Opinion dissidente de M. Krylov

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OPINION DISSIDENTE DE M. KRYLOV

I. La connivence de l'Albanie n'est pas prouvée.
La Cour a repoussé avec raison l'assertion du Royaume-Uni que
la pose des mines au canal nord de Corfou a eu lieu avec la
connivence de l'Albanie.
Je partage l'opinion émisedans cette partie de l'arrêt,mais je

me sens obligéde faire les remarques ci-dessous.
Pour soutenir sa thèse, la Partie britannique.a affirmédans sa
Réplique que les mines avaient été poséesprès de Saranda juste
avant le 22 octobre 1946 par les navires de guerre yougoslaves
;Mljetet Meljine. La Partie britannique a présentéà la Cour l'a-
davit du témoin Kovacic, deserteur militaire yougoslave. Ce témoin
a déposédevant la Cour que, dans le port de Sibenik, en Yougo-
slavie, il avait vu, vers18eoctobre 1946 ,e chargement de mines
allemandes du type GY sur les navires susmentionnés.
Pour renforcer le témoignage de Kovacic, la Partie britannique
a présentéà la Cour l'affidavit d'un certain Pavlov qui a déserté
d'un navire marchand yougoslave. Dans son affidavit, Pavlov
raconte qu'il a vu au mois d'octobre 1946 à Boka Kotorska un

navire de guerre du type Mljet, d'où la conclusion britannique que
les navires Mljet et Meljine ont quitté le port de Sibenik et se sont
rendus dans les eaux albanaises.
Ayant examiné l'affidavit de Pavlov, la Cour n'a pas cru néces-
saire d'entendre le témoignage de Pavlov en audience publique.
Quant au témoignage de Kovacic, il s'est révélé plein d'erreurs.
. La descente des experts de la Cour à Sibenik en a détruit la valeur,
puisque les experts ont constaté qu'une grande partie des affinna-
tions catégoriques qu'il avait faites concernant ce qu'il aurait vu
était matériellement impossible.
Il faut dire plus. Mêmesi une partie de la déposition de Kovacic
était véridique,sori témoignage n'est pas une preuve suffisante
pour affirmer que les mines en question ont étéposées par les
navires yougoslaves. Kovacic prétend avoir vu les navires yougo-
slaves chargés de mines allemandes GY dans le port de Sibenik.

Il affirme avoir entendu dire par un officier yougoslave (dont il
n'a pas voulu dire le nom) que les mines étaient poséesdans les
eaux albanaises ; et il ajoute que cet officierlui-mêmene participait
pas àl'opération du mouillage des mines et était seulement informé
de ce fait par un autre officier.
Ainsi, l'affirmation de Kovacic est un ((oui-dire)1(ou, comme
on dit en anglais,earsay) et mêmeun ((ouï-dire au second degrén.
La déposition de Kovacic n'apporte et ne peut pas apporter une
preuve quelconque dans l'affaire présente.
6869 OPINION DISSIDENTE DE M. KRYLOV

Dans le droit interne de plusieurs pays, on se contente parfois
de la preuve indirecte (circumstantial midence). L'auteur célèbre
anglais Wills le démontre pour le commonlaw dans son livre Prin-
ciples of Circumstantial Expidence(voir the combined English and
Indian edition, 1936).
Mais je doute qu'en se basant sur la preuve indirecte, on en puisse
conclure à la responsabilité d'un Etat envers un autre État. Je ne
pense pas que la justice internationale puisse se contenter de
preuves indirectes, telles qu'on les a présentées,dans cette affaire

qui touche à l'honneur d'un Etat suje- du droit international et à
sa position dans la communauté des Etats.

C'est pourquoi je ne peux baser mon opinion sur la déposition
de Kovacic et je dois constater que jusqu'ici on n'a pas découvert
l'auteur criminel de la pose des mines dans le chenal de Corfou.

Il n'est pas contesté que l'Albanie elle-mêmen'avait pas les
moyens de mouiller les mines. On ne peut pas affirmer non plus que
l'Albanie était complice dans l'opération de mouillage. Affirmer
une cornplicitg serait un manquement à la logique juridique. S'il

n'y a pas de pïeuves pour découvrir le coupable du mouillage des
mines, comment la Cour pourrait-elle juger que l'Albanie était
complice dans l'opération du niouillage ?

2. La connaissance par l'Albanie n'est pas prouvée.

ka Cour a fait sienne une autre thèse du Royaume-Uni :la thèse

alternative que l'Albanie aurait eu connaissance de la pose des
mines.
En faveur de cette thèse sont présentés lesdeux arguments sui-
vants :

a) En premier lieu, l'attitude du Gouvemement albanais avant
et après l'explosion du 22 octobre 1946 et, en particulie~, les
inexactitudes et contradictions prétendues dans la correspondance
diplomatique albanaise. Il ne faut cependant pas perdre de vue
que le Gouvemement albanais était en 1946 un gouvernement
nouveau sans expérience dans la conduite des affaires internatio-
nales et ne disposant pas d'experts dans les questions du droit
international. C'est pourquoi il n'est pas équitable de chercher
dans les erreurs de la correspondance diplomatique albanaise les
arguments permettant d'affirmer la connaissance par l'Albanie de

la pose des mines. Cette consequentia non valet. On ne peut pas
constater non plus que l'Albanie ait eu 1: désir de cacher qu'elie
avait connaissance du mouillage. Bien que non renseignée sur les
événementsdu 22 octobre 1946, elle n'avait pas tardé à s'adresser
aux Nations Unies et à leur demander de faire la lumière sur ces
événements.

69 OPINIOK DISSIDENTE DE 31.KRYLOV
70
b) La Partie britannique affirme en second lieu que les autorités
locales albanaises devaient voir et entendre l'opération du mouil-
lage des mines. Cependant, ce fait n'est aucunement démontré.
Les témoins albanais ont décrit devant la Cour l'organisation de
la garde côtière albanaise dans la régionde Saranda. Dans la partie

de la côte albanaise qui nous intéresse, il y avait en l'année 1946
trois postes :au cap Kiephali, à Saranda mêmeet au monastère
Saint-Georges. Le commandant de la défense côtière disposait en
outre d'une batterie près de Saranda.

En étudiant la carte de cette région, et le dessin présentépar les
experts de la Cour, le 8 février 1949, on peut constater que la garde
côtière albanaise pouvait exercer sur 1'ensem.ble du Détroit la
surveillance nécessaire. Ceci n'exclut nullement la possibilité d'une
opération clandestine dans les eaux du Détroit. En effet, la surveil-
lance de la garde côtière, satisfaisante dans les conditions atmos-

phériques normales, ne pouvait sans doute s'exercer de la même
manière dans les conditions atmosphériques défavorables, c'est-à-
dire pendant les temps pluvieux, la nuit noire, etc.
Dans leur premier rapport, le 8 janvier 1949, les experts de la
Cour affirment que les mouilleurs de mines auraient pu êtreobservés
mêmependant la nuit à l'aide de jumelles de la partie de la côte
située entre le cap Denta et le monastère Saint-Georges.
Quant à la possibilité d'entendre l'opération du mouillage, les
experts disent dans le mêmerapport que si les conditions étaient
favorables, il aurait été possible d'entendre le mouillage des mines
de la mêmepartie de la côte et à la pointe de Limione. Toutefois,

zjoutent-ils, dans des conditions moins favorables, il serait impos-
sible de tous les points qui viennent d'êtreindiqués d'entendre
l'opération.
L'affirmation des experts sur ce point se fondait sur les résultats
de l'expérience faite dans les conditions décrites dans leur rapport.
Il faut noter à ce propos que les experts se trouvaient à bord d'un
r,avire et non à terre, c'est-à-dire dans des conditions facilitant
l'audibilité, ce qui a étéconstaté judicieusement par le conseil
albanais dans la séance de la Cour le 21 janvier 1949.

Le second rapport des experts du S février 1949, après leur des-

cente à Saranda, ne modifie pas leur premier rapport.

L'expérience de visibilité, faite par les experts, du monastère
Saint-Georges a eu lieu par une nuit extrêmement calme (brise
légèrenord-est) et claire, à la lumière des étoiles. Les experts
étaient en état d'alerte, ils savaient le moment précis auquel le
bateau qu'ils attendaient avait quitté Saranda. Ils ont aperçu le
bateau à la distance de 670-800 mètres. Or, la mine la plus
proche du nionastère était à 2.000 mètres de distance.
La conclusion des experts sur la question de visibilité (les experts

déclarent qu'ils n'ont pas fait une expérience de l'audibiliti.à
70TI OPINION DISSIDENTE DE M. KRYLOV

Saranda) est la suivante :les deux experts considèrent que l'opéra-
tion du mouillage des mines a dû êtreobservée de la côte si les
conditions atmosphériques avaient été normales (c'est-à-dire
nébulosit6 3-4/10 p,as de brouillard ni d'averse, légèrebrise de
l'Est,20 milles de visibilité) et si les postes de veille etaient main-
tenus au cap Kiephali, au monastère Saint-Georges etau cap Denta
(quant a ce dernier poste, la Cour ne tient pas pour établie son
existence).
Il va sans dire que les conditions extrêmement favorables ne
peuvent pas se rencontrer quotidiennement et que l'affirmation
des experts quant à la visibilité doit êtreappréciée comme condi-

tionnelle.
On voit bien que la descente sur les lieux n'a pas changé la
substance de la réponse des expertssur la possibilité de voir l'opé-
ration du mouillage des mines. Nous nous trouvons constamment
dans la sphère des possibilités et des probabilités.
Il faut dire-encore que dans sa plaidoirie le17 janvier, le conseil
du Royaume-Uni a implicitement admis que les milles ont pu être
mouillées sans que l'opération du mouillage ait pu êtrevue ou
entendue de la côte.
Je ne trouve donc pas de raisons pour soutenir que l'Albanie
a eu con-naissancedu mouillage des mines et encore moins pour dire
à quel moment précis elle a acquis cette conna.issance.

