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CR 2015/12

Vendredi 24 avril 2015 à 10 heures

Friday 24 April 2015 at 10 a.m. - 2 -

10 The PRESIDENT: Please be seated. The Court will now hear the two experts called by

Costa Rica, the first of whom is Mr. Cowx, and I would ask him to take his place at the rostrum.

Good morning, Professor. May I call upon you to make the solemn declaration for experts as set

out in Article 64, subparagraph (b), of the Rules of Court.

M. COWX :

«Je déclare solennellement, en tout honneur et en toute conscience, que je dirai
la vérité, toute la vérité et rien que la vérité et que mon exposé correspondra à ma
conviction sincère.»

The PRESIDENT: Thank you. I now give the floor to counsel for Costa Rica, who will ask

you to confirm the written statement in front of you. Madam.

Mme PARLETT : Bonjour, Monsieur Cowx. Merci d’avoir fait le déplacement pour venir

déposer. Je crois savoir que vous êtes arrivé hier soir seulement du Vietnam. Puis-je vous

demander de confirmer que les deux documents qui se trouvent devant vous, à savoir l’exposé écrit

que vous avez rédigé aux fins de la présente audience et votre rapport du 11 décembre 2014, établi

pour la présente affaire, reflètent vos opinions sincères en tant qu’expert ?

M. COWX : Je le confirme.

Mme PARLETT : Je crois que le conseil du Nicaragua voudrait vous poser quelques

questions.

The PRESIDENT: Thank you. I shall now give the floor to Mr. Loewenstein, counsel for

Nicaragua, for the cross-examination. Mr. Loewenstein, you have the floor.

M. LOEWENSTEIN : Bonjour, Monsieur le président, et bonjour, Monsieur Cowx. Je suis

heureux de faire votre connaissance. Si vous le voulez bien, j’aborderai en premier lieu les

répercussions que l’augmentation de la charge sédimentaire d’un cours d’eau peut avoir sur les

poissons qui y vivent.

M. Thorne, témoignant en tant qu’expert en l’affaire relative à Certaines activités, a énuméré

un certain nombre de conséquences que peut avoir sur les poissons l’augmentation de la charge - 3 -

sédimentaire d’un cours d’eau. Je crois comprendre que la réponse à la question de savoir si

11 l’augmentation de la charge sédimentaire a des effets, et dans quelle mesure, dépend des espèces de

poissons considérées. J’aimerais savoir si vous êtes d’accord avec M. Thorne quant aux types de

conséquences qui peuvent survenir.

Convenez-vous que les sédiments peuvent encrasser et endommager les branchies des

poissons ?

M. COWX : Oui, si la charge sédimentaire est très élevée.

M. LOEWENSTEIN : Diriez-vous que la présence de sédiments peut réduire la capacité de

guérison des poissons blessés ?

M. COWX : Généralement, oui, mais de nombreux poissons ont de toute manière la capacité

de guérir parce que leur peau renferme un antiseptique qui favorise la cicatrisation quelle que soit

la charge sédimentaire.

M. LOEWENSTEIN : Convenez-vous que la présence de sédiments peut perturber la

reproduction de certains poissons parce que les sédiments peuvent endommager les œufs ou

provoquer leur étouffement ou celui des alevins ?

M. COWX : Ce ne sont pas tant les œufs et les alevins qui sont affectés que certaines

frayères ou habitats de fraie à lit de gravier.

M. LOEWENSTEIN : Diriez-vous que les sédiments peuvent avoir une incidence sur le

comportement reproductif des poissons adultes, par exemple en perturbant la reconnaissance

visuelle du partenaire ?

M. COWX : Cela peut se produire chez un nombre très très limité d’espèces. Cela arrive

principalement dans des groupes à espèces multiples tels que ceux rencontrés dans le lac Victoria,

ces espèces se fondant sur les couleurs pour l’identification du partenaire, mais cela arrive très

rarement chez les poissons de rivière. - 4 -

M. LOEWENSTEIN : Convenez-vous que la charge sédimentaire, en réduisant la visibilité,

peut réduire la capacité de certains poissons de localiser leur nourriture ?

M. COWX : De nombreux poissons sont adaptés à la présence de fortes charges

sédimentaires et capables de trouver leur nourriture par détection des mouvements de ce qui les

entoure, grâce à certains organes de leur corps, si bien qu’il est très improbable que pareil effet se

manifeste, sauf si la charge sédimentaire est inhabituellement élevée et entraîne une très forte

turbidité là où l’eau est normalement claire.

M. LOEWENSTEIN : Mais vous admettez que dans certaines circonstances, la charge

sédimentaire peut produire cet effet ?

M. COWX : Il faut pour cela que la charge sédimentaire soit énorme et que les eaux du
12

bassin considéré soient habituellement claires, toujours claires.

M. LOEWENSTEIN : Diriez-vous que la présence de sédiments peut entraîner la disparition

ou la décroissance de communautés de macro-invertébrés ?

M. COWX : C’est possible. Là encore, dans des conditions de forte charge sédimentaire, de

nombreux invertébrés se sont adaptés aux teneurs élevées en sédiments.

M. LOEWENSTEIN : Convenez-vous que certaines espèces de poissons, au moins pendant

certaines phases de leur cycle de vie, dépendent des macro-invertébrés pour se nourrir ?

M. COWX : Certainement. Certains poissons dépendent des macro-invertébrés, mais durant

de très brèves phases juvéniles de leur existence, ils dépendent aussi de ce qu’on appelle le

zooplancton et le phytoplancton, qui se trouvent dans la colonne d’eau, et non des

macro-invertébrés benthiques dont vous parlez.

M. LOEWENSTEIN : Admettez-vous que les sédiments peuvent modifier l’équilibre des

espèces de poissons vivant en un endroit donné ?

M. COWX : J’ai très rarement rencontré ce phénomène. - 5 -

M. LOEWENSTEIN : Que vous ayez ou non observé personnellement le phénomène,

diriez-vous que l’augmentation de la charge sédimentaire peut avoir une incidence, comme

M. Thorne l’affirme dans son rapport d’expert ?

M. COWX : Dans des conditions extrêmes, oui  et par conditions extrêmes, j’entends des

conditions résultant de modifications radicales de l’environnement, non de modifications minimes.

M. LOEWENSTEIN : Admettez-vous qu’il importe de protéger l’équilibre des espèces de

poissons présentes dans les sites inscrits sur la liste de Ramsar ?

M. COWX : Très certainement. Si un site inscrit sur la liste de Ramsar l’a été aux fins de la

conservation d’espèces de poissons, ce qui est extrêmement rare. Les sites inscrits sur la liste le

sont habituellement pour la conservation d’autres types d’organismes, et…

13 M. LOEWENSTEIN : Vous contestez donc l’affirmation selon laquelle il importe de

protéger l’équilibre des espèces de poissons dans les sites inscrits sur la liste de Ramsar, sauf si les

conditions que vous avez mentionnées sont remplies ?

M. COWX : Sauf si le site considéré a été inscrit sur la liste de Ramsar aux fins de la

préservation d’espèces de poissons, il est improbable qu’une modification quelconque de

l’équilibre des espèces ait des effets sur l’ensemble de l’écosystème.

M. LOEWENSTEIN : Mais vous admettez que par principe, il importe de préserver

l’équilibre des espèces de poissons dans les sites inscrits sur la liste de Ramsar ?

M. COWX : Il importe de préserver l’équilibre des espèces de poissons dans n’importe quel

site.

M. LOEWENSTEIN : Bien. Dans votre exposé écrit, vous dites que 81 espèces de poissons

ont été dénombrées dans le bassin du San Juan, dont 54 exclusivement d’eau douce.

Maintenez-vous ce que vous avez écrit ? - 6 -

M. COWX : Ces chiffres reposent sur les informations les plus solides dont je disposais, des

données fournies par M. Bussing et d’autres collègues du Costa Rica.

M. LOEWENSTEIN : Je vois, vous vous êtes donc fondé sur les meilleures informations

dont vous disposiez. Est-ce à dire que vous éprouvez certains doutes quant à la qualité de

l’information ?

M. COWX : Bien loin de là, en fait, je pense qu’il s’agit d’informations d’excellente qualité,

fournies par M. Bussing, qui est le plus éminent spécialiste des espèces de poissons présentes en

Amérique centrale.

M. LOEWENSTEIN : Vous avez classé 11 espèces de poissons vivant dans le fleuve

San Juan comme étant vulnérables ou menacées. Maintenez-vous ce classement ?

M. COWX : Pouvez-vous, s’il vous plaît, me dire où se trouve le passage auquel vous faites

référence ?

M. LOEWENSTEIN : Oui, il s’agit du tableau 2 de la version complète de votre rapport.

M. COWX : Ces listes, j’en suis certain, n’ont pas changé. La plupart des espèces que j’ai

recensées sont des espèces estuariennes, c’est certainement le cas de la première, le carcharhinus,

il s’agit d’un requin. Il n’y a donc guère de chances de rencontrer cette espèce dans des formations

14 d’eau douce ; le centropomus, on le trouve dans les eaux estuariennes, donc très loin de la zone

considérée.

M. LOEWENSTEIN : M. Cowx, je vous ai demandé si vous considérez toujours que

11 espèces de poissons vivant dans le fleuve San Juan méritent d’être classées comme vulnérables

ou menacées.

M. COWX : Eh bien, selon la liste de l’union internationale pour la conservation de la nature

(l’UICN), qui fait internationalement autorité, il n’y en a que six, et deux d’entre elles sont rangées

dans la catégorie «préoccupation mineure», ce qui signifie qu’elles ne sont pas considérées comme - 7 -

vulnérables. L’une des espèces considérées comme vulnérables est le viu, espèce du genre des

megalops.

M. LOEWENSTEIN : Pourquoi alors avez-vous fait figurer 11 espèces dans votre tableau ?

M. COWX : Il s’agit de données provenant du diagnostic de l’impact sur l’environnement…

et j’ai voulu fournir, mettre à jour... j’ai cité ce chiffre par souci de complétude.

M. LOEWENSTEIN : Pour déterminer si les espèces de poissons présentes dans le fleuve

San Juan sont vulnérables à un ou plusieurs des impacts dont nous venons de parler, il faudrait le

faire espèce par espèce, en tenant compte de l’habitat de chacune et de ses seuils de tolérance

environnementale. Etes-vous d’accord là-dessus ?

M. COWX : Oui, ce serait la méthode classique.

M. LOEWENSTEIN : Aucune des espèces de poissons présentes dans le San Juan n’a fait

l’objet d’une étude visant à déterminer sa sensibilité aux sédiments. C’est bien exact ?

M. COWX : A ma connaissance, c’est exact.

M. LOEWENSTEIN : Puis-je maintenant, Monsieur Cowx, vous inviter à vous reporter à

o
l’onglet n 26 du dossier de plaidoiries qui, je crois, vous a été remis ? Vous y trouverez un article

intitulé «The role of catchment scale environmental management in freshwater fish conservation»

[la contribution des mesures de gestion de l’environnement à l’échelle du bassin versant à la

conservation des espèces de poissons], dont vous êtes coauteur, article paru dans la revue Fisheries

Management and Ecology ; dans le passage en surbrillance de la section intitulée «Importance pour
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l’environnement de la conservation des espèces de poissons d’eau douce», vous avez écrit ce qui

suit au sujet des mesures de protection des populations de poissons, je cite :

«Les principaux problèmes que soulèvent les mesures existantes sont le défaut
de données de référence à prendre pour point de départ pour gérer les populations de

poissons, le fait que le public est peu conscient des enjeux, et l’intégration insuffisante
de la conservation aux plans de gestion des ressources en eau.»

Au paragraphe suivant, vous avez écrit ce qui suit : - 8 -

«Le défaut de données de référence pose certes un problème, mais, la nécessité
de prendre des mesures directes de gestion est d’une telle urgence pour de nombreuses
espèces que les décisions devraient être fondées sur les meilleurs travaux scientifiques

et les données d’expérience disponibles pouvant venir étayer les choix de gestion.
Lorsque les informations sur lesquelles fonder une décision restent insuffisantes, il y a
lieu d’agir selon le principe de précaution. Il importe particulièrement de le faire
lorsque des projets de développement sont susceptibles d’avoir des incidences sur des
communautés de poissons dont on sait peu de choses.»

Etes-vous toujours du même avis ?

