Opinion individuelle de M. Moreno Quintana

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033-19581128-JUD-01-03-EN
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033-19581128-JUD-01-00-EN
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OPINION INDIVIDUELLE DE M. MORENO QUINTANA

A mon grand regret, bien que je sois complètement d'accord
avec eux au sujet de la solution qu'ils donnent à cette affaire, je
ne puis rallier mon opinion à celle de la majorité de mes collègues
qui établit comme motif déterminant unique de leur décisioncelui
de la diversité de la loi suédoise du 6 juin 1924 sur l'éducation

protectrice de l'enfance par rapport à la Convention de 1902 qui
règle entre les Pays-Bas et la Suède la tutelle des mineurs.

Il prévaut pour cela dans mon esprit l'obligation de trancher
une question de principe: celle qui a traià l'opposabilité de l'ordre
public d'une des Parties en cause à une convention internationale
qui les lie. La Partie demanderesse en l'affaire en fait état capital
aussi bien que la Partie défenderesse. Décisifcomme il l'est pour
trancher ce litige,le motif précédemmentindiqué n'est pas suffisant,
à mon sens, pour juger un différend qui porte sur une question de
droit fondamentale. J'ai sur elle une conviction établie et je dois
avancer aussi que, loin de se faire échec,l'un et l'autre argument
se complètent tout logiquement. Car, si ladite convention n'est pas

violéedans l'espèceen vertu de sa diversité juridique par rapport
avec la loi d'éducation protectrice, c'est le caractère d'ordre public
de cette dernière qui soutient cette diversité. Une loi d'un tout
autre caractère ne pourrait jamais, voire mêmed'une manière
incidentelle, entraver le complet accomplissement d'une convention
internationale.

Parallèlement à sa fonction de ccrégler conformément au
droit international les différends qui lui sont soumis »prévue à
l'article 38, alinéa 1, de son Statut, la Cour internationale de
Justice a aussi - nonobstant la limitation que l'article 59 établit
pour ses décisions- une fonction doctrinale de la plus haute impor-

tance. Cette fonction, elle peut et doit l'assurer dans le cas d'espèce
en vue de développer progressivement le droit international au
sujet de la question posée à sa considération sur le principe de
l'ordre public face à une convention internationale. A ce même
alinéa, paragraphe d), ledit article 38 de son Statut lui enjoint de
faire état de «la doctrine des publicistes les plus qualifiés des
différentes nations, comme moyen auxiliaire de détermination des
règles de droit ».
Je fonderais pour ces raisons mon opinion individuelle,favorable
à la thèse soutenue par la Partie défenderesse, en analysant la
portée juridique dudit principe dans cette affaire.

51 Il s'agit, dans le cas d'espèce, d'une affaire qui se rapporte aux
questions auxquelles donne lieu le droit international privé. La
jurisprudence de la Cour permanente en fait état dans son arrêt

sur l'affaire des Emprunts serbes:
((Tout contrat qui n'est pas un contrat entre des États en tant
que sujets du droit international- a-t-elle dit- a son fondement
dans une loi nationale. La question de savoir quelle est cette loi
fait l'objet de la partie du droit qu'aujourd'hui on désignele plus
souvent sous le nom de droit international privéou de théoriedu
onflit des lois. Les règles en peuvent êtrecommunes à plusieurs
Etats et mêmeêtreétabliespar des conventions internationales ou
des coutumes, et dans ce dernier cas avoir le caractère d'un vrai
droit international, régissant lesrapports entre des Etats. Mais, à
part cela- et je termine la citation- ilJJa lieu de considérerque
lesdites règlesfont partie du droit interne1(V.Arrêtse , tc., SérieA,
nos 20121,p. 41.)
Ces notions sont celles applicables à la présente affaire parce que

les traités qui, comme celui dont elle s'occupe, ont pour but l'uni-
fication des règles découlant de l'application aux personnes privées
des lois particulières des Etats, ont incontestablement le caractère
de traités de droit international privé. Intitulée d'abord comme de
tutelle d'une mineure, l'affaire a étépar la suite sagement rebaptisée
comme application de la Convention de 1902 pour réglerla tutelle
des mineurs. Cette nouvelle dénomination est incontestablement
beaucoup plus d'accord avec la portée du jugement à rendre par la
Cour dans le cas d'espèce.
Nous avons, face à nous, une intervention du droit international
que l'on qualifie volontairement de Fublic en matière d'interpréta-

tion d'une convention internationale. Et c'est à la Cour, comme
organe judiciaire, qu'il incombe de décider. Sa compétence est
clairement établie par l'article 38, alinéa 1,de son Statut, que j'ai
déjà mentionné, et dont la portée impérative est incontestable.
Une conversion du droit international privé en droit international
public a eu lieu, qui permet à la Cour d'exercer ses pouvoirs judi-
ciaires.

La Cour a à statuer sur le cas d'une enfant mineure. Celle-ci a
étél'objet d'une mesure d'éducation 'protectrice prise par l'autorité

suédoise compétente, laquelle serait hors du cadre juridique de
ladite convention et, en plus, relèverait de l'ordre public de la
Suède. A ce que la Partie demanderesse réplique que le défendeur
enfreint cette convention qui constitue la norme juridique appli-
cable à la tutelle des mineurs de l'un et de l'autre pays. Ce n'est
précisément pas un déni de justice qu'elle impute à la Partie
défenderesse, sinon le fait de l'adoption d'une mesure découlant du
droit de ce pays à une enfant dont la tutelle est régie par la loihollandaise. En d'autres mots, les Pays-Bas considèrent que la
Suèdea violéses obligations internationales fixéesparladite conven-
tion, selon laquelle la loi nationale des mineurs estla norme appli-
cable à leur tutelle. Sans contrevenir ce dernier point de vue, le
défendeur soutient que la mesure adoptée ne relève pas de cette
convention et que, appartenant en tout cas à l'ordre public, el!e
fait échec à l'application de la loi étrangère.

Une sage règle en la matière, qui doit servir comme point de
départ pour la décisiondu cas présent,nous est fournie par l'éminent
Savigny, dans son Système du droit romain actuel. Le juge, a-t-il dit,
doit appliquer à chaque rapport de droit la norme la plus conforme
avec la nature propre et essentielle de ce rapport. Ce droit peut
êtreaussi bien celui de son pays que celui d'un Etat étranger. Mais
ce principe, qui établit une communauté du droit entre les différents
Etats, reconnaît une importante restriction: celle motivée par
l'existence de plusieurs espèces de lois d'une nature spéciale, dont
les lois d'une nature positive et rigoureusement obligatoire telles
que celles qui ont étédictées pour des motifs d'intérêtgénéral
(publics autoritas) (v. version française, Paris, 1860, t. 8, par.
CCCXLIX) .
Dans le cas d'espèce, le noyau de l'affaire est constitué par la
question de l'opposabilité de l'ordre public à une convention inter-
nationale. C'est-à-dire le rapport qui pourrait exister entre l'appli-

cation de la Convention de 1902 qui règle la tutelle des mineurs et
qui fait droit entre les Pays-Bas et la Suède, et la mesure d'éduca-
tion protectrice adoptée à l'égard de Marie Elisabeth Bol1 par ce
dernier pays. L'une et l'autre des Parties en cause en font état
capital quand elles lui dédient une attention principale dans leur
débat judiciaire. En tant que les Pays-Bas prétendent que le main-
tien de cette mesure est contraire à ladite convention puisqu'elle
entrave l'exercice complet de la tutelle, la Suède affirme qu'elle
ne fait que l'application dans l'espècede son ordre public. Il s'agit
toutefois de procédures d'une portée différente accomplies dans
deux ordres juridiques nationaux qui incident sur une même
situation: la garde de l'enfant. C'est sur elle que tombe le point de
collision de deux lois, la loi néerlandaise sur la tutelle et la loi
suédoisesur l'éducation protectrice. La Suède ne discute nullement
l'existence légalede la tutelle décernéepar la loi néerlandaise, ainsi
qu'il est prévu dans l'article premier de la Convention. Dans sa

décisionen date du 16 septembre 1954, le tribunal de Norrkoping
écarte dans l'affaire l'application de la loi suédoise sur la tutelle.
Elle soutient que sa loi d'éducation protectrice a un but et une
portée tout différents de l'institution de la tutelle, institution
typique du droit de famille, qui est l'objet de la Convention de 1902.
Mais ce ne sera pas la diversité par elle-mêmede la loi suédoisepar
rapport à la Convention de 1902 qui lui permettra de faire échecà
cette dernière. Il faut pour cela qu'elle relève de l'ordre public,105 CONVENTION DE 1902 (OP. INDIV-M. MORENO QUINTAX.~)

notion qui lui donnera l'efficacité nécessairepour développer ses
effets juridiques sur le plan international.

