Opinion individuelle de M. de Castro

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056-19740725-JUD-01-06-EN
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056-19740725-JUD-01-00-EN
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OPINION INDIVIDUELLE DE M. DE CASTRO

J'ai voté avecla majorité et j'ai expriméles raisons de mon vote dans
mon opinion individuelle en l'affaire de la Compétence en matière de
pêcheries(Royaume-Uni c. Islande), qui mutatis mutandis s'appliquent
à la présente espèce. Je tiens cependant à ajouter les considérations

suivantes.
Dans la procédure orale, le Gouvernement de la République fédérale
prie la Cour, dans la dernière de ses conclusions, de dire et juger que
l'Islande doit une réparation pour les actes des garde-côtes islandais
visant à gêner,par la menace ou l'emploi de la force, les navires de pêche
allemands (compte rendu du 28 mars 1974,p. 92).Dans le mémoirealle-

mand, il prie plus clairement la Cour de dire

((que la République de l'Islande est en principe responsable du tort

causéaux navires de pêcheallemands par les actes illicites des garde-
côtes islandais relatésdans les paragraphes qui précèdentet a I'obli-
gation de réparer entièrement le préjudiceque la République fédérale
d'Allemagne et ses ressortissants ont effectivement subi de ce fait))
(cinquième partie, par. 18).

Cette demande de la République fédérale pose à la Cour deux ques-
tions préalables qui doivent êtreexaminéesséparément.
Je ne vois pas comment la Cour pourra acquiescer à cette demande de

la République fédérale.La Cour n'a pas, dans un arrêt surune affaire, à
formuler de déclarations de principe. Dire qu'un acte illicite, qui est la
cause de préjudices,donne lieu à l'obligation de réparer est un truisme. Il
n'est donc pas utile de le dire. Mais par cela même,le dire peut faire pen-
ser que la Cour a admis, du moins primafacie, I'existence des actes illi-
cites et des dommages.

Une demande de dédommagement, pour êtrerecevable par un tribu-
nal, doit inclure une offre de preuves- des preuves sur la faute de I'in-
criminé, sur l'existence et le montant de chaque dommage; il faut consi-
dérer aussi une compensation possible des fautes ou dommages. C'est
après l'administration des preuves que la Cour peut s'assurer que les
conclusions sur l'indemnisation sont fondéesen fait et en droit.

L'autre question à examiner concerne la compétence de la Cour pour
considérer la demande de réparations.
Je dois dire, avant tout, qu'il ne me semble pas que la Cour ait à
trancher la question de la compétence avant de dire que la demande est
irrecevable. La Cour peut ne pas donner suite à la demande du fait
même qu'ellea étémal posée. La Cour a toujours compétence pour dé-cider qu'une demande n'est pas recevable en raison de sa formulation tout
à fait défectueuse.
Je crois aussi ne pas devoir cacher mes doutes sur la compétence de la
Cour pour examiner la question des réparations. J'hésiteparce que je ne

vois pas comment on peut déduire de la clause compromissoire que la
tâche confiéeà la Cour englobe la question des réparations. La clause a
étéacceptéepar l'Islande à contrecceur, et il semble que rien n'autorise à
l'interpréter d'unemanière extensive. L'accord de 1961 est limitéà I'éta-
blissement des zones de pêche; la clause compromissoire porte sur la
question (the matter) de l'élargissement.La Cour peut et doit statuer sur

l'élargissement. Peut-elle le faire aussi sur des questions connexes? Il me
semble que les dommages et préjudicesinvoquéspar la République fédé-
rale ont une autre source que la question de I'élargissement.Le caractère
illicite des actes des garde-côtes islandais qu'on fait valoir pourrait être
déduit de ce qu'ils se sont produits les uns pendente litis et les autressans
tenir compte de l'ordonnance de la Cour sur les mesures conservatoires.
Ils seraient nésnon de l'inaccomplissement des obligations contractuelles

(découlant du même traité)mais ex delicto.
Il n'est pas aiséd'interpréter la clause compromissoire d'une manière
extensive. L'élargissement n'est pas la cause du préjudice. Les actes des
garde-côtes sont des faits nouveaux et non prévusau moment de l'accord.

