Opinion dissidente de M. Fernandes

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032-19600412-JUD-01-12-EN
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OPINION DISSIDENTE DE M. FERNANDES

La Cour donne satisfaction en partie à la demande du Portugal.
Elle reconnaît que quand l'Inde a décidé des'opposer aux com-

munications entre les territoires portugais de Damao, de Dadra
et de Nagar-Aveli, le Portugal avait un droit de passage sur terri-
toire indien pour assurer ces communications dans la mesure
nécessaire à l'exercice de la souveraineté portugaise sur les enclaves
de Dadra et de Nagar-Aveli. Mais la Cour entend que ce droit
comprend seulement le transit des personnesprivées, des fonction-
naires civils et des marchandises en généralet non celui des forces
armées, de la police arméeet des armes et munitions. Je ne peux
pas êtred'accord avec cette différenciationqui me paraît artificielle
et non fondée, en fait comme en droit. Et par conséquent, je suis
aussi en désaccord avec la conclusion, à laquelle arrive l'arrêt,
que l'Inde n'a pas agi contrairement aux obligations que lui
imposait le droit du Portugal.

I.Je ferai quelques observations préliminaires.
A la base de la présente affaire est le fait essentielque le portkgal
est souverain des deux enclaves de Dadra et de Nagar-Aveli,
situées à l'intérieur du territoire de l'Inde. L'arrêt repose sur ce
fait essentiel et il constate: que l'autorité exclusive du Portugal
sur ces enclaves ne fut jamais mise en cause; b) que la souveraineté
portugaise sur elles fut reconnue par les souverains qui se sont
succédésur le territoire circonvoisin, c'est-à-dire les Britanniques,

entre 1818 et 1947, et l'Inde depuis son indépendance.
Il paraît évident que la souveraineté portugaise sur les enclaves
n'aurait pu subsister pendant tout ce temps-là et ne pourrait plus
subsister aujourd'hui que sous la condition de l'existence d'un droit
de transit au profit du Portugal et de l'obligation correspondante
à la charge de l'Inde; droit et obligaiion dont le but est d'assurer
les communicationsindispensablesavec les enclaves, dans la mesure
nécessaire à l'exercice de la souveraineté dont elles relèvent.
Telle est donc la situation de fait et de droit qui domine tout le
procès: la souveraineté portugaise indiscutée sur les enclaves et
l'impossibilité de l'exercer sans un droit de transit.
La Cour arrive àla conclusion que le Portugal est bien le titulaire
d'un droit de transit pour communiquer avec les enclaves, mais
avecune restriction : que ce droit comprendle passage des personnes
privées, des fonctionnaires civils et des marchandises en général,
dans la mesure nécessaire à l'exercice de la souveraineté portugaise

121sur ces territoires, mais il ne comprend pas le passage des forces
armées, de la police armée et des armes et munitions.
La souveraineté sur un territoire quelconqueimplique le pouvoir

d'y exercer la puissance publique. Elle implique le droit et l'obli-
gation d'y assurer, manu militari, s'il le faut, le maintien de l'ordre
intérieur. Elle implique enfin l'exercice de la fonction de police.
Comment, dans les circonstances concrètes des enclaves portu-
gaises, ce pouvoir, ce droit, cette obligation, cette fonction seraient-
ils exercéssi un droit d'accès aux enclaves n'est pas reconnu pour
les forces armées, la police armée et les armes et munitions?

2. Le Portugal revendique un droit de passage globalpour ce qui
est nécessaireà l'exercice de sa souveraineté sur les enclaves. Plus
d'une fois, au cours de la procédure, ses conseils ont mis en relief
cet aspect de la revendication portugaise. (Ce droit - disaient-ils,

par exemple, à l'audience du 25 septembre 1959-, ce droit doit
êtreenvisagéd'une façon globale, par rapport à son but, à savoir:
assurer les liaisons avec les enclaves dans la mesure nécessaire à
l'exercice effectif de la souveraineté portugaise sur celles-ci 1)(Pro-
cédure orale (fond), vol. 1, p. 110).
Il est vrai que les Parties ont traité séparémentdans le procès
du transit des personnes et des biens, aussi bien que de celui des
forces armées, de la police et des armes. Mais cela n'était qu'une
méthode d'exposition, pour l'examen cas par cas, de la pratique
qui aurait été à l'origine de la formation d'une coutume locale et
n'avait autre intérêtque celui de démontrer que la réglementation

de l'exercice du droit était variable selon les diverses catégories
qui en forment le contenu.
Dans ses conclusions finales, le Portugal présente sa revendica-
tion à un droit de passage in totoet l'Inde la conteste de la même
façon.
Par ces motifs je ne suis pas d'accord avec la méthode qui a été
suivie, consistant à analyser séparément la demande portugaise
selon les diverses catégories traitées dans l'arrêt: les personnes
privées, les fonctionnaires civils, les marchandises en général,les
forces armées,la police arméeet les armes et munitions.
Ces catégories se rapportent aux modalités de l'exercice du droit
de transit; elles peuvent intéresser sa réglementation; modalités

et réglementation que le Portugal admet qu'elles relèvent de la
compétence exclusive de l'Inde.
Pour ce qui est, particulièrement, des forces armées, de la police
armée et des armes et munitions, le Portugal a bien préciséqu'il
ne revendiquait autre droit que celui de faire passer vers les
enclaves les élémentsdela force publiqueindispensables au maintien
de l'ordre intérieur, c'est-à-direà l'exercice de la fonction de police.
((Le droit de passage revendiqué par le Portugal - a-t-on dit à
l'audience du I~~ octobre 1959 - est limité sans aucun doute
possible aux élémentsde la force publique chargés de maintenirl'ordre. )Cette fonction peut être, parfois, confiéeà des forces qui
ne tombent pas sous l'appellation ordinaire de police, y inclus à
des élémentsde l'armée, mais cela ne change pas le fait essentiel
qu'elles exercent une fonction de police. Pour le droit international,
ce qui compte est la fonction et non l'organisation administrative
de laforce publique, qui est une matière de la compétenceexclusive

de YEtat. Cette considération est importante pour bien comprendre
la nature et le contenu du droit revendiqué par le Portugal.
Naturellement, la force publique se compose du personnel et du
matériel. C'est une force armée. On ne saurait concevoir un droit
de passage pour des forces armées ...sans armes.
3. La troisième et dernière observation préliminaire que je
voudrais faire est qu'il me parait quele Portugal ne s'est pas adressé
à la Cour pour obtenir la reconnaissance d'un droit qu'il aurait eu
dans le passé. Dans ses conclusions finales du 6 octobre 1959, il
prie la Cour de dire et juger ((que le droit de passage ...existe au

profit du Portugal et doit êtrerespectépar l'Inde 1).Existe et doit
êtrerespecté, c'est dire, dans le temps présent, lejour où les conclu-
sions ont étédéposées.
Ce n'est pas seulement pour obtenir une satisfaction morale que
le Portugal a introduit l'instance. Il l'a fait pour sevoir reconnaître
up droit actuel, dont il se croit toujours titulaire, mêmes'il admet
que dans certaines circonstances son exercice pourrait êtreconsidéré
comme suspendu.
4. Les faits qui ont étédémontréspar le moyen d'une très abon-
dante documentation jointe au procès, en ce qui concerne le transit

d'éléments de laforce publique entre Damao et les enclaves, sont
indiqués aux paragraphes suivants.
5. Une première constatation générale résulte,sans le moindre
doute, de l'examen des preuves: le transit des élémentsde la force
publique entre les trois parcelles qui forment le district portugais
de Damao s'est effectué,pour ainsi dire, quotidiennement, sans
aucune obstruction, depuisl'acquisition des enclaves par le Portugal
en 1783 et 1785 jusqu'en juillet 1954. C'est seulement à cette
dernière date que, pour la première fois dans l'histoire, ce transit
fut empêchépar le Gouvernement de l'Inde. Avant cela il n'a pas
étérévélé un seuc las d'un refus de passage à ces organes de la force

publique portugaise, soit pour des éléments isolés, soit pour des
détachements plus ou moins nombreux. Voilà ce qui est très
significatif.
6. Le transit de la force publique fut exercécomme de droit dans
la périodemahratte (1785-1818).
Une des questions les plus longuement débattues par les Parties
dans le procès a porté sur la nature juridique de la concession faite
par les Mahrattes aux Portugais par un traité de 1779.
Le Portugal soutient que ce traité lui a conféréla souveraineté
sur les territoires qui forment les enclavesde Dadra et Nagar-Aveli.L'Inde conteste cette thèse et affirme que la concession faite par
le traité était celle d'une tenure féodale appeléesaranjam ou jagir
accordant simplement au Portugal le droit de percevoir certains
revenus fiscaux dans les enclaves.
La Cour donne raison à l'Inde.
Je ne suis pas d'accord, mais je ne vais pas allonger le présent
exposéavec la discussion de ce problème, puisque cela ne me semble
pas nécessairepour établir l'existence, aujourd'hui comme dans le
passé,du droit de transit revendiqué par le Portugal pour sa force
publique.
Il me suffit de vérifier que la Cour a constaté que le Portugal
est, depuis une longue date, le souverain incontesté des enclaves.
C'est ce qui intéresse pour arriver à déterminer si le Portugal a le
droit qu'il revendique. Le mode de l'acquisition de la souveraineté
portugaise n'a qu'une valeur secondaire pour cette démonstration.
Elle existe, c'est tout ce qu'il faut retenir.

7. Le fait que je m'abstiens de m'arrêtersur la question de la
nature juridique de la concession opéréepar le traité de 1779 en
faveur des Portugais ne m'empêche toutefois pas de répéter
l'affirmation que j'ai faite ci-dessus: que le transit des forces arméès
fut exercé comme un droit dans la période mahratte, depuis le
jour mêmeoù les Portugais ont pris possession des enclaves.
Mêmesi l'on admet que les Portugais ont obtenu des Mahrattes
un simple saranjam, toute la documentation et les autorités invo-

quées dans le procès par le Gouvernement de l'Inde démontrent
qu'une telle tenure était assortie de très larges pouvoirs. Ce n'est
pas sans raison qu'on lui a attribué un caractère féodal. Elle ne
conférait pas seulement au saranjamdar (lebénéficiairedu sararYjam)
le droit de percevoir les revenus fiscaux, mais aussi le droit et le
devoir d'administrer le territoire dans la plus large mesure. La
souveraineté du Peshwa restait presque purement nominale. Du
reste, comme il a étédémontré,la souveraineté dans ces temps et
dans ces lieux avait un très faible contenu. Son attribut essentiel
était celui de recouvrer des impôts.

8. Par un accord de 1785, destiné à régler certaines questions
découlant de la remise des villages aux Portugais, furent reconnus
à ceux-ci pleins pouvoirs sur ces villages. Pouvoirs souverains
dirai-je; pouvoirs de saranjamdar diront ceux qui ne partagent
pas mon opinion sur la portéedu traitéde 1779. Peuimporte. Cequi
intéresse - et cela personne ne peut le nier, en face des termes
exprès de l'accord de 1785 et des sanads ultérieurs -, c'est que les
Portugais ont reçu la pleine administration et juridiction sur les
territoires cédésavec les pouvoirs de percevoir les impôts, d'appli-
quer la justice, de poursuivre les criminels, de maintenir l'ordre,
d'étoufferles révoltes, etc.
Il s'ensuit nécessairement qu'en accordant ces pouvoirs aux
Portugais, les Mahrattes leur ont implicitement reconnu le droit de passage indispensable pour les exercer. Et ce droit ne saurait
se limiter au passage des personnes privées, des fonctionnaires et
des marchandises. Il fallait bien, pour maintenir l'ordre, étouffer les
révoltes, etc., que le droit de passage comprenait la force publique
avec tout ce qui lui était nécessairepour accomplir sa fonction. Cela
est logique et ne requiert plus de démonstration. Le dossier fournit

la preuve quele droit depassage pour la forcepublique fut normale-
ment exercé au temps des Mahrattes, mêmepour défendre les
enclavesd'incursions militaires des Mahrattes eux-mêmes(mémoire,
annexes g à 13; réplique, annexes 42 et 43).
g. Alors se pose la question: ce droit de transit (dans l'hypothèse
qu'il s'agirait simplement de saranjam) qu'est-il devenu après que
les Portugais accédèrent à la souveraineté pleine sur les enclaves?
Aurait-il disparu du fait de cet accès? Ceci serait une conclusion
absurde. Le renforcement du titre sous lequel les Portugais exer-
çaient leur autorité exclusive sur les enclaves (comme le reconnaît

l'arrêt);le passage d'un titre mineur et imparfait - le saranjam -
à un titre majeur et parfait - la souveraineté - ne saurait en
aucune façon anéantir le droit quiexistait déjàsousle titre mineur.
Tout au contraire, cette évolution ou transformation du titre aurait
porté ses reflets dans le mêmesens de renforcement, sur le droit
de passage. Celui-ci serait devenu plus dense dans son contenu et
plus impératif dans sa force en se transformant d'un droit destiné
à l'exercice des pouvoirs de saranjamdar en un droit destiné à
l'exercice de la souveraineté. C'est tout ce qu'il faut dire sur les
faits et leur implication en droit dans la période mahratte.

IO. Pour ce qui est des périodesbritannique et post-britannique,
en dehors du fait que j'ai signaléci-dessus que le passage de la force
publique fut toujours exercé sans un seul exemple d'obstruction,
il faut rappeler les faits suivants:
a) Avant la mise en vigueur du traité anglo-portugais de 1878,
le transit d'éléments dela force arméeet de la police ne dépendait
d'aucune autorisation. Cela est admis par le Gouvernement de
l'Inde au paragraphe 333 de la duplique, où il est dit :

la police arméed'un..gouvernement sur le territoire de l'autre était
régiepar un accordréciproque. Il devenait donc inutile, étant donné
l'existencede cet accord, de faire une demande officiellede passage
et d'accorder une autorisation à l'occasionde chaque entrée. ))

J'ai seulement à observerque si un tel accord existait, c'étaitbien
un accord tacite (dont naît la coutume) puisqu'aucune trace
n'existe d'un accord exprès.
b) L'article XVIII du traité anglo-portugais de 1878 stipulait
que les forces armées de l'une des Parties n'entreraient dans les
domaines de l'autre en Inde sans une demande formelle à cet effet.
La police pouvait entrer sans cette demande seulement quand elle

poursuivait des criminels ou des contrebandiers.
125 Ces dispositions n'étaient pas, à mon avis, applicables au transit

particulier entre Damao et les enclaves. Le dossiercontient un nom-
bre considérable de documents (annexes à la réplique nos50 à 76)
montrant que ce transit continua à s'exercer tout au moins jus-
qu'en 18go;sans besoin d'autorisation.
Ce fut seulement en décembre 1890 (douze ans après la date du
traité) que les autorites britanniques estimèrent qu'une autorisation
était nécessairepour le transit d'éléments dela force armée et de
la police portugaise entre Damao et les enclaves. Elles agirent de
la sorte en représaille contre le fait que les Portugais avaient

désarméun détachement britanniaue aui Avait1~énétrédans le
territoire portugais de Goa sans autorisation aux termes du traité.
Dans la correspondance échangéesur cet incident, le gouverneur
généralde l'Inde portugaise déclarait que «les troupes portugaises
ne traversent jamais le territoire britannique sans autorisation
préalable 1)Mais le fait que trois lignes plus bas le mêmegouverneur
généralajoute que ((cette pratique a été observée depuis des
siècles »,alors quele voisinage des enclavesavec le territoire britan-
nique n'avait-duré que 72 ans, oblige à penser que le gouverneur

généralne se référait point au transit entre Damao et les enclaves,,
mais au cas généralde l'entrée desPortugais en territoire britanni-
que à partir de leurs possessions plus anciennes dans l'Hindoustan.
En tout cas, il est significatif que la police britannique, se réfé-
rant à la lettre du gouverneur portugais, affirmait en 1891 qu'elle
« n'avait pas d'instructions ...pour empêcher la police arméedu
Gouvernement portugais de passer sans autorisation à travers le
territoire britannique dans l'exercice de ses fonctions ». Et elle
ajoutait: (Le superintendent de la police du district est d'opinion
que les arrangements à présent en vigueur devraient continuer. » De

sa part, le commissaire du district du Nord manifestait son accord
avec la police en ce que «ces arrangements étaient convenables et
devraient être continués » (annexes à la duplique, p. 223). Ceci
démontre au'Il vr.vait des arrange"ents ~articuliers Dour le transit
de la police arméeentre Damao et les enclaves et que ces arrange-
ments permettaient le passage sans autorisation, contrairement à
la règle de l'article XVIII du traité de 1878.

c) Dans la période postérieure à la dénonciation de ce traité, en

1892, la pratique a considérablement varié. Par un accord de 1913,
il fut établi que la police de chacune des Parties pouvait traverser
le territoire de l'autre moyennant avis préalable (pas d'autorisation).
De la correspondance qui a mené à cet accord et qui est reproduite
pages 305 à 309 du volume II du contre-mémoire, on déduit que
l'accord confirmait la pratique antérieure dans le sens qu'une noti-
fication préalable était suffisante.
Un accord de 1920 exigeait une autorisation préalable pour le
transit de la police armée au-dessous d'un certain rang. (Annexe
indienne C. no 56.) C'est la première fois que cette exigence apparaîtformuléedans un accord entre les Parties après la dénonciation du
tratié de 1878.
Un autre accord de 1940 dispensait l'autorisation pour les effec-
tifs de police jusqu'à dix hommes et l'exigeait pour des effectifs
supérieurs. C'est le seul accord qui fut célébré spécifiquementpour
le transit entre Damao et les enclaves. (Annexe indienne C. no 57.)

II. Si l'on considèredonc, dans son ensemble, la pratique suivie
pendant 170 ans, on constate que le passage des troupes et de la
police arméesans autorisation préalable était la règle et que l'exi-
gence d'une autorisation était l'exception. Cela ne modifie pourtant
pas le fait qu'une autorisation était à certaines époques nécessaire.
Mais ce fait ne peut pas, à mon avis, autoriser la conclusion
que le droit de transit n'existait pas. Je me propose de justifier
ce que j'affirme. Pour lemoment, je me borne à observer que l'auto-
risation, quand elle était nécessaire, fut toujours accordée, sans
aucune exception, et que les Britanniques n'eurent jamais l'inten-
tion de la refuser. Dans une lettre que le gouverneur de l'Inde bri-
tannique adressa au gouverneur de l'Inde portugaise, le g avril

1891, concernant l'exigence d'une autorisation, il disait que «il
n'était pas suggéréque l'autorisation, lorsqu'elle serait demandée
pour les hommes armés portugais, ne serait pas accordéeconformé-
ment àla pratique suivie dans le passé ».(Duplique,vol. II, p. 223.)

12. L'examen des faits révèleaussi que la concession de l'auto-
risation toutesles fois qu'elle était demandée,reposait sur l'idéeque
cette concession était obligatoire en vertu d'un droit du Portugal.
La variation de la pratique que nous venons d'examiner peut seule-
ment prouver que l'exigence, àcertainesépoques,d'une autorisation
était une prescription purement réglementaire.
Le Portugal revendique un droit qui est soumis à la réglemen-
tation et au contrôle de l'Inde. La voilà cette réglementation: très
libérale pendant une très longue période, plus stricte plus tard;
se contentant à certaines époques d'un simple laissez-passer émis
par les autorités mêmesdont relevaient les forces en transit (annexe
indienne C. no 39); exigeant à d'autres époquesune notification du
passage, quelquefois préalable, quelquefois a posteriori; imposant,
enfin, à d'autres époques, une demande d'autorisation formelle.
On ne saurait soutenir que l'existence du droit aurait, elle aussi,
souffert de pareilles vicissitudes.

13. On a beaucoup parlé dans le de la distinction essen-
tielle entre le droit et sa réglementation. C'est une idée tellement
élémentairequ'il ne faut pas y insister ici. Comme il ne faut pas,
non plus, insister sur la distinction également élémentaire entre
avoir un droit et êtreen condition de l'exercer. Mais ce qui semble
nécessaire en face dela doctrine de l'arrêt,c'est de rappeler que s'il
y a des autorisations qui sont vraiment constitutives de droits,

ily en a beaucoup plus qui ne le sont pas. On ne saurait affirmer
127que la nécessitéd'une autorisation est la négation mêmed'un droit
qui lui serait antérieur. Une telle affirmation trouverait dans la
science juridique un formel démenti.

14. La notion générale d'autorisation se rattache aux distinc-
tions que je viens de mentionner entre le droit et sa réglementation
et entre le droit et son exercice. C'est une notion commune à toutes
les branches du droit, mais elle trouve son champ d'application le
plus large dans le droit public et, tout particulièrement, dans le
droit administratif.