La notion de l'ordre public qui apparaît si nette et si claire dans

les systèmes juridiques qui découlent du droit appelé continental
dans les pays latins, ne semble pas êtretoujours comprise de la
mêmemanière dans d'autres systèmes de droit. C'est ce qui arrive
à fausser un peu certaines interprétations données dans le cas
d'espèce par l'une et l'autre des Parties en cause. Nul besoin -
je crois -, pour arriver à une solution légale, d'échafauder des
théories et des distinctions qui ne font que la confondre. L'ordre
public - comme je l'entends - est l'ensemble des lois et des ins-
truments juridiques dont les principes ne sauraient être mis en

cause ni par les conventions particulières, ni par la collision d'une
loi étrangère. Ses dispositions ont un effet rétroactif et on ne
saurait lui opposer des droits définitivement acquis. Les juges doi-
vent l'appliquer en dépit de toute convention internationale. Il a
son fondement dans la nécessitéde tout Etat de se donner des
institutions fondamentales en ce qui a trait à son organisation poli-
tique et sociale. Celles qui régissent notamment la constitution de
la famille, la protection de l'enfance, le régime successoral ou l'obser-
vance des bonnes mŒurs ont indiscutablement ce caractère.

Le Gouvernement suédoisaffirme dans sa duplique (pp. II et ss.)
que sa loi sur l'éducation protectrice relève aussi bien du droit
public que de l'ordre public. Pour autant que l'effet de ces deux
élémentspuisse êtrele mêmedans son opposabilité à l'application
d'une loi étrangère, il s'agit cependant de conceptions juridiques
différentes. Le droit public a en effet un rôle très spécifique: celui
de pourvoir à la structure politique de 1'Etat en statuant sur des
intérêtssouverainement collectifs. Dans cette idée.la constitution
d'un pays, son système économique ou son organisation sociale

sont des manifestations de l'activité de son droit public. Mais il
n'est pas toujours facile de détacher l'élémentnet de séparation
entre l'une et l'autre branche du droit. Une même loi, comme celle
de la Suède sur l'éducation protectrice de l'enfance, peut révéler
aussi bien un caractère de droit public qu'un caractère de droit
privé. Elle appartient au droit public en tant qu'elle protège l'en-
fance dans son ensemble; elle appartient au droit privé quand elle
a une incidence sur la situation des personnes. Beaucoup plus
ample, la notion de l'ordre public couvre celle du droit public.

Voilà pourquoi il ne sera pas nécessaire d'invoquer dans ce cas la
portée du droit public pour soutenir que l'éducation protectrice de
l'enfance est une institution primordiale d'ordre public. Dans les rapports qui dérivent du droit international privé, il
y a un principe de limitation de l'autorité d'une loi étrangère.
Celui-ci entre en fonction chaque fois que ladite loi se heurte à
l'ordre public du pays où elle doit être appliquée. Chaque Etat
l'interprète en vertu de sa législatior, nationale selon les principes
qui dominent à un moment donné son organisation sociale. Cette

notion peut varier assez d'un Etat à un autre, mais elle reconnaît
touiours un trait commun: celui aui l'identifie avec les interêts
permanents d'une nation quand elle pourvoit àsa fonction étatique
d'assurer les droits individuels. La lex fori qui a le caractère d'une
loi d'ordre public garde alors toute sa vigueur dans les rapports
auxquels donne lieu le droit international privé. Dans son arrêt
sur l'affaire- déjà citée - des Emprunts serbes, la Cour perma-

nente fit référence à la difficulté d'établir la notion d'ordre public
((dont la définition dans un DavsIdJterminé - dit-elle - déIend
dans une large mesure de l'opinion qui prévaut à chaque moment
dans ce pays même ...))(v. Arrêts,etc., SérieA, nos 20/21, P. 46).
Antonio Sanchez de Bustamante - le juriste internationaliste
cubain bien connu, auteur du Code de droit international privéqui
porte son nom - admet que les lois qu'il appelle d'ordre public

interne, telles que celles qui régissent dans un Etat l'état et la
capacité des personnes, les rapports de famille, les successions, etc.,
ont un caractère impératif; elles obligent aussi bien les domiciliés
dans cet Etat que ses nationaux et font échec à l'application d'une
loi étrangère (art. 3, al.1).

On a voulu aussi établir une différence entre l'ordre public

national et l'ordre public international en donnant à ce dernier
une portée plus large dans le sens de son opposabilité à une loi
étrangère. Plusieurs auteurs le reconnaissent ainsi. D'autres -
et je suis des leurs- affirment qu'il n'y a que l'ordre public national
qui puisse faire échec à un rapport de droit international privé.
L'ordre public international se confine dans le système du droit
international public quand il établit certains principes, tels les

princ.pes généraux du droit des gens et les droits fondamentaux
des Etats, dont le respect est indispensable pour permettre la
coexistence juridique des unités politiques qui composent la com-
munauté internationale. La sociéténaturelle des nations entrevue
au XVIme siècle par Francisco de Vitoria, celle de la coexistence
de communautés parfaites dans une communauté universelle déve-
loppéepar Francisco Suarez au siècle svivant, la Civitas Maxima de

Christian Wolff constituée par tous les Etats sur la base d'un pacte
tacite exprimée pendant le XVIIIme siècle, et la communauté juri-
dique des États liéepar l'accomplissement de certains devoirs que
définit au siècle passé Friedrich Karl von Savigny, en font néces-
sairement état. Ces principes - nous les connaissons bien puisqu'ils
sont fort limités - et ces droits aussi, ont un caractère impératif
et une portée universelle. D'une part, la liberté des mers, la répres-sion de la piraterie, la continuitéinternationale de l'État, l'immunité
de juridiction et la réglementation de la guerre; d'une autre,
1:inviolabilité des traités, l'indépendance et l'égalitéjuridique des
Etats. Mais il s'agit en tout cas d'une conception bien différente

de celle qui a étéexposéepar les Parties dans cette affaire.

Mêmesans en faire mention expresse, tout accord international
qui établit des règles de droit privé se heurte nécessairement à la
notion de l'ordre public national. Aucune loi étrangère n'est appli-
cable quand le principe de l'extraterritorialité des lois ,se heurte à
un cas régi spécifiquement par une loi locale. Et les Etats main-
tiennent à tout moment le pouvoir de régler,en vertu de leur souve-
raineté, leur ordre public. Des auteurs d'une autorité universelle

l'affirment sans donner lieu au doute. La jurisprudence de plusieurs
tribunaux nationaux est bien concluante aussi à ce sujet. Les uns
et l'autre font doctrine en la matière. L'ordre public est lié indis-
solublement aux principes généraux dedroit reconnus par les nations
civiliséesdont l'article38, alinéa 1, lettre c), de son Statut instruit
à la Cour de faire application principale dans sa mission de régler
conformément au droit international les différends qui lui sont
soumis. Cela veut dire que ladite application ,fait l'objet d'un
engagement international de la part de tous les Etats Membres de
l'ONU et de ceux qui ont adhéréauStatut de la Cour. Jus posteriori
derogatpriori établit la maxime romaine bien connue en vertu de

laquelle l'article103 de la Charte des Nations Unies prescrit,que,
en cas de conflit entre les obligations qu'elle impose aux Etats
Membres et celles établies par tout autre accord international, ce
sont les premières qui prévaudront. L'ordre public national de la
Suède prévaut par conséquent sur les dispositions de la Convention
de 1902 qui règlela tutelle des mineurs entre ce pays et la Hollande.
D'autre part, aucune des dispositions de cette Convention ni les
opinions exprimées au cours de ses travaux préparatoires ne per-
mettent d'établir que l'application du principe de l'ordre public
aurait étéenrayée.

