Opinion individuelle de M. Spiropoulos

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015-19520701-JUD-01-02-EN
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015-19520701-JUD-01-00-EN
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OPINION INDIVIDUELLE DE M. SPIROPOULOS

Bien qu'appartenant à la majorité, je ne saurais, à mon plus vif
regret, être d'accord avec celle-ci sur tous les points discutés et
tranchés par l'arrêt.Je me bornerai, dans ce qui suit, à exposer sur
quels points je m'écarte de la rédaction donnée à la conclusion
no 2, conclusion par laquelle la Cour établit sa compétencede juger
au fond.
La rédaction de la conclusion no 2 de l'arrêtsemble imposer à la
Partie demanderesse le devoir d'établir que la réclamation Amba-
tielos((est fondéesur une disposition du traité de 1886 ».

Je me sépare de l'avis de la majorité pour les raisons suivantes.
La déclaration annexée au traité de 1926 prévoit que les diver-
gences entre les Parties intéressées,quant à la validité de réclama-
tions fondées sur les dispositions du traité de 1886, doivent être
soumises à l'arbitrage prévu par le protocole de 1886.
Or, ce protocole établit pour les Parties intéressées, encas de
divergences entre elles, l'obligation de désignerleurs arbitres en vue
de constituer la commission arbitrale du protocole de 1886. 11s'agit
ici d'un cas d'arbitrage obligatoire.

Si le Royaume-Uni avait désigné son arbitre, ainsi que l'a

demandé le Gouvernement hellénique, ce serait la commission
d'arbitrage qui devrait juger sur la validité de la réclamation
Ambatielos. Et cette commission n'aurait pu considérer la récla-
mation Ambatielos comme valide que sous condition que celle-ci
fût, en effet, fondéesur le traité de 1886.
Or, en matière d'arbitrage, il est aujourd'hui acquis que si l'une
des. parties estime que, pour une raison quelconque, le tribunal
arbitral n'aurait pas de compétence pour se prononcer sur un
différend, cette dernière question ne saurait jamais êtretranchée,
souverainement, par la partie soulevant l'exception d'incompétence,
mais bien par le tribunal arbitral lui-même.Le juge de l'action est

aussi juge de l'exception. C'est un point sur lequel, aujourd'hui,
personne ne saurait plus exprimer de doutes.

Appliquant maintenant le principe susmentionné au présent cas,
il s'ensuit que, si le Gouvernement du Royaume-Uni avait accepté
le recours à l'arbitrage proposé par le Gouvernement hellénique,
c'eût été à la commission arbitrale du protocole de 1886 de décider
si la réclamation Ambatielos est, oui ou non, fondéesur des disposi-
tions du traité de 1886.

3456 OPINION INDIVIDUELLE DE M. SPIROPOULOS
Du point de vue de cette constatation, la Cour ne saurait deman-
der au Gouvernement hellénique d'établir que la réclamation
Ambatielos « est fondée sur une disposition du traité de 1886 »,

étant donné que l'obligation du Royaume-Gni d'accepter l'arbitrage
est indépendante de la question de savoir si cette réclamation est,
en effet, fondée sur le traité de 1886. Cette obligation existe même
si la réclamation n'&tait pas, en effet, fondée sur le traité en ques-
tion. Autre chose est - nous l'avons déjàdit - que la commission
arbitrale n'aurait pu reconnaître la réclamation Ambatielos comme
valable que dansla mesure où celle-ci aurait pu être,en fait, fondée
sur le traité de 1886. Et c'est pour avoir une décision sur l'obliga-
tion du Royaume-Uni d'accepter l'arbitrage que le Gouvernement
hellénique a saisi la Cour (voir requêtehellénique ainsi que conclu-
sions subséquentes).

D'autre part, du moment que la Cour n'est, ce moment-ci, appelée
qu'à décider sur l'exception d'incompétence soulevée par le
Royaume-Cni, elle ne saurait, pour des motifs de procédure, se
prononcer d'ores et déjà sur le bien-fondé de la demande hellénique
tendant à ce quela Cour dise que le Royaume-Uni est obligéd'accep-
ter l'arbitrage, décision qui relèverait forcément du fond. En
effet, au point de vue de la procédure, la Cour ne saurait se pro-
noncer sur le fond de la demande hellénique susmentionnée qu'après
s'êtrepréalablement déclaréecompétente à cet effet.
Cependant, étant donné que, d'après notre avis, il n'appartient
pas à la Cour d'examiner si la réclamation Ambatielos «est fondée
sur les dispositions du traité de 1886 11on peut se demander si, en

