Opinion individuelle de Sir Hersch Lauterpacht (traduction)

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033-19581128-JUD-01-02-EN
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033-19581128-JUD-01-00-EN
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OPINION INDIVIDUELLE
DE SIR HERSCH LAUTERPACHT
[Traduction]
Si, pour des raisons que j'estime devoir exposer, je ne puis

accepter certaines des thèses avancées par le Gouvernement défen-
deur et admises par la Cour, j'arrive, sur la base d'autres motifs,
aux mêmes conclusions que l'arrêt. J'arrive à ces conclusions en
partant de considérationsd'ordre public - question qui a occupéla
plus grande partie de la procédure écrite et orale, qui figure exclu-
sivement dans l'énoncédes points de droit dans les conclusions
définitives des deux Parties et que, par conséquent, je me crois
tenu d'examiner dans la présente opinion.

Les faits à la base de la controverse entre les Parties sont énoncés
en détail dans l'arrêt de la Cour. Aux fins de la présente opinion,

il suffit de rappeler brièvement l'aspect essentiel du différend: la
Convention de La Haye du 12 juin 1902 pour réglerla tutelle des
mineurs, à laquelle la Suède et les Pays-Bas sont parties, prévoit,
dans son article premier, que la tutelle d'un mineur est .régléepar
sa loi nationale.Il ressort clairement des articles dla Convention,
et les Parties ne le contestent pas, que cette tutelle comprend nor-
malement la garde de la personne du mineur. Conformément aux
dispositions de la Convention, un tuteur néerlandais a éténommé
par un tribunal néerlandais en 1954 pour s'occuper d'Elisabeth Boll
qui, bien que néeen Suède et y ayant résidé enpermanence depuis
sa naissance, est de nationalité néerlandaise. La même année,
diverses autorités suédoises, par une série de décisions et dans des
circonstances qui ressortent de l'arrêt, ont appliqué à Elisabeth
Boll la loi suédoise de 1924 sur la protection de l'enfance et de la

jeunesse (Child Welfare Act) - qui sera désignéepar la suite dans
la présente opinion sous le nom de loi sur l'éducation protectrice.
En vertu de l'une de ces décisions, l'office des mineurs à Norr-
koping, lieu de résidence d'Elisabeth Boll, a assumé la garde de
celle-ci en1954A . son tour l'office a confiéla garde dJElisabeth à
son grand-père maternel - cette garde devant être exercéeau nom
de l'office.La mesure a étéfinalement confirméepar la Cour suprême
administrative de Suède. On remarquera que dans une série de
décisionsles tribunaux et les autorités suédoises ont, par ailleurs,
reconnu la tutrice nommée par le tribunal néerlandais.

Le principal argument invoqué par le Gouvernement suédois

pour justifier la mesure prise par les autorités suédoisesest que la
28 loi sur l'éducation protectrice est une mesure d'ordre public et que,
loin d'être contraireà la Convention, le recours à l'ordre public en
fait implicitement partie. Au cours de la procédure écriteet orale,
des arguments subsidiaires ont étéinvoqués par le Gouvernement
suédois.L'un de ces arguments est que la Convention de 1902, étant
une convention sur la tutelle, ne s'étend pas à la loi suédoisesur

l'éducation protectrice qui, dit-on, poursuit un but différent et se
situesurun autre plan. C'est le raisonnement qui domine la présente
affaire et qu'il faut examiner en premier lieu.

On peut résumercette manière d'aborder la question, telle qu'elle
a étéexprimée dans l'argumentation suédoise ou qu'elle lui sert de
base, de la manière suivante: Il n'y a pas incompatibilité entre la
Convention sur la tutelle et la loi sur l'éducation protectrice. La
Convention, qui vise la tutelle, ne s'étend pas à l'éducation protec-
trice. Cette dernière est en dehors de la Convention. Il en est ainsi
bien que l'effet de la loi sur l'éducation protectrice soit de nature
à rendre impossible, temporairement, l'exercice par le tuteur néer-
landais de son droit de garde sur la personne d'Elisabeth Boll.
L'objet et le but de la loi sur l'éducation protectrice est entièrement
différent de celuide la Convention surla tutelle. La Cour n'a pas à
s'occuper des incidences de la loi sur l'éducation protectrice, mais

de sa nature et de son but. La tutelle et l'éducation protectrice sont
des institutions absolument différentes. La tutelle vise les intérêts
du mineur, l'éducation protectrice ceux de la société.La tutelle est
du domaine du droit privé, l'éducation protectrice est de celui du
droit public. La Convention, qui est une convention de droit inter-
national privé ne saurait être violéeque par une législation visant
le droit international privé. Au point de vue de leur nature et de
leur but, la Convention et la loi sur l'éducation protectrice opèrent
sur des plans tout différents et, par conséquent, il ne saurait être
question d'incompatibilité entre la loi et les mesures prises en appli-
cation de celle-ci et la Convention.
Le raisonnement sur lequel reposent ces allégations soulève des
questions importantes d'interprétation et d'application des traités
qui dépassent la question directement soumise à la Cour. Si un

État promulgue et applique une législation qui a pour effet de
rendre un traité inopérant en tout ou partie, peut-on dire que cette
législation ne constitue pas une violation du traité, pour le motif
que cette législation porte sur des matières différentes de celles
viséespar le traité, qu'elle s'occupe d'une institution différente et
qu'elle poursuit un autre but? Il m'est très difficile de répondre par
l'affirmative à cette question. La difficulté est augmentée du fait
que le conflit entre le traité et la loi en question peut êtremasqué,
ou qu'on peut le masquer, par ce qui n'est rien de plus qu'une
différence de classification doctrinale ou législative. Une disposi-
tion identique qui fait partiede la loi sur la protection de l'enfance
dans un pays donné peut, dans un autre pays, rentrer dans les dispositions relatives à la tutelle. Il va êtredémontré que ce n'est
pas là une simple possibilité théorique. En fait, c'est là l'un des
traits saillants de la présente affaire.
Que signifie l'expression : (La Convention de 1902 ne vise pas un
régime tel que celui qui a étéinstitué par la loi suédoisesur l'édu-

cation protectrice »? On admet que la tutelle régiepar la Conven-
tion comprend le droit de fixer la résidence du mineur et son édu-
cation - droit invoqué et exercépar l'autorité suédoiseet, en son
nom, par le grand-père maternel suédois,agissant en application de
la loi sur l'éducation protectrice. S'il en est ainsi, alors, effective-
ment, la Convention s'étend, sous un de ses aspects essentiels, aux
mêmespouvoirs et aux mêmesfonctions qui sont actuellement exer-
céspar les autorités suédoisesen application de la loi sur l'éducation
protectrice. Le fond est le même, bienque le but de la Convention
et celui de la loi soient différents. On peut dire que ce qui importe
ce n'est pas le fond de ces fqnctions, mais leur objet. Distinction
difficileà suivre. Lorsqu'un Etat conclut un traité, il est fondé à

s'attendre à ce que ce traité ne soit ni mutilé ni détruit par des
mesures législativesou autres qui poursuivent un but différentmais
qui, en fait, empêchent l'application de tout ou partie du traité.

Le traité s'étend à toute loi et à toute disposition légalequi en-
trave, qui contrecarre sa mise en Œuvre. On a dit que la loi en ques-
tion peut avoir un effet contraire sur la matière du traité, sans être
couverte par le traité. Toutefois, ce qui doit préoccuper la Cour,
c'est précisémentl'effet de la loi, pour autant qu'elle fait obstacle
à la mise en Œuvre du traité, et non le point de savoir s'il y a ou
non identité conceptuelle entre les objectifs de la loi et du traité.
Le traité interdit tout obstacle à sa mise en Œuvre, à moins qu'il ne
contienne une justification explicite ou implicite à cet effet; pareille

justification ne saurait résulter du simple fait que la loi n'a pas le
mêmeobjet que le traité. Elle ne saurait résulter que du fait que
cet objet particulier est permis expressément par le traité, ou
autorisé par lui explicitement ou implicitement, en vertu d'un
principe de droit international public ou privé - d'un principe tel
que celui qui découle de l'ordre public ou d'un principe apparenté,
quoique plus limité, qui n'est souvent rien de plus qu'une autre
manière de formulerl'ordre public, à savoir que certaines catégories
de lois, telles que les loi pénales, de police, fiscales, administratives,
etc., s'appliquent à tous les habitants du territoire, nonobstant
I'applicabilité en général dela loi nationale.
L'exemple suivant illustrera le problème et les conséquences qui

en découlent: les États concluent souvent des traités de commerce
et d'établissement qui assurent une certaine protection contre les
restrictions à l'importation ou à l'exportation des marchandises,
l'admission à résidence des étrangers, leurs droits de recueillir des
successions, régissent les fonctions des consuls, etc. Quelle est la
position d'un État qui, ayant conclu un traité de ce genre, découvreque l'autre partie rogne sur les dispositions du traité ou les rend
tout à fait inopérantes, l'une après l'autre, en promulguant des
lois (touchant des matières différentes »,telles que la lutte contre

le chômage, la sécuritésociale, le développement de l'industrie
et de l'artisanat locaux, la protection de la morale publique en
matière d'admission des étrangers, la ségrégationraciale, une
réforme de la procédure civile entraînant l'abolition des droits
coutumiers de la représentation consulaire, une réforme du code
civil modifiant le droit successoral de manière à affecter le droit
successoral des étrangers, une loi généralede codification sur la
compétence des tribunaux et entraînant l'abolition des immunités
accordées par le traité aux navires de commerce appartenant à
l'État, ou toutes autres lois «poursuivant des buts différents n?
Au point de vue de l'autre partie, il est à peu près indifférent que

le traité soit devenu lettre morte Dar l'effet de lois aui en ont si
évidemment touché la matière à laquelle il se rapporte, mais qui
poursuivent un but différent. Comme il a étédit, certaines de ces
lois pourraient se justifier comme appartenant au domaine de
l'ordre public, ou pour une raison analogue. Toutefois, l'argument
résumé icine suit pas la mêmevoie. Il se fonde sur l'allégationd'une
différenceentre le traité et la loi qui en empêchel'application.
Vn autre exemple, se rapportant directement à la Convention de
1902, illustrera le problème sous un autre angle. L'article 2 de la
Convention a disposé que, dans certains cas, les agents diploma-
tiques ou consulaires autorisés par la loi de 1'Etat dont le mineur

est un ressqrtissant peuvent pourvoir à la tutelle conformément àla
loi de cet Etat. Quelle est la situation si l'une des parties contrac-
tantes promulgue une loi d'ordre général - une loi de droit public
sur un plan tout à fait différent- portant sur les immunités et les
fonctions des représentants diplomatiques et consulaires étrangers
et prescrivant qu'à l'avenir les représentants diplomatiques et
consulaires étrangers n'accomplironf aucun acte touchant aux
droits privés sur le territoire de cet Etat? Cet Etat peut-il plaider
que, puisque la Coilvention et la loi poursuivent un but tout à fait
différent, il importe peu que la loi ait pour effet de faire obstacleà

l'une des dis~ositions de la Convention?
Le fait saillant, dans la présente affaire, est que le tuteur néer-
landais acceptable pour le père de la mineure et nommé en vertu
de la loi néerlandaise et conformément à la Convention a étérem-
placé,au point de vue de l'exercice du droit de garde, par le grand-
père maternel suédois dlElisabeth Boll, agissant pour le compte de
l'office des mineurs. Les autorités néerlandaises et le tuteur néer-
landais peuvent considérer asseznaturellement que lagarde exercée
par le grand-père suédoisest, en fait, et dans les circonstances de
l'affaire qui révèlentun certain désaccord entre les branches néer-
landaise et suédoisede la famille, dans une large mesure, une tutelle

rivale. 11se peut qu'il leur soit difficile d'apprécier l'idéequ'il n'y
a pas conflit entre la Convention et les mesures prises, parce qu'ellesse placent sur des plans différents et poursuivent des buts diffé-
rents. La situation n'est pas changée par le maintien du droit du
tuteur néerlandais d'administrer les biens de la mineure ou d'intro-
duire une instance pour êtreréinstallé enses fonctions de garde.
Tant que l'exercice du droit de garde est confié aux mains de

l'autorité suédoiseet du grand-père maternel suédois,agissant pour
le compte de celle-ci, les attributs essentiels de la tutelle, telle
qu'elle a étécrééepar la Convention, sont neutralisés. Il se peut
qu'il existe - et, comme il sera suggéréplus loin, il existe - une
justification complète de cette mesure, pour des considérationsd'un
caractère différent. On ne peut trouver cette justification dans
l'allégation discutée que la tutelle néerlandaise et l'éducation pro-
tectrice suédoisesont des institutions entièrement différentes.
Un Etat n'a pas le droit de réduire ses obligations convention-
nelles à propos d'une institution en promulguant dans le domaine
d'une autre institution des dispositions ayant pour effet de faire

échecau jeu d'un aspect essentiel du traité. Il est gênant d'accepter
un principe d'interprétation élaboréaux fins d'un cas particulier
qui, si on lJappliqua.it d'une manière générale,devrait forcément
avoir des répercussions graves sur l'autorité des traités. Comme on
l'a dit, la Convention et la disposition particulière de la loi sur
l'éducation protectrice couvrent, dans le présent différend, le même
terrain et la mêmematière. On a dit que la Convention et la loi sur
l'éducation protectrice présentent des différences techniques, at-
tendu qu'elles se placent sur des plans différents. Admettant qu'il
y ait une différence technique, il peut encore sembler indésirable
qu'un différend entre deux Gouvernements soit tranché par réfé-
rence à un point technique controversé, dans un cas qui pose

d'importantes questions de fond - point technique qui, si on
l'appliquait d'une manière générale,jetterait la confusion, et même
pire, dans le droit régissant l'application des traités. Si l'on com-
mence à fonder l'interprétation des traités sur des distinctions
conceptuelles entre des règles de droit effectivement en conflit, se
plaçant sur des plans différents et, pour cette raison, n'étant pas
en quelque sorte contradictoires, il pourrait êtredifficile de limiter
les effets de ces opérations dans le domaine de la logique et de la
classification.
On a avancé l'opinion qu'il ne peut y avoir de conflit entre la
Convention sur la tutelle et la loi sur l'éducation protectrice pour

le motif que la Convention de 1902 est une convention de droit
international privé et que la tutelle dont elle s'occupe exclusive-
ment est une institution de droit privé, en particulier du droit de la
famille, tandis que la loi sur l'éducation protectrice et les diverses
mesures qu'elle autorise sont du domaine du droit public, attendu
qu'elles se préoccupent de sauvegarder les intérêtsde la société.
Mêmesi ces raisons étaient acceptables par ailleurs, une classifica-
tion et une distinction essentiellement doctrinales ne fournissent
qu'une base douteuse pour trancher la question de l'observation

32 régulière des traités. Toutefois, dans le cas actuel il existe une
difficultéparticulière à admettre la force de cette distinction.
L'examen des principaux systèmes de droit interne en matière de

tutelle ne corrobore pas l'opinion qu'il y a là une simple institution
de famille, d'un caractère de pur droit privé.La principale justifica-
tion de cette opinion est que, dans la classification traditionnelle,
la tutelle trouve sa place dans les codes de droit privé et qu'elle
créede nombreux droits et devoirs dans le domaine du droit privé.
Néanmoins, on peut dire en mêmetemps que la tutelle e& une
institution dans laquelle le tuteur agit en quelque sorte comme
organe de l'État et, par conséquent, qu'elle participe de la nature
d'une inst$ution de droit public. Le tuteur agit sous le contrôle

actif de l'Etat, qui peut intervenir à tout moment - dans l'intérêt
de l'enfant comme de la société - et remplacer le tuteur, en tout
ou partie. Il est peu de pays dont la loi se fonde exclusivement sur
une conception de la t,utelle relevant du droit privéet de la famille.
Dans la plupart des Etats, y compris les Pays-Bas et la Suède. le
régime juridique se caractérise en la matière par l'intervention
active de 1'Etat à tous les stades comme organe de contrôle et de
supervision. Dans certains pays tels que l'Ailemagne, la protection

des mineurs est confiéeprincipalement à l'Etat, qui intervient au
moyen d'un tribunal spécial - le tribunal des tutelles -, et ce
n'est que par voie d'exception que ces fonctions sont déléguéea su
conseil des familles.Il est intéressant de noter qu'avant les Conven-
tions de La Haye qui ont examinéles divers projets de conventions
sur la tutelle, on reconnaissait clairement la différence entre les
deux systèmes - ((tutelle de famille » (family guardianship) et
(tutelle d'autorité »(authority guardianship). Cette distinction a été
développéepar exemple en 1902par M.Lehr, secrétaire de l'Institut

de droit international, qui a pris une part importante à la prépara-
tion des premiers projets de la Convention (Lehr, «De la tutelle
des mineurs d'après les principales législations de l'Europe »,Revue
de droitinternational etdelégislationcomparée, zmesérie,vol. 4 (I~oz),
pp. 315 et suiv.). Il a classéles systèmes de tutelle néerlandais et
suédois tous les deux dans le groupe de la cctutelle d'autorité ))

(PPCela étant, il ne me paraît pas possible d'accepter l'argument

fondésur la notion du caractère de pur droit privé et familial de la
tutelle. On peut juger du caractère artificiel des distinctions entre
le caractère de droit privé supposéde la tutelle et le caractère de
droit public supposé des systèmes d'éducation protectrice ou
d'éducation des enfants, en dehors du jeu normal de la tutelle, par
le fait que la question est entièrement une question de technique et
de rédaction législatives. Cela ressort, par exemple, des dispositions
du code civil néerlandais régissant la tutelle et contenues dans

le LivreIer, titre XV. La section A I du titre XV vise la puissance
paternelle. La section B 2 vise la tutelle paternelle tandis que la
section A 3 qui, d'après la section B 9, est applicable à la tiitelle,
contient dans une large mesure les mêmes dispositions qui sontincorporées dans la partie du droit suédois sur l'éducation pro-
tectrice qui a étéappliquée au cas d'Elisabeth Boll. Cette sec-
tion, à l'article 365, dispose, en termes presque identiques à

ceux de la loi suédoise précitée,que certaines mesures seront prises
«si un enfant grandit de façon telle qu'il est menacé de déchéance
morale ou physique ». Cesmesures peuvent êtreprises àla demande
des conseils de tutelle prévus dans les mêmesparties de la loi et qui,
sous l'autorité des tribunaux judiciaires, remplissent des fonctions
semblables à celles de l'office des mineurs dans la loi suédoise de
1924 (articles 461 et suiv.). La mêmesection A 3 prévoit que les
enfants dans cette situation seront placés par le juge des enfants
dansun établissement d'observation pour examen mental ou physi-
que ou, si l'enfant a besoin d'une observation spéciale, dans un

établissement choisi à cet effet (art. 372 a et b). Le code civil alle-
mand, dans la section sur la tutelle, dispose dans un article unique
(art. 1838) que le tribunal des tutelles peut ordonner le placement
du mineur dans une famille appropriée ou dans une institution
d'éducation ou de réforme - un genre de dispositions que l'on
retrouve dans la 1oi.suédoisede 1924. C'est une question de tech-
nique législativeet de rédaction que de déterminer si les dispositions
pour la protection de l'enfance, lorsque la tutelle normale s'est
avéréeinsuffisante, relève, comme aux Pays-Bas, de la législation

relative à la tutelle ou si, comme en Suède, elles font partie d'une
disposition distincte. Dans les deux cas, elles ont pour objet de
protéger à la fois l'enfant et la société.

Car il est clair que la distinction entre la protection de l'enfant
et de la sociétéest artificielle. Les lois relativeà la tutelle comme
celles-relatives à l'éducation protectrice sont des lois dont le but
principal est la protection des mineurs et de leurs intérêts,mais, en
mêmetemps, la protection de l'enfance - au moyen de la tutelle
ou de l'éducation protectrice - présente un intérêtsocial de pre-

mièreimportance. Les enfants font partie de la société- ils en sont
les élémentsles plus vulnérables et celui qui a le plus besoin de
protection. En dernière analyse, toutes les lois sociales sont des lois
pour la protection des individus. Toutes les lois pour la protection
des individus sont, à vrai dire, des lois sociales. Il y a quelque chose
d'artificiel à prendre ces deux aspects du but de l'État comme point
de départ pour en tirer des conséquences juridiques d'importance
pratique. II est absolument artificiel de souligner que les mesures
prises en vertu de la loi sur l'éducation protectrice pour la sauve-
garde, la santé et le bonheur d'Elisabeth Boll n'ont pas étéprises

au premier chef dans l'intérêtde cette enfant - et, par consé-
quent, ne sont pas des mesures pour la tutelle de sa personne -
mais qu'elles ont étéprises au premier chef dans l'intérêtde la
sociétéen généralet qu'elles rentrent, par conséquent, dans une
catégorie toute différente. C'est à la lumière de ces considérations
qu'il faut juger l'opinion d'après laquelle la Convention de 1902 sur

34 la tutelle visant uniquement une institution de droit privé,des rap-

ports de famille, dénués detout élément public, il ne saurait y
avoir conflit entre cette Convention et une disposition de caractère
exclusivement de droit public, telle que la loi suédoisesur l'éduca-
tion protectrice. Mêmesi l'on pouvait démontrer chaque élément
de cette proposition en se référant à la loi interne en vigueur dans
la plupart des pays - et cela ne semble pas êtrele cas -, on ren-
contrerait encore la difficultéd'apprécier le contenu de la formule
d'après laquelle il ne peut y avoir de conflit entre un traité qui
régit un domaine du droit privé et une loi interne du domaine du
droit public.
Sans doute la Convention de 1902 était destinée à régler les
conflits de lois en matière de tutelle, mais il n'y a pas de raison

convaincante pour accepter l'idéeque les dispositions pertinentes
de la loi suédoisesur l'éducation protectrice, en vertu desquelles la
garde dlElisabeth Bol1a étéconfiée à son grand-père maternel, en
son domicile, sous l'autorité de l'office des mineurs, n'ont rien à
voir avec la tutelle, attendu qu'elles ont le caractère de droit public.
De même,il est difficile d'admettre la suggestion que la tutelle,
instituée dans l'intérêtprivé de l'enfant, est dénuéed'un élément
public important d'ordre social. Les droits des parties, en particu-
lier dans un différend d'ordre international, ne devraient pas être
déterminéspar référenceau mystère controversé de la distinction
entre le droit privé et le droit public. Le fait que la Convention de
1902 a pour but d'établir des règles pour éviter les conflits de lois
en matière de tutelle ne signifie pas que ce domaine se limite aux
lois décritescomme visant la tutelle. Il couvre toutes les lois, quelle
qu'en soit la description ou la classification, remplissant une fonc-

tion essentielle de tutelle. Un élément fermementétabli de la juris-
prudence de la Cour est qu'en matière de lois internes affectant les
obligations néesdes traités, ce qui importe, ce n'est pas la lettre
de la loi, mais son effet positif.
Quoi qu'ilensoit, il est inutile d'insister sur ce point. A mon avis,
les considérations qui précèdent suffisent à démontrer les difficul-
tés décisivesinhérentes à la proposition qu'un Etat peut légitime-
ment prétendre s'écarter des obligations résultant d'un traité en
promulguant des lois qui, bien qu'empêchant l'applicationdu traité,
sont considérées commen'étant pas en conflit avec lui, pour le
motif qu'elles opèrent sur des plans différents ou qu'elless'occupent
d'une matière différente.
Il est clair que le tuteur ne bénéficiepas d'une immunité dans

l'application d'une loi interne, telle qu'une loi pénale,qui pourrait
le priver de la garde du mineur placédans un institut pénitencier
ou de réforme. Le tuteur est soumis aux lois visant l'éducation, la
santé, les impôts, etc. Mais, bien qu'en l'absence d'une justification
plus solide que les différencesde classification le tuteur ne jouisse
pas d'une immunité à l'égard dela loi interne, il a droit en principe
à êtreprotégécontre la privation permanente ou temporaire decertains des attributs principaux de la tutelle, tels que la garde du
mineur - en particulier si cette garde fait l'objet de ce qui, dans
les circonstances de l'affaire, peut donner l'impression d'une tutelle
rivale.Il se peut que cette privation puisse êtrejustifiée, mais cette

justification ne peut à bon droit se fonder sur des facteurs d'un
caractère essentiellement technique. A mon avis, la vraie façon
d'aborder la question n'est pas de dire que le système de l'éduca-
tion protectrice est en dehors de la Convention et qu'il poursuit un
but différent, mais plutôt de dire qu'il n'est pas incompatible avec
la Convention. En d'autres termes, c'est que la question est à la
fois couverte et autorisée par la Convention, en vertu de l'ordre
public ou de quelque raison semblab!e fondéesur le droit, reconnu
par le droit international, pour un Etat d'appliquer une loi parti-
culière qui entraveou empêchele jeu de la Convention.
En fait, c'est en ce sens que je comprends cette partie de l'arrêt
de la Cour qui souligne les buts sociaux bénéfiquesd'un caractère
urgent de la loisuédoise enquestion - et que je m'y rallie. C'est une
considération qui se rattache étroitement à celles qui sont à la base

de la notion d'ordre public. C'est cet aspect de la question qu'il
m'incombe d'examiner avec quelques détails dans la présente
opinion.