15. (L'autorisation est l'acte administratif par lequel l'autorité
écarte, cas par cas, les limitations poséespar la norme juridique à
l'exercice, par un sujet déterminé, d'un droit ou d'un pouvoir qui
préexistedans le sujet lui-même, pour exercer une certaine activité
ou pratiquer un acte juridique, moyennant appréciation de tel
exercice ou de telle pratique par rapport à l'intérêtpublic dont la
tutelle est àla charge de l'autorité ))(Ortolani, dans Scritti giuridici
in onoredi Santi Romano, vol. II, p. 251).
L'autorisation ne crée donc pas le droit. Son exigence ne saurait

êtreassimiléeà l'inexistence mêmedu droit. Tout au contraire, elle
suppose normalement l'existence d'un droit antérieur.

(Le droit existe avant l'émanation de l'acte permissif n, dit De
Francesco (L'ammissionenellaclassificazionedegliatti amministrativi,
p. 83). Et il ajoute: ((L'acte administratif consent simplement à
l'exercice de ce qui préexiste 1)(ibid., p.88). Et il conclut: «L'acte
de l'autorité fonctionne comme condition de I'exercice du droit »
(ibid., p.83).
Voilà, définidans un mot, ce qu'est l'autorisation: c'est un acte-

condition. Ce n'est pas un acte normatif ni un contrat. Elle ne
créepas de droits, elle en conditionne seulementl'exercice.

16. Considéréesous un autre aspect, l'autorisation est un acte de
contrôle; de ce contrôle que le Portugal ne refuse pas à l'Inde sur
l'exercice de son droit de passage.

((Le contrôle exercépar l'autorisation - dit Donati - ne vise
qu'à reconnaître et à déclarer qu'unecertaine conduite d'un sujet
de droit correspond à certaines déterminantes, normes, principes
et fins de l'intérêtà la satisfaction duquel tend l'acte voulu par le
sujet.))(Cité parOrtolani, op. cit.,p. 253.)

17. La pratique du droit confirme les opinions de la doctrine. On
pourrait présenter un très grand nombre d'exemples où une autori-

sation est nécessaire pour l'exercice d'un droit préexistant, c'est-à-
dire où elle fonctionne comme simple acte-condition, ou comme
moyen de contrôle del'observance desrèglements et del'opportunité.
Quelques exemples suffiront.
128 Le droit de propriétésurunterrain implique nécessairement celui
d'y construire un édifice. Quellessont les législations qui n'exigent
pas une autorisation pour cette construction, au moins dans les
zones urbanisées? Encore plus, quelles sont celles qui ne l'exigent
pas aussi pour habiter pour la première fois un édificequi vient
d'êtrebâti? Comme dit D'AIessio: «celui qui obtient une licence de
construction n'obtient l'octroi d'aucun droit qu'il ne possédait au-
paravant ))(Ortolani, op. cit.,p. 225).

Le propriétaire est seul seigneur dans son domaine. Mais s'il faut
à son voisin y entrer pour cueillir les fruits d'un arbre confinant,
celui-là ne peut pas lui refuser son autorisation nécessaire.De même,
si le voisin a besoin d'éleverdes échafauds dans la propriété confi-
nante pour faire une construction ou des réparations dans sa propre
propriété. Il s'agit bien là de droits que le voisin possède avant
d'obtenir une autorisation. La loi les lui reconnaît; mais la loi aussi
fait dépendre l'exercice de ses droits du consentement d'autrui. Ce
consentement peut êtresoumis à des conditions raisonnables, mais
il ne peut êtresimplement refusé. S'il l'est, le juge décidera (Code
civil portugais, art.2314 et 2318).

18. Mais il ne faut pas sortir du domaine du droit international

epmêmede celui du droit conventionnelconcernant le transit inter-
national pour trouver des exemples qui confirment ce que nous
affirmons, que l'exigence d'autorisation ne saurait êtreassimiléeau
manque de droit.
19. L'étude du professeur Édouard Bauer jointe au procès par
le Portugal afin deprouver qu'un seulcasn'est connu dans l'histoire,
depuis le traité de Westphalie, où un droit de passage n'ait pas été
reconnu en faveur d'une enclave (y compris le transit des forces
armées),cette étude, dis-je, montre que trois régimesontétéadoptés
dans les traités pour la réglementation de l'exercice dudit droit.
Parfois une autorisation préalable était nécessaire, parfois une
simple notification du passage était suffisante, parfois encore une
réglementation très stricte et détailléeétait convenue qui rendait

inutile la demande d'autorisation. Des exemples du premier cassont
le traité de Munster du 24 octobre 1648 et la paix des Pyrénées
conclue le 7 septembre 1659. Dans les deux cas un droit de passage
est reconnu en faveur des troupes de Louis XIV pour se rendre aux
enclaves françaises de la Lorraine et de l'Alsace, moyennant une
demande adressée aux souverains des territoires intermédiaires.
((...pateatqueillacregiomiliti, quotiespostulatumfuerit tutus acliber
transitus ».Voilàla formule qui étaitadoptéepar letraitédeMunster.
Elle montre que, mêmedans le cas d'un droit de transit accordé
par un traité, la demande d'une autorisation préalable peut être
établie comme condition de l'exercice du droit.

20. L'autorisation, je le répèteencore une fois, est un.moyen de
contrôle. D'où qu'ellepeut êtredispenséelorsque les parties convien-nent d'établir un autre moyen de contrôle qui soit également efficace.
C'est le cas de la convention germano-polonaiseconcernant la liberté
de transit, signée à Paris le 21 avril 1921. Le transit militaire entre
la Prusse orientale et le reste de l'Allemagne, à travers la Pologne,
y est réglementé avec une telle rigueur et un tel détail que toute
autorisation devenait inutile. Il y aurait un train militaire une fois

par semaine pour le personnel et un autre, différent, pour l'arme-
ment. Tout était strictement réglédans les nombreuses dispositions
de la convention concernant cette modalité du transit. Et nonobs-
tant il était prescrit: «Les autorités allemandes seront tenues
d'annoncer aux autorités polonaises le départ de ce train au moins
24 heures avant sa mise en marche. ))
21. Examinons maintenant deux exemples d'une date plus
récente.

La convention de Chicago du 7 décembre 1944, à laquelle ont
adhéré presque toutes les nations, établit dans son article 5:
« Cha-queÉtat contractant convient que tous les aéronefs des
autres Etats contractants qui ne sont pas employés à des services
aériensinternationaux réguliers ont le droit de pénétrersur son
territoire, ou de le traverser en transit..sans avoir àpbtenir une
autorisation préalable ...sous réserve du droit<pourl'Etat survolé
d'exiger un atterrissage. Néanmoins,chaque Etat contractant se
réserve,pour des raisons de sécuritéde vol, le droit d'exiger que les
aéronefsquidésirerontsurvolerdesrégions inaccessiblesou non pour-
vues de facilitésadéquates pour la navigation aérienne suivent les
routes prescrites ou obtiennentune autorisation spéciale))
On voit donc que le droit de transit aérien est reconnu mais sous
une réglementation et un contrôle. Cette réglementation et ce
contrôle comportent dans tous les cas le droit pour l'État survolé
d'exiger un atterrissage et, dans des cas spéciaux, une demande
d'autorisation préalable. Cette exigence d'autorisation ne signifie
pas que les aéronefs étrangers n'ont pas le droit de survoler les
<(régions dépourvues de facilités adéquates pour la navigation aé-
rienne »,elle signifie seulement que l'autorisation peut êtrerequise

pour l'exercice de ce droit.
22. Un autre exemple nous est donné par la Charte elle-même.
Dans son article 43 il est prescrit:« Tous les Membres des Nations
Unies ...s'engagent à mettre à la disposition du Conseil de Sécurité,
sur son invitation et conformément à un accord spécial ou à des
accords spéciaux, les forces armées, l'assistance et les facilités, y
compris le droit de fiassage, nécessaires au maintien de la paix et de
la sécuritéinternationales. » Les forces au service des Nations Unies
ont donc un droit de passage sur les territoires des Etats Membres.
Est-ce que ce droit peut s'exercer sans autorisation de 1'Etat du

transit? Point dutout. Il faut un accordspécialauquel cet État soit
partie. Mais celui-ci ne saurait licitement refuser à participer à cet
accord sans une raison que le Conseil de Sécuritéconsidère comme
valable. 23. Je crois avoir ainsi prouvé ma thèse que l'exigence d'une
autorisation pour faire passer des forces de police ou autres à
travers un territoire étranger n'est point du tout incompatible avec
l'existence d'un droit de passage antérieur à cette autorisation. Et
cela signifie de toute évidenceque la faculté, pour l'État du transit,
d'exiger une autorisation avant que son territoire soit traversé
n'implique pas nécessairement le pouvoir discrétionnaire de l'ac-
corder ou de la refuser.
Ayant pour but de constater que les conditions réglementaires
dont dépendl'exercice d'un droit sontsatisfaites et que, dans chaque
cas d'espèce,il n'est pas porté atteinte à un intérêtlégitimede celui
à qui elle est demandée,L'autorisationimplique un pouvoir d'appré-
ciation mais non pas un pouvoir discrétionnaire. Si ces conditions
sont remplies et si ces intérêtslégitimesne sont pas sacrifiés,l'auto-
risation doit êtreconcédéeL . a compétencede celui qui autorise doit
s'exercer en vue des fins pour lesquelles cette compétence lui est

accordée. ((Il y a une foule de cas - dit Hauriou - où, pour
l'exercice d'un de leurs droits, les administrés sont obligés,par la loi,
de demander à l'administration des autorisations.. .; l'administra-
tion est obligéepar là mêmed'accomplir l'acte qu'on lui demande.. . »
(Précisde droit administratif et de droit fiwblic12me édition,p. 357.)
?ans le cas d'espèce l'exigence,à certaines époques,d'une autori-
sation pour lepassage des éléments de la police et de la force armée
était dictée exactement par les mêmes ((considérations de sécurité »
dont parle l'arrêt à propos de certaines restrictions qui furent
imposéesau transit des marchandises. On ne voit pas pourquoi les
restrictions baséessur de telles considérations sont compatibles avec
un droit de transit pour les marchandises et non pour d'autres
modalités du transit.

24. Si l'on considère la nature mêmedu droit de transit pour des
forces armées et les reflets qu'il peut avoir sur la défenseet l'ordre
public du territoire traversé, on n'aura aucune difficulté à compren-
dre qu'une autorisation ou autre forme équivalente de contrôle soit

nécessaire à son exercice, mêmelorsqu'il est établi par un traité.
On peut mêmedire que l'autorisation est inhérente à cette sorte de
droit, àmoins qu'elle ne soit écartéepar un accord entre les parties.

En effet, le véritable objet du droit de transit est d'êtreautorisé
à passer, quelle que soit la forme de l'autorisation, expresse ou
tacite.
Le droit de transit n'est pas un droit réelque son sujet possède
directement, $er se, sur le territoire à traverser. C'est un droit
personnel auquel correspond, de la part du sujet passif de la re-
lation juridique, une obligation personnelle qui peut êtreenvisagée
soit sous son aspect positif defacere (accorderune autorisation), soit
sous son aspect négatif de non facere (ne pas s'opposer au transit). Ainsi se concilie parfaitement la suprématie territorialede l'État
du transit avec l'obligation d'y consentir.
25. On a aussi soutenu que le transit des éléments de la force
armée et de la police portugaise vers les enclaves n'était pas
pratiqué à titre de droit, puisqu'il s'exerçait sur une base de réci-
procité, c'est-à-dire en échangede la faculté reconnue aux éléments
de la force arméeet de la police britanniques de traverser le territoire

portugais lorsqu'ils en avaient besoin pour se déplacer entre deux
points de leur prGpre territoire séparéspar territoire portugais.
Je ne saurais accepter l'idéequ'il n'y a pas de droit où il y a réci-
procité. La plupart des droits reconnus entre les nations reposent
sur une base de réciprocité, sans qu'ils perdent, de ce fait, leur
véritable caractère de droits. La réciprocité non seulement n'est
pas incompatible avec eux, mais elle est la condition mêmede leur
efficacité. Le droit que le Portugal revendique pour soi est exac-
tement le mêmeque celui qu'il reconnaît à l'Inde pour communiquer
avec son enclave de Rlechwal située à l'intérieur du territoire
portugais.

26. Le Portugal invoque comme titres de son droit le traité de
1779, la coutume locale, la coutume généraleet les principes géné-

raux du droit.
27. DU traité de 1779 j'ai dit assez aux paragraphes 6 à 9 ci-
dessus.
Je considère qu'en vertu de ce traité et des accords qui le complé-
tèrent, le Portugal reçut la pleine souveraineté sur les enclaves et,
avec elle, le droit implicite et nécessaire d'y accéder.
Mais si je me place dans la position qu'a adoptée la majorité de
la Cour, c'est-à-dire qu'il n'y eutpas de cession de souveraineté mais
simplement concession d'un saranjam, je n'en arrive pas moins à
la conclusion qu'un droit de transit fut implicitement conféréaux
Portugais pour l'exercice des pouvoirs d'administration, de police,
etc., qui leur furent octroyés. Et je ne peux pas comprendre que
la transformation du saranjam en souveraineté, dans la période

britannique, eût fait disparaître le droit d'accès aux enclaves.
28. Pour ce qui est de la coutume locale, j'ai peut-être déjà dit
trop.
Je ne vois pas pourquoi cette coutume serait la source d'un droit
de transit pour les personnes privées, les fonctionnaires civils et les
marchandisesengénéral,et ellene le serait pas d'un droit de passage
pour les forces armées,la police arméeet lesarmes et munitions. Sila
raison en est que ce passage dépendait parfois d'une autorisation,
je crois avoir montré que cette raison n'est pas appuyée ni par la
théorie ni par la pratique du droit. Il y a mêmeun motif plus fort

132 pour que le droit de passage soit reconnu pour les forces armées, la
police arméeet lesarmes et munitions que pour lespersonnes privées
et les marchandises en général. Ledroit pour ces deux dernières
catégories est reconnu en vertu de la souveraineté portugaise sur
les enclaves. Cette souveraineté est la cause et aussi le but du droit.
Sans elle, celui-ci n'existerait pas. Eh bien! le droit pour les forces
armées, la police armée et les armes et munitions est beaucoup
plus lié,puisque beaucoup plus nécessaire,à l'existence de la souve-
raineté que celui pour les personnes privées et les marchandises. Et
c'est pourquoi tandis que celui-ci a fait, parfois, l'objet de certaines
prohibitions concernant des marchandises déterminées (le sel, l'al-
coolet les produits destinésà la distillation), voire d'une interdiction
généralependant la dernière guerre, le transit pour les forces armées
ne fut jamais prohibé.N'est cepas illogique que, pour lescatégoriesles
plusattachées àla souveraineté, pour cellesquin'ont jamais souffert
une prohibition, le droit soit considéré commeinexistant alors que,
pour les autres catégories, son existence ne soulève pas de doute?

29. Un point sur lequel je ne suis pas d'accord avec la majorité
de la Cour est que l'examen de la pratique qui s'est établie entre
les Parties au cours du temps, c'est-à-dire la coutume locale, soit
suffisant pour trancher l'affaire. Il le serait si, sur la base simplement

de cet examen, la Cour avait considéréla demande portugaise dans
son ensemble comme fondée. Alors il ne faudrait pas, vraiment,
perdre de temps à chercher une confirmation de cette conclusion
dans les titres généraux invoquéspar le demandeur.
Mais ce n'est pas le cas. La décision à laquelle on est arrivé
entraîne une amputation essentielle au droit revendiqué par le
Portugal. Et si, comme c'est la thèse de celui-ci, aucun des titres
n'exclut les autres, puisqu'au contraire ils se confirment et se ren-
forcent réciproquement, il faut poursuivre l'examen sur la base des
règles généralesinvoquées par le demandeur pour que justice lui
soit rendue.
Il est vrai que le droit particulier déroge, en règle, au droit
général,mais donner comme acquis que, en l'espèce, ledroit parti-
culier est différentdu droit général, c'esttomber dans une pétition
de principe. D'autre part, cette règle n'est pas sans exceptions. Le
droit général cogens l'emporte sur tout droit particulier. Et les
principes généraux dont je ferai mention plus loin constituent de
véritables règles de ius cogens auxquelles il ne saurait être dérogé
par une pratique particulière.

30. Une raison depoids pour que l'examen des titres générauxne
soit pas écarté a priori,c'est le rôle très important qu'ils ont joué
dans l'argumentation des deux Parties.
Les conseils du Portugal ont insisté sur l'importance prédomi-

nante qu'ils y attachaient. A l'audience du 30 septembre 1959, le
professeur Bourquin l'a fait remarquer dans les termes que voici: (Me sera-t-il permis de commencer cet exposéen rappelant à la
Cour l'importance que le droit international généralrevêt dans
notre argumentation?

II en constitue labase essentielle.
CommeM.le doyen Tellesl'a dit avecraison, lestitres particuliers
que nous faisons valoir reposent, en dernière analyse, sur des
règlesgénérales.Ils n'en sont qu'une application, qu'une manifes-
tation concrète.Et j'ajoute que, mêmes'ilsn'existaient pas, le droit
de passage du Portugal n'en serait pas moins incontestable. ))

31. Comme titres génbraux du droit qu'il revendique, le Portugal
invoque la coutume généraleet les principes généraux du droit.
32. L'examen de la situation qui s'est vérifiée au cours de
l'histoire et qui se vérifie aujourd'hui, dans toutes les enclaves
connues, a proyvé qu'une pratique constante et uniforme s'est éta-
blie entre les Etats dans le sens de reconnaître au souverain d'une

enclave le droit de transit nécessaire à l'exercice de sa souveraineté.
Cela révèle,sans possibilité de contestation, l'existence d'une règle
généralecoutumière quiserait, à elle seule, suffisante pour fonder la
prétention du Portugal.
33. Comme principes généraux de droit le Portugal a invoqué
deux ordres de principes:

a) celui qui se dégagede la confrontation des législations internes
des nations civilisées, en ce qui concerne le droit d'accès à un
fonds enclavé ;
b) certains principes fondamentaux inhérents à la structure
meme du droit international.

34. Pour ce qui est du premier des principes invoqués, il a été
démontré par une étude de droit comparé par le professeur Max
Rheinstein, qui figure au procès, que danstoutes les législations des
nations civilisées,le droit d'accès à un fonds enclavé est reconnu au
bénéficede son propriétaire. Il ne s'agit de dresser aucune sorte
d'analogie entre la propriété et la souveraineté, non plus de trans-
porter une règle de droit interne dans le domaine du droit inter-
national. Il s'agit de vérifierqu'il y a une raison profonde, enracinée
dans la conscience juridique de tous les peuples, pour admettre
comme nécessaire (logiquement et pratiquement nécessaire) la

reconnaissance d'un droit de passage à celui qui a une certaine
capacité juridique à exercer dans un espace auquel il ne peut pas
accéder sans emprunter l'espace réservé à autrui. S'il n'y a pas là
un principe général de droit également valable et pour le droit
interne et pour le droit international, au sens de l'article 38 du
Statut de la Cour, alors c'est qu'il n'ya pas de principes satisfaisant
aux conditions de cet article.

35. Il y a finalement les principes générauxde droit que le Por-
tugal a invoqués comme étant inhérents à l'ordre juridique inter-
national. Quelle que soit la position doctrinale qu'on prenne à
134137 DROIT DE PASSAGE (OPIN.DISS. DE M. FERNANDES)

l'égardde ces principes, qu'on les considère comme des émanations
du droit naturel, ou comme des règles coutumières, ou comme des
principes constitutionnels de la communauté juridique internatio-
nale, ou comme des principes déduits directement de l'idéedu droit,
oucommedes principes consentis par les Etats du fait mêmequ'ils
sont membres d'une communauté juridique, quelle que soit, dis-je,
la position de chacun à l'égard del'origine et du fondement de ces
principes, tout le monde est d'accord pour accepter leur existence

et leur application comme source de droit positif,
36. Le tout premier de ces principes essentiels est le respect
réciproque des souverainetés. Ce principe n'a pas seulement un
contenu négatif dans le sens de la non-intervention des Etatçdans
le domaine réservé à la compétence territoriale deç autres Etats.
Il a aussi un contenu positif dans le sens que tout Etat «consent à

une certaine restriction de son action dans l'intérêt dela liberté
d'action garantie à tous les autres États ». (Oppenheim-Lauter-
pacht, par. 113.)
37. Dans le cas qui nous occupe, il y a face à face deux souve-
rainetés: celle du Portugal sur les enclaves et celle de l'Inde sur
le territoire circonvoisin. La subsistance de la première dépend

absolument du maintien des communications entre les enclaves et le
reste du territoire de l'État dont elles sont partie intégrante. Et
puisqu'une obligation essentielle de la souveraineté est le maintien
de l'ordre dans le territoire où elle s'exerce, ces communications
doivent, nécessairement, comprendre le passage des éléments de la
forcepublique nécessaires à cet effet. Empêcherces communications
indispensables ne serait pas respecter la souveraineté qui en dépend.
Ce serait l'étouffer.Il n'y a pas de grosse différence, a-t-on dit en
plaidoirie, entre tuer quelqu'un d'un coup de fusil et le faire mourir
par suffocation.

