Opinion dissidente de M. Klaestad (traduction)

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032-19571126-JUD-01-02-EN
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032-19571126-JUD-01-00-EN
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OPINION DISSIDENTE DE M. KLAESTAD

[ Traductionj
Dans sa cinquième exception préliminaire, le Gouvernement de
l'Inde invoque une réserve contenue dans sa déclaration d'accep-
tation de la juridiction obligatoire de la Cour de 1940, qui exclut
de cette juridiction «les différends relatifs à des questions qui,
d'après le droit international, relèvent exclusivement de la juri-
diction de l'Inde ». Il soutient que la Cour est incompétente
parce que le présent différend, relatif à un prétendu droit de
passage du Portugal sur le territoire indien entre Dam20 et les
enclaves et entre les enclaves elles-mêmes,concerne des questions
qui relèvent exclusivement de la compétence nationale de l'Inde.
Le principe juridique applicable à une question de cette sorte a
étéénoncépar la Cour permanente de Justice internationale dans

son avis consultatif sur les Décretsde nationalitéen Tunisie et azt
Maroc. Appliquant ce principe aux circonstances de la phase
préliminaire du présent différend, je devrai rechercher d'une
manière sommaire et provisoire si les titres invoqués par le
Gouvernement du Portugal peuvent justifier la conclusion provi-
soire qu'ils présentent une importance juridique pour le différend
et, dans l'affirmative, si ces titres concernent des questions de droit
international.
Le Gouvernement du Portugal invoque le traité luso-mahratte
de 1779, ainsi que différents décrets mahrattes destinés à appliquer
les dispositions de l'article 17 de ce traité. Il soutient que, par
ces textes, le souverain mahratte a cédéau Portugal la souveraineté
sur les enclaves, tandis que le Gouvernement de l'Inde prétend
que le Portugal n'a acquis que certains droits fiscaux révocables
relatifs aux enclaves et que 1'Etat mahratte a conservé la souve-
raineté sur ces territoires.Il est possible que cette divergence de

vues ait une influence sur la question du droit de passage entre
Damào et les enclaves. Puisqu'elle implique l'interprétation d'un
traité, elle concerne une question de droit international.

Le Gouvernement du Portugal invoque en outre une convention
conclue en 1785 avec le souverain mahratte. Il était stipulé dans
cette convention que le Portugal était tenu de réprimer toute
rébellion pouvant éclater dans les enclaves. On fait valoir que
cette disposition présupposait l'accès du Portugal aux enclaves,
affirmant par là son droit de passage sur le territoire mahratte.
La question de savoir si cette opinion est justifiée ou non peut
dépendre de l'interprétation de cette convention et concernerait
par conséquent une question de droit international.
Le Gouvernement du Portugal se fonde également sur une
prétendue coutume locale qu'il dit s'être développée sur une DROIT DE P.4SSAGE (OP. DISS. DE hl. I<LAEÇTXD) 165

période de près de deux siècles entre le Portugal et l'État mahratte
et ses successeurs. La question de savoir si un usage relatif au
passage entre Dam20 et les enclaves a pu s'exercer de manière à
satisfaire aux prescriptions de l'article 38, paragraphe I b), du
Statut de la Cour est une question de droit international (cf.
arrêtrendu en l'affaire du Dvoitd'asile, C. I. J. Reczceili.9jo, pp. 276-

27Le Gouvernement du Portugal invoque enfin une prétendue

coutume internationale générale, ainsi que les, principes généraux
de droit reconnus par les nations civilisées (Statut, article 38,
paragraphes I b) et c)), tandis que le Gouvernement de l'Inde,
en réfutant les thèses portugaises à cet égard, se place sur le même
terrain du droit international.
Il n'est pas nécessaire de poursuivre cet examen sommaire et
provisoire des titres invoqués par le Gouvernement du Portugal
pour se faire une opinion sur la nature du différend. Cet examen
suffit à montrer qu'en tout cas certains de ces titres peuvent
présenter une importance juridique pour le présent différend et
qu'ils concernent des questions de droit international. Il està mes
yeux évident que l'on ne peut statuer sur l'objet du différendque
sur la base du droit international,et qu'on ne saurait le considérer

comme ayant trait à des ((questions qui, d'après le droit inter-
national, relèvent exclusivement de la juridiction de l'Inde )).Je
ne puis donc admettre la cinquième exception préliminaire.
Sur le point de savoir si cette exception doit être rejetée ou
jointe au fond, les opinions ont différé.J'estime qu'elle doit être
rejetée, car un examen sommaire et provisoire des titres invoqués
par le Portugal a fait ressortir dans une mesure suffisante des
éléments de droit international pouvant être pertinents pour
statuer sur le différend.
Cette conclusion provisoire quant à la nature du différenc!ne
saurait en rien préjuger l'examen du fond. Sur le point de savoir
si les thèses portugaises relatives au prétendu droit de passage

sur le territoire indien sont justifiées ou non, je n'ai encore aucune
opinion. Je ne pourrai en avoir que lorsque le différend aura été.
au prochain stade de la procédure, plaidé et examiné au fond. La
question préliniinaire de savoir si la Cour est com~)éterite pour
statuer au fond doit être distinguée de l'exercice inême de la
compétence.