statuant sur le fond de la demande hellknique susmentionnée (c'est-
à-dire sur la question de savoir si leoyaume-IJni est obligéd'accep-
ter l'arbitrage), la Cour doit se borner, après avoir entendu les
Parties, à renvoyer les Parties à l'arbitrage du protocole de 1886
sans pouvoir procéder à un autre examen quelconque.
Pour r6pondru à cette question, on doit prendre en considération
que, lorsqu'un Etat s'est liépar une clause d'arbitrage obligatoire
- et le protocole de 1886 en est un exemple -, il n'existe pour
cet Etat, en principe, aucun moyen de décliner une offre de recourir
à l'arbitrage. Ce n'est que dans le cas tout à fait exceptionnel où
l'invitation de recourirà l*arbitrage constituerait un abus manifeste
de 1'Etat requérant que le recours à l'arbitrage ne serait pas obliga-

toire. Pareil abus existerait, par exemple, si, saris l'existence d'un
différend réel, l'une des parties demandait la constitution du
tribunal arbitral.En effet, en pareil cas, on est obligéde reconnaître
à la partie adverse le droit de refuser la désignation de son arbitre.
Pareille hypothèse, si alléguée,pourrait naturellement faire l'objet
d'un examen de la part de la Cour lorsque celle-ci se prononcera
sur le bien-fondé de la demande du Gouvernement hellénique en
question.57 OPINION INDIVIDUELLE DE M. SPIROPOULOS

Pour conclure, nous sommes d'avis que la Cour aurait pu se
borner à se déclarer compétente sur la question de savoir si le
Royaume-Uni est tenu de soumettre à l'arbitrage, conformé-
ment àla déclaration de 1926, le différend relaàila validité de la
réclamation Ambatielos, sans y ajouter les mots(en tant que cette
réclamation est fondéesur le traité d1886 »,étant donnéque cette
phrase semble imposer au demandeur le devoir d'établir que la
réclamation en question est, en effet, fondéesur une disposition du
traité de 1886.

(Signé S)PIROPOULOS.

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OPINION INDIVIDUELLE DE M. SPIROPOULOS

Bien qu'appartenant à la majorité, je ne saurais, à mon plus vif
regret, être d'accord avec celle-ci sur tous les points discutés et
tranchés par l'arrêt.Je me bornerai, dans ce qui suit, à exposer sur
quels points je m'écarte de la rédaction donnée à la conclusion
no 2, conclusion par laquelle la Cour établit sa compétencede juger
au fond.
La rédaction de la conclusion no 2 de l'arrêtsemble imposer à la
Partie demanderesse le devoir d'établir que la réclamation Amba-
tielos((est fondéesur une disposition du traité de 1886 ».

Je me sépare de l'avis de la majorité pour les raisons suivantes.
La déclaration annexée au traité de 1926 prévoit que les diver-
gences entre les Parties intéressées,quant à la validité de réclama-
tions fondées sur les dispositions du traité de 1886, doivent être
soumises à l'arbitrage prévu par le protocole de 1886.
Or, ce protocole établit pour les Parties intéressées, encas de
divergences entre elles, l'obligation de désignerleurs arbitres en vue
de constituer la commission arbitrale du protocole de 1886. 11s'agit
ici d'un cas d'arbitrage obligatoire.

Si le Royaume-Uni avait désigné son arbitre, ainsi que l'a

demandé le Gouvernement hellénique, ce serait la commission
d'arbitrage qui devrait juger sur la validité de la réclamation
Ambatielos. Et cette commission n'aurait pu considérer la récla-
mation Ambatielos comme valide que sous condition que celle-ci
fût, en effet, fondéesur le traité de 1886.
Or, en matière d'arbitrage, il est aujourd'hui acquis que si l'une
des. parties estime que, pour une raison quelconque, le tribunal
arbitral n'aurait pas de compétence pour se prononcer sur un
différend, cette dernière question ne saurait jamais êtretranchée,
souverainement, par la partie soulevant l'exception d'incompétence,
mais bien par le tribunal arbitral lui-même.Le juge de l'action est

aussi juge de l'exception. C'est un point sur lequel, aujourd'hui,
personne ne saurait plus exprimer de doutes.

Appliquant maintenant le principe susmentionné au présent cas,
il s'ensuit que, si le Gouvernement du Royaume-Uni avait accepté
le recours à l'arbitrage proposé par le Gouvernement hellénique,
c'eût été à la commission arbitrale du protocole de 1886 de décider
si la réclamation Ambatielos est, oui ou non, fondéesur des disposi-
tions du traité de 1886.

