Traduction
Translation
CR 2015/6
Vendredi 17 avril 2015 à 10 heures
Friday 17 April 2015 at 10 a.m. - 2 -
10 The PRESIDENT: Please be seated. The sitting is open. The Court meets this morning for
the continuation of the first round of oral argument of Nicaragua. I shall first give the floor to
Mr. Reichler.
M. REICHLER :
L ES ÉLÉMENTS DE PREUVE CONCERNANT LE DRAGAGE PAR LE N ICARAGUA
DU FLEUVE SAN JUAN
1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges, je traiterai ce matin du
programme de dragage du Nicaragua. Mon exposé comprend deux parties. Je m’intéresserai
d’abord aux éléments de preuve qui montrent que les opérations de dragage du San Juan inférieur
réalisées par le Nicaragua depuis maintenant quatre ans et demi sont nécessaires pour faciliter la
navigation et maintenir en aval un écoulement suffisant d’eau douce pour arroser les zones humides
d’importance internationale et internationalement protégées situées de part et d’autre du fleuve,
dont la santé et l’équilibre écologiques dépendent de cet apport d’eau.
2. Dans la seconde partie de mon exposé, je passerai en revue les éléments de preuve qui
réfutent les allégations du Costa Rica selon lesquelles le programme de dragage, tel qu’il est réalisé
par le Nicaragua, lui a causé des dommages ou risque de lui en causer. Comme vous le verrez,
Monsieur le président, les éléments de preuve, dont certains fournis par M. Thorne, expert que le
Costa Rica a choisi de citer comme témoin, établissent de manière concluante qu’il n’y a pas eu de
tels dommages et qu’il ne risque pas d’y en avoir.
I. Pourquoi les opérations de dragage sont nécessaires
3. Pour montrer que les travaux de dragage réalisés par le Nicaragua sont nécessaires, je
m’appuierai d’abord sur les éléments de preuve fournis par l’expert du Costa Rica. Dans l’exposé
écrit qu’il a remis le 16 mars, M. Thorne qualifie le San Juan inférieur de «fleuve en déclin» . Il
s’en est expliqué dans la version complète de son rapport, jointe en appendice au mémoire du
Costa Rica. Selon l’une des conclusions qu’il formule dans ce rapport, le San Juan inférieur est
voué à s’envaser et à perdre progressivement de sa débitance du fait qu’il est «incapable
1Thorne, exposé écrit, affaire relative à Certaines activités, mars 2015, par. 2.4. - 3 -
d’absorber» la charge sédimentaire importante provenant de l’amont, si bien que les sédiments
«sont déposés à l’intérieur et le long du chenal (le plus souvent sinueux) sous forme de hauts-fonds,
d’îles, de points-bars et de levées naturelles» . Mardi, lors de son contre-interrogatoire, M. Thorne
11 nous a dit que le San Juan inférieur était si encombré de sédiments qu’il n’était plus navigable
pendant la saison sèche. Il a indiqué ceci : «[u]n chenal navigable durant la saison humide peut ne
plus l’être pendant la saison sèche, et c’est le cas du San Juan inférieur» (p. 25).
4. M. van Rhee, expert en dragage cité par le Nicaragua que vous entendrez ce matin, est
d’accord avec M. Thorne. Dans son exposé écrit, M. van Rhee dit que le San Juan inférieur
«est une zone d’accumulation croissante de sédiments et, par conséquent, de
diminution constante du débit. La raison en est que le fleuve, en aval de la bifurcation
[où la majeure partie des eaux s’écoule par le fleuve Colorado], reçoit plus de
sédiments qu’il ne peut en transporter, si bien que l’excédent se dépose et
s’accumule.» 3
5. M. van Rhee explique que l’accumulation de sédiments dans le cours inférieur du fleuve
est un phénomène
«auto-entretenu, car le dépôt et l’accumulation de sédiments réduisent le débit dans
ces sections, ce qui diminue la capacité du fleuve de les transporter, et provoque en
retour davantage de dépôts de sédiments. Le problème s’aggrave donc lorsque la
4
quantité de sédiments qui atteint le San Juan inférieur augmente.»
M. Thorne partage cet avis.
6. Il ressort des éléments de preuve qu’en 2008, les autorités nicaraguayennes responsables
de la réglementation environnementale avaient conclu que la sédimentation du San Juan inférieur
«pos[ait] de graves problèmes pour la navigation» . Selon les autorités compétentes, dans certaines
sections du fleuve, «les navires s’échou[aient]», particulièrement «en été en raison de la perte de
débit … parfois, les bateaux rest[ai]ent enlisés pendant des heures ou des jours avant de pouvoir
2
Rapport Thorne, octobre 2011,p. II-27.
3Van Rhee, exposé écrit, 15 mars 2015, par. 4.
4
Ibid.
5 o
MARENA, arrêté n 038-2008 (22 décembre 2008), CMN, vol. III, annexe 33, p. 81. - 4 -
rejoindre leur destination finale» . 6 Dans l’une de ces sections, en particulier, il y avait de
7
nombreux bancs de sable et la profondeur tombait en certains endroits à moins de 30 centimètres .
7. M. van Rhee et M. Thorne, les experts cités respectivement par les Parties, s’accordent à
considérer que «[l]a sédimentation et la réduction de débit qui en résulte entravent la navigation sur
le fleuve» , si bien que le San Juan inférieur nécessite «un dragage constant … [parce] que
12 l’accumulation de sédiments ne cesse pas une fois le dragage initial effectué. Le maintien de la
navigabilité exige l’enlèvement ou le déplacement continu des sédiments récemment déposés.» 9
8. Je cite maintenant M. Thorne :
«le maintien de la navigabilité du fleuve pour les navires ayant un tirant d’eau
supérieur à, disons, environ 1 mètre, requerra non pas une seule grosse opération, mais
des opérations de dragage répétées et l’extraction, année après année, de centaines de
10
milliers de mètres cubes de sédiments» .
Toujours selon M. Thorne,
«[l]e dragage d’un fleuve en vue d’améliorer la navigation vise à augmenter
sensiblement la profondeur minimum du chenal de navigation en période de basses
eaux, afin qu’elle dépasse le tirant d’eau des navires les plus gros amenés à emprunter
le cours d’eau, et à enlever tous les hauts-fonds et bancs pouvant représenter un
danger pour le trafic fluvial» .11
9. Or, il s’agit là précisément des buts que visent les travaux réalisés par le Nicaragua. Il me
semble utile de souligner que ce sont des buts modestes. Le Nicaragua ne cherche pas à creuser par
dragage un chenal qui permettrait le passage du Queen Elizabeth II ou d’un pétrolier géant dernier
cri. Son programme est conçu, plus modestement, pour permettre à des navires de faible tonnage
de naviguer dans le cours inférieur du fleuve et de desservir les collectivités riveraines et le village
de San Juan del Norte à l’embouchure du fleuve. Pour des raisons budgétaires, il a été décidé de
réduire l’ampleur du programme. Celui-ci couvre maintenant huit petites sections du fleuve
réparties sur une longueur de 22 kilomètres, où l’accumulation de sédiments et les entraves à la
6
Etude de l’impact sur l’environnement du projet visant à l’amélioration de la navigabilité du fleuve San Juan de
Nicaragua (extraits), septembre 2006, p. 7 ; CMN, annexe 7.
7Etude de l’impact sur l’environnement du projet visant à l’amélioration de la navigabilité du fleuve San Juan de
Nicaragua (extraits), septembre 2006, p. 16 et 119 ; voir également EPN, rapport annuel pour 2014, p. 4 (où il est
question «de la faible profondeur (moins de 60 cm) et de la présence de zones comportant des bancs de sable»).
8Van Rhee, exposé écrit, 15 mars 2015, par. 6.
9Ibid, par. 8.
10
Rapport Thorne, octobre 2011, p. II-28.
11Ibid., p. II-35. - 5 -
navigation qui en résultent, particulièrement sous la forme de seuils et de bancs de sable, posent les
plus graves problèmes. La figure 5.3 du contre-mémoire du Nicaragua montre en quoi consistent
ces sections.
10. Pour ce qui concerne ces huit sections du fleuve, il n’est nullement question d’élargir
celui-ci ou de porter en quoi que ce soit atteinte à la rive costa-ricienne. Le programme prévoit le
rétablissement d’un petit chenal d’une profondeur de 2 mètres, dont la largeur ne dépassera pas
12
30 mètres entre ses deux rebords et 20 mètres au fond . Selon l’étude de conception du projet qui
faisait partie de l’étude de l’impact du programme de dragage sur l’environnement établie en 2006,
le Nicaragua prévoyait que les travaux entraîneraient une augmentation de débit de 2 %, qui serait
suffisante pour permettre aux navires qui empruntent cette partie du cours du fleuve de naviguer . 13
11. Le programme de dragage n’est pas seulement essentiel pour améliorer la navigabilité du
fleuve, il est nécessaire aussi pour maintenir un apport suffisant d’eau douce aux zones humides
13 situées en aval, dont la survie dépend de cet apport. Le Secrétariat de la convention de Ramsar,
dans son rapport de décembre 2010, a souligné la nécessité de maintenir le débit des eaux du fleuve
San Juan qui arrosent ces zones humides. Je cite : «Il est indispensable de maintenir le débit et les
modèles d’écoulement du fleuve San Juan en amont de la zone HCN [Humedal Caribe Noreste]
afin de préserver le bon état de celle-ci et d’en assurer la pérennité.» 14 M. Thorne convient pour sa
part que
«[d]u point Delta, le San Juan et le Colorado supportent un système lié de défluents,
marécages, forêts inondées, lacs et autres lagunes côtières comprenant la zone humide
de l’île de Calero, laquelle fait partie de la «Humedal Caribe Noreste» (HCN)
désignée en 1996 zone humide d’importance internationale dans le cadre de la
15
convention de Ramsar» .
12. Comme l’a expliqué M. van Rhee,
«[l]e dragage, qui est une technique efficace pour maintenir les débits vers les zones
humides, sert également à préserver la santé écologique des zones écologiquement
sensibles qui se trouvent proches du fleuve San Juan inférieur. L’accumulation de
12Etude de l’impact sur l’environnement du projet visant à l’amélioration de la navigabilité du fleuve San Juan de
Nicaragua, septembre 2006, p. 4, 6 et 11-13 ; CMN, annexe 7.
13Etude de conception du projet, septembre 2006, p. 18 ; CMN, annexe 8.
14 o
Secrétariat de la convention de Ramsar, «Rapport de la mission consultative Ramsar n 69 : Zone humide
d’importance internationale du nord-est des Caraïbes (Humedal Caribe Noreste), Costa Rica», 17 décembre 2010, MCR,
vol. IV, annexe 147, p. 89 et 131.
15
Rapport Thorne, octobre 2011, p. vi. - 6 -
sédiments dans le fleuve a des conséquences néfastes sur l16 zones humides
d’importance internationale qui dépendent de ces débits.»
13. En résumé, Monsieur le président, les éléments de preuve y compris les rapports des
experts cités respectivement par les Parties et les rapports du Secrétariat de la convention de
Ramsar montrent que le programme de dragage du Nicaragua est nécessaire non seulement pour
éliminer les entraves à la navigation, mais aussi pour maintenir la viabilité écologique des zones
humides situées en aval.
II. Les allégations de dommages formulées par le Costa Rica
14. J’en viens à présent à la seconde partie de mon exposé, consacrée aux éléments de
preuve relatifs aux allégations du Costa Rica selon lesquelles le programme de dragage lui aurait
causé des dommages, ou risquerait de lui en causer.
15. Dans son mémoire, le Costa Rica a formulé un certain nombre d’allégations concernant
différents types de dommages que lui aurait causés le Nicaragua en draguant le fleuve. Cette
semaine, il semble toutefois avoir renoncé à l’ensemble d’entre elles, à une seule exception près : il
continue de prétendre que le programme de dragage du Nicaragua aurait entraîné une réduction
14 importante du débit du fleuve Colorado, affirmation que M. Ugalde a répétée — et j’insiste sur ce
terme — à maintes reprises mercredi. Je ne citerai que quelques exemples, que vous trouverez
o
également sous l’onglet n 2 du dossier de plaidoiries :
16. «[L]es travaux de dragage entrepris par le Nicaragua ont pour but de remodeler la
géographie de la région de l’embouchure du fleuve San Juan d’une manière qui comporte
forcément le risque de répercussions néfastes importantes sur le fleuve Colorado.» (P. 56, par. 5.)
17. A la page suivante du compte rendu : «[l]e véritable programme de dragage, qui
entraînera le remodelage radical de la géographie de la région considérée, emportant une forte
probabilité d’effets délétères sur le fleuve Colorado...» (p. 57, par. 11).