38. S'il était permià l'État du territoire enclavantde s'opposer
aux communications nécessairesà l'exercice de la souveraineté du
souverain des enclaves sur celles-ci, cela signifierait qu'il était
loisible au premier de supprimer de son libre arbitre cette souverai-
neté. Ce serait une action techniquement différente de la conquête
armée mais donnant exactement les mêmesrésultats. Si le droit
international interdit la dernière,il ne sauraitpermettre la première.

La souveraineté d'un État sur une partie quelconque de, son
territoire ne peut êtresubordonnée à la volonté d'un autre Etat.
C'est le caractère même dela souveraineté d'être indépendantede
toute volonté extérieure. Et la fonction primaire du droit inter-
national est de garantir l'indépendance des Etats, leur intégrité
territoriale et le respect mutuel des souverainetés.

39. Certes, l'obligation imposéeà un Éfat de consentir au transit
sur son territoire des sujets d'un autre Etat signifie que, -sous cet
aspect limité, sa compétence cesse d'être discrétionnaire pour
13.5 êtreliéepar cette obligation internationale. Autre n'est pas l'objet

du droit internationalqFe celui de créer des droits et des obligations
réciproques entre les Etats et de lier, donc, leurs compétences
res~ectives.
L'obligation de l'Inde résulte d'une nécessitéjuridique imposée
par la situation géographique des enclaves. Les données de fait ont
des implications en droit. C'est par exemple un fait géographique
qui est à l'origine de la règle coutumière qui reconnaît le droit de
navigation sur les cours d'eau reliant les ports intérieursà la mer.
«C'est la terre qui confère à 1'Etat riverain un droit sur les
eaux qui baignent ses côtes », a dit la Cour dans l'affaire des
Pêcheries,reconnaissant ainsi les implications juridiques des faits
de la géographie (Recueil 1951, p. 133).

40. Dans le cas d'espèce, il y a encore une raison spéciale pour
soutenir l'existence du droit revendiqué par le Portugal et l'obli-
gation réciproque de l'Inde. C'est que les enclaves se sont consti-
tuées en territoire indien avec le consentement implicite (si l'on
rejette la thèse portugaise fondéesur le traité de 1779) des souve-
rains qui se sont succédédans ce territoire. La Cour a donné
comme prouvé que la souveraineté portugaise fut reconnue par les
Britanniques en fait et par implication et qu'elle le fut ensuite
tacitement par l'Inde.
Ici trouve sa place une thèse du Portugal qui me paraît assez
décisive.,Elle peut être formulée comme suit: la reconnaissance,
par un Etat, de la souveraineté d'un autre Etat sur une enclave à

l'intérieur du territoire du premier implique nécessairement, comme
conséquence logique, la reconnaissance aussi du droit de transit
indispensable à l'exercice de cette souveraineté, sous la réserve de
réglementation et de contrôle par le souverain du territoire qui
entoure l'enclave.
La reconnaissance de la souveraineté d'un État sur un certain
territoire est un acte plein de conséquences juridiques. Par lui,
cette souveraineté est admise dans l'ordre juridique international,
et les Etats dont il émane s'engagent à respecter toutes les attri-
butionsque cet ordrejuridique confèreàla souveraineté, notamment
celle d'organiser la force publique et de maintenir l'ordre dans le
territoire en question. En reconnaissant la souveraineté portugaise
sur les enclaves, les Britanniques, et ensuite les Indiens, n'auraient
pu manquer d'accepter implicitement toutes les conséquences logi-
ques et nécessaires de cette reconnaissance, parmi lesquelles le
droit de transit pour les forces chargées de la fonction de police
est une des plus nécessaires.

41. Il est une norme de droit que celui qui sanctionne un acte
sanctionne aussi les conséquences prévues et nécessaires qui en
découlent logiquement.
La doctrine des pouvoirs implicites contenus dans une faculté
générale,en raison du but de celle-ci, a étésanctionnée par la Courdans l'affaire de la réparation des dommages subis au service des
Nations Unies (Recueil 1949 ,. 182). (Selon le droit international,
a-t-elle dit, l'organisation doit êtreconsidéréecomme possédant ces
pouvoirs, qui,s'ils ne sont pas expressément énoncésdans la Charte,
sont par une conséquence nécessaire (by necessary implication)
conférés à l'organisation en tant qu'essentiels à l'exercice des
fonctions de celle-ci. 1)Voilà ce que demande le Portugal: la recon-
naissance d'un droit qui, s'il n'est pas expressément déclarépar
une règle écrite, lui est par une conséquence nécessaire conférédu
fait de la reconnaissance de sa souveraineté sur les enclaves, en

tant qu'essentiel à l'exercice de cette souveraineté. ((La volonté
d'observer une règle juridique - dit Anzilotti- implique la volonté
d'observer aussi les règles sans lesquelles la première n'aurait pas
de sens et qui y sont logiquement comprises ))(Corsodi Dir. Int.,
1, p. 64).

42. Le principe de l'interprétation des normes et des actes juri-
diques d'après leur but est aussi bien établi. Le but de la reconnais-
sance de la souveraineté d'un Etat sur un territoire quelconque est
de reconnaître à cet Etat le droit d'exercer les fonctions étatiques
sur ce territoire. Nul ne saurait soutenir que, dans le cas d'une
enclave, cet exercice serait possible sans le droit d'y accéder, tout
particulièrement aux fins d'y assurer le maintien del'ordre public.

33. Si l'Éfat du territoire enclavant reconnaissait la souveraineté
d'un autre Etat sur une enclave, tout en se réservant mentalement
la facultéde couperlescommunicationsavec elle quand il lui semble-
rait bon, il n'agirait pas d'accord avec le principe de la bonne foi,
qui est le plus généralet le plus essentiel des principes généraux de
droit .

44. Voilà donc ce qui découle desprincipes généraux de droit: le
transit nécessairepour exercer dans une enclave toutes les fonctions
étatiques, y inclus l'organisation de 13 puissance publique et le
maintien de I'ordre, est un droit de 1'Eta; souverain de l'enclave;

à ce droit correspond l'obligation pour 1'Etat du territoire circon-
voisin de ne pas faire opposition à ce transit. Cette qonclusion
s'impose avec une force toute particulière à l'égardde 1'Etat qui a
reconnu la souveraineté de l'autre sur une enclave située à l'inté-
rieur de son prcpre territoire.

35. La pratique particulière qui s'est établie entre le Portugal
et les souverains qui se sont succédédans le territoire entourant
les enclaves ne saurait pas exclure l'application dans l'espèce des
principes généraux de droit, et, moins encore, êtreinterprétée en
sens contraire à ces principes.
(Les principes généraux du droit sont à la base de la coutume et
du droit conventionnel. Ceux-ci ne sont, d'ordinaire, que la cristal-
lisation de ces principes. Les règles concrètes ne sauraient être

137interprétées dans un sens opposé aux principes dont elles font
l'application. 1) (Verdross, Derecho Internacional Pziblico, pp. 205-
206.)
(La priorité assignéepar l'article 38 du Statut de la Cour à la
convention et à la coutume par rapport aux principes généraux de
droit n'exclut aucunement une application simultanéede ces prin-
cipes et des deux premières sources de droit. 11 arrive fréquemment

qu'une décision rendue sur la base d'une convention spéciale ou
généraleou d'une coutume exige un recours aux principes généraux
de droit ...Le juge y recourra soit pour combler les lacunes des
règlesconventionnelles,soit pour les interpréter. )(De Visscher, dans
Rev. deDr. int. etde Lég. comparée1 , 933,p. 413.) (La pratiqueinter-
nationale démontre que le juge et l'arbitre ne peuvent pas dégager
le véritable sens des dispositions d'un traité sans replacer celles-ci
dans le cadre de certains principes généraux qui les dominent. »
(Ibid., p. 405.)
Les autorités que je viens de citer me fortifient dans l'opinion
qu'il fallait bien avoir recours aux principes généraux,tout au moins

pour bien interpréter la pratique établie entre les Parties.

46. Tout ce que je viens de dire sur les règlesgénéralesdu droit
international et, en particulier, sur les principes généraux de droit
tend à démontrer l'existence du droit revendiqué par le Portugal
in toto,tel qu'il l'a formuléet dont le contenu ne comporte d'autre
définition que celle que le demandeur lui-mêmelui a donnée: un
droit de transit pour ce qui est nécessaireà l'exercice de la souverai-

neté portugaise sur les enclaves. Mais j'ai principalement à l'esprit
le passage des forces armées, de la police armée et des armes et
munitions. Je ccnsidère que rien dans les règles et les principes
invoqués n'autorise la conclusion que le droit serait un pour le
transit civil et un autre pour le transit militaire. S'il y avait lieu
à une distinction, ce serait en faveur du dernier comme étant le plus
étroitement liéà l'exercice de la souveraineté.
Je conclus donc que le droit revendiqué par le Portugal est bien
établi, aussi bien sur la base du droit particulier que sur celle du
droit général.

III

47. Il devient évident que si j'arrive à la conclusion que le Portu-
gal a un droit de passage sur le territoire indien dans la mesure

nécessaire à l'exercice de sa souveraineté sur les enclaves, ce qui ne
peut pas manquer decomprendre - je le répèteencore une fois - le
passage des élémentsarmés nécessaires pour assurer le respect de
la loi et de l'ordre dans ces territoires; si j'arrive cette conclusion,
il me faut aussi conclure que l'Inde a violéle droit du Portugal du
fait qu'elle a, sans raison juridiquement valable, empêché le Portu-
gal d'exercer ce droit.

1381-41 DROIT DE PASSAGE (OPIN. DISS. DE M. FERNANDES)

Cefait est abondamment prouvédans le procès, comme le sont les
raisons purement politiques de l'attitude de l'Inde.
Après l'échec desdemandes qu'elle avait faites par voie diplo-
matique entre 1950 et 1953, pour obtenir le transfert direct dans
sa souveraineté des territoires portugais de la péninsuleindienne, le
Gouvernement de l'Inde a cherché à obtenir les mêmes.résultats
par des moyens moins directs mais plus illicites.

48. Pour ne considérer que les faits concernant la rupture des

communications avec les enclaves, retenons seulement les suivants :

a) Depuis octobre 1953 fut prohibé le transit de la police et du
personnel militaire (communiqué de presse indien du 22 juillet

1954, mémoire,annexe 44).
b) Le transit d'armes et munitions de toutes catégories fut
prohibé le 17 juillet 1954, c'est-à-dire quatre jours avant l'attaque
à Dadra (mémoire, annexe 47).

c) Le 13 juin 1954, le transit des véhicules entre Damao et les
enclaves fut prohibé avec la conséquente répercussion sur le transit
des marchandises (réplique, annexe 168).

d) Le 20 juillet 1954, l'autobus qui faisait le service régulierentre
Damao et Nagar-Aveli fut obligé derebrousser chemin en arrivant
à proximité de Dadra (réplique, annexe 165).

e) Le 21 juillet 1954, toutes communications, mêmepour les
personnes privées, étaient interdites (réplique, annexe 166).
,yL'attaque à Dadra par des élémentspartis du territoire indien
(comme le reconnaît l'Inde aux paragraphes 227 et 228 de son
contre-mémoire) fut exécutéela nuit du 21/22 juillet.

g) A partir de cette date, l'Inde cessa d'accorder des visas pour
le transit des Portugais européenset pour les sujets portugais abo-
rigènesau service du Gouvernement portugais, mêmepour se rendre
à Nagar-Aveli, où la situation était encore calme. Ceci est confirmé
par l'Inde au paragraphe 211 de son contre-mémoire.

h) Dans une note du 24 juillet, le Gouvernement portugais
demanda à celui de l'Inde une autorisation pour envoyer des forces
destinées à rétablir l'ordreà Dadra. Cette demande fut rejetée par
une note du'z8 juillet, sur la base de raisons exclusivement poli-
tiques: (Le Gouvernement de l'Inde a clairement indiqué - dit
cette note - qu'il ne pouvait pas accepter le maintien de la domi-

nation étrangère sur une partie quelconque de l'Inde » (mémoire,
annexe 52, par. 12).
i) Le 26 juillet, le Gouvernement portugais demanda des facili-
téspour envoyer à Nagar-Aveli trois déléguéd sésarmésdu gouver-
neur de Damao. Cette demande fut rejetéeparla mêmenote indienne

139 du 28 juillet, sur la base qu'un état d'excitation s'était créédans la
population indienne voisine des enclaves, et que la tension serait
accrue du fait du passage des fonctionnaires portugais.
1;)Tout cela se passait, il faut bien le souligner, avant que rien
d'anormal n'ait eu lieu à Nagar-Aveli. Cette constatation est essen-
tielle pour montrer que tout argument de l'Inde en justification
de son attitude qui puisse êtrebasésur une situation anormale en
territoireportugais n'est point valable pour letransit entreDamao et
Nagar-Aveli .

k) Des troupes de police à effectifs renforcés furent placées par
les autorités indiennes autour des enclaves avant que celles-ci eussent
été attaquées.Ce fait est confirmépar le Gouvernement de l'Inde
dans son communiqué de presse du 22 juillet. Il essaie de le justifier
en face de l'accroissement des troupes sur le territoire portugais.
Mais il se contredit, lorsque dans le mêmecommuniqué il indique
qu'à la place de Damao, une ville de 20 ooo habitants, il y avait une
force militaire de plus de IOO hommes (sic( )mémoire,annexe 44).

I) A la fin juillet 1954, Nagar-Aveli fut attaquée aussi par des
éléments venus du territoire indien, comme l'Inde le reconnaît
aux paragraphes 227 et 228 du contre-mémoire déjà cités.

m) Des propositions portugaises pour envoyer dans les enclaves
des observateurs de Puissances tierces furent rejetées.

Tels sont les faits. Ils font apparaître la violation manifeste du
droit de transit du Portugal.
49. Mêmesi l'on se place sur le champ restreint du droit reconnu
par la Cour pour le transit des personnes privées, des fonctionnaires
civils et des marchandises, les faits indiqués aux alinéas c), d),e),

g), i)et i) prouvent que mêmele droit concernant ces catégories fut
violé.
50. On a pu songer, pour justifier tel ou tel de cesfaits,notamment
le refus de passage opposé aux délégués du gouverneur de Damao
pour se rendre à Nagar-Aveli, à invoquer l'état de tension existant
en territoire indien au moment où ces faits se sont produits. L'Inde
ne saurait trouver là une justification acceptable, cet état de
tension étant le résultat de sa propre faute, en particulier de la

négligence(pour dire le moins) de ses autorités en face de la prépa-
ration sur son propre territoire des actes d'agression dirigéscontre
le territoire portugais.
En disant cela, je n'entends pas me séparer de ce qu'a admis la
Cour lorsqu'elle énonce qu'elle n'a pas à se prononcer sur les faits
en question parce que le Portugal ne lui a formuléaucune demande
concernant la responsabilité de l'Inde en vertu de son manque de
diligence dans la prévention des actes agressifs préparéssur son
territoire contre le Portugal.

140 Mais lorsqu'il s'agit de se prononcer sur la validité de l'excuse
présentéepar l'Inde pour s'opposer à l'exercice du droit de transit
du Portugal, lorsqu'il s'agit de déterminer si cette opposition, dans
l'espèce, relève du pouvoir de réglementation et de contrôle de
l'Inde, ou si, au contraire, elle constitue un abus ou un détourne-
ment de ce pouvoir, alors il faut bien apprécier quelles sont les
responsabilités de l'Inde dans la création des situations et des faits

sur lesquels elle prétend fonder son excuse. Parce que, indubitable-
ment, s'il s'avèreque de telles responsabilités lui incombent, l'excuse
n'est plus valable. hTemoallegettur~itudinem suam. Nul ne peut se
fonder sur les conséquences de sa propre faute pour échapper à
I'accomplissement d'une obligation juridique.
51. En ce qui me concerne, l'étude attentive que j'ai faite du

dossier et des preuves y contenues m'a fait conclure, en toute
conviction, que l'Inde est responsable des événements qui se sont
produits à Dadra et à Nagar-Aveli en juillet-août 1954 et que cette
responsabilité l'empêche dese justifier des violations qu'elle a
commises du droit reconnu au Portugal.

Toute la preuve conduit à la conclusion que les mesures prises
par,les autoritésindiennesà l'égarddu transit portugais entre Damao
et lesenclaves étaient destinéesà faciliterl'action des bandes armées
qui envahirent les enclaves et à en assurer l'impunité. Les forces de
police qui fiirent placées autour des enclaves ne permettaient à
personne provenant de Damao d'y pénétrer, mais elles ne firent
aucune opposition àl'entrée desenvahisseurs.

52. Pour ce qui est particulièrement du refus de passage opposé
aux déléguéd su gouverneur de Damao, il faut relever une flagrante
contradiction. Dans sa note du 28 juillet 1954, le Gouvernement de
l'Inde donnait comme raison de ce refus l'état de tension qui se
serait créé chezla population indienne en conséquence de ce qu'on

appelait des mesures répressives prises par les autorités portugaises
bien avant que l'attaque de Dadra ne fût prévue. Or, cette tension
- si elle existai- n'empêchapas que des visas fussent concédés
au gouverneur de Damao pour se rendre à Dadra et en revenir la
veille mêmede cette attaque. Si, dans les circonstances alléguées
par l'Inde, le passage de quelqu'un risquerait d'exciter des senti-
ments hostiles de la part de la population indienne, ce serait bien
celui du gouverneur. Rien de la sorte n'est arrivé. Pourquoi sup-
poserait-on que le passage de ses délégués sans armes aurait des
répercussions,différentes?

53. De tout ce que je viens d'exposer, je conclus:
a) Le Portugal a démontréêtre titulaire d'un droit de transit sur
le territoire de'Inde pour tout ce qui est nécessaireau plein exercice
de sa souveraineté sur les enclaves de Dadra et de Nagar-Aveli. b) Ce droit ne peut pas manquer de comprendre le passage des
éléments dela force publique et les armes nécessaires au maintien
de l'ordre intérieur, c'est-à-direxercice de la fonction de police
dans ces territoires.
c) L'Inde a agi contrairement aux obligations que lui imposait

le droit de passage du Portugal.

(Signé FERNANDES.

Bilingual Content

OPINION DISSIDENTE DE M. FERNANDES

La Cour donne satisfaction en partie à la demande du Portugal.
Elle reconnaît que quand l'Inde a décidé des'opposer aux com-

munications entre les territoires portugais de Damao, de Dadra
et de Nagar-Aveli, le Portugal avait un droit de passage sur terri-
toire indien pour assurer ces communications dans la mesure
nécessaire à l'exercice de la souveraineté portugaise sur les enclaves
de Dadra et de Nagar-Aveli. Mais la Cour entend que ce droit
comprend seulement le transit des personnesprivées, des fonction-
naires civils et des marchandises en généralet non celui des forces
armées, de la police arméeet des armes et munitions. Je ne peux
pas êtred'accord avec cette différenciationqui me paraît artificielle
et non fondée, en fait comme en droit. Et par conséquent, je suis
aussi en désaccord avec la conclusion, à laquelle arrive l'arrêt,
que l'Inde n'a pas agi contrairement aux obligations que lui
imposait le droit du Portugal.

