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CR 2015/15

Mercredi 29 avril 2015 à 15 heures

Wednesday 29 April 2015 at 3 p.m. - 2 -

10 The PRESIDENT: Please be seated. The sitting is open. The Court meets today to hear

Nicaragua’s second round of oral argument in the case concerning Certain Activities carried out

by Nicaragua in the Border Area (Costa Rica v. Nicaragua). I now give the floor to

His Excellency Mr. Argüello Gómez, the Agent of Nicaragua. You have the floor, Sir.

M. ARGÜELLO : Je vous remercie, Monsieur le président. Monsieur le président,

Mesdames et Messieurs de la Cour, bonjour.

1. Dans mon exposé d’aujourd’hui, je m’attacherai à la question de la souveraineté sur le

territoire litigieux.

2. A cet égard, il convient de distinguer deux phases dans le différend porté devant la Cour

par le Costa Rica. La première consiste dans la revendication territoriale qu’il a présentée le

18 novembre 2010 en déposant sa requête et qu’il a maintenue pendant la procédure en indication

de mesures conservatoires, puis lors du dépôt de son mémoire.

3. Le Costa Rica a présenté des cartes indiquant que la frontière partait de la rive est de la

lagune de Harbor Head et suivait la côte, mais en passant à l’intérieur de la bande de terre

s’étendant de l’actuelle Punta de Castilla à Harbor Head jusqu’à ce qui est aujourd’hui

o
l’embouchure principale du fleuve San Juan. [Projection du document figurant sous l’onglet n 1]

Cette revendication apparaît très clairement à l’écran où est projetée la carte costa-ricienne

1
de 1988 sur laquelle on voit que le tracé de la frontière passe à l’intérieur de la formation qui

sépare la lagune de la mer et qui fait clairement partie du territoire nicaraguayen. [Fin de la

2 3
projection] Ce tracé est confirmé par d’autres cartes comme celles de 1966 et de 1970 que le
o
Costa Rica a annexées à son mémoire et qui figurent sous l’onglet n 14 du dossier de plaidoiries.

4. La seconde phase de la demande du Costa Rica date des audiences sur la demande en

indication de mesures conservatoires qui se sont tenues en octobre 2013. [Projection du document

figurant sous l’onglet n 2] Le Costa Rica a alors avancé que le territoire litigieux comprenait toute

1MCR, vol. V, annexe 185.

2Ibid., annexe 222.
3
Ibid., annexes 178-179. - 3 -

la zone, jusqu’à la mer, y compris la formation séparant celle-ci de la lagune. Sur cette image , on 4

peut voir à présent l’extension de la revendication territoriale du Costa Rica. En réponse à la

11 question de Mme la juge Donoghue, M. Kohen a affirmé que la partie de ladite formation (le banc

de sable) qui était située entre la lagune de Harbor Head et la mer appartenait au Nicaragua . 5

Nous nous exprimerons plus en détail sur ce point lorsque nous répondrons à la question de

Mme la juge Donoghue.

5. Le Nicaragua considère que l’intégralité de la zone fait partie de son territoire. [Fin de la

projection]

6. Sa prétention est fondée d’abord et avant tout sur les textes internationaux qui ont permis

de délimiter son territoire et de procéder à sa démarcation. La Cour les connaît bien maintenant : il

s’agit du traité de limites de 1858, de la sentence arbitrale du président Cleveland de 1888 et des

cinq sentences arbitrales que le général Alexander a rendues entre 1897 et 1900.

7. Au cours de la séance d’hier, les conseils du Costa Rica ont cité ces textes abondamment

et de manière sélective, à une exception près. Cette exception très révélatrice est la

sentence Cleveland, qui n’a été mentionnée ni par les conseils du Costa Rica au cours de la

procédure orale ni dans les conclusions. Pourquoi ? Parce qu’elle contredit tout ce que le

Costa Rica défend.

8. Je ne reproche pas au Costa Rica de mentionner l’article II du traité Jerez-Cañas du

15 avril 1858, qui stipule que la limite entre le Nicaragua et le Costa Rica [projection du document

figurant sous l’onglet n 3], «à partir de la mer du Nord, partira de l’extrémité de Punta de Castilla,

à l’embouchure du fleuve San Juan de Nicaragua, puis suivra la rive droite de ce fleuve jusqu’à un
6
point distant de trois milles … de Castillo Viejo» .

9. Cependant, les conseils du Costa Rica semblent oublier que les deux Parties n’étaient pas

d’accord sur l’emplacement exact du point de départ de la frontière. C’est pourquoi elles ont eu

4 Image satellite du 14 septembre 2013 (demande en indication de nouvelles mesures conservatoires du
Costa Rica, 23 septembre 2013, annexe 28, agrandissement ; affaire relative à Certaines activités, second tour,
onglet n 19 du dossier de plaidoiries du Costa Rica).

5CR 2015/14, p. 33, par. 31. Voir onglet n 19 du dossier de plaidoiries du Costa Rica en date du 28 avril 2015.
6
Traité de limites de 1858 (MCR, annexe 1) (les italiques sont de nous). - 4 -

recours à l’arbitrage du président Cleveland, qui a fixé l’emplacement précis et inaltérable de ce

point de départ. [Fin de la projection]

10. Voici ce que le président Cleveland a déclaré au premier alinéa du point 3 de sa sentence

du 22 mars 1888 [projection du document figurant sous l’onglet n 4] : «La frontière entre la

République du Costa Rica et la République du Nicaragua du côté de l’Atlantique commence à

l’extrémité de Punta de Castilla à l’embouchure du fleuve San Juan de Nicaragua, en leur état

respectif au 15 avril 1858.» [Fin de la projection]

12 11. Si le Costa Rica ne fait aucun cas de la sentence du président Cleveland, c’est peut-être

parce que celui-ci n’a pas dit que la frontière suivait l’embouchure du fleuve, mais bien qu’elle

commençait à l’extrémité de Punta de Castilla à l’embouchure du fleuve San Juan de Nicaragua, en

leur état respectif au 15 avril 1858, c’est-à-dire, en un point fixé et inaltérable qui ne dépend pas

des transformations de l’embouchure du fleuve.

12. Lorsque la question du point de départ de la délimitation a été soumise à

l’ingénieur-arbitre Alexander, la situation est devenue parfaitement claire. Ce dernier aborde la

question dans sa première sentence de septembre 1897, où la Cour ne trouvera aucune indication

qu’il cherchait l’embouchure du fleuve. Alexander a consacré de longs passages de sa sentence à

l’emplacement de Punta de Castilla, car tel était le point de départ fixé pour la frontière. Il s’est vu

contraint de constater que l’emplacement désigné quarante ans auparavant, soit à l’époque du traité

de 1858, était «depuis longtemps recouvert par la mer des Caraïbes» . Par conséquent, il s’est

employé à établir où Punta de Castilla aurait été située, car il s’agissait du point de départ fixé pour

la frontière. Si l’emplacement de l’embouchure du fleuve avait été le facteur déterminant, il aurait

tout simplement décidé où celle-ci se trouvait à ce moment-là. Or il ne cherchait pas l’embouchure

du fleuve, mais uniquement Punta de Castilla.

13. Avant de poursuivre l’analyse de la sentence et de ses conséquences pour la situation

présente, il est utile de signaler que le Costa Rica a soumis à la Cour une affaire de délimitation

9
maritime à l’encontre du Nicaragua au sujet de la mer des Caraïbes . [Projection du document

7Sentence Cleveland (MCR, annexe 7) (les italiques sont de nous).

8Sentence du 30 septembre 1897 (MCR, annexe 9).
9
Délimitation maritime dans la mer des Caraïbes et l’océan Pacifique (Costa Rica c. Nicaragua), mémoire du
Costa Rica, 3 février 2015. - 5 -

o
figurant sous l’onglet n 5] Suivant le mémoire déposé le 3 février 2015, le point de départ de cette

délimitation est situé quelque part dans l’embouchure principale actuelle du fleuve San Juan, à

quelques kilomètres du point fixe défini par le traité de 1858 et les sentences Cleveland

et Alexander . Cela met en lumière le véritable intérêt du Costa Rica en l’espèce et clarifie

l’incroyable agitation qu’il a causée sur 250 hectares de ce que le Secrétaire général de
11
l’Organisation des Etats américains, surpris, a qualifié de «marécage» lorsqu’il s’est rendu sur les

lieux. L’affaire porte en réalité sur des espaces maritimes d’une superficie considérable qui

13 seraient générés par le déplacement du point terminal de la frontière. Voilà sur quoi porte l’affaire.

[Fin de la projection]

14. Pour examiner la situation actuelle, prenons le croquis joint à la sentence Alexander

de 1897, actuellement projeté à l’écran. On se souviendra peut être que, lors de mon premier

exposé, j’ai signalé que, dans sa première sentence, Alexander avait appelé l’attention sur

l’existence d’une île importante à l’embouchure du fleuve San Juan ; je cite : «La principale

caractéristique de la géographie de cette baie, depuis les descriptions les plus anciennes que nous

en avons, est l’existence d’une île à son embouchure, appelée sur certaines cartes anciennes l’île de
12
San Juan.»

15. [Projection du document figurant sous l’onglet n 6] Cette île est représentée en rouge à

l’écran. Durant les trois heures de séance d’hier matin, le Costa Rica n’a fait aucune référence à

cette «principale caractéristique» ni à quoi que ce soit qui y ait trait. Je vais donc devoir revenir sur

ce document plus attentivement, puisqu’il semble que le Costa Rica ait choisi de taire l’importance

donnée par Alexander à cette formation, que j’ai également signalée dans ma dernière plaidoirie.

16. Si l’on regarde le croquis, on remarquera aussi que la ligne de démarcation avancée par

le Costa Rica en 1897 montre que sa revendication concernait principalement la souveraineté sur

l’ensemble de l’île de San Juan. Selon Alexander,

«[t]oute l’argumentation du Costa Rica repose sur la présomption selon laquelle le
15 avril 1858, date de la conclusion du traité, il existait une continuité entre l’île et le
promontoire est, que cela transformait l’île en partie du continent … mais, même si

10L’image est tirée du mémoire du Costa Rica en l’affaire relative à Certaines activités (annexe 196).

11Livre blanc, «Ces vérités que cache le Costa Rica» (CMN, annexe 26), p. 15.
12
Sentence du 30 septembre 1897 (MCR, annexe 9). - 6 -

cela est vrai, il serait déraisonnable de supposer qu’une telle continuité temporaire
puisse avoir pour effet de modifier de façon permanente le caractère géographique et
la propriété politique de l’île.»13

17. Aussi Alexander décida-t-il que cette île appartenait au Nicaragua. Mais où est-elle

passée depuis qu’il a rendu sa sentence ? Le Costa Rica reste muet à ce sujet car il sait qu’elle fait

partie du territoire litigieux.

14
18. Dans son contre-mémoire , le Nicaragua souligne que, en 1897, la position du

Costa Rica était que la frontière devait suivre un chenal se dirigeant vers l’ouest (la gauche sur le

croquis), alors qu’Alexander a clairement dit qu’elle devait suivre un chenal se dirigeant vers l’est

(la droite sur le croquis) jusqu’à la lagune de Harbor Head.

14 19. Eh bien, près de cent-vingt ans après la sentence Alexander, il s’avère que le Costa Rica

revendique de nouveau aujourd’hui ce que l’arbitre lui avait alors refusé, à savoir la souveraineté

sur l’île de San Juan et le chenal se dirigeant vers l’ouest jusqu’à la zone de Punta Arenas et non

vers l’est jusqu’à la lagune de Harbor Head. [Fin de la projection]

20. A ce stade, je dois signaler que, même si la question posée par le vice-président,

M. le juge Yusuf, était adressée au Costa Rica, ce qui suit permettra de connaître le point de vue

d’ensemble du Nicaragua sur le sujet. Je répondrai également de manière générale à la question de

Mme la juge Donoghue, mais, cette dernière question ayant été posée directement au Nicaragua, je

lui apporterai une réponse plus directe à la fin de mon exposé.

21. Monsieur le président, j’aborderai à présent la situation qui existait sur le terrain

lorsqu’Alexander a choisi les chenaux ou caños.

22. Premièrement, ainsi que je viens d’en donner lecture , il a fait observer, que, déjà

en 1858, l’île de San Juan était reliée à la rive droite durant la saison sèche. On notera la

signification de cette remarque, à savoir que le chenal séparant l’île de San Juan de la rive droite ne

pouvait pas être navigable toute l’année, même à l’époque du traité de 1858, c’est-à-dire

quarante ans avant qu’Alexander ait vu pour la première fois le fleuve San Juan.

13
Sentence du 30 septembre 1897 (MCR, annexe 9).
14CMN, p. 28, par. 2.19.
15
Voir par. 16 ci-dessus. - 7 -

23. Dans sa sentence, Alexander fait référence à cette zone et affirme : «[l]a particularité de

cette baie … est que le fleuve a un très faible débit durant la saison sèche … si bien qu’il est

possible de traverser à pied sec» .6

o
24. Que signifie tout cela ? [Projection du document figurant sous l’onglet n 7]

Premièrement, en ce qui concerne la souveraineté sur l’île de San Juan : si l’on regarde la carte

projetée à l’écran et établie le 30 septembre 1897 par la commission binationale

Nicaragua-Costa Rica, on voit clairement qu’un banc de sable s’étend depuis l’île de San Juan en

direction de Punta de Castilla et que, à partir de ce point, un autre banc de sable s’étire dans la

direction opposée. Ces deux bancs de sable s’avancent l’un vers l’autre jusqu’au milieu de

l’embouchure de la lagune de Harbor Head. Le premier point intéressant concernant cette carte

(à noter que ses auteurs l’appellent un «plano», c’est-à-dire une carte et non un croquis comme

celui établi à l’époque par le général Alexander)  est que le banc de sable protège l’île de

San Juan de la mer des Caraïbes. [Fin de la projection] Ce banc de sable existe toujours, comme

on peut le voir sur presque toutes les cartes, ainsi que les photographies aériennes et images

satellite qui figurent sous l’onglet n 14 du dossier de plaidoiries. [Projection des documents

15 n 14 b) et c) figurant sous l’onglet n 14, puis fin de la projection] On voit également à l’écran, à

titre d’exemple, la carte costa-ricienne de 1988 qui montre clairement ce banc de sable. [Projection
o
du document figurant sous l’onglet n 1]

25. Mais si le banc de sable existe toujours, qu’est-il arrivé à l’île de San Juan ? Elle n’a pas

pu être engloutie par la mer, car le banc de sable aurait été le premier à disparaître, puisqu’il lui sert

de bouclier naturel. Donc, même si le Costa Rica refuse de le reconnaître, le territoire de l’île se

trouve là-bas, précisément dans la zone litigieuse.

26. Je n’essaierai pas de pontifier devant la Cour sur les conséquences juridiques qui

découlent de la diminution sensible de la taille du chenal séparant l’île de San Juan du continent ou

de sa disparition totale. Il est généralement admis que, lorsque le cours d’eau qui constitue la

limite entre deux Etats souverains disparaît, alors la frontière entre ces deux zones continue de

suivre le chenal originel. En conséquence, les terres qui formaient l’île nicaraguayenne de

16Sentence du 30 septembre 1897 (MCR, annexe 9). - 8 -

San Juan existant toujours, elles appartiennent encore au Nicaragua et il est possible d’établir leur

emplacement sur le terrain. [Fin de la projection]

27. Je préciserai cependant qu’il ne s’agit pas de la limite entre la masse continentale du

Nicaragua et celle du Costa Rica. Cette limite a été clairement fixée par Alexander dans sa

sentence :

«En atteignant les eaux de la lagune de Harbor Head, la ligne frontière obliquera
vers la gauche, en direction du sud-est, et suivra le rivage autour du port jusqu’à
atteindre le fleuve proprement dit par le premier chenal rencontré.» 17

28. Cette phrase a été répétée ad nauseam, mais c’est le seul moyen de suivre et de respecter

la décision d’Alexander. Comme je l’ai dit dans ma première plaidoirie, ce dernier n’a pas désigné

le premier chenal rencontré, alors qu’il aurait aisément pu déclarer qu’il s’agissait du chenal qui

séparait l’île de San Juan du continent, soit celui qu’il a indiqué sur son croquis. En bref, il aurait

pu utiliser toute autre marque d’identification s’il avait été d’avis que ce chenal était immuable.

Mais ce n’était pas le cas, le premier chenal n’était pas immuable. Le seul élément immuable de la

frontière était le point de départ, qui, selon le président Cleveland, se trouvait à Punta Arenas, à

18
l’embouchure du fleuve, «en leur état respectif au 15 avril 1858» .

29. Si l’île de San Juan était reliée au continent en 1858, il est évident que l’ingénieur et

militaire prudent qu’était Alexander se serait rendu compte, en 1897, qu’il était tout à fait probable

que le chenal la séparant du continent finirait par se boucher de manière permanente. C’est là la

16 seule manière d’expliquer raisonnablement pourquoi il n’a indiqué aucun chenal précis. Alexander

n’envisageait pas que Harbor Head devienne une enclave à l’intérieur du Costa Rica, ce que

préconise à présent ce dernier. Il savait que, dans cette zone, les chenaux seraient toujours en

évolution. C’est ce qu’il a dit dans sa deuxième sentence :

«le fleuve San Juan traverse, dans sa partie inférieure, un delta plan et sablonneux, et
qu’il est bien sûr possible non seulement que ses rives s’élargissent ou se resserrent de
manière progressive, mais aussi que ses chenaux soient radicalement modifiés» . 19

30. M. Kohen a dit qu’il était impensable qu’une frontière puisse être mobile et virevolter.

Ce qui est certain, c’est qu’Alexander ne pensait pas à un point solidement fixé au sol ou il l’aurait

17
Sentence du 30 septembre 1897 (MCR, annexe 9).
18Sentence Cleveland (MCR, annexe 7).

19Sentence du 30 septembre 1897 (MCR, annexe 9). - 9 -

dit clairement ; il a en fait reconnu que «la ligne frontière [était] nécessairement» 20 appelée à

évoluer. Il laissait l’embouchure de la lagune de Harbor Head au Nicaragua car, à l’époque, il était

prévu qu’elle devienne celle du canal interocéanique qui devait être creusé un jour le long du fleuve

San Juan sur toute la largeur du Nicaragua. Or il n’aurait pas laissé à ce dernier un port enclavé.