18. Trois pages plus loin : «le Nicaragua comme il l’a d’ailleurs dit [a] en fait pour
objectif de remodeler la géographie de la région du San Juan inférieur, ce qui entraînerait des
conséquences extrêmes pour le fleuve Colorado» (p. 60, par. 21).
16Van Rhee, exposé écrit, 15 mars 2015, par. 10. - 7 -
19. Quatre pages plus loin encore, il fait référence à l’«intention ouvertement déclarée [par le
Nicaragua] de refaçonner la géographie et de détourner les eaux du fleuve Colorado» (p. 64,
par. 41).
20. Ces déclarations, Monsieur le président, appellent plusieurs commentaires.
Premièrement, la rhétorique s’échauffe à chaque répétition de l’allégation. On commence par des
«le risque de répercussions néfastes importantes», avant de passer à une «forte probabilité d’effets
délétères», puis à des «conséquences extrêmes», et on en arrive au «détourne[ment d]es eaux du
fleuve Colorado».
21. Deuxièmement, j’observe que le Costa Rica n’a produit le moindre élément de preuve à
l’appui des affirmations que je viens de citer. Absolument rien. Il n’a même pas cité de source
permettant de déduire l’«intention ouvertement déclarée» du Nicaragua. Si cette intention est
ouvertement déclarée, où a-t-elle donc été exprimée ? Il en va de même de l’expression
«le Nicaragua — comme il l’a d’ailleurs dit». Quand et où le Nicaragua aurait-il tenu pareils
propos ? Le compte rendu ne renvoie à aucun élément de preuve qui viendrait étayer ne serait-ce
qu’une seule de ces allégations.
22. Il faut reconnaître que mon ami M. Ugalde ne manque pas de talents. Comme vous avez
pu le constater, il est un excellent avocat et un diplomate tout aussi excellent. A moins qu’il ne soit
beaucoup plus vieux qu’il ne le paraît, il était très jeune lorsqu’il a été promu au rang
d’ambassadeur, ce qui est tout à fait remarquable. Il est, à n’en pas douter, promis à une brillante
carrière et, vu l’histoire des relations entre les deux Parties, celle-ci pourrait fort bien l’amener à
revenir souvent dans cette auguste salle de justice. Néanmoins, il n’est certainement ni géologue,
ni spécialiste de la géomorphologie, ni hydrologue. Il n’est pas davantage un témoin-expert, dont
les assertions constituerait des éléments de preuve.
15 23. Laissons donc de côté la rhétorique et voyons ce que le véritable expert du Costa Rica a
dit au sujet de l’impact du programme de dragage du Nicaragua sur le fleuve Colorado.
24. Reportons-nous à la conclusion exprimée par M. Thorne dans son rapport exhaustif,
établi au moment où le Costa Rica a déposé son mémoire : «A ce jour, rien ne prouve que le - 8 -
programme de dragage ait sensiblement affecté l’écoulement du Colorado.» 17 Cette déclaration
mérite d’être répétée : «rien ne prouve que le programme de dragage ait sensiblement affecté
l’écoulement du Colorado». Cela n’a d’ailleurs toujours pas été prouvé. M. Thorne a examiné le
rapport établi par M. van Rhee en collaboration avec M. de Vriend, lesquels avaient calculé que le
18
programme de dragage réduirait de 3 % seulement le débit du fleuve Colorado , et qualifié cette
incidence de «négligeable» . 19
25. Si M. Thorne a critiqué le rapport de MM. van Rhee et de Vriend, c’est en réalité
essentiellement parce que ceux-ci n’avaient pas recouru à une méthode plus élaborée pour calculer
les débits. L’expert du Costa Rica ayant indiqué celle qu’il préconisait, M. van Rhee l’a ensuite
appliquée pour refaire son calcul, qui a alors montré que la réduction de débit était de 1,5 % et non
de 3 %. En d’autres termes, suivre la méthode de M. Thorne a permis de démontrer que l’impact
sur le débit du fleuve Colorado se ramenait à environ la moitié des 3 % qu’il avait lui-même
qulifiés de «négligeable[s]». Dans son exposé écrit de mars 2015, M. Thorne a approuvé le
nouveau calcul de M. van Rhee et qualifié de «faible» la réduction du débit. Monsieur le président,
je ne vois pas vraiment la différence entre les mots «faible» et «négligeable», si tant est qu’il y en
ait une, mais je sais que ni l’un, ni l’autre ne signifie «importante».
26. Il n’y a jamais eu aucune preuve à l’appui de l’allégation du Costa Rica. Même les
éléments avancés par ce dernier l’ont toujours démentie. La Cour se souviendra des éléments de
preuve produits en janvier 2011, à l’audience consacrée à la première demande en indication de
mesures conservatoires du Costa Rica. Parmi ces éléments figurait une déclaration que le ministre
16 costa-ricien des affaires étrangères avait faite le 8 septembre 2010, dans laquelle il avait dit que le
programme de dragage du Nicaragua réduirait le débit du fleuve Colorado de moins de 12 %, ce
qui n’aurait selon lui pas d’incidence importante . 20
27. La déclaration du ministre des affaires étrangères reposait sur une étude scientifique
costa-ricienne, également produite à l’audience de janvier 2011, dans laquelle il avait été calculé
17
Rapport Thorne, octobre 2011, p. IV-3.
18Voir van Rhee, exposé écrit, 15 mars 2015, par. 19.
19
Rapport Thorne, octobre 2011, p. vii.
20
Allocution prononcée par M. René Castro Salazar, ancien ministre costa-ricien des affaires étrangères et des
cultes, devant la commission de l’assemblée législative costa-ricienne chargée des questions environnementales, p. 5-6
(CMN, vol. II, annexe 24). - 9 -
que, si le Nicaragua devait draguer le San Juan inférieur sur 120 mètres de largeur et jusqu’à
21
5 mètres de profondeur, le débit du Colorado s’en trouverait réduit de moins de 5 % . Voilà ce qui
figure dans la propre étude scientifique du Costa Rica. Pour pouvoir prendre toute la mesure de ces
indications, il convient toutefois de garder à l’esprit que cette étude part de deux hypothèses
erronées quant au programme de dragage du Nicaragua. En effet, ses auteurs ont présumé, d’une
part, que celui-ci porterait la largeur du San Juan de 90 mètres — sa largeur actuelle — à
120 mètres, alors que pareil projet n’a jamais existé, et, d’autre part, que le fleuve serait dragué
jusqu’à une profondeur de 5,75 mètres, alors que celle prévue par le programme n’est que de
2 mètres. Même le scénario bien plus ambitieux envisagé par les scientifiques costa-riciens ne
donnait lieu qu’à une réduction de débit de 5 %. Or, je vous rappelle que le ministre des affaires
étrangères avait considéré qu’une baisse de 12 % ne tirait pas à conséquence.
28. Voilà qui nous amène aux scénarios examinés par M. Thorne, au sujet desquels
Mme la juge Xue lui a posé un certain nombre de questions. Bien que je sois le premier à
reconnaître que M. Thorne a été un expert des plus coopératifs, j’estime qu’il n’a pas vraiment
répondu à la question de la juge sur les hypothèse de départ retenues pour établir ces scénarios. La
réponse est la suivante. Ces hypothèses sont ce qu’il a appelé dans son rapport les «données de
référence décrivant les conditions actuelles des fleuves à la hauteur du point Delta». Cela apparaît
en haut du premier tableau. Comme vous pouvez le constater dans ce tableau — je parle du tableau
o
qui apparaît en haut de l’écran et qui se trouve aussi sous l’onglet n 2 de votre dossier de
plaidoiries —, il est parti de l’hypothèse qu’avant le dragage, la largeur et la profondeur du
San Juan inférieur étaient respectivement de 90 mètres et 4,75 mètres. Ces chiffres sont à présent
encadrés en rouge. Et il a déterminé que, dans les conditions actuelles, le fleuve Colorado captait
84 % du débit du San Juan, contre 16 % pour le cours inférieur de celui-ci. Là encore, nous
mettons ces données en évidence à l’écran, pour la commodité des membres de la Cour.
17 29. Le deuxième tableau, qui se trouve juste en-dessous du premier, présente les différents
scénarios envisagés par M. Thorne. Celui-ci a lui-même confirmé — à la page 41 du compte rendu
de l’audience de mardi après-midi — qu’il «s’agi[ssait] effectivement de trois scénarios», et non du
21C.S. Diseño, «Etude du comportement des écoulements à la bifurcation des rivières San Juan et Colorado»,
p. 5. Version espagnole fournie à la Cour par le Costa Rica le 7 janvier 2011 ; traduction française déposée par le
Costa Rica sous le couvert de sa lettre du 7 janvier 2011 et reproduite à l’annexe 11 du contre-mémoire du Nicaragua. - 10 -
programme de dragage approuvé et mis en œuvre. Ces scénarios se révèlent très similaires, sinon
identiques, à la modélisation réalisée par les scientifiques costa-riciens en 2010. Le premier
scénario table sur l’hypothèse que la largeur du fleuve serait portée de 90 mètres à 120 mètres, et
sa profondeur à 5,75 mètres. Les résultats figurent dans le troisième tableau — celui qui apparaît
au bas de l’écran. Sous le titre «Scénario 1», la proportion du débit du fleuve San Juan captée par
le Colorado est chiffrée à 80 % (contre 84 % selon l’hypothèse de départ), et celle captée par le
San Juan inférieur à 20 % (contre 16 %). Selon le premier scénario de M. Thorne, le débit du
fleuve Colorado ne diminuerait donc que de 4 %. Toutefois, comme je l’ai déjà dit, et M. Thorne
en a convenu, si on fait abstraction de l’élargissement supposé du fleuve (largeur portée à
120 mètres), qui n’a pas eu lieu et n’a jamais été prévu, ainsi que du dragage d’un chenal de
5,75 mètres de profondeur, et si on applique la méthode de calcul privilégiée par M. Thorne, on
obtient une réduction de débit de 1,5 % seulement, soit encore moins que le chiffre qualifié de
«négligeable».
30. Les deuxième et troisième scénarios de M. Thorne sont encore plus éloignés de la réalité.
Le deuxième scénario table par exemple sur l’hypothèse que la largeur du fleuve serait portée à
150 mètres et qu’un chenal de 6,75 mètres de profondeur serait creusé par dragage, tandis que le
troisième scénario suppose que le fleuve serait encore plus large et le chenal, plus profond. Ils ne
revêtent donc aucune pertinence en l’espèce.
31. Comme M. van Rhee l’a exposé :
«Le scénario le plus optimiste de M. Thorne [à savoir le premier], qui résultait
en un détournement prévu de ... 4 %, présumait que le projet élargirait le fleuve à
120 m et en augmenterait la profondeur à 5,75 m...
Ces présomptions sont erronées. Le projet est limité au dragage, dans le fleuve
actuel, d’un canal de navigation de seulement 30 m de large dans sa section
supérieure, 20 m de large dans sa section inférieure et 2 m de profondeur. Sur la base
d’une modé3isation prudente, cela résulte en un détournement de seulement
20 à 50 m /s, représentant approximativement 3 % du débit du Colorado. M. Thorne
admet qu’une telle réduction «serait négligeable». En fait, l’impact serait
vraisemblablement encore moindre. Une modélisation plus réaliste suggère une
22
réduction du débit du fleuve Colorado inférieure à 1,5 %.» (Les italiques sont de
l’orateur.)
22Van Rhee, exposé écrit, 15 mars 2015, par. 18-19. - 11 -
18 32. Par conséquent : «La quantité de sédiments enlevée par dragage n’est pas suffisante pour
avoir un impact significatif sur le débit du fleuve Colorado, et la prévision du Costa Rica quant à
23
un détournement significatif du débit du Colorado ne s’est pas réalisée.» Les experts des deux
Parties s’accordent sur ce point.
33. Mon ami M. Ugalde n’a apparemment guère été impressionné par le travail de l’expert
choisi par le Costa Rica ou n’a, à tout le moins, pas été convaincu. Il persiste en effet dans ses
affirmations même lorsque M. Thorne soutient le contraire. Il prétend qu’il y a deux programmes
de dragage : le programme autorisé, qu’il qualifie de «version papier», et le projet «réellement
entrepris», qui n’a, selon lui, aucun rapport avec le programme autorisé . C’est pourtant bien au
véritable programme que M. Thorne a fait référence lorsqu’il a écrit ceci : «A ce jour, rien ne
25
prouve que le programme de dragage ait sensiblement affecté l’écoulement du Colorado.» Et
c’est de ce même programme qu’il parlait lorsqu’il a précisé le mois dernier que son incidence sur
26
les débits était «faible» .
