Opinion individuelle de M. Alvarez

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005-19511218-JUD-01-01-EN
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OPINION INDIVIDUELLE DE M. ALVAREZ

Le Royaume-Uni a adressé à la Cour internationale de Justice
une requêtedans laquelle il conteste la validité du décretnorvégien
du 12 juillet1935 délimitant les zones de pêchede la Norvège sur
une partie de son littoral. Il estime que cette délimitation, ainsi
faite, estcontraire aux préceptesdu droit international et il demande
à la Cour de dire quels sont les principes de ce droit applicables
pour définir les lignesde base par rapport auxquelles le Gouverne-
ment norvégien est fondé à délimiter ses zones de pêche.

Au cours des débats, le Gouvernement du Royaume-Uni a
présentéde nouvelles conclusions, notamment de caractère juri-
dique, et a demandé à la Cour de se prononcer aussi à leur égard.

Dans son contre-mémoire, ainsi que dans sa duplique et ses
plaidoiries, la Norvège a soutenu que la délimitation de ses zones
de pêchecontenue dans son décretde 1935 n'était pas en opposition
avec les préceptes du droit international et qu'en tout cas elle
correspondait aux droits historiques qu'elle possède depuis très
longtemps et qu'elle a indiqués.
Le litige actuel présente un grand intérêt non seulement pour
les Parties en cause mais aussi pour tous les autres États.

L'attorney généraldu Royaume-Uni, au début de sa plaidoirie
devant la Cour, a dit :(Il est notoire que cette affaire présente non
seulement une grande importance pour le Royaume-Uni et pour
la Norvège, mais encore que la décisionque rendra la Cour en la
matière sera, elle aussi, de la plus grande importancpour le monde
en général, entant que précédent,étant donnéque la décisionde
la Cour, en l'espèce, contiendra nécessairement des déclarations
importantes quant aux règles du droit international qui ont trait
aux eaux côtières. Le fait que tant de gouvernements ont demandé
communication de nos pièces écrites dans la présente affaire
démontre que telle est bien l'opinion générale...))

Dans l'examen du litige actuel, je me propose -de suivre une
méthode autre que celle qu'on emploie habituellement, surtout en
ce qui concerne le droit. Elle consisteà dégageret retenir les faits
principaux, puis à considérer les points de droit qui dominent
l'ensemble du litige et, enfin, ceux qui se rapportent à chaque

question importante.
33 14~ OPINION INDIVIDUELLE DE M. ALVAREZ

L'application de cette méthode pourra paraître, à première vue,
d'un aspect plutôt doctrinaire ;mais elle a un caractère essentielle-
ment pratique, puisqu'elle est destinée à faire ressortir directement
les réponses àdonner aux questions soumises à la Cour.
D'autre part, cette méthode est nécessaireen raison de la double
mission qu'a la Cour actuellement : résoudre les cas qui lui sont
soumis et développer le droit des gens.

On dit couramment que la Cour actuelle est la continuation de
la précédenteet que, par suite, elle doit suivre les procédéset la
jurisprudence de celle-ci. Cela n'est exact qu'en partie, car pendant
l'intervalle qui s'est écouléentre le fonctionnement de l'une et de
l'autre Cours s'est produit une guerre mondiale qui a entraîné des
changements rapides et profonds dans la vie internationale et
affectéconsidérablement le droit des gens.
Ces changements ont accentué l'importance de la seconde mis-
sion de la Cour. En effet, il arrive aujourd'hui plus fréquemment
qu'autrefois que, dans une matière donnée, on ne trouve pas de
préceptes applicables ou que ceux existant présentent des lacunes

ou qu'ils apparaissent désuets, c'est-à-dire ne correspondent pas
aux nouvelles conditions de la vie des peuples. Dans tous ces cas,
la Cour doit développerle droit des gens, c'est-à-dire remédier à ses
insuffisances,,adapter les principes existants à ces nouvelles condi-.
tions et même,s'il n'existe pas de principes, en créerconformément
auxdites conditions. La Cour a déjà procédéavec grand succès à
cette création du droit dans un cas qui restera célèbredans la
jurisprudence internationale (avisconsultatif du II avril1949 sur la
((Réparation des dommages subis au service des Nations Unies »).
Dans l'affaire actuelle, la Cour pourra exercer efficacement cette

mêmemission.
L'adaptation du droit des gens aux nouvelles conditions de la
vie internationale, indispensable aujourd'hui, est tout autre chose
que le (restatement 1)que préconisent les juristes anglo-saxons
pour mettre un terme à la crise du droit international et qui
consiste seulement à préciser ledroit tel qu'il a étéétabli et appli-
qué jusqu'ici, sans trop se préoccuper des changements qu'il a
pu subir récemment ou qu'il devrait subir à l'avenir.

III

Je ne m'attarderai pas à l'examen détaillédes faits allégués
par les Parties ni à celui des preuves qu'elles ont fournies pour
justifier leurs prétentions, car la sentence de la Cour les considère
longuement. Dans les pages suivantes, je m'attacherai seulement
aux points de droit que soulève la présente affaire.
Pendant des siècles, par suite de l'immensité de la mer et du
petit nombre de rapports entre les États, l'usage de la mer n'a
pas étéréglementé ;chaque État pouvait l'utiliser à son gré. I47 OI'INION INDIVIDUEL1.E DE hl. ALVAREZ

Depuis la fin du XVIII~~ siècle, les publicistes ont proclamé et
le droit des gens a reconnu comme nécessaire aux États l'exercice
de leur souveraineté sur une partie de la mer bordant leur littoral.
L'étendue de cette mer dite territoriale a étéd'abord fixée à la
portée du canon d'alors, puis à trois milles marins. Cette matière
relevait, en réalité, dela législation de chaque pays. Plusieurs de
ceux de l'Amérique latine ont établi des dispositions à cet égard
dans leurs codes civils.

En raison de l'importance croissante de cette matière de la mer
territoriale, une conférence mondiale s'est tenue à La Haye en
1930 en vue de réglementer certaines de ses parties, ainsi que deux
autres sujets. Cette conférence, sur laquelle on avait fondé tant
d'espoirs, n'a établi aucun précepte relatif à la mer territoriale.
Elle a rendu manifeste qu'il n'existait pas de réglementation bien
définie à cet égard, qu'il y avait seulement quelques conventions
entre certains États, des orientations ainsi que certains usages et
pratiques.
On a prétendu, au cours des débats, que dans cette conférence
un grand nombre d'États avaient admis la fixation de l'étendue
de la mer territoriale à trois milles marins ainsi que la manière de

compter cette étendue ;et cette affirmation a étécontestée. IIn'y
a pas lieu de s'attarder sur ce point, car, en réalité, laconférence
n'a adopté, comme il vient d'être dit, aucune disposition à cet
égard. En outre, les conditions de la vie internationale ont consi-
dérablement changé depuis lors ; il est probable, par suite, que les
États qui en 1930 acceptaient l'étendue de trois milles marins ne
l'admettraient pas aujourd'hui.

Dans ces conditions, quelle attitude doit adopter la Cour pour

résoudre le différend actuel ?
Les Parties, dans leurs écritures et dans leurs plaidoiries, ont
mis en avant diverses doctrines, ainsi que des systèmes, des pra-
tiques et mêmedes règles qu'eues considéraient ccimme faisant
partie du droit international. La Cour a cru devoir les prendre
en considératicm. Avec ces discussions a commencé, à mon avis,
une grave déviation dans l'appréciation du litige.
D'après une doctrine uniforme, les tribunaux judiciaires inter-
nationaux, en l'absence de principes conventionnels ou coutumiers
sur une matière donnée, doivent appliquer les principes gknéràux
du droit. L'article 38 du Statut de la Cour consacre expressément
cette doctrine.