La loi suédoise sur la protection de l'enfance est-elle ou non
une loi d'ordre public? Elle règledans tous ses détailsles modalités
de l'éducation des enfants qui tombent dans les différents cas
envisagés par son article 22. En particulier, les articles 1, 20 et
21, qui visent la protection des enfants dans chaque commune, la

surveilIance des gouvernements des provinces pour le bien-êtrede
56l'enfance et la fonction de la direction généraledes Affaires sociales
sont des dispositions d'ordre public. En soi, ladite loi suédoise
n'est, face à la Cour, qu'un fait. ((Du point de vue du droit inter-
national et de la Cour qui est sonorgane - a dit la Cour permanente
dans son arrêt sur les Intérêtsallemands en Haute-Silésie - les lois

nationales son! de simples faits, manifestation de la volonté et de
l'activité des Etats, au mêmetitre que les décisions judiciaires ou
les mesures administratives » (v. Arrêts,etc., SérieA, no 7, p. 19).
Par conséquent, son origine, l'intention du législateur qui l'a dictée,
ses dérivations possibles, sont des questions qui restent hors de la
compétence de la Cour. Il lui suffit de s'en tenir à son texte pour
savoir si elle est ou non une loi d'ordre public.

Toutefois, il est indispensable, pour que l'ordre public d'un pays
puisse jouer face à une convention internationale, qu'il existe un
lien de rattachement de la personne intéressée avec le territoire.
Les Parties en cause sont d'accord, avec raison, que la résidence

permanente d'une personne sur un territoire peut constituer ce lien
de rattachement. Mais la demanderesse a soutenu que, dans le cas
de la mineure Boll, sa résidence en Suède est une résidence forcée
par suite de l'application de la mesure d'éducation protectrice.
Aucune preuve cependant n'a étéapportée par cette Partie pour
démontrer que la résidence de la mineure en Suède est contraire à
son désir personnel. Elle a jugésuffisant d'invoquer sa loi nationale
selon laquelle le domicile d'un pupille est choisi par son tuteur. Il
n'a pas été faitréférence à la manifestation d'une volonté person-
nelle. En tout cas, il y a lieu de supposer présomption juris tantum
-, en l'absence de toute preuve contraire, que la vie en commun
de l'enfant avec ses grand-parents, les parents de sa mère, là où

elle est née,où elle a grandi, où se trouve le centre de ses affections,
n'est nullement en fait une résidence forcée. Ubi bene, ibi patria,
dit la maxime si bien connue.

Les faits et le droit dans le cas d'espèceapparaissent comme suit.
L'ne mineure née en Suède, mais de nationalité néerlandaise par
suite de la nationalité de son père et de celle acquise par sa mère
originairement suédoise, est soumise dans le pays qu'elle n'a pas

quitté depuis sa naissance à une mesure d'éducation protectrice.
La tutelle de cette mineure doit êtrerégléepar sa loi nationale
selon une convention entre la Suède et les Pays-Bas. Celle-ci est
dûment organisée par des décisions d'un tribunal suédoisd'abord,
néerlandais ensuite, mais la garde de l'enfant est entravée par
suite de l'adoption de cette mesure d'ordre public. Ceci est-il
contraire au droit international? Je ne l'estime pas ainsi. Les
conséquencesde situations juridiques motivéespar l'application des
lois territoriales ne sont pas en opposition avec les obligations

57IO9 COWVEXTIOS DE 1902 (OP. IXDIV. 31.MORENO QUINT AN.^)
dkcoulant des conventions internationales. C'est ce qui caractérise
plus particulièrement le cas d'espèce: une loi territoriale dont

l'application ne fait pas échec à celle d'une convention, mais a une
incidence sur une situation de fait constituée par la garde d'une
enfant.

Toute appréciation de l'ordre public dans les rapports interna-
tionaux est nécessairement le fait de I'interwétation d'un organe"
juridictionnel pourvu que cette interprétation ne conduise pas -
comme le dit la Cour permanente dans son avis consultatif sur le
Service postal polonais à Dantzig - «à des résultats déraisonnables
ou absurdes ))(v. Arrêts,etc., SérieB, no II, p. 39).Et serait-elle

déraisonnable ou absurde, la décision de notre Cour aurait pour
résultat d'éviter le dépaysement et la souffrance d'une enfant qui
autrement serait arrachée des bras de ses grands-parents, emportée
loin de son pays natal et obligéeà vivre dans une ambiance étran-
gère. Le droit n'est pasune créationmétaphysique, une conséquence
d'un raisonnement froid et abstrait de la pensée humaine qui ne
tient aucunement compte de la réalitésociale. Et les Etats comme
les Pays-Bas et la Suède, qui ont incorporé dans leur droit inter-
national des règles de droit international privé, n'ont sûrement pas
eu en vue l'application de solutionsinhumaines. C'est notre propre
Cour qui a exprimédans l'affaire de 1'Anglo-Iranian qu'elle ne pour-

rait se fonder sur une interprétation purement grammaticale du
texte et qu'elle devait chercher l'interprétation qui fût en harmonie
avec la manière naturelle et raisonnable de le lire (v.ecueil, etc.,
1952,p. 104).
Les faits particuliers de la cause, qui ont amené les autorités
suédoises à prendre les mesures incriminées par le Gouvernement
des Pays-Bas, n'ont pas été l'objet d'une contestation par les Parties.
C'est pourquoi la Cour a décidéde ne pas prendre position sur eux.
Leur connaissance aurait pu êtrecependant d'une singulière utilité
pour établir si dans le cas d'espèce la Suède a agi légitimement
en appliquant sa mesure d'éducation protectrice à Marie Elisabeth

Boll. Car, si ces autorités ne l'avaient pas fait de la sorte, je me
demande si la Partie défenderesse serait à mêmed'opposer avec
succès, face à un organe juridictionnel, son ordre public pour
entraver les effets d'une loi étrangère découlant d'une convention
internationale. La jurisprudence de notre propre Cour dans le cas
Nottebohm, dans lequel elle a sagement dissociéles institutions de
la nationalité et de la protection diplomatique dans leur Capa-
cité pour fonctionner indépendamment dans des ordres juridiques
nationaux différents, me permet de penser ainsi (v. Recueil, etc.,
1955, p. 26). Faute de connaître les faits de l'espèce,et ne lui ayant

pas étéimputé un déni de justice, je dois logiquement présumer que
la Partie défenderesse a fait un usage légitimede son ordre public.

(Signé)Lucio MORENO QUINTANA.

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OPINION INDIVIDUELLE DE M. MORENO QUINTANA

A mon grand regret, bien que je sois complètement d'accord
avec eux au sujet de la solution qu'ils donnent à cette affaire, je
ne puis rallier mon opinion à celle de la majorité de mes collègues
qui établit comme motif déterminant unique de leur décisioncelui
de la diversité de la loi suédoise du 6 juin 1924 sur l'éducation

protectrice de l'enfance par rapport à la Convention de 1902 qui
règle entre les Pays-Bas et la Suède la tutelle des mineurs.