Le vieux dictum selon lequel bonijudicis est awzpliarejurisdictionem n'est

pas applicable à la compétence de la Cour (Charte, art. 2, par. 7).Je
crois que la clause compromissoire des notes de 1961 ne doit pas être
interprétéede manière restrictive mais elle ne doit pas l'êtrenon plus de
manière extensive; il faut s'en tenir au sens ordinaire des termes des notes
dans leur contexte et à la lumière de leur objet et de leur but (Convention
de Vienne sur le droit des traités,art31).

(Signé) F.DE CASTRO.

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OPINION INDIVIDUELLE DE M. DE CASTRO

J'ai voté avecla majorité et j'ai expriméles raisons de mon vote dans
mon opinion individuelle en l'affaire de la Compétence en matière de
pêcheries(Royaume-Uni c. Islande), qui mutatis mutandis s'appliquent
à la présente espèce. Je tiens cependant à ajouter les considérations

suivantes.
Dans la procédure orale, le Gouvernement de la République fédérale
prie la Cour, dans la dernière de ses conclusions, de dire et juger que
l'Islande doit une réparation pour les actes des garde-côtes islandais
visant à gêner,par la menace ou l'emploi de la force, les navires de pêche
allemands (compte rendu du 28 mars 1974,p. 92).Dans le mémoirealle-

mand, il prie plus clairement la Cour de dire

((que la République de l'Islande est en principe responsable du tort

causéaux navires de pêcheallemands par les actes illicites des garde-
côtes islandais relatésdans les paragraphes qui précèdentet a I'obli-
gation de réparer entièrement le préjudiceque la République fédérale
d'Allemagne et ses ressortissants ont effectivement subi de ce fait))
(cinquième partie, par. 18).

Cette demande de la République fédérale pose à la Cour deux ques-
tions préalables qui doivent êtreexaminéesséparément.
Je ne vois pas comment la Cour pourra acquiescer à cette demande de

la République fédérale.La Cour n'a pas, dans un arrêt surune affaire, à
formuler de déclarations de principe. Dire qu'un acte illicite, qui est la
cause de préjudices,donne lieu à l'obligation de réparer est un truisme. Il
n'est donc pas utile de le dire. Mais par cela même,le dire peut faire pen-
ser que la Cour a admis, du moins primafacie, I'existence des actes illi-
cites et des dommages.

Une demande de dédommagement, pour êtrerecevable par un tribu-
nal, doit inclure une offre de preuves- des preuves sur la faute de I'in-
criminé, sur l'existence et le montant de chaque dommage; il faut consi-
dérer aussi une compensation possible des fautes ou dommages. C'est
après l'administration des preuves que la Cour peut s'assurer que les
conclusions sur l'indemnisation sont fondéesen fait et en droit.

L'autre question à examiner concerne la compétence de la Cour pour
considérer la demande de réparations.
Je dois dire, avant tout, qu'il ne me semble pas que la Cour ait à
trancher la question de la compétence avant de dire que la demande est
irrecevable. La Cour peut ne pas donner suite à la demande du fait
même qu'ellea étémal posée. La Cour a toujours compétence pour dé- SEPARATE OPMION OF JUDGE DE CASTRO

[Translation]

1voted with the majority, and I have explained the reasons for my vote
in my separate opinion in the case of Fisheries Jurisdiction (United
Kingdom v. Iceland), and these reasons apply mutatis mutandis to the
present case. 1would like however to add the following observations.

During the oral proceedings, the Government of the Federal Republic

requested the Court, in its last submission, to adjudge and declare that
Iceland is under an obligation to make compensation for the acts of
interference by Icelandic coastal patrol boats with the German fishing
vessels by the threat or use of force (hearing of8 March 1974,p. 92). In
the German Memorial its request is clearer, namely that the Court should
declare :
"That the Republic of Iceland is, in principle, responsible for the
damage inflicted upon German fishing vessels by the illegal acts of
the Icelandic coastal patrol boats described in the preceding para-
graphs, and under an obligation to pay full compensation for al1

damage which the Federal Republic of :Germany and its nationals
have açtually suffered thereby." (Part V, para. 18.)
This claim by the Federal Republic raises two preliminary questions
for the Court, which should be examined separately.
1 do not see how the Court can agree to this claim by the Federal
Republic. In its judgment on a case the Court does not have to make
declarations of principle. To Say that an illegal act which has caused
injury givesrise to an obligation to make reparation is a mere truism, and
there is therefore no point in saying it. But for that very reason, to say
as much would suggest that the Court has, at least prima facie, accepted
the existence of illegal acts and ofamage.

