Opinion dissidente de M. Ečer, juge ad hoc

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001-19490409-JUD-01-06-EN
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OPINION DISSIDENTE DU Dr B. ECER

Première partie du compromis.

1.

Caractèrecrimineldel'incidentdu22 octobre1946.

Les deux Parties ont stigmatisé l'incident 22 octobre 1946 en
le qualifiant de crime. Toutefois, la Cour internationale de Justice
n'est pas une cour pénale. Le compromis ne l'a pas chargée de
décidersi l'Albanie a commis ce crime ou si elle a participé comme
complice à sa commission. Le compromis oblige la Cour à se pro-
noncer surla responsabilité de l'Albanie selon le droit international,
sans, par conséquent, la caractériser comme une responsabilité
criminelle ou non criminelle (civile).Cependant, la Grande-Bretagne
a fondéen première place ses conclusions concernant la responsa-
bilité albanaise sur l'allégation que l'Albanie a posédes mines ou
a participé comme complice à la pose de mines, donc sur une véri-
table accusation d'ordre criminel.
Je considère l'incident du 22 octobre 1946 comme un crime
international abominable, très proche d'un acte de terrorisme
suivant la définition de la Convention pour la prévention et la
punition du terrorisme, en date du 16 novembre 1937, qui n'a
malheureusement pas étératifiée.
Il n'est pas douteux selon moi que cette action ait étépréparée,
organiséeet exécutéeen vue de troubler la paix dans la mer Adria-
tique et de troubler les relations pacifiques entre la Grande-Bretagne

et l'Albanie.
Il est un fait établi par la procédure que l'Albanie et la Grande-
Bretagne désiraient en1946 avant l'incident du22octobre, établir
des relations diplomatiques. Jeme réfèreà la note albanaise du
21 mai 1946 et au télégrammede l'Amirauté britannique au com-
mandant en chef de la flotte méditerranéenned21 septembre 1946.
Les deux Etats négociaient l'établissement de relations diploma-
tiques. Ces négociations n'étaient pas un secret. Il est clair pour
moi que les hommes d'Etat de l'Albanie ne pouvaient vouloir
réaliser l'établissementde relations diplomatiques avec la Grande-
Bretagne par un attentat contre lesnavires britanniques, soit qu'eue
participât à la commission de cet attentat, soit par omission, en
négligeant de l'empêcherau moyen d'un avertissement aux navires.
Donc, la conclusion logique s'impose qu'il existait quelqu'un, peut-
êtreun Etat, peut-êtreun groupe d'aventuriers militaristes ayant
des bateaux sous leurs ordres et agissant pour leur propre compte,

115décidésà empêcher à tout prix l'établissement de relations diplo-
matiques entre l'Albanie et la Grande-Bretagne, voulant empêcher
par là l'établissement de la paix danscette region troublée. L'histoire
du xxme siècle elle-mêmea connu et connaît de pareils coups de
main.
Donc, l'auteur de ce crime a visétout d'abord les quatre navires
britanniques ; mais il voulait, à mon avis, frapper également

l'Albanie.

II.

Pose desmines par l'Albanie.

La Grande-Bretagne a, en fait, abandonné l'accusation suivant
laquelle l'Albanie aurait elle-même poséles mines, pour prétendre
que c'étaient deux bateaux yougoslaves qui les avaient- posées.
La Grande-Bretagne n'en a pas moins formellement retenu cette
accusation dans la conclusion finalenuméro 2.L'Albanie a présenté
une conclusion (aussi numéro 2) formellement opposéeà la conclu-
sion britannique.
La Cour a constaté dans l'arrêt :

«Bien que dans son exposéoral du 18janvier 1949,ainsique dans
les conclusions finalesues le mêmejour devant la Cour, la sugges-
tion soit reproduite selon laquelle le champ de mines aurait été
mouillépar l'Albanie,c'est un fait que cette suggestiony est plus
guèreénoncée que pour mémoireet aucune preuve n'a étéapportée
à son appui.
Dans cesconditions, il n'y a pas lieu pour la Cour deyattacher
plus longuement. ))
Par cette constatation, la Cour a rejeté, à mon avis, l'accusation
suivant laquelle l'Albanie a, elle-même, poséles mines, mais vu
le fait que la Grande-Bretagne a formellement retenu et répété
cette accusation d'une gravité extraordinaire dans ses conclusions
finales, je pense que l'Albanie avait le droit à une réfutation

formelle de cette conclusion britannique.

III.

Participation de l'Albanieà à pose de mirtes (colEusion,complicité).

L'accusation (et con.clusion) alternative présentéepar la Grande-
Bretagne-est celle de complicité. La Grande-Bretagne a employé
cette expression dans les paragraphes 77 (complicity)et 94 de son
Mémoire (direct complicity). Les faits avancés par la Grande-
Bretagne à l'appui de cette deuxième accusation sont pour la
plupart constitutifs de la complicité. L'arrêt a choisi la notion

« collusion ». Je n'insisterai pas sur la terminologie employée. OPINION DISSIDEXTE DU Dl ECER
II7
En tout cas, il s'agit en l'espèced'une participation au mouillage
des mines, donc à un crime, étant donné-les circonstances de l'inci-
dent du 22 octobre 1946. Mais cette participation (collusioii) de

l'Albanie au mouillage des niines n'a pas étéprouvée. L'arrêt
constate que les faits alléguéspar la Grande-Bretagne pour démon-
trer la colliision entre l'Albanie et la Yougoslavie, mêmedans la
mesure où ils sont établis, n'autorisent aucune conclusion ferme et
continue : a la provenance des mines mouillées dans les vaux
territoriales albanaises reste conjecturale. D'autre part, il va de
soi que l'existence d'un traité ....si intimes que soient lesliens qui

unissent ses signataires, n'autorise aucunement à conclure à leur
participation à un acte criminel. ))Je suis d'accord. Mais cette
constatation n'est qu'un refus partiel dc la deuxième thèse (conclu-
sion) britannique. Cette conclusion ne se limite pas à la coniplicité
albano-yougoslave. Elle ne mentiorine mêmepas la Yougoslavie.
Elle co~iclut à une complicité (collusioii) de l'Albanie avec l'auteur
du n~ouillage, quel qu'il soit. La Grande-Bretagne, il est vrai, n'a

jamais alléguédans ses écritures et dans ses plaidoiries une autre
collusion (complicité) que celle entre l'Albanie et la 170ugoslavie.
Mais dans ses conclusions finales, elle a choisi une formule générale
qui implique la participation de l'Albanie au mouillage effectué
par quiconque. L'Albanie a répondu à cette conclusion britannique
par ses propres coiiclusions no 3 et no 4, par lesquelles elle a demandé
à la Cour de juger qu'aucune coniplicité (collusion) albanaise n'a

étéétablie, sans nomn-ier d'auteur déterminé. Les deux Parties ont
donc demandé à la Cour de décider si la participation (coniplicité
ou collusion) de l'Albanie au nloiiillrige des mines effectuépar qui-
conque a été prouvée.
Illais l'arrêt de la Cour ne vise que la collusion (complicité)
albano-yougoslave. Il laisse par conséquent sans réponse les conclu-
sions dey deux Parties auant à ln collusion (coni~licité)dc l'Albanie
:i\rctcun autre auteur du mouillage. Une réponse dc 1:iCour sur ce

point était d'autant plus riécessnire que - outre lc fait quc les
deux Parties l'ont. demandée - la Cour, elle-même,constate dans
l'arrêt ((que dans l'état présent des inforinations, 1~sauteurs du
mouillage. so~it restés iiicoririus 1).Lc Eiit quv 1':irrêtpassc sous
silviice cette cl)rnplicit6 (collusioil) entrc 1'Alb:init. c,t l'auteur
iiicoiiliu adrnet la conclusioii ciue la Cour n'a wis co:isidi.ri. cvtte
coinplicité (col!uslori) coinme proiivPe 1I:iis vu lcs coriclusioiis

claires et précisesdes dcwx Parties, jc pense que la Cour était
obligtie de constatcbr expvessis ilevbisque 1:i.complicité ou la partici-
pation de l'Albanie ail nnoiiil1;igeeffectuépar lin auteur quelconcliic
n'li pas étéétablie.118 OPINION DISSIDENTE DU D' EGER

La connaissancedu Gouvernementalbanaisdu mozdillage desntines.

I. Le problème.

La troisièmebase juridique de la responsabilité albanaise alléguée
par la Grande-Bretagne est l'omission de la part de l'Albanie de
notifier l'existence d'un champ de mines (puisqu'elle ne pouvait
pas les enlever) ou d'avertir les quatre navires britanniques le
22 octobre 1946, alors qu'elle avait connaissance à ce moment-là
de l'existence du champ de mines.
Le fondenient juridique de la responsabilité albanaise en cette
matière, ce n'est pas la connaissance elle-même,mais l'omission
d'agir. Cette omission suppose naturellement la connaissance.

Pour détern;iiier la responsabilité de l'Albanie sur cette base,
il eîit fallu établir:
a) la connaissance qu'avait l'Albanie de l'existence du champ
de mines ;
b) la possibilité pour l'Albanie d'agir (de notifier le champ de
mines ou au moins d'avertir les navires).

Aucune preuve directe de la connaissance de l'Albanie du champ
de mines n'a étéapportée. Nous nous trouvions dans le domaine
des preuves indirectes, des indices et des présomptions. Les conclu-
sions des experts elles-mêmessont basées sur des indices, des pré-

somptions et des conjectures.
La question seposait de savoir si,après avoir examiné les preuves,
on pouvait arriver à la conclusion que l'ignorance albanaise de
l'existence d'un champ de mines était vraiment impossible, donc
que la connaissance de l'Albanie était judiciairement établie.

2. Observations géneralesconcernant les preuvesindirectes (par
présomptionset indices).
Je rappelle le sage conseil donné aux juges .internationaux par
Sandiffer, Evideace before International Tribunals, Chicago, 1939,

page 3. Il souligne le caractère particulier d'une procédure judi-
ciaire internationale, les conséquencesgraves d'une erreur judiciaire
et conclut : «The vital interests of States, directly concerning the
welfare of thousands of people, may be adversely affected by a
decision based upon a misconcep~ion of facts. » Traduction fran-
$aise : cLes intérêts vitaux des Etats portant directement sur le
bien-être de milliers de personnes, peuvent être défavorablement
touchés par une décisionqui se fonde sur une conception inexacte
des faits.» Et parce que l'acte illicite di1 22 octobre 1946 est en
réalitéun acte criminel, il est utile de rappeler per ancclogiamun
autre conseil sage, cette fois donné par un juriste anglais.

118 Taylor écrit dans son Treatise on the Law of Evidence as admznis-
tcred in England and Ireland, 1920, page Iïj : ((But to affix on
any person a stigma of crime requires a higher degree of assurance,
and juries will not be justified in taking such a step, except on
evidence xvhich excludes from their minds al1 reasonable doubts. 1)

Traduction française : ((Mais pour pouvoir flétrir une personne
d'un crime, il faut êtrebien plus sûr, et les jurys ne seront fondés
à prendre une décision de ce genre que sur la base de témoignages
qui ne laissent subsister dans leur esprit aucun doute raisonnable. ))
Ce conseil a beaucoup plus de valeur lorsqu'il s'agit d'Etats.

a) Les preuves par présomptions.

La question se pose de savoir s'il y a dans le droit international
une présomption juris applicable à la présente affaire. J'ai trouvé
une réponsedans deux ouvrages sur le droit international :Sandiffer,
dans son ouvrage déjà cité Evidence before International Tr~bunals,
Chicago, 1939, page 99, cite Ralston, qui énumère un petit nombre

de présomptions reconnues à son avis par la juridiction interna-
tionale, dont deux, à mon avis, sont applicables à l'affaire presente :

i) « The uniform presumption of the regularity and \.alidity of al1
acts of public officials. ))
Traduction française : a La présomption uniforme de la régularité
et de la validité de tous les actes exercés par dzs fonctionnaires
publics. )>

ii)((The legal presumption ....of the regularity and necessity of
govcrnmental acts. ))

Traduction française : c< La présomption juridique.... de la
régularitéet (le la riecessitédes actes gouvernementaux. 11

Schwarzenberger, International Law, 1945, page 396, nous dit :
I(Still stronger is the presumption that Statesare acting in accord-
ance with international law ....)) Traduction française : <(Plus
forte encore est la présomption que les États agissent conformé-
ment au droit international. 1)

L'auteur fonde cette opinion sur la décisionde la Cour permanente
de Justice internationale dans les cas connus sous le titre German
interests in Upper Silesia, 1926.
Dans cette décision, la Cour permanente traitait la question:
((y a-t-il ou non un abus de droit de la part de l'Allemagne )); ellc

déclara qu'v un tel abus ne peut pas êtreprésumé n.
Je pense donc qu'il y a en droit international en faveur dechaque
État une présomption qui correspond à peu près à la présomption
d'innocence en faveur de chaque individu dans le droit national :
la presumptio iuris qu'un État se comporte en accord avec le droit

international. Donc, un État qui allègue une violation du droit
international par un autre Etat est obligé de prouver que cette
pr6somption ne tient pas dans un cas sptcial, mais il n'est pas 120 OPINION DISSIDENTE DU D' ECER

possible de combattre une présomption de la conduite légale par
une autre présomption.

b) Les fireuves fiar indices.
Il y eut désaccordentre les avocats des deux Parties quant au

degré de certitude qu'une preuve par des indices doit présenter. La
Grande-Bretagne a prétendu qu'il suffit que la conclusion soit au
delà de tout doute raisonnable, ce qui n'exclut pas absolument
une autre conclusion.
Les Albanais ont prétendu que la conclusion tirée des indices
doit êtrela seule possible vu les circonstances.

