Opinion individuelle de M. Gros

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050-19700205-JUD-01-09-EN
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OPINION INDIVIDUELLE DE M. GROS

1. Bien que les motifs d'un arrêtne participent pas à la force de la
chose jugée, lapratique de la Cour et celle des tribunaux arbitraux est
de se fonder sur des motifs énoncésdans des décisions antérieures
(cf. arrêtno 10: «La Cour ne voit aucune raison pour se départir d'une
interprétation découlant nettementde deux arrêtsprécédentsdont l'argu-
mentation lui paraît toujours bien fondée » (C.P.J. sé.rie no Il,
p. 18)). Bien que j'accepte le dispositif de l'arrêt dela Cour, mon argu-
mentation est entièrement différente. En raison de l'importance de

l'affaire du point de vue de ses conséquencessur le droit applicable aux
relations économiquesinternationales, je crois de mon devoir d'exposer,
aussi brièvement que possible, les motifs qui m'amènent à n'accepter
dans la décisionde la Cour que le seul dispositif.
2. La séparation du fait et du droit n'est pour le juge international
qu'une méthode detravail dans lepremier temps de l'étuded'une affaire;
mais juger est toujours appliquer une règlede droit à des faits particu-
liers.11convient donc de rechercher, en tenant uniquement compte des
faits de la cause, quelles sont les règlesde droit international applicables
à la situation faiteà une sociétéanonyme, la Barcelona Traction, en
Espagne, àpartir de la décisiondu juge de Reus, le 12février1948,selon

lestermes de la demande exposéedans la requêteen date du 19juin 1962
et dans les conclusions finales du Gouvernement belge le 9 juillet 1969.
«Il faut traiter chaque cas comme un cas d'espèce1(C.P.J.I.sérieA no7,
p. 69).
3. En examinant en premier lieu, comme l'a décidé la Cour, la ques-
tion de la nationalitéde la réclamation,lesfaits prennent une importance
capitale dans la présente affaire et lajonction, par l'arrêtdu24 juillet
1964, des troisième et quatrième exceptions préliminaires, trouvait sa
justification précisémentdans l'idée qu'ilétait impossiblede décider
de ces excepticns sans avoir pleine connaissance du fond l. Ceci fut

particulièrement marqué, en ce qui concerne la troisième exception,
c'est-à-dire le point mêmesur lequel est fondéle présent arrêt, par la
remarque du Président,au nom de la Cour, à l'ouverture de l'audience
du 13mars 1964.
Quels sont donc lesfai.tsde l'affaire. Le Belgique prétendant protéger
des ressortissants belges, il faut s'assurer que les personnes en question

Je partage les vues exposéespar lejuge sir Gerald Fitzmaurice sur la jonction
des exceptions préliminaires, aux paragraphes90 de son opinion individuelle.étaient belges à la date des actes dont il est fait grieà l'Espagne et
l'étaientencore lors du dépôt de la requête. Mais ceproblème de preuve
de la nationalité dela réclamation a étélaisséde côtéet la Cour a traité
en prioritéet exclusivementdu droit d'agir de la Belgiquepour le compte
des actionnaires de la société BarcelonaTraction. Bien que la Cour, par
la motivation adoptée, n'ait tranché que ce point de droit, je devrai me
référer aussiau problème de la preuve de la nationalité de la réclama-
tion.
4. Dans la recherche des personnes pour qui la Belgique a pris fait
et cause, il fautavant tout noter un aspect fondamental de l'affaire dont

il résulteque toute théoriegénéralesur le statut des sociétésanonymes
ne tient pas compte des faits particuliers de l'espèceet passe à côté
du problème juridique posé à la Cour. En protégeant des actionnaires
de la société,la Belgique prétend protéger des personnes physiques en
nombre restreint et des sociétésactionnaires de Barcelona Traction;
c'est-à-dire un investissement important de l'économiebelge. Ce n'est
pas une situation simple, comme s'il s'agissait d'une sociétéanonyme
dont le capital est réparti entre quelques centaines d'actionnaires, per-
sonnes physiques dont on peut avoir facilement la liste (cf. sur ce point
le rôle des associations de défense desactionnaires, soit nationales, soit
particulières, notamment dans l'affaire relativà Certains emprunts nor-
végiens, C.I.J. Mémoires, plaidoiriest documents,vol. 1,p. 86).La Barce-
lona Traction est une sociétéintégrant quatorze autres sociétés(cf. à

I'ann. 24, p. 159, vol. 1, annexes au mémoire, letableau montrant la
constitution des sociétésdu groupe Barcelona Traction au 31 décembre
1947),et elle est, elle-même, intégrédeans un groupe qui semble dirigé
par la société Sofinet qui comporte des relations particulièresentre plus
de quatre-vingts sociétés,àen juger par la table des matières pour Bel-
gique et Luxembourg de Who Owns Whom (Part. 1, B.E.13). On ne peut
ignorer purement et simplement ce fait et raisonner comme s'il s'agissait
de la protection diplomatique d'une sociétéanonyme quelconque.
L'affaire actuelle est particulière, d'une part parce que les actionnaires
principaux de la Barcelona Traction sont des sociétés,d'autre part
parce que la Barcelona Traction elle-même estune sociétéholding d'un
groupe de quatorze sociétés qu'ellecontrôle soit à 100 pour cent (neuf
sociétés),soità presque 100 pour cent (quatre) ou 90 pour cent (une).

Ce sont là des traits qui ont plusieurs conséquencesjuridiques, sur le
problème de la protection diplomatique et sur celui de la juridiction
compétente pour juger des activités du groupe. Le problème poséest
celui du sort d'un investissement important qu'on soutient avoir été
fait par l'économiebelge en Espagne et c'est ce problèmequ'il convient
d'apporter une réponse.A une époque où, de 1954 à 1968, il y eut envi-
ron 30 milliards de dollars d'investissements privés,le droit international
ne peut ignorer le phénomène del'investissement, et il serait difficilede
prétendrequ'il n'existait paspendant la périodecritique 1948-1952.
5. Pour faciliter cet exposéet en simplifier la présentation, une obser-vation doit être faite surle droit de protection dans l'ordre interna-
tional. Lorsque la Cour l'a définidans l'affaire Nottebohm, ce fut en
ces termes:

«La protection diplomatique et la protection par la voie judi-
ciaire internationale constituent une mesure de défensedes droits
de 1'Etat. Comme l'a dit et répété la Cour permanente de Justice
internationale, «en prenant fait et cause pour l'un des siens, en

mettant en mouvement, en sa faveur, l'action diplomatique ou
l'action judiciaire internationale, cet Etat fait, vrai dire, valoir
son propre droit, le droit qu'il a de faire respecter, en la personne
de ses ressortissants, le droit international.))(C.Z. RJecueil 1955,
p. 24.)

Le plus souvent, cette formule classique est tenue pour une explication
du rôle de 1'Etat dans l'action sur le plan international, par rapport à
la situation de l'individu. Cette vue des choses pouvait bien être, à
l'origine, celle qu'imposait la société desEtats telle qu'elle apparais-
sait au XIXe siècleet, déjà avec desatténuations évidentes, pendant
le premier tiers du XXe siècle. Mais depuis lors, et singulièrement à

l'époque actuelle, laformule selon laquelle, en défendantses ressortis-
sants, 1'Etat fait valoir sur le plan international «son droit propre »,
a pris une réalitéqui dépasse la justification procéduralede son origine.
En laissant de côtéla situation des Etats socialistes où le problème d'in-
vestissementsprivés ne peutse poser et où la garantie desinvestissements
publics est obtenue par d'autres procédés l, et en restreignant l'examen
de la nature juridique de l'action judiciaire internationale aux Etats
adoptant un régime économique libérall,e monde économique présente
aujourd'hui des phénomènes d'interventionet de responsabilitéde 1'Etat

dans les activités économiques deses ressortissants sur le territoire na-
tional et à l'étranger, d'une telle fréquence ed t'une telle intensitéque
la séparationde l'intérêt des individus et de l'intérêt d1'Etatne corres-
pond plus à la réalité.
Quelques brèves indicationssuffiront,cette situation étantbien connue.
Pour rester dans le domaine des sociétés anonymes, l'importance des
mesures prises par de nombreux Etats pour préserverle caractère na-
tional de ces sociétés,pour contrôler le problème de l'emploi, l'aide

directe apportée par 1'Etat pour encourager les investissements et le
système d'assurance étatique des risques courus à l'étranger par des
sociétés nationales,sont des exemples de la manière dont s'exerce un
((droit propre» de 1'Etat au contrôle de la croissance de l'économie na-
tionale, celle-ci recouvrant l'ensemble des activités d'entreprises privées
dont le résultat entre dans le produit national brut. Ainsi, lorsque, à
la suite d'un risque couvert par un contrat d'assurance-crédit,un Etat

l Cf.«Observationssur les méthodesde protection des intérêtsprivésàl'ét))nger
dans les MélangesRolin, 1964, p. 125-133. BARCELONA TRACTION (OP. IND. GROS)
270

assume la réparation des dommages causéspar un autre Etat, sur le
territoire de celui-cià une sociétéanonyme relevant du premier Etat,
c'est un effort financier de la communauté nationale qui permet d'assu-
mer cette responsabilitépar une solidaritéfondéesur l'idéeque certaines
exportations sont nécessaires à la prospérité de lanation l.(Voir aussi
la législation desEtats-Unis permettant la protection d'industries na-
tionales contre des menaces (effectives ou potentielles))les dispositions
interdisant aux filiales de sociétés américaines,où qu'elles soient, de

commercer avec certains pays lorsque 50 pour cent ou plus de leur
capital appartient à des actionnaires américains; la loi japonaise du
10 mai 1950 autorisant les investissements étrangers «qui contribuent
à l'expansion saine et autonome de l'économiejaponaise et à l'amélio-
ration de la balance des paiements du pays ..11.)L'arrangement de
Luxembourg du 29 janvier 1966entre les six Etats membres de la CEE
comporte une reconnaissance du caractère national des intér2ts éco-

nomiques ((trèsimportants ))d'un Etat (l'un des Etats membres de la
Communauté économique européennedéclare qu'aucune majorité ne
saurait contraindre un Etat membre à prendre des mesures qu'il juge
contrairesà son intérêt national).Dans tous ces cas, qui ne sont que des
exemples d'une société industrielle planifiéeil, apparaît que la représen-
tation des rapports entre investisseurs privéset Etat comme de simples
rapports de droit interne, tant en ce qui concerne 1'Etat de l'investis-
seur que 1'Etat où se fait l'investissement, n'est plus en accord avec les

faits économiques. L'investissement privé n'est plus uno epérationisolée
mais un élémentde la volitiaue de croissance de l'économienationale.
6. Sans mêmequ'il soit nécessairede développer unethéorieclassique
des économies planifiées,il suffira pour l'examen de la présente affaire
de rappeler quelle étaitla situation des Parties à l'époquedes faits, en
1948-1952.Alors que la Belgique et l'Espagne tentaient de relever leurs
économies dévastéep sar la guerre mondiale ou la guerre civile, une des-

cription exacte des réalitéséconomiques montre que toutes les res-
sources de ces Etats, comme celles des autres Etats européens, étaient
alors mobiliséespour la reconstruction; l'importation, l'exportation, les
transports étaientsous le contrôle de 1'Etat.Toute atteinteà des éléments
essentiels de l'économienationale était bien une atteinte à l'effort de
reconstruction de l'économienationale. Si, comme on le soutient, l'in-
vestissement belge était aussi important dans l'entreprise Barcelona
Traction en Espagne, c'était un élémenstur lequel le Gouvernement

belge étaiten droit de compter dans ses plans de reconstruction (dans
les conclusions finales la valeur 1948est estimée à 116 millions de dol-
lars). Les effets des deux guerres mondiales sur les investissements à
l'étranger desressortissants des Etats belligérantssont connus; chaque
fois les fonds placésà l'étrangeront dû êtreliquidéset rapatriés.

l Cf.((Note sur I'évolution récente des problèmesde l'assurance-crédit à l'expor-
tationu;Nations Unies, Commission économique pour l'Europe, Bulletin éconorni-
que, vol. 12, 196no2, p. 59 et suiv. 7. A une époque deplanification de la vie économiquede la Belgique
c'est présenter une vuethéoriquedes faits que les interpréter en fonction
des rapports juridiques classiquement établisentre individus et sociétés
anonymes dans un monde économique libéralqui avait disparu avec

la guerre mondiale.
Si l'on tient compte de la situation économiqueoù se trouvent les
deux Parties au moment du différend, la distinction sur laquelle se
fonde l'arrêtentre les droits et les intérêtspour expliquer la situation
des actionnaires ne correspond pas aux faits de la présente affaire.
8. La thèseadoptéepar la Cour est que, du fait de son statut juridique
d'actionnaire en droit interne, un individu ne peut obtenir, en droit

international, la protection de son Etat en cas d'acte illiciteimputable
à un Etat étrangeret atteignant& sociétéanonyme dans ses biens. J'ai
indiquéla raison pour laquelle le problèmeposé à la Cour est différent:
le rapport individuel actionnaire-sociétéest confondudans le phénomène
de l'investissement global. Mais, mêmeen se plaçant sur le terrain de
l'arrêt,la thèsene me paraît pas convaincante.

Dans la motivation adoptéepar la Cour le problème peut êtredivisé
en deux: en premier lieu, est-cela qualitéd'actionnaire qui rend impos-
sible la protection, ou, en second lieu, est-ce la nature du dommage
qui est causé à l'actionnaire((à travers)les biens de la société?

Dans cette affaire on parle de l'actionnaire comme d'un êtreabstrait
et toujours identique à lui-même.Or il existe au moins trois catégories

d'actionnaires: le bon père de famille, assez ignorant des problèmes
détaillésde l'investissement et généralementconstant dans ses place-
ments l - le spéculateur qui achète pour revendre vite - l'homme
d'affaires ou la sociétéqui, en tant qu'actionnaires, contrôlent l'activité
d'une société dans leurintérêp tropre, parfois avecune faibleparticipation
(les milieux financiersparlent de 10pour cent dans certaines conditions),
soit par une présenceeffectivedans les organes directeurs de la société
ou dans les banques qui lui prêtent leurnécessaireconcours, soit aussi

par la conclusion d'accords de coopération technique ou commerciale.
La première catégorie d'actionnaires n'est pas différentepar nature
d'une personne dont un dépôtd'argent ou un bien quelconque à I'étran-
ger disparaîtrait à la suite d'un acte illicite imputableà 1'Etatétranger.

Il faut donc établirque l'action serait une forme de droit de propriété
non protégéepour des raisons propres au régimejuridique des rapports

l C'est pour cette catégoried'actionnaires qu'on serait tentéd'admettreprima
faciela acontinuit» de la propriétd'actions Barcelona Traction acquises avant
traits particuliersde la société hol,ourraitse poser la question de savoir si des
droits propres avaient étéatteints. comme le dit l'tu paragraphe47. Mais la
demande n'a pas portésur ce point de droit.entre la sociétéanonyme et ses actionnaires. C'est le raisonnement
adopté par l'arrêtet que je regrette de ne pouvoir accepter. Il repose en
effet sur une conception du rôle de la Cour et des rapports entre droit
international et droit interne qu'on peut résumerainsi:

a) le juge international doit renvoyer aux notions du droit interne la
définition desrapports juridiques entre la sociétéet l'actionnaire;

b) le droit interne ne comporte pas de droit d'action de l'actionnaire
pour le compte de la société;
c) ce droit n'existant pas, 1'Etat de l'actionnaire ne peut invoquer le
droit deprotection pour ce qui n'est qu'un intérêftinancier individuel.

9. La prémisse du raisonnement me semble aussi inacceptable que
ses conclusions. Le renvoi au droit interne aboutit en l'espèce à établir
une supérioritédu droit interne sur le droit international, ce qui est une
véritablenégation decelui-ci. 11peut se faire, dans certaines affaires, que
le seul problème àjuger soit celui de la conformité d'une règlede droit
interne avec une règleconventionnelle et que, pour ce faire, ilsoit néces-
saire d'interpréter le droit interne tel qu'il est. Mais ici nous avons une
situation différenteoù un déni dejustice est invoqué à l'encontre de
ressortissants étrangers, tant la sociétéelle-mêmeque les actionnaires.
Tenir pour une cause d'irresponsabilité internationale d'un Etat pour

un prétendu dénide justice le fait que son droit interne ou des droits
internes quelconques ignorent le droit d'action de l'actionnaire n'est pas
admissible. Pas plus que l'absence de règles internes sur la respon-
sabilité de1'Etatpour les dommages causéspar le législateur, l'adminis-
tration ou le juge n'est prise en considérationpar le droit international.

10. Dans la présente affaireles règles du droit interne ne sont pas
autre chose que des élémentsde fait du dossier et elles méritent lamême
attention que les autres faits et la mêmerigueur dans leur interprétation,
mais pas davantage. La Cour n'a pas à appliquer les règles du droit
interne, comme le ferait lejuge national de dernier ressort, aux rapports
société-actionnaire;elle en tient compte comme des faits pour son appré-
ciation de la situation juridique qui lui est présentéepar les parties afin
de vérifiersi l'ensemble de cette situation est conforme ou non aux règles

du droit international. Et ce sont ces dernières règles qui constituent
pour lejuge international les motifs de sa décision. Il ne suffitdonc pas
de dire qu'un droit national établissant une certaine relation juridique,
celle-ci, par l'effet du ((renv»au droit interne, s'impose avecla même
force juridique, au juge international. Celui-ci prend cette relation juri-
dique comme un fait établiet la confronte aux règlesdu droit interna-
tional. Ainsi, en l'espèce,pour la relation actionnaire-sociétéanonyme
que nous examinerons plus avant. 11. Une remarque d'abord sur la portée limitéede l'arrêt.S'il est
exact que, entre 1948et 1952, au moment des actes incriminésqui ont

consommé le transfert de l'investissement en cause dans les rapports
entre la Belgique et l'Espagne, les systèmesjuridiques des deux pays
ne contenaient pas de dispositions permettant de manière générale à
un actionnaire d'agir à la place ou pour le compte dela société anonyme,
cela n'est pas une règle généralement reconnue. Il suffira de signaler
lesdispositions adoptéespar la loi française du 24juillet 1966qui institue
pour une minorité d'actionnaires un mécanisme de participation au

contrôle de la gestion de la sociétéanonyme ainsi qu'une action en
réparationde préjudices subispar la société (art. 226et 245 l)On aboutit
à ce résultat que la situation de l'actionnaire quant à l'exercice de la
protection diplomatique dépendrait, dans chaque cas, de l'existence de
dispositions de droit interne; il suffirait, dans un cas d'investissement
l'étranger,que l'un desEtats en cause reconnaisse un droit d'action in-
dividuel à l'actionnaire pour que la théoriedu renvoi ne permette plus
de conclure au défautde qualitéde 1'Etat.

