Opinion dissidente de M. Moreno Quintana

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038-19590620-JUD-01-04-EN
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038-19590620-JUD-01-00-EN
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OPINION DISSIDENTE LIE M. MORENO QUIhTTAm

A mon grand regret, je ne puis rallier dans cette affaire mon
opinion àcelle de mes collègues de la majorité de la Cour, ni sur la
décisionque donne l'arrêt,ni sur les motifs qui l'inspirent. Je fonde
ma dite position sur des considérations de fait et de droit qui m'ont
conduit à soutenir une opinion dissidente. Ces coi~sidérationssont
celles qui suivent.

Par un compromis en date du 7 mars 1959, les Gouvernements
des Pays-Bas et de la Belgique ont soumis à la Cour internationale
de Justice leur contestation de souveraineté sur les parcelles cadas-
trales connues, de 1836 à 1843, sous les numéros 91 et 92 de la

section A de Zondereygen. Les négociationsdiplomatiques entamées
entre ces deux Gouvernements à La Haye, en mars 1955, furent
infructueuses pour obtenir un règlement direct du différend. Et
un traité de cession réciproque de territoires duII juin 1892 - qui
attribuait aux Pays-Bas les parcelles en litige - ne fut jamais
ratifié.
Les parcelles en question, qui constitueraient le cas échéantdes
enclaves belges en territoire néerlandais, font partie, à leur tour,
d'autres enclaves. Cellesde Baarle-Duc (ou Baarle-Hertog en langue
flamande),en territoire néerlandais, qui appartient à la Belgique ou
de Baarle-Nassau, encadrée elle-mêmedans l'enclave belge déjà
indiquée. Cn véritable enchevêtrement d'enclaves belges en terri-
toire néerlandais, et d'enclaves néerlandaises en territoire belge,
caractérise une situation fort ancienne, transposée à une frontière
la plupart linéaire. On peut la comparer, contrairement aux cas

d'autres enclaves, à un véritable découpage fait sur une carte
géographique. Ceci complique extraordinairement - il est aiséde
le supposer - les problèmes de toutes sortes qui se posent pour les
administrations des deux pays, surtout ceux qui ont trait à la
juridiction. D'ailleurs, les deux Baarle ne constituent en réalité-
comme je pus le constater personnellement - qu'un seul et même
village.
Du point de vue matériel, les parcelles ne paraissent pas avoir
une très grande importance; leur extension, qui couvre seulement
quatorze hectares, n'est pas de nature à la lui donner. C'est en
échangela question de souveraineté entre la Belgique et la Hollande
qui est en jeu.
*

La situation litigieuse desdites parcelles tire son origine de la
séparation de l'ancienne seigneurie de Baarle en deux seigneuries àla conséquencedu partage, au XIIIme siècle,des biens de la famille
Berthout. La commune de Baarle-Nassau échut à la famille de ce
nom, dont les individus étaient barons de Bréda,laquelle passa plus
tard aux Provinces Unies qui furent à l'origine de l'actuel Royaume
des Pays-Bas. La commune de Baarle-Duc fut la propriété dela
maison de Brabant, et après des Pays-Bas méridionaux qui consti-
tuèrent le noyau du Royaume actuel de Belgique. Mais comme la
commune de Baarle-Nassau était riche en terres de bruyère que
ne possédait pas celle de Baarle-Duc, les habitants de cette dernière
prirent l'habitude d'utiliser celles qui leur manquaient. De là, lin
certain réseau d.'intérêtentre l'une et l'autre commune.

Lne fois séparéeen 1831 la Belgique de la Hollande, il fut ques-
tion d'établir les limites communes de ces pays. Des difficultésqui
surgirent d'un projet d'échanges de territoires maintenaient la

situation qui résultait de l'existence des enclaves. L'article14 du
Traité du j novembre 1S42 établit le statuqzcoexistant au sujet des
villages de Baarle-Nassau et Baarle-Duc. Par son paragraphe 5,
l'article14 de la Convention de limites entre les deux pays signéeà
Maestricht le 18 août 1843 confirma cette situation. Cette conven-
tion, par son article3,renvoie au sujet des limites à d'autres docu-
ments qui ont sa mêmevaleur légale.

Le document qui est àla base du renvoi est le procès-verbal com-
munal du 22 mars 1841 qui dressa une liste des parcelles correspon-
dantes à chacune des deux communes. Comme il est coutume, ce
document fut rédigéen deux exemplaires, un pour chacune des
Parties. La Partie néerlandaise a produit le sien; celui de la Partie
belge aurait disparu. De toutes manières, il n'est pas vraisemblable

que des exemplaires originaux quifont toi d'un mêmeacte juridique
puissent différer dans leur texte. Il n'y a qu'un seul et même
procès-verbal: celui auquel fait référencel'article premier de l'an-
nexe du procès-verbal dressépar la 251~~séancede la commission
mixte des commissaires-démarcateurs de la frontière. Il n'est pas
concevable - et il est loin d'avoir étéprouvé le fait par la Partie
belge - que les commissaires-démarcateurs eussent pu avoir deux
exemplaires du même procès-verbal, différents dans leur texte.
C'est moins concevable encore - comme le soutient le conseil du
Gouvernement belge - que, par une manŒuvre inexplicable,
l'exemplaire destiné à la commune de Baarle-Duc fût celui qui
était en pouvoir de celle de Baarle-Nassau. L'exemplaire produit
par le Gouvernement néerlandais est net au sujet de la question
discutée: les parcelles appartiennent à la commune de Baarle-
Nassau.
*
*

Telle qu'elle se pose à la considération de la Cour, la question à
résoudre découle de l'interprétation d'un traité. Les principes en
48sont connus; ils ont étéétablispar la doctrine et,à maintes reprises,

par la jurisprudence de la Cour permanente et de notre propre Cour.
Certaines suppositions ont étéavancées par les Parties dans les
écritures et dans les plaidoiries de l'affaire pour expliquer des situa-
tions apparemment étranges. Mais la Cour n'a pas à s'attarder sur
elles, car un jugement ne peut pas adopter une interprétation capri-
cieuse ni fonder sur des hypothèses hasardeuses le déroulement des
événements. Il doit êtrerendu en base à des faits acquis et établis
selon les données du droit.
L'instrument juridique principal danscette affaire est la conven-
tion de limites de Maestricht, déjà mentionnée. Elle règle un statu
quo territorial, tel qu'il existaàtla date de sa signature. Ce règle-
ment se rapporte en droit à une situation de fait qui peut et doit
êtrerelevée, mais non pas modifiée.Les commissaires-démarcateurs
nommés envertu du Traité signéà Londres le 19 avril 1839 ont une

