.” 19

29. The issue of jus standi deserves a more detailed elaboration due to
its crucial importance in the present case.

20
3. Jus standi as an autonomous processual condition

30. Jus standi, in relation to jurisdiction understood in the standard
sense to be the Court’s power to solve concrete disputes, is an autono-
mous and separate processual condition. Substantively, it means a gen-

eral, potential right of a State entitling it, under the additional proviso of
the existence of a proper jurisdictional instrument, to participate in a case
before the Court in the capacity of a party, either as an Applicant or as

a Respondent, or as an intervening party. As such, jus standi is a general,
positive processual condition. It is materialized if a State possessing jus
standi brings legal action, has an action brought against it, or, in accord-
ance with the relevant rules of the Court, intervenes in proceedings pend-

ing before the Court. Being autonomous, jus standi belongs to a State
even if the State is not a party to the dispute or a party to the proceedings
pending before the Court.

There is no direct, organic link between jus standi before the Court and
the jurisdiction of the Court. As the Court stated in the South West

Africa cases (Second Phase):

“It is a universal and necessary, but yet almost elementary princi-
ple of procedural law that a distinction has to be made between . . .
the right to activate a court and the right of the court to examine the
merits of the claim.”( South West Africa, Second Phase, Judgment,

I.C.J. Reports 1966, p. 39, para. 64; Fisheries Jurisdiction (Federal
Republic of Germany v. Iceland), Jurisdiction of the Court, Judg-
ment, I.C.J. Reports 1973 , p. 53, para. 11; emphasis added.)

Accordingly, the Court does not acquire jurisdiction in the concrete
dispute eo ipso, simply because the parties to the dispute possess jus

standi before the Court, just as vice versa the existence of a proper juris-

19Honoré de Balzac, La Maison Nucingen (http://www.citationspolitiques.com/
recherche.php3?rechercheLes+lois+sont+des+toiles+d92araignE9es).
20The expression “locus standi” or “locus standi in judicio” is usually used. However
the expression “jus standi” appears to be more appropriate since it directly addresses the
right established by Article 35 of the Statute. The expression “locus standi” is used when
it is, as such, employed in the jurisprudence of the Court.

438 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KRECu ) 477

Une aussi nette contradiction en ce qui concerne les conséquences juri-
diques de l’admission aux Nations Unies de la Serbie-et-Monténégro
quant à sa qualité à ester devant la Cour justifie peut-être le cynisme

d’Honoré de Balzac lorsqu’il fit observer que «[l]es lois sont des toiles
d’araignée à travers lesquelles passent les grosses mouches et où restent
les petites» .
29. La question du jus standi mérite d’être examinée de manière plus

détaillée, dans la mesure où elle revêt une importance cruciale en la pré-
sente affaire.

3. Le jus standi 20en tant que condition processuelle autonome

30. Le jus standi, dans sa relation à la compétence comprise dans son

sens classique en tant que pouvoir de la Cour de résoudre des différends
concrets, est une condition processuelle autonome et distincte. Dans son
sens qui se rapporte au fond, il représente un droit potentiel d’ordre géné-

ral que possède un Etat et en vertu duquel celui-ci, sous la réserve sup-
plémentaire de l’existence d’un instrument juridictionnel pertinent, peut
prendre part, en tant que partie, à une affaire soumise à la Cour, soit en
qualité de demandeur ou de défendeur, soit en tant que partie interve-

nante. En tant que tel, le jus standi est une condition processuelle géné-
rale et positive. Il est matérialisé lorsqu’un Etat qui a qualité pour agir
introduit une action en justice ou qu’une action est introduite contre lui

ou lorsque, conformément aux règles pertinentes de la Cour, ledit Etat
intervient à une instance pendante. Etant autonome, le jus standi est
propre à l’Etat, même si celui-ci n’est pas partie au différend ou à l’ins-
tance pendante devant la Cour.

Il n’existe aucun lien organique direct entre le jus standi devant la Cour
et la compétence de celle-ci. Ainsi que la Cour l’a indiqué dans les affaires
du Sud-Ouest africain (deuxième phase):

«C’est un principe universel, nécessaire et cependant presque élé-
mentaire du droit de la procédurequ’il faut distinguer entre ... le droit

de saisir un tribunal et le droit du tribunal de connaître du fond de la
demande.»( Sud-Ouest africain, deuxième phase, arrêt, C.I.J. Recueil
1966, p. 39, par. 64; Compétence en matière de pêcheries (République
fédérale d’Allemagne c. Islande), compétence de la Cour, arrêt,

C.I.J. Recueil 1973, p. 53, par. 11; les italiques sont de moi.)
En conséquence, la Cour n’acquiert pas eo ipso compétence dans un

différend donné simplement parce que les parties au différend ont qualité
pour ester devant elle; de même que, inversement, l’existence d’un instru-

19Honoré de Balzac, La Maison Nucingen (http://www.citationspolitiques.com/
recherche.php3?rechercheLes+lois+sont+des+toiles+d92araignE9es).
20L’expression «locus standi» ou «locus standi in judicio» est généralement utilisée.
L’expression «jus standi» semble néanmoins plus appropriée puisqu’elle porte directe-
ment sur le droit énoncé à l’article 35 du Statut. L’expression «locus standi» est utilisée

quand elle est, en tant que telle, employée dans la jurisprudence de la Cour.

438478 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP. OP. KRECu )

dictional instrument in force between the parties to the dispute does not

imply jus standi of the parties to the dispute before the Court.
31. In relation to the issue of jurisdiction, jus standi is antecedent in
nature, being a pre-condition for the establishment of the Court’s juris-
diction in casu. In the absence of jus standi of a State (or States) in the

dispute, it is legally impossible for the Court to establish its jurisdiction,
for “only those States which have access to the Court can confer jurisdic-
tion upon it” (Legality of Use of Force (Serbia and Montenegro v.
Netherlands), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 2004 ,

p. 1030, para. 45). Moreover, in such a case the Court would not be
authorized either to take into consideration the issue of its jurisdiction or
to take any judicial action of a substantive nature.
Not only is a State, without jus standi precluded from being a party in

the proceedings before the Court, but the Court cannot stricti juris even
have any dealings with such a State in the judicial, as opposed to admin-
istrative, sphere. The Court cannot have recourse to the exercise of the
power, vis-à-vis such a State, of determining its jurisdiction (compétence

de la compétence), nor can it indicate provisional measures of protection
or exercise any of the powers inherent in the judicial function.
Consequently actions of the Court, with the exception of those aimed
at establishing the jus standi of a State to a dispute are not legally

founded in the law of the Court. It could not even be said of any such
actions that they had been taken ultra vires, because the effect of ultra
vires implies a measure of judicial vires which the Court, has exceeded in
the concrete case, but rather the legally non-existent, factual actions had

been taken sine vires.
Accordingly, the absence of jus standi would be a reason for the abso-
lute nullity of Court actions purporting to be judicial in nature.

3.1. Legal force of the jus standi rule

32. Article 35, paragraph 1, of the Statute is of a constitutional nature,
an integral part of the public order established by the Charter of the
United Nations. As such, together with other provisions of the Statute of
such a nature, it represents a jus cogens , incapable of any modification

even by the Court itself. Therefore,

“The function of the Court to enquire into the matter and reach
its own conclusion is thus mandatory upon the Court irrespective of
the consent of the parties and is in no way incompatible with the
principle that the jurisdiction of the Court depends on consent.”

(Legality of Use of Force (Serbia and Montenegro v. Netherlands),

21G. Schwarzenberger, “International Law as Applied by International Courts and
Tribunals”, Vol. IV, International Judicial Law , 1986, pp. 434-435: R. Kolb, Théorie du
jus cogens international, Essai de relecture du concept , 2001, pp. 344-348; Fachiri, The
Permanent Court of International Justice , 1932, p. 63.

439 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KRECu ) 478

ment juridictionnel pertinent en vigueur entre les parties au différend ne

signifie pas que lesdites parties ont qualité pour ester devant la Cour.
31. Par rapport à la question de la compétence, celle du jus standi est
par nature antérieure puisque c’est une condition préalable à l’établisse-
ment de la compétence de la Cour dans le cas d’espèce. Si un Etat (ou

plusieurs Etats) partie au différend n’a pas qualité pour agir, la Cour ne
peut juridiquement établir sa compétence, car «seuls les Etats auxquels la
Cour est ouverte peuvent lui conférer compétence» (Licéité de l’emploi de
la force (Serbie-et-Monténégro c. Pays-Bas), exceptions préliminaires,

arrêt, C.I.J. Recueil 2004 , p. 1030, par. 45). En outre, dans une telle
hypothèse, la Cour ne serait pas autorisée à examiner la question de sa
compétence ni à entreprendre un quelconque acte relatif au fond.
Non seulement un Etat dépourvu de jus standi ne peut être partie à une

procédure devant la Cour, mais encore celle-ci ne saurait stricti juris exer-
cer une quelconque action judiciaire — par opposition aux actions admi-
nistratives — à l’égard de cet Etat. La Cour ne saurait exercer, vis-à-vis
dudit Etat, le pouvoir qu’elle a d’établir si elle a compétence («compé-

tence de la compétence»), ni indiquer des mesures conservatoires, ni exer-
cer l’un quelconque des pouvoirs inhérents à sa fonction judiciaire.
Dès lors, les actes qu’accomplirait la Cour, à l’exception de ceux qui
visent à établir le jus standi d’un Etat à un différend, seraient non fondés

au regard du droit qu’elle applique. L’on ne saurait même pas dire de
pareils actes qu’ils ont été accomplis ultra vires, parce que l’effet d’un
acte ultra vires implique une appréciation du pouvoir judiciaire à l’égard
duquel la Cour commet un excès dans un cas concret; il s’agit plutôt d’un

sine vires puisqu’il s’agit d’actes factuels inexistants au regard du droit.
En conséquence, l’absence du jus standi entraînerait la nullité absolue
des décisions de la Cour censées revêtir une nature judiciaire.

3.1. La force juridique de la règle du jus standi

32. Le paragraphe 1 de l’article 35 du Statut est de caractère constitu-
tionnel et fait partie intégrante de l’ordre public établi par la Charte des
Nations Unies. En tant que telle, et considérée avec d’autres dispositions
du Statut de même nature, cette disposition représente un jus cogens , 21

qui n’est susceptible d’aucune modification, fût-ce par la Cour elle-même.
Par conséquent,

«la Cour se doit ... d’examiner la question pour tirer ses propres
conclusions indépendamment du consentement des parties, ce qui
n’est en aucun cas incompatible avec le principe selon lequel la
compétence de la Cour est subordonnée [au] consentement»

(Licéité de l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c. Pays-

21G. Schwarzenberger, «International Law as Applied by International Courts and
Tribunals», vol. IV, International Judicial Law , 1986, p. 434-435; R. Kolb, Théorie du jus
cogens international, Essai de relecture du concept , 2001, p. 344-348; Fachiri, The Per-
manent Court of International Justice , 1932, p. 63.

439479 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP. OP. KREuA )

Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 2004 , p. 1027,

para. 35.)

Article 35 of the Statute provides:

“(1) The Court shall be open to the States parties to the present
Statute.
(2) The conditions under which the Court shall be open to other
States shall, subject to the special provisions contained in treaties in
force, be laid down by the Security Council, but in no case shall such

conditions place the parties in a position of inequality before the
Court.” (Emphasis added.)

The imperative form of the provisions of Article 35, paragraphs 1 and
2, of the Statute carries with it a dual — permissive and prohibitive —
meaning.
On the one hand, the provisions authorize a party to the Statute — and
a State not party to the Statute, on the condition that it accept the gen-

eral jurisdiction of the Court in conformity with Security Council resolu-
tion 9 (1946) — to gain access to the Court. On the other, they prohibit
access to the Court by a non-party to the Statute which has not accepted
the general jurisdiction of the Court pursuant to Security Council resolu-
tion 9 (1946).

The combined effects of Article 35, paragraphs 1 and 2, of the Statute
together with Article 34, paragraph 1, of the Statute express the limited
nature of the right to judicial protection before the International Court
of Justice.
The limited right to judicial protection before the International Court

of Justice is part of the public order of the Organization of the United
Nations, whose principal judicial organ is the Court. In Article 93 (1) and
(2) the Charter provides:

“(1) All Members of the United Nations are ipso facto parties to
the Statute of the International Court of Justice.
(2) A State which is not a Member of the United Nations may

become a party to the Statute of the International Court of Justice
on conditions to be determined in each case by the General Assem-
bly upon the recommendation of the Security Council.”

This should be read in conjunction with Articles 34 (1) and 35 (1) and (2)
of the Statute of the Court, which is itself “an integral part of the present
Charter” (Art. 92 of the Charter).

As such, paragraphs 1 and 2 of Article 35 of the Statute are mandatory
and the Court is bound to apply them ex officio. In respect
of the temporal element in the application of the rules, given the
antecedent nature of jus standi, the Court is under an obligation to
establish the jus standi of the parties to the dispute before any

proceedings whatsoever, and to take account of it throughout the
entire proceedings. For instance, it is possible that a party in the

440 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KREuA ) 479

Bas), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2004 , p. 1027,

par. 35).

L’article 35 du Statut dispose:

«1) La Cour est ouverte aux Etats parties au présent Statut.

2) Les conditions auxquelles elle est ouverte aux autres Etats
sont, sous réserve des dispositions particulières des traités en vigueur,
réglées par le Conseil de sécurité, et, dans tous les cas, sans qu’il

puisse en résulter pour les parties aucune inégalité devant la Cour.»
(Les italiques sont de moi.)

La forme impérative des paragraphes 1 et 2 de l’article 35 du Statut
revêt un double sens, permissif et prohibitif.

D’une part, ces dispositions autorisent une partie au Statut, et un Etat
non partie au Statut — à condition que celui-ci accepte la juridiction

générale de la Cour conformément à la résolution 9 (1946) du Conseil de
sécurité —, à avoir accès à la Cour. Et, d’autre part, elles interdisent
l’accès à la Cour à un Etat non partie au Statut qui n’a pas accepté la
juridiction générale de la Cour conformément à la résolution 9 (1946) du
Conseil de sécurité.

Les effets combinés des paragraphes 1 et 2 de l’article 35 du Statut, lus
conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 34 du Statut, traduisent le
caractère limité du droit à la protection judiciaire devant la Cour inter-
nationale de Justice.
Ce droit limité fait partie de l’ordre public de l’Organisation des

Nations Unies dont la Cour est le principal organe judiciaire. Aux para-
graphes 1 et 2 de l’article 93, la Charte des Nations Unies dispose:

«1. Tous les Membres des Nations Unies sont ipso facto parties
au Statut de la Cour internationale de Justice.
2. Les conditions dans lesquelles les Etats qui ne sont pas

Membres de l’Organisation peuvent devenir parties au Statut de la
Cour internationale de Justice sont déterminées, dans chaque cas,
par l’Assemblée générale sur recommandation du Conseil de sécurité.»

Cet article doit être lu avec le paragraphe 1 de l’article 34 et les para-
graphes 1 et 2 de l’article 35 du Statut de la Cour, lequel est annexé «à
la présente Charte dont il fait partie intégrante» (article 92 de la Charte).

En tant que telles, les dispositions énoncées aux paragraphes 1 et 2 de
l’article 35 du Statut sont de nature obligatoire et la Cour est tenue de les
appliquer ex officio. En ce qui concerne l’élément temporel de l’applica-
tion de ces règles, compte tenu du caractère préalable de la question du
jus standi, la Cour est tenue d’établir la qualité pour agir des parties au

différend avant d’effectuer le moindre acte de procédure et d’en tenir
compte tout au long de l’instance. Il peut, par exemple, arriver qu’une

440480 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION SEP .OP. KRECu )

case before the Court ceases to exist as a State in the course of the

proceedings.
33. A proper pattern of ex lege reasoning of the Court, in the other-
wise modest jurisprudence of the Court relating to jus standi, is offered
by the Judgment in the Fisheries Jurisdiction (Federal Republic of Ger-
many v. Iceland) case:

“the Minister for Foreign Affairs of Iceland seemed to suggest that
the timing of the declaration of the Federal Republic of Germany of
29 October 1971, deposited with the Registrar on 22 November
1971, may have had some effect on the binding force of the agree-

ment contained in the Exchange of Notes of 19 July 1961 or on the
right of access to the Court of the Federal Republic of Germany .As
to the first point, it is clear that the binding force of the agreement
between the two Governments, which is to be examined in the

present Judgment, bears no relation to the date on which the declara-
tion required by the Security Council resolution of 15 October 1946
was deposited with the Registrar: the former is designed to establish
the jurisdiction of the Court over a particular kind of dispute; the
latter provides for access to the Court of States which are not parties

to the Statue. As to the second point (i.e., the question of the Federal
Republic’s right of access to the Court), according to the Security
Council resolution, a declaration, which may be either particular or
general, must be filed by the State which is not a party to the Statute,
previously to its appearance before the Court. This was done .” (Juris-

diction of the Court, Judgment, I.C.J. Reports 1973 , p. 53, para. 11;
emphasis added.)

The pattern was followed by the Court in the Legality of Use of Force

cases as well:

“the question whether Serbia and Montenegro was or was not a
party to the Statute of the Court at the time of the institution of the
present proceedings is fundamental; for if it were not such a party,

the Court would not be open to it under Article 35, paragraph 1, of
the Statute. In that situation , subject to any application of para-
graph 2 of that Article, Serbia and Montenegro could not have prop-
erly seised the Court, whatever title of jurisdiction it might have
invoked, for the simple reason that Serbia and Montenegro did not

have the right to appear before the Court .
The Court can exercise its judicial function only in respect of
those States which have access to it under Article 35 of the Statute.
And only those States which have access to the Court can confer
jurisdiction upon it.” (Legality of Use of Force (Serbia and Mon-

tenegro v. Belgium), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J.
Reports 2004, p. 299, para. 46; emphasis added.)

441 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KRECu ) 480

partie à l’affaire dont connaît la Cour cesse d’exister en tant qu’Etat au

cours de la procédure.
33. Le raisonnement ex lege de la Cour, dans la jurisprudence plutôt
modeste de celle-ci en matière de jus standi, apparaît dans l’arrêt qu’elle a
rendu dans l’affaire de la Compétence en matière de pêcheries (Répu-
blique fédérale d’Allemagne c. Islande) :

«[p]ar cette mention, le ministre des Affaires étrangères d’Islande
paraît laisser entendre que le moment auquel a été faite la déclara-
tion de la République fédérale d’Allemagne du 29 octobre 1971,
déposée au Greffe le 22 novembre 1971, n’est peut-être pas sans effet

sur la force obligatoire de l’accord constitué par l’échange de notes
du 19 juillet 1961 ou sur le droit de la République fédérale d’Alle-
magne d’ester devant la Cour. En ce qui concerne le premier point, il
est clair que la force obligatoire de l’accord conclu entre les deux

gouvernements, qui sera examinée dans le présent arrêt, n’a aucun
rapport avec la date à laquelle la déclaration requise par la résolution
du Conseil de sécurité du 15 octobre 1946 a été déposée au Greffe:
l’accord a pour but d’établir la compétence de la Cour à l’égard d’une
catégorie particulière de différends; la déclaration concerne l’accès à

la Cour d’Etats qui ne sont pas parties au Statut. Pour ce qui est du
second point, à savoir la question du droit de la République fédérale
d’ester devant la Cour, on doit noter qu’en application de la résolu-
tion du Conseil de sécurité tout Etat qui n’est pas partie au Statut
doit déposer une déclaration, laquelle peut avoir soit un caractère

particulier soit un caractère général, avant d’ester devant la Cour.
Cela a été fait. »( Compétence de la Cour, arrêt, C.I.J. Recueil 1973 ,
p. 53, par. 11; les italiques sont de moi.)

Le même raisonnement a été suivi par la Cour dans les affaires relatives

àlaLicéité de l’emploi de la force :

«[l]a question de savoir si la Serbie-et-Monténégro était ou non par-
tie au Statut de la Cour à l’époque de l’introduction des présentes
instances est une question fondamentale; en effet, si elle n’avait pas

été partie au Statut, la Cour ne lui aurait pas été ouverte en vertu du
paragraphe 1 de l’article 35 du Statut . En pareille situation, et sous
réserve d’une possible application du paragraphe 2 dudit article, la
Serbie-et-Monténégro n’aurait pu saisir la Cour de manière valable,
quel que soit le titre de compétence qu’elle puisse invoquer, pour la

simple raison qu’elle n’avait pas le droit d’ester devant la Cour .
La Cour ne peut exercer sa fonction judiciaire qu’à l’égard des
seuls Etats auxquels elle est ouverte en vertu de l’article 35 du Statut.
Et seuls les Etats auxquels la Cour est ouverte peuvent lui conférer
compétence.» (Licéité de l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro

c. Belgique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2004 ,
p. 299, par. 46; les italiques sont de moi.)

441481 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP.OP .KRECu )

3.2. Differentia specifica between jus standi and jurisdiction of the

Court ratione personae

34. Both notions — jus standi and jurisdiction ratione personae —
share the characteristic of belonging to the corpus of processual condi-
tions necessary for the validity of proceedings — whether incidental or

on the merits — before the Court and with respect to the reference of
disputes to the Court for decision. They also share the attribute of being
absolute processual conditions that must be satisfied in every case and
both are positive requirements in that, if they are not satisfied, the Court
cannot entertain the claims made.

35. The differences between them, however, are considerably greater,
making them distinct processual conditions. Primo, they reflect the dif-
ferent aspects of the legal nature of the Court. While jurisdiction ratione
personae, as one of the relevant aspects of jurisdiction, expresses the con-

sensual nature of the Court’s jurisdiction, jus standi derives from the fact
that the International Court of Justice, in contrast to arbitration courts,
is not a fully open court of law. Access to the Court is limited in two
respects on the basis of Articles 34, paragraph 1, and Article 35, para-
graphs 1 and 2, of the Statute of the Court. Tertio, although both juris-

diction ratione personae and jus standi are regulated by the rules of the
Statute having an objective, constitutional character, there exists a fun-
damental difference in the application of these rules. The rules of the
Statute which concern jus standi are applied by the Court ex lege, while
the corresponding rules concerning jurisdiction ratione personae are

applied on the basis of the consent of the States to the dispute. In its
Judgments in the Legality of Use of Force cases, the Court stated, inter
alia, that

“a question of jurisdiction . . . relates to the consent of a party and
the question of the right of a party to appear before the Court under
the requirements of the Statute, which is not a matter of consent”

(Serbia and Montenegro v. Netherlands, Preliminary Objections,
Judgment, I.C.J. Reports 2004 , p. 1026, para. 35).

Therefore, it can be said that in substance the jurisdiction of the Court is
governed by the law in force between the parties, while jus standi is gov-
erned by objective rules of the Statute as such.

Quatro, the differing natures of jus standi, on the one hand, and
jurisdiction ratione personae, on the other, generate corresponding
legal consequences in the proceedings. A lack of jus standi
possesses an automatic effect, since, as a rule, it cannot be over-
come in the proceedings before the Court, while a lack of juris-

diction ratione personae is surmountable as the parties may either
confer jurisdiction upon the Court in the course of the proceedings

442 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KREuA ) 481

3.2. Differentia specifica entre jus standi et compétence de la Cour

ratione personae

34. Les deux notions, celle de jus standi et celle de compétence ratione
personae, ont pour caractéristique commune d’appartenir au corpus des
conditions requises aux fins de la validité d’une procédure — qu’elle soit

incidente ou sur le fond — devant la Cour, et de la possibilité de sou-
mettre un différend à la Cour pour qu’elle le tranche. Elles ont également
en commun d’être des conditions processuelles absolues qui doivent exis-
ter dans chaque cas particulier et d’être des conditions positives, en ce
sens que, s’il n’y est pas satisfait, la Cour ne peut connaître de demandes

formulées.
35. Les différences qui existent entre elles sont, toutefois, beaucoup
plus importantes et ce sont ces différences qui font d’elles des conditions
processuelles distinctes. Premièrement, elles reflètent les différents aspects
de la nature juridique de la Cour. Alors que la compétence ratione per-

sonae, qui est l’un des aspects pertinents de la compétence, exprime la
nature consensuelle de la juridiction de la Cour, le jus standi découle du
fait que la Cour internationale de Justice, contrairement aux tribunaux
arbitraux, n’est pas une juridiction totalement ouverte. L’accès à la Cour
est limité à deux égards sur le fondement du paragraphe 1 de l’article 34

et des paragraphes 1 et 2 de l’article 35 de son Statut. Troisièmement,
bien que la compétence ratione personae et le jus standi soient régis par
les règles du Statut ayant un caractère objectif et constitutionnel, il existe
une différence fondamentale dans l’application desdites règles. Les règles
du Statut qui ont trait au jus standi sont appliquées par la Cour ex lege,

alors que les règles correspondantes qui ont trait à la compétence ratione
personae sont appliquées sur la base du consentement des Etats parties au
différend. Dans l’arrêt qu’elle a rendu en les affaires relatives à la Licéité
de l’emploi de la force, la Cour a notamment indiqué que

«une question de compétence [est] liée au consentement d’une partie
et [que] celle du droit d’une partie à ester devant la Cour conformé-
ment aux prescriptions du Statut ... n’implique pas un tel consente-

ment» (Licéité de l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c.
Pays-Bas), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2004 ,
p. 1026, par. 35).

Dès lors, l’on peut dire, en substance, que la compétence de la Cour est
régie par le droit en vigueur entre les parties, tandis que le jus standi est
régi par les règles objectives du Statut en tant que tel.

Quatrièmement, la différence de nature existant entre le jus standi,
d’une part, et la compétence ratione personae, de l’autre, s’exprime, en
cours de procédure, dans les conséquences juridiques correspondant à
chacune de ces notions. Le défaut de jus standi produit un effet automa-
tique étant donné qu’il ne saurait, en principe, être surmonté au cours

d’une procédure devant la Cour, alors que le défaut de compétence
ratione personae peut, quant à lui, l’être puisque les parties peuvent

442482 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP.OP .KRECu )

or perfect it — for instance, by express agreement or by forum

prorogatum.
As a consequence, in contrast to a lack of jus standi, the absence of
jurisdiction ratione personae does not preclude valid seisin of the Court.

Quinto, the competence or special jurisdiction in the particular case of

the International Court of Justice, as a semi-open court of law with juris-
diction based on consent of the parties to a dispute, implies twofold con-
sent by States:

(a) consent that the Court is “an organ instituted for the purpose jus
dicere”( Corfu Channel, Preliminary Objection, Judgment, 1948 ,

I.C.J. Reports 1947-1948 , dissenting opinion of Judge Daxner,
p. 39). This consent is expressed indirectly, through membership of
the United Nations, or directly, in the case of a non-Member of the
United Nations either by adhering to the Statute of the Court or by
accepting the general jurisdiction of the Court in conformity with

Security Council resolution 9 (1946), as a preliminary condition;
and
(b) consent that the Court is competent to deal with the particular dis-
pute or type of dispute which is given through relevant jurisdictional
bases under Article 36 of the Statute, as a substantive but qualified

condition.
As the Court stated in the Nottebohm case: “under the system of the

Statute the seisin of the Court by means of an Application is not ipso
facto open to all States parties to the Statute, it is only open to the extent
defined in the applicable Declarations” (Nottebohm (Liechtenstein v.
Guatemala), Preliminary Objection, Judgment, I.C.J. Reports 1953 ,
p. 122). The principle was further elaborated by the Court in the Legality

of the Use of Force case:
“Whereas the Court, under its Statute, does not automatically

have jurisdiction over legal disputes between States parties to that
Statute or between other States to whom access to the Court has
been granted . . . whereas the Court can therefore exercise jurisdic-
tion only between States parties to a dispute who not only have
access to the Court but also have accepted the jurisdiction of the

Court, either in general form or for the individual dispute con-
cerned.” (Provisional Measures, Order of 2 June 1999, I.C.J. Reports
1999 (I), pp. 549-550, para. 20; emphasis added.)

36. In the application of the two autonomous rules — jurisdiction
ratione personae and jus standi — with their own objects and effects, the
latter possesses logical and normative priority. Jus standi, as an expres-

sion of the right to judicial protection is antecedent in nature, is a pre-
liminary question which “should be taken in advance of any question of

443 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KRECu ) 482

conférer compétence à la Cour lors de la procédure ou parfaire celle-ci

(par exemple par un accord exprès ou par forum prorogatum).
Dès lors, le défaut de compétence ratione personae, contrairement au
défaut de jus standi, ne fait pas obstacle à la validité de la saisine de la
Cour.
Cinquièmement, la compétence ou compétence spéciale en une affaire

donnée de la Cour internationale de Justice, en tant que juridiction semi-
ouverte dotée d’une compétence fondée sur le consentement des parties à
un différend, implique un consentement double de la part des Etats.
Ceux-ci

a) consentent à reconnaître la Cour en tant qu’«organe institué pour
«dire le droit»» (affaire du Détroit de Corfou, exception préliminaire,

arrêt, 1948, C.I.J. Recueil 1947-1948 , opinion dissidente du juge
Daxner, p. 39). Ce consentement est exprimé de manière indirecte,
par l’adhésion aux Nations Unies en tant qu’Etat Membre, ou directe,
pour ce qui concerne les Etats non membres des Nations Unies, soit
par l’adhésion au Statut de la Cour, soit par l’acceptation de la juri-

diction générale de la Cour conformément à la résolution 9 (1946) du
Conseil de sécurité, comme condition préalable; et
b) consentent à reconnaître que la Cour est compétente pour connaître
d’un différend particulier ou d’un type de différend donné et ce, sur le
fondement des bases de compétence pertinentes de l’article 36 du Sta-

tut, comme condition de fond éventuellement assortie de réserves.
Comme la Cour l’a dit dans l’affaire Nottebohm : «la saisine de la Cour

par voie de requête, dans le système du Statut, n’est pas ouverte de plein
droit à tout Etat partie au Statut, elle n’est ouverte que dans la mesure
définie par les déclarations applicables» (Nottebohm (Liechtenstein
c. Guatemala), exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1953 , p. 122).
Elle a ensuite développé ce principe dans les affaires relatives à la Licéité

de l’emploi de la force comme suit:
«Considérant qu’en vertu de son Statut la Cour n’a pas automa-

tiquement compétence pour connaître des différends juridiques entre
les Etats parties audit Statut ou entre les autres Etats qui ont été
admis à ester devant elle ... que la Cour ne peut donc exercer sa com-
pétence à l’égard d’Etats parties à un différend que si ces derniers ont
non seulement accès à la Cour mais ont en outre accepté sa compé-

tence, soit d’une manière générale, soit pour le différend particulier
dont il s’agit.» (Mesures conservatoires, ordonnance du 2 juin 1999,
C.I.J. Recueil 1999 (I), p. 549-550, par. 20; les italiques sont de
moi.)

36. Dans l’application des deux règles autonomes que sont la compé-
tence ratione personae et le jus standi — chacune ayant son objet et ses
effets propres —, la seconde a une priorité logique et normative. Le jus

standi, parce qu’il exprime le droit à la protection judiciaire, revêt un
caractère préalable et constitue une question préliminaire qui doit être

443483 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION SEP .OP. KRECu )

competence” (Northern Cameroons (Cameroons v. United Kingdom),
Preliminary Objections, I.C.J. Reports 1963 , separate opinion of Sir
G. Fitzmaurice, p. 105; emphasis in the original). For

“The Court can exercise its judicial function only in respect of
those States which have access to it under Article 35 of the Statute.

And only those States which have access to the Court can confer
jurisdiction upon it.” (Legality of Use of Force (Serbia and Mon-
tenegro v. Netherlands), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J.
Reports 2004, p. 1030, para. 45.)

4. Assessment of the Respondent’s jus standi by the majority

37. The majority assessment of the Respondent’s jus standi is some-

what confused and significantly self-contradictory, mostly because it
seeks to reconcile the irreconcilable.
As regards the nature of jus standi, i.e., whether or not it is an autono-
mous processual requirement, the position of the majority is that it “may
be regarded as an issue prior to that of jurisdiction ratione personae,or

as one constitutive element within the concept of jurisdiction ratione per-
sonae” (Judgment, para. 102).
The finding could be considered correct if it related to the terminology
used in relation to these two notions, but not in the present context.

If, as pointed out, jus standi, in contrast to jurisdictional issues, “is not
a matter of the consent of the parties” (ibid.), then obviously the latter
understanding does not apply. Like any other processual requirement, jus
standi cannot simultaneously be based on the consent of the parties and

on the requirements of the Statute, which is not a matter of consent, as
stated in the Judgment in the Legality of Use of Force (Serbia and Mon-
tenegro v. Belgium) (Judgment, I.C.J. Reports 2004 , p. 295, para. 36) to
which reference is made.

After all, in further reasoning the Judgment determines jus standi in
negative terms as a distinct condition by saying that “the capacity to
appear before the Court . . . was an element in the reasoning of the 1996
Judgment, which can — and indeed must — be read into the Judgment as
a matter of logical construction ” (Judgment, para. 135; emphasis added).

If jus standi is indeed an element of jurisdiction ratione personae, then
there is probably no need for any “logical construction” on the basis of
which jus standi, although unstated, should be read into the judgment. It
appears, however, that the legal situation is a different one. As the Court

stated in the South West Africa cases:

“It is a universal and necessary, but yet almost elementary princi-

444 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KRECu ) 483

«examinée préalablement à toute question de compétence» (affaire du

Cameroun septentrional (Cameroun c. Royaume-Uni), exceptions préli-
minaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1963 , opinion individuelle de sir G. Fitz-
maurice, p. 105; les italiques sont dans l’original), étant donné que

«[l]a Cour ne peut exercer sa fonction judiciaire qu’à l’égard des
seuls Etats auxquels elle est ouverte en vertu de l’article 35 du Statut.
Et seuls les Etats auxquels la Cour est ouverte peuvent lui conférer
compétence.» (Licéité de l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro

c. Pays-Bas), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2004,
p. 1030, par. 45.)

4. Appréciation, par la majorité, de la qualité pour agir du défendeur
(jus standi)

37. La manière dont la majorité analyse la qualité pour agir du défen-
deur est assez confuse et nettement contradictoire, principalement parce
qu’elle cherche à concilier l’inconciliable.

En ce qui concerne la nature du jus standi, c’est-à-dire la question de
savoir si celui-ci est ou non une obligation processuelle autonome, la
majorité a adopté pour position que ce pouvait être «une question préa-
lable à celle de la compétence ratione personae, ou ... un élément consti-
tutif de la compétence ratione personae » (arrêt, par. 102).

Cette conclusion pourrait être considérée comme exacte si elle était en
rapport avec la terminologie utilisée pour les deux notions en question,
mais non dans le contexte dont il s’agit.
Si, comme nous l’avons indiqué, pour ce qui concerne le jus standi,
contrairement aux questions juridictionnelles, «ce n’est pas du consente-

ment des parties qu’il s’agit» (ibid.), alors il est manifeste que le second
élément ne joue pas. Comme toute autre obligation processuelle, le jus
standi ne peut pas reposer à la fois sur le consentement des parties et sur
les dispositions du Statut, qui ne relèvent pas du consentement, comme
cela a été précisé dans l’arrêt susmentionné rendu dans les affaires rela-

tives à la Licéité de l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c. Bel-
gique) (C.I.J. Recueil 2004, arrêt , p. 295, par. 36).
Après tout, poursuivant le raisonnement, l’arrêt définit le jus standi de
manière négative, comme une condition distincte, en disant que «la capa-
cité de se présenter devant la Cour ... constitue un élément du raisonne-

ment suivi dans l’arrêt de 1996, qui peut — et même doit — en toute
logique être sous-entendu dans celui-ci » (arrêt, par. 135; les italiques sont
de moi). Si le jus standi est effectivement un élément de la compétence
ratione personae, il n’est alors probablement pas nécessaire de chercher la
moindre «construction logique» permettant de constater dans l’arrêt sa

présence, bien qu’il ne soit pas expressément mentionné. Il semble toute-
fois que la situation juridique soit différente. Comme la Cour l’a dit dans
les affaires du Sud-Ouest africain :

«C’est un principe universel, nécessaire et cependant presque élé-

444484 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP.OP .KRECu )

ple of procedural law that a distinction has to be made between . . .

the right to activate a court and the right of a court to examine the
merits of the claim.” (South West Africa, Second Phase, Judgment,
I.C.J. Reports 1966, p. 39, para. 64; Fisheries Jurisdiction, (United
Kingdom v. Iceland), Jurisdiction of the Court, Judgment, I.C.J.
Reports 1973, p. 53, para. 11.)

Jus standi can be perceived as an element of jurisdiction ratione per-
sonae only if in a descriptive sense or if jurisdiction ratione personae is
understood lato sensu to comprise different legal concepts set out in Arti-
cles 35 and 36 of the Statute.

38. In casu, the relevant issue is not jurisdiction ratione personae, but
the issue of the right of Serbia to appear before the Court. The petitum
non-preliminary objection of Serbia is its jus standi and not jurisdiction
ratione personae, and causa petendi is Article 35 of the Statute and not its

Article 36. In that sense, the finding of the Court in Asylum case seems
applicable. In the said case, the Court, inter alia, found:

“the question of the surrender of the refugee was not decided by the

Judgment of November 20th. This question is new . . . There is con-
sequently no res judicata upon the question of surrender.” (I.C.J.
Reports 1951, p. 80.)

It is true that the Respondent, while invoking the lack of jus standi on its

part, uses also the expression “jurisdiction ratione personae”. But, that
fact can hardly be excusable for the Court because involved here is a
questio juris which falls within the ambit of the rule of jura novit curia.
39. The Judgment correctly recognizes that the capacity of the Federal
Republic of Yugoslavia to appear before the Court in accordance with

the Statute “was unstated” in the 1996 Judgment, that is, that “[n]othing
was stated in the 1996 Judgment about . . . whether it [Federal Republic
of Yugoslavia] could participate in proceedings before the Court . . .”
(Judgment, para. 122). The matter is clearly self-evident.
And it is self-evident not only as regards the dispositif of the Judgment,

at that. The reasons in point of law which served as the basis for the dis-
positif of the Judgment are basically limited to the question whether the
parties to the dispute could have been considered parties to the Genocide
Convention (1996 Judgment, paras. 17-20), and to such related issues as
automatic succession in relation to certain types of international treaties

and conventions (ibid., paras. 21, 23), the nature of the Genocide Con-
vention (ibid., para. 22) and the effect of non-recognition of the contrac-
tual nexus between parties to a multilateral treaty (ibid., paras. 25, 26).

Ergo, the evidence appears to be incontrovertible: the Court’s

Judgment of 11 July 1996 did not, either in the dispositif or in
the principles underlying it, touch upon, let alone decide, the issue

445 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND .KRECu ) 484

mentaire du droit de la procédure qu’il faut distinguer entre ... le

droit de saisir un tribunal et le droit du tribunal de connaître du
fond de la demande.» (Sud-Ouest africain, deuxième phase, arrêt,
C.I.J. Recueil 1966, p. 39, par. 64; Compétence en matière de pêche-
ries (Royaume-Uni c. Islande), compétence de la Cour, arrêt,
C.I.J. Recueil 1973, p. 53, par. 11.)

Le jus standi ne peut être conçu comme un élément de la compétence
ratione personae qu’au sens descriptif ou si la compétence ratione perso-
nae est considérée lato sensu comme englobant différentes notions juri-
diques énoncées aux articles 35 et 36 du Statut.

38. En la présente espèce, le problème pertinent n’est pas celui de la
compétence ratione personae, mais celui du droit de la Serbie à ester
devant la Cour. L’exception non préliminaire soulevée par la Serbie a
trait à son jus standi et non à la compétence ratione personae,etla causa

petendi est l’article 35 du Statut et non son article 36. En ce sens, la
conclusion énoncée par la Cour dans l’affaire du Droit d’asile semble
devoir s’appliquer. Dans ladite affaire, la Cour a notamment dit ceci:

«l’arrêt du 20 novembre n’a pas statué sur la question de la remise

du réfugié. Cette question est nouvelle... Par conséquent, il n’y a pas
chose jugée en ce qui concerne la question de la remise.»
(C.I.J. Recueil 1951, p. 80.)

Il est exact que le défendeur, alors même qu’il invoque son défaut de jus

standi, utilise également l’expression «compétence ratione personae ».
Mais cela peut difficilement servir d’excuse à la Cour, car se pose ici une
questio juris qui relève de la règle jura novit curia.
39. L’arrêt reconnaît très justement que la capacité de la République
fédérale de Yougoslavie à ester devant la Cour en vertu du Statut n’avait

«donn[é] lieu à aucune observation» dans l’arrêt de 1996 et que «[r]ien
n’était dit dans l’arrêt de 1996 sur ... la question de [l]a capacité de [la
République fédérale de Yougoslavie] à participer à une procédure devant
la Cour...» (arrêt, par. 122). La question est manifestement évidente.
Et elle n’est pas seulement évidente en ce qui concerne le dispositif de

l’arrêt. Les motifs de droit sur lesquels le dispositif repose sont essentiel-
lement limités à la question de savoir si les parties au différend auraient
pu être considérées comme des parties à la convention sur le génocide
(arrêt de 1996, par. 17-20). Ils sont également limités à quelques ques-
tions connexes comme la succession automatique à l’égard de certains

types de traités et conventions internationaux (ibid., par. 21 et 23), à la
nature de la convention sur le génocide (ibid., par. 22) et à la non-
reconnaissance du nexus contractuel entre les parties à un traité multi-
latéral (ibid., par. 25-26).
Par conséquent, les éléments de preuve paraissent irréfutables: l’arrêt

de la Cour du 11 juillet 1996 n’a évoqué ni dans le dispositif ni dans
les principes sur lesquels il se fonde — et a encore moins tranché — la

445485 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP. OP. KREuA )

of the jus standi of the Federal Republic of Yugoslavia before the

Court.
Moreover, there is no trace in other components of the 1996 Judg-
ment — the headnote setting out the main issues discussed, the summary
of the proceedings, including the parties’ submissions — indicating that
the Court at least considered the issue.

However, the majority has not drawn the necessary consequences from
factum proprium. Regardless of possible differences in the perception of
the res judicata rule as regards its nature and effects, there remain the
classic intrinsic conditions for the application of the rule in casu. And it
is obvious, on the basis of the majority view itself, that one of the ele-

ments — identity of the question at issue eadem res — is lacking, which
automatically disqualifies the rule from application in relation to the
1996 Judgment.

40. The judgment has been construed by inference, which, combined
with a peculiar perception of the res judicata rule, is supposed to avert
the necessary consequences of the Respondent’s lack of jus standi in the
present case.
The main elements of the reasoning come down to the following:

The operative part of the 1996 Judgment saying that “on the basis of
Article IX of the Convention on the Prevention and Punishment of

the Crime of Genocide, [the Court] has jurisdiction to decide upon
the dispute”, being res judicata, established the jurisdiction of the Court
in casu

“with the full weight of the Court’s judicial authority. For a party to
assert today that, at the date the 1996 Judgment was given, the
Court had no power to give it, because one of the parties can now be
seen to have been unable to come before the Court is . . . to call in

question the force as res judicata of the operative clause of the Judg-
ment.” (Judgment, para. 123.)

The fact that the Court has given no consideration to, let alone decided
upon, the jus standi of the Respondent is of no significance, because it
must be considered

“by necessary implication, to mean that the Court at that time per-
ceived the Respondent as being in a position to participate in cases
before the Court. On that basis, it proceeded to make a finding on

jurisdiction which would have the force of res judicata.” (Judgment,
para. 132.)

The reasoning arising by “necessary implication” continues, so that

“the express finding in the 1996 Judgment that the Court had juris-
diction in the case ratione materiae, ...iafinigwihiol

446 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND .KRECu ) 485

question de la qualité de la République fédérale de Yougoslavie à ester

devant la Cour.
En outre, rien dans les autres composantes de l’arrêt de 1996 — le som-
maire exposant les principales questions examinées, le résumé de la pro-
cédure, y compris les conclusions des parties — n’indique que la Cour ait
ne serait-ce qu’examiné la question.

Quoi qu’il en soit, la majorité n’a pas tiré les conséquences qui s’impo-
sent du factum proprium. Indépendamment des différences qui peuvent
exister quant à la conception de la règle de la res judicata en ce qui
concerne sa nature et ses effets, il faut encore compter avec les conditions
intrinsèques classiques permettant l’application de la règle en la présente

espèce. Et il est manifeste, d’après ce qu’estime la majorité elle-même, que
l’un des éléments — l’identité de la question posée eadem res — fait
défaut, ce qui empêche automatiquement la règle de s’appliquer à l’arrêt
de 1996.

40. L’arrêt a été élaboré par déduction, ce qui, outre une conception
curieuse de la règle de la res judicata, est supposé éviter les conséquences
qui découlent nécessairement du défaut de jus standi du défendeur en
l’espèce.
Les principaux éléments du raisonnement sont les suivants:

Revêtant l’autorité de la chose jugée, le dispositif de l’arrêt de 1996,
aux termes duquel «[la Cour] a compétence, sur la base de l’article IX de

la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide,
pour statuer sur le différend», a établi la compétence de la Cour en
l’espèce.

«Cette compétence est donc établie avec toute l’autorité juridic-
tionnelle de la Cour. Qu’une partie affirme aujourd’hui que, à
l’époque où l’arrêt a été rendu, la Cour n’avait pas compétence
pour statuer au motif qu’il apparaîtrait à présent que l’une des

parties n’avait pas qualité pour se présenter devant elle revient ... à
remettre en cause la force de chose jugée du dispositif de l’arrêt.»
(Arrêt, par. 123.)

Le fait que la Cour n’ait pas examiné, et encore moins tranché, la ques-
tion du jus standi du défendeur est sans importance, parce qu’il faut

«nécessairement [l]’interpréter comme signifiant en toute logique que
la Cour estimait à l’époque que le défendeur avait qualité pour par-
ticiper à des affaires portées devant elle. Sur cette base, la Cour a

alors formulé une conclusion sur sa compétence avec l’autorité de la
chose jugée.» (Arrêt, par. 132.)

Le raisonnement découlant de cette «interprétation» se poursuit, de
sorte que

«la conclusion expresse énoncée dans l’arrêt de 1996 selon laquelle
[la Cour] avait compétence ratione materiae en l’espèce ... n’est

446486 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION SEP .OP. KRECu )

consistent, in law and logic, with the proposition that, in
relation to both Parties, it had jurisdiction ratione personae in its
comprehensive sense, that is to say, that the status of each of them
was such as to comply with the provisions of the Statute concerning

the capacity of States to be parties before the Court” (Judgment,
para. 133).

The “necessary implication” underlying the reasoning referred to above
is, in fact, an attempt to incorporate inferential judgment, or judgment by
implication, into the sphere of judicial reasoning.

Given the very concept of judgment, i.e., that “[n]othing was stated in
the 1996 Judgment about . . . whether it [the Federal Republic of Yugo-
slavia] could participate in proceedings before the Court . . .” (Judgment,
para. 122), the requirements relating to the content and structure of judg-
ments, as laid down in Article 56, paragraph 1, of the Statute and Arti-

cle 95, paragraph 1, of the Rules, the underlying legal considerations and,
even common sense, the interpretation of the Judgment by inference is, at
the very least, contradictio in adiecto . In particular, in relation to the
issue of jus standi, which can by no means be said to be dependent on,

or for that matter an aspect of, the issue of jurisdiction ratione
personae which was formally decided. It is not only a distinct and
autonomous issue but also one that determines objective limits of the
judicial power of the Court, legality of its actions in terms of objective
international law.

41. The wording of the Judgment suggests that the reason why the
Court did not consider and decide upon jus standi of the Respondent was

the position taken in that regard by Parties to the dispute, but particu-
larly the Respondent.

“Nothing was stated in the 1996 Judgment about . . . the question
whether it [the FRY] could participate in proceedings before the
Court; for . . . both Parties had chosen to refrain from asking for a
decision on these matters.” (Judgment, para. 122.)

The Respondent raised seven preliminary objections, but “[n]one of these

objections were however founded on a contention that the FRY was not
a party to the Statute at the relevant time; that was not a contention spe-
cifically advanced in the proceedings on the preliminary objections”
(Judgment, para. 106).

Owing to the nature of the issue of jurisdiction, the reason is not effec-
tive as an excuse and has no legal effect in the matter at hand.

42. In view of the fact that “the establishment or otherwise of jurisdic-
tion is not a matter for the parties but for the Court itself” (Fisheries

Jurisdiction (Spain v. Canada), Jurisdiction of the Court, Judgment,

447 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KRECu ) 486

conciliable, en droit et en toute logique, qu’avec l’idée que, à

l’égard des deux Parties, elle avait compétence ratione personae
au sens large — c’est-à-dire que la situation de l’une et de l’autre
était de nature à satisfaire aux conditions du Statut concernant
la capacité des Etats à se présenter devant la Cour» (arrêt,
par. 133).

Cette «interprétation» qui sous-tend le raisonnement exposé ci-dessus

constitue en réalité une tentative visant à faire entrer une décision de logi-
que, ou une décision obtenue par déduction, dans le domaine du raison-
nement judiciaire.
Vu la notion même d’arrêt, que «[r]ien n’était dit dans l’arrêt de 1996
sur ... la question de [l]a capacité de [la République fédérale de Yougo-

slavie] à participer à une procédure devant la Cour...» (arrêt, par. 122), et
compte tenu des dispositions relatives au contenu et à la structure des
arrêts, qui sont énoncées au paragraphe 1 de l’article 56 du Statut et au
paragraphe 1 de l’article 95 du Règlement, les considérations juridiques

sous-jacentes, voire le simple bon sens, l’interprétation de l’arrêt par la
seule logique est, à tout le moins, contradictio in adiecto. Cela vaut en
particulier pour ce qui concerne la question du jus standi dont on ne
peut en aucun cas dire qu’elle est tributaire de la question de la com-
pétence ratione personae — laquelle a été formellement tranchée —

ou bien qu’elle en est un simple aspect. Ce n’est pas seulement
une question distincte et autonome, c’est aussi une question qui
détermine les limites objectives du pouvoir judiciaire de la Cour,
c’est-à-dire la légalité de ses actes sur le plan du droit international
objectif.

41. Le libellé de l’arrêt donne à penser que la raison pour laquelle la
Cour n’a pas examiné et n’a pas tranché la question du jus standi du
défendeur tenait à la position adoptée à ce sujet par les parties au diffé-
rend, et tout particulièrement le défendeur.

«Rien n’était dit dans l’arrêt de 1996 sur ... la question de la capa-
cité [de la RFY] à participer à une procédure devant la Cour; ... les

deux Parties s’étaient abstenues de solliciter une décision sur ces
questions.» (Arrêt, par. 122.)

Le défendeur a soulevé sept exceptions préliminaires, mais «aucune de
ces exceptions ne reposait sur la thèse selon laquelle la RFY n’aurait pas
été partie au Statut au moment du dépôt de la requête; il ne s’agissait pas
là d’une thèse formulée expressément au stade des exceptions prélimi-

naires» (arrêt, par. 106).
Etant donné la nature de la question de la compétence, la raison invo-
quée n’est pas une excuse valable et n’a pas d’effet juridique à l’égard de
la question dont il s’agit.
42. Etant donné qu’«établir ou ne pas établir sa compétence n’est pas

une question qui relève des parties; elle est du ressort de la Cour elle-
même» (Compétence en matière de pêcheries (Espagne c. Canada), com-

447487 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP. OP. KRECu )

I.C.J. Reports 1998, p. 450, para. 37; also, separate opinion of Presi-
dent McNair in the jurisdiction phase of the case concerning Anglo-

Iranian Oil Co., in which he stated that “[a]n international tribunal
cannot regard a question of jurisdiction solely as a question inter partes”
(Preliminary Objection, Judgment, I.C.J. Reports 1952, p. 116)),
the dispute between the parties as to the jurisdiction in the prelimi-

nary objection phase is not a necessary condition for the Court to
address the issue of jurisdiction and, a fortiori, the issue of jus
standi.

Preliminary objections raised by a party are only a tool, a procedurally

designed weapon for the establishment of the jurisdiction of the Court,
suo nomine et suo vigore, for it is under an obligation to do so ex officio.
The legal significance of proceedings on preliminary objections was
defined by the Court in the case concerning Rights of Minorities in Upper

Silesia (Minority Schools) (hereinafter referred to as “Minority Schools”
as follows:

“the raising of an objection by one Party merely draws the attention
of the Court to an objection to the jurisdiction which it must ex offi-
cio consider”( Rights of Minorities in Upper Silesia (Minority
Schools), Judgment No. 12, 1928, P.C.I.J., Series A, No. 15 ,p.23;

emphasis added).
Or, as stated by the Court in the Genocide Convention case:

“[t]he Court must, in each case submitted to it, verify whether it has
jurisdiction to deal with the case, . . . [s]uch objections as are raised

by the Respondent may be useful to clarify the legal situation” (Pre-
liminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 1996 (II) , p. 622,
para. 46; emphasis added).

Accordingly, the establishment by the Court of its jurisdiction in casu
is not necessarily linked with the dispute as to jurisdiction. If the Court is

under a duty to verify its jurisdiction in each specific case whether or not
there is a preliminary objection as such, then the pleadings of the parties
in the proceedings are not a fortiori of decisive importance in that
respect. If, as Shabtai Rosenne, commenting on the case concerning

Monetary Gold Removed from Rome in 1943 (hereinafter referred to as
“Monetary Gold”) says:

“[t]he fact that an objection is made does not mean — in the eyes of
the Court — that the Court is being asked not to determine the mer-
its of the claim under any circumstances” , 22

22
Shabtai Rosenne, The Law and Practice of the International Court, 1920-1996 , 3rd
ed., Vol. II, Jurisdiction, 1997, p. 863.

448 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND .KRECu ) 487

pétence de la Cour, arrêt, C.I.J. Recueil 1998 , p. 450, par. 37; voir

également l’opinion individuelle de sir Arnold McNair dans la phase juri-
dictionnelle de l’affaire relative à l’Anglo-Iranian Oil Co., dans laquelle il
a déclaré qu’«[u]n tribunal international ne saurait considérer une

question de compétence comme une simple question inter partes »
(exception préliminaire, arrêt , C.I.J. Recueil 1952, p. 116)), l’existence
d’un désaccord entre les parties quant à la compétence au stade des
exceptions préliminaires n’est pas une condition nécessaire pour que

la Cour examine la question de sa compétence et, à fortiori, celle du
jus standi.
Les exceptions préliminaires soulevées par une partie ne sont qu’un
outil, un moyen conçu sur le plan procédural pour l’établissement de la

compétence de la Cour suo nomine et suo vigore, car la Cour a l’obli-
gation d’établir cette compétence ex officio. Le rôle juridique des pro-
cédures sur les exceptions préliminaires a été définie par la Cour dans
l’affaire relative aux Droits de minorités en Haute-Silésie (écoles minori-

taires) (ci-après dénommée «Ecoles minoritaires»):
«l’exception de la Partie ne fait qu’attirer l’attention du tribunal sur

une objection à la compétence qu’il doit examiner d’office »( Droits de
minorités en Haute-Silésie (écoles minoritaires), arrêt n o 12, 1928,
C.P.J.I. série A n 15, p. 23; les italiques sont de moi).

Ou bien, comme la Cour l’a dit dans l’affaire de la Convention sur le

génocide:
«[l]a Cour doit, dans chaque instance introduite devant elle, vérifier

si elle a compétence pour connaître de l’affaire et ... [les] exceptions
éventuellement soulevées par la partie défenderesse peuvent être
utiles pour clarifier la situation juridique» (exceptions préliminaires,
arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II) , p. 622, par. 46; les italiques sont de

moi).
Par conséquent, le fait que la Cour établisse sa compétence en l’espèce

n’est pas nécessairement lié au désaccord quant à sa compétence. Si la
Cour a l’obligation de vérifier qu’elle est bien compétente dans chaque
affaire dont elle connaît, qu’une exception préliminaire soit ou non sou-
levée à cet égard, les exposés des parties lors de la procédure n’ont pas, à

fortiori, une importance déterminante relativement à cette question. Si,
comme le précise Shabtai Rosenne dans un commentaire sur l’affaire de
l’Or monétaire pris à Rome en 1943 (ci-après dénommée «affaire de l’Or

monétaire »)
«le fait qu’une exception soit soulevée ne veut pas dire — aux

yeux de la Cour — qu’elle est priée de s’abstenir de statuer sur 22
le fond de la demande quelles que soient les circonstances» ,

22Shabtai Rosenne, The Law and Practice of the International Court, 1920-1996 ,
3eéd., vol. II, Jurisdiction, 1997, p. 863.

448488 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP. OP. KRECu )

then the contrary is equally valid, i.e., that the Court is being asked not

to determine the merits of the claim if an objection to the preliminary
objection is not made. Extensive practice of the Court to this effect has
been established.

The Court’s dictum in the case concerning the Appeal Relating to the
Jurisdiction of the ICAO Council (hereinafter referred to as “ICAO
Council”) may be taken as a synthesis of that practice: “[t]he Court must
however always be satisfied that it has jurisdiction, and must if necessary

go into that matter proprio motu”( Judgment, I.C.J. Reports 1972, p. 52,
para. 13).
This is also reflected in the opinions of judges. In the case concerning
Mavrommatis Palestine Concessions , Judge Moore in his dissenting

opinion stated that “even though the Parties be silent, the tribunal, if it
finds that competence is lacking, is bound of its own motion to dismiss
the case” (Judgment No. 2, 1924, P.C.I.J., Series A, No. 2 ,p.58);inthe
Minority Schools case, Judge Huber in his dissenting opinion found that

the Court “must ex officio ascertain on what legal foundation it is to base
its judgment upon the claims of the Parties” (Judgment No. 12, 1928,
P.C.I.J., Series A, No. 15 , p. 54); and in the case concerning the Free

Zones of Upper Savoy and the District of Gex , Judge Kellogg pointed
out in his observations attached to the Order of 6 December 1930
that it was not necessary that the question of jurisdiction be raised
by one of the parties, since “[i]t may and should be raised by the

Court on its own initiative, as was done in the Eastern Carelia
case” (Order of 6 December 1930, P.C.I.J., Series A, No. 24 ,
p. 43).
43. As a questio juris 23, the jurisdiction of the Court is within the

scope of the principle jura novit curia. In the case concerning Territorial
Jurisdiction of the International Commission of the River Oder (herein-
after referred to as “River Oder”) it was not until the oral proceedings
that the Polish Government contended that the Barcelona Convention

had not been ratified by Poland. The six Respondents asked the
Court to reject the Polish contention a limine, for having been sub-
mitted at such an advanced stage of the proceedings. The Court dismissed

the objection as untenable for “[t]he fact that Poland has not ratified
the Barcelona Convention not being contested, it is evident that the

23“The existence of jurisdiction of the Court in a given case is ... not a question of fact,
but a question of law to be resolved in the light of the relevant facts.” (Border and Trans-
border Armed Actions (Nicaragua v. Honduras), Jurisdiction and Admissibility, Judg-
ment, I.C.J. Reports 1988 , p. 76, para. 16.) The question of the Court’s jurisdiction is

“necessarily an antecedent and independent one — an objective question of law —
which cannot be governed by preclusive considerations capable of being so expressed
as to tell against either Party — or both Parties” (Appeal Relating to the Jurisdiction
of the ICAO Council, Judgment, I.C.J. Reports 1972 , p. 54, para. 16 (c)).

449 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND . KRECu ) 488

dans ce cas, le contraire est également vrai, c’est-à-dire que la Cour est

priée de ne pas statuer sur le fond de la demande si aucune exception à
l’exception préliminaire n’est soulevée. La pratique de la Cour est abon-
dante à cet égard.

Le prononcé de la Cour en l’affaire relative à l’Appel concernant la
compétence du Conseil de l’OACI (ci-après dénommée «affaire du Conseil
de l’OACI») peut être considéré comme une synthèse de cette pratique:

«[l]a Cour n’en doit pas moins toujours s’assurer de sa compétence et elle
doit, s’il y a lieu, l’examiner d’office» (arrêt, C.I.J. Recueil 1972 ,p.52,
par. 13).
Les opinions des juges confortent également cette pratique. Dans

l’affaire relative aux Concessions Mavrommatis en Palestine , le juge
Moore a, dans son opinion dissidente, déclaré que, «même dans le silence
des Parties, le tribunal est tenu de se dessaisir d’office s’il estime qu’il y a
o o
défaut de compétence» (arrêt n 2, 1924, C.P.J.I. série A n 2, p. 58);
dans l’affaire des Ecoles minoritaires, le juge Huber a, dans son opinion
dissidente, dit que la Cour «recherchera d’office quelle sera sa base juri-
o
dique pour se prononcer sur les demandes des Parties» (arrêt n 12, 1928,
C.P.J.I. série A n 15, p. 54); et dans l’affaire relative aux Zones franches
de la Haute-Savoie et du Pays de Gex , le juge Kellogg a indiqué, dans les

observations qu’il a jointes à l’ordonnance du 6 décembre 1930, qu’il
n’était pas indispensable que la question de la compétence soit
soulevée par l’une des parties, car «[e]lle peut et devrait être soulevée

par la Cour de sa propre initiative, ainsi qu’elle l’a fait dans l’affaire
de la Carélie orientale» (ordonnance du 6 décembre 1930, C.P.J.I.
série A n 24, p. 43).
23
43. En tant que questio juris , la compétence de la Cour s’inscrit dans
le cadre du principe jura novit curia. Dans l’affaire de la Juridiction ter-
ritoriale de la Commission internationale de l’Oder (ci-après dénommée
«affaire de l’Oder»), ce ne fut que lors de la procédure orale que le Gou-

vernement polonais prit pour thèse que la convention de Barcelone
n’avait pas été ratifiée par la Pologne. Les six défendeurs ont prié la
Cour d’écarter in limine la thèse polonaise, au motif qu’elle avait été

présentée à un stade très avancé de la procédure. La Cour a rejeté
l’exception qu’elle a jugée non valable parce que «[l]e fait que la
Pologne n’a pas ratifié la Convention de Barcelone n’étant pas contesté,

23«L’existence de la compétence de la Cour dans un cas particulier n’est... pas une
question de fait, mais une question de droit qui doit être tranchée à la lumière des faits
pertinents.» (Actions armées frontalières et transfrontalières (Nicaragua c. Honduras),
compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1988 , p. 76, par. 16.) La question de la
compétence de la Cour est

«une question nécessairement préalable et indépendante, c’est-à-dire une question de
droit objective, qui ne saurait être régie par des considérations de forclusion pouvant
être formulées de façon à jouer contre l’une des Parties ou contre les deux» (Appel
concernant la compétence du Conseil de l’OACI, arrêt, C.I.J. Recueil 1972 ,p.54,
par. 16 c)).

449489 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP. OP. KREuA )

matter is purely one of law such as the Court . . . should examine

ex officio”( Judgment No. 16, 1929, P.C.I.J., Series A, No. 23 ,
p. 19).
Being bound by law, the Court is not bound by the arguments of the
parties. This follows clearly from the principle jura novit curia addressed
by the Court in its Judgments in the cases concerning Fisheries Jurisdic-

tion (United Kingdom v. Iceland) and Fisheries Jurisdiction (Federal
Republic of Germany v. Iceland):

“The Court . . . as an international judicial organ, is deemed to
take judicial notice of international law, and is therefore required in
a case falling under Article 53 of the Statute, as in any other case,to
consider on its own initiative all rules of international law which

may be relevant to the settlement of the dispute . . . for the law lies
within the judicial knowledge of the Court.” (Merits, Judgment,
I.C.J. Reports 1974, p. 9, para. 17; ibid., p. 181, para. 18; emphasis
added.)

The principle has also been confirmed in the Nicaragua case by a dictum:

“[f]or the purpose of deciding whether the claim is well founded in
law, the principle jura novit curia signifies that the Court is not solely
dependent on the argument of the parties before it with respect to
the applicable law” (Merits, Judgment, I.C.J. Reports 1986 ,p .4,

para. 29; cf. “Lotus”, Judgment No. 9, 1927, P.C.I.J., Series A,
No. 10, p. 31).

Consequently, the rule according to which a party seeking to assert a fact
must bear the burden of proving it “has no relevance for the establish-
ment of the Court’s jurisdiction” (Fisheries Jurisdiction (Spain v.
Canada), Jurisdiction of the Court, Judgment, I.C.J. Reports 1998 ,
p. 450, para. 37).

44. Accordingly, in these circumstances, in its 1996 Judgment the
Court proceeded from the “assumption” that the FRY possessed the
right to appear before the Court in accordance with the Statute
(Judgment, para. 135).
That assumption “was an element in the reasoning of the 1996 Judgment

which can — and indeed must — be read into the judgment as a matter
of logical construction” (ibid.). It does not, however, follow that “that
element is not one which can at any time be reopened and
re-examined . . .” (ibid.).
The reasoning seems to fail to take into account the differences between

legal assumptions (praesumptio juris) and judicial (praesumptio facti vel
homine), into which category the “assumption” regarding the Federal
Republic of Yugoslavia’s jus standi before the Court actually falls.

450 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND .KRECA ) 489
u

il est évident qu’il s’agit d’une pure question de droit que la Cour
pourrait et devrait examiner même d’office» (arrêt n o 16, 1929,
C.P.J.I. série A n 23, p. 19).

La Cour est liée par le droit, mais elle ne l’est pas par les arguments
des parties. Cela résulte clairement du principe jura novit curia qu’elle a
rappelé dans les arrêts qu’elle a rendus dans les affaires relatives à la
Compétence en matière de pêcheries (Royaume-Uni c. Islande) e tàl
Compétence en matière de pêcheries (République fédérale d’Allemagne

c. Islande) :
«La Cour, en tant qu’organe judiciaire international, n’en est

pas moins censée constater le droit international et, dans une affaire
relevant de l’article 53 du Statut comme dans toute autre, est
donc tenue de prendre en considération de sa propre initiative
toutes les règles de droit international qui seraient pertinentes

pour le règlement du différend ... car le droit ressortit au domaine
de la connaissance judiciaire de la Cour.» (Fond, arrêt, C.I.J.
Recueil 1974, p. 9, par. 17; ibid., p. 181, par. 18; les italiques
sont de moi.)

Le principe a également été confirmé dans l’affaire du Nicaragua par le
prononcé suivant:

«[l]e principe jura novit curia signifie que, pour décider que les
conclusions sont fondées en droit, la Cour ne doit pas s’appuyer
uniquement sur les exposés des parties relativement au droit appli-

cable» (fond, arrêo, C.I.J. Recueil 1986 , p. 2o, par. 29; voir l’affaire
du Lotus, arrêt n 9, 1927, C.P.J.I. série A n 10, p. 31).

Par conséquent, la règle selon laquelle c’est à la partie qui cherche à
affirmer un fait qu’incombe la charge de la preuve «est sans pertinence
aux fins d’établir la compétence de la Cour» (Compétence en matière de
pêcheries (Espagne c. Canada), compétence de la Cour, arrêt, C.I.J

Recueil 1998, p. 450, par. 37).
44. Dans son arrêt de 1996, la Cour est partie du «postulat» que la
RFY avait la capacité de se présenter devant elle en vertu du Statut
(arrêt, par. 135).

Ce postulat «était un élément du raisonnement suivi dans l’arrêt de 1996,
qui peut — et même doit — en toute logique être sous-entendu dans
celui-ci» (ibid.). Mais cet «élément ne saurait à tout moment être remis
en question et réexaminé» (ibid.).

Ce raisonnement semble omettre de prendre en considération la
distinction qui existe entre présomption juridique (praesumptio
juris) et présomption judiciaire (praesumptio facti vel homine) ,

catégorie dans laquelle entre en réalité le «postulat» relatif au jus
standi de la République fédérale de Yougoslavie devant la
Cour.

450490 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP .OP . KRECu )

24
Judicial presumption, along with legal presumption , is one of the
main sorts of presumption in international law.
It means that a certain fact or state of affairs, even though it has not been

proved, is taken by an international tribunal as truthful. As such it does
not necessarily coincide with, or is not equivalent to, the fact or the state
of affairs.

