Déclaration de M. Badawi

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032-19600412-JUD-01-03-EN
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032-19600412-JUD-01-00-EN
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DÉCLARATION DE M. BADAWI

Le Portugal a constamment soutenu dans les écritures et dans
lesplaidoiries que les Britanniques et'Inde àleur suite ont reconnu
sa souveraineté sur les enclaves et qu'en fait il n'a jamais eu avant
1954 à se plaindre de la manière dont ils se sont comportés à son

égard. S'ily a eu quelques incidents ou divergences de vues entre
eux, ils étaient dus à leur pouvoir de contrôle et de réglementation
que le Portugal ne pouvait leur contester.
Sur cette question, l'arrêt prend une position intermédiaire. Il
considère que les Britanniques, sans reconnaître expressément cette
souveraineté, n'auraient jamais mis en question l'autorité exclu-
sive du Portugal sur les enclaves, et qu'ils auraient ainsi reconnu
sa souveraineté en fait et par implication et que cette souveraineté
fut ensuite tacitement reconnue par l'Inde.
J'estime toutefois qu'en procédant par la constatation que les
Britanniques et l'Inde à leur suite ont reconnu la souveraineté du
Portugal, on postule la question au lieu de la démontrer.

A mon avis, il faut d'abord examiner et analyser lesrapportsentre
les Britanniques et le Portugal pour ensuite tirer de ces examen et
analyse les conclusions appropriées à ce sujet.
A défaut d'une reco~inaissance explicite et formelle, il est néces-

saire de rechercher si les attributs de la souveraineté ont étéen fait
reconnus.
Or, on ne peut ne pas admettre qu'outre que les frontières des
enclaves se confondant avec le territoire indien, le passage de mar-
chandises entre Damao et les enclaves et entre celles-ci fut géné-
ralement traité comme un cas d'importation et d'exportation,
le passage de la police, des forces arméeset des armes fut toujours,
ainsi que l'arrêt lereconnaît, soumisà la nécessité del'autorisation
et partant à la discrétion des Britanniques.
La convention de 1878 entre la Grande-Bretagne et le Portugal,
nonobstant la réciprocité des droits et des obligations des deux
Parties dans leurs domainesrespectifs sur laquelle elle fut basée,n'a
pu mêmedéroger à cette nécessité. L'expiration de cette conven-
tion en 1892 n'a évidemment pas accru les droits du Portugal ou
changéleur nature.
Dans ces conditions, il serait difficile de concilier une reconnais-
sance de souveraineté avec l'exercice d'une discrétion qui, en prin-

cipe, répudie une des conséquences indispensables de cette souve-
raineté.
Le fait que l'autorisation a toujours étéaccordée dans le passé
n'a aucune portée ou signification juridique. A circonstances
égales,il n'y a rien d'étonnantà ce que l'autorisation soit constam-
ment accordée. Si, avec le changement de circonstances, l'autori-
48 sation est refusée, il n'y a également rien d'étonnant. C'est l'es-
sence mêmede l'autorisation qui a à sa base une notion de discré-
tion.
L'alliance entre la Grande-Bretagne et le Portugal et la garantie
par la première de possessions coloniales portugaises ont pu tra-
vestir la réalité juridique de leurs rapports en ce qui concerne les
enclaves. Il n'en reste pas moins qu'à l'analyse de ces rapports, on
devrait reconnaître qu'il n'a rien existé d'autre qu'une situation de
fait sui generisavec des limites précises.

Toutefois, il est difficile de classer cette situation daune caté-
gorie de droits reconnaissables en droit international et encoremoins
dans celle de la souveraineté: admettre la souveraineté du Portugal,
ce serait admettre qu'elle pourrait comporter des conséquences
juridiques autres que celles reconnues en pratique. Seule cette
conclusion devrait suffire à écarter cette notion, puisqu'elle dépas-
serait la situation de fait que la Cour a reconnue.

Quel que soit l'obscurcissement que le traité d'alliance entre la
Grande-Bretagne et le Portugal et la garantie de protection par
la première des possessions portugaises ont pu faire naître sur l'éten-
due des droits du Portugal sur les enclaves, il est évident que ce
traité n'a pu créerque des droits et obligations personnels entre le
Portugal et la Grande-Bretagne lesquels, évidemment, ne se sont
pas transmis au Gouvernement national de l'Inde. Avec le change-
ment de partenaire, la situation serait nécessairement moins favo-
rable au Portugal.
De l'ensemble de ces conditions confuses, il n'est guère étonnant
qu'il se soit crééune situation équivoque où le Portugal croyait à
un droit réel de souveraineté s'imposant à l'Inde et que celle-ci

ne pouvait y voir qu'une simple faculté soumise à son entière dis-
crétion, à exercer dans des conditions fort différentes de celles que
le Portugal a connues pendant la période britannique.