tâche spécifiquequi ne peut pas êtredénaturée.Ils constituent un
organe technique et non pas une commission judiciaire. Les par-
celles frontalières en pouvoir de la Hollande appartiennent alors
à la Hollande, et celles en pouvoir de la Belgique à la Belgique.
C'est une question de constatation et non pas une question de
description énumérativeou de représentation graphique. Parce que
ladite convention est accompagnée, en effet, d'un procès-verbal
descriptif, et l'article0 de ce document établit que les parcelles
91 et 92 font partie de la commune de Baarle-Duc.
Pareille attestation du procès-verbal descriptif découle aussi
d'un plan qui fut signépar les délégués plénipotentiaires des deux
pays. Conséquence de cette description, ledit plan, ou tout autre
document, qui serait issu d'une erreur d'énumération, aurait une
valeur plus que discutable. L'on sait d'autre part quelle est la
valeur - très relative - que la jurisprudence internationale

attribue aux cartes géographiques. Elle a étésuffisamment mise en
lumière dans la sentence de l'arbitre Max Huber qui trancha
l'affaire de l'île de Palmas (v. U.,Recueil des Sentences arbitrales,
t. II, pp. 852-854).
Mais ce procès-verbal descriptif est censé de traduire ((mot à
mot »,comme le décidèrent les commissaires-démarcateurs à leur
25rme séance, ce qui est indiqué préalablement au procès-verbal
communal dresséen 1841. Transcrire ((mot à mot ))ne suppose pas
exprimer une simple directive, sinon s'astreindre à une obligation
nette et précise: celle de reproduire ne varietur un texte déterminé
et non pas de changer délibérément ou par erreur matérielle le
status juris de deux parcelles territoriales. Et ce procès-verbal
communal nous dit tout le contraire de ce qu'affirme le procès-
verbal descriptif: les parcelles appartiennent à Baarle-Nassau.
Erreur ou rectification délibéréepar les commissaires-démarcateurs

dans l'article 90 du procès-verbal descriptif? S'il s'était agi d'une
rectification, lescommissaires-démarcateurs n'avaient nullement
le pouvoir de le faire, et, même s'ils enavaient eu le pouvoir, ils 255 P.SRCELLES FRONT.4L(.OP. DISS. RI. MORENO QUINTANA)
auraient dû l'exprimer d'une manière claire et catégorique dans le
mêmedocument où ils donnaient le résultat de leurs traveux.
Le procès-verbal communal ne fait d'ailleurs que relever la

situation de fait existante. C'est la Hollande depuis qu'elle constitue
dans l'histoire un État indépendant, et non la Belgique, la puis-
sance qui exerce la souveraineté sur les parcelles en question.
Ladite situation est encore plus significative si l'on considère
qu'elle se manifeste comme le fait de l'exercice d'une autorité
légitime,après que fut signéela Convention de 1843 dont elle n'ap-
paraît que comme la conséquence naturelle. La Hollande donne
l'usage des terres de bruyère des parcelles, prélève sur elles l'impôt
foncier, inscrit'dans ses registres les actes juridiques particuliers
qui se réalisent dans son périmètre, détient l'administration com-
munale desdites parcelles, applique sur elles sa législationnationale
et dispose en 1866 une expropriation forcéequi les concerne. Elle
procéda même, en 1853, à la vente - comme domina terrarum -
de la parcelle no 91. Pareil acte juridique, pour autant qu'il a un

caractère jure gestionis, est le fait d'un pouvoir étatique et non pas
celui d'un particulier. Et pareils faits sont si frappant- ils sautent
à la vue - qu'ils enlèvent à mon sens tout doute au sujet de la
légitimité dela souveraineté néerlandaise sur lesdites parcelles.
Ces faits, qui sont les faits capitaux de l'espèce, nesont pas con-
testés par la Partie adverse. Elle les admet, mais leur donne une
interprétation qui n'a pas étécelle de la jurisprudence intematio-
nale dans les affaires si connues des bancs de Grisbadama (v.
Hague Coztrt Reports, pp. 130-132), de l'île de Palmas (v. U. N.,
Reports, etc., t. II, p. 870), de l'île de Clipperton (U. N., Reports,
etc., t.Il, pp. 1109 et IIIO), du Statut du Groënland oriental (v.
C. P. J. I.,Arrêts,etc., SérieA/B, no 53, pp. 45-46), et des archipels
des Minquiers et des Écréhous (v. C. I. J. Recueil 1953, p. 65).
La Belgique, qui ne s'est séparée dela Hollande qu'en 1831, depuis
lors, jusqu'en 1921 peut-être - presque un siècle-, n'a opposé

aucune protestation formelle à l'exercice de la souveraineté par
l'autre pays nommé. Elle ne pouvait évidemment le faire puisque
la possession exercée par la Hollande n'était nullement une pos-
session vicieuse et s'appuyait sur un titre juridique incontestable:
l'article 14, paragraphe 5, de la Convention de Maestricht, qui éta-
blissait le statu quo. Il s'agit d'une possession exercéeen toute bonne
foi avec l'animzrs domini qui caractérise une situation de cette
nature et à laquelle donne sa protection le droit. Rappelons d'ail-
leurs le bien connu principe de I'uti possidetis recueilli dans son
livre XLIII, titre 17, paragraphe 1, par le Digeste: ((Commevous
possédez,vous continuerez à posséder. »

Si une disposition telle que l'article 14, paragraphe 5, de la
Convention de Maestricht consacre une situation de fait, si cette
50256 PARCELLES FROST-AL. (OP. DISS. II. JIOREX0 QCIXTAK~~)
situation de fait est contraire aüx stipulationsd'un procès-verbal
qui fait partie de la convention et à l'attestation que porte un plan
dressé à l'effet; si ce procès-verbal est, d'autre part, en contradic-

tion flagrante avec le documeiit qui doit l'inspirer, c'est évidem-
ment l'interprétation de la convention qui doit s'in~poserà l'esprit
du juge international. A ce sujet, la sentence de l'arbitre Lardy
sur la délimitation de l'île de Timor établit clairement que l'inten-
tion réelle des parties prévaut sur une terminologie erronée (v.
Hague CourtReports, p. 362), et l'avis consultatif donnépar la Cour
permanente sur les conditions de travail dans l'agriculture déclara
qu'un traité doit être lu dans son ensemble et non sur la base de
phrases détachéesde leur milieu (v. Arrêts,etc., SérieB, no" et 3,
p. 23). Car, que l'article go dudit procès-verbal puisse constituer
de Dar son seul teste une source de souveraineté territoriale est
un; idée juridiquement inacceptable. Et cette souverainett! ne

peut surgir dans l'espèceque de deux éléments:le teste de la con-
vention de limites et la situation de fait résultante. Ce sont eux qui
donnent la clef de l'interprétation dudit instrument.