Après que la première sentence Alexander eut été rendue, le Costa Rica était très mécontent et la

guerre menaçait, comme le rapportait la presse en Amérique centrale et aux Etats-Unis

d’Amérique. Voici comment le général Alexander, général confédéré d’expérience, a décrit la

situation dans les lettres qu’il a rédigées depuis San Juan del Norte [projection du document

figurant sous l’onglet n 8] :

«Je pense que, ayant perdu ici la maîtrise de l’embouchure du canal à cause de
ma décision, le Costa Rica ne raterait pas l’occasion de partir en guerre et d’essayer de

s’en emparer à titre de trophée car il pense qu’il pourrait battre le Nicaragua à plate
couture et je partage cet avis.» 21 [Fin de la projection]

Ce sont là les termes d’un général confédéré.

31. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, en résumé :

a) l’île de San Juan est située dans la zone litigieuse et fait indiscutablement partie du territoire

nicaraguayen, comme l’a arrêté le général Alexander.

b) Le «premier chenal rencontré» choisi par Alexander n’était pas navigable toute l’année. Il n’y a

donc aucune raison de considérer les chenaux actuels comme trop petits pour avoir pu

constituer la frontière aux yeux d’Alexander.

17 32. M. Kohen a affirmé hier 22 qu’il fallait «démonter une fois pour toutes l’interprétation

nicaraguayenne visant à transformer l’expression «[first channel met] premier chenal rencontré» en

«[first caño met] premier caño rencontré»». Et il poursuit en disant que «caño» ne signifie pas

«chenal» en français mais seulement «ruisseau», creek ou stream en anglais. Tout d’abord, je dois

signaler que cette traduction n’a pas été établie par le Nicaragua. C’est celle que la commission

20Sentence du 30 septembre 1897 (MCR, annexe 9).
21 o o
Dossier n 41, octobre 1897, mercredi matin 13 octobre 1897, in Edward Porter Alexander Papers, n 7,
Southern Historical Collection, The Wilson Library, Université de Caroline du Nord à Chapel Hill
(http://memoriacentroamericana.ihnca.edu.ni/uploads/media/Fondo%20Edward…
%20No.%2041.pdf ; consulté pour la dernière fois le 29 avril 2015).
22
CR 2015/14, p. 27, par. 11 (Kohen). - 10 -

binationale a faite en 1897 et qui a été utilisée depuis lors par les deux Etats, notamment dans la

duplique du Costa Rica, où caño est ainsi défini : «chenal, cours d’eau qui traverse des terres

boueuses ou inondées ou des zones humides palustres ou lacustres, et dont la profondeur et

24
l’apparence changent en fonction du niveau de l’eau» .

33. J’aurais cru tout simplement à une autre plaisanterie de M. Kohen, mais cette remarque

n’est pas sans intérêt et a dépassé la pensée de son auteur, s’il en avait une. Les ingénieurs, juristes

et autres membres de la commission binationale de 1897 savaient bien que le chenal dont parlait

Alexander n’était pas la Manche et était d’un tout autre ordre. Ils savaient qu’ils faisaient référence

à une formation très secondaire, bouchée une partie de l’année, et ils se sont entendus pour la

qualifier de caño.

34. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, quelle réponse peut-on

apporter à la situation actuelle ? Le Nicaragua soutient et maintient que le caño dégagé en 2010

constitue à présent le premier caño rencontré. Il a cependant toujours été d’avis qu’il existait bien

d’autres caños navigables durant la saison des pluies et, pour certains, à l’année longue, à condition

d’éclaircir la végétation.

35. A cet égard, la Cour n’a pas à croire le Nicaragua sur parole. Même s’il ne peut pénétrer

dans la zone et envoyer ses propres experts à l’intérieur du territoire litigieux, deux experts

indépendants ont confirmé l’existence de caños naturels.

36. Premièrement, le rapport de la mission consultative Ramsar n 77 d’août 2014 o

o o
[projection du document n 9 a) figurant sous l’onglet n 9] indique que «[l]a zone se caractérise

par une mosaïque complexe de cours et masses d’eau, dont beaucoup sont d’origine naturelle.»

18 37. On peut voir à l’écran des photographies tirées du rapport Ramsar et montrant certains

des chenaux naturels observés par la mission tout près de la zone qu’elle couvrait. [Fin de la

projection]

23 o
Dans le procès-verbal n VII de la commission binationale, le Nicaragua et le Costa Rica se sont entendus sur
une traduction espagnole commone de la sentence Alexander du 30 septembre 1897, dont la version anglaise avait déjà
été consignée au procès-verbal n V.
24Centre de sciences tropicales (Centro scientífico tropical, CCT), «Rapport de suivi et de contrôle, diagnostic de

l’impact sur l’environnement, route 1856  volet écologique», janvier 2015 (DCR, annexe 14), p. 6. - 11 -

38. Deuxièmement, ce qui est tout à fait révélateur, M. Thorne, l’expert du Costa Rica, a très

clairement confirmé cette position. Voici ce qu’il a dit.

39. On lui a montré une carte établie en 1988 par le service cartographique de la défense des

Etats-Unis d’après des photographies aériennes prises en 1961, puis mises à jour en 1987 au moyen

de procédés photoplanimétriques. Il a reconnu que cette carte représentait un chenal ayant la forme

d’un Y et reliant le fleuve San Juan à la lagune de Harbor Head et, sur la base de la légende de cette

carte, a déclaré que «ce cours d’eau [était] effectivement censé être pérenne» . En réponse à une

question de M. le juge Greenwood, il a déclaré par la suite que la carte produite en 1949 par

l’Institut géographique national du Costa Rica était probablement destinée à représenter les mêmes

«défluents en forme de Y, [que] la carte de 1988» . 26

40. M. Thorne a par ailleurs admis que la carte du service cartographique de la défense des

Etats-Unis de 1988 avait été produite en collaboration avec l’organe cartographique officiel du

Costa Rica, l’Instituto Nacional Geografico. Il a en outre convenu que la propre carte de ce

dernier, également publiée la même année, montrait les mêmes chenaux permanents reliant le

fleuve San Juan à la lagune de Harbor Head comme sur la carte du service cartographique de la

défense des Etats-Unis.

41. Même si la carte de 1988 du service cartographique de la défense des Etats-Unis était

basée sur des images aériennes, M. Thorne a déclaré que, pour pourvoir la considérer comme

totalement fiable, il fallait procéder à des vérifications sur le terrain :

«Pour mener des travaux sur le terrain, quels qu’ils soient, le recours à la
télédétection est devenu quasiment incontournable et ce procédé constitue une

prodigieuse source d’information. Il est cependant impossible de tout voir à 1000 km
d’altitude  ou même depuis un quelconque aéronef , et c’est pour cela que je suis
partisan de la «vérification au sol». Il est préférable, même si ce n’est peut-être pas
toujours indispensable, de contrôler sur le terrain certaines caractéristiques apparentes
27
d’une image satellite ou d’une photographie aérienne.»

42. M. Thorne a clairement indiqué que les images satellite et les photographies aériennes ne

permettaient pas, en raison du couvert forestier présent dans la zone litigieuse, de déterminer avec

certitude s’il existait des chenaux reliant le fleuve San Juan à la lagune de Harbor Head, se fondant,

25
CR 2015/3, p. 23 (Thorne).
26Ibid., p. 39 (Thorne).
27
Ibid., p. 24 (Thorne). - 12 -

o
à cet égard, sur son expérience personnelle [projection du document n 9 b) figurant sous

l’onglet n 9]. Ainsi, en réponse à la question de M. Reichler, lors du contre-interrogatoire, quant

19 au point de savoir si «[s]elon [lui], cette carte serait … fiable si une vérification sur le terrain avait

effectivement confirmé que la représentation des chenaux reliant le fleuve à la lagune [était]

exacte», voici ce qu’il a déclaré :

«D’après le survol que j’ai effectué le 7 juillet 2011 et les documents que j’ai
examinés, à savoir un certain nombre de photographies aériennes et d’images satellite,

l’expérience m’a enseigné qu’il est extrêmement difficile de voir le terrain en raison
du couvert forestier … Cela m’amène à dire, en ce qui concerne la vérification de
l’état de ces caractéristiques des voies d’eau  si c’est bien ce que vous me

demandez  q28il me paraît hautement souhaitable de procéder à une vérification sur
le terrain.» [Fin de la projection]

43. Le fait que M. Thorne estime nécessaire de faire procéder à cette vérification sur le

terrain ressort aussi très clairement de ce qu’il a répondu à M. Reichler lorsque ce dernier lui a

demandé si, selon lui, pareille vérification par un ou plusieurs experts techniques offrirait un bon

moyen de confirmer l’existence des chenaux permanents apparaissant sur les cartes établies

en 1988 par le service cartographique de la défense des Etats-Unis et les autorités costa-riciennes

[projection du document figurant sous l’onglet n 10] :

«Je suis tout à fait d’accord, ce serait un excellent moyen de déterminer s’il
existe effectivement un chenal à tel ou tel endroit. Il faudrait que cela soit fait avant
toute intervention humaine de nettoyage, de dégagement ou de creusement. Mais si
29
cela pouvait être fait a priori, je suis parfaitement d’accord.» [Fin de la projection]

44. Lorsque, dans le cadre de l’interrogatoire complémentaire, M. Wordsworth a présenté à

M. Thorne une image aérienne de 1961 en lui demandant si celle-ci pouvait l’aider à savoir si les

chenaux représentés sur la carte de 1988 «[étaient] relié[s] au fleuve San Juan», M. Thorne a

déclaré que «[l]’image en question ne [lui] permet[tait] pas de le dire … [s]a qualité n’[étant] pas

assez bonne [et] … le couvert forestier assombri[ssant] le cours d’eau qui sembl[ait] avoir la forme

30
d’un Y et se trouv[ait] à cet endroit» .

45. Tout comme les images aériennes, les photographies prises depuis le fleuve ne peuvent,

comme l’a dit M. Thorne, se substituer aux vérifications au sol. Quoique pareilles photographies

28CR 2015/3, p. 24 (Thorne).

29Ibid., p. 31 (Thorne).
30
Ibid., p. 37 (Thorne). - 13 -

puissent «constitu[er] des éléments de preuve utiles», il a souligné qu’«une image, qu’elle soit prise

par télédétection ou autrement, ne remplace pas parfaitement une visite en personne sur le

terrain» .1

46. M. Thorne a également confirmé la nécessité d’opérations au sol aux fins de vérifier la

navigabilité des chenaux reliant le fleuve à la lagune et le type d’embarcations susceptibles de les

emprunter. Ainsi, à la question de savoir si «la vérification sur le terrain permettrait de déterminer

20 si les chenaux sont navigables et, dans l’affirmative, pour quels types de navires», voici ce qu’il a

répondu : «Eh bien, si je devais m’en assurer, je tenterais de les emprunter à bord du navire

concerné. Et si je parvenais à naviguer sur tel ou tel chenal à bord de ce navire, j’en conclurais

qu’il est navigable.» 32

47. M. Thorne a reconnu qu’il existait, à certains moments au moins, des liaisons

hydrauliques entre le fleuve San Juan et la lagune de Harbor Head dans la zone où le Nicaragua a

dégagé le caño en 2010. Dans la foulée du rapport que le Costa Rica a lui-même adressé au

Secrétariat de la convention de Ramsar en octobre 2010, M. Thorne a admis que la zone située

33
entre le fleuve et la lagune était un «vaste bloc de forêt inondée» . Lorsqu’il lui a ensuite été

demandé si, «en période d’inondation, le fleuve San Juan pourrait être relié à l’extrémité

méridionale de la lagune de Harbor Head», il a indiqué : «Dans les situations extrêmes, je suis sûr

que le fleuve San Juan est relié à toutes les zones humides avoisinantes, y compris l’extrémité

méridionale de la lagune de Harbor Head.» 34

48. Aucun des conseils du Costa Rica ne s’est penché hier sur ces aspects de la déposition de

M. Thorne. N’ayant rien à répondre sur ces points, ils semblent avoir préféré, de fait, prendre leurs

distances vis-à-vis de l’expert, qui n’a pas été appelé à la barre depuis deux jours. Le Nicaragua,

ainsi que ses conseils l’ont indiqué, choisit, quant à lui, de le prendre au mot. M. Thorne affirme

que les éléments de preuve les plus probants en cette affaire [projection du document figurant sous

l’onglet n 11] sont la carte établie en 1988 par le service cartographique de la défense des

31
CR 2015/3, p. 38 (Thorne).
32Ibid., p. 25 (Thorne).
33
Ibid., p. 27 (Thorne).
34
Ibid., p. 29 (Thorne). - 14 -

Etats-Unis, en collaboration avec le service cartographique costa-ricien, et celle établie par celui-ci

la même année, lesquelles font apparaître des chenaux permanents reliant le fleuve San Juan à la

lagune de Harbor Head. La Cour pourra considérer, à la lumière de ces deux cartes, que l’un de ces

chenaux constitue le premier chenal rencontré, conclusion qui, de l’avis du Nicaragua, est

parfaitement justifiée. [Fin de la projection]

49. Si toutefois la Cour souhaitait encore s’en convaincre, elle devrait, selon le Nicaragua,

suivre le conseil de M. Thorne et désigner plusieurs experts techniques, y compris ce dernier, pour

procéder aux visites ou «vérifications sur le terrain» recommandées par lui.

50. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, permettez-moi de passer à un

autre point, que j’introduirai sous forme de question. Pourquoi le Nicaragua n’a-t-il pas accordé

plus d’attention aux cartes montrant que la plus grande partie de la zone litigieuse est située en

territoire costa-ricien ?

21 51. Il convient en premier lieu de préciser que la minuscule zone litigieuse n’avait jamais fait

partie des priorités du service cartographique, très restreint, du Nicaragua. Peut-être suffit-il de

rappeler à cet égard que la commission binationale établie en 1991 avait essentiellement pour

mission de parvenir à un accord entre les deux Etats pour l’augmentation du nombre de bornes le
o
long de la frontière et, plus précisément, sur le tronçon situé entre la borne n II, placée à quelque

4,8 kilomètres de Castillo Viejo, et la borne n XX sur le littoral du Pacifique ; autrement dit, les

difficultés concernaient la démarcation de la frontière terrestre. Pourquoi ? Parce que ces bornes

étaient très espacées les unes des autres et qu’il était nécessaire de savoir de quel côté de la

frontière se trouvaient un certain nombre de fermes et d’habitations situées dans la région. Il

existait des différends fonciers qui ne pourraient être réglés qu’à condition que soit déterminée la

juridiction compétente.

52. La zone litigieuse de 250 hectares n’abritait ni ferme ni habitation, et ne faisait l’objet

d’aucun différend d’ordre foncier. L’on trouvait, certes, des fermes du côté costa-ricien, mais

aucune dans la zone litigieuse, de sorte qu’il n’existait aucun propriétaire souhaitant savoir à quel

Etat il ressortissait. Les représentants et militaires nicaraguayens pourraient aller et venir dans la

zone sans rencontrer la moindre résistance. En bref, ce n’est nullement parce qu’il aurait reçu des

demandes en ce sens de la part de personnes privées ou publiques que le service cartographique a - 15 -

choisi de venir vérifier sur le terrain l’emplacement exact de la frontière. Il est simplement parvenu

à la conclusion que toutes ses cartes internationales comportaient des indications qui n’avaient pas

fait l’objet de vérifications, problème qui ne s’est manifesté que lorsqu’a démarré le programme de

dragage, devenant immédiatement une question de toute première priorité.

53. Le Nicaragua a produit de nombreuses déclarations sous serment 35 émanant de

différentes entités publiques qui ont exercé leur activité dans la zone litigieuse pendant plusieurs

décennies et attestent avoir pu y pénétrer pour y effectuer des patrouilles ou des visites sans

rencontrer d’opposition. Le Costa Rica conteste ces déclarations et invite la Cour à ne pas leur

accorder le moindre crédit, au motif que leurs auteurs relèvent des autorités nicaraguayennes.

Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, un point intéressant mérite ici d’être

relevé.