Il prévaut pour cela dans mon esprit l'obligation de trancher
une question de principe: celle qui a traià l'opposabilité de l'ordre
public d'une des Parties en cause à une convention internationale
qui les lie. La Partie demanderesse en l'affaire en fait état capital
aussi bien que la Partie défenderesse. Décisifcomme il l'est pour
trancher ce litige,le motif précédemmentindiqué n'est pas suffisant,
à mon sens, pour juger un différend qui porte sur une question de
droit fondamentale. J'ai sur elle une conviction établie et je dois
avancer aussi que, loin de se faire échec,l'un et l'autre argument
se complètent tout logiquement. Car, si ladite convention n'est pas

violéedans l'espèceen vertu de sa diversité juridique par rapport
avec la loi d'éducation protectrice, c'est le caractère d'ordre public
de cette dernière qui soutient cette diversité. Une loi d'un tout
autre caractère ne pourrait jamais, voire mêmed'une manière
incidentelle, entraver le complet accomplissement d'une convention
internationale.

Parallèlement à sa fonction de ccrégler conformément au
droit international les différends qui lui sont soumis »prévue à
l'article 38, alinéa 1, de son Statut, la Cour internationale de
Justice a aussi - nonobstant la limitation que l'article 59 établit
pour ses décisions- une fonction doctrinale de la plus haute impor-

tance. Cette fonction, elle peut et doit l'assurer dans le cas d'espèce
en vue de développer progressivement le droit international au
sujet de la question posée à sa considération sur le principe de
l'ordre public face à une convention internationale. A ce même
alinéa, paragraphe d), ledit article 38 de son Statut lui enjoint de
faire état de «la doctrine des publicistes les plus qualifiés des
différentes nations, comme moyen auxiliaire de détermination des
règles de droit ».
Je fonderais pour ces raisons mon opinion individuelle,favorable
à la thèse soutenue par la Partie défenderesse, en analysant la
portée juridique dudit principe dans cette affaire.

51 SEPARATE OPINION OF JUDGE MORENO QUINTANA
[Translation]
To my great regret, although 1 am fully in agreement with them
concerning the judgment at which they arrive in this case, 1 am

unable to share the opinion of the majority of my colleagues who
give as the sole determining reason for their decision the fact that
the Swedish law of June 6th, 1924, on the protective upbringing
of children is of a different nature from the Convention of 1902
which governs the guardianship of infants as between the Nether-
lands and Sweden.
The chief consideration in my mind is that a question of principle
has to be settled, namely, the question whether the ordre public
of one of the Parties in the case can be invoked against an inter-
national Convention which is binding on both Parties. The Appli-
cant in this case attaches fundamental importance to this question,
as also does the Respondent. Decisive as it is for the settlement of
this dispute, the reason first mentioned above does not, in my view,
furnish sufficient ground for a decision on a dispute relating to a
fundamental question of law. 1 hold a very definite view on this
question, and 1must also point out that, far from ruling one another

out, the two grounds supplement each other quite logically. For,
though the Convention in question is not infringed in this case,
because legally it is of a different nature from the law on protective
upbringing, it is the ordrepublic character of that law which marks
the difference. A law of an entirely different nature could never,
even in an incidental way, impede the complete accomplishment
of an international convention.
Side by side with its function of deciding "in accordance with
international law such disputes as aresubmitted to it", as mentioned
in Article38, paragraph 1,of its Statute, the InternationalCourt of
Justice has also-notwithstanding the limitation which Article 59
prescribes for its decisions-a doctrinal function of the greatest
importance. The Court can and must discharge this function in the
present case with a view to the progressive development of inter-
national law on the question submitted for its consideration con-
cerning the principle of the relationship between ordre fiublic and

an international Convention. Paragraph I (d) of Article 38 of the
Statute moreover enjoins the Court to apply "the teachings of the
most highly qualified publicists of thevarious nations, as subsidiary
means for the determination of rules of law".
For these reasons, I shall furnish grounds for my separate opin-
ion, which is in favour of the contention advanced by the Respond-
ent, by analyzing the legal scope of the said principle in this case. Il s'agit, dans le cas d'espèce, d'une affaire qui se rapporte aux
questions auxquelles donne lieu le droit international privé. La
jurisprudence de la Cour permanente en fait état dans son arrêt

sur l'affaire des Emprunts serbes:
((Tout contrat qui n'est pas un contrat entre des États en tant
que sujets du droit international- a-t-elle dit- a son fondement
dans une loi nationale. La question de savoir quelle est cette loi
fait l'objet de la partie du droit qu'aujourd'hui on désignele plus
souvent sous le nom de droit international privéou de théoriedu
onflit des lois. Les règles en peuvent êtrecommunes à plusieurs
Etats et mêmeêtreétabliespar des conventions internationales ou
des coutumes, et dans ce dernier cas avoir le caractère d'un vrai
droit international, régissant lesrapports entre des Etats. Mais, à
part cela- et je termine la citation- ilJJa lieu de considérerque
lesdites règlesfont partie du droit interne1(V.Arrêtse , tc., SérieA,
nos 20121,p. 41.)
Ces notions sont celles applicables à la présente affaire parce que

les traités qui, comme celui dont elle s'occupe, ont pour but l'uni-
fication des règles découlant de l'application aux personnes privées
des lois particulières des Etats, ont incontestablement le caractère
de traités de droit international privé. Intitulée d'abord comme de
tutelle d'une mineure, l'affaire a étépar la suite sagement rebaptisée
comme application de la Convention de 1902 pour réglerla tutelle
des mineurs. Cette nouvelle dénomination est incontestablement
beaucoup plus d'accord avec la portée du jugement à rendre par la
Cour dans le cas d'espèce.
Nous avons, face à nous, une intervention du droit international
que l'on qualifie volontairement de Fublic en matière d'interpréta-

tion d'une convention internationale. Et c'est à la Cour, comme
organe judiciaire, qu'il incombe de décider. Sa compétence est
clairement établie par l'article 38, alinéa 1,de son Statut, que j'ai
déjà mentionné, et dont la portée impérative est incontestable.
Une conversion du droit international privé en droit international
public a eu lieu, qui permet à la Cour d'exercer ses pouvoirs judi-
ciaires.

La Cour a à statuer sur le cas d'une enfant mineure. Celle-ci a
étél'objet d'une mesure d'éducation 'protectrice prise par l'autorité

suédoise compétente, laquelle serait hors du cadre juridique de
ladite convention et, en plus, relèverait de l'ordre public de la
Suède. A ce que la Partie demanderesse réplique que le défendeur
enfreint cette convention qui constitue la norme juridique appli-
cable à la tutelle des mineurs de l'un et de l'autre pays. Ce n'est
précisément pas un déni de justice qu'elle impute à la Partie
défenderesse, sinon le fait de l'adoption d'une mesure découlant du
droit de ce pays à une enfant dont la tutelle est régie par la loi The case before the Court is one which relates to questions within

the domain of private international law. Such a situation was dealt
with by the Permanent Court in its judgment in the Serbian Loans
Case in the following terms:
"Any contract which is not a contract between States in their
capacity as subjects of international law is based on the municipal
law of some country. The questioil as to which this law is forms
the subject of that branch of law which is at the present day usually
described as private international law, or the doctrine of the conflict
of laws. The rules thereof may be common to several States and
may even be established by international conventions or customs,
and in the latter case may possessthe character of true international
law governing the relations between States. But apart from this,
it has to be considered that these rules form part of municipallaw."
(Collectionof Judgments, Series A, Nos. 20/21, p. 41.)

These are notions that are applicable to the present case since
treaties which, like that with which it is concerned, are designed

to achieve unification of the rules deriving from the application
to private perçons of particular State laws, undeniably have the
character of private international law treaties. The original title:
"Case concerning the guardianship of an infant" was subsequently,
and very wisely, changed to "Case concerning the application
of the Convention of 1902 governing the guardianship of infants",
and this new title is undoubtedly much more in accord with the
scope of the judgment to be given by the Court in this case.
We are confronted with an intervention of what may properly
be described as public international law in the matter of the inter-
pretation of an international Convention. And it is for the Court,
as a judicial organ, to decide the matter. The Court's jurisdiction

is clearly established by Article 38, paragraph 1,of the Statute-
to which 1 have already referred-the imperative character of
which is beyond doubt. A conversion of private international law
into public international law has occurred and this enables the
Court to exercise its judicial powers.

