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CR 2015/16

Jeudi 30 avril 2015 à 10 heures

Thursday 30 April 2015 at 10 a.m. - 2 -

10 The PRESIDENT: Please be seated. The sitting is open. The Court meets today to hear

Nicaragua’s second round of oral argument in the case concerning Construction of a Road in

Costa Rica along the San Juan River (Nicaragua v. Costa Rica). I now give the floor to the Agent

of Nicaragua, His Excellency Mr. Argüello Gómez.

Mr. ARGÜELLO: Thank you, Mr. President.

1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, bonjour. Le premier tour de

plaidoiries portait surtout sur les dommages spécifiques que la route a déjà causés à

l’environnement et, en particulier, au fleuve San Juan. Il s’agit d’une partie importante de l’affaire

car le Nicaragua demande une indemnisation à raison de tous les dommages subis, y compris des

dépenses occasionnées par les travaux supplémentaires de dragage rendus nécessaires par les

dépôts de sédiments que la construction de la route a générés et génère encore, du fait de l’état

déplorable dans lequel celle-ci a été laissée.

2. Le Nicaragua a demandé que l’étendue de ces dommages et dépenses soit déterminée dans

une phase ultérieure de l’affaire. A ce stade, l’important est que le Costa Rica ait reconnu qu’il a

causé des dommages au territoire nicaraguayen en déposant, d’après ses propres estimations,

300 000 tonnes de sédiments dans le fleuve depuis le début des travaux de construction de la route.

Ce qu’il conteste, en revanche, c’est l’importance de ces dommages. M. Reichler vous a démontré

la semaine dernière qu’il s’agit bel et bien de dommages importants, et il vous montrera

aujourd’hui que le Costa Rica n’a pas réussi à établir le contraire.

3. Le Nicaragua est préoccupé non seulement par les dommages déjà causés jusqu’à

aujourd’hui, mais également par ceux, encore plus importants, qui risquent de l’être à l’avenir. Le

Costa Rica n’a fait absolument aucun cas de son obligation internationale de s’abstenir d’entamer

les travaux de construction de la route en 2011 sans en avoir au préalable évalué l’impact

transfrontière sur l’environnement. Comme vous l’ont dit ses conseils la semaine dernière — point

sur lequel M. Reichler reviendra plus en détail —, le Costa Rica entend à présent et ce, de manière

imminente, détruire une grande partie de la route existante afin de construire ce qui n’est rien

d’autre qu’une route presque entièrement nouvelle, au risque de causer des dommages encore plus - 3 -

grands au fleuve San Juan, encore une fois sans aucune intention de respecter l’obligation qui lui

incombe d’établir préalablement une évaluation de l’impact transfrontière sur l’environnement.

4. Certains types de travaux sont considérés comme présentant un risque intrinsèque de

dommages importants. C’est le cas des travaux de construction routière. Même si la route n’était

pas passée tout près de la frontière fluviale mais seulement à proximité de la frontière terrestre avec

11 le Nicaragua, une évaluation de l’impact sur l’environnement aurait été requise, en dépit de

l’absence de sédiments. La raison en est simple. Les routes entraînent inévitablement dans

l’utilisation du territoire des changements qui ont des répercussions graves sur l’environnement,

ainsi que des conséquences sur le plan politique et en matière de sécurité. Si la route est située à

quelques mètres d’un autre Etat, l’impact est encore plus important. En l’espèce, la construction

d’un ouvrage de grande envergure à proximité d’un fleuve menacé et au milieu de réserves

naturelles et de zones humides ne faisait que rendre la nécessité d’une évaluation de l’impact sur

l’environnement plus impérative et son absence, plus irresponsable.

5. M. McCaffrey reviendra de manière plus approfondie sur les effets probables et aspects

que l’évaluation de l’impact sur l’environnement aurait dû prévoir au préalable. Voici certains

effets évidents à prendre en compte lors d’une telle évaluation :

 les effets sur la navigation, l’accumulation de sédiments sur les seuils rendant le cours inférieur

du San Juan impraticable ;

 les effets sur la faune, la flore, l’air, l’eau, le sol, le climat, le paysage et la population,

notamment ;

 les effets que pourrait causer l’exploitation future de la route (type et importance du trafic,
1
pollution de l’air, poussière, etc.) ;

 l’ouverture, par la route, d’un accès à des territoires sur lesquels pourraient notamment être

construites des installations, tant officielles ou planifiées (par exemple des hôtels ou des

complexes touristiques) qu’informelles, non planifiées ou illégales, et les impacts (indirects)

que celles-ci pourraient avoir.

1 L’usage qui est fait de la route revêt une importance particulière compte tenu du fait que le Costa Rica est le
plus grand utilisateur de pesticides dans le monde ; voir le paragraphe 32 de la requête du Nicaragua. - 4 -

6. Le droit international général et de nombreuses législations nationales exigent

l’établissement d’une évaluation de l’impact sur l’environnement pour certains types de

constructions qui sont intrinsèquement susceptibles ou risquent de causer des dommages

importants à l’environnement.

7. Le droit interne du Costa Rica impose une évaluation de l’impact sur l’environnement

2
pour la construction de routes nationales de plus de cinq kilomètres de long .

8. La Cour centraméricaine de Justice, la plus haute autorité judiciaire de la région, a pris en

compte dans l’un de ses arrêts l’existence de législations et de réglementations régionales en

12 matière de construction de routes en Amérique centrale. Voici ce qu’elle a dit dans une affaire

introduite à l’encontre du Costa Rica par des organisations non gouvernementales à raison de la

construction d’une route sans étude préalable de l’impact sur l’environnement [projection du
o
document figurant sous l’onglet n 26] :

e
«XXVII considérant : La Cour estime qu’il est de notoriété publique … que le
Gouvernement du Costa Rica a pris des décisions unilatérales, en toute hâte et sans
consultation aucune, eu égard au système d’intégration de l’Amérique centrale, qui
sont contraires aux engagements pris par ledit gouvernement vis-à-vis de son voisin, le

Nicaragua, dans le cadre d’accords bilatéraux. De surcroît, ces informations de
notoriété publique, connues de la majorité des communautés centraméricaine et
internationale, révèlent que le Costa Rica n’a pas mené à bien les études relatives à
l’impact sur l’environnement et aux mesures d’atténuation à mettre en œuvre,

préalables indispensables à la mise en chantier d’un projet d’une telle envergure.»
[Fin de la projection]

9. La Cour centraméricaine a décidé à l’unanimité ce qui suit [projection du document

figurant sous l’onglet n 27] :

«TROISIEMEMENT : En construisant la route en question, le Costa Rica a agi
sans consultation, de manière unilatérale, inappropriée et précipitée, en violation
d’accords internationaux bilatéraux et multilatéraux valablement conclus, qui ne

sauraient être écartés en invoquant le droit interne. QUATRIEMEMENT : Le
Costa Rica a entamé ces travaux sans conduire au préalable les études et analyses

2 «Aux termes du décret costa-ricien relatif à l’évaluation de l’impact sur l’environnement, la mise
en place de cette classification avait pour objet de donner corps au processus de tri préliminaire tel qu’il a
été mis au point dans le monde au cours des dernières décennies et reprend nombre de considérations déjà
décrites. Ainsi, l’échelle d’un projet peut contribuer à établir le niveau d’évaluation de l’impact sur
l’environnement requis : les projets de construction de routes nationales d’une longueur supérieure à
5 kilomètres sont considérés comme relevant de la catégorie A et requièrent une évaluation exhaustive.»
(Note de bas de page omise.)

Voir «Observations sur l’absence d’évaluation de l’impact sur l’environnement préalable à la construction de la
route frontalière longeant le San Juan», William R. Sheate, professeur (Reader) en évaluation de l’environnement au
Centre for Environmental Policy de l’Imperial College de Londres, directeur technique pour le Royaume-Uni au sein de
Collingwood Environmental Planning Ltd., Londres, Royaume-Uni, juillet 2014, p. 12 ; réplique du Nicaragua (RN) dans
l’affaire relative à la Route, vol. II, annexe 5. - 5 -

requises dans le cadre des obligations découlant d’accords régionaux et du droit
international, au mépris de la collaboration, de l’entente mutuelle et de la
communication qui devraient exister entre les Etats parties à l’ensemble de ces

conventions dans les domaines de l’environnement et du développement durable.»
[Fin de la projection]

10. M. McCaffrey expliquera ultérieurement que, dans de nombreuses réglementations

nationales ou régionales et en droit international général, une évaluation de l’impact transfrontière

sur l’environnement est obligatoire lorsque la construction de telles routes est envisagée.

11. M. Kohen s’est fourvoyé lorsqu’il a affirmé que «The risk must be backed up by the

existence of proof.» 3

12. Il ne saurait en être ainsi. Le Nicaragua n’est pas tenu juridiquement de démontrer

l’ampleur du risque ou des dommages associés à la construction pour déclencher l’application des

obligations du Costa Rica en matière d’évaluation de l’impact transfrontière sur l’environnement.

Le Nicaragua ne dispose pas des plans de la route du Costa Rica — si tant est que qui que ce soit

d’autre les ait jamais eus. Seul le Costa Rica possède les plans de la route initiale et de celle dont il

annonce la construction en lieu et place de la première. Seul le Costa Rica est en mesure d’en

évaluer les effets potentiels sur l’environnement, y compris sur le fleuve San Juan. S’il procède à

une évaluation de l’impact sur l’environnement avant d’entamer de nouveaux travaux sur la route,

tient le Nicaragua informé et le consulte, celui-ci coopérera bien évidemment à cette évaluation.

13 C’est tout ce que le Nicaragua peut faire. Le reste est du ressort du Costa Rica, et il appartient à la

Cour de faire en sorte que celui-ci s’acquitte de ses obligations en la matière .4

13. Monsieur le président, cette affaire n’a pas été soumise à la Cour pour détourner son

attention de l’autre affaire dont elle est saisie, contrairement à ce qu’ont affirmé les représentants

du Costa Rica. Il s’agit manifestement d’une affaire dans le cadre de laquelle ont été commises de

graves violations des droits du Nicaragua, dont le territoire, qui a déjà subi des dommages, est

encore menacé.

14. L’un des conseils de la Partie adverse a soutenu qu’une «liste [d’] … études scientifiques

produites par le Costa Rica … qui portent toutes sur la route» (voir onglet n 3 du dossier de

3CR 2015/11, p. 49, par. 32 (Kohen).
4
Voir lettre DVM-AM-286-11 en date du 20 décembre 2011 adressée au ministre des affaires étrangères du
Nicaragua par le ministre des affaires étrangères et des cultes du Costa Rica, mémoire du Costa Rica (MCR) en l’affaire
relative à Certaines activités, vol. III, annexe 74. - 6 -

plaidoiries du 20 avril 2015) tenait lieu d’évaluation de l’impact sur l’environnement. Or ces

études ont été établies entre 2013 et 2015, c’est-à-dire quelques années après le début des travaux.

Elles n’équivalent pas à une évaluation de l’impact sur l’environnement. Elles ne portent pas sur

les mêmes éléments que celle-ci. Elles sont d’ordre rétrospectif alors que l’évaluation de l’impact

sur l’environnement, elle, est d’ordre prospectif et vise à apprécier les effets potentiels d’un projet.

Et elles ne sauraient assurément tenir lieu d’évaluation de l’impact sur l’environnement à l’égard

des nouveaux travaux de construction que le Costa Rica projette d’exécuter. Il n’y a eu aucune

procédure d’évaluation de l’impact sur l’environnement — aucun tri ni cadrage préliminaire,

aucune identification ni évaluation ex ante des répercussions et donc aucune possibilité de tenir

compte des conclusions issues d’une telle procédure lors de la conception et de la planification des

travaux.

15. Si, dans les circonstances de l’espèce, la déclaration d’état d’urgence du Costa Rica peut

prévaloir sur les obligations internationales de celui-ci, alors autant rayer purement et simplement

ces obligations du droit international.

16. Comme je l’ai indiqué précédemment, la Cour centraméricaine de Justice, très bien

placée pour apprécier la situation, a écarté l’argument de l’état d’urgence.

17. J’examinerai brièvement les faits qui ont précédé la prise du décret instituant l’état

d’urgence et sa publication le 7 mars 2011 au Journal officiel du Costa Rica. Ils sont éloquents.

18. Le Nicaragua a commencé le dragage du fleuve San Juan proprement dit le

18 octobre 2010 . Les travaux concrets de dégagement du caño ont débuté en novembre de la

6
même année et ont été entièrement achevés le mois suivant .

14 19. Le 3 novembre 2010, le Costa Rica a porté la situation devant l’Organisation des Etats

américains (OEA) en accusant le Nicaragua d’agression et d’invasion. Dans sa

7
résolution CP/RES 978 en date du 12 novembre 2010 , l’OEA a conclu qu’il s’agissait d’une

question de délimitation qui devait être résolue de bonne foi entre les parties, lesquelles devaient

«[r]eprendre immédiatement les conversations au sujet des aspects liés à la délimitation des

5
Contre-mémoire du Nicaragua (CMN) en l’affaire relative à Certaines activités, p. 94, par. 4.30 et p. 176,
par. 5.84. Voir également MCR, p. 102, par. 3.70.
6 CR 2011/2, p. 44, par. 39 (Reichler). Voir également CMN, p. 48, par. 2.69.

7 Texte disponible à l’adresse suivante : http://www.oas.org/council/resolutions/res978.asp. - 7 -

frontières effectuée à ce jour, conformément aux traités et jugements» en vigueur. L’OEA n’y a vu

aucun état d’urgence.

20. Le 18 novembre 2010, le Costa Rica a introduit devant la Cour l’instance relative à

Certaines activités et prié celle-ci d’indiquer des mesures conservatoires.

21. Le 7 mars 2011, un jour avant que la Cour n’indique de telles mesures, le Costa Rica a

publié son décret instituant l’état d’urgence. La Cour informant les agents des Parties
8
suffisamment à l’avance de la date de la lecture de ses arrêts et ordonnances , le Costa Rica savait

parfaitement qu’elle donnerait lecture de son ordonnance le 8 mars et s’est empressé de publier son

décret un jour avant.

22. M. Brenes a soutenu que l’adoption du décret instituant l’état d’urgence était également

justifiée par certaines déclarations publiques du président Ortega, qui avait menacé d’introduire une

instance devant la Cour concernant la province de Nicoya (Guanacaste). Mis à part le fait que ces

déclarations ont été faites plusieurs mois après la publication du décret et qu’elles pouvaient donc

difficilement justifier son adoption, depuis quand y a-t-il menace à ester devant la Cour ?

23. Une dernière remarque : s’il s’était réellement agi d’une réponse militaire à une

prétendue «invasion» par le Nicaragua, les forces de sécurité du Costa Rica ne seraient pas toujours

en train d’attendre, près de cinq ans après les faits, pour pouvoir utiliser cette route d’«urgence». Si

la construction de la route constituait une véritable urgence, pourquoi le Costa Rica n’a-t-il jamais

affecté les fonds nécessaires à cet effet ? Si une mesure s’impose d’urgence pour protéger la

sécurité nationale, la priorité absolue lui sera accordée sur le plan budgétaire et les fonds requis

seront trouvés  c’est une question de pure logique. Les propres actes du Costa Rica battent en

brèche toute allégation concernant l’existence d’une véritable urgence.

24. Monsieur le président, dès lors qu’il est établi que le Costa Rica n’aurait pas dû entamer

la construction de la route sans procéder préalablement à une évaluation de l’impact transfrontière

15 sur l’environnement, la Cour doit nécessairement dire et juger, comme l’a demandé le Nicaragua,

que le Costa Rica est tenu de s’abstenir de tous nouveaux projets dans la région tant qu’il n’aura

pas dûment procédé à une telle évaluation. Par tous nouveaux projets dans la région, le Nicaragua

8La Cour a informé les Parties de la date de la lecture de l’ordonnance le 18 février 2011 ; lettre n 138066 du
greffier de la Cour en date du 18 février 2011. - 8 -

entend la poursuite de la construction de la route elle-même, la délivrance de permis de construire

des établissements ou des hôtels, par exemple, ainsi que toute autorisation supposant des activités

importantes le long de la route. Cela ne signifie pas que le Costa Rica doive suspendre les travaux

d’atténuation qu’il a déclaré avoir entrepris, fût-ce de manière lente et hésitante, ou dont la

réalisation est prévue, même si, comme M. Thorne l’a indiqué, ces travaux d’atténuation, qui ne

sont qu’un pansement sur la longue plaie béante que le Costa Rica a ouverte près du fleuve, ne

tiendront que peu de temps . 9

25. En conclusion, le Costa Rica a violé le droit international et les droits du Nicaragua en

construisant la route sans une évaluation appropriée de l’impact transfrontière sur l’environnement,

et il a causé des dommages au territoire nicaraguayen. La quantification de ces dommages et leur

indemnisation, telle que demandée par le Nicaragua, feront l’objet d’une phase ultérieure de la

procédure. Une évaluation de l’impact transfrontière sur l’environnement doit être réalisée avant

toute mise en chantier des nouveaux travaux de construction envisagés.

26. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, j’ai essayé de faire porter

cette plaidoirie sur les questions essentielles. Je ne dispose pas d’assez de temps, en ma qualité

d’agent, pour répondre aux exposés  ou plutôt devrais-je dire, vu leur contenu, aux discours

politiques  faits jeudi dernier par MM. Brenes et Kohen.

27. Je me contenterai d’examiner rapidement deux points soulevés par le Costa Rica.

28. Le premier concerne l’aéroport construit pour desservir San Juan de Nicaragua et ses

quelques milliers d’habitants. Cet aéroport a été construit dans la région où était située l’ancienne

ville de Greytown jusqu’à ce qu’elle soit détruite dans les années 1980 par des forces paramilitaires

provenant du Costa Rica. Il n’a donc pas été construit dans une réserve internationale ni dans une

zone humide, mais sur le site d’une ancienne ville. En outre, il a été construit parce que, en dehors

des possibilités limitées qu’offre le fleuve pendant la saison des pluies, cet aéroport constitue le

seul moyen de gagner ou quitter San Juan de Nicaragua.

29. M. Kohen a également fait référence au canal interocéanique en passe d’être construit au
os
Nicaragua. Il a inséré 16 pages de documents à ce sujet sous les onglets n 58 à 60 du dossier de

9CR 2015/12, p. 29 (Thorne). - 9 -

plaidoiries du 23 avril. Permettez-moi de souligner d’emblée que si le canal pose problème au

Costa Rica, ce n’est pas parce que celui-ci craint que des dommages soient causés à

e
16 l’environnement. A l’époque de l’indépendance au début du XIX siècle, et avant que qui que ce

soit ne se préoccupe de l’environnement, le Costa Rica disputait déjà le tracé de ce canal au

Nicaragua, ce qui a été la cause de l’essentiel des difficultés rencontrées dans le cadre de nos

relations bilatérales. En soulevant ce sujet dans le contexte de la présente affaire, le Costa Rica ne

fait que révéler que, fidèle à lui-même, il fera tout son possible pour empêcher la construction de

tout canal au Nicaragua. Mais puisque la question du canal a été soulevée en l’espèce, alors qu’elle

n’y a pas sa place et qu’il n’en est pas question, je me contenterai de faire observer que,

contrairement à ce que le Costa Rica a fait dans le cadre de la construction de sa route, le Nicaragua

a veillé à ce qu’une étude de l’impact sur l’environnement complète soit établie préalablement à la

construction du canal, ce qui est un processus très onéreux. Cette étude est en voie de réalisation

par Environmental Resources Management (ERM), une société internationale très réputée.

Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, ainsi s’achève ma présentation.

Je vous remercie de votre aimable attention. Monsieur le président, je vous prie de bien vouloir

appeler M. Reichler à la barre.

The PRESIDENT: Thank you, Ambassador. I now give the floor to Mr. Reichler.

M. REICHLER : Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, bonjour !

LA ROUTE ET LA NOTION DE DOMMAGES IMPORTANTS OU « SIGNIFICATIFS »

(« SIGNIFICANT »)

1. Je répondrai aux arguments avancés par M. Brenes et Mme Del Mar sur l’état actuel de la

route, après les travaux d’atténuation que le Costa Rica prétend avoir accomplis, et sur ce que

M. Thorne a appelé les travaux permanents , c’est-à-dire de reconstruction, que le Costa Rica

11
envisagerait à présent d’exécuter . Je répondrai ensuite à ce que M. Wordsworth a déclaré quant

10CR 2015/12, p. 27-30 (Thorne).
11
Ibid., p. 30 (Thorne) ; voir également CR 2015/11, p. 28, par. 46 (Brenes) ; p. 31, par. 6 (Del Mar) ; p. 37,
par. 22 (Del Mar). - 10 -

aux dommages importants que les sédiments libérés par cette route, sous l’action de l’érosion, ont

causés au Nicaragua.