En ce qui concerne les autres points en litige, je suis d'une
manièrc générale en accord avec la Cour.

(S~@zé )elge KLAESTAD.

Bilingual Content

DISSENTING OPINION OF JUDGE KLAESTAD

In its Fifth Preliminary Objection the Government of India

invokes a reservation contained in its Declaration of 1940 accepting
the compulsory jurisdiction of the Court, which excludes from this
jurisdiction "disputes with regard to questions which by inter-
national law fall exclusively within the jurisdiction of India".
It contends that the Court lacks jurisdiction because the present
dispute concerning Portugal's alleged right of passage over Indian
territory between Daman and the enclaves and between the en-
claves themselves relates to questions which fall exclusively within
the national jurisdiction of India.
The legal principle applicable to a question of this kind was
formulated by the Permanent Court of International Justice in
its Advisory Opinion concerning Nationality Decrees isszted in
Tunis and Morocco.Applying that principle to the circumstances
of the preliminary phase of the present dispute, 1 shall have to
examine in a summary and provisional manner whether the legal
grounds invoked by the Government of Portugal may justify the
provisional conclusion that they are of juridical importance for the

dispute and, if so, whether these grounds relate to questions of
international law.
The Government of Portugal invokes a Treaty of 1779 concluded
between Portugal and the Mahratha ruler and various Mahratha
Decrees purporting to carry out the provisions of Article 17 of that
Treaty. It contends that sovereignty over the enclaves was thereby
ceded to Portugal by the Mahratha ruler, while the Government
of India alleges that Portugal acquired only certain revocable
fiscal rights with regard to the enclaves, and that the sovereignty
over them was retained by the Mahratha State. It is possible that
this divergence of opinion may have a bearing on the question of
right of passage between Daman and the enclaves. As it involves
the interpretation of a treaty, it relates to a question of inter-
national law.
The Government of Portugal further invokes a Convention of
1785 concluded with the Mahratha ruler. By this Convention it was
provided that Portugal was obliged to quell any rebellion which

might break out in the enclaves. It is argued that this provision
presupposed Portugal's access to the enclaves, thereby affirming
her right of passage over Mahratha territory. Whether this view is
justified or not may depend on an interpretation of this Conven-
tion and would consequently relate to a question of international
law.
The Govemment of Portugal also relies on an alleged local
custom which during a period of nearly two centuries is said to
43 OPINION DISSIDENTE DE M. KLAESTAD

[ Traductionj
Dans sa cinquième exception préliminaire, le Gouvernement de
l'Inde invoque une réserve contenue dans sa déclaration d'accep-
tation de la juridiction obligatoire de la Cour de 1940, qui exclut
de cette juridiction «les différends relatifs à des questions qui,
d'après le droit international, relèvent exclusivement de la juri-
diction de l'Inde ». Il soutient que la Cour est incompétente
parce que le présent différend, relatif à un prétendu droit de
passage du Portugal sur le territoire indien entre Dam20 et les
enclaves et entre les enclaves elles-mêmes,concerne des questions
qui relèvent exclusivement de la compétence nationale de l'Inde.
Le principe juridique applicable à une question de cette sorte a
étéénoncépar la Cour permanente de Justice internationale dans

son avis consultatif sur les Décretsde nationalitéen Tunisie et azt
Maroc. Appliquant ce principe aux circonstances de la phase
préliminaire du présent différend, je devrai rechercher d'une
manière sommaire et provisoire si les titres invoqués par le
Gouvernement du Portugal peuvent justifier la conclusion provi-
soire qu'ils présentent une importance juridique pour le différend
et, dans l'affirmative, si ces titres concernent des questions de droit
international.
Le Gouvernement du Portugal invoque le traité luso-mahratte
de 1779, ainsi que différents décrets mahrattes destinés à appliquer
les dispositions de l'article 17 de ce traité. Il soutient que, par
ces textes, le souverain mahratte a cédéau Portugal la souveraineté
sur les enclaves, tandis que le Gouvernement de l'Inde prétend
que le Portugal n'a acquis que certains droits fiscaux révocables
relatifs aux enclaves et que 1'Etat mahratte a conservé la souve-
raineté sur ces territoires.Il est possible que cette divergence de

vues ait une influence sur la question du droit de passage entre
Damào et les enclaves. Puisqu'elle implique l'interprétation d'un
traité, elle concerne une question de droit international.

