Opinion individuelle de M. Gros

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059-19741220-JUD-01-02-EN
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059-19741220-JUD-01-00-EN
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OPINION INDIVIDUELLE DE M. GROS

Comme le montrent les textes des deux arrêts, Australie et Nouvelle-
Zélande, l'un est calquésur l'autre, les affaires ont été instruites,plaidées

et délibéréesensemble; les requêtes introductives d'instance furent
déposéesle mêmejour et les démarchespréparatoires à l'action judiciaire
avaient étéexactement parallèles. Ayant étéd'avis qu'ileût fallu joindre
les deux affaires (ordonnance du 22juin 1973, C.I.J. Recueil 1973, p. 149)
je me réfèreà mon opinion sur l'arrêt concernant le Gouvernement du
Commonwealth.

Cependant, une partie de cette opinion traite du comportement du
demandeur vis-à-vis des expériences nucléaireset il convient d'indiquer
brièvement comment l'attitude du Gouvernement néo-zélandais fut
analogue à celle du Gouvernement australien.
1. II suffit de lire la collection des notes diplomatiques adresséespar le

Gouvernement de la Nouvelle-Zélande au Gouvernement français entre
le 14 mars 1963et la fin de l'année1972(requête,ann. III, p. 23 à 63) où,
à aucun moment, l'argument de I'illicéitédes expériences françaises n'a
étéavancépar la Nouvelle-Zélande comme justifiant une demande d'arrêt
des expériences françaises. La formule de protestation est toujours fondée
sur des inquiétudes,jamais sur un droit. Ainsi aussi tard que le 29 mars

1972 une note de l'ambassade de Nouvelle-Zélande à Paris déclare:
«Si cependant il est procédéà de tels essais d'armes nucléairesen

1972, le Gouvernement néo-zélandaiscompte que le Gouvernement
français, une fois de plus, ne ménagera aucun effort pour réduire les
risques éventuels et veiller à ce que les explosions n'aient lieu que
lorsque les conditions météorologiques offrent les meilleures chances
d'éliminer la possibilitéde retombées dangereuses dans les zones

habitées. Le Gouvernement néo-zélandaisréaffirme qu'il seréserve
expressément le droit de rendre le Gouvernement français respon-
sable de tout dommage ou de toute perte que viendraient a subir la
Nouvelle-Zélande ou lesîles du Pacifique dont elle a la responsabilité
à la suite des essais d'armes auxquels procède le Gouvernement
français.))

La mêmeformule exactement ((si cependant il est procédé ))se trouve
dans les autres notes néo-zélandaises (note du 27 mai 1966, requête,

p. 43; note du 5juin 1968, requête,p. 52; note du 6 avril 1960, requête,
p. 55; note du 14mai 1971,requête,p. 57).

Après des électionsfin 1972,où comme en Australie, le parti travaillisteobtint la majorité, la politique fut modifiée et le conflit d'intérêts poli-
tiques ave.cla France portédevant la Cour.
2. Quant à l'attitude différenciéeentre les alliésdirects de la Nouvelle-

Zélande et la France ou la Chine quelques citations suffisent.
Le premier ministre de Nouvelle-Zélande disait en 1956:

((En l'absence de tout accord entre les grandes Puissances sur la
question du contrôle et de la surveillance des armements tradition-
nels, le développement de cette branche des sciences nucléaires doit
se poursuivre. A cette fin, des essais périodiques sont indispen-
sables'. »

Puis, peu avant la première bombe thermonucléaire britannique, en
1957, le premier ministre déclarait:

((Sila Grande-Bretagne s'arrêtaità présent,elle ne sauraitpas avec
certitude si elle possède en fait des moyens de représailles adéquats

pour le cas où des armes nucléaires seraient utiliséescontre elle ou
pour le cas ou elle serait menacéed'une attaque par ce moyen. On
comprend que le Royaume-Uni souhaite avoir cette certitude. »

A la mêmeépoque la politique du gouvernement était ainsi définiesur le
sujet:

cPremièrement, il s'agit là d'un des problèmes les plus graves
devant lesquels le monde se soit jamais trouvé.
Deuxièmement, la voie que suit la Grande-Bretagne est la bonne,

et nous devons continuer à l'appuyer. Son but est la sécuritédu
Commonwealth et du monde libre, dont dépend notre propre
sécurité.
Troisièmement, nous devons demander et nousdemanderons avec
insistance l'assurance que les essais nucléaires seront maintenus au

minimum compatible avec la défensedu monde libre.
Quatrièmement, nous sommes prêts à nous déclarer et à Œuvrer
pour l'interdiction complète des essais nucléaires quand les autres
nations en feront autant et à condition qu'elles acceptent de se
soumettre à un système satisfaisant d'inspection internationale. On

ne peut vraiment pas nous demander davantage. C'est la sécurité
mêmedu monde libre qui est en jeu et nous ne pouvons pas nous
permettre de prendre des risques. 1)

