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CR 2015/8

Lundi 20 avril 2015 à 10 heures

Monday 20 April 2015 at 10 a.m. - 2 -

10 The PRESIDENT: Please be seated. The sitting is open.

The Court meets today to hear the Parties’ oral arguments on the merits of the case

concerning the Construction of a Road in Costa Rica along the San Juan River

(Nicaragua v. Costa Rica). Each Party will have three sessions of three hours for the first round,

and one session of three hours for the second round. These are of course maximum speaking times,

which the Parties ought only to use as required. The first round of oral argument opens today and

will close on Friday 24 April 2015. Nicaragua’s experts will be heard this morning and this

afternoon; those of Costa Rica will be heard on Friday 24 April. The second round of oral

argument will begin on 30 April and conclude on 1 May.

Nicaragua, which is the Applicant in the case, will be heard first. I now give the floor to His

Excellency Mr. Argüello Gómez, the Agent of Nicaragua. Your Excellency, you have the floor.

M. ARGÜELLO GOMEZ : Merci, Monsieur le président. Monsieur le président, Mesdames

et Messieurs de la Cour, bonjour.

1. Je ne vais pas prendre trop de votre temps pour vous expliquer d’où est née la présente

affaire et formuler les observations liminaires qui sont d’usage dans la première intervention d’un

agent. En effet, dans leur grande majorité, les membres de la Cour connaissent à fond le dossier

des affaires jointes qui nous occupent actuellement, et le premier tour de plaidoiries consacré à

l’une d’entre elles vient de s’achever. J’ajoute que les questions de fond que soulève la présente

instance sont essentiellement d’ordre technique et scientifique, et qu’il vaut donc mieux laisser un

maximum de temps aux experts pour s’expliquer et aux avocats pour commenter leurs conclusions.

2. Monsieur le président, les deux affaires ont été jointes à la demande du Nicaragua, qui a

fait valoir non seulement qu’elles opposaient les mêmes Parties et étaient, en droit et en fait,

étroitement liées, mais encore qu’il semblait logique qu’elles soient tranchées ensemble, dès lors

que le Costa Rica invoquait la situation en cause dans l’affaire relative à Certaines activités pour

justifier la construction de la route.

1 Observations écrites du Nicaragua relatives à la recevabilité de ses demandes reconventionnelles,
30 janvier 2013. - 3 -

11 3. Le Costa Rica a tenté de légitimer la construction non planifiée d’une route, avec les

conséquences désastreuses qu’elle entraîne, en promulguant un «décret d’urgence». Ce décret a été

2
promulgué et est entré en vigueur le 7 mars 2011 , soit justement la veille du jour où la Cour a

rendu son ordonnance sur la demande en indication de mesures conservatoires introduite par lui. Il

3
est évident que le Costa Rica s’est dépêché de rédiger et promulguer ce décret afin qu’il entre en

vigueur avant que la Cour ne rende son ordonnance, sans quoi il n’aurait pas pu justifier le recours

à une mesure d’urgence, le principal motif invoqué pour l’adoption du décret étant  et je cite ici

un attendu de celui-ci  «qu’à ce jour, le Nicaragua continue à occuper une partie du territoire

4
costa-ricien en maintenant notamment des soldats sur l’île de Portillos (l’île Calero)» .

4. Les membres de la Cour représentent les principaux systèmes juridiques en vigueur dans

le monde. Je suis certain que tous ces systèmes juridiques prévoient l’instauration de l’état

d’urgence, mais certain aussi que selon tous ces systèmes, il est entendu que la déclaration de l’état

d’urgence est subordonnée à l’existence d’une véritable situation d’urgence. Au Costa Rica même,

des organisations non gouvernementales (ONG) ont contesté qu’il y ait eu en l’occurrence une

«urgence» suffisamment grave pour justifier la construction non planifiée d’une route dans une

zone dont l’équilibre écologique est fragile. Dans un article publié le 4 juin 2014, Alberto Cabezas,

fondateur de l’ONG Fundación Mundial Déjame Vivir en Paz, a écrit ce qui suit au sujet du projet

de construction de la route :

«A notre avis, aucune situation d’urgence, sauf si elle met en danger des vies

humaines (ce qui n’est pas le cas) ne justifie de nos jours que l’on prenne un risque
environnemental tel que celui présenté par ce projet faute d’études préalables visant à
5
prévenir des processus qu’il est à ce stade très difficile et très coûteux d’enrayer.»

5. Les organes d’experts costa-riciens qui s’occupent de l’environnement et de la

construction de routes conviennent eux-mêmes que la construction de la route n’a pas été planifiée

et que la conception du projet et les travaux de construction laissent à désirer.

2 o o
Journal officiel costa-ricien n 46, décret n 36440-MP, année CXXXIII, La Uruca, San José (Costa Rica),
7 mars 2011 ; MN, vol. II, annexe 11.
3 Le 18 février 2011, le greffier avait informé les Parties que la Cour rendrait en audience publique,

le 8 mars 2011, son ordonnance relative à la demande en indication de mesures conservatoires présentée par le
Costa Rica ; réf. : 1380066.
4 Attendu VI, journal officiel costa-ricien n 46, décret n 36440-MP, année CXXXIII, La Uruca, San José
(Costa Rica), 7 mars 2011 ; MN, vol. II, annexe 11.

5 Alberto Cabezas, «Border Trail Case» [l’affaire de la route frontalière], article publié le 4 juin 2014,
Revista Amauta ; RN, vol. II, annexe 22 ; les italiques sont de l’orateur. - 4 -

6. Le collège des ingénieurs et architectes du Costa Rica (CFIA), association professionnelle

6
nationale costa-ricienne, était parvenu à cette conclusion dans un rapport publié en juin 2012 . Le

CFIA concluait que le Costa Rica avait entrepris le projet «sans qu’il ait été établi le moindre plan

indiquant le tracé de la route ou ses caractéristiques» . Nous savons maintenant combien était
12

prophétique la conclusion du CFIA selon laquelle construire une route d’une telle manière serait

inévitablement «à l’origine de coûts accrus, de problèmes environnementaux et d’une détérioration

8
rapide du projet» .

7. Le laboratoire national des matériaux et des modèles structurels de l’Université du

Costa Rica (le «LANAMME» pour reprendre l’acronyme espagnol) a pour sa part conclu ce qui

suit :

«les pratiques élémentaires en matière d’ingénierie : levé de terrain pour le tracé de la
route; évaluation géotechnique des points critiques ; choix de l’emplacement,
conception et construction des structures de drainage; définition de normes techniques
adéquates et uniformes; et établissement de rapports d’inspection

[circonstanciés] … 9’ont pas été observées pendant la planification et la mise en
œuvre du projet» .

8. Le président du Costa Rica lui-même a convenu que la construction de la route était un

10
désastre. L’article que je vais maintenant citer est tiré du Tico Times :

«M. Luis Guillermo Solís, président du Costa Rica, s’est rendu vendredi

(20 mai 2014) dans la région isolée et pauvre du nord du Costa Rica, sur le site d’un
projet routier lancé sous la présidence de Laura Chinchilla (2010-2014), projet qui a
soulevé de multiples problèmes et donné lieu à une série de scandales. M. Solís s’est
dit surpris de l’absence de progrès de la construction de la route 1856, route d’une

longueur de 160 kilomètres qui suit le cours du fleuve San Juan, frontière naturelle
séparant le Costa Rica du Nicaragua.

«Ils m’ont légué un dossier pourri», a déclaré M. Solís dans une interview

accordée au quotidien La Nación, faisant allusion à l’administration Chinchilla. Lors
de sa visite d’une journée, M. Solís était accompagné de M. William Loria,
coordinateur des transports et de l’infrastructure au laboratoire national des matériaux

et des modèles structurels (LANAMME).

6
Collège des ingénieurs et architectes du Costa Rica (CFIA), «Rapport d’inspection des travaux réalisés sur la
route frontalière, dans la zone nord parallèle au fleuve San Juan», 8 juin 2012 ; MN, vol. II, annexe 4, p. 257.
7 Ibid., p. 25, par. 5.3.

8 Ibid.
9
Laboratorio Nacional de Materiales y Modelos Estructurales, «Rapport d’inspection de la route frontalière,
Juan Rafael Mora Porras, ou route 1856», p. 50-51 ; MN, vol. II, annexe 3.
10«M. Solís se rend sur le site du projet, énaillé de scandales, de construction de la route frontalière, et promet de

vider le dossier pourri que lui a légué l’administration précédente», Tico Times, 26 mai 2014 ; peut être consulté à
l’adresse suivante : http://www.ticotimes.net/2014/05/26/solis-visits-scandal-plagued-border…-
predecessors-mess. - 5 -

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Après s’être rendu compte sur le terrain, M. Loria a déclaré [citation de
l’article] : «La route est convenablement construite sur 20 kilomètres seulement.».»

9. Je me bornerai à rappeler à la Cour que la longueur totale de la route est censée être de

160 kilomètres. Or, selon M. Loria, elle n’a été convenablement construite que sur 20 kilomètres.

13 10. Le Nicaragua a sollicité l’avis et le concours de certains des experts les plus éminents des

diverses questions que soulève la construction de cette route. Il a versé leurs rapports au dossier , 11

12
ainsi que les résumés figurant dans les exposés écrits de ceux-ci , et la Cour entendra aujourd’hui

certains d’entre eux.

11. Afin de placer les questions soulevées par la présente affaire relative à la construction de

la Route dans la perspective voulue par rapport à celles se rapportant à l’affaire jointe relative à

o
Certaines activités, [affichage de l’onglet n 1], je vous invite à porter votre attention sur la carte

qui apparaît maintenant à l’écran, laquelle a été établie à la demande de la Cour pour indiquer les

emplacements clefs se trouvant sur le parcours de la route que le Costa Rica a entrepris de

construire. Le caño qui suscite le mécontentement du Costa Rica est représenté par cette toute

petite ligne, et la zone litigieuse n’est rien d’autre que le secteur représenté en vert à l’embouchure

du fleuve. La route est représentée par la longue ligne rouge qui s’étend du point delta où prend

naissance le bras dénommé Colorado à un point proche de celui où le fleuve San Juan sort du grand

lac Nicaragua.

12. Dans ce petit secteur où se trouve le caño, les dommages  si tant est qu’il y en ait eu et

que le Costa Rica soit en droit de s’en plaindre  ont été minimes et la nature s’est chargée de les

13
réparer, comme l’a admis M. Thorne .

13. En revanche, le vaste chantier ouvert il y a plus de quatre ans sur le parcours de la route a

partout produit un désastre, continue de causer des dommages directs au fleuve San Juan et reste

11 Voir, par exemple, G. Mathias Kondolf, Danny Hagans, Bill Weaver et Eileen Weppner : «Impacts
environnementaux de la route Juan Rafael Mora Porras, ou route 1856 (Costa Rica), sur le fleuve San Juan (Nicaragua)»,
décembre 2012 ; MN, vol. II, annexe 1.

12 Exposé écrit de M. G. Mathias Kondolf, 16 mars 2015 ; exposé écrit de M. William R. Sheate, 15 mars 2015 ;
exposé écrit de M. William Weaver, 15 mars 2015 ; exposé écrit d’Edmund D. Andrews, 15 mars 2015.
13
CR 2015/3, p. 32 (Thorne). - 6 -

une épée de Damoclès qui menace la survie du fleuve, le laissant à la merci d’une violente tempête,

d’un ouragan ou d’un tremblement de terre . [Fin de l’affichage de l’onglet n 1.] o

14. Cependant, une menace encore plus certaine et proche pèse aussi sur le fleuve et la vie

qu’il rend possible. Les experts du Costa Rica admettent eux-mêmes qu’en raison de l’érosion

provoquée par des travaux de construction menés n’importe comment et de manière irresponsable,

y compris à proximité immédiate de la berge du fleuve, 75 000 tonnes au moins de sédiments se

15
sont déversés chaque année dans le fleuve depuis l’ouverture du chantier en 2011 . Les experts du

Nicaragua ont quant à eux calculé que le volume annuel des sédiments apportés au fleuve en

16
conséquence de la construction de la route se chiffrait à 240 000 tonnes . Au moins 20 % de ces

14 sédiments se retrouvent dans le San Juan inférieur, où ils s’accumulent et contribuent à augmenter

17
la taille des seuils et des bancs de sable entravant déjà gravement la navigation . Comme

M. Thorne vous l’a dit la semaine dernière, l’envasement de cette partie du cours du fleuve est tel

18
que la navigation y est impossible pendant la saison sèche . Ce sont aussi des experts du

Costa Rica qui vous ont dit qu’il était essentiel de maintenir l’écoulement des eaux douces arrosant

les zones humides de l’aval, y compris la zone litigieuse en cause dans l’affaire relative à

19
Certaines activités, parce que la santé écologique de celles-ci en dépend .

15. Voilà pourquoi le Nicaragua réalise à grands frais, depuis quatre ans, des travaux de

dragage dans le San Juan inférieur. S’il le fait, c’est pour maintenir le fleuve en vie, l’empêcher de

s’assécher. C’est pour que les petits bateaux qu’utilisent les habitants et négociants de la région

puissent continuer de naviguer toute l’année, et aussi pour empêcher que les apports d’eau douce

dont ont besoin les zones humides ne diminuent.

16. Or, c’est dans cet environnement fragile que le Costa Rica, sans se préoccuper des

conséquences, a pris la décision irresponsable de construire une route qui ne fait qu’aggraver le

problème de sédimentation dont souffre le San Juan inférieur et accélérer la nécrose du fleuve, et

14
RN, par. 3.47-3.58.
15Thorne, exposé écrit, mars 2015, p. 6, par. 3.2.

16 Edmund D. Andrews, «Evaluation des méthodes, des calculs et des conclusions du Costa Rica concernant
l’apport et le transport de sédiments dans le bassin du fleuve San Juan», juillet 2014 ; RN, vol II., annexe 3, p. 2.
17
Thorne, exposé écrit, mars 2015, p. 14, par. 4.3.
18
CR 2015/3, p. 25 (Thorne).
19Ibid., p. 41 (Thorne). - 7 -

oblige le Nicaragua à consacrer encore davantage de ses maigres ressources aux opérations de

dragage nécessaires pour retirer du fleuve des volumes de plus en plus massifs de sédiments.

17. M. Reichler et moi-même ne doutons pas que les experts que vous entendrez ce matin

auront plus à dire sur ce chapitre.

18. Monsieur le président, voici dans quel ordre nous interviendrons lors de ce premier tour

de plaidoiries.

19. Tout d’abord, M. Reichler s’exprimera ce matin au sujet des éléments de preuve

concernant la route que construit le Costa Rica, abordant notamment la manière dont cette route a

été conçue et construite, les nombreux problèmes qui ont été causés et continuent d’être causés par

les travaux de construction, le problème des centaines de milliers de tonnes de sédiments qui vont

se retrouver dans le fleuve San Juan et l’insuffisance des mesures correctives prises par le

Costa Rica. Après la plaidoirie de M. Reichler, le Nicaragua présentera à la Cour ses experts, qui

interviendront dans l’ordre suivant : M. William Weaver, M. Mathias Kondolf,

M. Edmund Andrews et M. William Sheate.

20. Demain matin, M. Reichler vous entretiendra des éléments de preuve qui montrent que la

construction de la route par le Costa Rica a causé au Nicaragua des dommages importants, en

particulier en aggravant le problème de la sédimentation excessive du San Juan inférieur, qui a pour

15 effet de renforcer les obstacles entravant déjà la navigation et de réduire encore l’écoulement des

eaux douces arrosant les zones humides d’importance internationale situées en aval.

M. Loewenstein traitera ensuite des éléments de preuve se rapportant aux dommages écologiques

que risque de subir le San Juan en conséquence de la construction de la route.

21. Après l’intervention de M. Loewenstein, M. McCaffrey vous parlera des violations des

obligations imposées par le droit international de l’environnement dont nous aurons établi qu’elles

ont été commises par le Costa Rica, sur la foi des éléments de preuve invoqués dans leurs

plaidoiries par M. Reichler et M. Loewenstein; enfin, M. Pellet conclura le premier tour de

plaidoiries du Nicaragua en traitant des remèdes auxquels celui-ci a droit et qu’il a demandés en la

présente instance. - 8 -

22. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, me voici parvenu au terme de

mon intervention. Monsieur le président, je vous prie de bien vouloir donner maintenant la parole à

M. Reichler.

The PRESIDENT: Thank you, Excellency. I give the floor to Mr. Reichler.

M. REICHLER :

L ES ÉLÉMENTS DE PREUVE :PREMIÈRE PARTIE

L A ROUTE

1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, bonjour ; j’espère que vous

avez tous profité de ce week-end sous le soleil de la Hollande. J’ai pour mission d’examiner les

éléments de preuve avancés par le Nicaragua à l’appui de son argumentation. Je le ferai en

deux parties. Ce matin je parlerai de la construction de la route elle-même. Demain matin, dans la

deuxième partie, je parlerai des dommages qu’elle a causés au Nicaragua. Les principales

conclusions à tirer de ces preuves sont les suivantes : premièrement la route construite par le

Costa Rica le long du fleuve San Juan, telle qu’elle a été conçue et construite, a causé un dommage

important au Nicaragua en entraînant et continuant d’entraîner le dépôt de centaines de milliers de

tonnes de sédiments dans le fleuve. Deuxièmement, celui-ci est déjà si chargé en sédiments que,

comme vous l’avez entendu la semaine dernière, le cours inférieur du San Juan ne peut même plus

supporter la charge sédimentaire qui était la sienne avant la construction de la route, laquelle

s’accumule sur le fond du fleuve, notamment en bancs de sédiments et de sable, obstruant la

navigation et diminuant le flux d’eau douce vers les zones humides situées en aval, ce qui en

perturbe l’équilibre écologique. Troisièmement, il faut draguer le fleuve en permanence pour en

16 garder le cours inférieur navigable et fournir aux zones humides l’eau douce dont elles ont besoin.