The Court has to adjudicate upon the case of an infant. This
infant was the subject of a measure of protective upbringing taken
by the competent Swedish authorities which, it is argued, falls
outside the legal framework of the Convention and, furthermore,
falls within the ordre public of Sweden. To this the Applicant has
replied that the Respondent is in breach of the Convention which

constitutes the legal norm applicable to the guardianship of infants
of both countries. It is not precisely a denial of justice that the
Applicant alleges against the Respondent, but rather the fact that
a measure deriving from the law of Sweden has been applied to a
52hollandaise. En d'autres mots, les Pays-Bas considèrent que la
Suèdea violéses obligations internationales fixéesparladite conven-
tion, selon laquelle la loi nationale des mineurs estla norme appli-
cable à leur tutelle. Sans contrevenir ce dernier point de vue, le
défendeur soutient que la mesure adoptée ne relève pas de cette
convention et que, appartenant en tout cas à l'ordre public, el!e
fait échec à l'application de la loi étrangère.

Une sage règle en la matière, qui doit servir comme point de
départ pour la décisiondu cas présent,nous est fournie par l'éminent
Savigny, dans son Système du droit romain actuel. Le juge, a-t-il dit,
doit appliquer à chaque rapport de droit la norme la plus conforme
avec la nature propre et essentielle de ce rapport. Ce droit peut
êtreaussi bien celui de son pays que celui d'un Etat étranger. Mais
ce principe, qui établit une communauté du droit entre les différents
Etats, reconnaît une importante restriction: celle motivée par
l'existence de plusieurs espèces de lois d'une nature spéciale, dont
les lois d'une nature positive et rigoureusement obligatoire telles
que celles qui ont étédictées pour des motifs d'intérêtgénéral
(publics autoritas) (v. version française, Paris, 1860, t. 8, par.
CCCXLIX) .
Dans le cas d'espèce, le noyau de l'affaire est constitué par la
question de l'opposabilité de l'ordre public à une convention inter-
nationale. C'est-à-dire le rapport qui pourrait exister entre l'appli-

cation de la Convention de 1902 qui règle la tutelle des mineurs et
qui fait droit entre les Pays-Bas et la Suède, et la mesure d'éduca-
tion protectrice adoptée à l'égard de Marie Elisabeth Bol1 par ce
dernier pays. L'une et l'autre des Parties en cause en font état
capital quand elles lui dédient une attention principale dans leur
débat judiciaire. En tant que les Pays-Bas prétendent que le main-
tien de cette mesure est contraire à ladite convention puisqu'elle
entrave l'exercice complet de la tutelle, la Suède affirme qu'elle
ne fait que l'application dans l'espècede son ordre public. Il s'agit
toutefois de procédures d'une portée différente accomplies dans
deux ordres juridiques nationaux qui incident sur une même
situation: la garde de l'enfant. C'est sur elle que tombe le point de
collision de deux lois, la loi néerlandaise sur la tutelle et la loi
suédoisesur l'éducation protectrice. La Suède ne discute nullement
l'existence légalede la tutelle décernéepar la loi néerlandaise, ainsi
qu'il est prévu dans l'article premier de la Convention. Dans sa

décisionen date du 16 septembre 1954, le tribunal de Norrkoping
écarte dans l'affaire l'application de la loi suédoise sur la tutelle.
Elle soutient que sa loi d'éducation protectrice a un but et une
portée tout différents de l'institution de la tutelle, institution
typique du droit de famille, qui est l'objet de la Convention de 1902.
Mais ce ne sera pas la diversité par elle-mêmede la loi suédoisepar
rapport à la Convention de 1902 qui lui permettra de faire échecà
cette dernière. Il faut pour cela qu'elle relève de l'ordre public,child whose guardianship is governed by the law of the Netherlands.
In other words, the Netherlands consider that Sweden has violated
her international obligations under the Convention, which provides
that the national law of the infant is the norm applicable to its
guardianship. Without disputing this view, the Respondent con-
tends that the measure adopted is not covered bythe Convention,
and that since, in any case, it comes within the domain of ordre
public, it constitutes a bar to the application of the foreign law.
A wise rule on the subject which must serve as a point of depar-
ture for the decision in the present case is supplied by the great
Savigny, in his Système du droit romain actuel. The judge, he says,
must apply to each legal relationship the norm which is most in

conformity with the specific and essential nature of that relation-
ship. This law may be the law of a person's own country or it may
be that of a foreign State. But this principle, which establishes a
uniformity of law between the different States, is subject to an
important restriction-the restriction based upon the existence
of several species of laws of a special nature, including laws which
are positive and strictly compulsory in character, such as those
which are dictated by reason of general interest (publica autoritas)
(see French translation, Paris, 1860, Vol. 8, para. CCCXLIX).
In the present proceedings, the crux of the case is constituted
bythe question whether ordrepublic may validly be invoked against
an international convention. That is to Say, the question at issue is
that of the relationship between the application of the 1902 Con-
vention which governs the guardianship of infants and which is
law as between the Netherlands and Sweden, and the measure of
protective upbringing taken by Sweden in respect of MarieElisabeth
Boll. Both Parties attribute cardinal importance to this, devoting

to it the greater part of their arguments. Mrhile the Netherlands
claim that the maintenance of the measure is contrary to the
Convention on the ground that it impedes the full exercise of
guardianship; Sweden contends that she has merely applied her
ordre public in the present case. However, what are involved are
procedures which are of different scope, which are carried out in
two different national legal spheres but which affect one and the
same situation, the custody of the infant. It is on that point that
there is conflict between two laws, the Dutch law on guardianship
and the Swedish law on protective upbringing. Sweden has in no
wise challenged the legal existence of the guardianship instituted
under Netherlands law in accordance with Article Iof the Conven-
tion. In its decision of September 16th, 1954, the Norrkoping court
rejected the application to this case of the Swedish law on guardian-
ship. Sweden maintains that her law on the protective upbringing
of infants, of June 6th, 1924, is quite different in object and in

scope from the institution of guardianship, a typical institution of
family law, to which the 1902 Convention relates. But the difference
of the Swedish Law in relation to the 1902 Convention \vil1 not105 CONVENTION DE 1902 (OP. INDIV-M. MORENO QUINTAX.~)

notion qui lui donnera l'efficacité nécessairepour développer ses
effets juridiques sur le plan international.

La notion de l'ordre public qui apparaît si nette et si claire dans

les systèmes juridiques qui découlent du droit appelé continental
dans les pays latins, ne semble pas êtretoujours comprise de la
mêmemanière dans d'autres systèmes de droit. C'est ce qui arrive
à fausser un peu certaines interprétations données dans le cas
d'espèce par l'une et l'autre des Parties en cause. Nul besoin -
je crois -, pour arriver à une solution légale, d'échafauder des
théories et des distinctions qui ne font que la confondre. L'ordre
public - comme je l'entends - est l'ensemble des lois et des ins-
truments juridiques dont les principes ne sauraient être mis en

cause ni par les conventions particulières, ni par la collision d'une
loi étrangère. Ses dispositions ont un effet rétroactif et on ne
saurait lui opposer des droits définitivement acquis. Les juges doi-
vent l'appliquer en dépit de toute convention internationale. Il a
son fondement dans la nécessitéde tout Etat de se donner des
institutions fondamentales en ce qui a trait à son organisation poli-
tique et sociale. Celles qui régissent notamment la constitution de
la famille, la protection de l'enfance, le régime successoral ou l'obser-
vance des bonnes mŒurs ont indiscutablement ce caractère.