2. Monsieur le président, je n’ai pas grand-chose à ajouter au sujet de l’état de la route ou, à

tout le moins, à ce que M. Thorne a déclaré vendredi dernier. Vous n’aurez pas oublié que

12
M. Thorne a confirmé les chiffres contenus dans les deux tableaux préparés par M. Mende, qu’il

13
17 avait lui-même approuvés, à l’issue d’un processus qu’il a qualifié de «négocié» . Ces tableaux

figurent sous les onglets n 3 et 4 du dossier de plaidoiries du 20 avril (audience du matin). Je ne

vous les montrerai pas à nouveau car vous les avez déjà vus. Cela étant, il est utile de garder ces

chiffres à l’esprit, vu en particulier la manière dont le Costa Rica a présenté l’état actuel de la route

au premier tour.

3. Mme Del Mar a, tout au long de sa plaidoirie, tenté de vous démontrer que le Costa Rica

14
avait atténué les problèmes en sept points précis , ceux-là mêmes à l’égard desquels il avait promis

de prendre des mesures en ce sens lors des audiences de novembre 2013 sur les mesures

conservatoires . Pour être honnête, je ne vois pas bien à quoi cette démonstration a servi. J’avais

en effet indiqué au premier tour que, dans l’esprit du Nicaragua, les problèmes rencontrés sur ces

16
sept sites avaient déjà été atténués dans une certaine mesure après novembre 2013 .

4. En fait, le Nicaragua a reconnu au premier tour que le Costa Rica avait même fait

davantage. Nous avons accepté les chiffres donnés dans les deux tableaux de M. Thorne . Selon 17

ces tableaux, au mois de décembre 2014, le Costa Rica avait pris des mesures à l’égard de 28 points

de franchissement de cours d’eau et 11 talus en voie d’effondrement, ce qui représente 39 sites en

tout , et pas uniquement 7. Toutefois, comme nous l’avons souligné , cela ne représente qu’une

12
CR 2015/12, p. 21-26 (Thorne).
13
Ibid., p. 23 (Thorne).
14
CR 2015/11, p. 31-36, par. 7-18 (Del Mar).
15 CR 2013/29, p. 20, par. 24 (Brenes).

16 CR 2015/8, p. 32-33, par. 48 (Reichler).

17 Ibid., p. 29-30, par. 39-40 (Reichler).
18
Andreas Mende, «Second inventaire des pentes et cours d’eau liés à la route frontalière 1856 entre la borne II et
Delta Costa Rica», décembre 2014, duplique du Costa Rica (DCR), vol. II, annexe 3, p. 29-30, tableaux 5 et 7 reproduits
dans le dossier de plaidoiries déposé par le Nicaragua pour le 20 avril 2015 (onglet n 3, p. 6 et onglet n 4, p. 2) ;
Colin Thorne, «Evaluation de l’impact sur le fleuve San Juan de la construction de la route frontalière au Costa Rica :

rapport en réponse», février 2015, DCR, vol. I, appendice A, p. o37-138, tableaux 7.4-7.5 reproduits dans le dossier de
plaidoiries déposé par le Nicaragua pour le 20 avril 2015, onglet n 6. - 11 -

minuscule goutte dans l’océan si l’on songe au nombre total de points de franchissement de cours

d’eau ou de talus effondrés, ou en voie d’effondrement, à l’égard desquels aucune mesure

d’atténuation n’a encore été prise.

5. Vendredi dernier, M. Thorne a confirmé les chiffres contenus dans ses deux tableaux. Il

subsiste à l’heure actuelle 54 points de franchissement de cours d’eau qui doivent faire l’objet de

20
travaux d’atténuation, des travaux qui n’ont même pas encore été entrepris pour 31 d’entre eux .

M. Thorne n’a pas été en mesure de nous dire quand les travaux d’atténuation débuteraient sur ces

sites, ni quand ils prendraient fin. Il ne savait pas non plus quand ces travaux seraient achevés sur

18 les 23 sites où ils étaient toujours en cours . En ce qui concerne les talus effondrés ou en voie

d’effondrement, M. Thorne a confirmé que 165 devaient toujours faire l’objet de travaux

d’atténuation, lesquels n’avaient même pas encore débuté pour 58 de ces talus. Il n’a pas été en

mesure de nous donner la date de lancement des travaux pour ces 58 talus, ou de nous dire quand

les travaux prendraient fin pour l’un quelconque des 165 talus effondrés ou en voie

22
d’effondrement .

6. Or nous en sommes d’autant plus étonnés, Monsieur le président, que M. Thorne nous a

déclaré en toute franchise ce qui suit : «Les talus sont le cœur du problème. Ils sont la source de

75 % des sédiments, selon l’étude de M. Kondolf. Il est tout à fait normal de mettre d’abord

l’accent sur les talus» .3

7. Nous sommes encore plus déconcertés par ce que M. Thorne nous a dit au sujet des

travaux d’atténuation accomplis jusqu’ici par le Costa Rica, notamment sur les sept sites

mentionnés par Mme Del Mar ― je le cite : «ce sont des travaux temporaires qui atténuent, mais ne

solutionnent pas de façon permanente les problèmes d’érosion, et ces problèmes ne seront pas

19
CR 2015/8, 20 avril 2015, p. 29, par. 39 (Reichler) ; voir également p. 18, par. 7 ; p. 22, par. 17 ; p. 26, par. 28 ;
p. 28, par. 36 ; p. 32, par. 47 (Reichler).
20CR 2015/12, p. 22-23 (Reichler et Thorne).

21Ibid..
22
Ibid., p. 23-25 (Reichler et Thorne).
23Ibid., p. 24 (Thorne). - 12 -

définitivement réglés tant que ne seront pas menées à bonne fin la conception, la planification et la

24
construction de la route» .

8. Voici, selon M. Thorne, la différence entre les travaux temporaires que le Costa Rica

prétend avoir accomplis sur certains sites et les travaux permanents qui sont nécessaires, mais qu’il

n’a même pas encore cherché à mettre en chantier :

«Si on prend l’exemple des talus de remblai, dont les matériaux ont été déversés
sur l’accotement de la route sans être compactés, une solution temporaire peut
consister à les recouvrir de tapis de fibre de coco et à les protéger ainsi de l’impact de

la pluie et du ruissellement. La solution permanente pourrait être d’enlever ces
matériaux parce qu’ils n’ont pas été convenablement compactés … et disposés en
couches superposées dans l’ordre voulu, et la seule chose que l’on peut faire avec ces
talus de remblai est de les enlever et de repartir de là. Voilà donc la différence entre

protéger un talus de remblai pendant un an ou deux pour atténuer le problème et
appliquer une véritable solution au site considéré ; il peut ne pas être possible de
stabiliser un talus de remblai à certains endroits. In extremis, la solution permanente

peut être de modifier le tracé de la route et, encore une fois, M. Weaver  je n’ai pas
beaucoup à redire à ses recommandations ; il sait de quoi il parle.» 25

9. La Cour n’aura pas oublié que M. Weaver est l’expert du Nicaragua en matière de routes

qui s’est présenté devant elle le lundi 20 avril, mais que le Costa Rica a décidé de ne pas soumettre

à un contre-interrogatoire. Mme Del Mar a tenté de justifier cette décision de manière assez peu

convaincante en déclarant que les «mesures [recommandées par M. Weaver] ne f[aisaient] pas

19 partie de l’équation. L’argumentation du Costa Rica n’en dépend pas» . Elle a ensuite consacré le

reste de son exposé, soit quelque 21 paragraphes, à présenter les travaux d’atténuation avec force
27
détails , le Costa Rica ayant également, pour illustrer les travaux qu’il prétend avoir exécutés ici

ou là, assorti son dossier de plaidoiries d’un volume spécial dans lequel figurent 47 photographies

qui semblent tout droit sorties d’un catalogue touristique.

10. Tout cela est bien beau, mais ce que nous ne pouvons admettre, c’est l’accusation

infondée et injuste selon laquelle mon confère M. Pellet, ou moi-même, aurions montré mardi

dernier certaines photographies qui seraient «de nature à induire en erreur» . Mme Del Mar nous

24
CR 2015/12, p. 27-28 (Thorne), confirmant une déclaration formulée au paragraphe 11.19 de son rapport de
novembre 2013 (CMCR, vol. I, app. A).
25
Ibid., p. 29 (Thorne).
26CR 2015/11, p. 29, par. 1 (Del Mar).
27
Ibid., p. 29-37 (Del Mar).
28
Ibid., p. 36, par. 20 (Del Mar). - 13 -

a, de façon quelque peu désobligeante, accusés de projeter d’anciennes photographies de divers
29
sites en cherchant à donner l’impression à la Cour qu’elles étaient récentes .

Monsieur le président, le Nicaragua a versé au dossier de ce jour, sous l’onglet n 28, la carte qu’il

a soumise à la Cour le 10 avril, à la demande de celle-ci. Point n’est besoin de la projeter ici à

l’écran. Elle figure dans votre dossier afin que vous puissiez voir, à votre convenance, que les

photographies produites par le Nicaragua avec sa carte sont dûment datées. Après avoir entendu le

conseil du Costa Rica, j’ai vérifié les photographies que j’avais projetées le 20 avril, au cours de

mon exposé sur la route. Toutes étaient dûment datées. Je n’ai montré aucune photographie de la

route le 21 avril, mais M. Pellet en a projeté certaines, en précisant où chacune se trouvait dans le

dossier. Il n’a pas déclaré quoi que ce soit concernant leur date, ni laissé entendre qu’elles étaient

les plus récentes. Il voulait simplement démontrer à quel point la route avait été mal construite dès

le départ aux endroits photographiés. Ce que ses photographies faisaient parfaitement apparaître.

Il n’a pas dit ni laissé entendre qu’aucune opération d’atténuation n’avait été tentée par la suite. La

raison en est que, comme M. Thorne l’a souligné, les travaux d’atténuation effectivement réalisés à

certains endroits constituaient, au mieux, une solution provisoire.

11. En ce qui concerne l’efficacité des mesures d’atténuation prises par le Costa Rica, voici

le bilan qu’a dressé M. Weaver dans son exposé écrit, sur la base des observations qu’il avait pu

faire très récemment. Vous constaterez que la situation diffère quelque peu du tableau brossé par le

conseil du Costa Rica :

«Quatre ans après la construction de la route, aucune atténuation générale et
effective n’était apparente. Nous n’avons observé, en février-mars 2015, aucune

indication de travaux de terrassement en cours ou récents. La majorité des passages
de cours d’eau, ainsi que des talus de déblai et des talus de remblai demeurent
instables, présentent des signes d’érosion visibles et importants, et n’ont pas fait
20 l’objet de mesures adéquates de traitement, ou de mesures de traitement complètes,
aux fins de stabiliser et contrôler l’érosion. L’absence de progrès est frappante, et la
30
quantité de travail restant à accomplir ne l’est pas moins.»

12. Pour remédier aux problèmes liés à la route, M. Weaver a formulé certaines

recommandations spécifiques que M. Thorne a faites siennes car, a-t-il déclaré vendredi,

29
CR 2015/11, p. 31-35, par. 8-11 et 14-16 (Del Mar) ; voir également p. 20-21, par. 22 (Brenes).
30Exposé écrit de M. Weaver, mars 2015, p. 19, par. 50. - 14 -

31
M. Weaver «sait de quoi il parle» . [Projection] Les recommandations de M. Weaver sont

énoncées aux alinéas a) à e) du paragraphe 53 de son exposé écrit et se trouvent sous l’onglet n 29 o

du dossier d’aujourd’hui (les voici à l’écran), ce qui permettra à la Cour de les examiner à sa

32
guise . La première de ces recommandations se lit comme suit :

«A. Evaluation du déplacement de tronçons de la route construits sur des

terrains escarpés, instables et sujets à érosion, et à proximité immédiate du
Río San Juan, vers un tracé plus éloigné de la rive et plus stable, conformément aux

recommandations de notre rapport de 2014, du [diagnostic de l’impact33ur
l’environnement] de 2013 et du document de suivi de 2015.»

Il convient de relever que le diagnostic de 2013 et le rapport de suivi de 2015 recommandant le

déplacement de la route vers un endroit plus stable et plus éloigné de la rive sont deux documents

qui émanent du Costa Rica lui-même . [Fin de la projection]

13. Vendredi dernier, j’ai interrogé M. Thorne sur les mesures que le Costa Rica devrait

o
prendre au sujet de la route (voir onglet n 30 de votre dossier). [Projection] Voici ma question et

la réponse de M. Thorne :

«M. REICHLER … ce que vous recommandez au Costa Rica de faire, ce n’est
pas seulement d’atténuer le problème, mais de réaliser les travaux nécessaires pour

résoudre de façon permanente les problèmes qui se posent sur ces sites.

M. THORNE : Oui, la route 1856 devrait être mise aux mêmes normes que
toutes les autres routes comparables du Costa Rica, dont un grand nombre sont
construites selon des normes extrêmement rigoureuses, et celle-ci ne devrait pas faire
35
exception ; cependant, ce n’est pas de cette manière qu’elle a été construite.»

14. M. Thorne a donc répondu à une question importante que le juge Bhandari a posée aux

deux Parties vendredi ; il s’agit de la deuxième question du juge Bhandari, qui était la suivante :

«Quel poids la Cour devrait-elle accorder aux critères ou «meilleures pratiques» adoptés dans des

36
pays très développés lorsqu’elle examinera la construction de la route par le Costa Rica ?» A

cette question, le Nicaragua répond que le Costa Rica ne doit pas être tenu de construire une route

31
CR 2015/12, p. 29 (Thorne).
32 o
Voir exposé écrit de M. Weaver, mars 2015, p. 20, par. 53 ; voir également dossier de plaidoiries, onglet n 29.
33Ibid.

34 Costa Rica, centre de sciences tropicales (Centro científico tropical, CCT), diagnostic de l’impact sur
l’environnement, route 1856  Volet écologique du projet, novembre 2013, p. 13 et 147, CMCR, vol. II, annexe 10 ;
CCT, «Rapport de suivi et de contrôle, diagnostic de l’impact sur l’environnement, route 1856 — volet écologique»,

janvier 2015, p. 10 et 57, DCR, vol. III, annexe 14.
35CR 2015/12, p. 30 (Thorne).

36CR 2015/13, p. 55 (Bhandari). - 15 -

en respectant les normes pouvant s’appliquer aux Etats-Unis, au sein de l’Union européenne ou

21 dans des pays plus développés que lui sur le plan économique. Il doit en revanche être tenu de

respecter ses propres normes, que M. Thorne a lui-même qualifiées d’«extrêmement rigoureuses»

avant d’ajouter ceci : «[la route] ne devrait pas faire exception ; cependant, ce n’est pas de cette

manière qu’elle a été construite» . [Fin de la projection]

15. Monsieur le président, le Costa Rica nous a dit que les travaux permanents recommandés

par MM. Thorne et Weaver seraient exécutés. Mme Del Mar nous a assuré que les nouveaux

travaux de construction débuteraient dès que le CONAVI aurait reçu et approuvé les plans de

38
conception . En d’autres termes, Monsieur le président, le Costa Rica est sur le point

d’entreprendre le long du San Juan de nouveaux travaux de construction qui sont sans commune

mesure avec tous ceux réalisés jusqu’à présent. Il s’agit de deux projets énormes dont chacun

nécessitera le terrassement d’une quantité considérable de terrain tout près du fleuve, notamment

sur plus de cent pentes escarpées dont l’érosion entraîne déjà le dépôt de sédiments dans le

San Juan. Tout d’abord, il est prévu de raser l’ensemble des talus de délai et de remblai instables

qui ont déjà été créés, ce qui, du fait du déplacement ou de l’extraction d’une telle quantité de terre,

risque de provoquer le déversement de milliers de tonnes de sédiments dans le fleuve ; ensuite, il

est prévu de construire ce qui, de fait, constitue une route tout nouvelle dans la même zone, en

brassant là encore suffisamment de terre pour causer des dépôts encore plus importants de

sédiments dans le fleuve, quand bien même cette nouvelle route serait mieux construite cette

fois-ci.

16. Un tel projet, une opération de démolition et de construction d’une telle envergure,

requiert de manière criante la réalisation d’une évaluation de l’impact sur l’environnement avant

toute mise en chantier, tant qu’il est encore temps d’influer sur les décisions prises en matière de

conception et de construction ; tel est l’objet même d’une évaluation de l’impact sur

39
l’environnement . Les travaux accomplis jusqu’ici ont déjà causé des dommages importants au

Nicaragua, comme je l’exposerai dans un instant. Il est indéniable que les nouveaux travaux qui,

37
CR 2015/12, p. 30 (Thorne).
38CR 2015/11, p. 37, par. 22 («La construction de la route reprendra dès que les plans seront prêts.») (Del Mar.)
39
Exposé écrit de M. Sheate, mars 2015, par. 3 et 22. - 16 -

selon les conseils du Costa Rica, seront mis en chantier dès que les plans de conception auront reçu

40
le feu vert du CONAVI risquent grandement de causer des dommages bien plus importants au

Nicaragua dans un avenir proche. Il n’existe tout simplement aucun argument légitime qui autorise

le Costa Rica à se soustraire à son obligation internationale de réaliser une évaluation de l’impact

sur l’environnement avant d’entreprendre un projet d’une telle ampleur.

17. Monsieur le président, ainsi que M. McCaffrey l’exposera plus avant, le Costa Rica est
22

tenu de réaliser une évaluation en bonne et due forme de l’impact sur l’environnement ― une

évaluation qui contienne notamment une analyse des effets transfrontières sur le fleuve San Juan et

le territoire du Nicaragua ― avant d’entreprendre les travaux permanents dont il a déclaré préparer

l’exécution. L’agent du Nicaragua me charge de vous dire que, si le Costa Rica réalise cette

évaluation, que ce soit de son plein gré ou sur ordre de la Cour, le Nicaragua coopérera par tous les

moyens possibles à l’évaluation des répercussions de ces travaux sur le fleuve. Cela dit, le

Costa Rica semble manquer quelque peu de motivation et devoir être rappelé par la Cour à son

obligation d’évaluation. En effet, comment expliquer autrement que les plans de conception soient

déjà quasiment prêts, et que la construction doive débuter dès leur approbation, sans qu’il ait été

songé ne fût-ce qu’un instant, avant d’arrêter de manière irrévocable les plans de conception et de

construction, à effectuer une évaluation des effets transfrontières sur l’environnement ? Les

éléments de preuve donnent à penser que, sauf ordre de la Cour, le Costa Rica n’a nullement

l’intention de satisfaire à ses obligations internationales en matière d’évaluation.

18. J’en viens maintenant aux dommages importants que la construction de la route par le

Costa Rica a d’ores et déjà causés au fleuve. En premier lieu, Monsieur le président, j’exposerai

que les conseils du Costa Rica ont eux-mêmes démontré le bien-fondé de notre argumentation à cet

égard. Premièrement, mes chers amis MM. Kohen et Wordsworth  qui sont par ailleurs bons

amis l’un de l’autre  ont tous deux eu l’obligeance d’expliquer à la Cour quel était le critère

juridique à retenir pour démontrer l’existence d’un dommage transfrontière important ou

«significatif» («significant») causé à l’environnement, invoquant l’un et l’autre la définition fournie

40CR 2015/11, p. 31, par. 6 et p. 37, par. 22 (Del Mar). - 17 -

41
par la CDI . Le Nicaragua est heureux de pouvoir confirmer que tel est bien le critère juridique

qui s’applique s’agissant de ses allégations de dommage environnemental.