34. Loin de se laisser décourager, M. Ugalde a projeté à l’écran ce tableau, qui figurait sous
l’onglet n 103 du dossier de plaidoiries du Costa Rica et que nous avons reproduit, pour la
o
commodité des membres de la Cour, sous l’onglet n 3 de notre dossier de ce matin. S’agissant de
ce tableau donc, M. Ugalde a déclaré : «[c]omme vous pouvez le voir ... le débit du
27
fleuve Colorado a constamment diminué d’une année à l’autre» . «[L]e débit moyen relevé
pour 2014 est nettement réduit par rapport à ce qu’il était avant le début des opérations de dragage,
et cette réduction est bien supérieure aux 2 % que prévoyaient les experts nicaraguayens en
28
janvier 2011.» Et de répéter, pas moins de cinq fois, que le Nicaragua n’avait jamais produit son
propre calcul ni du débit du fleuve San Juan en amont de la bifurcation où nait le Colorado, ni de
29
celui, en aval, du San Juan inférieur . Il ne fait aucun doute, a-t-il déclaré devant la Cour, que le
23
Van Rhee, exposé écrit, 15 mars 2015, par. 15.
24Voir, par exemple, CR 2015/3, p. 58, par. 16 (Ugalde).
25Rapport Thorne, octobre 2011, p. IV-3.
26
Thorne, exposé écrit, affaire relative à Certaines Activités, mars 2015, par. 4.16 a).
27
CR 2015/3, p. 62, par. 30 (Ugalde).
28Ibid., par. 31.
29Ibid., p. 60-62, par. 23-29 ; p. 63, par. 33 (Ugalde). - 12 -
Nicaragua ou bien dispose de ces chiffres et les dissimule, ou bien, alors qu’il est en mesure de les
obtenir, refuse délibérément de le faire . 30 M. Ugalde soutient que, dans ces conditions, le
19 Costa Rica est fondé à déduire que ces calculs montreraient que le programme de dragage a une
31
incidence importante sur le débit du fleuve Colorado .
35. Monsieur le président, il importe, là encore, d’apporter un certain nombre de précisions.
Vous voudrez bien me pardonner ces nombreuses interruptions ; j’ai sans doute attrapé ce
dont souffrait hier M. Argüello, et vous excuserez, je l’espère, mes recours fréquents au verre
d’eau.
Il importe, disais-je, d’apporter un certain nombre de précisions. Tout d’abord, mon
collègue et ami confond corrélation et rapport de causalité. Il s’agit là du sophisme post hoc,
ergo propter hoc. On dit que «la corrélation n’implique pas la causalité, mais l’évoque de manière
suggestive». En tous cas, ce que le Costa Rica cherche ici à suggérer ne fait aucun doute.
36. Deuxièmement, il est tout simplement inexact d’affirmer que le Nicaragua, délibérément
ou non, n’a pas produit ses calculs de débit, ou qu’il a refusé de les communiquer au Costa Rica.
Vous voyez s’afficher à l’écran la dernière page de l’annexe 16 du contre-mémoire du Nicaragua,
déposé le 6 août 2012. Il s’agit d’un rapport de l’institut nicaraguayen d’études territoriales
(INETER) en date du 26 juin 2012. Cette page comporte un tableau présentant des mesures de
débit et de nombreuses autres données, comme vous allez le voir, pour les années 2006, 2011
et 2012.
37. J’appelle tout particulièrement votre attention sur les deux dernières lignes du tableau,
qui montrent les volumes d’eau, ou débits, relevés dans le San Juan en amont et en aval du point de
bifurcation. La différence correspond bien entendu au volume capté par le Colorado. En
parcourant les chiffres de l’avant-dernière ligne du tableau de gauche à droite, vous constaterez
que, en amont de la bifurcation, le débit a nettement et régulièrement diminué depuis 2006, année
3 3
où il était de 1643,567 mètres cubes par seconde (m /s), tombant à 1201,969 m /s en 2011 soit
une diminution d’environ 20 % , puis à 711,678 m /s en 2012 soit une nouvelle diminution de
35 %. Le débit du San Juan inférieur a subi une baisse correspondante, tombant de 177 m /s 3
30CR 2015/3, p. 62, par. 29 (Ugalde).
31
Ibid., p. 63, par. 35-38 (Ugalde). - 13 -
en 2006, à 116 en 2011, puis à 65 en 2012, ce qui représente une perte totale de plus de 50 % pour
cette période de six ans. Le dragage n’est en aucun cas responsable de cette perte de débit, qui est
exclusivement liée aux quantités d’eau apportées au San Juan, en amont de la bifurcation, par ses
affluents principaux coulant sur le territoire costa-ricien, qui dépend essentiellement des hauteurs
20 de précipitations. M. Ugalde reconnaît lui-même que les chiffres de son graphique
«ne prouvent pas, en eux-mêmes, que la proportion du volume total des eaux du
fleuve San Juan qui, au niveau de la bifurcation, s’écoule par le fleuve Colorado a
baissé ; d’autres facteurs jouent en effet, dont le plus évident est la pluviosité, qui a
une incidence sur les débits totaux» (les italiques sont de l’orateur).
Je souligne que M. Thorne a observé, dans son exposé écrit, que, «entre décembre 2010 et
33
juin 2013, … le temps … avait été beaucoup plus sec que d’habitude» . Voilà donc le coupable :
la faible pluviosité.
38. Troisièmement, le graphique que le Costa Rica voulait éloquent, et l’argument de
M. Ugalde selon lequel le programme de dragage aurait eu une incidence importante sur le fleuve
Colorado, se voient porter un coup fatal s’il en était encore besoin par les «observations»
figurant à la fin du rapport de l’INETER, qui sont fondées sur les mesures de débit dont je viens de
parler. La première se lit comme suit :
er
«Il re3sort des relevés effectués le 1 août 2006 que le Colorado a un débit de
1 466,155 m /seconde. Ce débit a été calculé en retranchant le volume d’eau relevé
dans le San Juan inférieur de celui du San Juan en amont du point de bifurcation. Le
résultat obtenu indique que le débit du San Juan de Nicaragua en aval de
Delta Colorado représentait 12 % de celui du Colorado.»
39. Ce même calcul a été répété le 24 janvier 2011, ainsi qu’il ressort de la deuxième
observation, dont je vous lis la dernière phrase : «Cet exercice simple révèle que le débit du fleuve
San Juan de Nicaragua en aval de Delta Colorado représentait 10,7 % de celui du fleuve Colorado».
Ainsi, le débit du San Juan inférieur, en pourcentage de celui du Colorado, a diminué entre 2006 et
2011, contrairement à ce que tente de vous faire croire M. Ugalde avec son graphique évocateur.
Comme le montre ensuite la troisième observation, le calcul a été une nouvelle fois effectué le
26 avril 2012 : «Le résultat obtenu indique que le débit du fleuve San Juan de Nicaragua en aval de
Delta Colorado représentait 10,1 % de celui du fleuve Colorado.» Le débit du San Juan inférieur a
32CR 2015/3, p. 62-63, par. 32 (Ugalde).
33Thorne, exposé écrit, affaire relative à la Construction d’une route, mars 201[5], par. 2.[6]. - 14 -
donc continué à diminuer par rapport à celui du Colorado. Monsieur le président, il est
absurde j’emploie un mot que mon collègue et ami de très longue date M. Pellet aime à
employer lorsqu’il applique la logique cartésienne aux arguments fallacieux de la partie adverse, et
21 qui me semble ici approprié , il est absurde, disais-je, d’affirmer, devant pareilles preuve, que le
projet de dragage du Nicaragua a eu un quelconque effet préjudiciable sur le fleuve Colorado, et il
est encore plus absurde de prétendre qu’il s’agit d’un effet important.
40. Toute aussi absurde est la persistance du Costa Rica à alléguer que le Nicaragua a omis
de produire, a dissimulé ou a refusé de se procurer des éléments de preuve essentiels concernant le
débit du fleuve San Juan, en amont ou en aval du point de bifurcation. Ce d’autant plus que le
document, le rapport de l’INETER, a non seulement été annexé au contre-mémoire déposé par le
Nicaragua il y a deux ans et demi, mais est également mentionné par M. Ugalde lui-même dans une
note de bas de page de son intervention.
41. Cette photographie [projection à l’écran] vous a déjà été présentée mercredi dans le cadre
de l’exposé de M. Ugalde, et figurait sous l’onglet n 100 du dossier de plaidoiries du Costa Rica.
o
Outre qu’elle apparaît actuellement à l’écran, vous la trouverez en première page de l’onglet n 5 de
notre propre dossier de ce matin. M. Ugalde nous a dit mercredi que l’on y voit que «des
sédiments ont été massivement déposés» et que «comme le montre cette photographie, aucune
34
barrière de protection n’a été construite» . Dans le compte rendu d’audience, cette affirmation est
suivie d’une note de bas de page [projection à l’écran] précisant qu’il s’agit d’une «photographie
d’un dépôt de sédiments proche du point Delta, 14 janvier 2015…» . M. Ugalde poursuit en
affirmant, deux phrases plus loin, que «le Nicaragua a déposé sans retenue les sédiments extraits,
y compris en territoire costa-ricien» .6
42. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je vous le demande, que
donnent à penser cette photographie et les affirmations de M. Ugalde ? La réponse est évidente :
elles créent l’impression qu’il s’agit d’un entassement de déblais de dragage déposés par le
Nicaragua en territoire costa-ricien. Or, une fois encore, c’est de la suggestion pure et simple. Ce
34CR 2015/3, p. 59, par. 19 (Ugalde).
35Ibid., note de bas de page 102.
36
Ibid., par. 20. - 15 -
lieu est effectivement proche du point Delta, comme l’a dit M. Ugalde, mais il est situé sur la rive
nicaraguayenne du fleuve. Cela, M. Ugalde a oublié de le dire.
43. S’agissant des lieux où le Nicaragua a déposé les sédiments retirés par dragage,
l’UNITAR/UNOSAT indiquait, en novembre 2011, que ceux-ci étaient «situés exclusivement en
territoire nicaraguayen» 37 et qu’«[a]ucun signe visible n’indiqu[ait] que ces activités de dépôt se
38
22 [fussent] produites sur la rive méridionale du San Juan en territoire costa-ricien» .
L’UNITAR/UNOSAT a ensuite précisé qu’«il n’exist[ait] actuellement aucun signe visible
indiquant que les activités de dragage menées le long de cette section du fleuve San Juan [avaient]
eu un impact environnemental ou hydrologique important du côté costa-ricien de la frontière» . 39
44. Plus précisément, tous les lieux de dépôt se trouvaient incontestablement en territoire
nicaraguayen, à l’exception d’un seul, situé dans la zone litigieuse, sur la rive gauche, ou
septentrionale, du caño qui, selon le Nicaragua, représente la frontière entre les territoires des
deux Parties. Au sujet de ce lieu, M. Thorne a indiqué que «les impacts [avaient] été circonscrits
40
dans l’espace et le temps» grâce à «la reconstitution et la repousse de la végétation de la rive» .
Autrement dit, aucun dommage n’y a été causé. Cela est confirmé par les photographies et images
satellite présentées dans l’exposé écrit daté du 16 mars de M. Kondolf. [Projection] Ces
deux photographies que vous voyez à l’écran et qui sont reproduites à la première page de
l’onglet n 6 de notre dossier de plaidoiries d’aujourd’hui figuraient dans le premier rapport de
M. Thorne ; elles ont été prises en octobre 2010 et en juillet 2011, comme vous pouvez le voir, et
montrent que la végétation avait repoussé en peu de temps sur la plus grande partie de la zone.
L’image satellite datée de septembre 2014 que vous voyez maintenant et qui figure également sous
l’onglet n 6 de notre dossier, révèle qu’aujourd’hui soit plus de trois ans après la prise de la
plus récente des photographies du rapport Thorne , ce lieu a été parfaitement restauré et la
végétation y est complètement rétablie, et ce, depuis septembre 2014. Il est désormais impossible
de le distinguer de la zone environnante. Ainsi que l’a souligné M. Kondolf,
37 UNITAR/UNOSAT, «Mise à jour n °4: évaluation de l’évolution morphologique et environnementale du
bassin du fleuve San Juan (Costa Rica) (période allant du 7 juin au 25 octobre 2011)», 8 novembre 2011, p. 160 (MCR,
annexe 150).
38Ibid., p. 162.
39
Ibid.
40Rapport Thorne, octobre 2011, p. I-61. - 16 -
«[l]e petit tas de sédiments que l’on voit sur la figure 1 [la photographie présentée
précédemment] s’était à nouveau partiellement couvert de végétation quelques mois
plus tard [voir la photographie de juillet 2011]… Depuis lors, ainsi que le montre la
figure 3, la végétation a complètement repoussé.» 41
45. La conclusion qui s’impose est la suivante : le Costa Rica n’a pas démontré que le
programme de dragage du Nicaragua lui a porté ou risque de lui porter un quelconque préjudice, les
éléments versés au dossier réfutant de manière concluante l’ensemble de ses allégations.
46. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, ainsi s’achève mon exposé sur
les preuves relatives au dragage. Dans quelques instants, le Nicaragua soumettra ses experts à
l’interrogatoire du Costa Rica et à celui de la Cour, mais je prendrai avant cela quelques minutes
23 pour vous les présenter. Le premier est M. Cornelis van Rhee, professeur d’ingénierie du dragage à
l’université de technologie de Delft. Notamment titulaire d’un doctorat en ingénierie du dragage et
analyse numérique de dynamique des fluides, M. van Rhee mène depuis 1984 des travaux de
recherche pour l’industrie du dragage, et a publié de nombreux ouvrages dans ce domaine.
47. Le second expert du Nicaragua est M. Mathias Kondolf, professeur de planification
environnementale à l’Université de Californie (Berkeley). Notamment titulaire d’un doctorat en
géographie et planification environnementale, M. Kondolf est spécialisé dans la recherche sur la
géomorphologie fluviale et ses rapports avec l’activité humaine, consacrant tout particulièrement
ses travaux à la gestion des sédiments et la restauration des cours d’eau. Il est le coauteur de
l’ouvrage de référence «Tools in Fluvial Geomorphology», et a siégé au conseil consultatif sur
l’environnement du corps du génie de l’armée des Etats-Unis.
48. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je vous remercie de votre
aimable et patiente attention, et vous suis reconnaissant de m’avoir accordé le privilège de plaider
devant vous. Nous sommes prêts à faire entendre nos experts lorsque vous le souhaiterez.
41Kondolf, exposé écrit, affaire relative à Certaines activités, 16 mars 2015, par. 11. - 17 -
The PRESIDENT: Thank you, Mr. Reichler. The Court will now take a 15-minute break,
after which the experts called by Nicaragua will be examined. The sitting is adjourned.
The Court adjourned from 10.50 a.m. to 11.05 a.m.
The PRESIDENT: Please be seated. The hearing is resumed. The Court will now hear the
two experts called by Nicaragua. The procedure for the examination of these experts will be
identical to that followed for the examination of the expert called by Costa Rica.
The Court will hear Mr. Cornelis van Rhee and Mr. Mathias Kondolf this morning.
Mr. van Rhee, you may take your place at the rostrum.
Good morning, Mr. Van Rhee. I call upon you to make the solemn declaration for experts
set out in Article 64, subparagraph (b), of the Rules of Court.
24 M. van RHEE :
«Je déclare solennellement et en toute conscience, que je dirai la vérité, toute la
vérité et rien que la vérité et que mon exposé correspondra à ma conviction sincère.»
The PRESIDENT: Thank you, Mr. van Rhee. I now call on counsel for Nicaragua,
Mr. Reichler, who will ask you to confirm the written statement before you. Mr. Reichler.
M. REICHLER : Thank you, Mr. President. Bonjour Monsieur van Rhee. Puis-je vous
demander si vous confirmez que les trois documents qui se trouvent devant vous, à savoir votre
exposé écrit établi aux fins de la présente audience et les deux rapports que vous avez établis dans
le cadre de la présente affaire sont le reflet sincère de votre avis d’expert.
M. van RHEE : Ils le sont.
M. REICHLER : Je vous remercie. Puis-je vous présenter mon ami M. Wordsworth.
M. WORDSWORTH : Je vous remercie.
Bonjour Monsieur van Rhee. Dans votre rapport de 2012 et dans votre exposé écrit, vous
vous référez à diverses reprises au programme de dragage du Nicaragua et je crois comprendre
qu’il y a eu un programme initial mis à l’essai à la suite de l’arrêté du MARENA de 2008 que vous - 18 -
évoquez dans la note de bas de page 4 de votre exposé écrit ; vous vous référez aussi à ce qui
revient en fait à un programme revisé dans ce que vous appelez le rapport annuel de l’EPN pour
2011. Est-ce bien exact ?
M. van RHEE : Pouvez-vous me montrer où cette référence se trouve ?
M. WORDSWORTH : Elle est dans la note de bas de page 9 de votre exposé écrit — vous
vous référez au rapport annuel de l’EPN pour 2011. Voyez-vous les mots «EPN», «Dredging
Project Evaluation Analysis : Improving Navigation on the San Juan River» (Evaluation technique
du projet de dragage : améliorer la navigation sur le fleuve San Juan) ? C’est bien cela,
n’est-ce-pas ?
M. van RHEE : Oui.
25 M. WORDSWORTH : Au paragraphe 9 de votre exposé écrit, vous vous référez au
programme établi dans le rapport annuel de l’EPN pour 2011 et dites que de l’avis de l’EPN il était
nécessaire de draguer environ 95 000 m de sédiments dans le secteur de cinq kilomètres se
trouvant immédiatement en aval du delta.
M. van RHEE : C’est exact.
M. WORDSWORTH : Si je comprends bien, c’était un chiffre global provenant du rapport
annuel de l’EPN pour 2011 ?
M. van RHEE : C’était le chiffre donné pour le dragage initial, ou ce que nous appelons le
dragage de capitalisation.
M. WORDSWORTH : Oui, c’était un chiffre initial global. Il était prévu de draguer
3
95 000 m .
M. van RHEE : Pour le dragage initial.
M. WORDSWORTH : Pour le dragage initial ? - 19 -
M. van RHEE : Oui. Nous faisons toujours la distinction entre le dragage initial de
capitalisation et le dragage d’entretien.
M. WORDSWORTH : Bien. Si vous consultez le dossier de plaidoiries qui se trouve devant
o
vous et que vous l’ouvrez sous l’onglet n 1, page 10, vous y voyez les mots «Portée revisée du
projet» ; est-ce bien, comme je le pense, ce dont vous parlez ? Il y est question du programme mis
à jour et vous verrez en particulier que les quantités de sédiments à draguer dans divers secteurs du
fleuve y sont indiquées et que sous e) il est écrit «Reyes El Delta, volume de dragage
93 735,71 m ».
M. van RHEE : Oui.
M. WORDSWORTH : Au moins, le mot «initial» n’y figure pas. N’est-ce pas ?
M. van RHEE : Non. Mais toute la portée du projet était prévue dès sa conception, et les
volumes de dragage de capitalisation en découlent donc.
26 M. WORDSWORTH : Bien. De toute façon, ce que nous constatons et, comme vous le dites
au paragraphe 9 de votre exposé écrit, au lieu de 95 0000 m c’est en fait 130 000 m qui ont été
dragués en 2011.
M. van RHEE : C’est exact.
M. WORDSWORTH : Et cette tendance à la hausse s’est poursuivie en 2012-2014. Vous
nous donnez aimablement les chiffres au paragraphe 9 de votre exposé écrit si bien que nous
savons qu’en réalité, dans cette zone située autour du delta, les volumes de sédiments dragués ont
été bien supérieurs à 95 000 m .
M. van RHEE : C’est exact.
M. WORDSWORTH : En fait, pendant la période 2012-2014, ce sont quelque 600 000 m 3
qui ont été dragués.
M. van RHEE : C’est exact ; les rapports l’indiquent. - 20 -
M. WORDSWORTH : Soyons clairs, lorsque vous parlez du delta, vous parlez de la
bifurcation située entre le San Juan inférieur et le fleuve Colorado ; vous ne parlez pas du delta du
San Juan inférieur là où il rejoint la mer.
M. van RHEE : C’est exact. Je parle du premier secteur.
M. WORDSWORTH : Ai-je raison de penser qu’il n’y a pas eu de nouvelle déclaration au
sujet de l’impact sur l’environnement en dépit de l’augmentation considérable des volumes qui ont
été dragués dans cette partie du fleuve ?
M. van RHEE : En effet, je n’ai pas vu de nouvelle déclaration au sujet de l’impact sur
l’environnement.
M. WORDSWORTH : Soit, vous n’en avez pas vu. Et vous évoquez dans votre exposé écrit
o
un rapport n 69 établi par une mission consultative Ramsar en décembre 2010 qui était ciblée sur
l’impact du caño creusé par le Nicaragua en 2010 ; est-ce bien exact ?
27 Savez-vous qu’en avril 2011, le Secrétariat de Ramsar a adressé au Nicaragua pour
observations le rapport d’une mission consultative qui est beaucoup plus pertinent du moins pour
ce qui est du dragage ; avez-vous connaissance de ce rapport ?
M. van RHEE : Je ne connais ni ce rapport ni son contenu.
M. WORDSWORTH : Vous n’en savez rien ?
M. van RHEE : Non.
M. WORDSWORTH : Bien, je voudrais simplement vous poser quelques questions d’ordre
général. La mission Ramsar concluait ce rapport de la manière suivante :
«tout changement dans la dynamique fluviale du San Juan dû à des processus
anthropiques construction de chenal, dragage, détournement des eaux, mise en
place de barrages en modifiera le débit et modifiera aussi la dynamique des zones
humides qui y sont associées ainsi, que la répartition et l’abondance des espèces qui y
vivent. Il est donc important d’étudier l’impact correspondant sur l’environnement
dans ces domaines avant de procéder au moindre changement.»
D’une manière générale, seriez-vous d’accord avec cette conclusion ? - 21 -
M. van RHEE : Oui, et autant que je sache, une étude de l’impact sur l’environnement a été
faite qui a également porté sur la question du détournement des eaux.
M. WORDSWORTH : A mon avis, l’étude de l’impact sur l’environnement dont vous parlez
a été réalisée en 2006 et la question est de savoir si il y en a eu une portant sur les travaux de
dragage qui ont véritablement eu lieu lesquels, comme vous avez bien voulu le dire, sont très
différents de ceux envisagés en 2006.
M. van RHEE : La différence tient au fait qu’il a fallu procéder à des travaux de dragage
d’entretien supplémentaires pour que ces chenaux restent ouverts. Mais ces travaux n’ont pas
d’impact sur le débit du San Juan.
M. WORDSWORTH : Vraiment…
M. van RHEE : Par exemple, le débit n’augmentera pas.
28 M. WORDSWORTH : C’est une question de débit à laquelle je reviendrai dans un moment.
Mais je ne vois pas comment il ne pourrait y avoir une différence importante entre retirer
3
95 000 m comme prévu en 2011 et en retirer 730 000 entre 2011 et 2014. L’impact sur
l’environnement risque d’être tout autre.
M. van RHEE : Il y a bien sûr une différence entre 95 000 et 600 000 m mais la question est
de savoir «quel en est l’impact sur la répartition des eaux» ? Par exemple, ce volume
supplémentaire de sédiments est-il dragué, un chenal plus large est-il dragué ? Ce n’est pas le cas.
M. WORDSWORTH : Vous dites que ce n’est pas le cas mais où sont les preuves de
l’impact sur le débit et sur le chenal qui a effectivement été dragué. Revenons-en à ce rapport
Ramsar de 2011. Le Secrétariat de Ramsar a recommandé, ou plutôt affirmé qu’il était essentiel
d’analyser les caractéristiques hydrologiques historiques et actuelles compte tenu du comportement
du débit et de la charge de fond dans la zone considérée, en particulier pour ce qui est des
variations du niveau hydrométrique du San Juan dans des secteurs représentatifs de son cours
principal. Le rapport précisait également qu’il était essentiel d’analyser les caractéristiques - 22 -
hydrodynamiques du fleuve compte tenu des changements que devrait provoquer dans
l’écoulement de l’eau la profondeur accrue du lit à la coupure du méandre. A votre connaissance,
a-t-on procédé à ces analyses pour ce qui concerne le programme de dragage réellement exécuté au
cours des trois à quatre dernières années ?
M. van RHEE : Je sais que l’effet des travaux de dragage sur la bifurcation a été étudié. Je
ne suis pas au courant d’effets particuliers dû au coupage du méandre.
M. WORDSWORTH : Mais autant que vous le sachiez, ces analyses ont-elles été faites ?
M. van RHEE : Oui. On a analysé le changement intervenu dans le profil du fleuve et donc
dans la répartition du débit. Cette analyse se trouve dans l’étude de l’EPN de 2006 et…
M. WORDSWORTH : Vous parlez de 2006, ce que je vous demande c’est ce qui s’est passé
au moment du dragage qui a eu lieu entre 2011 et 2014.
29 M. van RHEE : Oui. A propos de quoi, du volume ?
M. WORDSWORTH : Oui. Savez-vous si ces analyses que le Secrétariat de Ramsar juge
essentielles ont bien été faites ?
M. van RHEE : Pas à ma connaissance.
M. WORDSWORTH : Vous faites référence dans votre rapport de 2012 à certains débits, à
certaines mesures de débit qui ont été effectuées par le Nicaragua en 2006, 2011 et 2012 et qui se
trouvent dans le rapport de l’INETER. C’est en fait la note que M. Reichler vient de mettre à
l’écran. Vous vous en souviendrez, elle se trouve dans le dossier des plaidoiries et quelqu’un va
m’aider à vous dire sous quel onglet. C’est l’onglet n 4 du dossier de plaidoiries de M. Reichler,
o
disons cela, ce n’est pas dans ce document, ce n’est pas dans le dossier des juges, c’est l’onglet n 4
du dossier des juges de M. Reichler.