12. Si la technique du renvoi n'est pas applicable en l'espèceet si
lesdispositions de droit interne ne sont que des élémentsde fait, le grief
de spoliation effectuée à l'encontre des actionnaires d'une sociétéano-
nyme doit êtrejugé enfonction des règlesdu droit international appli-
cables aux investissements étrangers sur le territoire d'un Etat et il
semble que, entre deux Etats européens tels quela Belgiqueet l'Espagne,
aussi bien aux dates critiques qu'aujourd'hui, la perte totale de biens à
la suite d'actes qualifiés d'illicites etsans aucune indemnisation, ce qui

équivaut à une confiscation, demeure un grief justifiant l'action en res-
ponsabilité internationale. Le protocole additionnel à la convention
européennedes droits de l'homme du 29 mars 1952décide:
(Article 1.Toute personne physique ou morale a droit au respect
de ses biens. Nul ne peut êtreprivéde sa propriété que pourcause

d'uîilitépublique et dans les conditions prévuespar la loi et les
principes généraux du droit international.))(Les italiques sont de
nous.)..
Bien que l'Espagne ne soit pas partie à cette convention, il n'est pas
douteux qu'elle enaccepte le contenu. Le moins qu'on puisse dire est

qu'il s'agità d'un principe général dedroit qui ne perd rien de sa force
obligatoire du fait de sa réaffirmationdans le protocole de 1952; il est
directement opposable à l'Espagne, en dehors du texte conventionnel.
L'investissement est une décision d'affecter des biens à une activitéde

l Aussi en droit suédois, loi sur les sociétés de1944, reviséeen 1948, art. 129,
droit d'action pour une minorité d'actionnaires de 10pour cent; de même endroit
norvégien, loi sur les sociétésde 1957, art. 122; en droit allemand, art. 122-124.production; parce qu'il estfait dans un Etat étrangeril ne devient pas
une forme de proprétéfragile et confiscable sans recours alors que, fait
sur le territoire national, il est fermement protégécontre l'illicite. La
présente affaire oppose deux Etats dont les concepts économiques et
juridiques sont les mêmes; toute référence à des systèmes juridiques
différents estd'autant moins acceptable que, généralement,ceux-ci ex-
cluent le recours au juge international et que leurs règles ne peuvent
donc êtreexposées à l'examen decejuge. J'ajouterai qu'il estparadoxal,
et c'estune litote, d'invoquer la protection des droitsde l'homme au nom
de l'universalité et enmêmetemps d'en exclure la protection des biens
contre l'illicite au nom d'une conception particulière, contestataire de

ce droit.
Il faut bien constater qu'une entreprise industrielle, dont personne
n'a jamais prétendu avant 1948 qu'elle était espagnole, l'est devenue,
contre la volonté des organes sociauxde la Barcelona Traction, à la
suite d'actions qualifiéesglobalement et dans le détail dedénidejustice.
En fait, l'entreprise est aujourd'hui incorporée dans l'économie espa-
gnole, par une sorte de « nationalisation» qui, si elle a éopérée par un
détournementdeprocédure,constitueuneviolation dudroit international
entre les Parties. Il est clair que toute nationalisation régulièreeût
étéaccompagnée d'uneindemnisation. Le fait que desnégociationsentre
les groupes privésait arrêtéla première procéduremontre aussi que le
principe d'une certaine indemnisation était accepté du côté espagnol.
Je vois mal comment on pourrait prétendre que, entre les Parties en
cause, une confiscation non régulièrene serait pas une violation du

droit international, sous le seul motif que l'actionnaire, en droit interne,
n'aurait pas un recours propre. C'estvéritablement déplacerle problème
sans y répondre.
13. Si la thèse de l'impossibilité d'agirsur le plan international en
faveur des actionnaires d'une société anonymene peut se justifier par
le renvoi à un droit interne qui ignore l'action propre de l'actionnaire,
il faut étudier la seconde raison mise en avant pour refuser qualité
pour agir à 1'Etatdont les actionnaires sont les ressortissants.

L'actionnaire ne pourrait subir un dommage propre, a-t-on soutenu,
il s'agirait toujours d'un dommage à la société;il peut certes y avoir
effet personnel sur la fortune de l'actionnaire, mais par ((ricochet D.
Ici encore nous trouvons la mêmethéorie fondée sur certains droits

internes aux débutsde la législationsur les sociétés anonymes et expli-
quant celle-cipar l'idéeque I'actionnaire fait abandon de sa participation
et doit assumer tous les risques sans avoir droit la protection qu'aurait
l'obligataire-créancier. Pour le bon père de famille cette théorie est
inexacte dans sa justification économique,mais elle l'estbien davantage
pour la plupart des sociétésimportantes dans la vie économique mo-
derne - et cela déjà en1948.L'actionnaire n'a plus de rôle utile dans le
contrôle de la gestion de la sociétépar les assembléesgénéralescar((nous constatons une confiscation totale du pouvoir de l'assemblée
généralepar le conseil d'administration et une omnipotence effective
du conseil ))(A. Tunc, dans Travaux et conférencesde Z'Université libre
d? Bruxelles, 1959,p. 11) l.

C'est donc fonder le refus de protection d'un actionnaire sur un motif
aujourd'hui inexact car la «nature juridique » des rapports entre la
sociétéet l'actionnaire n'a plus aucune commune mesure avec les textes
législatifsdu débutdu XIXe siècle.L'analysejuridique ne peut ignorer
les faits économiques; l'opposition actionnaire-obligataire n'a plus de
sens si l'on envisage la situation de 1'Etat par rapport à la société.Les

diverses assurances que 1'Etat donne aux actionnaires autant qu'à la
société par ses interventions de protection (le créditen cas de menace de
fermeture d'une entreprise)sont la négationmêmede la notion du risque.
L'investissement est un moyen de la politique économique générale.
Mais la théorie du risque financier à supporter par l'actionnaire doit
etre écartéepour unè raison tenant à l'idée déjà indiquéq eue la situa-

tion de droit international crééepar une confiscation qualifiée d'illicite
ne peut êtreignoréepar le seul motif que les actionnaires doivent ac-
cepter tous les risques. C'est supposer le problème de fond résolu,car
s'il ya confiscation illicite, il y a violation du droit international. Les
étrangers,parce queactionnaires, ne sont pas tenus par le droitinternatio-
nal de courir le risque de disparition de leurs investissements par des

actes illicites. Le risque de l'actionnaire est un risque financier, pas un
risque de l'illicite.

14. La situation de droit international qu'il faut prendre en considéra-
tion en l'espèceest une série d'actes qualifiés d'illiciteest leurs effetsvis-
à-vis des investissements faits par des ressortissants d'un autre Etat.

Affirmer, par une explication qui ne correspond plus au droit contem-
porain des sociétéd se capitaux, que l'actionnaire esttoujours un spécula-
teur qui doit assumer tous les risques n'est non seulement pas opposable
sur le plan du droit international à 1'Etatqui constate que son économie
générale esa ttteinte à travers les investissements de ses ressortissants par
l'acte qualifiéd'illicite, maine tient pas compte de la règlede droit inter-

national prohibant les confiscations sans indemnité 2.

-
l PourlesEtats-Unisvoir J.K. Galbraith,TheNew IndustrialState, Londres1967:

«For many years those who specialize on the problems of the corporation
have been much concerned with the way control in the large firm has been
latter, as sufficientlynoted in this study, selects itself and its successors as an
autonomous and self-perpetuatingoligarchy » (p. 403).

Naturellement ilfaut tenir compte de l'effort législatif danscertains pays pour
reméLe droit moderne de la faillite a autant évolué le droit des sociétés dei- 15. Dans l'analyse à base de droit interne, on affirme bien que le
préjudiceen tout cas n'estjamais ((personnel » et propre à l'actionnaire,
mais qu'il s'agituniquement d'un préjudice subipar la société,ce qui
permet de soutenir qu'il n'ya pas eu de dommage pour l'actionnaire, donc
pas confiscation. Ici encore, mêmesi l'on se place sur le terrain du droit

interne, il ne faut pas pousser l'abstraction trop loin;la sociéanonyme
est toujours un groupement de personnes qui n'ont pas disparu par la
reconnaissance d'unepersonnalité morale,laquelle est destinée à permet-
tre de meilleures conditions de gestion. Les actionnaires constituent la
sociétéet l'arrêtadmet la possibilitépour 1'Etatdes actionnaires d'agir
lorsque la sociétéa disparu. Ici la sociétéa étéentièrement privée des
moyens de poursuivre son objet social ce qui, pour les actionnaires, pré-

senteles mêmeseffets qu'une disparition de la société. a nuance est donc
de forme ou plutôt de formalité. Après 1952 l'objet social du groupe
Barcelona Traction n'a plus eude sens l.

Sil'actionnaire prétendait àune indemnitépour le manque à gagner de
la société dont les activitésont pris fin, il réclamerait une espècde pro-
tection «fonctionnelle »,une garantie du droit de commercer à l'étranger

qui, s'ilexistait en vertu d'un traitéou du droit international généraln, e
pourrait être invoqué quepar 1'Etat où la sociétés'est constituéeet à
l'économieduquel elle se rattache. Mais lorsque les actionnaires deman-
dent l'indemnisation pour leur investissement et ce qu'il représentait au
jour du dommage parce que la société est hors d'état de continuerl'entre-
prise, le fait que ce dommage soit aussi, par l'addition des dommages de
tous les actionnaires, le dommage de la société, neparaît pas pertinent,

sous réserve des problèmesde l'évaluationet de la répartition. Le dom-
mage à la société est qu'elle esdtétruite,le dommage aux actionnaires est
qu'ils sont lésésdans leurs biens par la destruction de l'investissement, le
dommage à YEtat des actionnaires est qu'un élémentde l'économie

taux et le déroulement de la procédure dans la présenteaffaire apparaît anachro-
commises par les dirigeants et les sanctions prévuescontre eux. Voir l'exposédeutes
M. Houin sur ce point dans Idées nouvellessur le droit de lafaillite, 1969, p. 122et
suiv. Il suffira de noter que le choix entre la liquidation des biens (faillite) et le
règlement judiciaire (concordat) est décidépar le juge selon un critère économique,
la possibilitéde redressement de l'affaire. Au surplus, le droit français a établi un
régime spécialpour éviterla faillite d'entreprises importantes dont la disparition
serait de nature à causer un trouble grave dans l'économienationale (ordonnance
du 23 septembre 1967).

l L'argument fondé surla négociation récente d'actions de la BarcelonaTraction
quelques achats ou ventes pour maintenircertaines bourses une cotation de titres
d'emprunt impayésdepuis plus d'un demi-siècle.Lorsqu'on dit que l'actionnaire a
le droit de céderson action, on veut certainement dire à des conditions nor-
males, ce qui, hors quelques spéculations sur l'issue de cette affaire devant la Cour,
n'est plus le cas pour Barcelona Traction. 277 BARCELONA TRACTION (OP. IND. GROS)

nationale a étéspolié.La cause de la responsabilitéest toujours l'acte
illicite de'Etat, et l'action de protection des actionnaires ne peut être
qualifiéed'intervention dans les affairesintérieures decet Etat comme on

l'a prétendu parfois, moins de prétendre que ledénidejustice ne relève
pas du droit international. Le fait qu'il ne doive pas y avoir double
réparation, l'une pour la société,l'autre pour les actionnaires, marque
une préoccupationd'équité bien compréhensible. Mais l'individualisation
du dommage demeure possible, intellectuellementetjuridiquement.

Enfin la thèse de l'arrêtadmettant la possibilitéd'action pour 1'Etat
des actionnaires au cas de disparition de la socimanquede logique car,
dans cette hypothèse, 1'Etatde la sociétéqui a entaméune action ne peut
en être débouté par la disparition de la sociét. t même sicette action a

été entamée aprèls a disparition de la sociét,n voit mal pourquoi 1'Etat
de la sociéténe pourrait réclamercontre l'acte illicitequi àsl'originede
la disparition. Alors si, en ce cas, lesdeux Etats peuvent agir, n'est-ce pas
que la règle généraldeu droità agir de 1'Etatde la société n'estas une
règle exclusive?

16. Reprenons l'argument du risque financier à la charge de l'action-
naire: l'actionnaire n'est paslésdans ses «droits», mais seulement dans
un intérêt économique non juridiquemeng taranti et non susceptible de
protection diplomatique ou d'action en justice. S'ils'agissait d'une asso-
ciation en participation, ceux mêmesquirefusentlaprotection de l'action-
naire admettent que la protection est possible, mais on affirme que

l'actionnaire n'étantpas titulaire d'un droit sur la sociétéi,l a seulement
un intérêtà ce qu'ellefonctionne au mieux.
En premier lieu, c'est encore une fois faire de définitionsde certains
droits internes une règle de droit international, ce qui est paradoxal
dans le monde actuel où les deux tiers de la population vivent hors du
systèmecapitaliste et des règlesjuridiques auxquelles se rattachent les
Parties.Il faudrait donc établirqu'il s'agitlà d'une véritable règlpour
les Etats de systèmeéconomique libéral,acceptéepar eux comme une
règlede droit international régional.l n'en est visiblementrien, commele
montrent la pratique diplomatique et l'arbitrage. Au surplus il faut rap-
peler les nombreux accords, conclus précisément à l'époqueoù est néle
différend,par lesquelsdesparticipations minoritaires dans des sociétsnt

étéindemniséessur la demande de 1'Etatdont lesactionnairesminoritaires
étaient ressortissants (accord entre la France et la Pologne du 19 mars
1948par exemple). Dans les conventions conclues par la Suisse avec la
Hongrie le 19juillet 1950,la Roumanie le 3 août 1951et la Bulgarie le
26 novembre 1954, l'indemnisation est même accordée à des porteurs
d'actions isolées.l me paraît impossible d'écarterd'un trait de plume ces278 BARCELONA TRACTION(OP. IND. GROS)

accords, notamment ceux de la Suisse qui ne sont pas des règlements de
paix imposéspar un Etat victorieux; les Etats ne se font pas de cadeaux l

et le nombre des accords d'indemnisation d'actionnaires considérésen
dehors de la société anonyme implique la reconnaissanced'une obligation.

17. Dans les mŒurs contemporaines, la société anonymen'est qu'un
procédé de placementdans l'économieindustrielle. L'Etat n'ayant prati-

quement plus de biens propres surveille et dirige les activitésqui cons-
tituent le produit national brut par l'établissement de la politique
économiquede la nation. La surveillance nécessairepour maintenir les
éléments de l'économienationale dans des conditions normales de travail,
notamment d'empêcher leurdisparition par des décisionscontraires au

droit, constitue l'une des fonctions~normales de I'Etat, sous forme de
prévision,orientation et aide au moment de la décision d'investissement,
de protection en cas de besoin, après que l'investissement a eu lieu. Des
investissements qui ont permis la création ou le développement d'une
entreprise à l'étrangersont aussi essentielspour l'économienationale que

les investissements opéréssur le territoire national. L'action de 1'Etat
pour la protection d'un élémend te l'économienationale est un trait na-
turel de la sociétééconomique où s'inséraientla Belgiqueet l'Espagne au
moment où est néle différend.
18. Ce serait déformerla thèseque prétendre qu'elle aboutit à recon-

naître à tout actionnaire, en toutes circonstances, le droit d'obtenir la
protection de son Etat pour tout fait ayant porté préjudice à la société
anonyme elle-même. En premier lieu, is l'estagi dans la présente opinion
de montrer, enacceptant pour hypothèselerenvoi auxdroits internes, que
les prétendusobstaclesjuridiques à l'exerciced'un droit de protection des

actionnaires, comme tels, n'étaient pas insurmontablesmêmedans ce ca-
dre juridique. Ce n'est pas parce que la nature juridique du lien entre
l'actionnaire et la société nepermet pas à 1'Etatd'agir; ce n'est pas non
plus parce que le dommage causé à la sociétéexclut par nécessité la pos-

l Dans l'affaire Hammaken (Etats-UnisIMexique, Moore, International Arbi-
trations, vol. IV, p. 3471) le surarbitre repoussa l'argumentatiode l'agent du
Mexique selon laquelle une somme de 100000 dollars que le Mexique avait accepté
de payer pour la révocation d'une concession n'aurait constitué qu'un don gracieux:
«Si cegouvernement n'avait pas penséqu'un dommageeût étécausépar ses autorités,
il n'aurait pas consentiaccorder une compensation ..11
Dans de nombreuses affaires 1'Etat défendeur préfère réglerune indemnité
plutôt que d'êtredéclaréresponsable du dommage; d'où les clauses de style sur les
paiements «en équité 11,sans reconnaître aucune obligation juridique », asans
rapport avec la question de responsabilitécf. Moore, Digest, tome VI notamment
pour les lynchages d'Italiens dans le Colorado, p. 841, a la Nouvelle-Orléans;
pas disparaître le problème de l'imputation de la responsabilité internationale.t
Lorsque, dans les économies libérales, des organismes publics prennent des
participations dans des sociétéset deviennent actionnaires, seraient-ils privés de la
protection del'Etat? (TheIndustrial Reorganisation Corporation en Grande-Bretagne,
l'Institut de développement industriel en France.)sibilité d'un dommage propre à l'actionnaire pour lequel 1'Etat peut
intervenir; ce n'est pas enfin parce que 1'Etat des actionnaires est sans
droit propre pour préserver les élémentd se l'économienationale. En
vérité, il'y a pas d'obstacles juridiquesà l'encontre de cette protection,

il n'ya que des aménagementsnécessaires, desprécautions àprendre pour.
aboutir à une solution raisonnable dans chaque cas.

En second lieu, la thèsede la défensedes investissements par 1'Etatdont
l'économienationale est atteinte comporte ses limites par cette définition
même. Il faut qu'il s'agisse d'investissements rattachés à l'économie
nationale (donc pas d'une opérationde portefeuille temporaire) et qu'il y
ait eu acte illicite engageant la responsabilitéd'un Etat. Le seul problème
consiste àrechercher dans chaque cas comment aménagerles protections
possibles, celle de la sociétéet celle des actionnaires.

19. Pour appliquer plus précisément le raisonnement à l'affaire, ily a
un grief de déni dejustice, la constatation du transfert d'une entreprise

industrielle par des procéduresqualifiées d'illicites,donc un problème de
violation du droit international. Le contenu de l'obligation invoquée
contre le Gouvernement espagnol est l'obligation de respecter les investis-
sements des ressortissants belges et de les protéger contre l'illicite; c'est
une obligation généralede comportement entre Etats dans leurs relations
économiques. La qualitépour agir du Gouvernement belge est le droit
propre de tout Etat d'obtenir le respect de cette obligation, les investisse-
ments de ses ressortissants constituant une part importante de l'économie
nationale. Le fondement d'une règlede droit international économique
doit s'attacher aux réalitéséconomiques. Le lien de nationalité pur et
simple de la sociétépeut ne recouvrir aucune consistance économique.
Entre lesdeux critèreslejuge doit choisir celui qui fait coïncider le droit et

les faits, c'est'Etatdont l'économienationale est atteinte en fait qu'ap-
partient le droit d'agir en justice.

20. En cette matière, il faut rechercher ce qui est raisonnablà,la fois
sur le plan juridique et sur le plan des réalités dela vie économique.
Lorsqu'une société anonyme a été établieo,n peut admettre que l'action-
naire est en principe défendupar la société,sous réserve desremarques
antérieuressur les trois catégoriesd'actionnaires et sur le caractère parti-
culier des holdings.

L'Etat qui a le droit de protéger l'investissement Barcelona Traction
serait donc le Canada, et c'est ce que, selon l'arrêt,les deux Parties ont
admis. Mais c'est là une proposition qu'il faut vérifiercomme il faut
vérifiertoute prétention d'un Etat qui porte une réclamation internatio-
nale devant le juge, pour s'assurer qu'ellecorrespond bien aux faits. Il 280 BARCELONA TRACTION (OP. IND. GROS)

s'agitdecertains investissementsqui ont subi de gravesdommages: qui est
atteint ?Si des biens quelconques subissent des dommages la réparation
doit êtredemandéepar 1'Etatauquel lesbiens serattachent effectivement.
Or, àsupposer que le Canada fût intervenu devant la Cour pour se voir
reconnaître un intérêd t'ordre juridique en se fondant sur l'article62 du
Statut, l'Espagne n'eûtpas manqué de lui objecter qu'il n'y a pas dans
Barcelona Traction d'intérêts canadiens substantieln si sérieux.Certes les
contradictions des plaideurs sont inévitablesdans les affaires complexes
mais il serait regrettable que la Cour leur reconnaisse indirectement une
portée. Il existe en effet une raison majeure pour ne tenir aucun compte

des déclarations des Parties sur le caractère canadien de la société.
L'exempledela facultéd'interventionprévuepar l'article62est pertinent;
si le Canada était intervenu, mêmeun accord des deux Parties pour lui
reconnaître un intérêt juridique entant qu'Etat national de la société
n'aurait pasdispenséla Cour d'examinersi leCanada avait véritablement
un intérêtjuridiquecar l'article 62 dit:(la Cour décide »si une interven-
tion est justifiéeet il ne me paraît pas qu'en matièrede juridiction la
Cour puisse secontenter de prendre acte d'un accord desParties concer-
nant l'existence d'un intérêt juridiquepour un Etat tiers absent de la
procédure.L'intérêt juridique du Canada existe ou n'existepas; il n'ap-

partient pas àdes Etats tiers de lecréeret leplus qu'ilsaient pu faireest de
reconnaître cet intérêtjuridique pource qui concerne leurs thèsesdans la
présente instance,sans que cette reconnaissance ait pour la Cour un effet
quelconque en ce qui concerne l'obligation qui lui est faite par son Statut
de vérifiersa propre compétence.