Je pense qu'une des raisons de ce désaccord était la confusion
faitepar les Parties entre conclusions et hypothèses. Une conclusion

n'est pas une hypothèse, et il est évident que le nombre des hypo-
thèses est plus grand que le nombre des conclusions.
Donc, il suffit,à mon avis, qu'une conclusion tirée des indices
soit la seule conclusion rationnelle étant donné les circonstances
concrètes de l'affaire. Si deux ou plusieurs conclusionsrationnelles
sont possibles, il faut choisir d'après le principe général de droit :
in dubio pro reo.
Quant à la valeur probante des indices, il faut se rendre compte :
a) du danger de la preuve indirecte: ce danger tient au fait que

la conclusion est le résultat d'un raisonnement qui est, l'expé-
rience le prouve, source fréquente d'erreurs ; b) de la nature de la
preuve indirecte : celle-ci a étébien déterminée par Taylor, qui
dit, page 74 de son ouvrage déjà cité A Treatise on the Law of
Evidenceas administeredin England and Ireland, 1920 :

K They [le jury, Dr. E.] must decide not whether these facts
[indices,Dr.El are consistent with the prisoner'sguilt,but whether
they are inconsistent with any other rational conclusion. ))
~raciuction française : « Iis [le jury, Dr E.] doivent décider
non pas si ces faits [indices, Dr E.] peuvent se concilier avec la
culpabilitédes prisonniers, mais bien s'ilsne sont pas incompatibles
avec toute autre conclusion rationnelle. ))

Georges Vidal, parlant dans son Cours de Droit criminel et de
Science pénitentiaire,1935, des conclusions tirées d'indices (qu'il
appelle présomptions), écrit :

« Les jurés et les juges ne doivent accueillir les présomptions
qu'avec une extrêmeprudence et une grande réserve, pour éviter
des erreurs judiciaires trop facile))

Après ces remarques préliminaires, et avec les précautions qui
s'imposent au juge, en ce qui concerne les preuves indirectes, je
passe maintenant à l'examen des preuves de la responsabilité de
l'Albanie sur la base de la connaissance.121 OPINION DISSIDENTE DU Dr ECER

La conclusion de l'arrêtseloii laquelle le mouillage du champ de
mines n'a pas pu échapper à la connaissance du Gouvernement
albanais est fondéesur :
A) la conduite de l'Albanie avant et après la catastrophe du

22 octobre 1946 ;
B) les faits concernant la possibilité d'observer le mouillage des
mines de la côte albanaise.
La connaissance n'étant pas suffisante en soi comme base
juridique de la responsabilité, l'arrêt ajouteune troisième conclusion
concernant le moment où l'Albanie a acquis la connaissance du

mouillage des mines.

ad A. Condz~itede L'Albanie.

La Cour considère comme clairement établi que le Gouvernement
albanais a exercé une vigilance très attentive sur les eaux terri-
toriales du Détroit Nord de Corfou ; mais l'arrêt passe sous silence
un autre fait aussi clairement établipar lestémoignagesdestémoins
albanais, savoir que le système de la vigilance ou de la défense
côtière était très insuffisant. 1,'existence d'un poste de veille
au cap Denta n'a pas étéétablie. Cela prouve l'insuffisance du
système alhanais de vigilance en ce qui concerne précisément
l'incident qui fait l'objet de l'affaire.

L'arrêt omet également de dire que cette insuffisance de la
vigilance a Cté admise par la -Grande-Bretagne. Le représentant
de la Grande-Bretagne a en effet admis dans sa plaidoirie finale
que les autorités locales aient pu ignorer le mouillage.
L'arrêtse réfèreaussi aux notes du Gouvernement albanais dans
lesquelles ce Gouvernement a témoignésa volonté d'exercer une
surveillance jaloiise sur ses eaux territoriales. Les notes ne prouvent
rien da plus que !e fait que le Gouvernement albanais a insisté sur
son droit de réglementer ~t meme d'interdire aüs navires étrangers
l'entrée des eaux territoriales albanaises sans la permission du
Gouvernement albanais.
Ce Gouvernement était convaincu qu'il possédait ce droit, il a
donc insisté dans les notes sur son droit ;le gouvernement de tout
État aurait agi de même,et or, ne saurait rien déduire de cette
conduite, qui est même pour chaque gouvernement un devoir

envers son peuple. Mais mêmesi les gardes-côtes avaient exercé
une surveillance étroite, cette constatation ne suffirait pas pour
justifier la conclusion que l'ignorance du Gouvernement albanais
était a firiori peu vraisemblable.
Puis l'arrêt se réfère au témoignage du capitaine Ali Shtino.
On lit dans l'arrêt :« La Cour a également pris note de la réponsedu capitaine Ali Shtino à une question posee par elle, r6ponse d'où
ressort que le témoin, appeléà remplacer pendant 13ou Ij jours
le commandant de la défense côtière à une époque qui a précédé
immédiatement les événementsdu 22octobre, avait reçu la consigne
suivante :« Que les postes de guet devaient me rendre compte
((de tous les mouvements [dans le canal de Corfou] et qu'aucune
I(mesure ne serait prise de notre par».))
La valeur attribuée par l'arrêt à la réponse du capitaine Shtino
ne ressort pas clairement de cette citation.Le lecteur de l'arrêt
peut seulement deviner que la Cour a interprété cette réponse
comme indiquant un changement dans un ordre précédent qui

aurait pu gêner les mouilleurs de mines, donc un contre-ordre donné
aux gardes-côtes dont le but était de ne pas gêner les mouilleurs
de mines. Mais cette interprétation n'est pas justifiée. Si on lit le
témoignage du capitaine Shtino, on peut constater tout de suite
que lepassage de ce témoignageseréfèreàl'incident du15mai 1946.
Le capitaine Shtino était interrogé sur l'incident où la batterie
albanaise a tirédansla direction des navires britanniquAspropos
de cet incident, il déposa qu'au cours de son remplacement tem-
poraire du commandant de la défense quelques jours avant le
22 octobre1946 ,elui-ci lui dit que le poste devaitluirendre compte
de tous les mouvements dans le chenal et qu'aucune mesure ne
serait prise. 11est évident d'aprèsle contexte que le témoin pensait
au tir des canons du15 mai 1946 ;il voulait dire par là que l'ordre
avait étédonnéde ne prendre aucune mesure pour éviterla répéti-

tion de l'incident du5 mai 1946.

Quant aux télégrammes adresséspar l'Albanie le13 et27 novem-
bre 1946 au Secrétaire général desNations Unies, les conclusions
que tire l'arrêt de ces deux télégrammes semblent mal fondées.
Si l'on se borne aux preuves qui font partie du dossier, il faut se
rendre compte que l'Albanie a appris, pour la première fois, la
découverte d'un champ de mines par la note de la Grande-Bretagne
du 9 décembre 1946 .r, danscette note, la Grande-Bretagne accuse
déjàl'Albanie d'avoir poséles mines ou d'avoir étécomplice de la
pose des mines. L'Albanie répondit 21 décembre 1946 .xprimant
son profond regret, elle stigmatisa la pose des mines comme un
acte inhumain, mais naturellement elle a refusél'accusation suivant

laquelle c'était elle qui avait posédes mines ou qui avait causéla
pose des mines. 11apparaît donc touà fait naturel que pour 1'Alba-
nie il s'agissait en premier lieu de se défendrecontre une accusation
d'ordre criminel. Elle a protesté près de la Grande-Bretagne, et
cette protestation suffit mon avis.
Ne pouvant protester auprès d'un État inconnu, elle a protesté
auprès de la Grande-Bretagne, qui avait formulé l'accusation.
Il semble que l'arrêt attribue une grande importance au fait
que l'Albanie a omis de notifier la présence du champ de mines
après la découverte par les Britanniques le3 novembre 1946 L.e

122123 OPINION DISSIDENTE DU Dr ECER

lecteur de l'arrêtpeut avoir l'impression que cette omission après
le 13 novembre 1946 est un indice additionnel de la connaissance
du champ de mines de la part de l'Albanie : cette interprétation
n'est pas justifiée.l faut prendre en considération le fait suivant :
la Grande-Bretagne a envoyé à l'Albanie le IO novembre 1946 une

note par laquelle elle a fait savoir au Gouvernement albanais que
le déminage serait effectué le 12 novembre, et que ce déminage
avait étérecommandé àl'unanimité par le Centrai Mine Clcarance
Board le lernovembre.
Les fonctions de cette agence formée par les grandes Puissances
par l'Accord du 22 novembre 1945, sont exposées à l'aiinexe 3
du Mémoirebritannique. Au paragraphe 6 de cette annexe, une des
fonctions de cette agence centrale a étéspécifiée comme suit :

(i) to promulgate reports on experience gained in the course of
operations.

On a donc créépour cette tâche un bureau spécialdont la fonction
est décrite dans le paragraphe IO du Mémoirebritannique et dans
Lesparagraphes 13 à 16 de l'annexe 3 au Mémoirebritannique ;de
toutes ces dispositions, il ressort que la responsabilité de la noti-
fication du champ de mines découvert au cours des opérations de
déminageincombait au Cr~mitécentral à Londres et à ses agences.
D'où l'on peut conclure que l'Albanie, qui connaissait les fonctions
de cette agence centrale par les documents qu'elle reçut d'octobre

1945 à octobre 1946 (voir paragraphe IO du Mémoirebritannique)
ne considérait pas de son devoir de notifier la découverte du champ
de mines parce que c'était la tâche du Comité central à Londres.
On ne saurait donc interpréter cette omission comme un indice
additionnel de la connaissance albanaise.
Hormis le fait que l'Albanie n'a appris que par la note britan-
nique du 9décembre1946qu'un champ de mines avait étédécouvert
le 13novembre 1046, les indices indiqués dans l'arrêt concernant
la conduite albanaise peiivent parfaitement se concilier avec
l'ignorance albanaise du mouillage des mines. Mais l'arrêt passe

sous silence d'autres indices, établisparla procédure, et quiamènent
à la conclusion contraire, c'est-à-dire à la conclusion que l'Albanie
n'avait pas connaissance du champ de mines.
L'arrêt passe sous silence le fait que l'Albanie a donné son
consentement de principe au déminage annoncé par la Grande-
Bretagne dans sa note du IO novembre 1946, et proposé une
commission mixte pour détermine1 la place de cette opération
(la Grande-Bretagne n'a pas répondu) ; enfin, que mêmela Grande-
Bretagne a admis que les autorités locales albanaises aient pu
ignorer le mouillage. Donc, si l'arrêtarrive à la conclusion que la

conduite albanaise avant et après la catastrophe est une preuve
(indirectenaturellement) de la connaissance albanaise, c'estpar un
raisonnement qui est en contradiction avec la règle g6nérale du
133 I24 OPINION DISSIDENTE DU Dr ECER

droit concernant l'appréciation des indices. J'entends par là la
règle que j'ai citée plus haut (p. 119, Taylor).
A mon avis, les indices énumérés dans l'arrêt concernant la
conduite albanaise ne prouvent en aucune manière que l'Albanie
ait eu connaissance de l'existence du champ de mines. Mais, même
si, per inconcesstr~n,on admettait que ces indices justifient cette
conclusion, il faudrait ajouter qu'ils justifient aussi la conclusion
contraire. Dans le cas où deux ou plusieurs conclusions rationnelles
sont possibles, il faut choisir l'une ou l'autre d'après le principe
généraldu droit E*zhbio pro reo. Mais les indices que l'arrêtpasse
sous silence et que j'ai indiquésci-dessus font fléchirla balance en
faveur de la conclusion que l'Albanie ne connaissait pas l'existence
du champ de mines.

ad B. Possibilitéd'obsefivztio?zs.

La deuxième sériedefaits indiquéspar l'arrêtcomme permettant
de conclure à la connaissance concerne la possibilité d'observer le
mouillage dela côte albanaise. L'arrêtcommence par trois considéra-
tions de la Cour et ajoute ensuitene analyse du rapport des experts.

a) Les trois co~rsidérafio~dte la Cotir :

aa) La configuration géographique de la baie de Saranda et du
chenal prouve d'après l'arrêt que le mouillage d'un champ de
mines n'a guère pu échapper à la vigilance du commandement
côtier albanais. Mais, du point de vue géographique, la meilleure
position pour observer tout ce qui se passe dans les eaus dont il
s'agit dans cette affaire était la pointe Denta: c'est en face du cap
Denta que le mouillage a étéeffectué. Or, aucun poste de veille
n'existait au cap Denta, l'arrêt l'admet. Par conséquent,la confi-
guration géographique en l'absence d'un poste de veille au point
géographiquement le plus important ne permet pas la conclusion

citéeci-dessus.
bb) Le temps nécessaire pour l'opération du n~ouillage était
suffisant, d'après l'arrêt, pour attirer l'attentioil des postes
d'observation placés au cap Kiephali ou au monastère Saint-
Georges. C'est là pure conjecture. Si le mouillage a étéeffectuédans
des conditions favorables, peut-être pouvait-il êtreobservé, mais
si le mouillage a étéeffectuépendant la nuit, dans des conditions
défavorables (temps nuageux et pluvieux, etc., comme indiqué
dans le Mediterranean Pilot pour le mois d'octobre 1946), il est
sûr qu'il n'a pas pu être observé.Le moment du mouillage n'a pas
étéétabli, et n'a pas pu l'êtreau cours des débats ; on ne sait donc
rien sur les conditions atmosphériqiies du n~ouillage, et la conclu-
sioii de I'arrêtsur ce point est fondéesur depures conjectures.12.5 OPINION DISSIDENTE DU Dr ECER

cc) Si l'arrêt cite à l'appui de sa conclusion la distance de la
côte à laquelle les navires mouilleurs de mines ont dû passer, il
faut garder présent à l'esprit le fait qu'il n'y avait aucun poste
d'observation au cap Denta. En outre, si même lesnavires mouil-
leurs de mines avaient étéobservés,cela ne signifie pas encore que
l'opération de mouillage l'eût été ! Il faut en effet distinguer le
passage des mouilleurs de mines de l'opération du mouillage.

b) Expertise.
Enfin, la Cour analyse les rapports des experts oh elle voit la
confirmation de la conclusion que l'Albanie a eu connaissance du

mouillage.
Dans leur premier rapport, les experts se sont occupés de la
visibilitéet de l'audibilitédu mouillage. Dans leur deuxièmerapport,
ils se sont bornés à traiter seulement de la visibilité du passage
des mouilleurs de mines d'une part et du mouillage d'autre part.

En ce qui concerne l'audibilité du mouillage, la conclusion à
laquelle les experts sont arrivés dans leur premier rapport est
sous toutes réserves. Ils ont déclaré quedans des conditions moins
favorables, il serait toutefois impossible d'entendre l'opération,
et ils ajoutaient mêmeune phrase très importante pour toute la
question d'observation :« nous ne possédonspas de renseignements

suffisants quant aux conditions dans lesquelles ont étéposées les
mines pour pouvoir donner une réponseplus précise ».Mais, même
au cours de leur enquêtesur place, il ne leur fut pas possible d'obtenir
de plus amples renseignements.
Le travail des experts s'est donc concentré sur le problème
de la visibilité. Dans le premier rapport, la conclusion en ce qui
concerne la visibilité est imprécise. Dans le deuxième ra~port,
les experts sont plus catégoriques. Leur conclusion est citée dans
l'arrêt. Si on la lit attentivement, on constate que cette réponse
n'est catégorique qu'en apparence. En réalité,la réponsedes experts
est, malgré sa forme catégorique, aussi conditionnelle que celle
du premier rapport. Leurs conclusions reposent sur cinq faits,
dont deux : l'existence d'un poste de veille au cap Denta et les

conditions atmosphériques normales au moment du mouillage,
ne sont pas établis. Ces deux faits ou conditions, joints aux trois
autres, forment la base unique des conclusions des experts. Si une
de ces conditions n'est pas établie, toute la base s'effondre. L'arrêt
admet que l'existence d'un poste de veille au cap Denta n'a pas
étéétablie. Les conditions atmosphériques n'ont étéétablies que
pour le mois d'octobre ; elles étaient, à cette époque, défavorables.
Si le mouillage a étéeffectuéavant le mois d'octobre, ce que la
Cour n'a pas réussi à établir, les conditions de ce mouillage,à un
moment inconnu, restent inconnues elles aussi. Donc, les conclu-
sions des experts concernant la visibilité du mouillage n'apportent 126 OPIXIOX DISSIDENTE DU Dr ECER

aucune preuve judiciaire établissant que 1'ignorai:ce du n~ouillage
de la part de l'Albanie était impossible.