Considerations of a practical nature prevail in the rationale for the use
of judicial presumption.

Judicial presumption is a tool used to preclude a long wait in discov-
ering the full facts and exact situation on which depends the existence,
content or cessation of the right where such protracted periods would

have adverse consequences for the parties concerned or would impede the
due course of legal proceedings.

45. As a sort of presumption, a judicial presumption has some specific
features differentiating it from a legal presumption (praesumptio juris).

Two principal features of judicial presumption should be mentioned in
this regard.

Primo, judicial presumption is, as a rule, a natural, factual presump-
tion (praesumptio facti vel homine) having no basis in the particular

rules that constitute the law of the international tribunal or the law it is
applying. It is an inherent element of the legal reasoning of the interna-
tional tribunal in interpreting and applying the rules of law.

24 Better known than judicial presumptions, legal presumptions (praesumptio juris) are
widely applied in international law. International tribunals are used to resorting to proof
by inferences of fact (présomption de fait) or circumstantial evidence (Corfu Channel,
Merits, Judgment, I.C.J. Reports 1949 , p. 18). For legal presumption in the practice of the
Inter-American Court of Human Rights, see T. Buergenthal, R. Norris and D. Shelton,
Protecting Human Rights in the Americas, Selected Problems , 2nd ed., 1986, pp. 130-132
and pp. 139-144.

The practice of international courts abounds in presumptions based on general principles
of international law, whether positive such as presumptions of good faith (exempli causa,
Mavrommatis Jerusalem Concessions, Judgment No. 5, 1925, P.C.I.J., Series A, No. 5 ,
p. 43) or negative such as presumptions of abuse of right (Certain German Interests in
Polish Upper Silesia, Merits, Judgment No. 7, 1926, P.C.I.J., Series A, No. 7 ,Free;
Zones of Upper Savoy and the District of Gex, Order of 6 December 1930, P.C.I.J.,
Series A, No. 24,p.12; Corfu Channel, Merits, Judgment, 1949, I.C.J. Reports 1949 ,
p. 119: dissenting opinion of Judge Ecer). They possess special weight in the interpreta-
tion of treaties since the function of treaty interpretation is to discover “what was, or what
may reasonably be presumed to have been , the intention of the parties to a treaty when
they concluded it” (Harvard Law School, Research in International Law, Part III, Law of
Treaties, Art. 19, p. 940; emphasis added).

451 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP . IND .KRECA ) 490
u

La présomption judiciaire, tout comme la présomption juridique , est 24

l’un des principaux types de présomptions en droit international.
Elle signifie qu’un fait donné ou un état de fait, alors même qu’il
n’a pas été prouvé, est considéré comme véridique par une instance

internationale. En tant que tel, il ne coïncide pas nécessairement au
fait réel ou à la situation de fait ou n’en est pas nécessairement
l’équivalent.

Des considérations d’ordre pratique président au recours à la présomp-
tion judiciaire.
En effet, cette dernière permet de ne pas attendre trop longtemps

l’entier établissement des faits et de la situation précise dont dépendent
l’existence, le contenu ou la cessation d’un droit, lorsque l’écoulement

d’un laps de temps trop important aurait des conséquences négatives
pour les parties concernées ou ferait obstacle au bon déroulement de la
procédure.

45. En tant que type de présomption, la présomption judiciaire présente
certaines caractéristiques particulières qui la différencient de la
présomption juridique (praesumptio juris).

Il convient de mentionner à cet égard deux caractéristiques principales
de la présomption judiciaire:

En premier lieu, la présomption judiciaire est, en principe, une pré-
somption naturelle et factuelle (praesumptio facti vel homine) qui

n’est pas fondée sur les règles particulières qui constituent le droit de la
juridiction internationale saisie ni le droit qu’elle applique. C’est
un élément inhérent au raisonnement juridique qu’applique la

juridiction internationale pour interpréter et appliquer les règles de
droit.

24 Mieux connues que les présomptions judiciaires, les présomptions juridiques (prae-
sumptio juris) sont abondamment appliquées en droit international. Les juridictions inter-
nationales ont l’habitude de recourir à la preuve par déduction de fait (présomption de
fait) ou aux preuves indirectes (Détroit de Corfou (Royaume-Uni c. Albanie), fond, arrêt,

C.I.J. Recueil 1949, p. 18). En ce qui concerne la présomption juridique dans la pratique
de la Cour inter-américaine des droits de l’homme, voir T. Buergenthal, R. Noreis
et D. Shelton, Protecting Human Rights in the Americas, Selected Problems ,2 éd.,
1986, p. 130-132 et p. 139-144.
La pratique des juridictions internationales abonde en présomptions fondées sur les
principes généraux du droit international, qui peuvent être des présomptions de bonne foi
(voir, par exemple, l’affaire des Concessions Mavrommatis à Jérusalem, arrêt n 1925,
C.P.J.I. série A n5, p. 43) ou des présomptions négatives telles des présomptions d’abus
de droit (Certains intérêts allemands en Haute-Silésie polonaise, fond, arrêt n1926,
C.P.J.I. série A n7, p. 30; Zones franches de la Haute-Savoie et du Pays de Gex, ordon-
nance du 6 décembre 1930, C.P.J.I. série A n 24,p.12; Détroit de Corfou, fond, arrêt,

C.I.J. Recueil 1949, p. 119: opinion dissidente du juˇer). Ces présomptions possèdent
un poids spécial dans l’interprétation des traités puisque celle-ci a pour rôle de découvrir
«ce qui fut l’intention ou ce que l’on peut raisonnablement présumer avoir été l’intention
des parties à un traité quand elles l’ont conclu» (Harvard Law School, Research in
International Law, partie III, «Le droit des traités», art. 19, p. 940; les italiques sont de
moi).

451491 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP. OP. KRECu )

Secundo, in contrast to legal presumptions which can be irrefutable
(praesumptio juris et de jure) , judicial presumptions as natural or factual
ones are, by definition, refutable. Their refutability is, however, specific in
nature.

Given that it is a part of the reasoning of the international tribunal, a
judicial presumption cannot be refutable in the same way that a legal pre-
sumption can be. A judicial presumption, as such, is in fact capable of
being abandoned or replaced by the international tribunal.

In its legal reasoning the international tribunal abandons it, or replaces
it, by another presumption or established fact. In the strict sense, only
those findings or decisions of the international tribunal that are based on
legal presumptions are refutable. However, judicial presumptions lose the

ratio of their existence when the international tribunal identifies the con-
troversial matter in controversy which constitutes its object. They then
fall away by themselves because they are deprived of their subject. But
even then it is the duty of the international tribunal to refute, in the

proper proceedings, its own finding or decision based on presumption.

Also, in contrast to a legal presumption, a judicial presumption is not,

and by its effects cannot be equated with, a judicial finding of the Court,
being its factual substitute. Hence, it cannot be considered that, by rely-
ing on that particular presumption, the Court has taken a decision on the
Respondent’s jus standi. Rather, the Court has done so factually as an
element of its reasoning.

46. The rationale of judicial presumptions is provisionally to substi-
tute for proven facts or circumstances in order to avert delay in identify-

ing the exact facts and situations where such delay is likely to have
adverse consequences for the parties to a dispute or to impede the due
course of legal proceedings.

However, after the true facts and circumstances have been established,

judicial presumptions should be abandoned and replaced by proven facts.
A contrario, if a court of law stands by legal presumptions in preference
to proven facts, it maintains a judicial fiction, its own truth, in the face of
facts and situations in terms of law.

The Court is doing exactly this by clinging to the assumption about the
Respondent’s jus standi, and the inextricably related issue of the Respon-
dent’s membership in the United Nations in the period 1992-2000.

452 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND. KREuA ) 491

En second lieu, contrairement aux présomptions juridiques qui

peuvent être irréfutables (praesumptio juris et de jure) , les pré-
somptions judiciaires, qui sont naturelles ou factuelles, sont par
définition réfutables. Leur caractère réfutable est toutefois d’une nature
particulière.
Etant donné qu’elle fait partie du raisonnement de la juridiction inter-

nationale, la présomption judiciaire ne saurait être réfutable de la même
façon qu’une présomption juridique. Une présomption judiciaire est, en
tant que telle, en réalité susceptible d’être abandonnée ou remplacée par
la juridiction internationale.
Dans son raisonnement juridique, l’instance internationale aban-

donne la présomption ou la remplace par une autre présomption ou
par un fait établi. Stricto sensu, seules les conclusions ou décisions
de la juridiction internationale qui sont fondées sur des présomptions
juridiques sont réfutables. Toutefois, les présomptions judiciaires

perdent le fondement de leur existence lorsque la juridiction
internationale identifie le point en litige qui constitue l’objet de
ladite présomption. Ces présomptions s’excluent d’elles-mêmes
parce qu’elles sont privées de leur objet. Mais alors toutefois, il
incombe à la juridiction internationale de réformer, suivant la

procédure voulue, sa propre conclusion ou décision fondée sur ladite
présomption.
En outre, par opposition à une présomption juridique, une présomp-
tion judiciaire n’est pas une conclusion judiciaire de la Cour — et
ne saurait en être l’équivalent par ses effets — car elle est

son substitut factuel. Par suite, on ne peut pas considérer que,
en se fondant sur cette présomption particulière, la Cour
a pris une décision quant à la question du jus standi du défendeur.
La Cour l’a fait de facto, en formulant un élément de son
raisonnement.

46. La raison d’être des présomptions judiciaires est de remplacer
provisoirement des faits ou des circonstances prouvés afin d’éviter
de différer l’identification de faits et de situations exacts quand une
telle attente risque d’avoir des conséquences néfastes pour les par-
ties à un différend ou d’empêcher le bon déroulement de la procé-

dure.
Néanmoins, une fois les faits et les circonstances réels établis, il faut
renoncer aux présomptions judiciaires et les remplacer par des faits prou-
vés. A contrario, si une juridiction s’en tient à des présomptions juri-
diques de préférence à des faits dûment prouvés, elle entretient une

fiction judiciaire, sa propre vérité, face à des faits et des situations rele-
vant du droit.
C’est exactement ce que fait la Cour en conservant son postulat
relatif au jus standi du défendeur et à la question qui lui est inextri-
cablement liée, à savoir celle de la qualité d’Etat Membre des

Nations Unies du défendeur pendant la période allant de 1992 à
2000.

452492 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP. OP. KREuA )

5. The effects of the 2004 Judgment

47. The question of the Respondent’s United Nations membership as

determinative in regard to its jus standi before the Court, in the circum-
stances surrounding the issue, seems, considering its being of a status
nature, to have been solved by the Court’s Judgment in the Legality of
Use of Force cases in 2004. Also, the majority holds the view that the

FRY was admitted to the United Nations “as a new member in 2000”
(Judgment, para. 109). However, the Court has not drawn from that fact,
a fact of decisive jurisdictional significance in casu, necessary conse-
quences regarding the jus standi of the Respondent. The reason for this
has been found in the recognition of the Parties that these Judgments “do

not constitute res judicata for the purposes of the present proceedings”
(Judgment, para. 84). Two observations may be made in respect of this
determination of the effects of the 2004 Judgments. Primo, the question
of the effects of the Court’s judgments is a questio juris and, as such,
within the ambit of the principle of jura novit curia signifying that the

Court is not dependent on the agreement of the parties with respect to
the applicable law. Secundo, the effects of a judgment are not fully
exhausted by the rule of res judicata.

48. It is hardly necessary to say that the Court’s Judgment of 15 Decem-
ber 2004 in the Legality of Use of Force cases does not produce the
effects of res judicata in the present case, given that one of the intrinsic
elements of the res judicata rule — eadem personae — is lacking. Bosnia

and Herzegovina was not a party in the Legality of Use of Force cases.
Consequently, it is not bound by the Court’s decision in those cases qua
decision.
49. That is one point. The material effects of the 2004 Judgment on
the case at hand are another. It is clearly established in the jurisprudence

of the Court that the material effects of a decision of the Court are not
necessarily limited to the case decided and therefore may, depending on
circumstances, occasionally extend beyond it.

In the Aegean Sea case the Court stated inter alia :

“Although under Article 59 of the Statute ‘the decision of the
Court has no binding force except between the parties and in respect
of that particular case’, it is evident that any pronouncement of the
Court as to the status of the 1928 [General Act for the Pacific Set-

tlement of International Disputes] , whether it were found to be a
convention in force or to be no longer in force, may have implica-
tions in relations between States other than Greece and Turkey
[Parties to the present proceedings].” (I.C.J. Reports 1978, pp. 17-
18, para. 39; emphasis added.)

453 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND .KRECu ) 492

5. Les effets de l’arrêt de 2004

47. La question de savoir si le défendeur était un Etat Membre de
l’Organisation des Nations Unies, laquelle est déterminante en ce qui

concerne sa qualité à ester devant la Cour dans les circonstances de la
question à résoudre — étant donné que cette question porte sur un statut
—, semble avoir été tranchée par la Cour dans l’arrêt qu’elle a rendu en
2004 dans les affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la force . Par
ailleurs, la majorité estime que la RFY a été admise à l’Organisation des

Nations Unies en tant que «nouveau Membre en 2000» (arrêt, par. 109).
Mais la Cour n’a pas tiré de ce fait, qui revêt une importance juridiction-
nelle déterminante en la présente espèce, les conséquences qui s’imposent
en ce qui concerne le jus standi du défendeur. Cela tient au fait que
les Parties reconnaissent que ces arrêts «n’ont pas force de chose

jugée aux fins de la présente instance» (arrêt, par. 84). Il y a lieu de
formuler deux observations en ce qui concerne cette interprétation
des effets des arrêts de 2004. En premier lieu, la question des effets
des arrêts de la Cour est une questio juris et, en tant que telle, entre
dans le champ du principe jura novit curia, ce qui signifie que la

Cour n’est pas tributaire de l’accord des parties en ce qui concerne
le droit applicable. En second lieu, les effets d’un arrêt ne sont
pas pleinement épuisés par la règle de la res judicata.
48. Point n’est réellement besoin de dire que l’arrêt rendu par la Cour
le 15 décembre 2004 dans les affaires relatives à la Licéité de l’emploi de

la force ne produit pas les effets de la res judicata en la présente instance,
car l’un des éléments intrinsèques de cette règle — eadem personae — fait
défaut. La Bosnie-Herzégovine n’était pas partie aux affaires relatives à
la Licéité de l’emploi de la force , de sorte qu’elle n’est pas liée par la déci-
sion de la Cour dans lesdites affaires.

49. Voilà pour un premier point. Les effets substantiels de l’arrêt de
2004 sur la présente espèce en constituent un autre. Il est clairement éta-
bli dans la jurisprudence de la Cour que les effets substantiels de ses déci-
sions ne sont pas nécessairement limités à l’espèce tranchée et peuvent
par conséquent, selon les circonstances, avoir à l’occasion une portée plus

large.
Dans l’affaire de la Mer Egée, la Cour a notamment dit:

«Bien qu’en vertu de l’article 59 du Statut «la décision de la Cour
[ne soit] obligatoire que pour les parties en litige et dans le cas qui a
été décidé», il est évident que tout prononcé sur la situation de l’Acte

de 1928 [Acte général pour le règlement pacifique des différends
internationaux], par lequel la Cour déclarerait que celui-ci est ou
n’est plus une convention en vigueur pourrait influencer les relations
d’Etats autres que la Grèce et la Turquie [les Parties à la présente
instance].» (Plateau continental de la mer Egée (Grèce c. Turquie),

arrêt, C.I.J. Recueil 1978 , p. 17-18, par. 39; les italiques sont de
moi.)

453493 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP.OP . KRECu )

A narrow interpretation of Article 59 simply does not fit into the corpus
25
of the Court’s law .
50. Accordingly, the real question in concreto is not whether there are
material effects of the 2004 Judgment on the case at hand, but “whether,

in this case, there is cause not to follow the reasoning and conclusions of
earlier cases” (Land and Maritime Boundary between Cameroon and
Nigeria (Cameroon v. Nigeria), Preliminary Objections , Judgment, I.C.J.

Reports 1998, para. 28), or to treat the 2004 Judgment “as a statement of
what the Court regarded as the correct legal position” (Temple of Preah
Vihear (Cambodia v. Thailand), Preliminary Objections, Judgment , I.C.J.
Reports 1961, p. 27) in the matter.

51. It appears not only that such cause does not exist, but that there
are moreover several reasons why the Court should follow its earlier rea-

soning, which inevitably leads to the conclusions adapted by the Court in
its 2004 Judgment.

First of all, the relevant issue — was the Respondent a member of the
United Nations at the material point in time and, as such, a party to the
Statute of the Court — in the identical form, followed by identical legal

consequences, is posed in both cases. The locus standi of Serbia and
Montenegro in the present proceedings is, exactly as in the Legality of
Use of Force cases, inextricably linked with membership in the

United Nations, owing to the fact that Serbia and Montenegro could
not be considered to be a party to the Statute on any basis other
than membership in the United Nations, the fact that its locus standi

cannot be based on the conditions set forth in Article 35, paragraph 2,
of the Statute. As a rule, a given factual state and legal status
occurring in two different cases demands equal treatment under

25
“If it is true that a Judgment of the Court is clothed with authority of res judicata
only in the case which has been decided, that would mean that if the lis concerns the
interpretation of a clause of a treaty, the interpretation given could be used again in
arguments in any future lis concerning the same clause of a treaty. Such a result
would not only be absurd; it would put Article 59 in irreconcilable contradiction with
the last sentence of Article 63 of the same Statute, which provides that when a third
state intervenes in a case in which there is in question the construction of a multilat-
eral convention to which it and the States concerned in the case are parties, the con-
struction given by the Court will be equally binding on that state.” (Lighthouses
Arbitration (France v. Greece), Permanent Court of Arbitration , 23 ILR 81 at
86 (1956).)

Also, Judge Oda in his separate opinion in the Continental Shelf (Tunisia/Libyan Arab
Jamahiriya), Application for Permission to Intervene), I.C.J. Reports 1981 , p. 30, para. 14;
Continental Shelf (Libyan Arab Jamahiriya/Malta), I.C.J. Reports 1984, dissenting
opinion of Judge Jennings, pp. 157-160; ibid., dissenting opinion of Vice-President Sette-
Camara, p. 87, para. 81; ibid., dissenting opinion of Judge Schwebel, p. 134, paras. 9-10).

454 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP .IND .KRECu ) 493

Une interprétation restrictive de l’article 59 du Statut n’a tout simple-
25
ment pas sa place dans la jurisprudence de la Cour .
50. En conséquence, la vraie question qui se pose concrètement n’est
pas de savoir si l’arrêt de 2004 a des effets concrets en la présente affaire,

mais de savoir «si, dans la présente espèce, il existe pour la Cour des rai-
sons de s’écarter des motifs et des conclusions adoptés dans ces précé-
dents» (Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria

(Cameroun c. Nigéria), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil
1998, par. 28), ou bien s’il faut considérer l’arrêt de 2004 «comme un
énoncé de ce que la Cour a jugé être la situation juridique exacte»
(Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande), exceptions prélimi-

naires, arrêt, C.I.J. Recueil 1961 , p. 27).
51. On constate non seulement qu’il n’y a aucune raison de le faire,
mais encore qu’il existe plusieurs raisons pour lesquelles la Cour doit

suivre le raisonnement adopté précédemment, ce qui la conduit
inévitablement aux conclusions qu’elle a adoptées dans son arrêt
de 2004.

Tout d’abord, la question pertinente — le défendeur était-il un Etat
Membre de l’Organisation des Nations Unies à l’époque pertinente et, en
tant que tel, partie au Statut de la Cour — se pose dans les deux affaires

de manière identique et produit des conséquences juridiques identiques.
Le locus standi de la Serbie-et-Monténégro en la présente instance est,
exactement comme dans les affaires relatives à la Licéité de l’emploi de

la force, inextricablement lié à sa qualité de Membre de l’Organisation
des Nations Unies, étant donné que la Serbie-et-Monténégro ne
pouvait être considérée comme partie au Statut sur un autre fonde-

ment que celui d’Etat Membre de l’Organisation, dès lors que son
locus standi ne pouvait être fondé sur le paragraphe 2 de l’article 35 du
Statut. En règle générale, quand un même état de fait et un même

25
«S’il était vrai qu’un arrêt de la Cour n’est revêtu de l’autorité de la chose jugée que
dans le seul cas qui a été décidé, cela signifierait que, si le «cas» concerne l’interpréta-
tion d’une clause de traité, l’interprétation donnée pourrait être remise en discussion
dans des «cas» futurs ayant trait à la même clause de traité. Un tel résultat ne serait
pas seulement absurde, mais mettrait l’article 59 en contradiction inconciliable avec
la phrase finale de l’article 63 du même Statut déclarant que, lorsqu’un Etat tiers
intervient à un procès dans lequel il s’agit de l’interprétation d’une convention mul-
tilatérale à laquelle il est partie ensemble avec les Etats litigants, l’interprétation
contenue dans la sentence est également obligatoire à son égard. La res judicata
s’étend, par conséquent, hors des limites strictes du cas décidé. Y a-t-il vraiment
dans l’arrêt de 1937 des éléments qui soient également décisifs pour la réclamation
actuelle? Le Tribunal ne le croit pas.» (Arbitrage entre la France et la Grèce,
Cour permanente d’arbitrage, 23 ILR 81 p. 86 (1956).)

Voir également le juge Oda dans son opinion individuelle dans l’affaire du Plateau
continental (Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne), requête à fin d’intervention, arrêt,
C.I.J. Recueil 1981, p. 30, par. 14; Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/
Malte), requête à fin d’intervention, arrêt, C.I.J. Recueil 1984 , opinion dissidente du juge
Jennings, p. 157-160; ibid., opinion dissidente du vice-président Sette-Camara, p. 87,
par. 81; ibid., opinion dissidente du juge Schwebel, p. 134, par. 9-10).

454494 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION SEP .OP .KRECu )

the principles of consistency of judicial reasoning and equality before the

Court.

Furthermore, the Court, by finding that “at the time of filing of its
Application to institute . . . proceedings before the Court on 29 April 1999,

the Applicant in the present case, Serbia and Montenegro, was not a
Member of the United Nations” (Legality of Use of Force (Serbia and
Montenegro v. Portugal), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J.
Reports 2004, p. 1195, para. 90), basically took judicial notice of a fact

objectively established by the competent organs of the United Nations,
which in the context of the case operated as a jurisdictional fact of deci-
sive significance. United Nations General Assembly resolution 55/12 as
such has created an objective legal status which is erga omnes in charac-

ter. Even if we leave aside the binding force of resolution 55/12, that part
of the Judgment of the Court concerning the determination of the status
of Serbia and Montenegro vis-à-vis the United Nations in the relevant
period of time remains none the less, by its nature, a declaratory judg-

ment in rem producing conclusive effects at least as regards States parties
to the Statute of the Court. As such, the Judgment cannot, in that part,
be treated as a judgment in personam, having conclusive effects only
between the parties to the case, because its subject matter is the status of

Serbia and Montenegro both in relation to the United Nations itself and
in relation to the Members of the United Nations.

52. Resolution 55/12 belongs to the species of United Nations General

Assembly resolutions having a definitive and binding effect within the
United Nations structure as a whole.

“Article 18 [of the Charter] deals with ‘decisions’ of the General
Assembly ‘on important questions’. These ‘decisions’ do indeed include
certain recommendations, but othershave dispositive force and effect.
26
Among these latter decisions, Article 18 includes suspension of
rights and privileges of membership, expulsion of Members . . . In
connection with the suspension of rights and privileges of member-
ship and expulsion from membership under Articles 5 and 6, it is the

Security Council which has only the power to recommend andit is
the General Assembly which decides and whose decision determines
status.” (Certain Expenses of the United Nations (Article 17, Para-
graph 2, of the Charter), Advisory Opinion, I.C.J. Reports 1962,

p. 163; emphasis added.)

26Article 18 of the Charter reads:

“2. Decisions of the General Assembly on important questions shall be made by a
two-thirds majority of the members present and voting. These questions shall
include: ... the admission of new Members to the United Nations, the suspension of
the rights and privileges of membership, the expulsion of Members ...”

455 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND .KRECu ) 494

statut juridique se présentent dans deux affaires différentes, il faut leur

accorder le même traitement en vertu des principes de la cohérence du
raisonnement judiciaire et de l’égalité devant la Cour.
En outre, la Cour, en constatant que, «au moment où il a déposé sa
requête pour introduire la présente instance devant [elle], le 29 avril 1999,

le demandeur en l’espèce, la Serbie-et-Monténégro, n’était pas membre de
l’Organisation des Nations Unies» (Licéité de l’emploi de la force (Ser-
bie-et-Monténégro c. Portugal), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J.
Recueil 2004, p. 1195, par. 90), a essentiellement pris acte, sur le plan

judiciaire, d’un fait établi objectivement par les organes compétents de
l’Organisation des Nations Unies, fait qui, dans le contexte de l’affaire, a
été un fait juridictionnel déterminant. De par sa résolution 55/12, l’Assem-
blée générale des Nations Unies a créé un statut juridique objectif erga

omnes. Même en laissant de côté la force obligatoire de la résolution 55/
12, la partie de l’arrêt de la Cour relative à l’établissement du statut de la
Serbie-et-Monténégro vis-à-vis de l’Organisation des Nations Unies pen-
dant la période pertinente n’en demeure pas moins, par sa nature même,

un jugement déclaratoire in rem produisant des effets déterminants, tout
au moins en ce qui concerne les Etats parties au Statut de la Cour. En
tant que tel, l’arrêt ne saurait, pour ce qui concerne ce point, être traité
comme un arrêt in personam n’ayant des effets déterminants que pour les

parties à l’affaire, dès lors qu’il traite du statut de la Serbie-et-Monténé-
gro à la fois vis-à-vis de l’Organisation des Nations Unies elle-même et
vis-à-vis des Etats Membres de celle-ci.
52. La résolution 55/12 relève du type de résolutions de l’Assemblée

générale des Nations Unies qui ont un effet définitif et obligatoire pour
l’ensemble de la structure de l’Organisation.

«L’article 18 [de la Charte] traite des «décisions» de l’Assemblée
générale «sur les questions importantes» . Ces «décisions» com-
prennent en effet certaines recommandations, mais d’autres ont

une valeur et un effet d26caractère impératif . Parmi ces dernières
décisions l’article 18 comprend la suspension des droits et
privilèges des Membres dans le cadre des articles 5 et 6, c’est le
Conseil de Sécurité dont le pouvoir se borne à faire des recom-

mandations et c’est l’Assemblée générale qui décide et dont la
décision fixe le statut des Etats en question.» (Certaines dépenses
des Nations Unies (article 17, paragraphe 2, de la Charte),
avis consultatif, C.I.J. Recueil 1962 , p. 163-164; les italiques sont

de moi.)

26L’article 18 de la Charte se lit comme suit:

«2. Les décisions de l’Assemblée générale sur les questions importantes sont prises
à la majorité des deux tiers des membres présents et votants. Sont considérées comme
questions importantes ... l’admission de nouveaux Membres dans l’Organisation, la
suspension des droits et privilèges de Membres, l’exclusion de Membres...»

455495 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP. OP. KRECA )
u

On the basis of Article 4, paragraph 2 of the Charter “The admission
ofany...StatetomembershipintheUnitedNationswillbeeffectedby
a decision of the General Assembly upon the recommendation of the

Security Council” (emphasis added).
53. Lying within the exclusive competence of two principal political
organs of the United Nations, the Security Council and the General

Assembly, decisions on the admission of a State to the United Nations
are a part of international law which “[the Court] . . . is bound to
respect” (Questions of Interpretation and Application of the 1971 Mon-

treal Convention arising from the Aerial Incident at Lockerbie (Libyan
Arab Jamahiriya v. United Kingdom), Provisional Measures, Order of
14 April 1992, I.C.J. Reports 1992 , separate opinion of Judge Lachs,
p. 26). In the system of functional parallelism, it must be assumed as a

governing principle of relations between the principal organs of the
United Nations that the “Court must co-operate in the attainment of the
aims of the Organization and strive to give effect to the decisions of other

principal o27ans and not to achieve results which would render them
nugatory” .
The determination that the Respondent enjoyed the status of member
as from 1 November 2004 became a part of the objective reality estab-

lished in the United Nations structures as a whole. In a letter to the Presi-
dent of the United Nations General Assembly, dated 27 December 2001,
United Nations Secretary-General Kofi Annan stated:

“I have the honour to refer to General Assembly resolution 55/12

of 1 November 2000, in which the Assembly decided to admit the
Federal Republic of Yugoslavia to membership in the United
Nations. This decision necessarily and automatically terminated the

membership in the Organization of the28ormer Yugoslavia, the State
admitted to membership in 1945.”

Under the heading “Historical Information on Multilateral Treaties
Deposited with the Secretary-General” , it is stated expressis verbis that
the “Yugoslavia” to which the Legal Counsel referred in his letter of

29 September 1992 as the State whose membership in the Organization
“the resolution neither terminates nor suspends”, was the former
Yugoslavia, i.e., the Socialist Federal Republic of Yugoslavia, not the
Federal Republic of Yugoslavia: “The Legal Counsel took the view,

however, that this resolution of the General Assembly neither terminated
nor suspended the membership of the former Yugoslavia in the United
Nations.”

27Shabtai Rosenne, The Law and Practice of the International Court, 1920-2005 , 3rd
ed., Vol. I, The Court and the United Nations , 1997, pp. 69-70.
28United Nations doc. A/56/767; emphasis added.
29See Historical Information, http://untreaty.un.org/ENGLISH/bible/englishinternet-
bible/historicalinfo.asp under the heading “former Yugoslavia”.

456 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND .KRECu ) 495

Conformément au paragraphe 2 de l’article 4 de la Charte, «[l]’admis-

sion comme Membre des Nations Unies de tout Etat ... se fait par déci-
sion de l’Assemblée générale sur recommandation du Conseil de sécurité»
(les italiques sont de moi).

53. Relevant de la compétence exclusive de deux des principaux
organes politiques des Nations Unies — le Conseil de sécurité et l’Assem-
blée générale —, les décisions relatives à l’admission d’un Etat comme

Membre des Nations Unies font partie intégrante du droit international
que «[la Cour] ... est tenue de respecter» (Questions d’interprétation et d’ap-
plication de la convention de Montréal de 1971 résultant de l’incident
aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. Royaume-Uni), mesures

conservatoires, ordonnance du 14 avril 1992, C.I.J. Recueil 1992, opinion
individuelle du juge Lachs, p. 26). Dans un système de parallélisme fonc-
tionnel, il faut considérer comme un principe régissant les rapports entre

les organes principaux des Nations Unies que «la Cour doit collaborer à la
réalisation des buts de l’Organisation et s’attacher à donner effet aux déci-
sions des autres organes principaux en évitant tout résultat qui les priverait
27
d’effet» .
La conclusion selon laquelle le défendeur jouissait du statut d’Etat
Membre à compter du 1 er novembre 2004 fait désormais partie de la

réalité objective établie par les organes des Nations Unies dans leur en-
semble. Dans une lettre datée du 27 décembre 2001, adressée au Président
de l’Assemblée générale des Nations Unies par le Secrétaire général

Kofi Annan, ce dernier a déclaré:
«J’ai l’honneur de me référer à la résolution 55/12 de l’Assemblée
er
générale en date du 1 novembre 2000, par laquelle l’Assemblée a
décidé d’admettre la République fédérale de Yougoslavie à l’Orga-
nisation des Nations Unies. Cette décision a mis fin ipso facto àa l

qualité de Membre de l’Organisation de l’ex-Yougoslavie, qui avait
été admise en 1945.» 28

Sous l’intitulé «Information historique sur les traités multilatéraux
déposés auprès du Secrétaire général» , il est expressément indiqué que

la «Yougoslavie», à laquelle le conseiller juridique se réfère dans sa lettre
du 29 septembre 1992, comme étant l’Etat dont la résolution «ne me[t]
pas fin à l’appartenance ... à l’Organisation, et ... ne la suspen[d] pas», est
l’ex-Yougoslavie, c’est-à-dire la République fédérative socialiste de You-

goslavie, et non la République fédérale de Yougoslavie: «Le Conseiller
juridique, toutefois, a été d’avis que la résolution de l’Assemblée générale
ne mettait pas fin à l’appartenance de l’ex-Yougoslavie à l’Organisation,

et qu’elle ne la suspendait pas.»

27
e Shabtai Rosenne, The Law and Practice of the International Court , 1920-2005,
3 28., vol. I, The Court and the United Nations , 1997, p. 69-70.
Nations Unies, doc. A/56/767; les italiques sont de moi.
29Voir «Renseignements historiques», http://untreaty.un.org/FRENCH/bible/french-
internetbible/historicalinfo.asp sous la rubrique «ex-Yougoslavie».

456496 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP. OP. KRECA )
u

It is also relevant that no State has objected to the legal opinion of the
United Nations Legal Counsel referred to above, in contrast to the posi-
tion of United Nations Member States with respect to the description of

the Federal Republic of Yugoslavia as a predecessor State made in the
“Summary of Practice of the Secretary-General as depositary of Multi-
lateral Treaties” ; in response to the objections raised, the Legal Coun-
31
sel issued “Errata” which, inter alia, deleted the description of the Fed-
eral Republic of Yugoslavia as a predecessor State.

54. This fact taken per se evidences universal acceptance both by the
Member States of the United Nations and by the organs of the Organiza-
tion of the legal consequences of the admission of the Federal Republic
of Yugoslavia to membership of the United Nations. The Court summa-

rized these as follows:

“The Applicant [Serbia and Montenegro] thus has the status of
membership in the United Nations as from 1 November 2000. How-
ever, its admission to the United Nations did not have, and could
not have had, the effect of dating back to the time when the Socialist

Federal Republic of Yugoslavia broke up and disappeared; there
was in 2000 no question of restoring the membership rights of the
Socialist Federal Republic of Yugoslavia for the benefit of the Fed-

eral Republic of Yugoslavia.” (Legality of Use of Force (Serbia and
Montenegro v. Belgium), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J.
Reports 2004, p. 310, para. 78.)

55. This interpretation of the meaning of resolution 47/1 is not a new

one. It should be noted that it was advocated in the literature as well. In
an article entitled “The New United Nations and Former Yugoslavia”,
Professor Rosalyn Higgins wrote:

“The Assembly did recommend that the new Federal Republic
(Serbia-Montenegro) should apply for membership of the United

Nations. But the resolution did not either suspend, or terminate,
Yugoslavia’s membership in the UN. The outcome has been anoma-
lous in the extreme. The seat and nameplate remain as before. The
old Yugoslav flag continues to fly on the 42nd Street. ‘Yugoslavia

remains a member of the UN, i.e., not Serbia and Montenegro, but
Yugoslavia in its entirety .’”32

56. Although it limited itself in the dispositif to the determination of

its jurisdiction to entertain the case, the Court essentially dealt, in the

30ST/LEG.8, p. 89, para. 297.
31United Nations doc. LA41TR/220.
3269 International Affairs, 1993, p. 479; emphasis added.

457 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KRECA ) 496
u

Il est également pertinent de constater qu’aucun Etat n’a fait objection
à l’avis juridique susmentionné, alors que certains Etats Membres de
l’Organisation ont formulé des objections lorsque la République fédérale

de Yougoslavie d’Etat a été qualifiée de d’Etat prédécesseur dans le «Pré-
cis de la pratique du Secrétaire général en tant que dépositaire des traités
multilatéraux» ; en réponse aux objections soulevées, le conseiller juri-
31
dique a d’ailleurs fait publier des «errata» , supprimant notamment la
mention d’«Etat prédécesseur» pour la République fédérale de Yougo-
slavie.

54. Ce fait témoigne en soi de l’acceptation universelle, tant par les
Etats Membres de l’Organisation des Nations Unies que par les organes
de l’Organisation elle-même, des conséquences juridiques de l’admission
de la République fédérale de Yougoslavie en tant que Membre des

Nations Unies. La Cour a résumé la situation comme suit:

«Le demandeur [la Serbie-et-Monténégro] a ainsi le statut de er
Membre de l’Organisation des Nations Unies depuis le 1 no-
vembre 2000. Toutefois, son admission au sein de l’Organisation
des Nations Unies n’a pas remonté et n’a pu remonter à l’époque

de l’éclatement et de la disparition de la République fédérative
socialiste de Yougoslavie; il n’était pas question en 2000 de réta-
blir les droits de la République fédérative socialiste de Yougoslavie

en tant que Membre de l’Organisation au bénéfice de la Répu-
blique fédérale de Yougoslavie.» (Licéité de l’emploi de la force
(Serbie-et-Monténégro c. Belgique), exceptions préliminaires,
arrêt, C.I.J. Recueil 2004 , p. 310, par. 78.)

55. Cette interprétation de la résolution 47/1 n’est pas nouvelle. Il faut

savoir que la doctrine la préconisait également. Dans un article intitulé
«La nouvelle Organisation des Nations Unies et l’ancienne Yougo-
slavie», le professeur Rosalyn Higgins écrivait ceci:

«L’Assemblée a bien recommandé que la nouvelle République
fédérale (la Serbie-et-Monténégro) présente une demande d’admis-

sion à l’Organisation des Nations Unies . Mais la résolution n’a ni
suspendu ni mis fin à l’appartenance de la Yougoslavie aux
Nations Unies. Le résultat est absolument anormal. Le siège et
la plaque portant le nom du pays demeurent inchangés. L’ancien
e
drapeau yougoslave flotte toujours sur la 42 Rue. «La Yougo-
slavie demeure un Membre des Nations Unies, c’est-à-dire non
pas la Serbie-et-Monténégro, mais la Yougoslavie dans son
32
intégralité.» »
56. Bien que s’étant bornée dans le dispositif de l’arrêt de 2004 à la

question de sa compétence pour connaître de l’affaire, la Cour s’est prin-

30ST/LEG.8, p. 89, par. 297.
31Document des Nations Unies LA41TR/220.
32International Affairs, vol. 69, 1993, p. 479; les italiques sont de moi.

457497 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP. OP. KRECu )

reasoning part of the 2004 Judgment, with the question of the Federal
Republic of Yugoslavia’s membership in the United Nations in the rele-
vant time period. The Court’s finding that the Federal Republic of Yugo-

slavia was not a member of the United Nations before its admission to
the Organization in November 2000 was of fundamental importance in
the circumstances surrounding the issue of the Court’s competence in
casu.

57. The dispositif in the 2004 Judgment was not the result of the rea-
soning by the Court in selecting among alternatives or choosing one of
several different interpretations for which the relevant jurisdictional fact
would provide a motive; it was the unavoidable result of the Federal

Republic of Yugoslavia’s non-membership status in the United Nations
or, in other words, a kind of judicial notice of the fact established by the
principal political organs in the exercise of their exclusive competence

under the United Nations Charter, which, in the circumstances of the
present case, operates as the jurisdictional fact of decisive importance.

Resolutions of the United Nations General Assembly, like resolu-

tion 55/12, create an objective legal situation, a status with erga omnes
effects. This fact is reflected in the effects of the Judgments of the Court
by which such a status is established ad casum.

58. Judgments of the Court on the status issue, in their effect ratione
personae, cannot, unlike other judgments, be limited to the Parties to a
dispute. Their material effects surpass the effects of the judgment defined
in Article 60 of the Statute. By the very nature of their object, judgments

on status issues, which do not allow for uncertainty and insecurity, act
intra partes. The effect of a judgment on status, i.e., the creation of an
objective legal situation (situation légale objective) 33, is incorporated in
34
the national laws of civilized nations .

However, this is not a question of the technical effect, under Article 59
of the Statute, of judgments on status issues intra partes but a question of

the material, reflective effect of such judgments on third States. It is bind-
ing erga omnes not as a judicial act in the formal sense, but as a result of
its intrinsic persuasive force, in parallel with the mandatory force of the
judgment in the technical sense, based on the presumption of truthful-

ness — pro veritate accipitur — which must, in questions of status, as
absolute law, have universal effect. This is especially valid for judgments
of the Court, like the Judgment in the Legality of Use of Force cases,

33Dugguit, Traité de droit constitutionnel , 1923, Vol. II.
34For instance, the novel Article 311 of the Code civil (law of 1972), see Vincent,
op. cit., p. 108, No. 79; in Italian law it is traditionally considered that decisions on status
matters act erga omnes — for examples of judgments by Italian courts, see Pugliese,
op. cit., p. 888; British law has, in that sense, the special notion “judgments in rem” (see
Bower, Turner and Handley, “The Doctrine of Res Judicata”, 1965, pp. 213 et seq.).

458 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND . KRECA ) 497
u

cipalement intéressée, dans l’exposé des motifs, à la question de savoir si
la République fédérale de Yougoslavie était Membre de l’Organisation
des Nations Unies durant la période pertinente. Sa conclusion selon

laquelle la République fédérale de Yougoslavie n’était pas Membre de
l’Organisation des Nations Unies avant d’y être admise en novembre 2000
a été déterminante eu égard à sa compétence en l’espèce.

57. Le dispositif de l’arrêt de 2004 ne découle pas du raisonnement de
la Cour consistant à choisir parmi les différentes solutions possibles ou

l’une des diverses interprétations auxquelles le fait juridictionnel perti-
nent fournirait un motif; c’est le résultat inévitable du fait que la Répu-
blique fédérale de Yougoslavie n’était pas Membre de l’Organisation des
Nations Unies ou bien, en d’autres termes, une manière de constat judi-

ciaire du fait établi par les organes politiques principaux dans l’exercice
de leur compétence exclusive en vertu de la Charte des Nations Unies qui,
dans les circonstances de l’espèce, constitue un fait juridictionnel déter-

minant.
Les résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies, telle la
résolution 55/12, créent une situation juridique objective, une situation
produisant des effets erga omnes. Cela se manifeste dans les effets des

arrêts de la Cour en vertu desquels un tel statut est créé ad casum.
58. Les arrêts que la Cour rend sur des questions de statut ne
sauraient, dans leur effet ratione personae — à la différence d’autres

arrêts —, être limités aux parties à un différend. Leurs effets substantiels
vont au-delà des effets des arrêts énoncés à l’article 60 du Statut. En rai-
son de la nature même de leur objet, les arrêts portant sur des questions
de statut, qui ne tolèrent ni l’incertitude ni l’insécurité, ont un effet intra

partes. L’effet d’un arrêt portant sur une question de statut, c’est-à-dire
la création d’une situation légale objective , est intégré au droit
interne des nations civilisées .34

Toutefois, il ne s’agit pas de savoir quel est l’effet intra partes en vertu
de l’article 59 du Statut des arrêts portant sur des questions de statut. La
question est de savoir quel effet matériel ont, par répercussion, ces arrêts

sur des Etats tiers. De tels arrêts sont obligatoires erga omnes non pas en
tant qu’actes judiciaires au sens formel, mais en raison de leur force
intrinsèque associée à la force obligatoire de l’arrêt au sens technique,
fondée sur la présomption de vérité — pro veritate accipitur — qui doit,

s’agissant des questions de statut, en tant que droit absolu, avoir un effet
universel. Cela vaut tout particulièrement pour les arrêts de la Cour

33Dugguit, Traité de droit constitutionnel , vol. II, 1923.
34Voir, par exemple, le nouvel article 311 du code civil (loi de 1972), Vincent, op. cit.,
p. 108, n79; en droit italien, il est traditionnellement considéré que les décisions relatives
à des questions de statut ont un effet erga omnes — pour des exemples de décisions ren-
dues par des juridictions italiennes, voir Pugliese, op. cit., p. 888; en anglais existe, en ce
sens, la notion de «judgments in rem» (voir Bower, Turner et Handley, The Doctrine of
Res Judicata, 1965, p. 213 et suiv.).

458498 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION SEP .OP. KRECu )

which, basically, merely gives judicial confirmation to the status conclu-

sively determined by the competent organs of the United Nations (see
Judgment, paras. 88 et seq.).

59. It seems crystal clear that the Respondent’s jus standi in casu
is, as in the Legality of Use of Force cases, organically linked

to its membership in the United Nations owing to the fact that
the Respondent could not be considered to be a party to the Statute
on any basis apart from that of being a Member State of the United
Nations and to the fact that its jus standi cannot be based on the
conditions set forth in Article 35, paragraph 2, of the Statute of the

Court.
The majority approach to this “twin” issue is truly astonishing.

On the one hand, it is recognized that “in 1999 — and even more so in

1996 — it was by no means so clear as the Court found it to be in 2004
that the Respondent was not a Member of the United Nations” (Judg-
ment, para. 131; emphasis added).

On the other,

“as a matter of law, no possibility that the Court might render ‘its
final decision with respect to a party over which it cannot exercise

its judicial function’, because the question whether a State is or is
not a party subject to the jurisdiction of the Court is one which is
reserved for the sole and authoritative decision of the Court . . . the
operation of the ‘mandatory requirements of the Statute’ falls to be
determined by the Court in each case before it; and once the

Court has determined, with the force of res judicata, that it has
jurisdiction, then for the purposes of that case no question of ultra
vires action can arise, the Court having sole competence to
determine such matters under the Statute” (Judgment, paras. 138
and 139).

The reasoning suggests that quidquid judicii placuit, habet legis vig-
orem. It reflects the anachronistic and totally unacceptable idea that the

Court is not the guardian but the creator of legality and, in fact, that the
Court makes decisions independently from objective law established by
its Statute.
It nolens volens leads to the creation of the Court’s own, judicial reality
in contrast to the objective legal one, producing a proper judicium illu-

sorum.
The erroneous perception of the res judicata rule embodied in this
Judgment gives rise to an absurd ambivalence in respect of the Respon-
dent’s status in the United Nations.

In contrast to the erga omnes effects of General Assembly resolu-
tion 55/12, the Court’s Judgment is, as provided by Article 59 of the Stat-

459 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND. KREuA ) 498

comme celui rendu dans les affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la

force, qui, en substance, ne font que confirmer sur le plan judiciaire le
statut déterminé de façon déterminante par les organes compétents des
Nations Unies (voir l’arrêt, par. 88 et suiv.).
59. Il semble parfaitement clair que le jus standi du défendeur en
la présente espèce est, comme dans les affaires relatives à la Licéité

de l’emploi de la force, intrinsèquement lié à son statut d’Etat
Membre des Nations Unies étant donné que le défendeur ne pouvait
être considéré comme partie au Statut sur aucun autre fondement
que celui de Membre des Nations Unies et que son jus standi ne
saurait être fondé sur le paragraphe 2 de l’article 35 du Statut de la

Cour.
La manière dont la majorité aborde cette double question est vérita-
blement étonnante.
D’une part, il est admis que, «s’il lui a paru clair en 2004 que le

défendeur n’était pas membre de l’Organisation des Nations Unies...,
la situation n’était absolument pas aussi claire en 1999 —
et encore moins en 1996» (arrêt, par. 131; les italiques sont de
moi).
D’autre part, il est précisé que:

«[i]l est donc impossible, juridiquement, que la Cour puisse «rendre
une décision finale envers une partie à l’égard de laquelle elle ne peut

pas exercer sa fonction judiciaire», parce que la question de savoir
si un Etat est ou non une partie à l’égard de laquelle la Cour a
compétence est de celles que seule la Cour a le pouvoir
de trancher ... l’application «des prescriptions impératives du
Statut» relève de la décision de la Cour dans chaque affaire qui

lui est soumise et, lorsque la Cour s’est déclarée compétente avec
l’autorité de la chose jugée, il ne peut y avoir excès de pouvoir
aux fins de cette affaire, la Cour étant seule compétente pour se
prononcer sur de telles questions en vertu de son Statut» (arrêt,
par. 138 et 139).

Ce raisonnement donne à penser que quidquid judicii placuit, habet
legis vigorem. Il exprime l’idée anachronique et totalement inacceptable

que la Cour n’est pas le gardien, mais le créateur de la légalité et que, en
réalité, elle rend des décisions indépendamment du droit objectif établi
par son Statut.
Cela conduit, nolens volens, à la création d’une réalité judiciaire propre
à la Cour et contraire à la réalité juridique objective, ce qui donne nais-

sance à un véritable judicium illusorum.
La conception erronée de la règle de la res judicata consacrée dans
cet arrêt donne naissance à une ambivalence absurde en ce qui
concerne le statut du défendeur vis-à-vis de l’Organisation des Nations
Unies.

Contrairement aux effets erga omnes de la résolution 55/12 de l’Assem-
blée générale, l’arrêt de la Cour, comme le prévoit l’article 59 du Statut,

459499 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP.OP .KRECu )

ute, binding only on the Parties to the case. This logically means that in

the context of the dispute before the Court the Respondent is considered,
at least tacitly, to have been a United Nations member in the period
1992-2000 as far as the Court and the Applicant are concerned, whereas
for the Organisation itself it was not a member and even for Bosnia and
Herzegovina, it was not a member in respect of any other matter than

this case itself. In addition, in the eyes of the Court, the Respondent is
considered a member of the United Nations in the present case and a
non-member in the Legality of Use of Force cases.

60. The pronouncement that “in 1999 — and even more so in 1996 —
it was by no means so clear then as the Court found it to be in 2004 that
the Respondent was not a Member of the United Nations”, opens a very
unpleasant question of the activity of the Court in the present case in the

light of the principle of bona fidae which, as a peremptory one, is at least
equally valid for the Court as it is for States.

If, for more than a decade, it was so clear to the Court that the
Respondent was not a Member of the United Nations, and the quality of

being a Member of the United Nations is the only basis on which the
Respondent could have been considered a party to the Statute
of the Court, it follows that the Court deliberately avoided
recognizing the jurisdictional fact affecting the very legality of the
totality of its actions in casu. Such a conduct of the Court could be

termed judicial arbitrariness, close or in the zone of abuse of judicial
power of the Court rather than judicial discretion resulting in judicial
indecision.

6. 1992 Declaration

61. In its 1996 Judgment, the Court found jurisdiction ratione perso-
nae in the formal Declaration of 27 April 1992 adopted by the partici-
pants of the Joint Session of the SFRY Assembly, the National Assembly

of the Republic of Serbia and the Assembly of the Republic of Montene-
gro. The Court perceived it as a unilateral act that produces legal conse-
quences relevant as regards its jurisdiction ratione personae. This deter-
mination appears dubious and, it seems to me, requires reconsideration
in the light of the relevant rules of international law and the jurispru-

dence of the Court, respectively. Namely, reconsideration not only as
regards the presumption of the legal identity and continuity of the
Respondent with the SFRY, which proved unacceptable by the interna-
tional community and served as the basis for the finding of the Court, but
also as regards the characterization of the nature and effects of the

Declaration.

460 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KREuA ) 499

n’est obligatoire que pour les parties en litige. Logiquement cela veut dire

que, dans le cadre du différend porté devant la Cour, le défendeur est
considéré, tacitement du moins, comme ayant été Membre des Nations
Unies pendant la période allant de 1992 à 2000 pour ce qui concerne la
Cour et le demandeur, tandis que, pour l’Organisation elle-même, le
défendeur n’était pas un Etat Membre; et pour la Bosnie-Herzégovine, le

défendeur n’était pas non plus un Etat Membre pour toute question autre
que l’instance elle-même. En outre, la Cour considère le défendeur comme
un Etat Membre des Nations Unies en la présente affaire et comme un
Etat non membre dans les affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la
force.

60. Le prononcé établissant que, «s’il lui a paru clair en 2004 que le
défendeur n’était pas membre de l’Organisation des Nations Unies..., la
situation n’était absolument pas aussi claire en 1999 — et encore moins
en 1996», pose une question tout à fait déplaisante sur le rôle de la Cour

en l’espèce compte tenu du principe de bonne foi qui, en tant que principe
obligatoire, est tout au moins aussi valable pour la Cour que pour les
Etats.
Si, pendant plus d’une décennie, il a paru si clairement à la Cour
que le défendeur n’était pas membre des Nations Unies — alors

même que la qualité de Membre des Nations Unies est le seul
fondement sur lequel le défendeur aurait pu être considéré partie au
Statut de la Cour —, alors la Cour a délibérément évité de reconnaître
un fait juridictionnel ayant une incidence sur la légalité même de
la totalité de ses actes en la présente espèce. Un tel comportement de

la Cour pourrait être qualifié d’arbitraire judiciaire confinant à l’excès
de pouvoir, sinon d’excès de pouvoir, et non de pouvoir discrétionnaire
ayant entraîné une indécision judiciaire.

6. La déclaration de 1992

61. Dans son arrêt de 1996, la Cour a jugé qu’elle avait compétence
ratione personae sur le fondement de la déclaration formelle du 27 avril
1992 adoptée par les participants à la session commune de l’Assemblée de

la RFSY, de l’Assemblée nationale de la République de Serbie et
de l’Assemblée de la République du Monténégro. La Cour a considéré
cette déclaration comme un acte unilatéral ayant des conséquences
juridiques pertinentes quant à sa compétence ratione personae.C e
point de vue paraît douteux et mérite, selon moi, d’être réexaminé

à la lumière des règles pertinentes du droit international et de la
jurisprudence de la Cour, respectivement. Il s’agit de le réexaminer non
seulement en ce qui concerne la présomption d’identité et de continuité
juridiques entre le défendeur et la RFSY, thèse jugée inacceptable par
la communauté internationale et qui a servi de fondement à la conclu-

sion de la Cour, mais aussi en ce qui concerne la qualification de la
nature et des effets de la déclaration.

460500 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP. OP. KRECu )

62. Did the Declaration adopted on 27 April 1992 meet the relevant
requirements to be considered as a unilateral act producing legal conse-
quences?

63. It seems obvious that the issue of an act by a single state cannot by
itself qualify as a unilateral act capable of producing legal effects in foro
externo. The unilateral nature of an act is but one extrinsic element
which, when coupled with other elements, both extrinsic and intrinsic,

forms a unilateral legal act in terms of international law.

64. In the circumstances of the case at hand a number of elements are
of special relevance. The primary extrinsic element concerns the capacity

of the participants in the Joint Session of the SFRY Assembly, the
National Assembly of the Republic of Serbia and the Assembly of the
Republic of Montenegro to perform unilateral acts in the sense of inter-

national law. The Joint Session of the SFRY Assembly, the National
Assembly of the Republic of Serbia and the Assembly of the Republic of
Montenegro was not constituted as the Parliament of the Federal Repub-
lic of Yugoslavia; rather it was a body of representatives in statu nas-

cendi. Even if, arguendo, it represented the Parliament, it was obviously
not a State organ possessing the capacity to perform unilateral acts on
behalf of the State. Representatives of a State for purposes of formulat-

ing unilateral legal acts are 35ads of State, heads of Government and
ministers of foreign affairs . The rule has also been confirmed in the
jurisprudence of the Court (Legal Status of Eastern Greenland, Judg-
ment, 1933, P.C.I.J., Series A/B, No. 53 , p. 22). Consequently, it appears

that the Declaration, if designed as a unilateral legal act in foro externo,
was issued by an incompetent organ under international law and, as
such, produced no legal effects .36

65. True, the Declaration, as the Court found, “was confirmed in an

official Note of 27 April 1992 from the Permanent Mission of Yugoslavia
to the United Nations, addressed to the Secretary-General.” (I.C.J.
Reports 1996 (II), p. 610, para. 17) The word “confirmed” in the present
context may have two meanings: a descriptive one in the sense that the

letter from the Permanent Representative reproduced the text of the Dec-
laration and a meaning as a “terminus technicus”, signifying confirma-
tion of a unilateral act of an unauthorized State organ. Neither of these

two possible meanings of the word “confirmed” can be accepted in con-

35Art. 4, Report on Unilateral Acts of States, Yearbook of the International Law Com-
mission (YILC), 1998, II, Part One, doc. A/CN.4/486; United Nations doc. A/CN.4/500
and Add.1.
36See Article 4 (Subsequent confirmation of an act formulated by a person not author-
ized for that purpose) in the Third Report of the Special Rapporteur, YILC, 2000, I,

p. 96.

461 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND .KRECu ) 500

62. La déclaration adoptée le 27 avril 1992 répondait-elle aux condi-
tions requises pour être considérée comme un acte unilatéral produisant
des conséquences juridiques?

63. Il semble évident que le fait, pour un Etat unique, d’effectuer un
acte ne saurait, en soi, constituer un acte unilatéral à même de produire
des effets juridiques in foro externo. Le caractère unilatéral d’un acte ne
constitue qu’un élément extrinsèque qui, lorsqu’il est associé à d’autres

éléments tant extrinsèques qu’intrinsèques, donne naissance à un acte
juridique unilatéral au sens du droit international.
64. Dans les circonstances de la présente espèce, un certain nombre
d’éléments revêtent une pertinence particulière. Le tout premier élément

extrinsèque à considérer porte sur la capacité des participants à la session
commune de l’Assemblée de la RFSY, de l’Assemblée nationale de la
République de Serbie et de l’Assemblée de la République du Monténégro

à produire des actes unilatéraux au sens du droit international. La session
commune de l’Assemblée de la RFSY, de l’Assemblée nationale de la
République de Serbie et de l’Assemblée de la République du Monténégro
n’a pas été constituée en tant que Parlement de la République fédérale de

Yougoslavie; il s’agissait plutôt d’un ensemble de représentants in
statu nascendi. Même à supposer, arguendo, qu’il s’agissait d’une
représentation du Parlement, ce n’était manifestement pas un organe

étatique doté de la capacité d’accomplir des actes unilatéraux pour le
compte de l’Etat. Les représentants d’un Etat ayant la faculté d’accom-
plir des actes juridiques unilatéraux sont le chef de l’Etat, le chef du
gouvernement et le ministre des affaires étrangères . Cette règle a

d’ailleurs été confirmée dans la jurisprudence de la Cour (Statutojuridique
du Groënland oriental, arrêt, 1933, C.P.J.I. série A/B n 53, p. 22).
Par conséquent, il semble que la déclaration, si elle était conçue comme

un acte juridique unilatéral in foro externo, n’émanait pas d’un organe
compétent au sens du droit international et, en tant que telle, ne
produisait aucun effet juridique .36
65. Certes, la déclaration a été, comme la Cour l’a indiqué, «confirmée

dans une note officielle du 27 avril 1992 adressée au Secrétaire général
par la mission permanente de la Yougoslavie auprès des Nations Unies»
(C.I.J. Recueil 1996 (II) , p. 610, par. 17). Dans le présent contexte, le
terme «confirmée» peut avoir deux sens: un sens descriptif qui est que la

lettre du représentant permanent reproduisait le texte de la déclaration et
un sens «technique» qui est qu’elle confirmait un acte unilatéral émanant
d’un organe étatique non autorisé. Aucun de ces deux sens du terme

«confirmée» ne peut être retenu in concreto. S’agissant du sens descriptif

35Art. 4, Rapport sur les actes unilatéraux des Etats, Annuaire de la Commission du
droit international, 1998, II, première partie, doc. A/CN.4/486; Nations Unies, doc.
A/CN.4/500 et Add. 1.
36Voir art. 4 (confirmation ultérieure d’un acte émanant d’une personne n’ayant pas
l’autorité voulue à cette fin) dans le troisième rapport du Rapporteur spécial, Commission

du droit international, 2000, I, p. 96.

461501 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP.OP . KRECu )

creto. In respect of the descriptive meaning of the word “confirmed37 it is
obvious that the letter from the Permanent Representative reproduces
the text of the Declaration only in part, i.e., citing only a small part

thereof relating exclusively to legal identity and continuity.
By definition, the limited powers held by heads of permanent missions
to international organizations, including permanent missions to the
United Nations, negate the possibility of the official Note of the Perma-

nent Mission of Yugoslavia of 27 April 1992 being understood as “con-
firmation” of an act issued by an organ — if at the material point in time
it was an organ — incompetent under international law to perform legal

acts on behalf of the State.

66. Hence, the proper characterization of the Note of the Yugoslav

Permanent Mission of 27 April 1992 is that of a transmission of the Dec-
laration followed by the corresponding reproduction of a part of the
Declaration directly connected with the Federal Republic of Yugoslavia’s

proclaimed legal identity with and continuation of the former SFRY vis-
à-vis the United Nations.
67. This characterization of the Note of the Yugoslav Permanent Mis-

sion suggests that the Declaration of 27 April 1992 and the Note of the
Permanent Mission are two distinct, yet not totally separate, acts, both
by their nature and by their effects. For its part, the Declaration is basi-

cally a general statement of policy with respect to matters directly or indi-
rectly connected with the issue of the proclaimed legal identity and State
continuity of the Federal Republic of Yugoslavia, while the Note seems

to be primarily a notification in the standard sense. Evidence to this effect
is found in the fact that the addressee of the Note was the Secretary-
General, who was requested to circulate the Declaration and the Note as
38
an official document of the General Assembly , whereas the Declaration
as such was addressed urbi et orbi.

37
The text of the letter reads:
“The Assembly of the Socialist Federal Republic of Yugoslavia, at its session held
on 27 April 1992, promulgated the Constitution of the Federal Republic of Yugosla-
via. Under the Constitution, on the basis of the continuing personality of Yugoslavia

and the legitimate decisions by Serbia and Montenegro to continue to live together
in Yugoslavia, the Socialist Federal Republic of Yugoslavia, consisting of the
Republic of Serbia and the Republic of Montenegro. Strictly respecting the
continuity of the international personality of Yugoslavia, the Federal Republic of
Yugoslavia shall continue to fulfil all the rights conferred to, and obligations
assumed by, the Socialist Federal Republic of Yugoslavia in international relations,
including its membership in all international organizations and participation in
international treaties ratified or acceded to by Yugoslavia.” (United Nations
doc. A/46/915, Ann. I.)

38
United Nations doc. A/46/915.

462 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP .IND . KRECu ) 501

37
du terme, il est évident que la lettre du représentant permanent ne
reproduit qu’une partie du texte de la déclaration, en ce sens qu’elle ne
cite qu’un bref passage dudit texte portant exclusivement sur l’identité et

la continuité juridiques.
Par définition, en raison des pouvoirs limités qu’ont les chefs de mis-
sion permanente auprès des organisations internationales, y compris les
missions permanentes auprès des Nations Unies, la note officielle de la

mission permanente de la Yougoslavie du 27 avril 1992 ne saurait être
comprise comme étant la «confirmation» d’un acte émanant d’un organe
— si c’était un organe à l’époque pertinente —, organe n’ayant pas com-

pétence au sens du droit international pour accomplir des actes juridiques
au nom de l’Etat.
66. C’est pourquoi il faut voir dans la note de la mission permanente

de Yougoslavie du 27 avril 1992 la transmission de la déclaration, sui-
vie de la reproduction correspondante d’une partie de cette déclaration
ayant directement trait à la thèse de la République fédérale de Yougoslavie

selon laquelle elle assurait l’identité et la continuité juridiques de l’ex-
RFSY vis-à-vis de l’Organisation des Nations Unies.
67. Cette analyse de la note de la mission permanente de la Yougo-

slavie donne à penser que la déclaration du 27 avril 1992 et la note de la
mission permanente sont deux actes distincts, bien que n’étant pas tota-
lement indépendants l’un de l’autre, tant par leur nature que par leurs

effets. La déclaration est essentiellement une déclaration de politique
générale portant sur des questions se rattachant directement ou non à la
thèse de l’identité et de la continuité juridiques de la République fédérale

de Yougoslavie, alors que la note semble principalement être une notifi-
cation, dans le sens classique du mot. En atteste le fait que la note était
destinée au Secrétaire général, qui était prié de bien vouloir faire distri-

buer la déclaration et la note comme document officiel de l’Assemblée
générale , alors que la déclaration était, en tant que telle, adressée urbi et
orbi.

37
Le texte de ladite lettre se lit comme suit:
«L’Assemblée de la République fédérative socialiste de Yougoslavie, à la session
qu’elle a tenue le 27 avril 1992, a promulgué la Constitution de la République fédé-
rale de Yougoslavie. Aux termes de la Constitution, et compte tenu de la continuité

de la personnalité de la Yougoslavie et des décisions légitimes qu’ont prises la Serbie
et le Monténégro de continuer à vivre ensemble en Yougoslavie, la République
fédérative socialiste de Yougoslavie devient la République fédérale de Yougoslavie,
composée de la République de Serbie et de la République du Monténégro. Dans le
strict respect de la continuité de la personnalité internationale de la Yougoslavie, la
République fédérale de Yougoslavie continuera à exercer tous les droits conférés à la
République fédérative socialiste de Yougoslavie et à s’acquitter de toutes les obliga-
tions assumées par cette dernière dans les relations internationales, y compris en ce
qui concerne son appartenance à toutes les organisations internationales et sa par-
ticipation à tous les traités internationaux que la Yougoslavie a ratifiés ou auxquels
elle a adhéré.» (Nations Unies, doc. A/46/915, annexe I.)
38
Nations Unies, doc. A/46/915.

462502 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION SEP. OP. KREuA )

68. Several intrinsic elements of the Declaration merit attention in this

particular context: its scope ratione materiae, the intention of the author
of the Declaration and its possible effects.
69. As regards its scope ratione materiae, the Declaration covers sev-
eral different matters.
The Declaration reads as follows:

“The representatives of the people of the Republic of Serbia and
the Republic of Montenegro,

Expressing the will of the citizens of their respective Republics to
stay in the common state of Yugoslavia,

Accepting all basic principles of the Charter of the United
Nations and the CSCE Helsinki Final Act and the Paris Charter,
and particularly the principles of parliamentary democracy,
market economy and respect for human rights and the
rights of national minorities,

Remaining strictly committed to a peaceful resolution of the Yugo-
slav crisis,

Wish to state in this Declaration their views on the basic, imme-
diate and lasting objectives of the policy of their common state, and
on its relations with the former Yugoslav Republics.

In that regard, the representatives of the people of the Republic of
Serbia and the Republic of Montenegro declare:

1. The Federal Republic of Yugoslavia, continuing the state, inter-
national legal and political personality of the Socialist Federal
Republic of Yugoslavia, shall strictly abide by all the commit-
ments that the SFR of Yugoslavia assumed internationally.

At the same time, it is ready to fully respect the rights and
interests of the Yugoslav Republics which declared independ-
ence. The recognition of the newly-formed States will follow after
all the outstanding questions negotiated on within the Confer-
ence on Yugoslavia have been settled,

Remaining bound by all obligations to international organiza-
tions and institutions whose member it is, the Federal
Republic of Yugoslavia shall not obstruct the newly-formed
States to join these organizations and institutions,

particularly the United Nations and its specialized agencies.
The Federal Republic of Yugoslavia shall respect and
fulfil the rights and obligations the SFR of Yugoslavia
assumed vis-à-vis the territories of Krajina which have
been placed, within the framework of the United Nations

peace-keeping operation, under the protection of the world
Organization.

463 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KRECu ) 502

68. Plusieurs éléments intrinsèques de la déclaration méritent qu’on s’y

intéresse dans ce contexte particulier: sa portée ratione materiae, l’inten-
tion de son auteur et ses effets éventuels.
69. S’agissant de sa portée ratione materiae, la déclaration a trait à
diverses questions.
Elle se lit comme suit:

«Les représentants du peuple de la République de Serbie et de la
République du Monténégro,

Exprimant la volonté des citoyens de leurs républiques respectives
de demeurer au sein de l’Etat commun de Yougoslavie,

Acceptant tous les principes fondamentaux de la Charte des
Nations Unies et de l’acte final d’Helsinki adopté par la Conférence
sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE) ainsi que de la
Charte de Paris pour une nouvelle Europe, et en particulier les prin-
cipes de la démocratie parlementaire, de l’économie de marché et du

respect des droits de l’homme et des droits des minorités nationales,
Restant profondément déterminés à parvenir à un règlement paci-
fique de la crise yougoslave,

Souhaitent exprimer leurs vues sur les objectifs fondamentaux,
immédiats et à long terme de la politique de leur Etat commun, ainsi
que sur ses relations avec les anciennes républiques yougoslaves.

A cette fin, les représeultants de peuple de la République de Serbie
et de la République des Monténégro font la déclaration suivante:

1. La République fédérale de Yougoslavie, assurant la continuité de
l’Etat et de la personnalité juridique et politique internationale de
la République fédérative socialiste de Yougoslavie, respectera
strictement tous les engagements que la République fédérative
socialiste de Yougoslavie a pris à l’échelon international.