11 faut remarquer, à cet égard, que l'arbitrage international
entre maintenant dans une nouvelle phase. 11 ne suffit pas de
mettre en relief les principes générauxdu droit reconnus par les
nations civilisées; il faut, en outre, tenir compte, comme je l'ai
35 14~ OPINION INDIVIDUELLE DE M. ALVAREZ

dit précédemment, des modifications que ces principes ont pu
subir par suite des grands changements survenus dans la vie inter-
nationale, en les adaptant aux nouvelles conditions de cette vie ;
il faut même,s'il n'existe pas de principes dans une matiiire donnée,
en créerconformément auxdites conditions.
La prise en considération de ces principes généraux et leur
adaptation sont d'autant plus nécessaires dans l'affaire actuelle que
le Royaume-Uni a demandé à la Cour de déclarer que le décret
norvégien de 1935 est contraire aux principes du droit international
actuellement en vigueur.

Quels sont les principes du droit international que la Cour doit
dégager et adapter, au besoin ? Et quels sont les principes qu'elle
doit, en réalité,créer?
Il convient, d'abord, de remarquer qu'on parle fréquemment
des principes du droit des gens, dans des conventions et dans
certaines sentences de la Cour permanente de Justice internationale,
mais sans dire quels sont ces principes et où ils se trouvent.

Il est donc nécessaire d'apporter quelques précisions à cet, égard.
En premier lieu, bien des principes, notamment les grands prin-
cipes, naissent de la conscience juridique des peuples (facteur psy-
chologique). Cette conscience est le résultat de la vie sociale et

internationale ; les nécessitésde ces vies font naitre naturellement
certaines normes jugées nécessaires pour régir la conduite des
États entre eux.
En raison du dynamisme actuel de la vie des peuples, il y a une
création continue de principes du droit des gens, et ils subissent
des modifications plus ou moins rapides à la suite des grands
changements qui se produisent dans cette vie.
Pour que les principes de droit qui naissent de la conscience
juridique des peuples aient de la valeur, il est nécessaire qu'ils
aient une manifestation tangible, c'est-à-dire soient exprimés par
des organes autorisés.
Jusqu'à présent, cette conscience juridique des peuples se mani-
festait par les conventions, les coutumes et par les opinions de
juristes qualifiés.
Or, de grands changements sont survenus à cet égard. Les

conve?ztionsrestent encore une forme d'expression très importante
de la conscience juridique des peuples, mais elles n'établissent géné-
ralement que des principes nouveaux, telle la convention sur le
génocide. D'autre part, les coutumestendent à disparaître en raison
des modifications rapides de la vie internationale contemporaine ;
et un nouveau cas bien affirmé suffit pour rendre désuète une
coutume séculaire. Le droit coutumier, dont il a ététant parlé

36 I49 OPINION INDIVIDUELLE DE M. ALVAREZ

au cours des débats, ne doit donc êtreaccueilli qu'avec prudence.

Aujourd'hui, les moyens par lesquels s'exprime la conscience
juridique des peuples sont, en outre, les résolutions desAssemblées
diplomatiques, notamment de celles de l'O.N. U., et surtout les
décisions de la Cour internationale de Justice. Il faut indiquer
aussi les législations récentes de certains pays, les résolutions des
grandes associations vouées à l'étudedu droit des gens, lestravaux
de la Commission de Codification crééepar l'O. N. U., enfin,
l'opinion des juristes qualifiés.

Voilà les éléments nouveaux sur lesquels va se fonder le droit
international nouveau encore en voie de formation. Ce droit aura,
par suite, un caractère bien différentde celui du droit international

traditionnel ou classique qui a dominé jusqu'à aujourd'hui.

Voyons maintenant les éléments à l'aide desquels il faut adapter
aux conditions actuelles de la vie internationale les principes
générauxdégagés, ainsique créerdes principes, si c'est nécessaire.

Le point de départ est qu'au régime traditionnel individualiste
qui a étéjusqu'ici à la base de la vie sociale, se substitue de plus
en plus le nouveau régimedit d'interdépendance et que, par suite,
à l'ancien droit individualiste succède le droit d'interdépendance
sociale.
Les caractéristiques de ce droit, pour ce qui concerne le droit
international. i eu vent se ramener aiix suivantes :
a) Ce droit 'régit non pas une simple communautéd'États mais

une sociétéinternationale organisée.
b) Il n'est pas exclusivement juridique ; il a aussi un aspect
politique, économique, social, psychologique, etc. De ce fait, la
distinction traditionnelle entre lejuridique et le politique, ainsi que
celle entre le domaine du droit et celui de la politique, se trouvent
aujourd'hui profondément modifiées.
c) Il s'attache non seulement à délimiter les droits des États
mais aussi à les harmoniser.
d) Il prend spécialement en considération l'intérêtgénéral.
e) Il prend en considération, aussi, dans chaque matière tous
les aspects qu'elle présente.
f) 11établit, a côté des droits, des obligations envers la société
internationale ; et parfois les États ne peuvent exercer certains
droits que s'ils remplissent les obligations corrélatives. (Titre de
la cDéclaration des grands principes du Droit international
moderne » approuvée par trois grandes associations vouées à

l'étude du droit des gens.)
g} Il condam'le l'abus du droit. I5O OPINION INDIVIDUELLE DE M. ALVAREZ

h) Il se plie aux nécessitésde la vie internationale et évolue
avec elle.
Quels sont les principes que, conformément aux données précé-
dentes, la Cour doit dégager, adapter si c'est nécessaire, ou même
créer, en ce qui concerne le domaine maritime, notamment la mer
territoriale?
Ils peuvent se ramener aux suivants :,
IO Etant donné la grande diversité des conditions géographiques
et économiques des États, il ne faut pas établir une réglementation
uniforme pour tous en ce qui concerne l'étendue de la mer territo-

riale et la manière de la compter.
2" Chaque État peut donc fixer l'étendue de sa mer territoriale
et la manière de la compter, à condition de le faire d'une façon
raisonnable, de pouvoir surveiller ladite zone, d'y remplir les
obligations que le droit international lui impose, de ne pas violer
les droits acquis des autres États, de ne pas nuire à l'intérêtgénéral
et de ne pas commettre d'abus du droit.

En fixant cette étendue, l'État doit indiquer les motifs d'ordre
géographique, économique, etc., qui la justifient.

Avec ce principe, au cas de controverses entre États, il n'y a
plus à discuter des questions de lignes de base, de lignes droites,
d'ouverture de dix milles marins pour les baies, etc., comme on

l'a fait dans la présente affaire.
De même, si un État fixe une trop grande étendue de mer
territoriale par rapport à son territoire terrestre et aux besoins
de sa population, ou si les lignes de base qu'il indique apparaissent
arbitraires, il y a un abus du droit.
3" Les États ont sur leur mer territoriale certains droits, notam-
ment celui de pêche ;mais ils ont aussi certaines obligations, notam-
ment celle de surveiller leurs côtes, de faciliter la navigation par
l'installation de phares, par le dragage de certaines parties de la
mer, etc.
4' Les États peuvent modifier l'étendue de mer territoriale qu'ils
ont fixée, s'ils indiquent des motifs suffisants pour justifier cette
modification.
5" Les États peuvent fixer, au delà de leur mer territoriale, une

étendue plus ou moins grande sur laquelle ils se réservent d'exercer
certains droits :de douane, de police, etc.
6" Les droits indiqués préckdemment ont une trhs grande valeur
s'ils sont établis par un groupe d'États et surtout par les États
d'un continent.
Les pays de l'Amérique latine, individuellement ou collective-
ment, ont fixéde grandes étendues de leurs eaux côtières dans des
buts déterminés : maintien de leur neutralité, services douaniers,
etc., et dernièrement, pour l'exploitation des richesses de leur
plateau continental.