3. La fautv de I'dlbanie n'est fias firouvée.

Mais peut-être les autorités albanaises 'eussent-elles dû voir ou
entendre ce mouillage ?
Répondre affirmativement à cette question, c'est à mon opinion
baser la responsabilité de l'Albanie sur la notion de faute.
J'emploie ce terme avec une certaine réserve. Je pense que les
termes du droit romain et du droit civil et pénal contemporain
peuvent être utilisés dans le droit international, mais avec une
certaine souplesse et sans faire des distinctions trop subtiles. Il
n'est pas nécessaire de transposer dans le système du droit inter-
national les distinctions que nous trouvons parfois dans tel ou tel
système du droit interne.
Est-il possible de baser la responsabilité internationale de'Alba-
nie sur la notion de faute ? Peut-on soutenir que l'Albanie n'a pas
dkployéla diligence requise par le droit international pour prévenir

le mouillage des mines dans le canal de Corfou ? Peut-on dire que
le droit international contient une obligation pour l'État riverain
de prévenir le mouillage des mines dans ses eaux territoriales ?
Je pense que non. Si parfaite que soit l'organisation de la garde
côtière d'un État riverain, le mouillage clandestin des mines n'est
pas néanmoins exclu. On peut ajouter : surtout en temps de paix
quand la garde côtière n'est pas en état d'alerte. Mais l'histoire
de la guerre maritime noils fournit aussi beaucoup d'exemples du
mouillage des mines clandestin.72 OPINION DISSIDENTE DE JI. KRYLOV

Je veux faireici une remarque.La responsabilité del'État rcsultant
d'un dél?tinternational présuppose au moins une faute de la part
de cet Etat. On ne peut pas baser la responsabilité internationale
de l'État sur l'argument qu'un fait imputé à cet Etat a eu lieu sur
son territoire - terrestre, maritime, ou aérien. On ne peut pas

transposer dans le domaine du droit international la théorie du
risque développée dans le droit civil interne de plusieurs pays.
Pour fonder la responsabilité de l'État, il faut donc recourir à la
notion de faute. Je peux me référer au célèbreauteur anglais
Oppenheim. Dans son cours de droit international, il affirme que
la conception du délit international suppose que l'État a agi
z~!zlfullyand ?naliciousl))ou, en cas d'omission, (with cuipable
neglzgence ))(tome 1, par. 154) .'éditeur de la septième édition

(1948) M,. Lauterpacht, ajoute qu'on peut constater parmi les
auteurs modernes la tendance prononcéede rejeter la théorie de la
responsabilité absolue et de fonder la responsabilité de 1'Et;rt sur
la notion de faute \I.U111I.
Comme je l'ai déjà dit plus haut, je ne peux pas trouver dans
l'organisation et le fonctionnement de la garde côtière de l'Albanie
- vu l'insufhsance des ressources de ce petit pays - un manque
de diligence tel qu'il pût mettre en question la responsabilité de

l'Albanie. Je ne trouve pas la trace d'une hégligencecoupable.
La confusion qui règne dans les faits de l'espèce apparaît notam-
ment de ce que, d'une part, la majorité a affirméque l'Albanie
aurait exercéune vigilance spéciale,alors que, d'autre part, certains
juges estiment que la responsabilité de lJA15anie résulte de son
manque de vigilance, ce qui est une présomption diamétralement
opposée à la première.
En l'absence de preuves que l'Albanie a eu connaissance de la
pose des mines ou qu'elle a commis une faute en ne déployant pas

la diligence requise dans le fonctionnement de sa garde côtière,
je dois encore discuter la question de savoir si l'Albanie peut être
inculpéeàcause de l'omissiond'avertir le 22 octobre 1946 les navires
britanniques du danger imminent. Je me borne à remarquer que,
même sil'Albanie a eu connaissance avant le 22 octobre 1946 de
l'existence du champ de mines - ce qui n'est pas prouvé -, la
garde côtière albanaise ne pouvait pas, le jour indiqué, avertir les
navires britanniques de ce fait. Vu les circonstances du passage des

navires, ce jour-là, la garde côtière n'avait ni le temps suffisant ni
les moyens techniques nécessaires pour faire l'avertissement.

Vu ce qui précèdeet à cause de l'insuffisance des preuves appor-
téespar la Partie britannique, je ne peux pas venir à la conclusion
que l'Albanie est responsable des explosions qui ont eu lieu le
22 octobre 1946 dans les eaux albanaises. On ne condamne pas un
État en se basant sur des probabilités. Pour établir une responsa-

bilité internationale, il faut avoir les faits clairs et indiscutables.
Dans l'affaire présente, ces faits manquent.
7273 OPINION DISSIDENTE DE M. KRYLOV

4. La Cour n'a pas de compétence Po~r fixer le montant de ha
réparation.

Je ne peux pas me rallierà l'opinion de la majorité selon laquelle
la Cour aurait compétence pour déterminer le montant de la
réparation due par l'Albanie.
Le texte du compromissignépar l'Albanie et la Grande-Bretagne,
le 25 mars 1948, est clair. D'après ce texte, la Cour peut statuer
sur la question de principe : l'Albanie doit-elle payer les répara-
tions à la Grande-Bretagne ?Il ne s'ensuit pas du tout que la Cour

ait compétencepour fker le montant des réparations. A mon opinion,
ceci résulte clairement non seulement du texte du compromis,
mais surtout des circonstances dans lesquelles ce compromïs était
conclu.

Dans son Mémoire,la Grande-Bretagne a demandé que lui soit
adjugée la somme de 875.000 livres sterling à titre de dommages-
intérêts.Les signataires du compromis du 25 mars 1948, et surtout
l'agent du Royaume-Uni, ne pouvaient pas ne pas avoir en vue
cette demande. J'exclus la possibilité d'une resematio mentalis
de ce dernier :donc, le compromis n'a pas retenu cette demande.

En mêmetemps, le compromis a posédevant la Cour la nouvelle
question relative àla légitimité des actions de la marine britannique
dans les eaux albanaises. Le compromis est une novation complète
de l'&aire soumise àla Cour et n'englobe pas la question du montant
des sommes à payer éventuellement.
Il est vrai que, pendant les plaidoiries de janvier 1949, le
Royaume-Uni a réitérésa demande de paiement de la somme
énoncéeprécédemment, mais cette interprétation du compromis,
faite par le conseil britannique, me semble contraire à la lettre
et à l'esprit du compromis du 25 mars 1948, et elle a étécontestée

par le conseil albanais.
Je pense que la Cour devrait interpréter restrictivement le
compromis du 25 mars 1948, en ayant en vue que sa compétence
se base uniquement sur le consentement des Parties.
Les vagues référencesqu'on peut trouver dans le dossier et la
citation de divers documents ne peuvent pas suffire à baser la
compétence de la Cour qui, à cet égard, dépasse les limites posées
par le compromis.

5. Le passage des navires britanniques le 22 octobre 1946.
Le passage de l'escadre britannique le 22 octobre 1946 s'est .

effectuédans les eaux territoriales de l'Albanie, celles-ci s'étendant
jusqu'à la médiane du Détroit Nord de Corfou. Était-il un passage
inoffensif si on considère) son but et b)ses modalités d'exécution? 74 OPINION DISSIDEKTE DE M. KRYLOV

La question du passage inoffensif des navires de guerre d'un État
dans les eaux territoriales d'un autre État n'a pas étérégléepar
une convention. La Conférencede La Haye de 1930peur la codifica-
tion du droitinternational a échouédans sa tentativede réglementer
le régime des eaux territoriales. La pratique des Etats en cette
matière est loin d'êtreuniforme, et on ne peut pas constater à cet
égard l'existence d'une coutume internationale. Nous n'avons que
des sources éparses - suggestions des associations internationales,
doctrine d'éminents publicistes, etc.

Selon mon opinion, on doit adopter le point de vue présenté par
l'auteur français, M. Gidel, qui, dans son ouvrage Le Droit inter-
national public de la Mer s'exprime ainsi (tome 3, p. 284) : «Le
passage des bâtiments de guerre étrangers, dans la mer territoriale,
n'est pas un droit mais une tolérance. )La raison est que le navire
de guerre a un caractère différent du navire marchand. Le célèbre
juriste américain, M. Elihu Root, dans sa plaidoirie dans l'affaire
des pêcheriesde l'Atlantique du Nord, a judicieusement remarqué
que le passage des navires de guerre par lamer territoriale ne doit
pas s'effectuer sans le consentement de 1'Etat riverain. Les vais-

seaux de guerre constituentune menace - ((they threaten))tel n'est
pas le cas des navires marchands : «merchant ships nzny pass and
repass because they do not threatels ». (Voir Hackxvorth, Digest of
Inter?tatiod Law, volume 1, p. 646.) Il suffit de citer encore
l'affirmation en cette matière contenue dans Harvard Lazv School
Research in International Lazu (1929, p. 295) : ((tlzereis fherefore
no reasonfor freedom of innocent passage of vessels of zcar. Ftrrtker-
~izore,the passage of vessels of war near the shores of foreign.States
and the presence withoztt prior notice of vessels of war ilz jnarginal

seasntightgiverise towzisunderstandingevenwhentheyarein transit. ))
Ainsi, c'est à l'État riverain qu'appartient le droit de réglementer
le passage des vaisseaux de guerre dans ses eaux territoriales.
Ce droit appartient-il à l'État riverain si les eaux territoriales
forment une partie d'un détroit international ? La réponse à cette
question ne peut pas êtreuniforme.
Contrairement à l'opinion de Ia majorité des juges, je consi-
dère qu'il n'existe pas de réglementation comnzune du régime
juridique des détroits. Chaque détroit a sa réglementation parti-

culière. Tel est le cas du Bosphore et des Dardanelles, du Sund
et des Belts, du détroit de Magellan, etc. Le régime juridique
de tous ces détroits est définipar les conventions internationales
correspondantes. Le réginle du Détroit de Corfou n'a pas reçu de
réglementation juridique. A cause de son importance minime, le
régime de ce détroit n'a pas attiré d'attention particulière. Il
suffit de dire, par exemple, que l'auteur grec Jean Spiropoulos,
dans son manuel Droit international public (1933)~ne fait aucune
mention du Détroit de Corfou. Si le régime du détroit n'est pas
cléfini, ar une con\-ention multilatérale, il appartient à l'État ou

rius Etats riveraiils de faire cette réglementation. Dans les condi-75 OPINION DISSIDENTE DE M. KRYLOV

tions politiques normales, la réglementation du Détroit Nord de
Corfou eût pu êtrefixéepar accord entre l'Albanie et la Grèce. En
1946, quand l'Albanie était considéréepar la Grèce comme se
trouvant en état de guerre avec cette dernière, un tel accord était
impossible. L'Albanie avait donc le droit de réglementer le passage
des navires de guerre dans ses eaux territoriales, à la condition de
se conformer aux prescriptions du droit international.
En présence de l'attitude prise par l'Albanie de subordonner le
passage des navires de guerre à un permis préalable, le Royaume-
Uni, au lieu d'utiliser un des moyens pacifiques énumérésdans
l'article33 de la Charte des Nations Unies pour résoudre le dif-
férend survenu entre elle et l'Albanie, a ordonné le passage de
quatre navires de guerre par le Détroit.