I.Je ferai quelques observations préliminaires.
A la base de la présente affaire est le fait essentielque le portkgal
est souverain des deux enclaves de Dadra et de Nagar-Aveli,
situées à l'intérieur du territoire de l'Inde. L'arrêt repose sur ce
fait essentiel et il constate: que l'autorité exclusive du Portugal
sur ces enclaves ne fut jamais mise en cause; b) que la souveraineté
portugaise sur elles fut reconnue par les souverains qui se sont
succédésur le territoire circonvoisin, c'est-à-dire les Britanniques,

entre 1818 et 1947, et l'Inde depuis son indépendance.
Il paraît évident que la souveraineté portugaise sur les enclaves
n'aurait pu subsister pendant tout ce temps-là et ne pourrait plus
subsister aujourd'hui que sous la condition de l'existence d'un droit
de transit au profit du Portugal et de l'obligation correspondante
à la charge de l'Inde; droit et obligaiion dont le but est d'assurer
les communicationsindispensablesavec les enclaves, dans la mesure
nécessaire à l'exercice de la souveraineté dont elles relèvent.
Telle est donc la situation de fait et de droit qui domine tout le
procès: la souveraineté portugaise indiscutée sur les enclaves et
l'impossibilité de l'exercer sans un droit de transit.
La Cour arrive àla conclusion que le Portugal est bien le titulaire
d'un droit de transit pour communiquer avec les enclaves, mais
avecune restriction : que ce droit comprendle passage des personnes
privées, des fonctionnaires civils et des marchandises en général,
dans la mesure nécessaire à l'exercice de la souveraineté portugaise

121 DISSENTING OPINION OF JUDGE FERNANDES

[Translation]
The Court in part gives satisfaction to the claim of Portugal. It
recognizes that when India decided to oppose the communications
between the Portuguese territories of Daman, Dadra and Nagar-
Aveli, Portugal had a right of passage over Indian temtory to
ensure these communications to the extent necessary for the
exercise of Portuguese sovereignty over the enclaves of Dadra and
Nagar-Aveli. But the Court takes the view that this right relates
only to the transit of private persons, civil officials and goods in
general and not to that of armed forces, armed police and arms and
ammunition. 1cannot agree with that differentiation, which appears

to me to be artificial and unfounded, in fact and in law. 1 am conse-
quently in disagreement also with the conclusion reached in the
Judgment, that India has not acted contrary to its obligations
resulting from Portugal's right.

I. 1 have first a few observations to make.
Underlying the present case is the essential fact that Portugal is
sovereign of the two enclaves of Dadra and Nagar-Aveli situated
inside Indian tenitory. The Judgment rests upon that essential fact
and it finds(a) that the exclusive authority of Portugal over these
enclaves was never questioned and (b) that Portuguese sovereignty
over them was recognized bythe successive rulers of the surrounding
territory, that is to Say, the British fro1818 until1947 and India
after it gained its independence.
Itis evident that Portuguese sovereignty over the enclaves could
not have existed all that time and could not continue to exist
today if there were no right of transit in favour of Portugal and no
corresponding obligation incumbent on India; the purpose of that
right and obligationis to ensure the essentialcommunicationswith
the enclaves to the extent necessary for exercise of the sovereignty
upon which they depend.

Such then is the situation of fact and of law which governs the
whole case: unquestioned Portuguese sovereignty over the enclaves
and the impossibility of exercising it without a right of transit.
The Court arrives at the conclusion that Portugal is indeed the
possessor of a right of transit for communication with the enclaves,
but with one restriction: that right includes the passage of private
persons, civil officials and goods in general to the extent necessary
for the exercise of Portuguese sovereignty over these territories,sur ces territoires, mais il ne comprend pas le passage des forces
armées, de la police armée et des armes et munitions.
La souveraineté sur un territoire quelconqueimplique le pouvoir

d'y exercer la puissance publique. Elle implique le droit et l'obli-
gation d'y assurer, manu militari, s'il le faut, le maintien de l'ordre
intérieur. Elle implique enfin l'exercice de la fonction de police.
Comment, dans les circonstances concrètes des enclaves portu-
gaises, ce pouvoir, ce droit, cette obligation, cette fonction seraient-
ils exercéssi un droit d'accès aux enclaves n'est pas reconnu pour
les forces armées, la police armée et les armes et munitions?

2. Le Portugal revendique un droit de passage globalpour ce qui
est nécessaireà l'exercice de sa souveraineté sur les enclaves. Plus
d'une fois, au cours de la procédure, ses conseils ont mis en relief
cet aspect de la revendication portugaise. (Ce droit - disaient-ils,

par exemple, à l'audience du 25 septembre 1959-, ce droit doit
êtreenvisagéd'une façon globale, par rapport à son but, à savoir:
assurer les liaisons avec les enclaves dans la mesure nécessaire à
l'exercice effectif de la souveraineté portugaise sur celles-ci 1)(Pro-
cédure orale (fond), vol. 1, p. 110).
Il est vrai que les Parties ont traité séparémentdans le procès
du transit des personnes et des biens, aussi bien que de celui des
forces armées, de la police et des armes. Mais cela n'était qu'une
méthode d'exposition, pour l'examen cas par cas, de la pratique
qui aurait été à l'origine de la formation d'une coutume locale et
n'avait autre intérêtque celui de démontrer que la réglementation

de l'exercice du droit était variable selon les diverses catégories
qui en forment le contenu.
Dans ses conclusions finales, le Portugal présente sa revendica-
tion à un droit de passage in totoet l'Inde la conteste de la même
façon.
Par ces motifs je ne suis pas d'accord avec la méthode qui a été
suivie, consistant à analyser séparément la demande portugaise
selon les diverses catégories traitées dans l'arrêt: les personnes
privées, les fonctionnaires civils, les marchandises en général,les
forces armées,la police arméeet les armes et munitions.
Ces catégories se rapportent aux modalités de l'exercice du droit
de transit; elles peuvent intéresser sa réglementation; modalités

et réglementation que le Portugal admet qu'elles relèvent de la
compétence exclusive de l'Inde.
Pour ce qui est, particulièrement, des forces armées, de la police
armée et des armes et munitions, le Portugal a bien préciséqu'il
ne revendiquait autre droit que celui de faire passer vers les
enclaves les élémentsdela force publiqueindispensables au maintien
de l'ordre intérieur, c'est-à-direà l'exercice de la fonction de police.
((Le droit de passage revendiqué par le Portugal - a-t-on dit à
l'audience du I~~ octobre 1959 - est limité sans aucun doute
possible aux élémentsde la force publique chargés de maintenirbut does not include the passage of armed forces, armed police and
arms and ammunition.
Sovereignty over any temtory implies the capacity to exercise
public authority in that temtory. It implies the right and the obli-
gation to maintain order there, if necessary manu militari. Lastly it
implies the discharge of police duties. In the particular case of the

Portuguese enclaves, how would that authority, that right and
obligation and those duties be exercised if a right of access to the
enclaves were not recognized for armed forces, armed police and
arms and ammunition?

2. Portugal is claiming a totaEright of passage in respect of what
is necessary for the exercise of its sovereignty over the enclaves.
Portuguese Counsel more than once emphasized this aspect of the
Portuguese claim. They said, for example, at the hearing on 25 Sep-
tember 1959: "that right must be.viewed in the round, in rela-
tion to its purpose, which was to ensure liaison with the enclaves
to the extent necessary for the effective exercise of Portuguese
sovereignty" (Oral Proceedings (Merits), Vol. 1, p. 110).

Itis true that the Parties dealt separately in the case with the
transit of persons and goods and also with that of armed forces,
police and arms. But that was only a method qf exposition in order
to examine caseby case the practice which is said to have led to the

creation of a local custom and its only purpose was to show that
the regulation of the exercise of the right varied according to the
different categories to which the right applied.

In its final Submissions Portugal presents its claim to a right of
passage as a wholeand India disputes it in the same fashion.

For these reasons 1am not in agreement with the method that has
been followed of making a separate analysis of the Portuguese claim
according to the various categories dealt with in the Judgment:
private persons, civil officiais, goods in general, armed forces,
armed police and arms and ammunition.
These categories relate to the ways in which the right of transit
can be exercised, and may affect its regulation;Portugal admits that
these ways of exercise and this regulation are matters Mthin the
exclusive jurisdiction of India.
With particular regard to armed forces, armed police and arms
and ammunition Portugal has made it plain that the only right it
claimed was to send into the enclaves the elements of the public
forces necessary for the maintenance of order, that is, for the dis-

charge of police duties. "There is no doubt whatsoever", it was
said at the hearing of I October 1959, "that the right of passage
claimed by Portugal is limited to certain elements of the public
forcesresponsible for maintaining order." That duty may sometimes
122l'ordre. )Cette fonction peut être, parfois, confiéeà des forces qui
ne tombent pas sous l'appellation ordinaire de police, y inclus à
des élémentsde l'armée, mais cela ne change pas le fait essentiel
qu'elles exercent une fonction de police. Pour le droit international,
ce qui compte est la fonction et non l'organisation administrative
de laforce publique, qui est une matière de la compétenceexclusive

de YEtat. Cette considération est importante pour bien comprendre
la nature et le contenu du droit revendiqué par le Portugal.
Naturellement, la force publique se compose du personnel et du
matériel. C'est une force armée. On ne saurait concevoir un droit
de passage pour des forces armées ...sans armes.
3. La troisième et dernière observation préliminaire que je
voudrais faire est qu'il me parait quele Portugal ne s'est pas adressé
à la Cour pour obtenir la reconnaissance d'un droit qu'il aurait eu
dans le passé. Dans ses conclusions finales du 6 octobre 1959, il
prie la Cour de dire et juger ((que le droit de passage ...existe au

profit du Portugal et doit êtrerespectépar l'Inde 1).Existe et doit
êtrerespecté, c'est dire, dans le temps présent, lejour où les conclu-
sions ont étédéposées.
Ce n'est pas seulement pour obtenir une satisfaction morale que
le Portugal a introduit l'instance. Il l'a fait pour sevoir reconnaître
up droit actuel, dont il se croit toujours titulaire, mêmes'il admet
que dans certaines circonstances son exercice pourrait êtreconsidéré
comme suspendu.
4. Les faits qui ont étédémontréspar le moyen d'une très abon-
dante documentation jointe au procès, en ce qui concerne le transit

d'éléments de laforce publique entre Damao et les enclaves, sont
indiqués aux paragraphes suivants.
5. Une première constatation générale résulte,sans le moindre
doute, de l'examen des preuves: le transit des élémentsde la force
publique entre les trois parcelles qui forment le district portugais
de Damao s'est effectué,pour ainsi dire, quotidiennement, sans
aucune obstruction, depuisl'acquisition des enclaves par le Portugal
en 1783 et 1785 jusqu'en juillet 1954. C'est seulement à cette
dernière date que, pour la première fois dans l'histoire, ce transit
fut empêchépar le Gouvernement de l'Inde. Avant cela il n'a pas
étérévélé un seuc las d'un refus de passage à ces organes de la force

publique portugaise, soit pour des éléments isolés, soit pour des
détachements plus ou moins nombreux. Voilà ce qui est très
significatif.
6. Le transit de la force publique fut exercécomme de droit dans
la périodemahratte (1785-1818).
Une des questions les plus longuement débattues par les Parties
dans le procès a porté sur la nature juridique de la concession faite
par les Mahrattes aux Portugais par un traité de 1779.
Le Portugal soutient que ce traité lui a conféréla souveraineté
sur les territoires qui forment les enclavesde Dadra et Nagar-Aveli.be entrusted to forces not part of what is usually called police, in-
cluding military eiements, but that does not alter the essential fact
that they are performing a police duty. From the point of view of

international law, what matters is the function and not the admini-
strative organization of the public force, which is a matter within
the exclusive competence of the State. This consideration is
important to a proper understanding of the nature and content of
the right claimed by Portugal.
The public force consists of course of personnel and of material.
It is an armed force. A right of passage for armed forces-with
no arms-is inconceivable.

3. My third and last preliminary observation is that Portugal,
as 1 see it, did not apply to the Court for recognition of a right
it claimed to possess in the past. In its final Submiç'sionsof 6 Oc-
tober 1959 it asks the Court to adjudge and declare "that the
right of passage ...is a right possessed by Portugal and which
m~st beresfiectedby India". "1s a right" and "must be respected",
that is to Say at the present time, on the day on which the Sub-
missions were filed.
Portugal did not institute proceedings merely in order to obtain
moral satisfaction. It did so in order to secure recognition of an
existing right, a right which it believes that it still possesses even

though it admits that in certain circurnstances its exercise might
be held to be suspended.
4. The facts regarding the passage of elements of the public
forces between Daman and the enclaves, facts which were illu-
strated by an abundance of documents filed with the Court, are
indicated in the following paragraphs.
- - - -
5. Examination of the evidence permits of one general state-
ment which is certain beyond doubt: these elements of the public
forces passed between the three pieces of temtory formi@ the
Portuguese district of Daman practically daily, with no obstruction
at all, from the time when the enclaves were acquired by Portugal
in 1783 and 1785 until July 1954. It was not until this 1st date
that, for the first time in history, this transit was prevented by the
Government of India. Until then these organs of the Portuguese
public force had in no single case been refused passage, whether
they were individuals or whether they were in more or less large

parties. That is highly significant.

6. In the Maratha period (1785-1818) passage of the public
forces was effected as a right.
A question discussed at great length by the Parties during the
proceedings dealt with the legal character of the concession granted
by the Marathas to the Portuguese under a treaty of 1779.
Portugal argues that this treaty conferred upon it sovereignty
over the territones making up the enclaves of Dadra and Nagar-L'Inde conteste cette thèse et affirme que la concession faite par
le traité était celle d'une tenure féodale appeléesaranjam ou jagir
accordant simplement au Portugal le droit de percevoir certains
revenus fiscaux dans les enclaves.
La Cour donne raison à l'Inde.
Je ne suis pas d'accord, mais je ne vais pas allonger le présent
exposéavec la discussion de ce problème, puisque cela ne me semble
pas nécessairepour établir l'existence, aujourd'hui comme dans le
passé,du droit de transit revendiqué par le Portugal pour sa force
publique.
Il me suffit de vérifier que la Cour a constaté que le Portugal
est, depuis une longue date, le souverain incontesté des enclaves.
C'est ce qui intéresse pour arriver à déterminer si le Portugal a le
droit qu'il revendique. Le mode de l'acquisition de la souveraineté
portugaise n'a qu'une valeur secondaire pour cette démonstration.
Elle existe, c'est tout ce qu'il faut retenir.

7. Le fait que je m'abstiens de m'arrêtersur la question de la
nature juridique de la concession opéréepar le traité de 1779 en
faveur des Portugais ne m'empêche toutefois pas de répéter
l'affirmation que j'ai faite ci-dessus: que le transit des forces arméès
fut exercé comme un droit dans la période mahratte, depuis le
jour mêmeoù les Portugais ont pris possession des enclaves.
Mêmesi l'on admet que les Portugais ont obtenu des Mahrattes
un simple saranjam, toute la documentation et les autorités invo-

quées dans le procès par le Gouvernement de l'Inde démontrent
qu'une telle tenure était assortie de très larges pouvoirs. Ce n'est
pas sans raison qu'on lui a attribué un caractère féodal. Elle ne
conférait pas seulement au saranjamdar (lebénéficiairedu sararYjam)
le droit de percevoir les revenus fiscaux, mais aussi le droit et le
devoir d'administrer le territoire dans la plus large mesure. La
souveraineté du Peshwa restait presque purement nominale. Du
reste, comme il a étédémontré,la souveraineté dans ces temps et
dans ces lieux avait un très faible contenu. Son attribut essentiel
était celui de recouvrer des impôts.

8. Par un accord de 1785, destiné à régler certaines questions
découlant de la remise des villages aux Portugais, furent reconnus
à ceux-ci pleins pouvoirs sur ces villages. Pouvoirs souverains
dirai-je; pouvoirs de saranjamdar diront ceux qui ne partagent
pas mon opinion sur la portéedu traitéde 1779. Peuimporte. Cequi
intéresse - et cela personne ne peut le nier, en face des termes
exprès de l'accord de 1785 et des sanads ultérieurs -, c'est que les
Portugais ont reçu la pleine administration et juridiction sur les
territoires cédésavec les pouvoirs de percevoir les impôts, d'appli-
quer la justice, de poursuivre les criminels, de maintenir l'ordre,
d'étoufferles révoltes, etc.
Il s'ensuit nécessairement qu'en accordant ces pouvoirs aux
Portugais, les Mahrattes leur ont implicitement reconnu le droitAveli. India contests this argument and maintains that the con-
cession granted by the treaty was a feudal tenure known as a
saranjam or jagir granting to Portugal only the right to collect
certain fiscal revenues in the enclaves.
The Court acce~ts the Indian thesis.
1 do not agree: but 1 do not propose to prolong this opinion
by a discussion of this question, since'it seems to me unnecessary
in order to establish the existence, today as in the past, of the
right of passage claimed by Portugal for its public forces.

It is sufficient for my purpose to record the Court's finding
that Portugal has been for a long time the undisputed sovereign
of the enclaves. That is what is important in order to determine
whether Portugal possesses the right it claims. How Portuguese
sovereignty was acquired is of rninor importance in this demon-
stration. It exists and that is all that matters.

7. Nevertheless, the fact that 1 refrain from discussing the
legal character of the concession accorded to the Portuguese by
the Treaty of 1779 does not prevent me from repeating the
statement already made, namely that the passage of armed forces
was exercised as a right throughout the Maratha period from the
very day on which the Portuguese took possession of the enclaves.
Even granted that the Portuguese obtained from the Maratha
a simple saranjam, al1 the documents and authorities cited in the
case by the Governrnent of India show that that tenure carried
with it very wide powers. There is good reason for ascribing to it a
feudal character. It conferred on the saranjamdar (the holder of

the saranjam) not only the right to collect taxes, but also the right
and the duty to administer the territory in the widest sense. The
Peshwa's sovereignty was hardly more than nominal. Moreover, it
has been shown that in those days and in those territories sovereign-
ty amounted to very little. Its essential attribute was the collection
of taxes.

8. An agreement of 1785, intended to settle certain questions
arising out of the transfer ofthe villages tothe Portuguese, acknow-
ledged in their favour full powers over these villages. Sovereign

powers, as 1 cal1 them; saranjamdar powers, according to those
who do not share my opinion on the scope of the 1779 Treaty. The
point is of small importance. What matters-this no one can deny
in view of the express terms of the 1785 Agreement and the later
sanads-is that the Portuguese were given full administration and
jurisdiction over the territories transferred with authority to collect
taxes, administerjustice, pursue criminals, maintain order, suppress
rebellions, etc.
It follows as a necessity that, by granting these powers to the
Portuguese, the Marathas implicity recognized in their favour the de passage indispensable pour les exercer. Et ce droit ne saurait
se limiter au passage des personnes privées, des fonctionnaires et
des marchandises. Il fallait bien, pour maintenir l'ordre, étouffer les
révoltes, etc., que le droit de passage comprenait la force publique
avec tout ce qui lui était nécessairepour accomplir sa fonction. Cela
est logique et ne requiert plus de démonstration. Le dossier fournit

la preuve quele droit depassage pour la forcepublique fut normale-
ment exercé au temps des Mahrattes, mêmepour défendre les
enclavesd'incursions militaires des Mahrattes eux-mêmes(mémoire,
annexes g à 13; réplique, annexes 42 et 43).
g. Alors se pose la question: ce droit de transit (dans l'hypothèse
qu'il s'agirait simplement de saranjam) qu'est-il devenu après que
les Portugais accédèrent à la souveraineté pleine sur les enclaves?
Aurait-il disparu du fait de cet accès? Ceci serait une conclusion
absurde. Le renforcement du titre sous lequel les Portugais exer-
çaient leur autorité exclusive sur les enclaves (comme le reconnaît

l'arrêt);le passage d'un titre mineur et imparfait - le saranjam -
à un titre majeur et parfait - la souveraineté - ne saurait en
aucune façon anéantir le droit quiexistait déjàsousle titre mineur.
Tout au contraire, cette évolution ou transformation du titre aurait
porté ses reflets dans le mêmesens de renforcement, sur le droit
de passage. Celui-ci serait devenu plus dense dans son contenu et
plus impératif dans sa force en se transformant d'un droit destiné
à l'exercice des pouvoirs de saranjamdar en un droit destiné à
l'exercice de la souveraineté. C'est tout ce qu'il faut dire sur les
faits et leur implication en droit dans la période mahratte.