Quatrièmement, à mesure que le Nicaragua drague des sédiments en dehors du fleuve pour

atteindre ses objectifs souverains et légitimes, le Costa Rica, en construisant sa route, continue d’en

déverser, ce qui rend la tâche du Nicaragua encore plus lourde. Pour le Nicaragua, cela constitue

un dommage important. Mais ce n’est pas tout. C’est un dommage mesurable, quantifiable,

indemnisable et qui se poursuit. En fait, il s’aggrave au fil du temps. Le Nicaragua ne cherche pas - 9 -

seulement à être indemnisé pour les dommages qu’il a subis à ce jour, il veut aussi que la Cour

enjoigne fermement au Costa Rica de faire cesser les dégâts en cours et de les éviter à l’avenir.

2. Voici les arguments du Costa Rica : il admet que la route a été mal conçue, qu’elle est mal

située, mal planifiée et mal construite de sorte qu’elle a exigé et continue d’exiger des réparations

majeures. Il admet aussi qu’elle entraîne le dépôt de quantités massives de sédiments dans le

fleuve, au-moins 75 000 tonnes par an selon lui , ce qui, dans les quatre ans trois quarts qui se sont

écoulés depuis le début des travaux, représente 325 000 tonnes. Nous disons que ce chiffre est

beaucoup plus élevé, plus d’un million de tonnes , mais même si, quod non, le Costa Rica avait

bien calculé la quantité de sédiments déposés dans le fleuve en raison des travaux qu’il mène, le

chiffre qu’il donne est suffisant pour établir qu’il y a dommage important car il augmente

considérablement la quantité de sédiments que le Nicaragua est déjà obligé de draguer pour que les

eaux du cours inférieur du San Juan puissent continuer de s’écouler.

3. Et c’est là que les Parties diffèrent. C’est véritablement le seul point fondamental de

désaccord. Pour le Costa Rica, le fleuve est déjà tellement surchargé de sédiments qu’y ajouter

325 000 tonnes ne fait aucune différence. Lors de l’audience sur la demande en indication de

mesures conservatoires déposée par le Nicaragua en novembre 2013, le Costa Rica a dit de cette

quantité de sédiments qu’elle était «négligeable» ,  un ajout de 1 ou 2 % au volume total de

23
sédiments déposés dans le fleuve -- et donc pratiquement indétectable .

4. En fait, Monsieur le président, le Costa Rica fait valoir que le fleuve est déjà en train de

s’assécher et de mourir sous l’effet des sédiments. S’il doit mourir de toute façon, quelle différence

17 cela fait-il d’accélérer les choses en ajoutant encore quelques centaines de tonnes ? Il ne peut avoir

raison. Tout d’abord, la victime ici est le fleuve du Nicaragua, sur lequel ce pays exerce seul

sumo imperium. Le Costa Rica n’a certainement pas le droit d’en accélérer la mort même s’il la

considère inévitable. Deuxièmement, même si, quod non, le fleuve est en train de mourir, plus sa

vie peut être prolongée, plus longtemps les riverains et ceux qui l’utilisent à des fins de commerce

20
Duplique du Costa Rica (DCR), par. 2.61.
21Voir réplique du Nicaragua (RN), par. 2.4, chiffre estimatif de 150 000 m , soit plus de 250 000 tonnes par an.
22
CR 2013/29, p. 10, par. 10 (Ugalde Álvarez).
23
DCR, par. 2.64-65, 2.80. - 10 -

pourront y naviguer et plus longtemps aussi les zones humides sous protection internationale

continueront d’être nourries par ces eaux qui leur donnent vie et nutriments. Comme vous l’avez

entendu la semaine dernière, tels sont les objectifs du programme de dragage du Nicaragua . 24

Enfin, le Nicaragua n’accepte pas l’inévitabilité de la mort du fleuve. Son sort est peut-être scellé
25
en temps géologique, comme nous l’ont dit MM. Thorne et van Rhee , mais le temps géologique

se mesure en milléniums et, en attendant et dans un avenir prévisible pour chacun de nous, le

fleuve est tout à fait en vie. S’il est en mauvaise santé, ce n’est pas une raison pour le rendre

encore plus malade, délibérément ou même par négligence, et pour obliger le Nicaragua à lui

administrer encore plus de médicaments.

5. Monsieur le président, après de volumineuses pièces de procédure, de nombreux

rapports techniques d’experts, et le témoignage des experts des deux Parties la semaine dernière, il

existe aujourd’hui bien des faits sur lesquels les Parties sont d’accord ; la tâche de la Cour devrait

s’en trouver allégée ; moins il y aura de points de désaccord, plus la Cour pourra leur consacrer

toute son attention.

6. Ainsi, il est aujourd’hui incontesté que la route a été construite sans méthode et en grande

hâte, sans plan ou études d’ingénierie préalables, ainsi que sans chercher à savoir si le site était

approprié ni tenir compte de l’impact possible sur le San Juan. S’agissant de ce dernier point, le

Costa Rica reconnaît ne pas avoir préparé d’évaluation préalable de l’impact sur l’environnement

des dommages et risques même pour son propre territoire, et encore moins pour le fleuve du

Nicaragua.

7. Les détails, les faits concernant la construction de la route sont maintenant bien établis et

le Costa Rica ne les nie pas. Il admet d’ailleurs expressément qu’en raison de ses erreurs de

conception, d’ingénierie ou de construction, d’importants travaux de réfection, de réparation et

d’assainissement s’imposent, lesquels n’ont pas encore eu lieu dans la plupart des cas. Plus de

18 quatre ans après le début du chantier, dans ce que le Costa Rica a alors qualifié de conditions

d’urgence, une grande partie de la route n’est toujours pas finie et ce qui a été construit est

24CR 2015/6, p. 10-13, par. 3-13 (Reichler).

25 Exposé écrit de M. Thorne au sujet de l’affaire Certaines activités, mars 2015, p. 2, par. 2.4 ; exposé écrit de
M. van Rhee, 15 mars 2015, p. 2, par. 5. - 11 -

généralement en mauvais état et exige de grosses réparations. Dans sa duplique, le Costa Rica

admet que sur les 120 sites où la route traverse des cours d’eau qui se jettent directement dans le

San Juan, 82 au moins nécessitent des réparations et que, en février de cette année, 54, soit plus de

65 %, n’étaient toujours pas remis en état et continuaient de provoquer le dépôt de sédiments dans

26
le fleuve . Le bulletin de notes du Costa Rica est tout aussi mauvais pour les portions construite

sur des côtes escarpées ou des pentes, qui ne se prêtent pas à ce type de travaux. Il y a 201 sites de

ce type dont 190, selon le Costa Rica, exigent des réparations et, il y a deux mois, rien n’avait

encore été fait pour 165 d’entre eux, soit 86 %, et les sédiments continuaient de se déverser dans le

27
fleuve . C’est le Costa Rica qui donne ces chiffres. M. Thorne, expert du Costa Rica les

considère exacts . 28

8. Monsieur le président, à la fin de sa présentation, le Nicaragua présentera

M. William Weaver comme témoin. M. Weaver a plus de 35 ans d’expérience professionnelle

dans les domaines de l’hydrologie des eaux de surface, de la gestion des bassins hydrographiques et

du génie géologique. Durant 13 ans, il a occupé le poste d’ingénieur-géologue principal au

parc national de Redwood (Redwood National Park) en Californie où il était chargé de concevoir et

de surveiller le programme internationalement reconnu de contrôle de l’érosion et de réhabilitation

des bassins hydrographiques. Il est spécialisé en particulier dans l’étude de l’impact de la

construction de routes sur l’érosion des bassins hydrographiques et les processus de sédimentation

et de la conception et du contrôle des processus d’érosion liés aux routes dans les milieux forestiers

29
escarpés et les bassins hydrographiques . Outre son exposé écrit, M. Weaver a coécrit d’autres

rapports d’experts sur la conception et la construction défectueuses de la route, ses carences en bien

des endroits critiques, l’insuffisance des efforts déployés par le Costa Rica pour y remédier et

26 o
Voir Andreas Mende, «Inventaire des pentes et cours d’eau liés à la route frontalière 1856 entre la borne n II et
Delta Costa Rica : deuxième rapport», décembre 2014 (oi-après dénommé «Rapport Mende de 2014») ; DCR, vol. II,
annexe 3, p. 29, tableau 5, dossier de plaidoiries, onglet n 3, p. 6.
27 o
Voir rapport Mende, DCR, vol. II, annexe 3, p. 30, tableau 7 ; dossier de plaidoiries, onglet n 4, p. 2.
28 M. Thorne, «évaluation de l’impact sur le fleuve San Juan de la construction de la route frontalière au
Costa Rica : rapport en réponse», février 2015, appendice A à la DCR (ci-après dénommé «Rapport Thorne (2015)»),
o
p. 137-138, tableau 7.4-7.5 ; dossier des plaidoiries, onglet n 6.
29William E. Weaver, exposé écrit, 15 mars 2015, par. 1. - 12 -

19 l’érosion causée par l’écroulement de portions de la route qui ont entraîné des déversements
30
massifs, et pourtant évitables, de sédiments dans le fleuve San Juan .

9. Curieusement, mais ce ne l’est peut-être pas tant que cela, le Costa Rica a indiqué qu’il

n’exercerait pas son droit de contre-interroger M. Weaver. Cela signifie que les éléments de

preuve que M. Weaver a résumés dans son rapport d’expert du 16 mai 2015 ne seront pas contestés

aujourd’hui. Peut-être est-ce parce que le Costa Rica ne veut pas appeler l’attention sur ce qu’il a à

dire. Le Nicaragua a la conviction qu’en s’efforçant de ne pas prêter attention aux déclarations de

M. Weaver, le Costa Rica n’atteindra pas l’objectif recherché. Il a le droit de ne pas interroger

M. Weaver, ce qui n’empêche évidemment pas la Cour de questionner ce dernier, si elle le

souhaite. Et cela n’empêche certainement pas la Cour de lire ses rapports.

10. Monsieur le président, il sera utile à la Cour, je n’en doute pas, d’identifier maintenant

les questions précises sur lesquelles les Parties sont d’accord. Il en existe sept ou, du moins,

comme je le montrerai, sept pour lesquelles les faits ne sont plus contestés. Chacun de ceux que je

citerai est bien établi dans le dossier. Les sources seront indiquées dans le compte rendu sous la

forme de notes de bas de page.

11. Premièrement, les deux Parties conviennent qu’avant le début du chantier, il n’a été fait

aucune étude pour déterminer s’il était judicieux de construire la route le long d’un terrain escarpé

et tout près du fleuve, non plus que d’étude préalable concernant la conception, l’ingénierie ou la

construction de la route et que ces carences dans la planification préalable ont causé des problèmes

majeurs, notamment l’érosion de milliers de tonnes de sédiments qui se sont déversés dans le

fleuve San Juan. Selon le Collège des ingénieurs et architectes du Costa Rica (CFIA) : «La

construction a été entamée sans qu’ait été établi le moindre plan indiquant le tracé de la route ou

ses caractéristiques.»31 Pour le CONAVI, l’agence gouvernementale costa-ricienne chargée du

réseau routier au sein du ministère des travaux publics, «il fallait bien comprendre que la mise en

20 route du chantier ne pouvait suivre les procédures de développement de projets d’infrastructure qui

30 Kondolf, Hagans, Weaver et Weppner, «Environmental Impacts of Juan Rafael Mora Porras Route 1856,
Costa Rica, on the Río San Juan, Nicaragua», décembre 2012, mémoire du Nicaragua (MN), annexe 1 ; Hagans and
Weaver, «Evaluation of Erosion, Environmental Impacts and Road Repair Efforts at Selected Sites along
Juan Rafael Mora Route 1856 in Costa Rica, Adjacent to the Río San Juan, Nicaragua», juillet 2014 ; RN, annexe 2.

31 CFIA, «Rapport d’inspection des travaux réalisés sur la route frontalière, dans la zone nord parallèle au fleuve
San Juan», 8 juin 2012, MN, annexe 4, p. 152, par. 5.3. - 13 -

tiennent compte, par exemple, d’étapes de conceptualisation, de faisabilité, de conception et de

32
gestion des travaux» .

12. Comme l’a dit M. Weaver dans son exposé écrit,

«Le défaut de planification a … entraîné des travaux de terrassement
désorganisés et excessifs. Les entrepreneurs ont commencé à construire la route sur
un emplacement, pour ensuite abandonner ce tronçon et la construire ailleurs, ce qui a

localement doublé ou même triplé la surface de terrain laissée sans végétation,
perturbée, à découvert et en érosion. Le manque de planification a également permis à
la route d’être construite sur des pentes raides et des zones de sol faible et instable.

Plus de trente kilomètres de route ont été construits sur des versants abrupts, dont
beaucoup se composent souvent de matériaux fortement effrités, non consolidés ou
autrement faibles qui sont sujets à érosion et à des glissements de pentes.» 33

Et il a ajouté

«Une planification inadaptée a abouti à ce que la route soit construite trop
proche du Rio San Juan à de nombreux endroits … 17,9 kilomètres de la route 1856

empiètent sur les cinquante mètres de marge de retrait requis par la législation du
Costa Rica, certaines sections se trouvant à cinq mètres seulement du fleuve.
[Ceci] … a pratiquement garanti que la construction et l’utilisation de la route
34
causeraient le transport de sédiments et autres polluants dans le fleuve.»

13. Comme le souligne M. Weaver :

«Il n’existe aucune raison technique ou environnementale pour que la route se
situe là où elle a été construite. De meilleurs emplacements possédant des terrains
plus stables situés à une plus grande distance du fleuve auraient occasionné bien
moins d’impact environnemental et, sur le long terme, bien moins de dépenses visant à
35
essayer d’entretenir une route mal située et mal construite.»

Le Costa Rica n’a pas donné de réponse. Il n’a pas expliqué pourquoi il était nécessaire ou

judicieux de construire la route à l’endroit où elle se trouve. D’ailleurs, dans son propre diagnostic

de l’impact sur l’environnement présenté avec retard en novembre 2013, trois ans après le début

des travaux de construction, il recommandait que des tronçons clefs de la route où l’érosion dans le

fleuve était la plus importante soient déplacés beaucoup plus à l’intérieur des terres, loin du

fleuve . Ce qui n’a pas été fait.

32
CONAVI, communiqué de presse, 25 mai 2012 ; MN, annexe 34, par. 3.
33William E. Weaver, exposé écrit, 15 mars 2015, par. 4-5.

34Ibid., par. 6.
35
Ibid., par. 7.
36Centre de sciences tropicales, «Diagnostic de l’impact sur l’environnement, route 1856 - volet écologique du
projet», novembre 2013, contre-mémoire du Costa Rica (CMCR), vol. II, annexe 10, p. 359 ; voir également centre
scientifique tropical, «Suivi et contrôle du projet de la route 1856  diagnostic de l’impact sur l’environnement»,

janvier 2015, DCR, vol. III, annexe 14, p. 88. - 14 -

14. Deuxièmement, les Parties conviennent qu’aucune évaluation de l’impact sur

l’environnement n’a été faite, non plus que le moindre effort pour évaluer les effets sur le fleuve

San Juan avant le début du chantier. Les spécialistes de droit de l’environnement de l’Université

du Costa Rica sont parvenus à la conclusion suivante :

21 «La quasi-totalité de nos lois sur l’environnement ont été violées : toutes les

règles nationales relatives aux études préalables, de même que celles relatives à la
nécessité de présenter des mesures d’atténuation des risques et un plan de gestion, à
l’interdiction de couper certaines espèces d’arbres, et au respect des zones protégées,
autant de délits qui sont dûment proscrits par le droit pénal.» 37

Voilà ce que vous trouvez sous l’onglet n 2 de votre dossier des plaidoiries.

M. William Sheate, spécialiste du diagnostic de l’impact sur l’environnement, a établi

deux rapports sur les carences du Costa Rica à cet égard, notamment son exposé écrit du

16 mars 2015 . Il comparaîtra cet après-midi pour être interrogé par le Costa Rica et par la Cour.

15. Sans planification ni évaluation préalables de l’impact sur l’environnement, il n’est guère

surprenant que la route ait été construite d’une manière désordonnée qui a violé toutes les normes

fondamentales concernant l’emplacement à choisir, la planification, la conception technique et la

construction, et qu’elle ait causé des dommages à l’environnement. Et c’est là le troisième point

d’accord entre les Parties : la route a été mal construite et à la hâte en violation des normes

techniques et de protection de l’environnement et, de ce fait, elle s’est désintégrée dans des

centaines d’endroits, s’effritant ou s’éboulant au passage des cours d’eau qui l’emportaient, et

s’effondrant bien souvent le long de pentes escarpées et là où elle n’aurait jamais dû été construite

pour commencer, ou du moins là où elle aurait dû l’être conformément aux normes techniques

voulues. Je vais examiner, et vous montrer, certains défauts particuliers de cette route et leurs effets

sur fleuve San Juan au cours de cette présentation.