19. [Projection] Examinons cette définition. En voici le texte  qui figure également sous

l’onglet n 31 , exactement tel que M. Kohen nous l’a projeté. Il convient d’en faire une lecture

attentive : «Le terme significatif [«significant»] n’est pas sans ambiguïté et il faut se prononcer

dans chaque cas d’espèce. Il implique davantage des considérations d’ordre factuel qu’une

décision juridique.» Il n’y a aucun désaccord sur ce point. La phrase suivante, en revanche,

semble poser problème au Costa Rica. M. Wordsworth l’a tout simplement omise, et fait comme si

elle n’existait pas, passant directement à la phrase suivante. Il m’incombe donc d’en faire la lecture

aujourd’hui : «Il doit être entendu que significatif [«significant»] est plus que détectable, mais sans

nécessairement atteindre le niveau de grave ou substantiel.» Ces précisions sont, me semble-t-il,

importantes, et ne devraient pas être passées sous silence, comme elles le sont dans les plaidoiries

du Costa Rica. La CDI poursuit ainsi : «Le dommage doit se solder par un effet préjudiciable réel

23 sur des choses telles que la santé de l’homme, l’industrie, les biens, l’environnement ou

l’agriculture dans d’autres Etats.» La navigation relève sans aucun doute d’au moins une de ces

catégories, et le Costa Rica ne semble pas prétendre le contraire. Enfin, «[c]es effets préjudiciables

doivent pouvoir être mesurés à l’aide de critères factuels et objectifs». [Fin de la projection] Fin

de citation, fin de la définition.

20. Monsieur le président, mes collègues de la Partie adverse nous ont non seulement fourni

le critère juridique applicable, mais ils ont aussi démontré qu’en la présente espèce, il y est

satisfait !

21. Ils admettent  et M. Thorne confirme  que des milliers de tonnes de sédiments

libérés par la construction de la route sont transportés jusqu’au point de bifurcation et dans le cours

inférieur du fleuve San Juan, où, par alluvionnement ou accumulation, en particulier au niveau des

seuils, ils viennent élargir ces derniers et les autres formations qui entravent la navigation, ajoutant

41CR 2015/11, p. 46-47, par. 27 (Kohen) et CR 2015/13, p. 13, par. 14 (Wordsworth), renvoyant au projet
d’articles de la CDI sur la prévention des dommages transfrontières résultant d’activités dangereuses, commentaire de
l’article 2, par. 4, Annuaire de la Commission du droit international, 2001, vol. II 2), p. 152. - 18 -

42
ainsi aux volumes de sédiments que le Nicaragua est contraint de draguer depuis quatre ans . Nos

contradicteurs affirment qu’il s’agit d’un apport très limité, mais surtout, ils mesurent cet

apport  et font là leur aveu le plus important ! Voici les chiffres que M. Wordsworth vous a

présentés :

3
«En 2012, le Nicaragua a dragué 176 918,90 m , dont 2,57 % seraient des
sédiments venant de la route. En 2013, cette quantité était beaucoup plus importante,
3
304 490,84 m , donc un pourcentage de 1,49 %. En 4314, les quantités draguées ont
diminué, et le pourcentage passe à 2,88 %.»

22. Je passe, pour l’instant, sur le fait que M. Wordsworth a remplacé mon estimation de

22 000 tonnes de sédiments dues à la construction de la route qui s’accumulent dans le

San Juan inférieur chaque année, par le chiffre de 7600 tonnes seulement. Non pas que cet élément

soit sans importance, mais le point essentiel est le suivant : il nous a fourni des estimations,

c’est-à-dire des mesures, du volume de sédiments dû à la route qui s’ajoute aux quantités déjà

présentes dans le San Juan inférieur, que le Nicaragua s’emploie à draguer. Le critère juridique

applicable est donc rempli : les effets préjudiciables de la construction de la route, qui prennent la

forme d’apports supplémentaires de sédiments dans le San Juan inférieur devant être dragués par le

Nicaragua, peuvent être mesurés ! Et c’est le Costa Rica lui-même qui l’affirme. En réalité, il

n’est pas forcément nécessaire de procéder à des mesures concrètes ou précises pour satisfaire au

critère énoncé par la CDI. Pour être considéré comme important ou «significatif» («significant»),

le dommage doit seulement «pouvoir être mesur[é]». Les conseils du Costa Rica ont confirmé que

tel était bien le cas.

24 23. Selon le Nicaragua, le volume en question est largement plus élevé. Ainsi que je l’ai

44
exposé mardi dernier, si l’on retient le chiffre de 22 000 tonnes par an , au lieu des 7600 estimées

par M. Wordsworth, l’apport de sédiments lié à la construction de la route a un impact plus

45 46
important , représentant 8,5 % des quantités draguées par le Nicaragua en 2014 . Toutefois, du

42 CR 2015/12, p. 42-44 (Reichler & Thorne) ; exposé écrit de M. Thorne en l’affaire relative à la Construction
d’une route, mars 2015, par. 4.6 ; voir également DCR, par. 2.55 ; rapport de l’ICE de 2014, p. 29-31 (DCR, vol. II,
annexe 5).

43 CR 2015/13, p. 22, par. 46 (Wordsworth).
44
CR 2015/10, p. 13, par. 14 (Reichler).
45
CR 2015/13, p. 22, par. 45-46 (Wordsworth).
46 CR 2015/10, p. 13, par. 15 (Reichler). - 19 -

point de vue de la responsabilité internationale du Costa Rica, il importe peu de savoir laquelle des

deux estimations, celle du Nicaragua ou celle du Costa Rica, est exacte. Même si le Costa Rica

parvenait à démontrer que le volume réel de sédiments dû à la construction de la route qui atteint le

fleuve représente la moitié, voire moins de la moitié du chiffre ou des pourcentages que vous ont

présentés ses conseils, cela ne ferait pas la moindre différence. M. Wordsworth soutient que le

Nicaragua «surestim[e] considérablement la quantité de sédiments» qui se déverse dans le fleuve , 47

ce que nous contestons. Mais quand bien même cette affirmation serait exacte, quod non, le

Costa Rica n’en serait pas moins perdant. Ce qui importe, au regard de la définition de la CDI, ce

n’est pas la valeur chiffrée exacte du volume de sédiments, mais la question de savoir si celui-ci

peut être mesuré. Les deux Parties ont démontré qu’en l’espèce, la réponse est oui. Le critère

juridique applicable pour établir l’existence d’un dommage important («significant») — celui

qu’invoque le Costa Rica lui-même  est rempli, que la Cour retienne l’estimation du Nicaragua

ou celle du Costa Rica.

24. Au regard de ce critère, l’impact n’a pas à être considéré comme «grave» ni même

comme «substantiel» par la Cour  des mots essentiels que le Costa Rica tente d’occulter et rend,

ce faisant, d’autant plus importants. En revanche, il doit être «préjudiciabl[e]» et «pouvoir être

mesur[é]». Les éléments de preuve et arguments présentés par le Costa Rica lui-même démontrent

que ces conditions sont remplies. Les Parties parviennent certes à des chiffres différents dans leurs

estimations respectives de l’impact, mais cette différence n’a d’incidence que sur la quantification

des dommages importants subis par le Nicaragua, c’est-à-dire sur la quantification des dommages-

intérêts dont le montant pourra, et devra, être fixé dans le cadre d’une procédure ultérieure

consacrée à l’indemnisation.

25. Le Costa Rica a présenté un certain nombre d’arguments aux fins de démontrer qu’il n’a

pas causé de dommages importants au Nicaragua. Monsieur le président, aucun de ces arguments

ne résiste à l’analyse, même la plus superficielle. Le Costa Rica a tout d’abord contesté la réalité

même de l’impact en arguant que les sédiments libérés par la construction de la route se déposaient

uniformément au fond du San Juan inférieur, de sorte que l’élévation subséquente du lit ne

47CR 2015/13, p. 18, par. 33 (Wordsworth).

48Ibid., p. 13, par. 14 (Wordsworth) ; CR 2015/11, p. 46-47, par. 27 (Kohen). - 20 -

49
25 représenterait, en largeur, que quelques grains de sable . Monsieur le président, comme vous vous

en souviendrez sans doute, c’est l’argument principal qui avait été présenté par le Costa Rica lors

des audiences de novembre 2013 sur les mesures conservatoires . Cet argument a depuis fait long

feu. M. Thorne nous a en effet indiqué, lors de son contre-interrogatoire de vendredi dernier, que

les sédiments ne se répartissaient pas de manière égale sur le lit du fleuve. Il s’est dit en accord

avec l’explication de M. Andrews, selon lequel «[i]ls forment plutôt des [seuils], ce qui entraîne

dans tout le secteur des instabilités et des obstructions à la navigation qui doivent être corrigées au

moyen du dragage» , et a souligné que «[c’étaient] les hauts-fonds, ou seuils, qui caus[aient] des

52
problèmes» dans le San Juan inférieur , décrivant ces formations comme des «centres de dépôt où

s’accumulent les sédiments» . 53

26. Le deuxième argument avancé par le Costa Rica pour contester l’existence de dommages

importants a été invalidé par M. Thorne. Qu’à cela ne tienne, M. Wordsworth l’a avancé une

nouvelle fois la semaine dernière exactement tel qu’il avait été formulé lors des audiences de

novembre 2013 : «[L]es sédiments provenant de la route ne représentent qu’une proportion infime

54
de la charge sédimentaire annuelle totale du fleuve San Juan.» Il a affirmé que cette proportion

était de 0,6 % selon l’estimation costa-ricienne du volume de sédiments dû à la route, et de 1 à 2 %

55
selon celle du Nicaragua .

27. Peut-être bien, mais cela n’a aucune pertinence et n’autorise assurément aucune

conclusion quant aux dommages importants causés par ces sédiments. Nul ne conteste que la

navigation n’est pas gravement entravée sur le fleuve San Juan à proprement parler, en amont du

point Delta. Le «problème», pour reprendre le terme de M. Thorne , concerne le 56

San Juan inférieur, dans lequel l’accumulation des sédiments  notamment ceux libérés par la

49
CMCR, par. 3.76 c).
50CR 2013/29, p. 10 (Ugalde Álvarez) et p. 27 (Wordsworth).

51CR 2015/12, p. 43-44 (Reichler & Thorne) ; voir également CR 2015/9, p. 31-33 (Andrews).
52
Ibid., p. 43 (Thorne).
53
Ibid., p. 44 (Thorne).
54CR 2015/13, p. 22, par. 48 (Wordsworth).

55Ibid.

56CR 2015/12, p. 44 («C’est le San Juan inférieur qui pose un problème, je suis d’accord.») (Thorne). - 21 -

construction de la route  engendre la formation ou l’élargissement de seuils entravant la

navigation .57

28. M. Thorne nous a dit vendredi : «Tout est dans le contexte» . J’ai cru m’entendre

59
parler, ayant moi-même prononcé ces mots au début de la semaine, le 21 avril . M. Thorne nous

26 les a rendus limpides en expliquant que le Colorado recevait au moins quatre fois plus de sédiments

que le San Juan inférieur, mais que la navigation n’y posait pas problème car les sédiments ne s’y

60
accumulaient pas . En revanche, a-t-il ajouté, «bien qu’il reçoive moins de sédiments que le

fleuve Colorado, le … San Juan inférieur … ne supporte pas cette charge sédimentaire» . 61

29. Et la raison à cela, c’est que, ainsi que l’a exposé M. Thorne, le San Juan inférieur est un

«secteur de réponse», notion qu’il a définie en expliquant que «[s]a capacité de transport étant

restreinte, le fleuve n’est pas en mesure de transporter des sédiments supplémentaires, et des

adaptations morphologiques sont susceptibles de se produire en réponse aux changements dans

l’apport de sédiments» . 62 Et ces changements morphologiques causés par des «sédiments

supplémentaires» seraient, selon lui, la formation et l’élargissement de seuils entravant la

63
navigation, notamment au niveau du point Delta et en aval de celui-ci . L’ampleur ne fait pas tout,

le contexte si. M. Thorne a confirmé ce point.

30. J’en viens à ce qui semble être aujourd’hui devenu l’argument principal du Costa Rica

pour contester l’existence de dommages importants : celle-ci ne serait pas établie au motif que le

Nicaragua n’a pas démontré que les sédiments libérés par la construction de la route pénètrent bien

64
dans le fleuve. Cet argument a été longuement exposé par M. Wordsworth . Le Nicaragua aurait

échoué dans sa démonstration, faute d’avoir produit des échantillons montrant que les

57CR 2015/12, p. 44 (Thorne) ; exposé écrit de M. van Rhee, mars 2015, par. 4-6 ; rapport Andrews (2014),
p. 26-29 (RN, vol. II, annexe 3).
58
Ibid., p. 39 (Thorne).
59
CR 2015/10, p. 14, par. 17 ; p. 15, par. 19 ; p. 18, par. 27 ; p. 23, par. 42 (Reichler).
60CR 2015/12, p. 38 (Thorne).

61 Ibid., p. 39 (Thorne) ; rapport Thorne d’octobre 2011 en l’affaire relative à Certaines activités, p. II-27 ;
voir également CR 2015/8, p. 42 (Kondolf).

62Ibid., p. 40-41 (Thorne) ; Thorne, «Evaluation de l’impact sur le fleuve San Juan de la construction de la route
frontalière au Costa Rica», novembre 2013, p. 34, par. 6.12 (CMCR, vol. I, appendice A) ; voir également CR 2015/8,
p. 42 (Kondolf).

63CR 2015/12, p. 43-44 (Thorne).

64Voir, par ex., CR 2015/13, p. 13-17, par. 15-27 (Wordsworth). - 22 -

concentrations en sédiments sont plus élevées en aval de la route. C’est l’argument que

M. Wordsworth ainsi qu’un certain nombre d’autres conseils du Costa Rica n’ont cessé de

ressasser : le Nicaragua n’a pas produit d’échantillons révélant des concentrations en sédiments

plus élevées en aval. Le Costa Rica semble aujourd’hui avoir mis tous ses œufs dans le même

panier ; or, son panier est percé, et tous ses œufs sont tombés à travers ce trou béant.

31. Je m’explique. Les experts des Parties s’accordent sur le fait que de larges quantités de

sédiments libérées par la construction de la route ont été charriées dans le fleuve. M. Wordsworth

a d’une certaine façon évité de le mentionner, mais M. Thorne, l’expert du Costa Rica, a estimé que

27 jusqu’à 75 000 tonnes de sédiments libérées par la construction de la route pénétraient dans le

65
fleuve tous les ans depuis 2011 , ce qui, selon ses calculs, représente aujourd’hui plus de

300 000 tonnes en tout. Vendredi dernier, lors du contre-interrogatoire, M. Thorne a confirmé que

66
la construction de la route était selon lui à l’origine du déversement de sédiments dans le fleuve ,

conclusion à laquelle M. Kondolf est également parvenu ; la seule différence entre eux tient à

67
l’estimation précise du volume . M. Thorne a mentionné le chiffre de 75 000 tonnes chaque

68
année , M. Kondolf avançant quant à lui un volume annuel compris entre 190 000 et

250 000 tonnes . 69

32. Ainsi que l’a déclaré M. Kondolf en réponse aux questions de M. Wordsworth :

«[L]a Cour dispose déjà de données concrètes montrant que des sédiments
provenant des points d’érosion marquée de la route pénètrent dans le
fleuve San Juan… [I]l est très clair que des sédiments sont rejetés dans le fleuve, les

experts du Costa Rica et du Nicaragua en conviennent. Les estimations quant à la
quantité varient, mais il est très clair que des sédiments pénètrent dans le fleuve et
accroissent la charge sédimentaire.» 70

65
Exposé écrit de M. Thorne en l’affaire relative à la Construction d’une route, mars 2015, p. 11, tableau 4.16 et
par. 3.17 ; Thorne, «Evaluation de l’impact sur le fleuve San Juan de la construction de la route frontalière au
Costa Rica : rapport en réponse», février 2015, p. 56, tableau 4.16 (DCR, vol. I, app. A) (ces deux documents font état
d’un apport sédimentaire de 74949 tonnes par an) ; voir également DCR, par. 2.61.
66
CR 2015/12, p. 33-34 (Thorne).
67Ibid.

68Exposé écrit de M. Thorne en l’affaire relative à la Construction d’une route, mars 2015, p. 11, tableau 4.16 et
par. 3.17 ; Thorne, «Evaluation de l’impact sur le fleuve San Juan de la construction de la route frontalière au
Costa Rica : rapport en réponse», février 2015, p. 56, tableau 4.16 (DCR, vol. I, app. A) ; voir également DCR, par. 2.61.

69CR 2015/9, p. 14 (Kondolf) ; voir également exposé écrit de M. Kondolf en l’affaire relative à la Construction
d’une route, mars 2015, p. 7-8, par. 22 et tableau (qui fournit une estimation de l’apport annuel située entre 116 000 et
150 000 m , soit environ 190 000 à 250 000 tonnes de sédiments par an) ; Kondolf, «Erosion et dépôt de sédiments de la
route 1856 dans le fleuve San Juan, juillet 2014, p. 62 (RN, vol. II, annexe 1 (même estimation)).

70CR 2015/8, p. 41 (Kondolf). - 23 -

Ce point a également été souligné par M. Thorne . 71

33. Que nous apprendraient, dans ces circonstances, les échantillons réclamés par

M. Wordsworth ? Rien que nous ne sachions déjà. Ces prélèvements, auxquels le Costa Rica

semble tant tenir, n’apporteraient aucun élément important par rapport à ce qu’ont d’ores et déjà

établi les experts des deux Parties : au moins 75 000  et, probablement, entre 190 000 et

250 000  tonnes de sédiments se déversent chaque année dans le fleuve à cause de la route. Les

prélèvements ont pour objet, comme l’ont martelé les conseils du Costa Rica, de déterminer si des

sédiments pénètrent dans le fleuve du fait de la construction de la route et, si tel est le cas, dans

quelles proportions. Or, nous connaissons déjà la réponse, qui nous a été fournie par les experts

des deux Parties et les méthodes plus directes et plus fiables qu’ils ont utilisées pour mesurer le

volume de sédiments produit par l’érosion de certains sites. Ces experts ont estimé la superficie

couverte par chacun des points d’érosion liés à la construction de la route, et y ont appliqué des

taux d’érosion  les mêmes, dans de nombreux cas  pour déterminer le volume total de

28 sédiments rejetés dans le fleuve par l’ensemble de ces sites en proie à l’érosion. Il s’agit donc ici

d’une mesure directe des dépôts sédimentaires dans le fleuve. Ce que propose le Costa Rica  et

reproche au Nicaragua de ne pas avoir fait , c’est d’appliquer une méthode indirecte et bien

moins fiable pour obtenir ces mêmes données.

34. Permettez-moi d’en donner une illustration. J’espère que vous voudrez bien m’excuser

un instant. [Projection] Pour faciliter les choses, nous avons réalisé un croquis, qui s’affiche

maintenant à l’écran et figure également sous l’onglet n 32 du dossier de plaidoiries. Essayez

d’imaginer que j’aie placé sur ce lutrin devant moi un seau contenant du sable, ainsi qu’un récipient

rempli d’eau, où se trouve déjà une grande quantité de sable. Je souhaite verser dans ce récipient le

sable contenu dans le seau. La manière la plus directe  et la plus sûre  de déterminer la

quantité de sable qui sera versée est de la mesurer directement avant son transvasement. Pour cela,

il suffit de calculer le volume du seau, la fraction de ce seau qui est remplie et de multiplier les

deux. J’obtiens ainsi le volume de sable qui sera versé dans le récipient. Et c’est effectivement

ainsi qu’ont procédé MM. Thorne et Kondolf pour estimer la quantité de sédiments déversée dans

71CR 2015/12, p. 33-34 (Thorne). - 24 -

le fleuve à cause de la route. Ils ont mesuré la superficie de la zone soumise à l’érosion, multiplié

cette superficie par une fraction  le taux d’érosion  et obtenu le volume de sédiments rejeté

dans le fleuve.