Le Gouvernement suédoisaffirme dans sa duplique (pp. II et ss.)
que sa loi sur l'éducation protectrice relève aussi bien du droit
public que de l'ordre public. Pour autant que l'effet de ces deux
élémentspuisse êtrele mêmedans son opposabilité à l'application
d'une loi étrangère, il s'agit cependant de conceptions juridiques
différentes. Le droit public a en effet un rôle très spécifique: celui
de pourvoir à la structure politique de 1'Etat en statuant sur des
intérêtssouverainement collectifs. Dans cette idée.la constitution
d'un pays, son système économique ou son organisation sociale

sont des manifestations de l'activité de son droit public. Mais il
n'est pas toujours facile de détacher l'élémentnet de séparation
entre l'une et l'autre branche du droit. Une même loi, comme celle
de la Suède sur l'éducation protectrice de l'enfance, peut révéler
aussi bien un caractère de droit public qu'un caractère de droit
privé. Elle appartient au droit public en tant qu'elle protège l'en-
fance dans son ensemble; elle appartient au droit privé quand elle
a une incidence sur la situation des personnes. Beaucoup plus
ample, la notion de l'ordre public couvre celle du droit public.

Voilà pourquoi il ne sera pas nécessaire d'invoquer dans ce cas la
portée du droit public pour soutenir que l'éducation protectrice de
l'enfance est une institution primordiale d'ordre public.of itself enable the Law to override the Convention. To do so it
must fa11within the ordre public, a concept which confers upon it
the validity which enables it to extend its legal effects on the inter-
national plane.

The concept of ordre public which is so clear and well defined in
the legal systems derived from the so-called continental law in the
latin countries, does not seem always to be understood in the same
way in other legal systems. As a result,certain of the interpretations
given by the Parties in the present case, have become somewhat
distorted. In order to arrive at a legal solution, there is, 1 think,
no need to construct theories and draw distinctions which merely
confuse the issue. 1 understand ordre public to be the whole body
of laws and legal instruments whose principles cannot be set at
naught either by special conventions or by a conflicting foreign law.
Its provisions have retrospective effect and definitively acquired
rights cannot be invoked against it. The judges should apply it in
spite of any international convention. It finds its basis in the need
of each State to provide itself with fundamental institutions in the

field of its political and social organization. Those institutions, in
particular, which govern the family, child welfare, inheritance and
public morals, indubitably have this character.

The Swedish Government contends in its Rejoinder (pp. II et
seq.) that its law on protective upbringing falls within the sphere
both of public law and of ordre public. But although the effect of
these two elements may be the same in regard to its invocation as
against the application of a foreign law, what are involved are
different legal concepts. Indeed, public law has a very specific role:
that of providing for the political structure of the State by adjudi-
cating upon interests that are supremely collective. In this connec-
tion, the constitution of a country, its economic system or its social
organization are manifestations of the activity of its public law.
But it is not always easy to draw a hard and fast line between

the two branches of law. A single law, such as that of Sweden
on protective upbringing of children, may reveal aspects of public
law and aspects of private law. It belongs to public law in so far
as it protects children in general; it belongs to private law when it
affects the position of individuals. The concept of ordre public,
being much broader, embraces that of public law. That is why it is
unnecessary in the present case to invoke the scope of public lan-
in order to show that the protective upbringing of children is one
of the primary institutions of ordre pztblic. Dans les rapports qui dérivent du droit international privé, il
y a un principe de limitation de l'autorité d'une loi étrangère.
Celui-ci entre en fonction chaque fois que ladite loi se heurte à
l'ordre public du pays où elle doit être appliquée. Chaque Etat
l'interprète en vertu de sa législatior, nationale selon les principes
qui dominent à un moment donné son organisation sociale. Cette

notion peut varier assez d'un Etat à un autre, mais elle reconnaît
touiours un trait commun: celui aui l'identifie avec les interêts
permanents d'une nation quand elle pourvoit àsa fonction étatique
d'assurer les droits individuels. La lex fori qui a le caractère d'une
loi d'ordre public garde alors toute sa vigueur dans les rapports
auxquels donne lieu le droit international privé. Dans son arrêt
sur l'affaire- déjà citée - des Emprunts serbes, la Cour perma-

nente fit référence à la difficulté d'établir la notion d'ordre public
((dont la définition dans un DavsIdJterminé - dit-elle - déIend
dans une large mesure de l'opinion qui prévaut à chaque moment
dans ce pays même ...))(v. Arrêts,etc., SérieA, nos 20/21, P. 46).
Antonio Sanchez de Bustamante - le juriste internationaliste
cubain bien connu, auteur du Code de droit international privéqui
porte son nom - admet que les lois qu'il appelle d'ordre public

interne, telles que celles qui régissent dans un Etat l'état et la
capacité des personnes, les rapports de famille, les successions, etc.,
ont un caractère impératif; elles obligent aussi bien les domiciliés
dans cet Etat que ses nationaux et font échec à l'application d'une
loi étrangère (art. 3, al.1).

On a voulu aussi établir une différence entre l'ordre public

national et l'ordre public international en donnant à ce dernier
une portée plus large dans le sens de son opposabilité à une loi
étrangère. Plusieurs auteurs le reconnaissent ainsi. D'autres -
et je suis des leurs- affirment qu'il n'y a que l'ordre public national
qui puisse faire échec à un rapport de droit international privé.
L'ordre public international se confine dans le système du droit
international public quand il établit certains principes, tels les

princ.pes généraux du droit des gens et les droits fondamentaux
des Etats, dont le respect est indispensable pour permettre la
coexistence juridique des unités politiques qui composent la com-
munauté internationale. La sociéténaturelle des nations entrevue
au XVIme siècle par Francisco de Vitoria, celle de la coexistence
de communautés parfaites dans une communauté universelle déve-
loppéepar Francisco Suarez au siècle svivant, la Civitas Maxima de

Christian Wolff constituée par tous les Etats sur la base d'un pacte
tacite exprimée pendant le XVIIIme siècle, et la communauté juri-
dique des États liéepar l'accomplissement de certains devoirs que
définit au siècle passé Friedrich Karl von Savigny, en font néces-
sairement état. Ces principes - nous les connaissons bien puisqu'ils
sont fort limités - et ces droits aussi, ont un caractère impératif
et une portée universelle. D'une part, la liberté des mers, la répres- In relations which are derived from private international law
there is a principle of the limitation of the authority of a foreign
law. This principle comes into play whenever the foreign law is in
conflict with the ordrepublic of the country where it is to be applied.

Each State interprets it by virtue of its national legislation accord-
ing to the principles which may at a given moment govern its
social organization. This concept may Vary considerably from
State to State, but one common feature is always recognized: the
feature which identifies it with the permanent interests of a nation
when that nation provides for its State function of securing respect
for individual rights. In those circumstances, the full force of the
lex fori which has the character of a law of ordre public remains
unimpaired in the relations flowing from private international law.
In its judgment, which 1 have already cited, in the Se~bian Loans
case the Permanent Court referred to the difficulty of defining ordre
public "a conception the definition of which in any particular
country is largely dependent on the opinion prevailing at any given
time in such country itself ..."(Collectionof Judgemnts; Series A.,
Nos. 20121, p. 46). The well-known Cuban international lawyer,
Antonio Sanchez de Bustamente, the author of the code of private
international law which bears his name, agrees that laws which
he calls ofdomestic ordrepublic, such as those governing the status
and capacity of perçons, family relationships, inheritance, etc., in a

State are peremptory in character; they are binding both on per-
sons having their residence in the State and on the nationals of the
State, and prevent the application of a foreignlaw (Art. 3, para. 1).
It has also been suggested that there is a difference between
national ordre public and international ordre public on the ground
that the latter is of wider scope with regard to its invocation against
a foreign law. Many writers recognize that this is so. Others,
including myself, consider that only national ordrepublic may con-
stitute a bar to the application of a relationship of private inter-
national law. International ordrepublic operates within the limits
of the system of public international law when it lays down certain
principles such as the general principles of the law of nations and
the fundamental rights of States, respect for which is indispensable
to the legal CO-existence of the political units which make up the
international community. The natural society of nations, to which
Francisco de Vitoria looked forward, in the 16th century, the society
which involved the CO-existence of perfect communities within a
universal community as propounded by Francisco Suarez in the

following century, the Civitas Maxima described by Christian
Wolff in the 18th century, as constituted by al1States on the basis
of a tacit covenant, and the legal community of States bound by
the performance of certain duties, as defined in the last century
by Friedrich Karl von Savigny, are al1 necessarily based on these
principles and these rights. These principles-we are al1 quite
familiar with them because they are very limited-and these nghts,
55sion de la piraterie, la continuitéinternationale de l'État, l'immunité
de juridiction et la réglementation de la guerre; d'une autre,
1:inviolabilité des traités, l'indépendance et l'égalitéjuridique des
Etats. Mais il s'agit en tout cas d'une conception bien différente

de celle qui a étéexposéepar les Parties dans cette affaire.