38I5I OPINION INDIVIDUELLE DE M. ALVAREZ

7' Tout État directement intéressépeut s'opposer à la fixation
par un autre État de l'étendue de sa mer territoriale ainsi que de
celle situéeau delà de celle-ci s'il allèguela violation des conditions
indiquées plus haut pour cette fixation. Les différends résultant
de telles oppositions doivent êtretranchés conformément aux pres-
scriptions de la Charte des Nations Unies.

8" Pour ce qui concerne les grandes baies ainsi que les grands
détroits, il ne doit pas y avoir, non plus, une réglementation uni-
forme. La condition internationale de chaque grande baie et de
chaque grand détroit doit êtreétabliepar les États côtiers directe-
ment intéressés,en tenant compte de l'intérêtgénéral.Il doit en
être ici comme pour les grands fleuves internationaux : chacun
d'eux doit avoir sa réglementation particulière.
A la conférencequi a eu lieu à Barcelone en 1921 sur les voies
fluviales de communication, j'ai soutenu qu'il était impossible
d'élaborer une réglementation générale uniformepour tous les
fleuves internationaux, étant donnéla grande diversité des condi-
tions de tous ordres qui existent entre eux ; et cette idée fut

acceptée.
Bref, en matière de voie maritime et de voie fluviale, il ne faut
pas songer à établir une réglementation uniforme ;elle doit être
d'accord avec les réalitésde la vie internationale. A l'uniformité
de réglementation il faut substituer la diversité ; mais l'intérêt
général doittoujours êtrepris en considération.
9" Un principe qu'il faut considérer spécialementest celui relatif
à la prescription. Ce principe, sous le nom de droi histmique, a été

longuement évoquéau cours des débats.
En droit international, la prescription a un caractère tout autre
qu'en droit privé.En raison du rôle important de la force matérielle
dans la formation des États, il n'y a pas de prescription en ce qui
concerne le statut temtorial de ceux-ci. La carte politique de l'Eu-
rope a changé constamment au cours du xrxme et du xxme siècle;
elle est aujourd'hui bien différente de ce qu'elle était à la veille
de la Grande Guerre, sans que la prescription ait pu être invoquée.

Cependant, dans certains cas, la prescription joue en droit inter-
national et elle revêt des caractéristiques importantes. Elle est
admise, notamment, pour l'acquisition et l'exercice de certains
droits.
A l'appui de la valeur de la prescription dans de tels cas, il faut

mentionner deux travaux scientifiques très importants et qui
consacrent l'opinion collective des juristes.
C'est d'abord la« Déclarationdesgrands principes du droit inter-
national moderne » qui établit dans son article 20 : «Aucun État
n'a le droit de s'opposer, au nom de son intérêtparticulier, à la
rbglementation juridique d'une matière d'intérêc tommun. ))152 OPINION INDIVIDUELLE DE M. ALVAREZ

((Quand, cependant, il exerce des droits spéciaux depuis un
certain temps, il doit lui en être tenu compte dans la réglemen-
tation. ))
L'autre travail scientifique est le c(Projet de réglementation
relatifà la mer territoriale en temps de paix 1)voté par l'Institut
de droit international dans sa session de Stockholm en 1928.L'arti-

cle 2 dudit projet établit :
«L'étenduede la mer temtoriale est de trois miilesmarins. (On
estimait alors que cette limite était suffisante.)
Un usage international peut justifier la reconnaissance d'une
étendueplus grande ou moins grande que trois milles. n

Pour que la prescription puisse avoir lieu, il est nécessaireque
les droits réclaméscomme acquis à ce titre soient bien établis,
qu'ils aient étéexercéssans interruption et ne soient pas contraires
aux conditions indiquéesau no 2"ci-dessus.
Le droit international n'indique pas de délaifixe pour la pres-

cription. Il peut en résulterqu'un usage relativement récent relatif
à la mer temtoriale soit considéré commeayant plus de valeur
qu'un usage ancien mais qui n'a pas été suffisamment prouvé.
IO" Il faut considérer,aussi, spécialementun autre principe dont
on parle fréquemment : le droit pour les États de faire tout ce qui
n'est pas expressément défendu par le droit international. Ce
principe, exact autrefois, sousle régimede la souveraineté absolue,
ne l'est plus aujourd'hui: la souveraineté des États est désormais
limitéenonseulement par les droits des autres États mais aussi par
divers éléments indiquésprécédemmentet qui font partie de ce
qu'on appelle le droit international nouveau :la Charte des Nations

Unies,les résoli~tionsvotéespar l'Assembléede l'O. N.U., les devoirs
des États, l'intérêgténéralde la société internationale, enfin, l'inter.
diction de l'abus du droit.
II" Tout État qui allègue un principe du droit international
doit prouver son existence ; et celui qui prétend qu'un principe
de ce droit est abrogéou est devenu caduc et qu'il faut le renou-
veler doit, également,en fournir la preuve.
lzO L'accord des Parties sur l'existence d'un principe de droit
ou sur ses applications, telle la manière de fixer les lignes de base
de l'étendue de la mer temtonale, etc., n'a aucune influence sur
l'appréciation que la Cour doit faire à cet égard.

13" Le droit international prime le droit national. Les actes
commis par un État en violation de ce droit engagent sa respon-
sabilité.
14" Un État n'est ?as tenu de protester contre une violation
du droit international, sauf s'il a eu ou aurait dû avoir connais-
sance de cette violation ; mais seul l'État directement intéressé
peut saisir les organismes internationaux compétents. (Art. 39I53 OPINION INDIVIDUELLE DE M. ALVAREZ

de la Déclaration des grands principes du Droit international
moderne ».)

D'après l'exposéfait dans les pages qui précèdent,j'arrive aux
conclusions suivantes concernant les questions soumises à la Cour :

IOLa Norvège a - comme tout État -, d'après les principes
générauxdu droit des gens existant actuellement, la faculté de
fixer non seulement l'étendue de sa mer territoriale mais aussi la
manière de compter cette étendue.
2" Le décret norvégien de 1935 qui a délimitécette étendue
n'est pas contraire à des dispositions expresses du droit inter-
national. 111n'est pas contraire non plus aux principes généraux
de ce droit car cette délimitation est raisonnable, ne viole pas les

droits acquis d'autres États, ne nuit pas à l'intérêt génére atl ne
constitue pas un abus du droit.
En édictant son décret de 1935, la Norvège a eu en vue seule-
ment les besoins de la population des régions qu'elley indique.
3" D'aprèsce qui précède, ilest inutile d'examiner si la Norvège
a acquis ou non par prescription le droit de fixer l'étendue de sa
mer temtoriale à plus de trois milles marins ainsi que la manière
de fixer les lignes de base.
4OSila Norvègea le droit de délimiter l'étendue de samer tem-
tonale, comme il vient d'êtredit, il est évident qu'elle peut inter-
dire aux autres États de pêchqrdans les limites de cette étendue
sans qu'ils puissent invoquer une violation de leurs droits.
5" Les réponses aux allégationsdes Parties relatives à l'existence
de certains préceptes du droit des gens qu'elles considèrent comme
actuellement en vigueur se trouvent indiquCes au cours des pages
précédentes.

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OPINION INDIVIDUELLE DE M. ALVAREZ

Le Royaume-Uni a adressé à la Cour internationale de Justice
une requêtedans laquelle il conteste la validité du décretnorvégien
du 12 juillet1935 délimitant les zones de pêchede la Norvège sur
une partie de son littoral. Il estime que cette délimitation, ainsi
faite, estcontraire aux préceptesdu droit international et il demande
à la Cour de dire quels sont les principes de ce droit applicables
pour définir les lignesde base par rapport auxquelles le Gouverne-
ment norvégien est fondé à délimiter ses zones de pêche.

Au cours des débats, le Gouvernement du Royaume-Uni a
présentéde nouvelles conclusions, notamment de caractère juri-
dique, et a demandé à la Cour de se prononcer aussi à leur égard.