Après 1966l'emphase porte sur l'opportunité de faire observer par tous
les restrictions prévues dans le traité de 1963. Le premier ministre
déclare:

(JImeparait important de bien voir quelles sont nos priorités. La
principale objection qu'ait le Gouvernement néo-zélandais à la

1 Toutes les citations proviennent de la revue du minees affairesétrangèresde
Nouvelle-Zélande,telles qu'elles sont reproduites dansNigel Roberts, New Zealand
and Nuclear Testing in the Pacific, 1972. poursuite du programme d'essais de la France - comme à la mise
au point d'armes nucléaires par la Chine communiste -, c'est
qu'elle va à l'encontre de la tendance internationale clairement
apparente depuis quelques années à limiter la propagation des armes
de destruction massive. Je penseàdes mesures aussi encourageantes
que le traité d'interdiction partielle des essais de 1963 et au traité
de non-prolifération signécette année, ainsi qu'à la perspective de
voir les grandes Puissances recommencer à étudier sérieusement
d'autres mesures concrètes comme l'interdiction complète de tous
les essais. C'est dans cette optique que la détermination dela France

à aller de l'avant dans l'exécutionde son programme d'armement
me paraît le plus regrettable.
3. Pour le reste, les principes à appliquer au prétendu différend
juridique présentépar la Nouvelle-Zélande à la Cour sont ceux que j'ai
exposés à propos de la requête australienne.La Cour n'a rieà juger dans

cette querelle d'intérêts politiques.
4. Les paragraphes 29 à 35 inclus de mon opinion dans l'affaire
australienne, que j'ai dû consacrer à la divulgation anticipée par le
premier ministre d'Australie de la décisionde la Cour du22juin 1973et
de la répartition des votes, ne sont pas applicableà l'affaire néo-zélan-
daise.

(SignéA ). GROS.

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OPINION INDIVIDUELLE DE M. GROS

Comme le montrent les textes des deux arrêts, Australie et Nouvelle-
Zélande, l'un est calquésur l'autre, les affaires ont été instruites,plaidées

et délibéréesensemble; les requêtes introductives d'instance furent
déposéesle mêmejour et les démarchespréparatoires à l'action judiciaire
avaient étéexactement parallèles. Ayant étéd'avis qu'ileût fallu joindre
les deux affaires (ordonnance du 22juin 1973, C.I.J. Recueil 1973, p. 149)
je me réfèreà mon opinion sur l'arrêt concernant le Gouvernement du
Commonwealth.

Cependant, une partie de cette opinion traite du comportement du
demandeur vis-à-vis des expériences nucléaireset il convient d'indiquer
brièvement comment l'attitude du Gouvernement néo-zélandais fut
analogue à celle du Gouvernement australien.
1. II suffit de lire la collection des notes diplomatiques adresséespar le

Gouvernement de la Nouvelle-Zélande au Gouvernement français entre
le 14 mars 1963et la fin de l'année1972(requête,ann. III, p. 23 à 63) où,
à aucun moment, l'argument de I'illicéitédes expériences françaises n'a
étéavancépar la Nouvelle-Zélande comme justifiant une demande d'arrêt
des expériences françaises. La formule de protestation est toujours fondée
sur des inquiétudes,jamais sur un droit. Ainsi aussi tard que le 29 mars

1972 une note de l'ambassade de Nouvelle-Zélande à Paris déclare:
«Si cependant il est procédéà de tels essais d'armes nucléairesen

1972, le Gouvernement néo-zélandaiscompte que le Gouvernement
français, une fois de plus, ne ménagera aucun effort pour réduire les
risques éventuels et veiller à ce que les explosions n'aient lieu que
lorsque les conditions météorologiques offrent les meilleures chances
d'éliminer la possibilitéde retombées dangereuses dans les zones

habitées. Le Gouvernement néo-zélandaisréaffirme qu'il seréserve
expressément le droit de rendre le Gouvernement français respon-
sable de tout dommage ou de toute perte que viendraient a subir la
Nouvelle-Zélande ou lesîles du Pacifique dont elle a la responsabilité
à la suite des essais d'armes auxquels procède le Gouvernement
français.))