16. Autre point d’accord, et c’est le quatrième, tant les travaux nécessaires pour commencer

à construire la route  destruction de forêts et déplacement par bulldozer d’énormes quantités de

terre très proches du fleuve  que la mauvaise qualité du travail ont déjà entraîné le déversement

37Gerardo Quesada, «Plaintes concernant la construction sans permis au bord de la Route» San Carlos Al Día,
Costa Rica, 12 juin 2013, peut être consulté à l’adresse suivante : http://www.sancarlosaldia.com/noticias/notas-
generales/denuncian-construccion-sin-permiso-a-la-orilla-de-la-trocha.html (dernier accès le 19 avril 2015).
38
Exposé écrit de M. Sheate, 15 mars 2015 ; Sheate, «Observations sur l’absence d’évaluation de l’impact sur
l’environnement préalable à la construction de la route frontalière longeant le San Juan», juillet 2014, RN, vol. II,
annexe 5. - 15 -

de centaines de milliers de tonnes de sédiments dans le fleuve directement et par érosion régulière

et continue. Dans son contre-mémoire, le Costa Rica admet être responsable du déversement de

39
plus de 60 000 tonnes de sédiments dans le San Juan chaque année . Après que le Nicaragua eut

souligné dans sa réplique quelques-unes des erreurs figurant dans les calculs du Costa Rica , qui 40

furent admises dans la duplique, le Costa Rica s’est remis à mijoter quelques analyses

statistiques  a mélangé un peu la potion, dit quelques mots magiques  et porté le dommage à

41
22 75 000 tonnes par an . Cela nous mène à 325 000 tonnes depuis le début des travaux. Pour le

Nicaragua, les éléments de preuve indiquent que ce n’est là qu’un tiers de la quantité réelle mais,

quoiqu’il en soit, les chiffres cités par le Costa Rica lui-même sont très élevés. Il n’y a donc pas de

désaccord sur le fait que, d’après les chiffres donnés par le Costa Rica lui-même, la construction de

la route a causé, et continue de causer, le déversement de quantités énormes de sédiments dans le

fleuve du Nicaragua.

17. Les Parties s’accordent aussi sur un cinquième point : la route est en tellement piteux état

qu’elle requiert des travaux de réfection considérables, à la fois pour être utilisable et pour atténuer

les effets qu’elle a sur le San Juan et l’environnement avoisinant. Le Costa Rica l’a reconnu lors

des plaidoiries orales sur les mesures conservatoires en novembre 2013 lorsqu’il a présenté à la

Cour une liste de mesures de remédiation prévues et lui a donné l’assurance que des mesures

conservatoires ne seraient pas nécessaires car celles qu’il allait mettre en œuvre suffiraient à régler

42
tous les problèmes rencontrés . Mais en réalité, elles n’ont pas suffi. Un an et demi après ces

promesses faites à la Cour, le Costa Rica a indiqué dans sa duplique qu’à la fin de l’année dernière,

43
les réparations étaient terminées pour seulement 35 % des 82 sites de passage de cours d’eau et

44
14 % des 190 pentes qu’il avait identifiés comme nécessitant des travaux . Une inspection

visuelle des experts du Nicaragua à la fin février et au début mars de cette année  les

photographies prises à cette occasion sont maintenant versées au dossier  indique que les

39CMCR, par. 3.25-26.

40RN, par. 2.98-119.

41CMCR, par. 2.61.
42
CR 2013/29, p. 50, par. 26 et p. 53, par. 31 (Kohen).
43Rapport Mende de 2014, DCR, annexe 3, p. 29, tableau 5 ; dossier de plaidoiries, onglet n 3, p. 6.

44Ibid., p. 30, tableau 7 ; dossier de plaidoiries, onglet n 4, p. 2. - 16 -

mesures de remédiation prises par le Costa Rica dans un petit nombre de sites sources de difficultés

où le nécessaire aurait été fait avaient déjà échoué ou risquaient de le faire, et qu’il y avait peu,

pour ne pas dire pas de signe d’activité s’agissant de 65 % des passages d’eau ou de 86 % des

pentes pour lesquels le Costa Rica reconnait maintenant, contrairement à ce qu’il a dit à la Cour

en novembre 2013, que des réparations étaient encore nécessaires, et où l’érosion des sédiments

dans le fleuve se poursuit au même rythme . 45

18. Le sixième point d’accord est maintenant bien connu de la Cour et je ne m’y attarderai

pas : dans son cours inférieur, le San Juan est incapable de transporter et de déverser dans la mer

les grandes quantités de sédiments qu’il reçoit du cours supérieur. Il en résulte que ce sédiment

grossier, essentiellement du sable, se dépose principalement le long des 3 premiers kilomètres
23

situés après la bifurcation, en particulier sur des bancs de sable et des hauts-fonds où l’écoulement

de l’eau est plus lent et le lit moins profond. Cette situation multiplie les obstacles existants à la

navigation et réduit encore la profondeur du fleuve, ce qui en diminue le débit, d’où des quantités

toujours croissantes de sédiments qui se déposent sur des bancs de sable et des hauts-fonds plus

nombreux et plus importants, recommençant le cercle vicieux qui ajoute perpétuellement des

sédiments au fleuve et réduit perpétuellement la taille et la profondeur du chenal navigable. Tous

ces faits sont confirmés par M. Thorne.

19. Le septième point d’accord vous est aussi familier : pour maintenir la navigabilité du

fleuve, et sur les 3 kilomètres qui le sépare de la bifurcation, et plus près de l’embouchure, il faut

en permanence draguer et retirer des quantités considérables de sédiments, année après année, pour

permettre aux navires, même à ceux dont le tirant d’eau n’est que d’un mètre, de naviguer sans

heurter le fond ou s’échouer sur le grand nombre de bancs de sable et de haut-fonds créés par

l’accumulation des sédiments. De fait, comme M. Thorne l’a indiqué, le cours inférieur du

46
San Juan n’est pas navigable pendant la saison sèche , et il faut en permanence draguer les

sédiments, en quantités encore plus importantes que celles que le Nicaragua enlève aujourd’hui du

45William E. Weaver, exposé écrit, 15 mars 2015, par. 21, 49, 50.

46CR 2015/3, p. 25 (contre-interrogatoire de M. Thorne). - 17 -

47
fleuve pour garder ouvert ne serait-ce qu’un petit chenal navigable . Et comme M. Thorne et

M. van Rhee en sont d’accord, un dragage constant est également important pour que les zones

humides dont l’environnement est protégé, et qui sont situées sur les deux rives du San Juan,

continuent de recevoir de l’eau douce en quantité suffisante . 48

20. Monsieur le président, les graves problèmes posés par la route — qui ont, en de

nombreux endroits, entraîné l’effritement, l’effondrement et l’engloutissement de celle-ci et,

partant, le déversement d’importantes quantités de sédiments dans le fleuve San Juan —, entrent

dans trois grandes catégories au moins :

i) les passages de cours d’eau mal construits ou défectueux ;

ii) la construction inappropriée et dangereuse à flanc de colline ; et

iii) les systèmes de drainage inadéquats.

24 Je vais à présent examiner avec vous la déposition de l’expert, les éléments de preuve

visuels à savoir des photographies et des images satellite — ainsi que les concessions faites par

le Costa Rica lui-même en ce qui concerne chacun de ces trois problèmes de taille.

21. Je commencerai tout d’abord par le problème principal des passages de cours d’eau mal

construits ou défectueux. Ainsi que M. Weaver l’a exposé, «[c]es passages ... sont parmi les

endroits les plus vulnérables sur le plan environnemental le long de la route ... Lorsqu’un passage

s’érode ou se rompt, le courant transporte les sédiments érodés qui en résultent directement dans le

fleuve» . M. Andreas Mende, l’expert national du Costa Rica, que celui-ci a choisi de ne pas faire

comparaître au cours des présentes audiences, a précisé que la route franchissait au moins

127 cours d’eau . Or, en 2013, seuls dix des points de passage qu’il avait été tenté de construire

51
étaient, selon lui, dans un état «approprié» .

22. M. Weaver a expliqué pourquoi il en allait ainsi :

47M. Thorne, «Rapport : Evaluation de l’impact physique des travaux effectués par le Nicaragua depuis
octobre 2010 sur la géomorphologie, l’hydrologie et la dynamique des sédiments du fleuve San Juan, ainsi que de leur
impact environnemental en territoire costa-ricien», octobre 2011 ; mémoire du Costa Rica (MCR) dans l’affaire relative à
Certaines activités, appendice 1, p. 179.

48Exposé écrit de M. Van Rhee, 15 mars 2015, par. 10-11.
49
William E. Weaver, exposé écrit, 15 mars 2015, par. 9.
50Rapport Mende de 2014, DCR, annexe 3, p. 29, tableau 5 ; dossier de plaidoiries, onglet n 3, p. 6.

51Andreas Mende et Allan Astorga, «Inventaire des pentes et cours d’eau liés à la route frontalière 1856 entre la
borne II et Delta Costa Rica», octobre 2013 ; CMCR, annexe 6, p. 28, tableau 4. - 18 -

«La plupart des passages de cours d’eau ont été construits en remplissant le lit
du cours d’eau avec de la terre ([ou] remblai), un ponceau étant placé à l’intérieur du

remblai à travers lequel il est prévu que l’écoulement fluvial se fasse. Ces passages
coûtent moins chers que des ponts mais ils sont intrinsèquement instables et sujets à
érosion, plus particulièrement lorsqu’ils sont mal construits, comme cela est le cas
52
pour de nombreux passages le long de la route.»

Même la CODEFORSA, c’est-à-dire le service forestier du Costa Rica, a confirmé ce constat :

«Les cours d’eau qui franchissent [la route] 1856 constituent un autre facteur

entraînant la perte de sol. Sur la plupart des sites en question, des ponceaux de taille
réduite ont été installés, mais ceux-ci ont, dans certains cas, été obstrués par des
branches et des troncs avant de se boucher complètement. Les pluies abondantes ont

ensuite détruit les passages qui avaient été construits et les ponceaux qui avaient été
mis en place. Le plus préoccupant est que des matériaux sont charriés sur la rive du
fleuve, ce qui a pour effet de contaminer directement à la fois la crique et le cours
d’eau, aussi bien à son embouchure qu’en aval.» 53

23. En 2012, les experts du Nicaragua ont signalé que, d’après l’inspection visuelle qu’ils

avaient personnellement effectuée, «les entrepreneurs n’[avaient, en certains endroits,] pas utilisé

de ponceaux du tout mais [avaient], à la place, utilisé des matériaux ad hoc, tels que des conteneurs

recyclés et des rondins de bois. L’utilisation de ces matériaux n’[était] pas acceptable en vertu des

normes usuelles de conception et ces passages [s’étaient] déjà rompus ou [montraient] des signes

54
25 de rupture» . Même le LANAMME, c’est-à-dire le laboratoire national de l’Université du

Costa Rica, en est convenu, celui-ci ayant également évoqué «l’[a]bsence de ponceaux, qui

[avaient], dans certains cas, été remplacés provisoirement par des rondins de bois» et la fréquente

«[u]tilisation de structures de drainage non conventionnelles (conteneurs) qui [s’étaient] déformées

et risqu[aient] de s’effondrer» .55

24. En 2012, à l’occasion d’une évaluation sur le terrain leur ayant permis d’inspecter

60 points de passage de cours d’eau visibles depuis un hélicoptère ou le fleuve, les experts du

Nicaragua ont relevé ce qui suit :

«Presque tous présentaient au moins un ... grave[] défaut[] de conception et/ou

de construction ... les rendant susceptibles de rupture lors de précipitations ou de crues
intenses. A pratiquement tous les passages, certains volumes de sédiments [avaient]

52William E. Weaver, exposé écrit, 15 mars 2015, par. 10.

53CODEFORSA, «Restoration and rehabilitation of ecosystems affected by the construction of the Juan Rafael
Mora Porras border road, Route 1856: Quarterly Report» [Restauration et remise en état des écosystèmes touchés par la
construction de la route frontalière Juan Rafael Mora Porras ou route 1856», rapport trimestriel], novembre 2014 ; DCR,
annexe 12 (ci-après le «rapport trimestriel de la CODEFORSA»), p. 8.

54William E. Weaver, exposé écrit, 15 mars 2015, par. 12.
55
LANAMME, «Rapport INF-PITRA-014-12 : rapport d’inspection de la route frontalière
Juan Rafael Mora Porras, ou route 1856», mai 2012 ; MN, annexe 3 (ci-après le «rapport 2012 du LANAMME»), p. 49. - 19 -

été introduits directement dans les affluents récepteurs et dans le Río San Juan pendant
et immédiatement après la construction. La plupart des passages présentaient un

risque modéré à élevé de rupture en raison d56ne mauvaise conception ou
construction, et tel [était] toujours le cas.»

25. Lorsqu’ils sont revenus inspecter la route, en mai 2014 — soit six mois après les

audiences au cours desquelles le Costa Rica avait promis de remettre celle-ci en état —, les experts

du Nicaragua ont constaté que la situation ne s’était guère améliorée :

«Comme prévu, les nombreux passages de cours d’eau mal construits avaient
commencé à se rompre. Aux endroits défaillants, il y avait eu une absence
quasi-totale d’efforts de contrôle de l’érosion ou d’entretien au cours des deux années

précédentes... Même aux endroits où ils ont été tentés, ils ont été inadéquats ; la
plupart d’entre eux consistaient en des mesures superficielles conçues pour limiter
l’érosion de surface au lieu de réparer les défauts fondamentaux et l’instabilité des
passages de cours d’eau.» 57

26. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les Membres de la Cour, vous pouvez

juger par vous-mêmes, sous l’onglet n° 3 du dossier de plaidoiries de ce jour, des problèmes liés

aux passages de cours d’eau défectueux mis en place par le Costa Rica. La première

o
page  onglet n 3, page 1 — est tirée de l’exposé écrit de M. Weaver ; elle montre un exemple

caractéristique de passage doté d’un ponceau sous lequel passe le cours d’eau. C’est ainsi qu’il est

o
censé être construit. L’élément suivant — onglet n 3, page 2 — consiste en une photographie

représentant un passage défectueux, réalisé à partir d’un conteneur de transport maritime — en

décomposition — qui, comme vous pouvez le voir, est très proche du fleuve San Juan et y déverse

des sédiments. La page suivante — onglet n 3, page 3 — est une image satellite de trois sites

fortement touchés par l’érosion qui se trouvent à proximité directe du fleuve et que les experts du

Nicaragua ont marqués des lettres SES, abréviation de «Severely Eroding Sites». Tous trois

constituent des passages de cours d’eau défectueux. Vous pouvez en effet constater qu’ils se sont

effondrés. Comme l’a observé M. Weaver, ces passages «se sont déjà rompus et ont entraîné le

transport de quantités massives de sédiments en direction du fleuve, avant qu’ils ne soient

58
26 reconstruits de la même manière ayant été la cause première de leur rupture» . La photographie
o er
suivante — onglet n 3, page 4 — est un gros plan, pris le 1 mars 2015, de l’un de ces passages

défectueux. On peut y voir, au niveau de la rive du fleuve, le delta sédimentaire résultant de

56William E. Weaver, exposé écrit, 15 mars 2015, par. 13.

57Ibid., par. 15.
58
Ibid., par. 26. - 20 -

o
l’érosion de ce point de passage. Les deux photographies suivantes — onglet n 3, page 5 —

représentent un autre passage de cours d’eau avant et après sa rupture. Elles sont tirées du

rapport 2014 de M. Mende.

27. Monsieur le président, le temps me manque — et je ne voudrais pas non plus abuser de

votre patience — pour vous montrer une photographie de chacun des points de passage de cours

d’eau qui se sont rompus ou sont en passe de se rompre et qui contribuent ainsi à la sédimentation

du fleuve. Je me contenterai donc de ces quelques exemples.

28. Quelle a été la réponse du Costa Rica ? Celle-ci figure dans une annexe de sa duplique,

sous la forme d’une étude menée par son expert, M. Mende, et établie en décembre 2014, il y a

donc quelques mois à peine. Dans cette étude, M. Mende a conclu que la route franchissait au total
59
127 points de passages de cours d’eau, dont 82 — soit 65 % — nécessitaient une remise en état .

Ce tableau, qui se trouve sous l’onglet n° 3, à la page 6 du dossier, a été produit par M. Mende,

l’expert du Costa Rica. L’autre expert de ce dernier, M. Thorne, l’a approuvé et inclus dans son

rapport de février 2015, qui accompagnait la duplique . Comme vous pouvez le constater, sur

les 82 passages nécessitant une remise en état, c’est-à-dire ceux classés sous les rubriques

«Travaux achevés», «Travaux en cours» ou «Travaux prévus», seuls 28 ont — selon M. Mende —

fait l’objet de travaux d’atténuation. Sur les 54 autres points de passage de cours d’eau devant être

remis en état, 23 entreraient, toujours d’après M. Mende, dans la rubrique des «Travaux en cours»

et 31 dans celle des «Travaux prévus». Cela exclut les 21 points de passage classés dans la

catégorie «Autres», au sujet desquels le Costa Rica ne fournit pas davantage d’informations.

29. Qu’entend exactement le Costa Rica par «Travaux en cours» ? En quoi consiste

l’amélioration recherchée ? Quels progrès ont-ils été réalisés ? Quand les travaux de réparation

seront-ils achevés ? Qu’en est-il de la catégorie «Travaux prévus» ? Le Costa Rica en dit très peu

sur le type d’atténuation prévue et reste muet sur la date de la mise en œuvre des travaux, ainsi que

sur les 21 sites classés sous la rubrique «Autres». La situation serait déjà suffisamment inquiétante

si le Costa Rica avait simplement omis de fournir les informations requises, mais il n’en est rien.