M. COWX : Je maintiens ce que j’ai écrit…

M. LOEWENSTEIN : Je vous remercie.

M. COWX : Cet article remonte à quelque temps, mais il reste très pertinent.

M. LOEWENSTEIN : Merci beaucoup. Monsieur le président, je n’ai pas d’autre question à

poser à M. Cowx. Nous pouvons maintenant, si telle est votre intention, passer à l’interrogatoire

complémentaire.

The PRESIDENT: Thank you. I now give the floor to counsel for Costa Rica, Ms Parlett,

who, if she wishes, will conduct the re-examination.

Mme PARLETT : Monsieur Cowx, M. Loewenstein vous a posé des questions au sujet de

l’importance de la protection des espèces de poissons dans les sites inscrits sur la liste de Ramsar.

En tant qu’expert spécialiste de l’écologie aquatique, avez-vous une opinion sur la question de

savoir si les poissons vivant dans le site Ramsar considéré ici sont ou non susceptibles de souffrir

des types d’effets sur lesquels M. Loewenstein vous a interrogé ?

M. COWX : Il y a là en fait deux problèmes. Le premier est que nous ne savons pas quelles

sont les espèces présentes dans le site Ramsar ; et le second est que nous ne connaissons pas non

plus les seuils de tolérance des espèces qui vivent là ; cela dit, il est très probable que ces espèces

sont de toute manière tolérantes de la charge sédimentaire, parce que le bassin du fleuve San Juan

est de type tropical et qu’on y rencontre naturellement des charges sédimentaires élevées,

16 particulièrement durant la saison des inondations. Je dirais donc que ces espèces sont de toute

façon adaptées à de telles conditions. - 9 -

C’est en fait ce qui est dit dans l’étude de Bussing consacrée aux poissons du Costa Rica, où

il est clairement indiqué que les poissons du San Juan sont adaptés à ces fortes charges

sédimentaires. J’ai d’ailleurs cité cette étude dans mon exposé écrit.

Mme PARLETT : Vous avez dit, Monsieur Cowx, que les poissons présents dans ce

site Ramsar tolèrent très probablement de fortes teneurs en sédiments, et vous avez fait référence à

l’étude de Bussing. A votre avis d’expert, existe-t-il d’autres informations pertinentes sur le point

de savoir quelles sont les espèces présentes dans cette section du fleuve, et si ces espèces sont

susceptibles de souffrir des impacts sur lesquels M. Loewenstein vous a interrogé ?

M. COWX : Je crains d’avoir un problème qui tient à ce que je ne suis pas entièrement versé

dans les caractéristiques du site Ramsar, son étendue et ses autres aspects, et que je ne sais pas au

juste quels sont ses modèles d’inondation, ni d’où provient la charge sédimentaire qui s’y trouve ;

je ne peux donc pas vraiment répondre à votre question.

Mme PARLETT : Je peux au moins vous dire, je pense, que le San Juan est compris dans le

site Ramsar du Nicaragua, et que cela est incontesté.

M. COWX : Eh bien, je considère qu’il est très improbable que l’une quelconque des espèces

présentes dans le site Ramsar soit affectée par la charge sédimentaire, dès lors que les espèces

vivant là sont adaptées aux charges sédimentaires naturelles rencontrées dans le fleuve et à leurs

variations.

Mme PARLETT : M. Loewenstein a fait référence à l’appendice 2 de votre rapport, dont

vous avez un exemplaire devant vous. Pourriez-vous expliquer à la Cour comment vous avez établi

cet appendice ?

M. COWX : Cet appendice reprend textuellement une partie de l’étude de suivi du diagnostic

de l’impact sur l’environnement établie en 2014, et il est fondé aussi sur des informations tirées des

travaux de Bussing ; il est donc simplement un état des lieux où la conservation est considéré à la

fois sous l’angle international et sous l’angle national, dont il ressort que quelques espèces - 10 -

seulement sont réellement menacées — deux, trois de ces espèces sont «en danger» pour reprendre

le terme que nous autres spécialistes employons pour exprimer les degrés de conservation.

17 Mme PARLETT : Et, d’après les informations que vous avez examinées et sur lesquelles

vous vous appuyez dans cet appendice, avez-vous une opinion sur la question de savoir si les

poissons présents dans ce site Ramsar — j’entends par là le fleuve San Juan — sont ou non

susceptibles de souffrir des incidences néfastes sur lesquelles M. Loewenstein vous a interrogé ?

M. COWX : C’est improbable. Les espèces menacées dont il s’agit, à savoir celles du genre

agonostomus, vivent essentiellement dans les torrents de montagne, loin du fleuve San Juan

proprement dit. Au cours de leur cycle de vie, après avoir habité les eaux des plus petits affluents

du San Juan, les poissons de ces espèces se déplacent vers l’aval jusqu’à atteindre l’estuaire. Il est

donc improbable que les espèces appartenant à ce genre puissent souffrir. Les autres espèces, du

genre rivulus, sont de même des anadromes, mais on les rencontre principalement dans les eaux

estuariennes, et donc probablement en aval du site Ramsar.

Mme PARLETT : M. Loewenstein vous a demandé si, à votre avis, les poissons présents

dans le fleuve San Juan risquaient ou non de souffrir de la décroissance des communautés de

macro-invertébrés vivant dans le fleuve. Avez-vous connaissance d’informations soumises à la

Cour concernant les incidences que peut avoir pour les poissons une dégradation quelconque des

communautés de macro-invertébrés ?

M. COWX : Les informations qui m’ont été fournies, et les divers documents que j’ai lus

pour les besoins de la présente instance, indiquent clairement que les incidences sur les populations

de macro-invertébrés et sur leur rôle dans la chaîne alimentaire sont extrêmement minimes. Vu la

taille du fleuve San Juan, elles peuvent donc être considérées comme négligeables.

Mme PARLETT : Vous avez dit avoir consulté des études de la question ; pourriez-vous

éclairer la Cour sur ce que disent ces études ?

M. COWX : Sur quoi ? - 11 -

Mme PARLETT : Relativement à telle ou telle des incidences sur les macro-invertébrés que

vous venez de mentionner.

M. COWX : Il existe quelques bonnes études sur la mine Ok Tedi, qui se trouve sur le cours

du fleuve Sepik en Papouasie-Nouvelle-Guinée ; dans ce fleuve, la charge sédimentaire provenant

18 des activités minières est si forte qu’on pourrait presque marcher sur l’eau, vu la densité de

sédiments. Mais cette situation n’a rien à voir avec celle du fleuve qui nous occupe ici.

Mme PARLETT : Avez-vous connaissance d’autres études pertinentes se rapportant aux

incidences que peuvent subir les macro-invertébrés présents dans ce fleuve ? Il peut s’agir d’études

établies ou non pour les besoins de la présente instance.

M. COWX : Vous voulez dire le fleuve sur le cours duquel se trouve la mine Ok Tedi ? Oui,

j’ai vu quelques études établies par un collègue qui a travaillé pour la compagnie minière pendant

quelques années, et il y est dit que les incidences sont tellement massives qu’elles ont pratiquement

oblitéré le fleuve, lequel a subi des dommages si graves, et dont les conséquences économiques

pour la Papouasie-Nouvelle-Guinée sont telles, qu’il a été conclu que…

Mme PARLETT : Avez-vous connaissance d’études montrant les incidences qui peuvent se

manifester dans ce fleuve particulier, que ces études aient ou non été établies pour les besoins de la

présente instance ?

M. COWX : Pardon, voulez-vous dire le fleuve sur le cours duquel se trouve la

mine Ok Tedi ?

Mme PARLETT : Non, le fleuve San Juan.

M. COWX : Non. Pour ce qui concerne le fleuve San Juan, rien n’indique que les

communautés de macro-invertébrés subissent une décroissance suffisamment importantes pour

qu’il puisse en résulter le moindre impact sur les communautés de poissons ou la chaîne

alimentaire. - 12 -

Mme PARLETT : Merci beaucoup. Le Costa Rica est parvenu au terme de son

interrogatoire complémentaire.

The PRESIDENT: Thank you, Ms Parlett. A Member of the Court would like to put a

question to the expert. I shall give that judge the floor, and would ask the expert to answer the

question as soon as it is put to him. I now give the floor to Judge Bhandari.

Le juge BHANDARI : Monsieur Cowx, j’ai une question à vous poser. Elle se rapporte aux

pages 14 et 23 de votre exposé écrit. Ce que vous y dites peut donner à penser que l’augmentation

des apports de sédiments au fleuve San Juan pourrait en fait avoir des effets bénéfiques plutôt que

néfastes sur les espèces de poissons qui y vivent. Pour étayer cette proposition, vous invoquez

19 plusieurs publications scientifiques. Ma question est la suivante : pourriez-vous expliquer

brièvement, en langage de non-initié, quelles sont les bases scientifiques indiquant que

l’augmentation des apports de sédiments au fleuve San Juan pourrait en fait améliorer les

conditions de vie des poissons qui y sont présents ?

M. COWX : Ce que j’ai dit là repose sur le fait que les apports de sédiments ne sont pas

simplement des apports de matériaux. Ils comprennent des nitrates et des phosphates, qui sont des

nutriments contribuant à accroître ce que nous appelons la «productivité primaire» et la

«productivité secondaire». Ces substances favorisent le développement des populations d’algues

et, par voie de conséquence, des communautés de macro-invertébrés, lesquelles sont l’une des

sources d’alimentation des poissons. Et ces substances font partie de la charge sédimentaire

transportée par le fleuve. Normalement, les deux substances dont j’ai parlé seraient présentes dans

la proportion de 20 % pour les nitrates et 80 % pour les phosphates. Les phosphates jouent un rôle

limiteur, et sont donc très importants. L’augmentation des apports de ces nutriments accroît la

productivité. Dans un cours d’eau privé d’apports de sédiments, on constate la décroissance des

populations de poissons, dans une proportion presque égale au taux de diminution des apports

sédimentaires et des apports de nutriments qui vont avec. Je reviens du Vietnam — comme vous

l’a dit Kate — et c’est là l’une des grandes questions auxquelles nous nous intéressons dans ce

pays. - 13 -

Le juge BHANDARI : Merci.

The PRESIDENT: Thank you. If there are no further questions for the expert, I should like

to thank him, and that brings your deposition to a close, Mr. Cowx. Thank you again for appearing

before the Court. You may now leave the rostrum. Thank you.

M. COWX : Merci, Monsieur le président.

The PRESIDENT: The second expert called by Costa Rica and who is to be heard by the

Court is Professor Thorne. As far as possible, the Court wishes to avoid interrupting his

examination. For that reason, we shall take the usual coffee break at an unusually early point in the

morning. The Court will therefore now adjourn for 15 minutes, and the hearing will resume with

the examination of Professor Thorne. The hearing is suspended.

The Court adjourned from 10.25 a.m. to 10.40 a.m.

20 The PRESIDENT: Please be seated. The Court will now hear Professor Thorne, the second

of Costa Rica’s experts, and I would ask him to take his place at the rostrum.

Good morning, Professor. May I now call upon you to make the solemn declaration for

experts as set out in Article 64, subparagraph (b), of the Rules of Court.

M. THORNE : Bonjour, Monsieur le président. Bonjour, Mesdames et Messieurs les juges.

«Je déclare solennellement, en tout honneur et en toute conscience, que je dirai
la vérité, toute la vérité et rien que la vérité et que mon exposé correspondra à ma
conviction sincère.»

The PRESIDENT: Thank you, Mr. Thorne. I now give the floor to counsel for Costa Rica,

Mr. Wordsworth, who will ask you to confirm the written statement in front of you.

Mr. Wordsworth.

M. WORDSWORTH : Merci, Monsieur le président. Monsieur Thorne, vous avez, dans le

dossier qui se trouve devant vous, quatre rapports : votre exposé écrit de mars 2015, votre rapport

de février 2015 joint à la duplique du Costa Rica, votre rapport de novembre 2013 joint au

contre-mémoire du Costa Rica, et un rapport établi par vous en novembre 2013 au cours de la - 14 -

procédure sur la demande en indication de mesures conservatoires présentée par le Nicaragua.

Puis-je vous demander de confirmer que ces documents reflètent votre point de vue sincère

d’expert?

M. THORNE : Je le confirme.

The PRESIDENT: Thank you. I now give the floor to Mr. Reichler for the

cross-examination. Mr. Reichler.