La délimitation des deux Baarle présente, dans la Convention de
Maestricht, une caractéristique toute particulière. L'article premier
de cette convention détermine la frontière cd'une manière précise
et invariable »sauf - il s'agit d'une exception- pour lescommunes
de Baarle-Duc et Baarle-Nassau «à l'égard desquelles - dit-elle-
le statu quoest maintenu, en vertu de l'article 14 du Traité du 5 no-
vembre 1842 ».Selon l'article 14, paragraphe 5, de la Convention
de Maestricht, les négociateurs conviennent qu'une délimitation

linéaire est pratiquement impossible et que cette délimitation fait
l'objet d'un travail spécial. Or ce travail spécial n'a jamais été
réalisé puisqu'onne peut reconnaître comme tel la simple énumé-
ration de l'article 90 du procès-verbal descriptif. C'est le sens du
traité qui doit être interprété etcelui-ci ne peut êtreautre que le
maintien du statu quo sur la base d'un document, comme l'est le
procès-verbal de 1841, dont l'authenticité n'a pas étédiscutée par
les Parties. En le produisant dans ce procès, la Hollande a rempli
son obligation relative au fardeau de la preuve déféré àchacune
des Parties selon l'articleII du compromis porté à la Cour et d'ac-
cord avec la jurisprudence éfablie par la Cour dans le cas des ar-
chipels des Minquiers et des Ecréhous (v. Recueil, etc., 1953, p52).
La Belgique - qui n'a pas produit le sien- doit charger, d'accord

avec un principe connu de la procédure, avec les conséquencesde sa
négligence. Ce raisonnement, qui s'avère clair et catégorique,
conduit tout naturellement à la conclusion que le procès-verbal
descriptif qui accompagne la Convention de llaestricht n'a d'autre
valeur, à son article 90, que celle d'une copie fautive du procès-
verbal communal.
Cette intention réelle des Parties à laquelle s'est référéela juris-
prudence internationale, qui est à la base de toute negotizimjzwis,

51peut êtreaussi bien déduite dans ce cas-ci des procès-verbaux des
réunions des commissaires-démarcateurs des Parties. La juris-
prudence de la Cour permanente a donné une idéetrès claire de
l'importance des travaux préparatoires pour interpréter les traités
dans son avis consultatif sur le traitement des ressortissants polo-
nais à Dantzig (v. Arrêts,etc., SérieA/B, no 44, p. 33). Dans l'an-
nexe au procès-verbal de la z51~e séancetenue en date du 12 juin
1843 par les commissaires-démarcateurs, il est dit que le procès-
verbal communal de 1841 «est transcrit mot à mot, dans le présent
articlex.Pareille affirmation de la commission mixte forméepar les
commissaires-démarcateurs donne une décisiondéfinitiveau sujet
des précitéesparcelles. Elle est une conséquencedirecte de la déci-
sion antérieure adoptée par ladite commission à sa 22Sme séance
(4 avril 1843), qui reconnut à ce procès-verbal communal toute
sa valeur en attribuant les parcelles discutées à la Hollande, abro-

geant au mêmetemps - pour les substituer par les constatations
d'un document authentique - les dispositions prises aux 17sme et
176me séances.
Tout ce processus était parfaitement logique puisque toute en-
clave est une dérogation au principe de la continuitéterritoriale, et
la situation particulière des parcelles 91 et 92 de Zondereygen
étàit encore plus anormale étant donné qu'elles ne constituaient
nullement en soi une unité et se trouvaient assez loin de l'enclave
belge de Baarle-Duc. Il est parfaitement compréhensiblealors que
les Parties en cause aient voulu redresser par le Traité de 1892, en
vertu d'une transaction, une situation de droit que l'article 90 du
procès-verbal descriptif démontrait êtreerronée. Loin de traduire
à mon sens un argument en faveur de la thèse belge, ce traité
établit tout le contraire. Ce traité, utile comme praesumptio jzdris,
n'a aucune valeur comme preuve de la souveraineté belge sur les
parcelles. La Cour permanente a reconnu dans son arrêt surl'usine
de Chorzow (fond) qu'elle ne saurait faire état des opinions mani-
festéespar les parties au cours d'une négociation si elle n'aboutit
pas à.un accord complet (v. Arrêts,etc., Série A, no 17, p. 51),
aussi bien que notre propre Cour a établi dans son avis consultatif
sur les réservesà la convention sur le génocide,que si la signature
constitue une étape préparatoire de l'élaboration d'un traité, son
manque de ratification lui ôtetout effetjuridique (v.C.1. J. Recueil
1951,P. 28).
Il est cependant nécessaire de relever l'existence d'une erreur
matérielle indéniable dans le procès-verbal descriptif quand il
attribue les parcelles litigieuses à Baarle-Duc. Cette erreur est si
manifeste que la Cour n'a qu'à faire sa constatation. Et cette
constatation est de toute évidence. Comment cette erreur a-t-elle
pu se commettre, ne-l'intéresse pas. La haute magistrature inter-
nationale n'est pas chargée de faire une enquête policière. Pour

cette même raison,la Cour n'a pas non plus àconsidérerd'autres
hypothèses aussi étranges que celle avancée par le Conseil belgeselon laquelle le copiste du procès-verbal communal d1841 aurait
sauté deux lignes d'un supposé bordereau antérieur et aurait ainsi,
en englobant le tout, attribué les parcellesaarle-Nassau.
L'erreur de fait- comme l'enseignent les auteurs les plus quali-
fiésdu droit international vicie le consentement des parties à un
acte juridique tel qu'un traité. Ce vice de consentement entraîne la
nullité totale ou partielle de l'instrument en question. Dans le cas
présent, ce serait seulement l'artigoedu procès-verbal descriptif,
qui attribue les parcellesaarle-Duc, qui serait atteint par la déci-
sion d'un organejuridictionnel. Les autres dispositions dela Conven-
tion de Maestricht, qui reflètent l'intention des Parties, resteraient
sur pied. Et pour se conformercette décision, ilappartiendrait aux
Parties en cause de régler leur nouvelle situation juridique selon
lanature propre du droit international, tel qu'elles en avaient mani-
festé la volonté de le faire à l'occasion du traité non avenu
de 1892.

* * *

Je conclus en manifestant - tel qu'on le demande à la Cour -
que les parcelles en question appartiennent à la souveraineté du
Royaume des Pays-Bas.

(Sig~zéL)ucioM. MOREN O UINTANA.

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OPINION DISSIDENTE LIE M. MORENO QUIhTTAm

A mon grand regret, je ne puis rallier dans cette affaire mon
opinion àcelle de mes collègues de la majorité de la Cour, ni sur la
décisionque donne l'arrêt,ni sur les motifs qui l'inspirent. Je fonde
ma dite position sur des considérations de fait et de droit qui m'ont
conduit à soutenir une opinion dissidente. Ces coi~sidérationssont
celles qui suivent.