Avant d'en arriver là, il faut examiner une conclusion stibsidiaire
du conseil du Gouvernement suédois sur les effets possibles d'une
décisionque la loi suédoisesur l'éducation protectrice ne s'applique
pas aux enfants de nationalité néerlandaise. Il a étésignalépour le
compte du Gouvernement suédoisqu'une pareille interprétation de
la Convention entraînerait un dangereux vide juridique. On a
soutenu que, les autorités administratives néerlandaises étant
responsables de l'application de la loi néerlandaise dans le dpmaine
de la protection de l'enfance, le résultat serait qu'aucun Etat ne

pouvant, d'après le droit international, accomplir des actes adminis-
tratifs sur le territoire d'un autre Etat, les enfants néerlandais en
Suède qui auraient besoin de protection en dehors de la tutelle se
trouveraient dépourvus de toute protection.
Il faut reconnaître que, dans les limites du possible, eu égard à
l'intention des Parties, on doit interpréter un traité comme ayant
pour objet de faciliter plutôt que d'empêcher les mesuresdésirables
de protection sociale. Toutefois, il me semble quelespectre d'un vide
juridique tel qu'on l'a dépeint à ce propos au nom du Gouverne-
ment suédois est illusoire. Normalement, le tuteur néerlandais en
pareil cas prendra les mesures nécessaires pour ramener l'enfant
aux Pays-Bas. Si cela n'est pas possible, le tuteur néerlandais
placera l'enfant dans un foyer approprié (comme la tutrice néer-

landaise dJElisabeth Bol1 l'avait envisagé, en fait, à un moment
donné) ou prendra d'autres mesures requises par la condition physique ou mentale de l'enfant, par exemple en le plaçant dans un
établissement pour observation ou traitement. Dans les cas excep-

tionnels où, pour une raison ou pour une autre, le tuteur n'agit pas,
ou n'agit pas de façonsatisfaisante, les autorités néerlandaises pres-
crivent les mesures nécessaires. Mais d'après la loi néerlandaise il
ne s'agit pas d'autorités administratives; ce sont des autorités
judiciaires, appliquant la loi néerlandaise que la Suède, en vertu de
la Convention, est tenue de reconnaître et qu'elle doit respecter de
bonne foi, sans exiger d'arrangement conventionnelsupplémentaire
à cette fin. C'est ainsi que l'article 365 précitédu code civil néer-
landais prévoit que, si l'enfant grandit de façon telle qu'il est
menacé de déchéancemorale ou physique, le juge des enfants peut
le mettre soussurveillance. C'est également au juge des enfants que
les articles 372 a et 372 b du code donnent le pouvoir de placer
l'enfant dans un établissement d'observation ou, s'il a besoin d'une
discipline spéciale,dans un établissement approprié. Aux termes de

l'article 461 c il appartient au juge, sur l'initiative du conseil de
tutelle, de prescrire les mesures nécessaires lorsque le mineur ne se
trouve pas sous l'autorité légaleexigéeou dans d'autres cas d'ur-
gence. Il faut ajouter que ces mesuresexceptionnellesde protection
visant un enfant restant en Suède seraient, en pratique, les mêmes
que celles prises par les autorités suédoisesen pareil cas et que, par
conséquent, aucune considération tenant à l'ordre public suédois
ne ferait obstacle à leur exécution.
Sans doute, en prenant les mesures en question, la tâche des auto-
rités judiciaires néerlandaises pourrait êtrerendue quelque peu plus
difficile qu'elle ne l'eût été autrement, du fait qu'il leur faudrait
obtenir les renseignements nécessairessurla situation dans un pays
étranger. Mais ces difficultés - qui sont absolument en dehors du

problème juridique de l'applicabilité du droit administratif étran-
ger - sont inhérentes à une Convention qui sanctionne et prescrit
l'application de la loi nationale du mineur. A une époque de voya-
ges rapides, qui permettent aux parties intéresséesou aux repré-
sentants des conseils de tutelle ou d'autres institutions de visiter
les lieux, et à une époque de relations postales faciles, ces diffi-
cultés sont considérablement réduites. En tout cas, comme il a été
dit, elles visent une situation absolument exceptionnelle et, à ce
titre, elles semblent assez artificielles quand on les invoque comme
décisifpour interpréter la Convention. Elles me semblent un motif
insuffisant pour permettre de s'écarter de ses termes et de son but.
C'est pourquoi je ne puis accepter cet argument invoqué par la
Siiède.

Comme je l'ai déjà dit, le recours à l'ordre public constitue le
trait principal des écritures et des plaidoiries des Parties. C'est le
seul point ayant le caractère d'un principe juridique dans les
37 conclusions finales des Parties. La Cour n'est pas rigoureusement
tenue de statuer par référence exclusive aux propositions juridi-
ques, telles qu'elles sont formuléespar les Parties dans leurs conclu-
sions. Néanmoins, je considère que je ne devrais pas négliger les

conclusionsdes Parties qui énoncent de façon complète le point de
droit en litige entre elles. La position est analogue à celle où les
Parties ont conclu un compromis pour définirle différendjuridique
qui les sépare et demander à la Cour de statuer sur ce différend
comme élémentdu dispositif de son arrêt.Ce n'est que s'il est abso-
lument clair que la formule adoptée par les Parties pour énoncerle
différend juridique ne peut fournir de base à la décision et qu'on
dispose d'une autre solution juridique d'une valeur incontestable
que je me sentirais libre de négliger les conclusions des Parties.
Dans le cas actuel, il me semble qu'aucune de ces conditions n'est
remplie. (Il faut signaler à ce propos que la position est différente
de celle de l'affaire des Pêcheries,où la Cour a déclinéde se prononcer
par référenceaux définitions,principes ou règles formuléspar l'une

des Parties. C. I. J. Recueil 19.51 p. 126.) Sans doute le différend
juridique ainsi définipar les Parties en leurs écritures et conclusions
dans la présente affaire touche directement une question difficile et
controversée qui a constitué l'un des problèmes essentiels dans le
domaine du droit international privé et qui fait ressortir les rap-
ports entre le droit international privé et le droit international
public.

La Convention de 1902 sur la tutelle, qui ne mentionne pas
expressément l'exception d'ordre public, permet-elle de l'invoquer?
Ceci paraît être la question cruciale. Mais avant d'essayer d'y ré-

pondre, il faut faire à ce sujet deux remarques préliminaires.

La première est qu'il faut être prudent quant à la manière de
poser la question dans le contexte actuel. Il paraît inexact de poser
le problème sous une forme comme celle-ci: ((La Cour doit-elle
appliquer la Convention, ou doit-elle appliquer l'ordre public?
Qui passe en premier? ))Car il ne s'agit pas ici de choisir entre la
Convention et l'ordre public. Si telle était l'alternative, la Cour
n'aurait évidemment pas d'autre choix que d'appliquer la Conven-
tion. La question est de savoir si la Convention, prise dans son
ensemble et à la lumière des règles d'interprétation pertinentes -
et non pas simplement dans sa seule lettre -, admet l'exception

d'ordre public. C'est pourquoi on ne trouve aucun appui dans les
divers prononcers de la Cour permanente de Justice internationale,
aux termes desquelson ne peut valablement invoquer la législation
nationale comme motif de ne pas se conformer à une obligation
internationale. Le problème qui se pose à la Cour est précisément
de savoir quelle est l'obligation internationale en question.

3s La deuxième question préliminaire est de savoir si la loi sur
l'éducation protectrice des mineurs rentre légitimement dans le

domaine de l'ordre public, c'est-à-dire si, nonobstant une dispo-
sition conventionnelle apparemment contraire, l'ordre public
s'étendaux mesures exceptionnelles pour la protection des mineurs,
en plus et à l'exclusion de la tutelle mise en Œuvre dans les circons-
tances normales. De toute évidence,il faut répondre à cette ques-
tion par l'affirmative. En dehors du droit pénal,il est difficiled'ima-
giner un casplus approprié et plus naturel d'invoquer l'ordre public,
tel qu'on l'entend généralement, quela protection des mineurs par
l'Etat, en particulier quand ils sont sans défense,malades, quand ils
constituent un danger positif ou éventuel pour eux-mêmes oupour
la société,quand ils sont l'objet légitime de sa compassion ou de

son assistance et la source de griefs publics quand l'État n'est pas
à la hauteur de ses responsabilités en la matière. Il existe dans
le vaste domaine hautement controversé de l'ordre ~ublic des
matières qui font l'objet d'incertitudes et à propos desquelles se
produit, à l'occasion, une exagération des préjugés nationaux
contre l'application de la loi étrangère. Mais à l'intérieur de ce
domaine, il existe un noyau solide qu'on ne peut raisonnablement
contester. La protection des enfants au sens indiqué plus haut fait
évidemment partie de ce solide noyau. A ce propos, on peut men-
tionner comme soulignant cet aspect de la tutelle (dont on trouve
un exemple au sens le plus large dans le système de l'éducation

protectrice) le fait qu'en droit anglais la Couronne, en tant que
parens patriae - le parent de la nation dans son ensemble -, est
le suprême tuteur des mineurs et, dans ce domaine, exerce son
autorité à tous les stades, par l'intermédiaire de ses tribunaux, avec
un dédain absolu des formalités légales artificielles. Le Gz~ardian-
ship Act de 1925, dans sa section 1, dispose que toutes les fois qu'il
s'agit, dans une procédure judiciaire, de la garde ou de l'éducation
d'un mineur, le tribunal, en traitant de la question, ((retiendra en
premier lieu et comme considération dominante le bien-être du
mineur ))et ne retiendra d'une manière décisiveaucune réclamation
du père ou de la mèretendant à faire reconnaître un droit supérieur
de garde et de contrôle, fondéesur une règlede droit particulière.

On emploie généralementla notion d'ordre public en deux sens:
soit pour viser des domaines particuliers du droit comme les lois
territoriales, les lois pénales, les lois de police, les lois visant le bien-
être, lasanté et la sécuritésociale et d'autres lois du mêmeordre.
A ce point de vue, il est clair que l'éducation protectrice relève
de la notion d'ordre public. En second lieu, la notion d'ordre public
s'emploie par extension plus généraleaux conceptions nationales
fondamentales du droit. de la décenceet de la moralité. A ce oint
de vue encore, la protection des intérêtsdu mineur par des mesures
telles que l'éducation protectrice relève de la notion d'ordre public.
(On peut dire dans le présent contexte que, si le terme français

d'ordre public est employé le plus souvent dans cette opinion, iln'est pas employé pour marquer implicitement une différence de
fond entre cette notion et la notion de ((public policy» dans les pays
de ccomrnom Law » tels que le Royaume-Uni et les Etats-Unis
d'Amérique - bien que la notion d'ordre public soit probablement
plus large. L'expression est employée ici parce qu'elle est courante
dans la loi des deux Etats parties au différend.)
Sans doute, en répondant à la question telle qu'elle est ici posée,
nous nous trouvons en face du dilemme suivant: faut-il répondre à
la question par référence àl'ordre public suédois?Dans l'affirmative,
la Cour est-elle compétente pour examiner une question d'ordre

public suédois, de droit interne suédois et en mesure de le faire?
Il est clair qu'il faut répondre par l'affirmative. Toutes les fois
qu'il est nécessaire de le faire, l'examen du droit interne relève de
la fonction propre de la Cour. Elle l'a entreprisà plusieurs reprises.
Les complexités de l'ordre public n'apportent pas, elles non plus,
une limite à cette légitime fonction de la Cour. Dans l'affaire des
Emprunts serbes,la Cour a examiné le droit français et la pratique
judiciaire en matière d'ordre public à propos de la loi monétaire
(C. P.J. I., Série A, nos20/21, pp. 46-47). Toutefois, la question à
laquelle il faut réporidre à ce propos n'est pas seulement de savoir

si l'éducation protectrice des mineurs relève, d'après la loi suédoise,
de l'ordre public suédois,mais encore de savoir si l'on peut légitime-
ment la comprendre comme rentrant dans ce domaine. C'est une
question à laquelle il ne peut êtrerépondu par référenceau seul
droit suédois. Onpeut y répondre en invoquant une notion d'ordre
public conçue en tant que principe général dedroit - un aspect
de la question qui sera viséplus loin.

Si l'éducation protectrice des mineurs rentre légitimement

dans le domaine de l'ordre public, alors - et alors seulement -
il faut examiner la question principale, à savoir: l'ordre public,
quand il n'est pas expressément admis par la Convention, peut-il
être invoqué en aucune façon? A-t-il étélégitimement invoqué
dans le cas actuel et, dans l'affirmative, la loi sur l'éducation pro-
tectrice a-t-elle étéappliquée par les autorités suédoises d'une
manière raisonnable et qui n'est pas manifestement contraire à
l'objet et aux principes de la Convention?
La notion d'ordre public joue-t-elle dans le cas actuel? C'est là
le nŒud de la question soumise à la Cour. On ne peut l'examiner

ici qu'en traçant une brève esquisse.
En premier lieu, la Convention actuellement soumise à la Cour
est une convention de droit international public dans le domaine
de ce qu'on appelle généralementle droit international privé. Cela
veut dire: a) que, comme tout autre traité, il faut l'interpréter à la
lumière des principes qui régissent l'interprétation des traités dans
le domaine du droit international public, et b) que cette interpré-tation doit tenir compte des conditions et des circonstances spécia-
les à la matière visée par le traité, traité qui relève, dans le cas
actuel, du domaine du droit international privé.
En second lieu, dans le domaine du droit international privé,
l'exception d'ordre public, de public policy, comme motif pour
écarter la loi étrangère dans un cas particulier est généralement -
ou plutôt universellement - reconnue. On la reconnaît sous
diverses formes et avecplus ou moins d'importance, et, à l'occasion,
avec des différences appréciables dans la manière de l'appliquer.
Ainsi, dans certains domaines tels que la reconnaissance des lois
de propriété acquise à l'étranger, les tribunaux de certains pays

hésitent plus que d'autres à permettre à letir conception de l'ordre
public - à leur public policy - de faire obstacle au titre acquis de
cette manière. Néanmoins, les restrictions apportées dans certaines
directions sont souvent compenséespar des règles de procédure ou
de fond dans d'autres domaines. Dans l'ensemble, le résultat est le
mêmedans la plupart des pays - à telle enseigne qu'il faut consi-
dérerla reconnaissance du rôle de l'ordre public comme un principe
généralde droit dans le domaine du droit international privé.
S'il en est ainsi, on peut à bon droit la regarder comme un principe
général de droit au sens de l'article 38 du Statut de la Cour. Cette
circonstance fournit également une réponse à la question visant la

nature et le contenu de la notion d'ordre public, par laquelle on doit
apprécier la légitimité de la législation suédoise en la matière.
Il est clair que ce n'est pas la notion suédoise d'ordre public qui
peut fournir un critère exclusif à ce point de vue. La réponse est
que, la notion d'ordre public - de public policy - étant une notion
juridique générale, il faut en déterminer le contenu de la même
manière que pour tout autre principe général du droit, au sens de
l'article38 du Statut, à savoir, par référence à la pratique et à
l'expérience en ce domaine des tribunaux nationaux des nations
civilisées. C'est en me rapportant à des considérations de ce genre
que, dans une partie antérieure de cette opinion, j'ai essayé de

répondre à la question de savoir si la loi suédoise sur l'éducation
protectrice pouvait êtrelégitimement considéréecomme rentrant
dans le domaine de l'ordre public.
Telles sont les raisons pour lesquelles l'interprétation correcte
d'une convention sur le droit international privé doit pleinement
tenir compte de cette reconnaissance générale del'ordre public.
On aboutit au mêmerésultat au moyen d'un autre principe d'inter-
prétation, également important: dans une affaire visant l'inter-
prétation d'un traité sur une question particulière au sujet de la-
quelle le droit et la pratique des deux parties reconnaissent que

certains principes sont applicables, il faut donner à ces principes
l'importance qui convient. Par exemple :si la loi et la pratique de la
Suède et des Pays-Bas reconnaissaient que la limit_enormale des
eaux territoriales est de vingt milles et si ces deux Etats passaient
un traité disposant que leurs navires devront se soumettre à cer-taines restrictions dans leurs eaux territoriales respectives, l'ex-
pression «eaux territoriales » devrait alors s'interpréter çuivant

le sens que lui attachent la loi et la pratique des deux Etats, à
savoir, comme s'étendant à vingt milles. De même, sila loi en
Suède et aux Pays-Bas reconnaît l'exception d'ordre public dans
le domaine du droit international privé, alors ce facteur doit être
considéré comme pertinent pour l'interprétation des traités en
question, dans les rapports de ces deux pays entre eux. On sait
parfaitement, et les deux Parties le reconnaissent, qu'en Suède
comme aux Pays-Bas, l'ordre public est un motif valable pour
écarter la loi étrangère. En conséquence, le fait qu'une question
particulière de droit international privé est viséepar une convention
n'exclut pas, par lui-même,en l'absence d'une disposition expresse

en sens contraire, le jeu de l'ordre public, même sila convention
garde par ailleurs le silence en la matière - pourvu toujours que
1'Etat qui invoque l'ordre publicsoit prêt,sil'on conteste sa décision
de l'invoquer, à soumettre la question à une décision judiciaire ou
arbitrale impartiale. Cette dernière condition découle inévitable-
ment du principe que 1'Etat qui invoque une exception qui n'est
pas expressément reconnue par le traité ne peut invoquer le droit
de déciderunilatéralement si l'exception s'applique.
En mêmetemps, et c'est la troisième considération principale
dans le contexte actuel, le fait que les Parties sont liéespar traité
sur un point particulier de droit international privé apporte une

limite à l'application de l'ordre public. Et celà trois points de vue :

En premier lieu, l'existence du traité impose aux tribunaux in-
ternes l'obligation de se montrer prudents quand ils invoquent
l'ordre public - prudence supplémentaire à celle qui s'impose à
eux, d'une manière générale, en matière de droit international
privé. Les deux Parties le reconnaissent. En fait, l'un des buts d'un
traité visant le droit international privé est d'apporter certaines
limites supplémentaires au recours à l'ordre public.
En second lieu, l'existence d'un traité limite le pouvoir dis-
crétionnaire des tribunaux nationaux pour dire si une question

donnée rentre dans le domaine de l'ordre public. Elle le limite en
ce sens qu'en cas de différend,et pourvu qu'un tribunal internatio-
nal ait la compétencevoulue, c'est à lui qu'il appartient detrancher
la question. Cela encore, les deux Parties au fond le reconnaissent.

En troisième lieu - opinion soutenue par les Pays-Bas mais
contestée par la Suède -, en cas de différend sur la manière dont
l'autorité nationale a appliqué l'exception d'ordre public, la ques-
tion relève de l'examen et de la décisiond'un tribunal international,
pourvu que celui-ci soit compétent par ailleurs. Cet aspect de la

question est examiné plus loin dans cette opinion.
Ces principes appliqués à la présente affaire signifient, d'une
manière générale,que l'exception d'ordre public est admissible dans des limites appropriées et que, puisqu'il y a un différend sur le
point de savoir si ces limites ont été observées, c'est à la Cour
qu'il appartient de décider si la notion d'ordre public a étélégi-
timement invoquée et appliquée. Comme je l'ai dit, j'en suis arrivé
à la conclusion que le recours à l'ordre public à propos d'une loi
sur l'éducation protectrice se justifie pleinement et que, par consé-
quent, l'ordre public a étélégitimement invoqué. Je reviendrai
dans un moment à la question de savoir s'il a étédémontré de
façon satisfaisante en l'espèceque l'ordre public a étélégitimement
a?fliqué.
*
* *
A ce propos, il faut mentionner certains opinions expriméespen-
dant les écritures et les plaidoiries à propos de l'ordre public, no-
tamment l'opinion que le recours à l'ordre public est incompatible

avec le but des traités de droit international privé et que l'ordre
public doit s'interpréter restrictivement, ou mêmese voir refuser
toute reconnaissance. On a soutenu en particulier qu'en raison de
son caractère étendu et de son élasticité, l'ordre publica étécause
d'incertitude et de confusion, qu'il a jeté le trouble en ce domaine
et, plus encore, qu'il a détruit le droit international privé. Ces
considérations ont quelque valeur. Elles ne peuvent cependant pas
êtredécisives.