IO. Pour ce qui est des périodesbritannique et post-britannique,
en dehors du fait que j'ai signaléci-dessus que le passage de la force
publique fut toujours exercé sans un seul exemple d'obstruction,
il faut rappeler les faits suivants:
a) Avant la mise en vigueur du traité anglo-portugais de 1878,
le transit d'éléments dela force arméeet de la police ne dépendait
d'aucune autorisation. Cela est admis par le Gouvernement de
l'Inde au paragraphe 333 de la duplique, où il est dit :

la police arméed'un..gouvernement sur le territoire de l'autre était
régiepar un accordréciproque. Il devenait donc inutile, étant donné
l'existencede cet accord, de faire une demande officiellede passage
et d'accorder une autorisation à l'occasionde chaque entrée. ))

J'ai seulement à observerque si un tel accord existait, c'étaitbien
un accord tacite (dont naît la coutume) puisqu'aucune trace
n'existe d'un accord exprès.
b) L'article XVIII du traité anglo-portugais de 1878 stipulait
que les forces armées de l'une des Parties n'entreraient dans les
domaines de l'autre en Inde sans une demande formelle à cet effet.
La police pouvait entrer sans cette demande seulement quand elle

poursuivait des criminels ou des contrebandiers.
125right of passage indispensable for the exercise of those powers.
Nor could that right be limited to the passage of private perçons,

officials and goods. To maintain order, suppress revolt, etc., the
right of passage had necessarily to include the public forces with
all that they needed in order to carry out their duty. That is only
logical and needs no further proof. The records supply evidence
that the right of passage for the public forceswas normally exercised
in the Maratha period even to defend the enclaves from military
attacks by the Marathas themselves (Memorial, Annexes 9-13;
Reply, Annexes 42 and 43).
g. The question then anses, what became of this right of transit
(assuming that it was only a saranjam)after the Portuguese secured

full sovereignty over the enclaves? Did it thereby disappear? It
would be absurd to suppose so. The reinforcement of the title under
which the Portuguese exercised their exclusive authority over the
enclaves (admitted in the Judgment), the conversion of an accessory
and incomplete title-a saranjam-into a complete and principal
title-sovereignty-could not possibly expunge the right which
already existed under the lesser title. On the contrary, this evolu-
tion or alteration of title would have been reflected by a similar
reinforcement of the right of passage. This would have acquired
a greater content and greater mandatory force in its transformation
from a right for the purpose of exercising the powers of a saranjam-
dar into a right for the purpose of exercising sovereignty. That is
al1that needs to be said about the facts and their legal implication
during the Maratha period.

IO. As regards the British and post-British periods, apart from
the fact 1 mentioned above-that the passage of the public forces
was always effected without a single case of obstruction-the
following facts must be recalled:
(a) Before the coming into force of the Anglo-Portuguese Treaty
of 1878, the passage of armed forces and police requiredno authori-

zation. This is admitted by the Government of India in paragraph
333 of the Rejoinder, which says:
"...The fact ...is that before 1879the entry of troops or armed
police of either Government into the territory of the other was
governed by a reciprocal arrangement. The existence of such an
arrangement made it unnecessary for a forma1request to be made
and permissionto be granted on each occasion ofentry."
1 need only point out that any existing agreement of this kind
must have been a tacit one (giving rise to custom), since there is no
trace of any express agreement.
(b) Article XVIII of the Anglo-Portuguese Treaty of 1878

stipulated that the armed forces of one of the Parties would not
enter into the territones of the other in India without a forma1
request to do so. Police might enter without that request only in
pursuit of criminals or smugglers.
IZj Ces dispositions n'étaient pas, à mon avis, applicables au transit

particulier entre Damao et les enclaves. Le dossiercontient un nom-
bre considérable de documents (annexes à la réplique nos50 à 76)
montrant que ce transit continua à s'exercer tout au moins jus-
qu'en 18go;sans besoin d'autorisation.
Ce fut seulement en décembre 1890 (douze ans après la date du
traité) que les autorites britanniques estimèrent qu'une autorisation
était nécessairepour le transit d'éléments dela force armée et de
la police portugaise entre Damao et les enclaves. Elles agirent de
la sorte en représaille contre le fait que les Portugais avaient

désarméun détachement britanniaue aui Avait1~énétrédans le
territoire portugais de Goa sans autorisation aux termes du traité.
Dans la correspondance échangéesur cet incident, le gouverneur
généralde l'Inde portugaise déclarait que «les troupes portugaises
ne traversent jamais le territoire britannique sans autorisation
préalable 1)Mais le fait que trois lignes plus bas le mêmegouverneur
généralajoute que ((cette pratique a été observée depuis des
siècles »,alors quele voisinage des enclavesavec le territoire britan-
nique n'avait-duré que 72 ans, oblige à penser que le gouverneur

généralne se référait point au transit entre Damao et les enclaves,,
mais au cas généralde l'entrée desPortugais en territoire britanni-
que à partir de leurs possessions plus anciennes dans l'Hindoustan.
En tout cas, il est significatif que la police britannique, se réfé-
rant à la lettre du gouverneur portugais, affirmait en 1891 qu'elle
« n'avait pas d'instructions ...pour empêcher la police arméedu
Gouvernement portugais de passer sans autorisation à travers le
territoire britannique dans l'exercice de ses fonctions ». Et elle
ajoutait: (Le superintendent de la police du district est d'opinion
que les arrangements à présent en vigueur devraient continuer. » De

sa part, le commissaire du district du Nord manifestait son accord
avec la police en ce que «ces arrangements étaient convenables et
devraient être continués » (annexes à la duplique, p. 223). Ceci
démontre au'Il vr.vait des arrange"ents ~articuliers Dour le transit
de la police arméeentre Damao et les enclaves et que ces arrange-
ments permettaient le passage sans autorisation, contrairement à
la règle de l'article XVIII du traité de 1878.

c) Dans la période postérieure à la dénonciation de ce traité, en

1892, la pratique a considérablement varié. Par un accord de 1913,
il fut établi que la police de chacune des Parties pouvait traverser
le territoire de l'autre moyennant avis préalable (pas d'autorisation).
De la correspondance qui a mené à cet accord et qui est reproduite
pages 305 à 309 du volume II du contre-mémoire, on déduit que
l'accord confirmait la pratique antérieure dans le sens qu'une noti-
fication préalable était suffisante.
Un accord de 1920 exigeait une autorisation préalable pour le
transit de la police armée au-dessous d'un certain rang. (Annexe
indienne C. no 56.) C'est la première fois que cette exigence apparaît These provisions did not in my opinion apply to the particular
passage between Daman and the enclaves. The records contain a

large number of documents (Reply, Annexes 50-76) showing that
this passage continued to take place, at any rate until 1890, with
no need for an authorization.
It was only in December 1890 (twelveyears after the date of the
treaty) that the British authorities considered that permission
was necessary for the transit of armed troops and of Portuguese
police between Daman and the enclaves. They adopted this attitude
by way of reprisa1 against the Portuguese action in disarming a
British detachment which had entered the Portuguese territory
of Goa without permission in accordance with the treaty.
In the correspondence which passed with regard to this incident,
the Governor-General of Portuguese India stated that "Portuguese
troops never cross British territory without previous permission".
But the fact that the same Governor-General adds three lines
lower down that: "For centuries has this practice been followed",
whereas the enclaves had been contiguous to British temtory for
only 72 years, obliges us to suppose that the Governor-General was
not referring to transit between Daman and the enclaves, but to

the general case of entry by the Portuguese into British territory
from their earlier possessions in the Indian Peninsula.
In any event, it is significant that the British police, with
reference to the Portuguese Governor's letter, declared in 1891 that
theyhad "no orders to prevent armedmen of the Portuguese Govern-
ment ..from passing through British territory on duty" without
obtaining permission. And they added: "The Superintendent of
Police is of opinion that the present arrangements shouldbe allowed
to continue." The Northern District Commissioner expressed his
agreement with the police that "the present arrangement is con-
venient and might be allowed to continue" (Rejoinder, Annexes,
p. 223) This shows that there were special arrangements for the
passage of armed police between Daman and the enclaves and that
these arrangements allowed passage without permission in dero-
gation from the rule in Article XVIII of the Treaty of 1878.

(c) In the period which followed the denunciation of the Treaty

in 1892, the practice varied considerably. An agreement of 1913
established that the police of each Party might cross the other's
territory on previous notification (no authorization). From the
correspondence which led to that agreement, and which is repro-
duced on pages 305-309 of the Annexes to the Counter-Memorial,
it is to be inferred that the agreement confirmed the earlier practice
in the sense that previous notification was al1that was required.
An agreement of 1920 made passage by armed police below a
certain rank subject to prior permission (Indian Annex C. No. 56).
This is the first time that this requirement was stated in an agree-
126formuléedans un accord entre les Parties après la dénonciation du
tratié de 1878.
Un autre accord de 1940 dispensait l'autorisation pour les effec-
tifs de police jusqu'à dix hommes et l'exigeait pour des effectifs
supérieurs. C'est le seul accord qui fut célébré spécifiquementpour
le transit entre Damao et les enclaves. (Annexe indienne C. no 57.)

II. Si l'on considèredonc, dans son ensemble, la pratique suivie
pendant 170 ans, on constate que le passage des troupes et de la
police arméesans autorisation préalable était la règle et que l'exi-
gence d'une autorisation était l'exception. Cela ne modifie pourtant
pas le fait qu'une autorisation était à certaines époques nécessaire.
Mais ce fait ne peut pas, à mon avis, autoriser la conclusion
que le droit de transit n'existait pas. Je me propose de justifier
ce que j'affirme. Pour lemoment, je me borne à observer que l'auto-
risation, quand elle était nécessaire, fut toujours accordée, sans
aucune exception, et que les Britanniques n'eurent jamais l'inten-
tion de la refuser. Dans une lettre que le gouverneur de l'Inde bri-
tannique adressa au gouverneur de l'Inde portugaise, le g avril

1891, concernant l'exigence d'une autorisation, il disait que «il
n'était pas suggéréque l'autorisation, lorsqu'elle serait demandée
pour les hommes armés portugais, ne serait pas accordéeconformé-
ment àla pratique suivie dans le passé ».(Duplique,vol. II, p. 223.)

12. L'examen des faits révèleaussi que la concession de l'auto-
risation toutesles fois qu'elle était demandée,reposait sur l'idéeque
cette concession était obligatoire en vertu d'un droit du Portugal.
La variation de la pratique que nous venons d'examiner peut seule-
ment prouver que l'exigence, àcertainesépoques,d'une autorisation
était une prescription purement réglementaire.
Le Portugal revendique un droit qui est soumis à la réglemen-
tation et au contrôle de l'Inde. La voilà cette réglementation: très
libérale pendant une très longue période, plus stricte plus tard;
se contentant à certaines époques d'un simple laissez-passer émis
par les autorités mêmesdont relevaient les forces en transit (annexe
indienne C. no 39); exigeant à d'autres époquesune notification du
passage, quelquefois préalable, quelquefois a posteriori; imposant,
enfin, à d'autres époques, une demande d'autorisation formelle.
On ne saurait soutenir que l'existence du droit aurait, elle aussi,
souffert de pareilles vicissitudes.

13. On a beaucoup parlé dans le de la distinction essen-
tielle entre le droit et sa réglementation. C'est une idée tellement
élémentairequ'il ne faut pas y insister ici. Comme il ne faut pas,
non plus, insister sur la distinction également élémentaire entre
avoir un droit et êtreen condition de l'exercer. Mais ce qui semble
nécessaire en face dela doctrine de l'arrêt,c'est de rappeler que s'il
y a des autorisations qui sont vraiment constitutives de droits,

ily en a beaucoup plus qui ne le sont pas. On ne saurait affirmer
127 ment between the Parties since the denunciation of the Treaty of

1878.
Another agreement of 1940 waived permission for police forces
up to ten men and required it for larger numbers. This is the only
agreement specifically concluded for transit between Daman and
the enclaves. (Indian Annex C. No. 57.)

II. Accordingly, if the practice followed for 170years is viewed
asa whole, it is found that the passage of troops and armed police
without previous permission was the rule and that the need for
permission was the exception. That, however, does not alter the
fact that permission was needed at certain times. But that does not
in my opinion authorize the conclusion that the right of transit
did not exist. 1 desire to justify my statement. For the moment 1
will only observe that, whenever authorization was needed, it was
invariably granted, without exception, and that the British never
had any intention of refusing it. A letter sent by the Govemor-
General of British India to the Governor of Portuguese India on
g April 1891 conceming the need for an authorization, said that
it was not "suggested that permission, when applied for in respect
to Portuguese armed men, would not be accorded in consonance
with past practice". (Rejoinder, Vol. II, p. 223.)

12. An examination of the facts also reveals that the granting of
permission whenever it was requested was based on the idea that
the grant of permission was obligatory by virtue of a right of
Portugal. The variationin the practice which has just been examined
can prove only that the necessity, at certain periods, for an authori-
zation was a purely regulatory requirement.

Portugal is claiming a right which is subject to regulation and
control by India. We find that regulation very liberal over a very
long period and later on more strict; being sometimescontent with
a simple pass iisued by the Government of the forces in transit
(Indian Annex C. No. 39); at other times requiring notification of
passage, in some cases made beforehand, in others aftenvards ;
and at yet other times demanding a forma1request for permission.
It cannot be argued that the very existence of the right was subject
to these vicissitudes.

13. Much was said during the proceedings about the essential
distinction between the right and its regulation. That is elementary
and needs no stressing here. Nor is it necessary to emphasize the
equally elementary distinction between the possession of a right and
the ability to exercise it. What does need recalling, having regard
to the doctrine underlying the Judgment, is the fact that, if there
are authorizations which genuinely constitute rights, there are more
which do not. It cannot be asserted that the necessity of an authori-que la nécessitéd'une autorisation est la négation mêmed'un droit
qui lui serait antérieur. Une telle affirmation trouverait dans la
science juridique un formel démenti.

14. La notion générale d'autorisation se rattache aux distinc-
tions que je viens de mentionner entre le droit et sa réglementation
et entre le droit et son exercice. C'est une notion commune à toutes
les branches du droit, mais elle trouve son champ d'application le
plus large dans le droit public et, tout particulièrement, dans le
droit administratif.

15. (L'autorisation est l'acte administratif par lequel l'autorité
écarte, cas par cas, les limitations poséespar la norme juridique à
l'exercice, par un sujet déterminé, d'un droit ou d'un pouvoir qui
préexistedans le sujet lui-même, pour exercer une certaine activité
ou pratiquer un acte juridique, moyennant appréciation de tel
exercice ou de telle pratique par rapport à l'intérêtpublic dont la
tutelle est àla charge de l'autorité ))(Ortolani, dans Scritti giuridici
in onoredi Santi Romano, vol. II, p. 251).
L'autorisation ne crée donc pas le droit. Son exigence ne saurait

êtreassimiléeà l'inexistence mêmedu droit. Tout au contraire, elle
suppose normalement l'existence d'un droit antérieur.

(Le droit existe avant l'émanation de l'acte permissif n, dit De
Francesco (L'ammissionenellaclassificazionedegliatti amministrativi,
p. 83). Et il ajoute: ((L'acte administratif consent simplement à
l'exercice de ce qui préexiste 1)(ibid., p.88). Et il conclut: «L'acte
de l'autorité fonctionne comme condition de I'exercice du droit »
(ibid., p.83).
Voilà, définidans un mot, ce qu'est l'autorisation: c'est un acte-

condition. Ce n'est pas un acte normatif ni un contrat. Elle ne
créepas de droits, elle en conditionne seulementl'exercice.

16. Considéréesous un autre aspect, l'autorisation est un acte de
contrôle; de ce contrôle que le Portugal ne refuse pas à l'Inde sur
l'exercice de son droit de passage.

((Le contrôle exercépar l'autorisation - dit Donati - ne vise
qu'à reconnaître et à déclarer qu'unecertaine conduite d'un sujet
de droit correspond à certaines déterminantes, normes, principes
et fins de l'intérêtà la satisfaction duquel tend l'acte voulu par le
sujet.))(Cité parOrtolani, op. cit.,p. 253.)

17. La pratique du droit confirme les opinions de la doctrine. On
pourrait présenter un très grand nombre d'exemples où une autori-

sation est nécessaire pour l'exercice d'un droit préexistant, c'est-à-
dire où elle fonctionne comme simple acte-condition, ou comme
moyen de contrôle del'observance desrèglements et del'opportunité.
Quelques exemples suffiront.
128zation is a negation of a right of more ancient date. Such an affirma-
tion would be flatly contradicted by all jurisprudence.

14. The general notion of authorization is linked with the
distinction that 1 have just mentioned between the right and its
regulation and between the right and its exercise. The notion is
common to all branches of law, but finds its widest fieldofapplica-
tion in public law, especially administrative law.

15. "The authorization is the administrative act by which the
authority removes in each case the limitations imposed by rules of
law upon the exercise, by a given subject, of a right or power
alreadybelongingto the subject himself to exercise a certain activity

or perform a legal act, such exercise or performance being assessed
in the light of the publicnterest which it is theduty of the authority
to safeguard." (Ortolani inScritti gzzthdiciin onoredi Santi Romano,
vol. II, p. 251.)
Accordingly, the authorization does not create the right. The
necessity for it cannot be made equivalent to non-existence of the
right. On the contrary, it normally presumes the existence of an
earlier right.
"The nght exists before issue of the permissive act", De Fran-
cescosays (L'ammissionenellaclassificazionedegl;atti amministrativi,
p. 83). And he adds: "The administrative act simply consents to
the exercise of what already exists" (ibid., p. 88). From this he
infers: "The act of the authority functions as a condition of the
exercise of the right" (ibid.p. 83).
There we have a definition of authorization in one word: it is
a conditioning act. It is not an act establishing a nom, nor is it
a contract. It does not create rights, it only conditions their
exercise.

16. Looked at in another aspect, authorization is an act of
control, of that control over the exercise of its right of passage
which Portugal admits that India possesses.
"The control exercised by means of the authorization-says
Donati-is designed only to recognize and declare that a certain
behaviour on the part of a subject of law is in accordance with
certain determining factors, rules, principles and objectives of the
interest towards the satisfaction of which the act sought by the
subject tends." (Quoted by Ortolani,op. cit.,p.253.)

17. Practice confirms doctrinal opinion. A very large number of
examples could be given where authorization is necessary for the
exercise of ,a pre-existing right, where it functions as a mere
conditioning act or as a means of controlling observance of the
regulations and expediency.
A few examples will suffice.

128 Le droit de propriétésurunterrain implique nécessairement celui
d'y construire un édifice. Quellessont les législations qui n'exigent
pas une autorisation pour cette construction, au moins dans les
zones urbanisées? Encore plus, quelles sont celles qui ne l'exigent
pas aussi pour habiter pour la première fois un édificequi vient
d'êtrebâti? Comme dit D'AIessio: «celui qui obtient une licence de
construction n'obtient l'octroi d'aucun droit qu'il ne possédait au-
paravant ))(Ortolani, op. cit.,p. 225).

Le propriétaire est seul seigneur dans son domaine. Mais s'il faut
à son voisin y entrer pour cueillir les fruits d'un arbre confinant,
celui-là ne peut pas lui refuser son autorisation nécessaire.De même,
si le voisin a besoin d'éleverdes échafauds dans la propriété confi-
nante pour faire une construction ou des réparations dans sa propre
propriété. Il s'agit bien là de droits que le voisin possède avant
d'obtenir une autorisation. La loi les lui reconnaît; mais la loi aussi
fait dépendre l'exercice de ses droits du consentement d'autrui. Ce
consentement peut êtresoumis à des conditions raisonnables, mais
il ne peut êtresimplement refusé. S'il l'est, le juge décidera (Code
civil portugais, art.2314 et 2318).

18. Mais il ne faut pas sortir du domaine du droit international

epmêmede celui du droit conventionnelconcernant le transit inter-
national pour trouver des exemples qui confirment ce que nous
affirmons, que l'exigence d'autorisation ne saurait êtreassimiléeau
manque de droit.
19. L'étude du professeur Édouard Bauer jointe au procès par
le Portugal afin deprouver qu'un seulcasn'est connu dans l'histoire,
depuis le traité de Westphalie, où un droit de passage n'ait pas été
reconnu en faveur d'une enclave (y compris le transit des forces
armées),cette étude, dis-je, montre que trois régimesontétéadoptés
dans les traités pour la réglementation de l'exercice dudit droit.
Parfois une autorisation préalable était nécessaire, parfois une
simple notification du passage était suffisante, parfois encore une
réglementation très stricte et détailléeétait convenue qui rendait

inutile la demande d'autorisation. Des exemples du premier cassont
le traité de Munster du 24 octobre 1648 et la paix des Pyrénées
conclue le 7 septembre 1659. Dans les deux cas un droit de passage
est reconnu en faveur des troupes de Louis XIV pour se rendre aux
enclaves françaises de la Lorraine et de l'Alsace, moyennant une
demande adressée aux souverains des territoires intermédiaires.
((...pateatqueillacregiomiliti, quotiespostulatumfuerit tutus acliber
transitus ».Voilàla formule qui étaitadoptéepar letraitédeMunster.
Elle montre que, mêmedans le cas d'un droit de transit accordé
par un traité, la demande d'une autorisation préalable peut être
établie comme condition de l'exercice du droit.