35. Or, Monsieur le président, ce n’est pas comme cela que vous devriez procéder, d’après le

Costa Rica. Selon lui, la Cour doit tout d’abord mesurer, à l’échelle microscopique, la

concentration en sédiments ou en sable dans le récipient, puis y verser le contenu du seau et

mesurer à nouveau la concentration en sédiments afin de comparer les deux mesures. Et

qu’obtiendrez-vous ainsi ? Un autre moyen  indirect et moins fiable  de déterminer ce que

MM. Thorne et Kondolf ont déjà mesuré directement : la quantité de sédiments ou de sable qui

pénètre dans le fleuve du fait de la construction de la route. Outre que l’exercice est inutile,

puisque vous disposez déjà des estimations réalisées directement par MM. Thorne et Kondolf, cette

méthode, appliquée à la présente affaire, n’offre aucune fiabilité. [Fin de la projection]

36. M. Thorne a établi quatre rapports concernant la route, dont son exposé écrit du

15 mars 2015, en vue des présentes audiences. Il n’a, dans aucun de ces documents, laissé entendre

qu’il serait nécessaire de procéder à des prélèvements pour déterminer le volume de sédiments dont

la construction de la route a entraîné le dépôt dans le fleuve, voire pour confirmer sa propre

estimation de 75 000 tonnes par an. Voici, au contraire, ce qu’il a écrit dans son rapport de

novembre 2013 : «[I]l est impossible d’utiliser les charges mesurées pour estimer la quantité de

29 sédiments provenant de la construction de la route qui a été ajoutée au fleuve San Juan, en raison

de la très forte variabilité naturelle de ces charges».2

37. Mon ami et collègue M. Wordsworth s’est efforcé d’utiliser les déclarations de
73
M. Kondolf à l’appui de la théorie du prélèvement avancée par le Costa Rica . Pourtant,

M. Kondolf a, à plusieurs reprises, confirmé que la manière la plus fiable de déterminer la quantité

de sédiments rejetée dans le San Juan en raison de la route était d’effectuer des mesures directes,
74
comme il l’avait fait lui-même, de même que M. Thorne . M. Kondolf a souligné à l’audience,

comme M. Thorne dans ses rapports, qu’«il y a[vait] lieu de tenir compte, au moment de les

72
Thorne, «Evaluation de l’impact sur le fleuve San Juan de la construction de la route frontalière au
Costa Rica», novembre 2013, p. 70, par. 8.17 (CMCR, vol. I, app. A).
73CR 2015/13, p. 12, par. 7 b) ; p. 14, par. 17 ; p. 17, par. 26 (Wordsworth).

74CR 2015/9, p. 14-16 (Kondolf). - 25 -

interpréter pour savoir s’il y a[vait] eu un changement, de ce que les données se caractéris[aient]

par une grande variabilité en ce qui concerne les sédiments en suspension…» . 75 Pressé de

s’expliquer par M. Wordsworth, M. Kondolf a précisé comment les prélèvements pouvaient être

effectués. Il n’a toutefois jamais dit, au grand dam du Costa Rica, que le prélèvement

d’échantillons constituait une méthode fiable, ou plus fiable, pour mesurer la quantité de sédiments

qui se dépose dans le fleuve San Juan en raison de la route . De fait, il a dit exactement l’inverse,

ainsi que vous le constaterez en vous reportant aux passages dont les références figurent en notes

de bas de page du présent exposé . 77

38. Monsieur le président, l’argument du Costa Rica relatif aux prélèvements est une

manœuvre de diversion. Il est destiné à détourner l’attention de la Cour des éléments de preuve

incontestables qu’ont fournis à la fois M. Thorne et M. Kondolf et qui démontrent que la

construction de la route a entraîné et continue d’entraîner des déversements massifs de sédiments

dans le fleuve. Ces deux experts ne divergent que sur la quantification exacte de ces déversements.

Cet argument a également pour objet, comme bien d’autres avancés par le Costa Rica, de faire

passer le Nicaragua pour le méchant de l’histoire. On lui reproche, en effet, de faire obstacle à la

conduite d’un programme de prélèvements conjoints en exigeant au préalable la suspension de la

construction de la route. Qu’y a-t-il de mal à cela ? En supposant que les prélèvements puissent

fournir une quelconque information utile — ce qui n’est pas le cas mais aurait pu l’être, avant que

MM. Thorne et Kondolf ne calculent le volume de sédiments entrant dans le fleuve à l’aide de leur

méthode plus directe , pourquoi ne pas évaluer les effets des travaux avant leur réalisation ? Tel

est précisément l’objet de l’évaluation de l’impact sur l’environnement.

30 39. M. Wordsworth vous a renvoyés à la lettre du Nicaragua du mois d’août 2013. C’était

plusieurs mois avant que le Costa Rica ne soumette son contre-mémoire au mois de décembre de la

même année, lequel incluait une première estimation par M. Thorne de la quantité de sédiments

pénétrant dans le fleuve chaque année. Mais ce que M. Wordsworth ne vous a pas dit, c’est que,

après avoir reçu le rapport de M. Thorne, le Costa Rica est revenu sur sa proposition de réaliser un

75
CR 2015/8, p. 41 ; voir également p. 42 et 48 (Kondolf).
76Ibid.

77Ibid., p. 16 (Kondolf). - 26 -

78
programme de prélèvements conjoints . Manifestement, la partie costa-ricienne estimait que les

mesures effectuées par M. Thorne rendaient les prélèvements inutiles. Par conséquent, les

arguments que ses conseils ont avancés à l’audience sonnent creux.

40. Qu’en est-il de la différence entre les estimations de la quantité de sédiments provenant

de l’érosion de la route effectuées par M. Thorne et celles de M. Kondolf ? Tout d’abord, nous

affirmons que les dommages causés au cours inférieur du San Juan sont importants («significant»)

dans les deux cas car, comme ces deux experts l’ont montré, ils peuvent être mesurés et l’ont

d’ailleurs été. Ensuite, nous soutenons que c’est M. Kondolf qui a raison. Tout en expliquant

pourquoi, je vais tâcher de répondre à la question posée par M. le juge Robinson à la fin de

l’interrogatoire complémentaire de M. Kondolf, le 20 avril, au sujet des différences constatées entre

les mesures effectuées par les Parties.

41. Monsieur le président, j’en appelle à votre indulgence parce que, pour répondre à la

question du juge Robinson, il va me falloir entrer quelque peu dans le détail. Je tâcherai d’être

aussi bref que possible. Il y a au moins quatre raisons pour lesquelles l’estimation faite par le

Costa Rica de la quantité de sédiments pénétrant dans le fleuve sous l’action de l’érosion est trop

basse. Tout d’abord, il faut souligner que certaines des mesures sur lesquelles M. Thorne s’est

79
appuyé n’ont en fait pas été réalisées par lui, mais l’ont été par M. Mende, expert du Costa Rica .

Vous vous souviendrez que, vendredi dernier, M. Thorne a quelque peu déploré les chiffres fournis

par M. Mende en ce qui concerne certains sites ayant fait l’objet de mesures d’atténuation, en tout

ou en partie, expliquant qu’ils ne correspondaient pas à ceux qu’il aurait calculés, mais que

M. Mende et lui avaient «négocié» de sorte que M. Thorne puisse finalement considérer les chiffres

80
obtenus comme acceptables . Je pense que la Cour comprendra, au fil de mon exposé, pourquoi

M. Thorne n’était pas entièrement à l’aise avec les mesures effectuées par M. Mende.

31 42. Le problème, c’est que M. Mende a sous-évalué la superficie de la zone de terre déplacée

ou perturbée par la construction de la route et donc sujette à l’érosion ; en outre, des taux d’érosion

78
Lettre ECRPB-63-2013 en date du 27 septembre 2013 adressée au greffier par le coagent du Costa Rica,
CMCR, vol. III, annexe 65.
79Thorne (2015), par. 4.21-4.40 ; DCR, vol. I, appendice A.
80
CR 2015/12, p. 23 (Reichler et Thorne). - 27 -

arbitrairement bas ont été appliqués à cette superficie excessivement réduite, et ce, de quatre façons

différentes au moins.

43. Premièrement, M. Mende n’a pas inclus dans la zone sujette à l’érosion les quelque

2,2 [mille] de mètres carrés au moins de sol nu à proximité immédiate du fleuve qui avaient été

perturbés, déplacés ou privés de leur végétation lors du processus de construction, et dont l’érosion

entraîne le dépôt de sédiments dans le fleuve. M. Mende a restreint, de manière arbitraire, la zone

81
critique  la zone qu’il a mesurée  aux seuls talus et plate-forme de la route . S’il avait tenu

compte de l’ensemble des zones sujettes à l’érosion, le Costa Rica aurait obtenu une estimation de

l’érosion annuelle totale supérieure d’au moins 40 000 tonnes : 75 000 + 40 000 = 115 000.

44. Deuxièmement, les mesures effectuées par M. Mende ne tiennent pas compte des

éventuels sédiments provenant de l’érosion des plus de 300 kilomètres de routes d’accès construites

ou améliorées par le Costa Rica pour relier la route 1856. [Projection] Vous pouvez voir à l’écran,

o
ainsi que sous l’onglet n 33, la carte établie par le Costa Rica représentant ces routes d’accès en

rouge. Comme vous pouvez le constater, toutes passent très près du fleuve. Plus important encore,

elles traversent toutes de nombreux cours d’eau et autres affluents qui alimentent le San Juan.

C’est ainsi que les sédiments provenant de ces routes se déversent dans le fleuve, au niveau des

points de passage de cours d’eau qui ont posé tant de problèmes tout le long de la route 1856

82
elle-même . M. Kondolf applique ici, prudemment, des taux très faibles d’érosion et de dépôt de

sédiments . Si M. Mende avait pris en considération tous les sédiments pouvant provenir de ces

routes d’accès, au lieu de n’en tenir aucun compte, au moins 16 000 tonnes annuelles se seraient

encore ajoutées au chiffre donné ci-dessus : 115 000 + 16 000 = 131 000 tonnes. [Fin de

projection]

45. Troisièmement, dans son rapport de 2013, l’ICE, l’organisme public costa-ricien, a

85
évalué l’érosion du revêtement routier à 24 200 tonnes par an . Cependant, l’année suivante, dans

81Exposé écrit de M. Kondolf en l’affaire relative à la Construction d’une route, mars 2015, par. 10, 44-47 ; voir
aussi Mende (2014), p. 8, 31-33, DCR, vol. II, annexe 3.

82Exposé écrit de M. Kondolf en l’affaire relative à la Construction d’une route, mars 2015, par. 21.
83
Ibid.
84
Ibid.
85Ibid., par. 37. - 28 -

son rapport de 2014, l’ICE a arbitrairement réduit ce chiffre à 2900 tonnes, en partie en reclassant

comme «piste» d’importants tronçons de ce qui était auparavant considéré comme une route, puis

en appliquant, de façon injustifiable, un faible taux d’érosion aux tronçons de piste ainsi
86
32 requalifiés . Si l’estimation plus élevée effectuée par l’ICE en 2013 est exacte, cela représente

quelque 21 300 tonnes supplémentaires de sédiments qui se déversent chaque année dans le fleuve

sous l’action de l’érosion : 131 000 + 21 300 = 152 300 tonnes.

46. Quatrièmement, M. Mende a appliqué aux talus des taux d’érosion plus bas dans son

rapport de 2014 que dans celui de 2013, alors que rien le justifiait . S’il avait appliqué les taux

d’érosion qu’il avait lui-même définis en 2013, cela aurait représenté 12 000 tonnes

supplémentaires de sédiments se déversant tous les ans dans le fleuve sous l’action de l’érosion :

152 300 + 12 000 = 164 300 tonnes.

47. Monsieur le président, en corrigeant simplement quatre des erreurs commises par le

Costa Rica ou, pour ainsi dire, ses partis pris, nous avons réduit la différence entre les mesures

effectuées par les Parties à quelque 25 000 tonnes par an : nous obtenons au moins 190 000 tonnes

pour M. Kondolf et au moins, ou environ, 165 000 tonnes pour M. Mende. Je pourrais poursuivre

et vous expliquer à quoi est due la différence restante, mais je crois que c’est suffisamment clair, et

j’espère que notre réponse conviendra au juge Robinson.

48. La principale critique formulée par M. Wordsworth à l’encontre des mesures effectuées

par M. Kondolf est que les estimations faites par ce dernier de la superficie totale de talus sujette à

l’érosion seraient considérablement plus élevées que celles effectuées par M. Mende, qui, selon

M. Wordsworth, a «parcouru toute la longueur de la route à pied», muni d’un télémètre

88
électronique portatif . Le Nicaragua ferait davantage confiance aux mesures réalisées par le

Costa Rica si c’était M. Thorne qui avait parcouru toute la longueur de la route à pied et réellement

effectué les mesures. M. Kondolf, quant à lui, a recouru à des méthodes classiques en utilisant des

86
Exposé écrit de M. Kondolf en l’affaire relative à la Construction d’une route, mars 2015, par. 37-43.
87Ibid., par. 34, 36.
88
CR 2015/13, p. 19, par. 35 (Wordsworth). - 29 -

images obtenues par télédétection afin de mesurer la taille des talus sujets à l’érosion . Le 89

Nicaragua considère que ses mesures sont plus fiables que celles de M. Mende.

49. Monsieur le président, sur la base de l’évaluation de la quantité de sédiments entrant dans

le fleuve du fait de la route, les experts du Nicaragua ont évalué celle des sédiments qui

s’accumulent dans le cours inférieur du San Juan où ils s’agglomèrent, principalement au niveau

des seuils, qu’ils rendent ainsi plus massifs et donc plus susceptibles encore d’entraver la

o
navigation. [Projection] Vous trouverez sous l’onglet n 34 trois séries de calculs différents, basés

sur l’estimation faite par M. Thorne de la quantité de sédiments déversée dans le fleuve et les deux

estimations, haute et basse, fournies par M. Kondolf. Ces calculs sont conformes à la

33 méthodologie que j’ai exposée le 21 avril. Comme l’a reconnu M. Wordsworth, le Nicaragua se

contente de reprendre les chiffres de l’ICE, et donc du Costa Rica lui-même, en ce qui concerne la

répartition entre sédiments grossiers et fins, et donc les proportions dans lesquels ces deux types de

sédiments sont charriés dans le cours inférieur du San Juan. Pourquoi nous le reprocher ? Souvent,

la meilleure manière de prouver le bien-fondé d’une cause, c’est d’utiliser les éléments de preuve

fournis par la partie adverse ; ainsi, celle-ci ne peut pas les contester. Mécontent des éléments de

preuve soumis par le Costa Rica lui-même, M. Wordsworth a fait de son mieux pour les discréditer.

Mais ils ont convenu à M. Thorne, qui s’en est servi dans ses rapports . 90

50. Monsieur le président, vous avez les calculs sous les yeux. Même si M. Thorne avait

raison en ce qui concerne la quantité de sédiments provenant de la route qui se déverse dans le

fleuve (ce qui n’est pas le cas), la proportion de ces sédiments qui s’accumule dans le cours

inférieur du San Juan pourrait être mesurée ; et elle est préjudiciable. Comme M. Andrews l’a dit

91
le 20 avril, il s’agit d’une «quantité considérable», dont «le dragage reste … nécessaire» . [Fin de

la projection] Même M. Thorne, qui n’est pas un fervent défenseur du programme nicaraguayen de

dragage aujourd’hui en cause, a reconnu devant vous qu’un «besoin de draguer» existait toujours,

surtout en ce qui concerne «le sommet des hauts-fonds …» . M. Wordsworth a indiqué à la Cour

89Voir exposé écrit de M. Kondolf en l’affaire relative à la Construction d’une route, mars 2015, par. 14.

90Voir, par exemple, Thorne (2015), par. 5.23, DCR, vol. I, appendice A ; exposé écrit de M. Thorne en l’affaire
relative à la Construction d’une route, mars 2015, par. 4.3.
91
CR 2015/9, p. 30-31 (Andrews).
92
CR 2015/12, p. 52 (Thorne). - 30 -

qu’une partie des sédiments s’accumulait en aval de la zone que le Nicaragua est actuellement en

93
train de draguer . C’est exact. Mais ces sédiments restent un obstacle à la navigation et doivent

être dragués. [Projection] Vous trouverez sous l’onglet n 35 la carte que je vous ai montrée la

semaine dernière, sur laquelle figurent les huit sites, dont certains sont en aval, que le Nicaragua

devra draguer à terme. Le Costa Rica n’a pas contesté cet élément de preuve. [Fin de la

projection]

51. Vendredi dernier, le Costa Rica a avancé un tout nouvel argument, qu’il n’avait jamais

évoqué auparavant, à savoir que les sédiments grossiers ne se déversent pas tous dans le cours

inférieur du San Juan parce qu’une partie s’agglomère en amont. M. Thorne, qui n’a abordé ce

sujet dans aucun de ses rapports écrits, nous a effectivement dit, au cours de l’interrogatoire

complémentaire auquel M. Wordsworth l’a soumis, qu’une partie des sédiments grossiers était
94
piégée en amont . Mais il a également affirmé que les sédiments n’y étaient piégés que

temporairement, comme s’ils étaient «en transit», et qu’en fin de compte, en l’espace d’un an ou

plus, ils seraient charriés vers l’aval, dans le cours inférieur du San Juan . Eh bien, cela fait

34 aujourd’hui quatre ans que la construction de la route a commencé, ce qui, selon M. Thorne,

signifie que ce sont à présent les sédiments de la troisième année qui s’accumulent dans le San Juan

inférieur. Cet argument n’entame même pas la thèse du Nicaragua concernant l’importance des

dommages subis.

52. En réalité, il sert notre cause. [Projection] La figure que vous voyez à présent  qui se

trouve sous l’onglet n 36  représente l’endroit du fleuve, juste en amont du cours inférieur du

San Juan, où les sédiments s’accumulent. Cette figure provient du rapport annuel de l’EPN

pour 2014 . Contre toute attente, les parties peu profondes du fleuve sont représentées en bleu ;

plus le bleu est foncé, moins l’eau est profonde, et plus la navigation est entravée. Comme vous

pouvez le voir, la partie du San Juan proprement dit qui est située juste en amont du point de départ

93CR 2015/12, p. 49 (Thorne).
94
Ibid., p. 49-50 (Thorne).
95Ibid.

96EPN, «Projet n 262-09 visant à l’amélioration de la navigabilité du fleuve San Juan de Nicaragua  Rapport
d’avancement technique et financier pour l’année 2014» (rapport annuel de l’EPN pour 2014), 2015, p. 37, annexe 1 de la
lettre HOL-EMB-0035 en date du 9 mars 2015 adressée au greffier par le Nicaragua. Figure se trouvant sous
l’onglet n 36 du dossier de plaidoiries. - 31 -

du San Juan inférieur est la moins profonde, tout comme les autres segments qui posent problème

un peu plus en aval. C’est l’un des endroits du fleuve où la navigation est entravée en raison de

l’accumulation des sédiments. Et comme la figure le représente au moyen de lignes jaunes et

rouges, c’est précisément là que le Nicaragua a été obligé de draguer et drague actuellement.

Par conséquent, qu’une partie des sédiments grossiers s’accumule, de façon temporaire, en amont

du cours inférieur du San Juan ne sert nullement la cause du Costa Rica. En réalité, comme le

montre cette figure, ce phénomène ne fait qu’aggraver le problème posé par l’accumulation des

sédiments et les difficultés de navigation : il barre l’entrée et la sortie du San Juan inférieur. Le fait

que M. Thorne estime qu’une partie des sédiments échoue également dans les marécages ne change

rien à cette conclusion . Ces marécages, qui comprennent la zone en litige, se trouvant en aval des

secteurs obstrués, ils ne peuvent piéger les sédiments avant que ceux-ci n’atteignent ces secteurs.

[Fin de la projection]

53. Enfin, Monsieur le président, je voudrais revenir sur la manière dont le Costa Rica a

écarté, non sans une certaine désinvolture, les limites fixées en matière de charge totale quotidienne

par de nombreux Etats , notamment l’Argentine et l’Uruguay, ainsi que sur la manière dont il a,

plus vertement encore, écarté l’affaire relative à des Usines de pâte à papier . Ces normes

relatives à la charge quotidienne maximale totale montrent incontestablement que la communauté

internationale reconnaît qu’il ne faut pas confondre ampleur et importance pour évaluer l’impact

environnemental sur les fleuves. Lorsqu’un niveau prédéfini d’une substance donnée, telle que les

35 sédiments, est atteint, tout apport supplémentaire, aussi faible soit-il, est interdit. En effet,

lorsqu’un fleuve a reçu la quantité maximale d’une substance qu’il peut supporter, tout apport

supplémentaire est considéré comme dommageable.

54. Nous reconnaissons que le Nicaragua n’a pas défini de charge sédimentaire quotidienne

maximale en ce qui concerne le fleuve San Juan. Mais là n’est absolument pas la question. Les

experts des deux Parties conviennent que le cours inférieur du San Juan était déjà «incapable

d’absorber» la charge sédimentaire provenant de l’amont du fleuve avant que la route ne soit

97
CR 2015/12, p. 49 (Thorne).
98CR 2015/13, p. 22-24, par. 50-52 (Wordsworth).
99
Ibid., p. 24, par. 52 (Wordsworth). - 32 -

100
construite . Selon les termes employés par M. Thorne, le fleuve n’était «pas en mesure de

transporter des sédiments supplémentaires» . Ainsi, par définition, tout apport de sédiments lié à

102
la route est dommageable . Le Nicaragua n’a pas eu besoin de définir des charges quotidiennes

maximales totales pour le fleuve San Juan parce qu’il n’a jamais autorisé le Costa Rica à déverser

quelque substance que ce soit, sédiments compris, dans un fleuve exclusivement nicaraguayen.