La mêmeformule exactement ((si cependant il est procédé ))se trouve
dans les autres notes néo-zélandaises (note du 27 mai 1966, requête,

p. 43; note du 5juin 1968, requête,p. 52; note du 6 avril 1960, requête,
p. 55; note du 14mai 1971,requête,p. 57).

Après des électionsfin 1972,où comme en Australie, le parti travailliste SEPARATE OPINION OF JUDGE GROS

[Translation]

As is shown by the texts of the two Judgments, one in the Australian
and the other in the New Zealand case, one is modelled on the other, the
cases were examined, pleaded and deliberated upon together; the Appli-
cations instituting proceedings were filed on theame day and the steps

preparatory to the judicial proceedings had been exactly parallel. Having
been of the opinion that the two cases ought to have been joined (Order of
22 June 1973, I.C.J.Reports 1973, p. 149) 1would refer to my opinion on
the Judgment concerning the Government of the ~ommonwealth.
However, part of that opinion deals with the conduct of the Applicant
in relation to the nuclear tests and some brief indication should be given

to show how the attitude of the New Zealand Government was analogous
to that of the Australian Government.
1. It is sufficient to read the series of diplomatic Notes addressby
the Government of New Zealand to the French Government between
14 March 1963 and the end of 1972(Application, Ann. III, pp. 22-62) in
which the argument that the French tests were unlawful was at no time

put forward by New Zealand as justifying a request that the French tests
be halted. The form of words used for the protests is always based on
anxieties, never on a right. Thus, as late as 29 March 1972,a Note of the
New Zealand Embassy in Paris stated:

"If such testing of nuclear weapons is carried out during 1972,
the New Zealand Government will expect the French Government
once again to make every effort to minimize potential risks and to
ensure that al1 explosions take place only in meteorological con-
ditions which afford the greatest possibility of eliminating the risk of

dangerous fallout in inhabited areas. The New Zealand Government
reaffirms that it formally reserves the right to hold the French
Government responsible for any damage or losses incurred by
New Zealand, or the Pacific Islands for which New Zealand has a
responsibility, as a result of any nuclear weapons tests conducted by
the Government of France." (Ibid pp, 58 and 60.)

Exactly the same form of words, "if such testing of nuclear weapons is
carried out" is to be found in the other New Zealand Notes (Note of

27 May 1966,Application, p. 42; Note of 5June 1968,Application, p. 52;
Note of 6 April 1970, Application, p. 54; Note of 14 May 1971, Appli-
cation, p. 56).
After elections at the end of 1972 in which, as in Australia, the Labourobtint la majorité, la politique fut modifiée et le conflit d'intérêts poli-
tiques ave.cla France portédevant la Cour.
2. Quant à l'attitude différenciéeentre les alliésdirects de la Nouvelle-

Zélande et la France ou la Chine quelques citations suffisent.
Le premier ministre de Nouvelle-Zélande disait en 1956:

((En l'absence de tout accord entre les grandes Puissances sur la
question du contrôle et de la surveillance des armements tradition-
nels, le développement de cette branche des sciences nucléaires doit
se poursuivre. A cette fin, des essais périodiques sont indispen-
sables'. »

Puis, peu avant la première bombe thermonucléaire britannique, en
1957, le premier ministre déclarait:

((Sila Grande-Bretagne s'arrêtaità présent,elle ne sauraitpas avec
certitude si elle possède en fait des moyens de représailles adéquats

pour le cas où des armes nucléaires seraient utiliséescontre elle ou
pour le cas ou elle serait menacéed'une attaque par ce moyen. On
comprend que le Royaume-Uni souhaite avoir cette certitude. »

A la mêmeépoque la politique du gouvernement était ainsi définiesur le
sujet:

cPremièrement, il s'agit là d'un des problèmes les plus graves
devant lesquels le monde se soit jamais trouvé.
Deuxièmement, la voie que suit la Grande-Bretagne est la bonne,

et nous devons continuer à l'appuyer. Son but est la sécuritédu
Commonwealth et du monde libre, dont dépend notre propre
sécurité.
Troisièmement, nous devons demander et nousdemanderons avec
insistance l'assurance que les essais nucléaires seront maintenus au

minimum compatible avec la défensedu monde libre.
Quatrièmement, nous sommes prêts à nous déclarer et à Œuvrer
pour l'interdiction complète des essais nucléaires quand les autres
nations en feront autant et à condition qu'elles acceptent de se
soumettre à un système satisfaisant d'inspection internationale. On

ne peut vraiment pas nous demander davantage. C'est la sécurité
mêmedu monde libre qui est en jeu et nous ne pouvons pas nous
permettre de prendre des risques. 1)

Après 1966l'emphase porte sur l'opportunité de faire observer par tous
les restrictions prévues dans le traité de 1963. Le premier ministre
déclare:

(JImeparait important de bien voir quelles sont nos priorités. La
principale objection qu'ait le Gouvernement néo-zélandais à la

1 Toutes les citations proviennent de la revue du minees affairesétrangèresde
Nouvelle-Zélande,telles qu'elles sont reproduites dansNigel Roberts, New Zealand
and Nuclear Testing in the Pacific, 1972.Party obtained a majority, the policy was modified and the conflict of
political interests with France was brought before the Court.
2. As for the differentiation of New Zealand's attitude as between its
direct allies and France or China, a few quotations will suffice.