M. REICHLER : Bonjour, Monsieur le président, et merci. Bonjour, Mesdames et

Messieurs les juges, et bonjour, Monsieur Thorne.

M. THORNE : Bonjour Monsieur.

M. REICHLER : Heureux de vous revoir. Depuis notre dernière rencontre, j’espère que

vous avez au moins eu l’occasion d’aller au Keukenhof pour admirer les tulipes ?

21 M. THORNE : Malheureusement, non !

M. REICHLER : Ne manquez pas de le faire lorsque ces audiences auront pris fin, elles sont

magnifiques.

Hier, les conseils du Costa Rica nous ont décrit les travaux d’atténuation entrepris par le

Costa Rica sur différents sites le long de la route. Je vais ce matin vous poser des questions sur

trois sujets et, pour commencer, j’aimerais vous interroger sur les mesures d’atténuation prises par

le Costa Rica.

Ce tableau n’a pas été évoqué par les conseils du Costa Rica hier. Il est tiré de votre rapport

de février 2015, qui accompagnait la duplique du Costa Rica. Est-ce exact ?

M. THORNE : C’est exact.

M. REICHLER : Dites-moi si je le lis correctement. Il y a au total 127 sites où la route

franchit des cours d’eau ? - 15 -

M. THORNE : Peut-être 128. Je crois que M. Weaver en a trouvé un qui avait été omis par

M. Mende.

M. REICHLER : Sur ce nombre, il y en a 24 où des mesures d’atténuation n’ont pas été

jugées nécessaires, n’est-ce pas ?

M. THORNE : C’est juste.

M. REICHLER : Et il y en a 28 où les travaux d’atténuation auraient été achevées au

moment de la rédaction de votre rapport. C’est juste ?

M. THORNE : C’est juste. L’inspection n’a probablement pas été faite au moment de la

rédaction du rapport. Elle a sans doute eu lieu quelque temps auparavant et les statistiques

n’étaient peut-être pas tout à fait à jour lors de la publication du rapport parce qu’elles étaient

fondées sur des renseignements recueillis au cours des mois précédents. Mais à cette réserve près,

oui.

M. REICHLER : Je vous remercie de ces précisions.

M. THORNE : Etant donné que l’atténuation est un processus continu, nous ne pouvons

évidemment pas être absolument à jour.

22 M. REICHLER : Pouvez-vous  et je comprendrais que vous ne le puissiez pas, mais

puisque vous soulevez la question  pouvez-vous aujourd’hui actualiser ces statistiques ? En

d’autres termes, avez-vous en tête le nombre de sites additionnels où les travaux d’atténuation

auraient été achevés depuis la rédaction de votre rapport ?

M. THORNE : Non, je n’ai pas ce chiffre à l’esprit.

M. REICHLER : A la date de ce rapport et selon lui, encore une fois sauf erreur, des travaux

d’atténuation étaient en cours mais non achevés sur 23 sites de franchissement de cours d’eau.

Est-ce exact ?

M. THORNE : C’est exact. - 16 -

M. REICHLER : Et sur 31 autres sites de franchissement, des travaux d’atténuation étaient

nécessaires mais, selon le tableau, ils étaient prévus mais pas encore entrepris, c’est bien cela ?

M. THORNE : Oui. Ces chiffres sont fondés sur des entretiens que j’ai eus avec la personne

du CONAVI que j’ai consultée. Le CONAVI est l’organisme public chargé des travaux. D’après

ce que cette dame m’a dit, on prévoyait effectuer des travaux sur 31 sites dès qu’on pourrait

mobiliser la main-d’œuvre et à condition que le temps le permette.

M. REICHLER : Dans le cas de ces 31 sites, savez-vous quand ces travaux d’atténuation

vont démarrer ?

M. THORNE : En gros seulement. Elle m’a assuré que les travaux seraient faits dès que

possible. Mais étant donné les conditions météo et les circonstances, elle n’a pas pu me donner de

dates précises, non.

M. REICHLER : Donc si mes calculs sont bons, selon ce tableau, sur un total de 127 sites de

franchissement de cours d’eau  nous laisserons de côté pour le moment le site supplémentaire

trouvé par M. Weaver selon vous  sur un total de 127 sites, des travaux étaient nécessaires mais

non achevés pour 54, dont 31 où ils n’avaient pas encore débuté, mais devaient commencer à une

date  du moins pour vous  incertaine?

23 M. THORNE : C’est exact, oui.

M. REICHLER : En répondant à mes questions, vous avez mentionné M. Mende. Est-ce à

dire que vous n’avez pas personnellement visité tous ces 127 sites de franchissement et déterminé

dans chaque cas si les travaux d’atténuation étaient achevés, en cours, prévus ou superflus, ou si

ces sites appartenaient à l’une ou l’autre de ces catégories ?

M. THORNE : Je ne m’y suis pas rendu physiquement. Je suis allé sur un assez grand

nombre d’entre eux, mais pas tous. Ce que j’ai fait avec M. Mende, c’est une tournée virtuelle des

sites répertoriés dans le rapport Mende ; les images et les cartes de chacun de ces sites, je les ai - 17 -

examinées avec M. Mende. En ce sens, j’ai visité les sites, mais pas physiquement sur le terrain, ce

n’était pas possible.

M. REICHLER : Peut-on dire que, hors des exceptions que vous venez d’évoquer, vous vous

en êtes remis aux travaux de M. Mende à cet égard ?

M. THORNE : Je m’en suis remis à ces travaux après avoir discuté en profondeur de l’état

des lieux et de la situation tels qu’il les avait observés. Je n’ai pas accepté sa classification initiale

des sites de franchissement de cours d’eau. La meilleure description serait sans doute de dire que

cela a été négocié, parce que je voulais être certain que ces tableaux  encore que je les aurais

moi-même établis autrement  me satisferaient suffisamment pour je puisse les considérer comme

fiables.

M. REICHLER : Pouvons-nous regarder l’autre tableau, tiré de votre rapport de février 2015

accompagnant la duplique ? Ce tableau porte sur l’état des talus, et non des cours d’eau, du point

de vue de l’atténuation. Est-ce exact ?

M. THORNE : C’est exact. Il s’agit des talus de déblai et de remblai, sans distinction.

M. REICHLER : Je vais vous poser une question, qui à vrai dire en regroupe plusieurs, pour

gagner du temps, mais si vous voyez un inconvénient à y répondre, dites-le moi et je la subdiviserai

en plusieurs points. Cela vous convient ?

M. THORNE : D’accord.

24 M. REICHLER : Serait-il juste de dire de ce tableau sur les talus ce qui vaut pour votre

tableau sur les franchissements de cours d’eau, à savoir que l’observation et la classification des

différents sites sont de M. Mende, que vous vous êtes fié à son travail, mais que vous avez

également effectué quelques observations personnelles et quelques observations, je crois que vous

les avez appelées virtuelles, pour vous assurer de la fiabilité des chiffres figurant dans ce tableau.

Est-ce exact ?

M. THORNE : C’est exact. - 18 -

M. REICHLER : Encore une fois, uniquement pour être certain que j’interprète ce tableau

correctement, de la même manière que vous, il est bien exact que M. Mende et vous-même avez

déterminé qu’il y avait 201 endroits où se trouvaient des talus de déblai ou de remblai ?

M. THORNE : Exact.

M. REICHLER : Sur ces 201 talus  puis-je les appeler simplement «talus» pour faciliter

les choses ?

M. THORNE : Oui.

M. REICHLER : Bien. Sur ces 201 talus, il y en avait 11 où des travaux d’atténuation

n’étaient pas requis ?

M. THORNE : C’est juste.

M. REICHLER : Donc, sur 190 des 201 emplacements où il y avait des talus de déblai ou de

remblai, des travaux d’atténuation étaient nécessaires ?

M. THORNE : C’est exact, les talus sont le cœur du problème. Ils sont la source de 75 %

des sédiments, selon l’étude de M. Kondolf. Il est tout à fait normal de mettre d’abord l’accent sur

les talus.

M. REICHLER : Sur les 190 sites exigeant des travaux d’atténuation, selon ce rapport et au

moment où l’information a été recueillie, les travaux d’atténuation étaient considérés comme

achevés pour 25 seulement?

25 M. THORNE : A la date de compilation des données, c’est exact. Nous avons pris grand

soin de nous assurer que si nous indiquions que les travaux étaient achevés, ils l’étaient

effectivement. Il y a de nombreux chantiers, et je suis sûr que ces chiffres ont changé maintenant,

mais je ne peux pas vous dire exactement dans quelle mesure. Je suis certain que le chiffre de 107

est maintenant excessif et que le chiffre de 25 est inférieur à la réalité, mais je ne sais pas de

combien. - 19 -

M. REICHLER : Savez-vous que, selon le rapport de M. Mende  2014, annexe 3 à la

duplique, appendice B  sur les 25 sites qu’il a classés parmi ceux où les travaux d’atténuation

étaient achevés, la seule mesure d’atténuation signalée pour 13 de ces 25 sites avait consisté à

laisser naturellement repousser une partie de la végétation, sans aucune intervention concrète du

Costa Rica ? Est-ce exact ?

M. THORNE : Je crois que oui. L’enseignement que nous devons en tirer est que la nature a

énormément de ressort et qu’elle va parfois plus vite que les pouvoirs publics costa-riciens.

M. REICHLER : Eh bien, je salue encore une fois votre franchise. Je sais très bien que les

pouvoirs publics sont parfois lents à agir et je suis certain que le Costa Rica ne fait pas exception à

cet égard. Cela dit avec tout le respect que je lui dois.

M. THORNE : Effectivement, et j’en suis tout aussi frustré que n’importe qui.

M. REICHLER : Si on se reporte encore une fois à ce tableau  merci  les travaux

d’atténuation étaient considérés comme encore en cours, non achevés, sur 107 talus, à la date de ce

rapport, c’est bien cela ?

M. THORNE : Oui, un effort énorme a été fait dans les derniers mois de 2014, et s’est

poursuivi au début de 2015.

M. REICHLER : Savez-vous quand les travaux d’atténuation en cours sur ces 107 talus qui

exigent des travaux, savez-vous quand ces travaux d’atténuation seront achevés ? Pouvez-vous me

donner une date ?

26 M. THORNE : Non. J’ai bien insisté auprès du CONAVI pour obtenir cette information et à

dire vrai, cela dépend effectivement des conditions météo, cela dépend de la continuité du

financement. Ce sont des facteurs qui lui échappent. On me dit qu’on avance le plus rapidement

possible. - 20 -

M. REICHLER : Il y a, selon ce tableau, si je le lis correctement, 58 talus qui exigent des

travaux d’atténuation, où des travaux sont prévus mais, au moment de la production de ce tableau,

ces travaux n’avaient pas encore commencé. Est-ce exact ?

M. THORNE : C’est exact. Le CONAVI veut aller très vite, et je ne suis pas certain

d’ailleurs que ce soit entièrement une bonne chose, il veut achever ces travaux très rapidement.

Lorsque je me suis rendu sur certains sites  la dernière fois que j’ai visité certains des sites actifs,

c’était en novembre  les travaux étaient très intenses, et selon la réglementation de santé et de

sécurité à laquelle je suis habitué au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, ces travaux n’auraient pas été

autorisés dans ces pays. On prenait des risques pour poursuivre les travaux à un moment où je les

aurais suspendus en raison de la saison des pluies. La précipitation n’est peut-être pas indiquée en

pareil cas. Excusez-moi, ma réponse a été longue.

M. REICHLER : Sur ces 58 sites, ces 58 sites exigeant des travaux d’atténuation et pour

lesquels il est indiqué que des travaux sont prévus, savez-vous quand ces travaux sont censés

commencer ?

M. THORNE : Je ne le sais pas.

M. REICHLER : Serait-il aussi exact de dire que vous ne savez pas quand ces travaux seront

achevés ?

M. THORNE : Je ne le sais pas non plus.

M. REICHLER : Vous avez mentionné il y a un instant le budget ou le financement,

permettez-moi de vous poser une question à ce sujet. Connaissez-vous le budget qui a été alloué

par le Costa Rica à l’achèvement des travaux en cours dans ces sites de franchissement de cours

d’eau et sur ces talus, à la réalisation des travaux d’atténuation prévus, savez-vous quel budget a été

arrêté pour réaliser l’ensemble de ces travaux ?