21. C'est donc un obiter dictum sans portéejudiciaire que d'affirmer
actuellement la nationalité canadienne dela société BarcelonaTraction.
Cen'estpas parcequeleCanada a agi en faitpendant un certain temps sur

le plan diplomatique ni parce qu'il a proposé l'arbitrage, que sondroit
d'agir en justicedoit êtrereconnu; il ne suffitpas de prétendrepour être
reconnu titulaire d'un droit. Prétendreest ce que font tous les plaideurs;
chaque fois l'un d'eux perdet, sa prétentionétantrejetée,il constate qu'il
n'avait pas de droit. Une société holding dont le capital est réparti entre
des actionnaires de plusieurs nationalités et dont le but social est d'ex-
ploiter une industrieàl'étrangernepeut êtrerégiepar un seuldroit interne
pour tous les problèmes qui la concernent (cf. par. 29 ci-après). Et le
point de savoir quel est le droit interne applicableà un problème déter-
miné relève dudroit international. C'est ce que recouvre le problèmedit
de la ((nationalité)des sociétés.La présentation par un Etat d'une af-

firmatioh dejuridiction sur une sociétén'esqtu'une prétentiontant qu'elle
n'a pas étéadmise par tous les Etats directement intéressésdans cette
situation ou par une décisionjuridictionnelleinternationale.
22. Il n'a pasété établq iue le Canada ait la qualitépour agir pour lecompte de la Barcelona Traction, parce que cette société n'avaitde
canadienne que l'apparence et que, dans la vieéconomique, laprotection
des investissements doit suivre la réalitéde l'appartenance. Ce qui a été
jugé pour Nottebohm, individu, en réservant par le silence le cas des
sociétés,est encore plus raisonnable pour les sociétés,car le facteur du
rattachement d'intérêt économique ee stssentiel entre les investissements
et 1'Etatdont ils proviennent véritablement, ainsi qu'il a étéexposéplus

haut 2. Plus que pour l'individu, plus que pour le navire, l'investissement
par la voie d'une sociétéanonyme ne peut êtrepris en considérationsur le
plan international que si1'Etatqui réclamea étéatteint danssonéconomie
nationale; lorsqu'il y a plusieurs Etats avec lesquels une sociéa un lien
effectif cela peut présenterune complication, mais ce n'est paslecas pour
toutes les sociétésanonymes travaillant à l'étrangeret la Cour n'a pas à
rendre un arrêt derèglementsur la protection des sociétés anonymes en

général.
23. Une dernière remarque s'impose sur l'attitude du Canada depuis
que l'action en justice a étéentamée.Si le Canada avait ressenti de l'in-
térêt pourcette affaire, il avait le moyen de le faire connaître la Cour,
sans qu'il luisoit nécessaire d'interveniret de courir le risque judiciaire
d'un rejetde son intervention. Dans l'affairedu Détroitde Corfou,divers
documents ont été proposés à la Cour par le Gouvernement yougoslave
qui n'étaitpas partie, ni intervenant à l'action, et ils furent présentés
finalement à la Cour par le Gouvernement albanais après décisionde la

Cour en date du 10décembre1948(Détroitde Corfou, Mémoires,vol. III,
p. 190et voir l'arrêt de laCour sur ce point:C.Z. J.cueil 1949, p. 17).
En la présente affairetout document canadien sur l'histoire de la protec-
tion diplomatique par le Canada et les vues exactes du Gouvernement
canadien aurait pu être fourniàla Cour par le même procédé O.r, bien au
contraire,à la question poséepar des membres de la Cour, la réponse
elliptique du Gouvernement canadien le 24 juin 1969 n'a pas apporté
d'éclaircissements (nouveauxdocuments déposés le Gouvernement belge,

nos44-45). Je me réfèresur ce point aux paragraphes 19 et suivants de
l'opinion individuelle deM. Jessup.
24. Bien que la Cour ait rejetéla possibilité d'envisager uneanalogie
avec l'affaireNottebohm, il me semble que l'arrêtNottebohm fixe un

l Malgréles indications de l'arrêtau par. 71 sur divers élémentsde rattachement
avec le Canada, je me rallie aux observations du juge Jessup, par. 49, spécialement
la note. Lesvéritables dirigeants de la Barcelona Traction ne semblent pasavoirmar-
quéde lien effectif avec Toronto.

La distinction entre la recherche du lien effectif en faveur ou à l'encontre d'une
sociétéde capitaux est dépourvue de signification juIln'y ajamais de partie
favorisée ou pénaliséepar le droit en raison du principe primordial de l'égalité
devant la loi. La recherche des réalités derrière lesapparences a pour but de dé-
sement de la véritén'est pas inspiré par une orientation favorable ou défavorableàlis-
l'un des élémentsdu problème mais par les exigences de la constatation du droit.standard relatif et ne va pas plus loin que la règledéjàrappelée:«Il faut
traiter chaque cas comme un cas d'espèce )).Donc, mêmesans avoir
besoin d'invoquer cet arrêt,les particularités dela présenteaffaire met-
tent au premier plan des vérificationsopérerpar la Cour le problème de
l'appartenance effective des investissements en cause. La thèse du lien
effectif implique une comparaison entre Canada-Belgique-Espagne, et
peut-être d'autresEtats, l'examen de la concentration de l'entreprise en
Espagne, le problème de la direction effective par les organes de la
Barcelona Traction ou par d'autres, la réalitéde l'investissement belge.
Cesvérificationsn'ayant pas étéjugées nécessairepsar la Cour en l'espèce,
il est difficiled'émettre une opiniondéfinitivesur la dépendanceréellede

Barcelona Traction par rapport à une économie nationale, mais quelques
conclusions ressortent du dossier.

25. Le rattachement à l'économienationale du Canada n'est certes pas
le plus marqué car il n'est jamais apparu que l'entreprise constitue un
élémend t e production dans cette économie.
Le rattachement de Barcelona Traction à l'économieespagnole n'est
pas contestable quant à l'élémentproduction en Espagne de biens et
services. La sociétéa concentré toutes ses activitésen Espagne et ses
filiales, sociétés espagnoles sauftrois d'entre elles, étaient sous son
contrôle absolu, de telle sorte qu'on peut considérer que le groupe
Barcelona Traction dans son unité d'entreprise était un élémentde la

production nationale espagnole. Mais si cet aspect des choses peut avoir
des conséquencesjuridiques, notamment sur certains problèmes de
juridiction, il en est totalement dépourvupour la détermination de'Etat
auquel se rattachent effectivement les investissementsétrangersqui sont
à l'originede l'entreprise et de son développement.Il n'a pas étéétaiue
ces investissements étaient principalement espagnols.Il n'y a donc pas,
en ce qui concerne le droit applicable aux investissements, de rattache-
ment effectifà l'économieespagnole.
26. Le rattachement à l'économie belgea fait l'objet de commentaires
très complets du juge sir Gerald Fitzmaurice et du juge Jessup. Pour
abréger,je dirai simplement que la preuve ne me paraît pas avoir étéap-
portéede l'appartenance desdits investissementsàl'économie belgedans
le sens de la thèsesoutenue dans cette opinion.

En l'espècela preuve n'apas été fourniede manière satisfaisantepour le
juge que, de façon continue, la Barcelona Traction constituait principale-
ment, ou mêmede façon importante, un investissement de l'économie
belge. Si,pendant certaines périodes,par l'origine descapitaux investis et
par la direction effective des opérations industrielles et financières,il a
étépossible d'apporter un commencement de preuve quel'économiebelge
avait étéalors plus intéresséqu'une autre, les remarques du juge Jessup
aux paragraphes 72à 98 de son opinion montrent qu'il n'apas été prouvé
qu'il enait étéde mêmeaprès 1940et notamment pendant une partie de
la période critique. D'autre part, l'examen du groupe de sociétésdans283 BARCELONATRACTION (OP. IND. GROS)

lequel Barcelona Traction prend place n'apas, non plus, permis d'établir
un rattachement principal, constant et certaià l'économiebelge.
Pour prétendre à la protection des investissements, il ne suffit pas, en
effet, de la présomption que des intérêtbelges existaient; il s'agit icide
prouver l'appartenance effective à une économiependant une période
continue, permettant de constater que l'appartenance à 1'Etat où la
société s'est créée n'ests fondée surdes réalitééconomiques.Sile con-
trôle de la réalitédu siègeest possible, cene peut êtrepoursubstituer une
présomption à une autre. Dans toute affaire de ce genre, il est naturelle-

ment difficilede préciserl'appartenance effectiveun ordre économique
national mais ledéfautn'estpas dans une insuffisancedesrèglesjuridiques,
il est dans les traits mêmesde l'entreprise complexe. Dans la filièredes
sociétésd'un tel groupe il est peut-êtrepossible,un moment donné, et
pour une opération,de déterminer à quelleéconomienationaleserattache
cette opération; il n'est pas certain que cela soit possible pour la totalité
des opérationsdu groupe, et singulièrementpas pendant de longues an-
nées où participations, contrôles et dirigeants auront changé. Mais
chaque affaire pose un problème particulier et il ne serait pas difficile,
l'inverse, de citer des groupes de sociéqui, malgréleur complexité,se
rattachent de manière incontestableà une économie nationale.

27. Il n'existe donc aucune raison de traiter les groupes de sociétés
comme des apatrides et de les priver de toute protection sur le plan du
droit international; il n'est pas illicite, ni en droit interne, ni en droit
international, de constituer de tels groupes et les problèmes qu'ils posent
ne diffèrent en rien de ceux qui naissent des opérations commerciales,
financières et industrielles effectuéespar d'autres sociétésde capitaux.
La difficultéde trouver le liende rattachement créeune complication, pas
une incapacité.Il convient, dans chaque cas, de rechercher si l'investisse-
ment en cause se rattache, en fait, un ordre économiquenational et si
1'Etatréclamant a étéatteintdansla prospérité de son économienationale
par l'acte illicitequi a frappé lasoci. orsque plusieurs économiessont
intéressées c'estne situation familière endroit international qui serésout
par la reconnaissance d'une obligation de négocier(comparez les ac-

cords actuels entre plusieurs Etat créanciersl'égardde 1'Etatdébiteur).

L'effectivitéest une condition nécessaire pour la protection de la
personne morale comme pour cellede l'individu et, lorsqu'ellefait défaut,
le rattachement à1'Etatest ficiif et ne donne pas qualitépour agir. Cons-
tatant que la preuve de l'appartenanceà l'économie belgede Barcelona
Traction n'a pas été fournie, soiten raison de l'organisation intérieuredu
groupe, soit pour d'autres motifs,je dois conclure au rejet de la demande.

* *
28. J'ajouterai qu'une autre raison me ferait admettre le rejet de la

demande mais, la Cour n'en ayant pas délibéréj,e ne puis qu'y faireallusion. Dans les limites d'une opinion individuelle sur un point non
tranchépar l'arrêtet non délibéré je me bornerai à des indications très

brèves l.Cependant l'intérêd te la matière et son caractère prioritaire
justifient une esquisse du raisonnement.
Le fait qu'un Etat puisse invoquer le droit de protégerses nationaux
actionnaires d'une société ne dispense pas celle-ci d'épuiserles recours
internes qui permettraient de redresser la situation incriminée.La Barce-
lona Traction aurait dû faire opposition aujugement déclaratifde faillite

dans ledélailégalet il n'existepas de motifs raisonnables pour déciderque
l'absence d'opposition par la sociétédans le délai nefait pas obstacle à
l'action judiciaireinternationale. Comme l'écrivait sir HerschLauterpacht
dans son opinion individuelle sur l'affaire des Empruntsnorvégiens: «une
tentative aurait dû être faite pourépuiserces recours, si éventuelset
théoriques qu'ils puissentêtre» (C.Z.J. Recueil 1957, p. 39). Or, en
l'espèce, à la date de la décisiondu juge de Reus, rien ne permettait de

soutenir que l'opposition étaitun recours théorique.Dans le droit de la
faillite, enghéral, le jugement de faillite dessaisit le failli dès qu'il est
rendu et avant toute publicité;peut-être larègleest-elle trop rigoureuse
mais ellea sesmotifs que connaissent les spécialistesdu droit commercial
et, en tout cas, cet effetétait admispar la loi espagnole en 1948 2.Même
sil'on voulaitsoutenir que cette règleétait contraire à un principe général

de droit il fallait faire opposition au jugement, avec les réservesnéces-
saires sur l'absence denotification; ce grief en effet devait êtreportéen
premier lieu devant lejuge local afin que celui-ci puisse se prononcer et,
éventuellement, redresser lasituation. Qu'il s'agisse d'une violation du
droit espagnol ou d'une violation du droit international, il faut demander
aux tribunaux locaux d'envisagerle problème et leurlaisser la possibilité
de réparerl'erreur.

29. La reconnaissance de la nécessitéde l'opposition est encore ren-
forcéepar la constatation d'une certaine justification de la juridiction

lJe considère que ce point de principe est toujours réglépar l'observation du
Président de la Cour,. Max Huber, en juillet 1926 (C.P.J.Z. sérieD, addendum au
no 2, p. 215) et la résolution de la Cour permanente de Justice internatiodule
17 février1928 (Stauffenberg, Statut et Règlement dela Courpermanente de Justice
internationale, p. 414). Lorsqu'un point de droit n'a pas été retenu, en application de
l'article de la résolution visant la pratique interne, comdevant êtretranché
par la Cour, les indications d'un juge ne peuvent avoir le caractère de prononcé
judiciaire.
* On he trouverait pas à l'époquedans les législationsdu mêmesystèmejuridique
de dispositions sur la publicité telles qu'il soit possible d'en déduirel'existence d'un
principe généralde droit dont la violation entraîneraitfacto la nullité de toute
la procédure. Et dans la mesure où l'absence de publicité au domicile du failli est
premier jugeà saisir est lejuge espagnol.5), du code de commerce espagnol, leespagnole prima facie, par la concentration de l'entreprise industrielle
en Espagne, si l'on examine le problème dejuridiction en générale ,n de-
hors de la demandede miseen faillite pour non-paiement des obligations.
Le but social de l'entreprise est de développerl'industrie hydro-élec-
trique en Espagne et le systèmede transport par chemin de fer et tram-
ways électriquesdans la ville et la province de Barcelone (cf. Moody's

Public Utility Manual, 1968, p. 2067). Aucune autre localisation n'est
envisagéeque l'Espagne pour le développement hydro-électriqueet, en
fait, la Barcelona Traction n'a jamais engagéde travaux dans un autre
pays; ses filialesont exploitédes servicesde production et distribution de
courant électrique àBarcelone,enCatalogne (etdans les villesindustrielles
de Tarrasa, Tarragone, Reus (sic) et Tortosa )(Moody, op. rit., p. 2067;
à noter que ces indications sont rédigées d'aprèsune documentation

fournie par la société; voirleparagraphe (Assets seized ))et le paragraphe
« Assets in Spain sold D).Dans ces conditions, l'absencede publication au
Canada prend un caractère particulier; au surplus les considérations
développéespar plusieurs opinions individuelles sur la réalitédu siège à
Toronto auraient pu êtreexposéespar le juge espagnol en reprenant la
jurisprudence decertains Etats quipratiquent la miseenfaillite de sociétés

étrangèresayant une succursale, ayant traité des affaires, émis des obli-
gations ou passé des marchéssur le territoire de 1'Etatdont lejuge pro-
nonce la faillite l.Il faut noter que certainesjuridictions ont déclarédes
faillites pour non-paiement d'emprunt, le commerçant ayant fait appel
au créditsur le territoire de 1'Etat dont le tribunal est saisi, hypothèse
exceptionnelle d'ailleurs. La prétention à une certaine juridiction sur le
groupe Barcelona Traction en Espagne n'étaitdonc pas, à priori, illicite,

sans que cela implique ni la légitimitéde toutes les mesures d'exécution
de la faillite ni celle de la demande particulière qui fut faite au juge de
Reus. Mais l'étatdu droit de la faillite des sociétés étrangères, àl'époque
des faits, n'est pas tel qu'il ait justifiéun abandonpar la société des voies
de recours qui existaient.

Il est difficileaprèsdenombreuses annéeset d'innombrables procédures
de se replacer à l'époquede l'acte incriminé, mais c'estce qu'il convient
de faire en toute objectivitéet l'opposition à la déclaration de faillite
aurait dû apparaître à la sociétécomme un recours immédiatement
disponible et utile.

(Signé)AndréGROS.

Dans plusieurs systèmesjuridiques européens le débiteur peut êtremis en faillite
par le tribunal du pays où il exerce une activitésecondaire ou a des actifs (art.
la loi italienne, art.la loi néerlandaise, art. 238 de la loi allemande), ou mêmesi
le débiteur a un passif dans le pays (jurisprudence française). Le caractèredeholding
de la Barceiona Traction est mis en cause par des activités directes en Espagne
(cf. les plaidoiries duuillet 1969).

Bilingual Content

OPINION INDIVIDUELLE DE M. GROS

1. Bien que les motifs d'un arrêtne participent pas à la force de la
chose jugée, lapratique de la Cour et celle des tribunaux arbitraux est
de se fonder sur des motifs énoncésdans des décisions antérieures
(cf. arrêtno 10: «La Cour ne voit aucune raison pour se départir d'une
interprétation découlant nettementde deux arrêtsprécédentsdont l'argu-
mentation lui paraît toujours bien fondée » (C.P.J. sé.rie no Il,
p. 18)). Bien que j'accepte le dispositif de l'arrêt dela Cour, mon argu-
mentation est entièrement différente. En raison de l'importance de

l'affaire du point de vue de ses conséquencessur le droit applicable aux
relations économiquesinternationales, je crois de mon devoir d'exposer,
aussi brièvement que possible, les motifs qui m'amènent à n'accepter
dans la décisionde la Cour que le seul dispositif.
2. La séparation du fait et du droit n'est pour le juge international
qu'une méthode detravail dans lepremier temps de l'étuded'une affaire;
mais juger est toujours appliquer une règlede droit à des faits particu-
liers.11convient donc de rechercher, en tenant uniquement compte des
faits de la cause, quelles sont les règlesde droit international applicables
à la situation faiteà une sociétéanonyme, la Barcelona Traction, en
Espagne, àpartir de la décisiondu juge de Reus, le 12février1948,selon

lestermes de la demande exposéedans la requêteen date du 19juin 1962
et dans les conclusions finales du Gouvernement belge le 9 juillet 1969.
«Il faut traiter chaque cas comme un cas d'espèce1(C.P.J.I.sérieA no7,
p. 69).
3. En examinant en premier lieu, comme l'a décidé la Cour, la ques-
tion de la nationalitéde la réclamation,lesfaits prennent une importance
capitale dans la présente affaire et lajonction, par l'arrêtdu24 juillet
1964, des troisième et quatrième exceptions préliminaires, trouvait sa
justification précisémentdans l'idée qu'ilétait impossiblede décider
de ces excepticns sans avoir pleine connaissance du fond l. Ceci fut

particulièrement marqué, en ce qui concerne la troisième exception,
c'est-à-dire le point mêmesur lequel est fondéle présent arrêt, par la
remarque du Président,au nom de la Cour, à l'ouverture de l'audience
du 13mars 1964.
Quels sont donc lesfai.tsde l'affaire. Le Belgique prétendant protéger
des ressortissants belges, il faut s'assurer que les personnes en question

Je partage les vues exposéespar lejuge sir Gerald Fitzmaurice sur la jonction
des exceptions préliminaires, aux paragraphes90 de son opinion individuelle. SEPARATE OPINION OF JUDGE GROS

[Translation]

1. Although the force of resjudicata does not extend to the reasoning
of a judgment, it is the practice of the Court, as of arbitral tribunals,
to stand by the reasoning set forth in previous decisions (cf. Judgment
No. 10: "The Court seesno reason to depart from a construction which
clearly flowsfrom the previous judgments the reasoning of which it still
regards as sound" ;P.C.I.J., Series A, No. II, p. 18).Although 1 accept
the operative part of the present Judgment, my reasoning is entirely
different. Considering the importance of the case from the point of view
of its consequences on the law applicable to international economic
relations,1feel it my duty to set forth, as brieflyas possible, the reasons
which lead me to accept only the operative part of the Court's decision.