De fait, en ce qui concerne les sédiments déversés par le Costa Rica, la charge quotidienne

maximale totale que peut supporter le fleuve San Juan est égale à zéro.

55. La description qu’a faite M. Wordsworth de l’affaire relative à des Usines de pâte à

papier n’était pas totalement exacte. Celui-ci a indiqué à la Cour que l’Argentine avait obtenu gain

de cause en recourant aux méthodes de prélèvement défendues ici-même par le Costa Rica . Or il 103

se trouve que je connais un peu cette affaire. M. Wordsworth se trompe à deux égards. Tout

d’abord, l’Argentine n’a pas eu gain de cause. Son allégation de dommages environnementaux a

104
été rejetée par la Cour . Ensuite, et c’est encore plus important aux fins de la présente instance,

l’apport de phosphore provenant de l’usine de pâte à papier a été évalué non pas par prélèvement,

mais par mesure directe, à l’usine, avant son entrée dans le fleuve  en d’autres termes, la quantité

de phosphore contenue dans les effluents de l’usine a été mesurée avant le rejet de ceux-ci dans le

fleuve. Cette quantité a été évaluée à 15 tonnes , ce qui ne représentait que 0,1 % de la quantité

de phosphore déjà présente dans le fleuve, soit, proportionnellement, un dixième de l’apport de

sédiments lié à la route en l’espèce, selon les mesures effectuées par le Costa Rica. La Cour

elle-même a estimé qu’il s’agissait d’une quantité négligeable. Mais, en définitive, ce n’est pas la

proportion qui a importé : c’est le fait que même 15 tonnes de phosphore auraient été de trop, parce

100CR 2015/12, p. 39 (Reichler et Thorne) ; exposé écrit de M. Thorne en l’affaire relative à Certaines activités,

octobre 2011, p. II-27, CMCR, vol. I, app. A.
101 Ibid., p. 40-41 (Thorne) ; exposé écrit de M. Thorne en l’affaire relative à la Construction d’une route,
novembre 2013, p. 34, par. 6.12, CMCR, vol. I, app. A.

102Voir, par exemple, CR 2015/8, p. 42 (Kondolf).

103CR 2015/13, p. 13, par. 11 (Wordsworth).
104
Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt, C.I.J. Recueil 2010 (I), p. 96.
105
Ibid., p. 94, par. 240. - 33 -

que le fleuve avait déjà accumulé, et même dépassé, la quantité maximale de phosphore qu’il
36
106
pouvait supporter en toute sécurité, selon les limites fixées par le droit applicable .

56. Ainsi, c’est parce que l’Uruguay a compensé la quantité de phosphore rejetée par l’usine

dans le fleuve en demandant aux exploitants de réduire, en quantité équivalente voire supérieure,

leurs émissions de phosphore ailleurs le long du fleuve que sa responsabilité internationale n’a pas

été engagée. Contrairement à l’Uruguay, le Costa Rica ne fait qu’ajouter des sédiments dans le

fleuve, sans rien faire pour compenser cet apport. D’ailleurs, il ne fait pas grand-chose non plus

pour en atténuer les effets. Et à présent, il s’apprête à lancer un nouveau projet de très grande

envergure qui va, au moins pendant la phase d’exécution, considérablement accroître la quantité de

sédiments se déversant dans le fleuve. Et il compte le faire sans s’acquitter de son obligation de

réaliser au préalable une évaluation de l’impact transfrontière sur l’environnement.

57. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, ainsi s’achève mon exposé.

Comme c’était la dernière fois que je m’exprimais devant vous dans le cadre de ces instances

jointes, je tiens en particulier à remercier les Membres de la Cour, le Greffe, les interprètes et

l’ensemble du personnel pour toute l’amabilité, l’attention et la patience qu’ils m’ont fait l’honneur

de m’accorder ces trois dernières semaines. Et je voudrais féliciter la Cour, ainsi que le Greffe,

d’avoir si bien organisé et dirigé le contre-interrogatoire et l’interrogatoire complémentaire des

experts. Je vous prie de bien vouloir inviter à la barre M. Loewenstein, peut-être après la pause.

The PRESIDENT: Thank you, Mr. Reichler. The Court will indeed adjourn now for a

15-minute break. The hearing is suspended.

The Court adjourned from 11.25 a.m. to 11.45 a.m.

106Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt, C.I.J. Recueil 2010 (I), p. 95-96,
par. 244-247. - 34 -

37 The PRESIDENT: Please be seated. I give the floor to Mr. Loewenstein to continue

Nicaragua’s oral argument.

M. LOEWENSTEIN :

LE RISQUE AUQUEL SONT EXPOSÉES LES RESSOURCES ÉCOLOGIQUES
DU FLEUVE SAN JUAN

1. Bonjour Monsieur le président, bonjour Mesdames et Messieurs les juges. Je vais

maintenant répondre aux arguments avancés par le Costa Rica dans ses plaidoiries au sujet du

risque que présente la route pour les organismes aquatiques.

2. La semaine dernière, nous avons pu constater que les données fournies par le centre

costa-ricien de sciences tropicales (CCT) montrent que la route a des incidences néfastes sur les

populations de macro invertébrés et sur la qualité de l’eau des affluents du San Juan. La réaction

du Costa Rica a consisté à engager la Cour à ne pas s’arrêter à ces données, et à considérer plutôt

les conclusions du CCT, qui minimisent l’importance pourtant évidente des données présentées.

3. La Cour devrait décliner cette invitation. Ces études du CCT ont été réalisées sur

«commande» du ministère costa-ricien des affaires étrangères pour apporter des réponses aux

107
arguments du Nicaragua en la présente affaire . Comme la Cour l’a fait observer dans des cas

semblables, ces circonstances rendent les conclusions suspectes, et ce d’autant plus, dans la

présente espèce, lorsqu’elles servent la cause du Costa Rica . Cela ne signifie pas que la totalité

du contenu des rapports du CCT doive être écartée, mais c’est à la Cour qu’il appartient de décider

du poids à accorder aux conclusions qui s’y trouvent. Par exemple, les données objectives peuvent

s’avérer crédibles. L’impression demeure néanmoins que les conclusions du CCT,

particulièrement lorsqu’elles semblent servir la cause du Costa Rica, doivent être considérées avec

circonspection, a fortiori dans les cas où elles contredisent les données.

10Centre de sciences tropicales (Centro Científico Tropical, CCT), Rapport de suivi et de contrôle, diagnostic de
l’impact sur l’environnement, Route 1856  volet écologique, janvier 2015 (le «rapport du CCT de 2015»), DCR,
annexe 14, p. 10.
108
Différend territorial et maritime entre le Nicaragua et le Honduras dans la mer des Caraïbes (Nicaragua
c. Honduras), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (II), p. 731, par. 244 ; Activités armées sur le territoire du Congo (République
démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt., C.I.J. Recueil 2005, p. 225-225, par. 159 ; Activités militaires et
paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986,
p. 43, par. 69-70. - 35 -

4. Voyez par exemple la conclusion du CCT selon laquelle les indices de qualité de l’eau

n’étaient pas «radicalement différents [entre échantillons prélevés] entre amont et aval» et «aucun

écart extrême» n’avait été constaté entre les points d’échantillonnage situés en amont et ceux situés

109
en aval . La législation costa-ricienne distingue six degrés de qualité de l’eau, dont chacun

38 correspond à une plage de valeurs d’indice . Par exemple, l’eau est dite «polluée» lorsque

111
l’indice est compris entre 36 et 60, et «très polluée» lorsqu’il va de 16 à 35 . Or, le diagnostic de

l’impact sur l’environnement définit un «changement extrême» comme un changement

correspondant à au moins deux degrés de qualité . 112

5. Au vu des données que nous avons examinées la semaine dernière, comment le CCT

pouvait-il conclure à l’absence de changements extrêmes ? Réponse : le CCT a amalgamé en un

seul les deux degrés de qualité correspondant à de l’eau «polluée» et «très polluée» . Les 113

o
changements correspondant à deux degrés de qualité ont ainsi été escamotés. Sur le site n 6,

l’indice de qualité de l’eau est tombé de 80 à 35 . Ce changement correspond à deux degrés de

qualité, l’eau passant de «modérément polluée» à «très polluée». Il s’agit donc d’un changement

extrême. En combinant deux degrés de qualité, «polluée» et «très polluée», le CCT a transformé

un changement correspondant à deux degrés de qualité en un changement n’en représentant qu’un

seul. Ce tour de passe-passe a fait disparaître un changement extrême. Même chose pour le

site n 9, où l’indice de qualité de l’eau est tombé de 44 à 10 seulement, ce qui veut dire que de

«polluée», l’eau est devenue «extrêmement polluée» ; là encore deux degrés de changement . 115

Mais comme le CCT avait précédemment amalgamé les deux degrés correspondant à de l’eau

«polluée» et «très polluée», un autre changement extrême s’est trouvé effacé.

6. Et qu’en est-il de la conclusion du CCT selon laquelle les incidences sont «temporaires» ?

Là encore, les données contredisent la conclusion. Le CCT a procédé à deux échantillonnages pour

109CR 2015/13, p. 36, par. 31 (Parlett).

110Rapport du CCT de 2015, DCR, annexe 14, p. 99.
111
Ibid.
112
Ibid., p. 50.
113Ibid., p. 99.

114Ibid., p. 98.

115Ibid. - 36 -

chacun des dix affluents considérés. Le premier montrait que pour cinq de ces cours d’eau, la

qualité de l’eau échantillonnée en aval de la route était inférieure à celle de l’eau échantillonnée en

amont . Lorsque le CCT a procédé à un second échantillonnage, il a constaté que les différences

persistaient pour les cinq sites en question, mais qu’elles se manifestaient aussi pour quatre des
117
sites restants . Cet échantillonnage a donc montré la persistance des incidences déjà constatées et

révélé que ces incidences s’étendaient. Elles n’étaient donc pas temporaires.

7. Que peut-on dire de la conclusion selon laquelle les incidences sont seulement localisées ?

Le CCT n’a pas étayé cette conclusion par une analyse, et elle est infirmée par des preuves

photographiques. Voyez les photos prises en mars de cette année, que vous trouverez sous

l’onglet n 38 de votre dossier. Les bâches de fibre de coco et de géotextile n’ont pas empêché des

panaches de sédiments d’être charriés le long des rives du fleuve. Il y a là des habitats de

39 macro invertébrés, organismes qui, comme en conviennent les Parties, entrent dans l’alimentation

de nombreuses espèces de poissons. Selon le rapport de M. Cowx, 37 espèces de poissons vivant

dans le San Juan dépendent de différents types de macro invertébrés . 118

8. Le CCT passe également sous silence l’effet cumulatif des sédiments charriés par les

127 affluents du fleuve que franchit la route. C’est là un point que j’ai déjà soulevé lors du

premier tour 119 ; le Costa Rica n’a rien trouvé à me répondre. Comme vous pouvez le voir en

o
consultant l’onglet n 39, M. Mende a dénombré sur la section comprise entre Majon 2 et

Boca San Carlos 75 points de franchissement de cours d’eau. Rien que sur la section de

2,5 kilomètres où se trouvent certains des sites où l’érosion est la plus forte, il y a 12 points de

franchissement, séparés en moyenne d’une distance d’environ 200 mètres. Prétendre que les

sédiments qui se déversent dans des affluents aussi rapprochés ne présentent aucun risque

cumulatif est tout simplement indéfendable.

9. Les deltas qui se sont formés ou se sont développés sous l’effet des sédiments imputables

à la route, tels que ceux illustrés sous l’onglet n 40 de votre dossier, contredisent aussi l’hypothèse

116Rapport du CCT de 2015, DCR, annexe 14, p. 98.

117Ibid.
118
Ian Cowx, «Ecological Impacts of Route 1856 on the San Juan River, Nicaragua», [incidences écologiques de
la route 1856 sur le fleuve San Juan, Nicaragua], décembre 2014 ; DCR, annexe 2, appendice 1, p. 26-31.
119
CR 2015/10, p. 28, par. 14 (Loewenstein). - 37 -

du CCT selon laquelle les incidences de la construction de la route se limitent aux affluents

costa-riciens du fleuve. Outre qu’ils enfouissent sous les sédiments des habitats se trouvant dans le

San Juan, les deltas produisent des effets en aval. Dans son rapport, M. Thorne écrit que les deltas

créés par les sédiments issus de la route sont, pour reprendre son expression, en cours

«de désintégration», et que les sédiments produits par l’érosion sont emportés par le courant du

120
fleuve . Les sédiments des deltas sont donc charriés le long des rives, influant ainsi sur les

organismes aquatiques et leurs habitats. Il ajoute qu’en revanche, les deltas naturels, c’est-à-dire

121
ceux qui ne sont pas issus de la route, sont «des formations stables et persistantes» .

10. Mme Parlett a dit que les organismes aquatiques vivant dans le San Juan étaient

probablement adaptés à de fortes charges sédimentaires. La raison, selon elle, en est que les

sédiments se trouvant dans le San Juan proviennent pour une bonne part de quelques affluents

principaux du fleuve, dont le San Carlos, qui produit une augmentation de 70 % de la charge

122 o
sédimentaire . Or, comme vous pouvez le voir en consultant l’onglet n 41 de votre dossier, le

San Carlos se jette dans le fleuve en aval de 14 des 17 sites de forte érosion d’où proviennent la

plupart des sédiments issus de la route. La section se trouvant en amont, où l’érosion imputable à

la route est particulièrement forte, ne présente pas la forte charge sédimentaire mentionnée par

Mme Parlett. Il s’agit d’un habitat différent. Même si les organismes qui vivent en aval du

confluent avec le San Carlos se sont adaptés à de fortes charges sédimentaires, rien ne permet de

40 supposer qu’il en est allé de même pour ceux vivant dans la partie amont du fleuve, où celui-ci

reçoit la majeure partie des sédiments provenant de l’érosion causée par la route.

11. Quoi qu’il en soit, les Parties conviennent que les espèces de poissons vivant dans le

San Juan n’ont pas été étudiées en vue de déterminer si elles étaient vulnérables à des charges

123
sédimentaires élevées . M. Cowx a admis qu’il faudrait procéder à une étude «espèce par

espèce», tenant compte «de l’habitat de chacune et de ses seuils de tolérance environnementale» . 124

120 Thorne, «évaluation de l’impact sur le fleuve San Juan de la construction de la route frontalière au

Costa Rica : rapport en réponse», février 2015, p. 98, par. 5.16 ; DCR, vol. I, appendice A.
121Ibid.

122CR 2015/13, p. 30, par. 12 (Parlett).
123
CR 2015/12, p. 14 (Cowx).
124Ibid. - 38 -

Il a dit dans sa déposition qu’il s’agissait là de la «méthode classique» employée pour déterminer la

vulnérabilité aux charges sédimentaires, et a indiqué également qu’aucune étude de ce type n’avait
125
été faite . Il a certes donné à entendre qu’il faudrait que la charge sédimentaire soit très forte pour

que les populations de macro-invertébrés s’en ressentent, mais lorsqu’on lui a demandé à plusieurs

reprises lors de son contre-interrogatoire de citer des études venant étayer cette affirmation, il n’en

a mentionné qu’une seule, concernant un fleuve de Papouasie-Nouvelle-Guinée . Fait révélateur,

il n’a pas fait référence au diagnostic de l’impact sur l’environnement.

12. Monsieur le président, le tableau qui se dégage de tout cela est que le San Juan est un

fleuve situé dans une région reculée d’un pays en développement, où les organismes aquatiques

n’ont guère été étudiés scientifiquement. Un vaste projet d’infrastructure est en cours à quelques

mètres seulement de la rive de ce fleuve, et il semble que ce projet pourrait devenir encore plus

ambitieux. Or, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a prévu

ce genre de situations. En effet, ses directives techniques pour une pêche responsable indiquent

comment les Etats devraient procéder lorsque les données relatives aux poissons sont insuffisantes.

Selon ces directives, «l’insuffisance d’informations scientifiques appropriées ne devrait pas être

une raison de remettre à plus tard ou de s’abstenir de prendre des mesures pour conserver les

espèces visées, celles qui leur sont associées ou qui en dépendent, et les espèces non visées, ainsi

que leur environnement». 127

13. Au sujet des évaluations d’impact sur l’environnement, les directives de la FAO

indiquent également comment il y a lieu de procéder lorsque les données manquent :

«Dans les eaux continentales influencées principalement par des activités
étrangères à la pêche, l’approche de précaution devrait être étendue à toutes les
activités réalisées à l’intérieur du bassin versant. Ceci suppose la réalisation d’études
128
d’impact précises concernant les projets relevant d’autres secteurs que la pêche.»

On pourrait croire que les auteurs des directives de la FAO avaient à l’esprit le cas du San Juan

lorsqu’ils ont écrit que «les dégâts les plus graves» peuvent résulter d’«une série d’interventions
41

125
CR 2015/12, p. 14 (Cowx).
126Ibid., p. 17 (Cowx).

127 FAO, pêches continentales «Directives techniques pour une pêche responsable», 1997, p. 10, par. 6.5
(document consultable à l’adresse suivante : http//www.fao.org./3/a-w6930e.pdf.
128
Ibid. - 39 -

129
d’ordre mineur dont les effets cumulés ou contraires peuvent être considérables» . Ils ont cité

130
comme exemple «la pollution diffuse» provoquée par l’agriculture à grande échelle . La

nécessité d’évaluer les effets «cumulés» de la «pollution diffuse» sur les poissons vaut également

pour les sédiments produits par l’érosion, laquelle est une source non ponctuelle importante de

131
pollution selon l’Environmental Protection Agency (EPA) des Etats-Unis .

14. M. Cowx, expert cité par le Costa Rica, a montré tant dans ses ouvrages que dans sa

déposition qu’il adhérait à la démarche recommandée par la FAO. Voici ce qu’il a dit au sujet des

cas où il y a «défaut de données de référence» :

«Lorsque les informations sur lesquelles est fondée une décision restent

insuffisantes, il y a lieu d’agir selon le principe de précaution. Il importe
particulièrement de le faire lorsque des projets de développement sont susceptibles

d’avoir de132ncidences sur des communautés de poissons dont on sait peu de
choses.»

15. Monsieur le président, le passage que je viens de citer vaut pour la situation qui nous

occupe. Il n’y a pas eu d’études des poissons du San Juan . Les deux études invoquées par le

Costa Rica portent l’une et l’autre sur les poissons habitant les cours d’eau costa-riciens, et non pas

sur ceux qui vivent dans le fleuve San Juan. De plus, le San Juan est non seulement inscrit sur la

liste de Ramsar, mais il l’est expressément au titre de la préservation des poissons , motif 134

d’inscription que M. Cowx, dans sa déposition, a dit être particulièrement important, sans toutefois

savoir, apparemment, que le San Juan avait été inscrit sur la liste précisément pour ce motif . 135

129
FAO, pêches continentales «Directives techniques pour une pêche responsable», 1997, p. 10, par. 6.5
(document consultable à l’adresse suivante : http//www.fao.org./3/a-w6930e.pdf.
130Ibid.

131 Etat-Unis, EPA, NPS Categories, consultable à l’adresse suivante : http://water.epa.gov/polwaste/nps/
categories.cfm.

132CR 2015/12, p. 15 (Cowx) ; Ian Cowx, «The role of catchment scale environmental management in freshwater
fish conservation», dossier des juges, onglet n 26.

133Ibid., p. 14 (Cowx).

134 Information Sheet on Ramsar Wetlands, Rio San Juan Wildlife Reserve, NI1138RISformer2000, p. 3, peut
être consultable à l’adresse suivante : https://rsis.ramsar.org/RISapp/files/.../NI1138former2000_EN.pdf.

135CR 2015/12, p. 12-13 (Cowx). - 40 -

Selon les estimations du Costa Rica et de M. Cowx, il y a dans le San Juan onze espèces aquatiques

136
expressément désignées comme vulnérables par les instances nationales ou par l’UICN .

16. Les ressources écologiques du Nicaragua ne sauraient être mises en péril simplement

parce que le Nicaragua, étant un pays en développement, n’a pas pu mobiliser les ressources

humaines et financières nécessaires pour procéder à l’étude de la flore et de la faune du San Juan.