Il est admis que la notion d'ordre public - comme celle de
publip colic y est variable, indéfinie et, à l'occasion, conduià
l'arbitraire et aux abus. A ce point de vue, et non sans quelque rai-
son, on a comparé l'ordre public à la notion vague de droit naturel.
On reconnaît également quel'ordre public a souvent étél'instrument
ou l'expression de l'exclusivisme national et des préjugésqui sup-
portent mal l'application du droit étranger. Toutefois, ces objec-
tions, pour justifiées qu'ellessoient, ne changent pas le fait que le
principe qui permet de recourir à l'ordre public dans le domaine
du droit international privé est devenu- et qu'jl es- un principe
généraldu système juridique de la plupart des Etats civilisés,sinon
de tous. Bien plus: il fait par lui-mêmepartie de toute la doctrine
et de toute la pratique du droit international privé, presque depuis
son origine. Les deux sont inséparables, non seulement au point de

vue historique, mais par nécessité.Ils ont grandi ensemble, en
réagissant l'un sur l'autre et dans un compromis réciproque. Le
but du droit international privé est de permettre l'application, sur
le territoire d'un État, du droit des États étrangers. Ce but est
dicté par des considérations de justice, de commodité, par les né-
cessités des rapports internationaux entre individus et même,on
l'a dit, parfois, par une conception éclairée del'ordre public lui-
même. Mais c'est évidemment trop simplifier les choses que de
soutenir que le droit d'un État doit êtretenu pour avoir consenti,
ou qu'on devrait raisonnablement s'attendre à ce qu'il consented'avance, à l'application du droit étranger sans aucune limitation,
dans tous les cas, sans soupape de sûreté, sans un minimum de
situations dans lesquelles, en raison de la nature même de sa
structure et des conceptions juridiques morales et politiques fon-
damentales sur lesquelles il repose, il doit pouvoir décliner l'appli-
cation de la loi étrangère.

A l'intérieur de l'État, le recours judiciaire à l'ordre public -
au publip colic-y a souvent fait l'objet de critiques, mais on a
rarement, peut-être même jamais, suggéréqu'il ne soit pas un
instrument indispensable de l'interprétation, de l'application et du
dé~eloppement~du droit. S'il en est ainsi dans le domaine de la loi
nationale de l'Etat, qui peut êtremodifiéepar les procédés légis-
latifs ordinaires,il en est particulièrement ,ainsi dans le domaine de
la loi étran",re. sur laauelle l'État n'exerce aucun contrôle et aue
ses tribunaux pourraiek, dans certaines circonstances, juger in-
concevable d'appliquer. L'histoire - l'histoire moderne - a
fourni à l'occasion des exemples de législations manifestant des
crises d'injustice délibérée,ou pire, auxquelles les tribunaux des

pays étrangers peuvent juger absolument impossible de donner
effet età propos desquelles le droit de dénoncerle traité peut ne pas
fournir un remède opportun et praticable.
C'est ce résidu de pouvoir discrétionnaire, c'est cette soupape
de sûreté qui a rendu possible le droit international privé et qui,
si on la maintient dans les limites raisonnables, est l'une des ga-
ranties principales de sa survie et de son développement. Il est
significatif qu'une grande partie de l'apport des plus illustres
théoriciens du droit international privé - tels que Story, Savigny
et Pollet - consiste en leur effort pour formuler la notion d'ordre
public et les limites, souvent larges et générales, de sonapplication.
L'ordre public est et doit êtrede plus en plus limité de façon rai-
sonnable, conformément au but principal du droit international

privé. Mais la difficulté ne peut être résolue en se bornant à la
classer. Il peut y être remédiépar l'existence de recours internatio-
naux, de contrôle et de revision judiciaire toutes les fois qu'un
tribunal international possède la compétence voulue. Le cas actuel
fournissait l'occasion d'agir en ce sens.

Les considérations qui précèdent peuvent également faciliter Ia
réponse à la question de savoir si l'existence d'un traité apporte
une limite au recours à l'ordre public, en ce sens que ce dernier ne
peut êtrelégitimement invoqué, à moins que le traité ne contienne
expressément une exception à cet effet. A cette question il faut
répondre par la négative. Evidemment, le traité peut expressément
ou implicitement interdire le recours à l'ordre public. C'est ainsi

qu'on a soutenu parfois que la Convention de La Haye de 1902 sur
la conclusion des mariages contenait une prohibition implicite de ce genre, en énumérant de façon limitative les raisons pour les-
quelles la lex fori pouvait ignorer les empêchements au mariage
reconnus par la loi étrangère.(Il est pourtant significatif qu'en dépit
de la Convention,presque toutes lesparties ont refusédereconnaître,
avant la deuxième guerre mondiale, les empêchementsinstitués par
les lois allemandes de Nuremberg. Bien que les tribunaux néerlan-
dais aient appliqué la Convention à cet égard, ils ont souvent
trouvé des moyens détournés pour faire échecaux lois de Nurem-

berg en question.)
Néanmoins, en dehors d'une prohibition expresse ou clairement
implicite, le principe correct semble êtreque la Convention n'exclut
pas le recours à l'ordre public. Il ne faut rien moins qu'une prohi-
bition expresse pour interdire d'invoquer un principe de droit
international privé fermement établi. Telle me paraît être l'opinion
presque unanime des auteurs. Parmi eux, on compte des autorités
de l'envergure des professeurs Batiffol et Niboyet. Telle est égale-
ment l'opinion formelle d'un auteur qui a examiné avec un soin
particulier les questions de droit international privé en matière de
traité (Plaisant, Les règlesde conflit delois dans les traités,1946,
pp. 91-94). Le professeur Lewald, un auteur modéréet de grande
autorité, à l'opinion de qui j'attache du prix, ne fait pas nettement
exception à cette quasi-unanimité. En 1928, écrivant dans la
Revue de droit internationalprivé(pp. 164 et suiv.), il a, non sans de
très graves hésitations, déclaréqu'a priori, sile traité est muet sur
la question de l'ordre public, ce dernier ne peut êtreinvoqué. En
1930, écrivant pour le Répertoirededroitinternational(vol. 7,p. 308),

il a expriméun avis différent, à savoir qu'en pareils cas, la réponse
à la question dépend de l'interprétation du traité envisagéet qu'il
est impossible de répondre a priori. Il existe peu de jurisprudence
directement applicable à la matière.

A ce propos, on peut également se référeraux travaux prépara-
toires de la Convention de 1902. L'étude destravaux préparatoires
s'y rapportant montre l'existence d'une opposition, et d'une
opposition efficace,à l'incorporation dans la Convention de La Haye
de toute clause généralepermettant d'invoquer l'ordre public (bien
qu'aucune discussion sur la question n'ait eu lieu à propos de la
Convention sur la tutelle). Cela veut-il dire qu'on a eu l'intention
d'exclure entièrement le recours à l'ordre public, sauf dans les cas
expressément autorisés? On peut en douter. Les auteurs des
Conventions ont voulu éviter les complications d'une autorisation

généraleet expresse,d'un blanc- seing généralen faveur d'une notion
aussi élastique et étendue que l'ordre public. Il est naturel qu'ils
n'aient pas voulu introduire dans les conventions, en termes exprès,
une source possible de controverses ou d'abus. Mais cela signifie-t-il
que, par leur seul silence, les auteurs de la Convention ont exclu
indirectement du jeu de la Convention l'un des principes du droitinternational les plus fermement établis? Cela n'est pas probable.
Il est douteux que les Gouvernements eussent signéet ratifié ces
Conventionssi elles avaient expressément refuséle droit d'invoquer,

en toutes circonstances, leur ordre public comme motif d'exclure la
loi étrangère. *

Il est un facteur important, qui se rapporte directement à la
question de savoir si les Parties en cause peuvent invoquer l'ordre
public à propos de la Convention de 1902. Ce facteur est que, sur
ce point, la Cour se trouve en face d'un accord assez complet entre
les Parties. Le Gouvernement néerlandais, à plusieurs reprises, et
bien qu'avec d'importantes restrictions, a répondu affirmativement
à cette question - sous réserve de l'obligation pour les Parties à

la Convention de procéder, quand elles limitent l'application du
traité par l'exception d'ordre public, avec une prudence, une réserve
particulières et avec un soin méticuleux. Cette attitude a étémain-
tenue dans la conclusion II des Pays-Bas où la dénégationdu droit
d'invoquer l'ordre public est limitée par les mots (d'une manière
générale )et, plus encore, dans la conclusion III, A et B, qui affirme
le pouvoir de la Cour d'apprécier siles conditions de l'ordre public
ont étérespectées, eu égard au caractère de l'espèce et aux dispo-
sitions de la loi suédoise sur l'éducation protectrice - conclusion
qui ne peut se comprendre qu'en admettant qu'il n'y avait pas
d'intention de refuser en principe le droit d'invoquer l'ordre public.

Cet accord des Parties sur une question de principe fondamentale
constitue un aspect juridique significatif de la situation; il rend
difficile de soutenir qu'on ne peut invoquer l'ordre public, à moins
qu'il n'ait étéexpressément prévu dans la Convention.

Sans doute, le Gouvernement néerlandais conteste que, dans la
présenteagaire, il y ait possibilité de recourir à l'ordre public. Il
le fait pour deux raisons: La première est que la prudence et la
réserve nécessaires obligent les Parties à n'invoquer l'ordre public
que s'il existe l'élément requis de rattachement territorial étroit,
et que ce lien n'existe pas dans le cas actuel. Il est difficile de suivre

cette thèse. On peut difficilement imaginer un rapport plus étroit
entre le mineur en question et le pays qui invoque l'ordre public.
Elisabeth Boll est néeen Suède; pour autant qu'on le sache, elle
ne parle que le suédois; depuis sa naissance, elle a constamment
résidé enSuède. Je ne trouve pas que l'argument d'après lequel
Elisabeth Boll, aux yeux du droit néerlandais, partage le domicile
légal néerlandais de sa tutrice néerlandaise soit convaincant,
ni que, si elle n'est pas domiciliéeaux Pays-Bas, c'est uniquement
parce que l'éducation protectrice suédoise,prétendument contraire
à la Convention, l'empêche d'êtreamenée aux Pays-Bas. La ques-

tion de domicile, qui est une question de fait et d'intention, ne
saurait être légitimement résolue par des arguments de ce genre.
46 Il est également difficile d'admettre la deuxième raison invoquée
par le Gouvernement néerlandais d'après laquelle le rattachement
territorial nécessairefait défaut, attendu qu'il s'agit d'une «affaire

de transfert ))à savoir que si le transfert de l'enfant aux Pays-Bas
était seulement ~ossible. conformément à la Convention. rien ne
pourrait plus se produire en territoire suédois qui soit contraire à
l'ordre public suédois. Cet argument n'a pas plus de valeur que
celui qui prétendrait qu'un État n'a pas de motif de refuser de
livrer un réfugiépolitique aux poursuites et à la persécution d'un
pays étranger en considération du fait que ces poursuites et cette
persécution se produiront sur un territoire étranger. Et pourtant,
il est évident au'en arei ilscas le fait mêmedu transfert envisagéest
V
décisifau poiit de bue du recours à l'ordre public, attendu que le
transfert est considéré-contraire aux conceptions fondamentales
du droit public de cet Etat, et qu'il risque de produire une révolte
de l'opinion publique, comme étant en contradiction flagrante
avec les idées nationales sur le respect humain. Il n'est pas facile
de faire admettre à l'o~inion publique l'idéeque la responsabilité
morale et sociale de 1'Etat est dégagéepar le simple artifice du
déplacement dans un pays étranger de l'objet de persécutions et
de souffrances éventuelles. Ce serait un moyen trop facile d'apaiser

les consciences. Par conséquent, lorsqu'on soutient qu'une «affaire
de transfert )n'est pas suffisamment rattachée au pays du for pour
justifier l'application de l'ordre public, la vraie réponse estprobable-
ment qu'il est peu d'exemples où le rattachement soit plus évident.
Tels sont donc les deux motifs principaux - les deux seuls motifs
- que les Pays-Bas aient invoqués contre l'application de l'ordre
~ublic en cette affaire: l'absence de rattachement et le caractère
d'une « affaire de transfert ».Aucun de ces motifs ne paraît accep-
table. S'ilsne sont pas acceptables, alors il n'existe pas de motif qui,

d'après les conclusions néerlandaises, empêche d'invoquer l'ordre
public.

Il faut envisager maintenant la question de la mesure dans la-
quelle la Cour est invitée à examiner la question de la légitimitédu
recours à l'ordre public et de la manière dont il a étéappliqué dans
la présente affaire. C'est dela réponse à une question de cegenre que
doit dépendre, dans une large mesure, la position de l'ordre public

dans le développement de cette branche du droit.
Les deux Parties reconnaissent que la Cour a compétence pour
déterminer si la loi suédoisesur l'éducation protectrice rentre dans
ledomaine de l'ordre public et si on l'a invoqué légitimement à cette
fin. En particulier, le Gouvernement suédois ne conteste pas que
la Cour soit compétente pour déterminer si, en principe, la loi
suédoise sur l'éducation protectrice relève de la catégorie de l'ordre
public. Dans sesconclusions, ila priéla Courde direque la Conventionde 1902 n'affecte pas le droit des Parties d'imposer aux pouvoirs des
tuteurs étrangers les limitations réclaméespar leur ordre public.
L'accord des Parties sur cette question enlève, dans une large
mesure, toute base au reproche qu'on a fait au recours à l'ordre
public, en raison de son effet désintégrant, parce qu'il ouvre large-
ment la voie à l'annulation totale de cette Convention et d'autres

semblables par le simple procédéconsistant à déclarer unilatérale-
ment qu'une loi donnée, en vertu de laquelle la mesure a étéprise,
relève du domaine de l'ordre public. En effet, les deux Parties
reconnaissent que c'est à la Cour, et non pas àelles, qu'il appartient
de trancher ce point.
En mêmetemps, les Parties sont en désaccord sur le point de
savoir si la Cour est fondée à examiner les motifs en vertu desquels
les autorités suédoisesont, se référantà la loi sur l'éducation pro-
tectrice, décidéd'instituer et de maintenir la mesure qu'elles ont
prise. La Suèdelui a contesté cette compétence dans ses conclusions
et dans ses écritures et ses plaidoiries. D'autre part, le Gouverne-
ment des Pays-Bas a répétéque la Cour était compétente à cet
égard. C'est ce qu'il afait à la fois dans ses conclusions et dans une

intervention formelie au cours de la procédure orale. L'agent des
Pays-Bas a insisté sur la compétence de la Cour pour examiner
((chaque fait, chaque circonstance, chaque motif » touchant à
l'application de la loi suédoise et pour dire que, s'agissant d'une
affaire touchant à une obligation résultant d'un traité, il n'était
pas nécessaire d'invoquer à cette fin une accusation de déni de
justice.
J'accepte la conclusion néerlandaise III A, d'après laquelle la
Cour est compétente pour apprécier, à la lumière des circonstances
et des-faits pertinents, si les conditions de l'ordre public ont étéres-
pectées. La Cour est compétente pour dire non seulement si la
loi sur l'éducation protectrice relève de la notion d'ordre public,
mais encore si cette loi a étéappliquée d'une manière raisonnable

et non contraire aux véritables objectifs de la Convention. Je ne
saurais accepter la thèse suédoise d'après laquelle, n'étant pas
une Cour d'appel, elle n'a pas qualité pour examiner cet aspect de
la question. Supposons que les autorités suédoises aient décidé
d'appliquer la loi sur l'éducation protectriceun enfant de nationa-
lité néerlandaise, né en Hollande, ne parlant que le néerlandais et
n'ayant résidéqu'un mois en Suède. Serait-il interdit à la Cour de
prendre ces faits en considération? Le recours à l'ordre public, sur-
tout s'il n'est pas expressément autorisé par la Convention, présente
le caractère d'une exception. C'est une exception permise. Mais
<est une exception qui doit êtrejustifiéeavec quelque détail. Si un

Etat prend une mesure qui s'écarte, à première vue, des termes de la
Convention, il ne saurait alors se borner à prouver d'une manière
générale que laloi en vertu de laquelle il a agi relève de l'exception
permise: il doit prouver que cette exception a étéappliquée d'une
manière raisonnable et de bonne foi.
48 Lorsqu'un État n'est pas tenu par un traité, il possèdeun pouvoir
discrétionnaire considérable - bien que non illimité - dans
l'application de son système de droit international privé à propos
de l'ordre public. Mais quand cet Etat est liépar un traité sur un

sujet particulier, il ne peut invoquer l'ordre public que s'il est prêt
à soumettre à une décisionimpartiale la légalité des mesuresqu'il
a prises et qui sont contestées. C'est cette juridiction qui fait
échapper la notion d'ordre public et le recours à l'ordre public au
domaine de l'incertitude, de la discrétion pure et simple et de l'ar-
bitraire et qui confère au traité le caractère d'une obligation légale
positive. C'est cette soumissionà la décisionarbitraire ou judiciaire,
comme condition mêmedu recours légitime à l'ordre public dans
les cas qui n'ont pas été expressément prévus au traité, qui en
pareil cas exonère l'ordre public du reproche d'êtreun travesti de

la répudiation unilatérale du traité et qui lui donne le caractère
d'un effort d'assurer l'interprétation juste et raisonnable des obli-
gations conventionnelles. Le cas actuel a fourni l'occasion d'affirmer
ce principe et de lui donner effet. Un tel examen des faits peut
Gtre une tâche difficile età l'occasion, déplaisante. Néanmoins, elle
constitue l'exercice légitimedes fonctions judiciaires à propos d'un
différend de droit et de fait au sens de l'article 36 du Statut de
la Cour.
Dans le cas actuel, les Parties n'ont pas soumis à la Cour les faits
pouvant lui permettre de statuer avec certitude sur cet aspect de
la question. Le Gouvernement suédois n'apas donnésuite à l'offre,

qu'il avait formellement énoncée dans les conclusions finales du
contre-mémoire et qu'il a répétéependant la procédure orale, de
soumettre à la Cour les documents pertinents. Il est vrai qu'il
était loisibleà la Cour, àn'importe quel stade de la procédure, de
réclamer cette production. En particulier, l'article 49 du Statut
dispose que ((la Cour peut, mêmeavant tout débat, demander aux
agents deproduire tout document et de fournir toutes explications ».
Mais il n'est pas nécessaireà ce propos d'examiner les problèmes de
la fonction qui est dévolue à la Cour aux termes de cet article et
d'autres articles du Statut et du Règlement, en tant .qu'instance

appelée à éclaireret à justifier le fondement de ses décisionsen pre-
nant activement l'initiative d'élucider les facteurspertinents,avant
et pendant la procédure orale, car il n'y avait aucune raison pour
que le Gouvernement suédoisne présentât point cette documenta-
tion de son propre gré, pour le cas ,oùla Cour aurait jugé qu'elle
pouvait légitimement l'examiner. L'Etat qui invoque une exception
ne saurait se montrer trop diligent à produire les preuves à l'appui.
Il ne doit pas se borner à des allusions vagues - et probablement
inadmissibles, du point de vue des règlesordinaires de procédure -,
au contenu éventuel des preuves qu'il s'est, de son propre gré,
abstenu de produire. En même temps, dans l'exercice de son

pouvoir d'examen, une instance judiciaire doit attacher de l'im-
portance à l'appréciation des faits par les autorités locale- c'est-
49 CONV. DE 1902 (OP. IND.SIR HERSCH LAUTERPACHT) 101

à-dire par les autorités de l'État où l'enfant est néeet où elle a son
domicile. Leur décisionne doit pas êtreinfirmée à la légère.Il en
est ainsi en particulier si le Gouvernement demandeur, tout en
invitant la Cour à se prononcer sur les circonstances de fait de
l'affaire et sur les motifs la base de la décision des autorités

locales, s'est abstenu de porterà sa connaissance aucun fait de
nature à suggérer que le pouvoir discrétionnaire des autorités
suédoises n'a pas étéexercé légitimement et de bonne foi. Dans
ces conditions, sur la base des preuves dont nous disposons, je
suis forcé d'admettre que les mesures prises par les autorités
suédoisesn'étaient pas de nature à constituer une application erro-
née de la loi sur l'éducation protectrice, qu'elles ont clairement le
droit d'invoquer comme partie de leur ordre public.

Les conclusions qui précèdent expliquent les raisons pour les-
quelles, sous réserve de différences dans la manière d'aborder la
question et le raisonnement, je suis d'accord avec le dispositif de
l'arrêt quirejette la demande du Gouvernement des Pays-Bas.

(Signé H)ersch LAUTERPACHT.

Bilingual Content

SEPARATE OPINION OF
JUDGE SIR HERSCH LAUTERPACHT

While, for reasons which 1 deem it incumbent upon me to state,
1 am unable to accept some of the contentions advanced by the
defendant Government and upheld by the Court, 1 arrive on other
grounds at the same results as does the Judgment. 1 do so by
reference to considerations of public policy, of ordre public-
a question which occupied the main part of the wntten and oral
pleadings, which figures exclusively in the formulation of the legal
issue in the final Conclusions of both Parties, and whi1hfeel there-
fore bound to examine in the present Opinion.

The facts underlying the controversy between the Parties are
stated in detail in the Judgment of the Court. For the purpose of
this Opinion it is sufficient to recapitulate briefly the crucial aspect
of the dispute: The Hague Convention of 12th June, 1902, on
Guardianship of Infants, to which both Sweden and the Netherlands
are Parties, provides in ArticlI thatthe guardianship of an infant
shall be governed by the national law of the infant. It is clear
from the various articles of the Convention, and it is not disputed
by the Parties, that such guardianship extends normally to the
custody of the person of the minor. In accordance with the provi-
sions of the Convention, a Dutch guardian was appointed in 1954
by a Dutch Court ovtr Elisabeth Boll who, although born in
Sweden and permanently resident there since her birth, is of Dutch
nationality. In the same year, various Swedish authorities, in a
series of decisions and in circumstances which appear from the
Judgment, applied to Elisabeth Boll the Swedish Law of 1924

conceming the Protection of Children and Young Perçons (Child
Welfare Act)-which will be referred to in this Opinion as the Law
on Protective Upbringing. By one of these decisions the custody
of the person of Elisabeth Boll was taken over in 1954 by the Child
Welfare Board at Norrkoping, the place of residence of Elisabeth
Boll. The Board, in turn, entrusted the custody of Elisabeth to
her materna1 grandfather-such custody to be exercised on behalf
of the Board. That measure was finally confirmed by the Supreme
Administrative Court of Sweden. It must be noted that in a series
of decisions the Swedish courts and authorities otherwise recognized
the guardian appointed by the Dutch court.
The principal justification which the Swedish Government
adduced for the action taken by the Swedish authorities was that

28 OPINION INDIVIDUELLE
DE SIR HERSCH LAUTERPACHT
[Traduction]
Si, pour des raisons que j'estime devoir exposer, je ne puis

accepter certaines des thèses avancées par le Gouvernement défen-
deur et admises par la Cour, j'arrive, sur la base d'autres motifs,
aux mêmes conclusions que l'arrêt. J'arrive à ces conclusions en
partant de considérationsd'ordre public - question qui a occupéla
plus grande partie de la procédure écrite et orale, qui figure exclu-
sivement dans l'énoncédes points de droit dans les conclusions
définitives des deux Parties et que, par conséquent, je me crois
tenu d'examiner dans la présente opinion.