27 M. THORNE : Je ne connais pas le montant, que ce soit en colones ou en dollars. Je

pourrais vous citer des chiffres pour quelques sites, dont j’ai discuté avec les ingénieurs lorsque - 21 -

j’étais sur place, comme vous le faites. Ce que je sais du budget, c’est qu’il faut constamment

l’accroître en raison du coût élevé des travaux. Ce coût a été sous-estimé ; on augmente le budget

et chaque augmentation entraîne un léger retard en raison des documents à remplir. Cela me paraît

aussi frustrant, j’en suis certain, qu’à ceux qui veulent achever les travaux sur le terrain.

M. REICHLER : Merci. J’aimerais vous rappeler un passage de votre rapport de

décembre 2013 qui accompagnait le contre-mémoire du Costa Rica, et puisque vous l’ouvrez, je

vous indique l’endroit, c’est au paragraphe 11.19.

M. THORNE : Désolé, pouvez-vous répéter ?

M. REICHLER : Il s’agit du paragraphe 11.19 de ce document. Je vous donne un instant

pour le trouver.

M. THORNE : 11.19 ?

M. REICHLER : C’est exact.

M. THORNE : Oui, j’ai trouvé.

M. REICHLER : Bien. Je ne vais pas lire tout le paragraphe, mais si vous avez besoin de le

lire, pour le contexte  je ne veux pas le lire en entier parce que ce serait trop long  vous pouvez

vous reporter à n’importe quelle partie de vos rapports si cela peut vous aider, je ne veux pas vous

en empêcher.

M. THORNE : Entendu.

M. REICHLER : Le passage sur lequel je souhaite vous interroger est le suivant :

«Cependant, ce sont des travaux temporaires qui atténuent, mais ne solutionnent
pas de façon permanente les problèmes d’érosion, et ces problèmes ne seront pas

définitivement réglés tant que ne seront pas menées à bonne fin la conception, la
planification et la construction de la route.»

Maintenez-vous cette affirmation ? - 22 -

28 M. THORNE : Tout à fait.

M. REICHLER : En tant qu’expert, comment distinguez-vous les travaux d’atténuation

temporaire des travaux d’atténuation permanente?

M. THORNE : La différence est énorme : pour les travaux d’atténuation le CONAVI utilise

des modèles types ; ils ont un modèle type de ponceau de franchissement de route ; ils ont un

modèle type pour les caniveaux qu’ils installent au bas des talus ; ils ont des modèles types pour la

stabilisation des talus eux-mêmes, comme vous l’a expliqué hier Mme Del Mar.

M. REICHLER : Ma question, Monsieur Thorne, est simple : pouvez-vous nous donner des

exemples de travaux d’atténuation temporaire, montrant en quoi ils consistent, et de travaux

d’atténuation permanente ? Pour mémoire, vous venez de me dire que vous mainteniez ce que

vous avez écrit dans votre rapport de décembre 2013 au sujet des travaux d’atténuation du

Costa Rica : «ce sont des travaux temporaires qui atténuent, mais ne solutionnent pas de façon

permanente les problèmes d’érosion, et ces problèmes ne seront pas définitivement réglés tant que

ne seront pas menées à bonne fin la conception, la planification et la construction de la route».

Aussi aimerais-je que vous donniez à la Cour quelques exemples du type de travaux d’atténuation

que vous considérez comme temporaires, par opposition à ceux que vous considérez comme

permanents.

M. THORNE : Je comprends. Ces modèles types sont simplement tirés d’un manuel et

utilisés parce qu’on n’a pas le temps de procéder à l’analyse hydrologique qu’il faudrait faire pour

un micro-bassin, donc chaque micro-bassin peut avoir une superficie d’un kilomètre carré et un

ponceau y est mis pour remplacer un pont de rondins ou un segment de remblai, et ce ponceau

fonctionnera pendant un an ou deux  mais c’est un ponceau de taille standard ; ils utilisent, en

somme, ce qu’ils ont sous la main.

La solution permanente serait de procéder à une analyse hydrologique pour calculer la

capacité nominale de crue du ponceau ; elle peut dépendre d’un phénomène qui ne se produit que

tous les 100 ans  M. Weaver en sait beaucoup plus long là-dessus que moi  mais on aura alors

un ponceau de taille différente à chaque point de franchissement, qui sera conçu adéquatement pour - 23 -

parer au ruissellement qui peut se produire. Cela implique une conception détaillée ; cela fait partie

de la solution permanente, qui progresse mais, encore une fois, plus lentement que nous le

souhaiterions tous. Mais il leur faut trouver la solution absolument adéquate, vous le comprenez.

29 M. REICHLER : Merci, Monsieur Thorne. Je vais vous poser une question à laquelle,

encore une fois, vous pouvez répondre par référence à ce que fait le Costa Rica ou de façon

générale, comme vous voulez. Vous avez expliqué de façon très utile à la Cour la différence entre

des travaux d’atténuation temporaire, comme ceux que le Costa Rica est en train d’exécuter, et des

travaux d’atténuation permanente, comme ceux que le Costa Rica espère entreprendre pour

améliorer les franchissements de cours d’eau. Je me demande si vous pourriez nous renseigner sur

les talus, les talus de déblai et de remblai, encore une fois du point de vues de l’atténuation, pour

que tout soit bien clair ; je n’essaie pas de vous limiter, je veux simplement être certain que vous

répondrez exactement à la question  je sais que vous essayez de donner des réponses éclairantes ;

rien de ce que vous avez dit ne me pose de problème ; je veux seulement être sûr que ma question

apparaîtra claire pour vous dans le procès-verbal et qu’elle sera claire pour les juges, s’ils

consultent le compte rendu.

M. THORNE : Je comprends tout à fait.

M. REICHLER : Ma question est la suivante : pouvez-vous nous donner quelques exemples

des différences entre ce que vous considérez comme des travaux d’atténuation temporaire et des

travaux d’atténuation permanente en ce qui concerne les talus de déblai et de remblai ?

M. THORNE : Si on prend l’exemple des talus de remblai, dont les matériaux ont été

déversés sur l’accotement de la route sans être compactés, une solution temporaire peut consister à

les recouvrir de tapis de fibre de coco et à les protéger ainsi de l’impact de la pluie et du

ruissellement. La solution permanente pourrait être d’enlever ces matériaux parce qu’ils n’ont pas

été convenablement compactés, ils n’ont pas été compactés par vibroflottation et disposés en

couches superposées dans l’ordre voulu, et la seule chose que l’on peut faire avec ces talus de

remblai est de les enlever et de repartir de là. Voilà donc la différence entre protéger un talus de

remblai pendant un an ou deux pour atténuer le problème et appliquer une véritable solution au site - 24 -

considéré ; il peut ne pas être possible de stabiliser un talus de remblai à certains endroits.

In extremis, la solution permanente peut être de modifier le tracé de la route et, encore une fois,

M. Weaver  je n’ai pas beaucoup à redire à ses recommandations ; il sait de quoi il parle.

M. REICHLER : Je crois que vous l’avez déjà dit, mais pour être certain, vous avez affirmé

dans votre rapport de décembre 2013 : «A mon avis, les travaux nécessaires doivent commencer le

plus tôt possible, être accélérés au maximum…» Vous êtes toujours de cet avis ?

30 M. THORNE : Je suis toujours de cet avis ; à l’époque, la position du Nicaragua était qu’il

fallait cesser tous les travaux et je tenais à dire clairement qu’il ne fallait pas cesser tous les

travaux ; les travaux d’atténuation devaient continuer et, à mon avis, les travaux d’achèvement de

la route, la solution permanente, devaient être poursuivis dès que possible.

M. REICHLER : Le type de travaux d’atténuation que vous considériez comme suffisants

pour apporter une solution permanente au problème ?

M. THORNE : En fait, la solution permanente n’atténuerait pas le problème, elle résoudrait

une fois pour toutes le problème de l’instabilité le long de la route.

M. REICHLER : Vous avez tout à fait raison, je suis désolé de m’être ainsi exprimé. Ce que

vous recommandez au Costa Rica de faire, ce n’est pas seulement d’atténuer le problème, mais de

réaliser les travaux nécessaires pour résoudre de façon permanente les problèmes qui se posent sur

ces sites.

M. THORNE : Oui, la route 1856 devrait être mise aux mêmes normes que toutes les autres

routes comparables du Costa Rica, dont un grand nombre sont construites selon des normes

extrêmement rigoureuses, et celle-ci ne devrait pas faire exception; cependant, ce n’est pas de cette

manière qu’elle a été construite.

M. REICHLER : Avant que nous ne laissions cette question pour passer à mon deuxième

sujet, je rappelle qu’hier, Mme Del Mar, conseil du Costa Rica, a dit  je dois citer la version non

corrigée du compte rendu, je vous demande donc d’en tenir compte  «les dates - 25 -

initialement … prévues pour l’achèvement des plans définitifs … ont été reportées». La CONAVI,

l’organisme chargé des travaux, n’aurait même pas reçu encore les plans pour ces travaux. C’est ce

que vous avez également compris ?

M. THORNE : Oui, en gros.

M. REICHLER : Je vous remercie, Monsieur Thorne. Si vous le voulez bien, je vais

maintenant aborder le deuxième sujet sur lequel je souhaite vous entendre aujourd’hui.

Il s’agit de ce que j’appellerai les «concentrations de sédiments en suspension», ou la

«charge de sédiments en suspension». Maintenez-vous ce que vous avez écrit à ce sujet dans votre

rapport de décembre 2013, joint au contre-mémoire du Costa Rica, à savoir que, je cite : «l’extrême

31 variabilité naturelle des concentrations de sédiments et des degrés de turbidité

correspondants … caractérise les cours d’eau du système fluvial San Juan-Colorado» ? C’est bien

là votre constatation ?

M. THORNE : Pouvez-vous préciser la référence, pour que je puisse voir le contexte ?

M. REICHLER : Certainement… Ce passage se trouve au paragraphe 6.31 de votre rapport

de décembre 2013.

M. THORNE : Effectivement, et cette constatation est illustrée par le diagramme de

dispersion de la figure 18 qu’a mentionnée M. Kondolf, qui indique que les concentrations de

sédiments en suspension, exprimées en parties par million (ppm), s’échelonnent de moins de dix à

plus de 10 000.

M. REICHLER : Et ces chiffres renvoient à ce que vous avez appelé «l’extrême variabilité

naturelle des concentrations de sédiments» ?

M. THORNE : Oui, mais ils ne représentent pas les cas les plus extrêmes qui peuvent se

présenter, il s’agit des mesures qui ont été relevées. Selon une étude établie en 1996 par mon

excellent ami Ian Douglas, de l’Université de Manchester, des concentrations supérieures à - 26 -

100 000 ppm peuvent être constatées dans les bassins volcaniques de pays riverains du Pacifique

tels que le Costa Rica, mais elles n’ont pas été relevées au Costa Rica même.

M. REICHLER : Et les données dont vous disposiez ont révélé que le degré de fiabilité des

mesures, ainsi que les fluctuations naturelles de la pluviosité, des rejets, du total des matières

solides provenant du bassin et des concentrations de sédiments en suspension faisaient que les

volumes de sédiments en suspension pouvaient varier d’une année à l’autre entre 5 et 10,5 millions

de tonnes. Est-ce bien cela ?

M. THORNE : Oui, la charge sédimentaire et les concentrations de sédiments dépendent du

courant et des apports de sédiments. Ces valeurs varient en fonction des conditions

météorologiques, et également en raison de phénomènes sismiques, de la présence de volcans ; le

fleuve qui nous intéresse se caractérise par des marges de variabilité importantes. Le problème se

complique encore du fait que nous ne disposons que de peu de données et que celles disponibles ne

concernent que le fleuve Colorado ; et puis, il y a ce que vous avez appelé, je crois, le «brouet de

sorcière» que sont les statistiques lorsque nous essayons d’extrapoler les données relatives au

32 Colorado pour nous faire une idée de ce que seraient les données correspondantes pour le fleuve

San Juan. Vous êtes à mon avis un peu sévère en parlant de «brouet de sorcière», mais je conviens

qu’il y a là une sorte d’acrobatie intellectuelle qui est un facteur d’incertitude…

M. REICHLER : Je retiens l’image que vous proposez et retire mon «brouet de sorcière»

pour vous marquer ma déférence, Monsieur.