Simultanément, elle est disposée à respecter pleinement les
droits et les intérêts des républiques yougoslaves qui ont déclaré
leur indépendance. La reconnaissance des Etats nouvellement
constitués interviendra une fois qu’auront été réglées les ques-
tions en suspens actuellement en cours de négociation dans le

cadre de la conférence sur la Yougoslavie.
Restant liée par toutes ses obligations vis-à-vis des organisa-
tions et institutions internationales auxquelles elle appartient, la
République fédérale de Yougoslavie ne fera rien pour empêcher
les Etats nouvellement constitués d’adhérer à ces organisations et

institutions, notamment à l’Organisation des Nations Unies et à
ses institutions spécialisées. La République fédérale de Yougo-
slavie respectera et honorera les droits et obligations que la
République fédérative socialiste de Yougoslavie a contractés vis-
à-vis des territoires de Krajina qui ont été placés, dans le cadre de

l’opération de maintien de la paix de l’Organisation des Nations
Unies, sous la protection de l’organisation mondiale.

463503 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP. OP. KREuA )

The Federal Republic of Yugoslavia also remains ready to
negotiate, within the Conference on Yugoslavia, all problems
related to the division of assets, which means both to assets and
debts acquired jointly. In case of a dispute regarding these issues,

the Federal Republic of Yugoslavia shall be ready to accept the
arbitration of the Permanent Court of Arbitration in the Hague.
2. The diplomatic and consular missions of the Federal Republic of
Yugoslavia abroad shall continue without interruption to per-
form their functions of representing and protecting the interests

of Yugoslavia. Until further notice, they shall continue to take
care of all the assets of Yugoslavia abroad. They shall also extend
consular protection to all nationals of the SFR of Yugoslavia
whenever they request them to do so until a final regulation of
their nationality status. The Federal Republic of Yugoslavia rec-

ognizes, at the same time, the full continuity of the representation
of foreign states by their diplomatic and consular missions in its
territory.

3. The Federal Republic of Yugoslavia is interested in the reinstate-
ment of economic, transport, energy and other flows and ties in
the territory of the SFR of Yugoslavia. It is ready to make its full
contribution to that end.

4. The Federal Republic of Yugoslavia has no territorial aspirations
towards any of its neighbours. Respecting the objectives and
principles of the United Nations Charter and CSCE documents,
it remains strictly committed to the principle of nonuse of force in

settling any outstanding issues.
5. The Federal Republic of Yugoslavia shall ensure the highest
standards of the protection of human rights and the rights of
national minorities provided for in international legal instru-

ments and CSCE documents. In addition, the Federal Republic
of Yugoslavia is ready to grant the national minorities in its ter-
ritory all those rights which would be recognized to and enjoyed
by the national minorities in other CSCE participating States.

6. In its foreign relations, the Federal Republic of Yugoslavia shall
be guided by the principles of the United Nations Charter, as well
as the principles of CSCE documents, particularly the Paris Char-
ter for New Europe. As the founding member of the Movement

of non-aligned countries, it shall remain committed to the prin-
ciples and objectives of the policy of nonalignment.

It shall develop relations of confidence and understanding with
its neighbours proceeding from the principle of good neighbour-

464 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP .IND. KRECu ) 503

La République fédérale de Yougoslavie demeure également

prête à négocier, dans le cadre de la conférence sur la Yougosla-
vie, tous les problèmes liés à la répartition des actifs acquis et des
dettes contractées conjointement. En cas de litige sur ces ques-
tions, la République fédérale de Yougoslavie est disposée à accep-
ter l’arbitrage de la Cour permanente d’arbitrage de La Haye.

2. Les missions diplomatiques et consulaires qui représentent la
République fédérale de Yougoslavie à l’étranger continueront,
sans interruption, à s’acquitter de leurs fonctions qui consistent à
représenter et à protéger les intérêts de la Yougoslavie. Jusqu’à
nouvel ordre, elles continueront à se charger de la gestion de tous

les avoirs de la Yougoslavie à l’étranger. De plus, elles offriront
une protection consulaire à tous les ressortissants de la Répu-
blique fédérative socialiste de Yougoslavie qui la solliciteront, en
attendant que leur statut national soit définitivement arrêté. La

République fédérale de Yougoslavie reconnaît, simultanément, la
pleine continuité de la représentation des Etats étrangers assurée
par les missions diplomatiques et consulaires de ces Etats sur son
territoire.
3. La République fédérale de Yougoslavie souhaite le rétablisse-

ment de tous les liens qui existaient sur le territoire de la Répu-
blique fédérative socialiste de Yougoslavie, notamment dans les
domaines de l’économie, des transports et de l’énergie. Elle est
disposée à coopérer pleinement à la réalisation de cet objectif.
4. La République fédérale de Yougoslavie n’a aucune ambition sur

les territoires de ses voisins, quels qu’ils soient. Fidèle aux objec-
tifs et principes de la Charte des Nations Unies et aux documents
de la CSCE, elle reste profondément attachée aux principes du
non-recours à la force dans le règlement des différends.
5. La République fédérale de Yougoslavie garantira le plus haut

niveau de protection des droits de l’homme et des droits des
minorités nationales prévue dans les instruments juridiques inter-
nationaux et ceux de la CSCE. La République fédérale de You-
goslavie se déclare en outre disposée à accorder aux minorités
nationales qui résident sur son territoire tous les droits reconnus

aux minorités nationales qui résident dans les autres Etats
Membres de la CSCE.
6. Dans ses relations avec l’étranger, la République fédérale de
Yougoslavie se laissera guider par les principes de la Charte des
Nations Unies ainsi que par ceux qui sont consacrés dans les

documents de la CSCE, notamment la Charte de Paris pour une
nouvelle Europe. En sa qualité de membre fondateur du Mouve-
ment des pays non alignés, elle demeurera fidèle aux principes et
objectifs de la politique du non-alignement.

Elle établira des relations de confiance et de compréhension
avec ses voisins, sur la base du principe du bon voisinage. En

464504 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP. OP. KRECu )

liness. The Federal Republic of Yugoslavia shall, as a State of
free citizens, be guided in its democratic development by the

standards and achievements of the Council of Europe, the Euro-
pean Community and other European institutions, with an ori-
entation to join them in the foreseeable future.” (United Nations
doc. A/46/915, Ann. I; emphasis added.)

It appears that, if viewed in isolation, only a part of the Declaration —
the extension of “consular protection to all nationals of the SFR of

Yugoslavia” — is capable per se of producing, certain effects, under cer-
tain conditions. Although not addressed to third States, it can, in a
broader context, be subsumed under the “power of auto-limitation which
States enjoyed under international law, in other words, their ability in the

exercise of t39ir sovereignty to subject themselves to international legal
obligations” .

In the part of the Declaration concerning “commitments that the

SFRY assumed internationally”, which is relevant for the assessment as
to whether the Federal Republic of Yugoslavia could be considered
bound by the Genocide Convention, things are, however, fundamentally
different.

70. Can the formulation “shall strictly abide by all the commit-
ments . . .” as such be understood as consent by the Federal Republic of
Yugoslavia to be bound by the Genocide Convention? That interpreta-
tion appears totally erroneous in the light of the rule of interpretation of

unilateral legal acts accepted in the Court’s jurisprudence. Where uni-
lateral acts of States are to be interpreted, “declarations . . . are to be
read as a whole” and “interpreted as a unity” ( Fisheries Jurisdiction
(Spain v. Canada), Jurisdiction of the Court, Judgment, I.C.J. Reports

1998, pp. 452-454, paras. 47 and 44). Further, unilateral acts “must be
interpreted as [they stand], having regard to the words actually used.”
(Anglo-Iranian Oil Co., Preliminary Objection, Judgment , I.C.J. Reports
1952, p. 105).

The intention of the author of the Declaration is of key concern, since
“[w]hen it is the intention of the State making the declaration that it
should become bound according to its terms , that intention confers on the

declaration the character of a legal undertaking” (Nuclear Tests (Aus-
tralia v. France, Judgment, I.C.J. Reports 1974, p. 267, para. 43; Nuclear
Tests (New Zealand v. France), Judgment, I.C.J. Reports 1974, p. 472,
para. 46; Frontier Dispute, Judgment , I.C.J. Reports 1986, pp. 573-574,

paras. 39-40; emphasis added). When States “make statements by which
their freedom of action is to be limited, a restrictive interpretation is

39V. Rodrigues Cedeno, Special Rapporteur, YILC, 1998, II, Part Two, p. 53, para. 140.

465 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KRECu ) 504

qualité d’Etat de citoyens libres, la République fédérale de You-
goslavie se laissera guider, dans son développement démocra-

tique, par les normes et les décisions du Conseil de l’Europe, de la
Communauté européenne et des autres institutions européennes,
auxquelles elle envisage d’adhérer prochainement.» (Nations
Unies, doc. A/46/915, annexe II; les italiques sont de moi.)

Il semble que, si on considère ce texte isolément, seule une partie de la
déclaration — l’extension de la «protection consulaire à tous les ressor-

tissants de la République fédérative socialiste de Yougoslavie» — est à
même de produire per se certains effets sous certaines conditions. Bien
qu’elle ne soit pas adressée à des Etats tiers, cette déclaration peut, dans
un contexte plus large, être rangée dans la catégorie des actes relevant du

«pouvoir d’autolimitation que le droit international conf[ère] aux Etats:
en d’autres termes, la possibilité que ceux-ci [ont] de se soumettre à des
obligations juridiques internationales» .39
Dans la partie de la déclaration portant sur «les engagements que la

République fédérative socialiste de Yougoslavie a pris à l’échelon inter-
national», laquelle est pertinente aux fins de déterminer si la République
fédérale de Yougoslavie pouvait être considérée comme liée par la conven-
tion sur le génocide, la situation est toutefois fondamentalement diffé-

rente.
70. La formule «respectera strictement tous les engagements» peut-
elle être comprise comme signifiant que la République fédérale de You-
goslavie consent à être liée par la convention sur le génocide? Cette inter-
prétation semble, à la lumière de la règle de l’interprétation des actes

juridiques unilatéraux reconnue dans la jurisprudence de la Cour, totale-
ment erronée. Quand il faut interpréter des actes unilatéraux d’Etats, «les
déclarations ... doivent être considérées comme un tout» et «interpré-
tées» comme formant un tout (Compétence en matière de pêcheries

(Espagne c. Canada), compétence de la Cour, arrêt, C.I.J. Recueil 1998 ,
p. 452-454, par. 47 et 44). En outre, les actes unilatéraux «doi[ven]t être
interprété[s] tel[s] qu’[ils] se présente[nt], en tenant compte des mots effec-
tivement employés» (Anglo-Iranian Oil Co., exception préliminaire, arrêt,

C.I.J. Recueil 1952, p. 105).
L’intention de l’auteur de la déclaration présente un intérêt primordial,
car «[q]uand l’Etat auteur de la déclaration entend être lié conformément
à ces termes, cette intention confère à sa prise de position le caractère

d’un engagement juridique» (Essais nucléaires (Australie c. France),
arrêt, C.I.J. Recueil 1974 , p. 267, par. 43 ; Essais nucléaires (Nouvelle-
Zélande c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974 , p. 472, par. 46 ; Différend
frontalier, arrêt, C.I.J. Recueil 1986 , p. 573-574, par. 39-40; les italiques

sont de moi). Lorsque des Etats «font des déclarations qui limitent leur
liberté d’action future, une interprétation restrictive s’impose »( Essais

39V. Rodrigues Cedeno, Rapporteur spécial, Commission du droit international , 1998,
II, deuxième partie, p. 51, par. 140.

465505 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION SEP .OP. KRECu )

called for”( Nuclear Tests (Australia v. France), Judgment, I.C.J. Reports

1974, p. 267, para. 44; Nuclear Tests (New Zealand v. France), Judg-
ment, I.C.J. Reports 1974, pp. 472-473, para. 47; emphasis added).
71. In the light of the rules of construction of unilateral legal acts, the
question naturally arises whether the Federal Republic of Yugoslavia
had the intention to assume obligations ex foro externo by the Declara-

tion.
72. If the Declaration is read as a whole and interpreted as a unity, the
answer must, it seems, be in the negative. It is set out in the introduction
part that the participants in the Joint Session of the SFRY Assembly, the
National Assembly of the Republic of Serbia and the Assembly of the

Republic of Montenegro “wish to state in this Declaration their views on
the basic, immediate and lasting objectives of the policy of their common
state and its relations with the former Yugoslav Republics” (emphasis
added). Statements of policy objectives are rarely found in the sphere of

international law. In the Nicaragua case the Court, considering the issue
as to whether any legal undertaking could be inferred from communica-
tions from the Junta of the Government of National Reconstruction of
Nicaragua to the Secretary-General of the Organization of American
States accompanied by the “Plan to secure peace”, found inter alia :

“This was an essentially political pledge , made not only to the
Organization, but also to the people of Nicaragua, intended to be its
first beneficiaries. . . . This part of the resolution is a mere statement
which does not comprise any formal offer which if accepted would
constitute a promise in law, and hence a legal obligation. ”( Military

and Paramilitary Activities in and against Nicaragua (Nicaragua v.
United States of America), Merits, Judgment, I.C.J. Reports 1986 ,
p. 132, para. 261; emphasis added.)

Furthermore, if, ex hypothesi, the participants had intended the Declara-
tion to produce legal effects, these effects would have been expressed as
the confirmation or safeguarding of existing rights and obligations rather

than as the assumption of obligations pro futuro. The interpretation of
the Declaration “according to its own terms” “as they stand” inevitably
leads to the conclusion, as also inferred by the Court itself, that the inten-
tion was “to remain bound by international treaties to which the former
Yugoslavia was a party” (I.C.J. Reports 1996, p. 610, para. 17; emphasis

added). And that pursuant to both legal considerations and the Declara-
tion itself means the Federal Republic of Yugoslavia’s legal identity and
continuity with the former SFRY. If, on the other hand, legal identity
and continuity was a condition on which depended the status of the Fed-
eral Republic of Yugoslavia as a party to multilateral conventions,

including the Genocide Convention, another highly relevant question
emerges: namely, is the Declaration as such capable of producing legal

466 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KRECu ) 505

nucléaires (Australie c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974 , p. 267,

par. 44; Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France), arrêt, C.I.J.
Recueil 1974, p. 472-473, par. 47; les italiques sont de moi).
71. Compte tenu des règles propres à l’interprétation des actes juri-
diques unilatéraux, la question se pose naturellement de savoir si la Ré-
publique fédérale de Yougoslavie avait, par cette déclaration, l’intention

d’assumer des obligations ex foro externo.
72. Si la déclaration est lue comme un tout et interprétée comme for-
mant un tout, la réponse doit, semble-t-il, être négative. Il est souligné
dans l’introduction que les participants à la session commune de l’Assem-
blée de la RFSY, de l’Assemblée nationale de la République de Serbie et

de l’Assemblée de la République du Monténégro «[s]ouhaitent exprimer
leurs vues sur les objectifs fondamentaux, immédiats et à long terme de
la politique de leur Etat commun, ainsi que sur ses relations avec les an-
ciennes républiques yougoslaves» (les italiques sont de moi). On trouve

rarement dans le domaine du droit international des déclarations de
politique générale. Dans l’affaire du Nicaragua, examinant la ques-
tion de savoir si l’on pouvait déduire un quelconque engagement juri-
dique des communications adressées par la junte du gouvernement de
reconstruction nationale du Nicaragua au Secrétaire général de l’Orga-

nisation des Etats américains avec le «plan pour la paix», la Cour a
notamment constaté ceci:

«Il s’était agi d’une promesse essentiellement politique , faite non
seulement à l’Organisation mais aussi au peuple du Nicaragua qui
devait en être le premier bénéficiaire... Cette partie de la résolution
n’est qu’une simple déclaration ne comportant pas d’offre formelle
pouvant constituer, par son acceptation, une promesse en droit et

donc une obligation juridique. »( Activités militaires et paramilitaires
au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amé-
rique), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986 , p. 132, par. 261; les italiques
sont de moi.)

En outre, si, par hypothèse, les participants avaient souhaité que la décla-
ration produise des effets juridiques, ces effets auraient été exprimés
comme étant la confirmation ou la sauvegarde de droits et obligations

existants et non comme la prise en charge d’obligations pro futuro.
L’interprétation de la déclaration «en tenant compte des mots effective-
ment employés», «telle qu’elle se présente», porte inévitablement à la
conclusion, comme la Cour elle-même l’a dit, que l’intention était de
«demeurer liée par les traités internationaux auxquels était partie l’ex-

Yougoslavie» (C.I.J. Recueil 1996, p. 610, par. 17; les italiques sont de
moi). Dès lors, en vertu tant de considérations juridiques que de la décla-
ration elle-même, cela signifie qu’il y a identité et continuité juridiques
entre l’ex-RFSY et la République fédérale de Yougoslavie. Si, en re-
vanche, l’identité et la continuité juridiques étaient une condition dont dé-

pendait le statut de la République fédérale de Yougoslavie en tant que
partie à des conventions multilatérales, y compris la convention sur le

466506 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP.OP .KRECu )

effects without having been accepted, expressly or tacitly, by other inter-
national subjects, including the United Nations?

Obviously not, because declarations, like other unilateral acts, used to
carry out obligations in relation to treaties, are governed by the law of

treaties as applied to the particular convention. In general, unilateral
legal acts as such, being self-contained, are not in the nature of synallag-
matic obligations which form the substance of treaties.

73. The Convention on the Prevention and Punishment of the Crime

of Genocide (1948) stipulates in Article XI:

“The present Convention shall be open until 31 December 1949

for signature on behalf of any Member of the United Nations and of
any non-member State to which an invitation to sign has been
addressed by the General Assembly.
The present Convention shall be ratified, and the instruments of

ratification shall be deposited with the Secretary-General of the
United Nations.
After 1 January 1950, the present Convention may be acceded
to on behalf of any Member of the United Nations and of
any non-member State which has received an invitation as

aforesaid.
Instruments of accession shall be deposited with the Secretary-
General of the United Nations.”

It would appear that ratification and accession are the sole means of
expressing consent to be bound by the Convention. Article XI expresses
the intention of the authors of the Convention:

“The Secretariat’s draft provided as an alternative solution acces-
sions only, on the theory that the approval of the Convention by the
representatives of the governments in the General Assembly may

obviate the necessity for signature. The ad hoc Committee, however,
preferred the usual procedure of signature followed by ratification,
for the original members.” 40

74. It appears that the Court in addition strongly relied on the finding
that: “it has not been contested that Yugoslavia was party to the
Genocide Convention” (I.C.J. Reports 1996, p. 610, para. 17).
However, that finding does not seem convincing in the light

of the legal nature of the issue of jurisdiction (see paras. 41-44
above).

40N. Robinson, The Genocide Convention , 1949, p. 47.

467 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KREuA ) 506

génocide, il se pose alors une autre question éminemment pertinente: la
déclaration est-elle à même de produire des effets juridiques sans avoir

été acceptée, expressément ou tacitement, par d’autres sujets de droit
international, y compris l’Organisation des Nations Unies?
A l’évidence non, car les déclarations, comme les autres actes
unilatéraux établis aux fins d’assumer des obligations conventionnelles,

sont régies par le droit des traités, tel qu’il s’applique à la convention
particulière dont il s’agit. En règle générale, les actes juridiques unilaté-
raux étant, en tant que tels, autonomes, ils ne sont pas de même nature
que les obligations synallagmatiques qui constituent l’essence des traités.
73. La Convention pour la prévention et la répression du crime de

génocide (1948) dispose, en son article XI:

«La présente Convention sera ouverte jusqu’au 31 décembre 1949

à la signature au nom de tout Membre de l’Organisation des Nations
Unies et de tout Etat non membre à qui l’Assemblée générale aura
adressé une invitation à cet effet.
La présente Convention sera ratifiée et les instruments de ratifica-

tion seront déposés auprès du Secrétaire général de l’Organisation
des Nations Unies.
A partir du 1 er janvier 1950, il pourra être adhéré à la présente
Convention au nom de tout Membre de l’Organisation des Nations
Unies et de tout Etat non membre qui aura reçu l’invitation susmen-

tionnée.
Les instruments d’adhésion seront déposés auprès du Secrétaire
général de l’Organisation des Nations Unies.»

Il apparaît que la ratification et l’adhésion sont les seuls moyens
d’exprimer le consentement à être lié par la Convention. L’article XI
exprime l’intention des auteurs de la Convention:

«Le projet du secrétariat ne proposait comme alternative que
l’adhésion, adoptant pour théorie que l’approbation de la Conven-
tion par les représentants des gouvernements présents à l’Assemblée

générale pouvait pallier la nécessité de signature. Le comité ad hoc,
toutefois, a préféré adopter la procédure habituelle de signature sui-
vie de la ratification pour les Membres fondateurs.» 40

74. Il semble que la Cour s’appuyait en outre fermement sur la conclu-
sion selon laquelle «il n’a pas été contesté que la Yougoslavie soit
partie à la convention sur le génocide» (C.I.J. Recueil 1996, p. 610,
par. 17). Toutefois, cette conclusion ne paraît guère convaincante

compte tenu de la nature juridique de la question de la compétence (voir
par. 41-44 ci-dessus).

40N. Robinson, The Genocide Convention , 1949, p. 47.

467507 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP. OP. KREuA )

7. The issue of the respondent Party

Serbia has been designated as the respondent Party on the basis of two

premises:
(i) the status of Serbia as the continuing State vis-à-vis the State Union

of Serbia and Montenegro; and
(ii) the view that the Republic of Montenegro as the successor State is
ipso facto relinquished of any form of delictual responsibility.

However, neither one of these two premises has been applied consist-
ently.
As regards the first premise, it seems clear that Serbia is the legal con-
tinuator of the State Union of Serbia/Montenegro. A delicate question,
not even touched upon by the Judgment, is that of the legal status of Ser-

bia and Montenegro from 2000 onwards.

75. At the end of the year 2000 the FRY, acting in the appropriate
context, did two things:

(i) renounced the continuity claim and accepted the status of successor
State to the former SFRY; and
(ii) proceeding on the bases of this new capacity — as the successor

State — submitted an application for admission to membership in
the United Nations.
76. The State, as a notion of international law, comprises two ele-

ments, i.e., has two facets:
(i) statehood in the sense of the relevant attributes such as a defined ter-
ritory, a stable population and sovereign power;

(ii) legal personality, i.e., status as a subject of international law equipped
with a corpus of rights and obligations. In the light of the relevant
circumstances, the legal personality of the Federal Republic of Yugo-
slavia can be either inferential and derivative in nature — based on
legal identity with and continuation of the Socialist Federal Republic

of Yugoslavia — or inherent and original in nature — based on
status as a new State.

77. By submitting an application for admission to membership in the
United Nations, Yugoslavia not only renounced the claim to legal iden-
tity and continuity; it sought at the same time to be recognized as a new
State, one with a different legal personality — a successor State as
opposed to the partial continuation of the former Socialist Federal

Republic of Yugoslavia — from the one claimed until the year 2000. In
fact, it accepted the claim qualified as the claim put forward by the inter-
national community when the Federal Republic of Yugoslavia was for-
mally proclaimed in April 1992. A claim which the relevant international
organizations and States, acting individually or in corpore as members of

organizations, did not however implement either formally or substan-
tively. Instead, they opted for solutions based on pragmatic political con-

468 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP.IND .KRECu ) 507

7. La question de la partie défenderesse

La Serbie a été désignée comme la partie défenderesse à partir de deux

hypothèses:
i) son statut d’Etat continuateur de la communauté étatique de Serbie-

et-Monténégro; et
ii) l’idée que la République du Monténégro, en tant qu’Etat successeur,
était ipso facto privée de toute forme de responsabilité délictuelle.

Toutefois, aucune de ces deux hypothèses n’a été appliquée de façon
cohérente.
En ce qui concerne la première, il paraît clair que la Serbie est le conti-
nuateur juridique de la communauté étatique de Serbie-et-Monténégro.
La question délicate qui se pose, et qui n’a pas même été abordée dans

l’arrêt, est celle du statut juridique de la Serbie-et-Monténégro à partir de
l’an 2000.
75. A la fin de l’an 2000, la RFY a, dans le contexte pertinent, fait
deux choses:

i) elle a renoncé à sa prétention de continuité et a accepté le statut
d’Etat successeur de l’ex-RFSY; et
ii) agissant sur le fondement de cette nouvelle capacité — celle d’Etat

successeur —, elle a présenté une demande d’admission à l’Organisa-
tion des Nations Unies.
76. L’Etat, en tant que notion de droit international, est composé de

deux éléments, c’est-à-dire qu’il a deux facettes:
i) le statut d’Etat, entendu au sens des attributs pertinents comme un
territoire défini, une population stable, un pouvoir souverain;

ii) la personnalité juridique, c’est-à-dire que c’est un sujet de droit inter-
national ayant des droits et des obligations. Dans les circonstances de
l’espèce, la personnalité juridique de la République fédérale de You-
goslavie peut être établie par déduction et de manière dérivée — étant
fondée sur l’identité juridique et la continuation de la République

fédérative socialiste de Yougoslavie — ou bien être inhérente et ini-
tiale — étant fondée sur la qualité d’Etat nouveau.

77. En présentant une demande d’admission à l’Organisation des
Nations Unies, la Yougoslavie n’a pas seulement renoncé à sa thèse de
l’identité et de la continuité juridiques; elle a voulu en même temps être
reconnue comme un Etat nouveau, un Etat doté d’une personnalité juri-
dique différente — un Etat successeur et non un Etat assurant la conti-

nuité partielle de l’ex-République fédérative socialiste de Yougoslavie —
de celle revendiquée jusqu’en 2000. En fait, elle a accepté ladite thèse
comme étant celle de la communauté internationale au moment où la
République fédérale de Yougoslavie a été proclamée officiellement en
avril 1992, une thèse que les organisations internationales compétentes et

les Etats, agissant individuellement ou in corpore en tant que membres
d’organisations, n’ont toutefois pas mise en Œuvre ni formellement ni

468508 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP.OP .KRECu )

siderations rather than on considerations under international law. Thus

arose a legal “Rashomon” as to Yugoslavia’s juristic character — was it
a new State or the old State? And as to its status in the United Nations —
was it a Member of the United Nations or not?

78. Yugoslavia’s admission to membership of the United Nations
from 1 November 2000 also meant acceptance of its claim to recognition
as a new State, in the sense of a new international personality different
from its controversial, hybrid personality in the period 1992-2000. The
claim was accepted by way of a series of collateral agreements in simpli-

fied form, or a general collateral agreement in simplified form, between
the Federal Republic of Yugoslavia, on the one hand, and the Member
States of the United Nations and the world Organization itself, on the
other, embodied tacitly in the letter and spirit of General Assembly reso-

lution 55/12 and subsequent consistent practice of the Organization
(exempli causa, the letter of the Under-Secretary-General and Legal
Counsel of the United Nations of 8 December 2000 and the list of Mem-
ber States with the dates of their admission to the United Nations
(United Nations Press Release ORG/1317 updated 18 December 2000).

The subject of the series of collateral agreements, or of the general col-
lateral agreement, is in fact recognition of the Federal Republic of Yugo-
slavia as a new personality, a personality being the successor State of the
former SFRY, and its admission in that capacity to the world Organiza-
tion as a Member. Thus, Yugoslavia, although the “old State” in the

statehood sense, was universally recognized as a “new State” in the sense
of its international legal personality. In view of the fact that recognition
of a State has ex definitione retroactive effect, it necessarily follows that
all pronouncements and decisions taken relate to the FRY claiming con-
tinuity with the SFRY. And, as the Federal Republic of Yugoslavia after

the year 2000, its legal existence as a new international legal personality
started in November 2000 with its admission to membership of the
United Nations.

The second premise, on the other hand, has not been consistently fol-
lowed in relation to the Republic of Montenegro. It has been applied to
parts of the Judgment, but not to the Judgment as a whole. Thus, the
Republic of Montenegro must immediately take effective steps to ensure

full compliance with its obligation under Articles I and VI of the Conven-
tion on the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide to pun-
ish acts of genocide as defined by Article II of the Convention, or any of
the other acts proscribed by Article III of the Convention, and to transfer
individuals accused of genocide or any of those other acts for trial by the

International Criminal Tribunal for the former Yugoslavia, and to co-
operate fully with the Tribunal. Incidentally, this fact, too, could be taken

469 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND. KRECu ) 508

substantiellement. Ils ont opté pour des solutions fondées sur des consi-
dérations politiques pragmatiques et non sur le droit international. S’est
alors posé un problème de droit à la «Rashomon» quant au statut juri-
dique de la Yougoslavie — était-ce un Etat nouveau ou bien l’ancien

Etat? Et le problème se posait quant à son statut au sein des Nations
Unies — était-ce ou non un Etat Membre des Nations Unies?
78. L’admission de la Yougoslavie aux Nations Unies à compter du
1ernovembre 2000 signifiait aussi que sa demande visant à être reconnue
en qualité d’Etat nouveau était acceptée, en ce sens qu’elle avait désor-

mais une personnalité internationale nouvelle, différente de sa personna-
lité controversée et hybride de la période allant de 1992 à 2000. Cette
thèse a été acceptée par des accords accessoires en forme simplifiée, ou un
accord accessoire général en forme simplifiée, conclus entre la Répu-
blique fédérale de Yougoslavie, d’une part, et les Etats Membres des

Nations Unies et l’Organisation mondiale elle-même, de l’autre, accords
consacrés tacitement dans la lettre et l’esprit de la résolution 55/12 de
l’Assemblée générale et la pratique cohérente ultérieure de l’Organisation
(voir par exemple la lettre du Secrétaire général adjoint, conseiller juri-

dique de l’Organisation des Nations Unies, en date du 8 décembre 2000 et
la liste des Etats Membres dans laquelle figure la date de leur admission
aux Nations Unies (communiqué de presse des Nations Unies ORG/
1317, mise à jour du 18 décembre 2000). Ces accords accessoires ou
l’accord accessoire général ont en réalité pour objet la reconnaissance de

la République fédérale de Yougoslavie en tant que personnalité juridique
nouvelle, en tant qu’Etat successeur de l’ex-RFSY, et son admission en
cette qualité à l’Organisation mondiale dont elle devient Membre. Dès
lors, la Yougoslavie, tout en étant l’«ancien Etat» au sens du statut
d’Etat, a été universellement reconnue comme un «Etat nouveau» au

sens de sa personnalité juridique internationale. Etant donné que la
reconnaissance d’un Etat a ex definitione un effet rétroactif, il s’ensuit
nécessairement que tous les prononcés et décisions adoptés se rapportent
à la RFY qui prétendait assurer la continuité de la RFSY. Et, en tant

que République fédérale de Yougoslavie après l’an 2000, son existence
juridique en tant que nouvelle entité juridique internationale a com-
mencé en novembre 2000 avec son admission à l’Organisation des
Nations Unies.
La seconde hypothèse n’a, en revanche, pas été suivie de façon cohé-

rente en ce qui concerne la République du Monténégro. Elle a été appli-
quée dans certaines parties de l’arrêt, mais pas dans son ensemble. Dès
lors, la République du Monténégro doit prendre immédiatement des
mesures efficaces pour garantir le plein respect de l’obligation qui lui

incombe en vertu des articles I et VI de la convention pour la prévention
et la répression du crime de génocide de punir les actes de génocide défi-
nis à l’article II de la Convention ou tout autre acte prohibé par l’ar-
ticle III et de transférer au Tribunal pénal pour l’ex-Yougoslavie les per-
sonnes accusées de génocide ou d’autres actes et de coopérer pleinement

avec ledit Tribunal. Cela pourrait d’ailleurs être considéré comme attes-

469509 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP. OP. KRECu )

as evidence of oversensitivity to the factual and political aspect of the

whole matter.

PART II. SUBSTANTIVE ISSUES

I. Genocide Convention as Applicable Law

1. Genocidal intent as conditio sine qua non of the crime of genocide

79. A genocidal act can exist only under conditions defined by the

body of law established by the Convention. Acts enumerated in Arti-
cle II, in subparagraphs (a) to (e), are not genocidal acts in themselves,
but only the physical or material expression of specific, genocidal intent.

In the absence of a direct nexus with genocidal intent, acts enumerated in
Article II of the Convention are simply punishable acts falling within the
purview of other crimes, exempli causa war crimes or crimes against

humanity.

80. Genocide as a distinct crime is characterized by the subjective ele-

ment — intent to destroy a national, ethnical, racial and religious group
as such — an element which represents the differentia specifica distin-
guishing genocide from other international crimes with which it shares
41
substantially the same objective element . In the absence of that intent,
whatever the degree of atrocity of an act and however similar it might be
to the acts referred to in the Convention, that act can still not be called
genocide .42

81. It appears that four elements are distinguishable within genocidal
intent: (a) the degree of the intent; (b) destruction; (c) a national, eth-
nical, racial or religious group; (d) in whole or in part.

Although separate, the four elements make up a legal whole character-
izing in their cumulative effect, genocidal intent as the subjective element
of the crime of genocide. The absence of any of them disqualifies the

intent from being genocidal in nature. As a legal unity, these elements,
taken in corpore, demonstrate that genocidal intent is not merely some-
thing added to physical acts capable of destroying a group of people. It is

an integral, permeating quality of these acts taken individually, a quality
that transforms them from simple punishable acts into genocidal acts. In

41
N. Robinson, The Genocide Convention , 1949, p. 15; Drost, Genocide, II, 1959,
p. 82; Study of the Question of the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide ,
prepared by N. Ruhashyankiko, Special Rapporteur, doc. E/CN.4, Sub.2/416, 4 July 1978,
para. 96; Revised and Updated Report on the Question of the Prevention and Punishment
of the Crime of Genocide, prepared by Mr. B. Whitaker, doc. E/CN.4/Sub.2/1985/6
(2 July 1985), paras. 38-39.
42Official Records of the General Assembly, Third Session, Part I, Sixth Committee ,
69th meeting.

470 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KRECu ) 509

tant une hypersensibilité à l’aspect factuel et politique du problème dans

son ensemble.

P ARTIE II. Q UESTIONS DE FOND

I. La convention sur le génocide en tant que droit applicable

1. L’intention génocidaire est une condition sine qua non du crime de
génocide

79. L’existence d’un acte de génocide en tant que tel ne peut être éta-

blie qu’au regard des conditions prévues par les dispositions de la conven-
tion. Les actes énumérés aux litt. a) à e) de l’article II ne sont pas en
eux-mêmes des actes de génocide mais seulement l’expression physique

ou matérielle d’une intention génocidaire spécifique. A défaut de pouvoir
être directement rattachés à l’intention génocidaire, les actes énumérés à
l’article II de la Convention sont simplement des actes punissables qui

relèvent d’autres crimes, les crimes de guerre ou crimes contre l’humanité,
par exemple.
80. Le génocide en tant que crime distinct se caractérise par son élé-

ment subjectif — l’intention de détruire un groupe national, ethnique,
racial ou religieux, comme tel —, élément qui constitue la differentia spe-
cifica distinguant le génocide d’autres crimes internationaux avec lesquels
41
il partage, en grande partie, l’élément objectif . En l’absence de cette
intention, un acte, quels que soient son degré d’atrocité et sa similitude
avec les actes visés par la Convention, ne peut pas être qualifié de géno-
cidaire .2

81. L’intention génocidaire recouvre, semble-t-il, quatre composantes
distinctes: a) le degré d’intention; b) la destruction; c) le groupe natio-
nal, ethnique, racial ou religieux; d) en tout ou en partie.

Bien que distinctes, les quatre composantes forment un tout juridique;
ensemble, elles constituent l’intention génocidaire, élément subjectif du
crime de génocide. L’absence de l’une quelconque de ces composantes

interdit de considérer l’intention comme une intention génocidaire. En
tant qu’ensemble juridique, ces composantes, prises in corpore, sont la
preuve que l’intention génocidaire n’est pas un élément qui viendrait sim-

plement s’ajouter à des actes physiques à même de détruire un groupe
d’individus. L’intention est une qualité intrinsèque, omniprésente, de ces

41
N. Robinson, The Genocide Convention , 1949, p. 15; Drost, Genocide, II, 1959,
p. 82; «Etude sur la question de la prévention et la répression du crime de génocide»
établie par N. Ruhashyankiko, rapporteur spécial, E/CN.4/Sub.2/416, 4 juillet 1978,
par. 96; version revisée et mise à jour de l’«Etude sur la question de la prévention et
la répression du crime de génocide» établie par M. B. Whitaker, Nations Unies,
doc. E/CN.4/Sub.2/1985/6, 2 juillet 1985, par. 38-39.
42Nations Unies, Documents officielsede l’Assemblée générale, troisième session,
première partie, Sixième Commission ,69éance.

470510 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP. OP. KREuA )

other words, such intent is a qualitative feature of genocide distinguish-

ing it from all other crimes, indeed its constituent element stricto sensu.

82. Genocidal intent is genuine in nature. It is not simply a guilty

mind, but a mind guilty of destruction of a religious, ethnic, national or
racial group as such. The distinguishing feature of genocidal intent is not
that it is discriminatory because that is only its most general character-
istic shared with, for instance, crimes against humanity. But, whereas in

the case of persecution, an act of crime against humanity, discriminatory
intent can take multifarious inhumane forms and manifest itself in a mul-
tiplicity of actions, including murder, in the case of genocide, an extreme
and the most inhumane form of persecution, that intent must be accom-

panied by the particular i43ent to destroy in whole or in part the group to
which the victims belong . “Mens rea” in the realm of the crime of geno-
cide is complex and must not be reduced to the standard form of mens
rea required for criminal offences. It encompasses two levels — the mens

rea as the pendant to the actus reus, i.e., an act constituting genocide
pursuant to Article II (subparas. (a), (b), (c), (d) or (e)) and the
“intent to destroy” a protected group as such, the specific intent
inherent in genocide. It is therefore rightly stressed that “guaranteeing

the rule of law and the respect for the principle nullum crimen sine lege
require that ‘the two intents’ ought to be strictly separated when it
comes to prove the facts necessary to establish the innocence or guilt
of an accused” .44 In addition, both parts of mens rea are

characterized by the existence of two components — conscience
(la conscience ; Wissen) and will (la volonté ; Wollen). In their various
expressions they offer four different kinds of mens rea, in descending
order of seriousness — dolus specialis, dolus directus, dolus

indirectus (indirect intent) and dolus eventualis (conditional intent),
which, in general terms, correspond to intention, recklessness and
criminal negligence in the common law). Mens rea as the pendant
to the acts constituting the material element — the actus reus —o f

the crime should exist in the form of dolus directus. This means
that the perpetrator is conscious of the effect of the act (intellectual
element) and has the will to commit the act (voluntary or emotional
element).

2. Degree of intent

83. In terms of degree, the intent to destroy the group, as dolus

43ICTY, Prosecutor v. Kupre∏´, Trial Judgment, para. 636.
44Triffterer, “Genocide, Its Particular Intent to Destroy in Whole or in Part the Group
as Such”, Leiden Journal of International Law , Vol. 14, No. 2, 2001, p. 400.

471 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP .IND .KRECu ) 510

actes pris individuellement, qui transforme de simples actes punissables
en actes de génocide. Autrement dit, cette intention est une composante
qualitative du génocide, qui le distingue de tous les autres crimes — c’est,

à la vérité, son élément constitutif stricto sensu.
82. L’intention génocidaire existe comme telle. Elle ne caractérise pas
seulement un esprit coupable, mais un esprit coupable de la destruction
d’un groupe national, ethnique, racial ou religieux comme tel. Elle ne se

résume pas à l’élément discriminatoire, qui n’en constitue que la caracté-
ristique la plus générale — qu’elle partage, par exemple, avec les crimes
contre l’humanité. Mais alors que, dans le cas de la persécution, acte rele-
vant du crime contre l’humanité, l’intention discriminatoire peut revêtir

diverses formes inhumaines et s’exprimer par le biais d’une multitude
d’actes, dont l’assassinat, l’intention requise pour le génocide, étant donné
que le génocide est une forme extrême de persécution — la plus inhu-

maine des formes qu’elle puisse revêtir —, doit s’accompagner de celle de
détruire, en tout ou en partie, le groupe auquel les victimes appar-
tiennent .Lamens rea revêt, en ce qui concerne le crime de génocide,
une nature complexe et ne se réduit pas à la forme classique de la mens

rea du droit pénal. Deux niveaux sont à prendre en compte — la mens
rea en tant que complément de l’actus reus, à savoir les actes constitutifs
de génocide au sens de l’article II (litt. a), b), c), d) et e)) et «l’intention

de détruire» des groupes protégés comme tels, en tant qu’intention par-
ticulière inhérente au génocide. C’est donc à juste titre qu’il a été souligné
que, «pour garantir la primauté du droit et le respect du principe nullum
crimen sine lege, il convient de distinguer rigoureusement les «deux inten-

tions» lorsqu’il s’agit d’établir les faits requis pour décider de l’innocence
ou de la culpabilité d’un accusé» . En outre, les deux aspects de la mens
rea se caractérisent par la présence de deux composantes — la conscience

(conscience; Wissen) et la volonté (will; Wollen). Dans leur manifesta-
tion cumulative, ils se déclinent — par ordre décroissant de gravité — en
dolus specialis, dolus directus, dolus indirectus (intention indirecte) et
dolus eventualis (intention conditionnelle), qui correspondent globale-

ment à l’intention, l’imprudence (recklessness) et la négligence criminelle
(criminal negligence) en droit anglo-saxon. La mens rea comme complé-
ment des actes constitutifs de l’élément matériel — actus reus — du crime
doit être présente sous forme de dolus directus. Autrement dit, l’auteur

du crime doit être conscient de l’effet de l’acte (élément psychologique) et
avoir la volonté de commettre l’acte (élément d’intention ou élément
émotionnel).

2. Le degré de l’intention

83. Pour ce qui est de son degré, l’intention de détruire le groupe, en

43TPIY, Le procureur c. Kupre∏´ , chambre de première instance, jugement, par. 636.
44Triffterer, «Genocide, Its Particular Intent to Destroy in Whole or in Part the Group
o
as Such», Leiden Journal of International Law , vol. 14, n001, p. 400.

471511 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP .OP .KRECAu )

specialis, is at the very top of the hierarchy of culpable mental
states. As such, it excludes culpa, dolus eventualis (recklessness) or
45
negligence . The crime of genocide is “unique because of its element of
dolus specialis (special intent)” , which is in fact the constituent
element of the crime of genocide. The degree of dolus specialis means

that it is not sufficient that the accused “knows that his acts will
inevitably, or . . . probably, result in the destruction of the group
in question, but that the accused must seek the destruction in whole or
47
in part, of a . . . group” .

In other words, special intent is characterized by the voluntary ele-

ment, the purposeful and active will to destroy the protected group.
Knowledge of the natural and foreseeable consequences of the acts

performed is not per se sufficient to constitute the intent to destroy.
It must be accompanied by the desire to destroy the groups; this is an
additional requirement in the structural sense and a dominant one in the

normative sense. In order for these to be genocide the acts prohibited in
Article II of the Convention must be committed with “intent to destroy,
in whole or in part, a national, ethnical, racial or religious group,

as such”.

3. Destruction

84. Under Article II of the Convention, the expression “to destroy”

means the material (physical and biological) type of genocide. Physical
genocide is addressed in subparagraphs (a), (b) and (c), whereas bio-
logical genocide is covered by subparagraph (d).

In subparagraphs (a) and (c) the matter seems self-evident. Whereas
the act of killing is a clear modus operandi of physical genocide , the 48
expression “physical destruction” employed in subparagraph (c) rules

out the possibility of any interpretation to the effect that infliction on the
group of any conditions of life other than those leading to the physical
destruction of the group may represent an act of genocide. The word

“deliberately” was included there to denote a precise intention, i.e., pre-
meditation related to the creation of certain conditions of life . Accord-
ing to the travaux préparatoires, such acts would include “putting of a

group . . . on a regimen of insufficient food allocation, reducing required

45Cassese, Genocide in the Rome Statute of the International Criminal Court , 2002, I,

p.4638.
ICTR, Prosecutor v. Kambanda, No. ICTR-97-23-S, 4 September 1998, para. 16.

47ICTY, Prosecutor v. Jelis´, paras. 85-86.
48Killing of members of the group as the material element in subparagraph (a) is
shown if the victim has died and the death resulted from an unlawful act or omission
(ICTR, Prosecutor v. Akayesu, No. ICTR-96-4-T, 1998, para. 589).

49A/C.6/SR.82, p. 3; N. Robinson, op. cit.,p.16.

472 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND .KRECAu ) 511

tant qu’intention précise (dolus specialis), se situe au sommet de la

hiérarchie des états mentaux de la culpabilité. En tant que telle, elle
exclut la culpa,eldolus eventualis (imprudence) ou la négligence . 45
Le crime de génocide est «unique en raison de l’élément de dolus
46
specialis (intention précise)» , qui est de fait l’élément constitutif
de ce crime. Le degré de dolus specialis requis implique qu’il ne suffit

pas que l’accusé «sache que ses actes auront pour conséquence
certaine, voire ... vraisemblable, la destruction du groupe en ques-
tion»; il doit «rechercher la destruction de tout ou partie du
47
groupe» .
En d’autre termes, l’intention précise se caractérise par l’élément de

volonté — volonté délibérée et active de détruire le groupe protégé. Le
fait de savoir quelles seront les conséquences naturelles et prévisibles des
actes accomplis n’est pas, par lui-même, constitutif de l’intention

de détruire. Il doit s’y ajouter le fait de chercher à détruire le groupe,
critère supplémentaire au sens structurel, et prépondérant au sens
normatif. Pour être réputés prohibés par l’article II de la Convention,

les actes doivent être commis dans «l’intention de détruire, ou tout
ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme

tel».

3. La destruction

84. Le terme «détruire», au sens de l’article II de la convention,

désigne le génocide de type matériel (physique et biologique). Le génocide
physique est visé aux litt. a), b) et c), le génocide biologique
au litt. d).

S’agissant des litt. a) et c), la question semble évidente. Si le meurtre
est à n’en pas douter unmodus operandi du génocide physique , l’expres-8
sion «destruction physique» employée au litt. c) exclut la possibilité de

considérer que la soumission du groupe à des conditions d’existence qui
ne conduiraient pas à cette destruction pourrait constituer un acte de

génocide. L’adjectif «intentionnelle» a été introduit pour marquer une
intention précise de destruction, en d’autres termes la préméditation liée à
la création de certaines conditions d’existence . Au vu des travaux pré-

paratoires de la convention, pourraient, par exemple, constituer de tels
actes «la soumission d’un groupe ... à un régime alimentaire de subsis-

45Cassese, Genocide in the Rome Statute of the International Criminal Court , 2002, I,
p. 338.
46TPIR, Le procureur c. Kambanda , affaire n o ICTR-97-23-S, 4 septembre 1998,
par. 16.
47TPIY, Le procureur c. Jeli´ , par. 85-86.
48Les critères requis pour qu’il y ait meurtre de membres du groupe, en tant qu’élément

matériel de la composante visée à l’alinéa a), seraient remplis si la victime était morte et
que sa mort était rosultée d’un acte illégal ou d’une omission illégale (TPIR, Le procureur
c. Akayesu, affaire nICTR-96-4-T, 1998, par. 589).
49A/C.6/SR.82, p. 3; N. Robinson, op. cit.,p.16.

472512 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP. OP. KRECu )

medical attention, providing insufficient living accommodation, etc.” , 50
which results in slow death in contrast to immediate death under sub-

paragraph (a) of Article II. The differentia specifica between the act of
killing and the imposing of destructive conditions of life is, consequently,
primarily expressed in the modalities of destruction — the latter case

does not involve the temporal immediacy of killing as the means (modus
operandi) of extermination but does result in extermination over time.

The legislative history of subparagraph (b) also demonstrates that the
authors of the Convention understood “serious bodily or mental harm”
to be a form of physical genocide. Physical suffering or injury without

lethal consequences falls within the ambit of crimes against humanity and
torture . The expression “mental harm”, on the other hand, has a spe-

cific meaning in subparagraph (b). It was included at the insistence of
China. Explaining the proposal by reference to the acts committed by
Japanese occupying forces against the Chinese nation through the use of

narcotics, China pointed out that, although these acts were not as spec-
tacular as mass murders and the gas chambers of Nazi Germany, their
results were no less lethal . Accordingly, not every bodily or mental

injury is sufficient to constitute the material element of genocide, but, as
stated by the International Law Commission, “it must be serious enough
to threaten group destruction” , as destruction is understood in the

Convention, i.e., physical and biological destruction.

Acts such as sterilization of women, castration, prohibition of mar-
riages, etc., subsumed under “measures intended to prevent birth within

the group”, constitute biological genocide. The extreme gravity of meas-
ures imposed to prevent births within the group with a view to annihilat-
ing the group’s national biological power is the criterion for differentiat-

ing between the genocidal act defined in subparagraph (b) and measures
which may be taken against the will of members of a group within the
framework of family planning and birth control programmes, measures

which are sometimes descriptively called “genocide by another name” or
“black genocide” . 54

85. Prima facie only the act of forcible transfer of children of the

50N. Robinson, op. cit.,p.18.
51
ICTY, Prosecutor v. Delali´ et. al., Trial Judgment, p. 511.
52
Official Records of the General Assembly, Third Session, Part I, Sixth Committee ,
69th meeting, pp. 59-60.
53Draft Code of Crimes against the Peace and Security of Mankind, Official Records
of the General Assembly, Fifty-first Session, Supplement No. 10 , United Nations doc. A/
51/10 (1996), Art. 17.
54M. Treadwell, “Is Abortion Black Genocide?”, Family Planning Perspectives , Vol. 4,
No. 4/1986, p. 24.

473 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND . KRECu ) 512

tance, la réduction des services médicaux prescrits au-dessous d’un mini-
50
mum, le fait de ne pas fournir de logements suffisants, etc.» — impli-
quant une mort lente, par opposition à la mort immédiate visée aulitt. a)
de l’article II. La differentia specifica entre le meurtre et la soumission à

des conditions d’existence devant entraîner la destruction s’exprime donc
essentiellement en termes de modalités de destruction — dans le second

cas, le caractère d’immédiateté du meurtre en tant que moyen d’extermi-
nation (modus operandi) est absent; il s’agit d’une extermination à terme.
Il ressort également de la genèse du litt. b) que les auteurs de la

convention interprétaient l’«atteinte grave à l’intégrité physique ou men-
tale» comme une forme de génocide physique. Les souffrances physiques

ou atteintes à l’intégrité physique n’entraînant pas la mort tombe51 dans
la catégorie des crimes contre l’humanité et de la torture . L’expression
«atteinte à l’intégrité mentale», en revanche, a un sens spécifique dans le

libellé du litt. b). Elle a été insérée à la demande insistante de la Chine.
Expliquant sa proposition en évoquant les actes commis au moyen de
stupéfiants par les forces d’occupation japonaises contre la nation chi-

noise, la Chine relevait que, si ces actes ne revêtaient pas le caractère
spectaculaire des massacres et des chambres à gaz de l’Allemagne nazie,
52
leurs conséquences n’en avaient pas été moins fatales . Toute atteinte à
l’intégrité physique ou mentale ne suffit donc pas pour constituer l’élé-
ment matériel du génocide: comme l’a affirmé la Commission du droit

international, elle «doit être d’une gravité telle qu’elle menace de
détruire ... [l]e groupe» , étant entendu par destructions celles définies
par la convention — à savoir la destruction physique ou biologique.

Des actes tels que la stérilisation des femmes, la castration, l’interdic-
tion des mariages, etc., réunis dans la catégorie des «mesures visant à

entraver les naissances au sein du groupe», sont constitutifs de génocide
biologique. C’est l’extrême ampleur des mesures imposées pour empêcher
les naissances au sein du groupe afin d’anéantir le potentiel biologique

national d’un groupe qui constitue le critère permettant d’établir une dis-
tinction entre l’acte de génocide défini à l’alinéa b) et les mesures suscep-
tibles d’être prises contre le gré des membres d’un groupe dans le cadre de

programmes de régulation des naissances et de planification familiale,
mesures parfois qualifiées de «génocide qui ne dit pas son nom» ou
54
«génocide occulte» (black genocide) .
85. A première vue, seul l’acte de transfert forcé d’enfants du groupe à

50 N. Robinson, op. cit.,p.18.
51 TPIY, Le procureur c. Delal´ et consorts , chambre de première instance, jugement,
p. 511.
52 Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale, troisième session,
première partie, Sixième Commission ,69eséance, p. 59-60.
53 Projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, Nations Unies,
o
Documents officiels de l’Assemblée générale, cinquante et unième session , supplément n
Na54ons Unies, doc. A/51/10 (1996), art. 17.
o M. Treadwell, «Is Abortion Black Genocide?», Family Planning Perspectives , vol. 4,
n 4/1986, p. 24.

473513 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP. OP. KRECu )

group to another group does not fit into the concept of physical/biologi-

cal genocide as defined in the Convention. However, it should be empha-
sized that the act of forcible transfer of children has been included in acts
constituting genocide with the explanation that it has physical and bio-

logical effects since it imposes on young person55conditions of life likely
to cause them serious harm, or even death . In that sense, it is of con-
siderable importance that the proposal to include cultural genocide in the

Convention also has been understood to cover a number of acts which
spiritually destroy the vital characteristics of a group, as observed in par-
ticular in forcible assimilation. The proposal was rejected on a vote of
26 against and 16 in favour with 4 abstentions . Hence, it appears rea-

sonable to assume that the underlying rationale of subparagraph (e) is
“to condemn measures intended to destroy a new generation, such action
being connected with the destruction of a group that is to say with physi-
57
cal genocide” . Even if it is accepted that the act covered by subpara-
graph (e) constitutes “cultural” or “sociological” genocide, its meaning
is in concreto of limited importance. Primo, as such it would be an excep-

tion to the rule regarding material genocide embodied in Article II of the
Convention and, therefore, would be subject to restrictive interpretation.
Secundo, the Applicant does not refer to “forcible transfer of children” as

an act of genocide allegedly committed on its territory.

86. It follows that the difference between the act of killing members of

the group and other acts constituting the actus reus of the crime of geno-
cide is in the modalities rather than in the final effects. In that sense, the
explanation given by the ICTR in the Akayesu case seems proper. It

describes the act defined in subparagraph (c) of Article II of the Geno-
cide Convention as “methods of destruction by which the perpetrator
does not immediately kill the members of the group, but which, ulti-
mately, seek their physical destruction”, 58 i.e., the so-called slow death.

87. There are two basic legal issues in the interpretation of the word
“destruction”:

(a) whether the destruction must take place in reality, i.e., be actual;
and,
(b) the scope of destruction.

88. Regarding the actual nature of destruction, there is some degree of

difference among the various acts enumerated in Article II of the Con-
vention.

55
56A/C.6/242.
Official Records of the General Assembly, Third Session, Part I, Sixth Committee ,
8357 meeting, p. 206.
Study of the Question of the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide ,
prepared by N. Ruhashyankiko, Special Rapporteur (E/CN.4/Sub.2/415, p. 25.
58ICTR, Prosecutor v. Akayesu, para. 505.

474 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP . IND. KRECu ) 513

un autre groupe ne rentre pas dans le cadre de la notion de génocide phy-
sique/biologique telle que définie par la Convention. Toutefois, il convient
de souligner que l’acte de transfert forcé d’enfants a été incorporé parmi

les actes constitutifs de génocide au motif qu’il avait des effets physiques
et biologiques, puisqu’il impose à de jeunes personnes des conditions
d’existence susceptibles de porter gravement atteinte à leur intégrité,
voire d’entraîner leur mort . Il est, en ce sens, fort significatif que la pro-

position d’inclure dans la convention le génocide culturel ait également
été comprise comme recouvrant un ensemble d’actes détruisant spirituel-
lement les caractéristiques vitales du groupe, comme dans le cas de l’assi-

milation forcée. La proposition fut rejetée par vingt-six voix contre seize,
avec quatre abstentions . Il semble donc raisonnable de postuler que le
motif sous-jacent du litt. e) est de «condamner les mesures visant à

détruire une génération nouvelle, action qui est liée à la destruction d’un
groupe, c’est-à-dire au génocide physique» . Même s’il était admis que
l’acte visé au litt. e) est constitutif de génocide «culturel» ou «sociolo-

gique», sa signification, en la présente espèce, serait d’une importance limi-
tée. Premièrement, en tant que tel, il constituerait une exception à la règle
relative au génocide matériel visé à l’article II de la convention et serait,

par conséquent, susceptible d’être interprété de manière restrictive.
Deuxièmement, le demandeur n’allègue pas le «transfert forcé d’enfants»
parmi les actes de génocide qui auraient été commis sur son territoire.

86. Il s’ensuit que la distinction entre l’acte de meurtre de membres du
groupe et d’autres actes constituant l’actus reus du crime de génocide
réside plutôt dans les modalités que dans les conséquences finales. En ce

sens, la qualification donnée par le TPIR en l’affaire Akayesu semble
exacte. L’acte visé au litt. c) de l’article II de la convention sur le géno-
cide y est décrit comme un «moye[n] de destruction par [lequel] l’auteur

ne cherche pas nécessairement à tuer immédiatement les membres du
groupe, mais, à terme, vise leur destruction physique» , autrement dit la
«mort lente».

87. L’interprétation du terme «destruction» suscite deux interroga-
tions juridiques fondamentales:

a) la question de savoir si la destruction doit effectivement avoir lieu,

autrement dit si elle doit être effective; et
b) l’ampleur de cette destruction.

88. En ce qui concerne le caractère effectif de la destruction, il existe
une certaine différence entre les actes énumérés à l’article II de la conven-

tion.

55A/C.6/242.
56Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale, troisième session,
première partie, Sixième Commission ,83séance, p. 206.
57
Etude sur la question de la prévention et la répression du crime de génocide, établie par
N.58uhashyankiko, rapporteur spécial, E/CN.4/Sub.2/416, p. 24.
TPIR, Le procureur c. Akayesu, par. 505.

474514 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP. OP. KRECu )

The act of “killing” implies actual destruction in terms of the proven

result achieved. In that sense, the death of the victim is the essential ele-
ment of the act of killing. Concerning this element, a vast and nearly uni-
form jurisprudence has been developed by both Tribunals, at least declara-

tively, 59 that, for example, in the Krst´ case, the “missing” are treated as
“dead” .
In contrast to killing, acts of serious bodily or mental harm, and acts
of forcible transfer of children, do not imply actual destruction, but a

corresponding result, expressed in grievous bodily or mental harm and
transfer of children respectively, and leading to destruction. In other
words, in these two acts, the required result has a causal connection, in
which the effect is deferred, with destruction.

The infliction of destructive conditions of life and the imposition of
measures to prevent births, however, do not require any proof of a result;
they represent, themselves, the result. For the sake of balance, and of

legal security, however, in respect of such acts the intent requirement is
more stringent, since they, unlike the acts for which a specific result is
required, must be undertaken “deliberately” and must be “calculated”, in

the case of infliction of destructive conditions on the group, and must be
“intended” to prevent births, in the case of the imposition of measures.

89. The intrinsic differences among the acts enumerated in Article II

of the Convention in their relation to the destruction of the protected
group as the ultimate ratio leges of the Convention require a particularly
cautious approach in the determination of the actus reus of the crime of
genocide.

In contrast to “killing”, all other acts constituting an actus reus of
genocide, falling short of causing actual destruction, merely have the
potential capacity to a greater or lesser extent, to destroy a protected
group. Legally, this makes them more akin to an attempt to commit

genocide. In reality, these acts, therefore, may be seen more as evidence
of intent than as acts of genocide as such. Of course, from the stand-
point of criminal policy, genocide may be characterized as any form

of denial of a group’s right to survive; the 1948 Convention is indeed
a Convention on the Prevention and Punishment of Genocide, but
still it is a fact that the line between acts short of actual destruction
and attempts to commit genocide may be invisible, especially at the

decision-making time.

59
ICTY, C{eleb´i, Appeal Judgment, paras. 422-423; Bla∏k´, Trial Judgment,
para. 217; Kupre∏k´, Trial Judgment, paras. 560-561; ICTR, Kayishema, Trial Judg-
ment, para. 140; Akayesu, Trial Judgment, para. 588; ICTY, Kr´, Trial Judgment,
para. 485.

475 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP .IND .KRECu ) 514

L’acte de «meurtre» implique une destruction réelle exprimée par le

résultat obtenu et prouvé. En ce sens, l’élément essentiel de cet acte est la
mort de la victime. Sur cet aspect des choses, les deux tribunaux ont déve-
loppé une jurisprudence très large et pratiquement uniforme — d’un

point de vue déclaratif du moins puisque, par exemple, dans l’affaire Krs- 59
ti´, les «personnes portées disparues» sont traitées comme «décédées» .
Contrairement au meurtre, les atteintes graves à l’intégrité physique ou
mentale ainsi que le transfert forcé d’enfants s’accompagnent non pas

d’une réelle destruction, mais d’un résultat équivalent qui s’exprime par
un grave dommage physique ou mental ou le déplacement d’enfants et
entraîne la destruction. En d’autres termes, dans ces deux cas, le résultat
recherché s’inscrit dans une relation de cause à effet — lequel effet est

décalé dans le temps — c’est-à-dire à la destruction.
En ce qui concerne les actes consistant à soumettre les intéressés à des
conditions d’existence devant entraîner leur destruction, ou à entraver les
naissances, aucune preuve du résultat n’est toutefois requise; en effet, ces

actes représentent en eux-mêmes le résultat. A des fins d’équilibre et de
sécurité juridique, cependant, le critère de l’intention est dans ce cas plus
strict, puisque, à la différence des actes appelant des résultats, ceux-ci

doivent avoir été accomplis de manière «intentionnelle», par la soumis-
sion du groupe à des conditions «devant» entraîner sa destruction, et
«délibérés», par des mesures visant à entraver les naissances.
89. Les différences intrinsèques qui existent entre les actes énumérés à

l’article II de la convention, pour ce qui est de leur rapport à la destruc-
tion du groupe protégé en tant que ratio legis ultime de la convention,
appellent une approche particulièrement prudente quand il faut établir
l’actus reus du crime de génocide.

Contrairement au cas du «meurtre», tous les autres actes constitutifs
de l’actus reus du crime de génocide, en tant qu’ils n’équivalent pas à une
destruction effective, ont seulement le potentiel, plus ou moins grand, de
détruire un groupe protégé, ce qui les rapproche plutôt, d’un point de vue

juridique, de la tentative de génocide. De fait, ces actes peuvent donc être
perçus davantage comme une preuve de l’intention que comme des actes
de génocide proprement dit. Bien évidemment, du point de vue du droit

pénal, on peut entendre par génocide toute forme de déni à un groupe de
son droit à survivre; la Convention de 1948 est certes une convention sur
la prévention et la répression du crime de génocide, mais il n’en demeure
pas moins que la frontière entre des actes n’équivalant pas à une destruc-

tion effective et des tentatives de génocide peut être difficile à établir, en
particulier au moment de la prise de décision.

59
TPIY, Le procureur c.{elebi´i, chambre d’appel, arrêt, par. 422-423; Le procureur
c. Bla∏k´, chambre de première instance, jugement, par. 217; Le procureur c. K´ ,e∏kic
chambre de première instance, jugement, par. 560-561; TPIR, Le procureur c. Kayishema ,
chambre de première instance, jugement, par. 140; Le procureur c. Akayesu, chambre de
première instance, jugement, par. 588; TPIY, Le procureur c´ , chambre de première
instance, jugement, par. 485.

475515 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP. OP. KRECu )

For the proper application of the Law on Genocide, as embodied in
the Convention, acts of genocide, or more precisely the methods and

means of execution of acts of genocide short of actual destruction, must
be evaluated strictly, not only from the subjective but also from the
objective standpoint. The last point of view concerns basically the capa-

bility of a particular action or actions to produce genocidal effects. In
other words, the destructive capacity in terms of material destruction
must be discernible in the action itself, apart from in tandem with the

intention of the perpetrator.

3.1. Scope of destruction

90. As far as the required scope of destruction is concerned, two cri-

teria emerged in the emerging case-law of the Tribunals.
One implies the destruction of the group in terms of the sheer size
of the group and its homogenous numerical composition, the
so-called quantitative approach. As a rule, it is presented in the form

of a “substantial” part, which means “a large majority of the group
in question” .60
The second criterion, however, contemplates the destruction of the

elite or of the leadership of the group, which are considered to be of sub-
stantial importance for its existence. For this criterion, it is considered
sufficient “if the destruction is related to a significant section of the
61
group, such as its leadership” .
Alternatively, the qualitative and quantitative scope of the destruction
cannot possibly fit into the genus proximum of the crime of genocide;
moreover, it conflicts with the logical considerations. It is not clear how

two by nature diametrically opposite criteria may ensure the sound
administration of justice in the specific case. A possible consequence of
their combined application might merely be the relativization, due to the

disintegration of the constitutive elements of the crime of genocide, of
the protection offered by the Convention to the national, ethnic, reli-
gious or racial groups. The intention to destroy a group is divided, in the

event of the application of both criteria, between the “intention to
destroy a group en masse” and the intention to destroy “a more limited
number of persons selected for the impact that their disappearance
62
would have upon the survival of the group . . .” . Introducing the char-
acterization of genocide, even when the intent to exterminate covers only
a limited geographic area, particularly allows for subjective and arbi-
trary delimitations. It could be said that “this degree of indeterminacy

60ICTY, Prosecutor v. Jeli´, Trial Judgment, p. 26, para. 82.
61ICTY, Prosecutor v. Stak´, Trial Judgment, p. 149, para. 525; ICTY, Prosecutor v.
Krst´, Trial Judgment, para. 587.
62ICTY, Prosecutor v. Jeli´, Trial Chamber, para. 82.

476 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KRECu ) 515

La bonne application du droit relatif au génocide, tel qu’il est énoncé
dans la Convention, implique nécessairement que les actes de génocide

— ou, plus précisément, les méthodes et les moyens par lesquels sont
commis des actes de génocide n’équivalant pas à une destruction effec-
tive — soient rigoureusement évalués non seulement du point de vue

subjectif, mais également du point de vue objectif. Ce dernier concerne
pour l’essentiel l’aptitude d’une ou de plusieurs actions à produire
des effets relevant du génocide. Ce potentiel de destruction, s’agissant

de destruction matérielle, doit, en d’autres termes, pouvoir être discer-
né dans l’action elle-même, indépendamment et en sus de l’intention
de l’auteur.

3.1. L’ampleur de la destruction

90. En ce qui concerne la question de l’ampleur de la destruction, deux

critères ressortent de la jurisprudence récente des tribunaux.
Le premier critère vise la destruction du groupe du point de vue de ses
dimensions mêmes et de sa composition numérique homogène: il s’agit
de l’approche dite quantitative. Il est généralement fait référence à une

«partie substantielle», ce qui correspond à «une forte proportion du
groupe en question» . 60
Le second critère vise en revanche la destruction de l’élite ou des diri-

geants du groupe, qui sont considérés comme revêtant une forte impor-
tance pour l’existence de tout le groupe. «[S]i cette destruction vise une
composante importante de ce groupe, telle que ses dirigeants», elle est
61
considérée comme suffisante .
Une autre hypothèse consiste à dire que le genus proximum du crime de
génocide ne cadre pas avec l’ampleur qualitative et l’ampleur quantitative
de la destruction — ce qui, du reste, serait contraire à la logique. On voit

mal comment deux critères qui, par nature, sont diamétralement opposés
pourraient permettre une bonne administration de la justice en l’espèce.
Leur application conjuguée, et la désintégration des éléments constitutifs

du crime de génocide qu’elle suppose, pourrait tout simplement conduire
à une relativisation de la protection conférée par la convention aux
groupes nationaux, ethniques, raciaux ou religieux. L’application des

deux critères revient à scinder l’intention de détruire un groupe entre
la «volonté de destruction massive du groupe» et celle de détruire «un
nombre plus limité de personnes, celles-ci étant sélectionnées en raison de
62
l’impact qu’aurait leur disparition pour la survie du groupe...» . Intro-
duire la qualification de génocide même quand la volonté d’extermina-
tion ne recouvre qu’une zone géographique limitée ouvre notamment la
voie à des déterminations subjectives et arbitraires. L’on pourrait dire

60TPIY, Le procureur c. Jel´ , chambre de première instance, jugement, par. 82.
61TPIY, Le procureur c. Stak´ , chambre de première instance, jugement, par. 525;
Le procureur c. Krs´ , chambre de première instance, jugement, par. 587.
62TPIY, Le procureur c. Jel´ , chambre de première instance, jugement, par. 82.