2. The separation of fact and law is for the international judge merely
a working-method in the first stage of considering a case; but to judge
is always to apply a rule of law to particular facts. What has therefore
to be done is to ascertain, taking account solely of the facts of the case,
what rules of international law are applicable to the treatment given in
Spain to a limited Company, Barcelona Traction, as from the decision
rendered by the Reus judge on 12February 1948,according to the terms
of the claim set forth in the Application dated 19June 1962and in the
final submissions of the Belgian Government on 9 July 1969. "Each
case must be considered on its individual merits" (P.C.I.J., Series A,
No. 7, p. 69).

3. If the question of the nationality of the claim is taken first, which
is the way the Court decided to proceed, the facts assume crucial im-
portance in the present case, and it was precisely the idea that the third
and fourth preliminary objections could not be decided without full
knowledge ofthe merits which servedtojustify thejoinder effected by the
Judgment of 24 July 1964 l. This was thrown into particular relief, as
regards the third objection, i.e., the very point on which the present
Judgment is based, by the observation which the President made on the
Court's behalf in opening the hearing of 13 March 1964.

What then are the facts of the case? Since Belgium is claiming to

protect Belgiannationals, it has to be verifiedthat the persons in question

1sharethe viewson thisjoinderexpressedby JudgeSirGeraldFitzmauricein
paragraphs 84-90of his separateopinion.

268étaient belges à la date des actes dont il est fait grieà l'Espagne et
l'étaientencore lors du dépôt de la requête. Mais ceproblème de preuve
de la nationalité dela réclamation a étélaisséde côtéet la Cour a traité
en prioritéet exclusivementdu droit d'agir de la Belgiquepour le compte
des actionnaires de la société BarcelonaTraction. Bien que la Cour, par
la motivation adoptée, n'ait tranché que ce point de droit, je devrai me
référer aussiau problème de la preuve de la nationalité de la réclama-
tion.
4. Dans la recherche des personnes pour qui la Belgique a pris fait
et cause, il fautavant tout noter un aspect fondamental de l'affaire dont

il résulteque toute théoriegénéralesur le statut des sociétésanonymes
ne tient pas compte des faits particuliers de l'espèceet passe à côté
du problème juridique posé à la Cour. En protégeant des actionnaires
de la société,la Belgique prétend protéger des personnes physiques en
nombre restreint et des sociétésactionnaires de Barcelona Traction;
c'est-à-dire un investissement important de l'économiebelge. Ce n'est
pas une situation simple, comme s'il s'agissait d'une sociétéanonyme
dont le capital est réparti entre quelques centaines d'actionnaires, per-
sonnes physiques dont on peut avoir facilement la liste (cf. sur ce point
le rôle des associations de défense desactionnaires, soit nationales, soit
particulières, notamment dans l'affaire relativà Certains emprunts nor-
végiens, C.I.J. Mémoires, plaidoiriest documents,vol. 1,p. 86).La Barce-
lona Traction est une sociétéintégrant quatorze autres sociétés(cf. à

I'ann. 24, p. 159, vol. 1, annexes au mémoire, letableau montrant la
constitution des sociétésdu groupe Barcelona Traction au 31 décembre
1947),et elle est, elle-même, intégrédeans un groupe qui semble dirigé
par la société Sofinet qui comporte des relations particulièresentre plus
de quatre-vingts sociétés,àen juger par la table des matières pour Bel-
gique et Luxembourg de Who Owns Whom (Part. 1, B.E.13). On ne peut
ignorer purement et simplement ce fait et raisonner comme s'il s'agissait
de la protection diplomatique d'une sociétéanonyme quelconque.
L'affaire actuelle est particulière, d'une part parce que les actionnaires
principaux de la Barcelona Traction sont des sociétés,d'autre part
parce que la Barcelona Traction elle-même estune sociétéholding d'un
groupe de quatorze sociétés qu'ellecontrôle soit à 100 pour cent (neuf
sociétés),soità presque 100 pour cent (quatre) ou 90 pour cent (une).

Ce sont là des traits qui ont plusieurs conséquencesjuridiques, sur le
problème de la protection diplomatique et sur celui de la juridiction
compétente pour juger des activités du groupe. Le problème poséest
celui du sort d'un investissement important qu'on soutient avoir été
fait par l'économiebelge en Espagne et c'est ce problèmequ'il convient
d'apporter une réponse.A une époque où, de 1954 à 1968, il y eut envi-
ron 30 milliards de dollars d'investissements privés,le droit international
ne peut ignorer le phénomène del'investissement, et il serait difficilede
prétendrequ'il n'existait paspendant la périodecritique 1948-1952.
5. Pour faciliter cet exposéet en simplifier la présentation, une obser-were Belgian at the time of the acts with which Spain is reproached and
were still Belgianat the moment when the Application was filed. Yet this
question of proof of the nationality of the claim has been left aside and
the Court has dealt in the first place and exclusively with Belgium's
right to institute proceedings in behalf of the shareholders in Barcelona
Traction. Though the Court, in the reasoning it chose to follow, dealt
only with this point of law, 1 shall also have to refer to the question of
proof of the nationality of the claim.
4. In seeking to ascertain what are the persons whose case Belgium

has taken up, one must first and foremost pay attention to a fundamental
aspect of the case from which it is evident that any general theory on the
status of limited companies fails to take account of the particular facts
in the present caseand ignores the legal problem with which the Court is
faced. In protecting shareholders in the company, Belgium claims to be
protecting a moderate number of natural persons and certain companies
that hold stock in Barcelona Traction; i.e., an important investment on
the part of the Belgian economy. This is not a simple situation, as if it
were a question of a limited company whose capital was shared among
a few hundred natural persons the list of whose names was readily
available (cf. on this point the role of shareholders' protection associa-
tions, either national or ad hoc, in particular in the Certain Norwegian
Loanscase,I.C.J.Pleadings,Vol.1,p. 86).BarcelonaTraction isacompany
heading 14others in a group of its own (see A.M., Vol. 1, Ann. 24; the
table shows the composition of the Barcelona Traction group of com-
panies as at 31 December 1947), while itself forming part of a group

whichappears to be controlled by the Sofinacompany and, judging by the
Belgium-Luxembourg indexin WhoOwnsWhom(Part 1,B.E.13),involves
over 80 closely linked companies. One cannot simply ignore this fact
and argue as if the case concerned the diplomatic protection of an ordi-
nary limited company. The present case is a special one, firstly because
the principal shareholders in Barcelona Traction are companies and
secondly because Barcelona Traction itself is the holding company of a
group of 14others which it controls either 100per cent. (nine companies),
or nearly 100per cent. (four) or 90 per cent. (one). These features have
several legal consequences for the question of diplomatic protection and
for that of thejurisdiction competent to pass judgment on the activities
of the group. The question that has been raised concerns the fate of a
large investment claimedto have been made by the Belgian economy in
Spain, and it is to this question that an answer must be given. When
the times are such that from 1954 to 1968 private investments of the
order of 30,000 million dollars were made, international law cannot
ignore the phenornenon of investment, and it can hardly be claimed that

it did not exist in the critical period of 1948-1952.

5. To facilitate this exposéand simplify its presentation, one funda-vation doit être faite surle droit de protection dans l'ordre interna-
tional. Lorsque la Cour l'a définidans l'affaire Nottebohm, ce fut en
ces termes:

«La protection diplomatique et la protection par la voie judi-
ciaire internationale constituent une mesure de défensedes droits
de 1'Etat. Comme l'a dit et répété la Cour permanente de Justice
internationale, «en prenant fait et cause pour l'un des siens, en

mettant en mouvement, en sa faveur, l'action diplomatique ou
l'action judiciaire internationale, cet Etat fait, vrai dire, valoir
son propre droit, le droit qu'il a de faire respecter, en la personne
de ses ressortissants, le droit international.))(C.Z. RJecueil 1955,
p. 24.)

Le plus souvent, cette formule classique est tenue pour une explication
du rôle de 1'Etat dans l'action sur le plan international, par rapport à
la situation de l'individu. Cette vue des choses pouvait bien être, à
l'origine, celle qu'imposait la société desEtats telle qu'elle apparais-
sait au XIXe siècleet, déjà avec desatténuations évidentes, pendant
le premier tiers du XXe siècle. Mais depuis lors, et singulièrement à

l'époque actuelle, laformule selon laquelle, en défendantses ressortis-
sants, 1'Etat fait valoir sur le plan international «son droit propre »,
a pris une réalitéqui dépasse la justification procéduralede son origine.
En laissant de côtéla situation des Etats socialistes où le problème d'in-
vestissementsprivés ne peutse poser et où la garantie desinvestissements
publics est obtenue par d'autres procédés l, et en restreignant l'examen
de la nature juridique de l'action judiciaire internationale aux Etats
adoptant un régime économique libérall,e monde économique présente
aujourd'hui des phénomènes d'interventionet de responsabilitéde 1'Etat

dans les activités économiques deses ressortissants sur le territoire na-
tional et à l'étranger, d'une telle fréquence ed t'une telle intensitéque
la séparationde l'intérêt des individus et de l'intérêt d1'Etatne corres-
pond plus à la réalité.
Quelques brèves indicationssuffiront,cette situation étantbien connue.
Pour rester dans le domaine des sociétés anonymes, l'importance des
mesures prises par de nombreux Etats pour préserverle caractère na-
tional de ces sociétés,pour contrôler le problème de l'emploi, l'aide

directe apportée par 1'Etat pour encourager les investissements et le
système d'assurance étatique des risques courus à l'étranger par des
sociétés nationales,sont des exemples de la manière dont s'exerce un
((droit propre» de 1'Etat au contrôle de la croissance de l'économie na-
tionale, celle-ci recouvrant l'ensemble des activités d'entreprises privées
dont le résultat entre dans le produit national brut. Ainsi, lorsque, à
la suite d'un risque couvert par un contrat d'assurance-crédit,un Etat

l Cf.«Observationssur les méthodesde protection des intérêtsprivésàl'ét))nger
dans les MélangesRolin, 1964, p. 125-133. mental observation is called for with respect to the right of protection
in international law. When the Court defined such protection in the
Nottebohmcase, it was in these terms:

"Diplomatic protection and protection by means of international
judicial proceedings constitute measures for the defence of the
rights of the State. As the Permanent Court of International Justice
has said and has repeated, 'by taking up the case of one of its
subjects and by resorting to diplomatic action or international
judicial proceedings on his behalf, a State is in reality asserting
its own rights-its right to ensure, in the person of its subjects,

respect for the rules of international law' .. ."(I.C.J.Reports 1955,
p. 24.)
This classic formula is usually held to be an explanation of the role
of the State when acting on the international plane, in relation to the
position of the individual. This view of matters might well originally
have been that called for by the comity of nations as it appeared in the
nineteenth century and, already with evident attenuations, during the

first third of the twentieth century. But since then, and particularly
at the present day, the formula that in defending its nationals a State is
asserting "its own rights" at the international level has acquired a
reality which goes further than the procedural justification of its origin.
Leaving aside the position of the socialist States where the question of
private investments cannot arise and the security of public investments
is obtained by other methods l,and confining Our consideration of the
legal nature of international judicial action to States with a liberal
economic system, the economic world today exhibits phenomena of
State intervention in and responsibility for the economic activity of the
subject within the national territory or abroad which are so frequent
and thoroughgoing that the separation of the interest of the individual
from that of the State no longer corresponds to reality.

A few brief illustrationswill suffice,since this situation is well known.
To remain in the field of limited companies, the scale on which many
States have acted to preserve the national character of such companies
or regulate the labour problem, the direct aid granted by the State to
encourage investment, and the system of State guarantees against the
risks incurred in foreign countries by domestic companies, are examples
of the way in which the State asserts its "own right" to control the
growth of the national economy, ranging over the whole of the activities
of private undertakings, the results of which enter into the gross national
product. Thus when, in consequence of a risk covered by an export-
credit guarantee, a State undertakes to make good to a domestic com-

l See"Observationssurlesméthodesdeprotectiondesintérêts privà éls'étranger"
inMélangesRolin, 1964, pp. 125-133.

270 BARCELONA TRACTION (OP. IND. GROS)
270

assume la réparation des dommages causéspar un autre Etat, sur le
territoire de celui-cià une sociétéanonyme relevant du premier Etat,
c'est un effort financier de la communauté nationale qui permet d'assu-
mer cette responsabilitépar une solidaritéfondéesur l'idéeque certaines
exportations sont nécessaires à la prospérité de lanation l.(Voir aussi
la législation desEtats-Unis permettant la protection d'industries na-
tionales contre des menaces (effectives ou potentielles))les dispositions
interdisant aux filiales de sociétés américaines,où qu'elles soient, de

commercer avec certains pays lorsque 50 pour cent ou plus de leur
capital appartient à des actionnaires américains; la loi japonaise du
10 mai 1950 autorisant les investissements étrangers «qui contribuent
à l'expansion saine et autonome de l'économiejaponaise et à l'amélio-
ration de la balance des paiements du pays ..11.)L'arrangement de
Luxembourg du 29 janvier 1966entre les six Etats membres de la CEE
comporte une reconnaissance du caractère national des intér2ts éco-

nomiques ((trèsimportants ))d'un Etat (l'un des Etats membres de la
Communauté économique européennedéclare qu'aucune majorité ne
saurait contraindre un Etat membre à prendre des mesures qu'il juge
contrairesà son intérêt national).Dans tous ces cas, qui ne sont que des
exemples d'une société industrielle planifiéeil, apparaît que la représen-
tation des rapports entre investisseurs privéset Etat comme de simples
rapports de droit interne, tant en ce qui concerne 1'Etat de l'investis-
seur que 1'Etat où se fait l'investissement, n'est plus en accord avec les

faits économiques. L'investissement privé n'est plus uno epérationisolée
mais un élémentde la volitiaue de croissance de l'économienationale.
6. Sans mêmequ'il soit nécessairede développer unethéorieclassique
des économies planifiées,il suffira pour l'examen de la présente affaire
de rappeler quelle étaitla situation des Parties à l'époquedes faits, en
1948-1952.Alors que la Belgique et l'Espagne tentaient de relever leurs
économies dévastéep sar la guerre mondiale ou la guerre civile, une des-

cription exacte des réalitéséconomiques montre que toutes les res-
sources de ces Etats, comme celles des autres Etats européens, étaient
alors mobiliséespour la reconstruction; l'importation, l'exportation, les
transports étaientsous le contrôle de 1'Etat.Toute atteinteà des éléments
essentiels de l'économienationale était bien une atteinte à l'effort de
reconstruction de l'économienationale. Si, comme on le soutient, l'in-
vestissement belge était aussi important dans l'entreprise Barcelona
Traction en Espagne, c'était un élémenstur lequel le Gouvernement

belge étaiten droit de compter dans ses plans de reconstruction (dans
les conclusions finales la valeur 1948est estimée à 116 millions de dol-
lars). Les effets des deux guerres mondiales sur les investissements à
l'étranger desressortissants des Etats belligérantssont connus; chaque
fois les fonds placésà l'étrangeront dû êtreliquidéset rapatriés.

l Cf.((Note sur I'évolution récente des problèmesde l'assurance-crédit à l'expor-
tationu;Nations Unies, Commission économique pour l'Europe, Bulletin éconorni-
que, vol. 12, 196no2, p. 59 et suiv. pany any damage caused it by another State within the latter's territory,
it is a financial effort on the part of the national community which
enables this liability to be assumed, through a solidarity based on the
idea that certain exports are necessaryfor the prosperity of the nation l.
(Cf. likewise the United States legislation providing for the protection
of domestic industries against "actual or potential" threats; the provi-
sions prohibiting the subsidiaries of American companies, wherever

they may be, from trading with certain countries when 50 per cent. or
more of their capital belongs to American shareholders; the Japanese
law of 10 May 1950 authorizing foreign investment "which contributes
to a healthy and independent expansion of the Japanese economy and
to the improvement of the country's balance of payments ...".) The
Luxembourg Agreement of 29 January 1966 between the six member-
States of the European Economic Community contains a recognition
of the national character of the "very important7' economic interests
of a State (one of the signatories declared that no majority could force
a member-State to take measures which it regarded as contrary to its
national-interests). Its clear from al1these examples, which are merely
illustrations of a planned industrial Society,that it is nowadays out of
touch with the facts of economics to represent the relations between
private investors and the State-whether that of the investor or the

State where the investment is made-as mere relations of municipal law.
Private investment is no longer an isolated operation but a factor in the
national economic growth policy.

6. For the examination of the present case, however, there is no need
to expound the classic theory of planned economies: it will be sufficient
to recallthe situation of the Parties at theterial time, Le.,in 1948-1952.
In a period when Belgiumand Spain were endeavouring to restore their
economies, devastated by the world war or the civilwar, a true account
of the economic facts shows that al1their resources, like those of other
European States, wereat that time mobilizedfor reconstruction ;imports,
exports and transport were State-controlled. Any harm done to essential
elements of the national economy constituted, indeed, harm to the ef-

forts at reconstructing that economy. If, as has been maintained, the
Belgian investment in the Barcelona Traction undertaking in Spain was
so considerable, it formed an element on which the Belgian Government
was entitled to count in its plans for reconstruction (in its final submis-
sions the 1948value is estimated at 116 million dollars). The effects of
two world wars on the foreign investments of nationals of the belligerent
States are well known: each time funds invested abroad have had to be
liquidated and repatriated.

See "A Note on Recent Developments and Problems of Export-Credit Gua-
1960, No. 2, pp. 51 ff.lletin of U.N. Economic Commission for Europe, Vol. 12, 7. A une époque deplanification de la vie économiquede la Belgique
c'est présenter une vuethéoriquedes faits que les interpréter en fonction
des rapports juridiques classiquement établisentre individus et sociétés
anonymes dans un monde économique libéralqui avait disparu avec

la guerre mondiale.
Si l'on tient compte de la situation économiqueoù se trouvent les
deux Parties au moment du différend, la distinction sur laquelle se
fonde l'arrêtentre les droits et les intérêtspour expliquer la situation
des actionnaires ne correspond pas aux faits de la présente affaire.
8. La thèseadoptéepar la Cour est que, du fait de son statut juridique
d'actionnaire en droit interne, un individu ne peut obtenir, en droit

international, la protection de son Etat en cas d'acte illiciteimputable
à un Etat étrangeret atteignant& sociétéanonyme dans ses biens. J'ai
indiquéla raison pour laquelle le problèmeposé à la Cour est différent:
le rapport individuel actionnaire-sociétéest confondudans le phénomène
de l'investissement global. Mais, mêmeen se plaçant sur le terrain de
l'arrêt,la thèsene me paraît pas convaincante.

Dans la motivation adoptéepar la Cour le problème peut êtredivisé
en deux: en premier lieu, est-cela qualitéd'actionnaire qui rend impos-
sible la protection, ou, en second lieu, est-ce la nature du dommage
qui est causé à l'actionnaire((à travers)les biens de la société?