54. A la fin des années 1920, le corps du génie de l’armée des Etats-Unis a étudié la région

en vue d’un projet de percement d’un canal interocéanique sur le territoire du Nicaragua. Un

exposé plus complet de cet épisode figure dans le mémoire du Nicaragua en l’affaire du Différend

territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie) . 36 [Projection du document figurant sous

l’onglet n 12] Aux fins présentes, j’appelle votre attention sur la carte  qui s’affiche

22 actuellement à l’écran  établie par le corps du génie de l’armée des Etats-Unis entre 1929

et 1931 . On constate que la frontière suit plus ou moins le contour de la zone revendiquée par le

Nicaragua. En vue de l’établissement de cette carte, les ingénieurs américains ont étudié

l’ensemble du secteur, opération indispensable pour déterminer la faisabilité du projet et le tracé

que le canal devait suivre. Ils n’ont rencontré aucune opposition de la part des autorités

costa-riciennes. Leurs conclusions et toutes les études sur le terrain, notamment les notes

concernant les caños présents dans la zone, font partie des archives publiques aux Etats-Unis. Or,

ce qui importe surtout ici, c’est que les ingénieurs américains ont pu aller et venir sans encombre,

au vu et au su de tous, et qu’ils l’ont fait sous l’autorité du Nicaragua et sans en être empêchés par

le Costa Rica. [Fin de la projection]

35
Voir CMN, annexes 80-90.
36 Mémoire du Gouvernement du Nicaragua en l’affaire du Différend territorial et maritime (Nicaragua
c. Colombie), p. 94-95, par. 2.74-2.76, 28 avril 2003.
37
CMN, annexe 123. - 16 -

55. En réalité, les preuves de quelque activité que ce soit de la part du Costa Rica dans la

zone litigieuse n’existent que sur le papier. Aucune mission Ramsar n’y a été dépêchée

avant 2011. Sur une carte inexacte produite par le Costa Rica, la zone est incluse dans un site

Ramsar qui s’étend sur une dizaine de kilomètres à l’intérieur du territoire relevant

incontestablement du Nicaragua . 38

56. Les autorités costa-riciennes se sont rendues pour la première fois sur les lieux les 20 et

39
22 octobre 2010 , dates auxquelles les forces de sécurité costa-riciennes lourdement armées ont

pénétré dans la zone ou, pour reprendre le mot que le Costa Rica affectionne tant, «envahi»

celle-ci. [Projection du document figurant sous l’onglet n 13] C’est là qu’elles ont, pour la

première fois de l’histoire, hissé un drapeau costa-ricien sur le territoire litigieux. Or, n’ayant

aucune connaissance du terrain ainsi investi, les unités costa-riciennes ont été découragées par les

conditions particulièrement difficiles de la région et ont donc, comme l’on pouvait s’y attendre,

abandonné le poste, ne laissant pour seul habitant que le drapeau qu’elles y avaient planté. [Fin de

la projection] Après le départ de l’armée costa-ricienne, les forces nicaraguayennes, qui, quant à

elles, connaissaient bien la région, s’y sont rendues et y sont demeurées jusqu’à ce que la Cour leur

ordonne de la quitter. Il se peut, effectivement, qu’une journée se soit écoulée entre la question de

M. le juge Bennouna et le départ des troupes, car, ainsi que je l’ai appris par la suite, celles-ci

devaient démonter le campement et ne pouvaient, au regard des règles militaires, abandonner le

drapeau nicaraguayen sur place sans surveillance.

57. Monsieur le président, M. Pellet nous en dira davantage sur l’emplacement de la

frontière. Selon le Nicaragua, elle suit le caño de 2010, mais, si la Cour devait en venir à la

conclusion que tel n’est pas le cas, elle devrait, en tout état de cause, suivre le premier chenal

23 rencontré, dont nous avons démontré qu’il ne peut être plus éloigné de Punta Castilla que le chenal

ayant la forme d’un Y et représenté comme permanent sur les deux cartes de 1988. Dans

l’hypothèse où il subsisterait un doute pour la Cour, toutefois, le Nicaragua fait valoir qu’il

conviendrait, ainsi que M. Thorne l’a lui-même recommandé, de désigner une commission

38Les coordonnées communiquées par le Costa Rica au Secrétariat de la convention de Ramsar indiquent, de fait,
que le point de départ du site se trouve à plus de 10 kilomètres à l’intérieur d’un territoire appartenant incontestablement
au Nicaragua, (CMN, affaire relative à Certaines activités, p. 352, par. 6.109).

39Livre blanc (CMN, annexe 26). - 17 -

d’experts techniques chargés de procéder à des opérations au sol, à une vérification sur le terrain, et

de communiquer à la Cour leurs conclusions concernant l’existence et l’emplacement, dans cette

zone, d’éventuels chenaux reliant le fleuve San Juan proprement dit à la lagune, en précisant s’ils

sont navigables, et dans l’affirmative, pour quel type d’embarcation.

58. Monsieur le président, avant de vous prier de bien vouloir appeler M. Reichler à la barre,

je répondrai à la question de Mme la juge Donoghue.

59. La question que celle-ci a posée est la suivante :

«Certaines photographies, comme celle qui figure sous l’onglet n 10 du dossier

des juges que nous avons aujourd’hui, montrent une formation sablonneuse entre la
mer des Caraïbes et la masse d’eau appelée lagune de Harbor Head ou lagune
Los Portillos. Je demande à chacune des Parties de donner son interprétation de
l’apparence et de la configuration actuelle de cette formation.

Si cette formation existe toujours aujourd’hui, comprend-elle une partie
terrestre qui peut appartenir à un Etat ? Dans ce cas, auquel et pourquoi ?»

60. Voici ma réponse :

1) La sentence Cleveland du 22 mars 1888 a établi ce qui suit [projection du document figurant

o
sous l’onglet n 4] :

«La frontière entre la République du Costa Rica et la République du Nicaragua

du côté de l’Atlantique commence à l’extrémité de Punta de Castilla à l’embouch40e
du fleuve San Juan de Nicaragua, en leur état respectif au 15 avril 1858.» [Fin de la
projection]

2) Le général Alexander s’est vu confier la mission de déterminer sur les lieux l’emplacement de

Punta de Castilla. Il a découvert que l’endroit précis où se trouvait ce point le 15 avril 1858

avait depuis longtemps été recouvert par la mer des Caraïbes et a alors décrit ainsi la direction

que devait suivre la frontière :

«Son orientation sera Nord-Est Sud-Ouest, à travers le banc de sable, de la mer
des Caraïbes aux eaux de la lagune de Harbor Head. Elle passera au plus près à
300 pieds au nord-ouest de la petite cabane qui se trouve actuellement dans les

parages. En atteignant les eaux de la lagune de Harbor Head, la ligne frontière
obliquera vers la gauche, en direction du sud-est, et suivra le rivage autour du port
jusqu’à atteindre le fleuve proprement dit par le premier chenal rencontré. Remontant
ce chenal et le fleuve proprement dit, la ligne se poursuivra comme prescrit dans le
traité.»1

40Sentence Cleveland (MCR, annexe 7) [les italiques sont de nous].

41Sentence Alexander, 30 septembre 1897 (MCR, annexe 9). - 18 -

3) La formation actuelle s’étend depuis la zone frontalière marquée par Alexander à l’entrée de la

lagune de Harbor Head jusqu’à Isla de San Juan en territoire nicaraguayen. [Projection du

o o
24 document n 14a) figurant sous l’onglet n 14] L’évolution de cette formation ressort

clairement de la carte établie par la commission binationale en 1897 , sur laquelle on voit le

banc de sable qui s’étend depuis l’île de San Juan en direction de celui qui part de

Punta de Castilla. Ces deux bancs se sont rejoints pour constituer, il y a plus de cent ans, la

formation que nous connaissons aujourd’hui. [Fin de la projection]

4) [Projection des documents n 14 b)-14 c) figurant sous l’onglet n 14] o S’il lui arrive à

l’occasion d’être franchi par la mer des Caraïbes, le banc de sable constitue une formation

permanente portant une végétation, comme le montrent ces photographies aériennes et images 43

44
satellite récentes.

5) A la question de savoir si cette formation existe toujours aujourd’hui et est susceptible

d’appartenir à un Etat, il y a lieu de répondre par l’affirmative. La formation existe toujours,

porte une végétation et est susceptible d’appartenir à un Etat. [Fin de la projection]

6) Cette formation appartient au Nicaragua pour les raisons suivantes :

a) Elle existait à l’époque d’Alexander, qui l’a traversée pour l’exclure de la masse

continentale costa-ricienne et la placer en territoire nicaraguayen. [Projection du

o o
document n 14 d) figurant sous l’onglet n 14] Dès l’époque d’Alexander, elle portait une

végétation, comme on peut le constater sur la carte intitulée «Port de Greytown», d’après

45
le levé effectué par des officiers de l’U.S.G.B. Newport, B. F. Tilley, 1898 .

[Fin de la projection]

b) Quant à savoir si, à l’époque d’Alexander, elle pouvait être considérée comme une masse

terrestre, l’élément à retenir est que la délimitation et la démarcation avaient pour objectif

de placer l’ouverture de la lagune de Harbor Head vers la mer sous l’autorité du

42MCR, annexe 169.
43
Livre blanc, p. 66 (CMN, annexe 26, p. 255).
44
Image satellite en date du 29 janvier 2011, produite par le Costa Rica le 29 juillet (Thorne, figure 1.19).
45MCR, annexe 170. - 19 -

Nicaragua. Il devait donc en aller de même de tout banc de sable se formant à l’entrée de

la lagune, sans quoi l’entrée du port tomberait désormais sous l’autorité du Costa Rica.

c) Cette formation est rattachée aussi bien à l’île de San Juan qu’au promontoire de

Punta Arenas. Les points a) et b) qui précèdent devraient permettre de régler toute

question concernant l’attribution.

d) Toutes les cartes costa-riciennes présentent cette zone comme appartenant au Nicaragua.

On trouvera par exemple sous l’onglet n 14 du dossier de plaidoiries une carte de 1966 et

une autre de 1988, toutes deux reproduites dans le mémoire du Costa Rica, la première

ayant été établie par le service cartographique du corps du génie de l’armée des Etats-Unis

25 et la seconde, par l’institut géographique du Costa Rica, en collaboration avec le service

cartographique de la défense des Etats-Unis et le service interaméricain de géodésie.

61. Voilà ma réponse à la question de Mme la juge Donoghue. Je vous remercie. Ainsi

prend fin mon exposé.

Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je vous remercie de votre

attention. Monsieur le président, puis-je maintenant vous demander d’inviter M. Reichler à la

barre ?

The PRESIDENT: Thank you, Ambassador. I now give the floor to Mr. Reichler.

M. REICHLER : Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, bonjour.

LE DRAGAGE

1. J’aborderai à présent le programme de dragage du Nicaragua et l’incapacité du Costa Rica

à démontrer qu’il lui porte préjudice. Ce faisant, je répondrai aux remarques formulées hier par

mon ami, M. l’ambassadeur Sergio Ugalde.

2. Heureusement, Monsieur le président, les Parties sont maintenant tombées d’accord sur un

certain nombre de points, notamment en ce qui concerne les questions les plus épineuses.

3. Premièrement, le Costa Rica a reconnu que le Nicaragua était en droit de draguer le fleuve

afin d’en maintenir la navigabilité. Ce point n’est plus contesté, si tant est qu’il l’ait jamais été. - 20 -

Quoi qu’il en soit, la sentence Cleveland ne laisse planer aucun doute quant au droit du Nicaragua

de draguer le fleuve.

4. Deuxièmement, M. l’ambassadeur Ugalde a expressément admis hier :

46
a) que le cours inférieur du San Juan est en proie à l’alluvionnement ;

b) que ce phénomène nuit à la navigation ; 47

48
c) que le chenal principal du San Juan inférieur a besoin d’être dragué pour rester navigable ;

d) que le Nicaragua a conçu son programme afin de remédier à ces problèmes, dans l’intérêt de la

navigation .49

26 5. Les références précises de ces aveux explicites émanant de l’ambassadeur Ugalde figurent

dans les notes de mon exposé et paraîtront dans le compte rendu.

6. Troisièmement, le Costa Rica a renoncé à invoquer un dommage effectif et cessé de

soutenir que le programme de dragage du Nicaragua avait entraîné un détournement important des

eaux du fleuve Colorado. Il lui était évidemment impossible de maintenir une telle prétention alors

que son propre expert, M. Thorne, en était venu à la conclusion que l’impact du programme de

50 51
dragage sur le débit du Colorado était «faible» , voire «négligeable» .

7. Le Costa Rica a également cessé de prétendre que le dragage du fleuve avait porté atteinte

aux zones humides en aval, que ce soit à l’intérieur du territoire litigieux ou sur la rive droite du

fleuve, en territoire incontestablement costa-ricien. De cette prétention, il ne reste plus qu’une

allégation de risque de dommage exigeant une étude de l’impact sur l’environnement , point sur 52

lequel je reviendrai dans un instant.

8. En outre, le Costa Rica a maintenant renoncé à soutenir que le Nicaragua lui avait porté

préjudice en déposant des sédiments sur son territoire. Comme je l’ai montré au premier tour,

53
l’UNITAR/UNOSAT a conclu à l’absence de tels dépôts en territoire costa-ricien . Puis

46
CR 2015/14, p. 49, par. 2 (Ugalde).
47Ibid.

48Ibid., p. 60, par. 49 (Ugalde).
49
Ibid., p. 49, par. 3 (Ugalde).
50
Thorne, exposé écrit en l’affaire relative à Certaines activités, mars 2015, p. 9, par. 4.16, sous-paragraphe a).
51Thorne, rapport de 2011 en l’affaire relative à Certaines activités (MCR, appendice 1, p. xvi).

52CR 2015/14, p. 51-56, par. 8-33 (Ugalde).

53CR 2015/6, p. 21-22, par. 43 (Reichler). - 21 -

l’ambassadeur Ugalde a reconnu hier que l’accumulation de sédiments figurant sur la photographie

54
qu’il avait présentée au cours du premier tour était située au Nicaragua et non au Costa Rica .

9. Enfin, le Costa Rica a considérablement atténué ses allégations de préjudice résultant du

dégagement de caños en 2010 et en 2013, s’abstenant de contester les arguments avancés par

M. Loewenstein quant au caractère négligeable des effets causés . Au contraire, M. Wordsworth a

fait valoir que, s’agissant de la question de savoir s’il y avait eu violation de sa souveraineté ou de

l’ordonnance en indication de mesures conservatoires rendue par la Cour, le «menu détail des

dommages» — tels sont les mots employés — était dénué de pertinence et n’entrait en jeu qu’au

moment de fixer l’indemnité . Or le Costa Rica n’a rien avancé qui puisse donner à penser que les

dommages censés résulter du dégagement des caños relèvent d’autre chose que, selon l’expression

utilisée, le menu détail.

27 10. Pour résumer, Monsieur le président, les Parties sont d’accord sur ce qui suit : le

Nicaragua a le droit d’effectuer des opérations de dragage ; de telles opérations sont nécessaires

pour assurer la navigabilité du cours inférieur du San Juan ; le programme de dragage du Nicaragua

a été conçu dans ce but ; il n’a causé aucun dommage au fleuve Colorado, aux zones humides en

aval ni à quelque autre élément du territoire costa-ricien ; et le dégagement de caños n’a eu que des

effets négligeables ou infimes. Sur ce dernier point, la Cour se souviendra que M. Thorne est venu

confirmer que, à l’emplacement des deux caños de 2013, aucun arbre mature n’avait été abattu et

57
que la végétation perturbée s’était pleinement rétablie naturellement .

11. Ainsi, la thèse du Costa Rica se résume désormais à une seule chose : l’étude de l’impact

sur l’environnement ; rien de plus. Il soutient que celle que le Nicaragua a réalisée en 2006 était

insuffisante parce que, selon lui, elle ne traitait pas comme il se devait des effets éventuels du

58
programme de dragage sur les zones humides en aval , et qu’une nouvelle étude de l’impact sur

54
CR 2015/14, p. 60, par. 47 (Ugalde).
55 Voir CR 2015/7, p. 12-22 (Loewenstein).

56 CR 2015/14, p. 21, par. 37 (Wordsworth).
57
CR 2015/3, p. 42 (Thorne).
58 CR 2015/14, p. 52, par. 16-17 (Ugalde). - 22 -

l’environnement serait nécessaire dans l’hypothèse où le Nicaragua entendrait étendre de manière

59
sensible son programme actuel .

12. Monsieur le président, l’ambassadeur Ugalde a très obligeamment simplifié l’affaire dont

est saisie la Cour, et le Nicaragua est à même d’en faire autant. J’ai reçu de l’agent de ce dernier

l’instruction de faire savoir qu’il convient avec le Costa Rica que, s’il envisageait de donner à son

programme de dragage une portée sensiblement plus vaste que ce qui est actuellement autorisé, il

lui faudrait procéder au préalable à une nouvelle étude de l’impact sur l’environnement et obtenir

une nouvelle autorisation du ministère nicaraguayen de l’environnement et des ressources

naturelles (MARENA), organe chargé de la protection de l’environnement. Il s’agit là non

seulement d’une obligation internationale, mais aussi d’une exigence interne. Les lois

nicaraguayennes interdisent à l’autorité portuaire nationale, ainsi qu’à toute autre entité publique ou

privée, d’entreprendre des travaux ou d’en étendre la portée sans avoir au préalable procédé à une

étude de l’impact sur l’environnement et obtenu les autorisations voulues du ministère de

l’environnement et des ressources naturelles.

13. En outre, le Nicaragua convient également avec le Costa Rica que l’étude de l’impact sur

l’environnement afférente à toute extension du programme de dragage devrait avoir une portée

transfrontière et comporter l’examen des répercussions éventuelles sur le territoire costa-ricien, y

compris le fleuve Colorado. Et dans le cadre de cette étude de l’impact sur l’environnement, le

Nicaragua s’engage à informer et à consulter le Costa Rica au sujet du programme étendu. Mais

consulter le Costa Rica ne signifie pas obtenir son consentement, ce qui reviendrait à lui donner

une sorte de droit de veto sur les travaux d’amélioration que le Nicaragua souhaite entreprendre, et

28 contreviendrait aussi bien à la sentence Cleveland qu’aux exigences de l’étude de l’impact

transfrontière sur l’environnement. L’obligation de consulter de bonne foi les Etats voisins est bien

établie, du moins depuis l’affaire du Lac Lanoux, mais non celle d’obtenir leur consentement.

14. Les Parties sont donc d’accord au sujet de l’obligation du Nicaragua de procéder à une

étude de l’impact transfrontière sur l’environnement et d’informer et consulter le Costa Rica avant

d’entreprendre la mise en œuvre de toute forme augmentée de son programme de dragage. Il

59CR 2015/14, p. 56-57, par. 34-36 (Ugalde). - 23 -

importe de souligner que cela répond pleinement à toutes les difficultés que le Costa Rica associe à

l’extension de ce programme. L’ambassadeur Ugalde continue d’affirmer que le Nicaragua entend

élargir le fleuve en rognant ses berges, mais ne fait que ressasser les mêmes assertions, sans les

60
étayer du moindre élément de preuve . Il a présenté hier trois photographies montrant rien de plus

que des Nicaraguayens naviguant près du rivage costa-ricien. On voit mal ce que cela peut avoir de

répréhensible. Le Nicaragua jouit de la souveraineté sur la totalité du fleuve jusqu’à la rive. Mon

ami l’ambassadeur vous a dit que les Nicaraguayens se livraient à d’infâmes activités

d’émondage , ce qui gênait la navigation. Les opérations étaient effectuées à bord de bateaux ; et

quel mal y a-t-il à cela ? Le Nicaragua tient ce droit de la sentence Cleveland. En quoi cela

porte-t-il préjudice au Costa Rica ?