Les faits à la base de la controverse entre les Parties sont énoncés
en détail dans l'arrêt de la Cour. Aux fins de la présente opinion,

il suffit de rappeler brièvement l'aspect essentiel du différend: la
Convention de La Haye du 12 juin 1902 pour réglerla tutelle des
mineurs, à laquelle la Suède et les Pays-Bas sont parties, prévoit,
dans son article premier, que la tutelle d'un mineur est .régléepar
sa loi nationale.Il ressort clairement des articles dla Convention,
et les Parties ne le contestent pas, que cette tutelle comprend nor-
malement la garde de la personne du mineur. Conformément aux
dispositions de la Convention, un tuteur néerlandais a éténommé
par un tribunal néerlandais en 1954 pour s'occuper d'Elisabeth Boll
qui, bien que néeen Suède et y ayant résidé enpermanence depuis
sa naissance, est de nationalité néerlandaise. La même année,
diverses autorités suédoises, par une série de décisions et dans des
circonstances qui ressortent de l'arrêt, ont appliqué à Elisabeth
Boll la loi suédoise de 1924 sur la protection de l'enfance et de la

jeunesse (Child Welfare Act) - qui sera désignéepar la suite dans
la présente opinion sous le nom de loi sur l'éducation protectrice.
En vertu de l'une de ces décisions, l'office des mineurs à Norr-
koping, lieu de résidence d'Elisabeth Boll, a assumé la garde de
celle-ci en1954A . son tour l'office a confiéla garde dJElisabeth à
son grand-père maternel - cette garde devant être exercéeau nom
de l'office.La mesure a étéfinalement confirméepar la Cour suprême
administrative de Suède. On remarquera que dans une série de
décisionsles tribunaux et les autorités suédoises ont, par ailleurs,
reconnu la tutrice nommée par le tribunal néerlandais.

Le principal argument invoqué par le Gouvernement suédois

pour justifier la mesure prise par les autorités suédoisesest que la
28the Law on Protective Upbringing is a measure of ordrepublia cnd
that the reliance on it, far from being in violation of the Convention,
is implied in it. In the course of the written and oral pleadings
subsidiary arguments were relied upon by the Swedish Government.
One of them was the contention that the Convention of 1902, being
a Convention on Guardianship, does not cover the Swedish Law on
Protective Upbringing said to pursue a different object and to lie
in a different field. Itis that line of argument which has acquired
prominence in the present case and which must be examined in the
first instance.
That manner of approach, as expressed in or as underlying the

Swedish argument, may be summarized as follows: There is no in-
compatibility between the Guardianship Convention and the Law
on Protective Upbringing. The Convention, which is concerned with
guardianship, does not cover protective upbringing. The latter is
outside the Convention. This is so although the effect of the Law
on Protective Upbringing is such as to render impossible, for the
time being, the exercise by the Dutch guardian of the right of
custody of the person of Elisabeth Boll. The object and purpose of
the Law on Protective Upbringing is wholly different from that of
the Guardianship Convention. The Court is not concemed with the
incidental effects of the Law on Protective Upbringing but with its
nature and purpose. Guardianship and protective upbringing are
wholly different institutions. The former is concerned with the
interests of the minor, the latter with the interests of society.
Guardianship is in the sphere of private law. Protective upbring-
ing is in the sphere of public law. The Convention, which is one on
private international law, can be violated only by legislation in the
sphere of private international law. From the point of view of

their nature and purposes, the Convention and the Law on Protect-
ive Upbringing operate on wholly different planes and there is,
therefore, no question of the Law and the measures taken there-
under being incompatible with the Convention.
The reasoning underlying these contentions raises important
questions, transcending the issue immediately before the Court, of
interpretation and observance of treaties. If a State enacts and
applies legislation which, in effect, renders the treaty wholly or
partly inoperative, can such legislation be deemed not to constitute
a violation of the treaty for the reason that the legislation in
question covers a subject-matter different from that covered by the
treaty, that it is concerned with a different institution, and that
it pursues a different purpose? 1 have considerable difficulty in
answering that question in the affirmative. The difficulty is in-
creased by the fact that the conflict between the treaty and the
legislation in question may be concealed, or made to be concealed,
by what is no more than a doctrinal or legislative difference of

classification. An identical provision which in the law. of one
country forms part of a law for the protection of children may, in loi sur l'éducation protectrice est une mesure d'ordre public et que,
loin d'être contraireà la Convention, le recours à l'ordre public en
fait implicitement partie. Au cours de la procédure écriteet orale,
des arguments subsidiaires ont étéinvoqués par le Gouvernement
suédois.L'un de ces arguments est que la Convention de 1902, étant
une convention sur la tutelle, ne s'étend pas à la loi suédoisesur

l'éducation protectrice qui, dit-on, poursuit un but différent et se
situesurun autre plan. C'est le raisonnement qui domine la présente
affaire et qu'il faut examiner en premier lieu.

On peut résumercette manière d'aborder la question, telle qu'elle
a étéexprimée dans l'argumentation suédoise ou qu'elle lui sert de
base, de la manière suivante: Il n'y a pas incompatibilité entre la
Convention sur la tutelle et la loi sur l'éducation protectrice. La
Convention, qui vise la tutelle, ne s'étend pas à l'éducation protec-
trice. Cette dernière est en dehors de la Convention. Il en est ainsi
bien que l'effet de la loi sur l'éducation protectrice soit de nature
à rendre impossible, temporairement, l'exercice par le tuteur néer-
landais de son droit de garde sur la personne d'Elisabeth Boll.
L'objet et le but de la loi sur l'éducation protectrice est entièrement
différent de celuide la Convention surla tutelle. La Cour n'a pas à
s'occuper des incidences de la loi sur l'éducation protectrice, mais

de sa nature et de son but. La tutelle et l'éducation protectrice sont
des institutions absolument différentes. La tutelle vise les intérêts
du mineur, l'éducation protectrice ceux de la société.La tutelle est
du domaine du droit privé, l'éducation protectrice est de celui du
droit public. La Convention, qui est une convention de droit inter-
national privé ne saurait être violéeque par une législation visant
le droit international privé. Au point de vue de leur nature et de
leur but, la Convention et la loi sur l'éducation protectrice opèrent
sur des plans tout différents et, par conséquent, il ne saurait être
question d'incompatibilité entre la loi et les mesures prises en appli-
cation de celle-ci et la Convention.
Le raisonnement sur lequel reposent ces allégations soulève des
questions importantes d'interprétation et d'application des traités
qui dépassent la question directement soumise à la Cour. Si un

État promulgue et applique une législation qui a pour effet de
rendre un traité inopérant en tout ou partie, peut-on dire que cette
législation ne constitue pas une violation du traité, pour le motif
que cette législation porte sur des matières différentes de celles
viséespar le traité, qu'elle s'occupe d'une institution différente et
qu'elle poursuit un autre but? Il m'est très difficile de répondre par
l'affirmative à cette question. La difficulté est augmentée du fait
que le conflit entre le traité et la loi en question peut êtremasqué,
ou qu'on peut le masquer, par ce qui n'est rien de plus qu'une
différence de classification doctrinale ou législative. Une disposi-
tion identique qui fait partiede la loi sur la protection de l'enfance
dans un pays donné peut, dans un autre pays, rentrer dans lesanother State, be includedwithin the provisions relating to guardian-
ship. That, as will be shown, is no mere theoretical possibility. It
is in fact a conspicuous feature of the present case.
What is the meaning of the expression: "The Convention of 1902
does not cover a system such as that set up in the Swedish Law on
Protective Upbringing" ? Itis admitted that guardianship under the
Convention covers the right to decide on the residence and education
of the minor-a right claimed and exercised by a Swedish authority
and, on its behalf, by the Swedish matemal grandfather acting in

pursuance of the Law on Protective Upbringing. If that is so, then
the Convention does cover, in one of its essential aspects, the same
powers and functions which are now exercised by Swedish authorities
in pursuance of the Law on Protective Upbringing. Thesubstance is
the same although the purpose of the Convention and of the Law
may be different. It may be said that what matters is not the sub-
stance of these functions but their object. It is not easy to follow
that distinction. When a State concludes a treaty it is entitled to
expect that that treaty will not be mutilated or destroyed by
legislative or other measures which pursue a different object but
which, in effect, render impossible the operation of the treaty or
of part thereof.
The treaty covers every law and every provision of a law which
impairs, which interferes with, the operation of the treaty. It has
been said that the Law in question may have an adverse effect upon
subject-matter of the treaty without being covered by the treaty.
However, what the Court must be concerned with is exactly the
effect of the Law inasmuch as it impairs the operation of the treaty,

and not the notional identity or otherwise of the objects pursued
by the Law and the treaty. The treaty prohibits interference with
its operation unless there is a justification for it, express or implied,
in the treaty; that justification cannot be found in the mere fact
that the Law pursues an object different from the object pursued
by the treaty. Itcan be found only in the fact that that particular
object is expressly pennitted by the treaty or implicitly authorized
by it by virtue of some principle of public or private international
law-a principle such as stems from public policy or from a cognate,
although more limited, principle, which is often no more than
another formulation of public policy, namely, that certain categories
of laws, such as criminal laws, police laws, fiscal laws, adminis-
trative laws, and so on, are binding upon all the inhabitants of the
territory notwithstanding any general applicability of foreign law.
The following example will illustrate the problem and the conse-
quences involved: States often conclude treaties of commerce and
establishment providing for a mesure of protection from restric-
tions with regard to importation or export of goods, admission and

residence of aliens, their right to inherit property, functions of
consuls, and the like. What is the position of a State which has
concluded a treaty of that type and then hds that the other Party dispositions relatives à la tutelle. Il va êtredémontré que ce n'est
pas là une simple possibilité théorique. En fait, c'est là l'un des
traits saillants de la présente affaire.
Que signifie l'expression : (La Convention de 1902 ne vise pas un
régime tel que celui qui a étéinstitué par la loi suédoisesur l'édu-

cation protectrice »? On admet que la tutelle régiepar la Conven-
tion comprend le droit de fixer la résidence du mineur et son édu-
cation - droit invoqué et exercépar l'autorité suédoiseet, en son
nom, par le grand-père maternel suédois,agissant en application de
la loi sur l'éducation protectrice. S'il en est ainsi, alors, effective-
ment, la Convention s'étend, sous un de ses aspects essentiels, aux
mêmespouvoirs et aux mêmesfonctions qui sont actuellement exer-
céspar les autorités suédoisesen application de la loi sur l'éducation
protectrice. Le fond est le même, bienque le but de la Convention
et celui de la loi soient différents. On peut dire que ce qui importe
ce n'est pas le fond de ces fqnctions, mais leur objet. Distinction
difficileà suivre. Lorsqu'un Etat conclut un traité, il est fondé à

s'attendre à ce que ce traité ne soit ni mutilé ni détruit par des
mesures législativesou autres qui poursuivent un but différentmais
qui, en fait, empêchent l'application de tout ou partie du traité.

Le traité s'étend à toute loi et à toute disposition légalequi en-
trave, qui contrecarre sa mise en Œuvre. On a dit que la loi en ques-
tion peut avoir un effet contraire sur la matière du traité, sans être
couverte par le traité. Toutefois, ce qui doit préoccuper la Cour,
c'est précisémentl'effet de la loi, pour autant qu'elle fait obstacle
à la mise en Œuvre du traité, et non le point de savoir s'il y a ou
non identité conceptuelle entre les objectifs de la loi et du traité.
Le traité interdit tout obstacle à sa mise en Œuvre, à moins qu'il ne
contienne une justification explicite ou implicite à cet effet; pareille

justification ne saurait résulter du simple fait que la loi n'a pas le
mêmeobjet que le traité. Elle ne saurait résulter que du fait que
cet objet particulier est permis expressément par le traité, ou
autorisé par lui explicitement ou implicitement, en vertu d'un
principe de droit international public ou privé - d'un principe tel
que celui qui découle de l'ordre public ou d'un principe apparenté,
quoique plus limité, qui n'est souvent rien de plus qu'une autre
manière de formulerl'ordre public, à savoir que certaines catégories
de lois, telles que les loi pénales, de police, fiscales, administratives,
etc., s'appliquent à tous les habitants du territoire, nonobstant
I'applicabilité en général dela loi nationale.
L'exemple suivant illustrera le problème et les conséquences qui

en découlent: les États concluent souvent des traités de commerce
et d'établissement qui assurent une certaine protection contre les
restrictions à l'importation ou à l'exportation des marchandises,
l'admission à résidence des étrangers, leurs droits de recueillir des
successions, régissent les fonctions des consuls, etc. Quelle est la
position d'un État qui, ayant conclu un traité de ce genre, découvrewhittles donin, or renders inoperative, one after another, the pro-
visions of that treaty by enacting laws "having a different subject-
matter" such as reducing unemployment, social welfare, promotion
of native craft and industry, protection of publicmorals in relation
to admission of aliens, racial segregation, reform of civil procedure
involving the abolition of customary rights of consular represent-
ation, reform of the civil code involving a change of inheritance
laws in a way affecting the right of inheritance by aliens, a general
law codifying the law relating to the jurisdiction of courts and
involving the abolition of immunities, granted by the treaty, of
public vessels engaged in commerce, or any other laws "pursuing
different objects"? It makes little or no difference to the other

Party that the treaty has become a dead letter as the result of laws
which have so obviously affected its substance, but which pursue
a different object. As stated, some of these laws may be justified
as being within the domain of public policy or for some cognate
reason. However, the argument here summarized does not proceed
on these lines. It is based on the allegation of a difference between
the treaty and the Law which impedes its operation.

Another example, directly relating to the Convention of 1902,
will illustrate the problem from a different point of view. Article2
of the Convention lays down that in some cases the diplomatic
or consular agents authorized by the law of the State of which
the infant is a national may make provision for guardianship in
accordance with the law of that State. What is the position if a
Contracting Party enacts a general lam-a law of public character
on a quite different plane-relating to the immunities and functions
of foreign diplomatic and consular representatives providing that
in the future foreign diplomatic and consular representatives shall

not perform any act affecting private rights in the territory of
that State? Can that State plead that, as the Convention and the
Law pursue a quite different purpose, it does not matter that the
effect of the Law is to frustrate one of the provisions of the
Convention ?
The conspicuous fact in the present case is that the Dutch guard-
ian acceptable to the father of the infant and appointed under
Dutch law in accordance with the Convention was replaced, in
respect of the exercise of the right of custody, by the Swedish
materna1 grandfather of Elisabeth Boll acting on behalf of the
Children's Bureau. The Dutch authorities and the Dutch guardian
may not unnaturally hold the view that the custody exercised by
the Swedish grandfather is, in fact and in the circumstances of the
case which reveal some dissension between the Dutch and the
Swedish branches of the family, to a large extent a rival guardian-
ship. They may find it difficult to appreciate the suggestion that
there is no conflict between the Convention and the measures takenque l'autre partie rogne sur les dispositions du traité ou les rend
tout à fait inopérantes, l'une après l'autre, en promulguant des
lois (touchant des matières différentes »,telles que la lutte contre

le chômage, la sécuritésociale, le développement de l'industrie
et de l'artisanat locaux, la protection de la morale publique en
matière d'admission des étrangers, la ségrégationraciale, une
réforme de la procédure civile entraînant l'abolition des droits
coutumiers de la représentation consulaire, une réforme du code
civil modifiant le droit successoral de manière à affecter le droit
successoral des étrangers, une loi généralede codification sur la
compétence des tribunaux et entraînant l'abolition des immunités
accordées par le traité aux navires de commerce appartenant à
l'État, ou toutes autres lois «poursuivant des buts différents n?
Au point de vue de l'autre partie, il est à peu près indifférent que

le traité soit devenu lettre morte Dar l'effet de lois aui en ont si
évidemment touché la matière à laquelle il se rapporte, mais qui
poursuivent un but différent. Comme il a étédit, certaines de ces
lois pourraient se justifier comme appartenant au domaine de
l'ordre public, ou pour une raison analogue. Toutefois, l'argument
résumé icine suit pas la mêmevoie. Il se fonde sur l'allégationd'une
différenceentre le traité et la loi qui en empêchel'application.
Vn autre exemple, se rapportant directement à la Convention de
1902, illustrera le problème sous un autre angle. L'article 2 de la
Convention a disposé que, dans certains cas, les agents diploma-
tiques ou consulaires autorisés par la loi de 1'Etat dont le mineur

est un ressqrtissant peuvent pourvoir à la tutelle conformément àla
loi de cet Etat. Quelle est la situation si l'une des parties contrac-
tantes promulgue une loi d'ordre général - une loi de droit public
sur un plan tout à fait différent- portant sur les immunités et les
fonctions des représentants diplomatiques et consulaires étrangers
et prescrivant qu'à l'avenir les représentants diplomatiques et
consulaires étrangers n'accomplironf aucun acte touchant aux
droits privés sur le territoire de cet Etat? Cet Etat peut-il plaider
que, puisque la Coilvention et la loi poursuivent un but tout à fait
différent, il importe peu que la loi ait pour effet de faire obstacleà

l'une des dis~ositions de la Convention?
Le fait saillant, dans la présente affaire, est que le tuteur néer-
landais acceptable pour le père de la mineure et nommé en vertu
de la loi néerlandaise et conformément à la Convention a étérem-
placé,au point de vue de l'exercice du droit de garde, par le grand-
père maternel suédois dlElisabeth Boll, agissant pour le compte de
l'office des mineurs. Les autorités néerlandaises et le tuteur néer-
landais peuvent considérer asseznaturellement que lagarde exercée
par le grand-père suédoisest, en fait, et dans les circonstances de
l'affaire qui révèlentun certain désaccord entre les branches néer-
landaise et suédoisede la famille, dans une large mesure, une tutelle

rivale. 11se peut qu'il leur soit difficile d'apprécier l'idéequ'il n'y
a pas conflit entre la Convention et les mesures prises, parce qu'ellesseeing that they lie on a different plane and pursue different objects.
The situation is not affected by the continuing right of the Dutch
guardian to administer the property of the child or to institute
proceedings for the restoration of her functions of custody. So long
asthe exercise of the right of custody is vested in the hands of the
Swedish authority and the Swedish materna1 grandfather of Elisa-
beth Bol1acting on its behalf, there is a nullification of the essential

attributes of the guardianship as instituted by the Convention.
There may be-and as will be suggested later on, there is-a full
justification for that measure in considerations of a different
character. That justification cannot be found in the allegation,
which is controversial, that the Dutch guardianship and the Swedish
protective upbringing are wholly different institutions.
A State is not entitled to cut down its treaty obligations in
relation to one institution by enacting in the sphere of another
institution provisions whose effect is such as to frustrate the
operation of a crucial aspect of the treaty. There is a disadvan-
tage in accepting a principle of interpretation, coined for the
purposes of a particular case, which, if acted upon generally, is
bound to have senous repercussions on the authority of treaties.
As stated, the Convention and the particular provision of the Law
on Protective Upbringing cover, in relation to the present dispute,
the same ground and the same subject-matter. It has been said
that there is a technical difference, inasmuch as they lie on different
planes, between the Convention and the Law on Protective Up-

bringing. Assurning that there is a technical difference, it may still
be considered undesirable that a dispute between two Governments
shall be decided by reference to a controversial technicality in a
case relating to significant issues of substance-a technicality which,
if acted upon generally, would introduce confusion, or worse, in
the law of the operation of treaties. Once we begin to base the
interpretation of treaties on conceptual distinctions between
actually conflictinglegal rules lying on different planes and for that
reason not being, somehow, inconsistent, it may be difficult to set
a limit to the effects of these operations in the sphere of logic and
classification.