(Signé)A. BADAWI.

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DÉCLARATION DE M. BADAWI

Le Portugal a constamment soutenu dans les écritures et dans
lesplaidoiries que les Britanniques et'Inde àleur suite ont reconnu
sa souveraineté sur les enclaves et qu'en fait il n'a jamais eu avant
1954 à se plaindre de la manière dont ils se sont comportés à son

égard. S'ily a eu quelques incidents ou divergences de vues entre
eux, ils étaient dus à leur pouvoir de contrôle et de réglementation
que le Portugal ne pouvait leur contester.
Sur cette question, l'arrêt prend une position intermédiaire. Il
considère que les Britanniques, sans reconnaître expressément cette
souveraineté, n'auraient jamais mis en question l'autorité exclu-
sive du Portugal sur les enclaves, et qu'ils auraient ainsi reconnu
sa souveraineté en fait et par implication et que cette souveraineté
fut ensuite tacitement reconnue par l'Inde.
J'estime toutefois qu'en procédant par la constatation que les
Britanniques et l'Inde à leur suite ont reconnu la souveraineté du
Portugal, on postule la question au lieu de la démontrer.

A mon avis, il faut d'abord examiner et analyser lesrapportsentre
les Britanniques et le Portugal pour ensuite tirer de ces examen et
analyse les conclusions appropriées à ce sujet.
A défaut d'une reco~inaissance explicite et formelle, il est néces-

saire de rechercher si les attributs de la souveraineté ont étéen fait
reconnus.
Or, on ne peut ne pas admettre qu'outre que les frontières des
enclaves se confondant avec le territoire indien, le passage de mar-
chandises entre Damao et les enclaves et entre celles-ci fut géné-
ralement traité comme un cas d'importation et d'exportation,
le passage de la police, des forces arméeset des armes fut toujours,
ainsi que l'arrêt lereconnaît, soumisà la nécessité del'autorisation
et partant à la discrétion des Britanniques.
La convention de 1878 entre la Grande-Bretagne et le Portugal,
nonobstant la réciprocité des droits et des obligations des deux
Parties dans leurs domainesrespectifs sur laquelle elle fut basée,n'a
pu mêmedéroger à cette nécessité. L'expiration de cette conven-
tion en 1892 n'a évidemment pas accru les droits du Portugal ou
changéleur nature.
Dans ces conditions, il serait difficile de concilier une reconnais-
sance de souveraineté avec l'exercice d'une discrétion qui, en prin-

cipe, répudie une des conséquences indispensables de cette souve-
raineté.
Le fait que l'autorisation a toujours étéaccordée dans le passé
n'a aucune portée ou signification juridique. A circonstances
égales,il n'y a rien d'étonnantà ce que l'autorisation soit constam-
ment accordée. Si, avec le changement de circonstances, l'autori-
48 DECLARATION BY JUDGE BADAWI
[Tralzslation-Y
Portugal has consistently argued in its pleadings and oral argu-
ments that the British and, after them, India recognized its sover-
eignty over the enclaves, and that before 1954 Portugal had in fact
no complaint of the way in which they acted towards it. If there
were occasional incidents or differences of opinion between them,
these were due to their power of control and regulation which
Portugal could not challenge.
On this matter the Judgment takes up a half-way position. It

holds that the British, without expressly recognizing that sover-
eignty,never called in question the exclusive authority of Portugal
over the enclaves, that they thus recognized its sovereignty in
fact and by implication, and that later that sovereignty was tacitly
reco~nized bv India.
1<my opi&on, however, by proceeding on the basis of a finding
that the British and, after them, the Indians recognized the sover-
eignty of Portugal, the question is postulated instead of being
nroved.
In my opinion it is necessary in the first place to examine and
analyse the relations between the British and Portugal and to draw
therefrom the appropriate conclusions in this c'onnection.
In the absence of an explicit and forma1 recognition, it is neces-
sary to ascertain whether the attributes of sovereignty were in
fact recognized.
Now, it cannot but be recognized that, apart from the fact that
the frontiers of the enclaves merging with Indian territory, the pas-

saue of uoods between Daman and the enclaves and between those
enclaves was in general treated as a case of import and export,
the passage of police, armed forces and arms was always, as
the Judgment finds, subject to the necessity of an authorization
and was therefore at the discretion of the British.
The Treaty of 1578 between Great Rritain and Portugal, not-
withstanding its basis in the reciprocal rights and obligations of
the two Parties in their respective spheres, could not depart from
that necessity. The expiry of this Treaty in 1892 did not of course
add to the rights of Portugal or alter their nature.