M. THORNE : Je vous remercie.

M. REICHLER : Est-il exact que lorsque la hauteur de précipitations est faible, il en résulte

dans le bassin de moindres phénomènes de ruissellement et une moindre érosion, et donc une

baisse de la charge de sédiments en suspension ?

M. THORNE : Une baisse de la charge de sédiments en suspension, oui. Cependant, même

pendant une année de faible pluviosité, il y aura de très fortes averses, caractéristiques d’un climat

tropical. On pourra relever des concentrations élevées de sédiments en suspension, des taux - 27 -

importants de concentration de sédiments, mais la charge annuelle sera beaucoup plus faible,

comme l’a expliqué M. Andrews à propos de la station de jaugeage de Jabillos dans son exposé

exhaustif et très élaboré intellectuellement et analytiquement.

M. REICHLER : Les hauteurs de précipitations plus faibles relevées pendant trois ou

quatre ans après le démarrage des travaux de construction de la route ont elles eu, selon vous, pour

effet de réduire la charge sédimentaire annuelle ?

M. THORNE : La faible pluviosité a produit cet effet. Les charges relevées pour 2012, 2013

et 2014 sont respectivement de 8 millions, 8,5 millions et un peu plus de 6 millions de tonnes. Ces

chiffres indiquent certes une forte variabilité, mais des variations encore beaucoup plus fortes

apparaîtraient si nous disposions de trente années de relevés.

M. REICHLER : Eu égard à la variabilité naturelle des charges sédimentaires et des autres

facteurs que vous avez mentionnés, vous avez conclu ce qui suit, je cite : «il est impossible

d’utiliser les charges mesurées pour estimer la quantité de sédiments provenant de la construction

de la route qui a été ajoutée au fleuve San Juan, en raison de la très forte variabilité naturelle de ces

charges». Ce passage est également tiré de votre rapport de 2013, il figure au paragraphe 8.17.

M. THORNE : Oui, j’ai pensé que procéder ainsi n’était pas possible. Oui, c’est bien ce que

j’ai écrit, mais il me semble que le paragraphe 8.17 doit être lu parallèlement au paragraphe 8.12,

où je fais référence à des mesures effectuées avant la construction de la route dans le cadre d’un

33 programme conjoint réalisé entre 1974 et 1976, ainsi qu’aux relevés effectués de 2010 à 2013 par

l’ICE. Je suis d’accord avec M. Andrews, qui a été passablement sévère envers moi en affirmant

que deux années de relevés ne suffisaient pas à fonder des conclusions générales ; il a raison, je

suis d’accord et je me suis abstenu depuis de formuler pareilles conclusions. Impossible de le faire

à partir de données portant sur une si courte période, surtout si on part de l’hypothèse extrêmement

périlleuse que les données relatives au Colorado peuvent être extrapolées au cas du fleuve

San Juan. Avec des données vraiment solides sur le fleuve San Juan, on pourrait procéder comme

indiqué précédemment, mais c’est là une possibilité que n’a pas actuellement le Costa Rica. - 28 -

M. REICHLER : Convenez-vous aussi avec M. Andrews que pour disposer de données

vraiment solides sur le fleuve San Juan, il faudrait que des relevés aient été faits pour plusieurs

années antérieures à la construction de la route, qui pourraient être les résultats de l’analyse de

nombreux échantillons prélevés sur une période de plusieurs années allant, disons, jusqu’à 2010, et

convenez-vous aussi que ces résultats seraient les données de référence à partir desquelles il

deviendrait possible de tirer certaines conclusions des charges sédimentaires relevées après la

construction de la route ?

M. THORNE : Non ! Voulez-vous que je vous dise pourquoi ?

M. REICHLER : Allez-y, je suppose que je n’ai pas le choix ?

M. THORNE : Eh bien, procéder ainsi serait excellent si nous disposions d’une machine à

remonter le temps nous permettant d’entreprendre la collecte des données manquantes ; mais tel

n’est pas le cas. Ce que nous pouvons faire, en revanche, c’est établir une station de jaugeage en

amont de la route, en un point totalement isolé de l’influence de celle-ci, y recueillir des données et

les comparer à des relevés effectués en aval ; c’est du reste ce qu’a fait le Nicaragua dans au moins

trois cas, ceux des relevés qu’il a effectués à El Castello et en amont de Boca San Carlos, lesquels

ont fait l’objet d’un échange entre M. Wordsworth et M. Kondolf. Même en procédant comme je

viens de l’indiquer, les choses ne seraient pas simples. Si, dans ce cas de figure, j’étais libre de

mes choix, je commencerais par installer des stations de jaugeage juste en amont et juste en aval

des 17 sites de forte érosion recensés par M. Kondolf, et je pourrais ainsi être renseigné sur les

apports de sédiments qui se produisent entre deux stations, à supposer qu’il y en ait.

M. REICHLER : Fort bien. Cependant, vous avez conclu  et je me garderai bien d’entrer

dans le genèse de vos conclusions ou de vos calculs, terrain sur lequel je ne suis pas de taille à me

mesurer avec vous  vous avez conclu, disais-je, que des sédiments étaient apportés au fleuve du

fait de l’existence de la route et des travaux de construction de celle-ci, mais vos conclusions quant

34 au volume de ces apports sont très différentes de celles de M. Kondolf. Est-ce bien cela ?

M. THORNE : C’est exact. Nous ne pouvons pas avoir raison tous les deux. - 29 -

M. REICHLER : Je m’abstiendrai de vous demander qui a raison et pourquoi, ou comment

vous êtes parvenu à votre conclusion ; je voudrais simplement savoir si vous avez vous-même

établi qu’il y avait des apports de sédiments, quel qu’en soit le volume, imputables à la route.

M. THORNE : Je pense qu’il y a effectivement quelques apports de sédiments, oui.

M. REICHLER : C’est tout ce que je voulais savoir, merci. Monsieur Thorne, j’ai gardé

pour la fin le troisième sujet que je voulais aborder, le plus passionnant : celui de la morphologie

des chenaux. Je suis sûr que sa simple mention donne des palpitations à tous ceux qui sont présents

dans cette salle.

M. THORNE : C’est de fait un sujet vraiment important.

M. REICHLER : J’en conviens, et je n’oublie pas que vous êtes un spécialiste de la

géomorphologie des systèmes de diffluence ; c’est là un domaine où vous êtes à l’aise, et j’en suis

venu à m’y intéresser au point de le trouver littéralement palpitant. Aux fins de l’examen des

questions qui s’y rapportent, pouvons-nous, comme vous l’avez fait dans certains de vos rapports,

supposer qu’au niveau du delta, les eaux du fleuve San Juan se répartissant entre le fleuve Colorado

et le San Juan inférieur à raison de 90 % et 10 % respectivement ? Cette supposition peut-elle être

retenue pour l’examen des questions qui nous intéressent?

M. THORNE : Non !

M. REICHLER : C’est bien dommage. Puis-je vous inviter à vous reporter à votre exposé de

février 2015, qui est joint à la duplique ? Il s’agit d’un passage de plusieurs paragraphes, qui

commence au paragraphe 4.74. Avez-vous trouvé la page ?

M. THORNE : Oui.

M. REICHLER : A la quatrième ligne dudit paragraphe  et prenez le temps de regarder le

contexte si vous le souhaitez  se trouve la phrase suivante : «On estime qu’environ 90 % du débit

du San Juan passe dans le Colorado.» Cette phrase est bien de vous ? Ou l’avez-vous empruntée à

quelqu’un d’autre ? - 30 -

35 M. THORNE : Je dois dire que cette estimation n’est pas partagée par M. Andrews qui,

comme je l’ai déjà dit, a contesté mon rapport de 2013, faisant notamment observer que la manière

dont j’étais parvenu à cette conclusion, en comparant des relevés effectués de 1974 à 1976 à des

relevés portant sur la période 2010-2013, était viciée parce que j’avais considéré des périodes très

différentes, d’où la disparité…  Confucius nous enseigne qu’on ne traverse jamais deux fois la

même rivière, que la rivière que l’on traverse aujourd’hui n’est plus celle qu’on a franchie hier, et il

a raison, je l’admets. Ce que nous avons fait en conséquence, et vous le verrez en consultant les

pages suivantes, c’est considérer une gamme d’hypothèses, à savoir 95 %, 90 % et 85 %, dès lors

que nous ne connaissions pas le chiffre exact. Le chiffre de 90 % est une estimation largement

admise, qui n’est probablement pas une mauvaise approximation, mais la proportion varie et n’est

certainement pas d’exactement 90 %.

M. REICHLER : Merci pour cette explication. Puisque le chiffre de 90 % n’est pas une

mauvaise approximation, retenons-le pour l’examen des quelques questions que je vais maintenant

soulever. Si vous estimez qu’il est injuste envers vous de retenir ce chiffre pour l’examen desdites

questions, n’hésitez pas à le dire, et nous en choisirons un autre. Mais je pense que vous

conviendrez que retenir 90 % sous les réserves que vous avez vous-même exprimées n’est pas une

mauvaise solution et nous permettra d’avancer.

M. THORNE : Je suis d’accord là-dessus, absolument.

M. REICHLER : Cette hypothèse étant posée, peut-on dire qu’environ 80 %  je dis bien

environ  des sédiments que transporte le fleuve San Juan en amont du delta  est-ce que j’ai dit

80 % ?

M. THORNE : Oui, vous avez dit 80 %.

M. REICHLER : Je vous prie de m’excuser, mes yeux commencent à me jouer des tours. Je

vais reprendre ma question, si vous le voulez bien. Donc, si l’on admet l’hypothèse que les eaux

du fleuve San Juan se répartissent au niveau du delta à raison de 90 % et 10 % respectivement entre

le Colorado et le San Juan inférieur, peut-on dire qu’environ 80 % des sédiments grossiers et des - 31 -

sédiments particulaires transportés par le fleuve San Juan en amont passent dans le

fleuve Colorado, et 20 % dans le San Juan inférieur ? Je dis bien «environ».

M. THORNE : D’après les figures 4.14 et 4.15…

36 M. REICHLER : Veuillez me laisser une seconde pour vous suivre. Nous serons ainsi, en

quelque sorte, à «armes égales», puisque je vous renvoie à votre rapport et qu’à votre tour, vous

m’y renvoyez. De quelles figures s’agit-il ?

M. THORNE : La première est à la page 198, et vous m’avez renvoyé à la page 196, c’est

tout près. Ces figures éclairent le texte.

M. REICHLER : Pouvez-vous me rappeler les numéros des figures?

M. THORNE : Il s’agit des figures 4.14 et 4.15.

M. REICHLER : Ca y est, j’y suis !

M. THORNE : Vous voyez là des camemberts indiquant la répartition des eaux…

M. REICHLER : Veuillez m’excuser, je précise simplement, pour la commodité de la Cour,

que la figure 4.14 est au paragraphe 4.78 de votre rapport de décembre 2013, et la figure 4.15 au

même paragraphe, mais à la page suivante.

M. THORNE : Oui. Et c’est là que nous admettons ne pas savoir au juste quelle quantité

d’eau passe dans chacune des branches du delta, et que nous ne connaissons donc pas avec

certitude le volume de sédiments qui passe dans chaque branche. Nous pouvions cependant

construire des modèles de répartition, et c’est ce que nous avons fait.

M. REICHLER : Juste. Et selon la figure 4.14  qui, je crois, se trouve au bas de la

page 198 du contre-mémoire, qui correspond à la page 54 de votre rapport  vous avez distingué

trois modèles, a), b) et c), c’est bien cela ?

M. THORNE : Oui. - 32 -

M. REICHLER : Selon le modèle b), qui table sur une répartition des eaux de 90 % et 10 %

entre les deux branches, 84 % des sédiments en suspension passent dans le Colorado et 16 % dans

le San Juan inférieur.

M. THORNE : C’est ce qu’indique le modèle.

37 M. REICHLER : C’est tout ce que je voulais savoir.

M. THORNE : Bien.

M. REICHLER : Passons à la figure 4.15 et, là encore, au modèle b) et au diagramme

correspondant, qui indique la distribution des sédiments grossiers entre le fleuve Colorado et le

San Juan inférieur. Pour autant que j’interprète correctement cette figure, si l’on admet que le débit

total se répartit à raison de 90 % et 10 % respectivement entre le fleuve Colorado et le San Juan

inférieur, 80 % des sédiments grossiers passent dans le Colorado et 20 % dans le San Juan

inférieur, selon ce modèle. Est-ce bien cela?