The view has been put fonvard that there can be no conflict
between a Convention on Guardianship and the Law on Protective
Upbringingfor the reason that the Convention of 1902 is a conven-
tion of private international law and that guardianship with which
it is exclusively concerned is an institution of private law, in
particular of family law, u~hilethe Law on Protective Upbringing

and the various measures authorized therein are in the sphere of
public law seeing that they are concerned with safeguarding the
interests of Society. Even if these reasons were otherwiseacceptable,
an essentially doctrinal classification and distinction provides a
doubtful basis for judging the question of the proper observance of
33se placent sur des plans différents et poursuivent des buts diffé-
rents. La situation n'est pas changée par le maintien du droit du
tuteur néerlandais d'administrer les biens de la mineure ou d'intro-
duire une instance pour êtreréinstallé enses fonctions de garde.
Tant que l'exercice du droit de garde est confié aux mains de

l'autorité suédoiseet du grand-père maternel suédois,agissant pour
le compte de celle-ci, les attributs essentiels de la tutelle, telle
qu'elle a étécrééepar la Convention, sont neutralisés. Il se peut
qu'il existe - et, comme il sera suggéréplus loin, il existe - une
justification complète de cette mesure, pour des considérationsd'un
caractère différent. On ne peut trouver cette justification dans
l'allégation discutée que la tutelle néerlandaise et l'éducation pro-
tectrice suédoisesont des institutions entièrement différentes.
Un Etat n'a pas le droit de réduire ses obligations convention-
nelles à propos d'une institution en promulguant dans le domaine
d'une autre institution des dispositions ayant pour effet de faire

échecau jeu d'un aspect essentiel du traité. Il est gênant d'accepter
un principe d'interprétation élaboréaux fins d'un cas particulier
qui, si on lJappliqua.it d'une manière générale,devrait forcément
avoir des répercussions graves sur l'autorité des traités. Comme on
l'a dit, la Convention et la disposition particulière de la loi sur
l'éducation protectrice couvrent, dans le présent différend, le même
terrain et la mêmematière. On a dit que la Convention et la loi sur
l'éducation protectrice présentent des différences techniques, at-
tendu qu'elles se placent sur des plans différents. Admettant qu'il
y ait une différence technique, il peut encore sembler indésirable
qu'un différend entre deux Gouvernements soit tranché par réfé-
rence à un point technique controversé, dans un cas qui pose

d'importantes questions de fond - point technique qui, si on
l'appliquait d'une manière générale,jetterait la confusion, et même
pire, dans le droit régissant l'application des traités. Si l'on com-
mence à fonder l'interprétation des traités sur des distinctions
conceptuelles entre des règles de droit effectivement en conflit, se
plaçant sur des plans différents et, pour cette raison, n'étant pas
en quelque sorte contradictoires, il pourrait êtredifficile de limiter
les effets de ces opérations dans le domaine de la logique et de la
classification.
On a avancé l'opinion qu'il ne peut y avoir de conflit entre la
Convention sur la tutelle et la loi sur l'éducation protectrice pour

le motif que la Convention de 1902 est une convention de droit
international privé et que la tutelle dont elle s'occupe exclusive-
ment est une institution de droit privé, en particulier du droit de la
famille, tandis que la loi sur l'éducation protectrice et les diverses
mesures qu'elle autorise sont du domaine du droit public, attendu
qu'elles se préoccupent de sauvegarder les intérêtsde la société.
Mêmesi ces raisons étaient acceptables par ailleurs, une classifica-
tion et une distinction essentiellement doctrinales ne fournissent
qu'une base douteuse pour trancher la question de l'observation

32treaties. Hotvever, there is in the present case a particular difficulty
in acknowledging the force of that distinction.
An examination of the main systems of municipal law in the
matter of guardianship does not corroborate the view that it is a
mere family institution of a purely private law nature. The prin-
cipal justification for that view is that, by way of traditional
classification, guardianship finds a place in codes of private law and
that it creates numerous rights and duties in the sphere of private
law. However, at the same time guardianship can rightly be de-
scribed as an institution in which the guardian acts as an organ of
the State, as it were, and therefore partakes of the nature of an
institution of public law. He acts under the active supervision of
the State which may step in at any time-in the interest both of
the child and society-and supplant the guardian, wholly or in part.
There are very few countries the law of which is based exclusively

upon a private law and family conception of guardianship. The law
of the majority of States, including Holland and Sweden, on this
matter is characterized by an active intervention of the State as
an organ of control and supervision at every stage. In some coun-
tries, such as Germany, the protection of minors is entrusted mainly
to the State which acts through a special tribunal-the Guardian-
ship Court-and itis only by way of exception that these functions
are delegated to the family council. It is of interest to note that
prior to the Hague Conventions which examined the various drafts
of the Convention on Guardianship, the difference between the two
systems-"tutelle de fanzille" (family guardianship) and "tutelle
d'azttorité"(authority guardianship)-was clearly recognized. That
distinction was, for instance, elaborated in 1902 by M. Lehr,
Secretary of the Institute of International Law, which had a sub-
stantial sharein the preparation of the first drafts of the Convention
(Lehr, "De la tutelle des mineurs d'après les principales législations
de l'EuropeH, Revuede droit international et de législationcom$arée,
and series, Vol.4(~goz),pp. 315 etseq.).He classified both the Dutch

and Swedish systems of guardianship as belonging to the group of
"tutelle d'az~torité"(pp. 320, 326, 329).

In view of this, it does not seem to me possible to accept the
argument based on the notion of a purely private law and family
character of guardianship. How artificial are the distinctions between
the supposed private law character of guardianship andthe assumed
public law character of systems of protective supervision or up-
bringing of children, apart from the normal operation of guardian-
ship, may be gauged from the fact that the matter is entirely a
question of legislative technique and drafting. That may be seen,
for instance, from the provisions of the Dutch Civil Code relating
to guardianship and contained in Part XV of Book 1 of the Code.
Section A I of Part XV covers Paternal Power; Section B 2 covers
Paternal Guardianship; while Section B 3, which according to
Section B 9is applicable to guardianship, embodies largely the same régulière des traités. Toutefois, dans le cas actuel il existe une
difficultéparticulière à admettre la force de cette distinction.
L'examen des principaux systèmes de droit interne en matière de

tutelle ne corrobore pas l'opinion qu'il y a là une simple institution
de famille, d'un caractère de pur droit privé.La principale justifica-
tion de cette opinion est que, dans la classification traditionnelle,
la tutelle trouve sa place dans les codes de droit privé et qu'elle
créede nombreux droits et devoirs dans le domaine du droit privé.
Néanmoins, on peut dire en mêmetemps que la tutelle e& une
institution dans laquelle le tuteur agit en quelque sorte comme
organe de l'État et, par conséquent, qu'elle participe de la nature
d'une inst$ution de droit public. Le tuteur agit sous le contrôle

actif de l'Etat, qui peut intervenir à tout moment - dans l'intérêt
de l'enfant comme de la société - et remplacer le tuteur, en tout
ou partie. Il est peu de pays dont la loi se fonde exclusivement sur
une conception de la t,utelle relevant du droit privéet de la famille.
Dans la plupart des Etats, y compris les Pays-Bas et la Suède. le
régime juridique se caractérise en la matière par l'intervention
active de 1'Etat à tous les stades comme organe de contrôle et de
supervision. Dans certains pays tels que l'Ailemagne, la protection

des mineurs est confiéeprincipalement à l'Etat, qui intervient au
moyen d'un tribunal spécial - le tribunal des tutelles -, et ce
n'est que par voie d'exception que ces fonctions sont déléguéea su
conseil des familles.Il est intéressant de noter qu'avant les Conven-
tions de La Haye qui ont examinéles divers projets de conventions
sur la tutelle, on reconnaissait clairement la différence entre les
deux systèmes - ((tutelle de famille » (family guardianship) et
(tutelle d'autorité »(authority guardianship). Cette distinction a été
développéepar exemple en 1902par M.Lehr, secrétaire de l'Institut

de droit international, qui a pris une part importante à la prépara-
tion des premiers projets de la Convention (Lehr, «De la tutelle
des mineurs d'après les principales législations de l'Europe »,Revue
de droitinternational etdelégislationcomparée, zmesérie,vol. 4 (I~oz),
pp. 315 et suiv.). Il a classéles systèmes de tutelle néerlandais et
suédois tous les deux dans le groupe de la cctutelle d'autorité ))

(PPCela étant, il ne me paraît pas possible d'accepter l'argument

fondésur la notion du caractère de pur droit privé et familial de la
tutelle. On peut juger du caractère artificiel des distinctions entre
le caractère de droit privé supposéde la tutelle et le caractère de
droit public supposé des systèmes d'éducation protectrice ou
d'éducation des enfants, en dehors du jeu normal de la tutelle, par
le fait que la question est entièrement une question de technique et
de rédaction législatives. Cela ressort, par exemple, des dispositions
du code civil néerlandais régissant la tutelle et contenues dans

le LivreIer, titre XV. La section A I du titre XV vise la puissance
paternelle. La section B 2 vise la tutelle paternelle tandis que la
section A 3 qui, d'après la section B 9, est applicable à la tiitelle,
contient dans une large mesure les mêmes dispositions qui sontprovisions as are embodied in that part of the Swedish Law on
Protective Upbringing which was applied in the case of Elisabeth
Boll. That Section, in language almost identical with that of the
above-mentioned Swedish Law, provides, in paragraph 365, for the
taking of certain steps "if a child grows up in any such a way as
to be threatened with moral or physical harm". These steps may
be taken at the instance of Guardianship Councils, for which pro-
vision is made in the same part of the Law and which, under the
authority of courts of law, fulfil functions similar to those of the
Children's Bureau under the Swedish Law of 1924 (Sections 461
et seq.). The same Section A 3 makes provisions for children in that
situation being placed by the Judge of the Children's Court in an

observation centre for mental or physical examination, or, if the
child needs special observation, in an institution selected for that
purpose (paragraph 372 a and b). The German Civil Code, in the
Section on Guardianship, provides in a single Article-Article 1838
-that the Guardianship Court can order the placing of the minor
with an appropriate family or in an educational or reformatory
institution-a kind of provision which is found in the Swedish Law
of 1924. It is a matter of legislativetechnique and drafting whether
the provisions for the protection of children in relation to whom
normal guardianship has proved insufficient are, as in Holland,
made part of the legislation relating to guardianship or whether,
as in the case of Sweden, they are embodied in a separate enact-
ment. In both instances they are intended to protect both the cliild
and the society.
For it is clear that the distinction between the protection of

the child and the protection of society is artificial. Both the laws
relating to guardianship and those relating to protective upbringing
are laws intended primarily for the protection of children and their
interests. At the same time, the protection of children-through
guardianship or protective upbringing-is pre-eminently in the
interests of society. They are part of it-the most vulnerable and
most in need of protection. Ali social laws are, in the last resort,
laws for the protection of individuals; all laws for the protection
of individuals are, in a truesense, social laws. There is an element
of unreality inmaking these two aspects of the purpose of the State
the starting-point for drawing legal consequences of practical
import. It is wholly unreal to insist that the measures taken under
the Law on Protective Upbringing for the safety, health and
happiness of Elisabeth Boll were not measures taken primarily in
the interest of that child-and therefore not measures of guardian-

ship of her person-but primarily in the interest of society at large
and therefore falling within a quite different category. It is in the
light of these considerations that it is necessary to judge the view
that as the Guardianship Convention of 1902 is concerned only
with a private law institution of family relationship devoid of any
public element, there can be no conflict between it and an enactment
34incorporées dans la partie du droit suédois sur l'éducation pro-
tectrice qui a étéappliquée au cas d'Elisabeth Boll. Cette sec-
tion, à l'article 365, dispose, en termes presque identiques à

ceux de la loi suédoise précitée,que certaines mesures seront prises
«si un enfant grandit de façon telle qu'il est menacé de déchéance
morale ou physique ». Cesmesures peuvent êtreprises àla demande
des conseils de tutelle prévus dans les mêmesparties de la loi et qui,
sous l'autorité des tribunaux judiciaires, remplissent des fonctions
semblables à celles de l'office des mineurs dans la loi suédoise de
1924 (articles 461 et suiv.). La mêmesection A 3 prévoit que les
enfants dans cette situation seront placés par le juge des enfants
dansun établissement d'observation pour examen mental ou physi-
que ou, si l'enfant a besoin d'une observation spéciale, dans un

établissement choisi à cet effet (art. 372 a et b). Le code civil alle-
mand, dans la section sur la tutelle, dispose dans un article unique
(art. 1838) que le tribunal des tutelles peut ordonner le placement
du mineur dans une famille appropriée ou dans une institution
d'éducation ou de réforme - un genre de dispositions que l'on
retrouve dans la 1oi.suédoisede 1924. C'est une question de tech-
nique législativeet de rédaction que de déterminer si les dispositions
pour la protection de l'enfance, lorsque la tutelle normale s'est
avéréeinsuffisante, relève, comme aux Pays-Bas, de la législation

relative à la tutelle ou si, comme en Suède, elles font partie d'une
disposition distincte. Dans les deux cas, elles ont pour objet de
protéger à la fois l'enfant et la société.

Car il est clair que la distinction entre la protection de l'enfant
et de la sociétéest artificielle. Les lois relativeà la tutelle comme
celles-relatives à l'éducation protectrice sont des lois dont le but
principal est la protection des mineurs et de leurs intérêts,mais, en
mêmetemps, la protection de l'enfance - au moyen de la tutelle
ou de l'éducation protectrice - présente un intérêtsocial de pre-

mièreimportance. Les enfants font partie de la société- ils en sont
les élémentsles plus vulnérables et celui qui a le plus besoin de
protection. En dernière analyse, toutes les lois sociales sont des lois
pour la protection des individus. Toutes les lois pour la protection
des individus sont, à vrai dire, des lois sociales. Il y a quelque chose
d'artificiel à prendre ces deux aspects du but de l'État comme point
de départ pour en tirer des conséquences juridiques d'importance
pratique. II est absolument artificiel de souligner que les mesures
prises en vertu de la loi sur l'éducation protectrice pour la sauve-
garde, la santé et le bonheur d'Elisabeth Boll n'ont pas étéprises

au premier chef dans l'intérêtde cette enfant - et, par consé-
quent, ne sont pas des mesures pour la tutelle de sa personne -
mais qu'elles ont étéprises au premier chef dans l'intérêtde la
sociétéen généralet qu'elles rentrent, par conséquent, dans une
catégorie toute différente. C'est à la lumière de ces considérations
qu'il faut juger l'opinion d'après laquelle la Convention de 1902 sur

34of an exclusively public law character such as the Swedish Law on
Protective Upbringing. Even if every link of that proposition could
be substantiated by reference to national law as operating in most
couiltries-and that does not appear to be the case-there would
still remain the difficulty of assessing the content of the statement
that there can be no conflict between a treaty regulating a sphere
of private law and national enactment in the realm of public law.

Undoubtedly, the Convention of 1902 was intended to regulate

conflicts of law in the sphere of guardianship. But there is no per-
suasive reason for accepting the suggestion that the relevant
provisions of the Swedish Law on Protective Upbringing, under
which the custody of Elisabeth Boll was entrusted to the care of
her materna1 grandfather in his home under the authority of the
Children's Board, has nothing to do with guardianship, seeing that
they are of a public law nature. Similarly, itis difficult to accept the
suggestion that guardianship, instituted in the pnvate interest of
the child, is devoid of a substantial public element of social purpose.
The rights of the parties, especially in an international dispute,
ought not to be determined by reference to the controversial
mysteries of the distinction between private and public law. The
fact that the purpose of the Convention of 1902 is to establish rules
for avoiding conflicts of laws in the sphere of guardianship does not
mean that that sphere is confined to laws describedas guardianship;

it covers al1 laws, however described or classified, which fulfil an
essentialfunction of guardianship. It is part of the firrnly established
jurisprudence of this Court that with regard to national laws
bearing upon treaty obligations what matters is not the letter of
the law but its actual effect.
However, it is not necessary to labour this point. The preceding
considerations are, in my view, sufficient to show the decisive
difficulties inherent in the proposition that a State can properly
claim to depart from the obligations of a treaty by enacting laws
which, although they impair the operation of the treaty, are said
not to conflict with it on the ground that they lie on different planes
or are concerned with a different subject-matter.

Clearly, the guardian does not enjoy immunity from the operation
of local law, such as criminal law, which may depnve him of the

custody of the minor placed in a penal or reformatory institution.
The guardian is subject to laws relating to education, health, revenue
and so on. However, although, in the absence of a more substantial
justificationthan differences of classification, the guardian enjoys
no immunity from local law, he is entitled, in principle, to im-
munity from being deprived permanently or semi-permanently of
35 la tutelle visant uniquement une institution de droit privé,des rap-

ports de famille, dénués detout élément public, il ne saurait y
avoir conflit entre cette Convention et une disposition de caractère
exclusivement de droit public, telle que la loi suédoisesur l'éduca-
tion protectrice. Mêmesi l'on pouvait démontrer chaque élément
de cette proposition en se référant à la loi interne en vigueur dans
la plupart des pays - et cela ne semble pas êtrele cas -, on ren-
contrerait encore la difficultéd'apprécier le contenu de la formule
d'après laquelle il ne peut y avoir de conflit entre un traité qui
régit un domaine du droit privé et une loi interne du domaine du
droit public.
Sans doute la Convention de 1902 était destinée à régler les
conflits de lois en matière de tutelle, mais il n'y a pas de raison

convaincante pour accepter l'idéeque les dispositions pertinentes
de la loi suédoisesur l'éducation protectrice, en vertu desquelles la
garde dlElisabeth Bol1a étéconfiée à son grand-père maternel, en
son domicile, sous l'autorité de l'office des mineurs, n'ont rien à
voir avec la tutelle, attendu qu'elles ont le caractère de droit public.
De même,il est difficile d'admettre la suggestion que la tutelle,
instituée dans l'intérêtprivé de l'enfant, est dénuéed'un élément
public important d'ordre social. Les droits des parties, en particu-
lier dans un différend d'ordre international, ne devraient pas être
déterminéspar référenceau mystère controversé de la distinction
entre le droit privé et le droit public. Le fait que la Convention de
1902 a pour but d'établir des règles pour éviter les conflits de lois
en matière de tutelle ne signifie pas que ce domaine se limite aux
lois décritescomme visant la tutelle. Il couvre toutes les lois, quelle
qu'en soit la description ou la classification, remplissant une fonc-

tion essentielle de tutelle. Un élément fermementétabli de la juris-
prudence de la Cour est qu'en matière de lois internes affectant les
obligations néesdes traités, ce qui importe, ce n'est pas la lettre
de la loi, mais son effet positif.
Quoi qu'ilensoit, il est inutile d'insister sur ce point. A mon avis,
les considérations qui précèdent suffisent à démontrer les difficul-
tés décisivesinhérentes à la proposition qu'un Etat peut légitime-
ment prétendre s'écarter des obligations résultant d'un traité en
promulguant des lois qui, bien qu'empêchant l'applicationdu traité,
sont considérées commen'étant pas en conflit avec lui, pour le
motif qu'elles opèrent sur des plans différents ou qu'elless'occupent
d'une matière différente.
Il est clair que le tuteur ne bénéficiepas d'une immunité dans

l'application d'une loi interne, telle qu'une loi pénale,qui pourrait
le priver de la garde du mineur placédans un institut pénitencier
ou de réforme. Le tuteur est soumis aux lois visant l'éducation, la
santé, les impôts, etc. Mais, bien qu'en l'absence d'une justification
plus solide que les différencesde classification le tuteur ne jouisse
pas d'une immunité à l'égard dela loi interne, il a droit en principe
à êtreprotégécontre la privation permanente ou temporaire desome of the main attributes of guardianship such as custody of
the child-especially if such custody is made the subject of what,
in the circumstances of the case, is apt to give the impression of
a rival guardianship. There may be a justification for such depriva-
tion but that justification cannot properly be based upon factors
which are essentially of a technical character. In my view, the
more accurate approach to the question is not that the system of
protective upbringing is outside the Convention or that it pursues
a different object but, rather, that it is not inconsistent with the
Convention. In other words, that it is both covered and permitted

by the Convention by virtue of public policy-ordre public-or
some similar reason based on the right, conceded by international
law, of a State to apply a particular law impairing or preventing
the operation of the Convention.
In fact, it is in that sense that 1 understand-and concur in-
that part of the Court's Judgment which stresses the beneficent
social objects, of an urgent character, of the Swedish Law in
question. That is a consideration closely related to those under-
lying the notion of ordre public. It is this aspect of the question
which 1 deem it incumbent upon me to examine in some detail in
the present Opinion.

Prier to that, reference must be made to an ancillary submission
of Swedish Counsel bearing upon the possible effects of a ruling

that the Swedish Law on Protective Upbringing does not apply
to children of Dutch nationality. It was pointed out on behalf of
the Swedish Government that any such interpretation of the Con-
vention would result in a dangerous legal vacuum. It was urged
that as Dutch administrative authorities are responsible for giving
effect to the provisions of the Dutch law in the sphere of the pro-
tection of children and that as, according to international law, no
State can perform administrative acts in the territory of another
State,the result would be that Dutch children in Sweden who are
in need of care outside guardianship would remain altogether
without protection.
It must be conceded that, if only possible having regard to the
intention of the Parties, a treaty ought to be interpreted so as
to permit rather than to impede desirable measures of social pro-
tection. However, it appears to me that the spectre of a legal

vacuum, as pictured on behalf of the Swedish Government in this
connection, is illusory. Normally, the Dutch guardian would, in
such cases, take the necessary steps to remove the child to Holland.
In cases when that is not possible, the Dutch guardian would place
the child in an appropriate home (as was, in fact, contemplated
for a time by the Dutch guardian of Elisabeth Boll) or take other
steps required by the physical or mental condition of the child
36certains des attributs principaux de la tutelle, tels que la garde du
mineur - en particulier si cette garde fait l'objet de ce qui, dans
les circonstances de l'affaire, peut donner l'impression d'une tutelle
rivale.Il se peut que cette privation puisse êtrejustifiée, mais cette

justification ne peut à bon droit se fonder sur des facteurs d'un
caractère essentiellement technique. A mon avis, la vraie façon
d'aborder la question n'est pas de dire que le système de l'éduca-
tion protectrice est en dehors de la Convention et qu'il poursuit un
but différent, mais plutôt de dire qu'il n'est pas incompatible avec
la Convention. En d'autres termes, c'est que la question est à la
fois couverte et autorisée par la Convention, en vertu de l'ordre
public ou de quelque raison semblab!e fondéesur le droit, reconnu
par le droit international, pour un Etat d'appliquer une loi parti-
culière qui entraveou empêchele jeu de la Convention.
En fait, c'est en ce sens que je comprends cette partie de l'arrêt
de la Cour qui souligne les buts sociaux bénéfiquesd'un caractère
urgent de la loisuédoise enquestion - et que je m'y rallie. C'est une
considération qui se rattache étroitement à celles qui sont à la base

de la notion d'ordre public. C'est cet aspect de la question qu'il
m'incombe d'examiner avec quelques détails dans la présente
opinion.

Avant d'en arriver là, il faut examiner une conclusion stibsidiaire
du conseil du Gouvernement suédois sur les effets possibles d'une
décisionque la loi suédoisesur l'éducation protectrice ne s'applique
pas aux enfants de nationalité néerlandaise. Il a étésignalépour le
compte du Gouvernement suédoisqu'une pareille interprétation de
la Convention entraînerait un dangereux vide juridique. On a
soutenu que, les autorités administratives néerlandaises étant
responsables de l'application de la loi néerlandaise dans le dpmaine
de la protection de l'enfance, le résultat serait qu'aucun Etat ne

pouvant, d'après le droit international, accomplir des actes adminis-
tratifs sur le territoire d'un autre Etat, les enfants néerlandais en
Suède qui auraient besoin de protection en dehors de la tutelle se
trouveraient dépourvus de toute protection.
Il faut reconnaître que, dans les limites du possible, eu égard à
l'intention des Parties, on doit interpréter un traité comme ayant
pour objet de faciliter plutôt que d'empêcher les mesuresdésirables
de protection sociale. Toutefois, il me semble quelespectre d'un vide
juridique tel qu'on l'a dépeint à ce propos au nom du Gouverne-
ment suédois est illusoire. Normalement, le tuteur néerlandais en
pareil cas prendra les mesures nécessaires pour ramener l'enfant
aux Pays-Bas. Si cela n'est pas possible, le tuteur néerlandais
placera l'enfant dans un foyer approprié (comme la tutrice néer-

landaise dJElisabeth Bol1 l'avait envisagé, en fait, à un moment
donné) ou prendra d'autres mesures requises par la conditionsuch as placing it in an institution for observation or treatment. In
exceptional cases in which, for one reason or another, the guardian
fails to act or to act satisfactorily, necessary measures would be
decreed by the Dutch authorities. However, according to Dutch
law these are not administrative authorities. Thev are iudicial
authorities applying Dutch law which Sweden, byJvirtue" of the
Convention, is bound to recognize and the respect for which she is
bound to ensure in good faith without requiring any additional
treaty arrangements for that purpose. Thus the above-mentioned
Article 365 of the Dutch Civil Code provides that if the child grows
up in such a way as to be threatened with moral or physical harm

the Judge of the Children's Court may place it under supervision.
It is also upon the Judge of the Children's Court that Articles72 a
and 372 b of the Code confer the power to place the child in an ob-
servationcentre or, if it needs special discipline, in an appropriate
institution. Under Article461 c it is for the Judge, on the initiative
of the Guardianship Council, to order the necessary steps when
the infant is not under required legal authority or in other cases
of urgency. It must be added that such exceptional measures
of protection with regard to a child remaining in Sweden would, in
practice, be the same as would be taken by Swedish authorities in
similar circumstances and that therefore no considerations of
Swedish ordre pztblicwould standin the way of their execution.