Dans son contre-mémoire, ainsi que dans sa duplique et ses
plaidoiries, la Norvège a soutenu que la délimitation de ses zones
de pêchecontenue dans son décretde 1935 n'était pas en opposition
avec les préceptes du droit international et qu'en tout cas elle
correspondait aux droits historiques qu'elle possède depuis très
longtemps et qu'elle a indiqués.
Le litige actuel présente un grand intérêt non seulement pour
les Parties en cause mais aussi pour tous les autres États.

L'attorney généraldu Royaume-Uni, au début de sa plaidoirie
devant la Cour, a dit :(Il est notoire que cette affaire présente non
seulement une grande importance pour le Royaume-Uni et pour
la Norvège, mais encore que la décisionque rendra la Cour en la
matière sera, elle aussi, de la plus grande importancpour le monde
en général, entant que précédent,étant donnéque la décisionde
la Cour, en l'espèce, contiendra nécessairement des déclarations
importantes quant aux règles du droit international qui ont trait
aux eaux côtières. Le fait que tant de gouvernements ont demandé
communication de nos pièces écrites dans la présente affaire
démontre que telle est bien l'opinion générale...))

Dans l'examen du litige actuel, je me propose -de suivre une
méthode autre que celle qu'on emploie habituellement, surtout en
ce qui concerne le droit. Elle consisteà dégageret retenir les faits
principaux, puis à considérer les points de droit qui dominent
l'ensemble du litige et, enfin, ceux qui se rapportent à chaque

question importante.
33 INDIVIDUAL OPINION OF JUDGE ALVAREZ
[Translation]
1

The United Kingdom Kas filed with the International Court of
Justice an Application in which it challenges the validity of the
Norwegian Decree of July 12th, 1935, which delimited the Nome-
gian fishery zones off a part of the Norwegian coast. It considers
that the delimitation so effected is contrary to the precepts of
international law and asks the Court to state the principles of
international law applicable for defining the base-lines by reference
to which the Norwegian Government is entitled to delimit its
fisheries zones.
In the course of the oral proceedings, the United Kingdom
Government submitted certain new conclusions, particularly on

questions of law, and asked the Court to adjudicate upon these
also.
In her Counter-Memorial and Rejoinder, and in her arguments
in Court, Norway contended that the delimitation of these fisheries
zones established in the 1935 Decree was not in conflict with the
precepts of international law and that it corresponded, in any
event, to historic rights long possessed by her and which she
indicated.
The present litigation is of great importance, not only to the
Parties to the case, but also to al1 other States.
At the beginning of his address tothe Court, the Attorcey-General
said : "It is common giound that this case is not only a very
important one to the United Kingdom and to Nonvay, but that
the decision of the Court on it will be of the very greatest
importance to the world generally as a preczdent, since the Court's
decision in this case must contain important pronouncements
concerning the rules of international law relating to coastal waters.
The fact that so many governments have asked for copies of Our
Pleadings in this case is evidence that this is the general view."

In considering the present case, 1 propose to follow a method
different from that which is customarily adopted, particularly with
regard to the law. It consists ofbringing to light and retaining the
principal facts, then of considering the points of law dominating

the whole case and, finally, those which relate to each important
question.
33 14~ OPINION INDIVIDUELLE DE M. ALVAREZ

L'application de cette méthode pourra paraître, à première vue,
d'un aspect plutôt doctrinaire ;mais elle a un caractère essentielle-
ment pratique, puisqu'elle est destinée à faire ressortir directement
les réponses àdonner aux questions soumises à la Cour.
D'autre part, cette méthode est nécessaireen raison de la double
mission qu'a la Cour actuellement : résoudre les cas qui lui sont
soumis et développer le droit des gens.

On dit couramment que la Cour actuelle est la continuation de
la précédenteet que, par suite, elle doit suivre les procédéset la
jurisprudence de celle-ci. Cela n'est exact qu'en partie, car pendant
l'intervalle qui s'est écouléentre le fonctionnement de l'une et de
l'autre Cours s'est produit une guerre mondiale qui a entraîné des
changements rapides et profonds dans la vie internationale et
affectéconsidérablement le droit des gens.
Ces changements ont accentué l'importance de la seconde mis-
sion de la Cour. En effet, il arrive aujourd'hui plus fréquemment
qu'autrefois que, dans une matière donnée, on ne trouve pas de
préceptes applicables ou que ceux existant présentent des lacunes

ou qu'ils apparaissent désuets, c'est-à-dire ne correspondent pas
aux nouvelles conditions de la vie des peuples. Dans tous ces cas,
la Cour doit développerle droit des gens, c'est-à-dire remédier à ses
insuffisances,,adapter les principes existants à ces nouvelles condi-.
tions et même,s'il n'existe pas de principes, en créerconformément
auxdites conditions. La Cour a déjà procédéavec grand succès à
cette création du droit dans un cas qui restera célèbredans la
jurisprudence internationale (avisconsultatif du II avril1949 sur la
((Réparation des dommages subis au service des Nations Unies »).
Dans l'affaire actuelle, la Cour pourra exercer efficacement cette

mêmemission.
L'adaptation du droit des gens aux nouvelles conditions de la
vie internationale, indispensable aujourd'hui, est tout autre chose
que le (restatement 1)que préconisent les juristes anglo-saxons
pour mettre un terme à la crise du droit international et qui
consiste seulement à préciser ledroit tel qu'il a étéétabli et appli-
qué jusqu'ici, sans trop se préoccuper des changements qu'il a
pu subir récemment ou qu'il devrait subir à l'avenir.

III

Je ne m'attarderai pas à l'examen détaillédes faits allégués
par les Parties ni à celui des preuves qu'elles ont fournies pour
justifier leurs prétentions, car la sentence de la Cour les considère
longuement. Dans les pages suivantes, je m'attacherai seulement
aux points de droit que soulève la présente affaire.
Pendant des siècles, par suite de l'immensité de la mer et du
petit nombre de rapports entre les États, l'usage de la mer n'a
pas étéréglementé ;chaque État pouvait l'utiliser à son gré. INDIVIDUAL OPINION OF JUDGE ALVAREZ 14~
The application of this method may, at first sight, appear to be
somewhat academic; but it is essentially practical, since it has as

its object the furnishing of direct answers to be given on the
questions submitted to the Court.
Moreover, this method is called for by reason of the double task
which the Court now has : the resolution of cases submitted to it
and the development of the law of nations.
It is commonly stated that the present Court is a continuation
of the former Court and that consequently it must foilow the
methods and the jurisprudence of that Court. This is only partly
true, for in the interval which elapsed between the operations of
the Courts, a World War occurred which involved rapid and
profound changes in international life and greatly affected the law
of nations.
These changes have underlined the importance of the Court's
second function. For it now happens with greater frequency than
formerly that, on a given topic, no applicable precepts are to be
found, or that those which do exist present lacunae or appear to
be obsolete, that is to say, they no longer correspond to the new

conditions of the life of peoples. Inal1such cases, the Court must
developthe law of nations, that is to say, it must remedy its short-
comings, adapt existing principles to these new conditions and,
even if no principles exist, create principles in conformity with such
conditions. The Court has already very successfuily undertaken
the creation of law in a case which will remain famous in the annals
of international law (Advisoïy Opinion of Apnl rxth, 1949, on
"Reparation for injuries suffered in the service of the United
Nations"). The Court, in this case, can effectively discharge the
same task.
The adaptation of the law of nations to the new conditions of
international life, which is to-day necessary, is something q~ite
different from the "Restatement" advocated by Anglo-saxon
jurists as ameans of ending the crisis in international law, which
consists merely of stating the law as it has been established and
applied up to the present, without being too much concerned with
any changes that it may recently have undergone or which it may

undergo in the future.

III

1 shall not dwell on a detailed examination of the facts alleged
by the Parties nor upon the evidence submitted by the Parties in
support of their contentions, because the Judgrnent of the Court
deals with them at length. In the following pages 1 shall concen-
trate only on the questions of law raised by the present case.
For centuries, because of the vastness of the sea and the limited
relations between States, the use of the sea was subject to no
rules ;every State could use it as it pleased.