M. THORNE : D’après le modèle de transport des sédiments, oui.

M. REICHLER : Donc, selon le modèle dont nous parlons, qui suppose que 90 % du débit

total passe dans le fleuve Colorado et 10 % dans le San Juan inférieur, ce dernier ne recevrait que

16 % des apports de sédiments en suspension et 20 % de ceux de sédiments grossiers. C’est juste ?

M. THORNE : Oui, selon le modèle non calibré, mais les mesures effectuées par le

Nicaragua donnent des résultats différents.

M. REICHLER : Or ce modèle a été construit par l’ICE, organisme costa-ricien, n’est-ce

pas ?

M. THORNE : Exact. Par le Costa Rica d’après les données dont il disposait pour le

Colorado. - 33 -

M. REICHLER : Et vous avez pensé que ces chiffres étaient suffisamment fiables pour

figurer dans votre rapport de décembre 2013. Je suppose que si vous estimiez qu’ils ne valaient

rien, vous ne les auriez pas mis là ?

M. THORNE : J’ai pensé que c’était ce que nous avions de mieux, à l’époque.

M. REICHLER : Si 84 % des sédiments en suspension passent dans le fleuve Colorado et

38 16 % dans le San Juan inférieur, tandis que 20 % des sédiments grossiers sont charriés dans le

San Juan inférieur et 80 % dans le fleuve Colorado, peut-on dire que selon les modèles établis par

l’ICE, organisme costa-ricien, repris dans vous rapport, le volume des sédiments qui se déversent

dans le fleuve Colorado est à peu près quatre fois supérieur à celui que reçoit le San Juan

inférieur ?

M. THORNE : Quatre fois au moins, oui.

M. REICHLER : Donc, la quantité de sédiments qui passe dans le fleuve Colorado est au

moins quatre fois celle que reçoit le San Juan inférieur ? C’est bien exact ?

M. THORNE : Selon le modèle, oui.

M. REICHLER : Admettez-vous que bien qu’il reçoive au moins quatre fois plus de

sédiments que le San Juan inférieur, le fleuve Colorado ne souffre pas d’une sédimentation telle

qu’elle fait gravement obstacle à la navigation ? Vous admettez cela, n’est-ce pas ?

M. THORNE : Oui, je l’admet. Le Colorado est un fleuve beaucoup plus grand.

M. REICHLER : En revanche, le San Juan, bien qu’il reçoive moins de sédiments que le

fleuve Colorado  vous avez dit vous-même moins du quart, selon le modèle  le San Juan,

donc  je veux dire le San Juan inférieur  ne supporte pas cette charge sédimentaire. C’est bien

cela ?

M. THORNE : Pouvons-nous nous reporter au document pertinent ? - 34 -

M. REICHLER : Certainement  et je peux vous indiquer exactement où le passage se

trouve  mais vous pourriez peut-être répondre d’abord à ma question, et nous nous reporterions

ensuite au document, à moins que vous ne préfériez procéder dans l’ordre inverse ?

M. THORNE : Euh, voyez-vous, je n’écoutais pas vraiment, parce que je me demandais

où…

M. REICHLER : Le conseil du Costa Rica ne vous a-t-il pas dit qu’il fallait toujours bien

écouter la question ? Vous devez écouter attentivement les questions, c’est la règle cardinale que

doit respecter tout témoin.

39 M. THORNE : Veuillez m’excuser.

M. REICHLER : Bon, reportons-nous aux données, et je répéterai ensuite ma question.

M. THORNE : Tout est dans le contexte.

M. REICHLER : Je suis d’accord, tout est dans le contexte. Voyons… il s’agit de votre

rapport de 2011, joint au mémoire du Costa Rica en l’affaire relative à Certaines activités, la page

pertinente est la page II-27. Je vois que vous regardez par-là, y a-t-il une raison ? Avez-vous

besoin d’un exemplaire du rapport ? Excusez-moi, je suis tout prêt à vous aider à mettre la main

sur ce document…

M. THORNE : Je voudrais relire le paragraphe où…

M. REICHLER : Voici le document. Je remercie le conseil du Costa Rica pour son

concours.

M. THORNE : Et le passage est dans la section II, à quelle page ?

M. REICHLER : La page II-27, je crois.

M. THORNE : J’y suis. - 35 -

M. REICHLER : Bon, le passage se trouve au bas de la page, dans l’avant-dernier

paragraphe. N’hésitez pas à prendre connaissance du contexte si vous le voulez. Le passage exact

qui m’intéresse est celui-ci, je cite :

«La situation dans la branche du San Juan en aval du point Delta est totalement
différente [de celle du Colorado, examinée au paragraphe précédent]. Bien que ce
fleuve reçoive une quantité de sédiments inférieure à celle entrant dans le Colorado, il
s’avère incapable d’absorber cette charge sédimentaire.»

Est-ce vrai ?

M. THORNE : En ce qui concerne la comparaison entre le Colorado et le San Juan inférieur,

cette constatation est exacte. Elle l’est pour ce qui est de la capacité d’absorption des sédiments,

oui.

M. REICHLER : Vous avez qualifié le cours du San Juan inférieur de «secteur de réponse».

Est-ce bien exact ?

40 M. THORNE : Exact.

M. REICHLER : Je vais vous poser deux ou trois questions, deux seulement peut-être, au

sujet de ce que vous avez écrit sur les secteurs de réponse dans votre rapport de décembre 2013, qui

est joint au contre-mémoire, pour le cas où vous voudriez vous y reporter. Je vais naviguer entre

les paragraphes 6.12 et 6.15. Je vous laisse le temps de trouver ce passage. Monsieur le président,

pendant que le témoin cherche la référence, pourriez-vous avoir l’obligeance de m’indiquer

combien de temps il me reste ou combien j’ai déjà utilisé du temps qui m’était imparti ?

The PRESIDENT: You have half an hour left.

M. REICHLER : Merci, Monsieur le président. Je vais terminer bien avant.

M. THORNE : Le paragraphe 6.12 ?

M. REICHLER : Oui  et encore une fois, n’hésitez pas à...

M. THORNE : Ce paragraphe commence par une référence à M. Cowx ? - 36 -

M. REICHLER : Laissez-moi voir. J’ai ce document sous la main, mais il me faut trouver la

bonne page. J’y suis, j’ai sous les yeux le paragraphe…

M. THORNE : Il s’agit du rapport de 2013 ?

M. REICHLER : Oui, le rapport de décembre 2013. Vous y traitez d’abord des secteurs de

réponse aux paragraphes 6.12 et 6.14, et vous dites ensuite, au paragraphe 6.15, que vous

considérez le San Juan inférieur comme un secteur de réponse, c’est bien cela ?

M. THORNE : Oui.

M. REICHLER : Nous allons donc maintenant pouvoir révéler à toutes les personnes ici

présentes le secret de la signification du terme «secteur de réponse». Je crois que vous avez défini

un secteur de réponse  dans ce paragraphe 6.12  comme étant «[un chenal]

morphologiquement sensible … [où] le taux effectif de transport sédimentaire est limité par la

41 capacité de transport plutôt que par l’apport de sédiments en provenance de sources locales [ou

situées] en amont». Cette définition reflète-t-elle bien votre opinion ?

M. THORNE : Oui, elle reflète mon opinion.

M. REICHLER : Toujours dans ce paragraphe, vous dites : «[s]a capacité de transport étant

restreinte, le fleuve n’est pas en mesure de transporter des sédiments supplémentaires, et des

adaptations morphologiques sont susceptibles de se produire en réponse aux changements dans

l’apport de sédiments». Vous avez trouvé ce passage ?

M. THORNE : Oui.

M. REICHLER : C’est exact ?

M. THORNE : C’est exact pour tous les secteurs de réponse, qui sont au nombre de trois en

aval de la route, dont deux sur le cours du fleuve San Juan, et un sur le cours du San Juan inférieur.

M. REICHLER : Morphologiquement, le lit du San Juan inférieur n’est pas plat et uni

comme une table de billard, n’est-ce pas ? - 37 -

M. THORNE : Non.

M. REICHLER : En fait on y trouve, selon votre description, «des changements constants du

niveau du lit associés à la migration de rides, de dunes dont l’amplitude peut atteindre un

demi-mètre et de bancs d’une amplitude qui dépasse un ou même deux mètres». C’est exact?

M. THORNE : C’est exact, et il faudrait maintenant ajouter à cela une tranchée de section

trapézoïdale de deux mètres de profondeur et de 30 mètres de large.

M. REICHLER : C’est ce que le Nicaragua a dragué ?

M. THORNE : Ce qu’il a dragué.

M. REICHLER : Il est donc juste de dire que lorsque les sédiments s’accumulent dans le

San Juan inférieur, ils ne se répartissent pas de façon uniforme sur tout le lit du fleuve, n’est-ce

pas ?

42 M. THORNE : Effectivement. Ils se déposent principalement dans cette tranchée de

deux mètres de profondeur et de 20 à 30 mètres de large.

M. REICHLER : Mais si je ne me trompe, vous avez dit qu’une grande partie des sédiments

qui se déposent dans le fleuve San Juan inférieur sont «déposés à l’intérieur et le long du chenal

(le plus souvent sinueux) sous forme de hauts-fonds, d’îles, de point-bars, et de levées alluviales»,

c’est bien cela ?

M. THORNE : Oui, à condition que nous nous entendions sur le sens des termes haut-fond,

levée, île et… point-bar, que tout le monde sache ce que c’est qu’un point-bar.

M. REICHLER : Nous pourrions en discuter hors séance, ce serait peut-être abuser de la

patience de notre auditoire que nous étendre trop sur la géomorphologie fluviale. Passons donc, si

vous le voulez bien, à la question suivante.

M. THORNE : Entendu, mais si… - 38 -

M. REICHLER : Si vous le voulez, encore une fois je suis désolé si j’ai…

M. THORNE : Juste une précision…

M. REICHLER : Si vous souhaitez expliquer ce qu’est un haut-fond, un banc de sable, un…

The PRESIDENT: Professor. Excuse me. Professor, may I say this to you as well. If your

exchanges are too fast, if the questions and answers come too quickly after one another, the

interpreters have some difficulty in following. I would not wish to deny these exchanges their

liveliness, which can only hold the Court’s attention, but we must also consider the interpreters.

So, please make sure that there is a brief pause between an answer and the next question, so that the

interpreters can follow, of course without unduly slowing down. Thank you.

M. REICHLER : Merci beaucoup, Monsieur le président. Mon temps est presque épuisé,

Monsieur Thorne, cependant, pour être juste envers vous, si vous souhaitez donner une

description  brève , si vous le pouvez…

M. THORNE : Très brève.

43 M. REICHLER : … une description de ce qu’est un haut-fond, un banc de sable ; ce que sont

un point-bar, une levée alluviale, si vous le souhaitez, je suis tout à fait prêt à vous entendre.

M. THORNE : Eh bien, j’aimerais m’arrêter un peu plus sur ce point, parce que les levées

alluviales ne se trouvent pas dans le chenal, elles se trouvent dans la partie supérieure du lit et

n’entravent donc pas la navigation. Les îles, bien entendu, émergent, et sauf si vous manœuvrez un

véhicule à sustentation aérienne, elles ne gênent pas la navigation. Ce sont les hauts-fonds, ou

seuils, qui causent des problèmes. Les point-bars, comme tout géographe le sait, se trouvent près de

la rive convexe des méandres ; le chenal de navigation, quant à lui, passe près de la rive concave.

Ce sont les hauts-fonds qui causent un problème.

M. REICHLER : Ainsi que les bancs de sable, selon vous ? - 39 -

M. THORNE : Les bancs de sable sont des formations de lit qui sont mouvantes. Nous les

appelons bancs de sable ou mégadunes, donc les rides et les dunes, ainsi que les bancs de sable, se

forment spontanément dans un lit sablonneux mouvant, ils indiquent que le lit est sablonneux et

qu’il est mouvant. Un haut-fond est une formation statique, source de problèmes.

M. REICHLER : Et parfois les dunes et les bancs de sable se rejoignent ?

M. THORNE : Oui, ce sont des formations ondulantes et ces formations peuvent interagir et

se renforcer ou s’annuler mutuellement.