Suivant l'instruction reçude l'Amirauté, l'escadre britannique
a exercé le passage par le Détroit de Corfou comme une mission
spéciale dont les modalités étaient définiespar l'ordre de l'amiral
en chef de l'escadre.
Je constate que cet ordre intitulé XCU («Iixercice de Co^Ifo~)
n'a pas étéproduit à la Cour par leGouvernement du Royaume-Uni,
contrairement à la décisionprise par la Cour le14 décembre 1948.
Je ne peux pas ainsi porter mon jugement sur son contenu, et je
me borne à examiner les modalités de passage le 22 octobre1946,
qui peuvent révélerle sens et le but de cet ordre.

Je me contente de souligner deux faits qui montrent de quelle
manière l'ordre XCU a étéexécuté :
a) Il résulte du dossier que les navires britanniquobservaient
la côte albanaise et prenaient note des défenses et des batteries
albanaises. Cela est démontré par la carte annexée au Mémoire

britannique (annexe 21) et par le rapport de l'amiral Kinahan du
23 octobre 1946,dont l'alinéa 3 démontre que la reconnaissance
des défensesde la côte albanaise a étéeffectuéebienantl'explosion
des navires britanniques.
b) Le passage des quatre navires de guerre britanniques a révélé
l'intention britanniqued'intimider les autorités albanaises et de
manifester la puissance navale britannique.
Il s'ensuit qu'on peut constater que 22 octobre1946 les navires
brit:inniques ont commis un abus du droit de passage. Donc, le
passage de ces navires, l22 octcbre 1946, a perdu le caractère de
passage innocent et, par ce fait, la souveraineté de l'Albanie dans
ses eaux territoriales a étéyiolée.

6. L'opération (Retnil» des 12et 13novembre 1946.

Je partage la conclusion àlaquelle la Cour est venueunanimement
sur ce point, mais je désire présenter des remarques supplémen-
taires.
En analysant les actions de la marine de guerre britannique, les
12-13 novembre 1946 l faut constater qu'il s'agissait d'une opéra-
7576 OPINION DISSIDENTE DE 31.KRYLOV

tion de déminage organiséepar la marine de guerre d'un État dans
les eaux temtoriales d'un autre Etat :l'Albanie.
Sous le couvert de la nécessitédu dragage des mines, les actions
de la marine britannique n'étaient autre chose que l'intervention
d'une Puissance étrangère dans les affaires d'un autre État- État
faible, qui n'a pas de moyens vim vi repellere.
Le droit international eston peut le dire, unanime en condam-
nant le (droit))d'intervention sous toutes les formes dans lesquelles
ce prétendu droit peut s'exercer.

Dans le cas présent, une escadre britannique consistant en 23
navires de guerre s'est présentée le 12 novembre 1946 devant la
côte albanaise. Ellea fait draguer un espace où seplacèrent lesgrands
navires de couverture (croiseurs et porte-avions), soit huit navires,
pendant deux jours, les 12 et 13 novembre 1946, bien en vue de
la côte albanaise. Le 13 novembre, sous la protection spéciale
d'avions, il fut procédéau dragage des mines près de Saranda.
Ce dragage était effectuépar une décisionde la Grande-Bretagne
sans consentement de l'Albanie, sans admettre un observateur de
la part de celle-ci et mêmesous un faux prétexte (voir les notes
britanniques du 26 octobre 1946 et du IO novembre 1946 dans les-

quelles le Gouvernement du Royaume-Uni a affirméinexactement
que le déminageest sanctionnépar le Comitécentral dedéminage -
voir le Mémoiredu Royaume-Uni, pp. 43 à 45).
La note albanaise du II novembre 1946 proposait la constitution
d'une commission mixte pour définirl'espace où les mines seront
draguées.Mais cette offre resta sans réponse.
Pour défendre l'action unilatérale du Royaume-Uni, son conseil
ainvoquéle prétendu droit d'auto-protection (self-helfl).Il a avancé
l'argument que la Grande-Bretagne voulait seulement rassembler
les preuves de la pose des mines ; en d'autres termes, c'était une
opération de police judiciaire. Il a tâché de convaincre la Cour
qu'il s'agissait d'un cas unique et sans précédent,et que la Grande-
Bretagne n'avait d'autre solution que d'exercer le droit d'auto-

protection limité au strict nécessaire.
La Cour n'a pas pu partager cette argumentation. La prétention
d'exercer un acte judiciaire dans le territoire d'un autre Etat, est
inadmissible parce que cet exercice viole la souveraineté de 1'Etat
en question. On peut se rappeler la prétention de l'Autriche-Hongrie
en 1914, avant le déclenchement de la première guerre mondiale,
de prendre part dans l'instruction criminelle qui se déroulait sur
le territoire serbe. On sait qiie l'opinion mondiale publique s'est
prononcée contre cette prétention exorbitante, violant la souve-
râlneté d'un autre Etat.

On doit noter que l'argumentation britannique sur cepoint, c'est-
à-dire la défensedu prétendu droit de self-help,qui n'est pas autre
chose qu'une intervention, se base sur les assertions qui sont déjà
dCpasséespar le développement ultérieur du droit international,
surtout après la ratification de la Charte des Nations Unies.

7677 OPINION DISSIDENTE DE M. KRYLOV

Après 1945, c'est-à-dire l'entrée envigueur de la Charte, le droit
prétendu d'auto-protection (self-help), ou autrement dit le droit
de nécessité (leNotrecht), proclamé autrefois par beaucoup d'au-
teurs allemands. ne peut plus êtreinvoqué. On doit le considérer
comme suranné. L'emploi de la force ainsi que la menace de la
force sont interdits par la Charte (article2,par. 4).
Pour donner une qualification juridique aux actes de la marine
britannique les 12 et 13 novembre 1946, on doit constater que la
Grande-Bretagne a rassemblé des forces navales considérables,
comme il est indiquéplus haut, pour faire une démonstration navale

près de la côte albanaise. On peut définirla démonstration navale
comnie une menace directe dirigée contre un autre Etat. (Voir
Frisch, Kriegerische Demonstration zur See. Strupp, Worterbuch
des Volkerrechtsund der Diplomatie, vol. 1,pp. 226-227.)
Les forces navales britanniques semblaient si écrasantes que la
population de Saranda s'apprêtait, selon le témoignage présenté
devant la Cour, à quitter la ville et à s'abriter dans les montagnes.
Voyant les navires britanniques qui stationnaient et opéraient dans
les eaux adjacentes au territoire albanais, la population de Saranda
était en état de panique et s'attendait à l'invasion. L'ordre public
sur la côte albanaise était ainsi troublé.
Or, selon la Charte des Nations Unies (article 42), les démonstra-
tions ainsi que d'autres opérations exécutéesp, ar les forces aériennes

navales ou terrestres des Membres des Nations Unies ne peuvent
êtreentreprises qu'en vertu d'une décisiondu Conseil de Sécurité.
La Charte exclut donc les actions militaires unilatérales de ses
Membres.
Ainsi, les actions de la marine de guerre britannique, dans les
eaux albanaises, le 22 octobre et les 12 et 13 novembre 1946,
engagent la responsabilité internationale de la Grande-Bretagne
et doivent êtrequalifiées comme constituant une violation, selon
le droit international, de la souveraineté de l'Albanie.
Cette constatation est une satisfaction due 2 juste titre à
l'Albanie.

(Signé)S. I<KYLOV

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I. La connivence de l'Albanie n'est pas prouvée.
La Cour a repoussé avec raison l'assertion du Royaume-Uni que
la pose des mines au canal nord de Corfou a eu lieu avec la
connivence de l'Albanie.
Je partage l'opinion émisedans cette partie de l'arrêt,mais je

me sens obligéde faire les remarques ci-dessous.
Pour soutenir sa thèse, la Partie britannique.a affirmédans sa
Réplique que les mines avaient été poséesprès de Saranda juste
avant le 22 octobre 1946 par les navires de guerre yougoslaves
;Mljetet Meljine. La Partie britannique a présentéà la Cour l'a-
davit du témoin Kovacic, deserteur militaire yougoslave. Ce témoin
a déposédevant la Cour que, dans le port de Sibenik, en Yougo-
slavie, il avait vu, vers18eoctobre 1946 ,e chargement de mines
allemandes du type GY sur les navires susmentionnés.
Pour renforcer le témoignage de Kovacic, la Partie britannique
a présentéà la Cour l'affidavit d'un certain Pavlov qui a déserté
d'un navire marchand yougoslave. Dans son affidavit, Pavlov
raconte qu'il a vu au mois d'octobre 1946 à Boka Kotorska un

navire de guerre du type Mljet, d'où la conclusion britannique que
les navires Mljet et Meljine ont quitté le port de Sibenik et se sont
rendus dans les eaux albanaises.
Ayant examiné l'affidavit de Pavlov, la Cour n'a pas cru néces-
saire d'entendre le témoignage de Pavlov en audience publique.
Quant au témoignage de Kovacic, il s'est révélé plein d'erreurs.
. La descente des experts de la Cour à Sibenik en a détruit la valeur,
puisque les experts ont constaté qu'une grande partie des affinna-
tions catégoriques qu'il avait faites concernant ce qu'il aurait vu
était matériellement impossible.
Il faut dire plus. Mêmesi une partie de la déposition de Kovacic
était véridique,sori témoignage n'est pas une preuve suffisante
pour affirmer que les mines en question ont étéposées par les
navires yougoslaves. Kovacic prétend avoir vu les navires yougo-
slaves chargés de mines allemandes GY dans le port de Sibenik.