The Prime Minister of New Zealand said in 1956:
"In the absence of any agreement among the major powers on the

question of the control and supervision of conventional armaments,
the development of this branch of the nuclear sciences must con-
tinue. Periodic tests are essential to this workl."

Then a little before the first British thermonuclear bomb, in 1957, the
Prime Minister stated:

"If Britain were to cal1a halt now it would leave her uncertain in
her knowledge as to whether she did in fact possess adequate means
of retaliation should nuclear weapons be used against her or should
she be threatened with attack by this means. The United Kingdom

understandably wishes to have that knowledge."
At the same period the Government's policy on the subject was thus

defined :
"First, this is one of the most serious problems that has ever faced

the world.
Second, the course being followed by Britain is the right course,
and we must continue to support her. Her aim is the security of the
Commonwealth and the free world and our safety lies in that
security.

Third, we should and will press for assurances that nuclear tests
will be kept to a minimum, consistent with the defence of the free
world.
Fourth, we are ready to support and to work for the complete
banning of nuclear tests when the other nations will do the same and

conditionally on their agreeing to an adequate system of interna-
tional inspection. Surely nothing could be fairer than that. The very
safety of the free world is at stake and we cannot afford to take
risks."

After 1966the einphasis was placed on the desirability of securing the
observance by al1 States of the restrictions provided for in the 1963
Treaty. The Prime Minister declared:

"1 think it important that we get our priorities straight. The
New Zealand Government's primary objection to the continuation

l All the quotations are from the review published by the New Zealand Ministry for
Foreign Affairs, as reproduced inel Roberts, New Zealand and Nuclear Testing in
thePacific, 1972. poursuite du programme d'essais de la France - comme à la mise
au point d'armes nucléaires par la Chine communiste -, c'est
qu'elle va à l'encontre de la tendance internationale clairement
apparente depuis quelques années à limiter la propagation des armes
de destruction massive. Je penseàdes mesures aussi encourageantes
que le traité d'interdiction partielle des essais de 1963 et au traité
de non-prolifération signécette année, ainsi qu'à la perspective de
voir les grandes Puissances recommencer à étudier sérieusement
d'autres mesures concrètes comme l'interdiction complète de tous
les essais. C'est dans cette optique que la détermination dela France

à aller de l'avant dans l'exécutionde son programme d'armement
me paraît le plus regrettable.
3. Pour le reste, les principes à appliquer au prétendu différend
juridique présentépar la Nouvelle-Zélande à la Cour sont ceux que j'ai
exposés à propos de la requête australienne.La Cour n'a rieà juger dans

cette querelle d'intérêts politiques.
4. Les paragraphes 29 à 35 inclus de mon opinion dans l'affaire
australienne, que j'ai dû consacrer à la divulgation anticipée par le
premier ministre d'Australie de la décisionde la Cour du22juin 1973et
de la répartition des votes, ne sont pas applicableà l'affaire néo-zélan-
daise.

(SignéA ). GROS. of the French testing programme-as it is to the development of
nuclear weapons by Communist China-is that it flies in the face of
the clear international trend in the last few years towards limiting the
spread of weapons of mass destruction. 1have in mind such encour-
aging steps as the Partial Test Ban Treaty of 1963, and this year's

Non-Proliferation Treaty, and the prospects that further specific
measures such as a comprehensive ban on al1 testing will again be
taken up for serious study by the great powers. It is in this context
that the French determination to press ahead with their weapon
development programme seems to me mostly to be regretted."

3. For the rest, the principles to be applied to the so-called legal dispute
submitted by New Zealand to the Court are those which 1have set forth

in connection with the Australian Application. There is nothing for the
Court to judge in this clash of political interests.
4. Paragraphs 29-35 of my opinon in the case brought by Australia,
which 1 had to devote to the premature disclosure by the Australian
Prime Minister of the Court's decision of 22 June 1973and of the voting-
figures, do not concern the New Zealand case.

(Signed) A. GROS.

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Opinion individuelle de M. Gros

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