Par un compromis en date du 7 mars 1959, les Gouvernements
des Pays-Bas et de la Belgique ont soumis à la Cour internationale
de Justice leur contestation de souveraineté sur les parcelles cadas-
trales connues, de 1836 à 1843, sous les numéros 91 et 92 de la

section A de Zondereygen. Les négociationsdiplomatiques entamées
entre ces deux Gouvernements à La Haye, en mars 1955, furent
infructueuses pour obtenir un règlement direct du différend. Et
un traité de cession réciproque de territoires duII juin 1892 - qui
attribuait aux Pays-Bas les parcelles en litige - ne fut jamais
ratifié.
Les parcelles en question, qui constitueraient le cas échéantdes
enclaves belges en territoire néerlandais, font partie, à leur tour,
d'autres enclaves. Cellesde Baarle-Duc (ou Baarle-Hertog en langue
flamande),en territoire néerlandais, qui appartient à la Belgique ou
de Baarle-Nassau, encadrée elle-mêmedans l'enclave belge déjà
indiquée. Cn véritable enchevêtrement d'enclaves belges en terri-
toire néerlandais, et d'enclaves néerlandaises en territoire belge,
caractérise une situation fort ancienne, transposée à une frontière
la plupart linéaire. On peut la comparer, contrairement aux cas

d'autres enclaves, à un véritable découpage fait sur une carte
géographique. Ceci complique extraordinairement - il est aiséde
le supposer - les problèmes de toutes sortes qui se posent pour les
administrations des deux pays, surtout ceux qui ont trait à la
juridiction. D'ailleurs, les deux Baarle ne constituent en réalité-
comme je pus le constater personnellement - qu'un seul et même
village.
Du point de vue matériel, les parcelles ne paraissent pas avoir
une très grande importance; leur extension, qui couvre seulement
quatorze hectares, n'est pas de nature à la lui donner. C'est en
échangela question de souveraineté entre la Belgique et la Hollande
qui est en jeu.
*

La situation litigieuse desdites parcelles tire son origine de la
séparation de l'ancienne seigneurie de Baarle en deux seigneuries àDISSENTING OPINIOK OF JCDGE MORES0 QUINTANA
[Translation]
To my great regret, 1 am unable to concur in this case in the
opinion of the majority of my colleagues of the Court, nor in the
decision which the Judgment gives, nor in the reasons on which
that Judgment is based. 1 base my own position on considerations
of fact and of law, which have led me to take a dissenting view.

These considerations are as follows.

By a Special Agreement dated 7 March 1959, the Governments
of the Netherlands and of Belgium submitted to the International
Court of Justice their dispute regarding sovereignty over the plots
shown in the Survey and known from 1836 to 1843 as Nos. 91 and
92, Section A, Zondereygen. The diplomatic negotiations, begun

between the two Governments at The Hague in March 1955, failed
to arrive at a direct settlement of the affair; ~vhile a treaty of
mutual cession of territory dated II June 1892-which allotted the
disputed plots to the Netherlands-\vas never ratified.

The plots in question, which if constituting Belgian enclaves in
Netherlands territory are part, in their turn, of other enclaves-
those of Baerle-Duc (or Baarle-Hertog in Flemish) in Netherlands
territory, which belongs to Belgium, or those of Baarle-Nassau,
itself enclosed in the Belgian enclave already referred to. There is a
veritable network of Belgiac enclaves in Netherlands territory, and
of Netherlands enclaves in delgian territory; this represents a very
ancient situation, along a frontier which is for the most part
continuous. This network of enclaves may be compared, contrary
to the case of other enclaves, to a veritable jigsaw, as it were, made
from a geographical map. It complicates extremely-as is easy
to understand-the problems of every kind which arise for the
administrations of the two countries, in particular those which
relate to jurisdiction. Moreover, the two Baarles-as 1 have been
able to see for myself-in reality constitute one and the same
village.
From the material point of view, the plots do not seem to have a

very great importance; that could hardly be so, as their whole
area covers only fourteen hectares. It is rather the question of
sovereignty between Belgium andthe Netherlands which is at stake.

The dispute about the plots in question originates from the divi-
sion of the ancient seigneury of Baarle into two seigneuries, as ala conséquencedu partage, au XIIIme siècle,des biens de la famille
Berthout. La commune de Baarle-Nassau échut à la famille de ce
nom, dont les individus étaient barons de Bréda,laquelle passa plus
tard aux Provinces Unies qui furent à l'origine de l'actuel Royaume
des Pays-Bas. La commune de Baarle-Duc fut la propriété dela
maison de Brabant, et après des Pays-Bas méridionaux qui consti-
tuèrent le noyau du Royaume actuel de Belgique. Mais comme la
commune de Baarle-Nassau était riche en terres de bruyère que
ne possédait pas celle de Baarle-Duc, les habitants de cette dernière
prirent l'habitude d'utiliser celles qui leur manquaient. De là, lin
certain réseau d.'intérêtentre l'une et l'autre commune.

Lne fois séparéeen 1831 la Belgique de la Hollande, il fut ques-
tion d'établir les limites communes de ces pays. Des difficultésqui
surgirent d'un projet d'échanges de territoires maintenaient la

situation qui résultait de l'existence des enclaves. L'article14 du
Traité du j novembre 1S42 établit le statuqzcoexistant au sujet des
villages de Baarle-Nassau et Baarle-Duc. Par son paragraphe 5,
l'article14 de la Convention de limites entre les deux pays signéeà
Maestricht le 18 août 1843 confirma cette situation. Cette conven-
tion, par son article3,renvoie au sujet des limites à d'autres docu-
ments qui ont sa mêmevaleur légale.

Le document qui est àla base du renvoi est le procès-verbal com-
munal du 22 mars 1841 qui dressa une liste des parcelles correspon-
dantes à chacune des deux communes. Comme il est coutume, ce
document fut rédigéen deux exemplaires, un pour chacune des
Parties. La Partie néerlandaise a produit le sien; celui de la Partie
belge aurait disparu. De toutes manières, il n'est pas vraisemblable

que des exemplaires originaux quifont toi d'un mêmeacte juridique
puissent différer dans leur texte. Il n'y a qu'un seul et même
procès-verbal: celui auquel fait référencel'article premier de l'an-
nexe du procès-verbal dressépar la 251~~séancede la commission
mixte des commissaires-démarcateurs de la frontière. Il n'est pas
concevable - et il est loin d'avoir étéprouvé le fait par la Partie
belge - que les commissaires-démarcateurs eussent pu avoir deux
exemplaires du même procès-verbal, différents dans leur texte.
C'est moins concevable encore - comme le soutient le conseil du
Gouvernement belge - que, par une manŒuvre inexplicable,
l'exemplaire destiné à la commune de Baarle-Duc fût celui qui
était en pouvoir de celle de Baarle-Nassau. L'exemplaire produit
par le Gouvernement néerlandais est net au sujet de la question
discutée: les parcelles appartiennent à la commune de Baarle-
Nassau.
*
*