Il affirme avoir entendu dire par un officier yougoslave (dont il
n'a pas voulu dire le nom) que les mines étaient poséesdans les
eaux albanaises ; et il ajoute que cet officierlui-mêmene participait
pas àl'opération du mouillage des mines et était seulement informé
de ce fait par un autre officier.
Ainsi, l'affirmation de Kovacic est un ((oui-dire)1(ou, comme
on dit en anglais,earsay) et mêmeun ((ouï-dire au second degrén.
La déposition de Kovacic n'apporte et ne peut pas apporter une
preuve quelconque dans l'affaire présente.
68 DISSENTING OPINION BY JUDGE KRYLOV.

I. Albania's connivance has not been proved.

The Court has rightly rejected the allegation made by the United
Kingdom that the laying of mines in the North Corfu Channel was
effected with the connivance of Albania.
1 agree with the opinion expressed in this part of the Judgment,
but 1 feel compelled to make the observations which follow.
In support of their contention the British alleged in their Reply
that the mines were laid near Saranda just before October zznd,
1946, by the Yugoslav warships ,111jetand Meljine. The British
submitted to the Court the afidavit of the witness Kovacic, a
deserter from the Yugoslav armed forces. This witness, giving
evidence before the Court, said that about October 18th, 1946,

in the port of Sibenik in Yugoslavia, he had seen Germari GY mines
loaded on the above-mentioned ships.
By way of strengthening Kovacic's testimony, the British filed
with the Court an affidavit by a man named Pavlov, who had
deserted from a Yugoslav merchant ship. Pavlov stated in his
affidavit that during October, 1946, he had seen a warship of the
Jlljet type at Boka Kotorska. Hence, the British drew the con-
clusion that the *bfljetand -Vfeljiaehad left the port of Sibenik and
paid a visit to Albanian waters.
After examining Pavlov's amdavit, the Court considered that it
was unnecessary to hear his evidence at a public sitting.
As regards Kovacic's testimony, it was found to be full of errors.
The visit paid by the Court's Experts to Sibenik deprived it of any
value, as the Experts found that many of his categorical statements
about things he was said to have seen were nlaterially impossible.

But there is more. Even if some part of Kovacic's deposition
was true, his eviderice is still not sufficient to prove that the mines
in question were laid by the I-ugoslav sbps. Kovacic alleged that
he had seen the Yugoslav ships loaded with German GY mines in
the port of Sibenik. He stated that he had heard a Yugoslav
officer (whose name he was unwilling to give) Say that the mines
had been laid in Albanian waters ;he added that this officer had
not himself taken part in laying the mines but had merely been told
about it by another officer.

Kovacic's statement is therefore nothing more than mhat the
British cd1 "hearsay", indeed it is "hearsay in the second degree".
Kovacic's deposition does not, and cannot, afford any kind of proof
in the present case.

6869 OPINION DISSIDENTE DE M. KRYLOV

Dans le droit interne de plusieurs pays, on se contente parfois
de la preuve indirecte (circumstantial midence). L'auteur célèbre
anglais Wills le démontre pour le commonlaw dans son livre Prin-
ciples of Circumstantial Expidence(voir the combined English and
Indian edition, 1936).
Mais je doute qu'en se basant sur la preuve indirecte, on en puisse
conclure à la responsabilité d'un Etat envers un autre État. Je ne
pense pas que la justice internationale puisse se contenter de
preuves indirectes, telles qu'on les a présentées,dans cette affaire

qui touche à l'honneur d'un Etat suje- du droit international et à
sa position dans la communauté des Etats.

C'est pourquoi je ne peux baser mon opinion sur la déposition
de Kovacic et je dois constater que jusqu'ici on n'a pas découvert
l'auteur criminel de la pose des mines dans le chenal de Corfou.

Il n'est pas contesté que l'Albanie elle-mêmen'avait pas les
moyens de mouiller les mines. On ne peut pas affirmer non plus que
l'Albanie était complice dans l'opération de mouillage. Affirmer
une cornplicitg serait un manquement à la logique juridique. S'il

n'y a pas de pïeuves pour découvrir le coupable du mouillage des
mines, comment la Cour pourrait-elle juger que l'Albanie était
complice dans l'opération du niouillage ?

2. La connaissance par l'Albanie n'est pas prouvée.

ka Cour a fait sienne une autre thèse du Royaume-Uni :la thèse

alternative que l'Albanie aurait eu connaissance de la pose des
mines.
En faveur de cette thèse sont présentés lesdeux arguments sui-
vants :

a) En premier lieu, l'attitude du Gouvemement albanais avant
et après l'explosion du 22 octobre 1946 et, en particulie~, les
inexactitudes et contradictions prétendues dans la correspondance
diplomatique albanaise. Il ne faut cependant pas perdre de vue
que le Gouvemement albanais était en 1946 un gouvernement
nouveau sans expérience dans la conduite des affaires internatio-
nales et ne disposant pas d'experts dans les questions du droit
international. C'est pourquoi il n'est pas équitable de chercher
dans les erreurs de la correspondance diplomatique albanaise les
arguments permettant d'affirmer la connaissance par l'Albanie de

la pose des mines. Cette consequentia non valet. On ne peut pas
constater non plus que l'Albanie ait eu 1: désir de cacher qu'elie
avait connaissance du mouillage. Bien que non renseignée sur les
événementsdu 22 octobre 1946, elle n'avait pas tardé à s'adresser
aux Nations Unies et à leur demander de faire la lumière sur ces
événements.

69 DISSENTING OPINION BY JUD.GE KRYLOV 69
In the municipal law of several countries, indirect proof (circum-

stantial evidence) is sometimes considered adequate. The well-
known British author Wills has explained this point in regard to
"cornmon law" in his book Principles of Circumstantial Evidence
(see the combined English and Indian edition, 1936).
However, 1 douht whether, by founding oneself on indirect
evidence, it is possible to conclude that a State is responsible vis-à-
vis another State. 1 do not believe that international justice
could be content with indirect evidence of the sort that has been
produced in the present case, which affects the honour of a State,
a subject of international law, and its position in the commiinity
of nations.
For these reasons, 1 cannot found my opinion on the deposition
of Kovacic, and 1 feel bound to declare that, up to the present, the

criminal who laid the mines in the Corfu Channel has not been
discovered.
It is not contested that Albania herself had no means of laying
the mines. Neither can it be affirmed that Albania was an
accomplice in the minelaying operation. The assertion of such
complicity wouid be a departure from juridical logic. If there is
no evidence to show who was guilty of laying the mines, how can
the Court find that Albania was an accomplice in the minelaying
operation ?

2. Albania's cognizance of th mines has not beenproved.

The Court ha accepted another of the subrnissions of the United
Kingdom : the alternative submission that Albania was cognizant
of the minelaying.
The two following arguments were presented in support of this
theory :

(a) In the first place, the Albânian Government's attitude
before and after the explosion on October zznd, 1946, and, in
particular, the alleged inaccuracies and contradictions in the Alba-
riian diplomatic correspondence. It must not however be forgotten
that in 1946 the Albanian Government was a new government
without experience in the condiict of international affairs and
without the assistance of experts in questions of international law.
It is therefore inequitable to found arguments leading to the conclu-

sion that Albania was cognizant of the minelaying, upon errors
in the Albanian diplomatic correspondence. This consequentia
non valc?t. Nor is there ground for asseïting that Albania sought
to conceal the fact that she was cognizant of the minelaying.
Although she was not informed as to the events on October 22nd,
1946, she did not delay in addressing herself to the United Nations
and in asking them to have these events elucidated. OPINIOK DISSIDENTE DE 31.KRYLOV
70
b) La Partie britannique affirme en second lieu que les autorités
locales albanaises devaient voir et entendre l'opération du mouil-
lage des mines. Cependant, ce fait n'est aucunement démontré.
Les témoins albanais ont décrit devant la Cour l'organisation de
la garde côtière albanaise dans la régionde Saranda. Dans la partie

de la côte albanaise qui nous intéresse, il y avait en l'année 1946
trois postes :au cap Kiephali, à Saranda mêmeet au monastère
Saint-Georges. Le commandant de la défense côtière disposait en
outre d'une batterie près de Saranda.

En étudiant la carte de cette région, et le dessin présentépar les
experts de la Cour, le 8 février 1949, on peut constater que la garde
côtière albanaise pouvait exercer sur 1'ensem.ble du Détroit la
surveillance nécessaire. Ceci n'exclut nullement la possibilité d'une
opération clandestine dans les eaux du Détroit. En effet, la surveil-
lance de la garde côtière, satisfaisante dans les conditions atmos-

phériques normales, ne pouvait sans doute s'exercer de la même
manière dans les conditions atmosphériques défavorables, c'est-à-
dire pendant les temps pluvieux, la nuit noire, etc.
Dans leur premier rapport, le 8 janvier 1949, les experts de la
Cour affirment que les mouilleurs de mines auraient pu êtreobservés
mêmependant la nuit à l'aide de jumelles de la partie de la côte
située entre le cap Denta et le monastère Saint-Georges.
Quant à la possibilité d'entendre l'opération du mouillage, les
experts disent dans le mêmerapport que si les conditions étaient
favorables, il aurait été possible d'entendre le mouillage des mines
de la mêmepartie de la côte et à la pointe de Limione. Toutefois,

zjoutent-ils, dans des conditions moins favorables, il serait impos-
sible de tous les points qui viennent d'êtreindiqués d'entendre
l'opération.
L'affirmation des experts sur ce point se fondait sur les résultats
de l'expérience faite dans les conditions décrites dans leur rapport.
Il faut noter à ce propos que les experts se trouvaient à bord d'un
r,avire et non à terre, c'est-à-dire dans des conditions facilitant
l'audibilité, ce qui a étéconstaté judicieusement par le conseil
albanais dans la séance de la Cour le 21 janvier 1949.