476516 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP. OP. KRECu )

places genocide on the outermost boundaries of the nullem crimen sine
lege principle” .3

In the choice between quantitative and qualitative criteria, it is difficult
to find a reason for giving preference to the qualitative criterion.
First of all, the criterion of “leadership” is ambiguous and subjective.
It is not clear whether it applies to the political, military or intellectual

elite, or whether it has a generic meaning. It also introduces through the
back door the consideration that the leaders of the group, regardless of
the type of leadership, are subject to special, stronger protection than the
other members of the group, in whole or in part, that they constitute,
which is in fact a distinct subgroup. Moreover, this criterion has an ele-

ment of the concealed promotion of the political group to the status of a
protected object of the Convention — the subsequent division of the
members of the group into elite and ordinary members in modern society
has an anachronistic and discriminatory connotation flagrantly at odds

with the ideas, which represent the bases of the rights and liberties of
individuals and groups. Last but not least, comes understanding part of
the group in terms of its leadership, of which there is no trace in the
travaux préparatoires of the Convention.

Contrary to the so-called qualitative criterion, the quantitative crite-
rion is characterized by objectivity, which derives from its very nature.
According to the Law of Big Numbers, in its application, it includes, as a
rule, the members of the group to which the qualitative criterion is

applied as a parameter of the intent to destroy. It is also more appropri-
ate to the spirit and letter of the Convention, which takes the group as
such as the ultimate target or intended victim of the crime.

3.2. The object of destruction

91. The object of destruction is a “national, ethnical, racial or religious

group as such”. The qualification expresses the specific collective charac-
ter of the crime. It lies within the common characteristics of the vic-
tims — belonging to national, ethnic, racial or religious group — as an
exclusive quality by reason of which they are subjected to acts constitut-
ing actus reus of genocide. The genocide is directed against a number of

individuals as a group or at them in their collective capacity and not ad
personam as such (passive collectivity element). The International Law
Commission expressed the idea by saying that:

“the prohibited [genocidal] act must be committed against an indi-

vidual because of his membership in a particular group and as an
incremental step in the overall objective of destroying the group . . .

63P. Akhavan, “Contributions of the International Criminal Tribunals for the Former
Yugoslavia and Rwanda to the Development of Definitions of Crimes against Humanity
and Genocide”, American Society of International Law Proceeding , April 2000, p. 283.

477 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND .KRECu ) 516

que «ce degré d’incertitude place le génocide aux confins du principe
nullum crimen sine lege » .63

Dans l’alternative critère quantitatif/critère qualitatif, l’on peine à voir
ce qui justifierait de privilégier ce dernier.
Tout d’abord, le critère fondé sur «les dirigeants» est ambigu et sub-
jectif. On ne sait pas bien s’il s’applique à l’élite politique, militaire ou

intellectuelle, ou s’il revêt un sens générique. Il introduit insidieusement
l’idée que les dirigeants du groupe, quel que soit le domaine dans lequel
ils exercent leur autorité, font l’objet d’une protection particulière, plus
forte que celle dont bénéficient les autres membres de tout ou partie du
groupe, ou qu’ils constituent en fait un sous-groupe distinct. En outre, ce

critère participe d’une promotion voilée du groupe politique en objet pro-
tégé par la Convention. Que le groupe soit scindé en membres de l’élite et
membres ordinaires a, dans notre société moderne, une connotation ana-
chronique et discriminatoire en opposition flagrante avec les idées qui

sont à la base des droits et libertés individuels et collectifs. Citons enfin le
problème, non négligeable, que pose l’interprétation tendant à définir une
partie du groupe par assimilation à ses dirigeants, interprétation dont on
ne trouve aucune trace dans les travaux préparatoires de la convention.

Contrairement au critère dit qualitatif, le critère quantitatif se caracté-
rise par l’objectivité qui découle de sa nature même. Conformément à la
loi des grands nombres, ce critère, quand il est appliqué, porte en règle
générale sur les membres du groupe visés par le critère qualitatif en tant

que paramètre de l’intention de détruire. Il est aussi mieux adapté à
l’esprit et à la lettre de la convention, qui désigne le groupe comme tel en
tant que cible ultime ou que victime escomptée du crime.

3.2. L’objet de la destruction

91. L’objet de la destruction est un «groupe national, ethnique, racial

ou religieux, comme tel». Cet énoncé exprime le caractère collectif spéci-
fique du crime. Celui-ci réside dans les caractéristiques communes aux
victimes — l’appartenance à un même groupe national, ethnique, racial
ou religieux — en tant que qualité exclusive motivant leur soumission aux
actes constituant l’actus reus du génocide. Le génocide vise un certain

nombre d’individus dans leur collectivité, ou ces individus eux-mêmes en
tant que représentants de la collectivité et non ad personam (en tant
qu’éléments passifs de la collectivité). La Commission du droit inter-
national l’a dit dans les termes suivants:

«[l]’acte prohibé [génocide] doit être commis en raison de l’apparte-

nance de la victime à un certain groupe et à titre de mesure concou-
rant à la réalisation de l’objectif global de destruction du groupe...

63P. Akhavan, «Contributions of the International Criminal Tribunals for the Former
Yugoslavia and Rwanda to the Development of Definitions of Crimes against Humanity
and Genocide», American Society of International Law Proceeding , avril 2000, p. 283.

477517 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP .OP . KRECu )

the intention must be to destroy the group ‘as such’, meaning as a
separate and distinct entity, and not merely some individuals because
64
of their membership in a particular group ” .

The ICTY determines relevant protected groups as groups that “may
be identified by means of the subjective criterion of the stigmatisation of
the group, notably by the perpetrators of the crime” . 65

92. The subjective criterion in the determination of a “national, ethnic,
racial or religious” group is one thing, subjectivism is another.

The subjective criterion as an alternative to, or in combination with the
objective one, is the legal criterion established both in international and

municipal law as regards national, ethnic, religious or racial groups on
the basis of the fact that they roughly correspond “to what was recog-
66
nized, before the Second World War, as ‘national minorities’” . This
includes, as Schabas rightly notes, “races” and “religious groups” 67whose
meaning has not provoked significant controversies. In relation to ethnic

groups, it is the expression, which, in contemporary usage, seems to
assume the meaning of a synthetic expression for “national minorities”,
68
“races” and “religious” groups . It was applied by the ICTR in the
Akayesu case. The Tribunal found that the Hutus and the Tutsis were
“considered both by the authorities and themselves as belonging to two
69
distinct ethnic groups” .

In contrast, the “stigmatisation of the group” by the perpetrators of
the crime 70 appears to introduce subjectivism into the determination of
the protected group rather than properly applying the subjective criterion

as such. Its cumulative effects might be characterized as the nullification
of the legal substance of the crime of genocide in one of its constitutive

elements — the element of protected groups — which changes from a
“national, ethnic, racial or religious” group as such into an abstract,
human collectivity determined subjectively. Thus the difference between

the groups protected under the Genocide Convention and those, such as

64
Official Records of the General Assembly, Fifty-first Session, Supplement No. 10 ,
United Nations doc. A/51/10/1996, at p. 88; emphasis added.
65 ICTY, Prosecutor v. Brdjanin, Trial Judgment, para. 683; ICTY, Prosecutor v.
Krsti´, Trial Judgment, para. 557; ICTY, Prosecutor v. Jel´, Trial Judgment, para. 70.

66 ICTY, Prosecutor v. Krsti´, Trial Judgment, para. 556; ICTR, Prosecutor v. Ruta-
ganda, Trial Judgment, para. 56; ICTR, Prosecutor v. Kajelijeli, Trial Judgment, para. 811.

67
68 W. Schabas, Genocide in International Law , p. 113.
Ibid.
69 ICTR, Prosecutor v. Akayesu, para. 122, footnote 56; emphasis added.
70 ICTY, Prosecutor v. Nikolic´, Rule 61, Decision, para. 27; ICTY, Prosecutor v.
Krsti´, Trial Judgment, para. 557; ICTY, Prosecutor v. Jel´, Trial Judgment, para. 70;
emphasis added.

478 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP . IND .KRECA ) 517
u

[L]’intention doit être de détruire le groupe «comme tel» c’est-à-dire

comme entité séparée distincte, et non simplement quelques individus
en raison de leur appartenance à ce groupe .» 64

Le TPIY définit les groupes protégés pertinents comme des groupes qui
peuvent «être identifiés [par le] recours au critère subjectif de stigmatisa-
65
tion dudit groupe, notamment par les auteurs du crime» .
92. Le critère subjectif servant à déterminer si un groupe constitue un

«groupe national, ethnique, racial ou religieux» est une chose, le subjec-
tivisme en est une autre.

Le critère subjectif, servant de substitut ou de complément du critère
objectif, est le critère juridique utilisé tant en droit national qu’en droit
international en ce qui concerne les groupes nationaux, ethniques, raciaux

ou religieux, ceux-ci «correspondant en gros à ce qu’il était convenu
d’appeler, avant la seconde guerre mondiale, les «minorités nationa-
66
les»» . Il comprend, comme le relève à juste titre Schabas, les «races» et
«groupes religieux» , notions dont le sens n’a donné lieu à aucune

controverse notable. En ce qui concerne les groupes ethniques, l’expres-
sion semble avoir revêtu, dans l’usage contemporain, le caractère d’expres-
sion générique recouvrant les notions de «minorités nationales» «races»
68
et «groupes religieux» . Cette expression a été employée dans l’affaire
Akayesu par le TPIR, qui a conclu que les Hutus et les Tutsis «étaient

considérés ... comme formant deux groupes ethniques différents aussi bien
par les autorités que par les populations elles-mêmes» . 69
70
A l’inverse, la «stigmatisation du groupe par les auteurs du crime »
semble ressortir à l’introduction de subjectivisme dans la qualification du
groupe protégé plutôt qu’à une juste application du critère subjectif en

tant que tel. Cette notion peut entraîner une remise en question du
contenu juridique du crime de génocide, ramené à l’un des ses éléments

constitutifs — l’élément groupe protégé —, transformant le groupe
«national, ethnique, racial ou religieux» comme tel en une collectivité

humaine abstraite définie de manière subjective. La différence entre
groupes protégés au sens de la convention sur le génocide et les groupes,

64 Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale, cinquante et unième ses-
sion, supplément no10, doc. A/51/10/1996, p. 88; les italiques sont de moi.
65 TPIY, Le procureur c. Brdjanin , chambre de première instance, jugement, par. 683;
TPIY, Le procureur c. Krsti´ , chambre de première instance, jugement, par. 557; TPIY,

Le66rocureur c. Jeli´ , chambre de première instance, jugement, par. 70.
TPIY, Le procureur c. Krstic´ , chambre de première instance, jugement, par. 555;
TPIR, Le procureur c. Rutaganda , chambre de première instance, jugement, par. 56;
TPIR, Le procureur c. Kajelijeli , chambre de première instance, jugement, par. 811.
67 W. Schabas, Genocide in International Law , p. 113.
68 Ibid.
69 TPIR, Le procureur c. Akayesu, par. 122, note n 56; les italiques sont de moi.
70
TPIY, Le procureur c. Nikoli´, décision prise en application de l’article 61, par. 27;
TPIY, Le procureur c. Krsti´ , chambre de première instance, jugement, par. 557; TPIY,
Le procureur c. Jeli´ , chambre de première instance, jugement, par. 70; les italiques sont
de moi.

478518 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION SEP .OP .KRECu )

political groups, which are not considered protected groups, may be lost.

As a consequence, the configuration of international crimes is being
eroded because the physical acts by which war crimes, crimes against
humanity and genocide are committed, are basically the same. Moreover,

personal stigmatization as the criterion for the determining of the pro-
tected group may nullify the objective existence of the “national, ethnic,
racial or religious” group and introduce into the context of the protected
groups, those groups that are excluded from the scope of the Genocide

Convention.
93. The cumulative negative effects of the stigmatization of the perpe-
trator as the relevant criterion derive from the incongruity, and even
open conflict, of this criterion with the generally accepted legal principles

and cogent legal considerations.

Primo, the constitutive elements of genocide are a matter of objective
law. As objective law, even regardless of its legal force, they cannot, save

in the event of an explicit provision to the contrary, be determined by the
perpetrator of a crime. It is completely unknown in the province of inter-
national criminal law as well as comparative criminal law for the perpe-

trator of an offence to be in a position to determine the scope of the
offence committed. The scope of an offence is a matter of a norm
of objective law and not of the perpetrator’s personal value-judgment.
The determination of a “national, ethnic, racial or religious” group,

as an element of the crime of genocide in the perpetrator’s personal
value-judgment is in irreconcilable conflict with the very essence of
legal reasoning in the province of criminal law. The qualification
“as such” in the formulation of Article II of the Convention affirms

that the “national, ethnic, racial or religious” group is a matter
of objective reality and not of the personal value-judgment of the
perpetrator.
Secundo, by a judicial finding based on the perpetrator’s personal

value-judgment, any court of law, in the event of discrepancy between the
subjective criterion of stigmatisation and the “national, ethnic, racial or
religious group” as such, creates a virtual judicial reality at variance with

the objective reality contemplated in Article II of the Convention. More-
over, its possible consequence may be identification as a targeted group —
a group that even does not exist in reality .71

Tertio, the subjective criterion alone may not be sufficient to determine
the protected group under the Genocide Convention, for the acts enu-
merated in subparagraphs (a) to (e) of the Convention must be directed
against “members of the group” . 72

Quatro, in the case of several perpetrators, the criterion of stigmatisa-

71
72W. Schabas, op. cit., p. 110.
Ibid., p. 111.

479 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND .KRECu ) 518

politiques par exemple, qui ne sont pas considérés comme tels risque ainsi

de s’effacer. Les contours des crimes internationaux s’estompent donc,
parce que les actes physiques au moyen desquels les crimes de guerre, les
crimes contre l’humanité et le génocide sont commis sont au fond les
mêmes. En outre, la stigmatisation personnelle en tant que critère d’iden-

tification du groupe protégé peut remettre en question l’existence objec-
tive du groupe «national, ethnique, racial ou religieux» et introduire
dans la notion de groupes protégés les groupes exclus du champ d’appli-
cation de la convention sur le génocide.

93. Les effets négatifs cumulés que présente le choix de la stigmatisa-
tion opérée par l’auteur en tant que critère pertinent découlent de l’absence
de congruence — voire du conflit ouvert — entre, d’une part, ce critère et,
d’autre part, les principes juridiques généralement reconnus et les consi-

dérations juridiques pertinentes.
Premièrement, les éléments constitutifs du génocide relèvent du droit
positif. En tant que tels, et même indépendamment de toute valeur juri-
dique, ils ne peuvent, sauf disposition expresse contraire, être déterminés

par l’auteur d’un crime. Il est sans exemple dans le domaine du droit
pénal international ainsi que du droit pénal comparé que l’auteur
d’un délit puisse être à même de déterminer la portée du délit commis. La
portée d’un délit relève du droit positif et non du jugement de valeur

personnel de l’auteur. Déterminer un groupe «national, ethnique,
racial ou religieux» en tant qu’élément constitutif du crime de
génocide à partir du jugement de valeur personnel de son auteur
est totalement contraire à l’essence même de l’opinion juridique dans

le domaine du droit pénal. La qualification «comme tel» qui apparaît
à l’article II de la convention pose le groupe «national, ethnique,
racial ou religieux» comme un élément de la réalité objective
et non comme la résultante d’un jugement de valeur personnel de

l’auteur.
Deuxièmement, en rendant une décision fondée sur un jugement de
valeur personnel de l’auteur, une cour de justice, quelle qu’elle soit, en cas
de divergence entre le critère subjectif de la stigmatisation et la définition

du groupe «national, ethnique, racial ou religieux» comme tel, crée une
réalité judiciaire virtuelle qui n’est pas conforme à la réalité objective
envisagée à l’article II de la convention, avec en outre pour conséquence
possible l’identification en tant que groupe pris pour cible — un groupe
71
qui n’existe même pas dans la réalité .
Troisièmement, le critère subjectif ne saurait à lui seul suffire à déter-
miner le groupe protégé au sens de la convention sur le génocide; en effet,
les actes énumérés aux litt. a) à e) de l’article II de la convention doivent
72
viser des «membres du groupe» .
Quatrièmement, au cas où les auteurs du crime seraient plusieurs, le

71W. Schabas, op. cit., p. 110.
72Ibid.

479519 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP.OP . KRECu )

tion can easily lead to uneven, substantively different, identifications of
the relevant groups.

Quinto, the perpetrator’s perception of the “national, ethnic, racial or
religious” group, if inappropriate, creates error in personam which per se
disqualifies genocidal intent. It is a general principle of criminal law

that any person who, while committing a criminal offence, is unaware
that a circumstance is part of the legal elements, does not act
intentionally. Criminal liability for negligent action, however, remains

unaffected.
Sixto, it confers excessive discretionary powers on the Court. Consid-
ering the nature of the perpetrator’s perception, it might be said that they
go as far as discretio generalis.

94. The weak points of the subjective criterion are also demonstrated
by the jurisprudence of both Tribunals. In the Brdjanin case the ICTY

stated expressis verbis that “[t]he correct determination of the relevant
protected group has to be made on a case-by-case basis, consulting both
objective and subjective criteria ” . For instance, the ICTR stated, as the

objective criterion for the identification of Tutsis, the identification cards
indicating ethnic belonging (identification by others) or the subjective cri-
terion of the members of targeted groups (self-identification) . Conse-4
quently, it is of paramount importance that the subjective criterion, if

applied at all in its “stigmatization” form, must be conceived within the
framework of objective legal standards derived from the letter and spirit
of the relevant provisions of the Genocide Convention respecting stand-

ards established in the corpus of national minorities law.
95. It appears that the criterion of stigmatisation not only cannot be
the sole criterion; it cannot even be the primary criterion for the deter-

mination of the “national, ethnic, racial or religious” group within the
framework of the Genocide Convention. It is rather a personal perpetra-
tor’s confirmation of the existence of the protected group, and not its

creation. It is interesting to note that in the case of war crimes and crimes
against humanity, the ICTY applied the objective criterion for the deter-
mination of protected groups . 75
Basically, the stigmatization of the group understood in that way is of

evidential significance as one of the elements for inference of genocidal
intent.

96. The “[n]ational, ethnic, racial or religious” group, at least in cases

73ICTY, Prosecutor v. Brdjanin, Trial Judgment, para. 684; Thus also the ICTR in the
Semanza Trial Judgment, para. 317; ICTR, Prosecutor v. Kajelijeli, Trial Judgment,
para. 811; emphasis added.

74ICTR, Prosecutor v. Kayishema, Trial Judgment, paras. 90, 98.

75Jones, pp. 69, 94.

480 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND .KRECu ) 519

critère de la stigmatisation peut facilement déboucher sur des identifica-
tions hétérogènes, sensiblement différentes, des groupes concernés.

Cinquièmement, la perception qu’a l’auteur du groupe «national, eth-
nique, racial ou religieux», si elle est erronée, entraîne une error in per-
sonam qui, par elle-même, disqualifie l’intention génocidaire. C’est un

principe général du droit pénal que quiconque, au moment de commettre
un délit pénal, ignore que l’un des éléments du délit relève d’une classifi-
cation juridique ne peut être réputé avoir agi intentionnellement. La res-

ponsabilité délictuelle pour négligence n’en demeure pas moins.
Sixièmement, une telle interprétation donne à la Cour des pouvoirs
discrétionnaires trop larges. Vu la nature de la perception de l’auteur, on
pourrait aller jusqu’à dire que ces pouvoirs sont quasiment des pouvoirs

discrétionnaires illimités (discretio generalis).
94. La jurisprudence des deux tribunaux pénaux a aussi montré les fai-
blesses du critère subjectif. Dans l’affaire Brdjanin, le TPIY a expressé-

ment indiqué que «l’exacte détermination du groupe protégé concerné
doit s’effectuer au cas par cas, sur la base à la fois du critère objectif et du
critère subjectif » . C’est ainsi que le TPIR a posé, comme critère objectif

d’identification des Tutsis, les cartes d’identité indiquant l’appartenance
ethnique (identification par d’autres), ou le critère subjectif des membres
des groupes visés (auto-identification) . Il est par conséquent de la plus
haute importance que le critère subjectif, s’il doit être appliqué sous sa

forme de «stigmatisation», soit conçu dans le cadre de normes juridiques
objectives découlant de la lettre et de l’esprit des dispositions correspon-
dantes de la convention sur le génocide, dans le respect des normes éta-

blies par le droit des minorités nationales.
95. Il faut en déduire que le critère de la stigmatisation non seulement
ne saurait être le seul critère, mais encore ne saurait être le critère essen-

tiel de la détermination du groupe «national, ethnique, racial ou reli-
gieux» aux fins de la convention sur le génocide. Il s’agit plutôt d’une
confirmation personnelle par l’auteur de l’existence du groupe protégé, et

non de son élément constituant . Il est intéressant de relever que, dans le
cas de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, le TPIY a appli-
qué le critère objectif à la détermination des groupes protégés . 75
Fondamentalement, la stigmatisation du groupe comme tel revêt une

importance en matière d’administration de la preuve en tant qu’il s’agit
de l’un des éléments dont peut se déduire l’existence d’une intention
génocidaire.

96. Le groupe «national, ethnique, racial ou religieux», du moins

73TPIY, Le procureur c. Brdjanin , chambre de première instance, jugement, par. 684;
voir également TPIR, Le procureur c. Semanza, chambre de première instance, jugement,
par. 317; TPIR, Le procureur c. Kajelijeli , chambre de première instance, jugement,
par. 811; les italiques sont de moi.
74TPIR, Le procureur c. Kayishema , chambre de première instance, jugement, par. 90,
98.
75Jones, p. 69, 94.

480520 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP. OP. KREuA )

where the State in whose territory the alleged crime of genocide occurred,

recognizes the existence of these groups as distinct and separate entities,
should be determined on the basis of the criteria established by the inter-
nal law of that State. Or on the basis of international treaties in force to
which the relevant State is a Party. In a way, one is dealing here with a
renvoi or reference of the matter to the internal law of Bosnia and

Herzegovina. Both because international law has no generally accepted
precise criteria for the determination of “national, ethnic, racial or
religious” groups and because of the fact that the case concerned actually
invoked entities from the internal law and society of Bosnia and
Herzegovina. Or, if not a strict renvoi to internal law, then at least

cognizance of groups that exist under the internal law of Bosnia and
Herzegovina and the criteria on the basis of which they have been
determined. One more reason for this is the fact that the ICTY itself,
when it saw fit, relied on domestic law in determining the elements of

international crimes.

The application of the subjective criterion suffers from objective limi-
tations deriving primarily from the basic meaning of the “national, eth-
nic, racial or religious” group as such. Although the Convention does not

offer an explicit definition of these groups, it appears that the basic mean-
ing of the expressions used is relatively clear. The attributes “national”,
“ethnic”, “religious”, “racial”, although lacking a precise, universally
accepted determination, possess recognizable, generic substance by them-
selves, elaborated to a certain extent also in other international conven-

tions (exempli causa, the International Convention for Elimination of All
Forms of Racial Discrimination). The lack of specific distinguishing
marks — differentia specifica — between these four groups, which may
consequently result in their overlapping, cannot have a substantive nega-
tive effect on the proper application of the Genocide Convention, for

their general generic recognizability clearly shows which groups are not
protected under the Convention, or “carries” within itself the exclusion
effect, thus preventing the creation of new protected groups outside the
frame of “national, ethnic, racial or religious” groups. This is clearly
demonstrated just in Bosnia and Herzegovina.

97. The Applicant asserts that in the present case protected groups
under the Genocide Convention are — the “Bosnian people” (Applica-
tion, Memorial of Bosnia and Herzegovina, 2.2.1.2), “mainly Muslim”

(ibid., 2.2.2.1), “Muslim population” (ibid., 2.2.5.13), “national, ethnical
or religious groups (within, but not limited to, the territory of the Repub-
lic of Bosnia and Herzegovina), including in particular the Muslim popu-
lation” (ibid., Submission under (1), non-Serb population (Reply of Bos-
nia and Herzegovina, 7); the “People and State of Bosnia and Herze-

govina” (Application of the Convention on the Prevention and Punishment
of the Crime of Genocide (Bosnia and Herzegovina v. Yugoslavia), Pro-

481 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND .KRECu ) 520

lorsque l’Etat sur le territoire duquel s’est déroulé le crime allégué de géno-

cide reconnaît l’existence de ces groupes en tant qu’entités distinctes et
séparées, doit être déterminé sur la base des critères énoncés par le droit
interne de l’Etat en question, ou sur la base des traités internationaux en
vigueur auxquels l’Etat en question est partie. D’une certaine manière, il
s’agit ici de se référer au droit interne de la Bosnie-Herzégovine, à la fois

parce que le droit international ne dispose pas de critères précis univer-
sellement admis pour la détermination des groupes «nationaux, eth-
niques, religieux ou raciaux» et parce que, dans l’affaire qui nous intéresse,
il est invoqué des entités dont la définition relève du droit interne et de la
structure de la société de Bosnie-Herzégovine. Ou, si nous ne nous réfé-

rons pas strictement au droit interne, du moins nous faut-il prendre acte
de l’existence de groupes en droit interne de la Bosnie-Herzégovine, ainsi
que des critères sur la base desquels ces groupes ont été définis. Cette
démarche se justifie d’autant plus que le TPIY lui-même, lorsqu’il l’a jugé

approprié, s’est appuyé sur le droit interne pour déterminer les éléments
constitutifs de crimes internationaux.
L’application du critère subjectif se heurte à des limites objectives,
essentiellement liées au sens fondamental du groupe «national, ethnique,
racial ou religieux» comme tel. Bien que la convention ne propose pas de

définition explicite de ces groupes, la signification première des expres-
sions utilisées paraît être relativement claire. Les attributs «national»,
«ethnique», «religieux» et «racial», bien qu’ils ne soient pas déterminés
d’une façon rigoureusement précise ni universellement reconnue, possè-
dent par eux-mêmes un sens générique reconnaissable par tous, et qui a

d’ailleurs été, jusqu’à un certain point, affiné dans d’autres conventions
internationales (par exemple, la convention internationale pour l’élimina-
tion de toutes les formes de discrimination raciale). L’absence de distinc-
tion spécifique — differentia specifica — entre ces quatre groupes, absence
qui risque d’entraîner des recoupements, ne saurait avoir d’incidence

négative significative sur la bonne application de la convention sur le
génocide, dans la mesure où le sens générique qu’on leur prête générale-
ment permet d’identifier clairement les groupes qui ne sont pas protégés
par la convention, ou emporte par lui-même un effet d’exclusion, empê-
chant ainsi la création de nouveaux groupes protégés hors du cadre des

groupes «nationaux, ethniques, religieux ou raciaux». Et cela est parfai-
tement démontré dans le cas précis de la Bosnie-Herzégovine.
97. Le demandeur affirme que les groupes protégés au sens de la
convention sur le génocide sont en l’espèce: le «peuple bosniaque»
(requête, mémoire de la Bosnie-Herzégovine, 2.2.1.2), essentiellement des

«Musulman[s]» (ibid., 2.2.2.1), la «population musulmane» (ibid.,
2.2.5.13), «les groupes nationaux, ethniques ou religieux, notamment
mais non exclusivement sur le territoire de la République de Bosnie-
Herzégovine, en particulier la population musulmane»i(bid., conclusion 1),
la population non serbe (réplique de la Bosnie-Herzégovine, 7); «le

peuple et ... l’Etat de Bosnie-Herzégovine» (Application de la convention
pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzé-

481521 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP. OP. KRECu )

visional Measures, Order of 8 April 1993, I.C.J. Reports 1993 ,p .,
para. 2; ibid., Provisional Measures, Order of 13 September 1993, I.C.J.

Reports 1993, p. 332.
As the protective object of genocide, “national, ethnical, religious or
racial” groups must be precisely determined. The determination require-
ment is of overall significance both in the procedural and in the substan-

tive sense.

The expression “non-Serbs” in the ethnic, national or religious envi-
ronment of Bosnia and Herzegovina has a rather broad and vague mean-
ing, incapable of being incorporated into the frame of “national, ethnical,

religious or racial” group as defined by the Genocide Convention. As a
general expression encompassing different groups, it runs counter to the
essential requirement for the protected group to constitute a separate and
distinct entity. Besides Muslims and Croats, the expression necessarily

comprises other groups. Not only Yugoslavs, Jews and Roma, but also
Montenegrins who were represented in the ethnic and national make-up
of Bosnia and Herzegovina as well. As Montenegrins are the leading eth-
nic community in Montenegro, a former federal unit of the Respondent,

it follows that the expression “non-Serb” implies that the Respondent is
also charged with alleged auto-genocide. Moreover, the expression
includes Serbs in BiH, the relatively largest number of whom declared
themselves as Yugoslavs.

The expression “Bosnian people” is based on individuals’ citizenship
link with the State of Bosnia and Herzegovina as the objective criterion
for the determination of the “national group”. However, the term “Bos-

nians” does not exist in terms of the “national, ethnic, racial or religious”
group, because it reflects the notion of a “national group” in the “politi-
cal-legal” sense , inapplicable to the rights of States such as Bosnia and
Herzegovina which make a distinction between the notions of “national-

ity” and “citizenship”. In that regard, the characterization “Bosnian
people” nullifies the existence of different ethnic, national and religious
groups in Bosnia and Herzegovina and as such might be characterized as
a discriminatory one. The same applies mutatis mutandis to the “Bosnian

population”.
The formulation “mainly Bosnian Muslims”, whether conceived as a
“people” or “population” is closest to the notion of “national, ethnic,
racial or religious” group in terms of the Genocide Convention although
it does not correspond in toto to the strict requirements of the Conven-

tion’s formulation of “a national, ethnic, racial or religious group as
such” (emphasis added). The term “as such” clearly indicates that the
destruction of a group as a distinct and separate entity is the object of

76N. Ruhashyankiko, Special Rapporteur, doc. E/CN.4, Sub. 2/416, 4 July 1978,
paras. 56-61.

482 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND .KRECu ) 521

govine c. Yougoslavie), mesures conservatoires, ordonnance du 8 avril
1993, C.I.J. Recueil 1993, p. 4, par. 2; ibid., mesures conservatoires,

ordonnance du 13 septembre 1993, C.I.J. Recueil 1993 , p. 332).
En tant qu’ils ont vocation à être protégés contre le génocide, les
groupes «nationaux, ethniques, raciaux ou religieux» doivent être définis
avec précision. Cette obligation de définition revêt une importance

déterminante à la fois du point de vue de la procédure et du point
de vue du fond.
Dans le contexte ethnique, national ou religieux de la Bosnie-Herzégo-
vine, l’expression «non serbe» revêt une signification relativement vague
et large, et ne saurait de ce fait entrer dans le cadre de la définition du

groupe «national, ethnique, racial ou religieux» que donne la convention
sur le génocide. Du moment qu’il s’agit d’une expression générale visant
différents groupes, elle va à l’encontre du critère essentiel qui est que le
groupe protégé constitue une entité distincte et séparée. Outre les Musul-

mans et les Croates, cette expression vise nécessairement d’autres
groupes. La mosaïque ethnique et nationale que constituait la Bosnie-
Herzégovine comprenait non seulement des Yougoslaves, des Juifs et des
Roms, mais également des Monténégrins; comme ces derniers consti-

tuaient la principale communauté ethnique du Monténégro, ancienne
unité fédérale de l’Etat défendeur, l’expression «non serbe» suppose que
le défendeur est également accusé d’autogénocide. En outre, cette expres-
sion recouvre également des Serbes de Bosnie-Herzégovine, dont la plu-

part se déclaraient être des Yougoslaves.
L’expression «peuple bosniaque» repose sur un lien de citoyenneté
individuelle avec l’Etat de Bosnie-Herzégovine; il s’agit d’un critère objec-
tif de détermination du «groupe national». Toutefois, le terme «bos-

niaque» n’existe pas au sens de groupe «national, ethnique, racial ou
religieux», dans la mesure où il reflète la notion de «groupe national» au
sens «politico-juridique» ; il se trouve donc dénué de pertinence pour
des Etats tels que la Bosnie-Herzégovine, qui pratiquent une distinction

entre les notions de «nationalité» et de «citoyenneté». A cet égard, la
qualification de «peuple bosniaque» infirme l’existence de différents
groupes ethniques, nationaux, religieux en Bosnie-Herzégovine et pour-
rait en tant que telle être qualifiée de discriminatoire. Il en va de même

mutatis mutandis pour l’expression «population bosniaque».
L’expression «Musulmans essentiellement bosniaques», que ceux-ci
soient compris au sens de «peuple» ou de «population», est celle qui se
rapproche le plus du concept de «groupe national, ethnique, racial ou
religieux» au sens de la convention sur le génocide, bien qu’elle ne

réponde pas entièrement aux strictes exigences de l’énoncé de la conven-
tion — c’est-à-dire «un groupe national, ethnique, racial ou religieux,
comme tel» (les italiques sont de moi). La qualification «comme tel»

76N. Ruhashyankiko, rapporteur spécial, doc. E/CN.4/Sub.2/416, 4 juillet 1978,
par. 56-61.

482522 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP.OP .KRECu )

genocide. The plain and natural meaning of the formulation “mainly

Bosnian” is that the object of the alleged genocide was not Bosnian
Muslims as such, as a distinct and separate entity. Furthermore, it
means that acts committed against individuals were not directed at
them as the personification of a relevant group, in their collective
capacity, which is the true, intrinsic, characteristic of genocide.

Short of that condition, the criminal intent cannot be characterized
as genocidal, in the normative milieu of the law on genocide, as jus
strictum.

It appears that none of the determinations of the protected group given
by the Applicant meets the requirements embodied in the formula
“national, ethnic, racial or religious group as such” at least in the pro-
ceedings before the International Court of Justice characterized, inter

alia, by the fundamental principle of non ultra petita. As the Court stated
in the Asylum case:

“One must bear in mind the principle that it is the duty of the
Court not only to reply to the questions as stated in the final sub-
missions of the parties, but also to abstain from deciding points not
included in those submissions” (Judgment, I.C.J. Reports 1950 ,
p. 402).

In addition, it should be noted that the Applicant, in its submissions in
the Memorial, subsumes under protected groups “national, ethnical or

religious groups within, but not limited to the territory of Bosnia and
Herzegovina . . .” (Memorial, Part 7, Submission under (1)). In its final
submission the Applicant requested the Court to adjudge and declare
that Serbia and Montenegro

“has violated its obligations under the Convention on the Prevention
and Punishment of the Crime of Genocide by intentionally destroy-
ing in part the non-Serb national, ethnical or religious group within,

but not limited to, the territory of Bosnia and Herzegovina, including
in particular the Muslim population” (Agent Softic, CR 2006/37,
p. 59, para. 1; emphasis added).

98. As regards its procedural significance, the Application, as stated in
Article 38, paragraph 2, “shall . . . specify the precise nature of the
claim”. The determination of the group protected is, in the case concern-

ing Application of the Convention on the Prevention and Punishment of
the Crime of Genocide (Bosnia and Herzegovina v. Yugoslavia), the rele-
vant part of the claim as a whole.
In the substantive sense, the protection of the “national, ethnic, racial
or religious” group is ratio legis of the Convention. An improper deter-

mination of the group protected may have far-reaching consequences in
the proceedings before the Court. In contrast to the criminal court, this

483 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND .KRECu ) 522

indique clairement que l’objet du génocide est de détruire un groupe en

tant qu’entité distincte et séparée. Utiliser une expression telle que «essen-
tiellement bosniaque» revient, d’après son sens naturel et ordinaire, à
dire que l’objet du génocide allégué n’était pas les Musulmans bosniaques
en tant que tels, c’est-à-dire, en tant qu’entité distincte et séparée. Cela
signifie en outre que les actes commis contre certaines personnes ne

visaient pas celles-ci en tant que personnification d’un groupe particulier,
ou représentants de la collectivité, ce qui constitue la caractéristique
intrinsèque et véritable du génocide. Cette condition n’étant pas remplie,
l’intention criminelle ne saurait être qualifiée de génocidaire dans le
contexte normatif du droit relatif au génocide en tant que jus strictum.

Il apparaît qu’aucune des définitions du groupe protégé avancées par le
demandeur ne satisfait au critère implicite dans la formule «groupe
national, ethnique, racial ou religieux, comme tel», du moins aux fins de
la procédure devant la Cour internationale de Justice, fondée, notam-

ment, sur le principe essentiel non ultra petita. Ainsi que la Cour l’a
déclaré dans l’affaire du Droit d’asile,

«il y a lieu de rappeler le principe que la Cour a le devoir de ré-
pondre aux demandes des parties telles qu’elles s’expriment dans
leurs conclusions finales, mais aussi celui de s’abstenir de statuer
sur des points non compris dans lesdites demandes ainsi exprimées»
(C.I.J. Recueil 1950, p. 402).

Il convient de relever que le demandeur, dans les conclusions de son
mémoire, élève au rang de groupes protégés «les groupes nationaux, eth-

niques ou religieux notamment mais non exclusivement sur le territoire de
la République de Bosnie-Herzégovine ...» (mémoire, partie 7, conclusions,
point 1)). Dans ses conclusions finales, le demandeur a prié la Cour de
dire et juger que la Serbie-et-Monténégro avait

«violé les obligations qui lui incomb[ai]ent en vertu de la convention
pour la prévention et la répression du crime de génocide, en détrui-
sant en partie et de façon intentionnelle le groupe national, ethnique

ou religieux non serbe, notamment mais non exclusivement , sur le ter-
ritoire de la République de Bosnie-Herzégovine, en particulier la
population musulmane» (CR2006/37, p. 59 (Softic ´); les italiques
sont de moi).

98. Du point de vue procédural, il convient de rappeler que, ainsi que
le prévoit le paragraphe 2 de l’article 38 du Règlement, la requête
«indique ... la nature précise de la demande». La définition du groupe pro-

tégé, en cette affaire concernant l’Application de la convention pour la pré-
vention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c.
Yougoslavie), fait partie intégrante de la demande dans son ensemble.
Du point de vue du fond, la protection du groupe «national, ethnique,
racial ou religieux» constitue, sur le plan juridique, la raison d’être de la

convention. Une détermination inexacte du groupe protégé pourrait avoir
des conséquences considérables lorsqu’il s’agit d’affaires portées devant

483523 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION SEP .OP .KRECu )

Court, in the performance of its judicial function, is subject, inter alia,

also to the fundamental principle of non ultra petitum. Accordingly, the
Court, not being in a position to substitute itself for the party, in the
adjudication of the matter is bound by the determination of the protected
group given by the Applicant (P.C.I.J., Series A, No. 7 ,p.35; Nuclear

Tests (Australia v. France), Judgment, I.C.J. Reports 1974 , pp. 262-263,
paras. 29-30; Nuclear Tests (New Zealand v. France), Judgment, I.C.J.
Reports 1974, pp. 466-467, paras. 30-31).

The intent to destroy a group “as such” means the intent to destroy the
group as a separate and distinct entity. It follows from the fact that the
act of genocide constitutes not just an attack on an individual, but also
an attack on the group with which the individual is identified.

The group in terms of a separate and distinct entity may, as a matter of
principle, be determined either in a positive or a negative manner.
The jurisprudence of the ICTY is generally against the so-called nega-

tive criteria. The negative definition of the group, based on the exclusion
formula, has inherent limits in its application. In principle, it is suitable
for determining the protected group in terms of a separate and
distinct entity in bi-ethnic or, under certain conditions, in tri-ethnic

communities, although the question remains open as to whether the
negative definition as such is the proper form for the legal determination
of matters which belong to jus strictum or rather simply a descriptive
one. In multi-ethnic communities consisting of more than three national,

ethnic or religious groups, the negative definition is totally incapable of
properly determining the protected group under the Convention . The
exclusion principle as the operative principle of the negative definition is
clearly powerless to determine the protected group as a distinct and

separate group.

4. “As such”

99. The words “as such” are, regarding a “national, ethnic, racial or
religious” group in terms of the Genocide Convention — a qualification
of a characterization. They establish another aspect of the requirement of

intent 77that the intent to destroy be directed at the group as a protected
group .
The group itself is the ultimate target or intended victim of the crime of
genocide. But in order to achieve the overall objective of destroying the

group, it is essential for the act to be committed against individuals con-

77Lipman, “The 1948 Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of
Genocide: Forty-five Years Later”, Temp. Int. Law and Comp. Law Journal , 7-9/1994,
pp. 22-24, note 38.

484 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KRECu ) 523

la Cour. Contrairement aux juridictions pénales, la Cour internationale

de Justice, dans l’accomplissement de sa fonction judiciaire, est, notam-
ment, soumise au principe fondamental non ultra petitum. N’étant pas en
mesure de se substituer à une partie, la Cour est donc tenue, lorsqu’elle
tranche une affaire, par la détermination du groupe protégé alléguée par
o
le demandeur. (C.P.I.J. série A n 7, p. 35; Essais nucléaires (Australie
c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974 , p. 262-263, par. 29-30; Essais
nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974 ,
p. 466-467, par. 30-31.)

L’intention de détruire un groupe «comme tel» doit se comprendre
comme l’intention de détruire le groupe en tant qu’entité distincte et
séparée, l’acte de génocide ne constituant pas simplement une attaque
contre un individu, mais également une attaque contre un groupe auquel

l’individu en question est identifié.
Le groupe, en tant qu’entité distincte et séparée, peut, en principe, être
déterminé soit de façon positive, soit de façon négative.
En général, le TPIY est plutôt défavorable aux critères dits négatifs,

ainsi que l’atteste sa jurisprudence. Une définition négative du groupe,
fondée sur la formule d’exclusion, comporte, dans son application, des
limites intrinsèques. Une telle définition convient en principe lorsqu’il
s’agit de déterminer le groupe protégé en tant qu’entité distincte et sépa-

rée dans une communauté bi-ethnique voire, dans certaines conditions,
tri-ethnique, encore que la question demeure ouverte de savoir si une
définition négative en tant que telle constitue la forme appropriée pour
procéder à la détermination juridique de questions qui relèvent du jus

strictum, ou bien si une définition descriptive convient davantage. Dans
des communautés multiethniques comptant plus de trois groupes natio-
naux, ethniques ou religieux, la définition négative ne permet jamais de
cerner de manière satisfaisante le groupe protégé aux fins de la conven-

tion. Le principe d’exclusion qui est le principe actif d’une définition
négative n’est de toute évidence pas à même de permettre de définir le
groupe protégé comme un groupe distinct et séparé.

4. «Comme tel»

99. Les mots «comme tel» constituent, pour le groupe «national, eth-
nique, racial ou religieux» au sens de la Convention, une sorte de quali-
ficatif de qualificatif. Il s’agit d’un aspect supplémentaire du critère

d’intention — à savoir que77’intention de détruire doit viser le groupe en
tant que groupe protégé .
Le groupe lui-même constitue la cible ultime, ou la victime escomptée,
du crime de génocide. Mais, afin d’atteindre l’objectif général constitué

par la destruction du groupe, il est indispensable que l’acte soit commis à

77Lipman, «The 1948 Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of
Genocide: Forty-five Years Later», Temp. Int. Law and Comp. Law Journal , 7-9/1994,
p. 22-24, note 38.

484524 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP. OP. KRECu )

stituting the group as the direct victims. The fact that the individuals con-

stituting the group are intentionally subject to acts which constitute the
actus reus of genocide is, however, not sufficient per se in the light of the
qualification “as such”. As the Trial Chamber stated in the Krstic ´ case:

“Mere knowledge of the victims’ membership in a distinct group on the
part of perpetrators is not sufficient to establish an intention to destroy
the group as such” .78

To qualify as genocidal, the intention must be aimed at individuals
who constitute the group in their collective capacity, the capacity
of members of the protected group whose destruction is an incremental

step in the realization of the overall objective of destroying the
group.
The qualification “as such” serves also as differentia specifica between
discriminatory intent as suggestive of an element of the crime of persecu-

tion, which also may have, as its target for genocidal intent, a racial,
excluding ethnic, group .79
As a consequence, if prohibited acts under Article II of the Convention

targeted a large portion of a protected group such acts would not con-
stitute genocide if they were a part of a random campaign of violence or
general pattern of war.

It may be assumed that such an understanding influenced this Court to
find in the incidental procedure of provisional measures in the Legality of
Use of Force cases, that “the bombings . . . indeed entail the element of
intent, towards a group as such, required by the provision” (Art. II of the

Genocide Convention; I.C.J. Reports 1999, p. 138, para. 40).

For “the continued bombing of the whole territory of the State,

pollution of soil, air and water, destroying the economy of the country,
contaminating the environment with depleted uranium” (Legality of
Use of Force (Yugoslavia v. Belgium), CR 99/14, p. 30, 10 May

1999, Agent Etinski) could have been included in the creation of
destructive living conditions at least as much as the forced
displacement, encirclement of towns or starvation. The intent behind
the acts undertaken was defined by General Wesley Clark as

follows:

“We’re going to systematically and progressively attack, disrupt,
degrade, devastate, and ultimately, unless President Milosevic com-

78
79ICTY, Prosecutor v. Krs´, Trial Judgment, para. 561.
ICTY, Prosecutor v. Brdjanin, Trial Judgment, para. 992; ICTY, Prosecutor v.
Krnojelac, Appeal Judgment, para. 185.

485 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND .KRECu ) 524

l’encontre d’individus constituant le groupe en tant que victimes immé-
diates. Le fait que les individus qui constituent le groupe soient intention-

nellement soumis à des actes constitutifs de l’actus reus de génocide
ne suffit toutefois pas à lui seul, compte tenu de leur qualification
«comme tel». Ainsi que la Chambre de première instance l’a relevé dans
l’affaire Krstic´ : «[l]a simple connaissance que les auteurs des

crimes [peuvent] avoir de l’appartenance des victimes à un groupe dis-
tinct ne permet pas d’établir l’intention de détruire le groupe comme
tel» .
Pour pouvoir être qualifiée de génocidaire, l’intention doit viser
des individus représentant le groupe à titre collectif — en tant que

membres du groupe dont la destruction constitue une étape supplémen-
taire dans la réalisation de l’objectif global consistant à détruire le
groupe protégé.
La qualification «comme tel» marque également la differentia specifica

entre l’intention discriminatoire en tant qu’élément dont peut se déduire
le crime de persécution, lequel peut également viser un groupe racial,
mais non ethnique , et l’intention génocidaire.
En conséquence, quand bien même des actes prohibés par l’article II de

la Convention prendraient pour cible une large fraction d’un groupe pro-
tégé, ces actes ne seraient pas constitutifs de génocide s’ils s’inscrivaient
dans le cadre d’une campagne de violence arbitraire ou dans un contexte
général de guerre.

L’on peut penser que c’est cette interprétation qui a amené la Cour à
conclure, dans le cadre de la procédure incidente en indication de mesures
conservatoires dans les affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la
force, que les «bombardements ... comport[aient] effectivement l’élément

d’intentionnalité, dirigé contre un groupe comme tel, que requiert la dis-
position sus-citée [l’article II de la convention sur le génocide]» (C.I.J.
Recueil 1999, p. 138, par. 40).
Car le «bombardement constant de tout le territoire national, la

pollution du sol, de l’air et de l’eau, la destruction de l’écono-
mie du pays, la contamination de l’environnement par de l’uranium
appauvri» (Licéité de l’emploi de la force (Yougoslavie c.
Belgique), CR99/14, p. 30, 10 mai 1999 (M. Etinski)) aurait pu être

assimilé à la soumission à des conditions d’existence devant entraîner
la destruction au même titre, au moins, que le déplacement forcé,
l’encerclement d’une ville ou le fait d’affamer une population.
L’intention motivant les mesures prises a été décrite ainsi par le général
Wesley Clark:

«Nous allons systématiquement et progressivement attaquer, sabo-
ter, détruire, dévaster et, finalement, à moins que le président Milo-

78TPIY, Le procureur c. Kr´ , chambre de première instance, jugement, par. 561.
79TPIY, Le procureur c. Brdjanin , chambre de première instance, jugement, par. 992;
TPIY, Le procureur c. Krnojelac , chambre d’appel, arrêt, par. 185.

485525 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP. OP. KRECu )

plies with the demands of the international community, we’re going
80
to destroy his forces and their facilities and support” ,

or, as Michael Gordon in his article entitled “Crisis in the Balkans”
quoted the words of General Short saying that he: “hopes that the dis-
tress of the Yugoslav public will undermine support for the authorities in

Belgrade”. And he continued: “I think no power to your refrigerator, no
gas in your stove, you can’t get to work because the bridge is down . . .” .

100. The provision of Article II of the Convention according to
which genocide means the destruction of a group “in whole or in part”
is not without ambiguities. It is not quite clear whether the qualifica-
tion “in part” applies to the scope of the intent, or to the scope of the

act.
A grammatical interpretation would suggest that the qualification “in
part” concerns both elements of the crime — objective and subjective.
Such an interpretation, however, does not seem completely satisfactory,

mainly because the discriminatory intent is the most general character-
istic of the intent to destroy.
Namely, it implies that the discriminatory intent is expressed doubly
and unequally — on the one hand on the “national, ethnic, religious or

racial” group as a distinct and separate entity, and, on the other hand,
within that entity, treating some of its parts as if they were distinct and
separate entities. In other words, if the qualification “in part” applied

only to the scope of intent, it would mean, as the ultimate result of such
an interpretation, that a part of a group is a distinct entity within the
group to which it belongs.

The basic idea underlying the Genocide Convention is the protection
of the right to existence of entire human groups, which ex definitione
implies the protection of its parts as small groups as well.

The intent to destroy a part of a group is, in fact, ratione personae
a limited, actual projection of the intent to destroy a group as a whole,
dictated by an appropriate factual occasion, rather than by different

attitudes toward parts of the protected group. As noted by
Professor Pellet “l’élément subjectif du génocide, le mens rea, c’est-à-dire
l’intention génocidaire, ne peut être que global” (CR 2006/10, p. 47,
para. 21).

80BBC News, http://news.bbc.co.uk/1/hi/special_report/1998/kosovo2/303641.stm.
81New York Times, 13 May 1999, “Crisis in the Balkans”, http://select.nytimes.com/
gst/abstract.html?res=F10711FE3A5B0C708DDDAC0894D1494D81.

486 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND .KRECu ) 525

ševi´ ne se conforme aux exigences de la communauté internationale,

complètement anéantir son armée ainsi que les installations et la
logistique de cette dernière.» 80

C’est également ce qui ressort de l’article de Michael Gordon intitulé «La
population de Belgrade doit souffrir», citant les propos du général Short

qui «espér[ait] que la détresse de la population saper[ait] le soutien dont
bénéfici[aient] les autorités de Belgrade», et poursuivait comme suit: «il
n’y aura plus d’électricité pour votre réfrigérateur, plus de gaz pour votre

cuisinière,81ous ne pourrez plus aller au travail parce que le pont est
démoli...» .
100. La disposition de l’article II de la Convention suivant laquelle
le génocide signifie la destruction d’un groupe en «tout ou en partie»

n’est pas dénuée d’ambiguïté. On ne voit pas très bien si la qualifica-
tion «en partie» s’applique à la portée de l’intention, ou à celle de
l’acte.
Une interprétation grammaticale donnerait à penser que la qualifica-

tion «en partie» concerne les deux aspects du crime — l’aspect objectif
et l’aspect subjectif. Toutefois, cette interprétation ne semble pas tota-
lement satisfaisante, essentiellement parce que l’intention discrimina-
toire est la propriété la plus générale de l’intention de détruire.

C’est-à-dire que l’intention discriminatoire s’exprime doublement et
différemment — elle s’exprime, d’une part, à l’égard d’un «groupe
national, ethnique, racial ou religieux» en tant qu’entité distincte

et séparée et, d’autre part, à l’intérieur de cette entité, dont certaines
parties sont traitées comme constituant elles-mêmes des entités
distinctes et séparées. Autrement dit, la conséquence ultime de l’inter-
prétation selon laquelle la qualification «en partie» s’appliquerait

uniquement à la portée de l’intention serait qu’une partie d’un groupe
constituerait une entité distincte au sein du groupe auquel elle
appartient.
L’idée fondamentale qui sous-tend la convention sur le génocide est la

protection du droit à l’existence de groupes humains entiers, ce qui, par
définition, suppose également la protection des petits groupes qui en sont
les éléments constitutifs.
L’intention de détruire une partie d’un groupe constitue en fait,

ratione personae, une projection limitée et concrète de l’intention de
détruire le groupe dans son ensemble qui est dictée par des circon-
stances factuelles propices, et non par une attitude différente à l’égard
de parties du groupe protégé. Pour reprendre les termes de M. Pellet,

«l’élément subjectif du génocide, l[a] mens rea, c’est-à-dire l’inten-
tion génocidaire, ne peut être que global» (CR2006/10, p. 47,
par. 21).

80
81BBC News, http://news.bbc.co.uk./1/hi/special_report/1998/kosovo2/303641.stm.
New York Times, 13 mai 1999, «Crisis in the Balkans», http://select.nytimes.com/
gst/abstract.html?res=F10711FE3A5B0C708DDDAC0894D1494D81.

486526 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP. OP. KRECu )

5. The meaning of ethnic cleansing under the Convention

101. In the case at hand the expression “ethnic cleansing” is used in a

number of senses:

(i) to mean an act constituting an actus reus of the crime of genocide;

(ii) as a synonym or euphemism for the crime of genocide;
(iii) as substratum or factual matrix for inferences of genocidal intent as
the subjective element of the crime of genocide.

102. The situation is clear as to “ethnic cleansing” as an act constitut-
ing an actus reus of genocide.
Acts constituting the actus reus of genocide are listed a limine in Arti-

cle II of the Convention. Article II of the Convention does not include
“ethnic cleansing” as an act of genocide.
In the course of the drafting of the Genocide Convention, there were

proposals, it is true, to place the subsumed acts under the heading ethnic
cleansing as the sixth act of genocide. But these proposals were not
accepted. Syria submitted an amendment 82to include the imposition of

“measures intended to oblige members of a group to abandon their
homes in order to escape the threat of subsequent ill-treatment” as an
actus reus of genocide. The amendment was supported by the Yugoslav

representative, Bartos, citing the Nazi displacement of the Slav popula-
tion from a part of Yugoslavia as an action “tantamount to the deliber-
ate destruction of a group”. He added that “genocide could be commit-
83
ted by forcing members of a group to abandon their homes” .

The amendment was, however, rejected by a clear majority of 29 votes
84
against and 5 in favour with 8 abstentions , the explanation having been
offered that it deviated too much from the concept of genocide . 85
Specifically discussing the contention that forced displacement

practised by the Nazis was tantamount to the deliberate destruction
of a group, the Soviet representative Morozov emphasized that this
was consequence, not genocide itself . 86

The exhaustive listing of the acts constituting the actus reus of geno-
cide is the proper and cogent expression of the fundamental principle of
criminal law, domestic or international: nullum crimen, nulla poena sine

lege.
During the debate in the Sixth Committee, two amendments were sub-
mitted 87 proposing the adoption of an illustrative definition of acts of

82United Nations doc. A/C.6/234.
83United Nations doc. A/C.6/SR.82.
84Ibid.
85Maktos (United States of America), Fitzmaurice (United Kingdom), ibid.
86Ibid.
87United Nations docs. A/C.6/232/Rev.1 and A/C.6/223 and Corr.1.

487 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP . IND. KRECu ) 526

5. Le nettoyage ethnique au sens de la convention

101. Dans la présente affaire, l’expression «nettoyage ethnique» revêt

plusieurs sens:

i) ce peut être un acte constituant un actus reus (ou élément matériel)
du crime de génocide;

ii) ce peut être un synonyme ou euphémisme du crime de génocide;
iii) ce peut être la base ou le cadre factuel permettant de déduire l’inten-
tion génocidaire, qui est l’élément subjectif du crime de génocide.

102. La situation est claire en ce qui concerne le «nettoyage ethnique»
en tant qu’acte constituant un actus reus du génocide.
Les actes constituant l’actus reus du génocide sont énumérés a limine à

l’article II de la Convention. Cet article ne fait pas figurer le «nettoyage
ethnique» dans les actes de génocide.
Lors de la rédaction de la convention sur le génocide, il fut certes pro-

posé de faire des actes relevant du nettoyage ethnique le sixième acte de
génocide. Mais les propositions de ce type ne furent pas adoptées. La
Syrie soumit un amendement 82visant à inclure dans l’actus reus du géno-

cide l’imposition de «mesures tendant à mettre les populations dans
l’obligation d’abandonner leurs foyers afin d’échapper à la menace de
mauvais traitements ultérieurs». Cet amendement reçut l’appui du repré-

sentant yougoslave, M. Bartos, qui cita le déplacement par les nazis de la
population slave d’une partie de la Yougoslavie comme une action «équi-
va[lant] à détruire un groupe humain par des actes prémédités». Il ajouta

que «[l’o]n p[ouvait] commettre le génocide en contraignant un groupe
humain à abandonner ses foyers» . 83
L’amendement fut toutefois rejeté par une forte majorité, soit vingt-
84
neuf voix contre cinq, avec huit abstentions , parce qu’il s’écartait trop
de la notion de génocide . Examinant spécialement l’argument selon
lequel le déplacement forcé auquel les nazis s’étaient livrés pouvait être

qualifié de destruction délibérée d’un groupe, M. Morozov, le représen-
tant de l’Union soviétique, souligna qu’il s’agissait là d’une conséquence,
et non du génocide proprement dit . 86

La liste exhaustive des actes constitutifs de l’actus reus du génocide
constitue l’expression adéquate et pertinente du principe fondamental de
droit pénal, national ou international, nullum crimen, nulla poena sine

lege.
Au cours du débat à la Sixième Commission, deux amendements
furent proposés 87en vue de l’adoption d’une définition des actes de géno-

82Nations Unies, doc. A/C.6/234.
83Nations Unies, doc. A/C.6/SR.82.
84Ibid.
85Maktos (Etats-Unis d’Amérique), Fitzmaurice (Royaume-Uni), ibid.
86Ibid.
87Nations Unies, doc. A/C.6/232/Rev.1 et A/C.6/223 et Corr.1.

487527 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP. OP. KRECA )
u

genocide. After discussion the amendments were rejected on the basis of
the argument that an exhaustive enumeration was necessitated by the
fundamental principle nulla poena sine lege. It was also observed that an

advantage of the exhaustive enumeration method was that it allowed for
the subsequent amendment of the Convention by the addition of further
acts to the enumeration . 88

It should be noted that at no time during the drafting Statutes of the
two ad hoc tribunals or the Rome Statute of the International Criminal
Court was it even proposed to expand the list of acts or to deem the enu-

meration in Article II of the Convention to be non-exhaustive.
The intrinsic, highly complex structure of “ethnic cleansing” also mili-
tates against its inclusion among acts of genocide. It encompasses acts
belonging to different genera of international crimes that accompany acts

which, although violative of internationally recognized human rights, are
not per se punishable (see paragraph 103 below).

103. The Applicant equates genocide and “ethnic cleansing”. Exempli
causa, in its Reply, the Applicant contends that “the campaign of ethnic
purification is indeed tantamount to a further campaign of European
genocide in this century . . .” (Reply, para. 703, Chap. 5, Sect. 9 — The

Policy of Ethnic Cleansing). This is not an isolated perception. In the
confirmation of the second indictment against Karadžic ´ and Mladic ´ —
the Srebrenica indictment (IT-95-18-I) of 16 November 1995 — Judge

Mahmud Riad says, although more cautiously, that “[t]he policy of
ethnic cleansing . . . presents in its ultimate manifestation, genocidal
characteristics” .9

The answer to the question as to whether genocide and “ethnic cleans-
ing” can be equated is twofold: formal and substantive.

Although the term “ethnic cleansing” emerged immediately after the
end of the Second World War as a “direct descendant of the expressions,
in particular the term ‘Säuberung’ (cleansing)” , used by the Nazis in

their “hygiene programmes”, it did not find a place in the Genocide Con-
vention, not even as an act that would constitute an actus reus of geno-
cide (see Article II of the Convention) or as a synonym for “genocide”.

Hence the use of “ethnic cleansing” instead of the term genocide
implies, from a formal point of view, a redefinition of “genocide” as
accepted in the Genocide Convention. Terms used in legislative acts, in

particular conventions, such as the Genocide Convention, which lay

88N. Ruhashyankiko, Special Rapporteur, doc. E/CN.4, Sub. 2/416, 4 July 1978,
op. cit.,p.14.
89W. Schabas, “‘Ethnic Cleansing’ and Genocide: Similarities and Distinctions”, Euro-
pean Journal of Minority Rights , Vol. 3, 2003/4, pp. 111-112.
90For other views to that effect, see Schabas, op. cit., p. 113.

488 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND . KRECA ) 527
u

cide par le biais d’une liste ouverte d’exemples. Après discussion, les
amendements furent rejetés parce que le principe fondamental nulla
poena sine lege imposait une énumération exhaustive. On fit aussi obser-

ver que la méthode de l’énumération exhaustive avait l’avantage de per-
mettre de modifier ultérieurement la convention en y ajoutant d’autres
actes .8

Il convient de noter que, lors de la rédaction du Statut des deux tribu-
naux ad hoc ou du Statut de Rome de la Cour pénale internationale, il ne
fut jamais, ne fût-ce que suggéré, d’allonger la liste des actes ni de consi-

dérer l’énumération figurant à l’article II comme non exhaustive.
Etant complexe, la structure intrinsèque du «nettoyage ethnique» milite
également contre l’inclusion de celui-ci dans les actes de génocide. Le
«nettoyage ethnique» comprend des actes appartenant à un type diffé-

rent de crimes internationaux s’accompagnant d’actes qui, s’ils violent
des droits de l’homme internationalement reconnus, ne sont toutefois pas
punissables en eux-mêmes (voir le paragraphe 103 ci-dessous).

103. Le demandeur assimile génocide et «nettoyage ethnique». Dans
sa réplique, par exemple, il soutient que cette «campagne de nettoyage
ethnique [est] véritablement à inscrire parmi les campagnes de génocide
qui ont frappé l’Europe au cours de ce siècle...» (réplique, par. 703,

chap. 5, sect. 9 — La politique de nettoyage ethnique). Il ne s’agit pas là
d’une conception isolée. Dans la confirmation du deuxième acte d’accu-
sation émis à l’encontre de Karadžic ´ et de Mladic ´ — l’acte d’accusation

Srebrenica (IT-95-18-I) du 16 novembre 1995 —, le juge Mahmud Riad
déclare, quoique de manière plus prudente, que «[l]a politique de «puri-
fication ethnique» ... présente, dans sa manifestation ultime, des caracté-
ristiques de génocide» .89

La réponse à la question de savoir si génocide et «nettoyage ethnique»
peuvent être considérés comme équivalents comporte deux aspects: un
aspect formel et un aspect de fond.

Bien qu’elle ait vu le jour dès la fin de la seconde guerre mondiale dans
«la droite ligne des expressions, en particulier du terme «Säuberung»
(nettoyage)» , que les nazis utilisaient dans le cadre de leurs pro-

grammes dits de purification, l’expression «nettoyage ethnique» n’a pas
trouvé place dans la convention sur le génocide, pas même en tant qu’acte
constituant un actus reus du génocide (voir article II de la Convention)
ni en tant que synonyme du terme «génocide».

Dès lors, utiliser l’expression «nettoyage ethnique» au lieu du terme
«génocide» suppose, d’un point de vue formel, qu’il faut redéfinir le
terme «génocide» tel qu’il est consacré dans la convention sur le géno-

cide. Les termes utilisés dans les textes normatifs, en particulier dans les

88N. Ruhashyankiko, rapporteur spécial, doc. E/CN/4; Sub. 2/416, 4 juillet 1978, op.
cit.,p.14.
89W. Schabas, ««Ethnic Cleansing» and Genocide: Similarities and Distinctions»,
European Yearbook of Minority Issues , vol. 3, 2003/4, p. 111-112.
90Pour d’autres avis en ce sens, voir Schabas, op. cit., p. 113.

488528 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP. OP. KRECu )

down objective law with the force of jus cogens are not ordinary terms

subject to redefinition on the basis of one-sided, subjective assessment or
agreement being a part of the substantive law established by the Geno-
cide Convention. Forming a legal whole with the substantive provisions

of the Convention, the terminus technicus “genocide” can be changed or
replaced by some other term only pursuant to legal procedure analogous
to that for amending provisions of the Convention.

In the substantive sense, equating genocide and “ethnic cleansing” may
be reasonable only where the latter overlaps in totto with the relevant
constituent elements — both material and subjective — of the crime of

genocide.
There is one common denominator in numerous definitions of “ethnic
cleansing”; it is expressed in terms of the goal towards which the perpe-
trator aspires. In that regard, one can take as the basic definition the one

given by the Special Rapporteur Mazowiecki in his Sixth Report. Accord-
ing to the Report, “ethnic cleansing may be equated with the systematic
purge of the civilian population based on ethnic criteria, with the view of
91
forcing it to abandon the territories where it lives ” . The Commission of
Experts in their first Interim Report of 10 February 1993 also adopted
the same line of reasoning — “ethnic cleansing means rendering an area
ethnically homogeneous by using force and intimidation to remove per-
92
sons of given groups from the area ” . Consequently, the genus proximus
of “ethnic cleansing” should be sought in creating ethnically homogen-
ous areas by forcing the inhabitants to leave their homes.

The fundamental difference between genocide and ethnic cleansing lies
precisely in this point. Whereas genocide involves the extermination of
the protected groups, “ethnic cleansing”, if perceived as a crime per se,

involves the expulsion of the population from a given, as a rule disputed,
territory. It follows that, whereas the prohibition of genocide has as its
object protecting the physical and biological existence of a group, the

prohibition of “ethnic cleansing”, if perceived as a crime per se, would
have as its object preventing the expulsion of groups.

It follows that, in terms of the subjective element, genocide is charac-

terized by the intent to destroy the targeted group, whereas “ethnic
cleansing” is characterized by the intent to expel or remove the civilian
population or persons belonging to given groups.

91
Sixth Mazowiecki Report II, at p. 44, point 283; emphasis added.
92
United Nations doc. S/25274.

489 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KRECu ) 528

conventions telles que la convention sur le génocide, qui posent des prin-

cipes juridiques objectifs revêtant la force du jus cogens, ne sont pas des
termes ordinaires qui peuvent être redéfinis sur la base d’une appréciation
ou d’un accord de nature unilatérale et subjective, puisqu’ils font partie

du droit substantiel établi dans la convention sur le génocide. Intimement
lié, du point de vue juridique, à ces dispositions de nature substantielle de
la convention, le terme technique «génocide» ne saurait être modifié ni
remplacé par un autre terme que dans le cadre d’un processus juridique

tel qu’une revision des dispositions de la convention.
En substance, on ne saurait raisonnablement assimiler génocide et
«nettoyage ethnique» qu’en cas de chevauchement total entre ce dernier
et les éléments — tant d’ordre matériel que d’ordre subjectif — qui cons-

tituent le crime de génocide.
De nombreuses définitions du «nettoyage ethnique» possèdent un
dénominateur commun, qui se rattache à l’objectif visé par l’auteur du
délit. A ce sujet, une définition qui peut être tenue pour fondamentale est

celle qu’a formulée M. Mazowiecki, le rapporteur spécial, dans son
sixième rapport. Aux termes du rapport en question, le ««nettoyage eth-
nique» peut être assimilé à une purge systématique, fondée sur des cri-

tères ethniques, de la populati91 civile en vue de la contraindre à abandon-
ner les territoires où elle vit » . Dans son premier rapport intérimaire du
10 février 1993, la commission d’experts a, elle aussi, adopté le même rai-
sonnement — «le «nettoyage ethnique» consiste à rendre une zone

ethniquement homogène en utilisant la force ou l’intimidation pour
faire disparaître de la zone en question des personnes appartenant à des
groupes déterminés » . En conséquence, le genus proximus du «net-
toyage ethnique» tient à la création de zones ethniquement homogènes

en forçant les habitants à quitter leurs foyers.
C’est précisément en cela que réside la différence fondamentale entre
génocide et nettoyage ethnique. Tandis que le génocide suppose l’exter-
mination des groupes protégés, le «nettoyage ethnique», s’il est certes

perçu comme un crime en soi, suppose l’expulsion de la population d’un
territoire donné et, en général, contesté. Dès lors, tandis que l’interdiction
du génocide a pour objet de protéger l’existence physique ou biologique

d’un groupe, l’interdiction du «nettoyage ethnique», si celui-ci est perçu
comme un crime en soi, aurait pour objet d’empêcher l’expulsion de
groupes.
Il s’ensuit que, en ce qui concerne l’élément subjectif, le génocide est

caractérisé par l’intention de détruire le groupe visé, tandis que le
«nettoyage ethnique» est caractérisé par l’intention d’expulser ou de
chasser la population civile ou des personnes appartenant à des groupes
déterminés.