Undoubtedly, the task of Dutch judicial authorities in taking the
measures in auestion mi~ht be rendered somewhat more difficult
than would otherwise beUthe case seeing that they might have to
obtain the necessary information with regard to a situation in a
foreign country. But these difficulties-which lie wholly outside
any legal problem of the applicability of foreign administrative
law-are inherent in a Convention which sanctions and prescribes

the operation of the national law of the infant. In days of rapid
travel, which makes possible visits by the interested parties or
representatives of Guardianship Councils or other institutions,
and facilities of postal communication, these difficulties are con-
siderably reduced. In any case, as stated, they refer to a wholly
exceptional situation; as such they appear somewhat unreal when
adduced as a decisive factor with regard to the inter~retation
of the Convention. They seem to me & unsubstantial &ound for
permitting a departure from its language and purpose. For these
reasons, 1 cannot accept that particular argument advanced on
behalf of the Government of Sweden.

As already stated, reliance upon ordre p.ubZic-public policy-
constitutes the main feature in the written and oral pleadings of
the Parties. This is the only submission, in the nature of legal prin- physique ou mentale de l'enfant, par exemple en le plaçant dans un
établissement pour observation ou traitement. Dans les cas excep-

tionnels où, pour une raison ou pour une autre, le tuteur n'agit pas,
ou n'agit pas de façonsatisfaisante, les autorités néerlandaises pres-
crivent les mesures nécessaires. Mais d'après la loi néerlandaise il
ne s'agit pas d'autorités administratives; ce sont des autorités
judiciaires, appliquant la loi néerlandaise que la Suède, en vertu de
la Convention, est tenue de reconnaître et qu'elle doit respecter de
bonne foi, sans exiger d'arrangement conventionnelsupplémentaire
à cette fin. C'est ainsi que l'article 365 précitédu code civil néer-
landais prévoit que, si l'enfant grandit de façon telle qu'il est
menacé de déchéancemorale ou physique, le juge des enfants peut
le mettre soussurveillance. C'est également au juge des enfants que
les articles 372 a et 372 b du code donnent le pouvoir de placer
l'enfant dans un établissement d'observation ou, s'il a besoin d'une
discipline spéciale,dans un établissement approprié. Aux termes de

l'article 461 c il appartient au juge, sur l'initiative du conseil de
tutelle, de prescrire les mesures nécessaires lorsque le mineur ne se
trouve pas sous l'autorité légaleexigéeou dans d'autres cas d'ur-
gence. Il faut ajouter que ces mesuresexceptionnellesde protection
visant un enfant restant en Suède seraient, en pratique, les mêmes
que celles prises par les autorités suédoisesen pareil cas et que, par
conséquent, aucune considération tenant à l'ordre public suédois
ne ferait obstacle à leur exécution.
Sans doute, en prenant les mesures en question, la tâche des auto-
rités judiciaires néerlandaises pourrait êtrerendue quelque peu plus
difficile qu'elle ne l'eût été autrement, du fait qu'il leur faudrait
obtenir les renseignements nécessairessurla situation dans un pays
étranger. Mais ces difficultés - qui sont absolument en dehors du

problème juridique de l'applicabilité du droit administratif étran-
ger - sont inhérentes à une Convention qui sanctionne et prescrit
l'application de la loi nationale du mineur. A une époque de voya-
ges rapides, qui permettent aux parties intéresséesou aux repré-
sentants des conseils de tutelle ou d'autres institutions de visiter
les lieux, et à une époque de relations postales faciles, ces diffi-
cultés sont considérablement réduites. En tout cas, comme il a été
dit, elles visent une situation absolument exceptionnelle et, à ce
titre, elles semblent assez artificielles quand on les invoque comme
décisifpour interpréter la Convention. Elles me semblent un motif
insuffisant pour permettre de s'écarter de ses termes et de son but.
C'est pourquoi je ne puis accepter cet argument invoqué par la
Siiède.

Comme je l'ai déjà dit, le recours à l'ordre public constitue le
trait principal des écritures et des plaidoiries des Parties. C'est le
seul point ayant le caractère d'un principe juridique dans les
37ciple, in the final Conclusions of the Parties. The Court is not
rigidly bound to give judgment by exclusive reference to the legal
propositions as formulated by the Parties in their Conclusions.
However, 1consider that 1 ought not to disregard the Conclusions
of the Parties formulating exhaustively the legal issue between
them. The position is analogous to that in which the Parties have
concluded a special agreement defining the legal issue between
them and asking the Court to pronounce upon it as part of its
operative decision. It is only when it is abundantly clear that the

formulation, adopted by the Parties, of the legal issue cannot
provide a basis for the decision and that there is another legal
solution at hand of unimpeachable cogency, that 1 would feel
myself free to disregard the Conclusions of the Parties. Neither of
these conditions seems to me to obtain in the present case. (It may
be pointed out in this connection that the position is here different
from that in theFisheries case in which the Court declined to render
judgment by reference to general "definitions, principles and rules"
formulated by one Party. I.C.J. Reports 1951 ,. 126.)Admittedly,
the legal issue asthus expressed by the Parties in their pleadings
and Conclusions inthe present case touches directly upon a difficult
and controversial question which has constituted one of the crucial
problems in the sphere of private international law and which
brings into prominence the relation between private and public
international law.

Does the Guardianship Convention of 1902, which contains no
express exception of ordre public, permit reliance upon it? This

seems to be the crucial question. However, before an attempt is
made to answer it, there are two preliminary observations which
must be made in this connection.
The first is that caution must be exercised with regard to the
manner in which the question is put in the present context. It seems
incorrect to put the problem in some such form as: "Shall the Court
apply the Convention or shall it apply ordre Public? Which comes
first?" For there is no question here of choosing between the
Convention and ordre Public. If that were the alternative, clearly
the Court would have no option but to apply the Convention. The
question is whether the Convention, viewed in its entirety and in
the light of relevant principles of interpretation-and not merely
by reference to its bare letter-permits the exception of ordre
public. For these reasons no assistance can be derived from the
various pronouncements of the Permanent Court of International
Justice to the effect that national legislation cannot be validly
invoked as a reason for non-compliance with an international
obligation. The problem now for the Court is, exactly, what is the
international obligation at issue.

38 conclusions finales des Parties. La Cour n'est pas rigoureusement
tenue de statuer par référence exclusive aux propositions juridi-
ques, telles qu'elles sont formuléespar les Parties dans leurs conclu-
sions. Néanmoins, je considère que je ne devrais pas négliger les

conclusionsdes Parties qui énoncent de façon complète le point de
droit en litige entre elles. La position est analogue à celle où les
Parties ont conclu un compromis pour définirle différendjuridique
qui les sépare et demander à la Cour de statuer sur ce différend
comme élémentdu dispositif de son arrêt.Ce n'est que s'il est abso-
lument clair que la formule adoptée par les Parties pour énoncerle
différend juridique ne peut fournir de base à la décision et qu'on
dispose d'une autre solution juridique d'une valeur incontestable
que je me sentirais libre de négliger les conclusions des Parties.
Dans le cas actuel, il me semble qu'aucune de ces conditions n'est
remplie. (Il faut signaler à ce propos que la position est différente
de celle de l'affaire des Pêcheries,où la Cour a déclinéde se prononcer
par référenceaux définitions,principes ou règles formuléspar l'une

des Parties. C. I. J. Recueil 19.51 p. 126.) Sans doute le différend
juridique ainsi définipar les Parties en leurs écritures et conclusions
dans la présente affaire touche directement une question difficile et
controversée qui a constitué l'un des problèmes essentiels dans le
domaine du droit international privé et qui fait ressortir les rap-
ports entre le droit international privé et le droit international
public.

La Convention de 1902 sur la tutelle, qui ne mentionne pas
expressément l'exception d'ordre public, permet-elle de l'invoquer?
Ceci paraît être la question cruciale. Mais avant d'essayer d'y ré-

pondre, il faut faire à ce sujet deux remarques préliminaires.

La première est qu'il faut être prudent quant à la manière de
poser la question dans le contexte actuel. Il paraît inexact de poser
le problème sous une forme comme celle-ci: ((La Cour doit-elle
appliquer la Convention, ou doit-elle appliquer l'ordre public?
Qui passe en premier? ))Car il ne s'agit pas ici de choisir entre la
Convention et l'ordre public. Si telle était l'alternative, la Cour
n'aurait évidemment pas d'autre choix que d'appliquer la Conven-
tion. La question est de savoir si la Convention, prise dans son
ensemble et à la lumière des règles d'interprétation pertinentes -
et non pas simplement dans sa seule lettre -, admet l'exception

d'ordre public. C'est pourquoi on ne trouve aucun appui dans les
divers prononcers de la Cour permanente de Justice internationale,
aux termes desquelson ne peut valablement invoquer la législation
nationale comme motif de ne pas se conformer à une obligation
internationale. Le problème qui se pose à la Cour est précisément
de savoir quelle est l'obligation internationale en question.

3s The second preliminary question is whether legislation relating
to protective upbringing of children is properly comprised within
the sphere of ordre public, that is to Say, whether, notwithstanding
any apparent treaty provision to the contrary, ordre public covers
exceptional measures for the protection of minors in addition to
and to the exclusion of guardianship operating in normal circum-

stances. That question must clearly be answered in the affirmative.
Apart from criminal law, itis difficult to conceive of a more appro-
priate and more natural object of ordre public, as generally under-
stood, than the protection by the State of infants, especially when
they are helpless, ill, an actual or potential danger to themselves
or to Society, a legitimate object of its compassion and assistance,
and an occasion for public resentment whenever the State fails to
measure up to its responsibilities in this respect. There are, in that
wide and highly controversial province of ordre public, matters
which are the object of uncertainty and occasional exaggerations
of national prejudice reluctant to apply foreign law. But there is a
hard core within that field which is not open to reasonable challenge.
The protection of children, in the sense indicated above, is an
obvious particle of that hard core. Mention may be made in this
connection, as emphasizing this aspect of guardianship (which is

exemplified, in its wider sense, in the system of protective up-
bringing), of the fact that in English law the Crown as the parens
patriae-the parent of the country as a whole-is the supreme
guardian of infants and, through its Courts, exercises its authority
in this respect, at every stage, with total disregard of any artificial
formalities of the law. The Guardianship Act of 1925 provides in
Section I that, when in proceedings before any court custody or
upbringing of an infant are in question, the Court in dealing with
the matter "shall regard the welfare of the infant as the first and
paramount consideration" and shall not decisively take into
account any claim, based on any particular rule of law, of the
father or the mother to a superior right of custody and control.

The notion of ordre public is generally used in two meanings:

It is either applied as referring to specific spheres of the law, such
as territorial laws, criminal laws, police laws, laws relating to
national welfare, health and security, and the like; from this point
of view, protective upbringing clearly comes within the notion of
ordrepublic. Secondly, it isresorted to as embracing, more generally,
fundamental national conceptions of law, decency and morality.
From this point of view, too, the protection of the interests of the
minor through measures such as protective upbringing falls natu-
rally within the notion of ordrepublic. (It may be statedin the present
context that although in this Opinion the French term ordie public
is mainly used, it is not used as implying a substantial difference

39 La deuxième question préliminaire est de savoir si la loi sur
l'éducation protectrice des mineurs rentre légitimement dans le

domaine de l'ordre public, c'est-à-dire si, nonobstant une dispo-
sition conventionnelle apparemment contraire, l'ordre public
s'étendaux mesures exceptionnelles pour la protection des mineurs,
en plus et à l'exclusion de la tutelle mise en Œuvre dans les circons-
tances normales. De toute évidence,il faut répondre à cette ques-
tion par l'affirmative. En dehors du droit pénal,il est difficiled'ima-
giner un casplus approprié et plus naturel d'invoquer l'ordre public,
tel qu'on l'entend généralement, quela protection des mineurs par
l'Etat, en particulier quand ils sont sans défense,malades, quand ils
constituent un danger positif ou éventuel pour eux-mêmes oupour
la société,quand ils sont l'objet légitime de sa compassion ou de

son assistance et la source de griefs publics quand l'État n'est pas
à la hauteur de ses responsabilités en la matière. Il existe dans
le vaste domaine hautement controversé de l'ordre ~ublic des
matières qui font l'objet d'incertitudes et à propos desquelles se
produit, à l'occasion, une exagération des préjugés nationaux
contre l'application de la loi étrangère. Mais à l'intérieur de ce
domaine, il existe un noyau solide qu'on ne peut raisonnablement
contester. La protection des enfants au sens indiqué plus haut fait
évidemment partie de ce solide noyau. A ce propos, on peut men-
tionner comme soulignant cet aspect de la tutelle (dont on trouve
un exemple au sens le plus large dans le système de l'éducation

protectrice) le fait qu'en droit anglais la Couronne, en tant que
parens patriae - le parent de la nation dans son ensemble -, est
le suprême tuteur des mineurs et, dans ce domaine, exerce son
autorité à tous les stades, par l'intermédiaire de ses tribunaux, avec
un dédain absolu des formalités légales artificielles. Le Gz~ardian-
ship Act de 1925, dans sa section 1, dispose que toutes les fois qu'il
s'agit, dans une procédure judiciaire, de la garde ou de l'éducation
d'un mineur, le tribunal, en traitant de la question, ((retiendra en
premier lieu et comme considération dominante le bien-être du
mineur ))et ne retiendra d'une manière décisiveaucune réclamation
du père ou de la mèretendant à faire reconnaître un droit supérieur
de garde et de contrôle, fondéesur une règlede droit particulière.

On emploie généralementla notion d'ordre public en deux sens:
soit pour viser des domaines particuliers du droit comme les lois
territoriales, les lois pénales, les lois de police, les lois visant le bien-
être, lasanté et la sécuritésociale et d'autres lois du mêmeordre.
A ce point de vue, il est clair que l'éducation protectrice relève
de la notion d'ordre public. En second lieu, la notion d'ordre public
s'emploie par extension plus généraleaux conceptions nationales
fondamentales du droit. de la décenceet de la moralité. A ce oint
de vue encore, la protection des intérêtsdu mineur par des mesures
telles que l'éducation protectrice relève de la notion d'ordre public.
(On peut dire dans le présent contexte que, si le terme français

d'ordre public est employé le plus souvent dans cette opinion, ilbetween it and the notion of public policy in common law countries
such as the United Kingdom or the United States of America-
although probably the conception of ordrepublic is somewhat wider.
It is used here for the reason that it is current in the law of two
States which are parties to the dispute.)

Admittedly, in answering the question as here put we are con-

fronted with the following dilemma: 1s it the Swedish ordrepublic
bv reference to which that auestion must be answered? If that is
si, is the Court competent and in the position to examine a matter
of Swedish ordrepublic, of Swedish municipal law? It is clear that
that question must be answered in the affirmative.The examination
of municipal law, wherever that is necessary, is a proper function
of the Court; it has undertaken it on repeated occasions. Neither
do the intricacies of ordre public set a limit to that legitimate
function of the Court. In the SerbianLoans case the Court examined
the French law and the French judicial practice in the sphere of
ordre publicin relation to currency legislation (P.C.I.J.,Series A,
Nos. 2011, pp. 46, 47). However, the question that must be an-
swered in this connectionis not only whether protective upbringing
of children falls, according to Swedish law, within the Swedish
ordrepublic but also whether it can properly be included as falling
within that sphere. That question cannot be answered by reference
to Swedish law only. It can be answered in reliance on a notion

of ordrepublic conceived as a general principle of law-an aspect
of the question referred to below.

If protective education of children falls legitimately within the
sphere of public order, then-and only then-there must be con-
sidered the main question, namely, whether public order, if not
expressly permitted by the Convention, can be invoked at dl;
whether it has been properly invoked in the present case; and, if
so, whether the Law on Protective Upbringing has been applied by
the Swedish authorities in a manner which is reasonable and not
manifestly contrary to the object and the principles of the Conven-
tion.
Does the conception of ordrepublic operate at al1in the present
case? This is the central issue before the Court. It can be examined

here only in brief outline:
In the first instance, the Convention now before the Court is
a Convention of public international law in the sphere of what is
generally described as private international law. This means: (a)
that it must be interpreted, like any other treaty, in the light of
the principles governing the interpretation of treaties in the field
of public international law; (b) that that interpretation must taken'est pas employé pour marquer implicitement une différence de
fond entre cette notion et la notion de ((public policy» dans les pays
de ccomrnom Law » tels que le Royaume-Uni et les Etats-Unis
d'Amérique - bien que la notion d'ordre public soit probablement
plus large. L'expression est employée ici parce qu'elle est courante
dans la loi des deux Etats parties au différend.)
Sans doute, en répondant à la question telle qu'elle est ici posée,
nous nous trouvons en face du dilemme suivant: faut-il répondre à
la question par référence àl'ordre public suédois?Dans l'affirmative,
la Cour est-elle compétente pour examiner une question d'ordre

public suédois, de droit interne suédois et en mesure de le faire?
Il est clair qu'il faut répondre par l'affirmative. Toutes les fois
qu'il est nécessaire de le faire, l'examen du droit interne relève de
la fonction propre de la Cour. Elle l'a entreprisà plusieurs reprises.
Les complexités de l'ordre public n'apportent pas, elles non plus,
une limite à cette légitime fonction de la Cour. Dans l'affaire des
Emprunts serbes,la Cour a examiné le droit français et la pratique
judiciaire en matière d'ordre public à propos de la loi monétaire
(C. P.J. I., Série A, nos20/21, pp. 46-47). Toutefois, la question à
laquelle il faut réporidre à ce propos n'est pas seulement de savoir

si l'éducation protectrice des mineurs relève, d'après la loi suédoise,
de l'ordre public suédois,mais encore de savoir si l'on peut légitime-
ment la comprendre comme rentrant dans ce domaine. C'est une
question à laquelle il ne peut êtrerépondu par référenceau seul
droit suédois. Onpeut y répondre en invoquant une notion d'ordre
public conçue en tant que principe général dedroit - un aspect
de la question qui sera viséplus loin.

Si l'éducation protectrice des mineurs rentre légitimement

dans le domaine de l'ordre public, alors - et alors seulement -
il faut examiner la question principale, à savoir: l'ordre public,
quand il n'est pas expressément admis par la Convention, peut-il
être invoqué en aucune façon? A-t-il étélégitimement invoqué
dans le cas actuel et, dans l'affirmative, la loi sur l'éducation pro-
tectrice a-t-elle étéappliquée par les autorités suédoises d'une
manière raisonnable et qui n'est pas manifestement contraire à
l'objet et aux principes de la Convention?
La notion d'ordre public joue-t-elle dans le cas actuel? C'est là
le nŒud de la question soumise à la Cour. On ne peut l'examiner

ici qu'en traçant une brève esquisse.
En premier lieu, la Convention actuellement soumise à la Cour
est une convention de droit international public dans le domaine
de ce qu'on appelle généralementle droit international privé. Cela
veut dire: a) que, comme tout autre traité, il faut l'interpréter à la
lumière des principes qui régissent l'interprétation des traités dans
le domaine du droit international public, et b) que cette interpré-into account the special conditions and circumstances of the
subject-matter of the treaty, which in the present case is a treaty
in the sphere of private international law.
Secondly, in the sphere of private international law the exception
of ordre public, of public policy, as a reason for the exclusion of
foreignlaw in a particular case is generally-or, rather, universally
-recognized. It is recognized in various forms, with various
degrees of emphasis, and, occasionally, with substantial differences
in the manner of its application. Thus, in some matters, such as
recognition of title to property acquired abroad, the courts of
some countries are more reluctant than others to permit their
conception of ordre public-their public policy-to interfere with

title thus created. However, restraint in some directions is often
offset by procedural or substantive rules in other spheres. On the
whole, the result is the same in most countries-so much so that
the recognition of the part of ordre fiublic must be regarded as a
general principle of Iaw in the field of private international law.
If that is so, then it may not improperly be considered to be a
general principle of law in the sense of Article 38 of the Statute
of the Court. That circumstance also provides an answer to the
question as to the nature and the content of the conception of
public policy by reference to which there must be judged the pro-
priety of the Swedish legislation in the matter. Clearly, it is not the
Swedish notion of ordre public which can provide the exclusive
standard in this connection. The answer is that, the notion of
ordre public-of public policy-being a general legal conception,
its content must be determined in the same way as that of any
other general principle of law in the sense of Article 38 of the
Statute, namely, by reference to the practice and experience of the
municipal law of civilized nations in that fieldItis by reference to
some such considerations that 1 have, in an earlier part of this

Opinion, attempted to answer the question whether the Swedish
Law on Protective Upbringing can properly be regarded as falling
within the domain of ordrefiublic.