Le second rapport des experts du S février 1949, après leur des-

cente à Saranda, ne modifie pas leur premier rapport.

L'expérience de visibilité, faite par les experts, du monastère
Saint-Georges a eu lieu par une nuit extrêmement calme (brise
légèrenord-est) et claire, à la lumière des étoiles. Les experts
étaient en état d'alerte, ils savaient le moment précis auquel le
bateau qu'ils attendaient avait quitté Saranda. Ils ont aperçu le
bateau à la distance de 670-800 mètres. Or, la mine la plus
proche du nionastère était à 2.000 mètres de distance.
La conclusion des experts sur la question de visibilité (les experts

déclarent qu'ils n'ont pas fait une expérience de l'audibiliti.à
70 DISSENTING OPINION BY JUDGE KRYLOV 7O
The British have contended, in the second place, that the
Albanian local authoritïes must have seen and heard the minelaying
operation. However, this fact has certainly not been proved.

The Albanian witnesses described to the Court the organization
of the Albanian coastal guards in the Saranda district. In the
part of theAlbanian coast with which we are concerned, there were
in 1946 three posts, namely at Cape Kiephali, at Saranda itself,
and at the San Giorgio Monastery. The commander of the coast
defences had also at his disposa1 a battery in the neighbourhood
of Saranda.
From a study of the map of this district and of the sketch
prodüced by the Court's Experts on February 8th, 1949, it appears
that the Albanian coastal guards were in a position to exercise
the necessary vigilance over the whole of the Strait. But that in
no way excludes the possibility of a clandestine operation in the
waters of the Strait. For the watch kept by the coastal guards,
though adequate in normal weather conditions, could evidently
not be exercised with the same efficiency in unfavourable weather
conditions, for instance in rainy weather or on dark nights, etc.
In their first report on January 8th, 1949, the Court's Experts

stated that the minelayers could have beenobserved, even by night,
with the aid of binoculars in the part of the coast between Denta
Point and the San Giorgio Monastery.
In regard to the possibility of hearing the laying of the mines,
the Experts stated, in the same report, that under favourable
conditions it would have been possible to hear the minelaying
operation from that part of the coast and frorn Limion Point. But,
they added, under less favourable conditions it would be impossible
to hear the operation from al1the points that had just been men-
tioned.
The statement of the Experts on this point was based on the
results of the test which they camed out under the conditions
described in theu report. It must be noted, in this connexion,
that the Experts were on board a vessel, not on land, i.e., in cir-
cumstances which favoured audibility, as was quite correctly
pointed out by the Albanian Counsel at the Court's Sitting on Jan-
uary z~st, 1949.

The second report of the Experts, dated February 8th, 1949,
after their visit to Saranda, does not modify what they said in their
first report.
The visibility test was carried out by the Experts from the San
Giorgio Monastery during a very calm and clear night (slight
breeze from the North-East) by starlight. The Experts were on
the look-out, they knew the exact moment when the boat which
they were awaiting had left Saranda. They saw the boat when it
was 670-800metres away. But the nearest mine to the Monasteiy
was 2,000 metres away.
The conclusion drawn by the Experts on the question of visibility
(they said that they did not carry out an audibility test at Saranda)

70TI OPINION DISSIDENTE DE M. KRYLOV

Saranda) est la suivante :les deux experts considèrent que l'opéra-
tion du mouillage des mines a dû êtreobservée de la côte si les
conditions atmosphériques avaient été normales (c'est-à-dire
nébulosit6 3-4/10 p,as de brouillard ni d'averse, légèrebrise de
l'Est,20 milles de visibilité) et si les postes de veille etaient main-
tenus au cap Kiephali, au monastère Saint-Georges etau cap Denta
(quant a ce dernier poste, la Cour ne tient pas pour établie son
existence).
Il va sans dire que les conditions extrêmement favorables ne
peuvent pas se rencontrer quotidiennement et que l'affirmation
des experts quant à la visibilité doit êtreappréciée comme condi-

tionnelle.
On voit bien que la descente sur les lieux n'a pas changé la
substance de la réponse des expertssur la possibilité de voir l'opé-
ration du mouillage des mines. Nous nous trouvons constamment
dans la sphère des possibilités et des probabilités.
Il faut dire-encore que dans sa plaidoirie le17 janvier, le conseil
du Royaume-Uni a implicitement admis que les milles ont pu être
mouillées sans que l'opération du mouillage ait pu êtrevue ou
entendue de la côte.
Je ne trouve donc pas de raisons pour soutenir que l'Albanie
a eu con-naissancedu mouillage des mines et encore moins pour dire
à quel moment précis elle a acquis cette conna.issance.

3. La fautv de I'dlbanie n'est fias firouvée.

Mais peut-être les autorités albanaises 'eussent-elles dû voir ou
entendre ce mouillage ?
Répondre affirmativement à cette question, c'est à mon opinion
baser la responsabilité de l'Albanie sur la notion de faute.
J'emploie ce terme avec une certaine réserve. Je pense que les
termes du droit romain et du droit civil et pénal contemporain
peuvent être utilisés dans le droit international, mais avec une
certaine souplesse et sans faire des distinctions trop subtiles. Il
n'est pas nécessaire de transposer dans le système du droit inter-
national les distinctions que nous trouvons parfois dans tel ou tel
système du droit interne.
Est-il possible de baser la responsabilité internationale de'Alba-
nie sur la notion de faute ? Peut-on soutenir que l'Albanie n'a pas
dkployéla diligence requise par le droit international pour prévenir

le mouillage des mines dans le canal de Corfou ? Peut-on dire que
le droit international contient une obligation pour l'État riverain
de prévenir le mouillage des mines dans ses eaux territoriales ?
Je pense que non. Si parfaite que soit l'organisation de la garde
côtière d'un État riverain, le mouillage clandestin des mines n'est
pas néanmoins exclu. On peut ajouter : surtout en temps de paix
quand la garde côtière n'est pas en état d'alerte. Mais l'histoire
de la guerre maritime noils fournit aussi beaucoup d'exemples du
mouillage des mines clandestin. DISSENTING OPINION BY JUDGE KRYLOV 7I
was as follows : the two Experts considered that the minelaying
operation must have been observed from the coast if the weather
conditions had been normal (i.e., clouds 3-4/1oths, no fog or rainfall,

slight easterly breeze, visibility miles), and if look-out posts were
stationed at Cape Kiephali, San Giorgio Monastery and Denta
Point (in regard to the latter post, the Court does not find that its
existence was proved).

It need hardly be said that extremely favourable weather condi-
tions may not occur every day, and that the statement of the
Experts in regard to visibility must be understood as conditional.

It 1squite evident that the Experts' visit to the places in question
has not affected the substance of their replies regarding the
possibility of seeing the minelaying operation. We still remain

in the sphere of possibilities and probabilities.
It must be added that, in bis speech on January 17th, the United
Kingdom Counsel implicitly admitted that the mines might have
been laid without the operation having been seen or heard from
the coat.
Accordingly, 1 do not see any reason for assertirig that Albania
ha&cognizance of the laying of the mines and still less for determ-
ining the exact moment at which she acquired such cognizance.

3. The culpa of Albania has not been proved.
But is it perhaps the case that the Albanian authorities ought
to have seen or heard the minelaying operation ?
To answer that question in the affirmative would, in my opinion,

be to found Albania's responsibility on the notion of cul+a.
1 employ this term, subject to a reservation. 1 consider that
the terms of Roman law and of contemporary civil and criminal
law may be used in international law, but with a certain flexibility
and without making too subtle distinctions. There is no rieed to
transfer the distinctions which we sometirnes meet in certain
systems of municipal law into the system of international law.

1s it then possible to found the international responsibility of
Albailia on the notion of culPa ? Can it be argued that Albania
failed to exercise the diligence required by international law to
prevent the laying of mines in the Corfu Channel ? Can it De

asserted that international law involves an obligation for a coastal
State to prevent the laying of mines in its territorial waters ? 1
do not think so. However perfectly the coastal watch of a
coastal State majy be organized, the clandestine laying of mines
cannot be considered impossible, especially, one might add, in
peace time when the coastal guards are not in a state of instant
readiness. But the history of maritime war provides plenty of
examples of clandestine minelaying.72 OPINION DISSIDENTE DE JI. KRYLOV

Je veux faireici une remarque.La responsabilité del'État rcsultant
d'un dél?tinternational présuppose au moins une faute de la part
de cet Etat. On ne peut pas baser la responsabilité internationale
de l'État sur l'argument qu'un fait imputé à cet Etat a eu lieu sur
son territoire - terrestre, maritime, ou aérien. On ne peut pas

transposer dans le domaine du droit international la théorie du
risque développée dans le droit civil interne de plusieurs pays.
Pour fonder la responsabilité de l'État, il faut donc recourir à la
notion de faute. Je peux me référer au célèbreauteur anglais
Oppenheim. Dans son cours de droit international, il affirme que
la conception du délit international suppose que l'État a agi
z~!zlfullyand ?naliciousl))ou, en cas d'omission, (with cuipable
neglzgence ))(tome 1, par. 154) .'éditeur de la septième édition