Telle qu'elle se pose à la considération de la Cour, la question à
résoudre découle de l'interprétation d'un traité. Les principes en
48consequence of the division, in the thirteenth century, of the hold-

ings of the Berthout family. The commune of Baarle-Nassau fell
to the family of that name, who were Barons of Breda; later it
passed to the United Provinces, which were the forerunners of the
present Kingdom of the Netherlands. The commune of Baerle-Duc
belonged to the House of Brabant and afterwards to the Southern
Netherlands, which were the nucleus of the present Kingdom of
Belgium. But as the commune of Baarle-Nassau was rich in heath-
lands, which Baerle-Duc was without, the inhabitants of the latter
commune got into the habit ofmaking use of those which they lacked.
Hence arose a certain network of interests between the two com-
munes.
When Belgium and Holland were separated in 1831 he question
arose of drawing the common boundaries between the two countries.
Difficulties arose about a proposa1 for exchanges of territory, and
the situation resulting from the existence of the enclaves wasin-
tained. Article14 of the Treaty ofjNovember 1842 maintained the
statusquo as regards the villages of Baarle-Nassau and Saerle-Duc.
Article 14,paragraph j, of the Boundary Convention between the
two countries signed at Maastricht on 18 August 1843 confirmed
this situation. In Article, this Convention contains a reference, as
regards the boundaries, to other documents which have the same

legal value as the Convention.
The document which is the subject of this reference is the Com-
munal Minute of 22 March 1841 which drew up a list of the respect-
ive plots of the two communes. As is customary, this document
was drawn up in two copies, one for each of the Parties.Theether-
lands has produced its copy; the Belgian copy seems to have dis-
appeared. In any case, it is unlikely that original authentic copies
of the same legal document can differ in their text. There is only
one Minute: that referred to in ArticlIof the Annex to the Minute
drawn up by the z51st meeting of the Mixed Boundary Commission.
It is not conceivable-and the fact is far from having been proved
by Belgium-that the Boundary Commissioners should have had
two copies of thesame Minute differing in their textsIt is still less
conceivable-as Counsel for the Belgian Government maintains-
that, by some inexplicable manoeuvre, the copy intended for the
commune of Baerle-Duc was that which was in possession of the
commune of Baarle-Nassau. The copy produced by the Netherlands
Govemment is clear on the subject of the disputed question: the
plots belong tothe commune of Baarle-Nassau.

As it arises for the Court, theoblem to be resolved derives from
the interpretation of a treaty. The principles involved are well
4ssont connus; ils ont étéétablispar la doctrine et,à maintes reprises,

par la jurisprudence de la Cour permanente et de notre propre Cour.
Certaines suppositions ont étéavancées par les Parties dans les
écritures et dans les plaidoiries de l'affaire pour expliquer des situa-
tions apparemment étranges. Mais la Cour n'a pas à s'attarder sur
elles, car un jugement ne peut pas adopter une interprétation capri-
cieuse ni fonder sur des hypothèses hasardeuses le déroulement des
événements. Il doit êtrerendu en base à des faits acquis et établis
selon les données du droit.
L'instrument juridique principal danscette affaire est la conven-
tion de limites de Maestricht, déjà mentionnée. Elle règle un statu
quo territorial, tel qu'il existaàtla date de sa signature. Ce règle-
ment se rapporte en droit à une situation de fait qui peut et doit
êtrerelevée, mais non pas modifiée.Les commissaires-démarcateurs
nommés envertu du Traité signéà Londres le 19 avril 1839 ont une

tâche spécifiquequi ne peut pas êtredénaturée.Ils constituent un
organe technique et non pas une commission judiciaire. Les par-
celles frontalières en pouvoir de la Hollande appartiennent alors
à la Hollande, et celles en pouvoir de la Belgique à la Belgique.
C'est une question de constatation et non pas une question de
description énumérativeou de représentation graphique. Parce que
ladite convention est accompagnée, en effet, d'un procès-verbal
descriptif, et l'article0 de ce document établit que les parcelles
91 et 92 font partie de la commune de Baarle-Duc.
Pareille attestation du procès-verbal descriptif découle aussi
d'un plan qui fut signépar les délégués plénipotentiaires des deux
pays. Conséquence de cette description, ledit plan, ou tout autre
document, qui serait issu d'une erreur d'énumération, aurait une
valeur plus que discutable. L'on sait d'autre part quelle est la
valeur - très relative - que la jurisprudence internationale

attribue aux cartes géographiques. Elle a étésuffisamment mise en
lumière dans la sentence de l'arbitre Max Huber qui trancha
l'affaire de l'île de Palmas (v. U.,Recueil des Sentences arbitrales,
t. II, pp. 852-854).
Mais ce procès-verbal descriptif est censé de traduire ((mot à
mot »,comme le décidèrent les commissaires-démarcateurs à leur
25rme séance, ce qui est indiqué préalablement au procès-verbal
communal dresséen 1841. Transcrire ((mot à mot ))ne suppose pas
exprimer une simple directive, sinon s'astreindre à une obligation
nette et précise: celle de reproduire ne varietur un texte déterminé
et non pas de changer délibérément ou par erreur matérielle le
status juris de deux parcelles territoriales. Et ce procès-verbal
communal nous dit tout le contraire de ce qu'affirme le procès-
verbal descriptif: les parcelles appartiennent à Baarle-Nassau.
Erreur ou rectification délibéréepar les commissaires-démarcateurs

dans l'article 90 du procès-verbal descriptif? S'il s'était agi d'une
rectification, lescommissaires-démarcateurs n'avaient nullement
le pouvoir de le faire, et, même s'ils enavaient eu le pouvoir, ils FRONTIER LAND (DISS.OP. JUDGE MORENO QUINTANA) 254

known; they have been established by doctrine and, on many
occasions, by the decisions of the Permanent Court and of Our own
Court. Certain suppositions have been put forward by the Parties
in the pleadings and oral arguments in the case with a view to ex-
plaining seemingly strange situations. Rut the Court need not
dwell upon these suppositions, for a judgment cannot adopt a
capricious interpretation, nor found its view of the evolution of
events on venturesome hypotheses. Judgment must be given on the
basis of recognized facts which are founded on legal data.
The principal legal instrument in this case is the Maastricht
Boundary Convention already mentioned, which regulates a terri-

torial status quo as it existed at the date of signature. This regu-
lation deals legally with a situation of fact which can and should be
noted, but not changed. The Boundary Commissioners appointed
by virtue of the Treaty signed at London on 19 April 1839 had a
specific task, which cannot be distorted. They were a technical
body and not a judicial commission. The frontier plots under
Netherlands authority then belonged to the Netherlands, and those
under Belgian authority to Belgium. It is a question of factual
verification, and not one of enumerative description or graphical
reproduction-since the Convention in question is in fact accom-
panied by a Descriptive Minute, and Article 90 of that document
establishes that plots 91 and 92 form part of the commune ofBaerle-
Duc.
The Descriptive Minute is also borne out by a map which was
signed by the plenipotentiary delegates of the two countries. As a
result of this description, the said map, or any other document,