Certains Etats développés peuvent s’offrir le luxe de construire de vastes bases de données sur le

biote de leurs cours d’eau, mais c’est un travail que le Nicaragua n’a pas été en mesure

42 d’entreprendre, du moins en ce qui concerne le San Juan . De plus, étant donné que la construction

de la route a été entreprise sans notification préalable, le Nicaragua n’avait aucune raison de

considérer une telle étude comme prioritaire.

17. Monsieur le président, ce qu’il y a lieu de faire en pareilles circonstances ressort

clairement des dépositions d’experts et des directives internationales : il est nécessaire de procéder

à une évaluation de l’impact sur l’environnement. En s’abstenant de procéder à une telle étude,

particulièrement dans la perspective des nouveaux travaux de construction routière qui semblent

imminents, le Costa Rica manquerait à l’obligation internationale qui lui est imposée en matière

d’évaluation de l’impact transfrontière sur l’environnement. L’évaluation devrait porter tout

spécialement sur les incidences des nouveaux travaux de construction sur la faune et la flore

aquatiques, et combler les lacunes laissées par le Costa Rica quant aux incidences potentielles.

Comme M. Reichler l’a dit ce matin, si le Costa Rica procède à une évaluation de l’impact sur

l’environnement, soit de sa propre initiative, soit sur ordre de la Cour, le Nicaragua est tout prêt à y

coopérer par tous les moyens qui sont en son pouvoir.

18. Monsieur le président, me voici parvenu au terme de mon exposé. Je vous remercie une

fois encore de votre patiente attention et vous prie de bien vouloir appeler à la barre M. McCaffrey.

The PRESIDENT: Thank you. I give the floor to Professor McCaffrey.

136Ian Cowx, «Impact écologique de la route 1856 sur le fleuve San Juan, Nicaragua, décembre 2014 ; DCR,
annexe 2, p. 9, tableau 9. - 41 -

M. McCAFFREY :

L A DÉCLARATION DE L ÉTAT D ’URGENCE PAR LE C OSTA RICA ET LE MANQUEMENT
DE CELUI -CI À SES OBLIGATIONS ENVIRONNEMENTALES
ET AUTRES ENVERS LE N ICARAGUA

1. Thank you, Mr. President. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges, j’ai

aujourd’hui pour mission de répondre à l’argument du Costa Rica selon lequel il n’a pas manqué,

envers le Nicaragua, à ses obligations en matière d’évaluation de l’impact sur l’environnement.

2. Avant d’en venir là, je me permettrai de rappeler les principaux éléments du contexte dans

lequel ces questions se posent.

1. La violation par le Costa Rica de l’intégrité territoriale du Nicaragua

a) Une violation commise sciemment

3. De tous temps les hommes ont trouvé commode de se servir des cours d’eau comme

dépotoirs37: ce qu’on y jette s’en va. Ou du moins, c’est ce qu’il semble. Mais nous avons

43 compris depuis longtemps que cette apparence est trompeuse. Les déchets déversés dans les cours

d’eau ont des effets, à la fois sur les humains et sur les écosystèmes aquatiques, et le Nicaragua a

montré à la Cour en quoi consistent certains de ces effets constatés en l’espèce. Pourtant, en ce qui

concerne son projet routier, le Costa Rica se comporte toujours selon cette supposition obsolète et

fallacieuse : déversez des déchets dans le fleuve et ils disparaîtront comme par enchantement.

[Projection n 1]

4. Il existe des preuves visibles, tangibles, des énormes quantités de sédiments que le

Costa Rica laisse sciemment se déverser dans le fleuve San Juan : voyez les grands deltas

sédimentaires qui se sont formés sur la rive droite du fleuve, immédiatement en aval de certaines

des sections de la route qui sont soumises à une forte érosion. Voici une photographie de l’un
o
d’eux, que vous trouverez aussi sous l’onglet n 44 de votre dossier ; c’est une photo que le

Costa Rica a montrée la semaine dernière. Il s’agit de l’un des deltas que Mme Parlett, à notre

13Voir, par exemple, Inventaire exhaustif des ressources mondiales en eau douce, Organisation météorologique
mondiale/Institut de Stockholm pour l’environnement 1997, Nations Unies, doc. A/CN.17/1997/9, 4 février 1997. - 42 -

138
grande surprise, a qualifiés de «micro deltas» . On se demande quelles dimensions doit atteindre

un delta pour ne plus être, selon ses critères, un «micro» delta.

5. De fait, Monsieur le président, il est universellement admis que les conséquences qui vont

quasi-certainement découler de nos actes peuvent être considérées comme intentionnelles. Ce

principe s’applique parfaitement au comportement du Costa Rica à l’égard de la route. Ainsi

considérés, ces deltas sont littéralement des avancées, des empiètements du Costa Rica sur le

territoire relevant de la souveraineté du Nicaragua, empiètements que le Costa Rica a causés

sciemment en construisant sa route sans se soucier des conséquences. Or, comme le montre la

photographie à l’écran, une avancée territoriale résultant de l’accumulation de sédiments n’est pas

moins réelle qu’une incursion humaine.

6. Comme s’il cherchait à enfoncer le clou, le Costa Rica semble maintenant considérer que

ces empiètements font partie de son propre territoire. Cela ressort clairement du titre de la

diapositive que vous voyez, sur laquelle on peut notamment lire «présence illégale en territoire

139
costa-ricien», ce qui, de toute évidence, renvoie aux gens qui se tiennent au bord du vaste delta .

Ainsi, le Costa Rica prétend pouvoir amputer le territoire nicaraguayen en laissant se déverser par-

delà la frontière, au Nicaragua, de la terre provenant de son territoire. Cette prétention stupéfiante

est sans précédent, tant par son audace que par son défaut absolu de fondement juridique.

7. Il convient de surcroît de garder à l’esprit que la partie visible de chacun de ces

deltas  celle qui émerge — n’est que le sommet de ce que j’appellerai l’iceberg sédimentaire,

44 analogie qui me paraît juste à deux titres : premièrement, tout comme pour les icebergs, la partie

immergée du delta est bien plus importante que la partie qui apparaît en surface ; et, deuxièmement,

les deltas ne sont qu’une toute petite partie de l’ensemble des sédiments provenant de la route qui

sont déversés dans le fleuve, dont le reste est transporté par lui en aval. [Fin de la projection]

8. Si le Costa Rica avait déversé pareilles quantités de sédiments sur le territoire terrestre du

Nicaragua plutôt que dans le fleuve, cela constituerait une violation de son intégrité territoriale, un

empiètement qu’aucun pays ne saurait tolérer. Le Nicaragua considère que le fait que le

Costa Rica ait sciemment entrepris une activité qui entraînerait le dépôt de sédiments dans le

13CR 2015/13, p. 40 (Parlett).

13Dossier des juges établi par le Costa Rica, 23 avril 2015, onglet n 55 (Kohen). - 43 -

fleuve, lequel fait partie du territoire nicaraguayen, ne saurait pas davantage être toléré, y compris

par la Cour.

b) Il n’est pas nécessaire que des dommages aient été causés pour qu’existe une violation de
l’intégrité territoriale

9. Monsieur le président, je tiens à souligner un autre aspect des dépôts de sédiments dans le

fleuve causés par le Costa Rica — qui, comme je l’ai expliqué, peuvent être considérés en droit

comme relevant d’un acte intentionnel —, et c’est un aspect auquel j’ai déjà fait allusion : il n’est

pas nécessaire que la violation de l’intégrité territoriale d’un Etat par un autre entraîne des
140
dommages concrets pour qu’elle soit illicite. M. Wordsworth l’a reconnu mardi . C’est peut-être

là une évidence, qui néanmoins mérite d’être rappelée, vu que le Costa Rica a fondé toute son

argumentation sur ce qu’il appelle l’absence de «dommages importants» causés par la pollution

sédimentaire. Comme la Cour le sait fort bien, l’entrée non autorisée de militaires d’un Etat sur le

territoire d’un autre Etat ou le survol non autorisé par un avion d’un Etat du territoire d’un autre

Etat, ou encore le dépôt non autorisé de déchets par un Etat sur le territoire d’un autre Etat

constituent chacun un empiètement interdit par le droit international ; il n’est pas besoin que cet

141
empiètement cause des dommages . Une règle n’interdisant pas les empiètements commis

sciemment, mais qui n’entraînent pas de dommages, encouragerait toutes sortes de violations de

l’intégrité territoriale des Etats, en contravention de la plupart des principes fondamentaux de la

Charte des Nations Unies.

10. Pour ces raisons, le Nicaragua rejette l’allégation du Costa Rica selon laquelle il n’est pas

responsable des empiètements sédimentaires que la route, du fait qu’elle a été construite n’importe

142
comment, entraîne sur le territoire nicaraguayen .

2. L’évaluation de l’impact sur l’environnement

45 11. Monsieur le président, j’en viens à l’évaluation de l’impact sur l’environnement.

140
CR 2015/14, p. 21, par. 37 (Wordsworth) : «Le menu détail des dommages que le Nicaragua a causés au
territoire du Costa Rica est dénué de pertinence pour l’examen de la question que la Cour est appelée à trancher à ce
stade, qui est de savoir s’il y a eu violation.»
141Ibid. Voir CR 2015/3, p. 16, par. 24-25 (Wordsworth).
142
Voir par exemple CR 2015/11, p. 41-42, par. 10-14 (Kohen). - 44 -

a) Le Costa Rica n’a pas répondu aux arguments du Nicaragua quant au défaut d’effet de sa

déclaration de l’état d’urgence

12. Pour se soustraire à ce que la Cour a qualifié d’«obligation [en droit international

général] de procéder à une évaluation de l’impact sur l’environnement» , le Costa Rica devrait

démontrer que l’une ou l’autre des conditions suivantes est remplie : soit que l’état d’urgence qu’il

a déclaré le 21 février 2011 l’exonère de cette obligation ; soit, sinon, que le seuil d’application de

l’obligation de procéder à une évaluation de l’impact sur l’environnement n’a pas été atteint en

l’espèce . Or, le Costa Rica n’a démontré ni l’un ni l’autre. Je vais traiter brièvement de chacune

de ces deux conditions.

13. Premièrement, le Costa Rica a choisi de ne pas réfuter l’argument du Nicaragua selon

lequel il ne saurait arguer de l’état d’urgence qu’il a déclaré selon son droit interne pour se

soustraire à ses obligations internationales, ni non plus contesté que la seule manière pour lui de

s’exonérer de son obligation internationale de réaliser une évaluation de l’impact de son projet

routier sur l’environnement est de prouver l’existence d’une circonstance excluant l’illicéité.

M. Kohen s’est contenté de déclarer : «Il n’y a nul besoin de se référer aux règles secondaires de la

responsabilité, pour utiliser la terminologie de Roberto Ago, relatives aux circonstances excluant

145
l’illicéité» . Il a également affirmé qu’il n’était pas nécessaire de se référer à ce qu’il a appelé la

règle fort intéressante mais dépourvue de pertinence selon laquelle le droit interne ne saurait faire

146
obstacle aux obligations internationales .

14. En revanche, M. Kohen a évoqué ce qu’il a appelé la «longue liste» d’instruments

internes et internationaux admettant une exemption de l’obligation de réaliser une évaluation de

l’impact sur l’environnement en cas d’urgence. Mais, comme l’a déjà souligné le Nicaragua, le

problème flagrant du Costa Rica est qu’il n’est partie à aucun de ces instruments internationaux et

que sa propre législation en la matière ne prévoit aucune exemption en cas d’urgence.

143Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt, C.I.J. Recueil 2010 (I), p. 83,
par. 204.

144M. Kohen a abordé ces conditions dans l’ordre inverse (CR 2015/11, p. 45, par. 25), mais la première, le seuil
applicable, ne deviendrait pertinente que dans l’éventualité où le Costa Rica ne serait pas exonéré de l’obligation par sa
déclaration de l’état d’urgence.
145
CR 2015/11, p. 51, par. 41 (Kohen).
146Ibid., p. 51-52. - 45 -

46 15. La seule autre possibilité est que le Costa Rica prétende implicitement que pareille

exemption est admise par le droit international général. Si tel était le cas, elle serait assurément

assortie de toute la panoplie de ses conditions d’applicabilité dans tous les instruments internes et

internationaux que le Costa Rica cite — conditions qu’il a soigneusement omis d’évoquer.

16. Au fond, le Costa Rica semble avoir choisi de s’accrocher à l’idée vaine que le droit

international dispense un Etat de son obligation de procéder à une évaluation de l’impact sur

l’environnement chaque fois qu’il décide de déclarer l’état d’urgence, que l’urgence soit ou non

réelle, qu’elle ait ou non un lien quelconque avec le projet considéré et quelle qu’en soit la durée.

Si tel était le cas, il ne resterait pas grand-chose de l’état de droit dans les relations internationales.

17. Mon deuxième point, Monsieur le président, est que les présentes audiences ont apporté

encore plus de preuves qu’il n’existait pas d’urgence réelle justifiant la construction désastreuse de

la route. M. Brenes a répété, jeudi dernier, les mêmes arguments à l’appui de la construction d’une

route que ceux que le Costa Rica avait avancés en 2006 dans l’affaire du Différend relatif à des

droits de navigation et des droits connexes, arguments qui concernent des problèmes auxquels le

Costa Rica aurait dû remédier depuis s’ils constituent véritablement pour lui une source de

préoccupation.

18. Par exemple, M. Brenes a dit que la route devait servir à «établir une liaison terrestre

permettant d’assurer la protection de la zone frontalière…, en particulier, une liaison terrestre entre

les différents postes de police situés le long de la frontière, ainsi qu’un moyen d’accès aux services

147
d’urgence» . Cette question, ainsi que d’autres questions similaires qu’il a soulevées, a en fait été

traitée par la Cour dans son arrêt en l’affaire du Différend relatif à des droits de navigation et des

droits connexes .148

19. Monsieur le président, cette enceinte n’est pas le lieu où se plaindre de telles difficultés

internes. Le fait que le Costa Rica n’ait depuis tout ce temps toujours pas réglé cette situation très

banale montre clairement qu’il ne considérait pas qu’elle constituait une «urgence».

147CR 2015/11, p. 22, par. 27 (Brenes).

148Différend relatif à des droits de navigation et des droits connexes (Costa Rica c. Nicaragua), arrêt, C.I.J.
Recueil 2009, p. 270, par. 1) f) et g). - 46 -

20. M. Brenes est allé plus loin dans sa tentative de justifier la déclaration de l’état d’urgence

et, partant, la précipitation avec laquelle le projet routier a été entrepris, déclarant que «[l]a

nécessité d’établir un accès à [la] zone [du delta] est devenue évidente lorsque … le président du

Nicaragua a … annoncé publiquement que le Nicaragua pouvait revendiquer des droits sur le

149 o
47 Colorado … [ainsi que sur] la province costa-ricienne de Guanacaste» . [Projection n 2] Vous
o
voyez maintenant sur votre écran (voir également l’onglet n 45 de votre dossier) les diapositives

que M. Brenes vous a montrées alors qu’il formulait ces accusations. Ce qu’il n’a pas porté à votre

attention ; en revanche, c’est que le président Ortega a dans les deux cas déclaré que ces

revendications seraient portées devant la Cour. Vous pouvez voir les références à la Cour

surlignées en jaune par le Nicaragua. Celui-ci n’a absolument pas laissé entendre qu’il chercherait

à satisfaire ces revendications par la force ou tout autre moyen illicite. Le Nicaragua veut croire

que le fait d’annoncer qu’un différend pourrait être porté devant l’organe judiciaire principal de

l’Organisation des Nations Unies ne constitue pas une violation du droit international ni une

justification pour déclarer l’état d’urgence, et encore moins une excuse pour commettre d’autres

actes illicites, d’autant que les déclarations en question ont été faites par le président Ortega des
150
mois, voire des années, après la publication du décret instaurant l’état d’urgence en février 2011 .

[Fin de la projection]

21. Pour conclure sur ce point, Monsieur le président, il n’existait pas d’urgence justifiant

que le Costa Rica construise la route n’importe comment, sans avoir procédé à une évaluation de

l’impact de ce projet sur l’environnement dont il aurait informé le Nicaragua. Cela ne revient pas à

dire que la route n’était pas nécessaire : c’est là une question qui regarde le Costa Rica. Cependant,

le fait qu’il n’existait pas de véritable urgence a pour corollaire que le Costa Rica n’avait pas

d’excuse pour contourner les obligations et normes internes et régionales normalement applicables

à la conception et à la construction de la route, et encore moins pour se dispenser de l’évaluation de

l’impact transfrontière sur l’environnement que la Cour a déclarée obligatoire en vertu du droit

international général.

149CR 2015/11, p. 24-25, par. 33-36 (Brenes).
150 o
Voir par exeople dossier de plaidoiries établi par le Costa Rica pour l’audience du 23 avril 2015, onglet n 14
(6 avril 2011) et onglet n 15 (14 août 2013). - 47 -

22. Alors même que sa propre législation relative à l’évaluation de l’impact sur

l’environnement ne prévoit aucune exemption en cas d’urgence, le Costa Rica répète son argument

selon lequel presque tous les régimes en la matière, qu’ils soient internes ou internationaux,

prévoient d’exonérer les Etats de l’obligation de procéder à une telle évaluation en cas d’urgence,

et il cite M. Craik, qu’il n’a pas appelé à comparaître, peut-être parce que, en substance, il est

151
d’accord avec M. Sheate . Le Costa Rica passe sous silence le fait, souligné par le Nicaragua

dans son premier tour de plaidoiries, que tous ces régimes limitent strictement les circonstances

dans lesquelles l’exemption pour cause d’urgence peut être invoquée et la durée de validité de cette

exemption, et qu’ils prévoient en outre généralement l’établissement d’un document pouvant tenir

lieu d’évaluation ex ante, comme dans le cas du mont Saint Helens, que j’ai évoqué dans une

intervention précédente.

48 23. Aucune de ces limites n’existe dans la présente affaire. Ainsi, le Costa Rica invoque un

précédent qui n’a rien à voir avec l’état d’urgence qu’il a déclaré alors que, manifestement, il n’y

152
en avait pas, à propos d’un projet qui, de son propre aveu, doit être entièrement repris quelque

quatre ans et demi après le commencement de la construction de la route. Malgré cela, nous avons

entendu que l’état d’urgence déclaré en février 2011 était «loin d’être terminé» . Le Nicaragua se

demande pendant combien de temps encore cela va durer, et à combien d’autres obligations envers

lui le Costa Rica choisira de se soustraire en invoquant l’état d’urgence. Enfin, sur ce point,

Monsieur le président, il importe de ne pas perdre de vue qu’une évaluation de l’impact sur

l’environnement doit être réalisée avant la mise en œuvre d’un projet, comme la Cour l’a rappelé

dans l’affaire des Usines de pâte à papier. Ainsi, le diagnostic de l’impact sur l’environnement que

le Costa Rica a réalisé a posteriori — et que je préfère appeler son bilan des dommages

environnementaux — ne saurait remplacer une évaluation réalisée ex ante.

151
CR 2015/11, p. 51, par. 40 et 41 (Kohen).
15CR 2015/12, p. 29 (Thorne). Cf. CR 2015/11, p. 31, par. 6 et p. 37, par. 22 (Del Mar).
153
CR 2015/11, p. 53, par. 45 (Kohen). - 48 -

B. Le seuil d’application de l’obligation de réaliser une évaluation de l’impact sur
l’environnement : le risque d’impact préjudiciable important

24. M. le président, j’aborde maintenant ce qu’il est convenu d’appeler dans la présente

affaire le «seuil» à partir duquel il y a obligation de procéder à une évaluation de l’impact

transfrontière sur l’environnement. Je crois utile d’appeler d’abord l’attention sur un point

fondamental, à savoir qu’il importe de garder à l’esprit, dans le cas du projet réalisé par le

Costa Rica, que le seuil d’application de l’obligation de procéder à une évaluation de l’impact sur

l’environnement est le «risque» que le projet prévu ait «un impact préjudiciable important dans un

cadre transfrontière», comme la Cour l’a dit dans son arrêt en l’affaire des Usines de pâte à

154
papier . Le seuil est donc, je le répète, le risque d’impact préjudiciable important, et non

l’importance de l’impact potentiel . 155

25. Sous la rubrique «Absence de risque», M. Kohen a invoqué le projet d’articles de la

commission du droit international (CDI) sur la prévention des dommages transfrontières résultant

d’activités dangereuses, adopté en 2001 156; il l’a fait pour essayer de montrer que la route ne

présentait aucun risque de causer de tels dommages. Je relèverai d’abord qu’il y a lieu de nourrir

quelques doutes quant à l’applicabilité de ce projet d’articles au projet routier du Costa Rica, étant

donné qu’il vise les dommages résultant d’«activités dangereuses». Certes, il se peut que des

matières dangereuses soient transportées sur la route, mais la route elle-même ne semble pas entrer

dans la catégorie des «activités» dangereuses. En effet, la CDI, dans son commentaire, a dit ceci :

49 «aux fins des présents articles, l’expression «risque de causer un dommage transfrontière

significatif» renvoie à l’effet combiné de la probabilité qu’un accident se produise et de l’ampleur

157
de l’impact dommageable ainsi causé» . Cette explication nous montre que le projet d’articles

vise, du moins principalement, les activités dont peuvent résulter des «accident[s]». Le Nicaragua

s’inquiète certes à juste titre du risque que des accidents se produisant sur la route n’entraînent le

déversement de substances dangereuses dans le fleuve San Juan, et entend que ce risque soit pris en

considération dans une évaluation complète de l’impact sur l’environnement qu’aurait la route

154
Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt, C.I.J. Recueil 2010 (I), p. 83,
par. 204.
155Voir CR 2015/14, p. 51, par. 10 (Ugalde).