91
Sixième rapport Mazowiecki (II), p. 56 de la version française, par. 283; les italiques
so92 de moi.
Nations Unies, doc. S/25274.

489529 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP. OP. KRECu )

A further difference lies in the acts by which genocide and “ethnic
cleansing” are committed.
It appears that “ethnic cleansing” comprises a variety of acts substan-

tially different by nature and effect.
The acts said to be acts of “ethnic cleansing” can, grosso modo,b e
divided into two main groups:

(a) The first group is made up of acts punishable under international

law, such as massive deportation, detention and ill-treatment of
civilian population, shooting at selected civilian targets, mass dis-
placement of communities, rape, summary executions, deliberate

attack on and blocking of humanitarian aid, deliberate shelling of
civilian targets (especially water and transport facilities, means of
communication), taking hostages and detention of civilians for
93
exchange, attack on refugee camps .

(b) The second group comprises acts which, while illegal, because they
violate individuals’ or groups’ rights lying within the corpus of inter-
nationally recognized human rights, are not per se punishable under
94
international criminal law .

It follows that acts effecting “ethnic cleansing” are different by nature
insofar as “ethnic cleansing” takes on the traits of a plastic
omnibus expression rather than those of a coherent, lege artis

structured criminal offence. As such, “ethnic cleansing” seems to be
a non-technical term “used by soldiers, journalists, sociologists,
social scientists and others to describe a phenomenon which is
95
not defined by law” . The actions by which “ethnic cleansing”
is carried out would possess the latter characteristic only if there
were a norm of international law prohibiting the ethnic re-composition

(or a deliberate change in the ethnic composition) of a territory
by any means — admissible or inadmissible — whatsoever (including,
for instance, the granting of benefits or material advantages to certain

93
First Mazowiecki Report I, p. 4, points 15, 16; Fourth Mazowiecki Report II,
pp. 8-9, points 26, 29; Sixth Mazowiecki Report II, p. 5, point 13; Fifth Mazowiecki
Report II, p. 4, point 15.

94Exempli causa, administrative measures like removal of lawfully elected authori-
ties — Third Mazowiecki Report I, p. 8, point 17 (a); dismissal from work — First
Mazowiecki Report I, p. 3, point 12; constant identity checking of members of minority
ethnic groups — Third Mazowiecki Report I, p. 8, point 17; disconnection of
telephones — Fifth Mazowiecki Report II, p. 12, point 84; forced labour, very often
including work on the front lines of armed conflict — Fifth Mazowiecki Report II,
p. 12, point 84, etc.

95
K. Mulaj, Ethnic Cleansing in the Former Yugoslavia in the 1990s: A Euphemism for
Genocide?, p. 696.

490 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP .IND . KRECu ) 529

Une autre différence tient aux actes par lesquels sont commis génocide
et «nettoyage ethnique».

On constate que le «nettoyage ethnique» englobe divers actes sensible-
ment différents par leur nature et leurs effets.
Les actes dits de «nettoyage ethnique» peuvent, grosso modo, être scin-

dés en deux grands groupes:

a) le premier groupe se compose d’actes sanctionnés par le droit inter-
national, tels que la déportation en masse, la détention et les mauvais

traitements infligés à la population civile, le fait de tirer de manière
sélective sur des cibles civiles, le déplacement en masse de commu-
nautés, le viol, les exécutions sommaires, l’attaque délibérée et l’obs-

truction des secours humanitaires, le bombardement délibéré de cibles
civiles (en particulier les moyens d’approvisionnement en eau, les
moyens de transport et de communication), la prise d’otages et la

détention de civils à des fins d’échange et, enfin, l’attaque de camps de
réfugiés .3
b) Le second groupe comprend des actes qui, bien qu’illicites car ils

violent les droits d’individus ou de groupes et font partie des droits
de l’homme internationalement reconnus, ne sont pas en soi sanction-
nés par le droit pénal international 9.

Il s’ensuit que les actes constitutifs du «nettoyage ethnique» sont dif-
férents par nature de ceux qui constituent le génocide dans la mesure où
ils confèrent à l’expression «nettoyage ethnique» les traits d’une expres-

sion extensible et «fourre-tout» plutôt que ceux d’une infraction pénale
cohérente et structurée selon les règles de l’art. En tant que tel, le «net-
toyage ethnique» semble être un terme non technique «utilisé par des

soldats, des journalistes, des sociologues et d’autres pour décrire un phé-
nomène qui n’est pas défini par le droit» . Les actes de «nettoyage
ethnique» ne le seraient que s’il existait une norme de droit international

interdisant la recomposition ethnique (ou la modification délibérée de la
composition ethnique) d’un territoire par quelque moyen que ce soit,
admissible ou non (y compris, par exemple, le fait d’accorder des avan-

93 Premier rapport Mazowiecki (I), p. 7 de la version française, par. 15 et 16; quatrième
rapport Mazowiecki (II), p. 6-7 de la version française, par. 26 et 29; sixième rapport
Mazowiecki (II), p. 6 de la version française, par. 13; cinquième rapport Mazowiecki (II),
p. 6 de la version française, par. 15.
94 Par exemple, les mesures administratives telles que la destitution d’autorités élues de
manière régulière — troisième rapport Mazowiecki (I), p. 8 de la version française, par. 17

a); le renvoi — premier rapport Mazowiecki (I), p. 6 de la version française, par. 12; la
soumission constante de membres de minorités ethniques à des contrôles
d’identité — troisième rapport Mazowiecki (I), p. 8 de la version française, par. 17; la
déconnexion des lignes téléphoniques — cinquième rapport Mazowiecki (II), p. 17 de la
version française, par. 84; les travaux forcés, comprenant très souvent des travaux sur les
lignes de front du conflit armé — cinquième rapport Mazowiecki (II), p. 17 de la version
française, par. 84, etc.
95 K. Mulaj, Ethnic Cleansing in the Former Yugoslavia in the 1990s: A Euphemism for
Genocide?, p. 696.

490530 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP.OP .KRECu )

persons or groups of persons to induce them to abandon the given

territory).
In this context, it does not seem to be of decisive importance whether
a “policy of ethnic cleansing” or a “campaign of ethnic cleansing” is in
question. Because “ethnic cleansing” of a given territory is hardly possi-
ble without a plan and the co-ordinated action of a considerable number

of people or State institutions. Perceived in the sense of a “policy” or
“campaign”, ethnic cleansing is, in fact, but the expression or evidence of
intention to expel or remove groups from the territory. As a “policy” or
“campaign”, it is by nature systematic and widespread, because without
these attributes “ethnic cleansing” is not feasible in practical terms.

Simultaneous use of these expressions is, to begin with, a pleonasm (for
example, “deliberate policy”), which neither adds to nor takes away from
the substantive legal definition of “ethnic cleansing” as the removal or
expulsion of a group from a given territory.

Although “ethnic cleansing” as such is not an actus reus of genocide
under the Genocide Convention, let alone a synonym or euphemism for

genocide, this does not mean that certain acts of “ethnic cleansing”
are not capable of being means or methods of committing acts
of genocide. The possibility of overlap between acts of genocide and acts
of “ethnic cleansing” does not, however, establish a legal nexus
between or the identity of these two notions. It is rather the

expression of an inherent instrumental capability of individual
physical acts to produce consequences that, in their concrete
manifestations, fit into the genus of the crime of genocide or ethnic
cleansing or some other crimes such as a crime against humanity or war
crime.

Accordingly, what is involved here is the general instrumental capabil-
ity of certain physical acts to produce consequences whose legal charac-
terization within the configuration of punishable acts under international
law must be determined on the basis of the specific characteristics —

material and subjective — of international crimes taken individually.

Indeed, the objective elements, for instance, of crimes against human-
ity and the crime of genocide

“may undoubtedly overlap to some extent.
.............................

Killing members of an ethnic or religious group may as such fall
under both categories. The same holds true for causing serious bodily
or mental harm to members of a racial or religious group, or even

for the other three classes of genocide. However, crimes against
humanity have a broader scope, for they may encompass acts that

491 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KRECu ) 530

tages, matériels ou autres, à certaines personnes ou à certains groupes de

personnes en vue de les inciter à abandonner le territoire visé).
Dans ce contexte, la question de savoir si une «politique de nettoyage
ethnique» ou une «campagne de nettoyage ethnique» est en cause ne
semble pas revêtir une importance déterminante, car le «nettoyage eth-
nique» d’un territoire donné peut difficilement être réalisé en l’absence d’un

plan et d’une action coordonnée de la part d’un nombre considérable de
personnes ou d’institutions étatiques. Pris dans le sens d’une «politique»
ou d’une «campagne», le nettoyage ethnique n’est en fait que l’expres-
sion ou la manifestation d’une intention d’expulser ou de chasser des
groupes du territoire. En tant que «politique» ou de «campagne», il

revêt par nature un caractère systématique et généralisé car, sans ces
attributs, le «nettoyage ethnique» ne peut être réalisé dans la pratique.
L’utilisation simultanée de ces termes est, pour commencer, un pléo-
nasme (ce qui vaut par exemple pour la «politique délibérée») qui n’ajoute

ni n’enlève rien à la définition juridique fondamentale du «nettoyage
ethnique» en tant que fait de chasser ou d’expulser un groupe d’un terri-
toire donné.
Bien que, en soi, le «nettoyage ethnique» ne constitue pas un actus
reus du génocide dans le cadre de la convention sur le génocide, encore

moins un synonyme ou un euphémisme du génocide, cela ne signifie pas
que certains actes de «nettoyage ethnique» ne sont pas susceptibles de
constituer des moyens ou des méthodes permettant de commettre des
actes de génocide. L’éventuel chevauchement entre des actes de génocide
et des actes de «nettoyage ethnique» ne constitue cependant pas un

lien juridique ou une identité entre ces deux notions. Il signifie plutôt que
certains actes matériels sont en eux-mêmes susceptibles de contribuer
à produire des conséquences qui, dans leurs manifestations concrètes,
entrent dans la catégorie du crime de génocide, du nettoyage ethnique
ou de certains autres crimes tels un crime contre l’humanité ou un crime

de guerre.
En conséquence, il s’agit ici d’une possibilité générale, pour certains
actes matériels, de contribuer à produire des conséquences dont la qua-
lification juridique, dans le cadre des actes répréhensibles en droit inter-
national, doit être déterminée sur la base des caractéristiques — maté-

rielles et subjectives — qui sont propres aux crimes internationaux
pris isolément.
En effet, par exemple, les éléments objectifs des crimes contre l’huma-
nité et du crime de génocide

«peuvent sans conteste se confondre dans une certaine mesure.
..............................

Le meurtre de membres d’un groupe ethnique ou religieux peut en
tant que tel relever des deux catégories. Cela vaut aussi pour le fait
de porter atteinte à l’intégrité physique ou mentale de membres d’un

groupe racial ou religieux, ou même pour les trois autres catégories
d’actes de génocide. Cela étant, les crimes contre l’humanité ont une

491531 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP. OP. KRECu )

do not come within th96purview of genocide, for instance, imprison-
ment and torture” .

In other words, these two categories of crimes are “reciprocally special in
that they form overlapping circles which nevertheless intersect only tan-
97
gentially” .
Equally, the same objective elements can also be assimilated to specific
war crimes .98
Reasoning viewing any of the physical acts without regard to the total-

ity of specific characteristics — material and subjective — of interna-
tional crimes basically ignores the difference between the various kinds of
international crimes, so that, exempli causa, “incendiary bombing of

Hamburg, Dresden and Tokyo, and the atomic bombings of Hiroshima
and Nagasaki may constitute both genocide and war crimes”, since “[t]he
distinctive feature of pattern bombing is that the entire population of a
99
city becomes the target of annihilatory assault” .

104. In principle, the fact that “ethnic cleansing” is carried out, inter
alia, by physical acts which are also capable of resulting in the commis-
sion of the crime of genocide allows for “ethnic cleansing” as a substra-

tum or factual matrix for inference of genocidal intent. This, however,
does not signify that genocidal intent may automatically be deduced from
proof that “ethnic cleansing” has occurred, since identical punishable

physical acts cannot per se be equated with acts of a particular crime.
Exempli causa, mass killings as physical acts may constitute the actus
reus of crimes against humanity, genocide or war crimes. An act of a par-

ticular crime, a concrete physical act, acquires a legal characterization
within the framework of the totality of the legal characteristics forming
the body of the particular crime.

As regards a possible inference of genocidal intent from proven ethnic

cleansing, it appears that “ethnic cleansing” as such cannot be the proper
legal substratum for inference of genocidal intent. Owing to the differ-
ence between genocide and ethnic cleansing, only those acts of ethnic

cleansing which are punishable and capable of producing genocidal effects
can be taken as the components of a legal substratum for establishing the
existence of genocidal intent by inference. In that regard there is no dif-

ference whatsoever between acts of ethnic cleansing and any other pun-

96The Rome Statute of the ICC: A Commentary , I, 2002, ed. by A. Cassese, P. Gaeta
and J. Jenes, p. 339.
97Ibid.
98Interim Report of the Commission of Experts Established Pursuant to Security

Co99cil resolution 780 (1992), United Nations doc. S/35374 (1993), para. 56.
L. Kuper, Theoretical Issues Relating to Genocide: Uses and Abuses in Genocide:
Conceptual and Historical Dimension , ed. by G. I. Andreopulos, p. 34.

492 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND . KRECu ) 531

portée plus large, car ils peuvent englober des actes qui ne relèvent
96
pas du génocide, comme l’emprisonnement et la torture.»

En d’autres termes, ces deux types de crimes sont «spéciaux réciproque-
ment en ce qu’ils forment des cercles qui se chevauchent mais ne se
croisent que ponctuellement» . 97

Pareillement, les mêmes élé98nts objectifs peuvent aussi être assimilés
à certains crimes de guerre .
Le raisonnement tendant à considérer l’un quelconque des actes maté-

riels sans tenir compte de la totalité des caractéristiques particu-
lières — matérielles et subjectives — des crimes internationaux revient
fondamentalement à faire fi de la différence qui existe entre les divers
types de crimes internationaux, si bien que, par exemple, «le lancement

de bombes incendiaires sur Hambourg, Dresde et Tokyo et de bombes ato-
miques sur Hiroshima et Nagasaki peut constituer aussi bien un génocide
que des crimes de guerre», puisque «le trait distinctif d’un bombarde-

ment généralisé est que la population entière d’une ville devient la cible
d’une attaque visant son anéantissement» . 99
104. En principe, le fait que le «nettoyage ethnique» puisse être réa-

lisé, notamment, par des actes matériels également susceptibles de donner
lieu au crime de génocide permet de traiter le «nettoyage ethnique»
comme une base ou un tableau factuel afin de déduire l’intention géno-

cidaire. Cela ne signifie toutefois pas que l’intention génocidaire puisse
automatiquement être déduite de la preuve qu’il y a eu «nettoyage eth-
nique», puisque des actes matériels répréhensibles qui sont identiques ne

sauraient en eux-mêmes être assimilés à des actes constitutifs d’un crime
donné. Par exemple, des meurtres commis en masse peuvent, en tant
qu’actes matériels, constituer l’actus reus de crimes contre l’humanité, de

génocide ou de crimes de guerre. L’acte constituant un crime donné, un
acte matériel concret, acquiert une qualification en droit dans le cadre de
la totalité des caractéristiques juridiques qui définissent le crime concerné
dans son ensemble.

En ce qui concerne la possibilité de déduire une intention génocidaire
d’un nettoyage ethnique avéré, il apparaît que le «nettoyage ethnique»
proprement dit ne peut constituer la base juridique qui permet d’inférer

l’intention génocidaire. Compte tenu de la différence qui existe entre le
génocide et le nettoyage ethnique, seuls les actes de nettoyage ethnique
qui sont punissables et qui sont susceptibles de produire des effets géno-

cidaires peuvent être considérés comme des composantes de la base juri-
dique permettant d’établir, par déduction, l’existence de l’intention géno-

96
The Rome Statute of the ICC: A Commentary (I), 2002, A. Cassese, P. Gaeta et
J.97enes (dir. publ.), p. 339.
98Ibid.
Rapport intérimaire de la commission d’experts constituée conformément à la résolu-
tion 780 (1992) du Conseil de sécurité, Nations Unies, doc. S/35374 (1993), par. 56.
99L. Kuper, Theoretical Issues Relating to Genocide: Uses and Abuses in Genocide:
Conceptual and Historical Dimension , G. I. Andreopulos (dir. publ.), p. 34.

492532 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP. OP. KRECu )

ishable acts possessing the instrumental capability to produce genocidal

effects.

Inference as such implies in concreto the application of the proper
standard of proof in relation to the constitutive elements of genocidal

intent.
It appears that the ICTY jurisprudence also offers no basis for equat-
ing ethnic cleansing with genocide.
This conclusion is suggested by both an affirmative and a negative

analysis of the jurisprudence of the Tribunal.
From the negative standpoint, out of roughly a dozen indictments for
ethnic cleansing, the Tribunal convicted only General Krstic ´ for complic-
ity in genocide. The case is, however, specific and requires special treat-

ment (see paras. 151-153 below).

The affirmative analysis of the ICTY jurisprudence in this sense fol-
lows, on the other hand, from the Tribunal’s legal reasoning on the mat-

ter. For instance, in the Jelisi´ case, the Prosecution asserted that Jelisic´
was “an effective and enthusiastic participant in the genocidal campaign ”
against the group, which was significant “not only because it included all
the dignitaries of the Bosnian Muslim community in the region, but also
100
because of its size” . The Trial Chamber, however, although finding
that “the murders committed by the accused are sufficient to establish the
material element of the crime of genocide and it is a priori possible to
conceive that the accused harboured the plan to exterminate an entire

group” (Jelisic´, Trial Chamber Judgment, para. 100) the Trial Chamber
adjudged that

“In conclusion, the acts of Goran Jelisic ´ are not the physical
expression of an affirmed resolve to destroy in whole or in part a

group as such.
All things considered, the Prosecutor has not established beyond
all reasonable doubt that genocide was committed in Brcko during
the period covered by the indictment. Furthermore, the behaviour of

the accused appears to indicate that, although he obviously singled
out Muslims, he killed arbitrarily rather than with the clear intention
to destroy a group. The Trial Chamber therefore concludes that it
has not been proved beyond all reasonable doubt that the accused

was motivated by the dolus specialis of the crime of genocide. The
benefit of the doubt must always go to the accused and, conse-
quently, Goran Jelisic ´ must be found not guilty on this count.” 101

To the same effect, see Rule 61 Decision in the Karad∫ic ´ and Mladic´ case.

100ICTY, Prosecutor v. Jel´, Oral Ruling of 19 October 1999, p. 1.
101ICTY, Prosecutor v. Jel´, Judgment, Trial Chamber, paras. 107-108.

493 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KRECA ) 532
u

cidaire. A cet égard, rien ne différencie en aucune façon les actes de
nettoyage ethnique de tout autre acte punissable susceptible de contri-
buer à produire des effets génocidaires.

En soi, la déduction suppose, dans la pratique, d’appliquer le critère
d’établissement de la preuve approprié à l’égard des éléments constitutifs
de l’intention génocidaire.

Il apparaît que la jurisprudence du TPIY n’offre pas non plus de base
qui permette d’assimiler nettoyage ethnique et génocide.
Cette conclusion ressort aussi bien d’une analyse positive que d’une

analyse négative de la jurisprudence du Tribunal.
Du point de vue de l’analyse négative, notons que, sur environ une
douzaine d’actes d’accusation pour nettoyage ethnique, le Tribunal a
uniquement déclaré le général Krstic ´ coupable de complicité dans le

génocide. Cette affaire est toutefois particulière et doit faire l’objet
d’un examen distinct (voir par. 151-153).
L’analyse positive de la jurisprudence du TPIY en ce sens découle, en

revanche, du raisonnement juridique que le Tribunal a exposé en la
matière. Dans l’affaire Jelisic´, par exemple, l’accusation faisait valoir que
Jelis´ avait été «un participant efficace et enthousiaste à [la] campagne
de génocide » menée contre le groupe, qui était important «de par le fait

qu’il regroupait tous les notables de la communauté musulmane de Bos-
nie de la région, mais également important par son nombre» 10. Or, si
elle a certes déclaré que «les meurtres commis par l’accusé suffisent à éta-

blir l’élément matériel du crime de génocide et [qu’]il est a priori possible
de concevoir que l’accusé nourrissait le projet d’exterminer un groupe
dans son ensemble» (par. 100), la Chambre de première instance a jugé
que

«[e]n conclusion, les actes de Goran Jelisic ´ ne traduisent pas une
volonté affirmée visant la destruction totale ou partielle d’un groupe
en tant que tel.

Au total, le Procureur n’a pas établi au-delà de tout doute raison-
nable qu’un génocide avait été commis à Brcko durant la période
couverte par l’acte d’accusation. Le comportement de l’accusé

semble par ailleurs indiquer que, bien que visant clairement les Mu-
sulmans, celui-ci aurait tué de façon arbitraire, plutôt que sur la
base d’une intention claire de destruction d’un groupe. La Chambre
conclut donc qu’il n’a pas été prouvé au-delà de tout doute raison-

nable que l’accusé était animé du dolus specialis du crime de géno-
cide. Le doute doit toujours profiter à l’accusé. Goran Jelisic ´ doit
donc être déclaré non-coupable de ce chef.» 101

La décision relative à l’article 61 qui a été rendue dans les affaires Kara-

100TPIY, Le procureur c. Jel´ , décision orale du 19 octobre 1999, p. 1.
101TPIY, Le procureur c. Jelis´ ,chambre de première instance, jugement,
par. 107-108.

493533 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP. OP. KRECu )

The Trial Chamber mandated in this case an investigation to establish

whether “the pattern of conduct of which it is seised, namely ‘ethnic
cleansing’, taken in its totality, reveals such a genocidal intent”102.

105. The District Court of Jerusalem, in its judgment in the Eichmann
case, offered a subtle legal explanation of the difference between “ethnic
cleansing” and genocide.

Considering the Nazis anti-Semitic policy, the Court found that until
1941 that policy, a combination of discriminatory laws and acts of
violence, such as Kristalnacht of 9-10 November 1938, substantially
corresponded to what is nowadays called “ethnic cleansing”. Until

that time, the Nazi policy towards Jews, although based on
various forms of persecution, did not qualify as a genocidal one,
given that it allowed emigration from Germany, albeit under
discriminatory conditions.

From mid-1941 onwards, that policy, according to the Court’s finding,
took the form of the “Final Solution” in the sense of total extermination,

connected with th103essation of emigration of Jews from territories under
German control . Eichmann was acquitted of genocide for acts com-
mitted prior to August 1941, since there remained a doubt as to whether
there was the intention to exterminate before that date. And the acts

committed against Jews until that date were subs104d by the Court
under the heading crimes against humanity in contrast to the acts
committed after that date, characterized by the Court as genocide.

II. Application of the Genocide Convention in Casu

106. There are three basic, dubious points in the approach of the
majority of the Court as regards substantive issues:

(i) perception of the judicial task of the Court in casu, including the
approach to the ICTY jurisprudence relevant for the subject of the
dispute;
(ii) interpretation of the duties of the Contracting Parties stemming

from the Genocide Convention; and
(iii) treatment of the issue of the responsibility of the Contracting Parties
in the matter of genocide.

102
Karad∫i´ and Mlad´ case, Rule 61, Decision of 11 July 1996, para. 94.
103
A. G. Israel v. Eichmann, 1968, 36 ILR 5 (District Court Jerusalem, para. 80).
104
Ibid., paras. 186-187, 244 (1-3).

494 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP .IND .KRECA ) 533
u

d∫i´ et Mladic ´ va dans le même sens. Dans cette affaire, la Chambre de
première instance a estimé nécessaire d’établir si «la ligne de conduite
dont elle [était] saisie, ligne de conduite que l’on a pu appeler «nettoyage

ethnique», révél[ait] dans son ensemble une telle intention génoci-
daire» 102.
105. Le tribunal de district de Jérusalem, dans sa décision en l’affaire

Eichmann, a exposé une explication juridique subtile au sujet de la diffé-
rence entre «nettoyage ethnique» et génocide.
Considérant la politique antisémite nazie, le tribunal a conclu que,

jusqu’en 1941, cette politique, qui s’était traduite par un ensemble de lois
discriminatoires et d’actes de violence, comme la nuit de cristal du 9 au
10 novembre 1938, correspondait sensiblement à ce que l’on appelle
aujourd’hui le «nettoyage ethnique». Bien qu’elle fût basée sur diffé-

rentes formes de persécution, la politique menée par les nazis vis-à-vis
des Juifs jusqu’en 1941 n’a pas été qualifiée de génocidaire, car elle permet-
tait aux Juifs, fût-ce dans des conditions discriminatoires, de quitter l’Alle-

magne et d’émigrer.
De l’avis du tribunal, à partir de la seconde moitié de 1941 et par la
suite, cette politique s’est transformée en «solution finale», c’est-à-dire en
une extermination totale qui était liée à l’arrêt de l’émigration des Juifs
103
des territoires sous contrôle allemand . Eichmann fut acquitté sans être
déclaré coupable de génocide pour les actes commis avant le mois
d’août 1941, puisque le doute subsistait sur le fait de savoir s’il existait

une intention d’extermination avant cette date. Le tribunal réunit les
actes commis contre les Juifs jusqu’à cette date dans la catégorie des cri-
mes contre l’humanité 104, contrairement aux actes commis après cette
date, qu’il qualifia de génocide.

II. L’application de la convention sur le génocide en la présente affaire

106. La manière dont la majorité de la Cour a appréhendé les ques-

tions de fond présente trois traits fondamentaux qui sont contestables, à
savoir:

i) sa conception de la tâche judiciaire de la Cour en l’espèce, notam-
ment l’approche adoptée à l’égard de la jurisprudence du TPIY

pertinente eu égard au présent différend;
ii) son interprétation des obligations incombant aux parties contrac-
tantes en vertu de la convention sur le génocide; et
iii) la manière dont elle traite la question de la responsabilité des parties

contractantes en matière de génocide.

102Affaires Karad∫´ et Mladic´, examen des actes d’accusation dans le cadre de
l’article 61 du Règlement de procédure et de preuve, décision du 11 juillet 1996, par. 94.
103A. G. Israel v. Eichmann, 1968, International Law Reports , vol. 36, p. 5 (tribunal de
district de Jérusalem, par. 80).
104Ibid., par. 186-187 et 244 (points 1-3).

494534 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP.OP. KRECu )

1. General remarks about possible approaches of the Court in
casu

107. The judicial task of the Court in casu appears to be unique and
unprecedented and, as such, burdened with challenges and difficulties.

Grosso modo the Court faced, at least theoretically, a couple of options.

Primo, to substitute itself for the criminal court and to judge whether
genocide has been committed in Bosnia and Herzegovina, as is claimed
by the Applicant. A basis for this option, which is peculiar and surpris-
ing, might perhaps, be sought in the findings of the Court in the Judg-

ment on Preliminary Objections, in which the Court, ruling on the
Respondent’s fifth preliminary objection, held that Article IX of the Con-
vention “does not exclude any form of State responsibility” (I.C.J.
Reports 1996, p. 616, para. 32). If, therefore, a State may be responsible
for genocide in terms of criminal law, it is not clear why the Court, at the
basis of such an interpretation of Article IX of the Convention, could not

proceed as a criminal court. In other words, to ascertain, in proper pro-
ceedings, which, admittedly was not the case here, the legal requirements,
both objective and subjective, of the crime of genocide analogous to a
criminal court as regards individual perpetrations. In that scenario, there-
fore, the Court would limit itself to the issue of genocide allegedly com-

mitted by the Respondent, and would not enter ab initio into an exami-
nation of whether the genocide was committed by natural persons — an
issue within the competence of the ICTY.

Secundo, to engage in a decision on the Applicant’s claim of

so-called factual genocide, assessing the result of the actions committed
during the civil war in Bosnia and Herzegovina, more or less
irrespective of the legal requirements of the crime of genocide
enshrined in Article II of the Genocide Convention on the basis,
as the counsel of the Applicant stated, of “common knowledge,

..l.etapee-b
populations of Bosnia and Herzegovina” (CR 2006/9, p. 50,
para. 2 (Condorelli)) or on the basis of inference not based on proper
facts but on “common logic and intuition” (CR 2006/33, p. 41,
para. 16 (Franck)).
Tertio, adhering to its position of civil court to adjudge upon the

Applicant’s claim, relying primarily, if not exclusively, on the juris-
prudence of the ICTY as the only judicial findings on the question at
issue at the international level. Since the judgments of the ICTY
do not have binding force as regards the Court, it would mean that
the Court would adopt a corresponding decision by treating findings

of the ICTY, be they findings of facts or of law, as evidence which
should be evaluated in the light of the legal requirements of the
crime of genocide as defined by the Genocide Convention and

495 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KRECu ) 534

1. Observations générales sur les possibilités qui s’offraient à la Cour

en la présente affaire

107. La tâche de la Cour en l’espèce était, semble-t-il, unique et inédite
en son genre et, en tant que telle, lourde de défis et de difficultés à assu-
mer.

Grosso modo, la Cour avait le choix, du moins en théorie, entre plu-
sieurs options.
La première consistait à jouer le rôle d’une juridiction pénale et à
déterminer si, comme l’affirmait le demandeur, un génocide avait été
commis en Bosnie-Herzégovine. Cette option, singulière et pour le moins

surprenante, pouvait éventuellement trouver un fondement dans l’arrêt
sur les exceptions préliminaires, dans lequel la Cour, statuant sur la cin-
quième exception préliminaire du défendeur, a conclu que l’article IX de
la Convention «n’exclu[ai]t aucune forme de responsabilité d’Etat»

(C.I.J. Recueil 1996 (II) , p. 616, par. 32). Si un Etat pouvait ainsi être
responsable de génocide au regard du droit pénal, l’on voit mal ce qui
aurait empêché la Cour d’agir, sur le fondement de cette interprétation de
l’article IX de la Convention, comme une juridiction pénale, c’est-à-dire
d’apprécier, dans le cadre d’une procédure appropriée — qui, certes, a

fait défaut ici —, les conditions juridiques, tant objectives que subjectives,
établissant le crime de génocide, comme le ferait une juridiction pénale à
l’égard d’actes individuels. Dans ce cas de figure, la Cour se serait donc
bornée à examiner la question du génocide prétendument commis par le
défendeur, sans examiner ab initio celle de savoir si le génocide avait été

commis par des personnes physiques — question qui relève de la com-
pétence du TPIY.
La deuxième option consistait à rendre une décision sur l’allégation du
demandeur relative au prétendu génocide de fait, en appréciant le résul-
tat des actes commis pendant la guerre civile en Bosnie-Herzégovine,

plus ou moins indépendamment des conditions juridiques établissant le
crime de génocide énoncées à l’article II de la Convention étant donné
que, comme l’a indiqué le demandeur, «c’est un événement notoire, ...
un effroyable génocide [a] été commis contre les populations non serbes
de Bosnie-Herzégovine» (CR2006/9, p. 50, par. 2 (Condorelli)) ou à

partir de déductions non fondées sur des faits avérés, mais «logique[s et]
manifestement conforme[s] au bon sens» (CR2006/33, p. 41, par. 16
(Franck)).
La troisième option consistait pour la Cour à s’en tenir à sa position de
juridiction civile et à statuer sur l’allégation du demandeur en se fondant

essentiellement, sinon exclusivement, sur la jurisprudence du TPIY, seule
juridiction à s’être prononcée sur la question en cause sur le plan inter-
national. N’étant pas liée par les décisions du TPIY, la Cour aurait ainsi
dû rendre une décision correspondante en traitant les conclusions fac-
tuelles et juridiques du Tribunal comme des éléments de preuve devant

être appréciés à la lumière des conditions juridiques établissant le crime
de génocide, telles qu’elles sont définies par la convention sur le génocide,

495535 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP. OP. KRECu )

relevant standards of the legal reasoning established by this Court on

this matter.
In any event, it appears that the primary duty of the Court in casu lay
in the strict observance of the Convention on Genocide as the relevant

law, both for the sake of legality and for the preservation of the norma-
tive integrity of crimes and offences constituting international criminal
law.
108. As regards the legality aspect, the competence of the Court in the

case at hand is based on Article IX of the Genocide Convention, which
envisages the solution of disputes between the contracting parties
regarding the “interpretation, application or fulfilment of the present
Convention . . .” (emphasis added). Therefore, not on the basis of the law

on genocide in abstracto, but on the basis of the Convention itself. This
fact is of the utmost importance, if we bear in mind that the law on geno-
cide established by the Convention tractu temporis included certain modi-
fications in terms of progressive development only in the core element of

the crime — both mens rea and actus reus. There is no need to say that
the progressive development, achieved particularly in the jurisprudence
of two ad hoc tribunals, is irrelevant in casu, for in disputes such as this

the Court’s task is to apply the law of genocide as established by the
Convention.

Such an approach by the Court would also have a collateral positive
effect in terms of the actual judicial policy of the World Court as the judi-
cial guardian of international law, in concreto of its own area, interna-
tional criminal law, for the preservation of the normative integrity of the

international crimes and offences ascertained.

Indeed an overly broad interpretation of the constitutive elements
of the crime of genocide, made with good, yet extra legal intentions in
105
the doctrine sometimes appears in the judicial reasoning of the two
tribunals tending to amalgamate the crimes against humanity, and
especially persecution and extermination, and war crimes, even com-

mon human rights offences into genocide as a single umbrella crime,
solely on the basis of their repetition or accumulation. So, counsel of
the Applicant, Professor Stern, is of the opinion that “an accumulation
of crimes against humanity can result in genocide . . .” (CR 2006/7,

105Exempli causa,

“Although it is important to acknowledge rape as a crime against humanity, clas-
sifying it as genocide is essential in order to prompt state intervention. States are gen-
erally not required to intervene when there are violations or crimes against humanity;
when acts of genocide occur, however, customary international law imposes a duty to
intervene” (MacKinnon, “Rape, Genocide and Human Rights”, 17 Harvard
Women’s Law Journal, 1994, p. 5.)

496 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KRECu ) 535

et des critères pertinents qu’elle aurait retenus dans le cadre de son raison-

nement juridique en la matière.
En tout état de cause, il apparaît que, en l’espèce, la Cour devait avant
tout se conformer rigoureusement aux dispositions de la convention sur

le génocide en tant que droit applicable, à la fois pour respecter le prin-
cipe de la légalité et pour veiller à l’intégrité des notions de crime et
d’infraction propres au droit pénal international.
108. Pour ce qui est du principe de légalité, la compétence de la Cour

est fondée en l’espèce sur l’article IX de la convention sur le génocide, qui
prévoit que lui soient soumis, pour règlement, les différends entre les
parties contractantes relatifs «à l’interprétation, l’application ou l’exécu-
tion de la présente convention ...» (les italiques sont de moi) — et non

sur la base du droit relatif au génocide in abstracto, donc, mais sur la
base de la Convention elle-même. Cet élément revêt la plus haute
importance, compte tenu du fait que le droit relatif au génocide
institué par la Convention en est venu à inclure au fil du temps cer-

taines modifications, son développement progressif touchant uniquement
aux éléments clés du crime — tant la mens rea que l’actus reus.I la
sans dire que le développement progressif, qui s’est matérialisé tout

particulièrement dans la jurisprudence des deux tribunaux ad hoc, est
dépourvu de pertinence en l’espèce, car la Cour se doit, dans le cadre de
tels différends, d’appliquer le droit relatif au génocide tel qu’il est établi
par la Convention.

Une telle démarche aurait eu accessoirement des retombées positives
sur le plan de la politique judiciaire même de la Cour internationale, en
tant que gardienne du droit international — et, dans son domaine d’ac-
tion concret, du droit pénal international —, parce qu’elle aurait permis

de préserver l’intégrité des notions des différents crimes et infractions
internationaux reconnus.
Une interprétation trop large des éléments constitutifs du crime de
génocide — apparue chez des auteurs dont les intentions sont certes lou-
105
ables, mais extra-juridiques — transparaît en effet parfois dans le rai-
sonnement judiciaire des deux tribunaux, qui tend à assimiler les crimes
contre l’humanité, en particulier les actes de persécution et d’extermina-

tion, et les crimes de guerre, voire des violations classiques des droits de
l’homme, aux éléments constituant le crime général de génocide, sur la
base de leur seule répétition ou accumulation. Ainsi M me Stern, le conseil
du demandeur, est-elle d’avis qu’«une accumulation de crimes contre

105En voici un exemple:

«Bien qu’il soit important de reconnaître le viol comme étant un crime contre
l’humanité, le qualifier de génocide est essentiel pour susciter une intervention de
l’Etat. Les Etats ne sont généralement pas tenus d’intervenir dans le cas de violations
ou de crimes contre l’humanité; lorsque des actes de génocide sont commis, en
revanche, le droit international coutumier leur en fait obligation.» (MacKinnon,
«Rape, Genocide and Human Rights», Harvard Women’s Law Journal , vol. 17,
1994, p. 5.)

496536 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP .OP .KRECu )

p. 42, para. 113). We thus come to the phenomenon of the trivialization of
genocide 106.
The intrinsic meaning of the trivialization of genocide is expressed in

the dilution of the proper legal substance of genocide established by the
Convention, on the one hand, and the ruining of the configuration of
international crimes and offences as autonomous legal notions on the
other.

In that context, the idea underlying the concept is in conflict with one
of the relevant rules of interpretation — the rule of effectiveness, accord-
ing to which a provision or part of a provision cannot be considered as if
it were superfluous and pointless 107 and also with the principle of nor-

mative economy (économie des notions) for any legal system within the
confines of two concepts of rules that fulfil essentially the same function
or bear divergently on any one situation 108.

109. The majority of the Court has, however, taken the course that is
both parum et nimium.
It is parum as regards the approach towards the ICTY jurisprudence

relevant for the determination of the crime of genocide, both in norma-
tive and in legal terms.
The approach of the majority basically comes down to the treatment of

the said part of the ICTY jurisprudence as a matter that is not subject to
judicial evaluation by the Court, at least not in a substantive sense. As a
consequence, the relevant parts of the Court’s Judgment, and in particu-
lar Part VII, entitled “Responsibility of the Respondent for Srebrenica”,

are in fact a general verification of the relevant part of the ICTY juris-
prudence.
It appears, however, that the interests of the sound administration of

justice and even the substantive legality of the proceedings, before the
highest international court declared itself competent to deal with accusa-
tions of the crime of genocide, implied a judicial evaluation of the ICTY
findings, perceived as a proper evidence of the relevant matter, and the

standards of legal reasoning applied to the ICTY, both as regards the
applicable law and the conclusions reached.

The law applied by the ICTY as regards the crime of genocide cannot

be considered equivalent to the law of genocide established by the Con-
vention. In this regard, the jurisprudence of the ICTY can be said to be a
progressive development of the law of genocide enshrined in the Conven-

tion, rather than its actual application. Article 4 of the ICTY Statute is
but a provision of the Statute as a unilateral act of one of the main politi-
cal organs of the United Nations that is, by its wording, reciprocal to

106W. Schabas, Genocide in International Law , p. 114.
107ICTY, Prosecutor v. Tad´, Appeal Judgment, para. 284.
108
Ibid., separate opinion of Judge Abi-Saab, p. 2.

497 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP .IND .KRECu ) 536

l’humanité peut aboutir à un génocide» (CR2006/7, p. 42, par. 113).
Nous touchons ainsi au phénomène de la banalisation du génocide 106.
Intrinsèquement, la banalisation du génocide s’exprime, d’une part,

par la dilution du contenu juridique précis du crime de génocide établi
par la Convention et, d’autre part, par la dissolution des contours des
infractions et crimes internationaux en tant que notions juridiques
distinctes.

Dans ce contexte, l’idée sous-jacente au concept entre en conflit avec
l’une des règles pertinentes d’interprétation — celle de l’effet utile, selon
laquelle on ne peut interpréter une disposition ou une partie d’une dis-
position d’une manière qui la rende superflue et sans objet 107 — et avec le

principe de l’économie des notions qui est applicable à tout système juri-
dique dans le cadre duquel risquent de coexister deux concepts ou règles
qui remplissent essentiellement la même fonction ou divergent à propos
108
d’une même situation .
109. La majorité de la Cour a toutefois pris le parti d’en dire trop peu
et trop à la fois.
Elle en dit trop peu, tant en termes normatifs qu’en termes juridiques,

en ce qui concerne la jurisprudence du TPIY qui est pertinente pour sta-
tuer sur le crime de génocide.
La démarche de la majorité revient fondamentalement à considérer que

ce volet de la jurisprudence du TPIY échappe à l’appréciation judiciaire
de la Cour, du moins sur le plan du fond. En conséquence, dans les
parties correspondantes de son arrêt, et en particulier dans la septième
section intitulée «la responsabilité du défendeur en ce qui concerne les

événements de Srebrenica», la Cour se borne à avaliser d’une manière
générale la partie pertinente de la jurisprudence du TPIY.
Il semble toutefois que, dans l’intérêt d’une bonne administration de la

justice, et même de la régularité substantielle de la procédure, la plus
haute juridiction internationale devait, avant de se déclarer compétente
pour connaître d’accusations de génocide, se livrer à un examen des
conclusions du TPIY, en tant qu’éléments permettant d’établir les faits

pertinents, et des critères du raisonnement juridique appliqué au TPIY,
tant du point de vue du droit applicable qu’au regard des conclusions for-
mulées.
Le droit appliqué par le TPIY au crime de génocide ne peut être assi-

milé au droit relatif au génocide qui est établi par la Convention. A cet
égard, la jurisprudence du TPIY peut être considérée comme un dévelop-
pement progressif du droit relatif au génocide qui est consacré dans la

Convention, mais non comme son application au sens propre. L’article 4
du Statut du TPIY, en tant qu’acte unilatéral de l’un des principaux or-
ganes politiques de l’Organisation des Nations Unies, n’est qu’une dispo-

106W. Schabas, Genocide in International Law , p. 114.
107TPIY, Le procureur c. Tad´ , chambre d’appel, arrêt, par. 284.
108
Ibid., opinion séparée du juge Abi-Saab, p. 2.

497537 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP.OP .KRECu )

Article II of the Convention. In view of the fact that it does not contain
any renvoi to the Genocide Convention, the provision cannot change its
nature simply by reproducing the text of Article II of the Convention.

Consequently, interpretations of Article 4 of the Statute on the basis of
the travaux préparatoires of the Convention, on which the ICTY amply
draws, are essentially misleading. Both in terms of the actual approach
used and of substance, considering that the rules of treaty interpretation

and interpretation of unilateral acts do not necessarily coincide.

As stated expressis verbis by the Trial Chamber, the Judgment in the
Krsti´ case is based on the “customary international law at the time the
109
events in Srebrenica took place” . That fact has two consequences.

On the one hand, the characterization of genocide in customary inter-

national law as perceived by the ICTY and in the Genocide Convention
is not necessarily identical. On the other, the basis of the jurisdiction nec-
essarily affects the applicable law. Where jurisdiction is based on a com-
promissory clause in a treaty, the Court is empowered only to apply a

specific treaty.
The legal reasoning of the ICTY is far from consistent. For instance, as
regards the determination of genocidal intent by inference, the reasoning

in the Stakic´ case, on the one hand, 110 in the Krstic ´ case on the other,
seems to be in sharp contradiction .
110. The approach of the majority is at the same time also nimium in
terms of the superfluous but is not solidly based.

Refraining from an autonomous judicial evaluation of the jurispru-
dence of the ICTY, the majority, by a highly risky operation, also ren-
dered more complicated the interpretations of the duty to prevent geno-

cide in legal terms, including the “duty not to commit genocide” by a
State. That operation, bearing in mind the substance of the provisions of
the Convention, could not have been carried out without to some extent
touching upon the legislative or quasi-legislative arena. Even more sur-

prising is the fact that such an interpretation, in certain vital respects,
conflicts with common sense and cogent legal considerations.

Hence, it would come as no surprise if this interpretation were to

appear as argumentum ad casum.

2. Interpretation of the duties of the Contracting Parties on the basis

of the Genocide Convention

111. In contrast to the standard understanding that the Genocide

109ICTY, Prosecutor v. Krs´, Trial Judgment, para. 541.
110ICTY, Prosecutor v. Stak´, Trial Judgment, para. 553; ICTY, Prosecutor v. Brd-
janin, Trial Judgment, paras. 981, 978-979; ICTY, Prosecutor v´, Trial Judgment,

paras. 594-595.

498 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KRECu ) 537

sition du Statut qui, par son libellé, fait pendant à l’article II de la Conven-

tion. Etant donné qu’elle ne contient aucun renvoi à la convention sur le
génocide, cette disposition ne saurait changer de nature simplement parce
qu’elle reproduit le texte de l’article II de la Convention. En conséquence,

les interprétations de l’article 4 du Statut qui sont basées sur les travaux
préparatoires de la Convention, dont le TPIY se sert abondamment, sont
foncièrement trompeuses, tant sur le plan de la démarche elle-même
qu’en substance, l’interprétation des traités n’obéissant pas nécessaire-

ment aux mêmes règles que l’interprétation des actes unilatéraux.
Ainsi que la Chambre de première instance l’a expressément déclaré, le
jugement rendu dans l’affaire Krstic ´ repose sur le «droit international
coutumier [applicable] à l’époque des événements de Srebrenica» 109.Ce

fait entraîne deux conséquences.
D’une part, la qualification du génocide en droit international coutu-
mier, telle qu’elle est perçue par le TPIY, n’est pas nécessairement iden-
tique à celle qui figure dans la convention sur le génocide. D’autre part, le

chef de compétence influe nécessairement sur le droit applicable. Lorsque
la compétence est fondée sur une clause de juridiction figurant dans un
traité, la Cour n’est habilitée qu’à appliquer le traité concerné.

Le raisonnement juridique du TPIY est loin d’être cohérent. Par
exemple, s’agissant de la possibilité d’établir l’intention génocidaire par
déduction, le raisonnement énoncé dans l’affaire Stakic ´ semble diamétra-
lement opposé à celui qui est exposé dans l’affaire Krstic ´ 11.

110. En même temps, la majorité de la Cour en dit également trop
sous forme de précisions superflues mais peu fondées.
Non contente de se garder de soumettre la jurisprudence du TPIY à un
examen judiciaire autonome, la majorité a en outre, par une opération

très risquée, rendu l’interprétation de l’obligation de prévenir le génocide
plus compliquée du point de vue juridique, en introduisant une «obliga-
tion de ne pas commettre de génocide» à la charge de l’Etat. Compte
tenu de la substance des dispositions de la Convention, cette opération ne

pouvait être accomplie sans verser quelque peu dans le domaine législatif
ou quasi législatif. Il est encore plus surprenant que, à certains égards
cruciaux, cette interprétation soit contraire au bon sens et à des considé-

rations juridiques impérieuses.
Partant, il ne serait guère étonnant que cette interprétation passe pour
un argumentum ad casum.

2. L’interprétation des obligations des parties contractantes sur le
fondement de la convention sur le génocide

111. Contrairement à la conception classique des obligations princi-

109
110TPIY, Le procureur c. Krs´ , chambre de première instance, jugement, par. 541.
TPIY, Le procureur c. Sta´ , chambre de première instance, jugement, par. 553; Le
procureur c. Brdjanin, chambre de première instance, jugement, par. 981 et 978-979; Le
procureur c. Krs´ , chambre de première instance, jugement, par. 594-595.

498538 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP.OP .KRECu )

Convention imposes upon the Contracting Parties as primary duties —
the duty to enact necessary legislation to give effect to the substantive
provisions of the Convention (Art. V) and the duty of instituting legal
proceedings for punishable acts provided by Article III against persons

charged in a competent tribunal of a State in the territory of which the
act was committed (Art. VI), the majority view focused on the duty to
prevent as a complex duty comprising “a duty to act” and “a duty not to
commit” genocide as some sort of mother duty or an umbrella duty in
the context of the Convention.

Sedes materiae the view could be summarized as follows:

Prevention is perceived as “the duty to prevent in the Genocide Con-
vention” (Judgment, para. 429). As regards its nature, the duty is one “of
conduct and not one of result, in the sense that a State cannot be under
an obligation to succeed, whatever the circumstances, in preventing the

commission of genocide” (Judgment, para. 430). A State’s duty to pre-
vent is accompanied by the “corresponding duty to act” in the sense of
the duty which

“arise[s] at the instant that the State learns of, or should normally
have learned of, the existence of a serious risk that genocide will be
committed. From that moment onwards, if the State has available to
it means likely to have a deterrent effect on those suspected of pre-

paring genocide, or reasonably suspected of harbouring specific
intent (dolus specialis), it is under a duty to make such use of these
means as the circumstances permit.” (Judgment, para. 431.)

Furthermore, the undertaking to prevent includes the obligation not to
commit genocide and the other acts enumerated in Article III considering

that under Article I a Contracting State is bound to prevent such geno-
cidal acts being committed by its organs and persons whose acts are
attributable to it (Judgment, paras. 166-168).
112. Two issues are raised as regards the view taken by the majority:

(a) what is the proper meaning of “prevention” in criminal law and in

terms of the Genocide Convention;
(b) the nature and scope of the “corresponding duty to act”; and

(c) does there exist a duty of a State not to commit genocide?

2.1. The duty to prevent

113. As regards the issue of prevention, the understanding of the

majority appears to be highly innovative, transcending not only in degree

499 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND .KRECu ) 538

pales que la convention sur le génocide impose aux parties contrac-

tantes — l’obligation de prendre les mesures législatives nécessaires pour
donner effet aux dispositions de fond de la Convention (art. V) et l’obli-
gation de traduire en justice les personnes accusées d’actes répréhensibles
visés à l’article III devant les tribunaux compétents de l’Etat sur le terri-
toire duquel l’acte a été commis (article VI) —, la majorité s’est attachée

à voir dans l’obligation de prévention une obligation complexe compre-
nant «un devoir d’agir» et «une obligation de ne pas commettre» le
génocide, qui serait une sorte d’obligation mère ou d’obligation cadre au
sein de la Convention.
Le sedes materiae de cette position peut être résumé de la manière sui-

vante:
La prévention est perçue comme une «obligation figurant dans la
Convention sur le génocide» (arrêt, par. 129). Par nature, il s’agirait

d’une obligation «de comportement et non de résultat, en ce sens que l’on
ne saurait imposer à un Etat quelconque l’obligation de parvenir à empê-
cher, quelles que soient les circonstances, la commission d’un génocide»
(arrêt, par. 430). L’obligation de prévention de l’Etat serait assortie d’un
«devoir d’agir qui en est le corollaire», au sens d’un devoir

«pren[a]nt naissance, pour un Etat, au moment où celui-ci a connais-

sance, ou devrait normalement avoir connaissance, de l’existence
d’un risque sérieux de commission d’un génocide. Dès cet instant,
l’Etat est tenu, s’il dispose de moyens susceptibles d’avoir un effet
dissuasif à l’égard des personnes soupçonnées de préparer un géno-
cide, ou dont on peut raisonnablement craindre qu’[elles] nourrissent

l’intention spécifique (dolus specialis), de mettre en Œuvre ces
moyens, selon les circonstances.» (Ibid., par. 431.)

De plus, l’obligation de prévention comprendrait «celle de ne pas com-
mettre un génocide et les autres actes énumérés à l’article III», considé-
rant que, en vertu de l’article premier, un Etat contractant est tenu
d’empêcher que ses organes ainsi que les personnes dont les actes lui sont
attribuables commettent lesdits actes génocidaires (arrêt, par. 166-168).

112. La position adoptée par la majorité soulève deux types de ques-
tions:

a) d’une part, quel est le véritable sens de la «prévention» en droit pénal
et dans le cadre de la convention sur le génocide, et
b) quelles sont la nature et la portée du devoir corollaire d’agir? Et,
d’autre part,
c) existe-t-il une obligation propre à l’Etat de ne pas commettre le géno-

cide?

2.1. L’obligation de prévention

113. En ce qui concerne la question de la prévention, la conception de
la majorité semble extrêmement novatrice, transcendant non seulement

499539 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP. OP. KRECA )
u

but in kind the standards generally accepted in the genus of laws regu-
lating criminal matters.
In criminal law, either national or international, the prevention of a

crime in terms of the plain and natural meaning of the word “preven-
tion” — an action keeping something from happening or rendering
impossible an anticipated genocidal design — is alien to the very nature
of criminal law. The main function of the Genocide Convention, or
indeed of any other criminal law norm, lies in protection rather than in

prevention. Criminal law, and the Genocide Convention is its part, comes
post factum, when the object of protection has already been damaged,
destroyed or threatened. The protective function of the Genocide Con-
vention does not have the character of direct, actual protection as sug-

gested by the majority perception of prevention. It is of indirect nature
having in mind that it is expressed in deterrence. The protective function
of the Genocide Convention cannot be equalized with prevention of
genocide in terms of legal duty because equalization would mean, inter

alia, a doubt in the need for the existence of the Genocide Convention as
it stands now. Moreover, the determination of the duty to prevent geno-
cide as a distinct legal duty which runs counter to the principle impossi-
bilia nullum obligatio est .
The duty to prevent genocide is, in fact, a social, moral, even meta-

physical duty, being the goal of social defence action against genocide.
Social defence against genocide is ratione materiae much broader than
the effects of the Genocide Convention itself. It implies a totality of
actions in the social, legal, economic, political and cultural spheres aimed

at eliminating the real causes of genocidal pathology. It is materialized in
the form of national criminal policies as well as the general policy of the
competent United Nations organs, especially those referred to in Arti-
cle VIII of the Convention. In that context it is correct to speak of a duty,
either moral or social, to prevent genocide. However, that appears to be

the criminological concept of the prevention of genocide in the well-
known forms of primary, secondary and tertiary prevention.

114. The effects of the Convention as regards the prevention of geno-
cide are manifested in general deterrence — in the sense of the general,
normative meaning of the Convention as an international criminal law
norm and its application. The preventive effects of the Convention itself

are also emphasized in the travaux of the Convention. In the commen-
tary by the Secretariat it was pointed out that a law established by the
Convention “tends to deter and prevent actions by persons who might be
tempted to commit a crime” 111.
The application of the Genocide Convention also produces effects in

terms of special deterrence, ratione personae limited to the perpetrators

111United Nations doc. E/447, p. 45.

500 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KRECA ) 539
u

quant à sa portée mais aussi quant à sa nature les normes généralement
admises dans la catégorie des lois qui régissent ces questions pénales.
La «prévention» d’un crime, au sens ordinaire et naturel du

terme — c’est-à-dire le fait d’agir pour empêcher qu’un événement ait lieu
ou qu’un dessein génocidaire pressenti se concrétise, est étrangère à la
nature même du droit pénal, celui-ci étant entendu au sens national ou
international. La principale fonction de la convention sur le génocide, ou
d’ailleurs de toute autre norme de droit pénal, tient de la protection et

non de la prévention. Le droit pénal, dont la convention sur le génocide
fait partie, entre en jeu après les faits, lorsque l’objet de la protection a
déjà été touché, détruit ou menacé. La fonction protectrice de la conven-
tion sur le génocide ne revêt pas le caractère direct et concret que suppose

la prévention perçue par la majorité. Elle est indirecte par nature
puisqu’elle s’exprime sous la forme de la dissuasion. La vocation protec-
trice de la Convention ne peut être assimilée à la prévention du génocide
en tant qu’obligation juridique car pareille assimilation reviendrait notam-

ment à mettre en doute la légitimité de la convention sur le génocide telle
qu’elle existe actuellement. En outre, faire de la prévention du génocide
une obligation juridique distincte va à l’encontre du principe selon lequel
à l’impossible, nul n’est tenu.
L’obligation de prévenir le génocide constitue en fait une obligation

sociale, morale, voire métaphysique, son objet étant de défendre la société
contre le génocide. La défense sociale contre le génocide a, ratione mate-
riae, une portée bien plus vaste que les effets de la convention sur le géno-
cide proprement dite. Elle fait appel à un ensemble de mesures d’ordre

social, juridique, économique, politique et culturel visant à éliminer les
causes réelles de la pathologie génocidaire. Elle se concrétise sous la
forme de politiques pénales nationales ainsi que dans le cadre de la poli-
tique générale des organes compétents des Nations Unies, en particulier
ceux qui sont visés à l’article VIII de la Convention. Dans ce contexte, il

convient bien de parler d’une obligation, qu’elle soit morale ou sociale, de
prévenir le génocide. Cela étant, il semble s’agir là de la conception cri-
minologique de la prévention du génocide qui est mieux connue sous la
forme de la prévention primaire, secondaire et tertiaire.

114. Les effets de la Convention en matière de prévention du génocide
se traduisent par une dissuasion générale — au sens général et normatif
de la Convention en tant qu’instrument du droit pénal international et de
son application. Les effets préventifs de la Convention elle-même res-

sortent également des travaux préparatoires qui lui ont donné lieu. Dans
son commentaire, le Secrétariat fit valoir qu’une règle établie par la
Convention «tend[rait] à intimider et paralyser ceux qui seraient tentés
de commettre le crime» 11.
L’application de la convention sur le génocide donne également lieu à

une dissuasion plus ciblée, qui est limitée ratione personae à ceux qui

111Nations Unies, doc. E/447, p. 45 [version française: A/AC.10/41, p. 67].

500540 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP. OP. KRECu )

of the crime leaving potential perpetrators outside of its scope. In that

regard, it should be pointed out that the application of the provisions of
the Genocide Convention or reciprocal provisions of national criminal
legislations ad casum is not, stricti juris, the prevention of genocide but

its suppression.
115. The prevention referred to in Article I of the Convention is the
general principle underlying the operative provisions of the Convention
rather than a distinct legal duty. In favour of this determination, as well

as general reasons concerning the nature of criminal law protection
(para. 113 above), there are also specific reasons, which concern the Con-
vention itself.
The undertaking by the Contracting Parties to prevent genocide, stipu-

lated in Article I in fine, should be read in connection with the subject
and purpose of the Convention, and not in isolation.
The preamble of the Convention states, inter alia, that:

“The Contracting Parties
.............................

Being convinced that, in order to liberate mankind from such an
odious scourge, international co-operation is required . . . Hereby
agree as hereinafter provided.” (Emphasis added.)

“International co-operation” in the particular context can hardly mean
anything else but the defence of the international community against

genocide. The Genocide Convention is a proper legal expression and the
ingredient of overall international co-operation in the struggle against the
odious scourge of genocide.
The essential role of international co-operation in the area of the pre-

vention of genocide is confirmed both in the text of the Convention and
in the travaux préparatoires.
Article VIII of the Convention referring to the possibility of preventive

action by the United Nations called upon by the Contracting Parties “is
the only Article in the Convention . . . which deals with the prevention of
that crime” 11. As the Convention

“creates no independent treaty body with responsibility for [its]
implementation, it appears that in the area of prevention, the only
hint of a mandate is that accorded to the ‘competent organs of the
113
United Nations’, pursuant to Article VIII” .

In substantive terms, Article VIII merely expresses, normatively, the
essence of the travaux préparatoires in that regard.
In the Commentary by the Secretariat it is stated, inter alia, that:

112
N. Ruhashyankiko, op. cit., para. 304, p. 79; Revised and Updated Report on the
Question of the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide, prepared by
Mr113. Whitaker, doc. E/CN.4/Sub.2/1985/6 (2 July 1985), para. 66, p. 36.
W. Schabas, Genocide in International Law , 2000, p. 448.

501 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND . KRECu ) 540

commettent le crime, les auteurs potentiels échappant à sa portée. A cet

égard, il convient de souligner que l’application en l’espèce des disposi-
tions de la convention sur le génocide ou des dispositions correspon-
dantes des législations pénales nationales ne tient pas, stricti juris,

de la prévention du génocide mais de sa répression.
115. La prévention visée à l’article premier de la Convention constitue
le principe général qui anime les dispositions énoncées dans la suite de la
Convention, et non une obligation juridique distincte. En ce sens militent

non seulement certaines raisons générales concernant la nature de la pro-
tection propre au droit pénal (par. 113 ci-dessus), mais aussi certaines
raisons spécifiques, qui tiennent à la Convention elle-même.
L’engagement de prévenir le génocide que les parties contractantes

prennent à la fin de l’article premier doit être lu en tenant compte de
l’objet et du but de la Convention, et non isolément.
Le préambule de la Convention indique notamment que:

«Les Parties contractantes,
.............................

Convaincues que, pour libérer l’humanité d’un fléau aussi odieux,
la coopération internationale est nécessaire ,
Conviennent de ce qui suit...» (Les italiques sont de moi.)

La «coopération internationale» ne peut guère viser ici autre chose que
la défense de la communauté internationale contre le génocide. La conven-

tion sur le génocide est une expression juridique idoine et une compo-
sante de la coopération internationale générale dans la lutte contre
l’odieux fléau qu’est le génocide.
Le rôle essentiel de la coopération internationale en matière de préven-

tion du génocide est confirmé tant dans le texte de la Convention que
dans les travaux préparatoires.
L’article VIII de la Convention, qui évoque la possibilité d’une action

préventive de l’Organisation des Nations Unies à la demande des parties
contractantes, «est le seul article de la Convention ... qui traite de la pré-
vention de ce crime» 112. Etant donné que la Convention

«n’établit aucun organe conventionnel indépendant qui serait chargé
de [s]a mise en Œuvre», il apparaît que, «[d]ans le domaine de la pré-
vention, le seul mandat auquel il est fait allusion est celui qui est

accordé aux «organes compétents des Nations Unies», conformé-
ment à l’article VIII» 11.

En substance, l’article VIII ne fait qu’exprimer en termes normatifs
l’essence des travaux préparatoires à cet égard.
Dans son commentaire, le Secrétariat déclare notamment que:

112
N. Ruhashyankiko, op. cit., p. 79, par. 304; Version revisée et mise à jour de l’étude
sur la question de la prévention et de la répression du crime de génocide , établie par
M.113 Whitaker, Nations Unies, doc. E/CN.4/Sub.2/1985/6 (2 juillet 1985), p. 36, par. 66.
W. Schabas, Genocide in International Law , 2000, p. 448.

501541 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP .OP .KRECAu )

“if preventive action is to have the maximum chances of success, the

Members of the United Nations must not remain passive or indif-
ferent. The Convention for the punishment of crimes of genocide
should, therefore, bind the States to do everything in their power to

support any acti114by the United Nations intended to prevent or stop
these crimes.”

The proposal by the United States of America was similar:

“The High Contracting Parties . . . agree to concert their actions
as such Members to assure that the United Nations takes such action
as may be appropriate under the Charter for the prevention and sup-
115
pression of genocide.”

The position of the USSR might be summarized as follows:

“Any act of genocide was always a threat to international peace
and security and as such should be dealt with under Chapters VI and
VII of the Charter . . . Chapters VI and VII of the Charter provided

means for the prevention and punishment of genocide, means far
more concrete and effective than anything possible in the sphere of
international jurisdiction ...” 116

The practice of the competent organs of the United Nations as regards
the prevention of genocide developed within the framework of the rules
117
provided in Article VIII of the Convention .
116. The duty to prevent genocide in legal terms is one thing, and the
legal duty to take preventive measures in that regard is another.

If the duty to prevent is defined in legal terms, then the bearer of the
duty is in the position of guarantor, so that, by the very commission of

genocide the bearer is held responsible. Preventive measures are, for that
matter, different in nature.
They can be perceived in a broader or a narrower sense.

In a broader sense, they imply positive measures such as the creation of
a social and cultural environment that per se excludes or reduces to a

minimum the creation of genocidal pathology.

In a narrower sense, they can be reduced to acts which, although not
constituting actions of commission and, as a rule, not being incriminated,

facilitate or make possible the commission of genocide i.e., preparatory
acts.

114
115United Nations doc. E/447, pp. 45-46.
Basic Principles of a Convention on Genocide , United Nations doc. E/AC.25/7;
emphasis added.
116United Nations doc. A/C.6 SR.101; emphasis added.
117W. Schabas, Genocide in International Law , 2000, pp. 453-479.

502 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP .IND . KRECu ) 541

«pour que l’action préventive ait le maximum de chances de succès,

il est nécessaire que les Membres des Nations Unies ne restent pas
passifs ou indifférents. Il convient donc que dans la Convention qui
prévoit la répression des crimes de génocide les Etats s’engagent à

faire ce qui est en leur pouvoir pour seconder l’actio114es Nations
Unies destinée à les prévenir ou à y mettre fin .»

La proposition des Etats-Unis d’Amérique allait dans le même sens:

«Les Hautes Parties contractantes ... conviennent d’agir de
concert, en leur qualité de Membres, afin de faire en sorte que
l’Organisation des Nations Unies prenne toute mesure pouvant se

révéler appropriée au regard de la Charte pour prévenir et réprimer le
génocide...» 115

La position de l’URSS peut être résumée de la manière suivante:

«Un acte de génocide quel qu’il soit constitue toujours une menace
à la paix et à la sécurité internationales, et, comme tel, doit relever
des chapitres VI et VII de la Charte... Les dispositions des chapitres

VI et VII de la Charte fournissent, pour prévenir le génocide et le
châtier, des moyens infiniment plus concrets et efficaces que tous
ceux dont dispose la juridiction internationale... » 116

La pratique des organes compétents des Nations Unies en matière de
prévention du génocide s’est manifestée dans le cadre des principes énon-
117
cés à l’article VIII de la Convention .
116. L’obligation de prévenir le génocide en termes juridiques est une
chose, et l’obligation juridique de prendre des mesures préventives à cet

égard en est une autre.
Si l’obligation de prévention est définie en termes juridiques, le titulaire
de l’obligation se trouve alors en position de garant, de sorte que sa res-

ponsabilité se trouve engagée du fait même de la commission du géno-
cide. Sur ce point, les mesures préventives sont de nature différente.
Elles peuvent être prises dans un sens plus large ou dans un sens plus

étroit.
Dans leur acception plus large, la prévention fait appel à des mesures
positives telles que la création d’un environnement social et culturel qui,

en soi, exclut l’émergence d’une pathologie génocidaire ou qui réduit au
minimum le risque de la voir se créer.
Dans un sens plus restreint, la prévention peut se limiter à des actes
qui, bien que n’étant pas des actes de commission et n’étant pas condam-

nés en général, ont pour effet de faciliter la commission du génocide ou
de la rendre possible, c’est-à-dire des actes préparatoires.

114
115Nations Unies, doc. E/447, p. 45-46 [version française: A/AC.10/41, p. 67-68].
Basic Principles of a Convention on Genocide , Nations Unies, doc. E/AC.25/7; les
italiques sont de moi.
116Nations Unies, doc. A/C.6/SR.101; les italiques sont de moi.
117W. Schabas, Genocide in International Law , 2000, p. 453-479.