20. L'autorisation, je le répèteencore une fois, est un.moyen de
contrôle. D'où qu'ellepeut êtredispenséelorsque les parties convien- The ownership of land necessarily implies the right to build
upon it. What legal systems do not require a permit for such
building, at least in urban areas? It would be harder still to find
any which do not also require a permit to occupy for the first time
a building just erected. As D'Alessi0says, "The person who obtains
a building permit is not granted any right he did not previously
possess" (Ortolani, op. cit.,p. 225).

The owner is sole lord of his domain. But if his neighbour needs
to enter that domain to gather fruit from a tree situated on its
border, the owner cannot refuse him the necessary authorization.
So, too, if the neighbour needs to erect scaffolding in the boundary
area between the two properties in order to put up some building
or undertake repairs on his own estate. These are rights which the
neighbour possesses before obtaining an authorization. The law
recognizes his rights, but it also makes their exercise dependent

upon consent by another. That consent can be made subject to
reasonable conditions, but it cannot be refused out of hand. If it
is, the courts will decide (Portuguese Civil Code, Articles 2314 and
2318).
18. There is however no need to go beyond international law or
even beyond treaty law in connection with international transit in
order to find instances which confirm what is here asserted, namely
that the necessity for an authorization cannot be assimilated to
absence of a right.

19. The study by Professor Édouard Bauer submitted- to the
Court by Portugal in order to show that there has not been a single
case in history, since the Treaty of Westphalia, where a right of
passage was not recognized in favour of an enclave (including the
passage of armed forces), that study, 1 Say,shows that treaties have
adopted three systems for regulating the exercise of that right.
Sometimes a prior authorization was necessary,sometimes a mere
notification of passage was enough,sometimes again very strict and
detailed regulations were agreed upon, which made the request for
permission unnecessary. Examples of the first case are the Treaty
of Munster of 24 October 1648 and the Peace of the Pyrenees
concluded on 7 September 1659. In both these cases a right of
passage was recognized for the passage of Louis XIV's troops to the
French enclaves of Lorraine and Alsace, subject to a request for
permission being addressed to the rulers of the intervening territo-
ries."...pateatqueillacregiomiliti quotiespostulatumfuerit tutus ac
libertransitus". Such was the formula in the Treaty of Munster. It
shows that, even where the right of transit is granted by treaty, the
request for previous authorization may be laid dom as a condition
of the exercise of the right.

20. Authorization, 1 repeat once more, is a method of control. It
follows that it can be dispensed with when the Parties agree to
129nent d'établir un autre moyen de contrôle qui soit également efficace.
C'est le cas de la convention germano-polonaiseconcernant la liberté
de transit, signée à Paris le 21 avril 1921. Le transit militaire entre
la Prusse orientale et le reste de l'Allemagne, à travers la Pologne,
y est réglementé avec une telle rigueur et un tel détail que toute
autorisation devenait inutile. Il y aurait un train militaire une fois

par semaine pour le personnel et un autre, différent, pour l'arme-
ment. Tout était strictement réglédans les nombreuses dispositions
de la convention concernant cette modalité du transit. Et nonobs-
tant il était prescrit: «Les autorités allemandes seront tenues
d'annoncer aux autorités polonaises le départ de ce train au moins
24 heures avant sa mise en marche. ))
21. Examinons maintenant deux exemples d'une date plus
récente.

La convention de Chicago du 7 décembre 1944, à laquelle ont
adhéré presque toutes les nations, établit dans son article 5:
« Cha-queÉtat contractant convient que tous les aéronefs des
autres Etats contractants qui ne sont pas employés à des services
aériensinternationaux réguliers ont le droit de pénétrersur son
territoire, ou de le traverser en transit..sans avoir àpbtenir une
autorisation préalable ...sous réserve du droit<pourl'Etat survolé
d'exiger un atterrissage. Néanmoins,chaque Etat contractant se
réserve,pour des raisons de sécuritéde vol, le droit d'exiger que les
aéronefsquidésirerontsurvolerdesrégions inaccessiblesou non pour-
vues de facilitésadéquates pour la navigation aérienne suivent les
routes prescrites ou obtiennentune autorisation spéciale))
On voit donc que le droit de transit aérien est reconnu mais sous
une réglementation et un contrôle. Cette réglementation et ce
contrôle comportent dans tous les cas le droit pour l'État survolé
d'exiger un atterrissage et, dans des cas spéciaux, une demande
d'autorisation préalable. Cette exigence d'autorisation ne signifie
pas que les aéronefs étrangers n'ont pas le droit de survoler les
<(régions dépourvues de facilités adéquates pour la navigation aé-
rienne »,elle signifie seulement que l'autorisation peut êtrerequise

pour l'exercice de ce droit.
22. Un autre exemple nous est donné par la Charte elle-même.
Dans son article 43 il est prescrit:« Tous les Membres des Nations
Unies ...s'engagent à mettre à la disposition du Conseil de Sécurité,
sur son invitation et conformément à un accord spécial ou à des
accords spéciaux, les forces armées, l'assistance et les facilités, y
compris le droit de fiassage, nécessaires au maintien de la paix et de
la sécuritéinternationales. » Les forces au service des Nations Unies
ont donc un droit de passage sur les territoires des Etats Membres.
Est-ce que ce droit peut s'exercer sans autorisation de 1'Etat du

transit? Point dutout. Il faut un accordspécialauquel cet État soit
partie. Mais celui-ci ne saurait licitement refuser à participer à cet
accord sans une raison que le Conseil de Sécuritéconsidère comme
valable.establish another equally effective means of control. A case in point
is the German-Polish Convention on Freedom of Transit signed in
Paris on 21 April 1921. This Convention regulated military transit
across Poland between East Prussia and the rest of Germany so
strictly and in such detail that any authorization became unneces-
sary. Provision was made for one military train once a week to
carry personnel and for another train to carryarms and ammunition.
The whole matter was strictly regulated in the numerous clauses of
the Convention governing this form of transit. Nevertheless it was
provided that "the German authorities shall notify the Polish
authorities of the departure of this train at least twenty-four hours
before it starts".

21. Let us now consider two more recent instances.

The Chicago Convention of 7 December 1944, to which nearly al1
nations have acceded, lays down in.its Article 5:
"Each contracting-state agrees that all aircraft of the other
contracting States, being aircraft not engaged in scheduled inter-
national air services,shall have the right..to make flights into or
in transit non-stop across its territory..without the necessity of
obtaining prior permission ..subject to the right of the State flown
over to require landing. Each contracting State nevertheless re-
serves the right, for reasonof safety of flight, to require aircraft
desiring to proceed over regions which are inaccessible or without
adequate air navigation facilities to follow prescribed routes or to
obtainspecial$ermissionfor suchflights."
Itcan therefore be seen that the right of air transit is recognized,
but subject to regulation and control. This regulation and this
control in every case include the right of the State flown over to
require landing and, in special cases, an application for prior per-
mission. This requirement of permission does not mean that foreign
aircraft have not the right to fly over "regions without adequate
air navigation facilities", it means only that authorization may be
required for the exercise of that right.

22. Another instance is furnished by the Charter itself. Article 43

provides that: ''AUMembers of the United Nations ...undertake to
make available to the Security Council,on its cal1andin accordance
with a special agreement or agreements, armed forces, assistance
and facilities,including rights of passage, necessary for the purpose
of maintaining international peace and security." The forces in the
service of the United Nations have therefore a right of passage over
the territory ofMember States. Can that right be exercised without
the permission of the State passed through? Certainly not. A special
agreement iç needed to which that State is a party. But the latter
cannot lawfully refuse to subscribe to that agreement unless for a
reason which the Security Council deems valid. 23. Je crois avoir ainsi prouvé ma thèse que l'exigence d'une
autorisation pour faire passer des forces de police ou autres à
travers un territoire étranger n'est point du tout incompatible avec
l'existence d'un droit de passage antérieur à cette autorisation. Et
cela signifie de toute évidenceque la faculté, pour l'État du transit,
d'exiger une autorisation avant que son territoire soit traversé
n'implique pas nécessairement le pouvoir discrétionnaire de l'ac-
corder ou de la refuser.
Ayant pour but de constater que les conditions réglementaires
dont dépendl'exercice d'un droit sontsatisfaites et que, dans chaque
cas d'espèce,il n'est pas porté atteinte à un intérêtlégitimede celui
à qui elle est demandée,L'autorisationimplique un pouvoir d'appré-
ciation mais non pas un pouvoir discrétionnaire. Si ces conditions
sont remplies et si ces intérêtslégitimesne sont pas sacrifiés,l'auto-
risation doit êtreconcédéeL . a compétencede celui qui autorise doit
s'exercer en vue des fins pour lesquelles cette compétence lui est

accordée. ((Il y a une foule de cas - dit Hauriou - où, pour
l'exercice d'un de leurs droits, les administrés sont obligés,par la loi,
de demander à l'administration des autorisations.. .; l'administra-
tion est obligéepar là mêmed'accomplir l'acte qu'on lui demande.. . »
(Précisde droit administratif et de droit fiwblic12me édition,p. 357.)
?ans le cas d'espèce l'exigence,à certaines époques,d'une autori-
sation pour lepassage des éléments de la police et de la force armée
était dictée exactement par les mêmes ((considérations de sécurité »
dont parle l'arrêt à propos de certaines restrictions qui furent
imposéesau transit des marchandises. On ne voit pas pourquoi les
restrictions baséessur de telles considérations sont compatibles avec
un droit de transit pour les marchandises et non pour d'autres
modalités du transit.

24. Si l'on considère la nature mêmedu droit de transit pour des
forces armées et les reflets qu'il peut avoir sur la défenseet l'ordre
public du territoire traversé, on n'aura aucune difficulté à compren-
dre qu'une autorisation ou autre forme équivalente de contrôle soit

nécessaire à son exercice, mêmelorsqu'il est établi par un traité.
On peut mêmedire que l'autorisation est inhérente à cette sorte de
droit, àmoins qu'elle ne soit écartéepar un accord entre les parties.

En effet, le véritable objet du droit de transit est d'êtreautorisé
à passer, quelle que soit la forme de l'autorisation, expresse ou
tacite.
Le droit de transit n'est pas un droit réelque son sujet possède
directement, $er se, sur le territoire à traverser. C'est un droit
personnel auquel correspond, de la part du sujet passif de la re-
lation juridique, une obligation personnelle qui peut êtreenvisagée
soit sous son aspect positif defacere (accorderune autorisation), soit
sous son aspect négatif de non facere (ne pas s'opposer au transit). 23. 1 think 1 have now proved my point that the need for an
authorization in order that police or other forces may pass through
foreign territory is in no way incompatible with the existence of a
right of passage of older date than this authorization. This clearly
means that the right of the State passed through to require an
authorization before its territory is traversed does not necessarily
imply a discretionary power to grant the passage or refuse it.

Its purpose being to establish that the conditions regulating
exercise of a right are satisfied and that in each case no injury is
done to the lawful interests of the party whose authorization is
requested, the authorization implies a power of appraisal, but not
a discretionary power. If those conditions are met and if those law-
ful interests are not sacrificed. the authorization must be rrranted.
The jurisdiction of the authori'zing party must be exercised with a
view to the purposes for which it was conferred. "There is a multi-
tude of cases-says Hauriou-in which, for the exercise of one or
another of their rights, the governed are obliged by law to ask the
government for authorization ...the government is thereby obliged
to perform the act asked of it ..."(Précisde droit administratif et de
droit public, 12me édition, p. 357.)
In the present case, the requirement at certain times of authori-
zation for the passage of elements of the police and armed forces
was dictated by precisely those "considerations ofsecurity" referred
to in the Judgment in connection with certain restrictions imposed
on the transit of goods. It is difficult to see whyrestrictions based
on such considerations should be compatible with a right of transit

in respect of goods and not in respect of other categories of transit.

24. When we consider the very nature of the right of transit for
armed forces and its possible repercussions on defence and public
order in the territory passed through, we shall have no difficulty in
understanding that an authorization or equivalent form of control
is necessary for its exercise, even when the right is established by a
treaty. It may even be said that the authorization is inherent in
this kind of right unless it is excluded by agreement between the
Parties.
In fact, the true subject-matter of the right of transit is the
authorizationtopass, in whateverform, expressor tacit, that authori-
zation may be.
The right of transit is not a real right, possessed by the subject
directly per se, in the territory to be passed through. It is a persona1
right, and the passive subject in the legal relationship has a corre-
sponding persona1 obligation, which may be regarded either in its

positive aspect of facere(granting an authorization) or in its negative
aspect of non facere (not opposing passage). Ainsi se concilie parfaitement la suprématie territorialede l'État
du transit avec l'obligation d'y consentir.
25. On a aussi soutenu que le transit des éléments de la force
armée et de la police portugaise vers les enclaves n'était pas
pratiqué à titre de droit, puisqu'il s'exerçait sur une base de réci-
procité, c'est-à-dire en échangede la faculté reconnue aux éléments
de la force arméeet de la police britanniques de traverser le territoire

portugais lorsqu'ils en avaient besoin pour se déplacer entre deux
points de leur prGpre territoire séparéspar territoire portugais.
Je ne saurais accepter l'idéequ'il n'y a pas de droit où il y a réci-
procité. La plupart des droits reconnus entre les nations reposent
sur une base de réciprocité, sans qu'ils perdent, de ce fait, leur
véritable caractère de droits. La réciprocité non seulement n'est
pas incompatible avec eux, mais elle est la condition mêmede leur
efficacité. Le droit que le Portugal revendique pour soi est exac-
tement le mêmeque celui qu'il reconnaît à l'Inde pour communiquer
avec son enclave de Rlechwal située à l'intérieur du territoire
portugais.

26. Le Portugal invoque comme titres de son droit le traité de
1779, la coutume locale, la coutume généraleet les principes géné-

raux du droit.
27. DU traité de 1779 j'ai dit assez aux paragraphes 6 à 9 ci-
dessus.
Je considère qu'en vertu de ce traité et des accords qui le complé-
tèrent, le Portugal reçut la pleine souveraineté sur les enclaves et,
avec elle, le droit implicite et nécessaire d'y accéder.
Mais si je me place dans la position qu'a adoptée la majorité de
la Cour, c'est-à-dire qu'il n'y eutpas de cession de souveraineté mais
simplement concession d'un saranjam, je n'en arrive pas moins à
la conclusion qu'un droit de transit fut implicitement conféréaux
Portugais pour l'exercice des pouvoirs d'administration, de police,
etc., qui leur furent octroyés. Et je ne peux pas comprendre que
la transformation du saranjam en souveraineté, dans la période

britannique, eût fait disparaître le droit d'accès aux enclaves.
28. Pour ce qui est de la coutume locale, j'ai peut-être déjà dit
trop.
Je ne vois pas pourquoi cette coutume serait la source d'un droit
de transit pour les personnes privées, les fonctionnaires civils et les
marchandisesengénéral,et ellene le serait pas d'un droit de passage
pour les forces armées,la police arméeet lesarmes et munitions. Sila
raison en est que ce passage dépendait parfois d'une autorisation,
je crois avoir montré que cette raison n'est pas appuyée ni par la
théorie ni par la pratique du droit. Il y a mêmeun motif plus fort

132 In this way the territorial sovereignty of the State passed through
is entirely consistent with the obligation to allow passage.
25. It has also been contended that the transit of elements of
Portuguese armed forces and police towards the enclaves was not

exercised as of right, on the ground that it was exercised on a basis
of reciprocity, i.e. in consideration for the recognized right of ele-
ments of British armed forces and police to cross Portuguese ter-
ritory when they had to move between two points in their own ter-
ritory separated by Portuguese territory.
1 am unable to accept the view that there can be no right when
there is reciprocity. Most of the rights recognized between nations
rest on a basis of reciprocity; they do not thereby lose their real
character of rights. Not only is reciprocity not incompatible with
such rights; it is the very condition for their effectiveness. The right
which Portugal is claiming for itself is exactly the same as the right
Portugal recognizes India to possess for the purposes of communi-
cating with its enclave of Meghwal situated inside Portuguese
territory.

26. Portugal invokes as the titles of its right the Treaty of 1779,
local custom, general custom and the general principles of law.

27. 1 have said enough about the 1779 Treaty in paragraphs 6
to g above.
1 consider that in virtue of this Treaty and of its supplementary
agreements Portugal received full sovereignty over the enclaves
and, with it, the'implicit and necessary right of access to them.
Even if 1 take up the position adopted by the majority of the
Court, namely, that there was no transfer of sovereignty but only
the granting of a saranjam, 1 still come to the conclusion that a
right of transit was by implication conferred upon the Portuguese
for the exercise of the powers of administration, police,!etc., which
were granted to them. And 1 cannot see that the conversion of the
saranjam into sovereignty, in the British period, caused the right
of access to the enclaves to disappear.

28. With regard to local custom 1have perhaps already said too
much.
1 do not see why that custom should be the source of a right of
transit for private perçons, civil officials and goods in general, and
not be so for armed forces, armed police and arms and ammunition.
If the reason for this is that the latter passage depended at times
upon an authorization, 1 believe that 1have shown that this reason
has no support in either the theory or the practice of the law. There
is an even stronger reason why the right of passage should be

132 pour que le droit de passage soit reconnu pour les forces armées, la
police arméeet lesarmes et munitions que pour lespersonnes privées
et les marchandises en général. Ledroit pour ces deux dernières
catégories est reconnu en vertu de la souveraineté portugaise sur
les enclaves. Cette souveraineté est la cause et aussi le but du droit.
Sans elle, celui-ci n'existerait pas. Eh bien! le droit pour les forces
armées, la police armée et les armes et munitions est beaucoup
plus lié,puisque beaucoup plus nécessaire,à l'existence de la souve-
raineté que celui pour les personnes privées et les marchandises. Et
c'est pourquoi tandis que celui-ci a fait, parfois, l'objet de certaines
prohibitions concernant des marchandises déterminées (le sel, l'al-
coolet les produits destinésà la distillation), voire d'une interdiction
généralependant la dernière guerre, le transit pour les forces armées
ne fut jamais prohibé.N'est cepas illogique que, pour lescatégoriesles
plusattachées àla souveraineté, pour cellesquin'ont jamais souffert
une prohibition, le droit soit considéré commeinexistant alors que,
pour les autres catégories, son existence ne soulève pas de doute?

29. Un point sur lequel je ne suis pas d'accord avec la majorité
de la Cour est que l'examen de la pratique qui s'est établie entre
les Parties au cours du temps, c'est-à-dire la coutume locale, soit
suffisant pour trancher l'affaire. Il le serait si, sur la base simplement

de cet examen, la Cour avait considéréla demande portugaise dans
son ensemble comme fondée. Alors il ne faudrait pas, vraiment,
perdre de temps à chercher une confirmation de cette conclusion
dans les titres généraux invoquéspar le demandeur.
Mais ce n'est pas le cas. La décision à laquelle on est arrivé
entraîne une amputation essentielle au droit revendiqué par le
Portugal. Et si, comme c'est la thèse de celui-ci, aucun des titres
n'exclut les autres, puisqu'au contraire ils se confirment et se ren-
forcent réciproquement, il faut poursuivre l'examen sur la base des
règles généralesinvoquées par le demandeur pour que justice lui
soit rendue.
Il est vrai que le droit particulier déroge, en règle, au droit
général,mais donner comme acquis que, en l'espèce, ledroit parti-
culier est différentdu droit général, c'esttomber dans une pétition
de principe. D'autre part, cette règle n'est pas sans exceptions. Le
droit général cogens l'emporte sur tout droit particulier. Et les
principes généraux dont je ferai mention plus loin constituent de
véritables règles de ius cogens auxquelles il ne saurait être dérogé
par une pratique particulière.

30. Une raison depoids pour que l'examen des titres générauxne
soit pas écarté a priori,c'est le rôle très important qu'ils ont joué
dans l'argumentation des deux Parties.
Les conseils du Portugal ont insisté sur l'importance prédomi-

nante qu'ils y attachaient. A l'audience du 30 septembre 1959, le
professeur Bourquin l'a fait remarquer dans les termes que voici:recognized for armed forces, armed police, arms and ammunition
than for private persons and goods in general. The right for these
two last categories is recognized in virtue of Portuguese sovereignty
over the enclaves. That sovereigntyis the cause and also the purpose
of the right. Without it the right would not exist. But the right for
armed forces, armed police and for arms and ammunition is much
more closely linked, because much more necessary, to the existence
of sovereignty than is the right for private persons and goods. And
this is why, although the last-mentioned categories were sometimes
the subject of prohibitions in respect of specific commodities (salt,
liquor and products fordistillation) and were even altogether banned
in the last war, passage of armed forces was never forbidden. 1s it
not illogical that the right should be considered not to exist for
categories most closely associated with sovereignty and which have
never been prohibited, while its existence in the case of the other
categories occasions no doubt ?