15. L’ambassadeur Ugalde s’est réclamé de la réponse apportée par M. Thorne à la question

que lui avait posée le juge Tomka pour soutenir que le programme de dragage aurait des

62
«effets … dévastateurs» — ce sont là les mots de l’ambassadeur Ugalde, et non ceux de

M. Thorne — sur les zones humides en aval. Voici ce que, en réalité, M. Thorne a répondu à la

question du juge Tomka : «Le programme de dragage, s’il interrompt l’apport de sédiments,

privera le delta de ce qui l’alimente, et la mer des Caraïbes l’emportera, nous perdrons des

centaines d’hectares de zones humides en raison de l’érosion du littoral.» 63 Je répète :

«s’il interrompt l’apport de sédiments».

16. Jamais, que ce soit au cours de son audition ou dans les sept rapports qu’il a soumis,

M. Thorne n’a dit que le programme de dragage du Nicaragua avait pour effet réel ou probable

d’interrompre l’apport de sédiments. Bien au contraire, il a affirmé sans l’ombre d’une hésitation

que, à son avis, le programme de dragage actuel était dépassé par l’apport sédimentaire provenant

29 de l’amont, à tel point qu’il ne suffisait plus à le contenir . 64 Loin d’interrompre l’apport

sédimentaire, le programme de dragage soulève des sédiments supplémentaires, qui sont ensuite

60
CR 2015/14, p. 59, par. 45 (Ugalde).
61
Ibid.
62Ibid., p. 56, par. 33 (Ugalde).
63
CR 2015/12, p. 52 (Thorne) [les italiques sont de nous].
64
Ibid., p. 46 (Thorne). - 24 -

65
charriés vers l’aval . Qui plus est, si nous étions en train de perdre des centaines d’hectares ou

même un seul hectare de zones humides en raison de l’érosion du littoral, on en verrait des indices ;

or il n’y en a pas. A l’évidence, M. Thorne parlait des effets éventuels d’un programme de dragage

élargi, et non du modeste programme actuellement en cours d’exécution.

17. M. Thorne s’est dit d’avis que les opérations de dragage que pratiquait actuellement le

Nicaragua ne constituaient peut-être pas la meilleure solution au problème de la navigation sur le

cours inférieur du San Juan. Il serait selon lui plus sage pour le Nicaragua d’installer sous la

surface de l’eau, comme l’a fait le corps de génie de l’armée des Etats-Unis sur le cours inférieur

du Mississippi, des déflecteurs de courant en bois . Il a toutefois ajouté que cela n’éliminerait pas

pour autant la nécessité du dragage : «je ne dis pas qu’il n’y a pas besoin de draguer, non  mais il

s’agit de draguer ponctuellement le sommet des hauts-fonds pendant la saison basse, lorsqu’il suffit

d’écimer les hauts-fonds pour faire passer un bateau de 2 mètres de tirant d’eau. Voilà ce que je

67
dirais.»

18. M. Thorne est un homme de bonne volonté, à l’instar, si je puis dire, des experts du

Nicaragua. J’ai également reçu pour instruction, de la part de l’agent du Nicaragua, d’informer la

Cour que les vues de M. Thorne concernant la meilleure façon de régler les problèmes causés par la

sédimentation excessive dans le cours inférieur du San Juan, en particulier l’entrave à la navigation,

seraient dûment communiquées aux autorités compétentes de Managua, où elles recevront

l’attention voulue. Il va sans dire que le Nicaragua souhaite trouver la meilleure solution pour le

fleuve, ce fleuve qui lui appartient. Mais rien de ce qu’a dit M. Thorne ne change quoi que ce soit

aux faits essentiels ci-après, que le Costa Rica reconnaît désormais : 1) le Nicaragua est en droit de

draguer le fleuve ; 2) le dragage est nécessaire à la navigation, qui est entravée par la sédimentation

excessive dans certains segments du cours inférieur du San Juan ; et 3) il n’existe aucune preuve

montrant que le programme de dragage actuel du Nicaragua, par opposition à l’hypothétique

programme élargi qu’appréhende le Costa Rica, cause quelque dommage à ce dernier.

65Thorne, exposé écrit en l’affaire relative à Certaines activités, mars 2015, par. 4.4-4.5.

66CR 2015/12, p. 52 (Thorne).
67
Ibid., p. 52-53 (Thorne). - 25 -

30 19. Ces conclusions sont appuyées par l’exposé de M. van Rhee, auquel

l’ambassadeur Ugalde s’est également référé, rappelant la déclaration de l’expert selon laquelle le

programme de dragage actuel du Nicaragua était insuffisant pour remédier à l’augmentation

progressive de la part des eaux du fleuve qui se jette dans le Colorado, au détriment de celle qui

68
s’écoule dans le San Juan inférieur . Je ne vois pas en quoi cela sert la thèse du Costa Rica, si ce

n’est pour renforcer l’argument voulant que, dans sa forme actuelle, le programme de dragage est

sans effet sur le débit du fleuve Colorado. D’après M. van Rhee, seule l’amplification du

programme de dragage pourrait renverser cette tendance . Précisément. Il se trouve que le

Nicaragua n’envisage aucune expansion du programme et ne saurait le faire qu’après en avoir

obtenu la justification au moyen d’une étude préalable de l’impact sur l’environnement.

20. Cela nous amène à la seule question restant en suspens en ce qui concerne le dragage :

les allégations de l’ambassadeur Ugalde selon lesquelles a) le Nicaragua n’a pas procédé à une

étude de l’impact sur l’environnement avant de mettre à exécution son programme de dragage

actuel et b) l’étude de l’impact sur l’environnement réalisée en 2006 pour ce programme était

insuffisante. Indépendamment de l’incompatibilité qu’elles présentent entre elles, ces allégations

sont dépourvues de fondement.

21. Monsieur le président, on ne saurait sérieusement nier que, en 2006, le Nicaragua a

procédé à une étude approfondie de l’impact sur l’environnement du programme de dragage actuel,

bien avant la mise à exécution de celui-ci. Certaines parties de cette étude ont été versées au

dossier en tant qu’annexes du contre-mémoire du Nicaragua . Elle couvre au total 225 pages,

71
auxquelles s’ajoutent des centaines de pages d’appendices techniques . C’est sur le fondement de

cette étude que le programme a été autorisé par le ministère de l’environnement et des ressources

naturelles . Reste la question de savoir si son contenu était suffisant. Or, Monsieur le président, la

question de la suffisance de l’étude de l’impact sur l’environnement réalisée par la Nicaragua, par

68CR 2015/14, p. 55-56, par. 31 (Ugalde).
69
CR 2015/6, p. 35 (Reichler et van Rhee).
70Etude de l’impact sur l’environnement du «projet visant à l’amélioration de la navigabilité du fleuve San Juan
de Nicaragua» (extraits), septembre 2006 (CMN, annexe 7) ; étude de conception du projet (extraits), septembre 2006
(CMN, annexe 8).

71CR 2011/2, p. 38, par. 22 (Reichler).
72
CMN, par. 5.77-5.78. - 26 -

opposition à celle de son existence, relève du droit interne et non du droit international. C’est ce

qu’a dit la Cour dans l’affaire relative à des Usines de pâte à papier : «il revient à chaque Etat de

déterminer, dans le cadre de sa législation nationale ou du processus d’autorisation du projet, la

teneur exacte de l’évaluation de l’impact sur l’environnement requise dans chaque cas» . Et il 73

n’existe aucune preuve montrant que l’étude de l’impact sur l’environnement réalisée en 2006

31 n’était pas conforme aux exigences du droit nicaraguayen, qui sont très semblables à celles du droit

costa-ricien. De fait, l’ambassadeur Ugalde a lu un extrait d’un document confirmant que l’étude

de l’impact sur l’environnement de 2006 était suffisante et qu’aucun complément d’étude n’était

74
nécessaire au regard du droit nicaraguayen . Il n’existe aucune preuve à l’effet contraire.

22. Quoi qu’il en soit, afin qu’il ne subsiste aucun doute, examinons la suffisance de l’étude

de l’impact sur l’environnement réalisée en 2006 par le Nicaragua. L’ambassadeur Ugalde a dit

hier qu’elle ne comportait aucune analyse des effets sur le débit du fleuve Colorado et n’en faisait

75 o
même pas mention . C’est inexact. On trouvera sous l’onglet n 15 du dossier de plaidoiries deux

extraits de l’étude de l’impact sur l’environnement de 2006, actuellement projetés à l’écran. Le

premier est tiré de l’une des appendices et indique, à la suite de calculs mathématiques assez

complexes que vous pouvez voir également : «une augmentation de débit de seulement 2,01 %

rendrait cette section du nouveau chenal navigable en permanence, avec les mêmes caractéristiques

76
que le chenal ou le fleuve San Juan» . L’autre extrait provient du corps même de l’étude de

l’impact sur l’environnement ; il se trouve sous l’onglet n 16 et paraît maintenant à l’écran.

J’appelle votre attention sur la conclusion : «Cela, bien entendu, n’aura aucune répercussion

sensible sur le débit du fleuve Colorado, puisque nous prendrons seulement 5 % de son débit total,

77
pour rendre le San Juan navigable en permanence.»

23. Monsieur le président, on se souviendra que, en septembre 2010, le ministre des affaires

étrangères du Costa Rica, s’appuyant sur des études réalisées par des experts costa-riciens, a

73Affaire relative à des Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt,
C.I.J. Recueil 2010 (I), p. 83, par. 205.

74CR 2015/14, p. 54, par. 23, 25 (Ugalde).
75
Ibid., p. 51, par. 11, et p. 53, par. 19 (Ugalde).
76Etude de conception du projet (extraits), septembre 2006 (CMN, annexe 8).

77Etude de l’impact sur l’environnement du «projet visant à l’amélioration de la navigabilité du fleuve San Juan
de Nicaragua» (extraits), septembre 2006, p. 10 (CMN, annexe 7). - 27 -

déclaré publiquement qu’un détournement de cet ordre n’aurait aucun effet préjudiciable sur le

78
fleuve Colorado ou sur le Costa Rica . Et de fait, d’après les calculs effectués par M. Thorne, à

supposer qu’il y ait eu détournement, celui-ci n’a pas dépassé 1,5 %, ce qu’il a qualifié de

79 80
«faible» et de «négligeable» .

32 24. L’ambassadeur Ugalde a aussi critiqué l’étude de l’impact sur l’environnement parce

qu’elle ne comportait pas de mesures de débit adéquates dans le fleuve San Juan . 81 C’est

o
également inexact, comme on peut le voir si l’on se reporte à nouveau sous l’onglet n 15. Cet

extrait de trois pages, tiré de l’appendice de l’étude de l’impact sur l’environnement que je viens de

citer, porte le titre suivant : «Prise de mesures dans la zone visée par le projet» . On peut lire

ensuite que des mesures ont été prises à huit emplacements différents le long d’un segment du

fleuve s’étendant sur 42 kilomètres : «Afin de déterminer le comportement, les caractéristiques et

le volume de l’eau qui s’écoule dans le fleuve, sept mesures ont été prises.» 84 On peut voir aussi

85
dans ce document, pour chaque emplacement, la moyenne des sept mesures effectuées . Cela fait

beaucoup de mesures.

25. Venons-en maintenant au document que le Costa Rica a maintes fois nommé le

«rapport Ramsar» et sur lequel repose désormais l’ensemble de sa thèse pour ce qui est du dragage.

Voyons un peu les faits admis en ce qui le concerne. Le Nicaragua a, de sa propre initiative, invité

une mission consultative Ramsar à passer en revue ses opérations de dragage. Conformément à la

pratique habituelle, la mission consultative a présenté au Nicaragua un rapport provisoire, afin que

les observations éventuelles de celui-ci puissent être prises en considération pour la rédaction du

78 Allocution prononcée par M. René Castro Salazar, ancien ministre costa-ricien des affaires étrangères et des
cultes, devant la commission de l’assemblée législative costa-ricienne chargée des questions environnementales,

8 septembre 2010 (CMN, annexe 24), p. 402-403 ; voir également Esteban A. Mata, «Chancellery accepts Nicaraguan
plan to dredge San Juan River» [le ministre des affaires étrangères accepte le plan nicaraguayen de dragage du fleuve
San Juan], La Nación, Costa Rica, 8 septembre 2010, reproduit dans le livre blanc du Nicaragua, p. 39 (CMN, annexe 26,
p. 451) : «M. Castro s’est dit satisfait des justifications techniques fournies par le Nicaragua, même s’il a reconnu ne pas
les avoir examinées. «Une étude d’impact sur l’environnement a été effectuée par le Nicaragua et nous avons procédé à
nos propres analyses», a-t-il expliqué.»

79Thorne, exposé écrit en l’affaire relative à Certaines activités, mars 2015, p. 9, par. 4.16, sous-paragraphe a).
80
Thorne, rapport de 2011 en l’affaire relative à Certaines activités (MCR, appendice 1, p. xvi).
81
CR 2015/14, p. 51, par. 11, et p. 52, par. 14 (Ugalde).
82
Etude de conception du projet (extraits), septembre 2006 (CMN, annexe 8), p. 16.
83Ibid., p. 16-18.

84Ibid., p. 16.

85Ibid., p. 16-18. - 28 -

rapport définitif. Comme l’ambassadeur Ugalde l’a obligeamment rappelé hier, le Nicaragua a

effectivement présenté des observations au sujet du rapport provisoire, dans lequel il avait relevé

un certain nombre de points qu’il considérait comme des erreurs graves . 86 Datée du

33 19 décembre 2011, la réponse du Secrétariat de la convention de Ramsar figurait dans le dossier de

plaidoiries du Costa Rica d’hier et, par souci de commodité, a été reproduite dans notre dossier

o
d’aujourd’hui, sous l’onglet n 17 ; on peut en voir un passage à l’écran :

«Nous vous remercions de votre communication en date du 30 novembre 2011,
faisant état de vos observations sur le rapport de la mission consultative Ramsar n 72 o
concernant le site Ramsar de la réserve naturelle du San Juan. A cet égard, les

membres de la mission … procéderont à l’analyse des observations en question et se
mettront en rapport avec vous pour tout éclaircissement nécessaire à la mise au point
du document définitif.» 88

De fait, le Nicaragua n’a plus entendu parler de cette mission par la suite et la version définitive du

document n’a jamais été produite. Après maintenant plus de quatre années d’attente, à la

connaissance du Nicaragua, rien n’a été fait du côté du Secrétariat de la convention de Ramsar

depuis la lettre du 19 décembre 2011.

26. Monsieur le président, on peut tirer de ces faits plusieurs conclusions. Premièrement, le

document qu’invoque le Costa Rica n’est pas un «rapport Ramsar» officiel. Il s’agit d’un

document provisoire qui n’a jamais été finalisé. Deuxièmement, le Secrétariat de la convention de

Ramsar n’a jamais répondu aux critiques judicieuses que lui avait adressées le Nicaragua. L’extrait

o
de l’appendice de l’étude de l’impact sur l’environnement de 2006 figurant sous l’onglet n 15 et

concernant la «prise de mesures dans la zone visée par le projet» montre que le Nicaragua avait

raison et que le rapport provisoire de la mission était erroné en ce qui concerne la prise de mesures

de débit dans le San Juan ; peut-être les membres de la mission n’avaient-ils pas lu les appendices

de l’étude de l’impact sur l’environnement de 2006. Troisièmement, le document concerne

86 CR 2015/14, p. 53-54, par. 20-25 (Ugalde), où est analysé le document intitulé Observations et propositions de
modification du Gouvernement de la République du Nicaragua concernant le projet de rapport de la mission consultative
Ramsar n 72, zone humide d’importance internationale, réserve naturelle du fleuve San Juan (Nicaragua), annexées à la

lettre DM.JAS.1359.11.11 en date du 30 novembre 2011 adressée à M. Anada Tiéga, secrétaire général de la convention
de Ramsar sur les oones humides, par Mme Juanita Argeñal Sandoval, ministre de l’environnement et des ressources
naturelles (onglet n 37 du dossier de plaidoiries du 28 avril 2015).
87 Lettre en date du 19 décembre 2011 adressée à Mme Juanita Argeñal Sandoval, ministre de l’environnement et
des ressources naturelles, par M. Anada Tiéga, secrétaire général de la convention de Ramsar sur les zones humides
o o
(onglet n 38 du dossier de plaidoiries du Costa Rica du 28 avril 2014 ; voir également sous l’onglet n 17 du dossier de
plaidoiries d’aujourd’hui).
88 Ibid. - 29 -

uniquement le site Ramsar appelé «réserve naturelle du San Juan», c’est-à-dire le fleuve lui-même.

Il recommandait un complément d’étude et le contrôle systématique de l’hydrologie, de

l’hydrogéologie et de l’hydrodynamique du fleuve, ce fleuve qui appartient au Nicaragua. Il n’y

était aucunement question de la mesure des effets sur les zones humides de la rive droite.

27. Mais comment aurait-il pu en être autrement ? La rive droite appartient au Costa Rica, et

le Secrétariat de la convention de Ramsar savait fort bien qu’il était impossible au Nicaragua de

pénétrer en territoire costa-ricien pour y réaliser des études et que l’ordonnance rendue par la Cour

en mars 2011 lui interdisait d’envoyer ses agents sur le territoire litigieux.