Si même 011 accepte la conclusion de l'arrêt que les gardes-
côtes ont nécessairement observéle mouillage, cela n'est pas encore
suffisant pour établir la responsabilité de l'Albanie. L'arrêt donc,

avec raison, s'occupe de la question du moment où les autorités
albanaises ont acquis la connaissance du ,mouillage :il est, comme
je l'ai indiqué, tout à fait impossible d'établir ce moment d'une
fayon qu'on pourrait appeler judiciairement probante. La Cour
base sa conclusion concernant le moment où l'Albanie a acquis
la connaissance du mouillage sur une conjectiire.

L'arrêtaccepte comme limiteextrême la nuit du 21 au 22octobre
1946. Dans ce cas-là, comme l'arrêtl'admet, il eût étéimpossible
i l'Albanie de notifier le champ de mines à la navigation de tous
les États, mais, toujours d'aprèsl'arrêt,il eût étépossible d'avertir

les navires britanniques qui furent signalés au commandement de
la défensecôtière vers13 heures le22 octobre. Il faut donc supposer
que le commandement de la défense côtière avait, à 13 heures le
22 octobre 1946,la connaissance du champ de mines. Le comman-
dant qui, à cette époque-là, était le capitaine Shtino,a telnoigné
del-ant la Cour qu'il n'avait auciine connaissance d'un champ de
mines dans le chenal de Corfou. L'arrêt ne traite absolument pas
tfe ce témoignage, sans essaver pour cela de démontrer qu'il n'est
pas digne de foi. On y suppose seii ement que le commandernent
avait, à ce moment, la connaissancc du champ de mines, simple
conjecture qu'aucun indice ne vient corroborer.

Pour les raisons indiquées ci-dessus, je ne peux pas accepter

conclusion de l'arrêtque le mouillage di1champ de mines, qui a
-ovoquéles explosions du 22 octobre 1946, n'a pas pu échapper à
connaissance du Gouvernement albanais.
Je pense que cette conclusion, loin d'êtrefondéesur des indices
bien établis, ne s'appuie que sur des présomptions et mêmedes
conjectures.
J'en arrive donc aux conclusions suivantes :

A) La connaissance du Gouvernement albanais di1 mouillage des
mines n'a pas étéjudiciairement établie.
A l'appui de cette conclusion, j'invoque les raisons acidition-
nelles que voici :
a) La Grande-Bretagne a admis dans la plaidoirie de sir Frank
Soskice que les autorités locales pouvaient ignorer le mouillage.
b) Si l'Albanie avait vraiment eu connaissance de la présence
des champs de mines, elle aurait pu enlever les mine; elle disposait

126 127 OPINION DISSIDENTE DU Dr ECER

de près de trois semaines, du 22 octobre au 13 novembre, pour
faire disparaître les traces de ce crime dont elle avait connaissance
aux dires de la Grande-Bretagne.
c) C'est un fait établi qu'e1946 ,vant l'incident du22 octobre,
l'Albanie désirait l'établissement de relations diplomatiques avec
la Grande-Bretagne. Les négociations étaient en cours. L'incident
du 22 octobre 1946 a naturellement anéanti ces efforts. Mais je suis
convaincu que si le Gouvernement albanais avait eu connaissance
du mouillage des mines (posées dans l'intention manifeste de
provoquer un incident et, par-là, de faire échouer les négociations),
il aurait fait tout son possible pour empêcherle mouillage ou, au

cas où la chose se fût avéréeimpossible, pour le notifier ou au moins
en avertir les navires.
d) La conclusion suivant laquelle l'Albanie avait connaissance
du mouillage est en réalitéune présomption de fait. Elle ne suffit
pas pour annuler la présomption légaledu droit international qui
veut que les Etats agissent conformément au droit international.

B) Au cas mêmeoù on admettrait la conclusion que l'Albanie avait
eu connaissance du mouillage, il resteà établir les faitsdéterminant
le devoir d'agir. En premier lieu, le moment où l'Albanie a acquis
la connaissance, donc le fait que les gardes-côtes ont informé leurs
supérieurs et, par leurs supérieurs, le Gouvernement albanais, en
temps utile, de façon que le Gouvernement fût en mesure d'envoyer

notification ou que les supérieurs puissent ordonner d'enlever les
mines ou d'avertir les navires britanniques le 22 octobre 1946.

Ce sont là des faits qui n'ont pas Ctédiscutés aux débats ni
établis.

Les règlesde droit.

Dtins l'enseinble, je suis d'accord avec l'ai~êtsur la question
du droit. Mais vu la tendance de la plaidoirie inaugurale de la
Grande-Bretagne à tirer certaines conclusions juridiques (d'ailleurs
rejetées par l'arrêt) du fait que le champ de mines a étémouillé
dans les eaux territoriales albanaises, je pense que peut-être il
serait utile de dire dans'arrêtexfiressisverbis que la responsabilité
d'un État suppose de sa part soit dolus soit culpa. Je me réfèresur
ce point à Oppenheim-Lauterpacht, The Internationnl Law, 1948,
p. 311 :128 OPINION DISSIDENTE DU D' EGER
«An Act of a State injurious to another State is nevertheless
not an international delinquency if committed neither wilfully and
maliciously nor with culpable negligence. 1)

Traduction francaise: Un acte commis par un État qui porte
préjudice aun autre État n'est pas néanmoinsun délit international
s'il a étécommis sans intention de nuire et sans négligencecou-
pable. ))

VI.

La compétence de la Cour de fixer le montant de la réfiaration.

Ma réponse à cette question est la suivante :
a) Il faut s'en tenir strictement aux termes du compromis,parce
que ce compromis représente les petita des Parties.
b) Dans ce compromis, les Parties ont demandé à la Cour de
tlétermirier si l'Albanie est ou non tenue de payer des réparations.
Les deux Parties n'ont pas demandé à la Cour de fixer la somme
des réparations.
c) Les Parties ont présenté à la Cour une demande de prononcer
un jugement déclaratoire. Elles n'ont pas demandé à la Cour de

condamner unt Partie à une prestation. Cette demande est analogue
aux actions déclaratoires du droit interne.
En conséquence, j'estime que la Cour n'est pas compétente.

Deuxième partie du compromis.

Les actions de la marine britannique le 22 octobre1946.

S. Le droit de passage desnavires de guerre$ar des détroits.
L'arrêt exprime l'opinion que l'État riverain ne possède pas

le droit d'interdire le passage innocent par les détroits en temps
de paix et que, par conséquent, l'Albanie, eu égard à des cir-
constances exceptionnelles dans le Détroit Nord de Corfou, aurait
étéfondée à réglementer le passage de navires de guerre par le
Détroit sans toutefois l'interdire ni l'assujettirà une autorisation
spéciale.
Je doute que cet argument soit bien fondé. En tout cas, en
1946,,il n'y avait aucune règleprécise en cette matière. La pratique
des Etats était tellement variée que l'on ne pouvait y voir la
preuve de l'existence d'une telle norme. La doctrine, elle aussi,

était complètement divisée. Rien n'était donc sûr. La Grande-
Bretagne pouvait invoquer de bonnes raisons pour justifier sa
position juridique, mais l'Albanie pouvait, elle aussi, invoquer
des raisons suffisantes pour justifier sa position juridique, sauf
12s129 OPINION DISSIDENTE DU D' ECER
naturellement l'argument présenté dans la communicatioil de

l'état-major albanais du 17 mai 1946 concernant tous les navires
étrangers, même lesnavires de commerce. La situation en droit,
lors de l'incident du 22 octobre 1946, était donc tout à fait
confuse en ce qui concerne le droit de passage. J'estime que dans
un cas pareil il faut appliquer par analogie la règle généralede
droit in dubio pro reo.

2. Les actions de la marzne britannique.

Il faut, selon moi,-appliquer. au passage des navires britanniques
le 22 octobre deux critères :un critère subjectif (intention) et un
critère objectif (les modalités du passage).

a f Critère subjectz.
En ce qui concerne le critère subjectif, nous nous trouvons ici
en présence d'un indice grave. C'est l'existence d'un ordre XCU
qui rkglait le passage des quatre navires britanniques le 22 octobre
194.6.La Grande-Bretagne a refusépour des raisons de sécurité de
produire cet ordre. La Cour a le droit de tirer des conclusions de ce

refus. On a essayé d'en donner une explication naturelle; l'ordre
n'avait d'autre but que de prévenir la répétition de l'incident du
15 mai 1946. Mais si l'ordre XCU n'avait que ce but, pourquoi le
cacher ? Ce but était tout à fait légitime. Il n'y avait aucune raison
de cacher un but tout à fait légitime devant la Coiit. Donc, à mon
avis, ce refus est un indice contre la Grande-Bretagne, et il pourrait
justifier la présomption ou la conclusion que la Grande-Bretagne
avait, le 22 octobre, une autre intention que de faire l'expérience
de son droit de passage.
Cependan-t, cette conclusion se heurte à la presumptio juris du
droit international que j'ai indiquée *aux pages 120 et 121 :pré-
somption de la conduite légale d'un Etat.
Cette présomption est forte ; elle ne peut pas être anéantie par

un seul indice, tel que le refus de la Grande-Bretagnede commu-
niquer l'ordre XCU à la Cour.
Le refus de la Grande-Bretagne de coinmuniques l'ordre XCU
à la Cour provoque des soupçons quant à l'intention de la Grande-
Bretagne concernant le passage du 22 octobre, mais c'est seulement
un indice qui n'apporte pas une preuve judiciaire et qui ne peut
pas contredire la présomption que la Grande-Bretagne avait des
intentions tout à fait légales.

b) Critère objectif

Je pense que le nombre de navires etait excessif. La Grande-
Bretagne pouvait faire un test avec un navire ou deux, mais quatre
navires de guerre donnaient au passage l'apparence d'une démons-
tration navale, comportant un élémentd'intimidation et même
d'abus du droit de passage.I3o OPINION DISSIDENTE DU Dr EGER

3. Conclusions.
a) En 1946, il n'y avait aucune règleclaire de droit international

coutumier concernant le droit de passage d'un navire de guerre
par les détroits. La situation juridique était douteuse ; chacune des
deux Parties pouvait invoquer pour son attitude respective des
arguments suffisants.
b) Je ne pense pas qu'il ait été judiciairement établi que le
passage effectuépar les quatre navires britanniques le 22 octobre
1946 était offensif du point de vue du critère subjectif (intention).
Il comportait un élémentd'intimidation et d'abus du droit du
point de vue du critère objectif. Il pouvait apparaître aux autorités
de l'Albanie et à sa population comme une démonstration de force.
Maismêmesi on admet cela, le passage du 22 octobrereste dépourvu

du caractère de passage offensif qui constituerait une violation de
la souveraineté albanaise, en l'absecce de preuve judiciaire d'une
intention offensive.

II.

OPérahio?t Retail n, 12-13 +zooelnbr1 e946.

Je suis d'accord sur la décisionde l'arrêt.Mais j'ajoute qu'à
mon avis l'opération ((Retail ))constituait une intervention, sinon
dans le sens politique, du moins dans le sens pdicier ou judiciaire.
En réalité,la marine britannique s'est substituée aux autorités
policières ou judiciaires albanaises pour accomplir une action qui
était une enquête quasi judiciaire ou policière dans les eaux terri-
toriales albanaises, donc une action rigoureusement interdite par
le droit international.

J'estime en outre que l'arrêt devrait aussi invoquer parmi les
arguments de sa décision lesdispositions de la Charte des Nations
Unies, en particulier, l'article 2, paragraphe 4, et l'article 42.
La mission de la Cour internationale, en sa qualité d'instrument
juridique des Nations Unies, est plus large que la mission d'une
Cour interne. Une Cour nationale est appeléeàappliquer stri-t ement
le droit, rien de plus. La cohésionde la communauté nationale est
assurée par d'autres moyens. La jurisprudence nationale n'a pas
pour cette cohésionde la communauté nationale l'importance que
revêtla juridiction internationale pour la cohésion de la commu-

nauté internationale. Donc, la tâche de la Cour internationale est
de contribuer à cimenter la cohésion de la communauté inter-
nationale. L'instrument de la cohésion de la conimunauté inter-
nationale est la Charte des Nations Unies, véritable loi interna-
tionale qui a sa source dans les exigences nouvelles de la vie
internationale et de la conscience juridique des peuples. Par la
référence aus dispositions de la Charte, l'autorité de l'arrêt et131 OPINION DISSIDENTE DU Dr &ER
l'autorité de la Cour en tant qu'organe juridique des Nations
Unies seraient renforcées.
En se référant à la Charte des Nations Unies, l'arrêtsoulignerait
la mission suprêmede la Cour internationale de Justice que voici :

Contribuer par sa juridiction, non seulementà assurer le dévelop-
pement du droit international dans le sens technique, mais aussi
à renforcer les relations pacifiques entre les nations du monde
et, par suite, concourir au maintien de la paix.

Bilingual Content

OPINION DISSIDENTE DU Dr B. ECER

Première partie du compromis.

1.

Caractèrecrimineldel'incidentdu22 octobre1946.

Les deux Parties ont stigmatisé l'incident 22 octobre 1946 en
le qualifiant de crime. Toutefois, la Cour internationale de Justice
n'est pas une cour pénale. Le compromis ne l'a pas chargée de
décidersi l'Albanie a commis ce crime ou si elle a participé comme
complice à sa commission. Le compromis oblige la Cour à se pro-
noncer surla responsabilité de l'Albanie selon le droit international,
sans, par conséquent, la caractériser comme une responsabilité
criminelle ou non criminelle (civile).Cependant, la Grande-Bretagne
a fondéen première place ses conclusions concernant la responsa-
bilité albanaise sur l'allégation que l'Albanie a posédes mines ou
a participé comme complice à la pose de mines, donc sur une véri-
table accusation d'ordre criminel.
Je considère l'incident du 22 octobre 1946 comme un crime
international abominable, très proche d'un acte de terrorisme
suivant la définition de la Convention pour la prévention et la
punition du terrorisme, en date du 16 novembre 1937, qui n'a
malheureusement pas étératifiée.
Il n'est pas douteux selon moi que cette action ait étépréparée,
organiséeet exécutéeen vue de troubler la paix dans la mer Adria-
tique et de troubler les relations pacifiques entre la Grande-Bretagne

et l'Albanie.
Il est un fait établi par la procédure que l'Albanie et la Grande-
Bretagne désiraient en1946 avant l'incident du22octobre, établir
des relations diplomatiques. Jeme réfèreà la note albanaise du
21 mai 1946 et au télégrammede l'Amirauté britannique au com-
mandant en chef de la flotte méditerranéenned21 septembre 1946.
Les deux Etats négociaient l'établissement de relations diploma-
tiques. Ces négociations n'étaient pas un secret. Il est clair pour
moi que les hommes d'Etat de l'Albanie ne pouvaient vouloir
réaliser l'établissementde relations diplomatiques avec la Grande-
Bretagne par un attentat contre lesnavires britanniques, soit qu'eue
participât à la commission de cet attentat, soit par omission, en
négligeant de l'empêcherau moyen d'un avertissement aux navires.
Donc, la conclusion logique s'impose qu'il existait quelqu'un, peut-
êtreun Etat, peut-êtreun groupe d'aventuriers militaristes ayant
des bateaux sous leurs ordres et agissant pour leur propre compte,

115 DISSENTING OPINION BY DR. ECER.
[Traitsldion .]

Part 1 of the SpeQal Agreement.