29. A point upon which 1do not agree with the majority of the
Court is that an examination of the practice established between
the Parties inthe course of history, namely, local custom,is sufficient
to settle the case. That would be so if, on the basis of that exami-
nation only, the Court had considered the Portuguese claim as a
whole to be founded. In that case it would certainly not be necessary
to waste time seeking confirmation of that conclusion in the
general titles invoked by the Applicant.
But this is not the case. The decision arrived at involves a vital
amputation of the right claimed by Portugal. And if, as Portugal
argues, none of the titles exclude the others, but, on the contrary,
all confirm and reinforce each other, the examination must extend
to the general rules invoked by the Applicant if justice is to be
done.

It is true that in principle special rules prevail over general rules,
but to take it as established that in the present case the particular
rule is different from the general rule is to beg the question. More-
over, there are exceptions to this principle. Several rules cogentes
prevail over any special rules. And the general principles to which
1 shall refer later constitute true rules oius cogens,over which no

special practice can prevail.

30. Aweighty reason why examination of the general titles should
not be rejected a priori is the very important part they played
in the arguments of the two Parties.
Counsel for Portugal emphasized the outstanding importance
they attached to them when Professor Bcurquin said at the hearing
of 30 September 1959:
133 (Me sera-t-il permis de commencer cet exposéen rappelant à la
Cour l'importance que le droit international généralrevêt dans
notre argumentation?

II en constitue labase essentielle.
CommeM.le doyen Tellesl'a dit avecraison, lestitres particuliers
que nous faisons valoir reposent, en dernière analyse, sur des
règlesgénérales.Ils n'en sont qu'une application, qu'une manifes-
tation concrète.Et j'ajoute que, mêmes'ilsn'existaient pas, le droit
de passage du Portugal n'en serait pas moins incontestable. ))

31. Comme titres génbraux du droit qu'il revendique, le Portugal
invoque la coutume généraleet les principes généraux du droit.
32. L'examen de la situation qui s'est vérifiée au cours de
l'histoire et qui se vérifie aujourd'hui, dans toutes les enclaves
connues, a proyvé qu'une pratique constante et uniforme s'est éta-
blie entre les Etats dans le sens de reconnaître au souverain d'une

enclave le droit de transit nécessaire à l'exercice de sa souveraineté.
Cela révèle,sans possibilité de contestation, l'existence d'une règle
généralecoutumière quiserait, à elle seule, suffisante pour fonder la
prétention du Portugal.
33. Comme principes généraux de droit le Portugal a invoqué
deux ordres de principes:

a) celui qui se dégagede la confrontation des législations internes
des nations civilisées, en ce qui concerne le droit d'accès à un
fonds enclavé ;
b) certains principes fondamentaux inhérents à la structure
meme du droit international.

34. Pour ce qui est du premier des principes invoqués, il a été
démontré par une étude de droit comparé par le professeur Max
Rheinstein, qui figure au procès, que danstoutes les législations des
nations civilisées,le droit d'accès à un fonds enclavé est reconnu au
bénéficede son propriétaire. Il ne s'agit de dresser aucune sorte
d'analogie entre la propriété et la souveraineté, non plus de trans-
porter une règle de droit interne dans le domaine du droit inter-
national. Il s'agit de vérifierqu'il y a une raison profonde, enracinée
dans la conscience juridique de tous les peuples, pour admettre
comme nécessaire (logiquement et pratiquement nécessaire) la

reconnaissance d'un droit de passage à celui qui a une certaine
capacité juridique à exercer dans un espace auquel il ne peut pas
accéder sans emprunter l'espace réservé à autrui. S'il n'y a pas là
un principe général de droit également valable et pour le droit
interne et pour le droit international, au sens de l'article 38 du
Statut de la Cour, alors c'est qu'il n'ya pas de principes satisfaisant
aux conditions de cet article.

35. Il y a finalement les principes générauxde droit que le Por-
tugal a invoqués comme étant inhérents à l'ordre juridique inter-
national. Quelle que soit la position doctrinale qu'on prenne à
134 "1 may be allowed to begin by recalling to the Court the impor-
tant place in Ourargument reserved for general international la\\--.

It constitutesthe very basisof that argument.
As M. Telles rightly said, the particular titles we invoke rest in
the last resort upon general rules. They are an application, a con-
crete illustration, ofhose rules. 1 may add that, even if they did
not exist, Portugal's rightf passagewouldbe nolessindisputable."

31. Portugal iavokes general custom and the general principIes

of law as the general titles of its claim.
32. A study of the situation found to exist throughout history,
and which is to be found existing today, in al1known enclaves has
shown that a uniform and consistent practice has been established
between States in favour of recognizing that the sovereign of an
enclave has the right of transit necessary for the exercise of its
sovereignty. That shows, beyond any possible dispute, that there
is a general rule of custom which would alone suffice to establish

the Portuguese claim.
33. As general principles of law, Portugal invoked two kinds of
principle :
(a) the principle deriving from a comparisop of the municipal
laws of civilized nations in the matter of right of access to

enclaved property;
(b) certain fundamental principles inherent in the very fabric
of international Iaw.
34. As regards the first of these principles, it was shown by a
study of comparative law by Professor Max Rheinstein, filed with

the Court. that the laws of al1civilized nations recoeVize the riehV
of access to enclaved property in favour of its owner. No sort of
analogy needs to be drawn between ownership and sovereignty,
nor is it necessary to transfer a rule of municipal law to the field
of international law. What has to be determined is whether there
is not a reason deeply rooted in the legal consciousness of al1peoples
for admitting, as a logical and practical necessity, the recognition
of a right of passage to one who has a certain legal capacity to
exercise in an area to which he cannot have access without using
an area reserved for another. If that is not a general principle of
law, valid alike in municipal and international law, within the

meaning of Article 38 of the Statute of the Court, then no principles
will meet the conditions of that Article.

35. Lastly, there remain the general principles of law invoked
by Portugal as inherent in the international legal system. \Yhate\-er
view may be held in regard to these principles, n-hether they are

13-1-137 DROIT DE PASSAGE (OPIN.DISS. DE M. FERNANDES)

l'égardde ces principes, qu'on les considère comme des émanations
du droit naturel, ou comme des règles coutumières, ou comme des
principes constitutionnels de la communauté juridique internatio-
nale, ou comme des principes déduits directement de l'idéedu droit,
oucommedes principes consentis par les Etats du fait mêmequ'ils
sont membres d'une communauté juridique, quelle que soit, dis-je,
la position de chacun à l'égard del'origine et du fondement de ces
principes, tout le monde est d'accord pour accepter leur existence

et leur application comme source de droit positif,
36. Le tout premier de ces principes essentiels est le respect
réciproque des souverainetés. Ce principe n'a pas seulement un
contenu négatif dans le sens de la non-intervention des Etatçdans
le domaine réservé à la compétence territoriale deç autres Etats.
Il a aussi un contenu positif dans le sens que tout Etat «consent à

une certaine restriction de son action dans l'intérêt dela liberté
d'action garantie à tous les autres États ». (Oppenheim-Lauter-
pacht, par. 113.)
37. Dans le cas qui nous occupe, il y a face à face deux souve-
rainetés: celle du Portugal sur les enclaves et celle de l'Inde sur
le territoire circonvoisin. La subsistance de la première dépend

absolument du maintien des communications entre les enclaves et le
reste du territoire de l'État dont elles sont partie intégrante. Et
puisqu'une obligation essentielle de la souveraineté est le maintien
de l'ordre dans le territoire où elle s'exerce, ces communications
doivent, nécessairement, comprendre le passage des éléments de la
forcepublique nécessaires à cet effet. Empêcherces communications
indispensables ne serait pas respecter la souveraineté qui en dépend.
Ce serait l'étouffer.Il n'y a pas de grosse différence, a-t-on dit en
plaidoirie, entre tuer quelqu'un d'un coup de fusil et le faire mourir
par suffocation.

38. S'il était permià l'État du territoire enclavantde s'opposer
aux communications nécessairesà l'exercice de la souveraineté du
souverain des enclaves sur celles-ci, cela signifierait qu'il était
loisible au premier de supprimer de son libre arbitre cette souverai-
neté. Ce serait une action techniquement différente de la conquête
armée mais donnant exactement les mêmesrésultats. Si le droit
international interdit la dernière,il ne sauraitpermettre la première.

La souveraineté d'un État sur une partie quelconque de, son
territoire ne peut êtresubordonnée à la volonté d'un autre Etat.
C'est le caractère même dela souveraineté d'être indépendantede
toute volonté extérieure. Et la fonction primaire du droit inter-
national est de garantir l'indépendance des Etats, leur intégrité
territoriale et le respect mutuel des souverainetés.

39. Certes, l'obligation imposéeà un Éfat de consentir au transit
sur son territoire des sujets d'un autre Etat signifie que, -sous cet
aspect limité, sa compétence cesse d'être discrétionnaire pour
13.5considered to be emanations of natural law or to be rules of custom,
or constitutional p.rinciples of the international legal community,
or principles directly deduced from the concept of law, or principles
agreed to by States because they are members of a legal family,
whatever, 1Say, may be the attitude of each towards the origin and
basis of these principles, al1are agreed in accepting their existence
and their application as a source of positive law.

36. The very first of these essential principles is mutual respect
for sovereignties. That principle has more than a negative content
in the sense that States must not intervene in matters within the
territorial jurisdiction of other States. It has also a positive con-
tent in the sense that each state "consents to a certain restriction
of action in the interests of the liberty of action granted to every
other State". (Oppenheim-Lauterpacht, para. 113.)

37. In our own case two sovereignties stand face to face: that
of Portugal over the enclaves and that of India over the surrounding
territory. The existence of the former depends absolutely upon the
maintenance of communications between the enclaves and the rest
of the territory of the State of which they are an integral part. And
since an essential obligation of sovereignty is to maintain order in
the territory in which it operates, those communications must needs
include the passage of the elements of the public forces necessary
for that purpose. To prevent those essential communications would
fail to respect the sovereignty depending upon them. It would crush

it out of existence. There is not much difference, it was said at the
hearings, between shooting a man dead and causing his death by
strangulation.
38. If the State in possession of the surrounding territory were
permitted to obstruct the communications necessary for the exer-
cise of a sovereignty over enclaves, it would mean that that State
was free to suppress that sovereignty at its own diseretion. Such
action would be technically different from conquest by arms, but

it would have exactly the same results. If international law forbids
the latter, it cannot permit the former.
The sovereignty of a State over any part of its territory cannot
be made subordinate to the will of another State. The very essence
of sovereignty is independence of an exterior will. The prime func-
tion of international law is to safeguard the independence of States,
their territorial integrityand mutual respect for sovereignties.

39. No doubt the obligation upon a State to agree to the passage
over its territory of the nationals of another State means that, to
this limited extent, its jurisdiction is no longer discretionary and is
135 êtreliéepar cette obligation internationale. Autre n'est pas l'objet

du droit internationalqFe celui de créer des droits et des obligations
réciproques entre les Etats et de lier, donc, leurs compétences
res~ectives.
L'obligation de l'Inde résulte d'une nécessitéjuridique imposée
par la situation géographique des enclaves. Les données de fait ont
des implications en droit. C'est par exemple un fait géographique
qui est à l'origine de la règle coutumière qui reconnaît le droit de
navigation sur les cours d'eau reliant les ports intérieursà la mer.
«C'est la terre qui confère à 1'Etat riverain un droit sur les
eaux qui baignent ses côtes », a dit la Cour dans l'affaire des
Pêcheries,reconnaissant ainsi les implications juridiques des faits
de la géographie (Recueil 1951, p. 133).

40. Dans le cas d'espèce, il y a encore une raison spéciale pour
soutenir l'existence du droit revendiqué par le Portugal et l'obli-
gation réciproque de l'Inde. C'est que les enclaves se sont consti-
tuées en territoire indien avec le consentement implicite (si l'on
rejette la thèse portugaise fondéesur le traité de 1779) des souve-
rains qui se sont succédédans ce territoire. La Cour a donné
comme prouvé que la souveraineté portugaise fut reconnue par les
Britanniques en fait et par implication et qu'elle le fut ensuite
tacitement par l'Inde.
Ici trouve sa place une thèse du Portugal qui me paraît assez
décisive.,Elle peut être formulée comme suit: la reconnaissance,
par un Etat, de la souveraineté d'un autre Etat sur une enclave à

l'intérieur du territoire du premier implique nécessairement, comme
conséquence logique, la reconnaissance aussi du droit de transit
indispensable à l'exercice de cette souveraineté, sous la réserve de
réglementation et de contrôle par le souverain du territoire qui
entoure l'enclave.
La reconnaissance de la souveraineté d'un État sur un certain
territoire est un acte plein de conséquences juridiques. Par lui,
cette souveraineté est admise dans l'ordre juridique international,
et les Etats dont il émane s'engagent à respecter toutes les attri-
butionsque cet ordrejuridique confèreàla souveraineté, notamment
celle d'organiser la force publique et de maintenir l'ordre dans le
territoire en question. En reconnaissant la souveraineté portugaise
sur les enclaves, les Britanniques, et ensuite les Indiens, n'auraient
pu manquer d'accepter implicitement toutes les conséquences logi-
ques et nécessaires de cette reconnaissance, parmi lesquelles le
droit de transit pour les forces chargées de la fonction de police
est une des plus nécessaires.

41. Il est une norme de droit que celui qui sanctionne un acte
sanctionne aussi les conséquences prévues et nécessaires qui en
découlent logiquement.
La doctrine des pouvoirs implicites contenus dans une faculté
générale,en raison du but de celle-ci, a étésanctionnée par la Courfettered by that international obligation. International law has no
other purpose than to create mutual rights and obligations between
Statesand thus to fetter their respective jurisdictions.

The obligation upon India flows from a legal necessity imposed
by the geography of the enclaves. Factual data have legal implica-
tions. For instance, a geographical fact underlies the rule of custom
which recognizes the right of navigation over waterways connecting
inland ports with the sea.

"It is the land which confers upon the coastal State a right to
the waters offits coasts", the Court said inthe Fisheries case, there-
by recognizing the legal implications of geographical facts (Reports
1951, P. 133).
40. In the particular casebefore the Court there is another special
reason for upholding the existence of the right claimed by Portugal
and the reciprocal obligation binding upon India. It is that the
enclaves were constituted in Indian territory with the implied

consent (if the Portuguese argument based on the Treaty of 1779
be rejected) of the successivesovereigns of that territory.The Court
has accepted it as proved that Portuguese sovereignty was recog-
nized by the British in fact and by implication and that it was
subsequently tacitly recognized by India.
At this point 1 come to an argument of Portugal which appears
to me to be fairly decisive. It may be formulated as follows: recog-
nition, by a State, of the sovereignty of another State over an
enclave situated within the territory of the former necessarily
implies, as a logical consequence, recognition at the same time of
the right of transit essential for the exercire of that sovereignty,
subject to regulation and control by the sovereign of the territor5-
surrounding the enclave.
Recognition of the sovereignty of a State over a certain territory
is an act involving a number of legal consequences. By that act that
sovereignty is accepted as forming part of the international legal

order and the States which have so acted undertake to respect al1
the attributes which that legal order confers upon sovereignty, in
particular that of organizing the public forces andthe maintenance
of order in the territory in question. By recognizing Portuguese
sovereignty over the enclaves, the British, and later the Indians,
could not but impliedly have accepted al1the logical and necessary
consequences of that recognition, amongst which a right of transit
for the forces responsible for police duties is one of the most neces-
sary.

41. There is a legal rule that he who sanctions an act sanctions
also the foreseen and iiecessary consequences which logically flow
therefrom.
The doctrine of iinpliecl powers contained in a general power,
by virtue of the purpose of the latter, wns approved by the Court
136dans l'affaire de la réparation des dommages subis au service des
Nations Unies (Recueil 1949 ,. 182). (Selon le droit international,
a-t-elle dit, l'organisation doit êtreconsidéréecomme possédant ces
pouvoirs, qui,s'ils ne sont pas expressément énoncésdans la Charte,
sont par une conséquence nécessaire (by necessary implication)
conférés à l'organisation en tant qu'essentiels à l'exercice des
fonctions de celle-ci. 1)Voilà ce que demande le Portugal: la recon-
naissance d'un droit qui, s'il n'est pas expressément déclarépar
une règle écrite, lui est par une conséquence nécessaire conférédu
fait de la reconnaissance de sa souveraineté sur les enclaves, en

tant qu'essentiel à l'exercice de cette souveraineté. ((La volonté
d'observer une règle juridique - dit Anzilotti- implique la volonté
d'observer aussi les règles sans lesquelles la première n'aurait pas
de sens et qui y sont logiquement comprises ))(Corsodi Dir. Int.,
1, p. 64).

42. Le principe de l'interprétation des normes et des actes juri-
diques d'après leur but est aussi bien établi. Le but de la reconnais-
sance de la souveraineté d'un Etat sur un territoire quelconque est
de reconnaître à cet Etat le droit d'exercer les fonctions étatiques
sur ce territoire. Nul ne saurait soutenir que, dans le cas d'une
enclave, cet exercice serait possible sans le droit d'y accéder, tout
particulièrement aux fins d'y assurer le maintien del'ordre public.

33. Si l'Éfat du territoire enclavant reconnaissait la souveraineté
d'un autre Etat sur une enclave, tout en se réservant mentalement
la facultéde couperlescommunicationsavec elle quand il lui semble-
rait bon, il n'agirait pas d'accord avec le principe de la bonne foi,
qui est le plus généralet le plus essentiel des principes généraux de
droit .

44. Voilà donc ce qui découle desprincipes généraux de droit: le
transit nécessairepour exercer dans une enclave toutes les fonctions
étatiques, y inclus l'organisation de 13 puissance publique et le
maintien de I'ordre, est un droit de 1'Eta; souverain de l'enclave;

à ce droit correspond l'obligation pour 1'Etat du territoire circon-
voisin de ne pas faire opposition à ce transit. Cette qonclusion
s'impose avec une force toute particulière à l'égardde 1'Etat qui a
reconnu la souveraineté de l'autre sur une enclave située à l'inté-
rieur de son prcpre territoire.

35. La pratique particulière qui s'est établie entre le Portugal
et les souverains qui se sont succédédans le territoire entourant
les enclaves ne saurait pas exclure l'application dans l'espèce des
principes généraux de droit, et, moins encore, êtreinterprétée en
sens contraire à ces principes.
(Les principes généraux du droit sont à la base de la coutume et
du droit conventionnel. Ceux-ci ne sont, d'ordinaire, que la cristal-
lisation de ces principes. Les règles concrètes ne sauraient être

137in the case concerning Reparation for Injuries Suflered in the Service
of the United Nations (I.C. J. Reports 1949, p. 182). "Under inter-
national law", the Court said, "the Organization must be deemed to
have those powers which, though not expressly provided in the
Charter, are conferred upon it by necessary implication as being
essential to the performance of its duties." That is what Portugal
asks: recognition of a right which, if not expressly laid down in a

written rule, is conferred upon it by necessary implication by the
fact of recognition of its sovereignty over the enclaves, as being
essential to the exercise of that sovereignty. "The intent to observe
a legal rule", says Anzilotti, "implies the intent also to observe the
rules without which the original rule would have no meaning and
which are logically included in it." (Corsodi Dir. Int., 1, p. 64.)

42. The principle of the interpretation of legal rul'es and acts

in accordance with their purpose is also well settled. The purpose
of recognition ofthe sovereignty of a State over a given territory is
that the right of that Stateto exercise governmental functions over
that territory should be recognized. It could not be contended that,
in the case of an enclave, that exercise would be possible without a
right of access thereto, especially for the purpose of ensuring the
maintenance of public order there.
43. If the State occupying the surrounding territory recognized
the sovereignty of another State over an enclave while at the same

time mentally reserving the right to sever the communicationswith
it when it chose, it would not be acting in accordance with the
principle of good faith, which is the most general and the most
essential of the general principles of law.
44. This then is what follows from the general principles of
law: the transit necessary in order to exercise al1 governmental
functions in an enclave, including the organization of public forces
and the maintenance of order, is a right of the State which is

sovereign of the enclave; to this right there corresponds the obli-
gation of the State occupying the surrounding territory not to
oppose that transit. This conclusion is particularly inescapable in
the case of a State which has recognized the sovereignty of the
other over an enclave situated within its own territory.
45. The particular practice which was established between Por-
tugal and the successive sovereigns of the territory surrounding

the enclaves cannot exclude the application in the present case of
the general principles of law, still less can it be interpreted in a
way which conflicts with those principles.
"The general principles of law are at the basis of custom and of
conventional law. The latter are usually no more than the crystal-
lization of those principles. The concrete rules cannot be construed
137interprétées dans un sens opposé aux principes dont elles font
l'application. 1) (Verdross, Derecho Internacional Pziblico, pp. 205-
206.)
(La priorité assignéepar l'article 38 du Statut de la Cour à la
convention et à la coutume par rapport aux principes généraux de
droit n'exclut aucunement une application simultanéede ces prin-
cipes et des deux premières sources de droit. 11 arrive fréquemment

qu'une décision rendue sur la base d'une convention spéciale ou
généraleou d'une coutume exige un recours aux principes généraux
de droit ...Le juge y recourra soit pour combler les lacunes des
règlesconventionnelles,soit pour les interpréter. )(De Visscher, dans
Rev. deDr. int. etde Lég. comparée1 , 933,p. 413.) (La pratiqueinter-
nationale démontre que le juge et l'arbitre ne peuvent pas dégager
le véritable sens des dispositions d'un traité sans replacer celles-ci
dans le cadre de certains principes généraux qui les dominent. »
(Ibid., p. 405.)
Les autorités que je viens de citer me fortifient dans l'opinion
qu'il fallait bien avoir recours aux principes généraux,tout au moins

pour bien interpréter la pratique établie entre les Parties.