which might be the consequence of a mistake in numbering, would
be of highly doubtful value. One is aware, moreover, of the value-
the very relative value-which international law attaches to geo-
graphical maps. This was made sufficiently clear in the Award of
arbitrator Max Huber in the Island of Palmas case (see United
Nations, Reports of International Arbitral Awards, Vol. II, pp.
852-854)
But this Descriptive Minute is supposed to transcribe "word for
word", as the Boundary Commissioners decided at their a51st
meeting, what was previously indicated in the Communal Minute
drawn up in 1841. To transcribe "word for word" is not a simple
directive but involves compliance with a clear and precise obliga-
tion: that of transcribing ne varietur a definite text, and not of
changing, whether deliberately or by a clerical error, the status juris
of two territorial plots. And this Communal Minute states the
contrary of what the Descriptive Minute affirms: the plots belong

to Baarle-Nassau. Was this a mistake, or an intentional rectification
made by the Boundary Commissioners in Article go of the Des-
criptive Minute? If it was a rectification, the Boundary Com-
missioners had in no way the power to make it, and, even if thel-
had that power, they should have expressed themselves in a clear
49 255 P.SRCELLES FRONT.4L(.OP. DISS. RI. MORENO QUINTANA)
auraient dû l'exprimer d'une manière claire et catégorique dans le
mêmedocument où ils donnaient le résultat de leurs traveux.
Le procès-verbal communal ne fait d'ailleurs que relever la

situation de fait existante. C'est la Hollande depuis qu'elle constitue
dans l'histoire un État indépendant, et non la Belgique, la puis-
sance qui exerce la souveraineté sur les parcelles en question.
Ladite situation est encore plus significative si l'on considère
qu'elle se manifeste comme le fait de l'exercice d'une autorité
légitime,après que fut signéela Convention de 1843 dont elle n'ap-
paraît que comme la conséquence naturelle. La Hollande donne
l'usage des terres de bruyère des parcelles, prélève sur elles l'impôt
foncier, inscrit'dans ses registres les actes juridiques particuliers
qui se réalisent dans son périmètre, détient l'administration com-
munale desdites parcelles, applique sur elles sa législationnationale
et dispose en 1866 une expropriation forcéequi les concerne. Elle
procéda même, en 1853, à la vente - comme domina terrarum -
de la parcelle no 91. Pareil acte juridique, pour autant qu'il a un

caractère jure gestionis, est le fait d'un pouvoir étatique et non pas
celui d'un particulier. Et pareils faits sont si frappant- ils sautent
à la vue - qu'ils enlèvent à mon sens tout doute au sujet de la
légitimité dela souveraineté néerlandaise sur lesdites parcelles.
Ces faits, qui sont les faits capitaux de l'espèce, nesont pas con-
testés par la Partie adverse. Elle les admet, mais leur donne une
interprétation qui n'a pas étécelle de la jurisprudence intematio-
nale dans les affaires si connues des bancs de Grisbadama (v.
Hague Coztrt Reports, pp. 130-132), de l'île de Palmas (v. U. N.,
Reports, etc., t. II, p. 870), de l'île de Clipperton (U. N., Reports,
etc., t.Il, pp. 1109 et IIIO), du Statut du Groënland oriental (v.
C. P. J. I.,Arrêts,etc., SérieA/B, no 53, pp. 45-46), et des archipels
des Minquiers et des Écréhous (v. C. I. J. Recueil 1953, p. 65).
La Belgique, qui ne s'est séparée dela Hollande qu'en 1831, depuis
lors, jusqu'en 1921 peut-être - presque un siècle-, n'a opposé

aucune protestation formelle à l'exercice de la souveraineté par
l'autre pays nommé. Elle ne pouvait évidemment le faire puisque
la possession exercée par la Hollande n'était nullement une pos-
session vicieuse et s'appuyait sur un titre juridique incontestable:
l'article 14, paragraphe 5, de la Convention de Maestricht, qui éta-
blissait le statu quo. Il s'agit d'une possession exercéeen toute bonne
foi avec l'animzrs domini qui caractérise une situation de cette
nature et à laquelle donne sa protection le droit. Rappelons d'ail-
leurs le bien connu principe de I'uti possidetis recueilli dans son
livre XLIII, titre 17, paragraphe 1, par le Digeste: ((Commevous
possédez,vous continuerez à posséder. »

Si une disposition telle que l'article 14, paragraphe 5, de la
Convention de Maestricht consacre une situation de fait, si cette
50and categorical fashion in the same document in which they gave
the result of their work.

Moreover, the Communal Minute merely notes the existing
situation of fact. Holland, ever since she historically constituted an
independent State, and not Belgium, is the Power which exercised
sovereignty over the plots in question. That situation is even more
significant if regard be had for the fact that it is manifested as
pertaining to the exercise of a legitimate authority, after the sig-
nature of the Convention of 1843, of which it seems merely to be a
natural consequence. It is Holland which accorded the use of the
heathlands and collected the land tax on the plots, entered in its
registers private legal acts occurring within the area, was respon-
sible for the communal administration of the said plots, applied
its national legislation to them, and in 1886 arranged for a forced
expropriation affecting them. In 1853, Holland even proceeded to
the sale-as domina terrarum-of plot No. 91. Such a legal act, in
so far as it has a character jure gestionis, pertains to the power of a
State, and not of a private person. And such facts are so striking-
they are self-evident-that in my view they remove al1 doubt as
to the legitimacy of Netherlands sovereignty over the plots in
question.
These facts, which are the capital facts in the case, are not

contested by the other Party. The latter admits them, but gives
them an interpretation which was not that of the international
decisions in the well-known cases of the Banks of Grisbadarna
(see Hague Court Refiorts, pp. 130-I~z), of the Island of Palmas (see
U. N. Refiorts, etc., Vol. II, p. 870), of the Island of Clipperton (see
U. N. Reports, etc., Vol. II, pp. 1109-IIIO), of the Legal Status of
Eastern Greenland (see P.C.I. J.,Judgments, etc., Series A/B, No. 53,
pp. 45-46) and of the Minquiers and Ecrehos (see I.C.J. Reports
1953, p. 65). Belgium, which was not separated from Holland until
1831, has since that date, and up to 1921 perhaps-almost a cen-
tury-made no forma1 protest against the exercise of sovereignty
by the other country. It could clearly not do so because the pos-
session exercised by the Netherlands was in no way a defective one
and was based upon an incontestable legal title: Article 14, para-
graph 5,of the Maastricht Convention, which established the status
quo. It was a possession exercised in al1good faith, with the animus
domini which characterizes a situation of this kind and which the
law protects. Let us recall, moreover, the well-known principle of
utifiossidetisin Book XLIII, Chapter 17, paragraph 1, of the Digest:

"As you possess, you shall continue to possess."