Criminal character of the incident on Octoberzznd, 1946.

Both the Parties have stigmatized the incident of October zznd,
1946, as a crime. However, the International Court is not a
criminal court. The Special Agreement did not ask it to decide
whether Albania had committed this crime, or had participated
in its commissicn as an accomplice. The Special Agreement
requires the Court to give judgment asto Albania's responsibility
in international law, that is to say without describing it either as
a criminal or as a non-criminal (civil) responsibility. But Great

Britain has founded her submissions in regard to Albania's respon-
sibility primarily on the allegation that Albania laid the mines or
took part as an accomplice in laying them, i.e., on an accusation
of a definitelycriminal character.
1 regard the incident of October zznd, 1946, as an abominable
international crime, very close to an act of terrorism as defined by
the Convention for the Prevention and Punishment of Terrorism,
dated November 16th, 1937, a convention which has unfortunately
never been ratified.
In my view there is no doubt that this action was prepared,
organized and carried out with a view to disturbing the peace in
the Adriatic and the peaceful relations between Great Britain and
Albania.
It is a fact that has been established during the proceedings
that Albania and Great Britain were desirous in 1946, before
the incident of October 22nd, of establishing diplomatic relations.
1 refer to the Albanian note of May zrst, 1946, and to the British

Admiralty's telegram to the Commander-in-Chief of the Mediter-
ranean Fleet dated September zrst, 1946. The two States were
negotiating for the establishment of diplomatic relations. The
negotiations were not secret. 1 am convinced that the Albanian
statesmen could not have been intending to effect an establish-
ment of diplomatic relations with Great Britain by an attack upon
the British ships, either by participating in the commission ofuch
an attack or by failing to prevent it, by warning the ships. The
logical conclusion must be that there was somebody-perhaps a
State, or perhaps a group of militarist adventurers having ships
at their disposa1 and acting on their own behalf, who were resolved,décidésà empêcher à tout prix l'établissement de relations diplo-
matiques entre l'Albanie et la Grande-Bretagne, voulant empêcher
par là l'établissement de la paix danscette region troublée. L'histoire
du xxme siècle elle-mêmea connu et connaît de pareils coups de
main.
Donc, l'auteur de ce crime a visétout d'abord les quatre navires
britanniques ; mais il voulait, à mon avis, frapper également

l'Albanie.

II.

Pose desmines par l'Albanie.

La Grande-Bretagne a, en fait, abandonné l'accusation suivant
laquelle l'Albanie aurait elle-même poséles mines, pour prétendre
que c'étaient deux bateaux yougoslaves qui les avaient- posées.
La Grande-Bretagne n'en a pas moins formellement retenu cette
accusation dans la conclusion finalenuméro 2.L'Albanie a présenté
une conclusion (aussi numéro 2) formellement opposéeà la conclu-
sion britannique.
La Cour a constaté dans l'arrêt :

«Bien que dans son exposéoral du 18janvier 1949,ainsique dans
les conclusions finalesues le mêmejour devant la Cour, la sugges-
tion soit reproduite selon laquelle le champ de mines aurait été
mouillépar l'Albanie,c'est un fait que cette suggestiony est plus
guèreénoncée que pour mémoireet aucune preuve n'a étéapportée
à son appui.
Dans cesconditions, il n'y a pas lieu pour la Cour deyattacher
plus longuement. ))
Par cette constatation, la Cour a rejeté, à mon avis, l'accusation
suivant laquelle l'Albanie a, elle-même, poséles mines, mais vu
le fait que la Grande-Bretagne a formellement retenu et répété
cette accusation d'une gravité extraordinaire dans ses conclusions
finales, je pense que l'Albanie avait le droit à une réfutation

formelle de cette conclusion britannique.

III.

Participation de l'Albanieà à pose de mirtes (colEusion,complicité).

L'accusation (et con.clusion) alternative présentéepar la Grande-
Bretagne-est celle de complicité. La Grande-Bretagne a employé
cette expression dans les paragraphes 77 (complicity)et 94 de son
Mémoire (direct complicity). Les faits avancés par la Grande-
Bretagne à l'appui de cette deuxième accusation sont pour la
plupart constitutifs de la complicité. L'arrêt a choisi la notion

« collusion ». Je n'insisterai pas sur la terminologie employée. DISSENTING OPINION BY Dr. ECER 116

at any price, to prevent the establishment of diplomatic relations
between Albania and Great Britain-who wished to prevent
the attainment by that means of peace in that disturbed region.
History, even in the twentieth century, has furnished examples

of such lawless acts.
The perpetrator of this crime directed his attempt primarily
against the four British ships, but, in my opinion, he also wished
to strike against Albania.

II.

The laying of mines by Albania.

Great Britain has virtually abandoned the charge that Albania
herself laid the mines and now alleges that two Yugoslav ships
laid them. Nevertheless, Great Britain formally maintained that
charge in No. 2 of her final submissions. Albania submitted a
conclusion (also numbered 2) definitely contrary to the British
submission.

The Court has stated in its Judgment :

"Although the suggestion that the minefield waslaid by Albania
was repeated in the United Kingdom statement in Court on
January 18th, 1949, and in the final submissions read in Court
on the same day, this suggestion was in fact hardly put forward
at that time except pro memoriaeand no evidence in support was
furnished.
In these circumstances, the Court need pay no further attention
to this matter."
By this declaration, the Court has, in my opinion, rejected
the accusation to the effect that Albania had herself laid the
mines ; but, in view of the fact that Great Britain has definitely
maintained and repeated this extremely grave accusation in her
final submissions, 1 consider that Albania was entitled to have
this British submission explicitly contradicted.

III.

Participation of Albania in the mklaying (colluSion,complicity).

The alternative accusation (and submission) presented by Great
Britain is that of complicity. Great Britain employed that term
in paragraphs 77 (complicity) and 94 of her Mernorial (direct
complicity). The facts adduced by Great Britain in support of
this second accusation for the most part constitute complicity.
The Judgment has preferred the notion of "collusion". 1 am not
particularly concerned wit h the terminology.
116 OPINION DISSIDEXTE DU Dl ECER
II7
En tout cas, il s'agit en l'espèced'une participation au mouillage
des mines, donc à un crime, étant donné-les circonstances de l'inci-
dent du 22 octobre 1946. Mais cette participation (collusioii) de

l'Albanie au mouillage des niines n'a pas étéprouvée. L'arrêt
constate que les faits alléguéspar la Grande-Bretagne pour démon-
trer la colliision entre l'Albanie et la Yougoslavie, mêmedans la
mesure où ils sont établis, n'autorisent aucune conclusion ferme et
continue : a la provenance des mines mouillées dans les vaux
territoriales albanaises reste conjecturale. D'autre part, il va de
soi que l'existence d'un traité ....si intimes que soient lesliens qui

unissent ses signataires, n'autorise aucunement à conclure à leur
participation à un acte criminel. ))Je suis d'accord. Mais cette
constatation n'est qu'un refus partiel dc la deuxième thèse (conclu-
sion) britannique. Cette conclusion ne se limite pas à la coniplicité
albano-yougoslave. Elle ne mentiorine mêmepas la Yougoslavie.
Elle co~iclut à une complicité (collusioii) de l'Albanie avec l'auteur
du n~ouillage, quel qu'il soit. La Grande-Bretagne, il est vrai, n'a

jamais alléguédans ses écritures et dans ses plaidoiries une autre
collusion (complicité) que celle entre l'Albanie et la 170ugoslavie.
Mais dans ses conclusions finales, elle a choisi une formule générale
qui implique la participation de l'Albanie au mouillage effectué
par quiconque. L'Albanie a répondu à cette conclusion britannique
par ses propres coiiclusions no 3 et no 4, par lesquelles elle a demandé
à la Cour de juger qu'aucune coniplicité (collusion) albanaise n'a

étéétablie, sans nomn-ier d'auteur déterminé. Les deux Parties ont
donc demandé à la Cour de décider si la participation (coniplicité
ou collusion) de l'Albanie au nloiiillrige des mines effectuépar qui-
conque a été prouvée.
Illais l'arrêt de la Cour ne vise que la collusion (complicité)
albano-yougoslave. Il laisse par conséquent sans réponse les conclu-
sions dey deux Parties auant à ln collusion (coni~licité)dc l'Albanie
:i\rctcun autre auteur du mouillage. Une réponse dc 1:iCour sur ce

point était d'autant plus riécessnire que - outre lc fait quc les
deux Parties l'ont. demandée - la Cour, elle-même,constate dans
l'arrêt ((que dans l'état présent des inforinations, 1~sauteurs du
mouillage. so~it restés iiicoririus 1).Lc Eiit quv 1':irrêtpassc sous
silviice cette cl)rnplicit6 (collusioil) entrc 1'Alb:init. c,t l'auteur
iiicoiiliu adrnet la conclusioii ciue la Cour n'a wis co:isidi.ri. cvtte
coinplicité (col!uslori) coinme proiivPe 1I:iis vu lcs coriclusioiis

claires et précisesdes dcwx Parties, jc pense que la Cour était
obligtie de constatcbr expvessis ilevbisque 1:i.complicité ou la partici-
pation de l'Albanie ail nnoiiil1;igeeffectuépar lin auteur quelconcliic
n'li pas étéétablie. DISSEXTIKG OPINIOS BY Dr. EGER "7
Ili any case, ivliat is niearit is participation in the laying of the

mines, i.e., in a crime, having regard to the circumstances of the
incident of October zznd, 1946. But this participation (collusion)
of .L\lbaniain the minelaying has not been proved. The Judgment
states that the facts alleged by Great Rritain as evidence of collusion
betnwn Albania and Yugos!avia, €\.en so far as theyare established,
lead to no firm conclusion, and it continues : "the origin of the
mines laid in Albanian territorial waters remains a matter for
conjecture. It is clear that the existence ofsuch a treaty ...hoxever
closc: may be the bonds uniting its signatories, in no way leads to
the conclirsion that they participated in a criminal act." 1 agree.

Rut that statement is nlerely a partial rejection of the second
British theory (submission). That submission is not lirnited to
Albano-Yugoslav complicit y. It does not even mention Yugo-
slavia. It concludes in favour of the complicity (collusion) of
Albania with the author of the minelaying, whoever he may be.
It is true that Great Britain lias never in her pleadings or speeches
alleged any othér collusion (complicity) than that bet~veeriA\lbania
and E7ugoslavia. Rut in her final siibmissions, she chose a more
general form, which implies the participation of Albania in the
laying of the mines, b>-whatever agency. :llbania rcplied to this
British submission bu her o\vn conciusions Nos. -3 and 4, in n.hich
she askecl the Court to find that no complicity (collusio~i)on the

part of Albania had becil established, \vithout making rnention of
any particular author. And so both Parties ha\-? nsked thé Court
to decide ~vhether the participation (complicity or collusion) of
Albarlia in the niiiiclaying lias 11ccwproi,ed, iio natter by ivhoin
they were laid.
But the Court's Judgmeiit confines itself to Albano-Yugoslav
collusion (cornplicity). Conscqueritly, it has gi\m no ansiver to
the conclusions of the t~voParties in regard to the colliisinii (corn-
plicity) of Albania ivith some other aiithor of the minelaying. :l
rclply by the êoilr-ton this point \\.as al1 the niorc cal1t.dfoi-hec:iiise
----apart from the fact that both Parties had asked for it---the Court

itself has stated iri the Judgment that "in the light of tlit
information now a\-ailablc, the aiithors of the niint,laying rremaiii
unknown". The fact thnt the Jiidgmcxnt krel>s silencc, as to this
complicity (colliision) betw~~11;111);11iia aiid tlic ~i11kiion.nauthor
of the crime lcads one to conclude that the Coiirt did not consider
this cornplicity (colliisioii) to fia\-e I)ec.iiproved. Hrit. in view of
the clcar and pi-ecise.;ul)iiiissioiis of the t\vo I>nrtie.;,1corisider that
the Court was l~oiiiidtu statc, iri express tcbi-III't;l,iat tlir cornplicity
or l)articipation of .4ll);iiiiiitlic 1;iyiriof tliciiiines,11'.ivhatci.cr
agency t.fic~ctcd. lia.iiot I~t~i.t.st;iblislic~ti118 OPINION DISSIDENTE DU D' EGER

La connaissancedu Gouvernementalbanaisdu mozdillage desntines.

I. Le problème.

La troisièmebase juridique de la responsabilité albanaise alléguée
par la Grande-Bretagne est l'omission de la part de l'Albanie de
notifier l'existence d'un champ de mines (puisqu'elle ne pouvait
pas les enlever) ou d'avertir les quatre navires britanniques le
22 octobre 1946, alors qu'elle avait connaissance à ce moment-là
de l'existence du champ de mines.
Le fondenient juridique de la responsabilité albanaise en cette
matière, ce n'est pas la connaissance elle-même,mais l'omission
d'agir. Cette omission suppose naturellement la connaissance.

Pour détern;iiier la responsabilité de l'Albanie sur cette base,
il eîit fallu établir:
a) la connaissance qu'avait l'Albanie de l'existence du champ
de mines ;
b) la possibilité pour l'Albanie d'agir (de notifier le champ de
mines ou au moins d'avertir les navires).

Aucune preuve directe de la connaissance de l'Albanie du champ
de mines n'a étéapportée. Nous nous trouvions dans le domaine
des preuves indirectes, des indices et des présomptions. Les conclu-
sions des experts elles-mêmessont basées sur des indices, des pré-

somptions et des conjectures.
La question seposait de savoir si,après avoir examiné les preuves,
on pouvait arriver à la conclusion que l'ignorance albanaise de
l'existence d'un champ de mines était vraiment impossible, donc
que la connaissance de l'Albanie était judiciairement établie.