46. Tout ce que je viens de dire sur les règlesgénéralesdu droit
international et, en particulier, sur les principes généraux de droit
tend à démontrer l'existence du droit revendiqué par le Portugal
in toto,tel qu'il l'a formuléet dont le contenu ne comporte d'autre
définition que celle que le demandeur lui-mêmelui a donnée: un
droit de transit pour ce qui est nécessaireà l'exercice de la souverai-

neté portugaise sur les enclaves. Mais j'ai principalement à l'esprit
le passage des forces armées, de la police armée et des armes et
munitions. Je ccnsidère que rien dans les règles et les principes
invoqués n'autorise la conclusion que le droit serait un pour le
transit civil et un autre pour le transit militaire. S'il y avait lieu
à une distinction, ce serait en faveur du dernier comme étant le plus
étroitement liéà l'exercice de la souveraineté.
Je conclus donc que le droit revendiqué par le Portugal est bien
établi, aussi bien sur la base du droit particulier que sur celle du
droit général.

III

47. Il devient évident que si j'arrive à la conclusion que le Portu-
gal a un droit de passage sur le territoire indien dans la mesure

nécessaire à l'exercice de sa souveraineté sur les enclaves, ce qui ne
peut pas manquer decomprendre - je le répèteencore une fois - le
passage des élémentsarmés nécessaires pour assurer le respect de
la loi et de l'ordre dans ces territoires; si j'arrive cette conclusion,
il me faut aussi conclure que l'Inde a violéle droit du Portugal du
fait qu'elle a, sans raison juridiquement valable, empêché le Portu-
gal d'exercer ce droit.

138to conflict with the principles of which they constitute the applica-
tion." (Verdross, DerechoInternacional Pdblico, pp. 20 5-206.)

"The priority given by Article 38 of the Statute of the Court to
conventions and to custom in relation to the eeneral ~rinci~les
of law in no way excludes a simultaneozts ap$icationLof those
principles and of the first two sources of law. It frequently happens
that a decision given on the basis of a particular or general conven-
tion or of a custom requires recourse to the general principles of
law ...A court will have recourse to those principles to fil1gaps in
the conventional rules, or to interpret them." (De Visscher, in Rev.
de Dr. int. etdeLég.comparée1 , 933, p. 413.) "International practice

shows that a court or an arbitrator cannot ascertain the true
meaning of the provisions of a treaty without considering these
within the framework of certain general principles which dominate
them." (Ibid.. D. 40s.)
The ahthoiiiies'whom 1 have just cited strengthen me in my
opinion that it was really necessary to have recourse to the general
principles, at least for the purpose of properly interpreting the
practice established between the Parties.
46. Al1 1 have said with regard to the general rules of interna-
tional law, and, in particular, with regard to the general principles
of law tends to show the existence of the right .claimed by Portugal
in toto, as it was formulated by Portugal and the content of which
has no other definition than that which the Applicant itself has
given to it: a right of transit for that which is necessary for the
exercise of Portuguese sovereignty over the enclaves. But 1 have
mainly in mind the passage of armed forces, armed police and arms

and ammunition. 1 consider that there is nothing in the rules and
principles invoked to warrant the conclusion that there should be
one right for civil transit and another for military transit. If there
were any reason for a distinction it would be in favour of the latter
as being more closely bound up with the exercise of sovereignty.
1 therefore come to the conclusion that the right claimed by
Portugal is well established, both on the basis of the relevant
special rules and on that of the relevant general rules.

III

47. It becomes clear that if 1 reach the conclusion that Portugal
has a right of passage over Indian territory to the extent necessary
for the exercise of its sovereignty over the enclaves, which cannot
fail to include-1 repeat it once more-the passage of the armed
forces necessary to ensure the maintenance of law and order in
those territories; if 1 arrive at that conclusion, 1 must also conclude
that India has violated Portugal's right by its action in preventing,
without any legally valid reason, the exercise of that right by
Portugal.1-41 DROIT DE PASSAGE (OPIN. DISS. DE M. FERNANDES)

Cefait est abondamment prouvédans le procès, comme le sont les
raisons purement politiques de l'attitude de l'Inde.
Après l'échec desdemandes qu'elle avait faites par voie diplo-
matique entre 1950 et 1953, pour obtenir le transfert direct dans
sa souveraineté des territoires portugais de la péninsuleindienne, le
Gouvernement de l'Inde a cherché à obtenir les mêmes.résultats
par des moyens moins directs mais plus illicites.

48. Pour ne considérer que les faits concernant la rupture des

communications avec les enclaves, retenons seulement les suivants :

a) Depuis octobre 1953 fut prohibé le transit de la police et du
personnel militaire (communiqué de presse indien du 22 juillet

1954, mémoire,annexe 44).
b) Le transit d'armes et munitions de toutes catégories fut
prohibé le 17 juillet 1954, c'est-à-dire quatre jours avant l'attaque
à Dadra (mémoire, annexe 47).

c) Le 13 juin 1954, le transit des véhicules entre Damao et les
enclaves fut prohibé avec la conséquente répercussion sur le transit
des marchandises (réplique, annexe 168).

d) Le 20 juillet 1954, l'autobus qui faisait le service régulierentre
Damao et Nagar-Aveli fut obligé derebrousser chemin en arrivant
à proximité de Dadra (réplique, annexe 165).

e) Le 21 juillet 1954, toutes communications, mêmepour les
personnes privées, étaient interdites (réplique, annexe 166).
,yL'attaque à Dadra par des élémentspartis du territoire indien
(comme le reconnaît l'Inde aux paragraphes 227 et 228 de son
contre-mémoire) fut exécutéela nuit du 21/22 juillet.

g) A partir de cette date, l'Inde cessa d'accorder des visas pour
le transit des Portugais européenset pour les sujets portugais abo-
rigènesau service du Gouvernement portugais, mêmepour se rendre
à Nagar-Aveli, où la situation était encore calme. Ceci est confirmé
par l'Inde au paragraphe 211 de son contre-mémoire.

h) Dans une note du 24 juillet, le Gouvernement portugais
demanda à celui de l'Inde une autorisation pour envoyer des forces
destinées à rétablir l'ordreà Dadra. Cette demande fut rejetée par
une note du'z8 juillet, sur la base de raisons exclusivement poli-
tiques: (Le Gouvernement de l'Inde a clairement indiqué - dit
cette note - qu'il ne pouvait pas accepter le maintien de la domi-

nation étrangère sur une partie quelconque de l'Inde » (mémoire,
annexe 52, par. 12).
i) Le 26 juillet, le Gouvernement portugais demanda des facili-
téspour envoyer à Nagar-Aveli trois déléguéd sésarmésdu gouver-
neur de Damao. Cette demande fut rejetéeparla mêmenote indienne

139 RIGHT OF PASSAGE (DISS. OPIN. OF JUDGE FERNSNDES)
I4I
The fact has been abundantly proved in the proceedings, as
have the purely political reasons for the attitude of lndia.
After the failure of the requests which it' made through diplo-
matic channels, between 1950and 1953, to obtain the direct transfer
to its sovereignty of the Portuguese territories in the Indian

Peninsula, the Government of India sought to obtain the same
results by less direct but more unlawful methods.

48. To consider only the facts relating to the severing of com-
munications with the enclaves, attention may be directed merely
to the following:

(a) From October 1953, the transit of police and military
personnel was prohibited (Indian press communiqué of 22 July
1954, Memonal, Annex 44).
(b) The transit of arms and ammunition of al1 categories was

prohibited on 17 July 1954, that is, four days before the attack on
Dadra (Memorial,Annex 47).
(c) On 13 June 1954, the transit of vehicles between Daman and
the enclaves was prohibited with the consequential repercussions
on the transit of goods (Reply, Annex 168).

(d) On 20 July 1954, a bus on the regular service between
Daman and Nagar-Aveli was forced to turn back on nearing Dadra
(Reply, Annex 165).

(e) On 21 July 1954, al1 communications, even for private
perçons, were prohibited (Reply, Annex 166).
(f) The attack on Dadra by elements coming from Indian
territory (asis admitted by India in paragraphs 227 and 228 of its

Counter-Memonal) was carried out in the night of 21/22 July.
(g) As from that date, India ceased to grant visas for the transit
of Portuguese Europeans or native subjects in the service of the
Portuguese Government, even for the purpose of going to Nagar-
Aveli, where the situation was still calm. This is confirmed by
India in paragraph 211 of its Counter-Memorial.

(h) In a Note of 24 July, the Portuguese Government asked the
Indian Government for authorization for the despatch of forces to
re-establish order in Dadra. This request was rejected in a Note
of 28 July, on purely political grounds: "The Government of India
have made it clear", it is said inthe Note, "that they cannot accept
the continuance of foreign rule over any part of India" (Memorial,
Annex 52, para. 12).

(i) On 26 July, the Portuguese Government asked for facilities
to send to Nagar-Aveli three unarmed delegates of the Governor of
Daman. This request was rejected in the same Indian Note of

139 du 28 juillet, sur la base qu'un état d'excitation s'était créédans la
population indienne voisine des enclaves, et que la tension serait
accrue du fait du passage des fonctionnaires portugais.
1;)Tout cela se passait, il faut bien le souligner, avant que rien
d'anormal n'ait eu lieu à Nagar-Aveli. Cette constatation est essen-
tielle pour montrer que tout argument de l'Inde en justification
de son attitude qui puisse êtrebasésur une situation anormale en
territoireportugais n'est point valable pour letransit entreDamao et
Nagar-Aveli .

k) Des troupes de police à effectifs renforcés furent placées par
les autorités indiennes autour des enclaves avant que celles-ci eussent
été attaquées.Ce fait est confirmépar le Gouvernement de l'Inde
dans son communiqué de presse du 22 juillet. Il essaie de le justifier
en face de l'accroissement des troupes sur le territoire portugais.
Mais il se contredit, lorsque dans le mêmecommuniqué il indique
qu'à la place de Damao, une ville de 20 ooo habitants, il y avait une
force militaire de plus de IOO hommes (sic( )mémoire,annexe 44).

I) A la fin juillet 1954, Nagar-Aveli fut attaquée aussi par des
éléments venus du territoire indien, comme l'Inde le reconnaît
aux paragraphes 227 et 228 du contre-mémoire déjà cités.

m) Des propositions portugaises pour envoyer dans les enclaves
des observateurs de Puissances tierces furent rejetées.

Tels sont les faits. Ils font apparaître la violation manifeste du
droit de transit du Portugal.
49. Mêmesi l'on se place sur le champ restreint du droit reconnu
par la Cour pour le transit des personnes privées, des fonctionnaires
civils et des marchandises, les faits indiqués aux alinéas c), d),e),

g), i)et i) prouvent que mêmele droit concernant ces catégories fut
violé.
50. On a pu songer, pour justifier tel ou tel de cesfaits,notamment
le refus de passage opposé aux délégués du gouverneur de Damao
pour se rendre à Nagar-Aveli, à invoquer l'état de tension existant
en territoire indien au moment où ces faits se sont produits. L'Inde
ne saurait trouver là une justification acceptable, cet état de
tension étant le résultat de sa propre faute, en particulier de la

négligence(pour dire le moins) de ses autorités en face de la prépa-
ration sur son propre territoire des actes d'agression dirigéscontre
le territoire portugais.
En disant cela, je n'entends pas me séparer de ce qu'a admis la
Cour lorsqu'elle énonce qu'elle n'a pas à se prononcer sur les faits
en question parce que le Portugal ne lui a formuléaucune demande
concernant la responsabilité de l'Inde en vertu de son manque de
diligence dans la prévention des actes agressifs préparéssur son
territoire contre le Portugal.

140 28 July on the grounds that a state of tension had been created
among the Indian population bordering on the enclaves and that
that tension would be increased by the passage of Portuguese
officials.

(j) Al1 this happened, it must be stressed, before anything
abnormal had occurred at Nagar-Aveli. It is essential to point this
out in order to show that any argument by India to justify its
attitude, based on the existence of an abnormal situation on
Portuguese territory, is not valid in respect of transit between
Daman and Nagar-Aveli.
(k) Reinforced police were placed by the Indian authorities
around the enclaves before the latter were attacked. This fact is
confirmed by the Indian Government in its press communiqué of

22 July. It seeks to justify it by the increased number of troops on
Portuguese territory. But it contradicts itself, since in the same
communiqué it indicates that in Daman, a town of 20,000 inhabi-
tants, there was a military force of over IOO men (sic) (Memorial,
Annex 44).
(1) At the end of July 1954 Nagar-Aveli too was attacked by
elements coming from Indian territory, as India has acknowledged
in paragraphs 227and 228 of the Counter-Memorial, already referred
to.

(m) Portuguese proposals for the sending to the enclaves of
observers of third Powers were rejected.
Those are the facts. They reveal a manifest violation of Portugal's
right of transit.

49. Even from the limited point of view of the right recognized
by the Court in respect of the transit of private persons, civil
officials and goods, the facts indicated in paragraphs (c),(d), (e),
(g),(i) and (1)prove that even the right relating to those categories
was violated.

50. By way of justification of certain of these facts, in particular
the denial of passage to the delegates of the Governor of Daman
seeking to go to Nagar-Aveli, some reliance may have been sought
to be placed upon the state of tension existing in Indian territory at
the time when the facts occurred. This cannot provide an accep-
table justification for India, since that state of tension was the
result of its own fault and, in particular, of the negligence of its
authorities in the face of the preparation on its own territory of acts
of aggression directed against Portuguese territory.
In saying this it is not my intention to differ from the view
expressed by the Court that it is not called upon to deal with
the facts in question since Portugal has not formulated any claim

with regard to the responsibility of India by reason of its lack of
diligence in preventing aggressive acts against Portugal prepared
upon its territory. Mais lorsqu'il s'agit de se prononcer sur la validité de l'excuse
présentéepar l'Inde pour s'opposer à l'exercice du droit de transit
du Portugal, lorsqu'il s'agit de déterminer si cette opposition, dans
l'espèce, relève du pouvoir de réglementation et de contrôle de
l'Inde, ou si, au contraire, elle constitue un abus ou un détourne-
ment de ce pouvoir, alors il faut bien apprécier quelles sont les
responsabilités de l'Inde dans la création des situations et des faits

sur lesquels elle prétend fonder son excuse. Parce que, indubitable-
ment, s'il s'avèreque de telles responsabilités lui incombent, l'excuse
n'est plus valable. hTemoallegettur~itudinem suam. Nul ne peut se
fonder sur les conséquences de sa propre faute pour échapper à
I'accomplissement d'une obligation juridique.
51. En ce qui me concerne, l'étude attentive que j'ai faite du

dossier et des preuves y contenues m'a fait conclure, en toute
conviction, que l'Inde est responsable des événements qui se sont
produits à Dadra et à Nagar-Aveli en juillet-août 1954 et que cette
responsabilité l'empêche dese justifier des violations qu'elle a
commises du droit reconnu au Portugal.

Toute la preuve conduit à la conclusion que les mesures prises
par,les autoritésindiennesà l'égarddu transit portugais entre Damao
et lesenclaves étaient destinéesà faciliterl'action des bandes armées
qui envahirent les enclaves et à en assurer l'impunité. Les forces de
police qui fiirent placées autour des enclaves ne permettaient à
personne provenant de Damao d'y pénétrer, mais elles ne firent
aucune opposition àl'entrée desenvahisseurs.

52. Pour ce qui est particulièrement du refus de passage opposé
aux déléguéd su gouverneur de Damao, il faut relever une flagrante
contradiction. Dans sa note du 28 juillet 1954, le Gouvernement de
l'Inde donnait comme raison de ce refus l'état de tension qui se
serait créé chezla population indienne en conséquence de ce qu'on

appelait des mesures répressives prises par les autorités portugaises
bien avant que l'attaque de Dadra ne fût prévue. Or, cette tension
- si elle existai- n'empêchapas que des visas fussent concédés
au gouverneur de Damao pour se rendre à Dadra et en revenir la
veille mêmede cette attaque. Si, dans les circonstances alléguées
par l'Inde, le passage de quelqu'un risquerait d'exciter des senti-
ments hostiles de la part de la population indienne, ce serait bien
celui du gouverneur. Rien de la sorte n'est arrivé. Pourquoi sup-
poserait-on que le passage de ses délégués sans armes aurait des
répercussions,différentes?

53. De tout ce que je viens d'exposer, je conclus:
a) Le Portugal a démontréêtre titulaire d'un droit de transit sur
le territoire de'Inde pour tout ce qui est nécessaireau plein exercice
de sa souveraineté sur les enclaves de Dadra et de Nagar-Aveli. But where the question arises of passing upon the validity of
an excuse put forward by India for opposing the exercise of Portu-
gal's right of transitwhere it is necessary to determine whether that
opposition, in the circumstances of the present case, falls within
India's power of regulation and control, or whether, on the contrary,
it constitutes an abuse or a misuse of that power, it does become
necessary to determine the responsibility of India for the creation
of the situations and factsupon which it purports to base its excuse.

For, clearly, if it appears that it hasch a responsibility, the excuse
can no longer be valid. Nemo allegettur~itudinem suam. No one can
rely upon the consequence of his own fault to escape the perfor-
mance of a legal obligation.
51. So far as 1 am concerned, the careful study 1 have made of
the record and of the evidence which it contains has led me to the

conclusion, of which 1 am fully convinced, that India is responsible
for the events which occurred at Dadra and at Nagar-Aveli in
July-August 1954, and that that responsibility makes it impossible
for it to justify its violations of the right recognized as belonging to
Portugal.
All the evidence leads to the conclusion that the measures taken
by the Indian authorities in respect of Portuguese transit between
Daman and the enclaves were designed to facilitate the action of
the armed bands which invaded the enclaves and to ensure their
impunity. The police forces which were stationed around the
enclaves did not allow anyone from Daman to enter but did not in
any way oppose the entry of the invaders.

52. With particular regard to the refusal of passage to delegates
of the Governor of Daman attention must be drawn to a flagrant
contradiction. In its note of 28 July 1954 the Government of India
gave as its reason for the refusal the state of tension which was
allegedly created among the Indian population in consequence of
what were called the repressive actions of the Portuguese authorities
long before the attack on Dadra was under contemplation. But this
tension-if it existed-did not prevent visas being granted to
the Governor of Daman for a journey to and back from Dadra on
the very day before the attack. If, in the circumstances alleged by
India, passage by anyone was likely to excite the hostility of the
Indian population, it would surely have been the passage of the

Governor. Nothing of the kind occurred. Why should it be supposed
that the passage of his delegates, who were unarmed, would have
had different repercussions ?
53. From al1that 1 have said 1 conclude that :

(a) Portugal has proved that it is the holder of a right of transit
through the territory of India for al1that is necessary for the full
exercise of its sovereignty over the enclaves of Dadra and Nagar-
Aveli.
141 b) Ce droit ne peut pas manquer de comprendre le passage des
éléments dela force publique et les armes nécessaires au maintien
de l'ordre intérieur, c'est-à-direxercice de la fonction de police
dans ces territoires.
c) L'Inde a agi contrairement aux obligations que lui imposait

le droit de passage du Portugal.

(Signé FERNANDES. (b) This right cannot fail to include the passage of elements of
the public forces and the arms necessary for the maintenance of
interna1 order, that is, for the exercise of police functions in those
territories.

(c) India has acted contrary tothe legal obligations binding upon
it by virtue of Portugal's right of passage.

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Document Long Title

Opinion dissidente de M. Fernandes

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