For these reasons the correct interpretation of a convention on
private international law must take that general recognition of
public order fully into account. The same result is reached by way
of another, no less cogent, principle of interpretation: In a case
concerned with the interpretation of a treaty relating to a particular
matter with regard to which the law and practice of both parties
recognize the applicability of certain principles, due weight must
be given to those principles. To give an example: If the law and
practice of Sweden and Holland were to recognize that the distance
of twenty miles is the proper limit of territorial waters, and if these
two States were to conclude a treaty laying down that their vessels
shall be bound to submit to certain restrictions within their res-

41tation doit tenir compte des conditions et des circonstances spécia-
les à la matière visée par le traité, traité qui relève, dans le cas
actuel, du domaine du droit international privé.
En second lieu, dans le domaine du droit international privé,
l'exception d'ordre public, de public policy, comme motif pour
écarter la loi étrangère dans un cas particulier est généralement -
ou plutôt universellement - reconnue. On la reconnaît sous
diverses formes et avecplus ou moins d'importance, et, à l'occasion,
avec des différences appréciables dans la manière de l'appliquer.
Ainsi, dans certains domaines tels que la reconnaissance des lois
de propriété acquise à l'étranger, les tribunaux de certains pays

hésitent plus que d'autres à permettre à letir conception de l'ordre
public - à leur public policy - de faire obstacle au titre acquis de
cette manière. Néanmoins, les restrictions apportées dans certaines
directions sont souvent compenséespar des règles de procédure ou
de fond dans d'autres domaines. Dans l'ensemble, le résultat est le
mêmedans la plupart des pays - à telle enseigne qu'il faut consi-
dérerla reconnaissance du rôle de l'ordre public comme un principe
généralde droit dans le domaine du droit international privé.
S'il en est ainsi, on peut à bon droit la regarder comme un principe
général de droit au sens de l'article 38 du Statut de la Cour. Cette
circonstance fournit également une réponse à la question visant la

nature et le contenu de la notion d'ordre public, par laquelle on doit
apprécier la légitimité de la législation suédoise en la matière.
Il est clair que ce n'est pas la notion suédoise d'ordre public qui
peut fournir un critère exclusif à ce point de vue. La réponse est
que, la notion d'ordre public - de public policy - étant une notion
juridique générale, il faut en déterminer le contenu de la même
manière que pour tout autre principe général du droit, au sens de
l'article38 du Statut, à savoir, par référence à la pratique et à
l'expérience en ce domaine des tribunaux nationaux des nations
civilisées. C'est en me rapportant à des considérations de ce genre
que, dans une partie antérieure de cette opinion, j'ai essayé de

répondre à la question de savoir si la loi suédoise sur l'éducation
protectrice pouvait êtrelégitimement considéréecomme rentrant
dans le domaine de l'ordre public.
Telles sont les raisons pour lesquelles l'interprétation correcte
d'une convention sur le droit international privé doit pleinement
tenir compte de cette reconnaissance générale del'ordre public.
On aboutit au mêmerésultat au moyen d'un autre principe d'inter-
prétation, également important: dans une affaire visant l'inter-
prétation d'un traité sur une question particulière au sujet de la-
quelle le droit et la pratique des deux parties reconnaissent que

certains principes sont applicables, il faut donner à ces principes
l'importance qui convient. Par exemple :si la loi et la pratique de la
Suède et des Pays-Bas reconnaissaient que la limit_enormale des
eaux territoriales est de vingt milles et si ces deux Etats passaient
un traité disposant que leurs navires devront se soumettre à cer-pective territorial waters, then the expression "territorial waters"
would have to be interpreted in the sense attached to it by the
law and practice of those two States, namely, as extending to
twenty miles. By the same token, if the law of Sweden or Holland
recognizes the exception of public order in the sphere of private
international law, then that factor must be considered as relevant
to the interpretation, as between them, of the treaty in question.
It is well known, and it is admitted by both Parties, that both in
Sweden and Holland ordrepublic constitutes a valid reason for the

exclusion of foreign law. Accordingly, the fact that a particular
subject of private international law is covered by a convention
does not, in the absence of an express prohibition to the contrary,
in itselfxclude the operation of ordrepublic, even if the convention
is otherwise silent in the matter-provided always that the State
invoking ordre +ublic is, if its decision to invoke it is challenged,
willing to submit to an impartial judicial or arbitral determination
of the issue. The latter condition follows inevitably from the prin-
ciple that a State which invokes an exception not expressly recog-
nized by the treaty cannot claim the right to determine unilaterally
whether that exception applies.

At the same time, and this is the third main consideration in
the present context, the circumstance that the Partiesare bound by
treaty in relation to a particular subject of private international
law sets a limit to the application of ordre public. It does so in
three respects :

In the first instance, the existence of the treaty imposes upon
municipal courts an obligation of restraint in invoking ordrepublic
-a restraint additional to that which they impose uyon themselves
in matters of private international law generally. This is admitted
by both Parties. In fact, it is one of the objects of a treaty bearing
upon private international law to set some further limit to reliance
upon ordrepublic.
Secondlv. the existence of a treatv limits the discretion of
national Courts in determining whetLer a particular subject iç
within the domain of ordrepublic; it limits it in the sense that in
case of a dispute, and provided that an international tribunal is
endowed with the requisite jurisdiction, it is for that tribunal to
determine the matter. This, too, is in substance admitted by both
Parties.
Thirdly-a view contended for by Holland but denied by Sweden
-in the case of a dispute as to the manner in which the national
authority has applied the exception of ordre public, that question

is subject to review and determination by an international tribunal,
if othenvise competent in the matter. That aspect of the question
is examined later in this Opinion.
Applied to the present case, these principles mean, in general,
that the exception of public order is admissible within proper limitstaines restrictions dans leurs eaux territoriales respectives, l'ex-
pression «eaux territoriales » devrait alors s'interpréter çuivant

le sens que lui attachent la loi et la pratique des deux Etats, à
savoir, comme s'étendant à vingt milles. De même, sila loi en
Suède et aux Pays-Bas reconnaît l'exception d'ordre public dans
le domaine du droit international privé, alors ce facteur doit être
considéré comme pertinent pour l'interprétation des traités en
question, dans les rapports de ces deux pays entre eux. On sait
parfaitement, et les deux Parties le reconnaissent, qu'en Suède
comme aux Pays-Bas, l'ordre public est un motif valable pour
écarter la loi étrangère. En conséquence, le fait qu'une question
particulière de droit international privé est viséepar une convention
n'exclut pas, par lui-même,en l'absence d'une disposition expresse

en sens contraire, le jeu de l'ordre public, même sila convention
garde par ailleurs le silence en la matière - pourvu toujours que
1'Etat qui invoque l'ordre publicsoit prêt,sil'on conteste sa décision
de l'invoquer, à soumettre la question à une décision judiciaire ou
arbitrale impartiale. Cette dernière condition découle inévitable-
ment du principe que 1'Etat qui invoque une exception qui n'est
pas expressément reconnue par le traité ne peut invoquer le droit
de déciderunilatéralement si l'exception s'applique.
En mêmetemps, et c'est la troisième considération principale
dans le contexte actuel, le fait que les Parties sont liéespar traité
sur un point particulier de droit international privé apporte une

limite à l'application de l'ordre public. Et celà trois points de vue :

En premier lieu, l'existence du traité impose aux tribunaux in-
ternes l'obligation de se montrer prudents quand ils invoquent
l'ordre public - prudence supplémentaire à celle qui s'impose à
eux, d'une manière générale, en matière de droit international
privé. Les deux Parties le reconnaissent. En fait, l'un des buts d'un
traité visant le droit international privé est d'apporter certaines
limites supplémentaires au recours à l'ordre public.
En second lieu, l'existence d'un traité limite le pouvoir dis-
crétionnaire des tribunaux nationaux pour dire si une question

donnée rentre dans le domaine de l'ordre public. Elle le limite en
ce sens qu'en cas de différend,et pourvu qu'un tribunal internatio-
nal ait la compétencevoulue, c'est à lui qu'il appartient detrancher
la question. Cela encore, les deux Parties au fond le reconnaissent.

En troisième lieu - opinion soutenue par les Pays-Bas mais
contestée par la Suède -, en cas de différend sur la manière dont
l'autorité nationale a appliqué l'exception d'ordre public, la ques-
tion relève de l'examen et de la décisiond'un tribunal international,
pourvu que celui-ci soit compétent par ailleurs. Cet aspect de la

question est examiné plus loin dans cette opinion.
Ces principes appliqués à la présente affaire signifient, d'une
manière générale,que l'exception d'ordre public est admissible dansand that, there being a dispute as to whether these limits have
been observed, it is for the Court to decide whether the notion of
public order has been properly invoked and applied. As stated, 1
have come to the conclusion that reliance on ordre public in relation
to a Law on Protective Upbringing is fully justified and that,
therefore, ordre public has been properly invoked. 1 will revert
presently to the question whether the proper application of ordre
public has been satisfactorily proved in this case.

Reference must be made in this connection to certain views
expressed during the written and oral proceedings with regard to
ordre public, in particular the opinion that reliance upon it is
inconsistent with the purpose of treaties on private international
law and that ordre public ought to be interpreted restrictively in
that sphere or refused recognition altogether. In particular, it
was argued that because of its comprehensiveness and elasticity it
has been the cause of uncertainty and confusion, that it has been
a disturbing element in that field, and, more emphatically, that it
has been destructive of private international law. There is some
substance in these considerations. However, they cannot in any
way be decisive.
Admittedly, the notion of ordre public-like that of public policy
-is variable, indefinite and occasionally productive of arbitrariness
and abuse. It has been compared in this respect, not without some
justification, with the vagueness of the law of nature. Admittedly

also, it has often been the instrument or the expression of national
exclusiveness and prejudice impatient of the application of foreign
law. Yet these objections, justified as they are, do not alter the fact
that the principle permitting reliance on ordre public in the sphere
of private international law has become-and that it is-a general
principle of law of most, if not all, civilized States. More than that:
It is, on its own merits, part and parce1 of the entire doctrine and
practice of private international lawalmostfrom its very inception;
the two are inseparable, not only as a matter of history but also of
necessity; they have grown together in a mutual interaction and
compromise. The purpose of private international law is to make
possible the application, within the territory of the State, of the
law of foreign States. This is an object dictated by considerations
of justice, convenience, the necessities of international intercourse
between individuals and indeed, as has occasionaily been said, by
an enlightened conception of public policy itself. But there is an
obvious element of simplification in the view that the law of a State

should be deemed to have consented or that it should reasonably
be expected to consent in advance to the application of foreign law
without any limitations, in any circumstances whatsoever, without des limites appropriées et que, puisqu'il y a un différend sur le
point de savoir si ces limites ont été observées, c'est à la Cour
qu'il appartient de décider si la notion d'ordre public a étélégi-
timement invoquée et appliquée. Comme je l'ai dit, j'en suis arrivé
à la conclusion que le recours à l'ordre public à propos d'une loi
sur l'éducation protectrice se justifie pleinement et que, par consé-
quent, l'ordre public a étélégitimement invoqué. Je reviendrai
dans un moment à la question de savoir s'il a étédémontré de
façon satisfaisante en l'espèceque l'ordre public a étélégitimement
a?fliqué.
*
* *
A ce propos, il faut mentionner certains opinions expriméespen-
dant les écritures et les plaidoiries à propos de l'ordre public, no-
tamment l'opinion que le recours à l'ordre public est incompatible

avec le but des traités de droit international privé et que l'ordre
public doit s'interpréter restrictivement, ou mêmese voir refuser
toute reconnaissance. On a soutenu en particulier qu'en raison de
son caractère étendu et de son élasticité, l'ordre publica étécause
d'incertitude et de confusion, qu'il a jeté le trouble en ce domaine
et, plus encore, qu'il a détruit le droit international privé. Ces
considérations ont quelque valeur. Elles ne peuvent cependant pas
êtredécisives.

Il est admis que la notion d'ordre public - comme celle de
publip colic y est variable, indéfinie et, à l'occasion, conduià
l'arbitraire et aux abus. A ce point de vue, et non sans quelque rai-
son, on a comparé l'ordre public à la notion vague de droit naturel.
On reconnaît également quel'ordre public a souvent étél'instrument
ou l'expression de l'exclusivisme national et des préjugésqui sup-
portent mal l'application du droit étranger. Toutefois, ces objec-
tions, pour justifiées qu'ellessoient, ne changent pas le fait que le
principe qui permet de recourir à l'ordre public dans le domaine
du droit international privé est devenu- et qu'jl es- un principe
généraldu système juridique de la plupart des Etats civilisés,sinon
de tous. Bien plus: il fait par lui-mêmepartie de toute la doctrine
et de toute la pratique du droit international privé, presque depuis
son origine. Les deux sont inséparables, non seulement au point de

vue historique, mais par nécessité.Ils ont grandi ensemble, en
réagissant l'un sur l'autre et dans un compromis réciproque. Le
but du droit international privé est de permettre l'application, sur
le territoire d'un État, du droit des États étrangers. Ce but est
dicté par des considérations de justice, de commodité, par les né-
cessités des rapports internationaux entre individus et même,on
l'a dit, parfois, par une conception éclairée del'ordre public lui-
même. Mais c'est évidemment trop simplifier les choses que de
soutenir que le droit d'un État doit êtretenu pour avoir consenti,
ou qu'on devrait raisonnablement s'attendre à ce qu'il consentea safety valve, without a residuum of contingencies in which,
because of the very nature of its structure and the fundamental
legal, moral and political conceptions which underlie it, it should be
able to decline to apply foreign law.

Within the State, the judicial use of public policy-of ordre
public-has often been exposed to criticism. But it is seldom, if
ever, suggested that it is not an indispensable instrument of the
interpretation, application and development of the law. If that is
so in relation to the national law of theState which rnay be changed
b~ ordinary legislative processes, it is particularly so in relation to
foreign law over which the State has no control and which, in
certain circumstances, its courts rnay find it inconceivable to apply.
History-modern history-has occasionally produced examples of

legislation manifesting eruptions of malevolent injustice, or worse,
to which courts of foreign countries rnay find it utterly impossible
to give effect and with regard to which the right to denounce the
treaty rnay not provide a timely or practicable remedy.

It is that residuum of discretion, it is that safety valve, which
has made private international law possible at all, and which, if
kept within proper limits, is one of the principal guarantees of its
continued existence and development. It is significant that an
important part of the contribution of the most illustrious exponents
of private international law-such as Story, Savigny and Pillet-
lay in their effort to formulate the notion of ordrepublic and the
limits, often wide and general, of its application. Ordre public is,
and ought increasingly to be, subject to reasonable limitations in
accordance with the main purpose of private international law.

But the problem cannot be solved by the device of shelving it.
It can be alleviated by the existence of international remedies of
judicial control and review whenever there exists the requisite
jurisdiction of an international tribunal. The present case afforded
an opportunity for acting in that way.

The preceding considerationsrnay also offer assistance in answer-
ing the question whether the existence of a treaty sets a lirnit
to reliance on public policy in the sense that the latter cannot be
properly invoked unless the treaty contains an expressexception to
that effect. That question must be answered in the negative.
Obviously, the treaty rnay expressly, or by implication, prohibit
recourse to ordrepublic. Thus it is occasionally maintained that the
Hague Convention of 1902 on the Conclusion of Marnage contained

such prohibitive implication by enumerating exhaustively thed'avance, à l'application du droit étranger sans aucune limitation,
dans tous les cas, sans soupape de sûreté, sans un minimum de
situations dans lesquelles, en raison de la nature même de sa
structure et des conceptions juridiques morales et politiques fon-
damentales sur lesquelles il repose, il doit pouvoir décliner l'appli-
cation de la loi étrangère.

A l'intérieur de l'État, le recours judiciaire à l'ordre public -
au publip colic-y a souvent fait l'objet de critiques, mais on a
rarement, peut-être même jamais, suggéréqu'il ne soit pas un
instrument indispensable de l'interprétation, de l'application et du
dé~eloppement~du droit. S'il en est ainsi dans le domaine de la loi
nationale de l'Etat, qui peut êtremodifiéepar les procédés légis-
latifs ordinaires,il en est particulièrement ,ainsi dans le domaine de
la loi étran",re. sur laauelle l'État n'exerce aucun contrôle et aue
ses tribunaux pourraiek, dans certaines circonstances, juger in-
concevable d'appliquer. L'histoire - l'histoire moderne - a
fourni à l'occasion des exemples de législations manifestant des
crises d'injustice délibérée,ou pire, auxquelles les tribunaux des

pays étrangers peuvent juger absolument impossible de donner
effet età propos desquelles le droit de dénoncerle traité peut ne pas
fournir un remède opportun et praticable.
C'est ce résidu de pouvoir discrétionnaire, c'est cette soupape
de sûreté qui a rendu possible le droit international privé et qui,
si on la maintient dans les limites raisonnables, est l'une des ga-
ranties principales de sa survie et de son développement. Il est
significatif qu'une grande partie de l'apport des plus illustres
théoriciens du droit international privé - tels que Story, Savigny
et Pollet - consiste en leur effort pour formuler la notion d'ordre
public et les limites, souvent larges et générales, de sonapplication.
L'ordre public est et doit êtrede plus en plus limité de façon rai-
sonnable, conformément au but principal du droit international

privé. Mais la difficulté ne peut être résolue en se bornant à la
classer. Il peut y être remédiépar l'existence de recours internatio-
naux, de contrôle et de revision judiciaire toutes les fois qu'un
tribunal international possède la compétence voulue. Le cas actuel
fournissait l'occasion d'agir en ce sens.

Les considérations qui précèdent peuvent également faciliter Ia
réponse à la question de savoir si l'existence d'un traité apporte
une limite au recours à l'ordre public, en ce sens que ce dernier ne
peut êtrelégitimement invoqué, à moins que le traité ne contienne
expressément une exception à cet effet. A cette question il faut
répondre par la négative. Evidemment, le traité peut expressément
ou implicitement interdire le recours à l'ordre public. C'est ainsi

qu'on a soutenu parfois que la Convention de La Haye de 1902 sur
la conclusion des mariages contenait une prohibition implicite dereasons for which the lex fori could disregard the impediments to
marriage established by foreign law. (Yet it is significant that, in
spite of the Convention, practically al1 parties to it refused to
recognize, prior to the Second World War, the impediments estab-
lished by the German Nuremberg Laws. Although Dutch Courts
applied the Convention in this respect, they often found circuitous

means of defeating the Nuremberg Laws in question.)

However, apart from an express or clearly implied prohibition,
the correct principle seems to be that a convention inthe sphere of
private international law does not exclude reliance on ordrepublic.
Nothing short of an express prohibition can rule out reliance on a
firmly established principle ofprivate international law. This seems
to me to be the fairly unanimous view of writers. They include
authorities of the calibre of Professors Batiffol and Niboyet. This
is also the em~hatic view of an author who has devoted s~ecial
attention to questions of private international law in relation to
treaties (Plaisant, Les règlesde conflit delois dans les traités,1946,

pp. 91-94). Professor Lewald, a balanced and authoritative writer
to whose views 1 attach importance, provides no clear exception to
that virtual unanimity. In 1928, writing in the Revue de droitinter-
national privé(pp. 164 et seq.), he stated, though with very consi-
derable hesitation, that, a priori, if the treaty is silent on the ques-
tion of ordre public, the latter cannot be invoked. In 1930, when
writing in the Répertoirede droit international (Vol. 7, p. 308), he
expressed a different view, namely, that in such cases the answer
to the question depends on the interpretation of a particular treaty
and that it is impossible to give an answer a priori. There is
little judicial practice directly applicable to thismatter.

In this connection reference may also be made to the preparatory

work of the Convention of 1902. The study of that preparatory
work shows that there was opposition-effective opposition-to
incorporating in the Hague Conventions any general clause permit-
ting reliance on ordrepublic (though no discussion on the subject
took place with regard to the Convention on Guardianship). Does
that mean that there was an intention to exclude altogether re-
course to ordrepublic unless in cases expressly authorized? It may
be doubted whether that was so. The authors of the Conventions
wished to avoid the complications of a general and express author-
ization, ofa generalblank cheque,with regard to a notion so elastic
and so comprehensive as ordrepublic.It is natural that they did not
wish to inject into the Conventions, in express terms, a potential
source of controversy or abuse. But does that mean that, by mere

silence, the authors of the Conventions excludedindirectly from the
operation of the Convention a firmly-established pnnciple of private ce genre, en énumérant de façon limitative les raisons pour les-
quelles la lex fori pouvait ignorer les empêchements au mariage
reconnus par la loi étrangère.(Il est pourtant significatif qu'en dépit
de la Convention,presque toutes lesparties ont refusédereconnaître,
avant la deuxième guerre mondiale, les empêchementsinstitués par
les lois allemandes de Nuremberg. Bien que les tribunaux néerlan-
dais aient appliqué la Convention à cet égard, ils ont souvent
trouvé des moyens détournés pour faire échecaux lois de Nurem-

berg en question.)
Néanmoins, en dehors d'une prohibition expresse ou clairement
implicite, le principe correct semble êtreque la Convention n'exclut
pas le recours à l'ordre public. Il ne faut rien moins qu'une prohi-
bition expresse pour interdire d'invoquer un principe de droit
international privé fermement établi. Telle me paraît être l'opinion
presque unanime des auteurs. Parmi eux, on compte des autorités
de l'envergure des professeurs Batiffol et Niboyet. Telle est égale-
ment l'opinion formelle d'un auteur qui a examiné avec un soin
particulier les questions de droit international privé en matière de
traité (Plaisant, Les règlesde conflit delois dans les traités,1946,
pp. 91-94). Le professeur Lewald, un auteur modéréet de grande
autorité, à l'opinion de qui j'attache du prix, ne fait pas nettement
exception à cette quasi-unanimité. En 1928, écrivant dans la
Revue de droit internationalprivé(pp. 164 et suiv.), il a, non sans de
très graves hésitations, déclaréqu'a priori, sile traité est muet sur
la question de l'ordre public, ce dernier ne peut êtreinvoqué. En
1930, écrivant pour le Répertoirededroitinternational(vol. 7,p. 308),

il a expriméun avis différent, à savoir qu'en pareils cas, la réponse
à la question dépend de l'interprétation du traité envisagéet qu'il
est impossible de répondre a priori. Il existe peu de jurisprudence
directement applicable à la matière.

A ce propos, on peut également se référeraux travaux prépara-
toires de la Convention de 1902. L'étude destravaux préparatoires
s'y rapportant montre l'existence d'une opposition, et d'une
opposition efficace,à l'incorporation dans la Convention de La Haye
de toute clause généralepermettant d'invoquer l'ordre public (bien
qu'aucune discussion sur la question n'ait eu lieu à propos de la
Convention sur la tutelle). Cela veut-il dire qu'on a eu l'intention
d'exclure entièrement le recours à l'ordre public, sauf dans les cas
expressément autorisés? On peut en douter. Les auteurs des
Conventions ont voulu éviter les complications d'une autorisation

généraleet expresse,d'un blanc- seing généralen faveur d'une notion
aussi élastique et étendue que l'ordre public. Il est naturel qu'ils
n'aient pas voulu introduire dans les conventions, en termes exprès,
une source possible de controverses ou d'abus. Mais cela signifie-t-il
que, par leur seul silence, les auteurs de la Convention ont exclu
indirectement du jeu de la Convention l'un des principes du droitinternational law? That is not probable. It is doubtful whether
Governments would have signed and ratified these Conventions if
they had expressly denied the right to invoke, in any circumstances,
their ordre public as a reason for excluding foreign law.