2. Observations géneralesconcernant les preuvesindirectes (par
présomptionset indices).
Je rappelle le sage conseil donné aux juges .internationaux par
Sandiffer, Evideace before International Tribunals, Chicago, 1939,

page 3. Il souligne le caractère particulier d'une procédure judi-
ciaire internationale, les conséquencesgraves d'une erreur judiciaire
et conclut : «The vital interests of States, directly concerning the
welfare of thousands of people, may be adversely affected by a
decision based upon a misconcep~ion of facts. » Traduction fran-
$aise : cLes intérêts vitaux des Etats portant directement sur le
bien-être de milliers de personnes, peuvent être défavorablement
touchés par une décisionqui se fonde sur une conception inexacte
des faits.» Et parce que l'acte illicite di1 22 octobre 1946 est en
réalitéun acte criminel, il est utile de rappeler per ancclogiamun
autre conseil sage, cette fois donné par un juriste anglais.

118 DISSENTING OPINION BY Dr. ECER

IV.

The Albanian cognizance of the laying of the mines.

I. The problent.
The third legal basis of Albanian responsibility alleged by Great
Hritain is Albania's failure to notify the existence of a minefield

(since she could not remove the mines) or to warn the four British
ships on October eznd, 1946, although at that time she was aware
of the existence of the minefield.

The juridical basis of Albania's responsibility in this matter is
not her actual cognizance, but her failure to take action. Such a
failure naturally implies cognizance.
To establish Albariia's responsibility on that basis, it would have
been necessary to prove :
(a) that Albania was cognizant of the existence of the mine-
field;
that it was possible for Albania to have taken action (to
notify the existence of the mines, or at any rate to have warned
the ships).

No direct evidence has been produced that Albania knew about
the minefield. Here again, we are in the sphere of indirect evidence,
indications and presumptions. The conclusions of the Experts
themselves are based on indications,presumptions and conjectures.

The question therefore arose whether it was possible, after
examining the evidence, to become convinced that it was really
impossible for Albania to have been unaware of the existence of
the minefield, with the result that Albania's cognizance of the
matter was judicially established.

2. Gelzeralobservationsconcerning indirect midence (by preszrmp-
tions and indications).

1 would recall the wise advice given to international judges by
Sandiffer, Evidence bzfore International Tribunals, Chicago, 1939,
page 3. He emphasizes the peculiar character of international
procedure and the grave consequences which may follow from a
judicial error, and he concludes : "The vital interests of States,
directly concerning the welfare of thousands of people, may be
adversely affected by a decision based upon a misconception of
facts." And because the illegal act of October zznd, 1946, was
in reality a criminal act, it is useful to quote fier analogiam another
Wisepiece of advice, on this occasion given by a British jurist. Taylor écrit dans son Treatise on the Law of Evidence as admznis-
tcred in England and Ireland, 1920, page Iïj : ((But to affix on
any person a stigma of crime requires a higher degree of assurance,
and juries will not be justified in taking such a step, except on
evidence xvhich excludes from their minds al1 reasonable doubts. 1)

Traduction française : ((Mais pour pouvoir flétrir une personne
d'un crime, il faut êtrebien plus sûr, et les jurys ne seront fondés
à prendre une décision de ce genre que sur la base de témoignages
qui ne laissent subsister dans leur esprit aucun doute raisonnable. ))
Ce conseil a beaucoup plus de valeur lorsqu'il s'agit d'Etats.

a) Les preuves par présomptions.

La question se pose de savoir s'il y a dans le droit international
une présomption juris applicable à la présente affaire. J'ai trouvé
une réponsedans deux ouvrages sur le droit international :Sandiffer,
dans son ouvrage déjà cité Evidence before International Tr~bunals,
Chicago, 1939, page 99, cite Ralston, qui énumère un petit nombre

de présomptions reconnues à son avis par la juridiction interna-
tionale, dont deux, à mon avis, sont applicables à l'affaire presente :

i) « The uniform presumption of the regularity and \.alidity of al1
acts of public officials. ))
Traduction française : a La présomption uniforme de la régularité
et de la validité de tous les actes exercés par dzs fonctionnaires
publics. )>

ii)((The legal presumption ....of the regularity and necessity of
govcrnmental acts. ))

Traduction française : c< La présomption juridique.... de la
régularitéet (le la riecessitédes actes gouvernementaux. 11

Schwarzenberger, International Law, 1945, page 396, nous dit :
I(Still stronger is the presumption that Statesare acting in accord-
ance with international law ....)) Traduction française : <(Plus
forte encore est la présomption que les États agissent conformé-
ment au droit international. 1)

L'auteur fonde cette opinion sur la décisionde la Cour permanente
de Justice internationale dans les cas connus sous le titre German
interests in Upper Silesia, 1926.
Dans cette décision, la Cour permanente traitait la question:
((y a-t-il ou non un abus de droit de la part de l'Allemagne )); ellc

déclara qu'v un tel abus ne peut pas êtreprésumé n.
Je pense donc qu'il y a en droit international en faveur dechaque
État une présomption qui correspond à peu près à la présomption
d'innocence en faveur de chaque individu dans le droit national :
la presumptio iuris qu'un État se comporte en accord avec le droit

international. Donc, un État qui allègue une violation du droit
international par un autre Etat est obligé de prouver que cette
pr6somption ne tient pas dans un cas sptcial, mais il n'est pas DISSEXTING OPIXION BY Dr. EGER II9
Taylor writes in his Treatise on the Law of Evidence as adminis-
tered in England and Ireland, 1920, page 115 : "But to affix on

any person a stigma of crime requires a higher degree of assurance,
and juries will not be justified in taking such a step, except on
evidence which excludes from their mind al1 reasonable doubts."
This advice is al1 the more cogent in the case of States.

(a) Proojs by preszlmptions.

The question arises whether there is really, in international law,
a preszfmptio jzrris applicable to the present case. 1find the reply
in two works on international law :Sandiffer in his work quoted
above, Evidence before Iniernational Tribunals, Chicaga, 1939,
page 99, haç quoted Ralston, uiho enumerates a few presumptions
which in his opinion are recognized by international courts, and

two of which are, 1 believe, applicable to the present case :
(i) "The uniform presumption of the regularity and validity of
ai1 acts of public officiais."

(ii) "The legal presumption ....of the regularity and necessity of
governmental acts."

Schwarzenberger, Internatio.iza1 Laxl, 1945, page 396, writes :
"Still stronger is the presumption that States are acting in accord-
ance with international law.. .."

The author bases this opinion on the decision of the Permanent
Court of International Justice in the case known as "German
Interests in Upper Silesia", 1926.
In this decision the Permanent Court \vas dealing with the
question "whether or net there liad been an abuse of right by
Germany", and stated that "such an abuse cannot be presumed".
I consider therefore that in international law there is a presump-
tion in favour of every State, corresponding very nearly to the
presumption in favour of the innocence of every individual in
municipal law. There is a presumfilio juris that a State behaves
in conformity with international law. Therefore, a State xvhich

alleges a violation of international law by another State must prove
that this presumption is not applicable in some special case ; but
JIC) 120 OPINION DISSIDENTE DU D' ECER

possible de combattre une présomption de la conduite légale par
une autre présomption.

b) Les fireuves fiar indices.
Il y eut désaccordentre les avocats des deux Parties quant au

degré de certitude qu'une preuve par des indices doit présenter. La
Grande-Bretagne a prétendu qu'il suffit que la conclusion soit au
delà de tout doute raisonnable, ce qui n'exclut pas absolument
une autre conclusion.
Les Albanais ont prétendu que la conclusion tirée des indices
doit êtrela seule possible vu les circonstances.

Je pense qu'une des raisons de ce désaccord était la confusion
faitepar les Parties entre conclusions et hypothèses. Une conclusion

n'est pas une hypothèse, et il est évident que le nombre des hypo-
thèses est plus grand que le nombre des conclusions.
Donc, il suffit,à mon avis, qu'une conclusion tirée des indices
soit la seule conclusion rationnelle étant donné les circonstances
concrètes de l'affaire. Si deux ou plusieurs conclusionsrationnelles
sont possibles, il faut choisir d'après le principe général de droit :
in dubio pro reo.
Quant à la valeur probante des indices, il faut se rendre compte :
a) du danger de la preuve indirecte: ce danger tient au fait que

la conclusion est le résultat d'un raisonnement qui est, l'expé-
rience le prouve, source fréquente d'erreurs ; b) de la nature de la
preuve indirecte : celle-ci a étébien déterminée par Taylor, qui
dit, page 74 de son ouvrage déjà cité A Treatise on the Law of
Evidenceas administeredin England and Ireland, 1920 :

K They [le jury, Dr. E.] must decide not whether these facts
[indices,Dr.El are consistent with the prisoner'sguilt,but whether
they are inconsistent with any other rational conclusion. ))
~raciuction française : « Iis [le jury, Dr E.] doivent décider
non pas si ces faits [indices, Dr E.] peuvent se concilier avec la
culpabilitédes prisonniers, mais bien s'ilsne sont pas incompatibles
avec toute autre conclusion rationnelle. ))

Georges Vidal, parlant dans son Cours de Droit criminel et de
Science pénitentiaire,1935, des conclusions tirées d'indices (qu'il
appelle présomptions), écrit :

« Les jurés et les juges ne doivent accueillir les présomptions
qu'avec une extrêmeprudence et une grande réserve, pour éviter
des erreurs judiciaires trop facile))

Après ces remarques préliminaires, et avec les précautions qui
s'imposent au juge, en ce qui concerne les preuves indirectes, je
passe maintenant à l'examen des preuves de la responsabilité de
l'Albanie sur la base de la connaissance. DISSENTING OPINION BY Dr. ECER 120

it is not possible to combat a preçümption of legal conduct by
another presumption.

(b) Proofs by indication.
The Counsel of the two Parties differed as to the degree of
certainty attainable by a proof based on indications. Great
Britain alleged that it suffices if the conclusion is beyond al1

reasonable doubt, though that would not absolutely exclude a
different conclusion.
The Albanians contended that the conclusion drawn from the
indications must be the only possible one, in view of the circum-
stances.
1 think that one cause of this disagreement was the confusion
made by the Parties between conclusions and hypotheses. A con-
clusion is not a hypothesis. Obviously, the number of hypotheses
will be greater than the number of conclusions.
In my opinion, therefore, it suffices if a conclusion clrawn from
the indications is the only rational conclusion, having in view the
concrete circumstances of the case. If two or more rational con-
clusions are possible, we must choose between them according to
the general principle of law : in dubio pro reo.
In regard to the probative value of indications, we must bear
in mind : (a) the danger of an indirect proof : this danger anses
because the conclusion is reached by reasoning, and this, as

experience teaches, is a frequent source of errors; (b) the nature
of the indirect proof: this is well described by Taylor, who writes
on page 74 of his work, already quoted, A Treatise on the Law
of Evidence as administered in England and Ireland, 1920 :
"They [the jury] must decide, not whether these facts [indica-
tions] are consistent with the prisoner'sguilt, but whether they are
inconsistent with any other rational conclusion."

Georges Vidal, in his Coursde Droit criminel et deSciencepéniten-
tiaire,935 discussing conclusions drawn from indications (he calls
them presumptions), writes :

" Juries and judges should only accept presumptions with extreme
prudence and with considerable reserve in order to avoid judicial
errors which are too easily made."
After these preliminary remarks, and with the reserve which is

proper for a judge when considering indirect evidence, 1 shall
now examine the proofs of Albania's responsibility, on the basis
of cognizance.121 OPINION DISSIDENTE DU Dr ECER

La conclusion de l'arrêtseloii laquelle le mouillage du champ de
mines n'a pas pu échapper à la connaissance du Gouvernement
albanais est fondéesur :
A) la conduite de l'Albanie avant et après la catastrophe du

22 octobre 1946 ;
B) les faits concernant la possibilité d'observer le mouillage des
mines de la côte albanaise.
La connaissance n'étant pas suffisante en soi comme base
juridique de la responsabilité, l'arrêt ajouteune troisième conclusion
concernant le moment où l'Albanie a acquis la connaissance du

mouillage des mines.

ad A. Condz~itede L'Albanie.

La Cour considère comme clairement établi que le Gouvernement
albanais a exercé une vigilance très attentive sur les eaux terri-
toriales du Détroit Nord de Corfou ; mais l'arrêt passe sous silence
un autre fait aussi clairement établipar lestémoignagesdestémoins
albanais, savoir que le système de la vigilance ou de la défense
côtière était très insuffisant. 1,'existence d'un poste de veille
au cap Denta n'a pas étéétablie. Cela prouve l'insuffisance du
système alhanais de vigilance en ce qui concerne précisément
l'incident qui fait l'objet de l'affaire.

L'arrêt omet également de dire que cette insuffisance de la
vigilance a Cté admise par la -Grande-Bretagne. Le représentant
de la Grande-Bretagne a en effet admis dans sa plaidoirie finale
que les autorités locales aient pu ignorer le mouillage.
L'arrêtse réfèreaussi aux notes du Gouvernement albanais dans
lesquelles ce Gouvernement a témoignésa volonté d'exercer une
surveillance jaloiise sur ses eaux territoriales. Les notes ne prouvent
rien da plus que !e fait que le Gouvernement albanais a insisté sur
son droit de réglementer ~t meme d'interdire aüs navires étrangers
l'entrée des eaux territoriales albanaises sans la permission du
Gouvernement albanais.
Ce Gouvernement était convaincu qu'il possédait ce droit, il a
donc insisté dans les notes sur son droit ;le gouvernement de tout
État aurait agi de même,et or, ne saurait rien déduire de cette
conduite, qui est même pour chaque gouvernement un devoir

envers son peuple. Mais mêmesi les gardes-côtes avaient exercé
une surveillance étroite, cette constatation ne suffirait pas pour
justifier la conclusion que l'ignorance du Gouvernement albanais
était a firiori peu vraisemblable.
Puis l'arrêt se réfère au témoignage du capitaine Ali Shtino.
On lit dans l'arrêt :« La Cour a également pris note de la réponse DISSENTING OPINION BY Dr. ECEK 12 1

3. Examination of the firoofs.

The conclusion reached in the Judgment that the laying of the
minefieldcould not have been accomplished without the knowledge
of the Albanian Government is based on :
(A) the conduct ofAlbania both beforeandafterthe catastrophe
of October zznd, 1946 ;
(R) the facts concerning the possibility of observing the
minelaying from the Albanian coast.
As cognizance does not sufficeby itself to constitute a legal basis
of responsibility, the judgment has added a third conclusion
concerning the time at which Albania became cognizant of the
minelaying.

ad A. Thecondzcctof Albania.
The Court considers it to have been clearly established that
Albania kept a very vigilant watch over the territorial waters in
the North Corfu Channel ; but the Judgment is silent regarding
another fact which was dlw clearly established by the evidence
of the Albanian witnesses,namely, that the system ofvigilance and
that of the coastal defences was very inadequate. The presence
of a look-out post at Denta Point was not established. That
proves the inadequacy of the Albanian system of vigilance in
regard, precisely, to the incident which is the subject of the
proceedings.
The Judgment also omits to Say that the inadequacy of the
vigilance was recognized by Great Britain. For the representative
of Great Britain admitted in his final address that the local
authorities might have been unaware of the minelaying.
The Judgment also refers to the notes of the Albanian Govem-
ment in which the latter expressed its intention of keeping a jealous
watch over its territorial waters. Those notes prove nothing except
that the Albanian Government was insisting on its right to regulate,
and even to forbid, foreign ships from entering Albanian territorial
waters without permission from the Albanian Government.