Ai-je bien raison de penser que cette note montre les mesures du débit et je pense aussi
les mesures des sédiments en suspension, à trois dates différentes seulement, est-ce bien cela ? Ces - 23 -
trois dates sont le 1 août 2006, le 24 janvier 2011 et le 26 avril 2012. Nous avons donc
trois mesures sur une période de six ans.
Il aurait bien sûr été possible au Nicaragua de prendre régulièrement des mesures du débit en
aval et en amont du delta, exactement comme il l’a fait pour ces trois dates. Le Nicaragua n’aurait
eu aucune difficulté à prendre ces mesures, c’est bien exact, n’est-ce pas ?
M. van RHEE : Oui, cela est possible.
M. WORDSWORTH : Est-ce exact ou non ?
M. van RHEE : Et bien, c’est exact. Excusez-moi, mais pourriez-vous répéter la question ?
M. WORDSWORTH : Oui. Il aurait évidemment été possible au Nicaragua de mesurer
régulièrement le débit.
M. van RHEE : Cela est possible, c’est exact, oui.
30 M. WORDSWORTH : Et ces mesures régulières auraient joué un rôle fondamental en
permettant de vérifier si l’augmentation actuelle du volume de sédiments dragué par le Nicaragua
dans le delta a ou non une incidence sur le débit du fleuve Colorado. Est-ce exact ?
M. van RHEE : Oui, mais d’après ce que nous avons vu jusqu’à présent, il y a bien eu des
études ; votre expert a réalisé des études initiales ; j’ai moi-même procédé à plusieurs études avec
l’un de mes collègues, M. de Vriend et, dès 2011, nous avons examiné la répartition des eaux et
l’influence que le dragage avait sur elle et nous prédisions déjà que le volume supplémentaire serait
assez faible dans le fleuve San Juan, de quelques pour cent seulement ; en fait, ces mesures nous
conduisent à conclure que nos calculs étaient exacts.
M. WORDSWORTH : Bien, je comprends ce que vous dites au sujet du rapport que vous
avez établi en 2011. Je voudrais savoir ce qui se passe par rapport au dragage en cours et si les
mesures du débit pourraient effectivement l’indiquer à la Cour. Bien évidemment, elles le
pourraient si elles étaient prises. Elles pourraient indiquer précisément à la Cour le volume d’eau - 24 -
qui s’écoule, d’une part, dans le cours inférieur du San Juan et, d’autre part, dans le
fleuve Colorado. Est-ce exact ?
M. van RHEE : C’est exact, oui.
M. WORDSWORTH : Je relève, dans le rapport Ramsar de 2011, qui n’a malheureusement
pas été mis à votre disposition, que pour l’équipe du Secrétariat de la convention de Ramsar :
«[é]tant donné la nature du projet et la zone d’influence, nous suggérons d’incorporer
les variables mentionnées ci-dessous au programme de contrôle et de surveillance
environnemental qui doit être mis en œuvre par l’autorité portuaire nationale (EPN) au
cours de l’exécution du projet et pendant le cycle hydrologique suivant, ainsi qu’au
programme de surveillance correspondant du MARENA».
Suivent ses recommandations :
«contrôl[er] mensuel[lement l]es niveaux hydrométriques entre le point Delta et
l’embouchure du San Juan dans des sections représentatives du cours principal du
fleuve, au moins pendant la phase de construction prévue par le projet[ ; procéder à
des] contrôle[s] mensuel[s] de la concentration des particules solides en suspension
dans la colonne d’eau dans des sections représentatives du cours principal du
fleuve San Juan».
Pour autant que vous le sachiez, ce contrôle mensuel n’a pas été réalisé, n’est-ce pas ?
31 M. van RHEE : Je ne sais pas, je ne connais que ces chiffres, mais je pense que plus il y a de
contrôles, mieux c’est, bien évidemment. Ma position est la suivante : les informations dont nous
disposons à présent sur ce projet et à partir desquelles j’ai tiré mes conclusions, ou les résultats que
nous avons examinés, me semblent suffisants pour me forger une opinion sur ce qui se passe dans
le fleuve à ce point de bifurcation. Je suis d’avis, en ma qualité d’expert, que ces informations me
suffisent pour affirmer que les travaux de dragage n’ont qu’une influence très limitée sur la
répartition des eaux, ce que reconnaît également votre expert.
M. WORDSWORTH : Cela dépend bien évidemment des travaux réellement exécutés, du
volume qui est véritablement dragué. Mais il est exact, n’est-ce pas, que, dans votre rapport, vous
vous appuyez sur les trois mesures distinctes effectuées par l’INETER sur une période de six ans et
que vous cherchez à en tirer des conclusions. C’est exact, n’est-ce pas ? - 25 -
M. van RHEE : En réalité, dans mon premier rapport, je ne disposais que des mesures qui
avaient été effectuées antérieurement et, déjà, nous avons estimé l’effet produit, lequel a été
confirmé par les mesures prises ultérieurement.
M. WORDSWORTH : Par mesures ultérieures, vous entendez trois mesures sur une période
de six ans, trois mesures distinctes. Et, bien évidemment, un contrôle mensuel vous en apprendrait
bien d’avantage sur ce qui se passe réellement, sur le débit.
M. van RHEE : Je ne saurais affirmer le contraire.
The PRESIDENT: Mr. Wordsworth, the 20 minutes you had for this cross-examination will
be up in one minute. You may ask one more question, with a brief reply. Though you are not
obliged to.
M. WORDSWORTH : Je vais peut-être me contenter de vous demander si vous admettriez
que, en fait, les trois mesures distinctes réalisées sur une période de six ans, à différentes époques
de l’année, ne vous permettent pas de dire grand-chose, ou rien de très exact…
M. van RHEE : Excusez-moi, je n’ai pas saisi la première partie de la question.
32 M. WORDSWORTH : Admettriez-vous que les trois mesures distinctes réalisées sur une
période de six ans à différentes époques de l’année — et c’est tout ce que nous avons dans le
dossier — ne vous permettent pas en fait d’arriver à une conclusion très exacte ?
M. van RHEE : Je ne suis pas d’accord.
M. WORDSWORTH : Vous n’êtes pas d’accord ?
M. van RHEE : Non.
M. WORDSWORTH : Vous pensez que ces trois mesures sont suffisantes pour tirer des
conclusions d’experts ? - 26 -
M. van RHEE : Oui, avec tous les autres rapports, tous les autres éléments de preuve, tous
les rapports des autres experts elles me suffisent.
M. WORDSWORTH : Et ces mesures, dont la dernière a été réalisée le 26 avril 2012, vous
permettent de dire ce qui se passe aujourd’hui en avril 2015 ?
M. van RHEE : Pas uniquement cette mesure. C’est le tableau d’ensemble qu’il faut
considérer en tant qu’expert ; on ne peut pas tenir compte d’une seule mesure.
M. WORDSWORTH : Je vous remercie. Je pense avoir probablement dépassé la minute qui
m’était impartie. Je vous remercie.
The PRESIDENT: Thank you, Mr. Wordsworth. I now call on Mr. Reichler, counsel for
Nicaragua. Would you like to re-examine Mr. van Rhee? If so, you have a maximum time of
20 minutes.
M. REICHLER : Merci, Monsieur le président. J’essayerai d’être encore plus bref.
Monsieur van Rhee, vous avez dit qu’il existait une différence entre le dragage de capitalisation et
le dragage d’entretien. Pourriez-vous l’expliquer s’il vous plaît ?
33 M. van RHEE : Le dragage de capitalisation, ou dragage initial, est celui auquel il faut
procéder si l’on veut, par exemple, creuser un chenal à partir de la situation existante, lorsque le lit
fluvial est plat ; on creuse alors un chenal d’une certaine dimension. Mais après avoir creusé ce
chenal, l’opération n’est pas terminée car la nature essaye de le combler. La nature essaye de
rétablir la situation originelle du cours d’eau. C’est ce que nous appelons la «sédimentation», et il
faut draguer à nouveau ce point est également mentionné plusieurs fois dans le rapport
draguer encore et encore pour que ce chenal reste ouvert, en particulier dans un fleuve dont le lit est
mouvant. C’est en fait le cas pour tous les fleuves qu’il faut draguer.
M. REICHLER : Je vous remercie Monsieur. Cela explique-t-il la différence entre le
volume de dragage que vous avez évalué à 93 000 m pour le «dragage de capitalisation», et celui, - 27 -
plus élevé, sur lequel vous a interrogé M. Wordsworth : la différence entre ces deux volumes
illustre-t-elle la différence entre le dragage de capitalisation et le dragage d’entretien ?
M. van RHEE : Oui.
M. REICHLER : Donc, ces travaux de dragage supplémentaires ne servaient en réalité qu’à
garder le même chenal ouvert, sans élargir en rien le projet envisagé ?
M. van RHEE : Oui.
M. REICHLER : Il me semble que vous avez dit que le dragage d’entretien, ce dragage
supplémentaire servant à nettoyer le chenal, ou nouveau dragage, n’avait aucun impact sur le débit
à la différence du dragage de capitalisation ?
M. van RHEE : C’est exact car ce dragage d’entretien est nécessaire pour que le chenal créé
reste ouvert, le calcul du débit est basé sur ce profil.
M. REICHLER : Et donc, le nouveau dragage, ou dragage d’entretien, ne modifie pas le
profil du débit ni le débit lui-même ?
M. van RHEE : Non.
34 M. REICHLER : Donc, si le dragage d’entretien ne modifie par le débit ni le niveau de l’eau,
est-il exact de dire que, en aval, là où le dragage est effectué, l’impact serait le même ?
M. van RHEE : C’est exact.
M. REICHLER : Donc, le nouveau dragage, ou dragage d’entretien, causerait le même
impact en aval y compris dans les zones humides protégées situées en aval du projet de
dragage que celui produit par le dragage de capitalisation ?
M. van RHEE : Si l’on ne procédait pas à un nouveau dragage, on pourrait aboutir en fait à
un assèchement du fleuve tout entier, et donc à un effet néfaste.
M. REICHLER : Et quel est l’impact à long terme, l’effet à long terme, du débit dans le… - 28 -
The PRESIDENT: Sorry, if I may just interrupt you for a moment. Mr. Wordsworth would
like to say something. I give him the floor.
M. WORDSWORTH : Avec tout le respect que je vous dois, Monsieur le président,
Monsieur Reichler, je sais que la Cour n’est manifestement pas rompue aux contre-interrogatoires
et aux interrogatoires complémentaires, mais le Costa Rica estime que, pour aider la Cour, un
interrogatoire complémentaire devrait se faire à l’aide de questions ouvertes et non de
questions suggérant une réponse déterminée, du type : «Je viens de dire quelque chose, auriez-vous
l’amabilité d’être d’accord avec cela ?» Ce n’est pas une manière très utile, à notre sens, de donner
à la Cour les réponses qui l’aideront à délibérer.
The PRESIDENT: Thank you, Mr. Wordsworth. Of course a question must be as open as
possible, and it should be left to the person being questioned to provide the correct answer. And I
am sure that Mr. Reichler takes note of this observation. You may continue, Mr. Reichler.
35 M. REICHLER : Vous avez raison, Monsieur le président et je vous remercie. Compte tenu
des processus naturels, avez-vous un avis sur la tendance à long terme des débits respectifs du
cours inférieur du San Juan et du fleuve Colorado ?
M. van RHEE : Lorsque vous travaillez sur le long terme, surtout si vous vous projetez
deux siècles en arrière, vous verrez que la répartition des eaux évolue progressivement, de telle
sorte que le San Juan reçoit moins d’eau et le fleuve Colorado davantage.
M. REICHLER : Pensez-vous que cette tendance se poursuivra ?
M. van RHEE : Je le pense, oui.
M. REICHLER : Le dragage du cours inférieur du San Juan par le Nicaragua aurait-il un
impact, ou un effet, sur ce que vous venez de décrire comme étant la tendance à long terme ?
M. van RHEE : Eh bien, il peut la retarder. Cela dépend du volume dragué et de la capacité
de faire face à cette sédimentation supplémentaire. - 29 -
M. REICHLER : Prévoyez-vous que le programme actuel de dragage du Nicaragua peut
renverser la tendance que vous décrivez selon laquelle le fleuve Colorado reçoit de plus en plus
d’eau et le San Juan de moins en moins ?