If a provision such as that of Article 14, paragraph 5, of the
Maastricht Convention provides forthe maintenance of a situation256 PARCELLES FROST-AL. (OP. DISS. II. JIOREX0 QCIXTAK~~)
situation de fait est contraire aüx stipulationsd'un procès-verbal
qui fait partie de la convention et à l'attestation que porte un plan
dressé à l'effet; si ce procès-verbal est, d'autre part, en contradic-

tion flagrante avec le documeiit qui doit l'inspirer, c'est évidem-
ment l'interprétation de la convention qui doit s'in~poserà l'esprit
du juge international. A ce sujet, la sentence de l'arbitre Lardy
sur la délimitation de l'île de Timor établit clairement que l'inten-
tion réelle des parties prévaut sur une terminologie erronée (v.
Hague CourtReports, p. 362), et l'avis consultatif donnépar la Cour
permanente sur les conditions de travail dans l'agriculture déclara
qu'un traité doit être lu dans son ensemble et non sur la base de
phrases détachéesde leur milieu (v. Arrêts,etc., SérieB, no" et 3,
p. 23). Car, que l'article go dudit procès-verbal puisse constituer
de Dar son seul teste une source de souveraineté territoriale est
un; idée juridiquement inacceptable. Et cette souverainett! ne

peut surgir dans l'espèceque de deux éléments:le teste de la con-
vention de limites et la situation de fait résultante. Ce sont eux qui
donnent la clef de l'interprétation dudit instrument.

La délimitation des deux Baarle présente, dans la Convention de
Maestricht, une caractéristique toute particulière. L'article premier
de cette convention détermine la frontière cd'une manière précise
et invariable »sauf - il s'agit d'une exception- pour lescommunes
de Baarle-Duc et Baarle-Nassau «à l'égard desquelles - dit-elle-
le statu quoest maintenu, en vertu de l'article 14 du Traité du 5 no-
vembre 1842 ».Selon l'article 14, paragraphe 5, de la Convention
de Maestricht, les négociateurs conviennent qu'une délimitation

linéaire est pratiquement impossible et que cette délimitation fait
l'objet d'un travail spécial. Or ce travail spécial n'a jamais été
réalisé puisqu'onne peut reconnaître comme tel la simple énumé-
ration de l'article 90 du procès-verbal descriptif. C'est le sens du
traité qui doit être interprété etcelui-ci ne peut êtreautre que le
maintien du statu quo sur la base d'un document, comme l'est le
procès-verbal de 1841, dont l'authenticité n'a pas étédiscutée par
les Parties. En le produisant dans ce procès, la Hollande a rempli
son obligation relative au fardeau de la preuve déféré àchacune
des Parties selon l'articleII du compromis porté à la Cour et d'ac-
cord avec la jurisprudence éfablie par la Cour dans le cas des ar-
chipels des Minquiers et des Ecréhous (v. Recueil, etc., 1953, p52).
La Belgique - qui n'a pas produit le sien- doit charger, d'accord

avec un principe connu de la procédure, avec les conséquencesde sa
négligence. Ce raisonnement, qui s'avère clair et catégorique,
conduit tout naturellement à la conclusion que le procès-verbal
descriptif qui accompagne la Convention de llaestricht n'a d'autre
valeur, à son article 90, que celle d'une copie fautive du procès-
verbal communal.
Cette intention réelle des Parties à laquelle s'est référéela juris-
prudence internationale, qui est à la base de toute negotizimjzwis,

51of fact, if this situation of fact is contrary to the stipulations of a
Minute which forms part of the Convention and to the attestation
on a map drawn up to this effect; if, moreover, this Minute is in
flagrant contradiction with the document on which it should be
based, it is clearly the interpretation of the Convention which
should prevail in the mind of the international judge. On this
question, the Award of Arbitrator Lardy on the delimitation of the
Island of Timor lays down clearly that the real intention of the
Parties prevails over an erroneous terminology (see Hague Court
Reports, p. 362), and the Advisory Opinion given by the Permanent
Court on the conditions of labour in agriculture stated that a treaty
must be read as a whole and not on the basis of phrases detached
fromtheir context (see Judgments, etc., Series B, Nos2 and 3, p. 23).
For, that Article go of the Descriptive Minute in questioncan consti-
tute, by its text alone, a source of territorial sovereignty is an idea
legally unacceptable. And, in the present case, this sovereignty can
only flow from two elements: the text of the Boundary Convention
and the resulting situation of fact. It is they which give the key to
the interpretation of the said instrument.
In the Maastricht Convention, the delimitation of the two Baarles

is a very special case. Article I of this Convention establishes the
frontier "in an exact and invariable way" save-and this is an
exception-for the communes of Baerle-Duc and Baarle-Nassau,
in respect of which-so runs the text-"the status q~o shall be
maintained in virtue of Article 14 of the Treaty of 5 November
1842". According to Article 14, paragraph 5, of the Convention of
Maastricht, the negotiators agreed that a continuous linear deli-
mitation was practically impossible and that such delimitation was
the subject of a "special study". Now, this special study was never
carried out, sincethe simple enumeration in Article go ofthe Descrip-
tive Minute cannot be regarded as such. What falls for interpretation
isthe meaning of theTreaty and this can onlybe the maintenance of
fhe statusquo on the basis of a document -the CommunalMinute of
1841-the authenticity of which has not been questioned by the
Parties. In producing it in this case, the Netherlands has discharged
its obligation as to the burden of proof resting on each of the Parties
under Article II of the Special Agreement submitted to the Court
and in accordance with the law laid down by the Court in the Min-
quiers and Ecrehos case (see Reports 1953, p. 52). Belgium-

which has not produced its copy-must, in accordancewith a well-
known principle of procedure, bear the consequences of its negli-
gence. Thisreasoning, which is clear and categorical,leads naturally
to the conclusion that the Descriptive Minute accompanying the
Maastricht Convention has no more value, in Article go, than that
of an incorrect copy of the Communal Minute.

Thisreal intention of the Parties, to which international decisions
have referred, and which is at the basis of any negotiumjuris, maypeut êtreaussi bien déduite dans ce cas-ci des procès-verbaux des
réunions des commissaires-démarcateurs des Parties. La juris-
prudence de la Cour permanente a donné une idéetrès claire de
l'importance des travaux préparatoires pour interpréter les traités
dans son avis consultatif sur le traitement des ressortissants polo-
nais à Dantzig (v. Arrêts,etc., SérieA/B, no 44, p. 33). Dans l'an-
nexe au procès-verbal de la z51~e séancetenue en date du 12 juin
1843 par les commissaires-démarcateurs, il est dit que le procès-
verbal communal de 1841 «est transcrit mot à mot, dans le présent
articlex.Pareille affirmation de la commission mixte forméepar les
commissaires-démarcateurs donne une décisiondéfinitiveau sujet
des précitéesparcelles. Elle est une conséquencedirecte de la déci-
sion antérieure adoptée par ladite commission à sa 22Sme séance
(4 avril 1843), qui reconnut à ce procès-verbal communal toute
sa valeur en attribuant les parcelles discutées à la Hollande, abro-