28. Cependant, le document provisoire était juste sur au moins un point : «le dragage du

fleuve San Juan aux fins d’améliorer la navigabilité de celui-ci aura effectivement cet effet pendant

89
34 une certaine période» . Souscrivant ainsi au dragage du fleuve, il ajoutait ce qui suit : «l’on peut

s’attendre à ce qu’une couche sédimentaire se forme de nouveau en aval du point Delta au fil du

90
temps» . C’est précisément pour cette raison que le Nicaragua a été tenu non seulement de mener

à bien son programme de dragage de capitalisation initial, mais aussi de procéder à des opérations

de dragage d’entretien afin d’enlever les sédiments qui continuent de s’accumuler dans le chenal

qu’il a creusé. M. van Rhee, spécialiste du dragage qui compte plus de trente années d’expérience

sur le terrain , nous a confirmé que cela était parfaitement normal dans le domaine du dragage

fluvial et que des travaux d’entretien étaient toujours nécessaires après l’achèvement du dragage de

capitalisation initial . L’ambassadeur Ugalde s’est obstiné à présenter comme un programme

distinct ces travaux d’entretien normal visant à préserver le chenal creusé ; il n’en est rien. Comme

l’a expliqué M. van Rhee, le dragage d’entretien ne change rien au débit et ses effets sont les

93
mêmes que ceux du dragage de capitalisation initial .

29. Voilà qui réduit à néant la thèse du Costa Rica en ce qui concerne le dragage.

89 Rapport de la mission consultative Ramsar n 72, zone humide d’importance internationale Refugio de
Vida Silvestre del Rio San Juan, Nicaragua, en date du 18 avril 2011, p. 6 (extrait de la traduction anglaise reproduit sous
l’onglet n 36 du dossier de plaidoiries du Costa Rica du 28 avril 2015).

90Ibid.
91
Van Rhee, exposé écrit, mars 2015, par. 1.
92
CR 2015/6, p. 33-34 (van Rhee).
93Ibid. - 30 -

30. Monsieur le président, j’aimerais pour terminer répondre à deux autres observations

formulées par l’ambassadeur Ugalde, puis aux questions posées par les juges Cançado Trindade

et Xue à propos du dragage. L’ambassadeur Ugalde a dit que le Nicaragua continuait à prier la

94
Cour de déclarer qu’il était en droit de rétablir le fleuve dans la situation où il se trouvait en 1858 .

C’est inexact. Cela ne fait pas partie des conclusions du Nicaragua.

31. Ensuite, l’ambassadeur Ugalde a dit que je me trompais lorsque je disais qu’il n’y avait

au dossier aucune preuve étayant son assertion selon laquelle le «but ultime» du Nicaragua était de

95
«remodeler la géographie» et de détourner la plus grande partie des eaux du fleuve Colorado , me

reprochant d’avoir «manqué» ces éléments de preuve . Eh bien, Monsieur le président, il est tout à

fait possible que quelque chose m’ait échappé, encore que, lorsqu’il s’agit de l’administration de la

preuve dans cette grande salle, je me fasse un point d’honneur d’être aussi attentif et rigoureux que

35 possible. En l’occurrence, les Parties ont produit collectivement des milliers de pages de

documents. Et il est en effet possible que quelque chose y figurant m’ait échappé. Après tout, je

ne suis pas le juge Greenwood, à qui rien n’échappe. Mais il se trouve que je n’ai rien manqué

dans la présente affaire ou, du moins, rien de ce dont parle l’ambassadeur Ugalde.

32. J’ai soigneusement examiné les documents auxquels il a renvoyé la Cour et qui figurent

sous les onglets n 39 à 43 du dossier de plaidoiries du Costa Rica . Il s’agit de coupures de

presse que j’avais lues plusieurs fois auparavant. Aucune n’indique que le Nicaragua s’est donné

pour objectif de «remodeler la géographie». Il y a bien un article citant un responsable

nicaraguayen qui aurait proposé de détourner les eaux du fleuve Colorado, mais, comme le

98 99
Costa Rica lui-même l’a reconnu , cette déclaration a fait l’objet d’une rétractation . En outre,

comme on l’a vu, il a été conclu à l’issue de l’étude de l’impact sur l’environnement de 2006 que le

100
détournement ne serait que de l’ordre de 5 % , c’est-à-dire inoffensif pour le Costa Rica ; dans les

94CR 2015/14, p. 59, par. 44 (Ugalde).

95Ibid., p. 58, par. 44 (Ugalde).
96
Ibid.
97
Ibid.
98CR 2015/3, p. 57, par. 13 (Ugalde).

99Déclaration de M. Virgilio Silva Munguía, directeur de l’autorité portuaire nationale, document n 15 soumis
par le Nicaragua le 4 janvier 2011 dans le cadre des audiences sur les mesures conservatoires.

100Etude de l’impact sur l’environnement du «projet visant à l’amélioration de la navigabilité du fleuve San Juan
de Nicaragua» (extraits), septembre 2006 (CMN, annexe 7), p. 10. - 31 -

101
faits, le taux réel de détournement s’est révélé aussi «faible» que 1,5 % . S’il y avait eu quoi que

ce soit d’utile dans ces articles, l’ambassadeur Ugalde aurait fait comme tout bon conseil : il aurait

surligné les passages d’intérêt et les aurait projetés à l’écran. Si quelque chose m’a échappé dans la

présente affaire, ce n’est pas les coupures de presse auxquelles il a fait référence.

33. J’en viens maintenant aux réponses du Nicaragua aux questions formulées par la Cour.

Ainsi, M. le juge Cançado Trindade a posé la suivante :

«Au cours de la procédure orale qui s’est déroulée cette semaine, il a été fait
référence au processus naturel de sédimentation et aux changements morphologiques
constants qui interviennent dans la zone, en particulier autour de l’embouchure du
fleuve San Juan. A votre avis, les travaux de dragage récents ou en cours sont-ils les
derniers ou faudra-t-il nettoyer le caño en permanence, de temps en temps ? Au cas

où ce nettoyage serait jugé nécessaire, comment pourrait-on procéder techniquement
pour satisfaire les deux Parties ?»

34. Comme l’ont confirmé les experts des deux Parties, aussi bien dans leur exposé écrit que

lors de la procédure orale, l’accumulation de sédiments exige le dragage régulier et répété du cours

inférieur du fleuve San Juan et ses chenaux navigables, y compris celui que le Nicaragua considère

comme le premier chenal rencontré, ainsi que les autres se trouvant sur son territoire. La

36 sentence Cleveland reconnaît au Nicaragua le droit de draguer le fleuve et d’assurer la navigabilité

de ses chenaux sans avoir à obtenir le consentement du Costa Rica. Toutefois, dans l’hypothèse où

une activité de dragage ou de dégagement poserait un risque de dommage important pour le

territoire costa-ricien, le Nicaragua serait tenu de procéder au préalable à une étude de l’impact

transfrontière sur l’environnement, ce qui implique l’obligation d’informer et de consulter de bonne

foi le Costa Rica, afin de prévenir ou d’atténuer tout effet préjudiciable.

35. Mme la juge Xue a pour sa part posé la question suivante :

«Afin de lui permettre de déterminer le seuil au-delà duquel la sédimentation
dans le cours inférieur du San Juan cesse d’être tolérable, le Nicaragua pourrait-il, au

cours du second tour de plaidoiries, faire savoir à la Cour si, au cours du siècle
dernier, il a effectué des opérations de dragage dans ce cours d’eau et, dans
l’affirmative, à quelle fréquence, avec mention du nombre approximatif de tonnes de
sédiments dragués dans chaque cas, à supposer que ces données soient
disponibles ?» 102

101
Thorne, exposé écrit en l’affaire relative à Certaines activités, mars 2015, p. 9, par. 4.16, sous-paragraphe a).
102CR 2015/10, 21 avril 2015, p. 66 (Xue). - 32 -

36. Le Nicaragua n’avait jamais dragué le cours inférieur du San Juan avant la mise à

exécution du programme actuel. En voici les raisons. Avant les années 1970, le dragage n’était

pas nécessaire, car, à l’état naturel, le fleuve ne charriait pas beaucoup de sédiments et

l’accumulation de ceux-ci n’atteignait jamais un niveau préjudiciable. Les quantités massives de

sédiments que recueille aujourd’hui le fleuve résultent principalement de la déforestation par le

Costa Rica de la rive lui appartenant, entre Boca San Carlos et le delta, à partir des années 1940 et

jusqu’à la fin des années 1990, et sa transformation en terres agricoles. M. Brenes a obligeamment

confirmé, la semaine dernière, le déboisement massif qu’a connu cette période d’un demi-siècle

103
lorsqu’il a présenté l’image tirée du périodique Environmental Monitoring and Assessment .

Certes, comme il l’a montré, des opérations de reboisement ont été menées depuis, mais la

destruction de la végétation et l’érosion des sols qui s’en est suivie, ainsi que le rejet des sédiments

ainsi produits dans le fleuve, avaient déjà fait leur œuvre et continuent de causer des dommages,

parce que les forêts primaires ont pour ainsi dire complètement disparu.

o
37. On peut lire actuellement à l’écran, et sous l’onglet n 18, les propos tenus par le

géologue expert du Costa Rica, M. Astorga, en septembre 2011, c’est-à-dire avant que le Nicaragua

ne dépose son mémoire en l’affaire relative à la Route :

«Les rivières San Carlos et Sarapiquí contribuent de manière importante au
débit du fleuve San Juan, en moyenne environ 500 mètres cubes par seconde. Pour

cette raison, il ne fait absolument aucun doute que leur contribution à la charge
sédimentaire du fleuve est également substantielle, soit environ 60 % de la charge
37 totale. Cela est d’autant plus évident que ces affluents drainent des terres utilisées
principalement pour la production agricole et ne portant que très peu de forêts.» 104

La déforestation. La Cour se souviendra de l’irritation manifestée par M. Wordsworth envers les

deux experts du Nicaragua, MM. Kondolf et Andrews, lorsqu’ils ont évoqué la déforestation à

laquelle le Costa Rica s’était livré sur son territoire, ainsi que l’aménagement des terres à des fins

agricoles, en tant que cause principale de la sédimentation du fleuve. Comme on peut le voir, telle

était également la conclusion de l’expert du Costa Rica lui-même avant que le Nicaragua soulève la

question dans son mémoire.

103CR 2015/11, p. 14-15, par. 5 (Brenes).
104
Allan Astorga Gättgens, «Technical Report : Geology, Sedimentology and Tectonics within the Surroundings
of the San Juan River and Calero Island» [géologie, sédimentologie et tectonique à proximité du fleuve San Juan et
d’Isla Calero], septembre 2011, p. 21 (document fourni par le Cosoa Rica le 16 mars 2015 en réponse à la demande que
lui avait adressée le Nicaragua le 24 février 2015, reproduit sous l’onglet n 18 du dossier de plaidoiries). - 33 -

38. Il aura fallu plusieurs décennies pour que la sédimentation résultant de la déforestation

pratiquée par le Costa Rica en vienne à causer l’obstruction du fleuve. Mais, dans les années 1970,

lorsque le problème s’est fait jour, le Nicaragua était, comme la Cour le sait bien, en proie à la

guerre civile. Pendant la plus grande partie des années 1980, la région située en aval du point de

bifurcation était contrôlée par les forces paramilitaires combattant l’Etat nicaraguayen depuis des

bases situées au Costa Rica. Les combats n’ont cessé qu’en 1990, mais la principale préoccupation

du Nicaragua était alors la réconciliation nationale et la réparation des ravages de la guerre. Ce

n’est qu’au début des années 2000 que le Nicaragua s’était suffisamment rétabli pour entreprendre

un projet de dragage de cette nature.

39. Monsieur le président, voilà qui met fin à mon exposé. Je vous remercie, ainsi que

Mesdames et Messieurs de la Cour, de votre aimable attention. Je vous saurais gré de bien vouloir

inviter M. McCaffrey à la barre, peut-être après la pause.

The PRESIDENT: Thank you, Mr. Reichler. The Court will now adjourn for a 15-minute

break. The hearing is suspended.

The Court adjourned from 4.15 p.m. to 4.30 p.m.

The PRESIDENT: Please be seated. I give the floor to Professor McCaffrey.
38

M. McCAFFREY:

L EN ICARAGUA A LE DROIT DE DRAGUER LE FLEUVE ET N A MANQUÉ À
AUCUNE DE SES OBLIGATIONS EN MATIÈRE D ’ENVIRONNEMENT

Le Nicaragua n’a manqué à aucune de ses obligations
environnementales ou autres

1. Thank you, Mr. President. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je

répondrai cet après-midi aux allégations costa-riciennes de manquement à certaines obligations

environnementales ou autres puis, à la fin de mon exposé, à deux des questions posées par le

juge Bhandari (M. Reichler répondra à la troisième demain). - 34 -

1. Les allégations de violation d’obligations environnementales

2. Monsieur le président, commençons par les obligations d’ordre environnemental.

Le Costa Rica s’obstine à tenter d’incorporer de force les dispositions du droit international

moderne de l’environnement dans un traité et une sentence arbitrale du XIX siècle. Le Nicaragua

sait bien que la Cour et d’autres juridictions tendent à interpréter certains traités de manière

évolutive. Mais une telle interprétation ne doit évidemment pas aller à l’encontre de l’objet et du

but du traité concerné ou le vider de sa substance ; dans le cas contraire, elle serait contraire à la

règle générale d’interprétation énoncée à l’article 31 de la convention de Vienne sur le droit des

traités.

3. Mme Parlett a déclaré hier que le principe de la lex specialis admettait aisément

l’application de principes du droit international de l’environnement à des questions régies par le

traité de 1858 et la sentence Cleveland de 1888, et que ces deux instruments devaient même être

interprétés à la lumière de ces principes, en leur état actuel . Elle a ensuite projeté sur vos écrans

ce qu’elle a dit être le paragraphe 6 de l’article 3 de la sentence Cleveland pour vous en donner une

interprétation littérale, du point de vue du Costa Rica.

4. En fait, Mme Parlett ne vous a montré que la moitié du paragraphe 6 ; elle a omis la

seconde phrase, pourtant cruciale, où il est indiqué que le Costa Rica «aura le droit d’être

indemnis[é]» à raison de tout dommage causé à son territoire ou à ses droits de navigation par les

travaux d’amélioration du Nicaragua. Cette phrase, couplée aux premiers mots du paragraphe

(«La République du Costa Rica ne peut empêcher la République du Nicaragua» d’exécuter des

39 travaux d’amélioration), autorise le Nicaragua à entreprendre de tels travaux, l’obligeant

uniquement à verser une indemnisation au Costa Rica si les travaux en question entraînent l’un

quelconque des dommages envisagés par le président Cleveland. La Cour n’aura pas oublié que,

devant le président Cleveland, le Costa Rica avait plaidé avec une certaine véhémence qu’il pouvait

empêcher le Nicaragua d’exécuter pareils travaux. Le président Cleveland a définitivement écarté

cette idée au paragraphe 6. Pourtant, le Costa Rica, indifférent à l’autorité de la chose jugée,

persiste sur sa lancée.

105CR 2015/14, p. 45, par. 19 (Parlett). - 35 -

5. L’argument formulé à cet égard par Mme Parlett n’est qu’une redite de ce que le

Costa Rica avait déjà longuement plaidé lorsqu’il avait interprété, sans nous épargner le moindre

détail, l’expression «à condition que». Le Nicaragua a répondu à cet argument au premier tour
106
dans le cadre de deux interventions distinctes et je ne répéterai pas cette réponse ici.

6. Cela étant, Monsieur le président, l’argument de Mme Parlett relatif à la lex specialis

mérite que l’on s’y arrête un instant. Tout d’abord, Mme Parlett a habilement inversé les données

du problème, en demandant si «le traité de 1858 et la sentence de 1888 l’emport[aient] … sur les

obligations en matière d’environnement qui découl[aient] des principes généraux du droit et des

107
traités internationaux» . Il s’agit plutôt de savoir si la lex specialis admet l’applicabilité d’autres

règles du droit. Mme Parlett a poursuivi en présentant la règle de la lex specialis sous un faux jour,

déclarant que le Nicaragua devait «mettre en avant [u]ne des dispositions du traité de 1858 ou de la

sentence de 1888 qui exclue l’application des règles relatives à la protection de

l’environnement» . Là encore, cela revient à interpréter le principe de la lex specialis à rebours.

La question qui se pose ici est une question de cohérence, ou de compatibilité, des autres règles

avec la lex specialis.

7. Si l’on applique ce principe, les termes «[le] … Costa Rica ne peut empêcher» signifient

clairement qu’il est loisible au Nicaragua de procéder à des travaux d’amélioration. Le Costa Rica

«ne peut empêcher» le Nicaragua d’entreprendre ces travaux en subordonnant leur exécution au

respect de telle ou telle autre obligation dont il voudrait l’application. Plus simplement, «ne peut

empêcher» signifie «ne peut empêcher».

8. En outre, à en croire Mme Parlett, j’aurais

«en fait concédé la semaine dernière que les obligations découlant du droit de
l’environnement ne «contredisaient en rien» le traité de 1858 et la sentence de 1888,
40 tout en soutenant qu’en raison de la lex specialis, le fleuve San Juan échappait, en
109
quelque sorte, à toutes ces obligations qui ne sont pas incompatibles» .

Mme Parlett semble avoir manqué l’explication que j’ai donnée mardi dernier au début de mon

exposé en l’affaire relative à la Route, à savoir :

106CR 2015/7, p. 38 (Pellet) et p. 29 (McCaffrey).
107
CR 2015/14, p. 45, par. 17 (Parlett).
108Ibid., p. 45-46.
109
Ibid., p. 46. - 36 -

«La présente affaire, contrairement à celle relative à Certaines Activités,
n’implique pas d’allégations du Costa Rica relatives à des activités menées par le
Nicaragua telles que le dragage du fleuve San Juan, le dégagement de caños, etc. que

le président Cleveland avait toutes traitées dans sa sentence de 1888… [E]lle porte au
contraire sur la construction, caractérisée par une négligence stupéfiante, d’une
route.»110

Voilà ce que j’ai expliqué, et la construction d’une route avec négligence ne fait pas partie des

questions régies par le traité ou la sentence Cleveland. Partant, s’il existe dans l’affaire relative à

Certaines activités une possibilité évidente de conflit entre la lex specialis et les autres obligations

en matière de dragage, notamment, un tel conflit est impossible dans l’affaire relative à la Route.