En réalité, il refuse de les produire. Le 24 février 2015, dans une correspondance adressée à la

59Rapport Mende de 2014, DCR, annexe 3, p. 29, tableau 5 ; dossier de plaidoiries, onglet n 3, p. 6.
60 o
Thorne, 2015, p. 179, tableau 7.5 ; dossier de plaidoiries, onglet n 6. - 21 -

Cour, le Nicaragua avait en effet demandé au Costa Rica de lui communiquer ses projets de travaux

27 d’atténuation concernant les 54 points de passage de cours d’eau qui n’en ont pas encore fait

l’objet, ainsi que le calendrier de ces travaux . Dans sa réponse du 16 mars, le Costa Rica lui a

sèchement opposé une fin de non-recevoir, affirmant que les renseignements demandés étaient

«dépourvus de pertinence aux fins de la présente instance ou [le] concern[aient] exclusivement» . 62

30. Cette photographie permettra peut-être d’expliquer pourquoi le Costa Rica a refusé de

fournir les renseignements demandés. Le cliché en question, pris en aval d’un point de passage de

o
cours d’eau rompu, se trouve sous l’onglet n 3, à la page 7. Il convient de noter qu’il montre l’un

des sites que M. Mende a classés sous la rubrique «Travaux en cours», apparemment avec

63
l’approbation de M. Thorne . Comme l’indique la légende, le barrage de retenue de sédiments a

été fragilisé, et ceux qu’il contenait se sont déversés dans le fleuve San Juan. Après avoir inspecté

les sites que le Costa Rica était censé avoir remis en état, ne serait-ce que partiellement, les experts

du Nicaragua ont observé que, sur certains d’entre eux, des

«réparations minimes ... sembl[aient] avoir été effectuées seulement pour fournir une

route étroite et dangereuse aux véhicules au-dessus de chaque passage de cours d’eau
défaillant, et non pour réduire l’érosion ou stabiliser les sites. Le résultat a[vait] été de
condamner les sites à se rompre à nouveau...» 64

31. Monsieur le président, le deuxième défaut majeur de conception de la route  il s’agit

du problème numéro 2  concerne le choix de son emplacement et sa construction en terrain

escarpé. Voici ce qu’en dit M. Weaver :

«[l]a méthode typique de construction employée par le Costa Rica sur les versants

escarpés était celle dite du «déblai et remblai», par laquelle des engins de travaux
publics ont été utilisés pour creuser le versant ascendant de la route et créer ainsi une
surface routière plane adjacente à une pente désormais plus escarpée (la «pente en

déblai»), [l]e matériau extrait [étant] poussé (par bulldozer) dans la pente descendante
afin de construire la partie extérieure de la route (le «prisme en remblai» ou la «pente
en remblai»)» .65

61Lettre HOL-EMB-024 en date du 23 février 2015 adressée au greffier de la Cour internationale de Justice par
l’ambassade du Nicaragua, demandes n 2-4.

62Lettre ECRPB-036-2015 en date du 16 mars 2015 adressée au greffier de la Cour internationale de Justice par
l’ambassade du Costa Rica, p. 4.
63
William E. Weaver, exposé écrit, 15 mars 2015, p. 10, fig. 3 ; voir également la présentation de photographies
de mars 2015, p. 25.
64
William E. Weaver, exposé écrit, 15 mars 2015, par. 19.
65Ibid., par. 27. - 22 -

J’ai bien conscience que ces explications sont difficiles à suivre pour qui n’est pas ingénieur en

voirie, et vous renvoie au croquis de l’exposé écrit de M. Weaver, reproduit à la première page de
o
l’onglet n 4 de votre dossier de plaidoiries  et actuellement à l’écran , qui illustre la bonne et

la mauvaise méthodes de construction en terrain escarpé.

32. Ainsi que l’a également expliqué M. Weaver,

«La stabilité du prisme en remblai sur lequel est réalisée la moitié extérieure de

la route dépend en grande partie des modalités de sa construction. Dans le cas de la
route 1856, les techniques de construction employées pour les versants escarpés et les
versants situés à proximité de cours d’eau et du fleuve étaient inadaptées, et ont laissé

28 de nombreux talus en remblai composés de matériaux non compactés et instables 66
provenant du sol, qui sont vulnérables à l’érosion et aux affaissements.»

33. A l’occasion de leur visite sur les lieux en 2012, les experts du Nicaragua ont observé ce

qui suit :

«En raison de la proximité, dans de nombreuses zones, de la route et du
San Juan, l’affaissement de ces pentes peut entraîner le déversement de volumes

importants de sédiments dans le fleuve. En 2012, il apparaissait que nombre de pentes
en déblai et de pentes en remblai étaient en train de s’affaisser ou présentaient des
signes d’instabilité. Nous avons observé de nombreuses pentes en déblai
67
excessivement escarpées qui s’étaient affaissées…»

34. Les constatations du LANAMME, le laboratoire national du Costa Rica, vont dans le

même sens : «Dans les secteurs excavés, nous n’avons observé aucun déblai construit dans les

règles de l’art avec un talus adapté au type de sol. Par conséquent, bon nombre d’entre eux

semblent instables et donc sujets aux glissements de terrain, particulièrement à la saison des

68
pluies» . Le LANAMME a également relevé que «[l]e matériau de remblai utilisé pour façonner

la plate-forme de la route ne sembl[ait] pas avoir été compacté correctement [et] … parai[ssait]

meuble dans la plupart des secteurs» . Ainsi, le laboratoire national du Costa Rica et M. Weaver

parviennent aux mêmes conclusions.

35. Lorsqu’ils se sont à nouveau rendus sur les lieux en 2014, les experts du Nicaragua ont

constaté que,

66
William E. Weaver, exposé écrit, 15 mars 2015, par. 29.
67Ibid., par. 31.

68 Laboratoire national des matériaux et des modèles structurels de l’Université du Costa Rica, «Rapport
d’inspection de la route frontalière Juan Rafael Mora Porras ou route 1856», mai 2012 (MN, annexe 3), p. 29.
69
Ibid. - 23 -

«la situation s’était … visiblement aggravée en de nombreux endroits … [l]a cause en

ét[ant] que les travaux de réfection avaient, dans une large mesure, été limités à 15 km
de la route, et excluaient certaines des pentes les plus érodées et les plus
instables … [et que] [d]e nombreuses pentes en déblai excessivement escarpées et
pentes en remblai non compactées montr[aient] des taux d’érosion et d’affaissement
70
élevés…»

36. Ces constatations sont confirmées par l’expert du Costa Rica lui-même, M. Mende, qui,

en décembre 2014, soit quatre ans après le début de la construction, indiquait que 190 des 201 talus

de déblai et de remblai construits en lien avec la route nécessitaient des mesures d’atténuation de

71
l’érosion . C’est ce qu’indique le tableau de M. Mende, actuellement projeté à l’écran et qui
o
figure également à la page 2 de l’onglet n 4 de votre dossier de plaidoiries. Sur ces 190 talus

effondrés ou en cours d’effondrement, en décembre 2014, 25 seulement avaient bénéficié de

mesures complètes d’atténuation de l’érosion. Lors d’une nouvelle visite effectuée au début de

cette année, les experts du Nicaragua ont observé ce qui suit :

29 «Les mesures mises en œuvre sur les pentes étaient souvent insuffisantes pour
le type d’érosion affiché sur les sites et inadaptées à celui-ci. Par exemple, les

mesures utilisées sur certains sites étaient limitées à l’emploi de textiles de contrôle de
l’érosion ou à la réalisation de clôtures anti-érosion, qui, à supposer même qu’ils aient
été correctement mis en place, ne sont pas appropriés pour combattre le ravinement,
72
les glissements de terrain et l’instabilité des pentes.»

Vous pouvez voir à quoi ressemble un effondrement de talus sur les photographies reproduites sous

l’onglet n 4. Celle-ci, qui se trouve à la page 3, a été prise le mois dernier. Les deux suivantes,

page 4, illustrent ce que M. Mende qualifie charitablement de «travaux d’atténuation en cours» sur

les talus concernés, soit quelques couches de textiles posées sur une petite partie seulement d’une

zone très étendue de terre brute non compactée que des bulldozers transforment en talus de remblai

et de déblai instables et non protégés  précisément ce qu’il ne faut pas faire, selon M. Weaver.

37. Le Costa Rica fournit des informations minimales sur le type de mesures mises en œuvre

sur les 107 talus dans le cadre de ces prétendus «travaux d’atténuation en cours», et s’abstient

visiblement d’en révéler la date d’achèvement escomptée. Il est tout aussi discret s’agissant des

70William E. Weaver, exposé écrit, 15 mars 2015, par. 33-35.
71
o Andreas Mende, «Second inventaire des pentes et cours d’eau liés à la route frontalière 1856 entro la borne
n II et Delta Costa Rica», décembre 2014 (DCR, vol. II, annexe 3), p. 30, tableau 7 (dossier de plaidoiries, onglet n 4,
p. 2).
72
William E. Weaver, exposé écrit, 15 mars 2015, par. 37. - 24 -

52 autres lieux sur lesquels des travaux sont simplement «prévus», ne fournissant pas la moindre

indication sur les mesures envisagées, ni sur leur date de mise en œuvre. C’est notamment sur ces

éléments que portait la demande d’information adressée par le Nicaragua dans sa lettre

73 74
du 24 février 2015 , demande à laquelle le Costa Rica a opposé un refus .

38. Cela mène inéluctablement à la conclusion formulée par M. Weaver en ces termes : «Sur

la base des informations fournies, on ne connaît pas l’efficacité à court, moyen et long terme des

travaux de réfection du CONAVI, qui est incertaine et imprévisible.» 75

39. Le Nicaragua reconnaît que les travaux réalisés sur la route par le CONAVI semblent, en

certains points, acceptables. Si les chiffres de M. Mende peuvent paraître quelque peu

bienveillants, nous ne contestons pas directement ses conclusions selon lesquelles 28 passages de

cours d’eau et 25 talus ont bénéficié de mesures d’atténuation. Nous avons examiné les

76
photographies fournies par le Costa Rica pour certains de ces lieux , et convenons que des travaux

importants semblent y avoir été réalisés. Toutefois, comme vous avez pu le voir dans le tableau de

M. Mende, ces travaux ne sont qu’une goutte d’eau par rapport au nombre total de passages de

cours d’eau et de talus qui, à son avis, nécessitent encore des mesures d’atténuation.

30 40. Le Nicaragua reconnaît également que le Costa Rica a apporté la preuve de ce que

certains travaux avaient été effectivement réalisés par la commission pour le développement

forestier, ou CODEFORSA , et par le CONAVI, notamment la plantation d’arbres et de graminées

et la pose de couches textiles sur certains talus exposés ou autour de ceux-ci. Mais comme

l’observe M. Weaver  et comme vous l’avez vu sur un certain nombre de photographies , les

mesures mises en œuvre par la CODEFORSA sur les pentes

«étaient souvent insuffisantes pour le type d’érosion affiché sur les sites et inadaptées
à celui-ci… Il semble que de nombreuses pentes aient fait l’objet d’un traitement

73 Lettre HOL-EMB-024 en date du 23 février 2015 adressée au greffier par l’agent de la République du
Nicaragua, points 3, 9 et 10.

74Lettre ECRPB-036-2015 en date du 16 mars 2015 adressée au greffier par le coagent du Costa Rica, p. 4.
75
William E. Weaver, exposé écrit, 15 mars 2015, par. 24.
76 Conseil national des autoroutes (CONAVI), «Travaux relatifs à la route nationale 856 : situation

avant  après», décembre 2014 (DCR, vol. III, annexe 11).
77 Rapport trimestriel de la CODEFORSA de novembre 2014 (DCR, vol. III, annexe 12) ; CODEFORSA,
«Services de conseil pour l’élaboration et la mise en œuvre d’un plan environnemental pour la route frontalière
Juan Rafael Mora Porras : rapport d’exécution du marché SINAC-CDE-004-2012, novembre 2014 (DCR, vol. III,
annexe 13). - 25 -

partiel et inadéquat, il y a plusieurs années, et qu’elles n’aient fait depuis l’objet

d’aucuns travaux. Un certain nombre de dispositifs de renforcement de pentes et de
canaux étaient en voie de rupture ou en train de se rompre, et n’avaient pas été
entretenus» .8

41. Le troisième défaut substantiel de conception et de construction ayant contribué à

l’effondrement de la route et à l’apport de sédiments dans le San Juan, le problème n 3, est o

l’absence de dispositif d’écoulement approprié. Ainsi que l’a exposé M. Weaver :

«Une conception et une construction routières correctes devraient permettre à
l’eau qui s’écoule de la surface de la route et des fossés de se disperser et de s’évacuer
correctement, de manière à ce que l’érosion soit réduite au minimum et la pollution
des cours d’eau et des zones humides soit évitée ou rigoureusement minimisée. Un

drainage incorrect peut à la fois endommager la route et accroître le transport
sédimentaire en milieu environnant.» 79

Malheureusement, c’est précisément ce qui s’est produit et continue à se produire en l’espèce tout

le long de la route, du fait de l’absence de système d’écoulement adapté.

42. Selon M. Weaver, le type de système utilisé par le Costa Rica, consistant à évacuer les

écoulements de surface dans des fossés qui se déversent dans les ruisseaux, «a été rejet[é] par les

normes de construction et de conception modernes» . Et M. Weaver de conclure : «L’absence de

drainage adéquat en surface est à l’origine de ravinements de pentes en remblai et des pentes

naturelles à divers endroits de la route. En 2012, ceux-ci étaient visibles en divers endroits» . La 81

82
situation «s’était aggravé[e] en 2014» et aucune amélioration n’a été constatée depuis, comme le

confirment les observations de M. Weaver et de son équipe :

«Notre visite sur site, en février-mars 2015, nous a permis de confirmer que de

nombreuses pentes, y compris nombre de celles qui sont les plus érodées, demeuraient
largement exposées… L’érosion qui touche ces sites est active et se poursuit, et la
31 connectivité de nombre d’entre eux avec le … San Juan continue à entraîner un apport
83
évitable et persistant de sédiments dans le fleuve» .

43. Sur la base de ces observations, M. Weaver a estimé que, en raison d’un mauvais

drainage, au moins «60 % des eaux de ruissellement de la surface et des fossés de la route

78
William E. Weaver, exposé écrit, 15 mars 2015, par. 37.
79
Ibid., par. 39.
80Ibid., par. 43.

81Ibid., par. 41.
82
Ibid.
83Ibid., par. 49. - 26 -

s’écoul[aient] directement dans des cours d’eau qui se jet[aient] dans le Río San Juan» . A la 84

o
page 1 de l’onglet n 5 et à l’écran, vous pouvez voir un exemple des techniques de drainage

inappropriées utilisées par le Costa Rica par l’entremise du CONAVI, son organisme national

chargé de la voirie. Ces photographies montrent comment des fossés de drainage mal conçus

permettent le transport des sédiments depuis la surface de la route jusqu’à un cours d’eau, lequel

passe ensuite par un ponceau et se jette dans le fleuve San Juan. Les deux photographies suivantes,

o
qui se trouvent en page 2 de l’onglet n 5, montrent comment le Costa Rica a délibérément

construit des fossés de drainage en béton dans lesquels les sédiments s’écoulent directement jusque

dans le fleuve San Juan à partir de pentes et de la surface routière en cours d’érosion. La

photographie verticale a été prise en mars de cette année.

44. Le mépris du Costa Rica pour les dommages causés au fleuve et au Nicaragua est patent

car il aurait aisément pu éviter le problème. Selon M. Weaver :

«Les forme et ampleur de la pollution sédimentaire du Río San Juan provenant

de la route 1856 et imputable à des système de drainage inadéquats peuvent être
prévenues dans leur quasi-totalité, et presque complètement éliminées par la mise en
œuvre de systèmes de drainage de la surface routière conçus pour disperser les eaux de

ruissellement de surface au lieu de les collecter et de les déverser dans des cours
d’eau, puis dans le Río San Juan. Il s’agit là de mesures relativement simples à mettre
en œuvre et peu onéreuses.» 85

45. Qu’a fait le Costa Rica concernant l’ensemble de ces problèmes ? Selon M. Weaver :

«Quatre ans après la construction de la Route, aucune réfection générale et
effective n’était apparente … La majorité des passages de cours d’eau, ainsi que des

pentes en déblai et des pentes en remblai demeurent instables, présentent des signes
d’érosion visibles et importants, et n’ont pas fait l’objet de mesures adéquates de
traitement, ou de mesures de traitement complètes, aux fins de stabiliser et contrôler
l’érosion. L’absence de progrès est frappante, et la quantité de travail restant à
86
accomplir ne l’est pas moins.»

M. Weaver fait observer que :

«[p]lanification et conception inadéquates, médiocrité de la construction et absence
quasi-générale de mesures de réfection de la route et des voies d’accès qui y sont
associées se traduisent chaque année par l’apport au Río San Juan de 116 000
à 150 000 mètres cube de sédiments érodés» . 87

84
William E. Weaver, exposé écrit, 15 mars 2015, par. 42.
85Ibid., par. 43.

86Ibid., par. 50.
87
Ibid., par. 52. - 27 -

Cela représente entre 190 000 et 250 000 tonnes de sédiments par an, soit considérablement plus

que les 75 000 tonnes annuelles reconnues par le Costa Rica.