M. van RHEE : J’en doute, car les dragues actuellement disponibles sur place sont plus ou
moins concentrées sur le premier segment du fleuve San Juan, là où la sédimentation est plus
importante. Et je pense qu’elles ont des difficultés à draguer réellement tous les sédiments sur ce
seul segment. Si l’on veut véritablement inverser la situation, il faut un tout autre programme de
dragage, un programme d’une toute autre ampleur.
M. REICHLER : Pensez-vous par conséquent ou plutôt pour être parfaitement…
neutre compte tenu du programme actuel de dragage du Nicaragua, quelles sont vos prévisions,
à moyen et à long terme, s’agissant de la répartition des eaux du fleuve San Juan entre le
fleuve Colorado et le San Juan proprement dit ?
36 M. van RHEE : Je pense qu’avec le volume actuel de dragage, le Nicaragua peut
éventuellement maintenir la répartition des eaux telle qu’elle est aujourd’hui, mais il est possible
que ce volume ne soit pas suffisant même pour le moment, et donc le débit du fleuve diminuera
progressivement.
M. REICHLER : Diminuera progressivement, dans quel fleuve ?
M. van RHEE : Dans le fleuve San Juan.
M. REICHLER : Et cela signifie-t-il qu’il augmentera ailleurs ?
M. van RHEE : Oui, au bout du compte, mais nous parlons là d’une longue, très longue
période, peut-être cent ans, je ne sais pas : je n’ai pas examiné ce point en détail, mais, en fin de
compte, cela peut avoir une incidence sur le débit global du San Juan : celui-ci s’ensablera
complètement et toute l’eau s’écoulera alors dans le fleuve Colorado.
M. REICHLER : Je n’ai pas d’autre question. - 30 -
The PRESIDENT: Thank you. Thank you, Mr. Reichler. I shall now give the floor to
Judge Gaja, who wishes to put a question to the expert. Judge Gaja, you have the floor, and I shall
ask Mr. van Rhee to reply to the question immediately after it has been put. Mr. Gaja.
Le juge GAJA : Je vous remercie, Monsieur le président. Monsieur van Rhee, à la page 10
de votre exposé écrit, à propos de l’exposé écrit de 2015, vous faites observer que le premier canal
de navigation (caño), le caño de 2010, «est maintenant entièrement fermé», et ce moins de quatre
ans après la fin des travaux de nettoyage. J’aimerais savoir si ce phénomène est compatible avec
l’existence, avant 2010, et peut-être pendant longtemps, d’un chenal navigable suivant le même
trajet que le premier caño ? Je vous remercie.
M. van RHEE : Il n’est pas facile de répondre à la question. Cette observation porte sur la
situation récente, alors que le chenal était nettoyé sur une certaine largeur et que, de ce fait, l’eau a
commencé à couler à travers ce caño, mais son débit étant donné la situation morphologique
actuelle du fleuve, la charge en sédiments, etc. n’était pas suffisamment puissant pour que le
37 chenal reste ouvert. Cela ne veut pas dire que, 100 ans auparavant, le même phénomène aurait
aussi été observé. Cette conclusion ne vaut donc que pour la situation actuelle. J’espère avoir
répondu à votre question.
The PRESIDENT: Judge Gaja, have you finished? Thank you, Mr. van Rhee. Your
testimony is complete. We would like to thank you for agreeing to appear before the Court. You
may now leave the rostrum. Thank you.
M. van RHEE : Je vous remercie de votre attention. C’était un grand plaisir pour moi que de
comparaître devant vous.
The PRESIDENT: The Court will now hear Mr. Kondolf who I call upon to take his place at
the rostrum.
Good morning, Mr. Kondolf. - 31 -
M. KONDOLF : Bonjour. C’est un plaisir d’être ici.
The PRESIDENT: Would you please make the solemn declaration for experts set out in
Article 64, subparagraph (b), of the Rules of Court. You have the floor.
M. KONDOLF :
«Je déclare solennellement, en tout honneur et en toute conscience, que je dirai
la vérité, toute la vérité et rien que la vérité et que mon exposé correspondra à ma
conviction sincère.»
The PRESIDENT: Thank you, Mr. Kondolf. I now call on counsel for Nicaragua who will
ask you to confirm the written statement before you. Mr. Reichler.
M. REICHLER : Merci, Monsieur le président. Bonjour, Monsieur Kondolf. Puis-je vous
demander de confirmer que les trois documents qui se trouvent devant vous c’est-à-dire votre
exposé établi aux fins de la présente audience et vos deux rapports établis dans le cadre de
l’affaire reflètent bien votre conviction sincère, en tant qu’expert ?
M. KONDOLF : Oui.
M. REICHLER : Merci beaucoup ; je vous présente mon bon ami, M. Wordsworth.
38
M. KONDOLF : Bonjour.
M. WORDSWORTH : Bonjour, Monsieur Kondolf. Puis-je vous demander de vous reporter
au paragraphe 19 de votre exposé, qui est devant vous, vous y trouverez une section qui commence
par «E. L’existence du caño».
M. KONDOLF : Oui.
M. WORDSWORTH : Dans presque tout le reste de cet exposé, vous mettez l’accent sur la
question de savoir s’il y a ou s’il y a eu des défluents s’écoulant du fleuve San Juan dans une partie
quelconque de la lagune de Harbor Head, et vous signalez bien entendu certains points sur lesquels
vous êtes en désaccord avec M. Thorne. C’est exact ? - 32 -
M. KONDOLF : C’est exact.
M. WORDSWORTH : Ce que j’aimerais examiner avec vous est votre propre avis d’expert
sur la question de savoir si le caño que le Nicaragua dit avoir dégagé en 2010 existait avant 2010.
A partir de cet exposé, j’ai du mal à voir quelle est exactement votre position en tant qu’expert.
Etant donné l’importance de cette question pour la défense du Nicaragua en l’espèce, ai-je raison
d’estimer que selon vous, en tant qu’expert, ce caño existait effectivement avant 2010?
M. KONDOLF : J’estime en tant qu’expert qu’il est très probable que ce caño ait existé : il y
a des indications à cet effet, mais je crois qu’il faudrait se rendre sur le terrain pour le confirmer.
Evidemment, les choses ont été quelque peu modifiées, mais en général c’est une bonne approche.
Quoi qu’il en soit, cela se voit sur certaines cartes : il y a certainement des éléments qui donnent à
penser qu’un tel caño existait.
M. WORDSWORTH : Donc, selon les éléments dont vous disposez, il est très probable que
ce caño ait existé ?
M. KONDOLF : Oui.
39 M. WORDSWORTH : Très bien. Examinons maintenant ce point en nous reportant aux
différentes cartes et images que vous mentionnez dans votre exposé et dans votre rapport de 2012.
Dans ce rapport, vous mettez en particulier l’accent sur deux images de 1961 et sur la carte
de 1949, que la Cour connaît bien maintenant. Aux pages 13 et 14 de votre rapport de 2012, vous
mentionnez ces deux images aériennes de 1961 et vous considérez qu’on peut y voir le caño, et
d’ailleurs M. Pellet a projeté au moins l’une d’elles à l’écran hier, où j’espère qu’elle va maintenant
apparaître à nouveau.
Donc, voici la première de ces deux images, et nous pouvons voir ce que vous dites,
c’est-à-dire que cette image montre très clairement la moitié inférieure du caño. Maintenant
j’aimerais examiner cela de plus près. Si j’ai bien compris les questions de M. Reichler mardi,
cette photographie était à la base de la carte établie par le service cartographique de la défense des
Etats-Unis en 1988. Est-ce exact ? - 33 -
M. KONDOLF : Il faudrait que je relise la légende, mais si je me souviens bien, la légende
de cette carte indiquait qu’elle était fondée sur cette photographie aérienne, de même que sur une
photographie plus récente, de 1987 ou sur des images aériennes.
M. WORDSWORTH : Bien, nous vérifierons en ce qui concerne la carte de 1987, mais sur
la carte de 1961 nous sommes de toute évidence d’accord. Cela vaut aussi pour la carte de 1987
que vous mentionnez. Vous connaissez bien, sans doute, cette carte de la défense des Etats-Unis
de 1988 ?
M. KONDOLF : Oui, je l’ai regardée, Monsieur.
M. WORDSWORTH : Elle a été projetée hier. En fait, elle était annexée au mémoire du
Costa Rica. Je présume donc que c’était l’une des cartes que vous avez examinées lorsque vous
avez établi votre rapport de 2012 ? Est-ce exact ?
M. KONDOLF : Je suppose que je l’ai regardée, je ne me rappelle pas exactement si c’était à
ce moment-là, mais je présume que oui.
M. WORDSWORTH : Donc, si nous projetons la carte de 1988 à l’écran, vous conviendrez
que cette carte n’indique pas la présence d’un caño là où le Nicaragua a dégagé, ou creusé, le caño
en 2010, n’est-ce pas ?
40 M. KONDOLF : Oui, ce que l’on voit sur cette carte ou sur notre carte est un caño
permanent que l’on a appelé caño Y au nord ; le long du caño, à l’extrémité méridionale de la
lagune de Harbor Head, on ne voit pas de tel cours d’eau permanent.
M. WORDSWORTH : Exactement, et aux fins de la présente affaire, je sais que le
Nicaragua tente de mettre l’accent sur ce chenal Y, mais en réalité le caño qu’il a construit, ou
creusé, ou dégagé, en 2010 ne suit pas ce trajet, n’est-ce pas ?
M. KONDOLF : C’est exact. - 34 -
M. WORDSWORTH : Et on peut supposer que celui qui a établi cette carte, à partir d’un
certain nombre de photographies je pense que vous avez parlé de la photographie de 1961 et
vous venez de parler d’une photographie de 1987 l’auteur était un expert en cartographie : celui
qui a établi cette carte était un expert cartographe ?
M. KONDOLF : Je le suppose, oui.
M. WORDSWORTH : Et serait sans doute un expert dans l’établissement de cartes à partir
de photographies aériennes ?
M. KONDOLF : Oui, je le présume.
M. WORDSWORTH : Pour votre part, vous n’êtes pas un expert en cartographie, n’est-ce
pas ?
M. KONDOLF : Non, j’ai un doctorat en géographie, et bien entendu nous travaillons
constamment avec des cartes, mais non, je ne suis pas un «cartographe» à proprement parler.
M. WORDSWORTH : Et vous n’êtes pas non plus un expert dans l’établissement de cartes à
partir d’images aériennes ?
M. KONDOLF : Non, pas ce genre de cartes.
41 M. WORDSWORTH : La deuxième image de 1961 à laquelle vous faites référence dans
votre rapport de 2012 nous la voyons maintenant à l’écran montre selon vous que le caño
dont vous parlez, le caño de 2010, s’étend sur toute la distance entre le fleuve San Juan et la lagune
de Harbor Head c’est ce que vous dites nous le voyons à l’écran. Maintenant, simplement à
titre préliminaire, n’est-il pas inhabituel de s’appuyer sur une image à petite échelle et de faible
résolution pour faire ressortir un élément que l’on ne peut voir sur l’image à grande échelle de la
même région ?
M. KONDOLF : De façon générale, on s’appuie davantage sur l’image à grande échelle ;
cependant, chaque image aérienne est prise dans des conditions de lumière différentes, avec un - 35 -
angle différent par rapport au soleil, on peut donc utiliser différentes caméras, différentes altitudes
de l’avion. Beaucoup de facteurs peuvent influer sur la visibilité d’un élément sur une photo
aérienne par rapport à une autre.
M. WORDSWORTH : Bien, cela répond de façon générale à la question. Mais, en fait, on
ne peut voir le caño que le Nicaragua aurait supposément dégagé en 2010 sur cette photo, n’est-ce
pas ?
M. KONDOLF : Eh bien, je vois une trace linéaire allant de l’extrémité méridionale de la
lagune de Harbor Head jusqu’au fleuve San Juan. Je pense que la plupart des gens peuvent voir
cette ligne.
M. WORDSWORTH : C’est donc ce qui est selon vous le caño de 2010 ? Est-ce bien cela ?
Qui va de cette ligne, plus ou moins à partir de l’extrémité sud, directement jusqu’au
fleuve San Juan ?
M. KONDOLF : Eh bien, nous voyons une ligne à peu près dans ce secteur. Cela peut être
le caño.
M. WORDSWORTH : Mais vous conviendrez certainement que l’on peut voir ce même
élément sur la carte de 1988 si on veut bien la projeter de nouveau à l’écran cette marque
blanche, qui représente si je comprends bien une dune de sable, ou quelque chose de ce genre ? Il
n’y a absolument rien là, n’est-ce pas, qui indique la présence d’un caño ? N’est-ce pas ?
M. KONDOLF : Non, il n’y a sur la carte aucune indication de chenal et je ne sais pas
comment interpréter cette zone en blanc, elle est assez mystérieuse.