M. REICHLER : Merci. Finalement, ce n’a pas été trop douloureux, et j’apprécie votre

concision, ainsi que la clarté de vos descriptions. Vous avez mentionné plusieurs fois M. Andrews.

J’aimerais vous demander si vous êtes d’accord ou pas avec cette déclaration de M. Andrews :

«Les sédiments ne se répartissent pas de façon égale le long et au travers des chenaux deltaïques.

Ils forment plutôt des bancs, ce qui entraîne dans tout le secteur des instabilités et des obstructions

à la navigation qui doivent être corrigées au moyen du dragage.» Etes-vous d’accord avec cette

affirmation de M. Andrews?

M. THORNE : Non !

M. REICHLER : Pourquoi pensez-vous qu’il se trompe ?

44 M. THORNE : D’après les études réalisées sur le terrain, dont les études faites à

Redwood Creek par de savants collègues, MM. Hagans et Weaver, lorsqu’il y a une charge

sédimentaire excessive en raison, par exemple, d’une déforestation massive, comme à

Redwood Creek, la première chose que l’on fait est de combler les mares, ce qui est vraiment,

vraiment mauvais pour l’habitat. Les bancs ne croissent pas en amplitude et ne provoquent pas de

rapides de haut fond, comme on l’a constaté à Redwood Creek ; la première chose que l’on fait est

de combler les mares. Pour ce qui est des bancs de sable, lorsque l’eau passe au-dessus, la

profondeur est réduite, le courant s’accélère et l’exhaussement du banc est automatiquement limité.

Le banc ne peut pas s’exhausser au point d’émerger. La raison pour laquelle la navigation est si

difficile pendant la saison sèche, c’est que la profondeur de l’eau est radicalement réduite. - 40 -

M. REICHLER : Vous avez également dit, je crois, que les hauts-fonds créent un problème

pour la navigation ?

M. THORNE : En effet, les hauts-fonds sont des centres de dépôt où s’accumulent les

sédiments. C’est là qu’ils s’accumulent de préférence, et peut-être que M. Andrews voulait parler

des hauts-fonds plutôt que des bancs, c’est une question de nomenclature.

M. REICHLER : Puis-je vous demander, si l’on remplaçait le mot «banc» par «haut-fond»

dans la déclaration de M. Andrews, vous seriez d’accord avec ce qu’il dit ?

M. THORNE : Je serais entièrement d’accord pour les trois secteurs de réponse situés entre

les sites de forte érosion et le San Juan inférieur. Il y a deux autres secteurs de réponse. J’ai vérifié

ces derniers jours : il y a six hauts-fonds principaux, piégeant chacun 60 à 70 % de la charge de

fond avant le delta, donc, oui, les hauts-fonds piègent les sédiments. Ce n’est pas un problème

pour la navigation parce que le fleuve San Juan est beaucoup plus vaste.

M. REICHLER : Le fleuve San Juan, mais pas le San Juan inférieur.

M. THORNE : C’est le San Juan inférieur qui pose un problème, je suis d’accord.

M. REICHLER : Convenez-vous que le programme de dragage actuel du Nicaragua, à son

niveau récent ou actuel, a très peu d’effet sur le débit du San Juan inférieur ? En partie parce que,

même si le Nicaragua continue à draguer le fleuve pour en retirer les sédiments, une quantité au

45 moins égale sinon plus importante de sédiments continue d’arriver de l’amont, s’accumule dans le

chenal que le Nicaragua tente de préserver, ce qui le contraint à draguer à nouveau aux mêmes

endroits ?

M. THORNE : Non je ne suis pas d’accord. Je crois que ce dragage a un effet très néfaste

sur le chenal.

M. REICHLER : Ma question est de savoir si, pour préserver le chenal que vous avez décrit

auparavant, c’est-à-dire l’objet du programme de dragage du Nicaragua, vous convenez qu’il faut

draguer à répétition simplement pour préserver le chenal ? - 41 -

M. THORNE : Oui, mais il y a de bien meilleures manières de maintenir ce chenal que le

draguer à répétition, ce qui ne fonctionne pas, de toute évidence.

M. REICHLER : Si cela ne fonctionne pas, c’est parce que le chenal continue de se remplir

de sédiments à mesure qu’on le drague ?

M. THORNE : Oui ! Comme je l’ai dit, si, en présence d’une mare, vous draguez

profondément le chenal, il se remplira à nouveau très rapidement.

M. REICHLER : En particulier si beaucoup de sédiments arrivent de sources situées en

amont, quelles qu’elles soient.

M. THORNE : Oui ! Nous avons 11 volcans actifs qui rejettent des sédiments dans le

fleuve. A mon avis, le sable provenant de la route est encore loin d’avoir cet effet.

M. REICHLER : Ah, je m’attendais à ce que vous placiez cela à un moment ou à un autre !

Eh bien, touché ! Maintenez-vous ce que vous avez écrit dans votre rapport du 11 octobre, je cite :

«[L]e maintien de la navigabilité du fleuve pour les navires ... d’un tirant d’eau
supérieur à, disons, environ un mètre, requerra non pas une seule grosse opération,

mais des opérations de dragage répétées et l’ex[traction], année après année, de
centaines de milliers de mètres cubes de sédiments.»

Vous le pensez toujours?

M. THORNE : Ce serait le résultat catastrophique que l’on obtiendrait si on essayait de

draguer ce fleuve pour maintenir le passage, oui.

46 M. REICHLER : Maintenir la navigabilité pour les navires d’un tirant d’eau supérieur à un

mètre, estimez-vous que c’est une bonne ou une mauvaise idée… ?

M. THORNE : Je pense que c’est une très mauvaise idée.

M. REICHLER : Bien, mais cela n’exigerait pas une seule grosse opération, mais des

dragages répétés et l’extraction, année après année, de centaines de milliers de mètres cubes de

sédiments ? C’est ce que vous avez écrit dans votre rapport de 2011 dans l’affaire relative à - 42 -

Certaines activités. Y a-t-il quelque chose qui pourrait vous amener à revenir maintenant sur cette

affirmation ?

M. THORNE : Non, c’est une tâche sisyphéenne ; on n’en finira jamais.

M. REICHLER : Monsieur Thorne, une fois de plus je tiens à vous remercier immensément

de votre coopération, de votre ouverture d’esprit et de votre franchise. Vraiment  et je dis cela en

toute sincérité  je suis très heureux d’avoir fait votre connaissance, et j’espère bien que nous

resterons amis après ces audiences. Merci beaucoup.

M. THORNE : Merci beaucoup. C’est également ce que je souhaite et je vous remercie de

votre indulgence, et remercie la Cour de sa patience. Je suis un néophyte en tant que témoin-expert

et je n’ai pas suivi les règles à la lettre : je vous demande de m’en excuser !

M. REICHLER : Merci, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges.

The PRESIDENT: Thank you, Professor. But the Court still has a great deal of patience,

and we have not yet finished. I shall now give the floor to Mr. Wordsworth, who will tell us if he

wishes to hold a re-examination and, if so, who is going to conduct it. Mr. Wordsworth …

Mr. Wordsworth, could you speak into a microphone which has its light on? At the moment, we

cannot hear you. Is the microphone switched on? Yes?

M. WORDSWORTH : Ça ne fonctionne pas ? Bon. Monsieur Thorne, dans la première

partie du contre-interrogatoire, vous vous en souvenez, on vous a montré plusieurs tableaux sur les

47 travaux d’atténuation et on vous a interrogé sur ces travaux. Maintenant, pouvez-vous expliquer à

la Cour comment ou dans quelle mesure vous avez pris en compte ces travaux d’atténuation dans

vos estimations des quantités de sédiments qui proviennent de la route ?

M. THORNE : Nous ne les avons pas du tout pris en compte.

M. WORDSWORTH : Pourquoi cela ?

The PRESIDENT: Mr. Reichler ? - 43 -

M. REICHLER : Comme vous l’avez sans doute constaté, je ne me suis pas levé pour

m’opposer à une seule question jusqu’à présent  que ce soit lors du contre-interrogatoire auquel a

procédé le conseil du Costa Rica ou lors de l’interrogatoire complémentaire. Si M. Wordsworth

veut bien se souvenir, j’ai interrogé le témoin sur trois sujets : les mesures d’atténuation ou de

remise en état ; les charges et les concentrations de sédiments en suspension et la morphologie du

chenal. Si M. Wordsworth a l’intention d’interroger le témoin sur ses calculs ou sur les calculs de

M. Kondolf concernant les dépôts de sédiments dans le fleuve, je signale que je n’ai posé aucune

question à ce sujet. En outre, vous vous souviendrez que M. Wordsworth avait élevé une objection

analogue au cours de l’interrogatoire complémentaire de M. Kondolf. Aussi, pour éviter toute

difficulté future, je voulais simplement préciser, pour la gouverne de M. Wordsworth, quels ont été

les sujets abordés et rappeler que, selon notre interprétation, les sujets abordés au cours d’un

interrogatoire complémentaire ne doivent pas différer de ceux qui l’ont été lors du

contre-interrogatoire. Merci, Monsieur le président.

The PRESIDENT: Thank you. Mr. Wordsworth, you may continue.

M. WORDSWORTH : Monsieur le président, merci beaucoup. Je répondrai très

brièvement à cela, bien que je n’y voie nullement une objection justifiée. D’abord, M. Reichler ne

s’est certes pas levé pour élever une objection auparavant, mais il n’a eu aucune raison de le faire

 ce n’est donc pas surprenant. Deuxièmement, j’ai posé à M. Thorne, tout à fait dans les règles,

une question sur les travaux d’atténuation. Il a été invité à regarder plusieurs tableaux sur les

travaux d’atténuation, qui ont été affichés à l’écran, et ce qui ressorrt de ces tableaux, c’est que les

travaux d’atténuation peuvent être importants pour l’examen de l’affaire par la Cour. Je demande

simplement à M. Thorne de répondre à une question très précise sur la manière dont il a pris en

48 compte ces travaux d’atténuation  le fait qu’il y a eu des travaux d’atténuation  pour estimer

l’apport de sédiments imputable à la route. C’est manifestement une question qui découle du

contre-interrogatoire.

The PRESIDENT: That is a question which Professor Thorne may now answer.

M. THORNE : Je suis désolé, Monsieur le président, le micro n’était pas allumé. - 44 -

The PRESIDENT: You may answer the question.

M. THORNE : Non, nous n’avons pas corrigé nos estimations à la baisse pour tenir compte

de l’effet des travaux d’atténuation.

M. WORDSWORTH : Merci beaucoup. On vous a demandé si 20 % environ des sédiments

provenant de l’amont du delta passaient dans le San Juan inférieur, et 80 % dans le

fleuve Colorado, et vous vous êtes reporté aux figures 4.14 et 4.15, qui illustrent, selon vos

explications, des modèles de répartition du débit, et des sédiments également, si je comprends bien.

Comment au juste calculez-vous la répartition des eaux et des sédiments ?

M. THORNE : On applique la méthode standard de l’USGS dont a parlé M. Kondolf, on fait

des relevés dans une section située en amont de la bifurcation et des relevés en aval dans une

section de chacun des deux bras.

M. WORDSWORTH : Y a-t-il des incertitudes associées au modèle illustré par les

figures 4.14 et 4.15 ?

M. THORNE : Il y a de très grandes incertitudes.

M. WORDSWORTH : Pour quelle raison ?

M. THORNE : Chaque modèle est fondé sur des relevés effectués uniquement dans le bras

Colorado. Nous ne connaissons ni la charge sédimentaire d’approche, ni la charge sédimentaire du

San Juan inférieur. Si nous connaissions deux des trois valeurs, nous pourrions calculer la

troisième par déduction, mais nous n’en connaissons qu’une seule, si bien que nous devons

49 supposer l’une des deux autres. Dans le cas de la charge de fond, nous n’avons aucune mesure ;

c’est un modèle purement théorique. Depuis la rédaction de ce rapport, j’ai examiné l’annexe 16

du contre-mémoire du Nicaragua dans l’affaire relative à Certaines activités, qui contient quelques

mesures effectuées sur les deux autres branches du delta, en janvier 2011 et en avril-mai 2012.