Dans cette affaire on parle de l'actionnaire comme d'un êtreabstrait
et toujours identique à lui-même.Or il existe au moins trois catégories

d'actionnaires: le bon père de famille, assez ignorant des problèmes
détaillésde l'investissement et généralementconstant dans ses place-
ments l - le spéculateur qui achète pour revendre vite - l'homme
d'affaires ou la sociétéqui, en tant qu'actionnaires, contrôlent l'activité
d'une société dans leurintérêp tropre, parfois avecune faibleparticipation
(les milieux financiersparlent de 10pour cent dans certaines conditions),
soit par une présenceeffectivedans les organes directeurs de la société
ou dans les banques qui lui prêtent leurnécessaireconcours, soit aussi

par la conclusion d'accords de coopération technique ou commerciale.
La première catégorie d'actionnaires n'est pas différentepar nature
d'une personne dont un dépôtd'argent ou un bien quelconque à I'étran-
ger disparaîtrait à la suite d'un acte illicite imputableà 1'Etatétranger.

Il faut donc établirque l'action serait une forme de droit de propriété
non protégéepour des raisons propres au régimejuridique des rapports

l C'est pour cette catégoried'actionnaires qu'on serait tentéd'admettreprima
faciela acontinuit» de la propriétd'actions Barcelona Traction acquises avant
traits particuliersde la société hol,ourraitse poser la question de savoir si des
droits propres avaient étéatteints. comme le dit l'tu paragraphe47. Mais la
demande n'a pas portésur ce point de droit. 7. In respect ofa period whenthe economic lifeof Belgium was ordered
by planning, it is an academic view of the facts that would construe
them in terms of the classic legal relationships which obtained between
individuals and limited companies in a world of liberal economics
that had disappeared by the advent of the world war.

If the economic situation of the Parties at the time of the dispute
be taken into account, the distinction between rights and interests upon
which the Judgment bases its explanation of the position of the share-
holders does not correspond to the facts of the case.
8. The position adopted by the Court is that an individual cannot,
owing to his legal status as a shareholder in municipal law, obtain, in
international law, the protection of his national State in cases of unlaw-
ful acts, attributable to a foreign State, which result in material loss
for the company. 1 have indicated the reason why the problem before

the Court is a different one: because the relationship between the indi-
vidual shareholder and the company isinextricable from the phenomenon
of overall investment. However,even on the Judgment's own ground, the
position does not strike me as convincing.
In terms of the reasoning followed by the Court, the problem may
be divided into two: in the first place, is it the status of shareholder
which makes protection impossible or is it, in the second place, the
nature of the damage caused to the shareholder "through" the assets
of the company?
In the present case, the shareholder has been treated in discussion as

a uniform abstract being. But there are in fact at least three categories
of shareholder: the small private investor, largely unfamiliar with the
detailed problems of investment and inclined to leave his investments
undisturbed l; the speculator, who buysfor a quick resale; the business-
man or company that, as shareholders, control the activity of a company
in their own interest, at times with a proportionally smallholding (finan-
cial circlesspeak of 10per cent.), either by means of their actual presence
in the organs runningthe company or the banks lendingit vital assistance
or by the conclusion of agreementsfor technical or commercial co-opera-
tion.

There is no essential difference between a shareholder in the first
category whose investment abroad is lost on account of an unlawful
act attributable to the foreign State, and the owner of a deposit ofmoney
or someotherproperty abroad whichhas disappeared forthe samereason.
It therefore remains to be shown that the share is a form of property
right which, for reasons peculiar to the legal régime governingthe rela-

l It is in respect of this category of shareholder that one would tend to concede,
prima facie, a "continuity" in the ownership of Barcelona Traction shares acquired
before 1948, up to 1962.t is also in respect of these individual shareholders that,
despite the particular characterisof the holding company, the question might
arise of whether direct rights have been infringed, as the Judgment says in
graph 47. However, the claim was not concerned with this legal point.entre la sociétéanonyme et ses actionnaires. C'est le raisonnement
adopté par l'arrêtet que je regrette de ne pouvoir accepter. Il repose en
effet sur une conception du rôle de la Cour et des rapports entre droit
international et droit interne qu'on peut résumerainsi:

a) le juge international doit renvoyer aux notions du droit interne la
définition desrapports juridiques entre la sociétéet l'actionnaire;

b) le droit interne ne comporte pas de droit d'action de l'actionnaire
pour le compte de la société;
c) ce droit n'existant pas, 1'Etat de l'actionnaire ne peut invoquer le
droit deprotection pour ce qui n'est qu'un intérêftinancier individuel.

9. La prémisse du raisonnement me semble aussi inacceptable que
ses conclusions. Le renvoi au droit interne aboutit en l'espèce à établir
une supérioritédu droit interne sur le droit international, ce qui est une
véritablenégation decelui-ci. 11peut se faire, dans certaines affaires, que
le seul problème àjuger soit celui de la conformité d'une règlede droit
interne avec une règleconventionnelle et que, pour ce faire, ilsoit néces-
saire d'interpréter le droit interne tel qu'il est. Mais ici nous avons une
situation différenteoù un déni dejustice est invoqué à l'encontre de
ressortissants étrangers, tant la sociétéelle-mêmeque les actionnaires.
Tenir pour une cause d'irresponsabilité internationale d'un Etat pour

un prétendu dénide justice le fait que son droit interne ou des droits
internes quelconques ignorent le droit d'action de l'actionnaire n'est pas
admissible. Pas plus que l'absence de règles internes sur la respon-
sabilité de1'Etatpour les dommages causéspar le législateur, l'adminis-
tration ou le juge n'est prise en considérationpar le droit international.

10. Dans la présente affaireles règles du droit interne ne sont pas
autre chose que des élémentsde fait du dossier et elles méritent lamême
attention que les autres faits et la mêmerigueur dans leur interprétation,
mais pas davantage. La Cour n'a pas à appliquer les règles du droit
interne, comme le ferait lejuge national de dernier ressort, aux rapports
société-actionnaire;elle en tient compte comme des faits pour son appré-
ciation de la situation juridique qui lui est présentéepar les parties afin
de vérifiersi l'ensemble de cette situation est conforme ou non aux règles

du droit international. Et ce sont ces dernières règles qui constituent
pour lejuge international les motifs de sa décision. Il ne suffitdonc pas
de dire qu'un droit national établissant une certaine relation juridique,
celle-ci, par l'effet du ((renv»au droit interne, s'impose avecla même
force juridique, au juge international. Celui-ci prend cette relation juri-
dique comme un fait établiet la confronte aux règlesdu droit interna-
tional. Ainsi, en l'espèce,pour la relation actionnaire-sociétéanonyme
que nous examinerons plus avant.tionships between a limited company and its shareholders, is not pro-
tected. This isthe reasoning followed by the Judgment, and 1 regret that
1 am unable to accept it. For it is based on a conception of the role of
the Court, and of the relationship between international and municipal
law, which may be summarized as follows:
(a) an international court must faIl back on concepts of municipal law

when seeking to define the legal relationships between the company
and the shareholder;
(b) municipal law does not comprise any right of action of the share-
holder in behalf of the company;
(c) since such right of action does not exist, the State of the shareholder
cannot invoke its right of protection for what is no more than an
individual financial interest.
9. The premise of this reasoning seems to me as unacceptable as its

conclusions: the renvoi to municipal law leads eventually, in the present
case, to the establishment of a superiority of municipal over international
law which is a veritable negation of the latter. It may happen, in certain
cases, that the only problem to be decided is that of whether a rule of
municipal law is in conformity with a treaty rule, and that it is necessary
for the purpose to interpret municipal law as it stands. But here we
have a different situation, one in which a denial of justice is alleged to
have been committed against foreign nationals, both the company
itself and the shareholders. To consider as a ground for evonerating a
Statefrom international responsibility for an alleged denial of justice the
fact that its municipal law, or some systems of municipal law, do not
feature a shareholder's right of action is not admissible; any more than
the absence of municipal rules on the responsibility of the State for
damage caused by the legislature, administration or judiciary is taken
into account by international law.
10. In the present case, the rules of municipal law are nothing more
than facts in evidence, and they deserve the same attention as the other

facts, and the same rigour in their interpretation, but no more. The
Court does not have to apply the rules of municipal law, as a municipal
court of last instance would, to the relationships between the company
and the shareholder; it takes account of them as being facts for the
purpose of its appraisal of the legal situationlaid before it by Parties
and in order to see whether that situation as a whole is in conformity
with the rules of international law or not. It is the latter rules which for
an international tribunal go to constitute the reasons of its decision.
It is therefore not enough to Say that since a given municipal legal
system creates a certain legal relationship, an international tribunal is
obliged, on account of renvoi to municipal law, to accept that relation-
ship as possessing the same legal cogency. The international tribunal
takes this legal relationship as an established fact and tests it against the
rules of international law. This holds good in the present case for the 11. Une remarque d'abord sur la portée limitéede l'arrêt.S'il est
exact que, entre 1948et 1952, au moment des actes incriminésqui ont

consommé le transfert de l'investissement en cause dans les rapports
entre la Belgique et l'Espagne, les systèmesjuridiques des deux pays
ne contenaient pas de dispositions permettant de manière générale à
un actionnaire d'agir à la place ou pour le compte dela société anonyme,
cela n'est pas une règle généralement reconnue. Il suffira de signaler
lesdispositions adoptéespar la loi française du 24juillet 1966qui institue
pour une minorité d'actionnaires un mécanisme de participation au

contrôle de la gestion de la sociétéanonyme ainsi qu'une action en
réparationde préjudices subispar la société (art. 226et 245 l)On aboutit
à ce résultat que la situation de l'actionnaire quant à l'exercice de la
protection diplomatique dépendrait, dans chaque cas, de l'existence de
dispositions de droit interne; il suffirait, dans un cas d'investissement
l'étranger,que l'un desEtats en cause reconnaisse un droit d'action in-
dividuel à l'actionnaire pour que la théoriedu renvoi ne permette plus
de conclure au défautde qualitéde 1'Etat.

12. Si la technique du renvoi n'est pas applicable en l'espèceet si
lesdispositions de droit interne ne sont que des élémentsde fait, le grief
de spoliation effectuée à l'encontre des actionnaires d'une sociétéano-
nyme doit êtrejugé enfonction des règlesdu droit international appli-
cables aux investissements étrangers sur le territoire d'un Etat et il
semble que, entre deux Etats européens tels quela Belgiqueet l'Espagne,
aussi bien aux dates critiques qu'aujourd'hui, la perte totale de biens à
la suite d'actes qualifiés d'illicites etsans aucune indemnisation, ce qui

équivaut à une confiscation, demeure un grief justifiant l'action en res-
ponsabilité internationale. Le protocole additionnel à la convention
européennedes droits de l'homme du 29 mars 1952décide:
(Article 1.Toute personne physique ou morale a droit au respect
de ses biens. Nul ne peut êtreprivéde sa propriété que pourcause

d'uîilitépublique et dans les conditions prévuespar la loi et les
principes généraux du droit international.))(Les italiques sont de
nous.)..
Bien que l'Espagne ne soit pas partie à cette convention, il n'est pas
douteux qu'elle enaccepte le contenu. Le moins qu'on puisse dire est

qu'il s'agità d'un principe général dedroit qui ne perd rien de sa force
obligatoire du fait de sa réaffirmationdans le protocole de 1952; il est
directement opposable à l'Espagne, en dehors du texte conventionnel.
L'investissement est une décision d'affecter des biens à une activitéde

l Aussi en droit suédois, loi sur les sociétés de1944, reviséeen 1948, art. 129,
droit d'action pour une minorité d'actionnaires de 10pour cent; de même endroit
norvégien, loi sur les sociétésde 1957, art. 122; en droit allemand, art. 122-124. relationship between the shareholder and the limited company, which
we will examine further below.
11. First, an observation with regard to the limited scope of the
Judgment. If it is true that between 1948 and 1952, at the time of the
acts complained of whereby the investment in question changed hands
from the viewpoint of Hispano-Belgian relations the legalsystemofneither
country contained any provision generally enabling a shareholder to act
in place or in behalf of a limited company, that is not a generally accepted

rule. Sufficeit to refer to the provisions of the French law of 24July 1966,
which institutes for a minority of shareholders a mechanism enabling
them to participate in controlling the way a limited company is run,
as well as an action for the reparation of damage sustained by the com-
pany (Articles 226 and 245) l. The result finally produced is that the
position of the shareholder as regards the exercise of diplomatic protec-
tion would depend in each case on the existenceof provisions of municipal
law; if, in a given case of investment abroad, one of the States in question
allowed shareholders an individualright of action, that would be sufficient
to preclude basing on the renvoi theory any finding that the State had

no capacity.
12. If the renvoi method is not applicable in the present case and
if the provisions of municipal law are merely factual data, the complaint
that the shareholders in a limited company were despoiled must be judged
in terms of the rules of international law applicable to foreign invest-
ments in the territory of a State, and it would appear that, as between
two European States such as Belgium and Spain, on the critical dates no
less than at present, a total loss of assets that results from acts described
as unlawful and is wholly unindemnified, which amo,untsto confiscation,
constitutes a grievance justifying a claim to establish international
responsibility. The protocol of 20 March 1952to the European Conven-

tion on Human Rights declares:
"Article 1: Every natural or legal person is entitled to the peaceful
enjoyment of his possessions. No one shall be deprived of his
possessions except in the public interest and subject to the conditions
provided for by law and by the generalprinciples of international
law. ..." (My italics.)

Although Spain is not a party to that convention, there can be no
doubt but that it accepts its content. The least that can be said is that
here is a general principle of law which loses none of its binding force
through being restated in the 1952 protocol; irrespective of any treaty
provisions, it is directly opposable to Spain. Investment consists of a
decision to assign assets to a productive activity; it does not, merely

action for a 10 per cent. minority of shareholders (Art. 129); there arer pro- of
visions in Norwegian law (Art. 122of the 1957company-law) and in Articles 122-124
of the correspondinglaw of the Federal Republic of Germany.production; parce qu'il estfait dans un Etat étrangeril ne devient pas
une forme de proprétéfragile et confiscable sans recours alors que, fait
sur le territoire national, il est fermement protégécontre l'illicite. La
présente affaire oppose deux Etats dont les concepts économiques et
juridiques sont les mêmes; toute référence à des systèmes juridiques
différents estd'autant moins acceptable que, généralement,ceux-ci ex-
cluent le recours au juge international et que leurs règles ne peuvent
donc êtreexposées à l'examen decejuge. J'ajouterai qu'il estparadoxal,
et c'estune litote, d'invoquer la protection des droitsde l'homme au nom
de l'universalité et enmêmetemps d'en exclure la protection des biens
contre l'illicite au nom d'une conception particulière, contestataire de

ce droit.
Il faut bien constater qu'une entreprise industrielle, dont personne
n'a jamais prétendu avant 1948 qu'elle était espagnole, l'est devenue,
contre la volonté des organes sociauxde la Barcelona Traction, à la
suite d'actions qualifiéesglobalement et dans le détail dedénidejustice.
En fait, l'entreprise est aujourd'hui incorporée dans l'économie espa-
gnole, par une sorte de « nationalisation» qui, si elle a éopérée par un
détournementdeprocédure,constitueuneviolation dudroit international
entre les Parties. Il est clair que toute nationalisation régulièreeût
étéaccompagnée d'uneindemnisation. Le fait que desnégociationsentre
les groupes privésait arrêtéla première procéduremontre aussi que le
principe d'une certaine indemnisation était accepté du côté espagnol.
Je vois mal comment on pourrait prétendre que, entre les Parties en
cause, une confiscation non régulièrene serait pas une violation du

droit international, sous le seul motif que l'actionnaire, en droit interne,
n'aurait pas un recours propre. C'estvéritablement déplacerle problème
sans y répondre.
13. Si la thèse de l'impossibilité d'agirsur le plan international en
faveur des actionnaires d'une société anonymene peut se justifier par
le renvoi à un droit interne qui ignore l'action propre de l'actionnaire,
il faut étudier la seconde raison mise en avant pour refuser qualité
pour agir à 1'Etatdont les actionnaires sont les ressortissants.

L'actionnaire ne pourrait subir un dommage propre, a-t-on soutenu,
il s'agirait toujours d'un dommage à la société;il peut certes y avoir
effet personnel sur la fortune de l'actionnaire, mais par ((ricochet D.
Ici encore nous trouvons la mêmethéorie fondée sur certains droits

internes aux débutsde la législationsur les sociétés anonymes et expli-
quant celle-cipar l'idéeque I'actionnaire fait abandon de sa participation
et doit assumer tous les risques sans avoir droit la protection qu'aurait
l'obligataire-créancier. Pour le bon père de famille cette théorie est
inexacte dans sa justification économique,mais elle l'estbien davantage
pour la plupart des sociétésimportantes dans la vie économique mo-
derne - et cela déjà en1948.L'actionnaire n'a plus de rôle utile dans le
contrôle de la gestion de la sociétépar les assembléesgénéralescarbecause it takes place in a foreign country, thereby turn into a vulnerable
form of property subject to confiscation without redress, when it enjoys
secure protection from unlawful acts if carried out within the national
territory. The opponents in the present case are two States whose econo-
mic and legal conceptions are the same; any reference to different legal
systemsis the lessacceptable that, generally speaking, theyexclude resort
to an international court, with the result that theirules cannot be sub-
jected to the examination of such a tribunal. 1would add that it is para-
doxical, to say the least, to invoke the protection of human rights in
the name of universality while at the same time excluding from it the
protection of property from unlawful acts in the name of a particular
way of thinking which contests that right.
One cannot but observe how an industrial undertaking which nobody

ever claimed to be Spanish before 1948became Spanish, against the will
ofthe corporate organs of Barcelona Traction, as a result of acts charac-
terized as a denial of justice both overall and in detail. In fact the
undertaking is today incorporated into the economy of Spain by a sort
of "nationalization" which, if it was effected by amisuse of legal proce-
dure, constitutes a breach of international law as between the Parties.
It is clear that any nationalization of a regular kind would have 6een
accompanied by compensation. The fact that negotiations between the
private groups involved halted the first proceedings also shows that the
Spanish private group accepted in principle that some compensation
should be provided. 1 find it hard to see how it could be claimed that,
as between the Parties, an irregular confiscation would not be a breach
of international law, on the sole ground that in municipal law the share-
holder, as such, would have no direct remedy. That is really to displace
the problem rather than solve it.
13. If the view that itis impossible to take international proceedings

in behalf of the shareholders in a limited company cannot be justified
by a renvoo if the question to a system of municipal law from which
a shareholder's right of action is absent, it remains to examine the
second reason advanced for finding that the State of which the share-
holders are nationals lacks capacity to institute proceedings.
It has been maintained that the shareholder cannot sustain direct
damage: the damage is always to the company; it is true that the share-
holder's personal finances might be adversely affected,but only "on the
rebound". Here we once again come up against the theory based on
certain systems of municipal law as they stood in the early stages of
limited-company legislation, explaining the latter by the idea that the
shareholder confides his investment to the company for better and for
worse, and must accept al1 the risks without having any right to the
protection which the holder of a bond enjoys. As applied to the small
private investor, this theory is incorrect in its economic justification,
but it is even more incorrect as regards the majority of large companies

in the modern economic scene-and this was already true in 1948.The((nous constatons une confiscation totale du pouvoir de l'assemblée
généralepar le conseil d'administration et une omnipotence effective
du conseil ))(A. Tunc, dans Travaux et conférencesde Z'Université libre
d? Bruxelles, 1959,p. 11) l.

C'est donc fonder le refus de protection d'un actionnaire sur un motif
aujourd'hui inexact car la «nature juridique » des rapports entre la
sociétéet l'actionnaire n'a plus aucune commune mesure avec les textes
législatifsdu débutdu XIXe siècle.L'analysejuridique ne peut ignorer
les faits économiques; l'opposition actionnaire-obligataire n'a plus de
sens si l'on envisage la situation de 1'Etat par rapport à la société.Les

diverses assurances que 1'Etat donne aux actionnaires autant qu'à la
société par ses interventions de protection (le créditen cas de menace de
fermeture d'une entreprise)sont la négationmêmede la notion du risque.
L'investissement est un moyen de la politique économique générale.
Mais la théorie du risque financier à supporter par l'actionnaire doit
etre écartéepour unè raison tenant à l'idée déjà indiquéq eue la situa-

tion de droit international crééepar une confiscation qualifiée d'illicite
ne peut êtreignoréepar le seul motif que les actionnaires doivent ac-
cepter tous les risques. C'est supposer le problème de fond résolu,car
s'il ya confiscation illicite, il y a violation du droit international. Les
étrangers,parce queactionnaires, ne sont pas tenus par le droitinternatio-
nal de courir le risque de disparition de leurs investissements par des

actes illicites. Le risque de l'actionnaire est un risque financier, pas un
risque de l'illicite.