That Government was convinced that it possessed that right,
and therefore in its notes it insisted upon its right. The govern-
ment of any State would have acted in the same way, and nothing
can be deduced from such conduct, which is even a part ofthe duty
that every government owes towards its own people. But even
if the coastalguards had exercised strict vigilance, that fact would
not suffice to justify the conclusion that the ignorance of the
Albanian Government was a firiori improbable.
The Judgment next refers to the evidence of Captain Ali Shtino.
We read in the Judgment : "The Court also noted the reply of
121du capitaine Ali Shtino à une question posee par elle, r6ponse d'où
ressort que le témoin, appeléà remplacer pendant 13ou Ij jours
le commandant de la défense côtière à une époque qui a précédé
immédiatement les événementsdu 22octobre, avait reçu la consigne
suivante :« Que les postes de guet devaient me rendre compte
((de tous les mouvements [dans le canal de Corfou] et qu'aucune
I(mesure ne serait prise de notre par».))
La valeur attribuée par l'arrêt à la réponse du capitaine Shtino
ne ressort pas clairement de cette citation.Le lecteur de l'arrêt
peut seulement deviner que la Cour a interprété cette réponse
comme indiquant un changement dans un ordre précédent qui

aurait pu gêner les mouilleurs de mines, donc un contre-ordre donné
aux gardes-côtes dont le but était de ne pas gêner les mouilleurs
de mines. Mais cette interprétation n'est pas justifiée. Si on lit le
témoignage du capitaine Shtino, on peut constater tout de suite
que lepassage de ce témoignageseréfèreàl'incident du15mai 1946.
Le capitaine Shtino était interrogé sur l'incident où la batterie
albanaise a tirédansla direction des navires britanniquAspropos
de cet incident, il déposa qu'au cours de son remplacement tem-
poraire du commandant de la défense quelques jours avant le
22 octobre1946 ,elui-ci lui dit que le poste devaitluirendre compte
de tous les mouvements dans le chenal et qu'aucune mesure ne
serait prise. 11est évident d'aprèsle contexte que le témoin pensait
au tir des canons du15 mai 1946 ;il voulait dire par là que l'ordre
avait étédonnéde ne prendre aucune mesure pour éviterla répéti-

tion de l'incident du5 mai 1946.

Quant aux télégrammes adresséspar l'Albanie le13 et27 novem-
bre 1946 au Secrétaire général desNations Unies, les conclusions
que tire l'arrêt de ces deux télégrammes semblent mal fondées.
Si l'on se borne aux preuves qui font partie du dossier, il faut se
rendre compte que l'Albanie a appris, pour la première fois, la
découverte d'un champ de mines par la note de la Grande-Bretagne
du 9 décembre 1946 .r, danscette note, la Grande-Bretagne accuse
déjàl'Albanie d'avoir poséles mines ou d'avoir étécomplice de la
pose des mines. L'Albanie répondit 21 décembre 1946 .xprimant
son profond regret, elle stigmatisa la pose des mines comme un
acte inhumain, mais naturellement elle a refusél'accusation suivant

laquelle c'était elle qui avait posédes mines ou qui avait causéla
pose des mines. 11apparaît donc touà fait naturel que pour 1'Alba-
nie il s'agissait en premier lieu de se défendrecontre une accusation
d'ordre criminel. Elle a protesté près de la Grande-Bretagne, et
cette protestation suffit mon avis.
Ne pouvant protester auprès d'un État inconnu, elle a protesté
auprès de la Grande-Bretagne, qui avait formulé l'accusation.
Il semble que l'arrêt attribue une grande importance au fait
que l'Albanie a omis de notifier la présence du champ de mines
après la découverte par les Britanniques le3 novembre 1946 L.e

122 DISSENTIKG OPINION BY Dr. EÇER 122
Captain Ali Shtino to a question put by it ;this reply shows that the

witness, who had been called on to replace the Coastal Defence
Commander for a period of thirteen to fifteen days, immediately
before the events of October 22nd, had received the following
order : 'That the look-out posts must inform me of every movement
[in the Corfu Channel], and that no action would be taken on Our
part .'"
The value which the Judgment assigns to Captain Shtino's answer
is not clearly brought out in that quotation. A reader of the
Judgment can only guess that the Court hasinterpreted this answer
as indicating a change in an earlier order which might have embar-
rassed the minelayers, in other words, that a counter-order had been
given to the coastal guards with the object of preventing inter-
ference with the minelaying. But that interpretation is not justi-
fied. A perusal of Captain Shtino's evidence shows at once that

this part of his testimony refers to the incident on May rgth, 1946.
Captain Shtino was being questioned as to the incident when the
Albanian battery fired in the direction of the British ships. In
regard to that incident, he stated that when he temporanly took
the place of the officer commanding the coast defences a few days
before October zznd, 1946, that officer told him that the look-out
post should report to him any movements observed in the Channel,
and that no action was to be taken. It is evident from the contest
that the witness was thinking of the gunfire incident on Rlay 15th,
1946 ;what he meant was that an order had been given not to
take any action, so as to prevent a repetition of the incident of
May 15th, 1946.
As regards the telegrams sent by Albania to the Secretary-General
of the United Nations on November 13th and 27th, 1946, the

conclusions which the Judgment draws from these two telegrams
seem to be ill-founded. If we confine ourselves to the evidence
filed with the Court, we find that Albania learned for the first time
that a minefield had been discovered from the British note of
December gth, 1946. But in that note, Great Britain already
accused Albania of having laid the mines or of complicity in the
minelaying. Albania replied on December z~st, 1946. She
expressed her profound regret, stigmatizing the laying of the mines
as an inhuman act, but naturally she rebutted the accusation that
it was she who had laid the mines or caused them to be laid. Itis
entirely natural that for Albania the first thing to do was to defend
herself against a criminal accusation. She protested to Great
Britain, and in my view that protest sufficed.

She could not protest to a State unknown, so she protested to
Great Britain, the country which had formulated the accusation.
It seems that the Judgment attributes great importance to the
fact that Albania omitted to notify the existence of the minefield
after it had been discovered by the British on November 13th, 1946.
122123 OPINION DISSIDENTE DU Dr ECER

lecteur de l'arrêtpeut avoir l'impression que cette omission après
le 13 novembre 1946 est un indice additionnel de la connaissance
du champ de mines de la part de l'Albanie : cette interprétation
n'est pas justifiée.l faut prendre en considération le fait suivant :
la Grande-Bretagne a envoyé à l'Albanie le IO novembre 1946 une

note par laquelle elle a fait savoir au Gouvernement albanais que
le déminage serait effectué le 12 novembre, et que ce déminage
avait étérecommandé àl'unanimité par le Centrai Mine Clcarance
Board le lernovembre.
Les fonctions de cette agence formée par les grandes Puissances
par l'Accord du 22 novembre 1945, sont exposées à l'aiinexe 3
du Mémoirebritannique. Au paragraphe 6 de cette annexe, une des
fonctions de cette agence centrale a étéspécifiée comme suit :

(i) to promulgate reports on experience gained in the course of
operations.

On a donc créépour cette tâche un bureau spécialdont la fonction
est décrite dans le paragraphe IO du Mémoirebritannique et dans
Lesparagraphes 13 à 16 de l'annexe 3 au Mémoirebritannique ;de
toutes ces dispositions, il ressort que la responsabilité de la noti-
fication du champ de mines découvert au cours des opérations de
déminageincombait au Cr~mitécentral à Londres et à ses agences.
D'où l'on peut conclure que l'Albanie, qui connaissait les fonctions
de cette agence centrale par les documents qu'elle reçut d'octobre

1945 à octobre 1946 (voir paragraphe IO du Mémoirebritannique)
ne considérait pas de son devoir de notifier la découverte du champ
de mines parce que c'était la tâche du Comité central à Londres.
On ne saurait donc interpréter cette omission comme un indice
additionnel de la connaissance albanaise.
Hormis le fait que l'Albanie n'a appris que par la note britan-
nique du 9décembre1946qu'un champ de mines avait étédécouvert
le 13novembre 1046, les indices indiqués dans l'arrêt concernant
la conduite albanaise peiivent parfaitement se concilier avec
l'ignorance albanaise du mouillage des mines. Mais l'arrêt passe

sous silence d'autres indices, établisparla procédure, et quiamènent
à la conclusion contraire, c'est-à-dire à la conclusion que l'Albanie
n'avait pas connaissance du champ de mines.
L'arrêt passe sous silence le fait que l'Albanie a donné son
consentement de principe au déminage annoncé par la Grande-
Bretagne dans sa note du IO novembre 1946, et proposé une
commission mixte pour détermine1 la place de cette opération
(la Grande-Bretagne n'a pas répondu) ; enfin, que mêmela Grande-
Bretagne a admis que les autorités locales albanaises aient pu
ignorer le mouillage. Donc, si l'arrêtarrive à la conclusion que la

conduite albanaise avant et après la catastrophe est une preuve
(indirectenaturellement) de la connaissance albanaise, c'estpar un
raisonnement qui est en contradiction avec la règle g6nérale du
133 DISSENTING OPINION BY Dr. ECER I23

The reader might gain the impression that the failure to do this,
after November 13th, 1946,was an additionalindication of Albania's
cognizance of the minefield : that interpretation is not justified.
The following fact must be taken into consideration :Great Britain
had sent a note to Albania on November ~oth, 1946, informing the
Albanian Govemment that the sweep would be carried out on
November 12th, 1946,and that the operation had been unanimously
recommended by the Central Mine Clearance Board on Novem-
ber 1st.
The functions of this agency, which had been created by the
Great Powers under the Agreement of November zznd, 1945, are
described in Annex 3 of the British Memorial. In paragraph 6
of that Annex one of the functions of the central agency was

described as follows :
(i) to promulgate reports on experience gained in the course
of operations.

There had thus been created for this task a special bureau, the
duties of which are set forth in paragraphs 13 to 16 of Annex 3 of
the British Memorial; from al1 these provisions it is apparent that
the responsibility for notifying minefields discovered in the course
of sweeps rested on the Central Board in London and on its sub-
ordinate bodies. Hence we may conclude that Albania, who was
acquainted with the functions of this central agency from the
documents which she received between October 1945 and Octoher
1946 (see paragraph IO of the British Memorial), did not consider
it to be her duty to notify the discovery of the minefield, seeing
that that was the duty of the Central Board in London. This

omission cannot therefore be interpreted as an additional indication
of Albania's cognizance of the minelaying.
Apart from the fact that Albania only learned by the British note
of December gth, 1946, that a minefield had been discovered on
November 13th, 1946, the indications mentioned in the Judgment
in regard to Albania's conduct would be quite consistent with
Albania's ignorance of the minelaying. But the Judgment keeps
silence in regard to other indications, which were established by the
procedure, and which lead to an opposite conclusion, that is to the
conclusion that Albania was not cognizant of the minefield.
The Judgment omits to mention that Albania gave her consent,
in principle, to the sweep announced by Great Britain in her note of
November ~oth, 1946, and that she proposed a mixed commission

to determine the area to be swept (Great Britain gave no answer
tothis proposal), and finally that Great Britain herself has admitted
that the Albanian local authoritiesmay not have known about the
minelaying. Therefore, if the Judgment reaches the conclusion
that the conduct of Albania before and after the catastrophe is
evidence (of course, indirect) of Albania's cognizance, it does so by
a line of reasoning which is in contradiction with the general rule
123 I24 OPINION DISSIDENTE DU Dr ECER

droit concernant l'appréciation des indices. J'entends par là la
règle que j'ai citée plus haut (p. 119, Taylor).
A mon avis, les indices énumérés dans l'arrêt concernant la
conduite albanaise ne prouvent en aucune manière que l'Albanie
ait eu connaissance de l'existence du champ de mines. Mais, même
si, per inconcesstr~n,on admettait que ces indices justifient cette
conclusion, il faudrait ajouter qu'ils justifient aussi la conclusion
contraire. Dans le cas où deux ou plusieurs conclusions rationnelles
sont possibles, il faut choisir l'une ou l'autre d'après le principe
généraldu droit E*zhbio pro reo. Mais les indices que l'arrêtpasse
sous silence et que j'ai indiquésci-dessus font fléchirla balance en
faveur de la conclusion que l'Albanie ne connaissait pas l'existence
du champ de mines.

ad B. Possibilitéd'obsefivztio?zs.

La deuxième sériedefaits indiquéspar l'arrêtcomme permettant
de conclure à la connaissance concerne la possibilité d'observer le
mouillage dela côte albanaise. L'arrêtcommence par trois considéra-
tions de la Cour et ajoute ensuitene analyse du rapport des experts.

a) Les trois co~rsidérafio~dte la Cotir :

aa) La configuration géographique de la baie de Saranda et du
chenal prouve d'après l'arrêt que le mouillage d'un champ de
mines n'a guère pu échapper à la vigilance du commandement
côtier albanais. Mais, du point de vue géographique, la meilleure
position pour observer tout ce qui se passe dans les eaus dont il
s'agit dans cette affaire était la pointe Denta: c'est en face du cap
Denta que le mouillage a étéeffectué. Or, aucun poste de veille
n'existait au cap Denta, l'arrêt l'admet. Par conséquent,la confi-
guration géographique en l'absence d'un poste de veille au point
géographiquement le plus important ne permet pas la conclusion

citéeci-dessus.
bb) Le temps nécessaire pour l'opération du n~ouillage était
suffisant, d'après l'arrêt, pour attirer l'attentioil des postes
d'observation placés au cap Kiephali ou au monastère Saint-
Georges. C'est là pure conjecture. Si le mouillage a étéeffectuédans
des conditions favorables, peut-être pouvait-il êtreobservé, mais
si le mouillage a étéeffectuépendant la nuit, dans des conditions
défavorables (temps nuageux et pluvieux, etc., comme indiqué
dans le Mediterranean Pilot pour le mois d'octobre 1946), il est
sûr qu'il n'a pas pu être observé.Le moment du mouillage n'a pas
étéétabli, et n'a pas pu l'êtreau cours des débats ; on ne sait donc
rien sur les conditions atmosphériqiies du n~ouillage, et la conclu-
sioii de I'arrêtsur ce point est fondéesur depures conjectures. DISSENTING OPINIOX BY Dr. ECER
I24
of la\\- coiicerning the evaluation of indications. 1have in mind
the rule which 1referred to above (p. 119, Taylor).
In my opinion, the indications regarding Albailia's conduct

\\-hich are set forth in the Judgment in no way prove that Albania
\\-as aware of the existence of the minefield. But even if, per
itzco~zcesszimi,t were admitted that these indications justify thar
conclusion, it ought to be added that they also justify an opposite
conclusion. In a case where several rational conclusions are
possible, a choice must be made between them in accordance with
the general principle of law i?adubio pro reo. But the indications
which the Judgment has omitted to mention, and to which 1 have
referred above, tilt the balance in favour of the conclusion that
-4lbania mas not cognizant of the existence of the minefield.

ad B. The possibilit)~of obsefi~atio??.