There is one factor of importance which is directly relevant to
the question whether ordre public can be invoked by the Parties
in the present case in relation to the Convention of 1902. That
factor is that in this respect the Court is confronted with a sub-
stantial measure of agreement between the Parties. The Dutch
Government has repeatedly, although in a highly qualified manner,
given an affirmative answer to that question-subject to the obli-
gation of the parties to the Convention to proceed with particular
caution, with special restraint and with exacting meticulousness in
limiting the operation of the treaty by reference to ordre public.
That attitude was maintained in Conclusion II of the Nether-
lands, in which the denial of the right to invoke ordre public is
qualified by the word "generally" and, even more so, in Conclu-
sion III, A and B, which asserts the power of the Court to deter-
mine whether the conditions of ordre public have been complied

with, having regard to the character of the case and the provi-
sions of the Swedish Law on Protective Upbringing-a conclusion
which can be understood only on the assumption that there was no
intention to deny, in pnnciple, the right to invoke ordre public.
This-the agreement of the parties on a matter of basic principle-
is a significant legal aspect of the situation; it makes it difficult to
maintain that public order cannot be invoked unless specifically
provided for in the Convention.
Admittedly, the Dutch Government denies that in the +resent
case there is room for resort to ordre public. It does so for two
reasons: The first is that the obligation of caution and restraint
binds the Parties not to invoke it unless there is a requisite element
of close territorial connection, and that there is no such connection
in the present case. It is difficult to follow that contention. It is not
easy to imagine a closer connection between the minor in question

and the country which relies on ordre public. Elisabeth Boll was
born in Sweden; so far as is known, she speaks Swedish only; she
has resided permanently in Sweden since her birth. 1 do not find
convincing the argument that, according to Dutch law, Elisabeth
Boll shares the legal Dutch domicile of her Dutch guardian or that,
if she is not domiciled in Holland, it is only because the Swedish
measure of protective upbringing, said to be in violation of the
Convention, prevents her from being brought to Holland. The
question of domicile, which is a question of fact and intention, is
not properly answered by arguments of this nature.international les plus fermement établis? Cela n'est pas probable.
Il est douteux que les Gouvernements eussent signéet ratifié ces
Conventionssi elles avaient expressément refuséle droit d'invoquer,

en toutes circonstances, leur ordre public comme motif d'exclure la
loi étrangère. *

Il est un facteur important, qui se rapporte directement à la
question de savoir si les Parties en cause peuvent invoquer l'ordre
public à propos de la Convention de 1902. Ce facteur est que, sur
ce point, la Cour se trouve en face d'un accord assez complet entre
les Parties. Le Gouvernement néerlandais, à plusieurs reprises, et
bien qu'avec d'importantes restrictions, a répondu affirmativement
à cette question - sous réserve de l'obligation pour les Parties à

la Convention de procéder, quand elles limitent l'application du
traité par l'exception d'ordre public, avec une prudence, une réserve
particulières et avec un soin méticuleux. Cette attitude a étémain-
tenue dans la conclusion II des Pays-Bas où la dénégationdu droit
d'invoquer l'ordre public est limitée par les mots (d'une manière
générale )et, plus encore, dans la conclusion III, A et B, qui affirme
le pouvoir de la Cour d'apprécier siles conditions de l'ordre public
ont étérespectées, eu égard au caractère de l'espèce et aux dispo-
sitions de la loi suédoise sur l'éducation protectrice - conclusion
qui ne peut se comprendre qu'en admettant qu'il n'y avait pas
d'intention de refuser en principe le droit d'invoquer l'ordre public.

Cet accord des Parties sur une question de principe fondamentale
constitue un aspect juridique significatif de la situation; il rend
difficile de soutenir qu'on ne peut invoquer l'ordre public, à moins
qu'il n'ait étéexpressément prévu dans la Convention.

Sans doute, le Gouvernement néerlandais conteste que, dans la
présenteagaire, il y ait possibilité de recourir à l'ordre public. Il
le fait pour deux raisons: La première est que la prudence et la
réserve nécessaires obligent les Parties à n'invoquer l'ordre public
que s'il existe l'élément requis de rattachement territorial étroit,
et que ce lien n'existe pas dans le cas actuel. Il est difficile de suivre

cette thèse. On peut difficilement imaginer un rapport plus étroit
entre le mineur en question et le pays qui invoque l'ordre public.
Elisabeth Boll est néeen Suède; pour autant qu'on le sache, elle
ne parle que le suédois; depuis sa naissance, elle a constamment
résidé enSuède. Je ne trouve pas que l'argument d'après lequel
Elisabeth Boll, aux yeux du droit néerlandais, partage le domicile
légal néerlandais de sa tutrice néerlandaise soit convaincant,
ni que, si elle n'est pas domiciliéeaux Pays-Bas, c'est uniquement
parce que l'éducation protectrice suédoise,prétendument contraire
à la Convention, l'empêche d'êtreamenée aux Pays-Bas. La ques-

tion de domicile, qui est une question de fait et d'intention, ne
saurait être légitimement résolue par des arguments de ce genre.
46 Neither is it easy to follow the second reason advanced by the
Dutch Government in the sense that the necessary territorial con-
nection is lacking, seeing that this is a "transfer case", namely,
that if only the transfer of the child to Holland were made possible,
in accordance with the Convention, then there would be no ques-

tion of anything happening on Swedish territory which is contrary
to Swedish ordre public. There is no more force in this argument
than in the suggestion that a State has no reason to refuse to hand
over a political refugee to prosecution and persecution in a foreign
country considering that such prosecution and persecution will take
place in foreign territory. Yet it is apparent that in cases such as
these the very fact of intended transfer is decisive for the purpose
of relying upon ordre fiublic seeing that the transfer is deemed
contrary to the fundamental notions of public law of that State
and that it may be productive of a revulsion of public opinion as
being flagrantly offensive to national conceptions of decency.
Public opinion is not easily reconciled to the view that the moral
and social responsibility of the State has been discharged by the
simple device of removing to a foreign country the object of possible
persecution and suffering. This would be too easy a means of salv-
ing the conscience. When, therefore, it is argued that a "removal
case" is not sufficiently connected with the country of the forum

to warrant the application of ordre public, the correct answer is
probably that there are very few occasions in which the connection
is more obvious.
These, then, are the two main grounds-the two only grounds-
which the Netherlands have adduced against the application of
ordrepublic inthis case :the absence of connection and the character
of a "removal case". Neither ofthesegrounds seemsto be acceptable.
If they are not acceptable, then there are no grounds which, on the
Dutch submission, prevent reliance upon ordrepublic.

There must now be considered the question of the extent to
which the Court is called upon to examine the issue of the pro-
priety of the appeal to and of the manner of application of ordre
public in the present case. It is upon the answer to a question of
this kind that theremust, to a substantial degree,depend the posi-
tion of ordre public in the development of this branch of the law.
Both Parties are in agreement that the Court is competent to

decide whether the Swedish Law on Protective Upbringing cornes
within the sphere of ordrepublic and whether it has been properly
invoked for that purpose. In particular, the Government of Sweden
does not deny that the Court is competent to determine whether in
principle the Swedish Law on Protective Upbringing belongs to the
category of ordre public. In its Conclusions it asked the' Court to Il est également difficile d'admettre la deuxième raison invoquée
par le Gouvernement néerlandais d'après laquelle le rattachement
territorial nécessairefait défaut, attendu qu'il s'agit d'une «affaire

de transfert ))à savoir que si le transfert de l'enfant aux Pays-Bas
était seulement ~ossible. conformément à la Convention. rien ne
pourrait plus se produire en territoire suédois qui soit contraire à
l'ordre public suédois. Cet argument n'a pas plus de valeur que
celui qui prétendrait qu'un État n'a pas de motif de refuser de
livrer un réfugiépolitique aux poursuites et à la persécution d'un
pays étranger en considération du fait que ces poursuites et cette
persécution se produiront sur un territoire étranger. Et pourtant,
il est évident au'en arei ilscas le fait mêmedu transfert envisagéest
V
décisifau poiit de bue du recours à l'ordre public, attendu que le
transfert est considéré-contraire aux conceptions fondamentales
du droit public de cet Etat, et qu'il risque de produire une révolte
de l'opinion publique, comme étant en contradiction flagrante
avec les idées nationales sur le respect humain. Il n'est pas facile
de faire admettre à l'o~inion publique l'idéeque la responsabilité
morale et sociale de 1'Etat est dégagéepar le simple artifice du
déplacement dans un pays étranger de l'objet de persécutions et
de souffrances éventuelles. Ce serait un moyen trop facile d'apaiser

les consciences. Par conséquent, lorsqu'on soutient qu'une «affaire
de transfert )n'est pas suffisamment rattachée au pays du for pour
justifier l'application de l'ordre public, la vraie réponse estprobable-
ment qu'il est peu d'exemples où le rattachement soit plus évident.
Tels sont donc les deux motifs principaux - les deux seuls motifs
- que les Pays-Bas aient invoqués contre l'application de l'ordre
~ublic en cette affaire: l'absence de rattachement et le caractère
d'une « affaire de transfert ».Aucun de ces motifs ne paraît accep-
table. S'ilsne sont pas acceptables, alors il n'existe pas de motif qui,

d'après les conclusions néerlandaises, empêche d'invoquer l'ordre
public.

Il faut envisager maintenant la question de la mesure dans la-
quelle la Cour est invitée à examiner la question de la légitimitédu
recours à l'ordre public et de la manière dont il a étéappliqué dans
la présente affaire. C'est dela réponse à une question de cegenre que
doit dépendre, dans une large mesure, la position de l'ordre public

dans le développement de cette branche du droit.
Les deux Parties reconnaissent que la Cour a compétence pour
déterminer si la loi suédoisesur l'éducation protectrice rentre dans
ledomaine de l'ordre public et si on l'a invoqué légitimement à cette
fin. En particulier, le Gouvernement suédois ne conteste pas que
la Cour soit compétente pour déterminer si, en principe, la loi
suédoise sur l'éducation protectrice relève de la catégorie de l'ordre
public. Dans sesconclusions, ila priéla Courde direque la Conventionhold that the Convention of 1902 does not affect the right of the
Parties to impose upon foreign guardians the restrictions called for
by their public order. The agreement of the Parties on this question
removes to a large extent the ground from the cnticism directed at
reliance on public order by reference to its disintegrating effect as
opening wide the floodgates of wholesale nullification of this and
similar Conventions by the simple means of asserting unilaterally

that a particular law under which the measure was taken is in the
domain of ordre public. For both Parties agree that it is for the
Court, and not for them, to decide that issue.

At the same time, the Parties are not in agreement on the ques-
tion whether the Court is entitled to examine the grounds on
which, by reference to the Law on Protective Upbringing, the
Swedish authorities decided to decree and to maintain the measure
which they had taken. Sweden denied such competence in her
Conclusions and in the course of the written and oral proceedings.
On the other hand, the Government of the Netherlands repeatedly
asserted the competence of the Court in that respect. This it did
both in the Conclusions and by way of a forma1 intervention in the
course of the oral proceedings. The Agent for the Netherlands
insisted that the Court was competent to examine "every fact,
every circumstance, every motive" pertaining to the application
of the Swedish law and that this being a case of a treaty obligation

no reliance on a charge of denial of justice was necessary for that
purpose.
1 accept the Dutch Conclusion III A, according to which the
Court is competent to appreciate, in the light of the relevant facts
and circumstances, whether the conditions of ordre public have
been complied with. The Court is competent to decide not only
whether the Law on Protective Upbringing falls within the notion
of ordrePz~bLicb,ut also whether it has been applied reasonably and
so as not to defeat the trueobjects of the Convention. 1 am unable
to accept the Swedish view that the Court, not being a court of
appeal, is not entitled to examine that aspect of the question.
Suppose the Swedish authorities had decided to apply the Law of
Protective Upbringing to a child of Dutch nationality, born in
Holland and speaking Dutch only, and who had been resident in
Sweden only for one month. Would this Court be precluded from
taking these facts into consideration? Recourse to ordre fmblic,
especially if not expressly authorized by the Convention, is in the

nature of an exception. It is a permissible exception. But it is an
exception which must be justified with some particularity. If a
State takes action which, on the face of it, departs from the lan-
guage of the Convention, then it cannot confine itself to proving
generally that the Law under which it acted falls within the per-
missible exception; it must show that that exception was applied
reasonably and in good faith.
48de 1902 n'affecte pas le droit des Parties d'imposer aux pouvoirs des
tuteurs étrangers les limitations réclaméespar leur ordre public.
L'accord des Parties sur cette question enlève, dans une large
mesure, toute base au reproche qu'on a fait au recours à l'ordre
public, en raison de son effet désintégrant, parce qu'il ouvre large-
ment la voie à l'annulation totale de cette Convention et d'autres

semblables par le simple procédéconsistant à déclarer unilatérale-
ment qu'une loi donnée, en vertu de laquelle la mesure a étéprise,
relève du domaine de l'ordre public. En effet, les deux Parties
reconnaissent que c'est à la Cour, et non pas àelles, qu'il appartient
de trancher ce point.
En mêmetemps, les Parties sont en désaccord sur le point de
savoir si la Cour est fondée à examiner les motifs en vertu desquels
les autorités suédoisesont, se référantà la loi sur l'éducation pro-
tectrice, décidéd'instituer et de maintenir la mesure qu'elles ont
prise. La Suèdelui a contesté cette compétence dans ses conclusions
et dans ses écritures et ses plaidoiries. D'autre part, le Gouverne-
ment des Pays-Bas a répétéque la Cour était compétente à cet
égard. C'est ce qu'il afait à la fois dans ses conclusions et dans une

intervention formelie au cours de la procédure orale. L'agent des
Pays-Bas a insisté sur la compétence de la Cour pour examiner
((chaque fait, chaque circonstance, chaque motif » touchant à
l'application de la loi suédoise et pour dire que, s'agissant d'une
affaire touchant à une obligation résultant d'un traité, il n'était
pas nécessaire d'invoquer à cette fin une accusation de déni de
justice.
J'accepte la conclusion néerlandaise III A, d'après laquelle la
Cour est compétente pour apprécier, à la lumière des circonstances
et des-faits pertinents, si les conditions de l'ordre public ont étéres-
pectées. La Cour est compétente pour dire non seulement si la
loi sur l'éducation protectrice relève de la notion d'ordre public,
mais encore si cette loi a étéappliquée d'une manière raisonnable

et non contraire aux véritables objectifs de la Convention. Je ne
saurais accepter la thèse suédoise d'après laquelle, n'étant pas
une Cour d'appel, elle n'a pas qualité pour examiner cet aspect de
la question. Supposons que les autorités suédoises aient décidé
d'appliquer la loi sur l'éducation protectriceun enfant de nationa-
lité néerlandaise, né en Hollande, ne parlant que le néerlandais et
n'ayant résidéqu'un mois en Suède. Serait-il interdit à la Cour de
prendre ces faits en considération? Le recours à l'ordre public, sur-
tout s'il n'est pas expressément autorisé par la Convention, présente
le caractère d'une exception. C'est une exception permise. Mais
<est une exception qui doit êtrejustifiéeavec quelque détail. Si un

Etat prend une mesure qui s'écarte, à première vue, des termes de la
Convention, il ne saurait alors se borner à prouver d'une manière
générale que laloi en vertu de laquelle il a agi relève de l'exception
permise: il doit prouver que cette exception a étéappliquée d'une
manière raisonnable et de bonne foi.
48 When there is no treaty binding upon a State, it has very consi-
derable-although not unlimited-discretion in applying its system
of private international law in relation to ordre public. But when
that State is bound by a treaty in relation to a particular subject-
matter, it can invoke public order only if, in case its action is
challenged, it is prepared to submit the legality of its action to
impartial decision. It is that jurisdiction which removes the notion
of and recourse to ordrepublic from the orbit of uncertainty, pure
discretion and arbitrariness and which endows the treaty with the
character of an effective legal obligation. It is that subjection to
judicial or arbitral determination, as the very condition of legiti-
mate reliance on ordrepublic in cases not expressly provided by the

treaty, which saves ordre9ublic in such cases from the reproach of
being a cover for a unilateral repudiation of the treaty and which
gives it the character of an attempt to secure a just and reasonable
interpretation of treaty obligations. The present case provided an
opportunity for asserting and giving effect to that principle. The
task of such factual examination may be difficult, and, occasionally.
invidious. Nevertheless, it constitutes a proper exercise of the judi-
cial function in relation to a dispute which is one'both as to the
law and fact in the meaning of Article 36 of the Statute of the
Court.
In the present case the Parties have not laid before the Court
the facts which would enable it to decide with any assurance on
this aspect of the question. The Government of Sweden did not act
upon the offer, formally made by it in the final Submissions in the
Counter-Memorial and repeated during the oral proceedings, to lay

before the Court the relevant documents. It is true that it was open
to the Court, at any stage of the proceedings, to ask for their
production. In particular, Article 49 of the Statute provides that
"the Court may, even before the hearing begins, cal1 upon the
agents to produce any document or to supply any explanation".
However, it is not necessary in this connection to consider the pro-
blem of the function of the Court, under that and other Articles
of the Statute and the Rules, as an agency called upon to clarify
and substantiate the basis of its decisions by activeinitiative in the
elucidation of the relevant factors both before and during the oral
proceedings. For there was no reason why the Government of
Sweden should not have supplied the necessary information of its
own accord, in the event that the Court should find that it could
properly examine it. A State invoking an exception cannot be too
forthcoming in producing evidence in justification of it. It ought not

to limit itself to vague-and, from the point of view ofordinaryrules
of evidence, probably inadmissible-allusions as to the possible
contents of the evidence which, by its own decision, it has failed to
produce. At the same time, in the exercise of its jurisdiction of
review, a legal tribunal must attach importance to the appreciation
of the facts by local authorities-of the authorities of the State
49 Lorsqu'un État n'est pas tenu par un traité, il possèdeun pouvoir
discrétionnaire considérable - bien que non illimité - dans
l'application de son système de droit international privé à propos
de l'ordre public. Mais quand cet Etat est liépar un traité sur un

sujet particulier, il ne peut invoquer l'ordre public que s'il est prêt
à soumettre à une décisionimpartiale la légalité des mesuresqu'il
a prises et qui sont contestées. C'est cette juridiction qui fait
échapper la notion d'ordre public et le recours à l'ordre public au
domaine de l'incertitude, de la discrétion pure et simple et de l'ar-
bitraire et qui confère au traité le caractère d'une obligation légale
positive. C'est cette soumissionà la décisionarbitraire ou judiciaire,
comme condition mêmedu recours légitime à l'ordre public dans
les cas qui n'ont pas été expressément prévus au traité, qui en
pareil cas exonère l'ordre public du reproche d'êtreun travesti de

la répudiation unilatérale du traité et qui lui donne le caractère
d'un effort d'assurer l'interprétation juste et raisonnable des obli-
gations conventionnelles. Le cas actuel a fourni l'occasion d'affirmer
ce principe et de lui donner effet. Un tel examen des faits peut
Gtre une tâche difficile età l'occasion, déplaisante. Néanmoins, elle
constitue l'exercice légitimedes fonctions judiciaires à propos d'un
différend de droit et de fait au sens de l'article 36 du Statut de
la Cour.
Dans le cas actuel, les Parties n'ont pas soumis à la Cour les faits
pouvant lui permettre de statuer avec certitude sur cet aspect de
la question. Le Gouvernement suédois n'apas donnésuite à l'offre,

qu'il avait formellement énoncée dans les conclusions finales du
contre-mémoire et qu'il a répétéependant la procédure orale, de
soumettre à la Cour les documents pertinents. Il est vrai qu'il
était loisibleà la Cour, àn'importe quel stade de la procédure, de
réclamer cette production. En particulier, l'article 49 du Statut
dispose que ((la Cour peut, mêmeavant tout débat, demander aux
agents deproduire tout document et de fournir toutes explications ».
Mais il n'est pas nécessaireà ce propos d'examiner les problèmes de
la fonction qui est dévolue à la Cour aux termes de cet article et
d'autres articles du Statut et du Règlement, en tant .qu'instance

appelée à éclaireret à justifier le fondement de ses décisionsen pre-
nant activement l'initiative d'élucider les facteurspertinents,avant
et pendant la procédure orale, car il n'y avait aucune raison pour
que le Gouvernement suédoisne présentât point cette documenta-
tion de son propre gré, pour le cas ,oùla Cour aurait jugé qu'elle
pouvait légitimement l'examiner. L'Etat qui invoque une exception
ne saurait se montrer trop diligent à produire les preuves à l'appui.
Il ne doit pas se borner à des allusions vagues - et probablement
inadmissibles, du point de vue des règlesordinaires de procédure -,
au contenu éventuel des preuves qu'il s'est, de son propre gré,
abstenu de produire. En même temps, dans l'exercice de son

pouvoir d'examen, une instance judiciaire doit attacher de l'im-
portance à l'appréciation des faits par les autorités locale- c'est-
49where the child was born and is domiciled. Their decision must not
be lightly disturbed. This is so in particular if the applicantov-
ernment, while inviting the Court to decide upon the factual
aspects of the-issue and the motives underlying the decision of the
local authorities,has failed to bring to its notice any facts suggesting
that the discretion of the Swedish authorities has not been exer-
cised properly and in good faith. In allthe circumstances, on such
evidence as there is, 1 am bound to assume that the action of the
Swedish authorities was not such as to constitute a misapplication
of the Law on Protective Upbringing on which they were clearly
entitled to rely as part of theirrdre public.

The above considerations explain why, subject to differences of
approach and reasoning, 1 concur in the operative part of the
Judgment rejecting the demand of the Government of the Nether-
lands.

(Signed) Hersch LAUTERPACHT. CONV. DE 1902 (OP. IND.SIR HERSCH LAUTERPACHT) 101

à-dire par les autorités de l'État où l'enfant est néeet où elle a son
domicile. Leur décisionne doit pas êtreinfirmée à la légère.Il en
est ainsi en particulier si le Gouvernement demandeur, tout en
invitant la Cour à se prononcer sur les circonstances de fait de
l'affaire et sur les motifs la base de la décision des autorités

locales, s'est abstenu de porterà sa connaissance aucun fait de
nature à suggérer que le pouvoir discrétionnaire des autorités
suédoises n'a pas étéexercé légitimement et de bonne foi. Dans
ces conditions, sur la base des preuves dont nous disposons, je
suis forcé d'admettre que les mesures prises par les autorités
suédoisesn'étaient pas de nature à constituer une application erro-
née de la loi sur l'éducation protectrice, qu'elles ont clairement le
droit d'invoquer comme partie de leur ordre public.

Les conclusions qui précèdent expliquent les raisons pour les-
quelles, sous réserve de différences dans la manière d'aborder la
question et le raisonnement, je suis d'accord avec le dispositif de
l'arrêt quirejette la demande du Gouvernement des Pays-Bas.

(Signé H)ersch LAUTERPACHT.

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Opinion individuelle de Sir Hersch Lauterpacht (traduction)

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