In these circumstances it would be difficult to reconcile recog-
nition of sovereignty with the exercise of a discretion which, in
principle, repudiates one essential consequence of that sovereignty.

The fact that the authorization was always granted in the past

has no legal bearing or significance.While the circumstances remain
the same, there is nothing surprising in the authorization being
regularly granted. Nor is there anything surprising in its being
48 sation est refusée, il n'y a également rien d'étonnant. C'est l'es-
sence mêmede l'autorisation qui a à sa base une notion de discré-
tion.
L'alliance entre la Grande-Bretagne et le Portugal et la garantie
par la première de possessions coloniales portugaises ont pu tra-
vestir la réalité juridique de leurs rapports en ce qui concerne les
enclaves. Il n'en reste pas moins qu'à l'analyse de ces rapports, on
devrait reconnaître qu'il n'a rien existé d'autre qu'une situation de
fait sui generisavec des limites précises.

Toutefois, il est difficile de classer cette situation daune caté-
gorie de droits reconnaissables en droit international et encoremoins
dans celle de la souveraineté: admettre la souveraineté du Portugal,
ce serait admettre qu'elle pourrait comporter des conséquences
juridiques autres que celles reconnues en pratique. Seule cette
conclusion devrait suffire à écarter cette notion, puisqu'elle dépas-
serait la situation de fait que la Cour a reconnue.

Quel que soit l'obscurcissement que le traité d'alliance entre la
Grande-Bretagne et le Portugal et la garantie de protection par
la première des possessions portugaises ont pu faire naître sur l'éten-
due des droits du Portugal sur les enclaves, il est évident que ce
traité n'a pu créerque des droits et obligations personnels entre le
Portugal et la Grande-Bretagne lesquels, évidemment, ne se sont
pas transmis au Gouvernement national de l'Inde. Avec le change-
ment de partenaire, la situation serait nécessairement moins favo-
rable au Portugal.
De l'ensemble de ces conditions confuses, il n'est guère étonnant
qu'il se soit crééune situation équivoque où le Portugal croyait à
un droit réel de souveraineté s'imposant à l'Inde et que celle-ci

ne pouvait y voir qu'une simple faculté soumise à son entière dis-
crétion, à exercer dans des conditions fort différentes de celles que
le Portugal a connues pendant la période britannique.

(Signé)A. BADAWI. refused if the circumstances change. It is of the very essence of
authorization, which has as its basis the concept of discretion.

The alliancebetween Great Britain and Portugal and the former's
guarantee of Portugal's colonial possessions may have disguised

the true legalaspect of their relations, as regards the enclaves. The
fact remains that on an analysis of these relations it must be recog-
nized that there existed between .them only a factual situation
sui generishaving well-defined limits.
It is however difficult to classify this situation in a category of
rights recognizable in international law, and still more difficult
to classify it in the category of sovereignty: to admit the sover-
eignty of Portugal would be to admit that it could involve legal
consequences other than those which are recognized in practice.
That conclusion should alone suffice to exclude such admission,
since it would go beyond the factual situation which the Court
has recognized.
However much the alliance between Great Britain and Por-
tugal and the British guarantee to protect Portuguese posses-
sions may have served to obscure the extent of Portugal's rights
over the enclaves, it is clear that this treaty could only create
persona1 rights and obligationsbetween Portugal and Great Britain
which were obviously not transmitted to the national Government

of India. With the change of partner, the situation would neces-
sarily be less favourable to Portugal.

It is hardly surprising that all these confused circumstances
should have created an ambiguous situation in which Portugal
believed in a genuine right of sovereignty binding upon India,
while the latter could see in it merely a right entirely subject to
its discretion, to be exercised under very different conditions from
those with which Portugal was familiar throughout the British
period.
(Signed) A. BADAWI.

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Déclaration de M. Badawi

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