The second series offacts mentioned in the Judgmeilt as leading
to the conclusion in favour of Albania's cognizance relate to the
possibility of observing the minelaqing from the Xlbanian coast.
The Judgment begins by mentioning three considerations which
the Court had in vieu, and then goes on to analyse the Experts'
report.

The Coilrt'sthree co~zsideratio~ zs
(a)
((ta) The geographical configuration of the Bay of Saranda and
of the Channel prove, according to the Judgment, that the laying
of the mines could not have escaped the vigilance of the Xlbaniar?
coast defence commander. Hoivever, from a geographicai point
of view, the best position for observing anythiilg that happened in

the waters with nhich we are concerned in this case lvas Denta
Point : it \\-as ~ffDenta Point that the mines had been laid. But
there n-as no look-our ppst on Ilenta Point ; that is admitted bv the
Judgment. Consequently. in the absence of any look-out at the
point which is of chief geographica! importance, the geographical
configuration does not justify the conclusion referred to above
(bb) The time available for the minelaying operation was
suficient, according to the Judgment, for the attention of the look-
out posts at Cape Iiiephali and San Giorgio Jlonasten to have beeri
dra\vii to it.That is sheer conjecture. If the minelaying had beeii
eîfected under favourable conditions, it could perhaps have been
obsen-ed, but if it \\-as effected by night, under unfavourable
conditions (cloudy and rainy weather, etc., as indicated in the

Mediterrn+lennPilot for October 1946), it lvould certainly not have
been observed. The hour at \\-hich the mines were laid was not
established, and could not be established, during the debates ;
iiothing is known about the \veather conditions when the minca
were laid, and the conclusion of the Judgment on that point is
based upon simple conjectiirei.12.5 OPINION DISSIDENTE DU Dr ECER

cc) Si l'arrêt cite à l'appui de sa conclusion la distance de la
côte à laquelle les navires mouilleurs de mines ont dû passer, il
faut garder présent à l'esprit le fait qu'il n'y avait aucun poste
d'observation au cap Denta. En outre, si même lesnavires mouil-
leurs de mines avaient étéobservés,cela ne signifie pas encore que
l'opération de mouillage l'eût été ! Il faut en effet distinguer le
passage des mouilleurs de mines de l'opération du mouillage.

b) Expertise.
Enfin, la Cour analyse les rapports des experts oh elle voit la
confirmation de la conclusion que l'Albanie a eu connaissance du

mouillage.
Dans leur premier rapport, les experts se sont occupés de la
visibilitéet de l'audibilitédu mouillage. Dans leur deuxièmerapport,
ils se sont bornés à traiter seulement de la visibilité du passage
des mouilleurs de mines d'une part et du mouillage d'autre part.

En ce qui concerne l'audibilité du mouillage, la conclusion à
laquelle les experts sont arrivés dans leur premier rapport est
sous toutes réserves. Ils ont déclaré quedans des conditions moins
favorables, il serait toutefois impossible d'entendre l'opération,
et ils ajoutaient mêmeune phrase très importante pour toute la
question d'observation :« nous ne possédonspas de renseignements

suffisants quant aux conditions dans lesquelles ont étéposées les
mines pour pouvoir donner une réponseplus précise ».Mais, même
au cours de leur enquêtesur place, il ne leur fut pas possible d'obtenir
de plus amples renseignements.
Le travail des experts s'est donc concentré sur le problème
de la visibilité. Dans le premier rapport, la conclusion en ce qui
concerne la visibilité est imprécise. Dans le deuxième ra~port,
les experts sont plus catégoriques. Leur conclusion est citée dans
l'arrêt. Si on la lit attentivement, on constate que cette réponse
n'est catégorique qu'en apparence. En réalité,la réponsedes experts
est, malgré sa forme catégorique, aussi conditionnelle que celle
du premier rapport. Leurs conclusions reposent sur cinq faits,
dont deux : l'existence d'un poste de veille au cap Denta et les

conditions atmosphériques normales au moment du mouillage,
ne sont pas établis. Ces deux faits ou conditions, joints aux trois
autres, forment la base unique des conclusions des experts. Si une
de ces conditions n'est pas établie, toute la base s'effondre. L'arrêt
admet que l'existence d'un poste de veille au cap Denta n'a pas
étéétablie. Les conditions atmosphériques n'ont étéétablies que
pour le mois d'octobre ; elles étaient, à cette époque, défavorables.
Si le mouillage a étéeffectuéavant le mois d'octobre, ce que la
Cour n'a pas réussi à établir, les conditions de ce mouillage,à un
moment inconnu, restent inconnues elles aussi. Donc, les conclu-
sions des experts concernant la visibilité du mouillage n'apportent DISSENTING OPINION BY Dr. ECEK
125
(cc) As the Judgment refers, in support of its conclusion, to
the distance from the coast at which the minelayingshipsmust have
passed, it must be borne in mind that there was no observation post
at Denta Point. Besides, even if the minelaying ships had been
seen, it does not follow that the operation itself would have been
observed ! A distinction must be drawn between the passage of

the minelaying ships and the minelaying operation.
(b) TL Experts' opiflion.

Lastly, the Court has ahalyzed the report of the Expertsin which
it finds confirmation for the conclusion that Albania was cognizant
of the minelaying.
In their first report, the Experts dealt with the visibility and
the audibility of the minelaying. In their second report, they
confined themselves solely to the question of the visibility of the
passage of the minelaying ships and of the minelaying operation
itself.
As regards the audibility of the minelaying operation, the con-
clusion at which the Experts arrived in their first report is subject
to strict reservations. They said that in less favourable circum-
stances it would nevertheless be impossible to hear the operation,
and they even added a sentence which is of great importance for

the whole question of observation : "We are not in possession of
sufficient information as to the conditions when the mines were
laid to give a more definite statement." But even during their
enquiry on the spot they were not able to obtain any fuller infor-
mation.
The Experts' enquiries were therefore concentrated on the
problem of visibility. In their first report their conclusion regard-
ing visibility lacked precision. In their second report the Experts
were more categorical. Their conclusion is quotedin the Judgment.
If one reads it carefully, it is evident that the reply is only cate-
gorical in appearance. In reality, the reply of the Experts, in spite
of its categorical form, is just as conditional as that in the first
report. Their conclusions are based on five facts, two of which-
the existence of a look-out post at Denta Point and the prevalence
of normal weather conditions at the time of the minelaying-have
not been established. These two facts, or conditions, in conjunc-

tion with three others, constitute the sole basis of the Experts'
conclusions. If one ofthese conditions is not established, the whole
basis collapses. The Judgment admits that the existence of a
look-out post at Denta Point has not been established. The
weather conditions have only been ascertained for October ; in
that month they were unfavourable. If the mines were laid before
October-a point which the Court has not succeeded in establishing
-the conditions under which the mines were laid, at an unknown
time. are also unknown. It follows that the conclusions of the 126 OPIXIOX DISSIDENTE DU Dr ECER

aucune preuve judiciaire établissant que 1'ignorai:ce du n~ouillage
de la part de l'Albanie était impossible.

Si même 011 accepte la conclusion de l'arrêt que les gardes-
côtes ont nécessairement observéle mouillage, cela n'est pas encore
suffisant pour établir la responsabilité de l'Albanie. L'arrêt donc,

avec raison, s'occupe de la question du moment où les autorités
albanaises ont acquis la connaissance du ,mouillage :il est, comme
je l'ai indiqué, tout à fait impossible d'établir ce moment d'une
fayon qu'on pourrait appeler judiciairement probante. La Cour
base sa conclusion concernant le moment où l'Albanie a acquis
la connaissance du mouillage sur une conjectiire.

L'arrêtaccepte comme limiteextrême la nuit du 21 au 22octobre
1946. Dans ce cas-là, comme l'arrêtl'admet, il eût étéimpossible
i l'Albanie de notifier le champ de mines à la navigation de tous
les États, mais, toujours d'aprèsl'arrêt,il eût étépossible d'avertir

les navires britanniques qui furent signalés au commandement de
la défensecôtière vers13 heures le22 octobre. Il faut donc supposer
que le commandement de la défense côtière avait, à 13 heures le
22 octobre 1946,la connaissance du champ de mines. Le comman-
dant qui, à cette époque-là, était le capitaine Shtino,a telnoigné
del-ant la Cour qu'il n'avait auciine connaissance d'un champ de
mines dans le chenal de Corfou. L'arrêt ne traite absolument pas
tfe ce témoignage, sans essaver pour cela de démontrer qu'il n'est
pas digne de foi. On y suppose seii ement que le commandernent
avait, à ce moment, la connaissancc du champ de mines, simple
conjecture qu'aucun indice ne vient corroborer.

Pour les raisons indiquées ci-dessus, je ne peux pas accepter

conclusion de l'arrêtque le mouillage di1champ de mines, qui a
-ovoquéles explosions du 22 octobre 1946, n'a pas pu échapper à
connaissance du Gouvernement albanais.
Je pense que cette conclusion, loin d'êtrefondéesur des indices
bien établis, ne s'appuie que sur des présomptions et mêmedes
conjectures.
J'en arrive donc aux conclusions suivantes :

A) La connaissance du Gouvernement albanais di1 mouillage des
mines n'a pas étéjudiciairement établie.
A l'appui de cette conclusion, j'invoque les raisons acidition-
nelles que voici :
a) La Grande-Bretagne a admis dans la plaidoirie de sir Frank
Soskice que les autorités locales pouvaient ignorer le mouillage.
b) Si l'Albanie avait vraiment eu connaissance de la présence
des champs de mines, elle aurait pu enlever les mine; elle disposait

126 DISSENTING OPINION BY Dr. ECER 126

Experts in regard to visibility do not afford any judicial evidence
proving that it was impossible for Albania to have been ignorant
of the mineleying.

(c) The time atwhich cogniza~cewas acquired.
Even if we accept the conclusion of the Judgment that the
coastguards must necessarily have noticed the minelaying, that
is still not enough to establish Albania's responsibility. And so
the Judgment-quite rightly-considers the question of the time
at which the Albanian authorities became-cognizant of the mine-
laying. It is, as 1 have said, quite impossible to determine that
time in any manner which could be called probative, in a judicial
sense. The Court has based its conclusion concerning the time at

which Albania became cognizant of the minelaying upon a conjec-
ture.
The Judgment accepts as the last possible moment the night of
October ~1st-eznd, 1946. In that case, as the Judgment admits,
it would have been impossible for Albania to notify the minefield
to the shipping of al1States, but-stillaccording tothe Judgment-
it would have been possible to warn the British ships whose approach
was reported to the coast defence command about I p.m. on
October and. We are therefore to suppose that the coast defence
command was cognizant of the minefield at Ip.m. on October 22nd,
1946. The commander, who at that time was Captain Shtino,
has deposed before the Court that he knew nothing of any mine-
field in the Corfu Channel. The Judgment says nothing whatever
about this testimony, though it has not tried to show that he was
unworthy of credence. It simply assumes that the coast defence

command was cognizant of the minefield at that time, a simple
conjecture which isuncorroborated by any evidence.

For the foregoing reasons, 1 am unable to accept the conclusion
of the Judgment that the Iaying of the minefield which caused
the explosions on October 22nd, 1946, could not have escaped the
knowledge of the Albanian Government.
1 consider that that conclusion, so far from being based on
well-established evidence, is only supported by presumptions and
even by conjectifres.
I have accordingly reached the following conclusions :
The Albanian Govemment's knowledge of the minelaying
(A)
has not been judicially established.
In support of this conclusion, 1 invoke the following additional
reasons :
(a) Great Britain admitted, in Sir Frank Soskice's speech,
that the local authorities might not have known of the minelaying.
(b) If Albania liad really known of the presence of the mine-
field, she could have removed the mines ; she had almost three 127 OPINION DISSIDENTE DU Dr ECER

de près de trois semaines, du 22 octobre au 13 novembre, pour
faire disparaître les traces de ce crime dont elle avait connaissance
aux dires de la Grande-Bretagne.
c) C'est un fait établi qu'e1946 ,vant l'incident du22 octobre,
l'Albanie désirait l'établissement de relations diplomatiques avec
la Grande-Bretagne. Les négociations étaient en cours. L'incident
du 22 octobre 1946 a naturellement anéanti ces efforts. Mais je suis
convaincu que si le Gouvernement albanais avait eu connaissance
du mouillage des mines (posées dans l'intention manifeste de
provoquer un incident et, par-là, de faire échouer les négociations),
il aurait fait tout son possible pour empêcherle mouillage ou, au

cas où la chose se fût avéréeimpossible, pour le notifier ou au moins
en avertir les navires.
d) La conclusion suivant laquelle l'Albanie avait connaissance
du mouillage est en réalitéune présomption de fait. Elle ne suffit
pas pour annuler la présomption légaledu droit international qui
veut que les Etats agissent conformément au droit international.

B) Au cas mêmeoù on admettrait la conclusion que l'Albanie avait
eu connaissance du mouillage, il resteà établir les faitsdéterminant
le devoir d'agir. En premier lieu, le moment où l'Albanie a acquis
la connaissance, donc le fait que les gardes-côtes ont informé leurs
supérieurs et, par leurs supérieurs, le Gouvernement albanais, en
temps utile, de façon que le Gouvernement fût en mesure d'envoyer

notification ou que les supérieurs puissent ordonner d'enlever les
mines ou d'avertir les navires britanniques le 22 octobre 1946.

Ce sont là des faits qui n'ont pas Ctédiscutés aux débats ni
établis.

Les règlesde droit.

Dtins l'enseinble, je suis d'accord avec l'ai~êtsur la question
du droit. Mais vu la tendance de la plaidoirie inaugurale de la
Grande-Bretagne à tirer certaines conclusions juridiques (d'ailleurs
rejetées par l'arrêt) du fait que le champ de mines a étémouillé
dans les eaux territoriales albanaises, je pense que peut-être il
serait utile de dire dans'arrêtexfiressisverbis que la responsabilité
d'un État suppose de sa part soit dolus soit culpa. Je me réfèresur
ce point à Oppenheim-Lauterpacht, The Internationnl Law, 1948,
p. 311 : DISSENTING OPINION BY Dr. ECER
127
weeks, from October zznd to November 13th, to get rid of the
traces of this crime of which, according to Great Britain's allegation,
she was cognizant.
It is an established fact that, in 1946, before the incident
of October zznd, Albania was desirous of establishing diplornatic

relations with Great Britain. Negotiations were proceeding. The
incident on October zznd, 1946, naturally put an end to these
efforts. But 1 am convinced that if the Albanian Government
had known about the laying of the mines (the evident purpose
of which was to provoke an incident and so wreck the negotiations),
it would have done everything in its power to prevent the mine-
laying, or if that had been found impossible, to notify it or at
any rate to warn the ships.
(d) The conclusion that Albania was cognizant of the mine-
laying is in reality a presumption of fact. It is not sufficient to
annul the legal presumption of international law according to
which States act in conformity with international law.