46. En novembre 2013, le Costa Rica a indiqué à la Cour qu’il avait déjà remédié en grande
32

partie aux problèmes liés à la situation, à la conception et à la construction de la route ainsi qu’à

l’écoulement des sédiments qui en résulte dans le fleuve San Juan. Son conseil vous a dit ensuite

que des mesures correctives supplémentaires étaient nécessaires en sept points particuliers qu’il

vous a montrés sur une carte, et que les travaux seraient entrepris sur le champ. Cette carte, celle

du Costa Rica, est à présent à l’écran. La Cour semble avoir pris en compte les assurances données

par ce dernier dans son ordonnance du 13 décembre 2013. Elle indique ainsi au paragraphe 32 :

«Le Costa Rica affirme qu’il a lui-même déjà pris des mesures correctrices afin
de minimiser tout risque d’impact environnemental préjudiciable dû à la construction

de la route. Ces mesures comprennent la stabilisation des talus de déblayage et de
remblayage, la construction de fossés, la mise en place de ponceaux et de pièges à
sédiments permanents, ainsi que la plantation de végétation. Selon le Costa Rica, ces
mesures correctrices suffisent à rendre superflues les mesures conservatoires
sollicitées par le Nicaragua.»

47. Monsieur le président, les mesures prises par le Costa Rica à cet égard semblent ne pas

être à la hauteur des déclarations qu’il a faites à la Cour, et les rapports de ses propres experts — le

rapport de M. Mende de décembre 2014 et celui de M. Thorne joint à la duplique — le 88

o
démontrent. A l’écran, et sous l’onglet n 6, vous pouvez voir les tableaux tirés du rapport de

M. Thorne, qui sont les mêmes que ceux présentés par M. Mende. Même si l’on accorde foi,

quod non, aux dires selon lesquels 28 des points de passage de cours d’eau et 25 des talus effondrés

ont fait l’objet de mesures d’atténuation qui les rendent conformes aux règles applicables, qu’en

est-il des 54 passages et des 165 talus restants que MM. Mende et Thorne considéraient toujours en

février de cette année comme nécessitant de telles mesures ? La question revêt encore davantage

d’importance lorsque l’on constate que, pour évaluer un site nécessitant des travaux d’atténuation,

MM. Mende et Thorne se sont intéressés aux «apports de sédiments dus aux talus et aux points de

passage de cours d’eau le long du San Juan» . 89

88
Voir rapport Thorne de 2015, p. 179, tableaux 7.4-7.5.
89Rapport Mende de 2014, DCR, vol. II, annexe 3, p. 48 :

«La principale question sur laquelle devra se prononcer la Cour internationale de Justice étant
celle de savoir si la route frontalière représente un risque important pour le fleuve San Juan ou pour toute
autre terre nicaraguayenne, notre évaluation de l’état d’atténuation a porté essentiellement sur les apports
de sédiments dus aux talus et aux points de passage de cours d’eau le long du San Juan.» - 28 -

48. En ayant cela à l’esprit, réexaminons les déclarations faites par le Costa Rica lors des

audiences de novembre 2013. Ce dernier s’est engagé à mener à bien des travaux pour remédier

33 rapidement aux dommages causés en sept points par l’ouvrage routier . La duplique nous indique

91
que certains de ces engagements ont été tenus dans ces zones . Admettons. Comment est-il alors

possible que, selon MM. Mende et Thorne, il y avait encore en décembre 2014 un total de

219 points de passage de cours d’eau et talus nécessitant des mesures d’atténuation ? 92 A cela,

deux explications. La première : en novembre 2013, le Costa Rica a considérablement sous-estimé

le nombre de points nécessitant des mesures correctives. La deuxième : la route a été si mal

construite que, entre novembre 2013 et décembre 2014, plus de 200 points de passage de cours

d’eau et talus se sont effondrés ou se sont révélés défectueux. Comme nous ne pensons pas que

nos amis de la partie adverse induiraient volontairement la Cour en erreur, nous ne pouvons que

conclure que de nombreux tronçons de cette route en carton-pâte qui avaient réussi à résister

jusqu’en novembre 2013, ou qui avaient bénéficié de quelques réparations avant cette date, se sont

effondrés ou ont flanchés quelques temps plus tard. Cela en dit long sur la qualité et l’état de la

route, l’efficacité des mesures correctives mises en œuvre par le Costa Rica et la probabilité que les

points de passage de cours d’eau et les talus continuent de s’effondrer. Monsieur le président, cela

nous apprend que les éléments de preuve du Costa Rica lui-même démontrent que la route

s’effondre et continue de s’effondrer plus vite que celui-ci ne peut la réparer ou n’est disposé à le

faire. Et chaque point de passage de cours d’eau et talus effondré augmente considérablement le

volume de sédiments qui s’écoulent dans le fleuve San Juan.

Monsieur le président, nous nous sommes engagés à terminer cette présentation vers 11 h 15,

et il me reste un tout petit peu plus d’une page. Je ne dispose peut-être plus que de 30 secondes,

mais je vous implore de faire preuve d’indulgence et de me permettre de terminer.

90CR 2013/29, 6 novembre 2013, p. 20, par. 24 (Brenes).
91
Voir CONAVI, 2014, p. 16 ; DCR, vol. III, annexe 11 ; CODEFORSA, 2014, p. 18, 23, 37 ; DCR, vol. III,
annexe 12.
92Rapport Mende de 2014, DCR, vol. II, annexe 3, p. 70-71, tableaux 5 et 7 ; dossier de plaidoiries, onglet n 3,
o o
p. 6 et onglet n 4, p. 2 ; rapport Thorne de 2015, p. 179, tableaux 7.4-7.5 ; dossier de plaidoiries, onglet n 6. - 29 -

49. Même en ce qui concerne la petite partie des sites que le Costa Rica prétend à présent

avoir remis en état  soit 35 % seulement des points de passage de cours d’eau et 14 % des talus

94
effondrés , voici ce qu’a dit M. Thorne en décembre 2013 :

«[J]e puis dire, d’expérience, que, si elles sont associées à des inspections

appropriées et, au besoin, à des travaux d’entretien ou de réparation, ces mesures
d’atténuation permettront de réduire de façon sensible les taux d’érosion localisée
pour les deux années à venir, délai suffisant pour concevoir une solution définitive,
engager des prestataires chargés de la mettre en œuvre et procéder à cette mise en

œuvre… Précisons toutefois [selon M. Thorne] qu’il s’agit de travaux temporaires [et
34 je le cite] visant à atténuer les problèmes d’érosion sans les régler, et qu’une solution
définitive ne sera possible qu’une fois achevées la conception, la planification et la
95
construction de la route.»

Nous pensons que M. Thorne, homme éminemment honorable  comme vous l’avez vu , a

peut-être trop fait confiance au Costa Rica lorsque celui-ci lui a donné l’assurance que les mesures

correctives qu’il avait prises  dont un grand nombre a aujourd’hui échoué  auraient tout de

même eu un effet temporaire pendant une année ou deux. Mais, plus important encore, nous

partageons entièrement l’avis de M. Thorne pour qui il n’y aura pas de solution permanente au

problème tant que le Costa Rica n’aura pas conçu et planifié à nouveau la route, et qu’il ne l’aura

pas reconstruite  plus loin du fleuve espérons-le  conformément à des normes internationales,

ou même nationales, appropriées. Rien ne prouve  absolument rien  que c’est ce que le

Costa Rica entend faire. En tout cas, il ne l’a pas encore fait. Et M. Thorne ne dit pas autre chose.

50. Il n’y a donc aucun remède, aucune «solution permanente» en vue, pour employer les

termes de M. Thorne. A l’exception de celle que la Cour fournira peut-être dans son arrêt sur le

fond. M. Pellet examinera demain les remèdes spécifiques demandés par le Nicaragua au cours de

la dernière plaidoirie.

51. Monsieur le président, ainsi s’achève la première partie de ma présentation sur les

éléments de preuve. Le Nicaragua entend maintenant présenter ses experts à la Cour. Le premier

d’entre eux est M. Weaver, dont j’ai déjà exposé les qualifications. Il sera suivi de M. Kondolf,

que la Cour connaît bien désormais. Lors de la séance de cet après-midi, le Nicaragua présentera

93Rapport Mende de 2014, DCR, vol. II, annexe 3, p. 70, tableau 5 ; dossier de plaidoiries, onglet n 3, p. 6.

94Rapport Mende de 2014, DCR, vol. II, annexe 3, p. 70-71, tableaux 5 et 7 ; dossier de plaidoiries, onglet n 3,
p. 6 et tableau 4, p. 2.
95
Thorne, «Evaluation de l’impact sur le fleuve San Juan de la construction de la route frontalière au
Costa Rica», novembre 2013 ; CMCR, vol. I, appendice A, p. 83, par. 11.18-11.19. - 30 -

MM. Edmund Andrews et William Sheate. Les qualifications de chacun d’eux sont indiquées dans

le premier paragraphe de leurs exposés écrits respectifs.

52. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je vous remercie de votre

courtoisie, de votre patience et de votre attention, et j’attends que vous m’indiquiez si nous

procédons immédiatement à l’audition de M. Weaver ou si nous attendons pour cela la fin de la

pause.

The PRESIDENT: Thank you, Mr. Reichler. The Court will hear Mr. Weaver after a

15-minute break. The hearing is suspended.

The Court adjourned from 11.20 a.m. to 11.35 a.m.

The PRESIDENT: Please be seated. The Court will now hear the first of the four experts
35

called by Nicaragua; the examination of the second expert will follow, and will continue this

afternoon. The final two experts will appear this afternoon. The procedure to be followed for the

examination of experts in this case will be the same as that followed in the Costa Rica v.

Nicaragua case.

The first expert called by Nicaragua is Mr. William Weaver. Mr. Weaver, you may take

your place at the rostrum.

Good morning, Mr. Weaver. I call upon you to make the solemn declaration for experts as

set out in Article 64, subparagraph (b), of the Rules of Court.

M. WEAVER :

«Je déclare solennellement, en tout honneur et en toute conscience, que je dirai
la vérité, toute la vérité et rien que la vérité et que mon exposé correspondra à ma
conviction sincère.»

The PRESIDENT: Thank you, Mr. Weaver. I now give the floor to counsel for Nicaragua,

who will ask you to confirm the written statement in front of you. Mr. Reichler.

M. REICHLER : Bonjour, Monsieur Weaver. Puis-je vous demander de confirmer que les

trois documents placés devant vous, à savoir votre exposé écrit rédigé aux fins de la présente - 31 -

audience et les deux rapports établis dans le cadre de cette affaire, reflètent bien votre conviction

sincère, en tant qu’expert ?

M. WEAVER : Je vous le confirme.

M. REICHLER : Je vous remercie.

The PRESIDENT: Thank you. Since Costa Rica did not wish to cross-examine

Mr. Weaver, there will be no re-examination either. However, one of the judges wishes to put a

question to Mr. Weaver. I shall give that judge the floor, and would ask you to answer the question

as soon as it is put to you. I now give the floor to Judge Bhandari.

36 Le juge BHANDARI : Merci, Monsieur le président. Monsieur Weaver, j’ai trois questions

à vous poser. Au paragraphe 53 (page 19) de votre exposé écrit en date du 15 mars 2015, vous

énoncez certaines des mesures qui, selon vous, devraient être prises pour réduire au minimum

l’impact de la route sur le San Juan à l’avenir. Quel est le fondement scientifique de ces

recommandations ? Par exemple, quelles formules mathématiques ou scientifiques avez-vous

utilisées ? Voilà pour ma première question. Si vous souhaitez répondre à chaque question l’une

après l’autre je m’arrête là, à moins que vous ne préfériez entendre mes trois questions en même

temps et y répondre ensuite ? A votre convenance.

M. WEAVER : Je préfère prendre chaque question l’une après l’autre.

Le juge BHANDARI : Vous avez donc entendu ma première question.

M. WEAVER : Mes recommandations ne sont pas le produit de calculs mathématiques mais

procèdent de dizaines d’années de pratique et d’expérience de l’examen des réseaux routiers et de

la conception de plans en vue d’assurer la restauration de tels réseaux et de réduire l’apport

sédimentaire y associé. J’ai commencé à m’intéresser à la question en 1976 et ai rapidement appris

que les réseaux routiers étaient une cause majeure du déversement de sédiments dans les cours

d’eau ; j’ai axé ma carrière professionnelle sur la réduction de ce phénomène. Les cinq éléments

que j’ai présentés dans mon exposé comme une première série de mesures à prendre pour remédier - 32 -

aux lacunes de la route actuelle sont le fruit de cette expérience professionnelle. Et c’est une

expérience qui a été largement reconnue et utilisée, en tout cas dans toute l’Amérique du Nord, aux

fins de la gestion de réseaux routiers construits dans des zones boisées escarpées.

Nous avons formulé ces cinq recommandations et les avons même développées dans des

rapports datant d’années précédentes, qui vous ont été soumis. Souhaitez-vous que je revienne sur

chacune d’elles, fût-ce très brièvement, simplement pour en préciser la teneur ?

Le juge BHANDARI : Non, je pense que vous avez répondu à la question.

M. WEAVER : Entendu.

Le juge BHANDARI : J’ai une autre question, qui est liée à la première. A la lumière de

votre longue expérience d’expert, pouvez-vous me citer le cas d’une autre route frontalière en

climat tropical à l’égard de laquelle il aurait été envisagé de prendre de telles mesures ?

M. WEAVER : Pas en climat tropical. J’ai vu prendre ce type de mesures pour réduire la

sédimentation sous un climat tempéré de forêt ombrophile et ai travaillé sur la question. A mon

37 sens, la nature du climat n’importe pas tant que les processus géologiques à l’œuvre. En d’autres

termes, que vous vous trouviez sous les tropiques ou sous un climat tempéré de forêt ombrophile,

les lois de la gravité restent les mêmes et l’eau coule vers le bas. La sédimentation due à l’érosion

s’effectue exactement de la même manière dans ces régions que dans d’autres parties du monde, si

bien qu’il s’agit en quelque sorte de mesures fondamentales et élémentaires qui sont

essentiellement basées sur la physique de l’érosion des sols et sur des méthodes destinées à réduire

au minimum l’érosion et à empêcher le dépôt de sédiments dans des cours d’eau. Il s’agit donc de

procédés relativement élémentaires et le climat ne joue presque aucun rôle, si ce n’est peut-être

dans le choix des outils et techniques pouvant être utilisés pour reconstituer le couvert végétal.

Dans la région qui nous intéresse, la végétation se régénère rapidement, comme dans les forêts

ombrophiles situées sur la côte pacifique nord-ouest, mais, en ce qui concerne les moyens

structurels de contrôler les dépôts de sédiments dus à des routes, les mesures à prendre sont

quasiment toujours les mêmes. - 33 -

Le juge BHANDARI : Je vous remercie. Ma dernière question est la suivante. Aux

paragraphes 3, 6 et 32 de votre exposé (p. 2 et 19), vous déclarez que la route a été construite sans

planification ou conception technique suffisante ou adéquate. Or, aux paragraphes 4 et 7, vous

affirmez de manière catégorique qu’il n’y a eu aucune planification. Je vous saurais gré de préciser

votre point de vue sur le degré de planification dont la construction de cette route a fait l’objet. En

d’autres termes, merci de bien vouloir préciser ou indiquer clairement si le Costa Rica a

simplement planifié ces travaux de manière insuffisante ou inadéquate, ou s’il n’a absolument rien

planifié du tout.

M. WEAVER : Je n’ai rien trouvé, que ce soit dans les exposés écrits ou oraux, qui permette

de penser qu’il y ait eu la moindre planification. Un certain degré de planification doit forcément

avoir existé, au moins du côté des techniciens et entrepreneurs chargés de construire tel ou tel

tronçon, et chacun de ces entrepreneurs devait probablement avoir le champ libre dans sa zone

d’activité. Je n’ai vu aucun plan et, à en juger par la situation sur le terrain, il n’y a pas eu non plus

de planification uniforme quant au tracé de la route, au mode de conception et de construction de

cet ouvrage, et aux mesures d’atténuation devant être prises au fur et à mesure. Certains tronçons

de la route sont mieux construits que d’autres. Dans certaines zones où les pentes sont très

abruptes et la route passe tout près du fleuve, on constate une absence totale de planification

préalable ; une préparation appropriée aurait montré que la route ne devait pas être construite à cet

38 endroit, et un autre emplacement aurait été trouvé. Toute procédure classique de planification et de

conception dans ce domaine consiste véritablement, dans un premier temps, à définir et cibler les

meilleurs sites afin de faire en sorte que la route envisagée ait le moins de répercussions possibles

tout en répondant aux besoins qu’elle est censée servir en termes de transport. Dans bien des cas, à

bien des endroits, surtout là où les pentes sont les plus escarpées, cette procédure ne semble pas

avoir été suivie. De nombreux tronçons de la route auraient pu être construits un peu plus loin des

rives, ce qui aurait permis d’éviter totalement l’apparition de certains des pires sites d’érosion et

problèmes de stabilité ensuite rencontrés.

Le juge BHANDARI : Merci beaucoup, Monsieur Weaver. - 34 -

The PRESIDENT: Thank you, Mr Weaver. That brings your deposition to a close. We are

grateful to you for appearing before the Court. You may now leave the rostrum. Thank you.

Mr. Kondolf, would you please now take your place at the rostrum. Good morning, Professor.

M. KONDOLF : Bonjour.

The PRESIDENT: I call upon you to make the solemn declaration for experts as set out in

Article 64, subparagraph (b), of the Rules of Court.

M. KONDOLF : Excusez-moi, j’essaie de trouver un micro qui fonctionne. Très bien, j’y

suis.

«Je déclare solennellement, en tout honneur et en toute conscience, que je dirai
la vérité, toute la vérité et rien que la vérité et que mon exposé correspondra à ma
conviction sincère.»