34 INDIVIDUAL OPINION OF M. SPIROPOULOS
[Translation]
Though 1 am oiie of the majority, 1 am unable, to my great

regret, to agree with it on allthe points considered in and settled
by the Judgment. I will confine myself, in what follows, to stating
the points on whic;h 1 disagree with the wording of paragraph 2
of the operative part thereof, in which the Court establishes its
jurisdiction to adjiudicate on the merits.
The drafting of paragraph 2 of the operative part .would seem
to impose upon the applicant State the duty of establishing that
the Ambatielos cla.im "is based on a provision of the Treaty of
1886".
1 differ from the view of the majority for the following reasons :
The Declaration annexed to the Treaty of 1926 provides that
differences between. the Parties, as to the validity of claims based
on the provisions of the Treaty of 1886, must be referred to arbi-
tration as providetl for by the Protocol of 1886.
This Protocol creates for the Parties concerned, in the event of
differences betweeri them, an obligation to nominate their arbi-
trators for the purpose of setting up a Commission of Arbitration

as provided for by t.he Protocol of 1886.This is a case of compulsory
arbitration.
If the UnitedKingdom had nominated an Arbitrator, as requested
by the Hellenic Government, it would be for the Commission of
Arbitration to decide as to the validity of the Ambatielos claim.
And this Commissi~onwould be unable to consider the Ambatielos
claim as valid un le!;^,in fact, it were based on the Treaty of 1886.

But, in question:j of arbitration, it is at the present time weil
recognized that if oineof the parties should, for any reason, consider
that the arbitral tribunallacks jurisdiction to deal with the dispute,
the question whether it in fact has jurisdiction is one that cannot
be decided, as an exercise of sovereignty, by the party raising
the objection to the jurisdiction, but it must be decided by the
arbitral tribunal i1:self. The tribunal which adjudicates on the
case must also adj~udicate on the objection. This is a point on

which, at the prestont time, no one can have any doubt.
If this principle is applied to the present case, it must follow
that, if the Unitedl Kingdom Govemment had accepted recourse
to arbitration as pi-oposed by the Hellenic Government, it would
have been for the Commission of Arbitration instituted under the
Protocol of 1886 to decide whether the Ambatielos claim \vas, or
was not, based on the provisions of the Treaty of 1886.
3456 OPINION INDIVIDUELLE DE M. SPIROPOULOS
Du point de vue de cette constatation, la Cour ne saurait deman-
der au Gouvernement hellénique d'établir que la réclamation
Ambatielos « est fondée sur une disposition du traité de 1886 »,

étant donné que l'obligation du Royaume-Gni d'accepter l'arbitrage
est indépendante de la question de savoir si cette réclamation est,
en effet, fondée sur le traité de 1886. Cette obligation existe même
si la réclamation n'&tait pas, en effet, fondée sur le traité en ques-
tion. Autre chose est - nous l'avons déjàdit - que la commission
arbitrale n'aurait pu reconnaître la réclamation Ambatielos comme
valable que dansla mesure où celle-ci aurait pu être,en fait, fondée
sur le traité de 1886. Et c'est pour avoir une décision sur l'obliga-
tion du Royaume-Uni d'accepter l'arbitrage que le Gouvernement
hellénique a saisi la Cour (voir requêtehellénique ainsi que conclu-
sions subséquentes).

D'autre part, du moment que la Cour n'est, ce moment-ci, appelée
qu'à décider sur l'exception d'incompétence soulevée par le
Royaume-Cni, elle ne saurait, pour des motifs de procédure, se
prononcer d'ores et déjà sur le bien-fondé de la demande hellénique
tendant à ce quela Cour dise que le Royaume-Uni est obligéd'accep-
ter l'arbitrage, décision qui relèverait forcément du fond. En
effet, au point de vue de la procédure, la Cour ne saurait se pro-
noncer sur le fond de la demande hellénique susmentionnée qu'après
s'êtrepréalablement déclaréecompétente à cet effet.
Cependant, étant donné que, d'après notre avis, il n'appartient
pas à la Cour d'examiner si la réclamation Ambatielos «est fondée
sur les dispositions du traité de 1886 11on peut se demander si, en

statuant sur le fond de la demande hellknique susmentionnée (c'est-
à-dire sur la question de savoir si leoyaume-IJni est obligéd'accep-
ter l'arbitrage), la Cour doit se borner, après avoir entendu les
Parties, à renvoyer les Parties à l'arbitrage du protocole de 1886
sans pouvoir procéder à un autre examen quelconque.
Pour r6pondru à cette question, on doit prendre en considération
que, lorsqu'un Etat s'est liépar une clause d'arbitrage obligatoire
- et le protocole de 1886 en est un exemple -, il n'existe pour
cet Etat, en principe, aucun moyen de décliner une offre de recourir
à l'arbitrage. Ce n'est que dans le cas tout à fait exceptionnel où
l'invitation de recourirà l*arbitrage constituerait un abus manifeste
de 1'Etat requérant que le recours à l'arbitrage ne serait pas obliga-