14. La situation de droit international qu'il faut prendre en considéra-
tion en l'espèceest une série d'actes qualifiés d'illiciteest leurs effetsvis-
à-vis des investissements faits par des ressortissants d'un autre Etat.

Affirmer, par une explication qui ne correspond plus au droit contem-
porain des sociétéd se capitaux, que l'actionnaire esttoujours un spécula-
teur qui doit assumer tous les risques n'est non seulement pas opposable
sur le plan du droit international à 1'Etatqui constate que son économie
générale esa ttteinte à travers les investissements de ses ressortissants par
l'acte qualifiéd'illicite, maine tient pas compte de la règlede droit inter-

national prohibant les confiscations sans indemnité 2.

-
l PourlesEtats-Unisvoir J.K. Galbraith,TheNew IndustrialState, Londres1967:

«For many years those who specialize on the problems of the corporation
have been much concerned with the way control in the large firm has been
latter, as sufficientlynoted in this study, selects itself and its successors as an
autonomous and self-perpetuatingoligarchy » (p. 403).

Naturellement ilfaut tenir compte de l'effort législatif danscertains pays pour
reméLe droit moderne de la faillite a autant évolué le droit des sociétés dei-shareholder no longer plays any useful part in controlling the manage-
ment of the company via general meetings, for "we observe that the
board of directors has entirely confiscatedthe power of the generalmeeting
and become to al1intents omnipotent" (A.Tunc, in Travauxetconférences
de l'universitélibre de Bruxelles, 1959, p. 11) '.
The theory in question, therefore, bases the refusal of shareholder

protection on a reason which is today incorrect, because the "legal
nature" of the relationships between the company and the shareholder
now has scarcely anything in common with the legislative texts of the
early nineteenth century. It is inadmissible for the iegal analysis to ignore
the economic facts; the shareholder-bondholder contrast is now meaning-
less if the situation of the State in relation to the company be envisaged.
The various guarantees that the State gives the shareholders no less than
the company by its protecting interventions (advancing credit in the event
that an undertaking be threatened with closure) are the very negation of

the notion of risk. Investment is an instrument of general economic policy.
But the theory of the financial risk to be borne by the shareholder must be
ruled out for a reason deriving from the above-mentioned idea that the
situation created in international law by a confiscation characterized as
unlawful cannot be ignored on the sole ground that shareholders must ac-
cept al1the risks. That is to proceed as if the substantive issue had been
settled, for if there has been unlawful confiscation, there has been a
breach of international law. Foreigners are not, just because they are
shareholders, bound under international law to run the risk of seeing
their investments disappear as a result of unlawful acts. The shareholder's

risk is a financial one. not a risk of subiection to unlawful treatment.
14. The international-law situation which must be taken into account
in the present case is made up of a series of acts on the part of one State
which have been described as unlawful, and of their effects upon invest-
ments made by the nationals of another State. To affirm that the share-
holder is always a speculator who must shoulder every risk, on the
strength of an explanation that no longer corresponds to prevailing
corporation law, not only constitutes, on the international plane, an
irrelevant submission vis-à-vis a State complaining that, via its nationals'

investments, its general economy has been damaged by an act described
as unlawful, but also leaves out of account the rule of international law
which prohibits confiscation without compensation *.

l With regard to the United States, see J. K. Galbraith, The New Industrial
State, London, 1967, p. 403:
"For many years those who specialize on the problems of the corporation
have been much concerned with the way control in the large firm has been
passing without recourse from stockholders to the hired management. The
autonomous and self-perpetuating oligarchy." selects itself and its successors as an

situation by legislativens: cf. paragraph 11 above.ertain countries to remedy this
Modern bankruptcy law has evolved to no less an extent than corporation law, 15. Dans l'analyse à base de droit interne, on affirme bien que le
préjudiceen tout cas n'estjamais ((personnel » et propre à l'actionnaire,
mais qu'il s'agituniquement d'un préjudice subipar la société,ce qui
permet de soutenir qu'il n'ya pas eu de dommage pour l'actionnaire, donc
pas confiscation. Ici encore, mêmesi l'on se place sur le terrain du droit

interne, il ne faut pas pousser l'abstraction trop loin;la sociéanonyme
est toujours un groupement de personnes qui n'ont pas disparu par la
reconnaissance d'unepersonnalité morale,laquelle est destinée à permet-
tre de meilleures conditions de gestion. Les actionnaires constituent la
sociétéet l'arrêtadmet la possibilitépour 1'Etatdes actionnaires d'agir
lorsque la sociétéa disparu. Ici la sociétéa étéentièrement privée des
moyens de poursuivre son objet social ce qui, pour les actionnaires, pré-

senteles mêmeseffets qu'une disparition de la société. a nuance est donc
de forme ou plutôt de formalité. Après 1952 l'objet social du groupe
Barcelona Traction n'a plus eude sens l.

Sil'actionnaire prétendait àune indemnitépour le manque à gagner de
la société dont les activitésont pris fin, il réclamerait une espècde pro-
tection «fonctionnelle »,une garantie du droit de commercer à l'étranger

qui, s'ilexistait en vertu d'un traitéou du droit international généraln, e
pourrait être invoqué quepar 1'Etat où la sociétés'est constituéeet à
l'économieduquel elle se rattache. Mais lorsque les actionnaires deman-
dent l'indemnisation pour leur investissement et ce qu'il représentait au
jour du dommage parce que la société est hors d'état de continuerl'entre-
prise, le fait que ce dommage soit aussi, par l'addition des dommages de
tous les actionnaires, le dommage de la société, neparaît pas pertinent,

sous réserve des problèmesde l'évaluationet de la répartition. Le dom-
mage à la société est qu'elle esdtétruite,le dommage aux actionnaires est
qu'ils sont lésésdans leurs biens par la destruction de l'investissement, le
dommage à YEtat des actionnaires est qu'un élémentde l'économie

taux et le déroulement de la procédure dans la présenteaffaire apparaît anachro-
commises par les dirigeants et les sanctions prévuescontre eux. Voir l'exposédeutes
M. Houin sur ce point dans Idées nouvellessur le droit de lafaillite, 1969, p. 122et
suiv. Il suffira de noter que le choix entre la liquidation des biens (faillite) et le
règlement judiciaire (concordat) est décidépar le juge selon un critère économique,
la possibilitéde redressement de l'affaire. Au surplus, le droit français a établi un
régime spécialpour éviterla faillite d'entreprises importantes dont la disparition
serait de nature à causer un trouble grave dans l'économienationale (ordonnance
du 23 septembre 1967).

l L'argument fondé surla négociation récente d'actions de la BarcelonaTraction
quelques achats ou ventes pour maintenircertaines bourses une cotation de titres
d'emprunt impayésdepuis plus d'un demi-siècle.Lorsqu'on dit que l'actionnaire a
le droit de céderson action, on veut certainement dire à des conditions nor-
males, ce qui, hors quelques spéculations sur l'issue de cette affaire devant la Cour,
n'est plus le cas pour Barcelona Traction. 15. In the analysis based on municipal law, it is indeed stated that the
damage at all events is never "personal" and proper to the shareholder,

but solely damage sustained by the company; this makes it possible to
maintain that there has been no damage suffered by the shareholder, and
therefore no confiscation. Here again, even if the standpoint adopted is
that of municipal law, abstraction must not be driven too far: a limited
company is always an assemblage of persons who do not vanish with the
attribution of a corporate personality, the raisod n'êtreof which is to
facilitatethe running ofthe business.The shareholders form the company,

and the Judgment recognizes the possibility of action by the State of the
shareholders when the company has disappeared. In the present case the
company has been entirely deprived ofthe means for pursuing its corpo-
rate objects and, from the point of viewof the shareholders, this produces
the sameeffectsas a disappearance ofthe company. The shade of differen-
tiation is therefore a matter of form or rather of formality. As from 1952

the corporate objects of the Barcelona Traction group have been void of
meaning '.
If a shareholder were to claim compensation for the loss of profits of a
company whose activitieshad come to ,anend, he would be demanding a
kind of "functional" protection, a guarantee of the right to trade abroad,
which, if it existed by virtue of a treaty or of general international law,

could be invoked only by the State in whose territory the company is
incorporated and to the economy of which it is linked. But when share-
holders ask for compensation for their investment and what it represented
on the date of the damage, on the ground that the company isno longer in
a position to continue its operations, the fact that this damage, by the
totalling of the damages sustained by all the shareholders, is also the
damage done to the company does not seemto be relevant, leaving aside

the problems of assessment and apportionment. The damage to the
company isthatit isdestroyed; the damage to the shareholders isthat they
are injured in respect of their property through the destruction of the

so that the proceedings in the present case can be seen to have developed on ana-
chronistic lines. It is nowadays the tendency to rescue the enterprise no matter
SeetM.heHouin's account of the matter in Idéesnouvelles sur le droit lafaillite,iable.
1969, pp. 122 ff. Slifficeit to observe that the judge chooses between the liquidation
of theassets (bankruptcy) and judicial settlement (composition) in accordawith
an economic yardstick: the chance of bringing the enterprise back to normal.
Furthermore, French legislation has set up special machinery for preventing the
failure of important undertakings whose disappearance would be likely to result
in grave perturbations for the national economy (Ordonnance of 23 September
1967).
The argument using the fact that Barcelona Traction shares have recently been
transacted to prove that thernpany is still active is unconvincAnfew purchases
or sales are enough to keep certain loan-stock, unpaid foraver half a century,
quoted on sorne exchanges. When it is said that the shareholder has the right to
dispose of his share, this certainly rneans to dispose of itnormal conditions,
Court-isarno longer true in respect of Barcelona Traction.e present case before the 277 BARCELONA TRACTION (OP. IND. GROS)

nationale a étéspolié.La cause de la responsabilitéest toujours l'acte
illicite de'Etat, et l'action de protection des actionnaires ne peut être
qualifiéed'intervention dans les affairesintérieures decet Etat comme on

l'a prétendu parfois, moins de prétendre que ledénidejustice ne relève
pas du droit international. Le fait qu'il ne doive pas y avoir double
réparation, l'une pour la société,l'autre pour les actionnaires, marque
une préoccupationd'équité bien compréhensible. Mais l'individualisation
du dommage demeure possible, intellectuellementetjuridiquement.

Enfin la thèse de l'arrêtadmettant la possibilitéd'action pour 1'Etat
des actionnaires au cas de disparition de la socimanquede logique car,
dans cette hypothèse, 1'Etatde la sociétéqui a entaméune action ne peut
en être débouté par la disparition de la sociét. t même sicette action a

été entamée aprèls a disparition de la sociét,n voit mal pourquoi 1'Etat
de la sociéténe pourrait réclamercontre l'acte illicitequi àsl'originede
la disparition. Alors si, en ce cas, lesdeux Etats peuvent agir, n'est-ce pas
que la règle généraldeu droità agir de 1'Etatde la société n'estas une
règle exclusive?

16. Reprenons l'argument du risque financier à la charge de l'action-
naire: l'actionnaire n'est paslésdans ses «droits», mais seulement dans
un intérêt économique non juridiquemeng taranti et non susceptible de
protection diplomatique ou d'action en justice. S'ils'agissait d'une asso-
ciation en participation, ceux mêmesquirefusentlaprotection de l'action-
naire admettent que la protection est possible, mais on affirme que

l'actionnaire n'étantpas titulaire d'un droit sur la sociétéi,l a seulement
un intérêtà ce qu'ellefonctionne au mieux.
En premier lieu, c'est encore une fois faire de définitionsde certains
droits internes une règle de droit international, ce qui est paradoxal
dans le monde actuel où les deux tiers de la population vivent hors du
systèmecapitaliste et des règlesjuridiques auxquelles se rattachent les
Parties.Il faudrait donc établirqu'il s'agitlà d'une véritable règlpour
les Etats de systèmeéconomique libéral,acceptéepar eux comme une
règlede droit international régional.l n'en est visiblementrien, commele
montrent la pratique diplomatique et l'arbitrage. Au surplus il faut rap-
peler les nombreux accords, conclus précisément à l'époqueoù est néle
différend,par lesquelsdesparticipations minoritaires dans des sociétsnt

étéindemniséessur la demande de 1'Etatdont lesactionnairesminoritaires
étaient ressortissants (accord entre la France et la Pologne du 19 mars
1948par exemple). Dans les conventions conclues par la Suisse avec la
Hongrie le 19juillet 1950,la Roumanie le 3 août 1951et la Bulgarie le
26 novembre 1954, l'indemnisation est même accordée à des porteurs
d'actions isolées.l me paraît impossible d'écarterd'un trait de plume cesinvestment; the damage suffered by the State of the shareholders is that
one component element of the national economy has undergone spolia-
tion. The cause of the responsibility is inal1cases the unlawful act of the

State, and the action for the protection of the shareholders cannot be
described as an intervention in the domestic affairs of that State, as has
sometimes been alleged, unless it is claimed that denial ofjustice does not
come within the purview ofinterpational law. The point that there should
not be any doublereparation, on the onehand forthe company and onthe
other for the shareholders, denotes a very understandable concern for fair
play. Nevertheless, intellectuallyand juridically, the individualization of
the damage remains a possibility.
Finally, the Judgment's view which admits the possibility ofaction by
the State of the shareholders in the event of the disappearance of the
company is lacking in logic for, in such an eventuality, if the company's
State had started an action it could not be nonsuited through the disap-
pearance of the company. And even if such action had been instituted
after the disappearance of the company, it is difficultto seewhy the State
of the company should be unable to make a claim in respect of the
unlawful act which was the root cause of the disappearance. If then, in
this case, both States can act, does this not mean that the general rule

conferring the right of action on the State of the company is not an
exclusive rule?
16. Let us nowreturn to the argument of the financialrisk that must be
borne by the shareholder: the shareholder is not injured in respect of his
"rights", but only in respect of an economic interest which is not legally
guaranteed and not entitled to diplomatic protection or recourse to
proceedings. If a partnership were involved, those verypersons who refuse
the idea of protection of the shareholder admit that protection would be
possible,but we are told that, as a shareholder does not enjoy any right
over the company, he has merely an interest in its optimum functioning.
In the first place, this isain to erect definitions taken from certain
municipal systems of law into a rule of international law; this is para-
doxical in the present-day world, when two-thirds of the population live
outside the capitalist system and the legal rules to which the Parties
adhere. The principle asserted must therefore be demonstrated to form a
veritable rule for States with a liberal economic system, one accepted by
them as a rule of regional international law. Such is patently not the case,

as is shown by diplomatic practice and arbitration. Moreover, we must
recall the numerous agreements, which were concluded precisely in the
period when the dispute arose, by which minority holdings in companies
were indemnifiedat the request of the State of which the minority share-
holders werenationals (the agreement of 19 March 1948between France
and Poland, for instance). In the conventions concluded by Switzerland
with Hungary on 19July 1950,with Romania on 3 August 1951and with
Bulgaria on 26 November 1954, compensation is granted even to the
holders of single shares.It seemsto me impossibleto dismiss these agree-278 BARCELONA TRACTION(OP. IND. GROS)

accords, notamment ceux de la Suisse qui ne sont pas des règlements de
paix imposéspar un Etat victorieux; les Etats ne se font pas de cadeaux l

et le nombre des accords d'indemnisation d'actionnaires considérésen
dehors de la société anonyme implique la reconnaissanced'une obligation.

17. Dans les mŒurs contemporaines, la société anonymen'est qu'un
procédé de placementdans l'économieindustrielle. L'Etat n'ayant prati-

quement plus de biens propres surveille et dirige les activitésqui cons-
tituent le produit national brut par l'établissement de la politique
économiquede la nation. La surveillance nécessairepour maintenir les
éléments de l'économienationale dans des conditions normales de travail,
notamment d'empêcher leurdisparition par des décisionscontraires au

droit, constitue l'une des fonctions~normales de I'Etat, sous forme de
prévision,orientation et aide au moment de la décision d'investissement,
de protection en cas de besoin, après que l'investissement a eu lieu. Des
investissements qui ont permis la création ou le développement d'une
entreprise à l'étrangersont aussi essentielspour l'économienationale que

les investissements opéréssur le territoire national. L'action de 1'Etat
pour la protection d'un élémend te l'économienationale est un trait na-
turel de la sociétééconomique où s'inséraientla Belgiqueet l'Espagne au
moment où est néle différend.
18. Ce serait déformerla thèseque prétendre qu'elle aboutit à recon-

naître à tout actionnaire, en toutes circonstances, le droit d'obtenir la
protection de son Etat pour tout fait ayant porté préjudice à la société
anonyme elle-même. En premier lieu, is l'estagi dans la présente opinion
de montrer, enacceptant pour hypothèselerenvoi auxdroits internes, que
les prétendusobstaclesjuridiques à l'exerciced'un droit de protection des

actionnaires, comme tels, n'étaient pas insurmontablesmêmedans ce ca-
dre juridique. Ce n'est pas parce que la nature juridique du lien entre
l'actionnaire et la société nepermet pas à 1'Etatd'agir; ce n'est pas non
plus parce que le dommage causé à la sociétéexclut par nécessité la pos-

l Dans l'affaire Hammaken (Etats-UnisIMexique, Moore, International Arbi-
trations, vol. IV, p. 3471) le surarbitre repoussa l'argumentatiode l'agent du
Mexique selon laquelle une somme de 100000 dollars que le Mexique avait accepté
de payer pour la révocation d'une concession n'aurait constitué qu'un don gracieux:
«Si cegouvernement n'avait pas penséqu'un dommageeût étécausépar ses autorités,
il n'aurait pas consentiaccorder une compensation ..11
Dans de nombreuses affaires 1'Etat défendeur préfère réglerune indemnité
plutôt que d'êtredéclaréresponsable du dommage; d'où les clauses de style sur les
paiements «en équité 11,sans reconnaître aucune obligation juridique », asans
rapport avec la question de responsabilitécf. Moore, Digest, tome VI notamment
pour les lynchages d'Italiens dans le Colorado, p. 841, a la Nouvelle-Orléans;
pas disparaître le problème de l'imputation de la responsabilité internationale.t
Lorsque, dans les économies libérales, des organismes publics prennent des
participations dans des sociétéset deviennent actionnaires, seraient-ils privés de la
protection del'Etat? (TheIndustrial Reorganisation Corporation en Grande-Bretagne,
l'Institut de développement industriel en France.)ments with a stroke of the Pen, in particular those of Switzerland, which
are not peace settlements imposed by a victorious State;it is not the habit

of States to make each other free gifts l,and the number of agreements for
the compensation of shareholders considered apart from the limited
company does imply the recognition of an obligation.
17. In the current ethos the limited company is simply a means of
investment in the industrial economy. The State, now having scarcely any
property of its own2,supervises and directs the activitieswhich go to make

up the gross national product, by drawing up the economic policy of the
nation. The supervision requisite to make sure that the components of the
national economy are maintained in normal working conditions, and in
particular to prevent their disappearance as a result of decisions contrary
to law, constitutes one of the normal functions of the State, and takes the
form of anticipating, guiding and assisting at the time of the decision to

make the investment, and ofprotecting in caseofneed afterthe investment
has been made. Investments which have made possible the creation or the
development of an enterprise abroad are as essential to the national
economy as investments which are made within the national territory.
The action of the State for the purpose of protecting a component item of
thenational economy is a natural feature of the economic society ofwhich

Belgium and Spain formed part at the time when the dispute arose.
18. It would be a distortion of this argument to claim that it leads to
the recognition that, in al1circumstances, every shareholder has the right
to secure the protection of his State in respect of any act which has in-
flicted damage on the limited company itself. In the first place, the present
opinion has been directed towards showing that, while accepting for the

sake of argument the renvoi to systems of municipal law, the alleged legal
obstacles to the exercise of a right of protection of shareholders, as such,
were not insuperable even within this legal framework. It is not the case
that the legal characteristics of the bond between the shareholder and the
company do not permit the State to act; neither is it the case that the

l In the Hammaken case (U.S.A./Mexico, Moore, International Arbitrations,
Vol. IV, p. 3471) the umpire rejected the argument by the agent of Mexico that a
sum of $100,000 allowed by Mexico on account of the cancellation of a concession
was only an ex gratia donation: "if the [Mexican Government] did not think that
the wrong had been dme by the Mexican authorities, it would not have agreed to
grant compensation .. ."
In many cases the respondent State prefers to pay an indemnity rather than to be
"in equity", "withoutfoadmitting any legal obligation", "without reference to the
question of liability" (cf. Moore,International Law Digest, Vol. VI, in particular
with regard to the lynching of Italians in Colorado (p. 841) and at New Orleans,
and the lynching ofChinese at Rock Springs (p. 830)). But these forms of words do
not remove the problem of the imputation of international responsibility.
When, in liberal economies, public bodies buy stock in companies and become
shareholders, are they to be deprived of the protection of the State? (The Industrial
Reorganisation Corporation in the United Kingdom; the Institut de développement
industrielin France.)sibilité d'un dommage propre à l'actionnaire pour lequel 1'Etat peut
intervenir; ce n'est pas enfin parce que 1'Etat des actionnaires est sans
droit propre pour préserver les élémentd se l'économienationale. En
vérité, il'y a pas d'obstacles juridiquesà l'encontre de cette protection,

il n'ya que des aménagementsnécessaires, desprécautions àprendre pour.
aboutir à une solution raisonnable dans chaque cas.