The PRESIDENT: Thank you, Mr. Kondolf. I now give the floor to counsel for Nicaragua,

who will ask you to confirm the written statement in front of you. Mr. Reichler.

M. REICHLER : Bonjour, Monsieur Kondolf. Puis-je vous demander de confirmer si les

trois documents qui se trouvent devant vous  c’est-à-dire votre exposé établi aux fins de la

présente audience et vos deux rapports établis dans le cadre de l’affaire  reflètent votre sincère

opinion d’expert.

39 M. KONDOLF : Oui.

M. REICHLER : Merci beaucoup.

The PRESIDENT: Thank you, I now give the floor to Mr. Wordsworth, counsel for

Costa Rica, for the cross-examination. Mr. Wordsworth, you have the floor.

M. WORDSWORTH : Merci, Monsieur le président. Bonjour, Monsieur Kondolf.

M. KONDOLF : Bonjour, Monsieur Wordsworth. - 35 -

M. WORDSWORTH : Puis-je vous demander de vous reporter au paragraphe 1 de votre

exposé ?

The PRESIDENT: May I ask you, Mr. Wordsworth, to speak a little closer to the

microphone in order to help the interpreters, who are apparently having a little trouble hearing you.

Thank you very much.

M. WORDSWORTH : Merci. Donc, le paragraphe 1 de votre exposé, où vous dites :

«Depuis le mois d'octobre 2012, je me suis rendu à six reprises sur le Río San Juan, effectuant, à

chaque fois, des observations de la route 1856 [c’est-à-dire la route, bien entendu] par hélicoptère

ou bateau.» C’est exact ?

M. KONDOLF : C’est exact.

M. WORDSWORTH : Si je comprends bien, vous avez également analysé des images

satellite de la route ?

M. KONDOLF : En effet.

M. WORDSWORTH : Ce n’est qu’un détail, mais je crois comprendre que, lorsque vous

avez survolé la zone par hélicoptère, c’était à une altitude d’environ 300 mètres. Est-ce exact ?

C’est ce que vous dites dans votre rapport de 2012.

M. KONDOLF : Eh bien, certainement pour le rapport de 2012 ; je pense que, en d’autres

occasions, c’était peut-être à une altitude différente, mais je n’en suis pas certain.

40 M. WORDSWORTH : Vous n’avez pas fait de visite sur les lieux le long de la route par la

voie terrestre, n’est-ce pas ?

M. KONDOLF : J’ai voyagé par bateau sur le fleuve, et j’ai pu observer certains

emplacements depuis le fleuve mais, non, je ne me suis pas rendu sur le terrain étant donné que

c’est en territoire costa-ricien. - 36 -

M. WORDSWORTH : Avez-vous demandé l’autorisation d’effectuer une visite sur les lieux

le long de la route, en territoire costa-ricien ?

M. KONDOLF : Pas personnellement ; je pense qu’on l’a peut-être demandé, mais je n’en

suis pas certain.

M. WORDSWORTH : Vous avez, si je comprends bien, effectué quelques prélèvements de

sédiments de différentes tailles sur certains deltas en bordure du fleuve. Est-ce exact ?

M. KONDOLF : Oui.

M. WORDSWORTH : Vous avez également prélevé trois échantillons de sédiments en

suspension dans les eaux de ruissellement provenant de la route après une averse de quinze minutes

en mai 2013, est-ce exact ?

M. KONDOLF : Oui, je ne me souviens pas de la durée de l’averse, mais…

M. WORDSWORTH : C’est ce qui est dit dans votre troisième rapport.

M. KONDOLF : D’accord, dans ce cas.

M. WORDSWORTH : Vous avez défini, bien entendu, un certain nombre de points

d’érosion marquée, et puis-je confirmer que la plupart d’entre eux se trouvent dans le tronçon

de 41 kilomètres de la route qui se trouve en amont de Boca San Carlos ? Je crois que nous allons

maintenant le voir à l’écran.

M. KONDOLF : C’est juste, la plupart de ces emplacements se trouvent en amont de la

confluence de la San Carlos, en effet.

M. WORDSWORTH : Vous convenez que, si vous deviez mesurer régulièrement les

sédiments en suspension en amont des points d’érosion marquée et si vous procédiez ensuite à des

mesures analogues en aval, avant la confluence avec le Boca San Carlos, la Cour disposerait de

41 données solides concernant l’impact des sédiments provenant de la route sur le fleuve San Juan ?

N’est-ce pas exact ? - 37 -

M. KONDOLF : Eh bien, la Cour dispose déjà de données concrètes montrant que des

sédiments provenant des points d’érosion marquée de la route pénètrent dans le fleuve San Juan.

M. WORDSWORTH : Oui, mais cela ne répond pas tout à fait à ma question ; ma question

portait sur l’existence de données concrètes relatives à l’impact. Vous avez sans doute entendu

M. Reichler exposer ce matin la thèse du Nicaragua comme concernant un «dommage important»,

et présenter en fait le fleuve comme étant la «victime» de la route. Ma question est donc la

suivante : si vous aviez ces données sur les sédiments en suspension en amont des points d’érosion

marquée que vous avez mesurées, et des données mesurées en aval de ces points, nous pourrions

disposer de preuves de l’impact effectif, n’est-ce pas ?

M. KONDOLF : Je vous répondrai ainsi : premièrement, si vous deviez mener un

programme de prélèvement d’échantillons des sédiments en suspension dans le but de détecter

l’impact d’une activité comme la construction de la route, qui a commencé je crois à

l’automne 2010, il serait utile de disposer d’échantillons de sédiments en suspension datant de

quelques années auparavant, peut-être une décennie auparavant, pour établir les conditions initiales.

Cela étant, il faut reconnaître qu’il y a lieu de tenir compte, au moment de les interpréter pour

savoir s’il y a eu un changement, de ce que les données se caractérisent par une grande variabilité

en ce qui concerne les sédiments en suspension et le débit. Cela dit, il est très clair que des

sédiments sont rejetés dans le fleuve, les experts du Costa Rica et du Nicaragua en conviennent.

Les estimations quant à la quantité varient, mais il est très clair que des sédiments pénètrent dans le

fleuve et accroissent la charge sédimentaire.

M. WORDSWORTH : Voilà une très longue réponse. Mais la question est la suivante : si

vous aviez effectué des mesures en amont des points d’érosion marquée en 2011, 2012, 2014,

mettons tous les mois, et si vous en aviez fait autant en aval de ces même points selon le même

rythme mensuel régulier pendant ces trois années, vous disposeriez alors d’un ensemble de données

utiles, n’est-ce pas ? Est-ce exact ?

42 M. KONDOLF : Ces données pourraient être pertinentes, mais encore une fois il y a, d’une

année à l’autre et d’un point à l’autre, une grande variabilité qui est tout à fait naturelle et en raison - 38 -

de laquelle ces données pourraient être utiles mais ne permettraient pas nécessairement de détecter

quoi que ce soit d’important.

M. WORDSWORTH : Donc, permettez-moi de préciser. Lorsque vous parlez de

«variabilité», ai-je raison de penser qu’il n’y a pas de grands affluents qui se jettent dans le fleuve

aux points d’érosion marquée que vous avez désignés en amont de Boca San Carlos, est-ce exact ?

M. KONDOLF : Il y a, je dirais, quelques affluents de taille moyenne, mais aucun de la

dimension de la rivière San Carlos, certainement.

M. WORDSWORTH : Si vous vous étiez à la recherche d’effets importants, sans doute

auriez-vous pu, en effectuant des mesures régulières en amont et en aval, déceler quelque tendance,

quelque impact important, non ? A supposer qu’il y en ait effectivement eu ?

M. KONDOLF : Encore une fois, il y a une grande variabilité. Donc, on ne pourrait pas

nécessairement voir une différence statistiquement significative, même si nous savons qu’il y a une

importante quantité de sédiments qui entre dans le fleuve  cela est démontré dans les rapports

tant costa-riciens que nicaraguayens  et il importe également de ne pas confondre ampleur et

importance. Un phénomène de faible ampleur peut avoir un effet important, tout comme un

phénomène de grande ampleur peut n’avoir que peu d’importance.

M. WORDSWORTH : C’est juste.

M. KONDOLF : En outre ici, le fait que le fleuve soit surchargé de sédiments  ce qui est

pour ainsi dire acquis  implique que tout apport sédimentaire supplémentaire poserait problème.

M. WORDSWORTH : Vraiment ? Voyons, comment feriez-vous cette analyse ? Vous dites

que vous ne pourriez pas la faire au moyen du prélèvement concret d’échantillons de sédiments en

suspension, alors de quelle autre manière pourriez-vous y parvenir ? Serait-ce par référence aux

répercussions sur la flore et la faune aquatiques ? Est-ce de cette manière que vous procéderiez ?

M. KONDOLF : Eh bien… - 39 -

43 M. WORDSWORTH : Est-ce que ces données seraient pertinentes ?

M. KONDOLF : Encore une fois, puisque nous savons que la partie inférieure du fleuve est

surchargée de sédiments  j’oublie la formulation utilisée, mais ce point n’est pas contesté  il

s’ensuit que tout apport supplémentaire de sédiments poserait problème. Maintenant, en ce qui

concerne les autres effets, vous avez mentionné l’examen de…

M. WORDSWORTH : Vous dites que cela «poserait problème». Veuillez expliquer ce que

serait ce problème, selon vous, du point de vue du dommage important que la Cour est censée

rechercher, du point de vue du dommage important causé aux espèces aquatiques, du dommage

important causé, mettons, au dragage effectué en aval ; quels sont ces dommages importants ?

M. KONDOLF : Alors, permettez-moi de commencer par le dernier élément que vous avez

mentionné, le dragage, étant donné que le Nicaragua a lancé un programme de dragage qui, selon

MM. Thorne et van Rhee, suffit difficilement à endiguer la sédimentation excessive. Donc, tout

apport supplémentaire de sédiments qui se dépose dans le San Juan inférieur alourdit les opérations

de dragage. Du point de vue des effets sur l’écologie aquatique, nous savons qu’il y a des espèces

parmi les familles de poissons vivant dans le San Juan qui sont sensibles aux sédiments fins.

Comme M. Cowx le dit dans son rapport, nous manquons de données précises pour le

fleuve San Juan, mais il est certain que certaines de ces espèces de poissons sont sensibles aux

sédiments. Et du point de vue de l’écologie aquatique, comme vous le savez, le CCT du

Costa Rica a effectué des études. On a examiné dix affluents le long de la rive sud et prélevé des

échantillons de macro-invertébrés en amont et en aval le long de la route. Les résultats indiquent

un impact du point de vue de l’abondance des espèces : je crois que sur sept des dix emplacements,

l’abondance est plus grande en amont qu’en aval ; quant à la richesse des espèces, à huit

emplacements sur dix, elle est plus grande en amont qu’en aval, ce qui démontre une dégradation

en aval, et la qualité de l’eau est meilleure en amont qu’en aval à neuf des dix emplacements.

Mme Ríos, dans son rapport, décrit une étude où elle a comparé des deltas situés sur la rive

costa-ricienne et touchés par les sédiments provenant de la route. - 40 -

M. WORDSWORTH : Je pense que nous pouvons supposer que tous ont lu le rapport de

Mme Ríos. Si je ne me trompe, vous estimez qu’il y a un effet important en raison de

l’augmentation de la charge à draguer, un dommage important du fait des répercussions sur les

poissons, bien que vous ne puissiez effectivement identifier les poissons les ayant subies. Est-ce
44

exact ?

M. KONDOLF : Je ne puis identifier les espèces touchées, mais, comme M. Cowx le

signale, nous manquons de données systématiques pour le fleuve San Juan. C’est pourquoi,

comme je l’ai dit dans mon rapport, il ne faut pas confondre manque de données et absence

d’impact.

M. WORDSWORTH : Oui, mais si vous avancez une thèse qui repose sur un dommage

important, il faut présenter des données qui démontrent cet impact. Avez-vous des données qui

démontrent un impact quelconque sur des poissons, quels qu’ils soient ?

M. KONDOLF : Non, mais nous avons certainement des informations provenant d’écrits

scientifiques qui indiquent que cela est possible. Nous manquons toutefois de données concernant

les répercussions sur les poissons, j’en conviens.

M. WORDSWORTH : «Qui indiquent que cela est possible». C’est tout ce que vous pouvez

affirmer à ce sujet. Très bien, nous reviendrons au rapport Ríos dans un moment. Nous

reviendrons également dans un instant au dragage. Je voudrais seulement m’attarder un peu plus

sur vos réponses concernant l’utilité du prélèvement d’échantillons de sédiments en suspension.

Vous savez, d’après le rapport Ramsar d’avril 2011, dont nous avons reçu un exemplaire jeudi

dernier et auquel j’ai invité M. van Rhee à se reporter vendredi, que le prélèvement mensuel de

sédiments en suspension est certainement utile. C’est exact, n’est-ce pas ?

M. KONDOLF : Oui, j’ai lu les conclusions, cela concernait le delta. Oui.

M. WORDSWORTH : Alors, le Nicaragua soutient évidemment qu’il s’agit d’un projet de

rapport, bien que le Secrétariat de la convention de Ramsar ne l’ait pas ainsi qualifié. Et peut-être

le Nicaragua présentera-t-il des conclusions à ce sujet le moment venu, mais nous considérons que - 41 -

c’est un document important que nous inviterons la Cour à lire très attentivement, en temps

opportun, dans ses passages pertinents. Mais, sur le point qui nous occupe à présent, c’est-à-dire le

dragage, il y est dit que le prélèvement d’échantillons en amont et en aval est utile, n’est-ce pas ?

M. KONDOLF : Eh bien, en général il est préférable de disposer de la plus grande quantité

de données possible. Il faut reconnaître cependant, en particulier en ce qui concerne le cours

inférieur du fleuve, qu’il s’agit de chenaux alluviaux et que, si l’on veut en conséquence mesurer le

45 débit et/ou la charge sédimentaire, il faut prendre beaucoup de mesures, parce que le lit peut

changer constamment. Aussi ce que nous appelons la «courbe d’étalonnage», soit la relation entre

le débit et le niveau d’écoulement de l’eau, est-elle susceptible de changer fréquemment.

M. WORDSWORTH : Oui, mais pour ce qui est de mesurer l’impact d’une activité

anthropique, le Secrétariat de la convention de Ramsar estimait de toute évidence qu’il était utile

d’effectuer des prélèvements mensuels des sédiments en suspension.

M. KONDOLF : Je ne conteste pas que ce soit la conclusion du rapport, mais je ferai

remarquer que M. Thorne s’est contenté d’analyser la différence au moyen de calculs, et je ne me

souviens pas qu’il ait demandé des échantillons mensuels.

M. WORDSWORTH : C’est très éclairant, et j’y reviendrai dans un instant. Mais vous

reconnaissez bien, de façon générale, que la situation du Costa Rica est différente de celle du

Nicaragua, et qu’il ne lui est pas possible d’aller sur le fleuve San Juan pour y effectuer des

mesures, vous le comprenez bien ?

M. KONDOLF : Oui.

M. WORDSWORTH : Pour revenir à ce que vous venez de dire au sujet de M. Thorne,

savez-vous que le Costa Rica a effectivement demandé au Nicaragua en février 2013 l’autorisation

de prélever des échantillons de sédiments dans le fleuve, pour vérifier si la route causait un

dommage important au fleuve San Juan, et que le Nicaragua a refusé cette autorisation ? Le

saviez-vous ? - 42 -

M. KONDOLF : Je me rappelle avoir vu une demande qui m’a semblé très naïve. Il y était

question de prélever des échantillons à 100 mètres en amont de l’embouchure d’un affluent et à

100 mètres en aval. On proposait qu’un seul flacon d’eau boueuse soit rempli à chaque endroit et

qu’un troisième soit confié à la Cour, ce qui traduit un manque de compréhension de ce qu’il faut

faire pour mesurer les charges de sédiments en suspension.

M. WORDSWORTH : Eh bien, il se trouve que le Nicaragua a répondu en disant, non pas

qu’il s’agissait d’une perte de temps, mais bien  c’est dans une lettre du 5 mars 2013 et nous en

obtiendrons évidemment des copies en temps utile, mais elle se trouve à l’annexe 48 du

46 contre-mémoire du Costa Rica —, en réalité, que la permission de procéder à ces prélèvements ne

serait pas accordée, mais qu’il était d’avis

«qu’une étude menée conjointement au Nicaragua et au Costa Rica pourrait constituer
un mécanisme efficace et bénéfique aux deux parties et qu’elle contribuerait à
l’exécution de l’ordonnance rendue par la Cour du 8 mars 2011, à condition que, avant
sa mise en œuvre, le Costa Rica cesse immédiatement les travaux de construction de
96
l’autoroute et qu’il communique les renseignements techniques y afférents» .

Cela ne concorde donc pas tout à fait avec ce que vous venez de dire, mais semble indiquer que le

Nicaragua pensait qu’il serait utile de procéder à des mesures des sédiments en suspension.