34 I47 OI'INION INDIVIDUEL1.E DE hl. ALVAREZ

Depuis la fin du XVIII~~ siècle, les publicistes ont proclamé et
le droit des gens a reconnu comme nécessaire aux États l'exercice
de leur souveraineté sur une partie de la mer bordant leur littoral.
L'étendue de cette mer dite territoriale a étéd'abord fixée à la
portée du canon d'alors, puis à trois milles marins. Cette matière
relevait, en réalité, dela législation de chaque pays. Plusieurs de
ceux de l'Amérique latine ont établi des dispositions à cet égard
dans leurs codes civils.

En raison de l'importance croissante de cette matière de la mer
territoriale, une conférence mondiale s'est tenue à La Haye en
1930 en vue de réglementer certaines de ses parties, ainsi que deux
autres sujets. Cette conférence, sur laquelle on avait fondé tant
d'espoirs, n'a établi aucun précepte relatif à la mer territoriale.
Elle a rendu manifeste qu'il n'existait pas de réglementation bien
définie à cet égard, qu'il y avait seulement quelques conventions
entre certains États, des orientations ainsi que certains usages et
pratiques.
On a prétendu, au cours des débats, que dans cette conférence
un grand nombre d'États avaient admis la fixation de l'étendue
de la mer territoriale à trois milles marins ainsi que la manière de

compter cette étendue ;et cette affirmation a étécontestée. IIn'y
a pas lieu de s'attarder sur ce point, car, en réalité, laconférence
n'a adopté, comme il vient d'être dit, aucune disposition à cet
égard. En outre, les conditions de la vie internationale ont consi-
dérablement changé depuis lors ; il est probable, par suite, que les
États qui en 1930 acceptaient l'étendue de trois milles marins ne
l'admettraient pas aujourd'hui.

Dans ces conditions, quelle attitude doit adopter la Cour pour

résoudre le différend actuel ?
Les Parties, dans leurs écritures et dans leurs plaidoiries, ont
mis en avant diverses doctrines, ainsi que des systèmes, des pra-
tiques et mêmedes règles qu'eues considéraient ccimme faisant
partie du droit international. La Cour a cru devoir les prendre
en considératicm. Avec ces discussions a commencé, à mon avis,
une grave déviation dans l'appréciation du litige.
D'après une doctrine uniforme, les tribunaux judiciaires inter-
nationaux, en l'absence de principes conventionnels ou coutumiers
sur une matière donnée, doivent appliquer les principes gknéràux
du droit. L'article 38 du Statut de la Cour consacre expressément
cette doctrine.

11 faut remarquer, à cet égard, que l'arbitrage international
entre maintenant dans une nouvelle phase. 11 ne suffit pas de
mettre en relief les principes générauxdu droit reconnus par les
nations civilisées; il faut, en outre, tenir compte, comme je l'ai
35 INDIVIDUAL OPINION OF JUDGE ALVAREZ I47
From the end of the 18th century, publicists proclaimed, and
the law of nations recognized as necessary for States, the exercise
of sovereign powers by States over an area of the sea bordering

their shores. The extent of this sea area, which was known as the
territorial sea,was first fixed at the range of the contemporary
cannon, and later at 3 sea miles. The question indeed was one for
the domestic law of each country. Several of the countries of Latin
Arnerica incorporated provisions relating to this question in their
civil codes.
As the result of the growing importance of the question of the
temtorial sea, a World Conference was convened at The Hague in
1930 for the purpose of providing rules governing certain of its
aspects and to deal with two other matters. This Conference, in
which such great hopes had been reposed, did not establish any
precept relating to the territorialea. It made it clear that no well-
defined rules existed on this subject, that there were merely a
number of conventions between certain States, certain trends and
certain usages and practices.
It was contended at the hearings that a great number of States
at this Conference had accepted the extent of the territorial sea as

being fixed at three sea miles, and had also accepted as established
the means of reckoning this breadth ;and this assertion was chal-
lenged. It is unnecessary to dwell long on this point for, in fact, the
Conference, as has been said, did not adopt any provision on the
question. Moreover, the conditions of international life have con-
siderably changed since that time ; it is therefore probable that the
States which in 1930 accepted a breadth of three sea miles would
not accept it to-day.

What should be the position adopted by the Court, in these
circumstances, to resolve the present dispute ?
The Parties, in their Pleadings and in their Oral.Arguments, have
advanced a number of theories, as weii as systems, practices and,
indeed, rules which they regarded as constituting international law.

The Court thought that it was necessary to take them into con-
sideration. These arguments, in my opinion, marked the beginning
of a serious distortion of the case.
In accordance with uniformly accepted doctrine, international
judicial tribunals must, in the absence of principles provided by
conventions, or of customary principles on a given question, apply
the general~rinciples of law. This doctrine is expressly confirmed in
Article 38 of the Statute of the Court.
It should be observed in this connection that international
arbitration is now entering a new phase. It is not enough to stress
the general principles of law recognized by civilized nations;regard
must also be had, as 1 have said, to the modifications which these

35 14~ OPINION INDIVIDUELLE DE M. ALVAREZ

dit précédemment, des modifications que ces principes ont pu
subir par suite des grands changements survenus dans la vie inter-
nationale, en les adaptant aux nouvelles conditions de cette vie ;
il faut même,s'il n'existe pas de principes dans une matiiire donnée,
en créerconformément auxdites conditions.
La prise en considération de ces principes généraux et leur
adaptation sont d'autant plus nécessaires dans l'affaire actuelle que
le Royaume-Uni a demandé à la Cour de déclarer que le décret
norvégien de 1935 est contraire aux principes du droit international
actuellement en vigueur.

Quels sont les principes du droit international que la Cour doit
dégager et adapter, au besoin ? Et quels sont les principes qu'elle
doit, en réalité,créer?
Il convient, d'abord, de remarquer qu'on parle fréquemment
des principes du droit des gens, dans des conventions et dans
certaines sentences de la Cour permanente de Justice internationale,
mais sans dire quels sont ces principes et où ils se trouvent.

Il est donc nécessaire d'apporter quelques précisions à cet, égard.
En premier lieu, bien des principes, notamment les grands prin-
cipes, naissent de la conscience juridique des peuples (facteur psy-
chologique). Cette conscience est le résultat de la vie sociale et

internationale ; les nécessitésde ces vies font naitre naturellement
certaines normes jugées nécessaires pour régir la conduite des
États entre eux.
En raison du dynamisme actuel de la vie des peuples, il y a une
création continue de principes du droit des gens, et ils subissent
des modifications plus ou moins rapides à la suite des grands
changements qui se produisent dans cette vie.
Pour que les principes de droit qui naissent de la conscience
juridique des peuples aient de la valeur, il est nécessaire qu'ils
aient une manifestation tangible, c'est-à-dire soient exprimés par
des organes autorisés.
Jusqu'à présent, cette conscience juridique des peuples se mani-
festait par les conventions, les coutumes et par les opinions de
juristes qualifiés.
Or, de grands changements sont survenus à cet égard. Les

conve?ztionsrestent encore une forme d'expression très importante
de la conscience juridique des peuples, mais elles n'établissent géné-
ralement que des principes nouveaux, telle la convention sur le
génocide. D'autre part, les coutumestendent à disparaître en raison
des modifications rapides de la vie internationale contemporaine ;
et un nouveau cas bien affirmé suffit pour rendre désuète une
coutume séculaire. Le droit coutumier, dont il a ététant parlé

36 INDIVIDUAL OPINION OF JUDGE ALVAREZ
14~
principles may have undergone as a result of the great changes
which have occurrcd in international life, and the principles must
be adapted to the new conditions of international life ; indeed, if no
principles exist 'covcring a given question, principles must be
createdto conform to those conditions.
The taking into consideration of these general principles, and

their adaptation, are al1 the more necessary in the present case,
since the United Kingdom has asked the Court to declare that the
Norwegian Decree of 1935 is contrary to the principles of inter-
national law now in force.