Pour ces dates  deux mesures seulement ont été effectuées  M. van Rhee n’a guère vu

d’inconvénient à utiliser trois mesures, ou deux ; pour ma part, franchement, cela ne me satisferait - 45 -

pas, mais on fait avec ce qu’on a, ce sont des instantanés : aux dates où l’on a mesuré ces charges,

la proportion des sédiments passant dans le San Juan inférieur était, la première fois, 7 % et la

seconde fois, 14 %, donc sensiblement inférieure aux prévisions du modèle. Si nous avions plus de

données et si nous pouvions étalonner le modèle, les incertitudes en seraient énormément réduites.

M. WORDSWORTH : Merci. On vous a ensuite prié de vous reporter à la page II-27 de

votre rapport en l’affaire relative à Certaines activités, et on vous a demandé si le fleuve San Juan,

en particulier le San Juan inférieur, pouvait absorber sa charge sédimentaire. On vous a aussi

demandé de vous reporter au paragraphe 6.12 de votre rapport de 2013 sur la route : dans votre

réponse, vous avez parlé de secteurs de réponse qui sont, si je ne me trompe, au nombre de deux

dans le cas du San Juan proprement dit et d’un seul dans celui du San Juan inférieur. Maintenant,

ces secteurs de réponse ont-ils une incidence quelconque sur l’endroit où se déposent les sédiments

provenant de la route ?

M. THORNE : En ce qui concerne les sédiments qui proviennent de la route en amont de

Boca San Carlos, section où se trouvent la plupart des talus  nous en avons vu beaucoup  ces

sédiments doivent passer par deux secteurs de réponse avant d’atteindre le delta. Ces secteurs

comptent d’innombrables bancs de sable, point-bars, levées alluviales et zones marginales du

chenal, qui tendent à piéger les sédiments. Il y a aussi six centres de dépôt de sédiments  nous

pourrions les appeler hauts-fonds : chacun d’eux peut piéger au moins 50 % des sédiments

grossiers qui sont charriés sur le lit ou près du lit du fleuve. Il ne faut donc pas se figurer le fleuve

San Juan comme un pipeline à boues où les sédiments entrent pour ressortir ensuite. Les sédiments

arrivent et se déposent dans des hauts-fonds, où ils peuvent rester pendant un à cinq ans ; si des

mares se forment, ils peuvent y rester pendant mille ans. Des sédiments ressortent bien à l’autre

bout, mais ce ne sont pas les mêmes que ceux qui sont entrés. Pour la présente affaire, en 2013 et

2014, nous avons étudié les quantités : nous avons examiné les sédiments transportés, sans

distinction entre les sédiments provenant de la route, ou du volcan Irazu, ou du tremblement de

50 terre de Cinchona de 2009. Nous avons juste parlé de sédiments. Peut-être grâce à M. Reichler,

qui m’a mené vers cette piste, je me suis mis à réfléchir beaucoup plus sur la nature des sédiments

et sur le fait que ces deux secteurs de réponse ont également tendance à s’alluvionner, tout comme - 46 -

le San Juan inférieur : le phénomène n’est pas aussi marqué que dans le San Juan inférieur en

raison de facteurs géologiques, et c’est pourquoi je dis que le San Juan inférieur ne peut pas

absorber ces sédiments comme les autres fleuves considérés, qui sont beaucoup plus vastes. Ils ont

plus d’espace pour loger les sédiments ; les sédiments peuvent s’y arrêter sans rien bloquer. Le

San Juan inférieur est tout simplement petit, et resserré de par ses caractéristiques géologiques.

M. WORDSWORTH : On vous a aussi interrogé au sujet du dragage et des endroits où les

sédiments se déposent dans le San Juan inférieur. Vous avez dit que les sédiments se déposaient

dans la tranchée créée par le dragage entrepris par le Nicaragua. Je voudrais comprendre, eu égard

à la réponse que vous venez de donner, quels sont les sédiments qui, selon vous, se déposent dans

la tranchée creusée par le dragage réalisé par le Nicaragua ?

M. THORNE : Les sédiments dont je parle à cet égard, les sédiments eux-mêmes,

proviennent à raison de trois millions de mètres cubes du San Carlos, 2 500 000 mètres cubes du

Sarapiqui, en particulier de rivières comme le Sucio  la rivière sulfureuse  qui draine un volcan

et charrie environ un million de mètres cubes par an. Jusqu’en 1971, cette rivière se jetait dans le

fleuve Colorado, puis il y a eu avulsion, et la confluence se fait maintenant en amont du delta. Elle

apporte un million de tonnes de plus par année. C’est une perturbation du régime sédimentaire qui

va créer un problème pour la navigation. Cela ne cause pas de problème pour le fleuve parce que le

San Juan inférieur n’est pas un fleuve malade  il serait erroné de le qualifier ainsi  c’est un

vieux défluent, mais cela ne veut pas dire qu’il soit malade. Cela veut simplement dire qu’il

n’absorbe pas les sédiments comme le fait le Colorado qui, lui, est jeune et vigoureux.

M. WORDSWORTH : On vous a également interrogé sur un passage de votre rapport

de 2011 où vous dites que les sédiments se déposent dans des hauts-fonds, des levées alluviales et

d’autres choses de ce genre. J’aimerais une précision. D’une part, vous avez dit à M. Reichler que

les sédiments qui arrivent dans le San Juan inférieur se déposent dans la tranchée draguée par le

Nicaragua. D’autre part, vous avez dit en 2011 que les sédiments se déposaient dans des

hauts-fonds, des levées, etc. Pouvez-vous expliquer à la Cour comment vous conciliez ces

deux affirmations ? - 47 -

51 M. THORNE : Oui, je crois. Lorsque la charge sédimentaire est forte et variable, le fleuve

ne peut pas transporter tous les matériaux en même temps. Pendant les périodes de forte charge, il

accumule les sédiments ; pendant les périodes maigres  lorsqu’il y a moins de sédiments qui

entrent dans le fleuve parce qu’il n’y a pas eu de tremblement de terre ou que le volcan n’est pas en

éruption, ou que des sédiments n’arrivent pas des 10 000 autres sources de ce bassin versant  le

fleuve assimile tranquillement les sédiments accumulés, le lit s’alluvionne et la profondeur du

cours d’eau diminue ; voilà comment les choses se passent au rythme de la nature. Si on creuse

profondément le lit, la tranchée se remplira très rapidement de sédiments. Si on continue de

creuser, le comblement deviendra probablement plus rapide. Si on intervient sur la largeur  j’ai

lu le rapport de l’EPN sur le programme de dragage futur, qui prévoit d’enlever des îles et des rives

toute la végétation qui freine l’écoulement naturel du fleuve  si on fait cela et s’il en résulte

l’élargissement du fleuve, son lit se couvrira de très nombreux hauts-fonds. Mes prédictions

de 2011 se sont avérées justes, mais j’espère cette fois-ci me tromper en prévoyant que l’extension

des hauts-fonds due à l’élargissement du fleuve en présence de nouveaux apports de sédiments

aura pour effet de déstabiliser les levées alluviales, de déloger les stocks de sédiments accumulés

sur les îles, si bien que la sédimentation dépassera massivement la capacité de dragage. Le lit

s’exhaussera en s’alluvionnant, et le San Juan inférieur deviendra un défluent non plus pérenne,

mais saisonnier. Ce serait une catastrophe. Donc, creuser une tranchée aura en fait une

conséquence non prévue. Le problème du San Juan inférieur, c’est la navigation. Traitons donc le

problème de la navigabilité, n’essayons pas de changer le fleuve. A-t-on vraiment besoin de

bateaux d’un tirant d’eau de plus d’un mètre ? Est-ce qu’on ne pourrait pas utiliser d’autres

bateaux ?

M. WORDSWORTH : Merci, Monsieur Thorne. Je n’ai plus d’autres questions

complémentaires. La Cour a peut-être des questions à vous poser.

The PRESIDENT: Thank you. Turning to my colleagues, there do not seem to be any

questions to be put to the expert. But yes. Judge Tomka, you have the floor. - 48 -

Le juge TOMKA : Merci beaucoup, Monsieur le président. Tout d’abord, j’aimerais obtenir

quelques précisions. Dans l’une de vos réponses à M Reichler, vous avez dit que le dragage

n’était pas la meilleure manière de régler ce qui, il le reconnaît, constitue un problème dans le

fleuve San Juan, le cours inférieur du fleuve San Juan, pour être plus précis. Quelle serait, à votre

52 avis, la meilleure méthode pour maintenir la navigabilité, si le dragage n’est pas la bonne solution,

car, si j’ai compris, vous considérez également qu’il s’agit là d’une entreprise sisyphéenne ? Merci

beaucoup.

The PRESIDENT: Professor.

M. THORNE : M. van Rhee est un expert en dragage et j’ai lu son rapport très attentivement.

Je connais très bien son collègue, le professeur Huib de Vriend. Il n’est pas ici cette semaine. Il a

pris sa retraite de Deltares et est maintenant directeur d’Ecoshape, une fondation qui se consacre

entièrement au respect des processus naturels. J’invite instamment le Nicaragua à consulter

M. de Vriend au sujet des solutions de rechange, c’est un expert néerlandais. Pour ma part, je

recommande de s’inspirer de ce qui s’est fait ailleurs  M. van Rhee a mentionné quelques cas 

qui a consisté à installer des déflecteurs de courant pour que le chenal de navigation puisse rester

ouvert toute l’année. Parfois, ces ouvrages ont été réalisés en employant des matériaux

inappropriés, comme le béton et l’acier. Je n’utiliserais pas ces matériaux, mais le bois  le bois, à

condition qu’il soit immergé, ne pourrit pas et peut durer des décennies. Je n’ai pas eu accès au

San Juan inférieur pour un examen détaillé, mais je l’ai vu, j’y suis allé. Personnellement, plutôt

que d’enlever tout le bois, je le réarrangerais de manière à créer des hauts-fonds en des endroits

n’intéressant pas la navigation, des hauts-fonds qui concentreraient le débit résiduel durant la

saison humide, qui demeure considérable  150 mètres cubes par seconde, c’est beaucoup

d’eau  ce qui concentrerait l’écoulement dans le chenal de navigation, comme nos amis du Corps

of Engineers le font sur le cours inférieur du Mississippi. Dans les années 1970, le Mississippi

inférieur devait être constamment dragué, cela coûtait un milliard de dollars par an, avec comme

résultat la destruction du delta du Mississippi, qui était ainsi privé de sédiments. Si on retire du

fleuve par dragage 730 000 mètres cubes de sable, le delta ne sera plus alimenté. Si vous regardez

à nouveau la figure 2 de mon exposé écrit en l’affaire relative à Certaines activités, vous y verrez - 49 -

des cartes superposées. Voyez le littoral, il a reculé d’un kilomètre depuis 1840. Le programme de

dragage, s’il interrompt l’apport de sédiments, privera le delta de ce qui l’alimente, et la mer des

Caraïbes l’emportera, nous perdrons des centaines d’hectares de zones humides en raison de

l’érosion du littoral. Nous avons besoin de ces sédiments. Chaque grain en est précieux. Il faut les

laisser dans le fleuve, mais dévier leur parcours par des ouvrages appropriés de déflection et des

dragages ponctuels  je ne dis pas qu’il n’y a pas besoin de draguer, non  mais il s’agit de

draguer ponctuellement le sommet des hauts-fonds pendant la saison basse, lorsqu’il suffit

53 d’écimer les hauts-fonds pour faire passer un bateau de 2 mètres de tirant d’eau. Voilà ce que je

dirais.

M. le juge TOMKA : Merci beaucoup. Thank you, Mr. Président.

The PRESIDENT: Thank you, Professor. If there are no further questions, I should like to

thank Professor Thorne. That brings your deposition to a close, and thank you for appearing before

the Court. You may now leave the rostrum. Thank you.

M. THORNE : Merci beaucoup, Monsieur le président. Merci beaucoup, Mesdames et

Messieurs les juges, Mesdames, Messieurs. Ce fut un privilège de paraître devant vous et je vous

remercie de votre patience à mon égard en cette seconde occasion.

The PRESIDENT: Thank you. The schedule for the hearings that was communicated to the

Parties provides for this morning to be devoted to the examination of Costa Rica’s experts. That

has been the case, and Costa Rica’s first round of oral argument will resume this afternoon at

3 p.m. The Court will therefore meet again this afternoon at 3 p.m. to hear the continuation of the

first round of Costa Rica’s oral argument. Thank you. The Court is adjourned.

The Court rose at 12.10 p.m.

___________

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