geant au mêmetemps - pour les substituer par les constatations
d'un document authentique - les dispositions prises aux 17sme et
176me séances.
Tout ce processus était parfaitement logique puisque toute en-
clave est une dérogation au principe de la continuitéterritoriale, et
la situation particulière des parcelles 91 et 92 de Zondereygen
étàit encore plus anormale étant donné qu'elles ne constituaient
nullement en soi une unité et se trouvaient assez loin de l'enclave
belge de Baarle-Duc. Il est parfaitement compréhensiblealors que
les Parties en cause aient voulu redresser par le Traité de 1892, en
vertu d'une transaction, une situation de droit que l'article 90 du
procès-verbal descriptif démontrait êtreerronée. Loin de traduire
à mon sens un argument en faveur de la thèse belge, ce traité
établit tout le contraire. Ce traité, utile comme praesumptio jzdris,
n'a aucune valeur comme preuve de la souveraineté belge sur les
parcelles. La Cour permanente a reconnu dans son arrêt surl'usine
de Chorzow (fond) qu'elle ne saurait faire état des opinions mani-
festéespar les parties au cours d'une négociation si elle n'aboutit
pas à.un accord complet (v. Arrêts,etc., Série A, no 17, p. 51),
aussi bien que notre propre Cour a établi dans son avis consultatif
sur les réservesà la convention sur le génocide,que si la signature
constitue une étape préparatoire de l'élaboration d'un traité, son
manque de ratification lui ôtetout effetjuridique (v.C.1. J. Recueil
1951,P. 28).
Il est cependant nécessaire de relever l'existence d'une erreur
matérielle indéniable dans le procès-verbal descriptif quand il
attribue les parcelles litigieuses à Baarle-Duc. Cette erreur est si
manifeste que la Cour n'a qu'à faire sa constatation. Et cette
constatation est de toute évidence. Comment cette erreur a-t-elle
pu se commettre, ne-l'intéresse pas. La haute magistrature inter-
nationale n'est pas chargée de faire une enquête policière. Pour

cette même raison,la Cour n'a pas non plus àconsidérerd'autres
hypothèses aussi étranges que celle avancée par le Conseil belge also be inferred in the present casefrom the minutes of the meetings
of the Boundary Commissioners of the Parties. The Permanent
Court has given a very clear idea of the importance of preparatory
work for the interpretation of treatiesin its Advisory Opinion on the
treatment of Polish nationals in Danzig (see Judgments, etc.,
Series A/B, No. a, p. 33). In the Annex to the Minute of the 251st
meeting held on 12 June 1843 by the Boundary Commissioners, it
was stated that the Communal Minute of 1841 was "transcribed,
word for word, in the present Article". Such a statement on the
part of the Mixed Commission, which consisted of the Boundary
Commissioners, gives a definite decision regarding the plots in
question. It is a direct consequence of theearlier decision adopted
by that Commission at its 225th meeting (4 Apnl 1843), which
acknbwledged the full value of this Communal Minute by allotting
the disputed plots to Holland, at the same time annulling-in

substituting for them the staterrlents of an authentic document-
the provisions adopted at the 175th and 176th meetings.

,411this procedure was perfectly logical, since any enclave is a
derogation from the pnnciple of territorial continuity, while the
special situation of plots 91 and 92 of Zondereygen was even more
abnormal, since they did not in any way constitute a unity in
themselves and because they were fairly distant from the Belgian
enclave of Baerle-Duc. It is perfectly understandable therefore that
the two Parties should have wished to correct by the Treaty of
1892-through compromise-a legal situation which the Descnp-
tive Minute showed to be incorrect. Far from constituting, in my
view, an argument in favour of the Belgian thesis, this Treaty
establishes the exact contrary. The Treaty, useful as praeszcmptio
juris, has no value as a proof of Belgian sovereignty over the plots.

In its Judgrnent in the case concerning the Factory at Chorzow
(Ments), the Permanent Court recognized that it could not take
into account opinions which the Parties may have made dunng
nea"tiations when such neeot"ations have not led to a comdete r - ~ -
agreement (seeJztdgments, etc., Series A, No. 17, p. SI), while our
own Court, in its Advisory Opinion on reservations to the Conven-
tion on Genocide, held that although signature constituted a
preparatory stage in the drawing up of a treaty, its lack of rati-
fication deprived it of legal effect (see I.C.J. Report1951, p. 28).
It is, however, necessary to draw attention to the existence ofan
indisputable clerical error in the Descriptive Minute, when it allots
the disputed plots to Baerle-Duc. This error is so obvious that it is
only necessary for the Court to observe its existence; and this
observation is inescapable. How this error may have come to be
made is not a matter which interests the Court. An international

court of justice is not calledupon to make police enquiries. For the
same reason, the Court need not consider other hypotheses, as
strange as the one put fonvard by Counsel for Belgium, to theselon laquelle le copiste du procès-verbal communal d1841 aurait
sauté deux lignes d'un supposé bordereau antérieur et aurait ainsi,
en englobant le tout, attribué les parcellesaarle-Nassau.
L'erreur de fait- comme l'enseignent les auteurs les plus quali-
fiésdu droit international vicie le consentement des parties à un
acte juridique tel qu'un traité. Ce vice de consentement entraîne la
nullité totale ou partielle de l'instrument en question. Dans le cas
présent, ce serait seulement l'artigoedu procès-verbal descriptif,
qui attribue les parcellesaarle-Duc, qui serait atteint par la déci-
sion d'un organejuridictionnel. Les autres dispositions dela Conven-
tion de Maestricht, qui reflètent l'intention des Parties, resteraient
sur pied. Et pour se conformercette décision, ilappartiendrait aux
Parties en cause de régler leur nouvelle situation juridique selon
lanature propre du droit international, tel qu'elles en avaient mani-
festé la volonté de le faire à l'occasion du traité non avenu
de 1892.

* * *

Je conclus en manifestant - tel qu'on le demande à la Cour -
que les parcelles en question appartiennent à la souveraineté du
Royaume des Pays-Bas.

(Sig~zéL)ucioM. MOREN O UINTANA.effect that the copyist of the Communal Minute of 1841 omitted
two lines of a supposed earlier list and thus, in running the text
together, attnbuted the plots to Baarle-Nassau.
A mistake of fact-as the most qualified writers in international
lawteach us-vitiates the consent of the Parties to a legal instru-
ment such as a treaty. This defect in consent involves the total or
partial nullity of the instrument in question. In the present case,
it is onlyArticle 90 of the Descriptive Minute, which allots the plots
to Baerle-Duc, that would be affected by the decision of a judicial
body. The other provisions of the Convention of Maastricht, which
reflect the intention of the Parties, would be unaffected. And, so as
to conform with this decision, it would be for the Parties to regulate
their new legal situation according to the principles of international
law-as they had shown the will to do on the occasion of the abor-

tive Treaty of 1892.

1 conclude by giving my opinion-as the Court is requested to-
that the plots in question belong to the sovereignty of the Kingdom
of the Netherlands.

(Signed) Lucio M. MORESO QUINTANA.

Document file FR
Document Long Title

Opinion dissidente de M. Moreno Quintana

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