What are the principles of international law which the Court must
have recourse to and, if necessary, adapt ? And what are the prin-
ciples which it must in reality create ?
It should, in the first place, be observed that frequent reference
ismade to the principles of the law of nations, in conventions and in
certain of the Judgments of the Permanent Court of International
Justice, but it is not said what those principles are nor where they

may be found.
Some clarification is therefore necessary on this point.
In the first place, many of the principles, particularly the great
principles, have their origin in the legal conscience of peoples (the
psychological factor). This conscience results from social and
international life ;the requirements of this social and international
life naturally give rise to certain norms considered necessary to
govern the conduct of States inter se.
As a result of the present dynamic character of the life of peoples,
the principles of the law of nations are continually being created,
and they undergo more or less rapid modification as a result of
the great changes occurring in that life.
For the principles of law resulting from the juridical conscience
of peoples to have any value, they must have a tangible manifesta-
tion, that is toay, they must be expressed by authorized bodies.

Up to the present, this juridical conscience of peoples has been
reflected in conventions, customs and the opinions of qualified
jurists.
But profound changes have occurred in this connection. Conven-
tions continue to be a very important form for the expression of the
juridical conscience of peoples, but they generally lay down only
new principles, as was the case with the Convention on genocide.
On the other hand, customs tend to disappear as the result of the
rapid changes of moderri international life ;and a new case strongly
stated may be sufficient to render obsolete an ancient custom.
Customary law, to which such frequent reference is made in the

36 I49 OPINION INDIVIDUELLE DE M. ALVAREZ

au cours des débats, ne doit donc êtreaccueilli qu'avec prudence.

Aujourd'hui, les moyens par lesquels s'exprime la conscience
juridique des peuples sont, en outre, les résolutions desAssemblées
diplomatiques, notamment de celles de l'O.N. U., et surtout les
décisions de la Cour internationale de Justice. Il faut indiquer
aussi les législations récentes de certains pays, les résolutions des
grandes associations vouées à l'étudedu droit des gens, lestravaux
de la Commission de Codification crééepar l'O. N. U., enfin,
l'opinion des juristes qualifiés.

Voilà les éléments nouveaux sur lesquels va se fonder le droit
international nouveau encore en voie de formation. Ce droit aura,
par suite, un caractère bien différentde celui du droit international

traditionnel ou classique qui a dominé jusqu'à aujourd'hui.

Voyons maintenant les éléments à l'aide desquels il faut adapter
aux conditions actuelles de la vie internationale les principes
générauxdégagés, ainsique créerdes principes, si c'est nécessaire.

Le point de départ est qu'au régime traditionnel individualiste
qui a étéjusqu'ici à la base de la vie sociale, se substitue de plus
en plus le nouveau régimedit d'interdépendance et que, par suite,
à l'ancien droit individualiste succède le droit d'interdépendance
sociale.
Les caractéristiques de ce droit, pour ce qui concerne le droit
international. i eu vent se ramener aiix suivantes :
a) Ce droit 'régit non pas une simple communautéd'États mais

une sociétéinternationale organisée.
b) Il n'est pas exclusivement juridique ; il a aussi un aspect
politique, économique, social, psychologique, etc. De ce fait, la
distinction traditionnelle entre lejuridique et le politique, ainsi que
celle entre le domaine du droit et celui de la politique, se trouvent
aujourd'hui profondément modifiées.
c) Il s'attache non seulement à délimiter les droits des États
mais aussi à les harmoniser.
d) Il prend spécialement en considération l'intérêtgénéral.
e) Il prend en considération, aussi, dans chaque matière tous
les aspects qu'elle présente.
f) 11établit, a côté des droits, des obligations envers la société
internationale ; et parfois les États ne peuvent exercer certains
droits que s'ils remplissent les obligations corrélatives. (Titre de
la cDéclaration des grands principes du Droit international
moderne » approuvée par trois grandes associations vouées à

l'étude du droit des gens.)
g} Il condam'le l'abus du droit. INDIVIDUAL OPINION OF JUDGE ALVAREZ
I49
course of the arguments, should therefore be accepted only with
prudence.
The further means by which the juridical conscience of peoples
may be expressed at the present time are the resolutions of diplo-
matic assemblies, particularly those of the United Nations and
especially the decisions of the International Court of Justice.
Reference must also be made to the recent legislation of certain

countries, the resolutions of the great associations devoted to the
study of the law of nations, the works of the Codification Commis-
sion set up by the United Nations, and finally, the opinions of
qualified jurists.
These are the new elements on which the new international
law, still in the process of formation, will be founded. This law will,
consequently, have a character entirely different from that of
traditional or classical international law, which has prevailed to the
present time.
VI

Let us now consider the elements by means of which the general
principles brought to light are to b.e adapted to the existing
conditions of international life and by means of which new prin-
ciples are, if necessary, to be created.
The starting point is the fact that, for the traditional indivi-
dualistic rkgime on which social life has hitherto been founded,
there is being substituted more and more a new régime,a régime
of interdependence,and that, consequently, the law of social inter-
dependenceis taking the place of the old individualistic law.
The charactenstics of this law, so far as international law is
concerned, may be stated as follows :

(a) This law govems not merely a community of States, but
an organized international society.
(b) It is not exclusively juridicai ; it has also aspects which
are political, economic, social, psychological, etc. It follows that
the traditional distinction between legd and political questions,
and between the domain of law and the domain of politics is
considerably- modified at the present time.
(c) It is concerned not only with the delimitation of the rights
of States but also with harmonizing them.
(d) It particularly takes into account the general interest.
(e) It also takes into account all possible aspects of every case.

(f) It lays down, besides rights, obligations towards inter-
national society ; and sometimes States are entitled to exercise
certain rights only if they have complied with the correlative
duties. (Title V of the "Declaration of the Great Principles of
Modem International Law" approved by three great associations
devoted to the study of the law of nations.)
(,y) It condemns abus de droit.

37 I5O OPINION INDIVIDUELLE DE M. ALVAREZ

h) Il se plie aux nécessitésde la vie internationale et évolue
avec elle.
Quels sont les principes que, conformément aux données précé-
dentes, la Cour doit dégager, adapter si c'est nécessaire, ou même
créer, en ce qui concerne le domaine maritime, notamment la mer
territoriale?
Ils peuvent se ramener aux suivants :,
IO Etant donné la grande diversité des conditions géographiques
et économiques des États, il ne faut pas établir une réglementation
uniforme pour tous en ce qui concerne l'étendue de la mer territo-

riale et la manière de la compter.
2" Chaque État peut donc fixer l'étendue de sa mer territoriale
et la manière de la compter, à condition de le faire d'une façon
raisonnable, de pouvoir surveiller ladite zone, d'y remplir les
obligations que le droit international lui impose, de ne pas violer
les droits acquis des autres États, de ne pas nuire à l'intérêtgénéral
et de ne pas commettre d'abus du droit.

En fixant cette étendue, l'État doit indiquer les motifs d'ordre
géographique, économique, etc., qui la justifient.