M. KONDOLF : Non, je crois que c’est là une question différente. Premièrement, je ne

connaissais pas les détails de cet échange. Je suis désolé, mais, lorsqu’on m’a montré la demande

du Costa Rica, je me suis inquiété au sujet de la manière dont on proposait de procéder à

l’échantillonnage des sédiments : on irait prendre un échantillon quelque part dans le fleuve et puis

l’analyser. Ce qu’il faut faire  et cela est très bien expliqué dans les méthodes mises au point par

le service géologique des Etats-Unis, dont l’application a été étendue, en fait, au monde entier ,

c’est prélever ce qu’on appelle un échantillon intégré en profondeur dans tout le chenal, de façon à

mesurer selon des verticales multiples l’ensemble de la colonne d’eau, et il faut prélever des

échantillons sur toute la largeur du fleuve, parce qu’il y a des différences énormes dans les

concentrations de sédiments en suspension entre les parties supérieure et inférieure de la colonne

d’eau ; de même sur la largeur du fleuve. Ensuite, on prend cet échantillon, ce qui peut

96CMCR, annexe 48, p. 81-82. - 43 -

représenter  pour un fleuve comme le San Juan  une douzaine de flacons à peu près, qu’on

analyse ensuite pour calculer le débit effectif, celui des sédiments.

M. WORDSWORTH : Voilà qui est très utile. Il existe donc un moyen d’obtenir de

l’information fiable sur l’impact sur la charge sédimentaire ?

M. KONDOLF : Oui, et d’après ce que j’ai compris de votre lecture de la réponse du

Nicaragua, elle ne dit pas exactement quelle serait la méthode, mais je suppose que, puisqu’il

s’agissait d’une étude conjointe, elle aurait été établie comme il se doit par les experts des

deux Parties.

47 M. WORDSWORTH : Oui. Mais ce qui m’intéresse, c’est que vous venez de dire qu’il est

possible de procéder utilement à un échantillonnage des sédiments, et vous avez fait référence à

une source américaine. C’est exact ?

M. KONDOLF : C’est exact.

M. WORDSWORTH : Et à votre connaissance, est-ce ce que le Nicaragua a fait ?

M. KONDOLF : Le Nicaragua a prélevé un certain nombre d’échantillons de sédiments en

suspension avec son matériel existant, il en a pris quelques-uns. Ils ont, je crois, été communiqués

dans une annexe présentée à la Cour dans l’affaire précédente.

M. WORDSWORTH : C’est juste. Il s’agit de l’annexe 16, c’est le rapport de l’INETER,

n’est-ce pas ?

M. KONDOLF : Je crois, oui.

M. WORDSWORTH : Donc, si vous voulez bien, nous pouvons regarder ces données.

Croyez-vous qu’elles peuvent être importantes ? Selon M. van Rhee, nous pourrions peut-être en

tirer des conclusions importantes. Etes-vous d’accord ?

M. KONDOLF : Encore une fois, vous savez que nous disposons de mesures ponctuelles,

mais je suis prêt à examiner cela avec vous. - 44 -

M. WORDSWORTH : D’accord. Nous avons donc inséré ces données dans le dossier, sous

o o
l’onglet n 3. Si vous allez au tableau 2, sous l’onglet n 3, que l’on peut peut-être même voir à

l’écran, voyons. A la page 304, voyez-vous le tableau 2 : Teneur en solides en suspension, 2012 ?

M. KONDOLF : Oui, le tableau 2 ; je vois.

M. WORDSWORTH : Je vous demande de vous reporter au tableau 2 uniquement car c’est

la seule date qui nous intéresse. Vous vous souviendrez que trois échantillons distincts ont été

prélevés  n’est-ce pas ?  sur une période de six ans. Vous vous rappelez ?

48 M. KONDOLF : Je ne m’en souviens pas, mais j’ai ces chiffres sous les yeux.

M. WORDSWORTH : Très bien. Veuillez à présent regarder les chiffres de 2012. A la

cinquième rangée, on lit «5.1.2012»  c’est-à-dire, je pense, le 1 mai 2012 , San Juan Castillo

et, si vous suivez cette ligne, je crois que la colonne que nous cherchons est la dernière, «Quantité

de solides, par jour», c’est-à-dire la charge de sédiments en suspension, n’est-ce pas ?

M. KONDOLF : Je suppose, oui, bien que les unités de mesure ne soient pas indiquées.

M. WORDSWORTH : Je crois que, pour les fins qui nous occupent, les unités de mesure

n’ont probablement pas d’importance, mais je suis sûr que mes collègues de droite sont impatients

de me les indiquer ! Voyez-vous le chiffre 1052, 37 ?

M. KONDOLF : Oui.

M. WORDSWORTH : C’est pour Castillo, qui se trouve à quelques miles en amont de vos

points d’érosion marquée, n’est-ce pas ?

M. KONDOLF : Oui.

M. WORDSWORTH : Si vous continuez, à la colonne suivante, en regard de la mention

«amont de l’embouchure de la San Carlos» — on peut supposer qu’il s’agit d’un point situé en

amont du point où l’affluent se jette dans le fleuve — on trouve le chiffre 1015,07 ; cette donnée

provenant du Nicaragua indique donc effectivement que la route n’a aucun impact, n’est-ce pas ? - 45 -

M. KONDOLF : Premièrement, je vous rappelle une fois de plus qu’il y a beaucoup de

variabilité dans ces échantillons et, si je peux me reporter en arrière un instant pour que nous

puissions comprendre  il ne s’agit pas d’un relevé bancaire qui dirait que vous avez précisément

1052,37 euros , ce sont des calculs fondés sur le type de mesures dont j’ai parlé, c’est-à-dire des

mesures sur toute la largeur du fleuve, qui permettent d’obtenir les concentrations de sédiments,

lesquelles sont ensuite multipliées par le débit. Ainsi, le débit multiplié par la concentration donne

la charge totale. La mesure du débit, si tout va bien  et une mesure qui serait considérée comme

excellente serait d’une précision de l’ordre de plus ou moins 5 % et, dans un fleuve comme

celui-ci, probablement plus ou moins 10 % serait la précision optimale qu’on puisse espérer —, il y

49 a donc une part d’incertitude, ne serait-ce qu’en ce qui concerne le débit qu’on utilise et, de plus,

pour ce qui est de la concentration de sédiments en suspension également. Aussi la plupart des

hydrologues/géologues estimeraient-ils que ces valeurs sont essentiellement identiques.

M. WORDSWORTH : Oui, cela me semble tout à fait juste. Ce à quoi je veux en venir,

c’est que, si le Nicaragua avait mis en place un programme approfondi d’échantillonnage, de

mesure des sédiments en suspension, nous disposerions de dizaines et de dizaines de chiffres de ce

type à analyser, et non d’un seul ; or vous avez bien fait allusion à l’échantillonnage effectué par le

Nicaragua, n’est-ce pas ?

M. KONDOLF : Eh bien, je crois que c’est ce que vous voyez ici.

M. WORDSWORTH : Oui, et rien d’autre, n’est-ce pas ? Ai-je raison de penser cela ?

M. KONDOLF : Eh bien, il y a peut-être eu d’autres opérations, mais c’est tout ce dont j’ai

eu connaissance. La question se pose par ailleurs de savoir comment lire les dates indiquées ;

s’agit-il du mode d’écriture européen ou américain ? S’agit-il du 2 mai ou… ?

M. WORDSWORTH : Je pense que, à moins qu’il n’y ait 28 mois dans l’année, la réponse

est assez simple ! - 46 -

M. KONDOLF : D’accord ; il s’agit donc des mois de mai et d’avril, soit la saison sèche. Il

ne fallait donc pas nécessairement s’attendre à y trouver des quantités élevées de sédiments non

plus.

M. WORDSWORTH : Monsieur Kondolf, n’allez pas croire que le Costa Rica attache

quelque importance particulière à ces mesures ponctuelles. Il considère que le Nicaragua avait

libre accès au fleuve pour y effectuer les opérations voulues de mesure des sédiments en

suspension et vous venez de laisser entendre, en parlant des méthodes applicables aux Etats-Unis,

que cela aurait été possible et souhaitable. C’est bien cela, n’est-ce pas ?

M. KONDOLF : Je pense qu’il serait utile, en effet, de disposer de plus de données.

M. WORDSWORTH : En somme, les seules données dont on dispose ne montrent aucun

changement. Et je ne vous contredirais pas si vous disiez qu’elles ne sont pas fiables. Il n’en reste

50 pas moins que vous nous avez renvoyés à des données et que je vous ai fait remarquer que les

seules que vous pouviez invoquer ne montraient aucun impact attribuable à la route. Est-ce exact ?

M. KONDOLF : A voir ces données, il est impossible, étant donné leurs limites, il est

impossible, dis-je, de déceler une augmentation de la charge sédimentaire depuis El Castillo

jusqu’en amont de l’embouchure de la San Carlos. Encore une fois, il s’agit de la saison sèche et je

ne crois pas qu’on puisse s’attendre à voir quoi que ce soit à cette époque de l’année.

M. WORDSWORTH : D’accord. Et si je me souviens bien, vous rappelez-vous que j’ai

mentionné que vous aviez pris ces trois échantillons en mai 2013, à la suite d’une averse de quinze

minutes ? Je crois qu’il s’agit là du seul autre type d’échantillon de sédiments que le Nicaragua ait

produit. Et, si je comprends bien, ce que vous soutenez, c’est seulement que ces trois échantillons

montrent que des sédiments provenant de la route pénètrent dans le fleuve. Est-ce exact ?

M. KONDOLF : Oui, ces échantillons sont éclairants, car nous avons des images montrant

des panaches de sédiments pénétrant dans le fleuve — vous les voyez à l’écran — immédiatement

après l’averse sur la route, et il s’agissait simplement de quantifier les concentrations de cette eau - 47 -

boueuse ruisselant de la route, par rapport aux eaux réceptrices, c’est-à-dire l’eau relativement

claire du fleuve.

M. WORDSWORTH : Soit, mais vous ne dites pas qu’il s’agissait d’une concentration

exceptionnellement élevée, même par rapport à la charge habituelle de sédiments en suspension

dans le fleuve, n’est-ce pas ? Ce n’est pas ce que vous soutenez, si j’ai bien compris.

M. KONDOLF : Pour cette période de l’année, la concentration était exceptionnellement

élevée : normalement, l’eau du fleuve est relativement claire à cette époque de l’année, c’est-à-dire

pendant la saison sèche.

M. WORDSWORTH : Si je me souviens bien, M. Thorne a comparé vos trois échantillons

avec un certain nombre d’échantillons de sédiments en suspension prélevés par le Costa Rica dans

des affluents du fleuve coulant, cela va de soi, en territoire costa-ricien. Vous en souvenez-vous ?

M. KONDOLF : Oui, en effet.

51 M. WORDSWORTH : Vous souvenez-vous du nombre d’échantillons de sédiments

auxquels M. Thorne a fait référence ?

M. KONDOLF : Non, je ne m’en souviens pas.

M. WORDSWORTH : Et si je vous disais «2409», cela vous rappellerait-il quelque chose ?

M. KONDOLF : Il me faudrait me reporter au rapport de M. Thorne.

M. WORDSWORTH : Et vous souvenez-vous de votre conclusion sur ce point ? Je peux

vous la lire, pour voir si vous êtes toujours du même avis. Voici un extrait de votre rapport du

6 novembre 2013 :

«M. Thorne note que les concentrations de sédiments en suspension dans les
échantillons que j’ai prélevés dans le panache de boue s’écoulant de la route (après
une pluie torrentielle de courte durée, le 22 mai) n’étaient pas très élevées par rapport
à celles mesurées dans le fleuve et ses gros affluents en cas de débit élevé. Nous
souscrivons à sa remarque, mais si nous nous penchons sur la figure 12 de son rapport,
nous observons que les concentrations d’environ 400 grammes par mètre cube sont
plus généralement associées aux débits supérieurs à 100 mètres cubes par seconde à - 48 -

celles correspondant au débit de base du fleuve à l’époque. Alors que M. Thorne
insiste sur le fait que le panache d’eaux chargées en sédiments finit par se mélanger

avec les eaux du fleuve (ce qui est vrai) [c’est vous-même qui dites que c’est «vrai»],
j’insisterais sur le fait que le panache s’écoulant dans le fleuve depuis la route soumise
à l’érosion, comme les deltas formés du matériel récemment séparé de la route par
l’érosion, démontre clairement — et c’est essentiel — que les sédiments dérivés de la
route se déversent dans le Río San Juan.»

Il semble donc que ces trois échantillons vous aient simplement amené à conclure que des

sédiments provenant de la route avaient pénétré dans le fleuve San Juan.

M. KONDOLF : Tel était l’objectif et il serait peut-être opportun que j’ajoute que le

diagramme montré par M. Thorne est en fait ce que nous appellerions un corrélogramme : il a porté

sur un seul et même diagramme toutes les concentrations de sédiments en suspension mesurées

dans tous ces affluents de tailles différentes, et il importe de garder à l’esprit qu’elles proviennent

de différents cours d’eaux et ont été mesurées dans diverses conditions (saison humide et saison

sèche). Autant comparer des pommes et des choux : il est pour ainsi dire sans intérêt que cette

concentration en sédiments soit dépassée, à tel ou tel moment, dans d’autres cours d’eau du

Costa Rica.

M. WORDSWORTH : Soit. Ce n’est pas ce que vous disiez alors, mais, passons. Puis-je

vous demander, avez-vous toujours le rapport de l’INETER sous la main ? Il se trouve sous

52 l’onglet n 3 du dossier devant vous. Merci de bien vouloir vous y reporter de nouveau. Je crois

qu’il s’agit là d’un point sur lequel toutes les parties peuvent facilement s’entendre. Vous voyez,

j’ai appelé votre attention sur les données relatives au fleuve San Juan à Castillo et en amont de

l’embouchure de la San Carlos. Voyez-vous la ligne qui se trouve en-dessous, relative au San Juan

en aval de l’embouchure de la San Carlos ? Si vous la suivez jusqu’à la dernière colonne, vous

voyez une augmentation radicale dans la concentration en sédiments, n’est-ce pas ?

M. KONDOLF : Oui, je vois.

M. WORDSWORTH : Elle passe d’environ 1000 à 1700. Et cela est normal, n’est-ce pas ?

On ne doit pas s’en étonner puisque la rivière San Carlos est un affluent important : débit élevé et

forte sédimentation. - 49 -

M. KONDOLF : Oui, la rivière San Carlos est un affluent important et ses rives ont fait

l’objet d’une déforestation intensive entre 1950 et 1995, c’est pourquoi les apports sédimentaires

qui en proviennent ont considérablement augmenté par rapport à l’état naturel antérieur.

M. WORDSWORTH : Oui. Mais, si je comprends bien ce que vous dites, vous n’êtes pas

d’avis que l’impact des sédiments qui pénètrent dans le fleuve San Juan à cet endroit, quelle qu’en

soit la source, y ait affecté les poissons, y ait causé la mort de poissons, n’est-ce pas ? Une

augmentation aussi importante des sédiments pénétrant …

M. KONDOLF : Il ne fait aucun doute selon moi que, puisque la charge sédimentaire du

fleuve San Juan était auparavant beaucoup plus faible et son eau, beaucoup plus claire, une telle

augmentation de la charge sédimentaire a dû créer des conditions peu favorables aux espèces de

poissons qui sont sensibles aux sédiments. Dans ces conditions, ou bien certains de ces poissons

sont morts ou bien, ce qui est plus probable, il se sont simplement déplacés en amont.

M. WORDSWORTH : Avez-vous la moindre idée des espèces de poissons qui habitent les

différentes parties du fleuve San Juan ?

M. KONDOLF : Nous avons des données pour le… la plupart de ces données ont été

recueillies en aval, dans la région du delta et de l’embouchure.

53 M. WORDSWORTH : Mais qu’en est-il du secteur du fleuve qui nous occupe à présent ; le

savez-vous ?

M. KONDOLF : Il n’existe pas, à ma connaissance, de données spécifiques ; comme l’a

indiqué M. Cowx, il y a peu de données pour le fleuve.

M. WORDSWORTH : Donc, vous ne connaissez pas les espèces de poissons qui habitent

cette partie du fleuve ?

M. KONDOLF : C’est exact. Nous connaissons certaines familles habitant la région et il est

probable que certaines espèces appartenant à ces familles s’y trouvent. - 50 -

M. WORDSWORTH : Alors, sur quoi vous fondez-vous pour soutenir que les poissons

pourraient avoir subi un impact préjudiciable ? Vous ne savez même pas quelles sont les espèces

présentes.

M. KONDOLF : Eh bien, encore une fois, l’absence de données n’équivaut pas à l’absence

d’impact. Le fait que nous ne disposions pas de données sur les espèces spécifiques ou que nous

n’ayons pas pu observer l’impact préjudiciable des sédiments en suspension sur les poissons ne

signifie pas que cet impact ne s’est pas fait sentir.

M. WORDSWORTH : Je n’en doute pas, mais nous nous trouvons dans le cadre d’une

action en justice, voyez-vous, et la thèse présentée par M. Reichler est celle d’un dommage

important. Voilà pourquoi je vous pose ces questions.

Vous reconnaissez, n’est-ce pas ?, que différentes espèces de poisson habitant le bassin

versant s’épanouissent dans des milieux caractérisés par une concentration élevée de sédiments en

suspension ? C’est exact, non ?

M. KONDOLF : Je pense qu’un certain nombre d’espèces de poissons tolèrent bien les

concentrations élevées de sédiments en suspension et que la turbidité profite sans doute à certaines

autres, en les rendant moins visibles aux prédateurs, ou quelque chose comme cela.

M. WORDSWORTH : Alors, vous avez fait référence à… Mais, si je puis me permettre, en

ce qui concerne les poissons, vous ne semblez pas en mesure de faire état de quelque impact

préjudiciable important que ce soit, n’est-ce pas ?

54 M. KONDOLF : Nous sommes certainement en mesure de montrer la probabilité d’un

impact préjudiciable sur les poissons, mais, non, nous manquons de données en ce qui concerne le

fleuve San Juan.