toire. Pareil abus existerait, par exemple, si, saris l'existence d'un
différend réel, l'une des parties demandait la constitution du
tribunal arbitral.En effet, en pareil cas, on est obligéde reconnaître
à la partie adverse le droit de refuser la désignation de son arbitre.
Pareille hypothèse, si alléguée,pourrait naturellement faire l'objet
d'un examen de la part de la Cour lorsque celle-ci se prononcera
sur le bien-fondé de la demande du Gouvernement hellénique en
question. 1NDIV:iDUAL OPINION OF M. SPIROPOULOS
56
In the light of these observations, the Court ought not to require
that the Heiienic Ciovernment should establish that the Ambatielos
claim "is based on a provisic,n of the Treaty of 1886", since
the obligation of the United Kingdom to accept arbitration is
independent of the question whether that claim is, in fact, based
on the Treaty of 1886. This obligation would exist even if the claim
were not, in fact, based on the Treaty in question. It is a different
thing that-as has already been said-the Commission of Arbitra-
tion would only have been able to recognize the Ambatielos claim

as valid to the extent that it was, in fact, based on the Treaty of
1886. And it uras to secure a decision on the United Kingdom's
obligation to accept arbitration that the Hellenic Government
seised the Court (see the Hellenic Application and subsequent
submissions).
Moreover, since the Court is at present called upon to decide
only the objection itothe jurisdiction raised by the United Kingdom.
it cannot, for procedural reasons, at the present time pass upon
the validity of the Hellenic claim that it should hold that the
United Kingdom .is under an obligation to accept arbitration, a
decision necessarily pertaining to the merits. From a procedural
point of view the Court cannot give a decision upon the substance
of the Greek claim until it has held that it has jurisdiction to do so.

Since, however, in my opinion, the Court is not called on to
enquire whether the Ambatielos claim "is based on the provisions

of the Treaty of 1886", it may be asked whether, in deciding on
the merits of this Hellenic claim (that is to Say, on the question
whether the United Kingdom is under an obligation to accept
arbitration), the Court should confine itself, after hearing the
Parties, to referring them to the arbitration provided for by the
Protocol of 1886, without being able to consider any other matter.
In answering this question it is necessary to bear in mind that,
when a State has bound itself by a compulsory arbitration clause-
and the Protocol of 1886 is an example of such a provision-that
State cannot, in principle, have any ground for refusing an offer
of recours<. to arbitration. It is only in quite exceptional cases,
where the invitation to resort to arbitration'is manifestly an abuse
on the part of the State requesting it, that recourse to arbitration
is not compulsory. An example of such abuse would be a case in
which one of the -parties demanded the setting-up of the arbitral
tribunal where no real dispute existed. In such a case it is indeed

necessary to admii: the othcr party's right to refuse to nominate
its arbitrator. Such an allegation, if made, could of course be
considered by the Court, when deciding upon the validity of the
claim of the Hellenic Government in this case.57 OPINION INDIVIDUELLE DE M. SPIROPOULOS

Pour conclure, nous sommes d'avis que la Cour aurait pu se
borner à se déclarer compétente sur la question de savoir si le
Royaume-Uni est tenu de soumettre à l'arbitrage, conformé-
ment àla déclaration de 1926, le différend relaàila validité de la
réclamation Ambatielos, sans y ajouter les mots(en tant que cette
réclamation est fondéesur le traité d1886 »,étant donnéque cette
phrase semble imposer au demandeur le devoir d'établir que la
réclamation en question est, en effet, fondéesur une disposition du
traité de 1886.

(Signé S)PIROPOULOS. INDIVIDUAL OPINION OF M. SPIROPOULOS 57

In conclusion, the Court, in my opinion, might well have limited
itself to a finding that it has jurisdiction to decide whether the
United Kingdom is under an obligation to submit to arbitration,
in accordance with the Declaration of 1926, the difference as to
the validity of the Ambatielos claim without adding the words
"in so far as this claim is based on the Treaty of 1886", since
those words woulcl appear to impose upon the applicant State the
duty of establishing that the claim in question is, in fact, based
on a provision of the Treaty of 1886.

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Opinion individuelle de M. Spiropoulos

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