Avec ce principe, au cas de controverses entre États, il n'y a
plus à discuter des questions de lignes de base, de lignes droites,
d'ouverture de dix milles marins pour les baies, etc., comme on

l'a fait dans la présente affaire.
De même, si un État fixe une trop grande étendue de mer
territoriale par rapport à son territoire terrestre et aux besoins
de sa population, ou si les lignes de base qu'il indique apparaissent
arbitraires, il y a un abus du droit.
3" Les États ont sur leur mer territoriale certains droits, notam-
ment celui de pêche ;mais ils ont aussi certaines obligations, notam-
ment celle de surveiller leurs côtes, de faciliter la navigation par
l'installation de phares, par le dragage de certaines parties de la
mer, etc.
4' Les États peuvent modifier l'étendue de mer territoriale qu'ils
ont fixée, s'ils indiquent des motifs suffisants pour justifier cette
modification.
5" Les États peuvent fixer, au delà de leur mer territoriale, une

étendue plus ou moins grande sur laquelle ils se réservent d'exercer
certains droits :de douane, de police, etc.
6" Les droits indiqués préckdemment ont une trhs grande valeur
s'ils sont établis par un groupe d'États et surtout par les États
d'un continent.
Les pays de l'Amérique latine, individuellement ou collective-
ment, ont fixéde grandes étendues de leurs eaux côtières dans des
buts déterminés : maintien de leur neutralité, services douaniers,
etc., et dernièrement, pour l'exploitation des richesses de leur
plateau continental.

38 INDIVIDUAL OPINION OF JUDGE ALVAREZ I5O

(h) It adapts itself to the needs of international life and develops
side by side with it.
What are the principles which, in accordance with the foregoing,
the Court must bring to light, adapt if necessary, or even create,
with regard to the maritime domain and, in particular, the
territorial sea?
They may be stated as foliows:
I. Having regard to the great variety of the geographical and
economic conditions of States, it is not possible to lay down
uniform rules, applicable to all, governing the extent of the
territorial sea and the way in which it is to be reckoned.
2:Each State may therefore determine the extent of its tem-
tonal sea and the way in which it is to be reckoned, provided
it does so in a reasonable manner, that it is capable of exercising
supervision over the zone in question and of carrying out the
duties imposed by international law, that it does not infnnge

rights acquired by other States, that it does no harm to general
interests and does not constitute an abus de droit.
In fixing the breadth of its territorial sea, the State must
indicate the reasons, geogra-hi-, economic, etc., which provide
the justification therefor. -
In the light of this principle, it is no longer necessary ts debate
questions of base-lines, straight lines, closing lines of ten sea
miles for bays, etc., as has been done in this case.

Similarly, if a State adopts too great a breadth for its territorial
sea, having regard to its land territory and to the needs of its
population, or if the base-lines which it indicates appear to be
arbitrarily selected, that will constitute an abus de droit.
3. States have certain rights over their territorial sea, yarticu-
larly rights to the fisheries ; but they also have certain duties,
particularly those of exercising supervision off their coasts, of
facilitating navigation by the construction of lighthouses, by the

dredging of certain areas of sea, etc.
4. States may alter the extent of the temtorial sea which they
have fixed, provided that they furnish adequate grounds to justify
the change.
5- States may fix a greater or lesser area beyond their territorial
sea over which they may reserve for themselves certain rights :
customs, police rights, etc.
6. The rights indicated above are of great weight if established
by a group of States, and especially by al1the States of a continent.

The countries of Latin Amenca have, individualiy or collectively,
reserved wide areas of their coastal waters for specific purposes :
the maintenance of neutrality, customs' services, etc., and, lastly,
for the exploitation of the wealth of the continental shelf.I5I OPINION INDIVIDUELLE DE M. ALVAREZ

7' Tout État directement intéressépeut s'opposer à la fixation
par un autre État de l'étendue de sa mer territoriale ainsi que de
celle situéeau delà de celle-ci s'il allèguela violation des conditions
indiquées plus haut pour cette fixation. Les différends résultant
de telles oppositions doivent êtretranchés conformément aux pres-
scriptions de la Charte des Nations Unies.

8" Pour ce qui concerne les grandes baies ainsi que les grands
détroits, il ne doit pas y avoir, non plus, une réglementation uni-
forme. La condition internationale de chaque grande baie et de
chaque grand détroit doit êtreétabliepar les États côtiers directe-
ment intéressés,en tenant compte de l'intérêtgénéral.Il doit en
être ici comme pour les grands fleuves internationaux : chacun
d'eux doit avoir sa réglementation particulière.
A la conférencequi a eu lieu à Barcelone en 1921 sur les voies
fluviales de communication, j'ai soutenu qu'il était impossible
d'élaborer une réglementation générale uniformepour tous les
fleuves internationaux, étant donnéla grande diversité des condi-
tions de tous ordres qui existent entre eux ; et cette idée fut

acceptée.
Bref, en matière de voie maritime et de voie fluviale, il ne faut
pas songer à établir une réglementation uniforme ;elle doit être
d'accord avec les réalitésde la vie internationale. A l'uniformité
de réglementation il faut substituer la diversité ; mais l'intérêt
général doittoujours êtrepris en considération.
9" Un principe qu'il faut considérer spécialementest celui relatif
à la prescription. Ce principe, sous le nom de droi histmique, a été

longuement évoquéau cours des débats.
En droit international, la prescription a un caractère tout autre
qu'en droit privé.En raison du rôle important de la force matérielle
dans la formation des États, il n'y a pas de prescription en ce qui
concerne le statut temtorial de ceux-ci. La carte politique de l'Eu-
rope a changé constamment au cours du xrxme et du xxme siècle;
elle est aujourd'hui bien différente de ce qu'elle était à la veille
de la Grande Guerre, sans que la prescription ait pu être invoquée.

Cependant, dans certains cas, la prescription joue en droit inter-
national et elle revêt des caractéristiques importantes. Elle est
admise, notamment, pour l'acquisition et l'exercice de certains
droits.
A l'appui de la valeur de la prescription dans de tels cas, il faut

mentionner deux travaux scientifiques très importants et qui
consacrent l'opinion collective des juristes.
C'est d'abord la« Déclarationdesgrands principes du droit inter-
national moderne » qui établit dans son article 20 : «Aucun État
n'a le droit de s'opposer, au nom de son intérêtparticulier, à la
rbglementation juridique d'une matière d'intérêc tommun. )) INDIVIDUAL OPINION OF JUDGE ALVAREZ 1s

7. Any State directly concemed may raise an objection to
another State's decision as to the extent of its territorial sea or
of the area beyond it, if it alleges that the conditions set out above
for the determination of these areas have been violated. Disputes
arising out of such objections must be resolved in accordance with
the provisions of the Charter of the United Nations.
8. Similarly, for the great bays and Straits, there can be no
uniform rules. The international status of every great bay and
strait must be determined by the coastal States directly concerned,
having regard to the general interest. The position here must be

the same as in the case of the great international rivers : each
case must be subject to its own special rules.

At the Conference held in Barcelona in 1921 on navigable
watenvays, 1 maintained that it was impossible to lay down
geqeral and uniform rules for al1 international rivers, in view of
the great variety of conditions of al1sorts obtaining among them ;
and this point of view was accepted.

In short, in the case of maritime and river routes, it is not
possible to contemplate the laying down of uniform rules ; the
rules must accord with the realities of internationai life. In place
of uniformity of rules it is necessary to have variety ; but the
general interest must always be taken into account.