(1948) M,. Lauterpacht, ajoute qu'on peut constater parmi les
auteurs modernes la tendance prononcéede rejeter la théorie de la
responsabilité absolue et de fonder la responsabilité de 1'Et;rt sur
la notion de faute \I.U111I.
Comme je l'ai déjà dit plus haut, je ne peux pas trouver dans
l'organisation et le fonctionnement de la garde côtière de l'Albanie
- vu l'insufhsance des ressources de ce petit pays - un manque
de diligence tel qu'il pût mettre en question la responsabilité de

l'Albanie. Je ne trouve pas la trace d'une hégligencecoupable.
La confusion qui règne dans les faits de l'espèce apparaît notam-
ment de ce que, d'une part, la majorité a affirméque l'Albanie
aurait exercéune vigilance spéciale,alors que, d'autre part, certains
juges estiment que la responsabilité de lJA15anie résulte de son
manque de vigilance, ce qui est une présomption diamétralement
opposée à la première.
En l'absence de preuves que l'Albanie a eu connaissance de la
pose des mines ou qu'elle a commis une faute en ne déployant pas

la diligence requise dans le fonctionnement de sa garde côtière,
je dois encore discuter la question de savoir si l'Albanie peut être
inculpéeàcause de l'omissiond'avertir le 22 octobre 1946 les navires
britanniques du danger imminent. Je me borne à remarquer que,
même sil'Albanie a eu connaissance avant le 22 octobre 1946 de
l'existence du champ de mines - ce qui n'est pas prouvé -, la
garde côtière albanaise ne pouvait pas, le jour indiqué, avertir les
navires britanniques de ce fait. Vu les circonstances du passage des

navires, ce jour-là, la garde côtière n'avait ni le temps suffisant ni
les moyens techniques nécessaires pour faire l'avertissement.

Vu ce qui précèdeet à cause de l'insuffisance des preuves appor-
téespar la Partie britannique, je ne peux pas venir à la conclusion
que l'Albanie est responsable des explosions qui ont eu lieu le
22 octobre 1946 dans les eaux albanaises. On ne condamne pas un
État en se basant sur des probabilités. Pour établir une responsa-

bilité internationale, il faut avoir les faits clairs et indiscutables.
Dans l'affaire présente, ces faits manquent.
72 DISSEXTIKG OPIKIOS ET JUDGE KRYLOV 72

Here 1 have an observation to make. The responsibility of a
State in consequence of an international delinquency presupposes,
at the very least, czclpnon the part of that State. One cannot
found the international responsibility of a State on the argument
that the act of which the State is accused took place in its territory

-terrest rial, maritime, or aerial territory. One cannot transfer
the theory of risk, which is developed in the municipal law of some
States, into thedomain of international law. In order to found the
responsibility of the State recourse must be had to the notion of
cu2pa. 1 refer to the famous English author, Oppenheim. In
his work on international law, he writes that the conception of
international delinquency presumes that the State acted "wilfully
and malicio~sly", or in cases of acts of omission "with culpable
negligence" (Vol. 1, para. I54). Mr. Lauterpacht, the editor of the
7th edition (1949, adds that one cal1discern among modern authors
a definite tendency to reject the theory of absolute responsibility and
to found the responsibility of States on the notion of culPa (p.311).
As 1 have already stated, 1 cannot find in the organization and

functioning of the Albanian coastal watch-having regard to the
limited resources of that small country-such a lack of diligence
as might invol\-e the responsibility of Albania. 1 do not find anj.
evidence of culpable negligence.
The confusion which prevails in regard to the facts in this case
is apparent in the circumstance that, on the one hand, the majority
declare that Albania was exercising special vigilance whereas, on
the other hand, some of the judges consider that Albania's respon-
sibility actually results from her lack of vigilance ; the second pre-
sumption is diametrically opposed to the first.
Though there is no evidence to show that Albania was cognizant
of the minelaying or that she was guilty of culpn in not exercising

the requisiée diligence through the action of her coastal watch, 1
have still to examine the question whether Albania has incurred
responsibility owing to her omission to warn the British ships of
their imminent danger on October zznd, 1946. 1 will content
mvself with saying that, even if Albania had kno~vnof the existence
of the minefield before October zznd, 1946-and that has not been
proved-the Albanian coastal guard service could not have warned
the British ships of the fact on that da?. Having regard to the
circumstances of the passage of the ships on that day, the coastal
guards had neither sufficient time nor the necessary technical means
for giving such a warning.
In view of the foregoing and owing to the inadequacy of the

evidence produced by the British, 1 am unable to reach the con-
clusion that -4lbania was responsible for the explosions which took
place on October zznd, 1946, in Albanian waters. One cannot
condernn a State on the basis of probabilities. To establish
international responsibjlitp, one must have clear and indisputable
factb. In the present case these facts are absent.
7273 OPINION DISSIDENTE DE M. KRYLOV

4. La Cour n'a pas de compétence Po~r fixer le montant de ha
réparation.

Je ne peux pas me rallierà l'opinion de la majorité selon laquelle
la Cour aurait compétence pour déterminer le montant de la
réparation due par l'Albanie.
Le texte du compromissignépar l'Albanie et la Grande-Bretagne,
le 25 mars 1948, est clair. D'après ce texte, la Cour peut statuer
sur la question de principe : l'Albanie doit-elle payer les répara-
tions à la Grande-Bretagne ?Il ne s'ensuit pas du tout que la Cour

ait compétencepour fker le montant des réparations. A mon opinion,
ceci résulte clairement non seulement du texte du compromis,
mais surtout des circonstances dans lesquelles ce compromïs était
conclu.

Dans son Mémoire,la Grande-Bretagne a demandé que lui soit
adjugée la somme de 875.000 livres sterling à titre de dommages-
intérêts.Les signataires du compromis du 25 mars 1948, et surtout
l'agent du Royaume-Uni, ne pouvaient pas ne pas avoir en vue
cette demande. J'exclus la possibilité d'une resematio mentalis
de ce dernier :donc, le compromis n'a pas retenu cette demande.

En mêmetemps, le compromis a posédevant la Cour la nouvelle
question relative àla légitimité des actions de la marine britannique
dans les eaux albanaises. Le compromis est une novation complète
de l'&aire soumise àla Cour et n'englobe pas la question du montant
des sommes à payer éventuellement.
Il est vrai que, pendant les plaidoiries de janvier 1949, le
Royaume-Uni a réitérésa demande de paiement de la somme
énoncéeprécédemment, mais cette interprétation du compromis,
faite par le conseil britannique, me semble contraire à la lettre
et à l'esprit du compromis du 25 mars 1948, et elle a étécontestée

par le conseil albanais.
Je pense que la Cour devrait interpréter restrictivement le
compromis du 25 mars 1948, en ayant en vue que sa compétence
se base uniquement sur le consentement des Parties.
Les vagues référencesqu'on peut trouver dans le dossier et la
citation de divers documents ne peuvent pas suffire à baser la
compétence de la Cour qui, à cet égard, dépasse les limites posées
par le compromis.

5. Le passage des navires britanniques le 22 octobre 1946.
Le passage de l'escadre britannique le 22 octobre 1946 s'est .

effectuédans les eaux territoriales de l'Albanie, celles-ci s'étendant
jusqu'à la médiane du Détroit Nord de Corfou. Était-il un passage
inoffensif si on considère) son but et b)ses modalités d'exécution? DISSENTING OPINION BY JUDGE KRYLOV 73

4. The Court has no jurisdiction to assess the amount of th

compensation.
1 cannot align myself wiih the opinion of the majonty to the
effect that the Court has jurisdiction to determine the amount
of the compensation to be paid by Albania.
The text of the Special Agreement signed by Albania and Great
Britain on March 25th, 1948 s clear. According to that text, the

Court rnay give judgment on the question of principle :1s there
any duty (for Albania) to pay compensation to Great Britain ?
It does not follow at al1that the Court has jurisdiction to fix the
amount of the compensation. In my opinion, that is perfectly
clear, not only from the wording of the Special Agreement, but
especially from the circumstances in which that Special Agreement
was concluded.
In her Memorial, Great Bntain asked the Court to award her the
sum of L875,oco sterling by way of damages. The signatories of
the Special Agreement of March 25th, 1948, and in particular the
United Kingdom Agent,cannot have failed to have had that demand
in mind. 1 exclude the possibility of a ï.eservatiomentalis on the
part of the latter agent ; and so the Specizl Agreement did not
maintain that claim.
At the same time, the Special Agreement put a new question to
the Court concerning the lawfulness of the acts of the British Navy
in Albanian waters. The Special Agreement is a complete restate-

ment of the case submitted to the Court and does not embrace the
question of the amount of money that might have to be paid.
It is true that during the oral proceedings in January1949 the
United Kingdom reaffirmed its claim for the payment of the sum
previously mentioned, but this interpretation of the Special Agree-
ment by the British Counsel is in my view contrary both to the
letter and the spirit of the Special Agreement of March 25th,1948,
and it was disputed by the Albanian Counsel.
1consider that the Court should interpret the Special Agreement
of March esth, 1948 ,estrictively, bearing in mind that its jurisdic-
tion is based solely on the consent of the Parties.
The vague references which may be found in the records and
the citation of various documents are not adequate to found the
jurisdiction of the Court which, in this respect, has exceeded the
limits laid down by the Special Agreement.

5. Th passage of the British ships on Octobe~22nd, 1946.

The passage of the British squadron through the territorial
waters of Albania was made on October eznd, 1946. These waters
extznd to the median line of the North Corfu Strait. Was it an
innocent passage,having regard to (a)its object and (b)the methods
by which it was effected ? 74 OPINION DISSIDEKTE DE M. KRYLOV

La question du passage inoffensif des navires de guerre d'un État
dans les eaux territoriales d'un autre État n'a pas étérégléepar
une convention. La Conférencede La Haye de 1930peur la codifica-
tion du droitinternational a échouédans sa tentativede réglementer
le régime des eaux territoriales. La pratique des Etats en cette
matière est loin d'êtreuniforme, et on ne peut pas constater à cet
égard l'existence d'une coutume internationale. Nous n'avons que
des sources éparses - suggestions des associations internationales,
doctrine d'éminents publicistes, etc.