502542 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP. OP. KRECu )

The Secretariat’s draft Convention on the Crime of Genocide con-

tained incrimination of the following preparatory acts:

“(a) studies and research for the purpose of developing the tech-
nique of genocide;

(b) setting up installations, manufacturing, obtaining, possessing
or supplying of articles or substances with the knowledge that
they are intended for genocide; and
(c) issuing instructions or orders, and distributing tasks with a
118
view to committing genocide.”

The proposal, however, was not accepted, probably following the pre-
vailing practice of national criminal laws not to criminalize acts which
are not, from the legal point of view, acts of perpetration, actus reus,of

the criminal act of genocide. Hence, as noted by the learned author, “the
concept of punishing acts preparatory to genocide seems to have been
forgotten by both international and domestic lawmakers”, so there is
nothing “to authorize criminal repression of acts preparatory to genocide
119
until they reach the threshold of attempts” .

But probably for the sake of balance the Convention has introduced
the criminalization of acts, direct and public incitement to commit geno-

cide or the attempt to commit genocide.
In contrast to the Genocide Convention, some international conven-
tions contain a limited or extensive spectrum of preventive measures,

either in a broader or narrower sense or combined. For instance, Arti-
cle 2 of the International Convention on the Elimination of All Forms of
Racial Discrimination (1965), Articles 3 and 4 of the Convention against
Discrimination in Education (1960); Articles 1, 3 and 8 of the Supple-

mentary Convention on the Abolition of Slavery, the Slave Trade, and
Institutions and Practices Similar to Slavery (1956); Articles 2 and 3 of
the Discrimination (Employment and Occupation) Convention (1958).

There is a substantial difference between the duty to prevent in legal
terms on the one hand, and the preventive measures defined by the rules
of a convention on the other. While breach of the legal duty to prevent

entails the responsibility of the offender in terms of criminal law, the
effect of a breach of the duty to undertake the preventive measures stipu-
lated is equivalent to a treaty violation, except where it assumes the char-

acteristics of a criminal offence, such as exempli causa, complicity or
co-perpetratorship.
117. The majority view as regards the scope ratione personae of the
supposed legal duty to prevent genocide appears to be highly problem-

118
119United Nations doc. E/447, p. 29.
W. Schabas, Genocide in International Law , 2000, pp. 490-491.

503 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KRECu ) 542

Dans son projet de convention sur le crime de génocide, le Secrétariat

condamnait notamment les actes préparatoires suivants:

«a) les études et recherches destinées à mettre au point les tech-
niques du génocide;
b) le fait d’établir des installations, de fabriquer, de se procurer, de
détenir ou de fournir des matériaux et produits, sachant qu’ils

sont destinés à l’exécution des crimes de génocide;
c) les instructions, ordres, consignes, répartition des tâches en vue
de l’exécution du génocide» 118.

Cette proposition ne fut toutefois pas retenue, sans doute pour suivre

la pratique prévalant dans les systèmes nationaux de droit pénal qui ten-
dait à ne pas ériger en crimes des actes qui, du point de vue juridique,
n’étaient pas des actes de commission, ou l’actus reus, du crime de géno-
cide. Ainsi, pour reprendre les termes de l’éminent auteur cité plus haut,

«l’idée de réprimer des actes préparatoires du génocide semble avoir été
oubliée par les législateurs tant à l’échelle internationale que sur le plan
interne», si bien que rien «n’autorise à réprimer au pénal pareils actes
tant qu’ils n’ont pas atteint le seuil de la tentative» 11.

Toutefois, probablement par souci d’équilibre, la Convention a érigé
en crimes certains actes tels que l’incitation directe et publique à com-
mettre le génocide ou la tentative de génocide.
Contrairement à la convention sur le génocide, certaines conventions

internationales énoncent un dispositif limité ou fort large de mesures de
prévention, que ce soit dans un sens plus large, plus étroit ou associant les
deux types de mesures (voir, par exemple, l’article 2 de la convention

internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination
raciale (1965), les articles 3 et 4 de la convention concernant la lutte
contre la discrimination dans le domaine de l’enseignement (1960); les
articles 1, 3 et 8 de la convention supplémentaire relative à l’abolition de

l’esclavage, de la traite des esclaves et des institutions et pratiques ana-
logues à l’esclavage (1956), et les articles 2 et 3 de la convention concer-
nant la discrimination en matière d’emploi et de profession (1958).
Il existe une différence substantielle entre l’obligation de prévenir en

termes juridiques, d’une part, et les mesures préventives qui sont définies
par les dispositions d’une convention, de l’autre. Si la violation de l’obli-
gation juridique de prévention engage la responsabilité de son auteur en
droit pénal, un manquement à l’obligation de prendre les mesures pré-

ventives stipulées équivaut en revanche à la violation d’un instrument
conventionnel, sauf s’il présente les caractéristiques d’une infraction
pénale comme la complicité ou la coaction.
117. La position de la majorité quant à la portée ratione personae de

ce qu’elle conçoit comme une obligation juridique de prévenir le génocide

118Nations Unies, doc. E/447, p. 29 [version française: A/AC.10/41, p. 10].
119W. Schabas, Genocide in International Law , 2000, p. 490-491.

503543 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP.OP .KRECu )

atic. It is based on drawing qualitative distinction between the effects of

the expression “undertake to prevent” in fine of Article I on the one
hand, and Article VIII of the Convention on the other. While the expres-
sion “undertake to prevent”, is perceived as imposing a “distinct” and
“direct obligation [of the Contracting Parties] to prevent genocide” (Judg-
ment, para. 165), it sees the effects of Article VIII in “completing the sys-

tem by supporting both prevention and suppression, in this case at the
political level rather than as a matter of legal responsibility ” (Judgment,
para. 159; emphasis added). In a word, the Convention imposes on the
Contracting Parties the legal duty to prevent genocide and on the com-
petent organs of the United Nations referred to in Article VIII of the

Convention — a social or political duty to prevent genocide.

Such a duality of the duties is hard to reconcile with the nature of the

Genocide Convention. The Convention enshrines rights and obligations
of an erga omnes character (I.C.J. Reports 1996, para. 31), and belongs
to corpus juris cogentis. As such it represents a normative expression of
substantive, fundamental interests of the international community as a
whole, interests which transcend the interests of States taken individually.

If genocide “shocks the conscience of mankind and results in great losses
to humanity, and which is contrary to moral law and to the spirit and
aims of the United Nations” (resolution 96 (I) of the General Assembly,
11 December 1946; I.C.J. Reports 1951,p .3;I.C.J. Reports 1996 ,
p. 616, para. 31), it is unclear how the Contracting Parties and the com-

petent organs of the United Nations, the only ones singled out in that
regard in Article VIII of the Convention dealing specifically with the pre-
vention issue, can be placed in a fundamentally different legal position as
regards the prevention of genocide. A fortiori, bearing in mind that, as a
rule of jus cogens it should be overriding and absolutely binding in

character.

As regards its peremptory nature, it is unclear how a duty that, by defi-
nition, has absolute obligatory force and, as such, knows no alternatives
or conditions, can be designed in terms of a duty “to take all measures to

prevent genocide which were within its power” (Judgment, para. 430) not
being “under an obligation to succeed, whatever the circumstances, in
preventing the commission of genocide” (ibid.). Thus perceived, it is the
duty to act in order to prevent genocide as far as possible rather than the
duty to prevent. A duty to prevent that is contingent on a host of factual

legal requirements can hardly claim the status of a peremptory norm.

Furthermore, does this imply — bearing in mind that, according to the
majority view, the duty to prevent includes the obligation not to commit

genocide and other acts enumerated in Article III of the Convention —
that the organs of the United Nations are not bound in legal terms by the

504 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KREuA ) 543

semble très problématique. Cette position consiste à établir une diffé-

rence qualitative entre les effets de l’expression «s’engagent à prévenir»
qui conclut l’article premier, d’une part, et ceux de l’article VIII de la
Convention, de l’autre. Tandis qu’elle perçoit dans l’expression «s’enga-
gent à prévenir» une «obligation de prévenir le génocide» «distincte»
que «les parties contractantes ont directement» (arrêt, par. 165), la majo-

rité voit les effets de l’article VIII comme «parachevant le système en
appelant tant à la prévention qu’à la répression du crime de génocide,
cette fois au niveau politique et non plus sous l’angle de la responsabilité
juridique » (arrêt, par. 159; les italiques sont de moi). En somme, la
Convention impose aux parties contractantes l’obligation juridique de

prévenir le génocide et aux organes compétents des Nations Unies qui
sont visés à l’article VIII de la Convention une obligation sociale et poli-
tique de prévenir le génocide.
Cette double obligation est difficile à concilier avec la nature de la

convention sur le génocide. Celle-ci consacre des droits et des obligations
qui revêtent un caractère erga omnes (C.I.J. Recueil 1996 (II) , p. 31) et
qui appartiennent au corpus juris cogentis. En tant que telle, ladite obli-
gation constitue une expression normative d’intérêts substantiels et fon-
damentaux de la communauté internationale dans son ensemble, intérêts

qui transcendent ceux des Etats pris individuellement. Si le génocide
«bouleverse la conscience humaine, inflige de grandes pertes à l’huma-
nité, et...est contraire à la fois à la loi morale et à l’esprit et aux fins des
Nations Unies (résolution 96 (I) de l’Assemblée générale, 11 décembre
1946)» (C.I.J. Recueil 1951,p .23; C.I.J. Recueil 1996 (II) , p. 616,

par. 31), il n’est guère aisé de saisir comment les parties contractantes et
les organes compétents des Nations Unies — les seuls à être désignés en
la matière à l’article VIII de la Convention, qui traite expressément de la
question de la prévention — peuvent être placés dans une position juri-
dique foncièrement différente à l’égard de la prévention du génocide,

d’autant plus que cette règle du jus cogens devrait en tant que telle se
situer au premier rang et posséder un caractère absolument obligatoire.
S’agissant de sa nature impérative, il est difficile de voir comment une
obligation qui, par définition, s’impose de manière absolue et qui, de ce
fait, n’autorise aucune autre solution ni condition, peut être conçue

comme une obligation «de mettre en Œuvre les mesures de prévention du
génocide qui [sont] à sa portée» (arrêt, par. 430) sans être une «obliga-
tion de parvenir à empêcher, quelles que soient les circonstances, la com-
mission d’un génocide» (ibid.). Ainsi perçue, l’obligation serait d’agir
pour empêcher le génocide autant que possible, et non pas de le prévenir.

Une obligation de prévention qui est tributaire d’une pléthore de condi-
tions factuelles et juridiques ne peut guère être considérée comme une
norme impérative.
En outre, faut-il entendre par là — étant donné que, suivant les vues de
la majorité, l’obligation de prévention comprend «celle de ne pas com-

mettre de génocide et les autres actes énumérés à l’article III» de la
Convention — que les organes de l’Organisation des Nations Unies ne

504544 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP.OP .KRECu )

obligation not to commit genocide and other punishable acts under the

Convention? Or, pursuing the logic underlying the majority view at step
further if, ex hypothesi, the United Nations were to commit genocide,
would that Organization, in contrast to a State, not be directly responsi-
bility?
But, apart from the aforementioned controversies involved, it seems

clear that the very pronouncement that Article VIII completes “the sys-
tem by supporting both prevention and suppression, in this case at the
political level . . .” (Judgment, para. 159) is, by itself, an argument in
favour of the social and political nature of the duty to prevent.
118. Article VIII, as the only operative provision of the Convention

concerning the prevention of genocide, has two legal meanings depending
on the circumstances:

(i) in case of suspected genocide on the territory of a State, whether or
not a Member of the United Nations, the objection that the matter
essentially falls within domestic jurisdiction in terms of Article 2 (7)
of the Charter is not acceptable;

(ii) as regards action by the competent organs of the United Nations, the
parties are under an obligation to do everything in their power to
give full effect to the actions of the United Nations.

119. Controversies in the majority view regarding the nature of pre-
vention spread with remarkable ease.
If, arguendo, the prevention of genocide exists as a legal duty, then its

perception as the “obligation . . . of conduct and not . . . of result” (Judg-
ment, para. 430), is contradiction in adiecto , because it transforms the
duty to prevent into the duty to act with no prevention as a result. The
plain and natural meaning of the term “prevention” lies in the action of
keeping from happening or rendering impossible an anticipated geno-

cidal design. Hence, the prevention should be ex definitione an action of
result.
True, the majority perception of the duty to prevent is accompanied by
the “corresponding duty to act” but this additional element is of dubious
validity.

2.2. Corresponding duty to act

120. As regards its existence, the “corresponding duty to act” appears
to be a pure creation of the so-called judicial legislature, having no trace

whatsoever either in the text of the Convention or in its travaux prépara-
toires. As such it is a demonstration of a revision of the Convention
rather than its proper interpretation.
In abstracto, the common denominator of two reasonable aims of the
introduction of a “corresponding duty to act” is the nullification of the

existence of the legal duty to prevent genocide in its real and genuine
meaning.

505 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND .KRECu ) 544

sont pas liés sur le plan juridique par l’obligation de ne pas commettre de

génocide ni les autres actes punissables en vertu de la Convention ou
bien, conformément à la logique dont s’inspire l’opinion de la majorité, à
supposer que l’Organisation commette le génocide, ne serait-elle pas
tenue, contrairement à un Etat, pour directement responsable?
Toujours est-il que, ces aspects discutables mis à part, l’affirmation

selon laquelle l’article VIII parachève «le système en appelant tant à la
prévention qu’à la répression du crime de génocide, cette fois au niveau
politique» (arrêt, par. 159) semble clairement militer en soi pour une
obligation de prévention de caractère social et politique.
118. Seule clause du dispositif de la Convention qui traite de la

prévention du génocide, l’article VIII peut revêtir deux significations
juridiques selon les circonstances:

i) en cas de génocide présumé sur le territoire d’un Etat, que celui-ci soit
ou non membre de l’Organisation des Nations Unies, il est exclu
d’arguer qu’il s’agit d’une affaire relevant essentiellement de la com-
pétence nationale de l’Etat en vertu du paragraphe 7 de l’article 2 de

la Charte;
ii) en ce qui concerne l’action des organes compétents des Nations
Unies, les Parties sont tenues de faire tout ce qui est en leur pouvoir
pour lui donner pleinement effet.

119. Les points discutables se sont multipliés avec une facilité remar-
quable au sein de la majorité sur la nature de la prévention.
A supposer, arguendo, que la prévention du génocide existe bien en

tant qu’obligation juridique, il est alors contradictoire en soi d’y voir une
«obligation de comportement et non de résultat» (arrêt, par. 430) car
cela revient à transformer l’obligation de prévenir en obligation d’agir
sans prévention pour résultat. En son sens ordinaire et naturel, le terme
«prévention» signifie agir pour empêcher un dessein génocidaire pres-

senti de se concrétiser ou pour le rendre impossible. Dès lors, la préven-
tion devrait par définition appeler un résultat.
Certes, la majorité a vu dans l’obligation de prévention un «devoir
d’agir qui en est le corollaire», mais la validité de cet élément complé-
mentaire est douteuse.

2.2. Le devoir corollaire d’agir

120. S’agissant de son existence, le «devoir d’agir qui en est le corol-
laire» paraît être une pure invention du juge s’érigeant lui-même en légis-

lateur, aucune trace d’une telle obligation figurant nulle part dans le texte
de la Convention ni dans les travaux préparatoires. En tant que telle, il
s’agit d’une revision de la Convention et non de sa juste interprétation.
In abstracto, l’introduction d’un devoir corollaire d’agir pourrait rai-
sonnablement servir deux objectifs qui ont pour effet commun d’annuler

l’existence de l’obligation juridique de prévenir le génocide en son sens
propre et véritable.

505545 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP.OP .KRECu )

One aim could be to confer active force or a sort of enforcement capac-

ity on the duty to prevent. If, however, the prevention of genocide is a
distinct legal duty, then any “corresponding duty to act” is superfluous.
In that sense, the “corresponding duty to act” in fact deprives the sup-
posed legal duty to prevent of its own normative content and turns it into
a general legal principle.

The other aim would be to serve as a means of transforming the pre-
vention in its original and accepted meaning into a relaxed and soft form
of using the available means as circumstances permit. Thus, the duty to
prevent would be shifted towards the duty to act with an uncertain out-
come as regards prevention on the basis of a broad and undefined crite-

rion more suited to civil than to criminal law.
121. The majority view has not escaped certain terminological prob-
lems either. If the duty to prevent also includes the duty not to commit
genocide, then the term does not seem adequate, at least in relation to

this part of the prevention, because it would in effect mean “self-preven-
tion”. The term, however, appears to be devoid of any meaning in this
particular context, as how one can self-prevent oneself in legal terms, act-
ing simultaneously as Dr. Jekyll and Mr. Hyde?

If understood as a legal duty, the failure to prevent genocide would
belong to the category of criminal offences through the omission to act.
For the omission to act to have any meaning, it must have as its object a
criminal offence defined in terms of failure to act. As the Model Penal
Code expressly states, liability may be based on an omission when “the

omission is expressly made sufficient by the law defining the offence”
(para. 2.01(3)). The Genocide Convention, however, not only does not
impose the duty to act in concreto, it is a matter of the creative interpreta-
tion of the majority — but it has not even included the omission to act in
the exhaustive determination of punishable acts in its Article III.

It follows, consequently, that the judicial creation of the duty to pre-
vent, including a “corresponding duty to act”, has been created ad exem-
plum legis, in the manner which preceded the constitution of the principle

of legality as the common heritage of modern criminal law. For in order
for the construction of the legal duty to prevent genocide to be able to
serve as a basis for responsibility at all, it was necessary to have, albeit
only tacit, judicial creation of the criminal offence of the failure to act. In
that way, the majority view, if anything came dangerously close to the

very heart of the principle nulla crimen sine lege.
The stringent requirements of legality immanent in criminal law do not
tolerate creative, extra-textual interpretations, in particular those which
are conducive to the creation of new criminal offences or the expansion
of the essence of criminal offences or of any of the constitutive elements

of criminal offences. Consequently, the interpretation of the Genocide
Convention, as a criminal law treaty must, in principle, be more restric-

506 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KREuA ) 545

Un objectif pourrait être de conférer à l’obligation de prévention une

force active ou une sorte de capacité d’exécution. Si, toutefois, la préven-
tion du génocide constitue une obligation juridique distincte, le «devoir
d’agir qui en est le corollaire» est alors superflu. En ce sens, ce devoir
corollaire d’agir prive en fait l’obligation de prévention supposée de son
propre contenu normatif pour en faire un principe juridique général.

L’autre objectif serait de servir à transformer la prévention, dans son
sens originel et accepté, en une façon plus souple et modulable d’utiliser
tous les moyens disponibles selon les circonstances. Ainsi, l’obligation de
prévenir se convertirait en devoir d’agir, sans certitude quant au résultat
pour ce qui concerne la prévention, sur la base d’un critère général et abs-

trait mieux adapté au droit civil qu’au droit pénal.
121. La majorité n’a pas non plus échappé aux problèmes terminolo-
giques. Si l’obligation de prévention comprend aussi celle de ne pas com-
mettre de génocide, le terme «prévention» ne semble alors pas adéquat,

du moins en ce qui concerne cet aspect, car il s’agirait en fait d’«auto-
prévention» — ce qui n’aurait pourtant absolument aucun sens dans ce
contexte particulier, car comment peut-on exercer une prévention sur soi-
même du point de vue juridique, en agissant simultanément comme le
Dr. Jekyll et Mr. Hyde?

Si la prévention est entendue comme une obligation juridique, l’absence
de prévention du génocide appartiendrait à la catégorie des infractions
pénales constituées par l’omission d’agir. Pour que l’omission d’agir ait le
moindre sens, elle doit se rattacher à une infraction pénale définie par le
défaut d’action. Ainsi qu’il est expressément indiqué dans le Model Penal

Code, la responsabilité peut être basée sur une omission lorsque «l’omis-
sion est expressément établie de manière suffisante par le droit définissant
l’infraction» (par. 2.01, al. 3)). Or, non seulement la convention sur le
génocide n’impose pas de devoir d’agir dans le concret (il s’agit là d’un
produit de l’interprétation créatrice de la majorité), mais elle n’inclut

même pas l’omission d’agir parmi les actes punissables qui sont définis de
manière exhaustive en son article III.
Il s’ensuit donc que l’obligation de prévention, y compris le «devoir
d’agir qui en est le corollaire», est une invention judiciaire qui a été créée
ad exemplum legis avant que le principe de légalité soit devenu le patri-

moine commun du droit pénal moderne. En effet, pour que l’obligation
juridique de prévenir le génocide ainsi construite puisse servir à fonder la
moindre responsabilité, il fallait qu’existe déjà sur le plan judiciaire,
fût-ce tacitement, une infraction pénale tenant au défaut d’action. En ce
sens, la position de la majorité touche plutôt dangereusement au cŒur

même du principe nullum crimen sine lege.
L’impératif de légalité immanent au droit pénal ne souffre pas d’inter-
prétations dues à l’imagination et extratextuelles, surtout lorsqu’elles
entraînent la création de nouvelles infractions pénales ou étendent
l’essence de celles qui existent déjà, ou de l’un ou l’autre de leurs éléments

constitutifs. En conséquence, l’interprétation de la convention sur le
génocide, en tant que traité de droit pénal, doit en principe être plus res-

506546 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP. OP. KREuA )

tive and related to the text of the Convention than the interpretation of

other international treaties.
122. The duty “not to commit genocide” is, according to the majority
view, included in the duty to prevent, perceived as a complex norm, as
some kind of umbrella norm in the context of the Convention.

Leaving aside the perception of it as a complex norm from the stand-
point of responsibility, the least one can say from a structural point of
view is that it is not a coherent construction both in terms of legal tech-
nique and substance.
From the standpoint of legal technique it is unusual for the parts of the

complex norm to be defined in different ways. While the duty “not to
commit” has been defined in a negative way, the duty to prevent, as the
mother norm, and the “corresponding duty to act”, have been defined in
a positive way.

As regards its substance, the complex rule of prevention, as perceived
by the majority, would consist of a variety of obligations. On the one
hand, the obligations which concern prevention as such — the duty to
prevent and the corresponding duty to act — on the other, the duty “not
to commit genocide”, which concerns the very notion of genocide i.e., its

perpetrator element.
The heterogeneous nature of the obligations constituting the duty to
prevent signifies the artificial nature of the construction, tailored to the
purpose. It becomes even more striking if observed in the context of the
corresponding offences. As a breach of any duty in terms of criminal law

constitutes a criminal offence, in the case at hand we would be dealing
with an utterly unusual complex criminal offence (infraction complexe;
zusammengesetztes Verbrechen) comprised of diverse offences. Thus,
exempli causa, the perpetration of one act of genocide by a State would
produce two consequences within the context of a single complex rule —

a breach of the duty “not to commit genocide” would, at the same time,
mean a breach of the duty to prevent or, more precisely, the duty to self-
prevent, with the accompanying “corresponding duty to act”.

2.2.1. Application of the duty to prevent in casu

123. Even if, for the sake of argument, the existence of the legal duty
to prevent is accepted, its application as regards the Respondent seems to

be erroneous.
The arguments on the basis of which the majority concluded that the
Respondent “violated its obligation to prevent the Srebrenica
genocide . . .” (Judgment, para. 438) are:

(i) that the FRY “was in a position of influence over the Bosnian
Serbs . . . unlike that of any of the other States parties to the Geno-

cide Convention . . .” (Judgment, para. 434);
(ii) that the FRY “could hardly have been unaware of the serious risk of

507 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND .KRECu ) 546

trictive et se rattacher davantage au texte de la Convention que celle

d’autres traités internationaux.
122. L’obligation «de ne pas commettre de génocide» est, aux yeux de
la majorité, comprise dans l’obligation de prévention, qui est perçue
comme une norme complexe ou une sorte de règle cadre au sein de la
Convention.

Mis à part le fait que cette obligation soit perçue comme une norme
complexe du point de vue de la responsabilité, le moins que l’on puisse
dire, au sujet de sa structure, c’est qu’il ne s’agit pas d’une interprétation
cohérente, tant en ce qui concerne la technique juridique que le fond.
Du point de vue de la technique juridique, il est inhabituel de définir

différemment les éléments constitutifs d’une norme complexe. Tandis que
l’obligation «de ne pas commettre» de génocide a été définie de façon
négative, l’obligation de prévention, qui est la norme principale, et le
«devoir d’agir qui en est le corollaire» ont été définis de façon positive.

Pour ce qui est du fond, la règle complexe de la prévention compren-
drait aux yeux de la majorité diverses obligations, à savoir, d’une part,
celles qui concernent la prévention proprement dite — l’obligation de
prévenir et le devoir d’agir qui en est le corollaire — et, de l’autre, celle
«de ne pas commettre de génocide», qui se rapporte à la notion même de

génocide, c’est-à-dire à son auteur lui-même.
La nature hétérogène des devoirs constitutifs de l’obligation de préven-
tion révèle le caractère artificiel de cette construction, qui est adaptée aux
besoins. Cela devient encore plus frappant au regard des infractions cor-
respondantes. La violation de toute obligation constituant en droit pénal

une infraction pénale, nous serions appelés ici à connaître d’un cas tout à
fait inhabituel d’infraction complexe (zusammengesetztes Verbrechen) ,
composée de diverses infractions. Ainsi, la commission d’un acte de géno-
cide par un Etat produirait deux conséquences dans le cadre d’une règle
complexe unique — une violation de l’obligation «de ne pas commettre

de génocide» emportant du même coup violation de l’obligation de pré-
vention ou, plus précisément, de l’obligation d’auto-prévention, assortie
du «devoir d’agir qui en est le corollaire».

2.2.1. L’application de l’obligation de prévention en l’espèce

123. Quand bien même, aux fins de l’argumentation, l’existence de
l’obligation juridique de prévention serait acceptée, il semble erroné de

l’appliquer dans le cas du défendeur.
Les arguments sur la base desquels la majorité a conclu que le défen-
deur avait «violé son obligation de prévenir le génocide de Srebrenica»
sont les suivants:

i) la RFY «se trouvait, à l’égard des Serbes de Bosnie ..., dans une posi-
tion d’influence qui n’était comparable à celle d’aucun des autres

Etats parties à la convention sur le génocide» (arrêt, par. 434);
ii) la RFY «ne pouvai[t] pas ne pas être conscient[e] du risque sérieux

507547 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP. OP. KREuA )

it [the genocide] once the VRS forces had decided to occupy the Sre-

brenica enclave” (Judgment, para. 436);
(iii) that the Respondent has not shown “that it took any initiative to
prevent . . .”, the inference being “that the organs of the Respondent
did nothing to prevent the Srebrenica massacres . . .” (Judgment,
para. 438).

It must be conceded that not one of the arguments put forward seems
convincing.
As far as the first argument is concerned, it seems to be based on a
certain confusion between notions of “influence” and “power” and their

effects in the area of prevention of genocide.
“Influence” as such can hardly be a means of preventing genocide. As
a form of indirect power, it could prompt self-prevention action by the
alleged perpetrator, but per se is incapable of preventing genocide. This is

particularly the case where the alleged genocidal intent appeared in an
apparently spontaneous way during an operation which lasted a few
days. As a means of triggering self-restraint or self-prevention, influence
requires a considerably longer time than the duration of the operation in
the course of which a massacre was committed.

The reasoning of the majority contemplates actions above the influence
in terms of factual and legal power which the Respondent have had in
relation to the given event.
The majority attributes critical importance to the notion of “due dili-

gence” in assessing whether a Contracting Party acted in a proper way.

It appears, however, that the notion of due diligence is of little, if any,
help in concreto. Due diligence, as demonstrated in the jurisprudence of
the Court in Corfu Channel (United Kingdom v. Albania) and United

States Diplomatic and Consular Staff in Tehran (United States of
America v. Iran) cases, operates primarily as regards objects under sov-
ereignty or effective control of the State to which lack of due diligence is
imputed. As the Court found out, the Respondent did not exercise effec-
tive control over the given territory (Judgment, para. 413).

Moreover, measures which a State would have to take in order to
avoid getting itself into a situation where it would be charged with lack of
due diligence are difficult if not impossible to take while observing the
limits permitted by international law as regards the territory of another

State.
It is interesting to note that in the passage devoted to the responsibility
of the State in paragraph 438 of the Judgment, for breaching the obliga-
tion to prevent, the general word “influence” is replaced by the word
“power”. It is unclear whether this is a matter of linguistic inconsistency

in the text or of an expression of argumentum ad casum.

508 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND .KRECu ) 547

qui existait à cet égard dès lors que les forces de la VRS avaient décidé

de prendre possession de l’enclave de Srebrenica» (arrêt, par. 436);
iii) le défendeur n’a démontré «l’existence d’aucune initiative à des fins
préventives ... de sa part», ce dont il faudrait déduire «que [s]es
organes ... n’ont rien fait pour prévenir les massacres de Srebre-
nica» (ibid., par. 438).

Il faut bien admettre qu’aucun des arguments avancés ne paraît convain-
cant.
S’agissant du premier, il semble reposer sur une certaine confusion
entre les notions d’«influence» et de «pouvoir» et entre leurs effets res-

pectifs, et en matière de prévention du génocide.
L’«influence» en tant que telle peut difficilement être un moyen de pré-
venir le génocide. Etant une forme de pouvoir indirect, elle pourrait inci-
ter le criminel présumé à l’«auto-prévention» mais, en soi, elle ne permet

nullement de prévenir le génocide, en particulier lorsque l’intention géno-
cidaire serait apparue de manière apparemment spontanée au cours d’une
opération de quelques jours. En tant que moyen d’inciter à la retenue ou
à l’«auto-prévention», l’influence doit s’exercer pendant une période bien
plus longue que la durée de l’opération au cours de laquelle un massacre

a été commis.
Dans son raisonnement, la majorité envisage des actes allant au-delà
de l’influence, sous la forme du pouvoir dont le défendeur disposait dans
les faits et en droit à l’égard de l’événement dont il s’agit.
La majorité attribue une importance majeure à la notion de «due dili-

gence» pour déterminer si une partie contractante a agi dans le sens
voulu.
Il semble toutefois que cette notion de diligence ne soit pas d’une
grande aide, ni même d’aucun secours sur le plan concret. Comme il res-
sort des décisions de la Cour dans l’affaire du Détroit de Corfou

(Royaume-Uni c. Albanie) et dans celle du Personnel diplomatique et
consulaire des Etats-Unis à Téhéran (Etats-Unis d’Amérique c. Iran) ,la
«due diligence» s’applique principalement dans le cas d’un sujet rele-
vant de la souveraineté ou du contrôle effectif de l’Etat auquel le défaut de
diligence est imputé. Or, la Cour a conclu que le défendeur n’exerçait

pas de contrôle effectif sur le territoire dont il s’agissait (arrêt, par. 413).
Qui plus est, les mesures qu’un Etat devrait prendre pour ne pas prêter
le flanc à l’accusation de défaut de diligence sont difficiles, voire impos-
sibles à mettre en Œuvre tout en respectant les limites de ce que permet
la légalité internationale lorsqu’il est question du territoire d’un autre

Etat.
Il est intéressant de noter que, dans le passage consacré à la responsa-
bilité de l’Etat pour avoir manqué à l’obligation de prévention qui figure
au paragraphe 438 de l’arrêt, le terme «pouvoir» a remplacé le terme
général «influence». On ne voit pas clairement s’il s’agit là d’une incohé-

rence linguistique dans le texte ou de l’expression d’un argumentum ad
casum.

508548 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION SEP .OP .KRECu )

The view that influence of itself constitutes an element of responsibility
based on the omission to act is, perhaps, a borrowing from the law of

command responsibility. As such, it is totally inapplicable in the area of
prevention in the circumstances of the case at hand, bearing in mind,
inter alia, that, as regards command responsibility, influence is exerted on
a person over whom effective control is also exercised. Incidentally, it

also demonstrates an uncritical application of the analogy with criminal
law. For with the exception of cases of analogia legis, i.e., one established
by the legal rule itself, analogies with criminal law cannot be considered
acceptable in the light of the principle of legality.

The second argument essentially concerns awareness of the general risk
of genocide, considering that, as was concluded, “it [the Court] has not
found that the information available to the Belgrade authorities indi-
cated, as a matter of certainty, that genocide was imminent . . .” (Judg-

ment, para. 436). The tragic truth is, however, that in civil wars, particu-
larly in those where the lines of military demarcation coincide to a high
degree with ethnical or religious ones, the risk of ethnically motivated
crimes, including genocide, is always high and serious. It is simply inher-

ent in this kind of war.

Hence, in the construction termed prevention as a legal duty, aware-
ness of the imminent danger of genocide seems more proper as the basis

for action. Especially considering that the general risk of genocide, in
light of its frequency in civil wars, in fact shifts the emphasis from pre-
ventive actions to the prevention of civil wars. And that is actually the
primary prevention of situations leading or likely to lead to genocide,

prevention in a criminological or social defence sense, and not prevention
in terms of a legal duty.

And finally, the argument that the Respondent has not shown that “it

took any initiative to prevent . . .” is not without difficulties as regards
both facts and law.
As regards facts, it appears that the Respondent submitted evidence to
the effect that Miloševic´ instructed Karadžic ´ that it would be a mistake

to take Srebrenica, 120ause there could well be a massacre due to prior
events at Bratunac . In addition, as noted by Lord Owen:

“I had rarely heard Miloševic ´ so exasperated, but also so worried:
he feared that if the Bosnian Serb troops entered Srebrenica there
would be a bloodbath because of the tremendous bad blood that

existed between two armies. The Bosnian Serbs held the young Mus-
lim commander in Srebrenica, Naser Oric ´, responsible for a massa-

120Dutch Srebrenica Report, Part II, Chap. 2, Sect. 5: footnote as “Confidential Infor-
mation 43”.

509 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND .KRECA ) 548
u

L’idée que l’influence constitue par elle-même un facteur de responsa-
bilité tenant à l’omission d’agir est peut-être un emprunt au droit régis-
sant la responsabilité du commandement. En tant que telle, elle est tota-

lement inapplicable en matière de prévention dans les circonstances de
l’affaire qui nous occupe, étant donné, notamment, que, dans le cas de la
responsabilité du commandement, l’influence est exercée sur une per-
sonne qui est également soumise à un contrôle effectif. A titre incident,
elle traduit aussi une application hâtive de cette analogie au droit pénal.

En effet, exception faite des cas d’analogia legis, c’est-à-dire établies par
la règle juridique elle-même, les analogies avec le droit pénal ne sauraient
être admises compte tenu du principe de la légalité.
Le deuxième argument a essentiellement trait à la connaissance du

risque général de génocide, car, comme elle l’a conclu, «la Cour n’a pas
non plus jugé que les informations dont disposaient les autorités de Belgrade
indiquaient de manière certaine l’imminence du génocide» (par. 436).
Pourtant, la triste vérité est que, en temps de guerre civile, surtout lorsque

les lignes de démarcation militaire coïncident dans une large mesure avec
des frontières ethniques ou religieuses, il existe toujours un risque élevé et
grave que des crimes à motivation ethnique soient commis, y compris le
génocide. Ce phénomène est tout simplement inhérent à ce type de
guerre.

Ainsi, dans le cadre de cette construction baptisée obligation juridique
de prévention, la connaissance du risque imminent de génocide semble
constituer une meilleure base d’action. Vu, en particulier, que le risque
général de génocide, si fréquent en temps de guerre civile, impose en fait

de convertir l’action préventive en prévention des guerres civiles, il s’agit
en réalité ici de la prévention primaire de situations conduisant ou ris-
quant de conduire au génocide, c’est-à-dire de la prévention au sens cri-
minologique ou de la défense sociale, et non de la prévention répondant
à une obligation juridique.

Enfin, l’argument selon lequel le défendeur n’a démontré «l’existence
d’aucune initiative à des fins préventives ... de sa part» n’est pas exempt
de difficultés tant sur le plan des faits qu’au regard du droit.
Pour ce qui est des faits, il apparaît que le défendeur a produit des élé-

ments attestant que Miloševic ´ avait indiqué à Karadžic ´ que prendre Sre-
brenica serait une erreur, parce qu’un massacre pouvait fort bien avoir
lieu du fait d’événements intervenus plus tôt à Bratunac 120. En outre,
pour reprendre les termes de lord Owen:

«Je n’avais quasiment jamais entendu M. Miloševic ´ faire montre
d’une telle exaspération, mais aussi d’une telle inquiétude; il crai-

gnait que, si les forces serbes de Bosnie entraient dans Srebrenica, il
y ait un bain de sang en raison de la terrible animosité entre les deux
armées. Les Serbes de Bosnie tenaient le jeune commandant des

120Rapport néerlandais concernant Srebrenica, deuxième partie, chap. 2, sect. 5 (avec,
en note de bas de page, la mention «information confidentielle n° 43»).

509549 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP.OP .KRECA )
u

cre near Bratunac in December 1992 in which many Serb civilians
had been killed.” 121

What President Miloševic ´ said to Lord Owen, in his capacity as
Co-Chairman of the Steering Committee on the Former Yugoslavia, should

be understood as a warning of a risk of a massacre in Srebrenica.

The warning, together with the instruction given to the President of
Republika Srpska, Karadžic ´, considering that “every State may only act

within the limits permitted by international law” (Judgment, para. 430),
seems the only thing the Respondent could do in the circumstances.

It should be noted that in the Corfu case Albania was declared respon-
sible because it “neither notified the existence of the minefield, nor

warned the British warships of the danger they were approaching” (Corfu
Channel, Merits, Judgment, I.C.J. Reports 1949, p. 22). If however, the
failure to warn was a basis for holding Albania responsible for the event
that occurred in its territory, then it is unclear how President Miloševic´’s

warning does not represent fulfilment of the duty to act, as the warning
was in fact the only possible preventive action as regards the territory of
the other State. In addition, the application of the anticipated duty to
prevent in casu requires an additional condition of causality i.e., that the

alleged failure to act caused the massacre. The condition was neither
proved nor implemented in the Judgment.

124. Considering the primary responsibility of the competent organs
of the United Nations in the area of genocide prevention, as enshrined in

Article VIII of the Convention, the concern expressed by the European
Union negotiator, Mr. Bildt, to President Miloševic ´, to which the Judg-
ment particularly draws attention (Judgment, para. 436) hardly has any
relevance in casu being a pure demonstration of humanitarian concern.

As a possible warning by the representative of the organized interna-
tional community which had a proper factual power and legal capacity to
act, moreover, whose military units, on the basis of United Nations Secu-
rity Council resolution, were under a legal obligation to secure the safe-
area of Srebrenica, addressed to the head of State which, according to the

finding of the Court (Judgment, para. 413), had no effective control over
given territory, having no, in addition, factual power comparable to that
possessed by the organized international community, can hardly have an
excusable character tacitly suggested by the wording of the formulation.

(A qualitatively different conclusion would impose itself only if the
authority of the competent international body were delegated to Presi-
dent Miloševic ´ on that occasion in due course to act on the territory of

121Lord Owen, Balkan Odyssey, 1995, pp. 134-135.

510 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND .KRECA ) 549
u

forces musulmanes de Srebrenica, Naser Oric ´, pour responsable d’un
massacre commis près de Bratunac en décembre 1992, au cours
duquel de nombreux civils serbes avaient été tués.» 121

Les propos tenus par le président Miloševic ´ à lord Owen, qui était
alors coprésident du comité directeur de la conférence internationale sur

l’ex-Yougoslavie, doivent être interprétés comme une mise en garde sur le
risque de massacre à Srebrenica.
Etant donné que «chaque Etat ne peut déployer son action que dans
les limites de ce que lui permet la légalité internationale» (arrêt, par. 430),

cette mise en garde ainsi que les instructions données à Karadžic ´, le pré-
sident de la Republika Srpska, semblent constituer la seule mesure que le
défendeur pouvait prendre dans les circonstances.
Il convient de noter que, dans l’affaire du Détroit de Corfou, l’Albanie
fut déclarée responsable parce qu’elle n’avait «ni notifié l’existence du

champ de mines ni averti les navires de guerre britanniques du danger
vers lequel ils avançaient» (Détroit de Corfou, fond, arrêt, C.I.J. Recueil
1949, p. 22). Or, si le défaut d’avertissement a servi de base pour déclarer
l’Albanie responsable de l’événement intervenu sur son territoire, il est

alors difficile de saisir pourquoi l’avertissement formulé par le président
Miloševic´ ne satisfait pas au devoir d’agir, puisqu’il s’agissait en fait de la
seule mesure de prévention possible à l’égard du territoire de l’autre Etat
concerné. En outre, pour appliquer en l’espèce l’obligation de prévention

envisagée, une autre condition de causalité devait être remplie, à savoir
que le défaut allégué d’agir devait avoir causé le massacre. Cette condi-
tion n’a été ni établie ni appliquée dans l’arrêt.
124. Compte tenu de la responsabilité de premier plan qui incombe
aux organes compétents des Nations Unies en matière de prévention du

génocide, telle qu’elle figure à l’article VIII de la Convention, l’inquiétude
exprimée au président Miloševic ´ par le négociateur de l’Union euro-
péenne, M. Bildt, sur laquelle l’arrêt appelle particulièrement l’attention
(par. 436), n’a guère de pertinence en l’espèce, puisqu’elle traduit simple-

ment une inquiétude de caractère humanitaire. Elle ne peut guère, comme
le suggère tacitement le libellé de ce passage, se justifier en tant que mise
en garde probable que le représentant de la communauté internationale
organisée — qui avait le pouvoir voulu dans les faits et la faculté juri-
dique d’agir et dont les unités militaires étaient en outre, sur la base de la

résolution du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies,
tenues de sécuriser la zone de sécurité qu’était Srebrenica — aurait adres-
sée au chef d’Etat qui, d’après la conclusion de la Cour (arrêt, par. 413),
n’exerçait pas de contrôle effectif sur le territoire concerné et n’avait

d’ailleurs aucun pouvoir de fait comparable à celui que possédait la com-
munauté internationale organisée (une conclusion foncièrement diffé-
rente ne s’imposerait que si l’autorité de l’organe international compétent

121Lord Owen, Balkan Odyssey, 1995, p. 134-135.

510550 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION SEP .OP. KRECu )

Bosnia and Herzegovina with the aim of preventing the massacre in

Srebrenica.)

125. The argument which was also put forward concerns the Orders of
the Court of 8 April 1993, as well as of 13 September 1993, by which the
Court indicated provisional measures to the effect that the “FRY was

bound by very specific obligations by virtue of the two Orders indicating
provisional measures” (Judgment, para. 435).
Two observations can be made regarding the specific finding of the
majority.
Primo, the binding character of the Order indicating provisional meas-

ures was articulated as late as the LaGrand case (I.C.J. Reports 2001,
p. 503, para. 102). Until that case the position of the Order indicating
provisional measures as regards its binding force could not have been
considered settled. That fact is confirmed by the Order of 13 Septem-

ber 1993 itself. Paragraph 58 of the Order refers to its previous finding in
the Nicaragua case that: “When the Court finds that the situation requires
that measures of this kind should be taken, it is incumbent on each party
to take the Court’s indication seriously into account . . .” (Military and
Paramilitary Activities in and against Nicaragua (Nicaragua v. United

States of America), Merits, Judgment , I.C.J. Reports 1986, p. 144,
para. 289) and stated “this is particularly so in such a situation as now
exists in Bosnia-Herzegovina . . .” (Application of the Convention on the
Prevention and Punishment of the Crime of Genocide, Provisional Meas-
ures, Order of 13 September 1993, I.C.J. Reports 1993 , p. 349).

Secundo, the argument is not a proper one, since the Orders strongly
suggest that it is in fact about an interim judgment par excellence. The
Orders open

“practically unlimited, ill-defined and vague requirements for the
exercise of responsibility by the Respondent in fulfilment of the

Order of the Court, and lay the Respondent open to unjustifiable
blame for failing to comply with this interim measure” (Application
of the Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of
Genocide, Provisional Measures, Order of 8 April 1993, I.C.J.
Reports 1993, declaration of Judge Tarassov, pp. 26-27).

What is even more striking is that the measures were indicated in the
proceedings phase allowing the Court “to entertain a provisional and

merely prima facie idea of the case” (Questions of Interpretation and
Application of the 1971 Montreal Convention arising from the Aerial
Incident at Lockerbie (Libyan Arab Jamahiriya v. United Kingdom),
Provisional Measures, Order of 14 April 1992, I.C.J. Reports 1992 ,
p. 33). The narrow line between such provisional measures and the sub-

ject-matter of the case placed the Court in a position of making an estop-
pel in terms of the alleged facts presented by a party.

511 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KRECu ) 550

avait alors été déléguée au président Miloševic ´ en temps voulu pour lui

permettre d’intervenir sur le territoire de la Bosnie-Herzégovine afin de
prévenir le massacre de Srebrenica).
125. L’autre argument avancé concerne les ordonnances que la Cour a
rendues le 8 avril 1993 ainsi que le 13 septembre 1993, pour indiquer des
mesures conservatoires précisant que «la RFY était ... soumise à des obli-

gations très spécifiques du fait des deux ordonnances en indication de
mesures conservatoires» (arrêt, par. 435).
Il est possible de formuler deux observations au sujet de cette conclu-
sion particulière de la majorité.
Premièrement, le caractère obligatoire de l’ordonnance indiquant des

mesures conservatoires n’a été exprimé qu’à l’époque de l’affaire LaGrand
(C.I.J. Recueil 2001, p. 503, par. 102). Avant cette affaire, la force obli-
gatoire de l’ordonnance en indication de mesures conservatoires ne pou-
vait pas être tenue pour établie. Ce fait est confirmé par l’ordonnance du

13 septembre 1993 elle-même. Au paragraphe 58 de l’ordonnance, la
Cour renvoie à sa conclusion antérieure en l’affaire Nicaragua, qui est
celle-ci: «lorsque la Cour conclut que la situation exige l’adoption de
mesures de ce genre, il incombe à chaque partie de prendre sérieusement
en considération les indications ainsi données...» (Activités militaires et

paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis
d’Amérique), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986 , p. 144, par. 289), ajou-
tant qu’«il en va particulièrement ainsi dans une situation telle qu’elle se
présente actuellement en Bosnie-Herzégovine» (Application de la conven-
tion pour la prévention et la répression du crime de génocide, mesures

conservatoires, ordonnance du 13 septembre 1993, C.I.J. Recueil 1993 ,
p. 349).
Deuxièmement, cet argument n’est guère justifié, puisque les ordon-
nances indiquent nettement qu’il s’agit en fait d’une décision provisoire
par excellence. Celles-ci prévoient

«des conditions pratiquement illimitées, mal définies et vagues
concernant l’exercice de la responsabilité du défendeur dans l’exécu-

tion de l’ordonnance de la Cour et l’exposent à des accusations
infondées de ne pas de conformer à cette mesure conservatoire»
(Application de la convention pour la prévention et la répression du
crime de génocide, mesures conservatoires, ordonnance du 8 avril
1993, C.I.J. Recueil 1993 , déclaration du juge Tarassov, p. 27).

Un fait encore plus remarquable est que les mesures ont été indiquées
lors d’une phase de la procédure qui ne permettait à la Cour «d’avoir

qu’une idée provisoire et simplement prima facie du dossier» (Questions
d’interprétation et d’application de la convention de Montréal de 1971
résultant de l’incident aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne
c. Royaume-Uni), mesures conservatoires, ordonnance du 14 avril 1992,
C.I.J. Recueil 1992,p.33 ). Ces mesures conservatoires touchaient de si

près à l’objet de l’affaire que la Cour risquait de créer un estoppel à
l’égard des faits allégués par une partie.

511551 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP. OP. KRECu )

In fact, the Orders, dealing with the events during the civil war in Bos-
nia and Herzegovina, for the first time used the qualification “genocide”.

The word “genocide” appeared in Security Council resolutions for the
first time on 16 April 1993 when the Council took note of the Order of
8 April 1993 122. Even the resolution creating the ad hoc Tribunal for the
former Yugoslavia of 8 May 1993 did not refer to genocide.

The authority of the Court is obviously tremendous, but it would be
appropriate for the Court to strike a balance between its authority and its
responsibility in each particular case. Judicial caution and strict observ-
ance of its competencies in every phase of the dispute are conducive not

only to the desirable but also necessary balance between judicial author-
ity and judicial responsibility. Otherwise, there is a danger of the abuse of
the judicial function.

2.3. The duty not to commit genocide

126. According to the majority view, the duty not to commit is an
implied duty, “necessarily implie[d]” by the obligation to prevent (Judg-
ment, para. 166).
The reasoning behind this view is that

“That obligation [to prevent] requires the States parties, inter alia,
to employ the means at their disposal . . . to prevent persons or

groups not directly under their authority from committing an act of
genocide or any of the other acts mentioned in Article III. It would
be paradoxical if States were thus under an obligation to prevent, so
far as within their power, commission of genocide by persons over
whom they have a certain influence, but were not forbidden to com-

mit such acts through their own organs, or persons over whom they
have such firm control that their conduct is attributable to the State
concerned under international law.” (Judgment, para. 166.)

The antecedent question in that regard is whether the duty of a Con-
tracting Party to the Convention, of a criminal law nature, can be
imposed by implication?
The answer is if anything negative rather than positive. The interpreta-

tion according to which the duty not to commit genocide is necessarily
included within the undertaking to prevent, irrespective of the way in
which, rightly or wrongly, prevention is perceived, is a demonstration of
an impermissibly extensive interpretation of the Convention. Moreover,

it runs counter to the very heart of the principle of legality in interna-
tional criminal law. There is no reason for recourse to an extensive inter-

122United Nations doc. S/Res/819, 1993.

512 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KRECA ) 551
u

En fait, c’est dans ces ordonnances consacrées aux événements inter-
venus lors de la guerre civile en Bosnie-Herzégovine que fut utilisée pour
la première fois la qualification de «génocide». La première apparition

du terme «génocide» dans des résolutions du Conseil de sécurité remonte
au 16 avril 1993, lorsque le Conseil prit acte de l’ordonnance du
8 avril 1993 12. La résolution du 8 mai 1993 portant création du tribunal
ad hoc pour l’ex-Yougoslavie ne faisait pas même mention du génocide.
La Cour jouit évidemment d’une autorité considérable, mais il convien-

drait qu’elle trouve un juste milieu entre l’autorité et la responsabilité qui
sont les siennes dans chaque affaire. C’est en faisant preuve de prudence
judiciaire et en se conformant strictement à sa compétence dans chaque
phase du différend qu’elle pourra trouver l’équilibre non seulement dési-

rable, mais aussi nécessaire entre autorité et responsabilité judiciaires.
Sinon, il existe un risque d’abus de la fonction judiciaire.

2.3. L’obligation de ne pas commettre de génocide

126. Pour la majorité, l’obligation de ne pas commettre de génocide
est implicite: il s’agit d’une obligation qu’«implique nécessairement»

celle de prévenir le génocide (arrêt, par 166).
Le raisonnement qui sous-tend cette thèse est que

«L’obligation [de prévenir le génocide] impose notamment aux
Etats parties de mettre en Œuvre les moyens dont ils disposent ... afin
d’empêcher des personnes ou groupes de personnes qui ne relèvent
pas directement de leur autorité de commettre un acte de génocide
ou l’un quelconque des autres actes mentionnés à l’article III. Il

serait paradoxal que les Etats soient ainsi tenus d’empêcher, dans la
mesure de leurs moyens, des personnes sur lesquelles ils peuvent
exercer une certaine influence de commettre le génocide, mais qu’il
ne leur soit pas interdit de commettre eux-mêmes de tels actes par

l’intermédiaire de leurs propres organes, ou des personnes sur
lesquelles ils exercent un contrôle si étroit que le comportement de
celles-ci leur est attribuable selon le droit international.»
(Arrêt, par. 166.)

A cet égard, la question qu’il convient de se poser préalablement est
celle de savoir si l’on peut imposer de manière implicite à une partie
contractante à la Convention une obligation pénale.

A l’évidence, la réponse ne peut être que négative. La thèse selon
laquelle l’obligation de ne pas commettre le génocide serait nécessaire-
ment contenue dans celle de prévenir ce crime et ce, quelle que soit la
manière dont est perçue la prévention — à tort ou à raison —, procède

d’une interprétation extensive de la Convention que l’on ne peut accep-
ter. Elle est en outre contraire à l’essence même du principe de légalité en
droit pénal international. Rien ne justifie le recours à une interprétation

122Nations Unies, doc. S/RES/819 (1993).

512552 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP.OP .KRECu )

pretation of the perpetrator of genocide. The provisions of the Conven-

tion are quite clear in that regard. The terms used in Articles II-VIII of
the Convention are clear on the meaning of the provisions of the Conven-
tion (lex dixit minus quam voluit) , which determine physical persons as
the only perpetrators of genocide, so that there are no grounds whatso-
ever for having recourse to an extensive interpretation.

127. All the more so, as in the case in concreto, by extra-textual inter-
pretation ignoring and nullifying the intention of the Contracting Parties
clearly expressed in the text of the Convention and confirmed by the
travaux préparatoires. In this way the interpretation well exceeds the per-
missible interpretative framework.

The consequence of this would be the imposition of a new obligation
upon the Contracting Parties in contradiction with the general principle
of international law that the duty of a State cannot be presumed but must
be unequivocally established, stressed in particular in the area of interna-

tional criminal law in the light of the strict requirement of nulla crimen
sine lege.

It is rather about re-writing the Convention, by importing an extrane-
ous duty alien to the intention of the Contracting Parties, than its inter-

pretation properly speaking.
Reference to the object and purpose of the Convention, coupled with
reliance on the principle of effectiveness, does not seem convincing. It is
designed in an abstract manner, based merely on particular phrases “pre-
vention of genocide”, detached from the Convention as a whole (see

Competence of the ILO in Regard to International Regulation of the Con-
ditions of Labour of Persons Employed in Agriculture, Advisory Opinion,
1922, P.C.I.J., Series B, No. 2 , p. 23). The principle of effectiveness does
not seem to be properly interpreted in that regard either, or is not appli-
cable as its effects are essentially negative and it is not per se sufficient as

a basis for a proper interpretation of the purpose of the Convention.
128. The majority view is, it appears, based on a certain confusion
between the commission of the crime, i.e., the position of the perpetrator
of the crime of genocide and responsibility for its commission.

When it is a matter of States or other legal entities, the status of the
perpetrator of a crime may be one thing and criminal responsibility for
the crime another.
The obligation of a Contracting Party not to commit genocide is, in
fact, a determination in negative terms that a State is a possible perpe-

trator of genocide.
This determination is strange to say the least. Because it does not take
into account what is known as genus proximus of any crime, including
the crime of genocide.
Any crime is essentially a physical act or omission accompanied by a

guilty mind and as such cannot be committed by entities like States, hav-

513 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KRECu ) 552

extensive pour ce qui concerne l’auteur du génocide. Les dispositions de
la Convention sont très claires à cet égard. Les termes employés aux ar-
ticles II à VIII ne laissent aucun doute quant au sens des dispositions de
ce texte (lex dixit minus quam voluit) , suivant lesquelles seules des per-

sonnes physiques peuvent commettre un génocide. En conséquence, rien,
absolument rien, ne justifie de recourir à une interprétation extensive.
127. Il est encore moins justifié, concrètement, en l’espèce, de recourir
à une interprétation extratextuelle qui ignore et invalide l’intention des
parties contractantes clairement exprimée dans le texte de la Convention

et confirmée par les travaux préparatoires. De ce point de vue, l’interpré-
tation dépasse très nettement le cadre autorisé.
Une telle interprétation aurait pour conséquence d’imposer une obliga-
tion nouvelle aux parties contractantes et ce, en contradiction avec le
principe général du droit international selon lequel une obligation incom-

bant à un Etat ne peut être présumée et doit avoir été établie de manière
non équivoque, principe sur lequel il est particulièrement mis l’accent en
droit pénal international compte tenu des exigences strictes qui entourent
la règle nullum crimen sine lege.

Il s’agit donc là d’une réécriture de la Convention par incorporation
d’une obligation nouvelle, étrangère à l’intention des parties contrac-
tantes, et non d’une interprétation stricto sensu.
La référence à l’objet et au but de la Convention et la confiance dans le
principe de l’effet utile ne semblent guère convaincantes. Elle est énoncée

de manière abstraite, par quelques mots — «prévention du génocide» —
qui sont détachés du reste de la Convention (voir Compétence de l’OIT
pour la réglementation internationale des conditions du travail des per-
sonnes employées dans l’agriculture, avis consultatif, 1922 , C.P.J.I.
série B n 2, p. 23). Le principe de l’effet utile semble, en outre, ne pas

être correctement interprété à cet égard non plus, ou n’être pas applicable,
car ses effets sont essentiellement négatifs et il ne suffit pas per se comme
fondement à une interprétation correcte du but de la convention.
128. L’opinion de la majorité semble résulter d’une certaine confusion

entre la perpétration du crime — c’est-à-dire la situation dans laquelle se
trouve l’auteur du crime de génocide — et la responsabilité découlant de
cet acte.
Lorsque des Etats ou d’autres entités juridiques sont en cause, le statut
de l’auteur du crime et la responsabilité pénale découlant de sa perpé-

tration peuvent être deux choses distinctes.
Le fait qu’une partie contractante ait pour obligation de ne pas com-
mettre de génocide signifierait, en réalité, implicitement qu’un Etat peut
être l’auteur d’un génocide.

Cette thèse est pour le moins étrange. En effet, elle ne tient pas compte
de ce que l’on appelle le genus proximus qui caractérise tout crime, y
compris le crime de génocide.
Un crime, quel qu’il soit, est avant tout un acte physique ou une omis-
sion présentant un élément moral, qui — en tant que tel — ne peut être

513553 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION SEP .OP. KRECu )

ing neither body capable of undertaking physical, corporal acts nor its

own will. It is an axiomatic matter that also produces real consequences
in the criminal law area.

That a State, like any other legal entity, can be held liable in terms of
criminal law for crimes committed by physical persons, is another matter.

The criminal responsibility of legal persons is, however, fictional in con-
trast to the real criminal responsibility of natural persons. It is estab-
lished as a legal fiction (fictio legalis) in the form of a specific legal norm.

A modern offshoot of this legal fiction, developed as far back as

canonic and mediaeval law under the influence of Bartolus, is municipal
corporate criminal liability based either on the identification of acts of
certain natural persons with corporate acts or imputation as a form of
vicarious liability.

It seems that, for the majority view, corporate criminal responsibility
has served as a basis for analogy. If so, this approach is completely erro-
neous. Analogy, as a form of interpretation, has only minor application
in criminal law, even under the condition that it remain intra legem i.e.,

only if a new rule is not created, which is exactly the case in concreto.

But far more important is another aspect. Corporate criminal respon-
sibility, as a legal fiction, is established in national criminal laws by a spe-
cific legal rule. Such a legal rule is not known to the Genocide Conven-

tion or to positive international law, either.

However, this does not mean that the criminal responsibility of States
or international organizations will not in future have a place in positive
international law. But the Court “as a court of law, cannot render judg-

ment sub specie legis ferendae , or anticipate the law before the legislator
has laid it down” (Fisheries Jurisdiction (United Kingdom v. Iceland),
Judgment, I.C.J. Reports 1974, pp. 23-24, para. 53; Fisheries Jurisdiction
(Federal Republic of Germany v. Iceland), Judgment, I.C.J. Reports
1974, p. 192, para. 45).

129. As regards the responsibility of a State for the commission of
genocide, the majority view is not free from legal difficulties either. They
are of two kinds.
Primo, if a State as a person is capable of committing genocide,
then the criminal responsibility of the State as a perpetrator is a

natural and inevitable consequence. The Judgment, however, speaks
only of the “responsibility” or the “international responsibility”
of a State in that regard, which is certainly not irrelevant in
the context of the meaning of the expression “responsibility of a
State”.

Secundo, the basis for the responsibility of a State for genocide com-
mitted is determined in an unclear and contradictory manner.

514 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND .KRECu ) 553

commis par des entités telles que des Etats, lesquels ne possèdent ni attri-

buts physiques leur permettant d’accomplir des actes physiques ou maté-
riels, ni volonté propre. Bien qu’il s’agisse là d’une évidence, cela a de
réelles implications en droit pénal.
Le fait qu’un Etat, comme toute autre entité juridique, puisse être tenu
pour responsable au regard du droit pénal à raison de crimes commis par

des personnes physiques est fort différent. La responsabilité pénale des
personnes morales est, toutefois, une fiction par rapport à la responsabi-
lité pénale bien réelle des personnes physiques. Elle est établie comme une
fiction juridique (fictio legalis) par une règle spéciale.
L’une des versions modernes de cette fiction juridique, dont les origines

remontent au droit canonique et médiéval élaboré sous l’influence de
Bartolus, est, en droit national, la responsabilité pénale des personnes
morales qui consiste à considérer certains actes commis par des personnes
physiques comme étant commis par la personne morale en question, ou à

recourir à l’imputation comme forme de responsabilité par procuration.
Il semblerait que la majorité se soit inspirée de la responsabilité pénale
des personnes morales et qu’elle ait procédé par analogie. Si tel est le cas,
l’approche est totalement erronée. En tant que méthode d’interprétation,
l’analogie n’a qu’un champ d’application limité en droit pénal, et ce

même lorsqu’elle reste intra legem, c’est-à-dire qu’elle ne crée pas de règle
nouvelle, ce qui est pourtant le cas en l’espèce.
Un autre aspect est toutefois bien plus important. La responsabilité
pénale des personnes morales, en tant que fiction juridique, est établie en
droit pénal interne par des règles juridiques spéciales. Or, aussi bien la

convention sur le génocide que le droit international positif ignorent de
telles règles.
Cela ne signifie cependant pas que la responsabilité pénale des Etats ou
des organisations internationales n’aura pas, un jour, sa place en droit
international positif. Néanmoins, la Cour «en tant que tribunal, ne sau-

rait rendre de décisions sub specie legis ferendae , ni énoncer le droit avant
que le législateur l’ait édicté» (affaire de la Compétence en matière de
pêcheries (Royaume-Uni c. Islande), arrêt, C.I.J. Recueil 1974 , p. 23-24,
par. 53; Compétence en matière de pêcheries (République fédérale d’Alle-
magne c. Islande), arrêt, C.I.J. Recueil 1974 , p. 192, par. 45).

129. S’agissant de la responsabilité d’un Etat à raison de la perpétra-
tion d’un génocide, l’opinion de la majorité de la Cour ne laisse pas non
plus de susciter des difficultés juridiques. Celles-ci sont de deux ordres.
Premièrement, si un Etat peut, au même titre qu’une personne,
commettre un génocide, alors la responsabilité pénale de l’Etat

en tant qu’auteur de ce crime est une conséquence naturelle et inévi-
table. L’arrêt n’évoque cependant que la «responsabilité» ou la
«responsabilité internationale» d’un Etat à cet égard, ce qui n’est
certainement pas sans pertinence s’agissant du sens de l’expression
«responsabilité d’un Etat».

Deuxièmement, le fondement de la responsabilité d’un Etat pour géno-
cide est défini de manière peu claire et contradictoire.

514554 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP. OP. KRECu )

If, arguendo, a State is a potential perpetrator of genocide, then its
criminal responsibility is original and genuine.

According to the majority, however,

“if an organ of the State, or a person or group whose acts are legally
attributable to the State, commits any of the acts proscribed by Arti-
cle III of the Convention, the international responsibility of that
State is incurred” (Judgment, para. 179).

The responsibility of a State is, consequently, based on acts of the organs
of the State or a personality or group which have committed the prohib-

ited acts listed in Article III of the Convention and which are legally
attributable to the State. Attribution as a legal operation seems unneces-
sary if the responsibility of the State for genocide is original and genuine,
as implied by the determination of the State as a possible perpetrator.

2.4. The duty to punish

130. Some elements of the reasoning of the majority as regards com-
pliance with the duty to punish by the Respondent, are formulated in a

manner which, with respect to the standards of judicial reasoning, coin-
cides in too high a degree with the demands of some international politi-
cal institutions and some States addressed to the Respondent. It acted, in
concreto, as a principal judicial organ in the formal rather than the sub-
stantive sense 12.

That high degree of coincidence relating primarily to the findings of
the Court with the political demands addressed to the Respondent is con-
spicuous in particular in paragraph 449 of the Judgment.
Instituting a proper proceeding against persons accused of genocide is

one thing, but the duty to punish such persons is quite another. It is par-
ticularly striking that the majority passed in silence over this difference
affecting the very substance of the fundamental principle of presumption
of innocence.

Furthermore, the question is posed whether the Respondent “failed to
punish” at all having in mind the assumed international obligations as
regards persons indicted by the ICTY.
It is a matter of public knowledge that Presidents Izetbegovic ´, Miloše-

vi´ and Tudjman, at the meeting held in Rome from 17 to 18 February
1996, convened by the then European Union President, S. Agnelli, at
which, in addition to the three presidents, also participated United States
Assistant Secretary of State R. Holbrooke, High Representative C. Bildt,

IFOR Commander Admiral L. Smith, Commander of the United States
forces General Joulwan and others, undertook to:

123On the difference, see Shabtai Rosenne, The Law and Practice of the International
Court, 1920-2005, I, p. 107.

515 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KRECu ) 554

Supposons, aux fins de l’argumentation, qu’un Etat puisse être l’auteur
d’un génocide; dans ce cas, sa responsabilité pénale est originelle et réelle.

La majorité estime cependant que

«si un organe de l’Etat ou une personne ou un groupe de personnes
dont les actes sont juridiquement attribuables à l’Etat en question
commet l’un des actes prohibés par l’article III de la Convention, la
responsabilité internationale de celui-ci est engagée» (arrêt, par. 179).

Dès lors, la responsabilité de l’Etat est fondée sur des actes commis par
les organes de cet Etat, ou par une personne ou un groupe ayant commis

l’un des actes prohibés par l’article III de la Convention, lesquels sont
juridiquement attribuables à l’Etat . L’opération juridique d’attribution ne
semble cependant pas nécessaire si la responsabilité de l’Etat pour géno-
cide est originelle et réelle, comme l’implique le fait de définir l’Etat

comme un auteur potentiel de ce crime.

2.4. L’obligation de punir

130. Certains éléments du raisonnement de la majorité, quand il s’agit
du respect par le défendeur de l’obligation de punir, sont formulés d’une

manière qui, au regard des critères du raisonnement juridique, ressemble
par trop aux demandes adressées au défendeur par certaines institutions
politiques internationales et certains Etats. En l’espèce, c’est sur un plan
formel et non sur le fond 123que la Cour a agi en tant que principal
organe judiciaire.

Cette forte ressemblance, qui vaut principalement pour les conclusions
de la Cour et les demandes d’ordre politique adressées au défendeur, est
particulièrement manifeste au paragraphe 449 de l’arrêt.
Engager une procédure appropriée à l’encontre d’une personne accusée

de génocide est une chose, l’obligation de punir cette personne en est une
autre. Il est particulièrement frappant que la majorité ait passé sous
silence cette distinction qui touche à l’essence même du principe fonda-
mental de la présomption d’innocence.

Se pose en outre la question de savoir si le défendeur a manqué à son
«obligation de punir», au sens des obligations internationales s’agissant
des personnes poursuivies par le TPIY.
Comme chacun sait, lors de la réunion tenue à Rome les 17 et 18

février 1996 à l’initiative du président de l’Union européenne de l’époque,
S. Agnelli — réunion à laquelle ont participé également le secrétaire
d’Etat adjoint des Etats-Unis d’Amérique, M. Holbrooke, le haut repré-
sentant, M. Bildt, le commandant de l’IFOR, l’amiral Smith, le comman-

dant des forces américaines, le général Joulwan, parmi d’autres personna-
lités — les présidents Izetbegovic´, Miloševic´ et Tudjman convinrent que

123Sur cette distinction, voir Shabtai Rosenne, The Law and Practice of the Inter-
national Court, 1920-2005, I, p. 107.