156Commission du droit international, projet d’articles sur la prévention des dommages transfrontières résultant
d’activités dangereuses, Annuaire de la Commission du droit international, 2001, vol. II, deuxième partie, p. 148, par. 98.
157
Ibid., p. 152, par. 2 du commentaire de l’article 2. - 49 -

après reconstruction, mais la question que la Cour examine maintenant est de savoir si le

Costa Rica aurait dû procéder à une évaluation de l’impact sur l’environnement avant

d’entreprendre la construction de la route. Or, les routes, en elles-mêmes, ne sont généralement pas

considérées comme relevant des activités dangereuses que vise le projet d’articles  encore qu’il

soit sans doute pardonnable de considérer que le Costa Rica a fait de son mieux pour que la

construction de sa route entre effectivement dans cette catégorie.

26. Ce que je veux dire, Monsieur le président, c’est que le projet d’articles, ayant été conçu

dans l’optique d’«activités dangereuses», prévoit de retenir des seuils plus élevés de risque

d’impact préjudiciable pour déterminer si telle ou telle activité relève de l’application de ses

dispositions. Le Costa Rica voudrait que la Cour applique ces seuils plus élevés au cas de la route,

pour déterminer s’il était tenu de procéder à une évaluation préalable de l’impact sur

l’environnement et était soumis à l’obligation de prévenir les dommages transfrontières. Le

Nicaragua pense quant à lui qu’il n’était pas dans l’intention de la CDI que ces seuils plus élevés

soient applicables dans des cas tels que celui qui est l’objet de la présente affaire, et considère

qu’ils sont effectivement inapplicables en l’espèce.

27. Pour illustrer la stratégie adoptée par le Costa Rica, je rappelle que M. Kohen, faisant

référence à l’article 2 du projet d’articles, a dit que celui-ci «utilise l’expression «risques» dans le

sens des risques «dont il est fort probable [les italiques sont de lui] qu’ils causeront un dommage
158 o
transfrontière significatif»» . [Projection n 3] Le texte de l’article 2 s’affiche maintenant sur

votre écran et se trouve également sous l’onglet n 46 de votre dossier ; voici ce qu’il dit :

«Aux fins des présents articles :

a) l’expression «risque de causer un dommage transfrontière significatif» recouvre les
risques dont il est fort probable qu’ils ne causeront un dommage transfrontière

significatif et ceux dont il est peu 159bable qu’ils causent des dommages
transfrontières catastrophiques…»

50 28. Eh bien, cette définition cadre avec l’objet du projet d’articles qui, encore une fois, traite

des «activités dangereuses». Or, les textes législatifs internes et les textes internationaux régissant

les évaluations de l’impact sur l’environnement qu’a cités le Costa Rica ne prévoient généralement

15CR 2015/11, p. 46, par. 27 (Kohen).

159Commission du droit international, projet d’articles sur la prévention des dommages transfrontières résultant
d’activités dangereuses, Annuaire de la Commission du droit international, 2001, vol. II, deuxième partie, p. 151-152. - 50 -

pas un seuil aussi élevé de «probabilité» de dommages importants. La Cour n’a d’ailleurs pas

retenu un tel seuil en l’affaire des Usines de pâte à papier lorsqu’elle a énoncé la règle à appliquer,

se bornant à dire qu’il existe une obligation de procéder à une évaluation de l’impact sur

l’environnement «lorsque les activités industrielles projetées risquent d’avoir [may have] un impact

préjudiciable important dans un cadre transfrontière» (les italiques sont de nous). L’emploi dans le

texte anglais de l’arrêt de l’expression «may have» montre bien que le risque considéré est moindre

qu’une «forte probabilité». De plus, il y a lieu de garder à l’esprit que lorsqu’elle parle d’un

«impact (ou «effet») négatif significatif», la CDI entend désigner quelque chose de moins grave

que ce qu’elle appelle un «dommage significatif , et qu’une expression semblable figure dans le

principe 17 de la déclaration de Rio, qui porte sur les études de l’impact sur l’environnement.

Donc, le seuil d’application de l’obligation de procéder à une évaluation de l’impact sur

l’environnement est l’existence d’un «risque», ou d’une possibilité, d’«impact préjudiciable» et

non celle d’un risque plus grave, celui d’un «dommage important». [Fin de la projection]

29. Il est utile de consulter les commentaires de la CDI pour déterminer ce que constitue un

«risque» pour la détermination du seuil à partir duquel il y a obligation de procéder à une
o
évaluation de l’impact sur l’environnement. [Projection n 4] Le passage pertinent s’affiche sur

votre écran et vous le trouverez également sous l’onglet n 47 de votre dossier. Voici ce qu’il dit :

«Quant au concept de «risque», il se rapporte par définition à des possibilités
futures et comporte donc un élément d’évaluation ou d’appréciation du risque ... [le

facteur déterminant étant] l’appréciation qu’un observateur dûment 161ormé a faite ou
aurait dû faire du dommage pouvant résulter d’une activité.» [Fin de la projection]

30. Il convient bien entendu de ne pas perdre de vue que cette explication vaut pour le risque

résultant d’activités dangereuses, et non d’activités telles que la construction d’une route.

Néanmoins, le commentaire rend l’idée qu’un observateur modérément informé devrait être

capable de dire si le seuil applicable est atteint ou non.

160Voir par exemple la convention sur le droit relatif aux utilisations des cours d’eau internationaux à des fins
autres que la navigation, 21 mai 1997, Assemblée générale des Nations Unies, résolution 51/229, annexe, article 12, et
commentaire de la CDI, annuaire, 1994, vol. II, deuxième partie, p. 111, par. 222 («Le seuil qu'établit ce critère est censé
être inférieur aux « dommages significatifs » visés à l'article 7. Un « effet négatif significatif » peut donc ne pas atteindre
le niveau du « dommage significatif » au sens de l'article 7.»).
161
Ibid., p. 151, par. 14 (commentaire de l’article 1). - 51 -

31. Comme nous l’avons vu, le seuil applicable en la présente instance est la possibilité que

la construction de la route ait un impact préjudiciable important «dans un cadre

transfrontière»  et je relève que la Cour s’est abstenue, dans sa décision en l’affaire des Usines de

51 pâte à papier, d’employer l’expression «dommage transfrontière», préférant dire «dans un cadre

transfrontière» —, ce qui élargit le champ d’application de l’obligation. Le Nicaragua tient à faire

valoir que : a) la route est proche de la frontière, se trouvant en certains endroits à quelques mètres

seulement de celle-ci ; b) la route suit le cours du fleuve sur environ 108 kilomètres, et le fleuve

lui-même est un site inscrit sur la liste de Ramsar, donc un site sensible ; c) M. Thorne, expert cité

par le Costa Rica, a dit du San Juan inférieur qu’il était «incapable d’absorber» même les apports

sédimentaires antérieurs à la construction de la route ; et d) l’expérience internationale et le simple

bon sens indiquent que, comme l’a dit ce matin l’agent du Nicaragua, la construction d’une route

stimule le développement. Tous ces facteurs devraient amener l’observateur dont je viens de parler

à conclure à la nécessité d’une évaluation de l’impact du projet routier sur l’environnement.

32. Monsieur le président, cette nécessité s’impose a fortiori dans la perspective de la

reconstruction complète de la route qui, selon M. Thorne et comme le veut, encore une fois, le

simple bon sens, est requise.

33. Monsieur le président, je regrette de ne pas avoir le temps d’entrer dans certains des

détails de l’évaluation de l’impact sur l’environnement dont a parlé ce matin

M. l’ambassadeur Argüello. Heureusement, l’agent du Nicaragua a fourni quelques-uns de ces

détails. De plus, j’ai traité de cette question dans mon intervention du premier tour. J’ajoute que le

détail de ce que l’évaluation de l’impact sur l’environnement devrait couvrir est exposé dans les

rapports de M. Sheate, auxquels j’invite la Cour à se reporter.

Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges, me voici parvenu au terme de mon

exposé. Je vous remercie vivement de votre patiente attention. Monsieur le président, je vous prie

de bien vouloir appeler à la barre mon collègue M. Pellet.

The PRESIDENT: Thank you, Professor McCaffrey. I give the floor to Professor Pellet. - 52 -

Mr. PELLET:

R ESPONSIBILITY

1. Thank you, Mr. President. Mr. President, Members of the Court, my task this morning is

to discuss Costa Rica’s responsibility arising from the construction of Route 1856  and let me

already clarify one point: the word “construction” refers to both an action (constructing) and a fact

(the result of that action).

52 2. As we know, and Ambassador Ugalde has indicated that he agrees , for the responsibility

of a State to be engaged at international level, it is necessary and sufficient for a violation of one of

the State’s international obligations to be able to be attributed to it. Professor McCaffrey has

shown that Costa Rica breached (and has continued to breach) several of its environmental

obligations. The same facts also constitute breaches of the obligations incumbent upon it under the

Treaty of Limits of 1858, as I shall endeavour to establish in the first part of my presentation.

Then, in the second part, I shall return to the reparation which is due to Nicaragua in consequence,

within the limited time that my colleagues have been good enough to allow me.

I. The breaches of the 1858 Treaty

3. Mr. President, I concur with Professor Kohen that “the Treaty of 15 April 1858 is a core

component of the relationship between the two countries” 163and that the River San Juan “plays a

key role” in the settlement of the boundary issues between the two countries . And we certainly

do not dispute, as the Court explained in its 2009 Judgment, “that the Parties did not intend to

establish any hierarchy as between Nicaragua’s sovereignty over the river and Costa Rica’s right of

165
free navigation, characterized as ‘perpetual’” . But  and what a “but”, Mr. President!  “the

language used in Article VI means that the right of free navigation granted to Costa Rica in that

16CR 2015/13, p. 46, para. 12 (Ugalde).

16CR 2015/11, p. 38, para. 3 (Kohen).
164
Ibid.
16Dispute regarding Navigational and Related Rights (Costa Rica v. Nicaragua), Judgment, I.C.J. Reports 2009,

p. 237, para. 48. - 53 -

provision applies exclusively within the ambit of navigation ‘for the purposes of commerce’ and

ceases to apply beyond that ambit” . 166

4. Costa Rica still declines to draw the appropriate conclusions from that fundamental “but”,

and persists in claiming a right of navigation tout court, and in overlooking the fact that it is limited

to “the purposes of commerce”: throughout its pleadings last week it flaunted that unlimited right

of navigation  in his presentation of 23 April alone, Marcelo Kohen mentioned it six times, and

53 only recalled twice that this right is granted to Costa Rica exclusively “con objectos de

comercio” .167

5. Moreover, this recurring discussion of the scope of Costa Rica’s right of navigation on the

San Juan de Nicaragua is all the more revealing in light of the fact that it is of no particular interest

for resolving the dispute which Nicaragua has submitted to the Court. What is at issue here is not

the right of navigation of Costa Rica, but  amongst other things  that of Nicaragua itself, and

not only on the shared section of the river, but also as far as the river mouth. (If, at the same time,

Costa Rica adversely affects its own right of navigation for the purposes of commerce, that is its

business  and it only has itself to blame.)

[Slide 1: Violations of the right to navigate the San Juan]

6. That leads me, Mr. President, to explain once again how the construction of the road (both

aspects thereof: action and fact) has violated and continues to violate the free navigation (of

Nicaragua) on the river. As the four colleagues and friends who preceded me at the rostrum have

demonstrated, the essential point is not that the construction has caused increased overall (or

average) sedimentation of the river and its bed; it is that this additional sediment accumulates in

particular locations, forming obstacles to navigation.

7. According to Professor Thorne himself, Costa Rica’s expert, the additional sedimentation

resulting from the construction of Route 1856 does indeed constitute an obstacle to navigation in

the lower San Juan  and let no one invoke the fact that we are citing Professor Thorne in

preference to our own experts : obviously, we have full confidence in them, but who could be

166
Dispute regarding Navigational and Related Rights (Costa Rica v. Nicaragua), Judgment, I.C.J. Reports 2009,
p. 241, para. 61 (emphasis added); see also, in particular, p. 244, para. 71.
16CR 2015/11, p. 38, para. 3 and p. 40, para. 8 (Kohen).
168
See CR 2015/13, p. 11, para. 5 and p. 21, para. 41 (Wordsworth). - 54 -

less likely to collude in supporting our arguments than the expert in which Costa Rica has placed

169
its full confidence, and who has proudly proclaimed his independence , which we indeed

welcome?

54 8. Let us accept, therefore, that the sedimentation constitutes an obstacle to navigation only

in the lower reaches of the river, even though it seems to me that this is still in some doubt . The 170

fact remains that the internationally wrongful act is established, and that, I believe, relieves me of

the need to discuss our opponents’ arguments on this point, even though, Mr. President, I cannot

resist the temptation of mentioning one argument that I find truly absurd (and yet it was repeated

twice by the Costa Rican counsel) , namely that the presence of sediment deltas along both banks

of the river is proof that their formation is not due to the construction of the road! Wherever the

sediment comes from (and that includes the road, of course), it halts when it meets an obstacle, and

obviously does not necessarily favour the bank of the river whence it originated!

9. Be that as it may, the fact remains that the construction of the road  still in the two

senses of the word  is contrary to the provisions of the treaty:

 first, because Nicaragua has the right to “prevent the Bay of San Juan del Norte from being

obstructed, to keep the navigation of the River . . . free and unembarrassed, or to improve it for
172
the common benefit” and hence to navigate it and to maintain that free, “unembarrassed”

(«sans encombre») navigation, it follows that Costa Rica has a corresponding duty not to

“embarrass” it («de ne pas l’empêcher»), including in the delta;

[End of slide 1]

 second, because Costa Rica has other obligations under the treaty, obligations which it has

cheerfully violated, not  I would stress  by constructing the road (clearly we do not dispute

its right to construct a road on its territory), but by constructing it in a thoroughly careless way,

169See CR 2015/3, p. 30.
170
MN, pp. 128-133, paras. 4.13-4.19 and RN, pp. 170-172, paras. 5.22-5.25. See also, in particular: the reports
of Professor Kondolf, Dec. 2012, Sect. 6; MN, Vol. II, Ann. 1, and July 2014, Sect. 11; RN, Vol. II, Ann. 1; the report
of Professor Andrews, July 2014, Sect. V.I.; RN, Vol. II, Ann. 3; and the Written Statement of Emeritus
Professor Edmund D. Andrews, 15 Mar. 2015, p. 2, para. 5. See also the report of the Federated Association of
Engineers and Architects of Costa Rica, 8 June 2012, p. 16; MN, Vol. II, Ann. 4.
171
CR 2015/11, p. 42, para. 14 (Kohen); CR 2015/13, p. 32, para. 18 and p. 40, para. 41 (Parlett).
172Award of the Arbitrator, the President of the United States, upon the validity of the Treaty of Limits of 1858
between Nicaragua and Costa Rica (Cleveland Award), 22 Mar. 1888, reprinted United Nations, Reports of International
Arbitral Awards, Vol. XXVIII (2006), p. 209, point 4; MCR, Vol. II, Ann. 7. - 55 -

and without any consultation with Nicaragua, despite the particularly sensitive neighbourly

relationship between the two countries as a result of the boundary being delimited on the river

bank.

10. The first of these violations, “the mother of all the others” as it were, is the violation of

Nicaragua’s territorial sovereignty. Costa Rica attempts to absolve itself from it rather

55 simplistically, by countering that it “has never exercised the slightest authority, or carried out the

least activity, on Nicaraguan territory. That,” says Professor Kohen, “is more than enough to

dismiss Nicaragua’s complaint of violation of its territorial sovereignty and integrity” . That is3

most certainly not the case, Mr. President. My opponent’s notion of those principles is excessively

restrictive. In particular, he overlooks the fact that they are indissociable from the principle of the

non-injurious use of territory, which entails very generally, in the celebrated words of the

Corfu Channel case, “every State’s obligation not to allow knowingly its territory to be used for

acts contrary to the rights of other States” .74

[Slide 2: Violation of the territorial sovereignty of Nicaragua  debris falling into the river]

11. Here, we are no longer in the field of environmental protection, but in the more general

domain of the defence of territorial sovereignty. That implies that a State must not use its territory,

or allow it to be used by a neighbouring State, for injurious purposes, without the authorization of

the territorial sovereign; in other words, that it must exercise vigilance, or due diligence, in order

to prevent any violation of that other territory. And I do mean “any violation”, since there is no

need to discuss a specific threshold: the gravity of the injury is relevant only to the modalities or

amount of the reparation. That was explained perfectly by Ms Parlett the day before yesterday,

when she said: “there is no threshold of ‘significant’ when it comes to damage caused on another
175
State’s territory” . The issue is not therefore whether the damage is of a particular gravity (which

does not mean that it is not in this instance).

173
CR 2015/11, p. 41, para. 11 (Kohen).
17Corfu Channel (United Kingdom v. Albania), Merits, Judgment, I.C.J. Reports 1949, p. 22; see also Island of
Palmas (Netherlands v. United States of America), Award, 4 April 1928, UN, RIAA, Vol. II, p. 829.
175
CR 2015/14, p. 41, para. 8 b) (Parlett); see also ibid., p. 20, para. 36 (Wordsworth). - 56 -

12. Nor is it whether the violations of the territory of a neighbouring State are objectively

intentional or deliberate, as Professor Kohen seems to think , but whether the State on whose

territory the disputed activity is carried out has allowed it to be carried out, when it could have

prevented its repercussions on the territory of the other State. That is clearly the case here: had it

not been for the defects in the road, Members of the Court, I would not have been able to scroll

56 through the images which have been appearing on your screens for some time: large amounts of

debris from the road, including bridges and construction materials, have fallen into the river, and

have subsequently had to be removed. These are all violations of Nicaragua’s territorial

sovereignty, which less negligence and ineptitude on the part of the “competent” Costa Rican

authorities could (and should) have avoided.

[End of slide 2]

13. I shall not dwell on the justification which Costa Rica believed it could find in Article IV

of the treaty. That article concerns the defence of the San Juan “in case of external aggression”.

14. The obligation to notify can in fact be inferred from the Treaty, just as the Court inferred

that such an obligation was incumbent upon Nicaragua with regard to the regulation of navigation

on the river. We demonstrated that this was the case in our Reply ; Professor Kohen was

178
obliging enough to refer to that demonstration in a footnote , but he did not deem it worthwhile to

refute it, so I shall take the liberty of referring you to it. It reinforces a similar obligation deriving

from the environmental rules described by Professor McCaffrey.

15. Mr. President, these violations of the 1858 Treaty of Limits are in addition to those of

what our friends on the other side of the bar term the “applicable environmental law régime”

(«régime de protection de l’environnement»). Whichever way you look at it, Costa Rica has

violated  and continues to violate  its obligations to:

 respect Nicaragua’s sovereignty;

 respect the freedom of navigation on the San Juan River;

176
CR 2015/11, p. 41, para. 12 (Kohen).
17MN, pp. 135-139, paras. 4.22-4.27 and RN, pp. 172-177, paras. 5.26-5.34.
178
CR 2015/11, p. 40, para. 9, fn. 150 (Kohen). - 57 -

 respect its obligation not to use its territory for purposes which are injurious to a neighbouring

State.