A claim for reparation, if it is to be admissible before a court, must
include an offer of evidence, as to the fault of the defendant, and as to
the existence and the amount of each head of damage; the possibility
must also be considered of balancing of fault on each side, or set-off of
damages. It is after hearing evidence that the Court can satisfy itself that
the submissions as to reparation are well founded in fact and in law.
The other question to be examined concerns the Court's jurisdiction
to entertain the claim for reparation.
1 should observe first of ail that I do not consider that the Court has
to settle the question of jurisdiction before stating that the claim is
inadmissible. It is ,open to the Court to take no action on the claim
because it is not properly made. The Court always has jurisdiction tocider qu'une demande n'est pas recevable en raison de sa formulation tout
à fait défectueuse.
Je crois aussi ne pas devoir cacher mes doutes sur la compétence de la
Cour pour examiner la question des réparations. J'hésiteparce que je ne

vois pas comment on peut déduire de la clause compromissoire que la
tâche confiéeà la Cour englobe la question des réparations. La clause a
étéacceptéepar l'Islande à contrecceur, et il semble que rien n'autorise à
l'interpréter d'unemanière extensive. L'accord de 1961 est limitéà I'éta-
blissement des zones de pêche; la clause compromissoire porte sur la
question (the matter) de l'élargissement.La Cour peut et doit statuer sur

l'élargissement. Peut-elle le faire aussi sur des questions connexes? Il me
semble que les dommages et préjudicesinvoquéspar la République fédé-
rale ont une autre source que la question de I'élargissement.Le caractère
illicite des actes des garde-côtes islandais qu'on fait valoir pourrait être
déduit de ce qu'ils se sont produits les uns pendente litis et les autressans
tenir compte de l'ordonnance de la Cour sur les mesures conservatoires.
Ils seraient nésnon de l'inaccomplissement des obligations contractuelles

(découlant du même traité)mais ex delicto.
Il n'est pas aiséd'interpréter la clause compromissoire d'une manière
extensive. L'élargissement n'est pas la cause du préjudice. Les actes des
garde-côtes sont des faits nouveaux et non prévusau moment de l'accord.

Le vieux dictum selon lequel bonijudicis est awzpliarejurisdictionem n'est

pas applicable à la compétence de la Cour (Charte, art. 2, par. 7).Je
crois que la clause compromissoire des notes de 1961 ne doit pas être
interprétéede manière restrictive mais elle ne doit pas l'êtrenon plus de
manière extensive; il faut s'en tenir au sens ordinaire des termes des notes
dans leur contexte et à la lumière de leur objet et de leur but (Convention
de Vienne sur le droit des traités,art31).

(Signé) F.DE CASTRO.decide that a claim is inadmissible because its formulation is wholly
defective.

1think also that 1should make no secret of my doubts as to the Court's
jurisdiction to examine the question of reparation. My hesitation arises
from the fact that 1do not see how it can be argued from the compromis-
sory clause that the task entrusted to the Court includes the question of
reparation. The clause was accepted unwillingly by lceland, and it would
appear that there is nothing to justify its being interpreted extensively.
The 1961agreement is confined to the establishment of fishing zones; the

compromissory clause relates to "the matter" of the extension. The Court
can and must give a decision on the extension. Can it do so also on
connected questions? In my view, the damage and injury relied on by
the Federal Republic derive from something other than the extension.
The unlawfulness of the activities of the Iceland coastal patrol boats
which has been asserted might be deduced from the fact that they oc-

curred either pendente lire or in disregard of the Court's Order as to
interim measures; they would thus arise not from non-compliance with
contractual obligations (arising from the same treaty) but ex delicto.
It is not easy to iriterpret the compromissory clause so extensively. The
extension of fisheries jurisdiction is not the cause of the damage; the
acts of the coastal patrol boats are new facts, not foreseen at the time of

conclusion of the agreement.
The old saying that boni judicis est ampliare jurisdictionem is not
applicable to the Court's jurisdiction (United Nations Charter, Art. 2,
para. 7). 1consider that the compromissory clause in the 1961 Exchange
of Notes should riot be interpreted restrictively, but should not be
interpreted extensively either; it should be read in accordance with the

ordinary meaning to be given to the terms or the Notes in their context
and in the light of their object and purpose (Vienna Convention on the
Law of Treaties, Art. 31).

(Signed) F. DE CASTRO.

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