515555 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP. OP. KRECu )

“Persons other than those already indicted by the International Tri-

bunal, may be arrested and detained for serious violations of inter-
national humanitarian law only pursuant to previously issued order,
warrant or indictment that has been reviewed and deemed consistent

with international legal standards by the International Tribunal.
Procedures will be developed for expeditious decision by the Tribu-
nal and will be effective immediately upon such action.” 124

Consequently, the Respondent was not in a legal position to sentence
anyone for genocide so far, nor did the Applicant, either. In October
2004, Prosecutor Carla del Ponte completed scrutinizing the applications
submitted in Bosnia and Herzegovina and, within the framework of the

completion strategy of the ICTY, handed to the Government of BiH to
be prosecuted or in which criminal proceedings can be instituted 125.

To charge the Respondent with lack of co-operation with the ICTY on
the basis of the fact that one of the indicted persons has not been
arrested, and in the absence of credible evidence that he is on the
Respondent’s territory, runs counter to the principle that negative facts

are not subject to being proved in the judicial proceedings. In particular,
if it is borne in mind that the Respondent, either by arresting or by hand-
ing over the indicted individuals who gave themselves up voluntarily,
clearly demonstrated its attitude to the matter. I am of the opinion that a

State that delivered to the ICTY in the described way 37 indicted indi-
viduals, including almost the complete political and military leadership,
could hardly be accused of lack of co-operation in terms of a proper judi-
cial reasoning.

A kind of formulation resembling those contained in the communiqués
of international institutions could be also found in a part of the dispositif
relating to the particular question. It is stated therein, inter alia, that the

Respondent shall immediately take effective steps in order “to transfer
individuals accused of genocide and any of the other acts prescribed by
Article III of the Convention”, although it is a matter of public know-
ledge that these persons have not been arrested.

In addition, there is the question as to whether the ICTY can be
considered an “international penal tribunal” within the meaning of
Article VI of the Convention.

The enthusiastic “definitely — yes” is accompanied by a not very con-
vincing explanation:

“The notion of an ‘international penal tribunal’ within the mean-

124
Rome communiqué, Sect. 5, on “Cooperation on War Crimes and Respect for
Hu125 Rights”, http://www.barns-dle.demon.co.uk/bosnia/mostar.html.
http://www.un.org/icty/glance-e/index.htm.

516 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND .KRECu ) 555

«les personnes autres que celles qui sont déjà accusées par le Tribu-

nal ne peuvent être arrêtées ou détenues pour des violations graves
du droit international humanitaire qu’en vertu d’une décision, d’un
mandat ou d’un acte d’accusation émis précédemment qui a fait

l’objet d’un examen et a été jugé conforme aux règles de droit inter-
national par le Tribunal. Des procédures permettant au Tribunal de
se prononcer rapidement seront élaborées et seront immédiatement
mises en mouvement dès que de tels cas se présenteront.» 124

Dès lors, ni le défendeur ni le demandeur n’étaient juridiquement en
mesure de condamner qui que ce soit pour génocide. En octobre 2004, le
procureur général, Carla del Ponte, acheva son examen des plaintes
déposées en Bosnie-Herzégovine et, dans le cadre de la fermeture progres-

sive du TPIY, les remit au Gouvernement de la Bosnie-Herzégovine pour
qu’il y soit donné suite et pour que des poursuites pénales 125 soient
engagées.

Accuser le défendeur de ne pas avoir coopéré avec le TPIY au motif
que l’une des personnes mises en accusation n’a pas été arrêtée, et ce en
l’absence d’éléments de preuve crédibles attestant que l’intéressé se trouve
sur le territoire du défendeur, est contraire au principe selon lequel les

faits négatifs n’ont pas à être prouvés dans le cadre d’une procédure judi-
ciaire. Cela est d’autant plus vrai si l’on se souvient que le défendeur, en
arrêtant ou en extradant les individus mis en accusation qui se sont ren-
dus volontairement, a clairement démontré sa position à cet égard.

J’estime qu’un Etat qui a ainsi livré au TPIY trente-sept personnes mises
en accusation, dont la quasi-totalité des membres des autorités politiques
et militaires, peut difficilement être accusé de ne pas avoir coopéré d’un
strict point de vue juridique.

Un autre exemple de formulation semblable à celles contenues dans les
communiqués émanant d’institutions internationales figure dans la partie
du dispositif qui se rapporte précisément à cette question. Il y est notam-

ment indiqué que le défendeur doit prendre immédiatement des mesures
effectives pour «transférer les personnes accusées de génocide ou de l’un
quelconque de ces autres actes [prohibés par l’article III de la Conven-
tion]» (les italiques sont de moi), alors même qu’il est de notoriété

publique que ces personnes n’ont pas été arrêtées.
Se pose également la question de savoir si le TPIY peut être considéré
comme un «tribunal pénal international» au sens de l’article VI de la
Convention.

La réponse enthousiaste consistant à dire «oui, assurément» repose sur
une explication qui n’est pas très convaincante:

«La notion de «cour criminelle internationale» au sens de l’ar-

124
Rome communiqué, Sect. 5, «Cooperation on War Crimes and Respect for Human
Ri125s», http://www.barns-dle.demon.co.uk/bosnia/mostar.html.
http://www.un.org/icty/glance-e/index.htm.

516556 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION SEP .OP .KRECu )

ing of Article VI must at least cover all international criminal courts

created after the adoption of the Convention . . . of potentially
universal scope, and competent to try the perpetrators of genocide or
any of the other acts enumerated in Article III. The nature of the
legal instrument by which such a court is established is without

importance in this respect. ” (Judgment, para. 445; emphasis added).

Having no intention to concern ourselves with the issue substantively,
we cannot help asking how it is possible that “[t]he nature of the legal
instrument [is] . . . without importance” without a previous assessment of
whether the Security Council resolution is a legal instrument stricto sensu

or something else, or that “Article VI must at least cover all international
criminal courts created . . .” without the qualification that the “creation”
should be in accordance with international law.

In fact, any interpretation conducive, directly or indirectly, to the
legitimization or de-legitimization of the ICTY probably does not accord

with the judicial caution dictated by the specific circumstances of the
establishment of the ICTY on the one hand, and the contentious nature
of the present proceedings on the other.
And, if the intention of the Court was to address the issue substan-

tively in the sense of whether the ICTY is a legally established and com-
petent international criminal court in the terms of Article VI of the Con-
vention or is a judicial body based on selective and vindictive justice, then
the Court should have evaluated all the relevant arguments pro et contra

in order to arrive at the proper conclusion.
For the issue of the legality of the ICTY has even now not been solved
in a judicially meritorious way. The only judicial pronouncement on the
matter — that of the ICTY itself in the Tadic ´ case126 — can hardly be

taken as meritorious in the light of the fundamental principle of nemo
iudex in causa sua.

3. Responsibility issue

3.1. The Convention and the issue of responsibility

131. The wording “responsibility of a State for genocide or for any
of the other acts enumerated in Article III” is abstract and broad
in its vagueness, particularly in terms of the Convention on Criminal

Law.

126Decision on the Defence Motion on Jurisdiction , 10 August 1995, paras. 1-40; Deci-
sion on the Defence Motion for Interlocutory Appeal on Jurisdiction , 2 October 1995,
paras. 26-48.

517 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND .KRECu ) 556

ticle VI doit s’entendre au moins de toute juridiction pénale interna-
tionale créée après l’adoption de la Convention ... à vocation poten-

tiellement universelle et compétente pour juger les auteurs d’un géno-
cide ou de l’un quelconque des autres actes énumérés à l’article III.
Peu importe, à cet égard, la nature de l’instrument juridique en
vertu duquel cette juridiction est créée.» (Arrêt, par. 445; les italiques

sont de moi.)
Bien que n’ayant nullement l’intention de m’intéresser à cette question

de manière approfondie, je me demande comment il est possible d’affir-
mer que «la nature de l’instrument juridique en vertu duquel cette juri-
diction est créée [importe peu]», sans qu’il ait été préalablement établi
que les résolutions du Conseil de sécurité sont ou non des instruments

juridiques stricto sensu ou autre chose, ou que «l’article VI doit s’enten-
dre au moins de toute juridiction pénale internationale créée», sans qu’il
soit précisé que cette «création» doit avoir eu lieu conformément au droit
international.

En réalité, toute interprétation portant directement ou indirectement
légitimation ou, à l’inverse, absence de légitimation du TPIY n’est certai-
nement pas compatible avec la prudence judiciaire qu’imposent, d’une
part, les circonstances particulières dans lesquelles ce tribunal a été créé

et, d’autre part, le caractère contentieux de la présente espèce.
En outre, si l’intention de la Cour était de se pencher sur le fond de la
question, c’est-à-dire de chercher à savoir si le TPIY avait été établi de
manière juridiquement valable et était compétent aux termes de l’ar-

ticle VI de la Convention ou d’un organe judiciaire qui serait le fruit d’une
justice sélective et militante, elle aurait dû examiner tous les arguments
pertinents pro et contra afin de parvenir à la bonne conclusion.
En effet, la question de la licéité du TPIY n’a pas même à ce jour été
jamais tranchée au terme d’une procédure judiciaire irréprochable. La

seule décision judiciaire sur cette question — à savoir celle rendue par le
TPIY lui-même dans l’affaire Tadic ´126 — ne peut guère être considérée
comme irréprochable à la lumière du principe fondamental nemo judex in
causa sua.

3. La question de la responsabilité

3.1. La Convention et la question de la responsabilité

131. L’expression «responsabilité d’un Etat en matière de génocide ou
de l’un quelconque des autres actes énumérés à l’article III» est abstraite

et son caractère vague la rend fort englobante, notamment au regard de
la convention sur le droit pénal.

126Décision relative à l’exception préjudicielle d’incompétence soulevée par la défense ,
10 août 1995, par. 1-40; Arrêt relatif à l’appel de la défense concernant l’exception préju-
dicielle d’incompétence , 2 octobre 1995, par. 26-48.

517557 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION SEP .OP .KRECu )

In international law the term “responsibility” 127 may, and is indeed,
used lato sensu and stricto sensu.

Perceived lato sensu, responsibility takes several forms:

(i) Responsibility in the ordinary sense, meaning that the author of an
act bears its consequences. As an illustration, one may mention the
position of Judge Anzilotti in the Polish Agrarian Reform case
(Interim Protection) when saying that “a government should bear

the consequences of the wording of a document for which it is
responsible”( Order of 29 July 1933, P.C.I.J., Series A/B, No. 58 ,
p. 182; emphasis added)
(ii) Moral or political responsibility. It implies that the author of an act

has a moral or political obligation to repair prejudicial consequences
that the act has produced to other persons. Exempli causa, the Ger-
man–United States Mixed Claims Commission (1922) held that
“Germany’s responsibility for all loss and damage suffered as a con-

sequence of the war — [is] a moral responsibility” (Administrative
Decision No. II (1923), para. 5, p. 15. Emphasis of the Commission;
also, Russian Indemnity case (1912), 1 HCR, p. 547).

(iii) Responsibility in legal terms. This meaning could be taken as signi-
fying responsibility stricto sensu. But “responsibility in legal terms”
or “legal responsibility” is rather a general expression than a precise
qualification. It includes two ontologically different forms — civil

and criminal responsibility that must be specified in each particular
case.

As regards the expression “responsibility of a State for genocide” used
in Article IX, it is unclear whether it relates to responsibility lato sensu or

stricto sensu; a fortiori , if one has in mind a significant difference
between the English and the French versions of the text of Article IX
being “equally authentic” under Article X of the Convention. While in
the English version of the text of Article IX it is said, inter alia, “respon-

sibility of a State for genocide”, in the French text the expression “respon-
sabilité d’un Etat en matière de génocide” has been used (emphasis
added). The latter expression is much closer to the lato sensu than to the
stricto sensu use of the term “responsibility”.

In particular, if it is borne in mind that reference to State responsibility
and jurisdiction of the International Court of Justice was made in order
to strengthen the effectiveness of the Convention. For, it was considered

that in time of peace it is virtually impossible to exercise any effective
international or national jurisdiction over rulers or heads of State (Offi-

127Bin Cheng, op. cit.

518 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND .KRECu ) 557

En droit international, le terme «responsabilité» 127 peut être utilisé

lato sensu et stricto sensu, ce qui est d’ailleurs le cas.
Considérée lato sensu, la responsabilité revêt diverses formes:

i) La responsabilité au sens courant, c’est-à-dire que l’auteur d’un acte
en assume les conséquences. A titre d’exemple, l’on peut citer la posi-
tion du juge Anzilotti dans l’affaire relative à la Réforme agraire

polonaise et minorité allemande (mesures conservatoires) lorsqu’il
indiqua qu’«un gouvernement [doit] supporte[r] les conséquences de
la rédaction peu claire d’un document qui émane de lui »( C.P.J.I.
série A/B n 58, p. 182; les italiques sont de moi).

ii) La responsabilité morale ou politique. Cela implique que l’auteur
d’un acte a une obligation morale et politique de réparer les consé-
quences de son acte qui ont porté préjudice à d’autres personnes.
Ainsi la commission mixte des réclamations Etats-Unis-Allemagne

(1922) a-t-elle jugé que «la responsabilité de l’Allemagne pour
l’ensemble des pertes et dommages subis du fait de la guerre [était]
une responsabilité morale » [traduction du Greffe] (décision adminis-
trative n II (1923), par. 5, p. 15; les italiques sont dans l’original;

voir également l’affaire des Indemnités russes (1912), HCR, vol. 1,
p. 547).
iii) La responsabilité d’un point de vue juridique. Cela pourrait être
interprété comme désignant la responsabilité stricto sensu. Toutefois,

la «responsabilité d’un point de vue juridique», ou «responsabilité
juridique», est plus une expression générale qu’une qualification
précise. Elle regroupe deux formes intrinsèquement différentes de
responsabilité — la responsabilité civile et la responsabilité pénale,

lesquelles doivent être précisées au cas par cas.

S’agissant de l’expression «responsabilité d’un Etat en matière de
génocide» employée à l’article IX, le fait qu’elle ait trait à la responsabi-
lité lato sensu ou stricto sensu n’est pas clair. Tel est, à fortiori, le cas si

l’on estime qu’existe une différence significative entre les versions anglaise
et française de l’article IX, lesquelles font «également foi» aux termes de
l’article X de la Convention. Alors que la version anglaise du texte de
l’article IX parle, notamment, de «responsibility of a State for genocide»,

dans le texte français, l’expression est «responsabilité d’un Etat en matière
de génocide » (les italiques sont de moi). Cette dernière formule est bien
plus proche du sens général du terme «responsabilité» que de son sens
strict.

Cela est d’autant plus vrai si l’on garde à l’esprit le fait que la référence
à la responsabilité de l’Etat et à la compétence de la Cour internationale
de Justice avait pour but de renforcer l’efficacité de la Convention. L’on
estimait en effet qu’en temps de paix il était quasiment impossible que

s’exerce une compétence nationale ou internationale effective à l’égard de

127B. Cheng, op. cit.

518558 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP. OP .KRECu )

cial Records of the General Assembly, Third Session, Part I, Sixth Com-
mittee, 103rd meeting, p. 430, and 104th meeting, pp. 436, 444).

Hence, the term “responsibility” may be understood also in the sense
of “obligation”, so that Article IX would give the

“International Court of Justice jurisdiction for disputes arising
between States parties about the ‘interpretation, application and ful-

filment’ of the various obligations that arise with respect to the spe-
cific obligations set out in the Convention, that is, prosecution,
extradition and enactment of domestic legislation” 128.

132. The substantive provisions of the Convention established indi-
vidual responsibility for genocide exclusively, either directly or indirectly.

A direct reference to individual criminal responsibility is made in Arti-
cles IV, V, VI and VII. The travaux préparatoires, especially those relat-
ing to Articles IV and VI (of particular significance for this particular

issue) confirm the plain and natural meaning of the Articles referred to in
that regard. In the discussions in the Sixth Committee on Article IV, the
United Kingdom submitted an amendment 129aimed at establishing State
130
responsibility for genocide. The amendment submitted by Belgium
was along the same lines. The amendments were rejected for reasons
summarized by the Special Rapporteur, Mr. Ruhashyankiko, as follows:

“international practice since the Second World War has constantly
applied the principle of individual criminal responsibility for crimes
131
of international law, including those of genocide” .

An indirect way of expressing the same ideas is found in the provisions

of Articles I, II and III. The notion of a “crime under international law”,
contained in Article I of the Convention is related, in positive interna-
tional law — apart from projects de lege ferenda — to actions or omis-

sions of the individual exclusively. Articles II and III, dealing specifically
with the legal determination of the crime of genocide and punishable acts
under the Convention respectively, express, by their style and content,

the understanding that a State, as an abstract legal personality without a

128W. Schabas, Genocide in International Law , 2000, p. 434.
129United Nations doc. A/C.6/236 and Corr.1.
130United Nations doc. 6/SR95.
131Mr. N. Ruhashyankiko, Special Rapporteur, op. cit., p. 36, para. 151. Also, the
draft Code of Offences against the Peace and Security of Mankind, Report of the ILC on

the work of its Thirty-sixth Session, 7 May to 27 July 1984, doc. A/39/10, YILC (1984), II,
Part Two, p. 11, para. 32.

519 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP . IND .KRECu ) 558

dirigeants ou de chefs d’Etat (Documents officiels de l’Assemblée géné-
rale, troisième session, première partie , 103 séance, p. 430, et 104 séance,
p. 436 et 444).

Ainsi, le terme «responsabilité» peut également être compris comme
signifiant «obligation», de sorte que l’article IX conférerait à

««la Cour internationale de Justice compétence à l’égard de diffé-

rends entre Etats parties» au sujet de «l’interprétation, l’application
et l’exécution» de diverses obligations nées d’obligations spécifiques
énoncées dans la Convention, à savoir la poursuite, l’extradition et
128
l’adoption de mesures législatives» .

132. Les dispositions de fond de la Convention établissent exclusive-
ment la responsabilité individuelle pour génocide, de manière directe ou

indirecte.
Les articles IV, V, VI et VII font directement référence à la responsa-
bilité pénale individuelle. Les travaux préparatoires, notamment ceux des

articles IV et VI (qui revêtent une importance particulière pour l’examen
de la question à l’étude), confirment le sens clair et naturel des articles
auxquels il est fait référence à cet égard. Lors de débats menés au sein de

la Sixième Commission au sujet de l’article IV, le Royaume-Uni a pré-
senté un amendement 129qui avait pour objet d’établir la responsabilité
étatique pour génocide. L’amendement présenté par la Belgique 130 allait

dans le même sens. Ces amendements ont été rejetés pour des raisons
résumées par le rapporteur spécial, M. Ruhashyankiko, de la manière
suivante:

«la pratique internationale d’après la seconde guerre mondiale a fait
constamment application du principe de la responsabilité pénale
individuelle en matière de crimes de droit international parmi les-
131
quels se place le génocide» .

Une expression indirecte des mêmes idées figure dans les dispositions
des articles I, II et III. La notion de «crime du droit des gens», énoncée

à l’article premier de la Convention, renvoie en droit international positif
— à l’exception des projets de lege ferenda — à des actes ou omissions
commis exclusivement par des individus. Les articles II et III, lesquels

traitent spécifiquement de la définition juridique du crime de génocide et
des actes punissables en vertu de la Convention, respectivement, et
expriment par leur formulation et leur contenu l’idée qu’un Etat, en tant

128W. Schabas, Genocide in International Law , 2000, p. 434.
129Nations Unies, doc. A/C.6/236 et corr.1.
130Nations Unies, doc. A/SR95.
131M. N. Ruhashyankiko, rapporteur spécial, op. cit., p. 36, par. 151. Voir également
le Projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, Rapport de la
Commission du droit international sur les travaux de sa trente-sixième session (7 mai-
27 juillet 1984) (doc. A/39/10, Annuaire de la Commission du droit international (1984), II,
2e partie, p. 11, par. 32).

519559 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP. OP. KRECu )

physical body and its own genuine will, cannot be responsible in terms of
criminal law (societas delinquere non potest) .

It appears that none of the substantive provisions of the Convention
provides for any form of responsibility in legal terms for genocide except
the criminal responsibility of the individual.
133. The majority view does not challenge the determination that the

text of the Convention does not by itself establish the responsibility of a
State. It is pointed out that, inter alia,

“It is true that the concepts used in paragraphs (b) to (e) of
Article III . . . refer to well known categories of criminal law and, as
such, appear particularly well adapted to the exercise of penal sanc-
tions against individuals.” (Judgment, para. 167.)

The responsibility of a State for genocide is found, however, in Arti-

cle IX of the Convention. It is effected by the duty of a Contracting Party
“not to commit genocide” in the area of the rules of the responsibility of
States as designed in the ILC Articles expressing present customary inter-
national law (Judgment, para. 414), although the position of the ILC

seems clear in that regard — the Genocide Convention did not envisage 132
State crime or the criminal responsibility of States in its Article IX .

Is Article IX capable of establishing the responsibility of a State for
genocide? The text of Article IX stipulates:

“Disputes between the Contracting Parties relating to the interpre-

tation, application or fulfilment of the present Convention, including
those relating to the responsibility of a State for Genocide or any of
the other acts enumerated in Article III, shall be submitted to the
International Court of Justice at the request of any of the parties to

the dispute.”

134. Article IX of the Convention is, by its nature, a standard com-
promissory clause. As such, its purpose is to determine the jurisdiction of
the Court within the co-ordinates of the interpretation, application
or fulfilment of the substantive provisions of the Convention. As
Manley Hudson correctly concludes:

“The article goes further, however, in ‘including’ among such dis-

putes ‘those relating to the responsibility of a State for genocide or
any of the other acts enumerated in Article III’. As no other provi-
sion in the Convention deals expressly with State responsibility, it is
difficult to see how a dispute concerning such responsibility can be

included among disputes relating to the interpretation or application
or fulfilment of the Convention. In view of the undertaking of the

132Report of the ILC on the work of its Fiftieth Session, 20 April-12 June 1998,
27 July-14 August 1998, United Nations doc. A/53/10 and Corr.1, para. 249.

520 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND .KRECu ) 559

que personne juridique abstraite, sans attributs physiques ni volonté propre,
ne peut être responsable en droit pénal (societas delinquere non potest) .

Ainsi, aucune des dispositions de fond de la Convention ne prévoit
d’autre forme de responsabilité juridique pour génocide que la responsa-
bilité pénale individuelle.
133. La majorité ne conteste pas l’idée que le texte de la Convention

n’établit pas, en soi, la responsabilité de l’Etat. Il est notamment souligné
ceci:

«Il est vrai que les notions utilisées dans les litt. b) à e) de
l’article III ... renvoient à des catégories bien connues du droit pénal,
et paraissent, à ce titre, spécialement adaptées à l’exercice de la
répression pénale contre des individus.» (Arrêt, par. 167.)

Cependant, la responsabilité d’un Etat pour génocide figure à l’ar-

ticle IX de la Convention. Elle découle de l’obligation imposée aux parties
contractantes «de ne pas commettre de génocide» dans le cadre des règles
de la responsabilité des Etats telles qu’énoncées dans les articles de la
CDI, lesquels expriment l’état du droit international coutumier actuel

(par. 414), et ce bien que la position de la CDI — la convention sur le
génocide n’envisageait pas le crime d’Etat ou la responsabilité pénale des
Etats dans son article IX — semble claire à cet égard 132.
L’article IX permet-il d’établir la responsabilité d’un Etat pour géno-
cide? Cet article dispose:

«Les différends entre les Parties contractantes relatifs à l’interpré-

tation, l’application ou l’exécution de la présente Convention, y
compris ceux relatifs à la responsabilité d’un Etat en matière de
génocide ou de l’un quelconque des autres actes énumérés à
l’article III, seront soumis à la Cour internationale de Justice, à la

requête d’une Partie au différend.»

134. L’article IX de la Convention est, par nature, une clause compro-
missoire classique. En tant que tel, son objet est d’établir la compétence
de la Cour pour ce qui concerne l’interprétation, l’application ou le res-
pect des dispositions de fond de la Convention. Ainsi que Manley
Hudson le dit très bien en conclusion:

«L’article va plus loin cependant en déclarant «compris» les dif-

férends «relatifs à la responsabilité d’un Etat en matière de génocide
ou de l’un quelconque des autres actes énumérés à l’article III».
Comme aucune autre disposition de la Convention ne traite expres-
sément de la responsabilité de l’Etat, on voit mal comment un diffé-

rend dont cette responsabilité ferait l’objet pourrait être «compris»
parmi les différends relatifs à l’interprétation, à l’application ou à

132Rapport de la Commission du droit international sur les travaux de sa cinquantième
session, 20 avril-2 juin 1998, 27 juillet-14 août 1998, Nations Unies, doc. A/53/10 et corr.1,
par. 249.

520560 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP. OP. KRECu )

parties in Article I to prevent genocide, it is conceivable that a dis-
pute as to state responsibility may be a dispute as to fulfilment of the

Convention. Yet read as a whole, the Convention refers to the pun-
ishment of individuals only; the punishment of a State is not adum-
brated in any way, and it is excluded from Article V by which the
parties undertake to enact punitive legislation. Hence the ‘responsi-
133
bility of a State’ referred to in Article IX is not criminal liability.”

Jurisdictional clauses are not capable of modifying or revising substan-
tive law. The principle expressing cogent legal considerations is particu-

larly valid as regards the species of conventions which the Genocide Con-
vention belongs to.
The substantive provisions of the Convention belong to corpus juris
cogentis and, as a consequence, can be modified “only by a subsequent

norm of general international law having the same character” (Art. 53 of
the Convention on the Law of Treaties). It is obvious that the rule con-
tained in Article IX is not a “norm of general international law having
the same character” but in fact the rule of jus dispositivum from which

the Contracting Parties can derogate on the basis of discretion. If Arti-
cle IX could modify the legal situation established by the substantive pro-
visions of the Convention, that would, in the optic of the dichotomy jus
cogens/jus dispositivum , be tantamount to saying that at least some par-
ticular rules of jus dispositivum character possess the capacity to modify

the established jus cogens regime. Furthermore, as a matter of practical
consequences, it would follow that a Contracting Party which has made
reservation in regard to Article IX could be relieved of responsibility that
Article IX allegedly imports into the substantive provisions of the Con-

vention.
135. If, arguendo, we hold that the drafters of the Convention, using
the term “responsibility” in Article IX, had in mind responsibility in legal
terms, then it may be taken as certain that they did not contemplate

criminal responsibility of a State.

The Convention does not specifically provide for civil responsibility
of a State for genocide.

The text of the Convention, in its operative part, not only does not con-
tain a specific provision in that regard, but the corresponding general
qualifications, such as “civil responsibility” or indications as “repara-
tion” or “compensation” and the like are also lacking. It is true that men-

tion has been made of “civil responsibility” in the travaux préparatoires
of Article IX, but this fact has a limited meaning considering the con-

133Hudson, “The Twenty-ninth Year of the World Court”, 45 American Journal of
International Law (AJIL) , 1951, cited in M. M. Whiteman, Digest of International Law ,
1968, Vol. 11, p. 857.

521 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND .KRECu ) 560

l’exécution de la Convention. Comme les Parties s’engagent à l’ar-
ticle premier à prévenir le génocide, on peut concevoir qu’un diffé-

rend relatif à la responsabilité d’un Etat soit un différend relatif à
l’exécution de la Convention. Pourtant, si on la considère dans son
ensemble, celle-ci ne vise que le châtiment des individus; elle
n’entrevoit pas du tout la répression des Etats, exclue d’ailleurs à

l’article V, où les Parties s’engagent à prendre les mesures législa-
tives nécessaires. La «responsabilité d’un Etat» dont il est question
à l’article IX n’est donc pas la responsabilité pénale.» 133

Les clauses attributives de compétence ne sauraient modifier ni empor-
ter revision du droit matériel. Ce principe, qui exprime des considérations

juridiques primordiales, est tout particulièrement pertinent pour le type
de conventions auquel appartient la convention sur le génocide.
Comme les dispositions de fond de la Convention appartiennent au
corpus juris cogentis, elles ne peuvent être modifiées «que par une nou-

velle norme du droit international général ayant le même caractère» (ar-
ticle 53 de la convention sur le droit des traités). De toute évidence, la règle
énoncée dans l’article IX n’est pas une «norme du droit international
général ayant le même caractère», c’est une règle du jus dispositivum à

laquelle les parties contractantes peuvent déroger de manière discrétion-
naire. Si l’article IX était susceptible de modifier la situation juridique
établie par les dispositions de fond de la Convention, cela reviendrait, du
point de vue de la dichotomie jus cogens/jus dispositivum , à dire qu’au
moins certaines règles relevant du jus dispositivum sont susceptibles de

modifier le régime établi du jus cogens. En outre, il s’ensuivrait, d’un
point de vue pratique, qu’une partie contractante ayant formulé une
réserve à l’article IX serait libérée de la responsabilité que ledit article IX
ajouterait aux dispositions de fond de la Convention.

135. A supposer, aux seules fins de l’argumentation, que les rédacteurs
de la Convention, lorsqu’ils ont employé le terme «responsabilité» à
l’article IX, aient eu à l’esprit la responsabilité d’un point de vue juri-

dique, l’on pourrait alors affirmer avec certitude qu’ils n’envisageaient
pas la responsabilité pénale de l’Etat.
La Convention ne prévoit pas spécifiquement la responsabilité civile de
l’Etat pour génocide.

Non seulement le texte de la Convention ne contient pas, dans son dis-
positif, de dispositions spécifiques à cet égard, mais les termes généraux
correspondants, tels que «responsabilité civile», ou les précisions concer-
nant la «réparation» ou la «compensation» et les autres notions du

même ordre, font également défaut. Il est vrai qu’il a été fait mention de
la «responsabilité civile» dans les travaux préparatoires de l’article IX,

133Hudson, «The Twenty-ninth Year of the World Court», 45 American Journal of
International Law (AJIL) , 1951, cité dans M. M. Whiteman, Digest of International
Law, 1968, vol. 11, p. 857.

521561 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP. OP. KRECu )

firmatory and supportive role of travaux in the interpretation of

treaties.

Hence, it transpires that the Convention contemplates sui generis
responsibility more close to responsibility lato sensu than stricto sensu.It
is also supported both by the nature of international criminal law and

Article VIII of the Convention as the only Article dealing with suppres-
sion and prevention of genocide at the international level. Having in
mind that the crime of genocide, as contrary not only to moral law but
also to the spirit and aims of the United Nations Charter, constitutes a
threat to the international peace and security, the competent political

organs of the United Nations, the Security Council in particular, have the
obligation to act proprio motu in case of suspected genocide.

Consequently, it can be said that responsibility of a State for genocide

is primarily of moral and political nature, as well as with respect to other
international crimes such as apartheid or aggression, combined with
punitive measures undertaken by the competent organs of the United
Nations, as a form of collective reaction of decentralized inter-State soci-
ety. Such a form of responsibility of a State for genocide, reminiscent

partly of collective or corporate responsibility, results from the nature of
the relatively unorganized, de facto character of the international com-
munity, on the one hand, and the embryonic phase in which international
criminal law finds itself, on the other.
As a matter of principle with respect to the substantive law reasoning,

such a perception of responsibility of a State for genocide does not pre-
clude responsibility of a State in terms of civil responsibility. That respon-
sibility, although not primary in relation to international crimes, has its
rationale in the fact that the perpetration of a criminal offence also bears
civil law consequences. Justifiable from the standpoint of substantive law,

civil responsibility of State for genocide is highly doubtful from a juris-
dictional point of view at least in a case when jurisdiction of the Court is
based on Article IX of the Convention as its compromissory clause.
136. As regards the jurisdictional aspect of the matter, the question
arises of the applicability of those rules in the light of the principle of lex

specialis derogat legi generali .
Any treaty in force, serving as a basis of the jurisdiction of the Court,
represents the applicable law in casu by and for itself. Being a jus specia-
lis, any such treaty excludes the application of the rules of general inter-
national law. It is to be presumed that the parties to the Convention were

aware of the existing general rules on State responsibility and decided to
treat the matter in the manner embodied in the Convention. Had they
had a different intention, they would have referred, in accordance with
the standard practice applied in international conventions, to the rules of
general international law either in the form of incorporation or in the

form of renvoi.
The principle of jus specialis is recognized as a general rule of State

522 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KRECu ) 561

mais cela ne présente qu’un intérêt limité dans la mesure où ils n’ont

qu’un caractère de confirmation et un rôle de soutien dans le cadre de
l’interprétation des traités.
Ainsi, on peut dire que la Convention envisage la responsabilité sui
generis d’une manière plus proche de la responsabilité lato sensu que
stricto sensu. Cela est également confirmé par la nature du droit interna-

tional pénal et par le fait que l’article VIII de la Convention soit le seul
article traitant de la suppression et de la prévention du génocide sur le
plan international. Avoir à l’esprit que le crime de génocide, qui contre-
vient non seulement au droit moral mais aussi à l’esprit et aux buts de la
Charte des Nations Unies, constitue une menace pour la paix et la sécu-

rité internationales, et que les organes politiques compétents des Nations
Unies, en particulier le Conseil de sécurité, ont l’obligation d’agir proprio
motu lorsqu’un génocide est suspecté.
Dès lors, on peut dire que la responsabilité d’un Etat pour génocide est

essentiellement morale et politique, comme dans le cas d’autres crimes
internationaux tels que l’apartheid ou l’agression, qu’elle s’articule avec des
mesures de répression décidées par les organes compétents des Nations Unies
comme une forme de réaction collective d’une société interétatique décen-
tralisée. Une telle forme de responsabilité de l’Etat pour génocide — laquelle

rappelle pour partie la responsabilité collective ou la responsabilité des per-
sonnes morales — s’explique par la nature relativement inorganisée, le
caractère de facto de la communauté internationale, et l’état embryonnaire
dans lequel se trouve encore le droit pénal international.
En principe, s’agissant de la logique du droit matériel, une telle concep-

tion de la responsabilité de l’Etat pour génocide n’exclut pas la respon-
sabilité civile de l’Etat. Cette responsabilité, bien qu’elle ne soit pas pri-
maire pour ce qui est des crimes internationaux, tire son fondement de ce
que la perpétration d’un crime a également des conséquences civiles. Jus-
tifiée du point de vue du droit matériel, la responsabilité civile de l’Etat

pour génocide est très douteuse d’un point de vue juridictionnel, à tout le
moins lorsque la compétence de la Cour est fondée sur l’article IX de la
Convention en tant que clause compromissoire.
136. Quand on s’interroge sur la compétence, se pose la question de
savoir si ces règles sont applicables quand il est tenu compte du principe

lex specialis derogat legi generali .
Tout traité en vigueur qui fonde la compétence de la Cour constitue,
par lui-même et en soi, le droit applicable à l’espèce. Relevant du jus spe-
cialis, un traité de cette nature exclut l’application des règles du droit
international général. Il convient de présumer que les parties à la Conven-

tion connaissaient les règles générales qui existent en matière de respon-
sabilité des Etats et ont décidé d’examiner la question conformément à la
Convention. Si leur intention avait été différente, elles se seraient référées
— conformément à la pratique habituellement observée en matière de
conventions internationales — aux règles du droit international général,

par incorporation ou renvoi.
Le principe du jus specialis est reconnu comme une règle générale de la

522562 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP. OP. KRECu )

responsibility. Article 55 of the Articles on State Responsibility stipu-

lates:

“These Articles do not apply where and to the extent that the con-
ditions for the existence of an internationally wrongful act or the
content or implementation of the international responsibility of a
State are governed by special rules of international law.” 134

In the case at hand, special rules of international law are, most cer-

tainly, the substantive rules of the Genocide Convention.
The condition for the application ofjus specialis is, of course, a conflict
between the provisions having a special character and the rules of general

international law. The conflict emerges in the event of any inconsistency
or difference, either in positive or negative terms, between these two kinds
of rules. And, in concreto, it does exist, because the Genocide Convention
does not address issues of civil responsibility of a State for genocide.

Bearing that in mind, it appears, as pointed out by the Special Rap-
porteur in his First Report on State Responsibility, that “the parties to it
did not undertake to have accepted the Court’s compulsory jurisdiction
on this question” 135.

Only on the basis of the distinction between the responsibility of States
taken in absolute and as regards the jurisdiction of the Court, can one
find a rationale for the dicta of the Court, when it finds lack of jurisdic-
tion to entertain the claims, according to which:

“There is a fundamental distinction between the acceptance by a
State of the Court’s jurisdiction and the compatibility of particular

acts with international law . . .
Whether or not States accept the jurisdiction of the Court, they
remain in all cases responsible for acts attributable to them that vio-

late the rights of other States.” (Fisheries Jurisdiction (Spain
v. Canada), Jurisdiction of the Court, Judgment, I.C.J. Reports 1998,
p. 456, paras. 55-56; Aerial Incident of 10 August 1999 (Pakistan
v. India), Judgment, I.C.J. Reports 2000 , p. 33, para. 51; Legality of

Use of Force cases, for example Legality of Use of Force (Serbia
and Montenegro v. Belgium), Preliminary Objections, Judgment,
I.C.J. Reports 2004, p. 328, para. 128.)

However, the Court comes to the conclusion that it is without jurisdic-
tion to entertain the claims made as regards responsibility. As stated in

the Legality of Use of Force Judgment, the Court “can make no finding,
nor any observation whatever, on the question . . . of any international
responsibility incurred”.

134
135YILC, 2001, Vol. II, Part 2.
First Report on State Responsibility by Mr. James Crawford, Special Rapporteur,
United Nations doc. A/CN.4/490/Add.2, para. 43.

523 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP .IND .KRECu ) 562

responsabilité de l’Etat. L’article 55 des articles sur la responsabilité de

l’Etat dispose que:

«Les présents articles ne s’appliquent pas dans les cas et dans la
mesure où les conditions d’existence d’un fait internationalement illi-
cite ou le contenu ou la mise en Œuvre de la responsabilité interna-
tionale d’un Etat sont régis par des règles spéciales de droit inter-
134
national.»
Aux fins de la présente affaire, les règles spéciales de droit international

sont, sans nul doute, les règles de fond de la convention sur le génocide.
Le principe du jus specialis s’applique, évidemment, en cas de conflit
entre des dispositions ayant un caractère spécial et les règles du droit

international général. Un tel conflit naît d’une incohérence ou différence,
positive ou négative, entre ces deux catégories de règles. Un tel conflit
existe bien en l’espèce, dans la mesure où la convention sur le génocide ne
traite pas des questions de responsabilité civile d’un Etat pour génocide.

Ainsi, comme l’a souligné le rapporteur spécial dans son premier rap-
port sur la responsabilité des Etats, «les parties à la Convention n’ont pas
accepté la juridiction obligatoire de la Cour à cet égard» 135.

Ce n’est qu’en établissant une distinction entre la responsabilité des
Etats dans l’absolu, et quand il s’agit de la juridiction de la Cour, que l’on
trouve un fondement au raisonnement de cette dernière lorsqu’elle se
déclare incompétente pour connaître des demandes au motif que

«[i]l existe une distinction fondamentale entre l’acceptation par un
Etat de la juridiction de la Cour et la compatibilité de certains actes

avec le droit international...
Que les Etats acceptent ou non la juridiction de la Cour, ils
demeurent en tout état de cause responsables des actes portant

atteinte aux droits d’autres Etats qui leur seraient imputables.»
(Compétence en matière de pêcheries (Espagne c. Canada), compé-
tence de la Cour, arrêt, C.I.J. Recueil 1998 , p. 456, par. 55-56; Inci-
dent aérien du 10 août 1999 (Pakistan c. Inde), compétence de la

Cour, arrêt, C.I.J. Recueil 2000 , p. 33, par. 51; affaires relatives à la
Licéité de l’emploi de la force , par exemple, Licéité de l’emploi de la
force (Serbie-et-Monténégro c. Belgique), exceptions préliminaires,
arrêt, C.I.J. Recueil 2004 , p. 328, par. 128.)

Cependant, lorsque la Cour parvient à la conclusion qu’elle n’est pas com-
pétente pour connaître des demandes formulées en matière de responsa-

bilité, elle ne peut, ainsi qu’il est indiqué dans l’arrêt relatif à laLicéité de
l’emploi de la force, «se prononcer ni formuler de commentaire sur [la
question de] la responsabilité internationale qui pourrait en découler».

134
135ACDI, 2001, vol. II, partie 2.
Premier rapport sur la responsabilité des Etats, présenté par le rapporteur spécial,
M. James Crawford, Nations Unies, doc. A/CN.4/490/Add.2, par. 43.

523563 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION SEP .OP .KRECu )

137. As regards the substantive aspect of the matter, it is doubtful

whether the general rules on State responsibility as it stands are objec-
tively capable of dealing with issues of international crimes.

It is true that international delicts and international crimes possess cer-
tain similarities. Both share the characteristic of illegality. In that regard,

both notions belong to the genus of illegal acts, acts which are in conflict
with relevant rules of international law. They differ in other respects
making up two distinct species of acts within the said genus.

The general rules on State responsibility, as regards responsibility for

the damage caused, have been created in the manner of jus aequum.
Hence, civil responsibility, in contrast to criminal responsibility, can arise
even sine delicto. It derives from the violation of the subjective law of the
injured State.

Criminal responsibility, for its part, implies responsibility for the crimi-
nal offence committed, by which the values of the international commu-
nity as a whole are protected, public interests expressed in the rules of
objective law as such — treated as a jus strictum.

The difference in the legal nature between international delicts on the
one hand, and international crimes on the other, gives rise to differences
in sanctions. In the case of civil responsibility, the sanction essentially
consists in restoring the situation that would have existed if the subjective
right of the damaged State had not been violated. In contrast to this, the

sanction in the case of international crimes, being essentially a legal dam-
age to the objective legal order, consists in the punishment of the perpe-
trator.
As civil and criminal responsibility are ontologically different, criminal
responsibility cannot be transposed into a civil one and vice versa. The

attempts at transposition are conducive either to the penalization of civil
responsibility or the depenalization of criminal law — two equally
unsatisfactory outcomes. As regards genocide such an effort amounts either
to a “civil genocide” tort deprived of substance within the context of
Article II of the Convention or to little more than an excursion into the

field of the criminal responsibility of a State which is non-existent in the
primary rules. It seems, however, that the majority of the Court embarked
precisely on that path. Articles 1 and 2 of the ILC Draft Articles on State
Responsibility, signifying as they do a new approach to the notion of
responsibility by moving the classical notions of fault and damage towards

the absolute responsibility concept, prima facie provide fertile ground for
such transposition. But it turns out that it is only an illusion because of
the standard regarding the breach which has to be applied as a necessary
condition for the existence of an internationally wrongful act attributable
to a State. As stated in the commentary to Article 2:

524 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND .KRECu ) 563

137. En ce qui concerne le volet relatif au fond, l’on peut douter que

les règles générales qui régissent la responsabilité de l’Etat puissent en
l’état actuel des choses avoir objectivement trait aux crimes internatio-
naux.
Il est vrai que les délits et les crimes internationaux présentent certaines
similitudes. Ils ont pour trait commun d’être illicites. En ce sens, ces deux

notions appartiennent à la catégorie des «actes illicites», c’est-à-dire des
actes contraires aux règles pertinentes du droit international. Ils diffèrent
toutefois sur d’autres plans, constituant ainsi deux sous-catégories dis-
tinctes d’actes au sein de ladite catégorie.
Les règles générales en matière de responsabilité de l’Etat, quand il

s’agit de la responsabilité à raison du préjudice causé, ont été créées
comme jus aequum. Ainsi, contrairement à la responsabilité pénale, la
responsabilité civile peut exister sine delicto. Elle découle de la violation
du droit subjectif de l’Etat lésé.

La responsabilité pénale est, quant à elle, une responsabilité à raison de
la perpétration d’une infraction pénale, responsabilité qui a pour fonc-
tion de protéger les valeurs de la communauté internationale dans son
ensemble, ainsi que l’intérêt général exprimé dans les règles du droit
objectif en tant que tel; elle est considérée comme jus strictum.

Du fait de leur différence de nature juridique, les délits et les crimes
internationaux donnent lieu à des sanctions différentes. En matière de
responsabilité civile, la sanction est essentiellement le rétablissement de la
situation qui aurait existé si le droit subjectif de l’Etat lésé n’avait pas été
violé. Par opposition, la sanction d’un crime international — qui consti-

tue principalement un préjudice à l’ordre juridique objectif — consiste à
punir l’auteur.

Ces responsabilités étant intrinsèquement différentes, la responsabilité
pénale ne peut pas être transformée en responsabilité civile ni vice versa.

Les tentatives de transposition aboutissent soit à la pénalisation de la res-
ponsabilité civile, soit à la dépénalisation du droit pénal — deux résultats
tout aussi peu satisfaisants l’un que l’autre. Dans le cas du génocide, une
telle tentative reviendrait soit à créer un «délit civil de génocide», vidé de
sa substance dans le cadre de l’article II de la Convention, soit à une

timide incursion dans le domaine de la responsabilité pénale de l’Etat,
laquelle n’est pas prévue dans les règles primaires. Il semble toutefois que
la Cour se soit précisément engagée majoritairement dans cette voie. Les
articles premier et 2 de la CDI sur la responsabilité des Etats constituent
prima facie un terrain fertile pour procéder à une telle transposition, dans

la mesure où ils laissent transparaître une nouvelle approche de la notion
de responsabilité par un glissement des notions classiques de faute et de
dommage vers un concept de responsabilité absolue. Mais il ne s’agit là
que d’une illusion, et ce en raison du critère de la violation qui doit être
appliqué comme condition nécessaire à l’existence d’un acte internatio-

nalement illicite attribuable à un Etat. Ainsi qu’il est indiqué dans le com-
mentaire de l’article 2:

524564 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP. OP. KRECu )

“Whether there has been a breach of a rule may depend on the
intention or knowledge of relevant State organs or agents and
in that sense may be ‘subjective’. For example Article II of the

Genocide Convention states that: ‘In the present Convention,
genocide means any of the following acts committed with intent
to destroy, in whole or in part, a national, ethnical, racial or
religious group as such . . .’ In other cases, the standard for

breach of an obligation may be ‘objective’, in the sense that the
advertence or otherwise of relevant State organs or agents may be
irrelevant.”136

The rules of responsibility, as secondary rules, provide the framework
indicating the consequences of a breach, while the determination of the
content of an obligation, including the standard for a breach, is reserved
for the primary rules. As such, secondary rules cannot modify or dero-

gate from primary rules, which per se deprives of substantive effects any
attempt at the transposition of criminal law rules into the State respon-
sibility complex.

III. The Legal Determination of the Srebrenica Massacre

The tragic massacre in Srebrenica is the object of two ICTY Judgments
in the Krsti´ and the Blagojevic ´ cases. In the legal determination of the
Srebrenica massacre the Court relies on both judgments equally although

the latter is appealable.

1. The components of the genocidal intent

It appears that none of the components distinguishable within the

genocidal intent was satisfied in the Krstic ´ Judgment.

1.1. Level of intent

138. Both Chambers of the ICTY — the Trial Chamber as well as the

Appeals Chamber — perceived, in the Krstic ´ case, alleged genocidal
intent in terms of “knowledge” or “awareness”.

For instance, the Trial Chamber found that “the Bosnian Serb forces

had to be aware of the catastrophic impact that the disappearance of two
or three generations of men would have on the survival” 137. Or,

“The Bosnian Serb forces knew, by the time they decided to kill all

136J. Crawford (ed.), The ILC’s Articles on State Responsibility, Introduction, Text
and Commentaries, 2003, pp. 81-82, para. 3.
137
ICTY, Prosecutor v. Krs´, Trial Judgment, para. 595; emphasis added.

525 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KRECu ) 564

«Le fait qu’il y ait ou non manquement à une règle peut dépendre

de l’intention des organes ou agents habilités de l’Etat ou de la
connaissance qu’ils ont; en ce sens, déterminer l’existence ou l’inexis-
tence d’une violation peut être «subjectif». Ainsi, l’article II de la

convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
dispose: «Dans la présente Convention, le génocide s’entend de l’un
quelconque des actes ci-après, commis dans l’intention de détruire,
en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou reli-

gieux, comme tel...» Dans d’autres cas, le critère de violation d’une
obligation peut être «objectif», en ce sens que le fait que les organes
ou agents habilités de l’Etat en aient été conscients ou non peut être
sans objet.» 136

Les règles relatives à la responsabilité, en tant que règles secondaires,
constituent le cadre des conséquences d’une violation, tandis que la déter-

mination du contenu d’une obligation, y compris le critère de violation,
est réservée aux règles primaires. En tant que telles, les règles secondaires
ne peuvent pas modifier ou déroger aux règles primaires, ce qui per se

revient à priver de réels effets toute tentative de transposition des règles
du droit pénal dans le domaine de la responsabilité des Etats.

III. La qualification juridique du massacre de Srebrenica

Deux décisions rendues par le TPIY, dans les affaires Krstic ´ et Blago-

jevi´, portent sur le tragique massacre de Srebrenica. Pour qualifier juri-
diquement celui-ci, la Cour s’appuie de la même manière sur ces deux
décisions bien que la seconde ne soit pas définitive.

1. Les éléments de l’intention génocidaire

Il s’avère qu’aucun des éléments particuliers de l’intention génocidaire
n’est réuni dans la décision Krstic ´.

1.1. Le degré d’intention

138. Les deux chambres du TPIY — la chambre de première instance
ainsi que la chambre d’appel — ont, dans l’affaire Krstic ´, considéré
l’intention génocidaire alléguée sous l’angle de la «connaissance» et de la
«conscience».

Par exemple, la chambre de première instance a jugé que «les forces
des Serbes de Bosnie avaient nécessairement conscience de l’effet catas-
trophique qu’aurait la disparition de deux ou trois générations d’hommes
137
sur la survie...» ou que,
«[a]u moment où elles ont décidé de tuer tous les hommes en âge de

136
Articles de la CDI sur la responsabilité de l’Etat, introduction, texte et commen-
ta137s, J. Crawford (dir. publ.), 2003, p. 99, par. 3.
TPIY, Le procureur c. Krs´ , jugement, par. 595; les italiques sont de moi.

525565 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP. OP. KRECu )

of the military aged men, that the combination of those killings with
the forcible transfer of the women, children and elderly would inevi-

tably result in the physical disappearance of the Bosnian Muslim
population at Srebrenica.” 138

For its part, the Appeals Chamber held “that the Bosnian Serb forces
were aware of these consequences when they decided to systematically
139
eliminate the captured Muslim men” , and, further:

“The finding that some members of the VRS Main Staff devised
the killing of the male prisoners with full knowledge of the detrimen-

tal consequences it would have for the physical survival of the Bos-
nian Muslim community in Srebrenica further supports the Trial
Chamber’s conclusion that the instigators of that operation had the
140
requisite genocidal intent .”

In the Blagojevic ´ case, the Trial Chamber essentially divorced special
intent from acts of genocide, thus destroying the organic unity of the sub-

jective and objective element in the being of the crime of genocide. Hav-
ing found that

“a distinction should be made between the nature of the listed ‘acts’
(of genocide) and the ‘intent’ with which they are done in the sense
that “while listed acts indeed must take a physical and biological
141
form, the same is not required for the intent” ,

the Trial Chamber in effect excludes from acts relevant in that case the
intent to destroy a protected group. For, “with the exceptions of the acts
listed in Article 4 (2) and (d), “the Statute itself does not require an

intent to cause physical or biological destruction of the group in whole or
in part 142.
139. However, “knowledge” or “awareness” is one thing, and “special

intent” another. “Knowledge” or “awareness” as the passive, intellectual
element of intent in fact constitute dolus generalis. In contrast, special
intent means dolus specialis 143, and such a meaning is made plain in the

chapeau to Article 4 (2) of the ICTY Statute. While dolus generalis
requires that the perpetrator “means to cause” certain consequences or is
aware that it will occur in the ordinary course of events (Article 30 (2) (b)

of the ICC Statute), dolus specialis requires that the perpetrator clearly
intends the result or clearly seeks to produce the act charged. So the dif-

138ICTY, Prosecutor v. Krsti´, Trial Judgment, para. 595; emphasis added.
139ICTY, Prosecutor v. Krsti´, Appeals Judgment, para. 29; emphasis added.
140Ibid. ; emphasis added.
141ICTY, Prosecutor v. Blagojevi´, Trial Judgment, para. 659.
142Ibid.
143ICTY, Prosecutor v. Jelis´, Appeals Judgment, para. 51.

526 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP .IND . KRECu ) 565

porter les armes, les forces des Serbes de Bosnie savaient déjà que ces
meurtres, conjugués au transfert forcé des femmes, des enfants et des

personnes âgées, entraîneraient inévitablement la disparition phy-
sique de la population musulmane de Bosnie à Srebrenica». 138

La chambre d’appel a, quant à elle, estimé que «les forces serbes de
Bosnie avaient conscience de ces conséquences lorsqu’elles ont décidé de

procéder à l’élimination systématique des hommes musulmans faits pri-
sonniers» 139; elle a indiqué en outre:

«La conclusion selon laquelle des membres de l’état-major prin-
cipal de la VRS ont formé le projet de tuer les hommes faits pri-

sonniers alors qu’ils avaient pleinement conscience des conséquences
préjudiciables que cela aurait pour la survie physique de la commu-
nauté musulmane de Bosnie à Srebrenica étaye la conclusion de

la chambre de première instance selon laquelle les instigateurs de
l’opération avaient l’intention génocidaire requise .» 140

Dans l’affaire Blagojevic ´, la chambre de première instance a, au fond,
séparé l’intention spécifique des actes de génocide, détruisant ainsi l’unité

organique entre l’élément objectif et l’élément subjectif qui constitue
l’essence du crime de génocide. Ayant conclu qu’il conviendrait de faire

une

«distinction entre la nature des «actes» [de génocide] énumérés et
«l’intention» avec laquelle ils sont commis», au sens où, «tandis que
les actes énumérés doivent effectivement prendre une forme phy-
141
sique ou biologique, cette condition ne s’applique pas à l’intention» ,

la chambre de première instance écarte en fait, dans les actes pertinents
de cette affaire, l’intention de détruire un groupe protégé car, à l’excep-
tion des actes énumérés aux alinéas c) et d) du paragraphe 2 de l’ar-

ticle 4, «le Statut n’exige pas [l’intention d’entraîner la destruction phy-
sique ou biologique du groupe, en tout ou en partie]» 142.
139. Toutefois, la «connaissance» ou la «conscience» est une chose et

l’«intention spécifique» en est une autre. La «connaissance» ou la «cons-
cience», en tant qu’élément intellectuel passif de l’intention, constitue en
réalité un dolus generalis. En revanche, l’intention spécifique entraîne un
143
dolus specialis , sens qui ressort clairement du chapeau du para-
graphe 2 de l’article 4 du Statut du TPIY. Tandis que ldeolus generalisexige
que l’auteur «entend[e] causer» certaine conséquence ou soit conscient

que celle-ci adviendra dans le cours normal des événements (Statut de la
CPI, art. 30, par. 2 b)), le dolus specialis nécessite que l’auteur ait claire-

138TPIY, Le procureur c. Krst´ , jugement, par. 595; les italiques sont de moi.
139TPIY, Le procureur c. Krst´ , arrêt, par. 29; les italiques sont de moi.
140Ibid. ; les italiques sont de moi.
141TPIY, Le procureur c. Blagojev´ , jugement, par. 659.
142Ibid.
143TPIY, Le procureur c. Jeli´ , arrêt, par. 51.

526566 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP .OP .KRECAu )

ference lies in the active volitional element which is overriding in the spe-
cial intent as the subjective constructive element of the crime of genocide.

As regards the protective group, “[m]ere knowledge of the victims’
membership in a distinct group on the part of perpetrators is not suffi-
144
cient to establish an intention to destroy the group as such” . Even if
the perpetrators knew that executing the men would have a lasting
impact, it does not necessarily mean that such knowledge formed the

basis of the perpetrators’ intent, especially when considered in conjunc-
tion with conscious steps taken to preserve the rest of the community 145
relating to the transfer of women, children and the old.

1.2. Type of destruction

140. Destruction, as perceived by the ICTY in the Krstic ´ and the
Blagojevic´ cases is a destruction in social terms rather than in physical or
biological terms as legally relevant forms of destruction under the Geno-

cide Convention.
In the Krsti´ case the Trial Chamber found, inter alia, that the destruc-
tion of a sizeable number of military aged men “would inevitably result

in the physical disappearance of the Bosnian Muslim population at Sre-
brenica” 14, since “their spouses are unable to remarry and, consequently,
to have new children” 147. Such a conclusion, reflecting the idea of social

destruction, seems highly doubtful from the legal point of view. Within
the context described, the possible procreative implications, even under
the assumption that the killings of men have been committed with the

intent to produce such implications, could hardly be qualified as geno-
cidal. It seems obvious that such procreative implications, if they had
taken place, could not have as direct cause the killings of men, but the

inability of spouses of killed men “to remarry and . . . to have new chil-
dren” due to “the patriarchal character of the Bosnian Muslim society in
Srebrenica” 148. Such a construction is not appropriate for the so-called

objective imputation (imputatio facti), since it implies deliberate inter-
ference of the victim as well as of its decision-making into the causal
course (Selbstverantwortung) . What is more, it represents a free decision

of the victim itself.

144ICTY, Prosecutor v. Krst´ , Trial Judgment, para. 561.
145K. Southwick, “Srebrenica as Genocide? The Krst´ Decision and the Language of
the Unspeakable”, Yale Human Rights and Development Law Journal , 2005, p. 7.
146ICTY, Prosecutor v. Krst´, Trial Judgment, para. 595.
147ICTY, Prosecutor v. Krst´, Appeals Judgment, para. 28.
148Ibid.

527 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP .IND . KRECu ) 566

ment cherché le résultat ou ait nettement cherché à provoquer l’acte incri-
miné. La différence réside donc dans l’élément actif de volonté, lequel est
primordial dans l’intention spécifique en tant qu’il constitue l’élément

subjectif constitutif du crime de génocide.
En ce qui concerne le groupe protégé, «[l]a simple connaissance que les
auteurs des crimes pouvaient avoir de l’appartenance des victimes à un
groupe distinct ne permet pas d’établir l’intention de détruire le groupe
144
comme tel» . Même si les auteurs des crimes savaient qu’exécuter les
hommes aurait des conséquences à long terme, cela ne signifie pas néces-
sairement que cette connaissance fondait leur intention, en particulier

lorsqu’il est tenu compte du fait que, parallèlement, des mesures concer-
nant le transfert des femmes, des enfants et des personnes âgées ont été
prises délibérément afin de protéger le reste de la communauté 145.

1.2. Le type de destruction

140. La destruction, telle que la considère le TPIY dans les affaires

Krstic´ et Blagojevic´, est une destruction au sens social plutôt que phy-
sique ou biologique, qui en sont les formes juridiquement pertinentes
au regard de la convention sur le génocide.

Dans l’affaire Krstic ´, la chambre de première instance a jugé notam-
ment que la destruction d’un nombre considérable d’hommes en âge de
porter les armes «entraînerait inévitablement la disparition physique de
la population musulmane de Bosnie à Srebrenica» 14, puisque «leurs

épouses ne seront pas en mesure de se remarier et donc d’avoir d’autres
enfants» 147. Une telle conclusion, qui exprime l’idée de destruction
sociale, paraît extrêmement incertaine du point de vue juridique. Dans le

contexte décrit, les conséquences possibles sur la descendance de la com-
munauté musulmane, à supposer même que les meurtres d’hommes aient
été commis avec l’intention de produire de telles conséquences, pour-

raient difficilement être qualifiées de génocide. Il semble évident que ces
conséquences, si elles survenaient, ne sauraient avoir comme cause directe
le meurtre des hommes mais l’impossibilité pour leurs épouses de «se

remarier et ... d’avoir d’autres enfants» étant donné le «caractère patriar-
cal de la société des Musulmans de Srebrenica» 14. Cette interprétation
ne convient pas à ce qu’il est convenu d’appeler l’imputation objective

(imputatio facti), car elle suggère une intervention délibérée de la victime
ainsi qu’une prise de décision de sa part dans le lien de causalité (Selbst-
verantwortung). Plus encore, elle signifie qu’il y a eu libre décision de la

part de la victime elle-même.

144TPIY, Le procureur c. Krst´ , jugement, par. 561.
145K. Southwick, «Srebrenica as Genocide? The Krst´ Decision and the Language of
the Unspeakable», Yale Human Rights and Development Law Journal, 2005, p. 7.
146
147TPIY, Le procureur c. Krst´ , jugement, par. 595.
148TPIY, Le procureur c. Krst´ , arrêt, par. 28.
Ibid.

527567 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP. OP. KRECu )

The perception of destruction in social terms is even more emphasized
in the Blagojevic ´ case. The Trial Chamber applied “a broader notion of
the term “destroy”, encompassing also “acts which may fall short of

causing death” (Blagojevic ´, Trial Chamber Judgment, para. 662), an
interpretation which does not fit in the understanding of destruction in
terms of the Genocide Convention (see paras. 84 et seq. above). In that
sense, the Trial Chamber finds support in the Judgment of the Federal

Constitutional Court of Germany, which held expressis verbis that

“the statutory definition of genocide defends a supra-individual
object of legal protection, i.e. social existence of the group (and that)
the intent to destroy the group . . . extends beyond physical and bio-

logical extermination . . . The text of the law does not therefore com-
pel the interpretation that the culprit’s intent must be to exterminate
physically at least a substantial number of members of the group.” 149

Thus perceived the term “destruction” “in the genocide definition can
150
encompass the forcible transfer of population” .

1.3. Targeted group

141. In the Krstic´ case, the Prosecution referred, in its final arguments,

to “Bosnian Muslims of Eastern Bosnia” as the targeted group. The Trial
Chamber did not accept such a qualification finding that the protected
group “within the meaning of Article 4 of the Statute, must be defined, in
151
the present case, as the Bosnian Muslims” . In the correct exposition of
the idea underlying the provision of Article II of the Genocide Conven-
tion, the Trial Chamber held that “[t]he Bosnian Muslims of Srebrenica

or the Bosnian Muslims of Eastern Bosnia constitute a part of the pro-
tected group under Article 4 (of the Statute literally reproducing Arti-
cle II of the Genocide Convention — M.K.)” 152. It should be noted,

however, that the Chambers also found that

“no national, ethnical, racial or religious characteristic makes it pos-
sible to differentiate the Bosnian Muslims residing in Srebrenica at
the time of the 1995 offensive, from the other Bosnian Muslims. The

only distinctive criterion would be their geograp153al location, not a
criterion contemplated by the Convention .”

The Trial Chamber determined Bosnian Muslims in general terms as
the protected group without seeking national, ethnic, religious or racial

basis for its qualification of a distinct and separate entity. For, the Trial

149ICTY, Prosecutor v. Krstic´, Appeals Judgment, para. 28; ICTY, Prosecutor v.
Blagojev´, Trial Judgment, para. 664.
150Ibid., para. 665.
151
152ICTY, Prosecutor v. Krst´, Trial Judgment, para. 560.
153Ibid.
Ibid., para. 559; emphasis added.

528 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND .KRECAu ) 567

L’affaire Blagojevic ´ insiste même davantage sur la conception sociale
de la destruction. La chambre de première instance a appliqué «une
notion élargie du verbe «détruire», s’étendant également à des «actes qui

peuvent ne pas causer la mort» (par. 662), une interprétation qui ne cor-
respond pas à l’interprétation de la destruction au regard de la conven-
tion sur le génocide (voir ci-après, par. 84 et suiv.). En ce sens, la
chambre de première instance trouve un soutien dans la décision du tri-

bunal constitutionnel fédéral allemand, qui a jugé expressis verbis que:

«la définition légale du génocide protège un sujet de droit supra-
individuel, à savoir l’existence sociale du groupe [et que] l’intention
de détruire le groupe ... va au-delà de l’extermination physique et

biologique... Le texte de la loi n’impose donc pas d’interpréter l’inten-
tion du coupable comme devant être d’exterminer physiquement à
tout le moins une partie substantielle du groupe.» 149

Interprété de cette façon, le terme de «destruction» «peut, dans la défi-
150
nition du génocide, couvrir le transfert forcé de population» .

1.3. Le groupe visé

141. Dans l’affaire Krstic ´, l’accusation, dans son réquisitoire, a dit que

les «Musulmans de Bosnie orientale» étaient le groupe visé. La chambre
de première instance n’a pas retenu cette définition, jugeant que le groupe
protégé, «au sens de l’article 4 du Statut, [était] en l’espèce celui des
151
Musulmans de Bosnie» . Dans un exposé exact de l’idée sous-tendant
la disposition de l’article II de la convention sur le génocide, la chambre
a jugé que: «[l]es Musulmans de Bosnie de Srebrenica ou les Musulmans

de Bosnie orientale constituaient une partie du groupe protégé aux
termes de l’article 4 du Statut» (lequel reproduit textuellement l’article II
de la convention sur le génocide) 152. Il faut cependant noter que la cham-

bre a également jugé que:

«aucune caractéristique nationale, ethnique, raciale ou religieuse ne
permet de distinguer les Musulmans de Bosnie habitant à Srebre-
nica lors de l’offensive de 1995 des autres Musulmans de Bosnie.

Leur seul trait distinctif serait la localisation géographique, laquelle
ne figure pas au nombre des critères envisagés par la Conven-
tion.» 153

La chambre de première instance a défini les Musulmans de Bosnie en
termes généraux comme étant le groupe protégé, sans rechercher de base

nationale, ethnique, religieuse ou raciale pour le qualifier d’entité dis-

149TPIY, Le procureur c. Krsti´ , arrêt, par. 28; TPIY, Le procureur c. Blagoj´ ,c
jugement, par. 664.
150TPIY, Le procureur c. Blagojev´ , jugement, par. 665.
151
152TPIY, Le procureur c. Krst´ , jugement, par. 560.
153Ibid.
Ibid., par. 559; les italiques sont de moi.

528568 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP .OP . KRECu )

Chamber interpreted travaux préparatoires of the Convention in the
sense

“that setting out such a list was designed more to describe a single

phenomenon, roughly corresponding to what was recognized, before
the Second World War, as ‘national minorities’, rather than to refer
to several distinct prototypes of human groups” 154.

The interpretation should be understood in the sense that it is sufficient
if it is a group recognizable in its generic substance and that it is not nec-

essary to “differentiate each of the named groups on the basis of scien-
tifically objective criteria . . . inconsistent with the object and purpose of
155
the Convention” . The establishment of scientifically objective criteria
is in itself desirable and can only contribute to sound administration of
justice on the matter, in particular in relation to the element of genocidal

intent. Moreover, in certain cases it is not an unattain156e goal, as also
demonstrated by the jurisprudence of the ICTR . The search for “sci-
entifically objective criteria” could, however, run counter to the object

and purpose of the Convention if it were to leave without protection a
human group not distinguishable on the basis of national, ethnic, reli-
gious or racial criteria taken individually, but which, in a general and

generic sense, satisfies the conditions to be taken as a distinct and sepa-
rate group in the light of the Genocide Convention.

1.4. In whole or in part

142. The word “part” in the frame of Article II of the Convention

does not mean any part of the protected group, but a qualified part. If a
part of a group were to be understood as any part, “the intent underlying
the actus reus and the mens rea specific to the crime of genocide would

overlap, so that the genocidal intent, which constitutes the distinguishing
feature of genocide, would disappear” 157.

Within “Bosnian Muslims” as the protected group under the Conven-
tion, the Trial Chamber identified the “Bosnian Muslims of Srebrenica”
or the “Bosnian Muslims of Eastern Bosnia” as a part of the protected
158
group .
Can the “Bosnian Muslims of Srebrenica or the Bosnian Muslims of
Eastern Bosnia” be considered as a substantial part of Bosnian Muslims?

154ICTY, Prosecutor v. Krsti´, Trial Judgment , para. 556.
155Ibid.
156ICTR, Prosecutor v. Akayesu, Trial Judgment, paras. 510-516.
157C. Tournaye, “Genocidal Intent before the ICTY”, International and Comparative
Law Quarterly, Vol. 52, April 2003, p. 459.
158ICTY, Prosecutor v. Krsti´, Trial Judgment, para. 560.