42 M. WORDSWORTH : Eh bien, cela figure dans les indications, n’est-ce pas ? Et ces
indications ne donnent pas à penser un seul instant qu’il s’agit d’un caño, n’est-ce pas ?
M. KONDOLF : Non, je ne dis pas que la bande en blanc indique la présence du caño. Non. - 36 -
M. WORDSWORTH : Très bien, mais si nous revenons à votre photo de 1961, celle que
vous présentez dans votre rapport de 2012 comme indiquant très clairement la présence du caño ; il
n’y est tout simplement pas, n’est-ce pas ?
M. KONDOLF : Qu’est-ce qui n’y est pas ?
M. WORDSWORTH : Le caño, le caño de 2010.
M. KONDOLF : Il y a une ligne, qui va de l’extrémité sud de la lagune de Harbor Head
jusqu’au fleuve San Juan, qui, peut-être, suit approximativement la trajectoire du caño en litige, et
qui en indique peut-être la présence.
M. WORDSWORTH : Bien. Lorsque vous avez établi votre rapport de 2012 maintenant
que vous avez vu à nouveau la carte de 1988 vous rappelez-vous si vous aviez effectivement en
main la carte de 1988 lorsque vous avez établi votre rapport, le rapport de 2012 ?
M. KONDOLF : Je peux vérifier et voir si j’y fais référence.
M. WORDSWORTH : Simplement de mémoire.
M. KONDOLF : Je ne me rappelle pas pour l’instant.
M. WORDSWORTH : Bien, puis-je alors vous poser quelques questions sur la carte
de 1949, qui est l’autre image, ou carte, à laquelle vous vous référez dans votre rapport de 2012 ?
Bien entendu, le Nicaragua s’appuie considérablement sur cette carte. Puis-je vous poser juste une
question à ce sujet, est-il exact de dire qu’il s’agit d’une carte à grande échelle du Costa Rica,
à l’échelle de 1/400 000 ?
M. KONDOLF : Si on regarde la légende, je crois qu’il s’agit d’une échelle de 1/400 000 et
le terme «à grande échelle» désigne habituellement chez les géographes une carte plus
détaillée.
M. WORDSWORTH : Précision très utile il s’agit donc d’une carte à petite échelle ? - 37 -
M. KONDOLF : Oui.
43
M. WORDSWORTH : Merci. Et si nous regardons les cartes disponibles, plus près de 1949,
il est exact de dire que ces cartes ne représentent pas le caño de 2010, n’est-ce pas ? Sous quelque
forme que ce soit ?
M. KONDOLF : De quelles cartes s’agit-il ?
M. WORDSWORTH : Les cartes les plus rapprochées du point de vue de la date sont
notamment une carte de 1930, qui apparaît maintenant à l’écran. Et vous pouvez voir là qu’il n’y a
aucun signe du prétendu caño. Le plus facile est sans doute de la regarder à l’écran.
M. KONDOLF : Le grain est un peu grossier, mais je ne vois pas de chenal allant de la
lagune de Harbor Head au fleuve San Juan à l’endroit où se trouverait le caño. C’est exact.
M. WORDSWORTH : Merci. Et si nous projetons maintenant la carte la plus rapprochée, je
crois, de la carte de 1949 : c’est la carte de 1931 que M. Pellet a montrée à la Cour hier vous
convenez qu’il n’y a ici aucun caño ?
M. KONDOLF : En effet. Oui.
M. WORDSWORTH : Et il y a dans la période immédiatement après 1949 deux autres
cartes du Nicaragua à petite échelle c’est-à-dire 1/1 000 000 datant de 1965 et 1966. Elles
figurent à l’annexe 122 du contre-mémoire du Nicaragua et vous pouvez me croire, elles
n’indiquent la présence d’aucun caño les conseils du Nicaragua me corrigeront certainement
là-dessus si je me trompe.
La prochaine carte qui montre la région en détail est la carte costa-ricienne de 1970, qui est
plus utile, car elle est à l’échelle de 1/50 000. Cette carte est également compilée à partir de photos
prises en 1961 et vous conviendrez avec moi que le prétendu caño de 2010 ne figure pas sur cette
carte, n’est-ce pas ?
M. KONDOLF : Non, il n’y est pas. - 38 -
M. WORDSWORTH : M. Pellet a présenté à la Cour hier deux cartes du Nicaragua de 1970
qui sont à une échelle d’au moins 1/1 500 000, et là encore les conseils du Nicaragua pourront vous
44 les montrer, s’ils le souhaitent, mais vous pouvez à nouveau me croire : on n’y voit pas le caño.
Ainsi, j’essaie de démontrer qu’il n’y a aucune autre carte ou image que vous ayez invoquée qui
indique la présence du caño de 2010 c’est-à-dire avant sa construction en 2010 dans votre
rapport ni dans votre exposé. Aucune autre carte, aucune autre image.
M. KONDOLF : Je me rappelle qu’il y en avait d’autres, mais malheureusement je devrais
pour cela me rafraîchir la mémoire.
M. WORDSWORTH : Les conseils du Nicaragua vous les montreront certainement
s’il y en a. Pour parler simplement, si j’ai raison de dire qu’il s’agit là de la totalité des éléments de
preuve sur lesquels vous vous appuyez peut-être citez-vous dans votre rapport des cartes
antérieures à 1897, mais je ne les considère pas comme pertinentes, juridiquement pertinentes, pour
la présente audience; donc, outre ce que l’on peut ou ne peut pas déduire de la carte de 1949, il
n’existe aucune preuve du tout que le caño creusé par le Nicaragua en 2010 existait auparavant,
n’est-ce pas ?
M. KONDOLF : Non, nous en voyons des indications sur les photos de 1961. Nous voyons
une sorte de motif, une sorte de ligne qui en suggère la présence. Il faudrait que je revoie les
différentes images pour le vérifier : si je me souviens bien, il y a un certain nombre d’endroits où
l’on peut voir qu’il y a, à l’extrémité sud de la lagune de Harbor Head, des lignes qui apparaissent
sur certaines des anciennes cartes comme ouvertes. Donc on peut certainement penser qu’il y a
quelque chose.
M. WORDSWORTH : Est-ce que l’un ou l’autre de ces cartes, documents, images, ou
autres … suit le tracé du caño, tel qu’il a été effectivement construit par le Nicaragua en 2010, à
votre avis ? - 39 -
M. KONDOLF : Ce que l’on voit sur les photos de 1961 suit au moins la portion qui va de la
partie sud de la lagune de Harbor Head en direction du fleuve. Et ensuite il y a la partie du caño
qui est parallèle au fleuve, qui n’est pas aussi claire.
M. WORDSWORTH : Merci. Donc on en revient à l’image de 1961, pour voir un caño qui
suit le tracé de celui de 2010.
45 M. KONDOLF : Encore une fois, il faudrait que je revoie toutes ces cartes mais il semble
certainement que la carte de 1961 est celle qui donne le plus d’éléments parmi celles dont nous
avons parlé.
M. WORDSWORTH : Merci. Pour plus de clarté, ce que j’ai fait est vous reporter à la
section 2.6 de votre rapport de 2012, dans laquelle les cartes et les images mentionnées sont la carte
de 1949 et les deux images de 1961.
Monsieur le président, ai-je épuisé mon temps ?
Aux paragraphes 25 à 26 de votre exposé, vous citez un rapport Ramsar de 2014 et si je puis
vous demander de vous reporter au paragraphe 25, vous y dites : «Enfin, l’existence de caños
[au pluriel] reliant le Río San Juan à la lagune d’Harbor Head est attestée par la convention de
RAMSAR.» Ensuite, vous parlez d’une visite sur les lieux effectuée du 10 au 13 mars 2014. Ai-je
raison de penser que cette visite sur les lieux concernait les caños construits par le Nicaragua
pendant l’été 2013 ? Est-ce exact ? Ceux qui se trouvent à l’ouest du caño construit en 2010.
M. KONDOLF : Je crois que c’est bien le cas, oui.
M. WORDSWORTH : Maintenant, si je peux vous demander de vous reporter aux
deux derniers points ici, qui semblent être ceux sur lesquels vous vous appuyez, vous citez :
«Dans la zone du CE [ce qui désigne, je crois, le Caño Este] parcourue à pied et
survolée, et autour de celle-ci, nous avons observé au moins quatre caños naturels, qui
s’écoulaient, pour la plupart, de manière convergente en direction de la lagune du
Caño Este ; l’un d’eux en direction de la Laguna Portillos [c’est-à-dire, la lagune de
Harbor Head].»
Donc, ce n’est que l’un de ces quatre caños qui pourraient étayer l’affirmation que vous faites au
paragraphe 25 de votre exposé. Est-ce exact ? - 40 -
M. KONDOLF : C’est exact.
M. WORDSWORTH : Donc on devrait lire : «Enfin, l’existence d’un caño [au singulier]
reliant le Río San Juan à la lagune de Harbor Head est attestée par … RAMSAR.»
M. KONDOLF : Oui. Vous avez raison. C’est exact.
M. WORDSWORTH : Et, pour être sûr de bien comprendre, vous ne dites pas que ce caño a
un rapport quelconque avec celui qui a été creusé par le Nicaragua en 2010, n’est-ce pas ?
46 M. KONDOLF : Je ne crois pas que le rapport Ramsar soit très précis au sujet des caños
observés, ou de leur emplacement.
M. WORDSWORTH : Vous pensez qu’il peut s’agir du caño de 2010 ?
M. KONDOLF : Je ne pense pas qu’il m’appartienne d’interpréter le rapport.
M. WORDSWORTH : Non ? Parce que si je vous demande de vous reporter à la page 6 de
votre exposé, on y voit une image, prise le 26 septembre 2014, censée montrer le caño creusé
en 2010.
M. KONDOLF : Oui. Bien vu. D’accord.
M. WORDSWORTH : Oui, 2014, c’est absolument clair.
M. KONDOLF : Vous avez raison. Il ne peut pas s’agir de celui-là. Il doit s’agir d’un autre.
The PRESIDENT: Thank you, Mr. Wordsworth. The 20 minutes you were allocated has
now elapsed. Thank you. I call on counsel for Nicaragua. Mr. Reichler, would you like to
re-examine Mr. Kondolf? If so, I give you the floor.
M. REICHLER : Nous sommes parfaitement satisfaits par les réponses données, Monsieur le
président, et n’avons pas besoin de procéder à un interrogatoire complémentaire.
The PRESIDENT: Thank you, Mr. Reichler. - 41 -
Mr. Kondolf, a number of judges would like to put questions to you. I shall therefore give
them the floor in turn and ask you to reply to each question immediately after it has been put.
I give the floor first to Judge Greenwood.
47 Le juge GREENWOOD : Je vous remercie, Monsieur le président. Monsieur Kondolf,
pourriez-vous à nouveau regarder la carte de 1949 ? Et si l’un des conseils pouvait l’afficher à
l’écran, cela aiderait les membres du public. Voyez-vous l’agrandissement d’Isla Portillos ?
M. KONDOLF : Oui, je l’ai sous les yeux.
Le juge GREENWOOD : Bien, merci. Etiez-vous présent lors de l’audition de M. Thorne
cette semaine ?
M. KONDOLF : Oui, j’étais là.
Le juge GREENWOOD : En réponse à une question que je lui avais posée, il a dit que, selon
lui, cette carte ne représentait pas de manière exacte les chenaux dans ce secteur, et il a expliqué
pourquoi. Souscrivez-vous à ses propos ?
M. KONDOLF : Eh bien, c’est une lecture manifestement très interprétative, compte tenu de
la petite échelle de la carte et de la manière dont elle a été montrée. Je ne suis pas en désaccord
avec M. Thorne, il a peut-être raison. Je crois qu’il considère que le chenal représenté entre la
lagune de Harbor Head et le fleuve San Juan devait en réalité communiquer avec ce que l’on a
désigné sous le nom de chenal «Y», ce qui est également assez plausible.
Le juge GREENWOOD : Oui, et si tel était le cas, la carte de 1949 serait-elle alors conforme
aux détails représentés sur la carte datant, si je ne m’abuse, de 1988 ?
M. KONDOLF : Oui, elle s’en approcherait mais il est difficile de dire laquelle de ces cartes
est exacte. Vous avez néanmoins raison : si la théorie de M. Thorne est juste, à savoir que ce
chenal rejoint celui en forme de Y, alors cela correspondrait à la carte de 1988, effectivement. - 42 -
Le juge GREENWOOD : Au vu des réponses que vous venez de donner, pensez-vous que
l’une ou l’autre de ces cartes peut être considérée comme attestant l’emplacement d’un quelconque
chenal en 1949 ou en 1988 ?
48 M. KONDOLF : Oui, je le crois, mais il ne faut pas oublier que les cartes sont forcément
imparfaites, elles sont établies dans un but précis ; cela étant, je pense qu’il s’agit d’éléments de
preuve précieux pour essayer de clarifier la situation.