9. A principle which must receive special consideration is that
relating to prescription. This principle,under the name of historie
rights, was discussed at length in the course of the hearings.
The concept of prescription in international law is quite different
from that which it has in domestic law. As a result of the important
part played by force in the formation of States, there is no pre-
scription .with regard to their territorial status. The political map
of Europe underwent numerous changes in the course of the 19th
and 20th centuries ; it is to-day very different from what it was
before the Great War, without any application of the principle
of prescription.
Nevertheless, in some instances, prescription plays a part in
international law and it has certain important features. It is
recognized, in particular, in the case of the acquisition and the

exercise of certain rights.
In support of the effect of prescription in such cases, two very
important learned works should be mentioned, which adopt the
collective opinion of jurists.
The first of these is the "Declaration of the Great Pruiciples of
Modem International Law" which provides, in Article 20 : "No
State is entitled to oppose, in its own interests, the making of
rules on a question of general interest.152 OPINION INDIVIDUELLE DE M. ALVAREZ

((Quand, cependant, il exerce des droits spéciaux depuis un
certain temps, il doit lui en être tenu compte dans la réglemen-
tation. ))
L'autre travail scientifique est le c(Projet de réglementation
relatifà la mer territoriale en temps de paix 1)voté par l'Institut
de droit international dans sa session de Stockholm en 1928.L'arti-

cle 2 dudit projet établit :
«L'étenduede la mer temtoriale est de trois miilesmarins. (On
estimait alors que cette limite était suffisante.)
Un usage international peut justifier la reconnaissance d'une
étendueplus grande ou moins grande que trois milles. n

Pour que la prescription puisse avoir lieu, il est nécessaireque
les droits réclaméscomme acquis à ce titre soient bien établis,
qu'ils aient étéexercéssans interruption et ne soient pas contraires
aux conditions indiquéesau no 2"ci-dessus.
Le droit international n'indique pas de délaifixe pour la pres-

cription. Il peut en résulterqu'un usage relativement récent relatif
à la mer temtoriale soit considéré commeayant plus de valeur
qu'un usage ancien mais qui n'a pas été suffisamment prouvé.
IO" Il faut considérer,aussi, spécialementun autre principe dont
on parle fréquemment : le droit pour les États de faire tout ce qui
n'est pas expressément défendu par le droit international. Ce
principe, exact autrefois, sousle régimede la souveraineté absolue,
ne l'est plus aujourd'hui: la souveraineté des États est désormais
limitéenonseulement par les droits des autres États mais aussi par
divers éléments indiquésprécédemmentet qui font partie de ce
qu'on appelle le droit international nouveau :la Charte des Nations

Unies,les résoli~tionsvotéespar l'Assembléede l'O. N.U., les devoirs
des États, l'intérêgténéralde la société internationale, enfin, l'inter.
diction de l'abus du droit.
II" Tout État qui allègue un principe du droit international
doit prouver son existence ; et celui qui prétend qu'un principe
de ce droit est abrogéou est devenu caduc et qu'il faut le renou-
veler doit, également,en fournir la preuve.
lzO L'accord des Parties sur l'existence d'un principe de droit
ou sur ses applications, telle la manière de fixer les lignes de base
de l'étendue de la mer temtonale, etc., n'a aucune influence sur
l'appréciation que la Cour doit faire à cet égard.

13" Le droit international prime le droit national. Les actes
commis par un État en violation de ce droit engagent sa respon-
sabilité.
14" Un État n'est ?as tenu de protester contre une violation
du droit international, sauf s'il a eu ou aurait dû avoir connais-
sance de cette violation ; mais seul l'État directement intéressé
peut saisir les organismes internationaux compétents. (Art. 39 ISDIVIDCAL OPISION OF JC'DGE ALVAREZ 152

"When, however, it has exercised special rights for a consider-
able time, account miist be taken of this in the making of rules."

The other learned ~vork is the "Draft Rules for the Territorial
5ea in Peacetime" adopted by the Institute of International Law
at the 1928 Session in Stockholm. Article 2of this draft provides :

"The breadth of the territorial sea is 3 sea miles. (It was then
thought that this was sufficient.)
International usage may justify the recognition of a breadth
greater or less than3 miles."

For prescription to have effect, it is necessary that the rights
claimed to be based thereon should be well established, that they
should have been uninterruptedly enjoyed and that they should
comply with the conditions set.out in 2 above.
International law does not lay down any specific duration of
time necessary for prescription to have effect. A comparatively
recent usage relating to the temtorial sea may be of greater effect
than an ancient usage insufficiently proved.
IO. It is also necessary to pay special attention to another
principle which has been much spoken of :the right of States to do

everything which is not expressly forbidden by international law.
This principle, formerly correct, in the days of absolute sovereignty,
is no longer so at the present day : the sovereignty of States is
henceforth limited cot only by the rights of other States but also
by other factors previously indicated, which make up what is
called the new international law : the Charter of the United Nations,
resolutions passed by the Assembly of the United Nations, the
duties of States, the general interests of international Society and
lastly the prohibition of abusde droit.
II. Any State alleging a principle of international law must
prove its existence ;and one claiming that a principle of inter-
national law has been abrogated or has become ineffective and

requires to be renewed, must likewise provide proof of this claim.
12. Agreement between the Parties as to the existence of a
principle of law, or as to its application, for instance, as to the
way in which base-lines determining the extent of the territorial
sea are to be selected, etc., cannot have any influence upon the
decision of the Court on the question.
13. International law takes precedence over municipal law. Acts
committed by a State which violate international law involve the
responsibility of that State.
14. A State is not obliged to protest against a violation of inter-
national law, unless it is aware or ought to be aware of this
violation ;but only the State directly concerned is entitled to refer

the matter to the appropriate international body. (Article 39 ofI53 OPINION INDIVIDUELLE DE M. ALVAREZ

de la Déclaration des grands principes du Droit international
moderne ».)

D'après l'exposéfait dans les pages qui précèdent,j'arrive aux
conclusions suivantes concernant les questions soumises à la Cour :

IOLa Norvège a - comme tout État -, d'après les principes
générauxdu droit des gens existant actuellement, la faculté de
fixer non seulement l'étendue de sa mer territoriale mais aussi la
manière de compter cette étendue.
2" Le décret norvégien de 1935 qui a délimitécette étendue
n'est pas contraire à des dispositions expresses du droit inter-
national. 111n'est pas contraire non plus aux principes généraux
de ce droit car cette délimitation est raisonnable, ne viole pas les

droits acquis d'autres États, ne nuit pas à l'intérêt génére atl ne
constitue pas un abus du droit.
En édictant son décret de 1935, la Norvège a eu en vue seule-
ment les besoins de la population des régions qu'elley indique.
3" D'aprèsce qui précède, ilest inutile d'examiner si la Norvège
a acquis ou non par prescription le droit de fixer l'étendue de sa
mer temtoriale à plus de trois milles marins ainsi que la manière
de fixer les lignes de base.
4OSila Norvègea le droit de délimiter l'étendue de samer tem-
tonale, comme il vient d'êtredit, il est évident qu'elle peut inter-
dire aux autres États de pêchqrdans les limites de cette étendue
sans qu'ils puissent invoquer une violation de leurs droits.
5" Les réponses aux allégationsdes Parties relatives à l'existence
de certains préceptes du droit des gens qu'elles considèrent comme
actuellement en vigueur se trouvent indiquCes au cours des pages
précédentes. INDIVIDUAL OPINION OF JUDGE ALVAREZ I53
the "Declaration of the Great Principles of Modern International

Law".)

In accordance with the considerations set out above, 1 come
to the following conclusions upon the questions submitted to the
Court :
(1)Nonvay-like al1 other States-is entitled, in accordance
with the general pnnciples of the law of nations now in existence,
to determine not only the breadth of her territorial sea, but also

the manner in which it is to be reckoned.
(2)The Nonvegian Decree of 1935, which delimited the Nor-
wegian territorial sea, is not contrary to any express provisions
of international law. Nor is it contrary to the general principles
of international law, because the delimitation is reasonable, it
does not infringe rights acquired by other States, it does no harm
to general interests and does not constitute an abus de droit.
In enacting the Decree of 1935, Nonvay had in view simply
the needs of the population of the areas in question.
(3) In view of the foregoing, it is unnecessary tonsider whether

or not Norway acquired by prescription a right to lay down a
breadth of more than three sea miles for her territorial sea and the
way in which its base-lines should be selected.
(4)If Nonvay is entitled to fix the extent of her territorial
sea, as has been said, it is clear that she can prohibit other States
from fishing within the limits of that sea without their being
entitled to complain of a violation of their rights.
(5) The answer to the contentions of the Parties with regard
to the existence of certain precepts of the law of nations which
they consider to be in force at the present time has been given in

the preceding pages.
(Signed) A. ALVAREZ.

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Opinion individuelle de M. Alvarez

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