Mêmesans en faire mention expresse, tout accord international
qui établit des règles de droit privé se heurte nécessairement à la
notion de l'ordre public national. Aucune loi étrangère n'est appli-
cable quand le principe de l'extraterritorialité des lois ,se heurte à
un cas régi spécifiquement par une loi locale. Et les Etats main-
tiennent à tout moment le pouvoir de régler,en vertu de leur souve-
raineté, leur ordre public. Des auteurs d'une autorité universelle

l'affirment sans donner lieu au doute. La jurisprudence de plusieurs
tribunaux nationaux est bien concluante aussi à ce sujet. Les uns
et l'autre font doctrine en la matière. L'ordre public est lié indis-
solublement aux principes généraux dedroit reconnus par les nations
civiliséesdont l'article38, alinéa 1, lettre c), de son Statut instruit
à la Cour de faire application principale dans sa mission de régler
conformément au droit international les différends qui lui sont
soumis. Cela veut dire que ladite application ,fait l'objet d'un
engagement international de la part de tous les Etats Membres de
l'ONU et de ceux qui ont adhéréauStatut de la Cour. Jus posteriori
derogatpriori établit la maxime romaine bien connue en vertu de

laquelle l'article103 de la Charte des Nations Unies prescrit,que,
en cas de conflit entre les obligations qu'elle impose aux Etats
Membres et celles établies par tout autre accord international, ce
sont les premières qui prévaudront. L'ordre public national de la
Suède prévaut par conséquent sur les dispositions de la Convention
de 1902 qui règlela tutelle des mineurs entre ce pays et la Hollande.
D'autre part, aucune des dispositions de cette Convention ni les
opinions exprimées au cours de ses travaux préparatoires ne per-
mettent d'établir que l'application du principe de l'ordre public
aurait étéenrayée.

La loi suédoise sur la protection de l'enfance est-elle ou non
une loi d'ordre public? Elle règledans tous ses détailsles modalités
de l'éducation des enfants qui tombent dans les différents cas
envisagés par son article 22. En particulier, les articles 1, 20 et
21, qui visent la protection des enfants dans chaque commune, la

surveilIance des gouvernements des provinces pour le bien-êtrede
56too, have a peremptory character and a universal scope. On the
one hand, the freedom of the seas, the repression of piracy, the
international continuity of the State, the immunity of jurisdiction
and the rules governing warfare; and on the other hand the
inviolability of treaties, the independence and legal equality of
States. But, in any event, what is involved is a conception that is
entirely different from the one laid before the Court by the Parties
in this case.
Even in the absence of an express reference, any international
agreement laying down rules of pnvate law necessarily runs up
against the concept of national ordre pzsblic. No foreign law is
applicable when the principle of the extraterritorialityof laws comes
up against a case that is specifically governed by a local law. And,
by virtue of their sovereignty, States possess at alltimes the power

to regulate their own ordre public. Authors enjoying universal
authority assert that this is so beyond any doubt. The decisions
of several national courts are also quite decisive on this point,
Teachings in this matter are to be drawn from these authors and
from these decisions. Ordre public is indissolubly bound up with
the general principles of law recognized by civilized nations
which, under Article 38, paragraph I (c) of the Statute, the
Court is required to apply as a main source of law in discharging
its function of deciding in accordance with international law such
disputes as are submitted to it. This means that the appli-
cation of these principles is the subject of an international under-
taking by al1 Members of the United Nations and by those States
which have adhered to the Statute of the Court. Jus posteriori
derogat priori says the well-known Roman maxim in accordance

with which Article 103 of the Charter of the United Nations pre-
scribeç that, in the event of a conflict between the obligations
imposed on Member-States by the Charter and obligations arising
from any other international agreement, it is the former obligations
that shall prevail. The national ordrepublic of Sweden consequently
prevails over the provisions of the 1902 Convention which governs
the guardianship of infants as between that country andthe Nether-
lands. Moreover, none of the provisions of that Convention, and
none of the opinions expressed in the course of the preparatory
work for it justify the view that the application of the principle
of ordrepublic was excluded.

1s the Swedish law on the protection of infants a law of ordre
public or is it no? It regulates in great detail the practical methods
to be employed in the upbringin~ of infants who fa11within the
various categories contemplated in Article 22. In particular, Ar-
ticles 1, 20 and 21 which relate to the protection of children in
each commune, the supervision by the provincial governments
56l'enfance et la fonction de la direction généraledes Affaires sociales
sont des dispositions d'ordre public. En soi, ladite loi suédoise
n'est, face à la Cour, qu'un fait. ((Du point de vue du droit inter-
national et de la Cour qui est sonorgane - a dit la Cour permanente
dans son arrêt sur les Intérêtsallemands en Haute-Silésie - les lois

nationales son! de simples faits, manifestation de la volonté et de
l'activité des Etats, au mêmetitre que les décisions judiciaires ou
les mesures administratives » (v. Arrêts,etc., SérieA, no 7, p. 19).
Par conséquent, son origine, l'intention du législateur qui l'a dictée,
ses dérivations possibles, sont des questions qui restent hors de la
compétence de la Cour. Il lui suffit de s'en tenir à son texte pour
savoir si elle est ou non une loi d'ordre public.

Toutefois, il est indispensable, pour que l'ordre public d'un pays
puisse jouer face à une convention internationale, qu'il existe un
lien de rattachement de la personne intéressée avec le territoire.
Les Parties en cause sont d'accord, avec raison, que la résidence

permanente d'une personne sur un territoire peut constituer ce lien
de rattachement. Mais la demanderesse a soutenu que, dans le cas
de la mineure Boll, sa résidence en Suède est une résidence forcée
par suite de l'application de la mesure d'éducation protectrice.
Aucune preuve cependant n'a étéapportée par cette Partie pour
démontrer que la résidence de la mineure en Suède est contraire à
son désir personnel. Elle a jugésuffisant d'invoquer sa loi nationale
selon laquelle le domicile d'un pupille est choisi par son tuteur. Il
n'a pas été faitréférence à la manifestation d'une volonté person-
nelle. En tout cas, il y a lieu de supposer présomption juris tantum
-, en l'absence de toute preuve contraire, que la vie en commun
de l'enfant avec ses grand-parents, les parents de sa mère, là où

elle est née,où elle a grandi, où se trouve le centre de ses affections,
n'est nullement en fait une résidence forcée. Ubi bene, ibi patria,
dit la maxime si bien connue.