In the absence of any circumstances excluding wrongfulness (and Steve McCaffrey has

shown that the so-called state of emergency was certainly no such thing!)  in the absence then of

57 any exonerating factors, these are internationally wrongful acts which engage Costa Rica’s

responsibility. It only remains for me to say a few words about the consequences to be drawn from

this.

II. The remedies requested by Nicaragua

16. In other words, I have now come to the “remedies” requested by Nicaragua, a word

which has no precise meaning, at least not in French; moreover, there is no entry for “remède” in

Salmon’s Dictionnaire de droit international public . 179 Let us say that it covers all the

consequences arising from responsibility, and includes, but is not limited to, reparation.

17. That said, I can first confirm to Ambassador Ugalde 180that, in the submissions which our

Agent will read out in a few moments, we will not be requesting the Court to adopt a declaration

authorizing Nicaragua to suspend Costa Rica’s right of navigation on the San Juan  if only

because it would be moot: if the conditions for adopting a countermeasure were met, an

“authorization” from the Court would not be necessary; and because, in any case, such a measure

is not envisaged at the present time.

18. However, I regret to have to disabuse my opponent of the notion that we have abandoned

our request to the Court to declare, in the operative part of its Judgment, that Nicaragua is entitled

“to undertake works for the improvement of navigation on the San Juan River as it deems suitable,

including by dredging” to remove sedimentation and other obstacles to navigation, in accordance

with the 1858 Treaty . We are requesting it more strongly than ever, Members of the Court.

19. Recent events have in fact shown that, unfortunately, that request was much less moot

than the Court had thought in its 2009 Judgment, since Costa Rica persists in refusing to admit

Nicaragua’s right to dredge. It cannot claim that this request, which was formulated in Nicaragua’s

179
J. Salmon (ed.), Dictionnaire de droit international public, Brussels, Bruylant, 2001, 1198.
18See CR 2015/13, p. 45, para. 5.

18See ibid., pp. 45-46, paras. 6-7. - 58 -

182
58 Memorial , does not fall within the framework of the present case: the dredging of the lower

San Juan, the lawfulness of which it disputes, is made essential by the construction of Route 1856;

it is that which has placed an intolerable additional load on the Lower San Juan. It seems to us that

this declaration by the Court is not merely useful, but that it is actually the key to achieving a

lasting resolution of this recurring dispute between the Parties. Moreover, this is a point which is

common to the case which concerns us this morning and the one which brought us together

yesterday, and is perhaps one of the aspects which provides the most rational justification for the

Court’s decision to join the two cases.

20. The first declaration requested in Nicaragua’s submissions seeks to have the Court find

that “by its conduct, Costa Rica has breached . . . (i) its obligation not to violate the integrity of

Nicaragua’s territory”.

21. In that regard, I recalled in passing, in my presentation of 21 April, that the responsibility

of the State was engaged by the simple fact of an internationally wrongful act . 183

Ambassador Ugalde had the good grace to agree in principle, but he notes that it is a different

matter if the primary rule itself makes the violation dependent on whether harm has been caused, as

is the case with certain rules on environmental protection . Now it is my turn to agree  with

equally good grace, Mr. President  with my opponent! However, I should like to make three

additional points:

 first, in this instance, the construction of the road has caused genuine harm (which exists,

however you like to qualify it);

 second, some of the rules, even some of the environmental ones, which Costa Rica has

violated, do not require proof of damage, but of the risk of damage occurring; that is true of

the obligation not to implement a project which presents a risk of transboundary damage

without carrying out an environmental impact assessment, the absence of which is fundamental

in the case at hand  that is the subject of Nicaragua’s submission 3 (i), to which I shall not

have time to return: it has been thoroughly explained by my colleagues;

182
MN, p. 252, para. 3 (i).
18CR 2015/10, pp. 50-51, para. 5 (Pellet).
184
CR 2015/13, p. 47, paras. 12-13 (Ugalde). - 59 -

 finally, and in any case, Nicaragua’s submission regarding territorial sovereignty does not

relate either exclusively or principally to the violation of environmental protection rules, but to

59 the violation of general principles of international law  territorial sovereignty, the

non-injurious use of territory, etc.  which do not set a threshold of injury for the

responsibility of the State to be engaged, and for the reparation and other consequent

“remedies” to be due.

22. On the other hand, Mr. President, I am not sure that my opponent fully understood what I

said in relation to our request for the Court to adjudge and declare “that Costa Rica must cease all

its continuing internationally wrongful acts that affect or are likely to affect the rights of

Nicaragua”. No doubt it is because I did not express myself clearly. Mr. Ugalde asserts that

“En fin de compte, cependant, il [c’est-à-dire moi, Alain Pellet,] a reconnu que la déclaration de

cessation demandée par le Nicaragua est inséparable des mesures qu’il demande à titre de

[185]
restitutio . La demande de cessation n’est donc apparemment plus maintenue à titre de moyen

de réparation distinct.” 186 Sauf le respect qui est dû à mon contradicteur, Monsieur le président, je

n’ai rien reconnu de tel et M. l’ambassadeur Ugalde se fourvoie lorsqu’il postule que “[l]a demande
187
de cessation n’est donc apparemment plus maintenue à titre de moyen de réparation distinct” .

Admittedly, the request for a decision ordering Costa Rica to cease its internationally wrongful acts

will no longer be relevant once Costa Rica has provided restitution  which will involve, in

particular, re-routing at least part of the road. However, as I showed last week , where the 188

violation is a continuing one, the first consequence of its author’s responsibility is that it must

cease. In particular, the future remediation work must be carried out in accordance with best

practice, and not compound the existing defects.

23. Nor are we abandoning our requests relating to Costa Rica’s future conduct . 189

24. As regards the exclusion of lorries or heavy goods vehicles carrying hazardous

substances from using the road, Costa Rica has responded with a decree dating from 1995, of

185
Fn. 172: CR 2015/10, p. 58, para. 19 (Pellet).
186
CR 2015/13, pp. 47-48, para. 16 (Ugalde).
18Ibid., p. 48, para. 16.
188
CR 2015/10, p. 52, para. 10 (Pellet).
189
See ibid., p. 64, para. 32. - 60 -

190
60 which it has only produced extracts , but it is not clear that it covers common products such as

petrol or fuel, even moderately large quantities of which would, if spilled into the San Juan,

nevertheless be absolutely catastrophic. Our opponents claim that this is only a hypothetical risk.

When you see the state of the road in certain places, unfortunately the hypothesis does not seem

quite so fanciful. Moreover, and in any case, according to the celebrated words of Principle 15 of

the Rio Declaration, “[w]here there are threats of serious or irreversible damage, lack of full

scientific certainty shall not be used as a reason for postponing cost-effective measures to prevent

191
environmental degradation” .

25. Costa Rica constructed its road without an environmental impact assessment, in

circumstances which were extremely injurious to Nicaragua. That being so, Mr. President, the

harm has been done, and it is incumbent on Costa Rica to make good the consequent damage. That

presupposes, first and foremost, that it strives to re-establish the situation which existed before the

wrongful act  that is to say the defective construction of the road  was committed . 192

Admittedly, as our opponents have said, that obligation of remediation must be understood in terms

193
of the content of the primary obligation which has been breached ; in this instance, those

obligations are numerous  and are not limited, as they have asserted, to the obligation not to

194
cause significant harm . Furthermore, Mr. Ugalde is clearly concerned above all that Costa Rica

should be free to carry out the restitution in a manner of its own choosing . However, he goes a

step too far when he suggests that we have abandoned the idea that, in so doing, it should respect a

number of constraints . Even though we have not specified them in the body of our submissions,

61 it still seems just as necessary to us for Costa Rica to respect the opinions of competent experts 

including those whom it has itself consulted; and I note in this regard that Professor Thorne

19Executive Decree No. 24715-MOPT-MEIC-S, 6 Oct. 1995 (RCR, Vol. IV, Ann. 15). See CR 2015/13, p. 40,
para. 38 (Parlett) and p. 48, para. 20 (Ugalde).

19Rio Declaration on Environment and Development, 14 June 1992, Principle 15; see also Art. 3 of the ILC’s
Draft Articles on International Liability for Injurious Consequences arising out of Acts not Prohibited by International
Law and commentaries thereto, in particular, Yearbook 2001, Vol. II, Part Two, p. 155, para. 14.

19See Art. 35 of the ILC’s 2001 Articles on the Responsibility of States for Internationally Wrongful Acts.

19CR 2015/13, p. 51, para. 33 (Ugalde).
194
Ibid., p. 51, para. 34.
19Ibid., pp. 51-52, paras. 35-41.

19Ibid., p. 51, para. 36. - 61 -

considered that  it has already been cited, but it is extremely important: “In extremis, la solution

permanente peut être de modifier le tracé de la route et, encore une fois, M. Weaver  je n’ai pas
197
beaucoup à redire à ses recommandations ; il sait de quoi il parle.”

26. I shall move on, Mr. President, with your permission, to a very brief word on

compensation, which Nicaragua is requesting the Court to establish in principle in the forthcoming

Judgment, while leaving the amount to be fixed in a subsequent phase of the proceedings. I really

do not need to dwell on it. Ambassador Ugalde merely asserted that Nicaragua had not

demonstrated that it had suffered harm, and that no compensation was therefore justified . Since 198

our opponents continue to insist that the earth is flat, there would appear to be no point in

demonstrating the contrary: I’m sure you understand me, Members of the Court!

[Slide 3: Appointment of one or more experts]

199
27. This brings me to the matter of the appointment of one or several experts .

28. In its Reply (and in the letter of 4 August 2014 from the Agent to the Registrar of the

Court), Nicaragua requested the Court to appoint a neutral expert  without any disrespect to

Professor Thorne 200 or the other distinguished experts who have assisted the Parties in this case.

Furthermore, the expert thus appointed, for whose expenses and fees Nicaragua has suggested that

the Parties should share the cost, could be assisted by experts designated by the Parties  in a

similar manner to the way the arbitral commission chaired by General Alexander worked. This

expert, or committee of experts, could, initially, assist the Court in ascertaining the extent of the

damage suffered by Nicaragua as a result of the construction of the road  at least if the abundant

62 and expert evidence we have produced were not sufficient to convince the Court. However, even if

it were, we believe that this expert or committee could play an extremely useful role in at least two

regards:

 first, to assist the Court in assessing the damage suffered by Nicaragua as a result of the

construction of the road; and

197
CR 2015/12, p. 29 (Thorne); see also: Written Statement of William E. Weaver, Ph.D., 15 Mar. 2015, p. 20,
para. 53.
19CR 2015/13, p. 53, para. 44 (Ugalde).

19See RN, pp. 260-263, paras. 7.13-7.15, p. 273, para. 7.35; and RCR, pp. 126-128, paras. 4.15-4.17.
200
See CR 2015/3, p. 30 (Reichler and Thorne). - 62 -

 second, to ensure that the remedial measures taken by Costa Rica are adequate.

29. Costa Rica, true to its consistently defiant stance, somewhat bluntly rejected this

suggestion: “le Costa Rica estime que rien ne justifie que la Cour exerce son pouvoir de désigner

201
un expert, comme le demande le Nicaragua” . This in a letter to the Registrar from the Co-Agent

of Costa Rica. And, even more negatively, Costa Rica writes in its Rejoinder:

“Cette demande tardive peut manifestement être interprétée soit comme une
manœuvre dilatoire, soit comme une reconnaissance tardive par le Nicaragua de ce

qu’il n’a pas su apporter la preuve 202ses allégations. Dans un cas comme dans
l’autre, elle devrait être rejetée.”

30. Mr. President, to put it colloquially, “only fools never change their minds”! It appears

that Costa Rica has changed its mind, even if the desire not to lose face accounts for the slightly

different wording of the letter dated 2 February last from Costa Rica’s Co-Agent, suggesting not

the appointment of an expert but a site visit by a delegation  why a delegation?  a delegation

of the Court, which, I quote, “permettrait à celle-ci de se faire une meilleure idée des proportions et

de l’emplacement de la route, du contexte dans lequel les allégations de dommages ont été

formulées et des prétendus risques de dommage que la route pourrait présenter pour le Nicaragua

203
ou son territoire” . It is a way of recognizing that an on-site verification is essential (unless, of

course, I repeat, the Court is satisfied with the evidence produced by the Parties  and we think

that ours is strong).

31. As I indicated last Friday, in relation to a similar problem in the Certain Activities

63 case , Nicaragua, by letter from our Agent to the Registrar on 10 February last, agreed in

principle with Costa Rica’s proposal  while noting that it had come very late in the day  and

once again suggested appointing one or more experts.

32. Of course, as I recalled a fortnight ago and again yesterday in the case concerning

Certain Activities, it is open to the Court, under Article 66 of the Rules, to conduct a site visit “at

205
any time” . It is perhaps not the most realistic of options . . . But the appointment of an expert or

201
Letter from the Co-Agent of Costa Rica to the Registrar of the Court, 14 Aug. 2014, ref. ECRPB-085.
202RCR, p. 128, para. 4.17.

203Letter from the Co-Agent of Costa Rica to the Registrar of the Court, 2 Feb. 2015, ref. ECRPN010-15.
204
CR 2015/7, pp. 63-64, para. 51 (Pellet).
205Ibid. - 63 -

a committee of experts, as we suggested, is still and would be, in our view, a particularly welcome

procedural initiative.

33. Members of the Court, the two cases of which you have been seised by Costa Rica and

Nicaragua respectively relate to the San Juan River. They seek judgment on issues that are not the

same  which is no doubt why you set an extremely complex schedule for the hearings that has

resulted in a novel game of musical chairs. Nonetheless, the Court joined these cases, taking the

view that

“[b]oth cases are based on facts relating to works being carried out in, along, or in

close proximity to the San Juan River, namely the dredging of the river by Nicaragua
and the construction of a road along its right bank by Costa Rica. Both sets of
proceedings are about the effect of the aforementioned works on the local environment
and on the free navigation on, and access to, the San Juan River. In this regard, both
Parties refer to the risk of sedimentation of the San Juan River.”206

This at least justifies the drawing of parallels and comparisons.

34. In brief, Mr. President, what characterizes our two cases is that there is no common

measure between them in terms of importance. In one case, that of the Activities of which

Nicaragua is accused in the Border Area, the uncertainty surrounding the boundary line is a

fundamental factor; if that uncertainty were removed to the advantage of Costa Rica and if, in

addition, a breach of international law were to be found  I put forward this hypothesis solely for

the sake of argument  the harm suffered by Costa Rica, which is purely legal in nature, would be

symbolic at most, notwithstanding the dramatic way in which it has been portrayed by our friends

on the other side of the Bar. In the other case, there can be no doubt that the construction of Route

64 1856 by Costa Rica, under the conditions in which it has been carried out, has caused  and

continues to cause  very real and substantial harm to the undisputed territory of Nicaragua.

35. Members of the Court, this concludes my presentation, and I thank you for listening to

me, though it does not quite conclude our second round of argument, since it remains for our Agent

to read Nicaragua’s final submissions. Before you call him, Mr. President, allow me a small

personal observation: we are to meet here again tomorrow, which is the first of May; as I have

consistently done during my many years with the International Law Commission, I note that I find

20Certain Activities carried out by Nicaragua in the Border Area (Costa Rica v. Nicaragua); Construction of a
Road in Costa Rica along the San Juan River (Nicaragua v. Costa Rica), Joinder of Proceedings, Order of
17 April 2013, I.C.J. Reports 2013, p. 170, para. 20 and p. 187, para. 14. - 64 -

it most regrettable that the United Nations does not observe this day of rest: the only holiday that is

genuinely international and without religious connotations; I have decided that tomorrow I will go

on a “robe strike”! I would ask you not to take offence at this, Members of the Court; it is simply

proof of my attachment to my internationalist values. Mr. President, could you give the floor to

Ambassador Argüello Gomez?

The PRESIDENT: Thank you, Professor. I give the floor to the Agent of Nicaragua,

Ambassador Argüello Gómez.

M. ARGÜELLO : Merci, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour. Je suis

reconnaissant de pouvoir aujourd’hui poursuivre mon travail et donner lecture des conclusions.

Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je vais maintenant procéder à la

lecture des conclusions finales du Nicaragua.

C ONCLUSIONS FINALES

1. Sur le fondement des moyens exposés au cours de la procédure écrite et de la procédure

orale en l’espèce, la République du Nicaragua prie la Cour de dire et juger que, par ses

agissements, la République du Costa Rica a violé :

i) l’obligation lui incombant de ne pas porter atteinte à l’intégrité du territoire nicaraguayen,

délimité par le traité de limites de 1858, selon l’interprétation qui en a été faite

par la sentence Cleveland de 1888 et les cinq sentences rendues par l’arbitre

Edward Porter Alexander les 30 septembre 1897, 20 décembre 1897, 22 mars 1898,

26 juillet 1899 et 10 mars 1900, respectivement ;

ii) l’obligation lui incombant de ne pas causer de dommages au territoire nicaraguayen ;

65 iii) les obligations lui incombant au titre du droit international général et des conventions

applicables en matière de protection de l’environnement, dont la convention de Ramsar

relative aux zones humides, l’accord sur les zones frontalières protégées entre le Nicaragua

et le Costa Rica (accord sur le système international de zones protégées pour la paix

[SIAPAZ]), la convention sur la diversité biologique et la convention concernant la - 65 -

conservation de la biodiversité et la protection des zones prioritaires de faune et de flore

sauvages d’Amérique centrale.

2. Le Nicaragua prie également la Cour de dire et juger qu’il incombe au Costa Rica :

i) de mettre fin à tous les faits internationalement illicites en cours qui portent atteinte ou

sont susceptibles de porter atteinte à ses droits ;

ii) de rétablir, dans la mesure du possible, le statu quo ante, en respectant pleinement sa

souveraineté sur le fleuve San Juan de Nicaragua, notamment en prenant les mesures

d’urgence nécessaires pour contenir ou atténuer le dommage qui continue d’être causé au

fleuve et au milieu environnant ;

iii) de l’indemniser pour tous les dommages causés, s’il n’y est pas remédié par voie de

restitution, en prenant notamment à sa charge les frais supplémentaires de dragage du

fleuve San Juan de Nicaragua, le montant de l’indemnisation restant à déterminer à un

stade ultérieur de la procédure.

3. En outre, le Nicaragua prie la Cour de dire et juger qu’il incombe au Costa Rica de

s’abstenir :

i) de mettre en chantier tout nouveau projet dans la région sans avoir procédé à une

évaluation en bonne et due forme de l’impact transfrontière sur l’environnement, dont les

résultats devront être soumis en temps voulu au Nicaragua pour lui permettre de les

analyser et d’y réagir ;

ii) d’utiliser la route 1856 pour transporter des matières dangereuses tant qu’il n’aura pas

fourni des garanties que la route est conforme aux règles de l’art en matière de

construction et aux normes régionales et internationales les plus strictes en matière de

sécurité routière dans des conditions semblables.

4. La République du Nicaragua demande en outre à la Cour de dire et juger que le Nicaragua

est en droit :

i) conformément au traité de 1858, selon l’interprétation qui en a été faite par les sentences

arbitrales ultérieures, d’effectuer des travaux pour améliorer la navigabilité du

fleuve San Juan, y compris des travaux de dragage visant à lutter contre la sédimentation

et les autres obstacles à la navigation. - 66 -

66 Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, ainsi prend fin la lecture des

conclusions finales du Nicaragua et je me dois d’ajouter qu’il n’est jamais encore arrivé à ce

dernier de présenter ses remerciements et de lire ses conclusion finales deux fois en autant de jours.

Quoi qu’il en soit, je tiens à vous remercier à nouveau de votre attention. Ma gratitude s’adresse

également au Greffier et à son personnel, aux interprètes et aux fonctionnaires dont le travail a

permis le déroulement sans heurts de la procédure au cours de ces trois longues semaines. Enfin, je

tiens à exprimer toute ma reconnaissance aux membres de l’équipe nicaraguayenne pour leur

dévouement et, à vrai dire, pour leur courage après ce dur labeur. Je vous remercie, Monsieur le

président, Mesdames et Messieurs de la Cour.

The PRESIDENT: Thank you, Ambassador. The Court takes note of the final submissions

which you have just read out on behalf of the Republic of Nicaragua.

The Court will meet again tomorrow afternoon, from 3 p.m. to 6 p.m., to hear the second

round of Costa Rica’s oral argument.

Thank you. The sitting is closed.

The Court rose at 1.05 p.m.

___________

Document Long Title

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