Selon mon opinion, on doit adopter le point de vue présenté par
l'auteur français, M. Gidel, qui, dans son ouvrage Le Droit inter-
national public de la Mer s'exprime ainsi (tome 3, p. 284) : «Le
passage des bâtiments de guerre étrangers, dans la mer territoriale,
n'est pas un droit mais une tolérance. )La raison est que le navire
de guerre a un caractère différent du navire marchand. Le célèbre
juriste américain, M. Elihu Root, dans sa plaidoirie dans l'affaire
des pêcheriesde l'Atlantique du Nord, a judicieusement remarqué
que le passage des navires de guerre par lamer territoriale ne doit
pas s'effectuer sans le consentement de 1'Etat riverain. Les vais-

seaux de guerre constituentune menace - ((they threaten))tel n'est
pas le cas des navires marchands : «merchant ships nzny pass and
repass because they do not threatels ». (Voir Hackxvorth, Digest of
Inter?tatiod Law, volume 1, p. 646.) Il suffit de citer encore
l'affirmation en cette matière contenue dans Harvard Lazv School
Research in International Lazu (1929, p. 295) : ((tlzereis fherefore
no reasonfor freedom of innocent passage of vessels of zcar. Ftrrtker-
~izore,the passage of vessels of war near the shores of foreign.States
and the presence withoztt prior notice of vessels of war ilz jnarginal

seasntightgiverise towzisunderstandingevenwhentheyarein transit. ))
Ainsi, c'est à l'État riverain qu'appartient le droit de réglementer
le passage des vaisseaux de guerre dans ses eaux territoriales.
Ce droit appartient-il à l'État riverain si les eaux territoriales
forment une partie d'un détroit international ? La réponse à cette
question ne peut pas êtreuniforme.
Contrairement à l'opinion de Ia majorité des juges, je consi-
dère qu'il n'existe pas de réglementation comnzune du régime
juridique des détroits. Chaque détroit a sa réglementation parti-

culière. Tel est le cas du Bosphore et des Dardanelles, du Sund
et des Belts, du détroit de Magellan, etc. Le régime juridique
de tous ces détroits est définipar les conventions internationales
correspondantes. Le réginle du Détroit de Corfou n'a pas reçu de
réglementation juridique. A cause de son importance minime, le
régime de ce détroit n'a pas attiré d'attention particulière. Il
suffit de dire, par exemple, que l'auteur grec Jean Spiropoulos,
dans son manuel Droit international public (1933)~ne fait aucune
mention du Détroit de Corfou. Si le régime du détroit n'est pas
cléfini, ar une con\-ention multilatérale, il appartient à l'État ou

rius Etats riveraiils de faire cette réglementation. Dans les condi- DISSEXTING OPINION BY JUDGE KRYLOV
74
The question of innocent passage by warships belonging to one
State through the territorial waters of another State has not been
regulated by convention. The Hague Conference of 1930 for the
Codification of International Law failed in its efforts to regulate
the régime of temtorial waters. The practice of States in this

matter is far from uniform, and it is impossible fo Say that
an international custom exists in regard to it. We only dispose
of scattered sources-suggestions by international associations,
doctrines of learned authorities, etc.
In my opinion, we should adopt the standpoint of the French
writer, M. Gidel, who, in his work Le Droit inr2rnational public
de la Mer, expresses himself as follows. (Vol. 3, p. 284) : "The
passage of foreign warships through territorial waters is not a right
but a tolerance." The reason is that a warship's character is
different from that of a merchant ship. The celebrated Amencan
jurist, Mr. Elihu Root, in his speech in the North.Atlantic Fish-
eriescase, judiciously declared that the passage of warships through
temtonal waters should not be effected without the consent of the
coastal State. Warships constitute a menace-"they threaten",
that is not the case with merchant ships : "merchant ships may
pass and repass because they do not threaten" (see Hackworth,
Digest of In&rnational Law, Vol. 1, p. 646). It will be sufficient
to cite in addition the statement on this point in Harvard Law
School Research in International Law (1929, p. 295) : "There is

therefore no reason for freedom of innocent passage of vesseSs of
war. Furthermore, the passage of vessels of war near the shores
of foreign States and the presence without prior notice of vessels
of war in marginal seas might give rise to misunderstanding even
when they are in transit."
Accordingly , the right t O regulate the passage of warships
through its territorial waters appertains to the coastal State.
Does ihis right appertain to the coastal State if the territorial
waters form part of an international strait ? No uniform reply
can be given to that question.
Contrary to the opinion of the majority of the judges, 1
consider that there is no ,such thing as a common regulation
of the legal régime of straits. Every strait is replated indiv-
idually. That applies to the Bosphorus and the Dardanelles, to
the Sound and the Belts, to the Strait of Magellan, etc. The
legal rkgime of al1 those straits is defined by the respective inter-
national conventions. The régimeof the Corfu Strait has not been

jundically regulated. Bwing to its insignificance, the régime of
that Strait has not been found worthy of special attention. Suffice
it to say, for example, that the Greek writer Jean Spiropoulos, in
his manual Droit inte~nationalpublic (1933), makes no mention at
al1 of the Corfu Strait. If the régime of the strait is not defined
by a multikteral convention, it appertains to the coastal State or
States to regulate it. When political conditions were normal,75 OPINION DISSIDENTE DE M. KRYLOV

tions politiques normales, la réglementation du Détroit Nord de
Corfou eût pu êtrefixéepar accord entre l'Albanie et la Grèce. En
1946, quand l'Albanie était considéréepar la Grèce comme se
trouvant en état de guerre avec cette dernière, un tel accord était
impossible. L'Albanie avait donc le droit de réglementer le passage
des navires de guerre dans ses eaux territoriales, à la condition de
se conformer aux prescriptions du droit international.
En présence de l'attitude prise par l'Albanie de subordonner le
passage des navires de guerre à un permis préalable, le Royaume-
Uni, au lieu d'utiliser un des moyens pacifiques énumérésdans
l'article33 de la Charte des Nations Unies pour résoudre le dif-
férend survenu entre elle et l'Albanie, a ordonné le passage de
quatre navires de guerre par le Détroit.

Suivant l'instruction reçude l'Amirauté, l'escadre britannique
a exercé le passage par le Détroit de Corfou comme une mission
spéciale dont les modalités étaient définiespar l'ordre de l'amiral
en chef de l'escadre.
Je constate que cet ordre intitulé XCU («Iixercice de Co^Ifo~)
n'a pas étéproduit à la Cour par leGouvernement du Royaume-Uni,
contrairement à la décisionprise par la Cour le14 décembre 1948.
Je ne peux pas ainsi porter mon jugement sur son contenu, et je
me borne à examiner les modalités de passage le 22 octobre1946,
qui peuvent révélerle sens et le but de cet ordre.

Je me contente de souligner deux faits qui montrent de quelle
manière l'ordre XCU a étéexécuté :
a) Il résulte du dossier que les navires britanniquobservaient
la côte albanaise et prenaient note des défenses et des batteries
albanaises. Cela est démontré par la carte annexée au Mémoire

britannique (annexe 21) et par le rapport de l'amiral Kinahan du
23 octobre 1946,dont l'alinéa 3 démontre que la reconnaissance
des défensesde la côte albanaise a étéeffectuéebienantl'explosion
des navires britanniques.
b) Le passage des quatre navires de guerre britanniques a révélé
l'intention britanniqued'intimider les autorités albanaises et de
manifester la puissance navale britannique.
Il s'ensuit qu'on peut constater que 22 octobre1946 les navires
brit:inniques ont commis un abus du droit de passage. Donc, le
passage de ces navires, l22 octcbre 1946, a perdu le caractère de
passage innocent et, par ce fait, la souveraineté de l'Albanie dans
ses eaux territoriales a étéyiolée.

6. L'opération (Retnil» des 12et 13novembre 1946.

Je partage la conclusion àlaquelle la Cour est venueunanimement
sur ce point, mais je désire présenter des remarques supplémen-
taires.
En analysant les actions de la marine de guerre britannique, les
12-13 novembre 1946 l faut constater qu'il s'agissait d'une opéra-
75 DISSENTING OPINION BY JUDGE KRYLOV
75
it would have been found possibleto regulate the régimeofthe North
Corfu Strait by an agreement between Albania and Greece. In
1946,when Albania was considered by Greece as being in a state of
war with the latter, such an agreement was impossible. Therefore,
Albania had the right to regulate the passage of warships through
her territorial waters provided that she conformed to the rules of

international law.
Faced with the decision of Albania to make the passage of
warships conditional on a pri~r authorization, the United Kingdom,
instead of utilizing one of the peaceful methods enumerated in
Article 33 of the United Nations Charter in order to settle the
dispute which had arisen between her and Albania. ordered four
warships to make a passage through the Strait.
In accordance with the instructions received from the Admiralty,
the British squadron carried out the passage through the Corfu
Strait as a special mission, the exact method being specified in an
order issued by the admira1 commanding the squadron.
1note that this order, entitled XCU (Exercise Corfu), was not
produced to the Court by the United Kingdom Government not-
withstanding the decision taken by the Court on December 14th,

19will confinemyself to examining the methods by which the passage
was made on October zznd, 1946,and which may reveal the purport

and objects of that order.
1will content myself with drawing attention to two facts which
show how the order XCU was carried out.
(a) It is shown by the records that the British ships were
observing the Albanian coast and making notes on the Albanian
defences and batteries. That is proved by the chart attached to
the British Memorial (Annex 21) and by Admiral Kinahan's report
of October 23rd, 1946, paragraph 3 of which shows that the recon-
naissance of the Albanian coast defences was being carried out
some time beforethe explosions which damaged the British ships.
(b) The passage of four British ships revealed the intention on
the part of Great Britain to intimidate the Albanian authorities
and to make a display of British naval power.
Consequently, it may be affirmed that on October zznd, 1946,
the British ships misused the right of passage. Therefore, the
passage of these ships on October zznd, 1946,ceased to possess the

character of an innocent passage and, for that reason, the sover-
eignty of Albania in her territorial waters was violated.
6. OperatiolzKetail on November12th and 13th, 1946.