En second lieu, la thèsede la défensedes investissements par 1'Etatdont
l'économienationale est atteinte comporte ses limites par cette définition
même. Il faut qu'il s'agisse d'investissements rattachés à l'économie
nationale (donc pas d'une opérationde portefeuille temporaire) et qu'il y
ait eu acte illicite engageant la responsabilitéd'un Etat. Le seul problème
consiste àrechercher dans chaque cas comment aménagerles protections
possibles, celle de la sociétéet celle des actionnaires.

19. Pour appliquer plus précisément le raisonnement à l'affaire, ily a
un grief de déni dejustice, la constatation du transfert d'une entreprise

industrielle par des procéduresqualifiées d'illicites,donc un problème de
violation du droit international. Le contenu de l'obligation invoquée
contre le Gouvernement espagnol est l'obligation de respecter les investis-
sements des ressortissants belges et de les protéger contre l'illicite; c'est
une obligation généralede comportement entre Etats dans leurs relations
économiques. La qualitépour agir du Gouvernement belge est le droit
propre de tout Etat d'obtenir le respect de cette obligation, les investisse-
ments de ses ressortissants constituant une part importante de l'économie
nationale. Le fondement d'une règlede droit international économique
doit s'attacher aux réalitéséconomiques. Le lien de nationalité pur et
simple de la sociétépeut ne recouvrir aucune consistance économique.
Entre lesdeux critèreslejuge doit choisir celui qui fait coïncider le droit et

les faits, c'est'Etatdont l'économienationale est atteinte en fait qu'ap-
partient le droit d'agir en justice.

20. En cette matière, il faut rechercher ce qui est raisonnablà,la fois
sur le plan juridique et sur le plan des réalités dela vie économique.
Lorsqu'une société anonyme a été établieo,n peut admettre que l'action-
naire est en principe défendupar la société,sous réserve desremarques
antérieuressur les trois catégoriesd'actionnaires et sur le caractère parti-
culier des holdings.

L'Etat qui a le droit de protéger l'investissement Barcelona Traction
serait donc le Canada, et c'est ce que, selon l'arrêt,les deux Parties ont
admis. Mais c'est là une proposition qu'il faut vérifiercomme il faut
vérifiertoute prétention d'un Etat qui porte une réclamation internatio-
nale devant le juge, pour s'assurer qu'ellecorrespond bien aux faits. Ildamage done to the company necessarily rules out the possibility of there
being a damage proper to the shareholder in respect of which the State
may intervene; neither, lastly, is it the case that the State of the share-
holders possesses no right of its own to seek to preserve the component
items of the national economy. In fact there are no legal obstacles to such
protection; there are only necessary dispositions, precautions to be taken
so as to-reach a reasonable solution in each case.
In the second place, the view that investments may be defended
by the State whose national economy is adversely affected is subject to
limitation by the terms of that very definition. The investments in
question must be connected with the national economy (and therefore not
an ephemeral transaction in securities) and there must have been an
unlawful act involving the responsibility of a State. The only problem is
that of deciding in each case how to CO-ordinate the protections possible,
that of the company and that of the shareholders.

19. To apply this reasoning more specifically to the case, there is a
complaint of denial of justice, the claim that an industrial undertaking
was made to change hands by procedures that are described as unlawful,
and therefore a problem of violation of international law. The substance
of the obligation invoked againsttheSpanishGovernment istheobligation
to respect the investments of Belgian nationals and to protect them from
unlawful acts: this is a general obligation incumbent upon States in the
conduct of their econamic relations. The Belgian Government's capacity
to institute proceedings corresponds to the right possessed byevery State to
secure the respect of that obligation, when the investments of itsnationals
constitute an important part of the national economy. The foundation of
a rule of economic international law must abide by economic realities.
The company's link of bare nationality may not reflect any substantial
economic bond. As between the two criteria the judge must choose the
one on the test of which the law and the facts coincide: it is the State
whose national economy is in fact adversely affected that possesses the
right to take legal action.

20. In the present matter one must seek to ascertainwhat is reasonable
both on the legal plane and on the plane of economic realities. When a
limited company has been set up, it may be granted that the shareholder
is, in principle, defended by the company, subject to the remarks above as
to the three categories of shareholder and the special character of holding
companies.
Accordingly, the State which has the right to protect the Barcelona
Traction intrestment would be Canada, and that, according to the Judg-
ment, is what both Parties have admitted. But that is a proposition which
must be verified,just as any contention made by a State which brings an
international claim before a court must be verified, to make sure that it 280 BARCELONA TRACTION (OP. IND. GROS)

s'agitdecertains investissementsqui ont subi de gravesdommages: qui est
atteint ?Si des biens quelconques subissent des dommages la réparation
doit êtredemandéepar 1'Etatauquel lesbiens serattachent effectivement.
Or, àsupposer que le Canada fût intervenu devant la Cour pour se voir
reconnaître un intérêd t'ordre juridique en se fondant sur l'article62 du
Statut, l'Espagne n'eûtpas manqué de lui objecter qu'il n'y a pas dans
Barcelona Traction d'intérêts canadiens substantieln si sérieux.Certes les
contradictions des plaideurs sont inévitablesdans les affaires complexes
mais il serait regrettable que la Cour leur reconnaisse indirectement une
portée. Il existe en effet une raison majeure pour ne tenir aucun compte

des déclarations des Parties sur le caractère canadien de la société.
L'exempledela facultéd'interventionprévuepar l'article62est pertinent;
si le Canada était intervenu, mêmeun accord des deux Parties pour lui
reconnaître un intérêt juridique entant qu'Etat national de la société
n'aurait pasdispenséla Cour d'examinersi leCanada avait véritablement
un intérêtjuridiquecar l'article 62 dit:(la Cour décide »si une interven-
tion est justifiéeet il ne me paraît pas qu'en matièrede juridiction la
Cour puisse secontenter de prendre acte d'un accord desParties concer-
nant l'existence d'un intérêt juridiquepour un Etat tiers absent de la
procédure.L'intérêt juridique du Canada existe ou n'existepas; il n'ap-

partient pas àdes Etats tiers de lecréeret leplus qu'ilsaient pu faireest de
reconnaître cet intérêtjuridique pource qui concerne leurs thèsesdans la
présente instance,sans que cette reconnaissance ait pour la Cour un effet
quelconque en ce qui concerne l'obligation qui lui est faite par son Statut
de vérifiersa propre compétence.

21. C'est donc un obiter dictum sans portéejudiciaire que d'affirmer
actuellement la nationalité canadienne dela société BarcelonaTraction.
Cen'estpas parcequeleCanada a agi en faitpendant un certain temps sur

le plan diplomatique ni parce qu'il a proposé l'arbitrage, que sondroit
d'agir en justicedoit êtrereconnu; il ne suffitpas de prétendrepour être
reconnu titulaire d'un droit. Prétendreest ce que font tous les plaideurs;
chaque fois l'un d'eux perdet, sa prétentionétantrejetée,il constate qu'il
n'avait pas de droit. Une société holding dont le capital est réparti entre
des actionnaires de plusieurs nationalités et dont le but social est d'ex-
ploiter une industrieàl'étrangernepeut êtrerégiepar un seuldroit interne
pour tous les problèmes qui la concernent (cf. par. 29 ci-après). Et le
point de savoir quel est le droit interne applicableà un problème déter-
miné relève dudroit international. C'est ce que recouvre le problèmedit
de la ((nationalité)des sociétés.La présentation par un Etat d'une af-

firmatioh dejuridiction sur une sociétén'esqtu'une prétentiontant qu'elle
n'a pas étéadmise par tous les Etats directement intéressésdans cette
situation ou par une décisionjuridictionnelleinternationale.
22. Il n'a pasété établq iue le Canada ait la qualitépour agir pour lereally corresponds to the facts. The issue here relates to certain invest-

ments which have sufferedserious damage; who has been harmed? If any
property suffers damage, reparation should be sought by the State with
which the property is genuinely linked. Now, supposing that Canada had
intervened beforethe Court in order to be recognizedas having an interest
of a legal nature, relying on Article 62 of the Statute, Spain would not
have failed to object that there were not in Barcelona Traction any
substantial or genuine Canadian interests. It is of course inevitable in
complicated cases that parties should commit self-contradictions, but it
would be regrettable if the Court were indirectly to recognize these as
possessing significance.There is indeed a major reason why no account
should be taken of the statements made by the Parties concerning the
Canadian character of the company. The example of the right to intervene
provided for in Article 62 isto the point: if Canada had intervened, even
an agreement between the two Parties by which Canada were recognized
to have a legal interest as being the national State of the company would

not have dispensed the Court from examining the question whether
Canada really had a legal interest, for Article 62 saysthat "It shall be for
the Court to decide" whether an intervention isjustified, and it seemsto
me that, in the matter of jurisdiction, the Court cannot content itself
with taking note of an agreement between the Parties concerning the
existence of a legal interest on the part of a third State which is absent
from the proceedings. The legal interest of Canada either exists or does
not exist; it is not for third States to create it, and the most they could
have done would be to recognizethis legalinterest sofar astheir positions
in the present case were concerned, without such recognition having for
the Court any effectwhatever in regard to the obligation laid upon it by
its Statute to verify its own competence.
21. It is therefore an obiterdictumvoid ofjudicial significanceto assert
at the present time the Canadian nationality of the Barcelona Traction
company. That Canada did in fact act at the diplomatic levelfor a certain
time, that it proposed arbitration, these are not reasons for recognizing
its right to institute proceedings; it is not enough to claim a right to be

recognized as possessing it. Al1litigants make claims and one is always
the loser, and, his claim having been dismissed, he findsthat he did not
have a right. A holding company whose capital is apportioned among
shareholders of several nationalities and of which the object is to operate
an industry abroad cannot be governed by one system of municipal law in
respect of al1the problems concerning it (cf. paragraph 29 below). And
the question ofwhichmunicipal law isapplicable to a specificproblem is a
matter for international law. That is what underlies the problem of the
"nationality" of companies. The assertion by a State that it has juris-
diction over a company is nothing but a claim so long as it has not been
admitted by al1the States directly concerned in that situation or by an
international judicial decision.
22. It has not been established that Canada has capacity to institutecompte de la Barcelona Traction, parce que cette société n'avaitde
canadienne que l'apparence et que, dans la vieéconomique, laprotection
des investissements doit suivre la réalitéde l'appartenance. Ce qui a été
jugé pour Nottebohm, individu, en réservant par le silence le cas des
sociétés,est encore plus raisonnable pour les sociétés,car le facteur du
rattachement d'intérêt économique ee stssentiel entre les investissements
et 1'Etatdont ils proviennent véritablement, ainsi qu'il a étéexposéplus

haut 2. Plus que pour l'individu, plus que pour le navire, l'investissement
par la voie d'une sociétéanonyme ne peut êtrepris en considérationsur le
plan international que si1'Etatqui réclamea étéatteint danssonéconomie
nationale; lorsqu'il y a plusieurs Etats avec lesquels une sociéa un lien
effectif cela peut présenterune complication, mais ce n'est paslecas pour
toutes les sociétésanonymes travaillant à l'étrangeret la Cour n'a pas à
rendre un arrêt derèglementsur la protection des sociétés anonymes en

général.
23. Une dernière remarque s'impose sur l'attitude du Canada depuis
que l'action en justice a étéentamée.Si le Canada avait ressenti de l'in-
térêt pourcette affaire, il avait le moyen de le faire connaître la Cour,
sans qu'il luisoit nécessaire d'interveniret de courir le risque judiciaire
d'un rejetde son intervention. Dans l'affairedu Détroitde Corfou,divers
documents ont été proposés à la Cour par le Gouvernement yougoslave
qui n'étaitpas partie, ni intervenant à l'action, et ils furent présentés
finalement à la Cour par le Gouvernement albanais après décisionde la

Cour en date du 10décembre1948(Détroitde Corfou, Mémoires,vol. III,
p. 190et voir l'arrêt de laCour sur ce point:C.Z. J.cueil 1949, p. 17).
En la présente affairetout document canadien sur l'histoire de la protec-
tion diplomatique par le Canada et les vues exactes du Gouvernement
canadien aurait pu être fourniàla Cour par le même procédé O.r, bien au
contraire,à la question poséepar des membres de la Cour, la réponse
elliptique du Gouvernement canadien le 24 juin 1969 n'a pas apporté
d'éclaircissements (nouveauxdocuments déposés le Gouvernement belge,

nos44-45). Je me réfèresur ce point aux paragraphes 19 et suivants de
l'opinion individuelle deM. Jessup.
24. Bien que la Cour ait rejetéla possibilité d'envisager uneanalogie
avec l'affaireNottebohm, il me semble que l'arrêtNottebohm fixe un

l Malgréles indications de l'arrêtau par. 71 sur divers élémentsde rattachement
avec le Canada, je me rallie aux observations du juge Jessup, par. 49, spécialement
la note. Lesvéritables dirigeants de la Barcelona Traction ne semblent pasavoirmar-
quéde lien effectif avec Toronto.

La distinction entre la recherche du lien effectif en faveur ou à l'encontre d'une
sociétéde capitaux est dépourvue de signification juIln'y ajamais de partie
favorisée ou pénaliséepar le droit en raison du principe primordial de l'égalité
devant la loi. La recherche des réalités derrière lesapparences a pour but de dé-
sement de la véritén'est pas inspiré par une orientation favorable ou défavorableàlis-
l'un des élémentsdu problème mais par les exigences de la constatation du droit.proceedings in behalf of Barcelona Traction, since that company was
Canadian in appearance onlyl and since, in the economic sphere, the

protection of investments must conform to the reality of the connection.
The decision regarding Nottebohm, an individual, which tacitly left the
case of companies open, can be applied with even greater reason to
companies, for the connecting factor of economic interest, as between
investments and the State from which they really come, is essential, as
has been stated above 2.It is even more true of investment via a limited
company than of an individual or a ship thatit cannot be given considera-
tion at the international level unless the State which puts forward the
claim has suffered a damage to its national economy; when there are

several States with which a company has a genuine connection, a compli-
cation may arise, but that is not the case ofal1limited companies engaged
in activities abroad and the Court is not called upon to deliver ajudgment
laying down the law for the protection of limited companies in general.
23. One final observation must be made concerning the attitude of
Canada ever since the proceedings were brought. If Canada had felt any
interest inthecase ithad means so to inform the Court, without having to
intervene and run the risk of judicial rejection of its intervention. In the

Corfu Channelcase various documents were proposed to the Court by the
Yugoslav Government, which was not a party to nor intervening in the
proceedings, and they were finallysubmitted to the Court by the Albanian
Government following a decision taken bythe Court on 10December 1948
(I.C.J.Pleadings,Vol.III, p. 190; see also the Judgment on that case, with
regard to this point: I.C.J. Reports 1949, p. 17).In the present case, any
Canadian document relating the course of diplomatic protection by Can-
ada and giving the exact views of the Canadian Government could have
been furnished to the Court by the same procedure. Yet, on the contrary,

the elliptical answer returned by the Canadian Government on 24 June
1969 to the question put by Members of the Court did not supply any
clarification (New Documents Nos. 44 and 45 submitted by the Belgian
Government). On this point 1 would refer to paragraphs 19 ff. of the
separate opinion of Judge Jessup.
24. Although the Court has rejected the possibility of considering any
analogy with the Nottebohm case, it seems to me that the Nottebohm

Notwithstanding the references in the Judgment in paragraph 71 to various
points of connection with Canada, 1 agree with the observations made by Judge
Those really in control of Barcelona Traction do not seem to have featured anyeto).
genuine connection with Toronto.
* The distinction between seeking a genuine connection in favour of or against a
company is devoid of legal significance. No party is ever either favoured or
by the law, because of the fundamental principle of equality before the law. The
purpose of seeking the reality behind appearances is to discover the true legal
situation underlying the forms adopted. The bringing of truth tois not inspired
by any favourable or unfavourable attitude towards one of the elements of the
problem but by the needs of the process of ascertaining the law.standard relatif et ne va pas plus loin que la règledéjàrappelée:«Il faut
traiter chaque cas comme un cas d'espèce )).Donc, mêmesans avoir
besoin d'invoquer cet arrêt,les particularités dela présenteaffaire met-
tent au premier plan des vérificationsopérerpar la Cour le problème de
l'appartenance effective des investissements en cause. La thèse du lien
effectif implique une comparaison entre Canada-Belgique-Espagne, et
peut-être d'autresEtats, l'examen de la concentration de l'entreprise en
Espagne, le problème de la direction effective par les organes de la
Barcelona Traction ou par d'autres, la réalitéde l'investissement belge.
Cesvérificationsn'ayant pas étéjugées nécessairepsar la Cour en l'espèce,
il est difficiled'émettre une opiniondéfinitivesur la dépendanceréellede

Barcelona Traction par rapport à une économie nationale, mais quelques
conclusions ressortent du dossier.

25. Le rattachement à l'économienationale du Canada n'est certes pas
le plus marqué car il n'est jamais apparu que l'entreprise constitue un
élémend t e production dans cette économie.
Le rattachement de Barcelona Traction à l'économieespagnole n'est
pas contestable quant à l'élémentproduction en Espagne de biens et
services. La sociétéa concentré toutes ses activitésen Espagne et ses
filiales, sociétés espagnoles sauftrois d'entre elles, étaient sous son
contrôle absolu, de telle sorte qu'on peut considérer que le groupe
Barcelona Traction dans son unité d'entreprise était un élémentde la

production nationale espagnole. Mais si cet aspect des choses peut avoir
des conséquencesjuridiques, notamment sur certains problèmes de
juridiction, il en est totalement dépourvupour la détermination de'Etat
auquel se rattachent effectivement les investissementsétrangersqui sont
à l'originede l'entreprise et de son développement.Il n'a pas étéétaiue
ces investissements étaient principalement espagnols.Il n'y a donc pas,
en ce qui concerne le droit applicable aux investissements, de rattache-
ment effectifà l'économieespagnole.
26. Le rattachement à l'économie belgea fait l'objet de commentaires
très complets du juge sir Gerald Fitzmaurice et du juge Jessup. Pour
abréger,je dirai simplement que la preuve ne me paraît pas avoir étéap-
portéede l'appartenance desdits investissementsàl'économie belgedans
le sens de la thèsesoutenue dans cette opinion.