Non pas que le traité de 1858 soit inapplicable dans l’affaire relative à la Route, bien entendu, mais

il ne s’applique pas à la construction de la route costa-ricienne elle-même : il s’applique à la

souveraineté du Nicaragua sur le San Juan, que le Costa Rica a foulée aux pieds en construisant cet

ouvrage.

9. Mme Parlett s’est ensuite intéressée au terme «endommagé» utilisé par le

président Cleveland, concluant que ce dernier faisait référence à ««tout dommage» et non pas

simplement [à des] «dommages importants»». La disposition concernée imposerait donc, selon

elle, «une obligation plus rigoureuse … que le droit international général» . 111 Monsieur le

président, nous connaissons tous l’adage de minimis non curat lex. Je ne puis croire que le

président Cleveland, un juriste tout à fait compétent, ait entendu, en utilisant ce terme dans

l’absolu, faire référence à des dommages insignifiants. Si tel avait été le cas, pourquoi aurait-il

ajouté que le Costa Rica aurait le droit de réclamer une indemnisation à cet égard ? Qu’y aurait-il

eu à indemniser ?

10. Le Costa Rica fait par ailleurs valoir que, selon le paragraphe 10 de la

sentence Cleveland, il y a lieu de «demand[er son] avis» et, selon le paragraphe 11, d’obtenir son

consentement lorsqu’il risque d’être porté atteinte à ses «droits naturels», s’agissant dans les deux

cas de la construction d’un canal. Le Costa Rica feint la confusion en se demandant pourquoi ces

dispositions ne signifieraient pas également qu’il doit être informé et consulté à l’égard de tout

projet de dragage . Monsieur le président, là encore, il ne s’agit pas d’une omission de la part du

110
CR 2015/10, p. 32 (McCaffrey).
111CR 2015/14, p. 46.
112
Ibid., p. 47, par. 25. - 37 -

président Cleveland. Si celui-ci avait voulu que toute activité de dragage fasse l’objet d’une

41 notification et de consultations, il aurait certainement su comment le faire savoir, et l’aurait fait.

Mais le Costa Rica fait fi des travaux préparatoires de la sentence, pourtant cités par le

Nicaragua , lesquels montrent qu’il a fait grand bruit au sujet de ce qu’il estimait être son droit

d’empêcher le Nicaragua de draguer le fleuve, un droit dont le président Cleveland a rejeté

l’existence. De toute évidence, eu égard à ce que l’arbitre a déclaré quant à la nécessité de

«demand[er] … l’avis» du Costa Rica, et même d’obtenir son consentement en cas d’atteinte

éventuelle, chaque fois dans le contexte de la construction d’un canal, il aurait précisé que le

Nicaragua devait demander l’avis du Costa Rica avant de procéder à des travaux de dragage, si

telle avait bien été son intention, au lieu de se borner à dire que ce dernier pourrait réclamer une

indemnisation pour tout dommage résultant de tels travaux.

11. Monsieur le président, le Costa Rica répète ses accusations quant à l’étude de l’impact

sur l’environnement réalisée par le Nicaragua concernant son projet de dragage du San Juan

inférieur. Il fait grief au Nicaragua de n’avoir pas tenu compte des effets transfrontières de son

programme, soit, si je comprends bien, des effets sur le débit du Colorado, un bras du San Juan.

12. M. Reichler vous a déjà démontré que, dans l’étude réalisée par le Nicaragua, cette

question avait été pleinement examinée et qu’il avait été conclu à l’absence de risque de déviation

importante des eaux du Colorado ; les experts des deux Parties se sont d’ailleurs accordés sur le fait

qu’aucune ne s’était produite.

13. Ainsi qu’exposé par M. Reichler, le Nicaragua a bien évalué les effets transfrontières de

son programme dans son étude de 2006 , et en l’absence d’un nouveau programme ou d’un projet

d’extension du programme existant, aucune nouvelle étude n’est requise.

14. Quand bien même son existence serait établie, l’obligation de notification et de

consultation n’entrerait pas en jeu étant donné que des études réalisées par les deux Etats ont

démontré que le programme de dragage du Nicaragua ne faisait peser sur le Costa Rica aucun

risque de dommages importants et que, de fait, celui-ci n’a causé à ce jour aucun dommage

important depuis sa mise en œuvre.

113
CR 2015/7, p. 39, par. 45 (McCaffrey).
114Voir, par exemple, CMN, p. 150, par. 5.40 ; p. 151-152, par. 5.43 ; p. 154-155, par. 5.47 ; et p. 172, par. 5.78. - 38 -

2. Les autres allégations de violation

a) Les allégations de violation des droits de navigation du Costa Rica

15. Monsieur le président, j’en viens à présent aux autres manquements reprochés au

Nicaragua et, tout d’abord, aux autres allégations du Costa Rica concernant la violation de ses

droits de navigation.

16. Mme Del Mar nous a brossé hier un tableau réellement calamiteux pour illustrer ce
42

qu’elle a dit être le «harcèlement» auquel des ressortissants costa-riciens avaient été soumis, en

violation du traité de 1858 et des dispositions de votre arrêt en l’affaire du Différend relatif à des

droits de navigation. Elle a rejoué la complainte bien connue ― je dirais même un disque rayé, si

tant est que cette expression veuille encore dire grand-chose de nos jours ― des Costa-Riciens sans

défense tombés entre les griffes des autorités frontalières nicaraguayennes. Ce qui laisse

évidemment supposer, au fond, que les Costa-Riciens ont tous les droits du monde lorsqu’il s’agit

de naviguer sur le San Juan, à charge du Nicaragua de prouver le contraire.

17. Toutefois, l’arrêt de 2009 était clair, Monsieur le président. La Cour a déclaré que le

Costa Rica avait le droit de naviguer sur le San Juan, en territoire nicaraguayen donc, à des fins

commerciales. Elle a également, dans son dispositif, énoncé certaines exceptions limitées avec

soin. Celle qui s’appliquerait aux «victimes» évoquées par Mme Del Mar figure au point 1 f) du

dispositif, qui se lit comme suit :

«La Cour, … [d]it que les habitants de la rive costa-ricienne du fleuve San Juan
ont le droit de naviguer sur celui-ci entre les communautés riveraines, afin de subvenir
aux besoins essentiels de la vie quotidienne qui nécessitent des déplacements dans de
brefs délais.»115

18. Le droit en question est donc soumis à trois conditions : tout d’abord, la navigation doit

avoir lieu entre des communautés riveraines ; ensuite, elle doit avoir lieu «afin de subvenir aux

besoins essentiels de la vie quotidienne» ; et, enfin, ces besoins doivent «nécessite[r] des

déplacements dans de brefs délais». En outre, Monsieur le président, il ne faut pas oublier que les

autorités nicaraguayennes doivent déterminer sur place si ces conditions sont remplies. Il va de soi

qu’il revient à la personne ou aux personnes voulant naviguer sur le fleuve ― qui, je le répète, est

115 Différend relatif à des droits de navigation et des droits connexes (Costa Rica c. Nicaragua), arrêt,
C.I.J. Recueil 2009, p. 270, par. 156 1) f). - 39 -

un territoire nicaraguayen ― de démontrer de manière satisfaisante aux autorités que leur

navigation répond effectivement à ces conditions.

19. Les personnes dont Mme Del Mar a invoqué les déclarations sous serment ne sont

manifestement pas parvenues à en apporter la preuve. De ces huit déclarations sous serment, deux

116
concernaient les journalistes dont vous avez déjà entendu parler lors de ces audiences , cinq ont

trait à un incident concernant des personnes invitées à se rendre dans une exploitation agricole qui

ne se livraient en fait pas à des activités commerciales , et la dernière (dont Mme Del Mar a fait si

43 grand cas) émane d’un homme qui, à en juger par sa déclaration, souhaitait uniquement se rendre

dans la localité la plus proche sans démontrer qu’il se livrait à des activités commerciales ou qu’il

«nécessit[ait] [ce] déplacemen[t] dans de brefs délais» «afin de subvenir aux besoins essentiels de
118
la vie quotidienne» . Somme toute, les autorités nicaraguayennes ont fait un travail exemplaire.

20. En tout état de cause, les autorités nicaraguayennes doivent disposer d’une certaine

latitude étant donné qu’elles doivent prendre leur décision rapidement, sur des bateaux flottant sur

l’eau, et dans le cadre de leur mission de contrôler les entrées sur le territoire nicaraguayen et de

protéger celui-ci.

21. Compte tenu de l’ensemble de ces considérations, il est remarquable, Monsieur le

président, que le Costa Rica n’ait que si peu de cas à faire valoir, d’autant qu’environ 450 riverains

empruntent le fleuve quotidiennement, parfois à plusieurs reprises dans la même journée.

Exception faite de celui des journalistes qui n’étaient apparemment pas des riverains, les

témoignages présentés par le Costa Rica concernent deux seuls incidents intervenus

depuis 2009 ― dont l’un implique cinq personnes. Pourtant, le Costa Rica les présente de telle

façon qu’ils paraissent nombreux, grâce au jeu de miroirs qu’il créé en les ressassant constamment.

Le manque de respect dont il a été fait preuve dans un cas est regrettable, et le Nicaragua n’admet

nullement un tel comportement. Toutefois, Monsieur le président, y a-t-il lieu de crier à l’incident

international ou de déclarer une responsabilité internationale à chaque fois qu’un garde-frontière

116 Affaire relative à Certaines activités, MCR, annexes 27 et 28, déclarations sous serment de
MM. Franklin Gutierrez Mayorga et Jeffrey Prendas Arias. Voir CR 2015/7, p. 51, par. 26 (Pellet).

117Affaire relative à la Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua
c. Costa Rica), DCR, annexes 62, 63, 64, 65 et 66, déclarations sous serment de MM. Victor Julio Vargas Hernandez,
William Vargas Jimenez, Mmes Mayela Vargas Arce et Gabriela Vanessa Lopez Gomez, et M. Claudio Arce Rojas.
118
Affaire relative à la Route, DCR, vol. IV, annexe 67, déclaration de M. Ruben Francisco Valerio Arroyo. - 40 -

indélicat malmène un visiteur ou immigrant potentiel ? Si les Nicaraguayens qui se trouvent «sur

le territoire costa-ricien de manière licite» sont libres d’utiliser la route, comme M. Kohen l’a
119
prétendu en réponse à la question du juge Greenwood , alors les Costa-Riciens qui se trouvent sur

le fleuve, et donc au Nicaragua, de manière licite sont également libres d’emprunter ce cours d’eau.

Le parallélisme de ces deux situations semble avoir échappé au Costa Rica.

b) Les ordonnances en indication de mesures conservatoires

22. Monsieur le président, j’en viens pour finir à l’un des thèmes de prédilection du

Costa Rica, à savoir ses allégations d’inexécution, par le Nicaragua, des ordonnances en indication

de mesures conservatoires rendues par la Cour. Mme Parlett s’est demandé hier si elle se trouvait

dans une machine à remonter le temps, en entendant mon confère M. Pellet traiter cette question

120
lors des audiences . Je puis lui assurer qu’il n’en est rien.

44 23. Le Costa Rica a reconnu que le Nicaragua n’avait pas manqué d’exécuter l’ordonnance

de 2013. Il a également reconnu que le Nicaragua, par la voix de son agent, vous avait dit lors de

ces audiences qu’il avait bien reçu le message exprimé à travers cette ordonnance.

L’ambassadeur Argüello a en effet déclaré, je cite :

«le Nicaragua regrette profondément les actes qui ont suivi l’ordonnance en indication
de mesures conservatoires de 2011 et qui ont conduit la Cour à décider, en

novembre 2013, qu’une nouvelle ordonnance était nécessaire. Je p121 assurer à la
Cour que le Nicaragua a bien reçu et compris son message.»

Or, au mépris de cette déclaration claire, le Costa Rica affirme que vous devriez à présent ordonner

au Nicaragua de prendre certaines mesures (satisfaction, indemnisation et garanties de

122
non-répétition ), alors que la Cour a déjà réglé cette question dans son ordonnance en indication

de nouvelles mesures conservatoires rendue en 2013.

24. Monsieur le président, pour cette raison, le Nicaragua estime que les mesures

actuellement demandées par le Costa Rica sont superflues, et que de nouvelles mesures de

réparation ne sont donc pas nécessaires.

119
CR 2015/13, p. 54 (Kohen).
120CR 2015/14, p. 39 (Parlett).

121CR 2015/5, p. 18, par. 42 (Argüello).
122
CR 2015/14, p. 40-41, par. 8 (Parlett). - 41 -

R ÉPONSE À LA PREMIÈRE ET À LA TROISIÈME QUESTIONS DU JUGE BHANDARI

25. Monsieur le président, je vais à présent répondre à deux des questions posées aux Parties

par le juge Bhandari, à savoir les première et troisième questions. Mon confrère, M. Paul Reichler,

répondra à la deuxième question demain, comme je l’ai indiqué plus tôt. Les première et

troisième questions se lisent comme suit :

«1. Quelle place la Cour devrait-elle éventuellement accorder aux sources
faisant autorité que je viens de citer lorsqu’elle examinera la question de savoir si le
Costa Rica s’est entouré de précautions suffisantes en construisant sa route ?

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

3. En termes de précautions, quel critère devrait être appliqué en l’espèce, dans
le cas du Costa Rica ? Faut-il parler de désinvolture coupable ? De négligence ? De
devoir de diligence ? De responsabilité stricte ? Ou d’autre chose ?»

26. Monsieur le président, pour répondre à ces questions, le Nicaragua commencera par

souligner que, de son point de vue, les populations des deux pays méritent de bénéficier des critères

les plus rigoureux en matière de protection de l’environnement. En outre, le Nicaragua souscrit

bien entendu à la phrase, contenue dans le principe 7 de la déclaration de Rio, selon laquelle

«[é]tant donné la diversité des rôles joués dans la dégradation de l’environnement mondial, les

123
Etats ont des responsabilités communes mais différenciées» .

27. En ce qui concerne le Costa Rica et le Nicaragua, il a été démontré à la Cour dans les

écritures et à l’audience que, dans le domaine de l’environnement, les deux Etats ont adopté et mis

45 en œuvre des lois modernes fixant des critères rigoureux en matière de protection. Les Etats

d’Amérique centrale ont également adopté de telles lois environnementales ou apparentées. Le

critère à retenir à l’espèce, dans le cas du Costa Rica (auquel le juge Bhandari a fait référence dans

l’affaire relative à la Route), est donc celui que la Cour a déjà utilisé dans d’autres affaires

similaires auxquelles des pays d’Amérique latine en développement étaient parties, notamment

dans l’affaire relative à des Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay),

à savoir le critère dit de «due diligence» (devoir de diligence). Par ailleurs, s’agissant des

dommages transfrontières causés à l’environnement, il doit s’agir de dommages importants

(«significant»), au sens défini par la Commission du droit international. Le Nicaragua vous

123Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement, Nations Unies, doc. A/CONF.151/26 (vol. I),
principe 7. - 42 -

démontrera demain que le Costa Rica lui a causé des dommages importants dans l’affaire relative à

la Route.

28. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, ainsi s’achève ma

présentation de cet après-midi. Je vous remercie infiniment pour votre aimable attention et vous

saurais gré, Monsieur le président, de bien vouloir appeler maintenant à la barre mon confrère

Alain Pellet.

The PRESIDENT: Thank you. I give the floor to Professor Pellet.

Mr. PELLET: Thank you very much, Mr. President.

T HE BOUNDARY LINE AND ITS CONSEQUENCES
IN TERMS OF RESPONSIBILITY

1. Mr. President, Members of the Court, every case is unique — forgive my lack of

originality; clichés are not without value! And, what’s more, this particular cliché was used
124
yesterday by Marcelo Kohen . The case before us is an excellent example: it does not fall into

either of the two main categories of disputes generally brought before the Court — boundary

disputes and cases concerning responsibility. It was submitted to the Court by Costa Rica as a case

falling into the second category — and in what dramatic terms! Military invasion, belligerent

occupation . . . It has emerged, however, as a case concerning first and foremost a complicated

boundary delimitation issue. And, to tell the truth, unless you come to consider, as Costa Rica is

imploring you to do, that the boundary line is self-evident, the boundary dispute governs — and I

46 would even go so far as to say completely eclipses — the responsibility case that our opponents

thought they could submit to the Court — doubtless to satisfy public opinion.

2. I therefore propose to begin by following up on what Ambassador Argüello demonstrated

at the start of this afternoon, namely that the boundary is clearly not where Costa Rica claims it to

be, before showing that, as a result, its requests for reparation must be rejected — and that they

should be rejected in any event, even if the Court were to find, contrary to the clear terms of the

12CR 2015/14, p. 38, para. 47 (Kohen). - 43 -

applicable texts, that neither is the boundary situated on the left bank of the first channel met along

the southern margin of Harbor Head Lagoon.

I. The boundary line

3. Mr. President, the question of the boundary line is an essential prerequisite to any

settlement of the dispute submitted to the Court by Costa Rica, even if, as I have just pointed out,

the latter has presented it as a dispute purely about responsibility: Members of the Court, you

cannot rule on responsibility without first determining on which State’s territory the supposedly

internationally wrongful acts, of which Nicaragua is accused by the Applicant, took place. Thus,

although the Court may not be required to make a definitive ruling on the location of the boundary

in the operative part of its judgment (even though this would not necessarily be a bad idea, if it

wants to ensure that the real dispute between the Parties is settled with the force of res judicata), it

must, in any event, be satisfied that it falls to it to determine where that boundary lies before it

takes any position on responsibility.

4. In this respect, there are, in theory, four possible solutions open to the Court:

 one, it takes the view that the boundary is located where Costa Rica places it;

 two, it finds that it is located where we firmly believe it to be;

 three, it decides on an alternative course, although to be frank, I can’t see this happening — I

will rule out this possibility for the moment and come back to it a little later; or

 four, it finds that it does not have sufficient information and has to take the appropriate action.

47 I will examine the first two possibilities in turn, in the light of the arguments put forward by our

opponents yesterday, to the very modest extent that our Agent failed to respond to them in full.

And in the second part of my presentation, focusing on responsibility, I will discuss the

consequences that would also result from the two other options open to the Court.