Le juge GREENWOOD : Pourtant les deux cartes se contredisent…
M. KONDOLF : Oui, malheureusement, mais de nombreuses cartes se contredisent, alors…
Le juge GREENWOOD : C’est vrai ! Je vous remercie. Vous avez visiblement déjà tenté
de voyager dans certaines régions d’Europe avec des cartes telles que celles qui sont dans ma
voiture.
Pourriez-vous vous reporter au paragraphe 17 de votre exposé écrit, je vous prie ? Vous
dites, dans les deux dernières phrases du paragraphe : «Une croissance plus rapide des arbres
signifie que ceux-ci ne sont sans doute pas aussi âgés que l’a estimé le Costa Rica. Elle signifie
également que la zone boisée se régénérera plus rapidement.» A votre avis, quel âge ont ces
arbres ?
M. KONDOLF : Je ne suis pas spécialiste de l’écologie ni de la sylviculture tropicale, et je
ne me pense pas compétent pour donner une estimation. Mais il me semble avoir fait observer,
dans mon rapport, que si les arbres enregistraient une plus forte croissance dans des zones
perturbées, autrement dit, là où ils ne disputent pas à des arbres préexistants l’accès à l’eau et à la
lumière du soleil, si ces arbres poussaient deux fois plus vite, alors certains ne seraient pas âgés de
deux siècles mais d’à peine plus de cent ans.
Le juge GREENWOOD : Bien, donc combien de temps faudrait-il à la zone boisée pour se
régénérer, selon vous ? - 43 -
M. KONDOLF : Eh bien, les arbres dont je parle font partie des plus gros, et il leur faudrait
donc des dizaines d’années pour repousser. Mais les plus petits pourraient sans doute repousser en
quelques années. Je le répète, je ne suis pas expert en la matière, mais d’après les observations que
j’ai pu faire dans ce type d’environnement, il y fait très chaud, très humide et il y a beaucoup
d’éléments nutritifs. Les conditions sont propices à une croissance rapide.
Le juge GREENWOOD : Je vous remercie, Monsieur Kondolf. Merci, Monsieur le
président.
49 The PRESIDENT: Thank you, Judge Greenwood. Thank you, Professor. I shall now give
the floor to Vice-President Yusuf who would also like to put a question to you.
Le VICE-PRESIDENT YUSUF : Merci, Monsieur le président. Monsieur Kondolf,
pourriez-vous vous reporter au paragraphe 19 de votre exposé écrit ? A la page 10, vous faites
référence au passage du rapport de M. Thorne dans lequel il est dit qu’«aucun effluent n’a relié le
Río San Juan à la lagune d’Harbor Head», ce que vous qualifiez d’opinion «radicale». Vous
ajoutez : «Il est beaucoup plus vraisemblable, dans cet environnement deltaïque, que différents
effluents reliant le fleuve à Harbor Head se soient formés en temps normal, avant de disparaître.»
Cela signifie-t-il que, selon vous, il ne peut exister de caños permanents dans ce secteur ?
M. KONDOLF : Pas nécessairement. Il peut exister des caños permanents dont les eaux
coulent toute l’année. Mais de manière plus générale, ces chenaux finiront par se combler, se
modifier, se déplacer. C’est la nature même de l’environnement deltaïque.
Le VICE-PRESIDENT YUSUF : Je vous remercie.
The PRESIDENT: Thank you. I give the floor to Judge Xue.
La juge XUE : Merci, Monsieur le président. Monsieur Kondolf, je voudrais vous poser une
question. Dans votre exposé écrit soumis le 16 mars 2015, vous dites, au paragraphe 8 : «Assurer
l’écoulement du Río San Juan Inférieur, … en draguant le fleuve, atténue … [l]es problèmes [pour
la navigation et l’habitat actuel des zones humides], préserve le débit hydrique et continue à - 44 -
alimenter en sable les plages du littoral.» Puis vous concluez vous avez trouvé le passage en
question ? , je cite : «Dans ce contexte, le dragage est une activité de gestion raisonnable
destinée à préserver la navigabilité du fleuve et les conditions environnementales existantes.»
Vous estimez, si je comprends bien, que les activités de dragage devraient être réalisées en
continu ? Dans l’affirmative, doivent-elles l’être avec la même ampleur ? Par ailleurs, je remarque
que les experts ont fait référence, en réponse à de précédentes questions, au dragage de
capitalisation et au dragage d’entretien. A cet égard, je voudrais davantage de précisions sur un
50 point de votre exposé. Vous évoquez, au paragraphe 10, «l’échelle modeste du dragage autorisé,
qui est limité à la restauration, dans le fleuve actuel, d’un canal de navigation de 2 mètres de
profondeur et de 30 mètres de large au niveau de la section supérieure et de 20 mètres de large au
niveau de la section inférieure». Pourriez-vous préciser à quelle portion du fleuve cette échelle
autorisée devrait s’appliquer ? Doit-elle s’appliquer à l’intégralité du cours inférieur du San Juan,
soit 24 kilomètres ? Dans l’affirmative, cela concerne-t-il les deux saisons, la saison sèche et la
saison des pluies ? En outre, pour préserver la navigabilité de ce chenal, notamment pendant la
saison sèche, je suppose que vous avez calculé le débit dans la zone du point Delta je veux
parler du point de bifurcation où le San Juan donne naissance au Colorado. Avez-vous effectué ce
calcul ? Je vous remercie.
M. KONDOLF : Merci. Je vais essayer de répondre, peut-être en commençant par la fin
pour rebondir sur la répartition des eaux. Sur ce point, je n’ai pas fait mes propres calculs, ni
évalué les effets éventuels du dragage, puisque M. van Rhee est expert en la matière et qu’il avait
déjà fourni une estimation, tout comme M. Thorne ; je ne voyais donc pas l’intérêt de faire à mon
tour les calculs. Je ne suis pas en désaccord avec leurs estimations ; elles semblent relativement
raisonnables. Je connais d’une manière générale les méthodes qu’ils ont utilisées et leurs résultats
semblent raisonnables.
Vous m’avez également interrogé sur les dimensions du chenal de navigation. Pour être
parfaitement clair, cela signifie, selon moi, que ce chenal ferait 2 mètres de profondeur, mesurerait
20 mètres de large au fond et, en remontant, s’élargirait pour atteindre environ 30 mètres. C’est
donc un trapèze qui serait creusé dans le lit peu profond d’avant-dragage. J’ai regardé certains des - 45 -
documents relatifs au dragage, mais je ne sais plus très bien si ces dimensions sont censées être
appliquées à l’intégralité du cours inférieur du San Juan. Je suppose que, pour que la navigation
soit continue, tel devrait être le cas, mais il faudrait que je consulte les rapports pour en être certain.
Par ailleurs, une de vos questions portait sur les bénéfices du dragage, et vous m’avez
demandé si, selon moi, les opérations de dragage devraient se poursuivre. En raison de la très forte
sédimentation dans le delta, comme cela a déjà été évoqué par MM. Thorne et van Rhee, le
San Juan inférieur a tendance à s’engorger et ses eaux, à se déverser de plus en plus dans le
Colorado. Ainsi, afin de préserver la répartition actuelle des eaux ou, à tout le moins, de ralentir
51 la perte de débit du cours inférieur du San Juan , le dragage me semble effectivement constituer
une activité de gestion ou une solution raisonnable.
Vous m’avez aussi demandé, me semble-t-il, si je pensais que le dragage devait se
poursuivre avec la même ampleur. Là non plus, cela ne relève pas vraiment de mes compétences
mais je dirais simplement d’une manière générale que l’entretien d’un chenal plus grand l’idée
n’est pas d’extraire des sédiments de toute la coupe transversale mais uniquement d’en excaver une
partie, en général vers le centre, ce qui est censé accroître le volume d’eau descendant le cours
d’eau ― pourrait contribuer à préserver la navigabilité du fleuve et à irriguer les zones humides en
aval.
La juge XUE : Je vous remercie, Monsieur. En fait, je souhaite savoir si l’entretien du
chenal de navigation, notamment à l’extrémité du cours inférieur du San Juan pour un chenal de
deux mètres de profondeur , aurait le moindre effet sur la région du delta ? Il faut vraiment
augmenter le débit pour y parvenir, surtout pendant la saison sèche. Je n’ai pas pu trouver la
réponse dans le rapport d’expert. A l’annexe 114 du contre-mémoire du Nicaragua, j’ai vu qu’il
était bien question du lit du chenal, et M. van Rhee vient de l’expliquer assez clairement
autrement dit, quand vous dites deux mètres, faites-vous référence au chenal de navigation ? Ou
à la distance entre la surface et le fond du chenal ? Cela a en effet une incidence sur le débit. Le
fleuve appartenant au Nicaragua, le Costa Rica n’est pas en mesure de me fournir les données
précises. Je me demande donc si, au stade de la conception, vous avez calculé l’incidence sur le
débit sous cet angle ? Je vous remercie. - 46 -
M. KONDOLF : Pardonnez-moi, j’avais mal compris votre question. Je rappelle une
nouvelle fois que ce n’est pas moi qui ai réalisé ces travaux, je crois que c’est M. van Rhee qui a
estimé que, si ce chenal était excavé, la profondeur mentionnée serait celle entre la surface et le
fond du chenal en saison sèche, à moins qu’il ne soit précisé que cette profondeur ne sera atteinte
que pendant la saison des pluies. Et effectivement, surtout si le chenal devait être excavé du point
Delta jusqu’à l’embouchure du fleuve, l’eau coulerait nettement mieux et… Cela répond-il
toujours à votre question ?
La juge XUE : Je vous remercie. Vous avez été très clair.
52 M. KONDOLF : Merci.
La juge XUE : Merci à vous.
The PRESIDENT: Thank you, Professor. The last question because I think it will be the
last will be put to you by Judge Robinson, who has the floor.
Le juge ROBINSON : Monsieur, j’aimerais que vous vous reportiez au paragraphe 19 de
votre exposé, dans lequel vous dites que la surface de l’eau du fleuve est plus élevée que celle de la
lagune et qu’il existe une pente entre le fleuve et la lagune. Il serait donc probable qu’il existe un
défluent entre le fleuve et la lagune. Cette différence de niveau est-elle clairement visible à l’heure
actuelle ? Si l’on observe la zone située entre le fleuve et la lagune, peut-on la voir ? C’est ma
première question. Par ailleurs, j’imagine que toutes les pentes ne favorisent pas l’écoulement des
eaux. Y a-t-il une taille ou une inclinaison minimale nécessaire pour faciliter l’écoulement ?
Enfin, selon vous, l’inclinaison actuelle existait-elle il y a cent cinquante ans ?
M. KONDOLF : Je me rends compte que mon texte n’était peut-être pas assez clair. A la
phrase précédente, je faisais référence au fleuve San Juan qui, en période de hautes eaux, déverse
son trop-plein dans les défluents menant à la lagune de Harbor Head et, à la phrase suivante, je
mentionnais la différence de niveau entre le fleuve et la lagune. Je parlais de l’inclinaison qui se
crée lorsque le fleuve principal est crue ― pendant ces périodes, l’eau peut considérablement
monter et le niveau du fleuve, dépasser assez nettement celui de la lagune de Harbor Head et de - 47 -
l’océan. C’est donc cette inclinaison qui, en période de crue, conduit les eaux du fleuve vers la
lagune de Harbor Head et, d’une manière générale, dans divers défluents. Cela répond-il à votre
question ?
Le juge ROBINSON : J’aurais également voulu savoir si vous pensiez que cette inclinaison
aurait pu exister, dans les mêmes proportions, il y a cent cinquante ans.
M. KONDOLF : Je répondrais par l’affirmative car, pour tel niveau de crue, ou pour tel
niveau des eaux en période de crue dans le chenal principal, on retrouverait une inclinaison
similaire entre le fleuve et la lagune. En général, les eaux empruntent les formations les plus
53 basses du relief chenaux ou dépressions , qui tendent à en concentrer l’écoulement pour le
diriger vers la lagune de Harbor Head ou d’autres endroits. Pendant ces crues, le fleuve ne déborde
pas uniquement dans la lagune, mais dans l’ensemble du delta. Il n’y a donc aucune raison de
penser que les choses aient pu être très différentes autrefois.
Le juge ROBINSON : Je vous remercie.
The PRESIDENT: Thank you, Mr. Kondolf. Your testimony is now complete. We would
like to thank you for agreeing to appear before the Court. You may now leave the rostrum,
Professor.
M. KONDOLF : Merci de m’avoir donné l’occasion de m’adresser à la Cour.
Le PRESIDENT: This concludes this morning’s hearing. The Court will meet again this
afternoon at 3 p.m. Thank you. This hearing is adjourned.
The Court rose at 12.25 p.m.
___________
Traduction