En l'espècela preuve n'apas été fourniede manière satisfaisantepour le
juge que, de façon continue, la Barcelona Traction constituait principale-
ment, ou mêmede façon importante, un investissement de l'économie
belge. Si,pendant certaines périodes,par l'origine descapitaux investis et
par la direction effective des opérations industrielles et financières,il a
étépossible d'apporter un commencement de preuve quel'économiebelge
avait étéalors plus intéresséqu'une autre, les remarques du juge Jessup
aux paragraphes 72à 98 de son opinion montrent qu'il n'apas été prouvé
qu'il enait étéde mêmeaprès 1940et notamment pendant une partie de
la période critique. D'autre part, l'examen du groupe de sociétésdansJudgment does establish a relative standard and does not go further than
the rule already recalled: "each case must be considered on its individual
merits." Thus, even without any need to rely on that Judgment, the
particulars of the present case are such as to place in the forefront of
the matters which the Court should have investigated the problem of the
real provenance of the investments in question. The theory of the genuine
connection implies comparison between Canada, Belgium and Spain-
and perhaps other States-, and inquiry into the concentration of the

undertaking in Spain, the problem as to whether the real control lay with
the organs of Barcelona Traction or elsewhere, and the reality of the
Belgian investment. As the Court did not in fact consider these verifica-
tions to be necessary,it is difficultto giveany final opinion concerningthe
real connection of Barcelona Traction with any national economy, but the
documents inthe case do permit of a fewconclusions.
25. The connection with the national economv of Canada is certainlv
not the most conspicuous, for the undertaking has never appeared to
constitute a factor of production in that economy.
The connection of Barcelona Traction with the Spanish economy can-
not be disputed sofar asthe factor of the production of goods and services
in Spain is concerned. The Company concentrated al1 its activities in
Spain, and its subsidiaries, Spanish companies al1but three, were under
its absolute control, so that it may be considered that the Barcelona

Traction group as an integrated enterprise formed a component in the
Spanish national production. But although this aspect of the matter may
have legal consequences, more particularly in respect of certain problems
of jurisdiction, it has none whatsoever for the purpose of ascertaining
with which State the foreign investments underlying the creatio~: and
development of the enterprise are truly connected. It has not been estab-
lished that these investments were mainly Spanish. There is therefore,
from the standpoint of the law applicable to the investments, no genuine
connection with the Spanish economy.
26. The connection with the Belgian economy has been made the
subject of exhaustive commentary by Judge Sir Gerald Fitzmaurice and
Judge Jessup. For the sake of brevity, 1will merely Saythat 1do not feel
proof has been supplied that the investments in question belong to the
Belgian economy in the sense of the view propounded in this opinion.
In this case, proof has not been supplied in a manner satisfying for a

courtthat Barcelona Traction. in continuous fashion. , 'redominantlv-or
even substantially-represented an investment on the part of the Belgian
economy. While it was possible to furnish prima facie evidence that over
certain periods, in terms of origin of capital invested and of actualcontrol
of industrial and financial operations, the Belgian economy was more
involved than others, the observations made by Judge Jessup in para-
graphs 72-98of his opinion show that the same has not been proved true
ofthe period after 1940,moreparticularly during part of the critical period.
Neither was itpossibleto demonstrate apredominant, constant and certain283 BARCELONATRACTION (OP. IND. GROS)

lequel Barcelona Traction prend place n'apas, non plus, permis d'établir
un rattachement principal, constant et certaià l'économiebelge.
Pour prétendre à la protection des investissements, il ne suffit pas, en
effet, de la présomption que des intérêtbelges existaient; il s'agit icide
prouver l'appartenance effective à une économiependant une période
continue, permettant de constater que l'appartenance à 1'Etat où la
société s'est créée n'ests fondée surdes réalitééconomiques.Sile con-
trôle de la réalitédu siègeest possible, cene peut êtrepoursubstituer une
présomption à une autre. Dans toute affaire de ce genre, il est naturelle-

ment difficilede préciserl'appartenance effectiveun ordre économique
national mais ledéfautn'estpas dans une insuffisancedesrèglesjuridiques,
il est dans les traits mêmesde l'entreprise complexe. Dans la filièredes
sociétésd'un tel groupe il est peut-êtrepossible,un moment donné, et
pour une opération,de déterminer à quelleéconomienationaleserattache
cette opération; il n'est pas certain que cela soit possible pour la totalité
des opérationsdu groupe, et singulièrementpas pendant de longues an-
nées où participations, contrôles et dirigeants auront changé. Mais
chaque affaire pose un problème particulier et il ne serait pas difficile,
l'inverse, de citer des groupes de sociéqui, malgréleur complexité,se
rattachent de manière incontestableà une économie nationale.

27. Il n'existe donc aucune raison de traiter les groupes de sociétés
comme des apatrides et de les priver de toute protection sur le plan du
droit international; il n'est pas illicite, ni en droit interne, ni en droit
international, de constituer de tels groupes et les problèmes qu'ils posent
ne diffèrent en rien de ceux qui naissent des opérations commerciales,
financières et industrielles effectuéespar d'autres sociétésde capitaux.
La difficultéde trouver le liende rattachement créeune complication, pas
une incapacité.Il convient, dans chaque cas, de rechercher si l'investisse-
ment en cause se rattache, en fait, un ordre économiquenational et si
1'Etatréclamant a étéatteintdansla prospérité de son économienationale
par l'acte illicitequi a frappé lasoci. orsque plusieurs économiessont
intéressées c'estne situation familière endroit international qui serésout
par la reconnaissance d'une obligation de négocier(comparez les ac-

cords actuels entre plusieurs Etat créanciersl'égardde 1'Etatdébiteur).

L'effectivitéest une condition nécessaire pour la protection de la
personne morale comme pour cellede l'individu et, lorsqu'ellefait défaut,
le rattachement à1'Etatest ficiif et ne donne pas qualitépour agir. Cons-
tatant que la preuve de l'appartenanceà l'économie belgede Barcelona
Traction n'a pas été fournie, soiten raison de l'organisation intérieuredu
groupe, soit pour d'autres motifs,je dois conclure au rejet de la demande.

* *
28. J'ajouterai qu'une autre raison me ferait admettre le rejet de la

demande mais, la Cour n'en ayant pas délibéréj,e ne puis qu'y faireconnection with the Belgian economy on the basis of an inspection of the
company-group of which Barcelona Traction forms part.
To claim the right to protect investments, the presumption that Belgian
interests existed is indeed not enough; what is needed is to prove a
genuine connection with the economy during a continuous period, thus
enabling it to be said that appurtenance to the State in which the company
was incorporated is not in line with economic realities. If it is possible to
verify the genuineness of the seat, that cannot be for the purpose of
substituting one presumption for another. In ail cases of this kind, it is
naturally difficult to pinpoint effective appurtenance to a particular na-
tional economy, but the fault does not lie in any inadequacy of legal

rules: it lies in the very features of a complex undertaking. Within the
ramification ofcompanies in such a groupit is perhaps possible at a given
moment, and with reference to a given operation, to determine with what
national economy that operation is connected; it is not certain that this
will be possible for the whole of the group's operations, especially not
with regard to long periods during which there will have been changes in
stockholdings, control and management. But each case raises its own
particular problem and it would not, conversely, be difficultto refer to
company-groups which, despite their complexity, are incontestably con-
nected with a given national economy.
27. There is therefore no reason to treat company-groups as stateless
and deprivethem of al1protection at the levelofinternationallaw; it is not
unlawful either in municipal or in international law to set up such
groups, and the problems to which they give rise are in no way different
from those arising out ofthe commercial,financial or industrial operations
carried out by other corporations. The difficultyof determining the con-
necting link creates a complication, not an incapacity. What is necessary
is to ascertain in each case whether the investment in question is, in fact,
connected with a particular national economy and whether the national

economic prosperity of the claimant State has been harmed by the un-
lawful act which directly affectedthe company. When several economies
are affected, thisproduces a situation which is familiar in international
law and is resolved by the acknowledgment of an obligation to negotiate
(cf.the agreements nowadays concluded among severalcreditor States vis-
à-vis a debtor State).
That the connection should be genuine is a necessary condition for the
protection of a corporate person no less than for that of an individual,
and in its absence the link with the State is fictitious andes not confer
capacity to institute proceedings. Finding that proof of Barcelona
Traction's appurtenance to the Belgian economy has not been produced,
whether on account of the interna1organization of the group or for other
reasons, 1am obliged to conclude that the claim must be dismissed.

28. 1would add that there is another ground on which 1 would con-
sider the dismissal of the claim justified, but as the Court has not dis-allusion. Dans les limites d'une opinion individuelle sur un point non
tranchépar l'arrêtet non délibéré je me bornerai à des indications très

brèves l.Cependant l'intérêd te la matière et son caractère prioritaire
justifient une esquisse du raisonnement.
Le fait qu'un Etat puisse invoquer le droit de protégerses nationaux
actionnaires d'une société ne dispense pas celle-ci d'épuiserles recours
internes qui permettraient de redresser la situation incriminée.La Barce-
lona Traction aurait dû faire opposition aujugement déclaratifde faillite

dans ledélailégalet il n'existepas de motifs raisonnables pour déciderque
l'absence d'opposition par la sociétédans le délai nefait pas obstacle à
l'action judiciaireinternationale. Comme l'écrivait sir HerschLauterpacht
dans son opinion individuelle sur l'affaire des Empruntsnorvégiens: «une
tentative aurait dû être faite pourépuiserces recours, si éventuelset
théoriques qu'ils puissentêtre» (C.Z.J. Recueil 1957, p. 39). Or, en
l'espèce, à la date de la décisiondu juge de Reus, rien ne permettait de

soutenir que l'opposition étaitun recours théorique.Dans le droit de la
faillite, enghéral, le jugement de faillite dessaisit le failli dès qu'il est
rendu et avant toute publicité;peut-être larègleest-elle trop rigoureuse
mais ellea sesmotifs que connaissent les spécialistesdu droit commercial
et, en tout cas, cet effetétait admispar la loi espagnole en 1948 2.Même
sil'on voulaitsoutenir que cette règleétait contraire à un principe général

de droit il fallait faire opposition au jugement, avec les réservesnéces-
saires sur l'absence denotification; ce grief en effet devait êtreportéen
premier lieu devant lejuge local afin que celui-ci puisse se prononcer et,
éventuellement, redresser lasituation. Qu'il s'agisse d'une violation du
droit espagnol ou d'une violation du droit international, il faut demander
aux tribunaux locaux d'envisagerle problème et leurlaisser la possibilité
de réparerl'erreur.

29. La reconnaissance de la nécessitéde l'opposition est encore ren-
forcéepar la constatation d'une certaine justification de la juridiction

lJe considère que ce point de principe est toujours réglépar l'observation du
Président de la Cour,. Max Huber, en juillet 1926 (C.P.J.Z. sérieD, addendum au
no 2, p. 215) et la résolution de la Cour permanente de Justice internatiodule
17 février1928 (Stauffenberg, Statut et Règlement dela Courpermanente de Justice
internationale, p. 414). Lorsqu'un point de droit n'a pas été retenu, en application de
l'article de la résolution visant la pratique interne, comdevant êtretranché
par la Cour, les indications d'un juge ne peuvent avoir le caractère de prononcé
judiciaire.
* On he trouverait pas à l'époquedans les législationsdu mêmesystèmejuridique
de dispositions sur la publicité telles qu'il soit possible d'en déduirel'existence d'un
principe généralde droit dont la violation entraîneraitfacto la nullité de toute
la procédure. Et dans la mesure où l'absence de publicité au domicile du failli est
premier jugeà saisir est lejuge espagnol.5), du code de commerce espagnol, lecussed the maiter 1can do no more than allude to it. Within the limits of
a separate opinion on a point not settled by the Judgment and not
deliberated, 1must needs be brief l.Nevertheless the matter is of sufficient
interest and priority to justify an outline of my reasoni~ig.
The fact that a State may invoke the right to protect its nationals who

are shareholders in a company does not exempt the company from the
obligation of exhausting the local remedies available for the rectification
of the situation complained about. Barcelona Traction ought to have
entered a plea of opposition to the judgment declaringbankruptcy within
the legal time-limit, and there are no reasonable grounds for deciding
that the company's failure to enter such opposition within the time-limit

does not form a bar to the institution of proceedings on the international
level. As Sir Hersch Lauterpacht wrote in lis separate opinion on the
Certain Norwegian Loans case: "however contingent and theoretical
these remedies may be, an attempt ought to have been made to exhaust
them" (I.C.J. Reports 1957, p. 39). As it happens, at the time when the
Reus judge gave his decision, there was nothing to justify the contention

that the remedy of opposition was merelytheoretical. Generally speaking,
in bankruptcy law the bankruptcy judgment divests the bankrupt as soon
as it is delivered and before any publication; the rule is perhaps too
rigorousbut thereare reasons forit withwhich specialistsincommercial law
are familiar, and that effect was at al1events a feature of Spanish law
in 1948 2.Even if it had been intended to maintain that this rule was con-

trary to a general principle of law, it was necessary to enter opposition to
the judgment while expressing the necessary reservations as to the lack of
notification; this complaint ought indeed to have been laid in the first
instance before the local judge so that he could rule upon it and, if need
be, rectify the situation. Whether it be Spanish law or international law
that is considered to have been violated, it is necessary to request the

local courts to look into the matter and allow them the opportunity of
correcting any mistake.
29. The necessity of entering a plea of opposition becomes still more
evident when it is observed how the concentration of the industrial under-

l 1 consider that this point of principle remains governed by the observation of
President Huber in July 1926 (P.C.I.J., Series D, addendum toNo. 2, p. 15) and the
resolution adopted by the Permanent Court of International Justice on7February
1928 (Stauffenberg, Statut et Règlement de la Cour permanente de Justice inter-
nationale,p. 414). When a point of law has not been retained, in application of
Article4 of the Resolution concerning the Interna1 Judicial Practice, as one which
should be decided by the Court, any observations thereon that a judge may make
are precluded from possessing the character ofudicial pronouncements.
There is nowhere to be found in the different legislations of the same legal
system, at that time, any provisions concerning publication which are such that
they enable the existence to be deduced of a general principle of law the infringement
of which would ipso facto render the entire proceedings nul1 and void. And if it be
stitutes a breach of Article 1044(5) of the Spanish Commercial Code, then it is to the
Spanish courts thatcomplaint must first be addressed in this regard.espagnole prima facie, par la concentration de l'entreprise industrielle
en Espagne, si l'on examine le problème dejuridiction en générale ,n de-
hors de la demandede miseen faillite pour non-paiement des obligations.
Le but social de l'entreprise est de développerl'industrie hydro-élec-
trique en Espagne et le systèmede transport par chemin de fer et tram-
ways électriquesdans la ville et la province de Barcelone (cf. Moody's

Public Utility Manual, 1968, p. 2067). Aucune autre localisation n'est
envisagéeque l'Espagne pour le développement hydro-électriqueet, en
fait, la Barcelona Traction n'a jamais engagéde travaux dans un autre
pays; ses filialesont exploitédes servicesde production et distribution de
courant électrique àBarcelone,enCatalogne (etdans les villesindustrielles
de Tarrasa, Tarragone, Reus (sic) et Tortosa )(Moody, op. rit., p. 2067;
à noter que ces indications sont rédigées d'aprèsune documentation

fournie par la société; voirleparagraphe (Assets seized ))et le paragraphe
« Assets in Spain sold D).Dans ces conditions, l'absencede publication au
Canada prend un caractère particulier; au surplus les considérations
développéespar plusieurs opinions individuelles sur la réalitédu siège à
Toronto auraient pu êtreexposéespar le juge espagnol en reprenant la
jurisprudence decertains Etats quipratiquent la miseenfaillite de sociétés

étrangèresayant une succursale, ayant traité des affaires, émis des obli-
gations ou passé des marchéssur le territoire de 1'Etatdont lejuge pro-
nonce la faillite l.Il faut noter que certainesjuridictions ont déclarédes
faillites pour non-paiement d'emprunt, le commerçant ayant fait appel
au créditsur le territoire de 1'Etat dont le tribunal est saisi, hypothèse
exceptionnelle d'ailleurs. La prétention à une certaine juridiction sur le
groupe Barcelona Traction en Espagne n'étaitdonc pas, à priori, illicite,

sans que cela implique ni la légitimitéde toutes les mesures d'exécution
de la faillite ni celle de la demande particulière qui fut faite au juge de
Reus. Mais l'étatdu droit de la faillite des sociétés étrangères, àl'époque
des faits, n'est pas tel qu'il ait justifiéun abandonpar la société des voies
de recours qui existaient.

Il est difficileaprèsdenombreuses annéeset d'innombrables procédures
de se replacer à l'époquede l'acte incriminé, mais c'estce qu'il convient
de faire en toute objectivitéet l'opposition à la déclaration de faillite
aurait dû apparaître à la sociétécomme un recours immédiatement
disponible et utile.

(Signé)AndréGROS.

Dans plusieurs systèmesjuridiques européens le débiteur peut êtremis en faillite
par le tribunal du pays où il exerce une activitésecondaire ou a des actifs (art.
la loi italienne, art.la loi néerlandaise, art. 238 de la loi allemande), ou mêmesi
le débiteur a un passif dans le pays (jurisprudence française). Le caractèredeholding
de la Barceiona Traction est mis en cause par des activités directes en Espagne
(cf. les plaidoiries duuillet 1969).taking inSpain lendscolour,prima facieto, theSpanishassumption ofjuris-
diction, on considering thejurisdiction problem in general and quite apart
from the petition for bankruptcy on account of failure to honour bonds.
The corporate purpose of the undertaking is to develop the hydro-
electricity industry in Spain, and the electric railway and tramway system
in the city and province of Barcelona (cf. Moody's Public Utility Manual,
1968, p. 2067). No area other than Spain is contemplated for hydro-

electric development, and in fact Barcelona Traction never undertook
works in any other country; its subsidiaries operated electricity produc-
tion and distribution systems in Barcelona, Catalonia "and the industrial
cities of Tarrasa, Tarragona, Reus" (sic) "and Tortosa" (ibid. : it should
be noted that these details are based on information supplied by the
company; see the paragraphs "Property Seized" and "Assets in Spain
sold"). In these circumstances, the absence of publication in Canada can
be seen in a particular light; furthermore, the considerations set forth in
a number of separate opinions concerning the genuineness or otherwise
of the company's headquarters in Toronto could have been adduced by
the Spanish judge, who could also have invoked the judicial precedents

of certain States, where foreign companies which have a branch, have
carried on business, issued bonds or entered into contracts within the
national territory have been adjudged bankrupt '.It should be noted that
the courts of certain States have declared bankruptcies for non-repayment
of loans, when a businessman has called on credit in their territory,
though that is an exceptional circumstance. The claim to possess a certain
jurisdiction over the activities of the Barcelona Traction group in Spain
was consequently not, apriori, illegitimate, though this does not imply the
legitimacy of al1the measures for the execution of the bankruptcy, or of
the actual petition made to the Reus judge. But the state of the law con-
cerning the bankruptcy of foreign companies was not, at the time of the
facts,such as to justify any abandonment by the company of the remedies

open to it.
After the passage of many years and countless proceedings, it is not
easy to recover the standpoint of the time when the act complained of
occurred, but that is what has to be done in utter objectivity, and in that
light it will beseen that a plea of opposition to the declaration of bank-
ruptcy ought to have appeared to the company as an immediately
available and practicable remedy.

(Signed) AndréGROS.

In several European legal systerns a debtor can be declared bankrupt by the
assets (Article 9 of the Italian, Article 2 of the Netherlands and Article 238 of the
Federal Gerrnan laws concerned), or if he is in debt there (French case-law). Some
doubt is thrown on the character of Barcelona Traction as a holding company
by direct activities in Spain (cf. hearing ofly 1969).

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Document Long Title

Opinion individuelle de M. Gros

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