1. The impossibility of the boundary line claimed by Costa Rica

[Slide 1 — The boundary line according to Costa Rica]

5. It took a long time, Mr. President, and Vice-President Yusuf’s opportune question, for

Costa Rica finally to tell us where it thinks the boundary lies. Even so, we were given nothing

more than a fleeting glimpse at the very end of Sam Wordsworth’s presentation. You can take a - 44 -

longer look now. It gives us the chance to play two party games at once: the one Costa Rica

invited us to play — “find the lost caño” 125— and another, more traditional game — “spot the

mistake”.

6. To illustrate the boundary, we have all used the satellite image taken from page 353 of

Costa Rica’s Memorial or, to be more precise, from page I-29 of the Thorne report, annexed to that

Memorial . It is on that image that Mr. Wordsworth drew the boundary line that you can see in

red on the current slide — however, despite giving some indications, which I will come back to, he

was careful not to explain exactly how he came to draw it. That said, on the principle, the Parties

agree. It must be in accordance with the First Alexander Award: “[the description made by

General Alexander], together with the attached sketch-map, established with binding effect the

precise line of the boundary in the area currently at issue” 127 — these were the words of

Mr. Wordsworth at the start of the hearings. And so I return to my favourite quotation, that upon

which any attempt to determine the course of the boundary must be based — and which, I would

point out, no member of Costa Rica’s counsel has ventured to use — the final paragraph of the

First Alexander Award. And I will attempt to apply it to the boundary line shown to you by

Mr. Wordsworth:

48 [Slide 1 — animation: erase the red line, then extend it]

 “la ligne initiale de la frontière sera la suivante . . .: Son orientation sera nord-est sud-ouest, à

travers le banc de sable, de la mer des Caraïbes aux eaux de la lagune de Harbor Head”; the

Parties appear to agree on this: the starting-point of the land boundary thus described is where

it appears on the Costa Rican map;

 then the boundary, I am still reading from the Alexander Award, “passera au plus près à

300 pieds au nord-ouest de la petite cabane qui se trouve actuellement dans les parages”;

neither Party seems able to say where that hut might have been located; however, subject,

perhaps, to precise demarcation along the sand bank in question, we also appear to agree on

this;

125
CR 2015/14, p. 23, para. 2, and pp. 24-25, para. 4 (Kohen).
126See MCR, p. 353, App. I, fig. I.19, and CMN, p. 330, fig. 6.8.

127CR 2015/2, p. 41, para. 18 (Wordsworth). - 45 -

 “[e]n atteignant les eaux de la lagune de Harbor Head, la ligne frontière obliquera vers la

gauche, en direction du sud-est, et suivra le rivage autour du port”; up to this point, still no

disagreement between the Parties;

 “jusqu’à atteindre le fleuve proprement dit par le premier chenal rencontré”; and here we have

the crux of the disagreement between the Parties: the line claimed by Costa Rica does not stop

at the first, second or even third channel; in truth, it does not stop at any channel at all, but

carries on until the river proper; this is not in keeping with the text I have just read out (“until

it reaches the river proper by the first channel met”), nor is it compatible with the following

sentence;

 “[r]emontant ce chenal et le fleuve proprement dit, la ligne se poursuivra comme prescrit dans

le traité”; “le fleuve proprement dit” — this can leave no doubt that one of the key directives

in terms of the boundary delimitation is that the boundary does not follow the main channel,

but rather “the first channel met” along the bank of the lagoon.

Mr. President, what we have here are two fatal errors, in so far as they contradict the clear text of

the First Cleveland Award.

[End of slide 1]

7. Our opponents, who were careful not to refer to that description, tried to skirt around the

problem: both Mr. Wordsworth and Mr. Marcelo Kohen described the boundary claimed by

49 Costa Rica “the wrong way round”, if I can call it that. That is to say that, instead of first going

from the north-east to the south-west, then turning south-eastwards to follow the bank of Harbor

Head Lagoon, they abandoned that description to focus attention exclusively on the fact that

Costa Rica has sovereignty over the right bank of the river, which they claim, contrary to the clear

text of the First Award (which is in no way undermined by the following two awards), has to mean

its main channel: “Alexander thus made quite clear that Costa Rica was sovereign over all of the

right bank of the river, not just the right bank of the river until it meets a non-existent

non-navigable channel”, says Sam Wordsworth, citing (for once) the Third (but quite intentionally

not the First) Award .128 He also states: “[i]t is self-evident that the drafters of the Treaty

12CR 2015/14, p. 18, para. 28 (Wordsworth). - 46 -

considered that the boundary followed the main channel, i.e., the right bank of the river, all the way

to the river mouth”; how is this self-evident? We’re talking about a delta, and it makes just as

much sense to follow the outermost channel, especially when a boundary is drawn along the bank,

and it is acknowledged that the islands in the river — and everyone accepts this — belong to the

State which has sovereignty over that river.

8. In his response to Vice-President Yusuf, Marcelo Kohen starts from the same premise and

goes on to say:

[Slide 2: Costa Rica’s description of the boundary]

 “[t]he boundary in the ‘disputed territory’ thus follows the right bank of the San Juan River

from its mouth southwards”;

 he then starts again at the mouth of the river (it is of course still a question of the main

channel): “[t]o the east, from the mouth of the river to the Laguna Los Portillos/Harbor Head

Lagoon, the territory is consequently Costa Rican”; but our opponent fails to tell us where the

boundary runs;

 it is only then that he returns to the description: “The boundary then follows the water’s edge

around the Laguna Los Portillos/Harbor Head Lagoon.” 129

QED? That is undoubtedly what Costa Rica wants to prove, although clearly not by respecting the

terms of the equation laid down by the Alexander Award.

50 [End of slide 2]

9. Mr. President, I shall return neither to the question of the mobile (though not capricious)

boundary, nor to the relative instability of the delta and its component channels, of which our

Agent  today promoted to counsel  spoke. I only wish to underline an additional point:

Mr. Wordsworth makes much of Alexander’s insistence on the notion of an “outlet for

130
commerce” . This invites a number of comments:

(1) contrary to what he asserts, this notion is not linked to that of navigability: in his Award of

30 September 1897, the arbitrator ruled out both the Colorado and the Taura, both undeniably

129CR 2015/14, p. 32, para. 25 (Kohen).

130CR 2015/2, pp. 39-40, para. 13, p. 40, para. 14 and CR 2015/14, p. 14, paras. 11 and 15, p. 15, para. 16, p. 16,
para. 19, p. 17, para. 22 and p. 18, para. 26 (Wordsworth). - 47 -

navigable, as potential candidates for the boundary river, saying: “[i]t cannot follow either of
131
them, for neither is an outlet for commerce, as neither has a harbor at its mouth” ;

(2) any harbour disappeared from the region many moons ago: Greytown was already no more

than a shadow of its former self at the time of the Award, and, notwithstanding its name,

Harbor Head today looks nothing like a harbour and perhaps never has done; and

(3) if there is any commerce  or if any were permitted  it is limited to tourism alone, since the

real “outlet of commerce” for Costa Rica (but from which Nicaragua is excluded) is the

Río Colorado; and, certainly, “for the purposes of commerce limited to tourism”, the caño

which, in Nicaragua’s view, forms the boundary does just as nicely as (and certainly better

than) the main channel, which in any event is rendered unfit for navigation in the dry season

because of the sedimentation of its bed  a phenomenon that we know to be partly due to the

action of Costa Rica itself, and which the somewhat limited dredging operations undertaken by

Nicaragua cannot halt. And when I say “cannot”, I mean “are not managing to”.

10. In any event, it is also in the light of this information that the merits of the boundary lines

proposed respectively by the Parties should be assessed. As we have just seen, the line claimed by

51 Costa Rica takes absolutely no account of the clear text of the First Alexander Award and does not

allow for the changes that the mouth of the San Juan has undergone, both in respect of its network

of channels, its (deteriorating) state of navigability and the action of marine erosion; what is more,

it achieves the strange result of granting Nicaragua an enclaved lagoon!

[Slide 3: the enclaved lagoon]

11. It is such a strange result that Professor Kohen was careful not to show you, Members of

the Court, what it might look like. No doubt it would look like what you can see on your screens

right now  also at tab 21 of your folders. And, Mr. President, if I may make a few more brief

comments:

 Professor Kohen has the nerve to compare this configuration to Makassar, which belongs to

Timor-Leste and is enclaved in the western, Indonesian, part of the island of Timor , or, still

13First Award under the Convention between Costa Rica and Nicaragua of 8 Apr. 1896 for the Demarcation of
the Boundary between the two Republics, 30 Sep. 1897, United Nations, RIAA, Vol. XXVIII, p. 217; MCR, Vol. II,
Ann. 9.

13See the judges’ folder of 28 Apr. 2015, tab 26. - 48 -

more audaciously!, to the enclave (there are in fact two) constituted by Brunei on the
133
Malaysian island of Sarawak ; may I suggest another comparison to him: Alaska; unless, on

the contrary, it is Canada which is an enclave in the territory of the United States?

 as Ambassador Argüello explained earlier, there are clear ulterior motives for this invention of

the enclaved lagoon: Costa Rica is quite simply appropriating Harbor Head Lagoon for the

purposes of the other proceedings it has commenced before you concerning the Maritime

Delimitation in the Caribbean Sea and the Pacific Ocean; Costa Rica’s appetite for territory is

achieving what marine erosion has not been able to; everything suggests, indeed, that what

really lies  at least one of the reasons  behind its Application in Certain Activities is an

attempt to bring the Court to award it a starting-point for the maritime delimitation that would

considerably increase its maritime areas;

 furthermore, Members of the Court, if you were to accept what Costa Rica is proposing —

even partially — you would be delivering a serious blow to the principle of the stability of

134
boundaries to which Costa Rica claims to be attached : it is clear that Alexander considered

52 that the entire coastline north-west of the point where the boundary he describes starts  that

is to say “across the bank of sand, from the Caribbean Sea into the waters of Harbor Head

Lagoon”  as I was saying, it is clear that Alexander considered that the entire coastline

belonged to Nicaragua, and his sketch, however basic it might look, also confirms this.

[End of slide 3. Slide 4: the boundary]

12. The boundary line that Nicaragua proposes adopting, Members of the Court, takes full

account of all these considerations, with which the Costa Rican line is completely incompatible:

 it follows to the letter the description of the boundary in the Alexander Award;

 it is as good as any other in creating an “outlet of commerce” in the current situation, where

there is in any case no more harbour and hardly any commerce;

 at the same time as being true to the spirit of the delimitation fixed by the 1897 Award, it is

adapted to the current situation, which meets the general guidelines for the interpretation of

13Judges’ folder of 28 Apr. 2015, tab 27.

13CR 2015/2, p. 27, para. 24 (Agent), p. 48, para. 7, pp. 70-71, paras. 67-71 (Kohen) and CR 2015/14, pp. 29-30,
paras. 17-19. - 49 -

treaties entered into for a long period of time or for an unlimited duration, as they emerge from

135
the Court’s 2009 Judgment in the first San Juan case ;

 our line does not deprive Nicaragua, in breach of the principle of the stability of boundaries, of

the coastline granted to it by the Alexander Award; and

 it does not result in the aberrant solution whereby the lagoon is enclaved.

[End of slide 4. Slide 5: maps confirming the boundary]

13. Furthermore, this sensible boundary has nothing “invented” about it, nor is it an

136
“artificial claim” . It is represented on a number of maps  which are now showing on the

screen and also appear in your folders (at tab 23). I showed them already in the first round , but 137

counsel for Costa Rica paid them no heed. I am sure, Members of the Court, that the relevance of

these maps will not have escaped you, but here you have them to hand. For his part, Mr. Kohen

53 referred to two maps, in support of the boundary claimed by Costa Rica, dating from 1988, which

have the same origin (aerial photographs from 1961) and which are at tab 24 of today’s folder 

Ambassador Argüello showed them to you earlier. These two maps depict channels or caños

explicitly labelled “perennial”, as Professor Thorne confirmed during his cross-examination on

14 April . I shall not dwell on this: Ambassador Argüello has already drawn your attention to

these maps.

14. He also recalled that, contrary to our opponents’ assertions , the Nicaraguan authorities

had been present in the territory, as the affidavits appended to our Counter-Memorial (in

Annexes 80 to 89 in Volume III) attest. These documents deserve consideration, Members of the

Court: they show that since, in any event, the fall of the Somoza dictatorship, the Nicaraguan

police and army have carried out a considerable number of checks and arrests in the area that

Costa Rica claims as its own. It is of course neither a heavy nor a permanent police presence 

and there are certainly fewer drink-driving tests there than in The Hague  but, given the

13See Dispute regarding Navigational and Related Rights (Costa Rica v. Nicaragua), Judgment,

I.C.J. Reports 2009, pp. 242-244, paras. 63-71.
13CR 2015/14, p. 23, para. 2 (Kohen).

13See CR 2015/5, pp. 30-32, para. 21.
138
CR 2015/3, p. 23 (Thorne).
13See MCR, pp. 174-176, paras. 4.55-4.57 and CR 2015/2, p. 57, para. 30 (Kohen). - 50 -

extremely inhospitable nature of this almost uninhabited area, that is already quite a lot. According

to established case law,

“[i]t is impossible to read the records of the decisions in cases as to territorial
sovereignty without observing that in many cases the tribunal has been satisfied with

very little in the way of the actual exercise of sovereign rights, provided that the other
State could not make out a superior claim. This is particularly true in the case of
claims to sovereignty over areas in thinly populated or unsettled countries.” 140

[End of slide 5]

II. The (non-)issue of responsibility

15. Members of the Court, it goes without saying that the Court’s position on the location of

54 the boundary will determine its position on responsibility. Nevertheless, I shall demonstrate that,

unless the Court were to consider that Professor Kohen was justified in claiming that “Costa Rica

141
[could n]ever imagine such a claim as Nicaragua made in 2010”  a hypothesis which does not
142
sound very serious to me (but which the Applicant’s counsel have been repeating ad nauseam , as

if to convince themselves of the truth of this improbable assertion)  it seems to me to be virtually

self-evident that the Court could not allow Costa Rica’s requests for reparation, whether the

boundary were on the right bank of the caño — which is at the root of the entire case — or whether

it lay elsewhere. It is therefore only out of a desire to leave nothing to chance that I shall briefly

discuss, in this second part of my presentation, the consequences  or some of the

consequences  which Costa Rica would like the Court to draw from Nicaragua’s alleged

responsibility, as listed in its very verbose final submissions.

1. The Court is bound to reject Costa Rica’s submissions

16. Members of the Court, it seems to me that we have provided sufficient evidence, both in

our Counter-Memorial and during these hearings, that the boundary established by the 1858 Treaty,

as interpreted by the Cleveland and Alexander Awards, did indeed follow the west bank of Harbor

14Legal Status of Eastern Greenland, Judgment, 1933, P.C.I.J. Series A/B No. 53, p. 46; see also: Sovereignty
over Pulau Ligitan and Pulau Sipadan (Indonesia/Malaysia), Judgment, I.C.J. Reports 2002, p. 682, para. 134 and
Territorial and Maritime Dispute between Nicaragua and Honduras in the Caribbean Sea (Nicaragua v. Honduras),
Judgment, I.C.J. Reports 2007 (II), p. 712, para. 174.

14CR 2015/2, p. 48, para. 8 (Kohen).
142
See ibid. and CR 2015/14, p. 28, para. 13 (Kohen) or CR 2015/4, p. 35, para. 4 (Kohen). On the question of
the nature of the dispute: CR 2015/2, p. 19, para. 3 (Ugalde), pp. 47-54, paras. 6-24 and pp. 71-72, paras. 72-73 (Kohen),
or CR 2015/3, p. 10, para. 2 (Wordsworth). - 51 -

Head Lagoon, before running along the right bank of the disputed caño and joining “the river

proper”, still following its right bank. If that is so, it is quite clear that Nicaragua cannot be held

internationally responsible for the acts of which Costa Rica accuses it.

17. What if  and I only mention this ex abundante cautela  the Court were not totally

convinced? Well, Mr. President, that should have no impact on Nicaragua’s absence of

responsibility. What would the consequences actually be? As I said just now, three other

possibilities would be open to the Court.

18. It could have the boundary run along another caño, for example at the outlet of one of the
143
Y-shaped perennial channels, which can be seen on the photographs of 1961 , or on the maps of

55 1988 144 although I struggle to see the logic of doing so: why choose a second or third channel if

the first one exists? But let us assume that this were the case: whichever caño the Court were to

choose, it is clear that by selecting a boundary line which neither Party had considered to be

established, the Court would not be able to reproach Nicaragua for failing to know where the

boundary was, even if the “Pastora caño” were to be in Costa Rican territory. It would have taken

hundreds of pages of written pleadings  perhaps even thousands, I imagine  several expert

reports, and half of three weeks of hearings, for the Court to determine something which would

come as a surprise to both Parties: neither could be reproached for failing to respect it.

19. The same reasoning would apply a fortiori if a doubt were to remain in the minds of a

majority of the Court, and it were to order a further investigation, in order to determine, by an

independent expert report or a “site visit”, the location of the “first channel met” on the bank of

Harbor Head Lagoon when approaching from the Caribbean Sea, and in order, if necessary, to

carry out other verifications on the ground. That would be possible under Article 50 of the Statute

of the Court, which provides that “[t]he Court may, at any time, entrust any individual, body,

bureau, commission, or other organization that it may select, with the task of carrying out an

enquiry or giving an expert opinion”. And it has been done at least once  but before the end of

143
Judges’ folder, 29 April 2015, tab 24.
14Ibid. - 52 -

the oral proceedings: in the Corfu Channel case , the Court considered “that certain points had

been contested between the Parties which made it necessary to obtain an expert opinion, defined

these points, and entrusted the duty of giving the expert opinion to a Committee composed” of

experts who were third-country nationals. Similarly, following a suggestion made during the oral

proceedings, the PCIJ decided to “pay a visit to the locality in order to see on the spot all the

installations, canals and waterways to which the dispute [concerning the Diversion of Water from

the Meuse] related” . The Court is at liberty to do likewise under Article 66 of the Rules of

Court. I should like to reiterate, however, that, in my view, such a solution would merely be a last

resort, since it seems to us that the Court has sufficient evidence to reach a decision  in favour of

56
the line which we are proposing in any case! Nevertheless, if the Court were to opt for that

solution, Nicaragua would cooperate fully with any verification on the ground, whatever form it

took. It goes without saying, however, that, in such a scenario, there can be no question of

responsibility: a Party cannot be reproached for not knowing the precise location of the boundary

when you yourselves, Members of the Court, with the benefit of your experience (which I shall

refrain from describing so that our team is not accused of flattery, be it collective or selective) and

of a debate between the Parties, would have hesitated to decide it.