Les faits et le droit dans le cas d'espèceapparaissent comme suit.
L'ne mineure née en Suède, mais de nationalité néerlandaise par
suite de la nationalité de son père et de celle acquise par sa mère
originairement suédoise, est soumise dans le pays qu'elle n'a pas

quitté depuis sa naissance à une mesure d'éducation protectrice.
La tutelle de cette mineure doit êtrerégléepar sa loi nationale
selon une convention entre la Suède et les Pays-Bas. Celle-ci est
dûment organisée par des décisions d'un tribunal suédoisd'abord,
néerlandais ensuite, mais la garde de l'enfant est entravée par
suite de l'adoption de cette mesure d'ordre public. Ceci est-il
contraire au droit international? Je ne l'estime pas ainsi. Les
conséquencesde situations juridiques motivéespar l'application des
lois territoriales ne sont pas en opposition avec les obligations

57 with a view to ensuring the welfare of children, and the functions
of the Director-General of Social Affairs, areall provisions of ordre
public. In itself and in so far as the Court is concerned, the Swedish
law in question is no more than a fact. In its Judgment on German
interests in Upper Silesia, the Court said: "From the standpoint of

international law and of the Court which is its organ, municipal
laws are merely facts which express the will and constitute the
activities of States, in the same rnanner as do legal decisions or
administrative measures" (Col1ectio.of Judgments, Series A, No. 7,
p. 19). Consequently the origin of the law, the intention of the
draftsman and the possible results to which it may lead are ques-
tions which do not fa11within the jurisdiction of the Court. It is
sufficient for the Court to scrutinize the text of the law.inorder to
ascertain whether or not it is a law of ordrepublic.
However, before the ordre public of a country may be validly
invoked against an international convention there must exist a
substantive connection between the person concerned and the
territory. The Parties to this case agree-and rightly so-that
permanent residence by a person in a territory can constitute such
a substantive connection. But the Applicant contended that, in
the case of the infant Boll, her residence in Sweden is a forced
residence through the application of the measure of protective
upbringing. No proof however has been brought fonvard by the

Applicant to show that the residence of the infant in Sweden is
contrary to her personal wish. The Applicant has thought it suffi-
cient to invoke its national law, according to which the domicile
of a ward is chosen by its guardian. No reference has been made to
any expression of a persona1 desire. In any case, it is to be presumed
-and this is a presumption juris tantum-in the absence of any
proof to the contrary, that the child's living with her grandparents,
her mother's parents, in the place where she was born, where she
grew up and where her affections are centred, by no means con-
stitutes a forced residence.Ubi bene,ibi patria, says the well-known
maxim.
*

The facts and the law in this case appear to be as follows. An

infant born in Sweden, but of Netherlands nationality because
of the nationality of her father and of the nationality acquired by
her mother who was originally Swedish, is placed under a measure
of protective upbringing in the country which she has not left
since her birth. The guardianship of this infant must be governed
by her national law in accordance with a convention between Swe-
den andthe Netherlands. This guardianship has been duly establish-
ed by decisions of a Swedish court in the first place and subsequently
by a decision of a Dutch court, but the right of custody of the
infant is impeded by the adoption of this measure of ordre public.
1s this contrarv to international law? 1 do not consider that it
is so. The co;sequences flowing from legal situations producedIO9 COWVEXTIOS DE 1902 (OP. IXDIV. 31.MORENO QUINT AN.^)
dkcoulant des conventions internationales. C'est ce qui caractérise
plus particulièrement le cas d'espèce: une loi territoriale dont

l'application ne fait pas échec à celle d'une convention, mais a une
incidence sur une situation de fait constituée par la garde d'une
enfant.

Toute appréciation de l'ordre public dans les rapports interna-
tionaux est nécessairement le fait de I'interwétation d'un organe"
juridictionnel pourvu que cette interprétation ne conduise pas -
comme le dit la Cour permanente dans son avis consultatif sur le
Service postal polonais à Dantzig - «à des résultats déraisonnables
ou absurdes ))(v. Arrêts,etc., SérieB, no II, p. 39).Et serait-elle

déraisonnable ou absurde, la décision de notre Cour aurait pour
résultat d'éviter le dépaysement et la souffrance d'une enfant qui
autrement serait arrachée des bras de ses grands-parents, emportée
loin de son pays natal et obligéeà vivre dans une ambiance étran-
gère. Le droit n'est pasune créationmétaphysique, une conséquence
d'un raisonnement froid et abstrait de la pensée humaine qui ne
tient aucunement compte de la réalitésociale. Et les Etats comme
les Pays-Bas et la Suède, qui ont incorporé dans leur droit inter-
national des règles de droit international privé, n'ont sûrement pas
eu en vue l'application de solutionsinhumaines. C'est notre propre
Cour qui a exprimédans l'affaire de 1'Anglo-Iranian qu'elle ne pour-

rait se fonder sur une interprétation purement grammaticale du
texte et qu'elle devait chercher l'interprétation qui fût en harmonie
avec la manière naturelle et raisonnable de le lire (v.ecueil, etc.,
1952,p. 104).
Les faits particuliers de la cause, qui ont amené les autorités
suédoises à prendre les mesures incriminées par le Gouvernement
des Pays-Bas, n'ont pas été l'objet d'une contestation par les Parties.
C'est pourquoi la Cour a décidéde ne pas prendre position sur eux.
Leur connaissance aurait pu êtrecependant d'une singulière utilité
pour établir si dans le cas d'espèce la Suède a agi légitimement
en appliquant sa mesure d'éducation protectrice à Marie Elisabeth

Boll. Car, si ces autorités ne l'avaient pas fait de la sorte, je me
demande si la Partie défenderesse serait à mêmed'opposer avec
succès, face à un organe juridictionnel, son ordre public pour
entraver les effets d'une loi étrangère découlant d'une convention
internationale. La jurisprudence de notre propre Cour dans le cas
Nottebohm, dans lequel elle a sagement dissociéles institutions de
la nationalité et de la protection diplomatique dans leur Capa-
cité pour fonctionner indépendamment dans des ordres juridiques
nationaux différents, me permet de penser ainsi (v. Recueil, etc.,
1955, p. 26). Faute de connaître les faits de l'espèce,et ne lui ayant

pas étéimputé un déni de justice, je dois logiquement présumer que
la Partie défenderesse a fait un usage légitimede son ordre public.

(Signé)Lucio MORENO QUINTANA.by the application of territorial lasvs are not in opposition to the
obligations flowing from international treaties. This is the special
feature of the present case: it is concerned with a territorial law
the application of which does not debar the application of a con-
vention but affects a de facto situation constituted by the custodv
of an infant.
Any appraisal of ordrepztblic in international relations is neces-
sarily a matter for intergretation by a court, provided that such

an inter~retation does not-to use the words of the Permanent
Court in its advisory opinion concerning Polish postal service in
Danzig-"lead to something unreasonable or absurd" (see Jztdg-
nzents,etc., Series B, No.II,p. 39). And would the Court's decision
be unreasonable or absurd if the result of it was to obviate the
transplantation and the suffering of a child who would otherwise
be tom from the arms of her grandparents, carried away far from
the country of her birth and obliged to live in a foreign atmosphere ?
The law is not a metaphysical creation, a consequence of cold and
abstract reasoning of the human mind, which has no regard for
social reality. And States like the Netherlands and Sweden, which
have incor~orated mles of Drivate international law in their inter-
national law, surely do not contemplate the application of inhuman
solutions. Our own Court stated in the Anglo-Iranian case that it
could not base itself on a purely grammatical interpretation of the
text and that it must seek the interpretation which is in harmony
with a natural and reasonable way of reading the text (see I.C.J.

Reports 1952, p.104).

The specific facts of the case, which led the Swedish authorities
to take the measures objected to by the Netherlands Government,
are not a subject of disagreement between the Parties. That is why
the Court decided to adopt no position with regard to them. Knowl-
edge of them might, however, have been extremely useful in deter-
inining whether in this particular case Sweden has acted justifiably
in putting Marie Elisabeth Bol1 under protective upbringing. For,
if this was not the case, 1 wonder whether the Respondent would
be able, before a judicial organ, toustain its ordrepublic to impede
the effects of a foreignlaw derived from an international convention.
The decision of this Court in the Nottebohm case, in which it
wisely dissociated the questions of nationality and of diplornatic
protection as regard their capacity for functioning independently
in different national judicial systems, allows me to think that they
would (see I.C.J. Reports 19jj, p. 26).Not being cognizant of the
facts, and no denial of justice having been alleged against the

Respondent, 1 must logically assume that the latter has made a
proper use of its ordrepztblic.

(Signed) Lucio MORENO QUINTANA.

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Opinion individuelle de M. Moreno Quintana

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