529 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND .KRECAu ) 568

tincte et particulière. Ainsi, suivant l’interprétation des travaux prépara-
toires de la Convention réalisée par la chambre de première instance, il
ressort que

«cette énumération visait davantage à décrire un seul et même phé-
nomène, correspondant en gros à ce qu’il était convenu d’appeler,

avant la seconde guerre mondiale, les «minorités nationales», qu’à
renvoyer à différents types distincts de groupes humains» 154.

Il faut comprendre l’interprétation au sens où il suffit qu’il s’agisse
d’un groupe reconnaissable par son contenu générique, sans qu’il soit

nécessaire «de chercher à distinguer chacun des groupes énumérés à par-
tir de critères scientifiquement objectifs ... ce qui serait contraire à l’objet
et au but de la Convention» 155. La mise en place de critères scientifique-
ment objectifs est souhaitable en soi et ne peut que favoriser une admi-

nistration saine de la justice, en particulier en ce qui concerne l’élément
relatif à l’intention génocidaire. En outre, dans certains cas, il ne s’agit
pas d’un objectif inaccessible, comme la jurisprudence du TPIR l’a éga-
156
lement démontré . La recherche de «critères scientifiquement objectifs»
pourrait cependant aller à l’encontre de l’objet et du but de la Conven-
tion s’il s’agissait de laisser sans protection un groupe d’individus qui ne

pourrait être identifié sur la base de critères de nationalité, d’apparte-
nance ethnique, de religion ou de race, pris individuellement, mais qui, au
sens général et générique, remplirait les conditions pour être considéré

comme un groupe distinct et séparé au sens de la convention sur le
génocide.

1.4. En tout ou en partie

142. L’expression «en partie» dans le cadre de l’article II de la Conven-
tion ne signifie pas une quelconque partie du groupe protégé, mais une
partie déterminée. S’il fallait entendre une partie d’un groupe comme une

partie quelconque, «l’intention qui fonde l’actus reus et la mens rea spé-
cifique au crime de génocide se chevaucheraient, faisant ainsi disparaître
l’intention génocidaire qui constitue la caractéristique particulière de ce
157
crime» .
Parmi les «Musulmans de Bosnie» en tant que groupe protégé en vertu
de la Convention, la chambre de première instance a défini les «Musul-

mans de Bosnie de Srebrenica» ou «les Musulmans de Bosnie orientale»
comme une partie du groupe protégé 15.
Les «Musulmans de Bosnie de Srebrenica ou les Musulmans de Bosnie

orientale» peuvent-ils être considérés comme une partie substantielle des

154TPIY, Le procureur c. Krst´ , jugement, par. 556.
155 Ibid.
156 TPIR, Le procureur c. Akayesu, jugement, par. 510-516.
157
C. Tournaye, «Genocidal Intent before the ICTY», International and Comparative
La158uarterly, vol. 52, avril 2003, p. 459.
TPIY, Le procureur c. Krst´ , jugement, par. 560.

529569 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP.OP .KRECA )
u

As a preliminary remark it can be said that, contrary to the diction of the
formulation, the expressions “Bosnian Muslims of Srebrenica” and “Bos-
nian Muslims of Eastern Bosnia” cannot be perceived as synonymous.

Although the Muslim population in Srebrenica considerably increased in
numbers in the relevant period, it was numerically far from the Muslim
population of Eastern Bosnia, which numbered over 170,000.

Bearing in mind that in the critical period some 40,000 Bosnian Mus-

lims were concentrated in Srebrenica, and if we would accept as proven
that some 5,000-7,000 people were massacred, then, according to quan-
titative criterion, they could hardly represent a “substantial part” of the
community. Besides, the Trial Chamber, in fact, qualified the targeted

group in precise terms as “Bosnian Muslims in Srebrenica or Bosnian
Muslims of Eastern Bosnia . . .”.

According to the data from the last census in Bosnia and Herzegovina,

in 1991, there were, in Eastern Bosnia, over 170,000 Muslims (26,316 in
Gorazde, 18,699 in Vlasenica, 21,564 in Bratunac, 4,007 in Cajnice,
30,314 in Bijeljina, 48,208 in Zvornik, 13,438 in Visegrad, 4,140 in Bosan-
ski Brod and 2,248 in Bosanski Samac).
As regards the question whether the “Bosnian Muslims” of Srebrenica

or the “Bosnian Muslims of Eastern Bosnia” could be qualified, accord-
ing to the quantitative criterion, as a substantial part of the Bosnian
Muslims and the protected group under the Convention, one should keep
in mind that the Muslim community in Bosnia and Herzegovina, on the

basis of data from the last159nsus in Bosnia and Herzegovina in 1991,
numbered over 1,900,000 .
Regarding the qualitative criterion, the Judgment does not give any
specific characterization of leadership who were massacred. It is not clear
what leadership is in question — political, military, or intellectual.

It comes out from the dictum of the Trial Chamber, as well as its gen-
eral reasoning, that the leadership, in fact, consists of the military aged
men. For, the military leadership as well, as it is well known, headed by
the commander of the division Naser Oric, left the town a couple of days

before its fall.
In Srebrenica, in the relevant period, there were about 40,000 Bosnian
Muslims, including the members of the Bosnia and Herzegovina Army.
In view of quantitative criteria of the determination of a substantial part

of a protected group, it seems obvious that, compared to more than one
million and hundred thousand Bosnian Muslims, the Bosnian Muslims
located in Srebrenica could not have constituted its substantial part. The
same conclusion imposes itself also in the case of the application of the
alternative, qualitative criterion, because the political and intellectual

elite of the Bosnian Muslims was located in Sarajevo.

159See www.FZS.ba.

530 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND .KRECA ) 569
u

Musulmans de Bosnie? A titre de remarque préliminaire, on peut dire
que, contrairement à la manière dont elles sont formulées, les expressions
«Musulmans de Bosnie de Srebrenica» et «Musulmans de Bosnie orien-

tale» ne peuvent être considérées comme synonymes. Même si la popula-
tion musulmane de Srebrenica a considérablement progressé au cours de
la période considérée, elle était loin d’atteindre, en nombre, la population
musulmane de Bosnie orientale qui comptait plus de 170 000 personnes.
En tenant compte du fait que quelque 40 000 Musulmans de Bosnie

ont été concentrés à Srebrenica au cours de la période critique et si l’on
acceptait comme prouvé que quelque 5000 à 7000 personnes ont été mas-
sacrées, ils pourraient alors difficilement, suivant un critère quantitatif,
représenter une «partie substantielle» de la communauté. Au demeurant,

la chambre de première instance a en réalité défini le groupe visé en
termes précis comme «les Musulmans de Bosnie de Srebrenica ou les
Musulmans de Bosnie orientale».
Suivant les chiffres issus du dernier recensement réalisé en Bosnie-

Herzégovine en 1991, il y avait en Bosnie orientale plus de 170000 Mu-
sulmans (26316 à Gorazde, 18699 à Vlasenica, 21564 à Bratunac, 4007
à Cajnice, 30314 à Bijeljina, 48208 à Zvornik, 13438 à Visegrad, 4140
à Bosanski Brod et 2248 à Bosanski Samac).
Pour savoir si les «Musulmans de Bosnie» de Srebrenica ou les «Musul-

mans de Bosnie orientale» pouvaient être qualifiés, suivant le critère
quantitatif, de partie substantielle des Musulmans de Bosnie en tant que
groupe protégé en vertu de la Convention, on doit tenir compte du fait
que, sur la base des chiffres du dernier recensement réalisé en Bosnie-

Herzégovine en 1991, la communauté musu159ne de Bosnie-Herzégovine
comptait plus de 1900 000 personnes .
Pour ce qui est du critère qualitatif, le jugement ne précise pas quelle
élite a été massacrée. L’élite dont il s’agit — élite politique, militaire ou
intellectuelle — n’apparaît pas clairement.

Il ressort du dictum de la chambre de première instance, ainsi que de
son raisonnement, que l’élite est, en fait, composée d’hommes en âge de
porter les armes. Ainsi, l’élite militaire, dirigée par le commandant de
division Naser Oric, a également, comme tout le monde le sait, quitté la

ville quelques jours avant qu’elle ne tombe.
Il y avait, à Srebrenica, pendant la période considérée, environ 40 000 Mu-
sulmans de Bosnie, dont les membres de l’armée de Bosnie-Herzégovine.
Compte tenu des critères quantitatifs pour définir une partie substantielle

d’un groupe protégé, il semble évident que, comparés à plus d’un million et
quelques centaines de milliers de Musulmans de Bosnie, ceux qui se trou-
vaient à Srebrenica ne pouvaient constituer une partie substantielle de ce
groupe. La même conclusion s’impose également dans le cas de l’application
de l’autre critère, le critère qualitatif, parce que les élites politique et intellec-

tuelle des Musulmans de Bosnie se trouvaient à Sarajevo.

159Voir www.FZS.ba.

530570 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP.OP .KRECA )
u

143. The number of massacred military aged men in Srebrenica was
never precisely determined. Moreover, that number might be significantly
smaller than the number used by the Tribunal in the Krstic ´ case.

Namely, the Tribunal equalized the missing and the killed military
aged men in Srebrenica. Such an equalization does not look questionable

only from the legal standard accepted in the jurisprudence of the Tribu-
nal (para. 88 above) but also in the light of some indications not consid-
ered at all either by the ICTY or by the Court exempli causa.I fne

compares the Final voters’ register of the Srebrenica municipality, pre-
pared by the Organization for Security and Co-operation in Europe
(OSCE), and the List of identified bodies of the people buried in the
Memorial Complex “Srebrenica — Potocare” (The “Srebrenica Potocare

Memorial and Mezaje”, Srebrenica, September 2003); Order of burials at
JKP “City Cemeteries”, Visoko 160 it comes out that over a third of
names are present in both documents.

In addition, a number of soldiers of the Bosnia and Herzegovina Army
buried in the Memorial Complex “Srebrenica-Potocare” were, according
to the Army’s documents, killed in battles before the events in Sre-

brenica. For instance, the suggestion and justification of the Command
of the 28th division of the Bosnia and Herzegovina Army 161.

144. However, in regard to the special intent, the Trial Chamber intro-
duced another notion of “part” of the protected group based on geo-
graphical area criteria. The Trial Chamber held that:

“the intent to destroy a group, even if only in part, means seeking to

destroy a distinct part of the group as opposed to an accumulation of
isolated individuals within it. Although the perpetrators of genocide
need not seek to destroy the entire group protected by the Conven-

tion, they must view the part of the group they wish to destroy as a
distinct entity which must be eliminated as such . . . the killing of all
members of the part of a group located within a small geographical

area, although resulting in a lesser number of victims, would qualify
as genocide if carried out with the intent to destroy the part of the
group as such located in this small geographical area.” 162

Such an interpretation could be considered expansionist i.e., in relation

160See www.gradska.groblja.co.br.srebrenica.html.
161No. classified 04-16/95 of 30 March 1995, for the award of the order “Golden Lily”,
Addendum in the “Guide of the Chronicle of the Bosnia and Herzegovina Army”;
M. Ivanisevic, “Srebrenica, July 1995, Looking for the Truth in the Press”.
162ICTY, Prosecutor v. Krs´, Trial Judgment, para. 590; emphasis added.

531 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP .IND .KRECu ) 570

143. Le nombre d’hommes en âge de porter les armes massacrés à Sre-
brenica n’a jamais été déterminé avec précision. En outre, il est possible

que ce chiffre soit nettement plus faible que celui que le Tribunal cite
dans l’affaire Krstic´.
En l’occurrence, le Tribunal a assimilé les hommes en âge de combattre

qui ont été portés disparus et ceux qui ont été tués à Srebrenica. Une telle
assimilation n’est pas seulement contestable du point de vue des normes
juridiques acceptées dans la jurisprudence du Tribunal (voir par. 88 ci-

dessus), mais également, au regard de certains éléments que, notamment,
ni le TPIY ni la Cour n’ont examinés. Si l’on compare la liste électorale
définitive de la municipalité de Srebrenica, établie par l’Organisation
pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), et la liste des corps

identifiés des personnes inhumées au mémorial de «Srebrenica — Poto-
care» (The «Srebrenica Potocare Memorial and Mezaje», Srebrenica,
septembre 2003) et les ordres d’inhumation au JKP «cimetières munici-
160
paux», Visoko , il ressort que plus d’un tiers des noms figurent dans les
deux documents.
En outre, un certain nombre de soldats de l’armée de Bosnie-Herzégo-

vine inhumés au mémorial de «Srebrenica — Potocare» ont, d’après les
archives de l’armée, été tués lors de combats qui se sont déroulés avant
les événements de Srebrenica. Voir, par exemple, la proposition et la jus-
tification du commandement de la 28 division de l’armée de Bosnie-
161
Herzégovine .
144. Toutefois, concernant l’intention spécifique, la chambre de
première instance a introduit une autre notion de «partie» du groupe

protégé fondée sur des critères de zone géographique. La chambre de pre-
mière instance a jugé que

«l’intention de détruire un groupe, fût-ce en partie, implique la
volonté de détruire une fraction distincte du groupe , et non une mul-

titude d’individus isolés appartenant au groupe. S’il n’est pas néces-
saire que les auteurs d’actes de génocide aient eu l’intention de
détruire la totalité du groupe protégé par la Convention, il est en

revanche impératif qu’ils aient considéré la partie du groupe qu’ils
souhaitaient détruire comme une entité distincte devant être élimi-
née, comme telle ... le massacre de tous les membres de la fraction
d’un groupe présente dans une zone géographique restreinte peut, en

dépit d’un nombre inférieur de victimes, recevoir la qualification de
génocide s’il a été perpétré avec l’intention de détruire la fraction en
question comme telle.» 162

Une telle interprétation pourrait être considérée comme large par rap-

160Voir www.gradska.groblja.co.br.srebrenica.html.
161Document classé n 04-16/95 du 30 mars 1995, pour la remise de l’ordre du «Lys
d’or», figurant dans le «Guide of the Chronicle of the Bosnia and Herzegovina Army»;
M. Ivanisevic, «Srebrenica, July 1995, Looking for the Truth in the Press».
162TPIY, Le procureur c. Krs´ , jugement, par. 590; les italiques sont de moi.

531571 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP .OP .KRECu )

to the determination made in Article II of the Genocide Convention,
going far beyond its actual meaning.
Moreover, it seems that the Trial Chamber intentionally went beyond

the scope of the Convention because it held that “[t]he only distinctive
criterion would be their geographical location, not a criterion contem-
plated by the Convention.” 163
Reduction of the “targeted part” to the municipalities could have a dis-
164
torting effect as held by the Trial Chamber in the Brdjanin case pri-
marily because the intention to destroy a group in part means seeking to
destroy a “distinct part” of the group. It is, however, difficult to see how
the Bosnian Muslims in Srebrenica constitute a distinct part as opposed

to the Bosnian Muslims as a whole. In terms of the Convention, a
national, ethnic, or religious group is not an entity comprised of distinct
parts, but a distinct entity by itself. The protection provided by the Con-

vention to the group in part is, in fact, protection of the group in its
entirety. In that regard, recognition of the part of a group on the basis of
its geographical location as a distinct part of the group would diminish
the effectiveness of the protection that the group enjoys as a whole. If,

however, parts of a group differ in respect of the characteristics which
constitute genus proximus of the group (for instance, the Sunnites and
the Shiites among the Muslims), it is possible to speak about sub-groups

which make up an aggregation in contrast to homogeneous groups to
which Bosnian Muslims most certainly also belong.

In effect, such interpretation amounts to a transformation of a part of
the group into a “sub-group”, being Bosnian Muslims in Srebrenica, on
the basis of its alleged perception as a distinct entity by the perpetrators.

Consequently, the intent to destroy the Bosnian Muslims in Srebrenica,
as a “sub-group”, constitutes an intent to destroy a substantial part of
the Bosnian Muslim group.

Moreover, the Trial Chamber used the substantial criteria twice suc-
cessively, with the result that: “The genocidal intent proved in the Krstic ´
case is an intent to destroy a substantial part of a substantial part ” 165,
not, as required, a substantial part of the protected group. Namely, in

addition to the qualification of the Bosnian Muslims in Srebrenica as a
substantial part of the Bosnian Muslims as the protected group, the Trial
Chamber held that the intent to destroy the military aged men within the

sub-group means an intent to destroy a substantial part of this sub-
group, not only from a quantitative viewpoint (Trial Judgment, para. 594)
but also from a qualitative one (Trial Judgment, para. 595). In fact the

163ICTY, Prosecutor v. Krst´, Trial Judgment, para. 559.
164ICTY, Prosecutor v. Brdjanin, Trial Judgment, para. 966.
165
Tournaye, op. cit., p. 460; emphasis added.

532 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP .IND .KRECu ) 571

port à la définition énoncée à l’article II de la convention sur le génocide,
allant bien au-delà de sa signification réelle.
En outre, il semble que la chambre de première instance soit volontaire-

ment allée au-delà de la portée de la Convention parce qu’elle a jugé que
«[l]eur seul trait distinctif serait la localisation géographique, laquelle ne
figure pas au nombre des critères envisagés par la Convention» 163.
Réduire la «partie visée» aux municipalités pourrait avoir un effet

déformant, comme l’a dit la chambre de première instance dans l’affaire
Brdjanin 16, essentiellement parce que l’intention de détruire un groupe en
partie signifie chercher à détruire une «fraction distincte» du groupe. Il
est cependant difficile de comprendre comment les Musulmans de Bosnie

vivant à Srebrenica constituent une fraction distincte par rapport aux
Musulmans de Bosnie dans leur ensemble. Au regard de la Convention,
un groupe national, ethnique ou religieux n’est pas une entité composée

de fractions distinctes mais une entité distincte en soi. Lorsque la Conven-
tion protège le groupe en partie elle protège, en réalité, le groupe dans
son intégralité. A cet égard, reconnaître qu’une fraction d’un groupe est
distincte sur la base de sa localisation géographique diminuerait l’effica-

cité de la protection dont le groupe bénéficie dans son ensemble. Si, tou-
tefois, des fractions d’un groupe se distinguent relativement aux caracté-
ristiques qui constituent le genus proximus du groupe (par exemple, les

Sunnites et les Chiites parmi les Musulmans), il est possible de parler de
sous-groupes constituant un regroupement par opposition aux groupes
homogènes auxquels très certainement les Musulmans de Bosnie appar-
tiennent également.

En fait, une telle interprétation revient à transformer une partie du
groupe en un «sous-groupe», les Musulmans de Bosnie vivant à Srebre-
nica, sur la base de la perception qu’en auraient eue les auteurs des

crimes, à savoir celle d’une entité distincte. L’intention de détruire les
Musulmans de Bosnie de Srebrenica, en tant que «sous-groupe», consti-
tue donc une intention de détruire une partie substantielle du groupe des
Musulmans de Bosnie.

En outre, la chambre de première instance a utilisé le critère du carac-
tère substantiel à deux reprises successivement de telle sorte que:
«[l]’intention génocidaire démontrée dans l’affaire Krstic ´ est une inten-
tion de détruire une partie substantielle d’une partie substantielle » 16,et

non, comme il est exigé, une partie substantielle du groupe protégé. A
savoir que, en plus de qualifier les Musulmans de Bosnie de Srebrenica de
partie substantielle du groupe protégé des Musulmans de Bosnie, la

chambre de première instance a jugé que l’intention de détruire les hom-
mes en âge de porter les armes à l’intérieur du sous-groupe signifiait une
intention de détruire une partie substantielle de ce sous-groupe, du point

163TPIY, Le procureur c. Krs´ , jugement, par. 559.
164TPIY, Le procureur c. Brdjanin , jugement, par. 966.
165
Tournaye, op. cit., p. 460; les italiques sont de moi.

532572 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP . OP. KRECA )
u

determination of a group “in part” as able-bodied, military aged Muslim

men of Srebrenica is based on triple qualification — the sex of victims
(men only), their age (only or mostly military aged) and their geographi-
cal origin — Srebrenica and surrounding areas 166. The term itself there-

fore well exceeds the meaning of the “group in part” as contemplated by
Article II of the Trial Chamber itself 167.

1.5. The inference of intent to destroy

145. The Trial Chamber drew the inference of genocidal intent from

three different sources.
Primo, the “massacre by the VRS of all men of military age from that
168 169
community” , which is determined as “a selective genocide” . Sepa-
rately from the issue of the basis of the conclusion according to which
170
“all men of military age” were massacred in order to analyse the con-
crete aspect of the intent to destroy, the question of whether the military
aged men were massacred exclusively on national, ethnic, or religious

grounds, is of decisive importance.

The answer to this question is given by the Judgment itself, which

166
167 G. Mettraux, International Crimes and the Ad Hoc Tribunals, 2005, p. 222.
ICTY, Prosecutor v. Krsti´, Trial Judgment, para. 559.
168 Ibid., para. 594; ICTY, Prosecutor v. Krs´, Appeals Judgment, para. 26.
169 ICTY, Prosecutor v. Krsti´, Trial Judgment, para. 593.
170 The conclusion is seemingly in contradiction with the established facts. For instance,
the Trial Chamber found that the artillery attacks were launched against “the column of
Bosnian Muslim men marching toward Tuzla” (Krstic ´, Trial Judgment, para. 546) and

that during “the fatal week of 11 to 16 July, negotiations were undertaken between the
Bosnian Muslim and Bosnian Serbs sides” and, as its result, (a group of 3,000) “a portion
of the Bosnian Muslim column was eventually let through to government-held territory”
(ibid.). The final finding of the Trial Chamber is that “[o]verall, ... as many as 8,000 to
10,000 men from the Muslim column of 10,000 to 15,000 men were eventually reported as
missing” (ibid. ; emphasis added). It should be mentioned that the overwhelming majority

is still considered as “missing” although the law in force in Bosnia and Herzegovina envis-
aged the period of two years from the disappearance of the persons during wartime in
order to proclaim them as dead. There are bases for reasonable doubt that all persons
who are accounted as missing are dead. Ibrahim Mustafic, the Muslim representative in
the Bosnian and Federal Parliaments, founder of the SDA in Srebrenica, suggested in the
Bosnian Parliament the establishment of a special committee whose task would be to
search for the survivors from the enclave, but without reaction in the Parliament. He says

that the

“present attitude of the authorities towards those people is enough to convince me

that the authorities expected that the number of the survivors would be smaller; it
seems that the number of the survivors is too high for their calculations. They made
me say this: ‘It seems you are afraid of living Srebrenica inhabitants’.” (Slobodna
Bosna, Sarajevo, 14 July 1996.)

533 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP .IND . KRECu ) 572

de vue non seulement quantitatif (jugement, par. 594), mais également
qualitatif (jugement, par. 595). En fait, la qualification de «groupe ... en

partie», appliquée aux hommes musulmans de Srebrenica en âge de se
battre et physiquement capables de le faire, est fondée sur un triple cri-

tère, à savoir le sexe des victimes (uniquement des hommes), leur âge
(seulement ou principalement ceux en âge de porter les armes) et leur ori-
gine géographique (Srebrenica et ses environs) 166. La qualification en soi

excède donc de loin le sens du «groupe ... en partie» de l’article II de la
Convention tel qu’il est envisagé par la chambre elle-même 167.

1.5. Comment conclure à l’intention de détruire

145. La chambre de première instance a conclu à l’intention génoci-

daire à partir de trois sources différentes.
Premièrement, «le massacre par la VRS de l’ensemble des hommes de
cette communauté en âge de combattre» 16est qualifié de «génocide
169
sélectif» . Mise à part la question du bien-fondé de la conclusion selon
laquelle «l’ensemble des hommes ... en âge de combattre» a été massa-
170
cré , et afin d’analyser l’aspect concret de l’intention de détruire, la
question de savoir si les hommes en âge de porter les armes ont été mas-
sacrés exclusivement pour des raisons de nationalité, d’appartenance

ethnique ou de religion revêt une importance cruciale.
La réponse à cette question est donnée par l’arrêt lui-même, qui

166G. Mettraux, International Crimes and the Ad Hoc Tribunals, 2005, p. 222.
167TPIY, Le procureur c. Krsti´, jugement, par. 559.
168Ibid., par. 594; TPIY, Le procureur c. Krst´ , arrêt, par. 26.
169
170TPIY, Le procureur c. Krsti´, jugement, par. 593.
La conclusion contredit apparemment les faits établis. Par exemple, la chambre de
première instance a jugé que les attaques d’artillerie visaient «une colonne d’hommes
musulmans de Bosnie marchant sur Tuzla» (TPIY, Le procureur c. Krstic ´ , jugement,
par. 546) et que, «pendant la semaine fatale du 11 au 16 juillet ... ils ont abouti à
l’ouverture de négociations entre les camps musulmans de Bosnie et serbes de Bosnie, et
une partie [un groupe de 3000 hommes] de la colonne d’hommes musulmans de Bosnie a
finalement pu passer en territoire sous contrôle gouvernemental» (ibid.). La conclusion

finale de la chambre de première instance est que: «sur les 10 000 à 15 000 Musulmans de
Bosnie que comptait la colonne, 8000 à 10 000 hommes ont finalement été portés disparus
(ibid. ; les italiques sont de moi). Il faut mentionner que l’écrasante majorité est encore
considérée comme «portés disparus», bien que le droit en vigueur en Bosnie-Herzégovine
prévoie une période de deux ans à compter de la disparition des personnes en temps de
guerre pour pouvoir les déclarer décédées. Il est raisonnablement permis de douter que
toutes les personnes portées disparues soient mortes. Ibrahim Mustafic, le représentant

musulman au sein du Parlement fédéral et de celui de Bosnie, qui a fondé le SDA à Sre-
brenica, a suggéré au Parlement de Bosnie de mettre en place une commission spéciale
chargée de rechercher les survivants de l’enclave, sans obtenir de réaction du Parlement. Il
indique que:

«l’attitude actuelle des autorités à l’égard de ces personnes suffit à me convaincre que
les autorités s’attendaient à ce qu’il y ait moins de survivants; il semble que le nombre
de survivants soit trop élevé pour leurs calculs. Ils me font dire ceci: «[i]l semble que
vous ayez peur des habitants de Srebrenica qui sont en vie»» (Slobodna Bosna,
Sarajevo, 14 juillet 1996).

533573 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP. OP. KRECA )
u

refers to “the conclusion that the extermination of those men was not
driven solely by a military rationale” 171.
It appears that the Trial Chamber excluded the exclusively military

rationale as motivation for the massacre on the basis of two circum-
stances:

(a) that no distinction was made between the men of military status and
civilians; and

(b) that non-military-aged were among the massacred.

There are, however, arguments which can put those circumstances into
perspective. As regards the differentiating between men of military status
and civilians, the Srebrenica Report mentions, inter alia, the reference by

the members of Dutchbat to “a conflict where the distinction between
civilians and soldiers was often unclear” 172. Such a situation may be
understood if one bears in mind the particular concept of defence in the
SFRY — the so-called all-people defence. In that concept, the armed

forces consisted, besides the regular army, of the territorial defence which
included not only military aged men who were not in the regular army,
but persons who were outside that range. The Judgment does not give

details of the non-military aged men massacred. As regards boys (Appeals
Chamber, para. 27), that probably means the elder minors, in contrast to
“children” who were displaced. The practice in many countries, however,

includes them in conscripts, for instance, in the United States of America
at the age of 16. The Trial Chamber relied in its disqualification of the
military rationale also on the evidence that “some of the victims were
severely handicapped and, for that reason, unlikely to have been combat-
173
ants” . However, only one case of that kind is mentioned (ibid.).

Moreover, it seems that the Tribunal’s reasoning allows the interpreta-
tion that the persons who were found to be outside the range of military

age as well, represent a simple, in contrast to a serious, military threat.
Indeed, the Appeals Chamber found:

“Although the younger and older men could still be capable of
bearing arms, the Trial Chamber was entitled to conclude that they

did not present a serious military threat . . .” (Appeals Judgment,
para. 27; emphasis added).

171Appeals Chamber, para. 26.
172Part 2, Chap. 8, Sect. 10, p. 4.
173ICTY, Prosecutor v. Krst´, Trial Judgment, para. 75.

534 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KRECu ) 573

indique que «l’extermination de ces hommes n’était pas motivé ueniquement
par des considérations militaires» 171.
Il apparaît que la chambre de première instance a exclu que des consi-

dérations exclusivement militaires aient été à l’origine du massacre et, à
cette fin, s’est fondée sur deux éléments:

a) aucune distinction n’a été faite entre les militaires et les civils; et

b) des hommes n’ayant pas l’âge de combattre figuraient parmi les per-

sonnes massacrées.
Divers arguments semblent cependant pouvoir relativiser cette conclu-

sion. En ce qui concerne la distinction entre les militaires et les civils, le
rapport de Srebrenica cite notamment le fait que des membres du bataillon
néerlandais ont parlé de «conflit dans lequel la distinction entre civils et
172
soldats était souvent floue» . Il est possible de comprendre une telle
situation si l’on tient compte du concept particulier de défense en RFSY,
à savoir la défense dite populaire. Les forces armées y étaient constituées
de l’armée régulière et de la défense territoriale, qui comprenait non seu-

lement des hommes en âge de combattre qui ne faisaient pas partie de
l’armée régulière, mais également des personnes qui n’entraient pas dans
cette catégorie. Le jugement ne fournit aucune information concernant
les hommes qui n’étaient pas en âge de porter les armes et qui ont été

massacrés. En ce qui concerne les jeunes gens (TPIY, Le procureur c.
Krsti´, arrêt, par. 27), il s’agit probablement de grands mineurs, à la dif-
férence des «enfants», lesquels ont été déplacés. En pratique, cependant,

ces mineurs relèvent bien de la catégorie des appelés dans de nombreux
pays (par exemple, à partir de l’âge de seize ans aux Etats-Unis d’Amé-
rique). Pour écarter les considérations militaires, la chambre de première
instance s’est également appuyée sur la preuve que «certaines victimes

étaient des personnes gravement handicapées, et qu’il ne pouvait donc
s’agir de combattants» 173. Toutefois, on ne trouve mention que d’un seul
cas de cette nature (ibid.).

En outre, il semble que le raisonnement du Tribunal permette de
conclure que les personnes pour lesquelles il a été estimé qu’elles
n’entraient pas dans la catégorie des hommes en âge de combattre ne
représentaient, elles aussi, qu’une menace militaire légère et non une

menace sérieuse. La chambre d’appel a en effet jugé que:

«[s]’il est possible que les jeunes et les vieillards aient été à même de
porter les armes, la chambre de première instance était fondée à
conclure qu’ils ne représentaient pas une menace militaire sérieuse ...»
(TPIY, Le procureur c. Krstic ´ , arrêt, par. 27; les italiques sont de

moi.)

171TPIY, Le procureur c. Krs´, arrêt, par. 26.
172Deuxième partie, chap. 8, sect. 10, p. 4.
173
TPIY, Le procureur c. Krs´ , jugement, par. 75.

534574 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP. OP. KRECA )
u

Secundo, procreative implications of killings of men of the Srebrenica
Muslim community.
Tertio, the transfer of women, children and elderly people within their

(Bosnian Serb) control to other areas of Muslim-controlled Bosnia.
Although “forcible transfer does not constitute in and of itself a geno-
cidal act” 17, it does not prevent a Trial Chamber from relying on it as

evidence of the intentions of the VRS Main Staff.

146. It appears obvious that the intention to destroy Bosnian Muslims

in Srebrenica as such is not the only reasonable inference which may be
made from the evidence presented. In a case where an inference needs to
be drawn it must be the only reasonable inference available in the evi-
dence. In concreto, the genocidal intent of the perpetrator of the massacre

is not just the only reasonable inference, but to judge by the basis of the
Trial Chamber’s conclusion that “the extermination . . . was not driven
solely by a military rationale” 175, and on the basis of the accompanying

arguments, it could hardly satisfy even a more flexible standard of proof
than proof beyond reasonable doubt. The contention “that the intent in
killing the men and boys of military age was to eliminate the community
as a whole . . . seems an enormous deduction to make on the basis that
176
men and boys of military age were massacred” .

The approach of the Trial Chamber to the inference in the Krstic ´ case,
is at odds with the jurisprudence of the Tribunal in the Jelisic ´ case (Trial
Judgment, paras. 107-108), and the Brdjanin case. In that last case, the
Trial Chamber concluded, in a way which can be considered a textbook

example of the demonstration of the intrinsic requirement of inference
that

“The Bosnian Serb forces controlled the territory of the ARK, as
shown by the fact that they were capable of mastering the logistic
resources to forcibly displace tens of thousands of Bosnian
Muslims . . ., resources which, had such been the intent, could have

been employed in the destruction of all Bosnian Muslims . . . of the
ARK”,

and, therefore,

“the victims of the underlying acts in Article 4 (2) to (c) particu-
larly in camps and detention facilities, were predominantly, although

not only, military aged men. This additional factor could militate

174ICTY, Prosecutor v. Krst´, Appeals Judgment, para. 33.
175Ibid., para. 26.
176W. Schabas, “Was Genocide Committed in Bosnia and Herzegovina?”, 25 Fordham
International Law Journal , 2001, p. 46.

535 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND . KRECA ) 574
u

Deuxièmement, les conséquences des meurtres d’hommes de la com-
munauté musulmane de Srebrenica sur la postérité de celle-ci.
Troisièmement, le transfert de femmes, d’enfants et de personnes âgées

qui se trouvaient à l’intérieur de leur zone de contrôle (celle des Serbes de
Bosnie) vers d’autres régions de la Bosnie sous contrôle musulman. Même
si «le transfert forcé ne constitue pas par lui-même un acte génoci-
174
daire» , cela n’empêche pas la chambre de première instance de s’en ser-
vir comme d’un élément de preuve des intentions de l’état-major de la VRS.
146. Il apparaît évident que l’intention de détruire les Musulmans de

Bosnie à Srebrenica en tant que tels n’est pas la seule conclusion raison-
nable qu’il soit possible de tirer des éléments de preuve disponibles. Dans
le cas où il faut énoncer une conclusion, il faut que ce soit la seule conclu-
sion raisonnable possible au vu des éléments de preuve. Concrètement,

l’intention génocidaire de l’auteur du massacre n’est pas la seule déduc-
tion raisonnable; or, à en juger par la conclusion de la chambre de pre-
mière instance, «l’extermination ... n’était pas motivée uniquement par
175
des considérations militaires» et, compte tenu des arguments avancés,
voilà une conclusion dont on peut difficilement dire qu’elle répondrait
même à un critère plus souple que celui de la preuve au-delà de tout doute
raisonnable. «Il semble assez démesuré de conclure qu’en tuant les hom-

mes et les garçons en âge de porter les armes l’intention était d’éliminer la
communauté dans son intégralité,... en se fondant sur le fait que des hom-
mes et des jeunes gens en âge de porter les armes ont été massacrés.» 176

La manière dont la chambre de première instance est parvenue à sa
conclusion dans l’affaire Krstic ´ diverge nettement des décisions rendues
par le Tribunal dans les affaires Jelisic ´ (jugement, par. 107-108) et
Brdjanin. Dans cette dernière affaire, la chambre de première instance,

d’une manière qui peut être considérée comme un exemple classique de
démonstration de la condition intrinsèque d’une déduction, a conclu que

«les forces des Serbes de Bosnie contrôlaient le territoire de la région
autonome de Krajina (RAK), comme l’a démontré le fait qu’elles
étaient en mesure de gérer les ressources logistiques pour déplacer
par la force des dizaines de milliers de Musulmans de Bosnie..., res-

sources qui, si telle avait été l’intention, auraient pu être utilisées
pour détruire tous les Musulmans de Bosnie ... de la RAK»,

et que, par conséquent,

«les victimes des actes énumérés à l’article 4 2) jusqu’à l’alinéa c),en
particulier dans les camps et centres de détention, étaient essentiel-

lement des hommes en âge de combattre mais pas seulement. Cet élé-

174TPIY, Le procureur c. Krs´ , arrêt, par. 33.
175TPIY, ibid., par. 26.
176W. Schabas, «Was Genocide Committed in Bosnia and Herzegovina?», Fordham
International Law Journal , vol. 25, 2001, p. 46.

535575 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP. OP. KRECu )

further against the conclusion that the existence of genocidal intent
is the only reasonable inference that may be drawn from the
177
evidence.”

147. The Tribunal’s conclusion according to which the killings of men
in Srebrenica bear serious procreative implications for the Bosnian Mus-

lim community, since that destruction “would inevitably result in the
physical disappearance of the Bosnian Muslim population at Sre-
brenica” 178 through the fact that “their spouses are unable to remarry
179
and, consequently, to have new children” seems highly doubtful from
the legal standpoint.

It might also be said that “the phys180l disappearance of the Bosnian
Muslim population at Srebrenica” by itself does not and can not mean
physical destruction. This is independently of the legal arguments, that is,

as witnessed by the undeniable fact of life — that the Bosnian Muslim
community in Srebrenica reconstituted itself after the conclusion of the
Dayton Agreement.

148. As regards the transfer of women, children and older persons,
the evidence of the transfer cannot serve as a proper basis for the infer-
ence of genocidal intent, since, according to the finding of the Tribunal
181
itself, it “does not constitute in and of itself a genocidal act” . True,
the Trial Chamber treated the transfer as supporting its finding that
“some members of the VRS Main Staff intended to destroy the Bosnian
182
Muslims in Srebrenica” . On this point, the general approach of the
Tribunal seems expansionist in comparison with the spirit and text of
the Genocide Convention. The factual basis for the inference of geno-

cidal intent should, in principle, consist of physical acts which are capa-
ble, objectively, of producing genocidal effects. The physical acts which

do not have this capacity, such as, exempli causa the act of transfer,
may only support the inference of genocidal intent already made or
confirm its existence. Otherwise, the evidence of transfer should be

implicitly treated as evidence of the destruction of the targeted parts of
the protected group, which would in fact mean admitting — although
by the back door — forcible transfer as an underlying act under Arti-

cle II of the Genocide Convention. In concreto , and bearing in mind the
killings of predominantly military aged men in Srebrenica, this does not
permit the inference of genocidal intent as the only reasonable infer-

ence, relying on the evidence of transfer which transcends the permitted
limits of supportive evidence tending to cure its evidential shortcomings

177
ICTY, Prosecutor v. Brdjanin, Trial Judgment, paras. 978-979.
178ICTY, Prosecutor v. Krst´, Trial Judgment, para. 595.
179ICTY, Prosecutor v. Krst´, Appeals Judgment, para. 28.
180ICTY, Prosecutor v. Krst´, Trial Judgment, para. 595.
181ICTY, Prosecutor v. Stakic, Trial Judgment, para. 519; ICTY, Prosecutor v. ´,stic
Appeals Judgment, para. 33.
182ICTY, Prosecutor v. Krst´, Appeals Judgment, para. 33.

536 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP . IND. KRECu ) 575

ment supplémentaire pourrait jouer encore contre la conclusion
selon laquelle l’existence de l’intention génocidaire est la seule déduc-

tion raisonnable pouvant être tirée des éléments de preuve sou-
mis.» 177

147. La conclusion du Tribunal, selon laquelle les meurtres d’hommes
à Srebrenica ont de graves conséquences pour la postérité de la commu-

nauté musulmane de Bosnie, puisque cette destruction «entraînerai[t] iné-
vitablement la disparition physique de la population musulmane de Bos-
nie à Srebrenica» 178 en empêchant leurs épouses de se remarier et donc
179
d’avoir d’autres enfants , paraît extrêmement incertaine du point de
vue juridique.

On pourrait également dire que «la disparition180ysique de la commu-
nauté musulmane de Bosnie à Srebrenica» ne signifie pas et ne peut
pas signifier, en soi, la destruction physique. Indépendamment des argu-

ments de caractère juridique, l’indéniable réalité témoigne de ce que la
communauté musulmane de Bosnie à Srebrenica s’est reconstituée après
la conclusion de l’accord de Dayton.

148. En ce qui concerne le transfert des femmes, enfants et personnes
âgées, la preuve du transfert ne peut servir de véritable substrat pour
déduire l’intention génocidaire, puisque, suivant la conclusion du Tribu-

nal lui-même, ce transfert «ne constitue pas en soi un acte génoci-
daire» 181. En effet, la chambre de première instance a utilisé le transfert
pour étayer sa conclusion, qui est que «des membres de l’état-major prin-

cipal de la VRS avaient l’intention de détruire les Musulmans de Bosnie
vivant à Srebrenica» 182. Sur ce point, le Tribunal semble avoir une
conception large comparée à l’esprit et à la lettre de la convention sur le

génocide. Le substrat factuel permettant de déduire l’intention génoci-
daire devrait, en principe, consister en actes matériels susceptibles, objec-

tivement, de produire des effets génocidaires. Les actes matériels qui ne
peuvent avoir de tels effets, comme l’acte de transfert, ne peuvent
qu’étayer la conclusion de l’intention génocidaire qui a déjà été adoptée

ou confirmer son existence. Dans le cas contraire, la preuve du transfert
serait traitée implicitement comme une preuve de la destruction des
parties visées du groupe protégé, ce qui reviendrait en fait, bien que de

manière déguisée, à considérer le transfert forcé comme un acte sous-
jacent au regard de l’article II de la convention sur le génocide. Concrè-
tement, et en tenant compte de ce que les meurtres, à Srebrenica, ont

concerné essentiellement des hommes en âge de porter les armes, il n’est
pas permis de conclure à l’intention génocidaire comme la seule déduc-

177
TPIY, Le procureur c. Brdjanin , chambre de première instance, par. 978-979.
178TPIY, Le procureur c. Krst´ , jugement, par. 595.
179TPIY, Le procureur c. Krst´ , arrêt, par. 28.
180TPIY, Le procureur c. Krst´ , jugement, par. 595.
181TPIY, Le procureur c. Stakic, jugement, par. 519; TPIY, Le procureur c. Krs´ ,
arrêt, par. 33.
182TPIY, Le procureur c. Krst´ , arrêt, par. 33.

536576 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP. OP. KRECu )

for the purpose of inferring genocidal intent or, even, as a substitute for

it.

Physical acts which per se are not capable of producing genocidal

effects, even if motivated by the intent to destroy a protected group,
legally represent no more than an improper attempt distinguishable from
the attempt to commit genocide in terms of Article III of the Convention
and which may be understood as “action that commences its execution

by means of a substantial step, but the crime does not occu183ecause of
circumstances independent of the person’s intentions” .

149. These means may not be placed on a par with the act of “serious

bodily or mental harm” in the sense of Article II of the Convention.
Being different by their very nature — some of them including the actus
reus of the crimes against humanity (inhuman treatment, deportation)
while others are distinct international offences (torture, rape) — they are

methods which may produce “serious bodily or mental harm” rather
than an act in the normative sense. In that respect, “serious bodily or
mental harm” appears as a result of the methods or means applied, and
not as an act per se. In other words, it should be viewed “on the bases of

intent 184 the possibility of implementing this intent by the harm
done” .

150. The construction of genocide as regards the Srebrenica massacre

made by the ICTY in the Krstic ´ and the Blagojevic ´ cases (the latter Judg-
ment being appealable), is based on erroneous reasoning.
In the case of Srebrenica it has not been proved that there existed a
genocidal plan, either local or regional, that would be considered effected

by the committed massacre. Therefore, the Trial Chambers attempted to
find alleged genocidal intent in the form of inference from the facts pre-
sented.
It appears, however, that the procedure of inference has not been fol-

lowed lege artis, by respecting inherent requirements which inference as
such necessarily implies. The substratum from which special intent may
be inferred must satisfy with respect to its components the relevant stand-
ards, both quantitative and qualitative.

As far as qualitative conditions are concerned, the inferential substra-
tum must consist of acts capable in objective terms of producing geno-
cidal effects or being constitutive of genocide.

It seems obvious, even in the jurisprudence of the Tribunal, that trans-
fer of women, children and elderly per se does not possess such genocidal

183Article 25 (3) (f) of the Statute of the ICC.
184N. Robinson, op. cit.,p.18.

537 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KRECu ) 576

tion raisonnable en s’appuyant sur la preuve du transfert, laquelle trans-

cenderait les limites permises pour être considérée comme corroborante
en cherchant à remédier à une valeur probante insuffisante aux fins de
déduire l’intention génocidaire ou même de s’y substituer.
Les actes matériels qui, en soi, ne sont pas en mesure de produire des

effets génocidaires, même s’ils sont motivés par une intention de détruire
un groupe protégé, ne représentent juridiquement rien de plus qu’une ten-
tative manquée que l’on peut distinguer de celle de commettre un géno-
cide prévue à l’article III de la Convention, à savoir «des actes qui, par

leur caractère substantiel, constituent un commencement d’exécution mais
sans que le crime soit accompli en raison de circonstances indépendantes
de [l]a volonté [de l’individu qui agit]» 18.
149. Ces moyens ne peuvent pas être assimilés à une «atteinte grave à

l’intégrité physique ou mentale» au sens de l’article II de la Convention.
Différents par leur nature même — certains d’entre eux comprennent
l’actus reus des crimes contre l’humanité (traitement inhumain, déporta-
tion) tandis que d’autres sont des crimes internationaux distincts (torture,

viol) —, ces moyens, même s’ils peuvent produire une «atteinte grave à
l’intégrité physique ou mentale», ne constituent pas un acte répondant à
la définition de la Convention. A cet égard, une «atteinte grave à l’inté-
grité physique ou mentale» apparaît comme un résultat des méthodes ou

des moyens appliqués et non comme un acte en soi. C’est-à-dire qu’on
devrait le considérer «sur les bases de l’intention et de la possibilité
d’appliquer cette intention au dommage causé» 184.
150. L’interprétation du génocide en ce qui concerne le massacre de Sre-

brenica, que le TPIY a exposée dans les affaires Krsti´ et Blagojevi´ (le der-
nier jugement n’étant pas définitif), est fondée sur un raisonnement erroné.
Dans le cas de Srebrenica, l’existence d’un plan de génocide, que ce soit
à l’échelle locale ou à l’échelle régionale, dont le massacre une fois com-

mis constituerait la mise en Œuvre, n’a pas été démontrée. Par consé-
quent, les chambres de première instance ont tenté de retenir l’intention
génocidaire alléguée en la déduisant des faits présentés.
Il apparaît cependant que le processus de déduction n’a pas été appli-

qué lege artis, à savoir qu’il n’a pas respecté les conditions intrinsèques
que l’exercice de déduction proprement dit impose nécessairement. Le
substrat à partir duquel il est possible de déduire l’intention spécifique
doit respecter intrinsèquement les normes applicables tant sur le plan

quantitatif que sur le plan qualitatif.
En ce qui concerne les conditions qualitatives, le substrat doit consister
en actes en mesure de produire, au sens objectif, des effets génocidaires
ou d’être constitutifs de génocide.

Il semble évident, même dans la jurisprudence du Tribunal, que le
transfert des femmes, des enfants et des personnes âgées n’a pas en soi

183Article 25 (par. 3, al. f)) du Statut de la CPI.
184N. Robinson, op. cit.,p.18.

537577 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP. OP. KRECu )

capacity. In fact, the transfer has served to the Trial Chamber as a sub-
sidiary source for inference of genocidal intent, as the result of the fact

that “killings” as primary source of inference have not been sufficient and
credible source in that regard. Namely, it appears that both the scope and
the object of killing allow only the interpretation expressed in the Krstic ´
case that “selective genocide” took place, a notion which, in the light of

the requirements established in Article II of the Convention, represents
no more than contradictio in adjecto .

“Selective genocide”, being essentially non-genocide, has been turned

into genocide by means of construction of the genocidal intent from
sources other than killings, i.e., those consisting of acts which are not
constitutive of genocide.
Thus constructed, genocidal intent is then taken as determinable as

regards the nature of acts like forced displacement and the loss suffered
by survivors (Krstic´, Trial Judgment, para. 543; Blagojevic ´, Trial Judg-
ment, paras. 644, 654), which the majority takes as “the actus reus of
causing serious bodily or mental harm”, as defined in Article II (b) of the

Convention (Judgment, para. 290).

Such a procedure may be considered as impermissible. Deduction of
genocidal intent from acts which per se cannot have genocidal effects

and, as such, cannot be considered as acts in terms of Article II of the
Convention, inevitably leads to the watering down of the notion of geno-
cide as established by the Convention 185.
Acts incapable of producing genocidal effects may have only confirmatory

or supportive effects in relation to the already established genocidal intent.
As regards the Srebrenica massacre, the ICTY has, in effect, by infer-
ring alleged genocidal intent from an improper substratum, transformed
possible confirmatory or supportive effects of inference from such a sub-

stratum into constitutive effects. In a word, the ICTY resorted to a con-
struction instead of inference of genocidal intent.

Even if, hypothetically, genocidal intent in Srebrenica were proved, it

would be possible to speak rather of an attempt to commit genocide than
of genocide itself.
It appears that the Trial Chamber proceeded from the distinction that
is untenable as regards the nature of ethnic cleansing. Even though it
holds expressis verbis that ethnic cleansing cannot be equated with geno-

cide, it uses it as a substratum for inference of genocidal intent.

185William A. Schabas, “Was Genocide Committed in Bosnia and Herzegovina? First
Judgments of the International Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia”, 25 Ford-
ham International Law Journal (2001), pp. 45-46.

538 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND . KRECu ) 577

cette capacité génocidaire. En réalité, le transfert a été utilisé comme source
d’information subsidiaire par la chambre de première instance pour

déduire l’intention génocidaire, compte tenu du fait que les «meurtres»,
en tant que source primaire d’une telle conclusion, n’étaient pas une
source suffisante et qu’ils ne constituaient pas non plus une source cré-
dible à cet égard. En l’occurrence, il semble que tant l’étendue que l’objet

des meurtres ne peuvent donner lieu qu’à l’interprétation énoncée dans
l’affaire Krsti´, à savoir celle du «génocide sélectif», notion qui, au vu
des conditions de l’article II de la Convention, ne représente rien d’autre
qu’une contradictio in adjecto .
«Le génocide sélectif», qui est par nature non génocidaire, l’est devenu

par le biais de l’interprétation de l’intention génocidaire à partir d’autres
sources que celle des meurtres, c’est-à-dire d’actes qui ne sont pas consti-
tutifs de ce crime.
Suivant cette interprétation, l’intention génocidaire est alors considérée

comme démontrable en ce qui concerne la nature d’actes comme le dépla-
cement forcé et les pertes subies par les survivants (Krstic ´, jugement de
première instance, par. 543; Blagojevic ´, jugement de première instance,
par. 644, 654), actes que la majorité considère comme «l’élément matériel

d’atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale» au sens du litt. b) de
l’article II de la Convention (par. 290 de l’arrêt).
Un tel processus ne saurait être admis. Déduire une intention génoci-
daire d’actes qui ne peuvent avoir en soi des effets génocidaires et qui,

comme tels, ne peuvent être considérés comme des actes au sens de l’ar-
ticle II de la Convention, conduit inévitablement à affaiblir la notion de
génocide telle qu’elle est établie par la Convention 185.
Des actes incapables de produire des effets génocidaires ne peuvent que

corroborer ou étayer une intention génocidaire déjà établie.
En ce qui concerne le massacre de Srebrenica, le TPIY a, en quelque
sorte, en déduisant l’intention génocidaire alléguée à partir d’un substrat
erroné, transformé d’éventuels effets corroborant ou étayant la déduction

tirée à partir d’un tel substrat en effets constituant cette déduction. Bref,
le TPIY a eu recours à l’interprétation au lieu de déduire l’intention géno-
cidaire.
Même si, par hypothèse, l’intention génocidaire avait été prouvée à

Srebrenica, il serait possible de parler plutôt de tentative de commettre
un génocide plutôt que de génocide proprement dit.
Il s’avère que la chambre de première instance a procédé à partir d’une
distinction insoutenable au regard de la nature du nettoyage ethnique.
Même si elle a jugé expressis verbis que le nettoyage ethnique ne saurait

être comparé au génocide, elle l’utilise comme substrat pour déduire
l’intention génocidaire.

185William A. Schabas, «Was Genocide Committed in Bosnia and Herzegovina? First
Judgments of the International Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia», Fordham
International Law Journal , vol. 25, 2001, p. 45-46.

538578 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP. OP. KRECA )
u

1.6. The true legal meaning of the Judgments of the ICTY in the
Blagojevic´ and Krstic´ cases

151. General Krstic ´ was sentenced for complicity in genocide.

By its very nature, complicity in genocide is an accessory offence.
Complicity as such is not a cause of consequences, and of acts committed
after them, but just a condition, or one of the conditions for them.

The Genocide Convention draws a clear distinction between genocide

and complicity in genocide. That distinction is strictly made in Articles III,
IV, V, VI, VII and VIII by the use of the formula “genocide and . . . other
acts enumerated in Article III”. The expression “acts of genocide” occurs
only in Article VIII, indicating that the expression refers to the five sub-

paragra186 of Article II, and not to the “other acts” defined in Arti-
cle III . Being of a qualitative nature, the distinction between genocide
and complicity in genocide implies that they are mutually exclusive.
In the absence of a perpetrator of genocide as the principal crime, Gen-

eral Krsti´ was, in fact, condemned for complicity in the act of killing
and not of genocide as such.
True, the act of killing is one of the acts determined by Article II of the
Convention as constituting theactus reus of genocide in the normative
sense, but an act which constitutes a crime of extermination or a war crime.

152. False in that the sense of the criminal law is one thing, and that of
international crime is another.
The perception that equates a criminal wrong with a crime essentially
reduces the notion of crime to illegality as an objective element of crime.

However, the notion of crime is based on a symbiosis of two ele-
ments — objective, in terms of illegality of a concrete act or omission,
and subjective, in terms of individualized, personalized guilt. The notion
of crime thus exists as the result of a linkage of wrong and individualized
guilt. Such a concept of crime is common heritage in modern criminal

laws on which is also based the very categorization of criminal law. In the
matter of international criminal law, for instance, without a subjective
element in various forms that a guilty mind may assume, it is not possible
to draw a proper distinction between genocide, crime against humanity

and war crime. Even in crimes of strict liability a subjective element is
necessary applied in the form of absolute presumption of guilt.

International crime implies an accumulation of several components,
one of them being a perpetrator of a crime. As the ICTY repeatedly
stated:

“In order to establish individual criminal responsibility for plan-
ning, instigating, ordering and otherwise aiding and abetting in the

186W. Schabas, Genocide in International Law , 2000, p. 155.

539 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE (OP. IND. KRECA ) 578
u

1.6. Le véritable sens juridique des décisions du TPIY dans les
affaires Blagojevic´ et Krsti´

151. Le général Krstic ´ a été condamné pour complicité de génocide.

De par sa nature même, la complicité dans le génocide est un crime
accessoire. La complicité en tant que telle ne produit pas de conséquences
ni d’actes leur faisant suite, c’est juste une condition ou l’une des condi-
tions qui les favorise.
La convention sur le génocide établit une nette distinction entre le géno-

cide et la complicité dans le génocide. Cette distinction est faite de manière
stricte aux articles III, IV, V, VI, VII et VIII, avec la formule «le génocide
et ... autres actes énumérés à l’article III». L’expression «actes de géno-
cide» n’apparaît qu’à l’article VIII, indiquant que l’expression renvoie aux

cinq al186as de l’article II et non aux «autres actes» définis à l’arti-
cle III . De nature qualitative, la distinction entre génocide et complicité
dans le génocide implique que ces deux notions s’excluent mutuellement.
En l’absence d’un auteur de génocide en tant que crime principal, le

général Krstic´ a en réalité été condamné pour complicité de meurtres et
non de génocide comme tel.
En effet, le meurtre est l’un des actes définis à l’article II de la Convention
comme constituant la ’ctus reus du génocide au sens normatif, mais c’est un
acte qui constitue un crime d’extermination ou bien un crime de guerre.

152. Un acte répréhensible au sens du droit pénal existe en tant que
tel, le crime international est autre chose.
L’analyse qui assimile l’acte répréhensible à un crime réduit essentiel-
lement la notion de crime à l’illicéité en tant qu’élément objectif du crime.

Quoi qu’il en soit, la notion de crime est fondée sur l’association de
deux éléments — l’un, objectif, consistant dans l’illicéité d’un acte concret
ou d’une omission, et l’autre, subjectif, constitué par la culpabilité person-
nifiée et personnalisée. La notion de crime existe donc comme le résultat
d’un lien entre acte illicite et culpabilité personnifiée. Une telle notion

constitue un patrimoine commun dans la législation moderne en matière
pénale et fonde également les catégories proprement dites du droit pénal.
En matière de droit pénal international, par exemple, sans un élément sub-
jectif sous les différentes formes que peut prendre une intention criminelle,

il n’est pas possible de faire une véritable distinction entre le génocide, le
crime contre l’humanité et le crime de guerre. Même en ce qui concerne les
crimes relevant de la responsabilité objective, il existe nécessairement un
élément subjectif sous la forme d’une présomption absolue de culpabilité.

Le crime international implique une accumulation de plusieurs élé-
ments, parmi lesquels l’existence d’un auteur du crime. Comme le TPIY
l’a souvent indiqué:

«Afin d’établir la responsabilité pénale individuelle pour avoir pla-
nifié, incité à commettre, ordonné ou de toute autre manière aidé et

186W. Schabas, Genocide in International Law , 2000, p. 155.

539579 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP. OP .KRECu )

planning and preparation of a crime, referred to in Articles 2 to 5 of
the Statute, proof is required that the crime in question has actually
been committed by the principal offender(s) .” 187

The concrete finding of the Tribunal is a fortiori valid for crimes char-
acterized by special intent, such as genocide. Without the perpetrator as

a person with a mind guilty of the destruction of an ethnic, national, reli-
gious or racial group, it is legally impossible to talk about genocide as
committed crime.

The guilt is a subjective element without which there is no crime in the
legal sense. The very act is not per se sufficient to constitute a crime; it is
merely a strong indication of its existence.

As a criminal act does not exist without a perpetrator, so the guilt, as
indispensable element of a crime, does not exist in legal terms as abstract,
non-individualized guilt. That is the substance of the notion of individual

criminal responsibility. As a rule, the physical act, violating criminal law
norms, transcends into a crime by fulfilment of the subjective require-
ment, i.e., the guilty mind of a perpetrator. Without guilt properly estab-

lished in regard to the person or group of persons, it represents criminal
wrong (Unrecht; illicite criminel) only.

153. General Krstic ´ was convicted as part of a “joint criminal enter-
prise”. In the absence of a genocidal plan until the days immediately pre-
ceding the killing, as the Trial Chamber found, General Krstic ´ “could

only surmise that the original objective of ethnic cleansing by forcible
transfer had turned into a lethal plan to destroy the male population of
Srebrenica” 188.

Some observations seem to be of crucial importance here.

The notion of “joint criminal enterprise” being based on the natural
and foreseeable consequences of the particular act, by its nature belongs
to a negligence-type offence hardly reconcilable with the most serious

crimes, especially genocide characterized essentially by special intent. As
such joint criminal enterprise “is a form of anti-social behaviour judged
by a different yardstick than those who commit crimes with malice and
189
premeditation” .

187ICTR, Prosecutor v. Akayesu, Trial Judgment, para. 473; ICTY, Prosecutor v.
Blaski´, Trial Judgment, para. 278; ICTY, Prosecutor v. Kordic ´, Trial Judgment,
para. 386; ICTY, Prosecutor v. Stak´, Trial Judgment, para. 445; ICTY, Prosecutor v.
Tadi´, Appeals Judgment, para. 229; ICTY, Prosecutor v. Aleksovski, Appeals Judgment,
para. 164; ICTY, Prosecutor v. Furundzija, Trial Judgment, para. 235; ICTY, Prosecu-
tor v. Vasilj´, Trial Judgment, para. 70; ICTY, Prosecutor v. Nale´, Trial Judgment,
para. 63; ICTY, Prosecutor v. Sim´, Trial Judgment, para. 161; emphasis added.
188
189ICTY, Prosecutor v. Krsti´, Trial Judgment, para. 622.
W. Schabas, “Mens rea and the ICTY”, 37 New England Law Review, 2003,
p. 1033.

540 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP . IND .KRECu ) 579

encouragé la planification et la préparation d’un crime visé aux articles

2à5duStatut, il faut prouver que le crime en question a effectivement
été commis par l’auteur principal (ou les auteurs principaux) .»187

La conclusion concrète du Tribunal est à fortiori valable pour les
crimes caractérisés par une intention spécifique comme le génocide. Sans
auteur en tant que personne ayant l’intention criminelle de détruire un

groupe ethnique, national, religieux ou racial, il est tout simplement im-
possible juridiquement de parler de génocide comme d’un crime commis.
La culpabilité est un élément subjectif sans lequel il n’existe pas de

crime au sens juridique. L’acte même n’est pas en soi suffisant pour cons-
tituer un crime; il s’agit juste d’une solide indication de son existence.
De même qu’un acte criminel n’existe pas en l’absence d’un auteur, la

culpabilité, comme élément indispensable d’un crime, n’existe pas juridi-
quement en tant que culpabilité abstraite, non personnifiée. Elle est la
substance de la notion de responsabilité pénale individuelle. L’acte maté-

riel, qui viole une norme juridique pénale, se transforme, en principe, en
crime lorsque la condition subjective est remplie, à savoir l’intention cri-
minelle d’un auteur, mais si la culpabilité n’est pas véritablement établie
à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes, il ne représente

qu’un acte répréhensible au sens du droit pénal (Unrecht, acte illicite).
153. Le général Krstic ´ a été déclaré coupable de participation à une
«entreprise criminelle commune». L’absence de plan visant à perpétrer

un génocide jusqu’aux jours qui ont immédiatement précédé le massacre
n’a pas empêché la chambre de première instance de juger que le général
Krstic´ «se doutait forcément que l’objectif originel de nettoyage ethnique

par le transfert forcé s’était mué en un projet meurtrier, celui d’en finir
une fois pour toutes avec la population masculine de Srebrenica» 188.
Formuler quelques observations semble, sur ce point, d’une impor-

tance cruciale.
Comme la notion d’«entreprise criminelle commune» est fondée sur les
conséquences naturelles et prévisibles d’un acte particulier, elle relève de par sa

nature de la catégorie des infractions de négligence difficilement conciliable
avec les crimes les plus graves, en particulier le génocide, essentiellement carac-
térisé par son intention spécifique. En tant que telle, «[i]l s’agit plutôt d’une

forme de comportement antisocial jugé d’après un critère différent de ce189qui
caractérisent les crimes avec intention criminelle et préméditation» .

187TPIR, Le procureur c. Akayesu, jugement, par. 473; TPIY, Le procureur c. Blas´ ,
jugement, par. 278; TPIY, Le procureur c. Kordi´ , jugement, par. 386; TPIY, Le pro-

cureur c. Stak´ , jugement, par. 445; TPIY, Le procureur c. ´ , arrêt, par. 229; TPIY,
Le procureur c. Aleksovski , arrêt, par. 164; TPIY, Le procureur c. Furundzija , jugement,
par. 235; TPIY, Le procureur c. Vasil´ , jugement, par. 70; TPIY, Le procureur c. Nale-
til´, jugement, par. 63; TPIY, Le procureur c. Sim´ , jugement, par. 161; les italiques
so188de moi.
TPIY, Le procureur c. Krsti´ , jugement, par. 622.
189W. Schabas, «Mens rea and the ICTY», New England Law Review, vol. 37, 2003,
p. 1033.

540580 APPLICATION OF GENOCIDE CONVENTION (SEP.OP . KRECu )

What is more important in casu, the notion of “joint criminal enter-
prise” obviously does not belong to the law of genocide established by
the Convention. The punishable acts other than genocide enumerated

exhaustively in Article III of the Genocide Convention do not comprise a
“joint criminal enterprise”. All of them expressing the requirement in the
chapeau of Article II rest on a subjective standard of the assessment of
mens rea. In contrast, the “joint criminal enterprise” implies rather an

objective standard framed in terms of reasonableness more appropriate
to vicarious civil responsibility than to criminal liability. Moreover, it is
not enumerated as a form of participation in Article 7 (1) of the ICTY
190
Statute, being, in fact, a creation of judges of the ICTY perhaps dis-
regarding the principle nullum crimen nulla poena sine lege . Its effects
amount to an expansion of the mens rea element of the crime of genocide

with dangerous consequences.

As emphasized by the Trial Chamber (Judges May, Bennouna and

Robins) in the Kordic ´ Judgment:

“Stretching notions of individual mens rea too thin may lead to
the imposition of criminal liability on individuals for what is actually
guilt by association, a result that is at odds with the driving princi-
191
ples behind the creation of this International Tribunal.”

The dangers of “guilt by association” were diagnosed by the Tribunal
in its first Annual Report. The Tribunal held that it may lead to “collec-

tive responsibility” as a primitive and archaic concept meaning that the
“whole group will be held guilty of massacres, torture, rape, ethnic
cleansing, the wanton destruction of cities and villages”. And history

shows “that clinging to feelings of ‘collective responsibility’ easily degen-
erates into resentment, hatred and frustration and inevitably leads to
further violence and new crimes” 192.

(Signed) Milenko K RECA .
u

190ICTY, Prosecutor v. Furundzija, Trial Judgment, paras. 199-226; ICTY, Prosecu-
tor v. Tad´, Trial Judgment, para. 190.
191ICTY, Prosecutor v. Kordi´, Trial Judgment, para. 219.
192Report of the International Tribunal for the Prosecution of Persons Responsible for
Serious Violations of International Humanitarian Law Committed in the Territory of the

former Yugoslavia since 1991, Official Records of the General Assembly/Security Council,
Forty-ninth Session/Forty-ninth Year , United Nations doc. A/49/342-S/1994/1007,
para. 16.

541 APPLICATION DE CONVENTION GÉNOCIDE OP .IND . KRECu ) 580

Le plus important en l’espèce est que la notion d’«entreprise criminelle

commune» n’appartient manifestement pas au droit du génocide établi
par la Convention. L’«entreprise criminelle commune» ne figure pas
parmi les actes punissables, autres que le génocide, qui sont énumérés de

manière exhaustive à l’article III de la Convention sur le génocide. La
totalité de ces actes exprimant la condition énoncée dans l’intitulé de
l’article II est basée sur un critère subjectif de l’appréciation de la mens

rea. Par opposition, l’«entreprise criminelle commune» implique plutôt
un critère objectif formulé en fonction du caractère raisonnable mieux
adapté à la responsabilité civile du fait d’autrui qu’à la responsabilité
pénale. En outre, elle ne figure pas, comme forme de participation, au

paragraphe 1 de l’article 7 du Statut du TPIY, étant, en fait, une création
des juges du TPIY 190 peut-être au mépris du principe nullum crimen nulla
poena sine lege. Ses effets reviennent à élargir la mens rea du crime de

génocide, avec de dangereuses conséquences.
Comme l’a souligné la chambre de première instance (les juges May,
Bennouna et Robins) dans le jugement qu’elle a rendu en l’affaire Kordic ´ :

«Une conception trop large de la notion de mens rea pourrait

mener à imputer à des individus une pleine responsabilité pénale
pour ce qui ne relève en réalité que d’une «culpabilité par associa-
tion», ce qui est contraire aux principes fondateurs de ce Tribunal
191
international.»

Les dangers de la «culpabilité par association» ont été présentés par le
Tribunal dans son premier rapport annuel. Le Tribunal a estimé qu’elle
pouvait conduire à une «responsabilité collective» sous forme de concept

primitif et archaïque signifiant qu’«on tiendra des groupes entiers pour
coupables d’avoir massacré, torturé et violé, d’avoir procédé au net-
toyage ethnique et d’avoir détruit aveuglément villes et villages». Et l’his-
toire montre que, «si l’on s’accroche à ces idées de «responsabilité col-

lective», cela dégénère facilement en rancune, en haine et en frustration et
conduit inévitablement à un regain de violences et de crimes» 192.

(Signé) Milenko K REuA .

190
TPIY, Le procureur c. Furundzija , jugement, par. 199-226; TPIY, Le procureur c.
Ta191, jugement, par. 190.
192TPIY, Le procureur c. Kord´ , jugement, par. 219.
Rapport du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées
responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le ter-
ritoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991, GAOR/SCOR, quarante-neuvième session,
Nations Unies, doc. A/49/342-S/1994/1007, 1994, par. 16.

541

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Opinion individuelle de M. Kreca, juge ad hoc

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