1 agree with the conclusion at which the Court has unanimously
arrived on this point, but 1 wish to present some supplementary
observations.
An analysis of the acts of the British Navy on November
1zth-13th, 1946, makes it clear that this was a minesweeping76 OPINION DISSIDENTE DE 31.KRYLOV

tion de déminage organiséepar la marine de guerre d'un État dans
les eaux temtoriales d'un autre Etat :l'Albanie.
Sous le couvert de la nécessitédu dragage des mines, les actions
de la marine britannique n'étaient autre chose que l'intervention
d'une Puissance étrangère dans les affaires d'un autre État- État
faible, qui n'a pas de moyens vim vi repellere.
Le droit international eston peut le dire, unanime en condam-
nant le (droit))d'intervention sous toutes les formes dans lesquelles
ce prétendu droit peut s'exercer.

Dans le cas présent, une escadre britannique consistant en 23
navires de guerre s'est présentée le 12 novembre 1946 devant la
côte albanaise. Ellea fait draguer un espace où seplacèrent lesgrands
navires de couverture (croiseurs et porte-avions), soit huit navires,
pendant deux jours, les 12 et 13 novembre 1946, bien en vue de
la côte albanaise. Le 13 novembre, sous la protection spéciale
d'avions, il fut procédéau dragage des mines près de Saranda.
Ce dragage était effectuépar une décisionde la Grande-Bretagne
sans consentement de l'Albanie, sans admettre un observateur de
la part de celle-ci et mêmesous un faux prétexte (voir les notes
britanniques du 26 octobre 1946 et du IO novembre 1946 dans les-

quelles le Gouvernement du Royaume-Uni a affirméinexactement
que le déminageest sanctionnépar le Comitécentral dedéminage -
voir le Mémoiredu Royaume-Uni, pp. 43 à 45).
La note albanaise du II novembre 1946 proposait la constitution
d'une commission mixte pour définirl'espace où les mines seront
draguées.Mais cette offre resta sans réponse.
Pour défendre l'action unilatérale du Royaume-Uni, son conseil
ainvoquéle prétendu droit d'auto-protection (self-helfl).Il a avancé
l'argument que la Grande-Bretagne voulait seulement rassembler
les preuves de la pose des mines ; en d'autres termes, c'était une
opération de police judiciaire. Il a tâché de convaincre la Cour
qu'il s'agissait d'un cas unique et sans précédent,et que la Grande-
Bretagne n'avait d'autre solution que d'exercer le droit d'auto-

protection limité au strict nécessaire.
La Cour n'a pas pu partager cette argumentation. La prétention
d'exercer un acte judiciaire dans le territoire d'un autre Etat, est
inadmissible parce que cet exercice viole la souveraineté de 1'Etat
en question. On peut se rappeler la prétention de l'Autriche-Hongrie
en 1914, avant le déclenchement de la première guerre mondiale,
de prendre part dans l'instruction criminelle qui se déroulait sur
le territoire serbe. On sait qiie l'opinion mondiale publique s'est
prononcée contre cette prétention exorbitante, violant la souve-
râlneté d'un autre Etat.

On doit noter que l'argumentation britannique sur cepoint, c'est-
à-dire la défensedu prétendu droit de self-help,qui n'est pas autre
chose qu'une intervention, se base sur les assertions qui sont déjà
dCpasséespar le développement ultérieur du droit international,
surtout après la ratification de la Charte des Nations Unies.

76 DISSENTING OPINION BY JUDGE KRYLOV 76

operation organized by the nax7y of one State in the territorial
waters of another State : Albania.
Under cover of the necessity of sweeping the mines, the acts
undertaken by the British Navy were nothing else but the inter-
vention of a foreign Power in the affairs of another State-a weak
State which possesses no means vim vi refiellere.
It may be said that international law isunanimous in condemning
the "right" of intervention in any foms in which this alleged right
may be exercised.
In the present case, a British squadron of twenty-three warships
appeared on November rzth, 1946, off the Albanian coast. It
proceeded to sweep an area where its larger coveringships (cruisers
and aircraft carrier), some eight ships, were stationed for two days,
on November 12th and 13th, 1946, fi111in view of the Albanian
coast . On November 13th, under the special protection of aircraft,

a minesweeping operation was undertaken near Saranda.
This sureep was effected by a decision of Great Britain without
Albania's consent, without an observer of the latter country being
allowed to participate and even under a faIse pretext (see the
British notes of October 26th, 1946, and November ~oth, 1946,
in which the British Government stated incorrectly that the mine-
clearance had been approved by the Central Mine Clearance Board
-see British Memorial, pp. 43 to 45).
The Albanian note of November ~rth, 1946, had proposed the
constitution of a mixed commission to delimit the area which was
to be swept. But no answer was given to this offer.
In defending the unilateral action of the United Kingdom, its
Counsel invoked the alleged right of self-help. He argued that
Great Britain merely wished to collect evidence that mines had
been laid ; in other words, it was a judicial police operation. He
tried to convince the Court that this was a unique and unpre-
cedented case and that Great Britain had no choice but to exercise

the right of self-protection, confined to what was strictly necessary.

The Court was unable to accept this argument. The claim to
exercise judicial action in the territory of another State is inadmis-
sible because it violates the sovereignty of the State in question.
Memory recalls the Austro-Hungarian claim in 1914, before the
outbreak of the first World War, to participate in a criminal
prosecution which had been opened in Serbian territory. As is
known, public opinion throughout the world declared its opposition
to this exorbitant claim which violated the sovereignty of another
State
It should be observed that the British argument on this point,
i.e., their defence of the alleged right of self-help-whicis nothing
else but intervention-relies on assertions which have already
been outstripped by the further development of international law,
especially since the ratification of the Charter of the United Nations.

7677 OPINION DISSIDENTE DE M. KRYLOV

Après 1945, c'est-à-dire l'entrée envigueur de la Charte, le droit
prétendu d'auto-protection (self-help), ou autrement dit le droit
de nécessité (leNotrecht), proclamé autrefois par beaucoup d'au-
teurs allemands. ne peut plus êtreinvoqué. On doit le considérer
comme suranné. L'emploi de la force ainsi que la menace de la
force sont interdits par la Charte (article2,par. 4).
Pour donner une qualification juridique aux actes de la marine
britannique les 12 et 13 novembre 1946, on doit constater que la
Grande-Bretagne a rassemblé des forces navales considérables,
comme il est indiquéplus haut, pour faire une démonstration navale

près de la côte albanaise. On peut définirla démonstration navale
comnie une menace directe dirigée contre un autre Etat. (Voir
Frisch, Kriegerische Demonstration zur See. Strupp, Worterbuch
des Volkerrechtsund der Diplomatie, vol. 1,pp. 226-227.)
Les forces navales britanniques semblaient si écrasantes que la
population de Saranda s'apprêtait, selon le témoignage présenté
devant la Cour, à quitter la ville et à s'abriter dans les montagnes.
Voyant les navires britanniques qui stationnaient et opéraient dans
les eaux adjacentes au territoire albanais, la population de Saranda
était en état de panique et s'attendait à l'invasion. L'ordre public
sur la côte albanaise était ainsi troublé.
Or, selon la Charte des Nations Unies (article 42), les démonstra-
tions ainsi que d'autres opérations exécutéesp, ar les forces aériennes

navales ou terrestres des Membres des Nations Unies ne peuvent
êtreentreprises qu'en vertu d'une décisiondu Conseil de Sécurité.
La Charte exclut donc les actions militaires unilatérales de ses
Membres.
Ainsi, les actions de la marine de guerre britannique, dans les
eaux albanaises, le 22 octobre et les 12 et 13 novembre 1946,
engagent la responsabilité internationale de la Grande-Bretagne
et doivent êtrequalifiées comme constituant une violation, selon
le droit international, de la souveraineté de l'Albanie.
Cette constatation est une satisfaction due 2 juste titre à
l'Albanie.

(Signé)S. I<KYLOV DISSENTING OPINION BY JUDGE KRYLOV 77
Since 1945, i.e., after the coming into force of the Charter, the
so-called right of self-help, also known as the law of necessity
(Notrecht),which used to be upheld by a number of German authors,
The
can no longer be invoked. It must be regarded as obsolete.
employment of force in this way, or of the threat of force, is
forbidden by the Charter (para. 4 of Art. 2).
In forming juridical opinion of the character of the acts of the
British Navy on November 12th and 13th, 1946, it must be noted
that Great Britain assembled considerable naval forces, as has
been stated above, in order to make a naval demonstration off the
Albanian coast. A naval demonstration may be defined as a
direct threat aimed at another State (see Frisch, Kriegerisch
Demonstration zur See. Strupp, Worterbuchdes Volkerrechtsund der
Bifilomatie, Vol. 1,pp. 226-227).
The British forces seemed so overwhelming that, according. to
evidence given to the Court, the inhabitants of Saranda were
preparing to leave the town and take refuge in the mountains.
Seeing the British ships stationed and operating in waters adjacent
to Albanian temtory, the inhabitants of Saranda were seized with
panic and expected an invasion. Public peace was thus disturbed

on the Albanian shore.
But according to the United Nations Charter (Art. 42) clemonstra-
tions and other operations carried out by the air, sea or land forces
of Members of the United Nations may only be undertaken in
pursuance of a decision by the Security Council. The Charter,
therefore, prohibits unilateral military actioby its Members.

It follows that the actiontaken by the British Navy in Albanian
waters on October 22nd, 1946, and on November 12th and 13th,
1946, involved the international liability of Great Britain and
must be described as a violation, in international law, of Albania's
sovereignty.
The staternent of that fact coiistitutes the satisfaction whicli is
justly due to Albania.

(Signed) S. KRYI.OV.

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Opinion dissidente de M. Krylov

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