20. And, in fact, the same would apply if  although I can barely imagine such an outcome

to these proceedings  the Court were to agree with Costa Rica, and establish the boundary on the

right bank of the main channel of the river, which would mean accepting Costa Rica’s implausible

request to enclave Harbor Head Lagoon within its territory. That would put us in the same

147
situation as Nigeria in its case against Cameroon or as Colombia following the Judgment of

19 November 2012 . 148 I think I said enough on this point in the first round, without being

149
contradicted, and I would refer you to that pleading . The conclusion is clear: the location of the

14Corfu Channel (United Kingdom v. Albania), Merits, Judgment, I.C.J. Reports 1949, p. 9. See also
Delimitation of the Maritime Boundary in the Gulf of Maine Area (Canada/United States of America), Appointment of

Expert, Order of 30 March 1984, I.C.J. Reports 1984, p. 165.
14Diversion of Water from the Meuse, Judgment, 1937, P.C.I.J., Series A/B, No. 70, p. 9.

14Land and Maritime Boundary between Cameroon and Nigeria (Cameroon v. Nigeria: Equatorial Guinea
intervening), Judgment, I.C.J. Reports 2002, pp. 451-452, para. 315 and p. 452, para. 319.
148
Territorial and Maritime Dispute (Nicaragua v. Colombia), Judgment, I.C.J. Reports 2012 (II), p. 718,
para. 250.
14CR 2015/7, pp. 54-57, paras. 35-36 (Pellet). - 53 -

boundary really would have to be perfectly obvious for the Court to consider that a failure to

respect it, prior to its delimitation by a decision constituting res judicata, engaged the responsibility

of either of the Parties. I fail to see how that could be true in this case, where the changing

configuration of the delta and coastline, combined with the inhospitable conditions and absence of

inhabitants, could only exacerbate, and excuse, the uncertainty  and our lengthy debates attest to

the fact that, to say the least, the uncertainty has some foundation.

21. Mr. President, whichever position the Court adopts on the boundary line and,

consequently, on the territorial sovereignty over the disputed territory, I believe that it can only

reject the Applicant’s request regarding responsibility.

57
2. The remedies requested by Costa Rica

22. And that could almost dispense me from having to comment on the improbable  not to

say implausible  submissions of the Applicant. But not wanting to disappoint you,

Mr. President, since we still have a little time left, I would like all the same to say a few words,

since the submissions, in all kinds of ways, constitute clear evidence of what might be called

Costa Rica’s “judicial strategy”.

23. They are improbable for a number of reasons, and first because of their very unusual

length  which is as excessive as their content. But that derives from a mistaken approach, or

indeed an error of law, albeit I ultimately believe a harmless one. Our opponents have effectively

confused the submissions read at the end of the hearings with the arguments on which they rely.

Article 60, paragraph 2, carefully distinguishes between the two aspects. I will quickly read it out:

“At the conclusion of the last statement made by a party at the hearing, its agent, without

recapitulation of the arguments, shall read that party’s final submissions.” However, the essence of

these 26 requests, Mr. President, amounts to asking the Court to set out in the operative paragraph

of its future judgment the arguments on which Costa Rica has relied in support of its position, but

which — if you were to accept them, Members of the Court — would form part of your judgment’s

reasoning, but not of its operative paragraph.

24. True there can be exceptions, at least apparent exceptions, to that distinction. That is in

particular the case where the Court is persuaded to render a declaratory judgment  which is not in - 54 -

principle excluded 150 but it is still necessary that the judgment “would be susceptible of any

151
compliance or execution whatever, at any time in the future” . Moreover, there have to be good

reasons, special reasons, for the Court to set out a statement of existing obligations in its operative

paragraph  as you pointed out, for example, in the present case: the reasoning in your judgments

is generally sufficient “to respond to [a party’s] wish that [the other party’s] obligations towards it

152
should be stated by the Court” .

58 25. In this case, Costa Rica has provided no explanation whatever as to why its legal

arguments should be restated in the judgment’s operative paragraph, or what special interest there

would be in doing this. The only one of its counsel to have expressed himself on this point,

Professor Kohen, simply stated that a finding that Nicaragua had been in breach of its international

obligations “although necessary, is not enough” 153 a somewhat lame justification which, prima

facie, should not suffice to persuade you to accept the long litany of “declaratory” requests set out

in paragraph 2 of Costa Rica’s submissions. (For your convenience, Members of the Court, those

submissions are reproduced at tab 25 of your folders.)

26. However, Mr. President, certain of these requests have particularly caught our attention.

First, there is the new one, set out in paragraph 2 (a), requesting you to adjudge and declare that

“Sovereignty over the ‘disputed territory’, as defined by the Court in its Orders of 8 March 2011

and 22 November 2013, belongs to the Republic of Costa Rica.” In a similar spirit, that request ties

in with the following one — which you will find at paragraph 2 (b) (i) — on respect for the

sovereignty and territorial integrity of Costa Rica, within the boundaries delimited by the

1858 Treaty of Limits and the First and Second Alexander Awards. I note in passing the absence

of any reference to the Cleveland Award, or to the Third Alexander Award. I understand that

154
omission, Mr. President: those documents provide scant support for Costa Rica’s position , as

150Northern Cameroons (Cameroon v. United Kingdom), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 1963,

p. 37.
151Idem.

152Dispute regarding Navigational and Related Rights (Costa Rica v. Nicaragua), Judgment, I.C.J. Reports 2009,
pp. 268-269, para. 154.
153
CR 2015/4, p. 34, para. 1 (Kohen).
154See, inter alia, CMN, pp. 32-33, paras. 2.31-2.36, p. 34, para. 2.40, pp. 58-59, paras. 3.17-3.18, p. 302,
para. 6.23, and p. 305, paras. 6.29-6.31; and CR 2015/5, pp. 24-25, para. 10, and pp. 15-16, para. 26 (Pellet). - 55 -

our Agent again explained at the start of this session. Apart from these deliberate omissions, I note,

first, that Costa Rica has finally realized that this case is about a disputed territory, and, secondly,

that the first thing that the Court must do is to rule on sovereignty over the territory in question. I

further note that these two submissions cover the same ground as the first two requests formulated

by Nicaragua at the end of its Counter-Memorial, and which it maintains.

27. I believe that the fact that both Parties’ submissions overlap in this way justifies the

Court in ruling, in the operative paragraph of its judgment, on the course of the boundary and the

59 resultant territorial sovereignty. Both Parties are asking it to do this. However, that is as far as the

Court should go, at least in relation to the specific issue of responsibility; as I have just shown,

where a territory is disputed, the Court should not enter into a retrospective examination of

responsibility: it is only from the time of the Court’s decision on the territorial dispute  and for

the future  that it is possible to determine which of the two States is on home ground and can

claim “the right to exercise therein, to the exclusion of any other State, the functions of a State” , 155

according to Max Huber’s famous formula.

28. Even if I refuse to take them seriously and therefore to comment on them, I cannot resist

the temptation to point out the excessive nature of the three following requests, which demonstrate

the extent of the taste of Costa Rica and its counsel for exaggeration and dramatization. Despite

our objections  made, I have to say, in a somewhat ironic spirit 156 our friends on the other side

157 158
of the Bar persist in speaking at times of a military invasion , at times of a military occupation .

Neither a frontier dispute, nor the cleaning or clearing of a channel in an inhospitable and disputed

area, or even the installation of a temporary (and rapidly removed) military encampment on a piece

of disputed territory, justify such a description; and declarations to that effect by this Court would

certainly not be liable to lead to a peaceful settlement of a dispute between the two States, but

would only fan the flames (we sometimes have the impression that this is our opponent’s real

aim . . .). The same can be said of the request seeking to make Nicaragua responsible for the costs

155
Arbitral Award (Max Huber), 4 Apr. 1928, Island of Palmas (Netherlands v. United States of America),
Permanent Court of Arbitration, 4 Apr. 1928, p. 39.
156See CR 2015/7, p. 49, para. 23 (Pellet).

157CR 2015/14, p. 10, para. 1, p. 18, para. 29, p. 22, para. 41 (Wordsworth).
158
Ibid., p. 26, para. 9, p. 38, para. 47 (Kohen), and p. 66, para. 1 (Agent). - 56 -

incurred in respect of the third request for provisional measures. Because our opponents lost the

second one , should the Court then be asked to hold them responsible for those costs?

29. Two further comments  but two only. Mr. President, in regard to this “hypertrophic”

list of declaratory requests, I should like to make two comments concerning what might be called

two “Costa Rican obsessions”:

60  the first is the declaration on Costa Rica’s right of navigation on the San Juan de Nicaragua

River , which the Applicant describes as perpetual, but omits to state that it is confined to

navigation “for purposes of commerce”. I have already had occasion to state that this request,

which is in any case without foundation, is not relevant here, and I can only stress that to use

the occasion of the present case in order to attempt to secure the amendment or repeal of the

2009 Decree — even if the choice of means is left to Nicaragua — is particularly artificial;

 the second of these Costa Rican obsessions concerns the dredging of the river; it is reflected in

no less than five of Costa Rica’s submissions ! That said, we agree that even if a single

submission would have been enough, this question lies at the heart of the dispute submitted to

you by Costa Rica. Nicaragua also asks you to rule on that issue and to find, in the operative

paragraph of your judgment, that (and I quote point (iii) of the submissions in our

Counter-Memorial) “(iii) Nicaragua is entitled, in accordance with the 1858 Treaty as

interpreted by the subsequent arbitral awards, to execute works to improve navigation on the

San Juan River as it deems suitable, and that these works include the dredging of the San Juan

de Nicaragua River”. It is true that, in your 2009 Judgment, you pointed out that this issue was

settled “in the decision made in the Cleveland Award. It was determined . . . that Nicaragua

may execute such works of improvement as it deems suitable, provided that such works will

not seriously impair navigation on tributaries of the San Juan belonging to Costa Rica”; and

since “Nicaragua [had] offered no explanation why the Award does not suffice to make clear

the Parties’ rights and obligations in respect of these matters”, you rejected its claim in that

159
Certain Activities carried out by Nicaragua in the Border Area (Costa Rica v. Nicaragua); Construction of a
Road in Costa Rica along the San Juan River (Nicaragua v. Costa Rica), Provisional Measures, Order of 16 July 2013,
I.C.J. Reports 2013, p. 230.
16Submission 2 (c) (ii).
161
See paras. 2 (c) (iii), 2 (c) (v), 2 (d), 3 (b) and 3 (b) (iii). - 57 -

regard . It seems to me, Mr. President, that Costa Rica’s recurrent challenges to Nicaragua’s

rights  abundantly reiterated during these proceedings  constitute a justification for this

new request, particularly since, here too, the Parties agree that a decision on this point by the

61 World Court having the force of res judicata would be useful. On the other hand, it seems to

us superfluous to revisit the actual text of the relevant instruments, given that they

comprehensively govern both the very wide rights recognized to Nicaragua as well as the

limits thereon, which do not include any prior obligation to notify or consult with Costa Rica,

although there might be provision for this elsewhere—subject to certain conditions. However,

Mr. Reichler and Professor McCaffrey (that man yet again!) have explained matters clearly

enough, and shown that we have to maintain a reasonable approach as regards the impact of

these dredging activities — and still more so in relation to their damaging effects, which are in

reality non-existent.

30. Mr. President, Members of the Court, Costa Rica believes that it can downplay the

uncertainty regarding ownership of a very small and inhospitable piece of territory — rarely visited

except by drug smugglers and the (Nicaraguan) police pursuing them — by submitting to you a

State responsibility claim, which it presents as a sort of “great national cause”. At the same time, it

doubtless hopes to obtain prior approval, at least implicitly, in regard to the starting-point of the

maritime boundary between the two States, on which it is seeking your decision in other

proceedings. We believe that we have shown:

 that resolution of the dispute necessarily requires determination of the line of the boundary;

 that this line, as determined in the 1858 Treaty, as interpreted by the Cleveland Award, then

clarified by General Alexander’s First Award, itself clarified in certain aspects by his Second

and Third Awards  that this line could not correspond to the one which was, at last,

fleetingly “unveiled” yesterday thanks to the insistence of certain Members of this Court 

after four years of proceedings!;

16Dispute regarding Navigational and Related Rights (Costa Rica v. Nicaragua), Judgment, I.C.J. Reports 2009,
p. 269, para. 155. - 58 -

 that, in order to determine the line of the boundary, you must follow the method recommended

by Alexander, which means determining which is the first channel met along the shoreline of

Harbor Head Lagoon, coming from the Caribbean Sea;

 that marine erosion (which, moreover, does not exclude accretion in other neighbouring areas)

cannot justify Nicaragua being deprived of the maritime coastline recognized to it by the

Cleveland Award, as far as “the extremity of Punta de Castilla at the mouth of the San Juan de

Nicaragua River, as they both existed on the 15th day of April 1858”, as subsequently clarified

in the 1897 Alexander Award;

62  that, therefore, Nicaragua cannot be found culpable of any internationally wrongful act;

 that, in the unlikely event that you were not to accept the boundary line as submitted by

Nicaragua, you should carry out — or arrange to have carried out — an inspection on the

ground, which would be the only means in this case of removing the uncertainties; and

 that, in any event, the doubts concerning the location of the boundary, which will remain until

you have rendered your judgment, preclude you from upholding Costa Rica’s submissions on

Nicaragua’s alleged responsibility.

Thank you, Members of the Court, for having patiently listened to my presentation, which

concludes Nicaragua’s oral arguments  subject, of course, to the submissions that our Agent will

now read out, if you would kindly give him the floor again, Mr. President.

The PRESIDENT: Thank you, Professor. I give the floor to the Agent of Nicaragua,

Ambassador Argüello Gómez.

Sir, you have the floor.

M. ARGÜELLO :

1. Merci, Monsieur le président. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour,

nous avons entendu le Costa Rica dérouler une longue liste de conclusions qui met plusieurs points

en lumière et fait apparaître les raisons motivant réellement l’introduction de la présente instance :

1) le Costa Rica conteste la ligne frontière établie par les sentences Cleveland et Alexander, qui ont

définitivement fixé le point de départ de la frontière à Punta de Castilla ; 2) il nie le droit du

Nicaragua de nettoyer le San Juan, en particulier son droit de draguer ce fleuve pour en améliorer la - 59 -

navigabilité ; 3) il cherche à obtenir un droit de veto à l’égard des activités du Nicaragua sur le

fleuve, qui sont pourtant prévues par les instruments applicables ; et, enfin, 4) il s’obstine à mal

interpréter son droit de libre navigation et tente de rouvrir l’affaire du Différend relatif à des droits

de navigation en contestant le droit du Nicaragua de réglementer la navigation sur l’intégralité du

San Juan et à l’égard de tous les usagers de ce fleuve.

Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je vais à présent donner lecture

des conclusions finales du Nicaragua.

63
C ONCLUSIONS FINALES

Sur le fondement des moyens qu’il a présentés au cours de la procédure écrite et de la

procédure orale en l’espèce, le Nicaragua prie la Cour :

1) de rejeter les demandes et conclusions présentées par la République du Costa Rica ;

2) de dire et juger que :

i) le Nicaragua jouit de la pleine souveraineté sur le caño reliant la lagune de Harbor Head

au fleuve San Juan proprement dit, dont la rive droite constitue la frontière terrestre établie

par le traité de limites de 1858, tel qu’interprété par les sentences Cleveland et Alexander ;

ii) le Costa Rica est tenu de respecter la souveraineté et l’intégrité territoriale du Nicaragua,

en observant les frontières délimitées par le traité de 1858, tel qu’interprété par les

sentences Cleveland et Alexander ;

iii) le Nicaragua a le droit, conformément au traité de 1858 tel qu’interprété par les sentences

arbitrales ultérieures, d’effectuer les travaux qu’il estime opportuns pour améliorer la

navigabilité du fleuve San Juan, y compris les travaux de dragage ;

iv) les seuls droits dont le Costa Rica peut se prévaloir sur le fleuve San Juan de Nicaragua

sont ceux définis par ledit traité, tel qu’interprété par les sentences Cleveland et Alexander.

2. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, ainsi s’achèvent nos

conclusions finales. Le Nicaragua tient cependant à réaffirmer son attachement de longue date à la

primauté du droit et au respect des décisions de cette éminente juridiction qu’est la Cour. Au nom

du Nicaragua, je vous remercie tous pour votre attention, et notamment les juges, le bureau du

greffier et son secrétariat, les interprètes et le personnel d’une manière générale. Avant de quitter - 60 -

la barre, je tiens à remercier tout particulièrement les membres de l’équipe nicaraguayenne pour le

dévouement avec lequel ils ont rempli leurs fonctions. Merci infiniment.

The PRESIDENT: Thank you, Ambassador. The Court takes formal note of the final

submissions that you have just read out on behalf of the Republic of Nicaragua, as it did yesterday

for the final submissions presented by Costa Rica.

That brings us to the conclusion of the hearings devoted to the oral arguments of the Parties

in the case concerning Certain Activities carried out by Nicaragua in the Border Area

64 (Costa Rica v. Nicaragua). The Court will meet again tomorrow morning to hear the second round

of Nicaragua’s oral argument in the case concerning Construction of a Road in Costa Rica along

the San Juan River (Nicaragua v. Costa Rica).

The sitting is closed.

The Court rose at 5.45 p.m.

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