(B) Even if one admitted the conclusion that Albania had known
of the minelaying, it would still be necessary to establish the facts
determining her duty to take action : in the first place, the time
at which Albania acquired this cognizance and, hence, the fact that
the coastal guards informed their superior officers, and through
those superior officers the Albanian Government, in sufficient time

to enable that Government to issue a notification, or for the superior
officers to order the removal of the mines, or to give warning to
the British ships on October zznd, 1946.
Those are facts which were not discussed during the proceedings
and have not been established.

The rzdes of law.

In general, 1 agree with the Judgment on the question of law.
But in view of the tendency shown in the opening address of British
Counsel to draw certain legal conclusions (which as a fact were
rejected by the Judgment) from the fact that the minefield was
laid in Albanian territorial waters, 1 think it would perhaps be
desirable to state in express terms in the Judgment that the respon-
sibility of a State assumes either dolus or cztlpa on its part. On
that point 1 would refer to Oppenheim-Lauterpacht, The Inter-
national Law, 1948, p. 311 :128 OPINION DISSIDENTE DU D' EGER
«An Act of a State injurious to another State is nevertheless
not an international delinquency if committed neither wilfully and
maliciously nor with culpable negligence. 1)

Traduction francaise: Un acte commis par un État qui porte
préjudice aun autre État n'est pas néanmoinsun délit international
s'il a étécommis sans intention de nuire et sans négligencecou-
pable. ))

VI.

La compétence de la Cour de fixer le montant de la réfiaration.

Ma réponse à cette question est la suivante :
a) Il faut s'en tenir strictement aux termes du compromis,parce
que ce compromis représente les petita des Parties.
b) Dans ce compromis, les Parties ont demandé à la Cour de
tlétermirier si l'Albanie est ou non tenue de payer des réparations.
Les deux Parties n'ont pas demandé à la Cour de fixer la somme
des réparations.
c) Les Parties ont présenté à la Cour une demande de prononcer
un jugement déclaratoire. Elles n'ont pas demandé à la Cour de

condamner unt Partie à une prestation. Cette demande est analogue
aux actions déclaratoires du droit interne.
En conséquence, j'estime que la Cour n'est pas compétente.

Deuxième partie du compromis.

Les actions de la marine britannique le 22 octobre1946.

S. Le droit de passage desnavires de guerre$ar des détroits.
L'arrêt exprime l'opinion que l'État riverain ne possède pas

le droit d'interdire le passage innocent par les détroits en temps
de paix et que, par conséquent, l'Albanie, eu égard à des cir-
constances exceptionnelles dans le Détroit Nord de Corfou, aurait
étéfondée à réglementer le passage de navires de guerre par le
Détroit sans toutefois l'interdire ni l'assujettirà une autorisation
spéciale.
Je doute que cet argument soit bien fondé. En tout cas, en
1946,,il n'y avait aucune règleprécise en cette matière. La pratique
des Etats était tellement variée que l'on ne pouvait y voir la
preuve de l'existence d'une telle norme. La doctrine, elle aussi,

était complètement divisée. Rien n'était donc sûr. La Grande-
Bretagne pouvait invoquer de bonnes raisons pour justifier sa
position juridique, mais l'Albanie pouvait, elle aussi, invoquer
des raisons suffisantes pour justifier sa position juridique, sauf
12s DISSENTING OPINIOK BY Dr. ECER 128
"An act of a State injurious to anorher State is nevertheless not
an international delinquency if committed neither wilfully and
.maliciously nor with culpable negligence."

VI.

The competenceof the Courtto assessthe amount of compensation.
My reply to this question is as follows :
We must keep strictly to the terms of the SpecialAgreement,
(a)
because that agreement constitutes the petita of the Parties.
(b) In this Special Agreement, the Parties have asked the Court
to decide whether Albania is or is not bound to pay compensation.
The two Parties did not ask the Court to assess the amount of the
compensation.
(c) The Parties have submitted to the Court a request for a
declaratory judgment. They did not ask the Court to condemn
a Party to make a certain payment. Their request is analogoiis
to a declaratory action in municipal law.
In consequence, 1 consider that the Court does not possess this
competence.

Second Part of the Spechl Agreement.

Operationsby the British fleet on Octoberzznd, 1946.

I. The right of passageof warshifisthrough straits.

The Judgment expresses the opinion that the coastal State
has not the right to prohibit innocent passage through straits
in peace time and that, consequently, owing to the exceptional
circumstances in the North Corfu Channel, Albania would have
been justified in regulating the passage of warships through the
strait vithout, however, prohibiting it or subjecting it to special
permission.
1 doubt whether this argument is well founded. In any case,
in 1946 there was no definite mle on the çubject. The practice of

States was so varied that iio proof of the existence of such a
mle was to be found. Doctrine itself was completely divided.
Nothing was therefore certain. Great Britain might put fonvard
good reasons to justify her position in law ; but Albania also
could invoke sufficient reasons to justify her position, naturally
apart from the argument contained. in the Albanian General
128129 OPINION DISSIDENTE DU D' ECER
naturellement l'argument présenté dans la communicatioil de

l'état-major albanais du 17 mai 1946 concernant tous les navires
étrangers, même lesnavires de commerce. La situation en droit,
lors de l'incident du 22 octobre 1946, était donc tout à fait
confuse en ce qui concerne le droit de passage. J'estime que dans
un cas pareil il faut appliquer par analogie la règle généralede
droit in dubio pro reo.

2. Les actions de la marzne britannique.

Il faut, selon moi,-appliquer. au passage des navires britanniques
le 22 octobre deux critères :un critère subjectif (intention) et un
critère objectif (les modalités du passage).

a f Critère subjectz.
En ce qui concerne le critère subjectif, nous nous trouvons ici
en présence d'un indice grave. C'est l'existence d'un ordre XCU
qui rkglait le passage des quatre navires britanniques le 22 octobre
194.6.La Grande-Bretagne a refusépour des raisons de sécurité de
produire cet ordre. La Cour a le droit de tirer des conclusions de ce

refus. On a essayé d'en donner une explication naturelle; l'ordre
n'avait d'autre but que de prévenir la répétition de l'incident du
15 mai 1946. Mais si l'ordre XCU n'avait que ce but, pourquoi le
cacher ? Ce but était tout à fait légitime. Il n'y avait aucune raison
de cacher un but tout à fait légitime devant la Coiit. Donc, à mon
avis, ce refus est un indice contre la Grande-Bretagne, et il pourrait
justifier la présomption ou la conclusion que la Grande-Bretagne
avait, le 22 octobre, une autre intention que de faire l'expérience
de son droit de passage.
Cependan-t, cette conclusion se heurte à la presumptio juris du
droit international que j'ai indiquée *aux pages 120 et 121 :pré-
somption de la conduite légale d'un Etat.
Cette présomption est forte ; elle ne peut pas être anéantie par

un seul indice, tel que le refus de la Grande-Bretagnede commu-
niquer l'ordre XCU à la Cour.
Le refus de la Grande-Bretagne de coinmuniques l'ordre XCU
à la Cour provoque des soupçons quant à l'intention de la Grande-
Bretagne concernant le passage du 22 octobre, mais c'est seulement
un indice qui n'apporte pas une preuve judiciaire et qui ne peut
pas contredire la présomption que la Grande-Bretagne avait des
intentions tout à fait légales.

b) Critère objectif

Je pense que le nombre de navires etait excessif. La Grande-
Bretagne pouvait faire un test avec un navire ou deux, mais quatre
navires de guerre donnaient au passage l'apparence d'une démons-
tration navale, comportant un élémentd'intimidation et même
d'abus du droit de passage. DISSENTING OPINION BY Dr. ECER 129

Staff's communication of May 17th, 1946, concerning al1 foreign
ships, including merchant ships. At the time of the incident of
October aznd, 1946, the situation as regards the law was very
confused on the subject of the right of passage. In such a case,
1 think that the general rule in dubio pro reo must be applied by
analogy .

2. The operationsby the British fleet.

In my opinion, two standards of judgment can be applied to the
passage of the British fleet on October ~2nd : a subjective standard
(intention) and an objective standard (the methods usedj.

(a) Subjective standard.
As regards the subjective standard, we have one important

indication, the existence of an Order XCU for the passage of the
four British vessels on October 22nd, 1946. Great Britain refused
to produce this Order for security reasons. The Court is entitled
to draw conclusions from this refusal. An endeavour was made
to give a natural explanation : the purpose of the Order was
only to prevent the incident of May 15th, 1946. But if that
was the only purpose of Order XCU, why conceal it ? It was
a quite legitimate purpose. There was no reason for hiding from
the Court a quite legitimate purpose. Therefore, in my opinion,
this refusa1 is an indication against Great Britain and might
justify a presumption or a conclusion that Great Britain had,
on October aand, other intentions than merely a test of her right
of passage.
But this conclusion is faced with the presumptio juris of inter-
national law mentioned on pages 120 and 121 :presumption of
the legality of a State's conduct.
This is a strong presumption ; it cannot be countered by a
single indication like that of Great Britain's refusa1 to communicate

Order XCU to the Court.
Great Britain's refusa1 to produce Order XCU gives rise to
suspicions as to her intentions in regard to the passage on
October 22nd ; but this is only an indication, and no proof, and
it cannot rebut the presumption that Great Britain had quite
legitimate intentions.

(b) Objectivestandard.
Great Britain
1 admit that the number of vessels was excessive.
might make a test with one or two ships ;but four warships made
the passage appear like a naval demonstration, involving an element
of intimidation and even of misuse of the right of passage.I3o OPINION DISSIDENTE DU Dr EGER

3. Conclusions.
a) En 1946, il n'y avait aucune règleclaire de droit international

coutumier concernant le droit de passage d'un navire de guerre
par les détroits. La situation juridique était douteuse ; chacune des
deux Parties pouvait invoquer pour son attitude respective des
arguments suffisants.
b) Je ne pense pas qu'il ait été judiciairement établi que le
passage effectuépar les quatre navires britanniques le 22 octobre
1946 était offensif du point de vue du critère subjectif (intention).
Il comportait un élémentd'intimidation et d'abus du droit du
point de vue du critère objectif. Il pouvait apparaître aux autorités
de l'Albanie et à sa population comme une démonstration de force.
Maismêmesi on admet cela, le passage du 22 octobrereste dépourvu

du caractère de passage offensif qui constituerait une violation de
la souveraineté albanaise, en l'absecce de preuve judiciaire d'une
intention offensive.

II.

OPérahio?t Retail n, 12-13 +zooelnbr1 e946.

Je suis d'accord sur la décisionde l'arrêt.Mais j'ajoute qu'à
mon avis l'opération ((Retail ))constituait une intervention, sinon
dans le sens politique, du moins dans le sens pdicier ou judiciaire.
En réalité,la marine britannique s'est substituée aux autorités
policières ou judiciaires albanaises pour accomplir une action qui
était une enquête quasi judiciaire ou policière dans les eaux terri-
toriales albanaises, donc une action rigoureusement interdite par
le droit international.

J'estime en outre que l'arrêt devrait aussi invoquer parmi les
arguments de sa décision lesdispositions de la Charte des Nations
Unies, en particulier, l'article 2, paragraphe 4, et l'article 42.
La mission de la Cour internationale, en sa qualité d'instrument
juridique des Nations Unies, est plus large que la mission d'une
Cour interne. Une Cour nationale est appeléeàappliquer stri-t ement
le droit, rien de plus. La cohésionde la communauté nationale est
assurée par d'autres moyens. La jurisprudence nationale n'a pas
pour cette cohésionde la communauté nationale l'importance que
revêtla juridiction internationale pour la cohésion de la commu-

nauté internationale. Donc, la tâche de la Cour internationale est
de contribuer à cimenter la cohésion de la communauté inter-
nationale. L'instrument de la cohésion de la conimunauté inter-
nationale est la Charte des Nations Unies, véritable loi interna-
tionale qui a sa source dans les exigences nouvelles de la vie
internationale et de la conscience juridique des peuples. Par la
référence aus dispositions de la Charte, l'autorité de l'arrêt et DISSENTING OPINION BY Dr. EEER
I3O
3. Conclusions.

(a) In 1946, there was no clear rule of customary international
law concerning the right of passage for'a warship through straits.
The jundical situation was doubtful ; each of the two Parties could
put forward good arguments in support of his claim.

(b) 1 do not think it has been judicially established that the
passage of the four British vessels on October zznd, 1946, was
offensive, from the subjective standpoint (intention). It involved
an element of intimidation and of misuse of a right from the objec-
tive standpoint. It might appear to the Albanian authorities and
people as a demonstration of force. But even if this be admitted,
the passage on October zznd was not of an offensive character such

as would amount to a violation of Albanian sovereignty, in the
absence of judicial proof of an offensive intention.

II.

Operation "Retail", November 12th-13th, 1946.

1 agree with the decision in the Judgment. But 1 will add
that, in my opinion, operation Retail was an intervention, if not in

the political, at least in the police or legalsense. In reality, the
British Navy substituted itself for the Albanian police or judicial
authorities in performing an aêt which was a quasi-judicial or
police enquiry in Albanian territorial waters-Le., an act strictly
prohibited bj7 international law.

1 think further that the Judgment should mention, amongst
the arguments for its decision, the provisions of the United Nations
Charter, in particular, Article 2, paragraph 4, and Article 42.
The International Court's task as the juridical instrument of
the United Nations is more far-reaching than that of a domestic
court. A national court is called upon strictly to apply the
law, and nothing more. The cohesion of the national community
is provided for by other means. The decisions of national courts
have not the same importance for the cohesion of the national
community as international justice has for the cohesion of the
international community. The International Court's task is

therefore to help to çtrengthen the cohesion of the international
community. The instrument of cohesion of the international
community is the United Nations Charter. It is true international
law, with its source in the new requirements of international life
and the juridical conscience of the peoples. The authority of
the Judgment, and that of the Court as judicial organ of the
130131 OPINION DISSIDENTE DU Dr &ER
l'autorité de la Cour en tant qu'organe juridique des Nations
Unies seraient renforcées.
En se référant à la Charte des Nations Unies, l'arrêtsoulignerait
la mission suprêmede la Cour internationale de Justice que voici :

Contribuer par sa juridiction, non seulementà assurer le dévelop-
pement du droit international dans le sens technique, mais aussi
à renforcer les relations pacifiques entre les nations du monde
et, par suite, concourir au maintien de la paix. DISSENTING OPINION BY Dr. EEER =gr
United Nations, would be strengthened by a reference to the
provisions of the Charter.
In referring to the Charter, the ,Judgment would emphasize
that the supreme task of the International Court of Justice is :

That its jurisdiction should contribute to the technical develop-
ment of international law, and also promote peaceful relations
between the States of the world, and thus help to maintain peace.

(Signed)Dr. B. EEER.

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Opinion dissidente de M. Ečer, juge ad hoc

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