Le Gouvernement du Portugal invoque en outre une convention
conclue en 1785 avec le souverain mahratte. Il était stipulé dans
cette convention que le Portugal était tenu de réprimer toute
rébellion pouvant éclater dans les enclaves. On fait valoir que
cette disposition présupposait l'accès du Portugal aux enclaves,
affirmant par là son droit de passage sur le territoire mahratte.
La question de savoir si cette opinion est justifiée ou non peut
dépendre de l'interprétation de cette convention et concernerait
par conséquent une question de droit international.
Le Gouvernement du Portugal se fonde également sur une
prétendue coutume locale qu'il dit s'être développée sur unehave developed between Portugal and the Xahratha Stateand itç
successors. The question whether a possible usage with regard te
passage between Daman and the enclaves was exercised in such a
manner as to satisfy the requirements of Article 38, paraçraph I (b),
of the Statute of the Court is a question of international law
(compare Judgment in the Asylu~n case, I.C.J. Reports 1950,

PP 276-2771.
The Government of Portugal finally invokes an alleged inter-
national general custom as well as general principles of law recog-
nized by civilized nations (Statute, Article 38, paragraphs I (b)
and (c)), while the Government of India, refuting the Portuguese
allegations in this respect, places itself upon the same ground of
international law.
It is unnecessary topursue this suinmary and provisional exami-
nation of the legal grounds invoked by the Government of Portugal
in order to form an opinion upon the nature of the dispute. This
examination is sufficient to show that in any case some of these
grounds may be of juridical importance for the present dispute
and that they relate to questions of international Law. It is in my

view evident that the subject-matter of the dispute can only be
decided on the er"und of international law. and that it cannot be
considered as relating to "questions which by international law
fa11exclusively within the jurisdiction of India". 1 mi therefore
unable to accept the Fifth Preliminary Objection.
With regard to the question whether this Objection should be
rejected or joined to the merits, opinions have differed. In my
view it should be rejected, since a summaryand provisional exami-
nation of the legal grounds invoked by Portugal has in a sufficient
measure disclosed elements of international law whch may be of
relevance for the decision of the dispute.
This provisional finding as to the nature of the dispute does not
in an- way prejudge the consideration of the nentç. \17ith regard

to the ciueçtion whether the PortiluueVe contentions as to the
alleged right of passage over Indian territory are justified or not,
1 have fornled no opinion whatsoever. Such an opinion could be
arrived at only when the ciispute at the next phase of the pro-
ceedings has been argued and considered on the nierits. The pre-
liminary question whether the Court has jurisdiction to decide
these merits shculd be distinguished from the actual exercise of
that jurisdiction.

Illith regard to the other questions in dispute, 1 am in general
agreement with the Court.

(Sigrzedj Helge KL~ESTAD- DROIT DE P.4SSAGE (OP. DISS. DE hl. I<LAEÇTXD) 165

période de près de deux siècles entre le Portugal et l'État mahratte
et ses successeurs. La question de savoir si un usage relatif au
passage entre Dam20 et les enclaves a pu s'exercer de manière à
satisfaire aux prescriptions de l'article 38, paragraphe I b), du
Statut de la Cour est une question de droit international (cf.
arrêtrendu en l'affaire du Dvoitd'asile, C. I. J. Reczceili.9jo, pp. 276-

27Le Gouvernement du Portugal invoque enfin une prétendue

coutume internationale générale, ainsi que les, principes généraux
de droit reconnus par les nations civilisées (Statut, article 38,
paragraphes I b) et c)), tandis que le Gouvernement de l'Inde,
en réfutant les thèses portugaises à cet égard, se place sur le même
terrain du droit international.
Il n'est pas nécessaire de poursuivre cet examen sommaire et
provisoire des titres invoqués par le Gouvernement du Portugal
pour se faire une opinion sur la nature du différend. Cet examen
suffit à montrer qu'en tout cas certains de ces titres peuvent
présenter une importance juridique pour le présent différend et
qu'ils concernent des questions de droit international. Il està mes
yeux évident que l'on ne peut statuer sur l'objet du différendque
sur la base du droit international,et qu'on ne saurait le considérer

comme ayant trait à des ((questions qui, d'après le droit inter-
national, relèvent exclusivement de la juridiction de l'Inde )).Je
ne puis donc admettre la cinquième exception préliminaire.
Sur le point de savoir si cette exception doit être rejetée ou
jointe au fond, les opinions ont différé.J'estime qu'elle doit être
rejetée, car un examen sommaire et provisoire des titres invoqués
par le Portugal a fait ressortir dans une mesure suffisante des
éléments de droit international pouvant être pertinents pour
statuer sur le différend.
Cette conclusion provisoire quant à la nature du différenc!ne
saurait en rien préjuger l'examen du fond. Sur le point de savoir
si les thèses portugaises relatives au prétendu droit de passage

sur le territoire indien sont justifiées ou non, je n'ai encore aucune
opinion. Je ne pourrai en avoir que lorsque le différend aura été.
au prochain stade de la procédure, plaidé et examiné au fond. La
question préliniinaire de savoir si la Cour est com~)éterite pour
statuer au fond doit être distinguée de l'exercice inême de la
compétence.

En ce qui concerne les autres points en litige, je suis d'une
manièrc générale en accord avec la Cour.

(S~@zé )elge KLAESTAD.

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