M. WORDSWORTH : Quand vous parlez de probabilité, à quel pourcentage la

situeriez-vous ? 10 % ? 60 % ? - 51 -

M. KONDOLF : Je ne pense pas disposer de suffisamment d’information pour pouvoir lui

attribuer un pourcentage.

M. WORDSWORTH : Bien.

M. KONDOLF : A moins qu’il y ait une raison pour que je le fasse ; mais il n’en reste pas

moins qu’il existe certainement une possibilité.

M. WORDSWORTH : Pensez-vous que le fait que vous ne puissiez même pas déterminer

précisément quelles espèces de poisson vivent dans le fleuve San Juan influe sur votre capacité à

indiquer un degré précis de probabilité ?

M. KONDOLF : Oui, je suppose que si nous en savions plus sur les espèces spécifiques qui

habitent le fleuve … Nous devons également tenir compte du fait que les opérations de

déforestation se sont déroulées de 1950 à 1995. Elles ont été très controversées, si bien que,

lorsque nous effectuons aujourd’hui des prélèvements dans le fleuve, nous examinons celui-ci

après qu’il en a déjà subi tous les effets. Voilà un autre aspect qu’il convient de garder à l’esprit.

Mais enfin, oui, si nous disposions de plus d’informations sur les espèces de poisson qui vivent

dans le fleuve, et s’il existait des études quant à leur sensibilité aux sédiments en suspension, nous

pourrions évaluer l’impact probable de façon plus éclairée.

M. WORDSWORTH : Je vous saurais gré de vous en tenir aux questions que je vous pose.

Vous pensez peut-être qu’il est utile de prononcer le mot «déforestation» aussi souvent que vous le

pouvez, à chaque question que je vous pose, mais laissons M. Reichler présenter ses arguments sur

ce point. Les questions que je vous pose ne concernent pas les moyens du Nicaragua à ce sujet.

Bien. Vous avez également évoqué une étude de Mme Blanca Ríos et déclaré que ce

document fournissait la preuve des effets préjudiciables sur le périphyton et les macro-invertébrés.

Est-ce bien exact ?

M. KONDOLF : Oui, c’est exact. - 52 -

55 M. WORDSWORTH : Et savez-vous pourquoi elle n’a pas été invitée à s’adresser

directement à la Cour ?

M. KONDOLF : Non.

M. WORDSWORTH : Puisque vous vous appuyez sur son rapport, je vais vous poser

quelques questions très limitées sur les méthodes qu’elle a employées pour réaliser son étude.

J’aimerais simplement que vous me donniez votre point de vue d’expert à ce sujet et si, à moment

donné, vous pensez que mes questions outrepassent le champ de votre expertise, n’hésitez pas à me

le dire.

M. KONDOLF : D’accord.

M. WORDSWORTH : Bien. Mme Ríos a prélevé des échantillons à l’emplacement de

17 deltas sur les rives méridionale et septentrionale du fleuve San Juan. Cela est-il exact ?

M. KONDOLF : Pour ce qui est du chiffre précis, il me faudrait le vérifier dans son rapport,

mais c’est quelque chose de cet ordre.

M. WORDSWORTH : Elle n’a pas prélevé d’échantillons dans le fleuve lui-même, n’est-ce

pas ?

M. KONDOLF : Elle les a prélevés sur les deltas situés au bord du fleuve, près du rivage.

M. WORDSWORTH : Oui, donc en fait elle se trouvait dans le fleuve, ou plutôt sur le delta,

pour y prélever des échantillons de l’eau qui se trouve juste au-dessus de celui-ci. Cela est exact,

n’est-ce pas ?

M. KONDOLF : Elle prélevait des échantillons dans les eaux peu profondes des deltas qui,

dans la plupart des cas, se trouvaient en aval de l’embouchure, la plus grande partie des dépôts se

trouvait probablement en aval, mais, que cela ait été en aval ou en amont, elle faisait ses

prélèvements dans l’eau peu profonde des deltas au point de confluence. - 53 -

M. WORDSWORTH : Il en découle que son étude peut tout au plus démontrer qu’il existe

un impact localisé à l’emplacement de ces deltas. Cela n’est-il pas exact ?

56 M. KONDOLF : Oui, elle montre un impact sur les deltas et souvenez-vous que les

macro-invertébrés ont besoin d’un substrat de gravier pour s’accrocher ; or, dans la plus grande

partie du fleuve, dans ce secteur en amont, il n’y a pas de gravier, de ce gravier en surface, au

milieu du fleuve. Le seul endroit où l’on en trouve, c’est sur ces deltas, en bordure du fleuve.

M. WORDSWORTH : Mais n’est-il pas exact de dire qu’on pourrait s’attendre à la présence

de macro-invertébrés et de périphyton le long des rives du fleuve, là où les eaux sont peu

profondes ?

M. KONDOLF : Oui, s’il y a des dépôts de gravier, mais nous y en avons cherché et n’en

avons pas tellement trouvé, si bien que ces deltas constituent le meilleur endroit où l’on puisse

trouver des macro-invertébrés.

M. WORDSWORTH : Vous affirmez donc que vous n’avez pas pu trouver de

macro-invertébrés sur le lit du fleuve, que, de manière générale, il n’y en avait pas ?

M. KONDOLF : Si, il y en avait un peu. Nous utilisions, comme le Costa Rica l’a fait pour

son étude de l’impact sur l’environnement, ou plutôt l’organisme chargé de la réaliser, les

méthodes qui sont devenues assez courantes de nos jours pour ce type d’étude et sont en fait

imposées par la législation costa-ricienne, et qui consistent à prélever des échantillons sur les bancs

et substrats de gravier, parce que c’est là que les insectes sont les plus nombreux, accrochés aux

rochers ; c’est maintenant devenu la norme. Nous étions donc à la recherche des conditions qui

nous permettraient d’appliquer correctement la méthode.

M. WORDSWORTH : D’accord. J’essaye juste de déterminer la portée réelle du rapport

établi par Mme Ríos. Je pense que nous sommes d’accord pour dire qu’elle n’a prélevé des

échantillons que sur les deltas et qu’elle n’a pas voulu, à partir des conclusions qu’elle a formulées

à ce propos, extrapoler un impact plus général sur le fleuve, n’est-ce pas ? - 54 -

M. KONDOLF : Il me faudrait revenir sur son rapport pour voir quelles ont été ses

conclusions, pour me rappeler ce qu’elle a dit précisément. Mais il est certain que ces résultats sont

le signe d’un impact qui pourrait être plus vaste. Ce sont les seuls endroits où nous pouvions

effectuer des mesures.

57 M. WORDSWORTH : Mais alors, s’il y a eu des effets importants, ne vous attendriez-vous

pas à en observer également sur les deltas de la rive septentrionale, c’est-à-dire du côté

nicaraguayen du fleuve ?

M. KONDOLF : Non, parce que les deltas costa-riciens où les échantillons ont été prélevés

et sur lesquels la route a eu un impact recevaient des quantités élevées de sédiments provenant

directement de celle-ci et en subissaient les effets.

M. WORDSWORTH : C’est précisément là que je veux en venir. Il s’agit d’un impact très

localisé, n’est-ce pas ?

M. KONDOLF : Il est localisé en ce sens que c’est un endroit où nous avons pu effectuer des

mesures, oui.

M. WORDSWORTH : Vous auriez pu effectuer des mesures dans beaucoup d’autres

endroits, mais vous ne l’avez pas fait, n’est-ce pas ?

M. KONDOLF : Non, il n’y a pas beaucoup d’autres endroits dans le fleuve où l’on aurait pu

effectuer des mesures en ce qui concerne les macro-invertébrés parce que, comme je l’ai dit, on ne

trouve pas dans le fleuve, du moins en amont, de grandes barres ou étendues de gravier peu

profondes où l’on aurait pu observer de tels macro-invertébrés.

M. WORDSWORTH : D’accord. Vous avez par ailleurs déclaré que Mme Ríos mesurait

l’apport provenant de la route ainsi que son impact. Ai-je raison de penser que ce qui se trouve sur

le delta considéré dépend beaucoup de l’apport qu’il reçoit ? Cela est-il exact ou non ?

M. KONDOLF : Qu’entendez-vous par «ce qui se trouve sur le delta» ? - 55 -

M. WORDSWORTH : Je parle des macro-invertébrés et du périphyton.

M. KONDOLF : Oui, ces éléments témoignent de beaucoup de choses, mais l’une des

principales est l’apport de sédiments en provenance de la route.

M. WORDSWORTH : Certes, mais ce qui se trouve sur le delta dépendra aussi, de toute

évidence, du bassin versant du cours d’eau considéré, de la taille de ce bassin, des nutriments

présents dans le cours d’eau, de la qualité de l’eau qui arrive au delta. Tous ces éléments vont

avoir une influence sur ce qui se trouve sur celui-ci, n’est-ce pas ?

58 M. KONDOLF : Oui, c’est exact.

M. WORDSWORTH : Or Mme Ríos n’aborde à aucun moment la question de ces effets-là

dans son étude, n’est-ce pas ?

M. KONDOLF : Elle rend simplement compte de ce qu’elle a observé, c’est-à-dire que les

deltas touchés par les sédiments provenant de la route sont dans un état de détérioration écologique.

M. WORDSWORTH : Certes, mais cette conclusion est-elle fiable si Mme Ríos n’a pas pris

en considération toutes les autres variables susceptibles d’influer sur les nutriments pouvant, pour

tel ou tel delta, provenir du territoire costa-ricien ?

M. KONDOLF : Cela ne me semble pas remettre en cause son étude. Vous dites qu’elle

aurait dû les prendre en considération, mais enfin, il n’y a pas tant de deltas que cela dans cette

région. Bien sûr, tous les bassins versants et toutes les charges de nutriments ne peuvent pas être

rigoureusement identiques. Et d’abord, nous ne disposons d’aucune donnée en ce qui concerne les

charges de nutriments. Qu’avez-vous mentionné d’autre ?

M. WORDSWORTH : Le bassin versant.

M. KONDOLF : Le bassin versant.

M. WORDSWORTH : Il aura forcément une incidence notable sur la charge de nutriments et

la qualité de l’eau qui arrive au delta, n’est-ce pas ? - 56 -

M. KONDOLF : Eh bien, souvenez-vous que nombre des bassins versants des deltas où

Mme Ríos a prélevé ses échantillons du côté costa-ricien étaient de petite taille et produisaient

d’énormes quantités de sédiments parce qu’ils drainaient des tronçons de la route soumis à une

érosion rapide. Donc, on ne s’attendrait pas nécessairement à ce que les superficies de drainage

soient identiques pour les différents deltas.

M. WORDSWORTH : Mais la grande majorité des superficies de drainage, des bassins

versants situés du côté costa-ricien étaient plus petits que ceux situés du côté nicaraguayen. Cela

est-il exact ?

59 M. KONDOLF : C’est ce dont je me souviens, et cela est dû au fait que l’érosion très rapide

de la route entraîne la formation de deltas à partir de très petites superficies de drainage, en

comparaison avec les deltas naturels qui sont le produit de superficies de drainage plus vastes,

d’apports sédimentaires moins importants provenant de bassins plus vastes.

M. WORDSWORTH : Bien, regardons à présent ces deltas, puisque vous en parlez.

Pourriez-vous vous reporter au paragraphe 48 de votre rapport, pardon, de votre exposé ? Vous

voyez le bas de la page 16 ?

M. KONDOLF : Oui.

M. WORDSWORTH : «Outre les accumulations de sédiment dans le Río San Juan inférieur

décrites par le Dr Andrews, au moins huit deltas immenses constitués de sédiments provenant de la

route se sont déposés aux embouchures des affluents le long de la rive sud du fleuve.» C’est bien

cela ?

M. KONDOLF : Oui, c’est exact.

M. WORDSWORTH : Puis-je vous demander à présent de vous reporter à la figure 11 de

votre exposé  vers la fin, à l’avant-dernière page, je crois  afin que nous puissions nous faire

une idée de la taille de ces immenses deltas.

M. KONDOLF : Il s’agit de l’image satellite. - 57 -

M. WORDSWORTH : En effet. Cela donne une bonne idée de leur taille par rapport à la

largeur du fleuve, non ?

M. KONDOLF : Oui, pour la partie du delta qui était exposée à ce moment-là. Si je peux me

permettre une brève remarque, il est très important de garder le niveau du fleuve à l’esprit lorsque

l’on interprète ces images aériennes parce que, si les eaux sont élevées, une plus grande partie du

delta est immergée, et celui-ci paraît donc plus petit que si le niveau de l’eau est moins élevé.

M. WORDSWORTH : Heureusement, vous avez mesuré ces deltas, n’est-ce pas ? Vous

savez donc quelle est leur taille.

60 M. KONDOLF : Oui.

M. WORDSWORTH : Et vous avez effectué ces mesures, me semble-t-il, à un moment où

vous pensiez que le débit du fleuve était plus important, c’est exact ? Ou plutôt pendant une

période où le débit était faible, pardonnez-moi.

M. KONDOLF : Nous avons fait ces mesures pendant notre dernière visite, donc le débit du

fleuve était moyen, je dirais.

M. WORDSWORTH : Bon. J’imagine que vous donnez ces chiffres parce qu’ils sont

représentatifs ? Les mesures que vous avez faites, je présume que vous les avancez parce qu’elles

sont, selon vous, représentatives ?

M. KONDOLF : De quels chiffres parlez-vous ?

M. WORDSWORTH : Je vais vous donner les références. Il me semble que c’est à

l’appendice F de votre rapport de 2014 que vous donnez tous les chiffres.

M. KONDOLF : D’accord, donc dans le rapport de 2014.

M. WORDSWORTH : Les pages 122-129 de l’appendice F. - 58 -

M. KONDOLF : Alors, puisque, au mois de mai, le débit est en général relativement faible,

ces chiffres doivent également correspondre à un débit assez faible.

M. WORDSWORTH : Il s’agirait en effet d’une période où le débit est faible. C’est donc la

taille de base des deltas. Pour nous permettre de mieux nous rendre compte de l’échelle, regardons

la figure 12 de votre exposé, une photo en gros plan. Pardon, c’est à la dernière page de votre

exposé. Comme vous pouvez le voir, il y a deux photos. Vous dites, dans l’annexe à laquelle je

viens de vous renvoyer, que le delta représenté sur celle du haut mesure 15 mètres de large ; or il

me semble  seulement pour donner un ordre de grandeur  que le fleuve fait 130 mètres de large

à cet endroit. Est-ce bien exact ?

M. KONDOLF : Il faudrait que je vérifie la largeur du fleuve. C’est un détail, mais il faut

préciser que les mesures ont été effectuées en mai 2014 et que la photo date du mois de mars ou de

la fin février de la même année. Il est donc fort probable que la taille de ce delta se soit accrue

depuis mai 2014.

61 M. WORDSWORTH : Voulez-vous dire qu’il mesure aujourd’hui plus de 15 mètres de

large ?

M. KONDOLF : Eh bien, il faudrait d’abord que vous définissiez ce à quoi correspond la

largeur, parce que le delta se prolonge sous la surface de l’eau, de sorte que la largeur dépend du

niveau du fleuve. Je crois néanmoins qu’il a pu s’étendre quelque peu. Chose certaine, sur la

dernière photo, vous pouvez voir, sur l’un de ces deltas, un conduit en plastique qui a été emporté

et dont quelques morceaux y ont été incorporés. Le delta s’est donc bien étendu depuis, comme

vous pouvez le constater.

M. WORDSWORTH : Je vais vous montrer une photo de ce delta dans un instant, mais,

pour que ce soit clair, lorsque nous parlons de mesures qui sont les vôtres, si vous me répondez :

«cela dépend de la manière dont vous effectuez les mesures», je vous rappellerai que ce n’est pas

moi qui mesure, mais vous. Vous dites dans votre rapport que le deuxième delta représenté sur

cette photo fait environ 10 mètres de large et vous fournissez d’ailleurs obligeamment les mesures - 59 -

relatives à sept de ces «deltas immenses», comme vous les appelez. Leur surface est

d’environ 100-200 mètres carrés ; à titre de point de comparaison, la grande salle dans laquelle

nous nous trouvons fait, me dit-on, 425 mètres carrés. Cela correspond-il à vos souvenirs ?

M. KONDOLF : Oui, là encore, il faudrait que je vérifie les chiffres, mais cela me semble

juste. Je n’ai pas les numéros de page correspondants, mais ce delta est représenté à la quatrième
o
page de l’appendice F, c’est le delta n 9.4 sur la photographie aérienne.

M. WORDSWORTH : Maintenant, puis-je vous demander de vous reporter à la

figure 13  je crois que c’est une reproduction de la figure 13 de votre rapport  qui représente, si

je comprends bien, le delta le plus étendu. Oui, c’est bien cela, d’après ce que je comprends de

votre rapport, vous dites que c’est le plus grand delta. Vous en souvenez-vous ?

M. KONDOLF : Je ne sais plus si c’est le delta n 9.4 ou le n 9.6 qui est le plus grand, mais

ils sont très étendus tous les deux, donc cela pourrait effectivement être celui-là.

M. WORDSWORTH : Eh bien, d’après ce que nous comprenons, c’est le plus grand, et de

très loin. Il mesure, selon vous, 1250 mètres carrés. Vous souvenez-vous de ce qui est indiqué en

légende de cette photo ?

62 M. KONDOLF : C’est dans mon exposé ?

M. WORDSWORTH : Non, dans votre rapport proprement dit. Les photos qui y figurent

sont reproduites à la fin du dossier de plaidoiries.

Je crains que ce ne soit pas suffisamment clair pour être lisible. Laissez-moi vous lire la

légende. Il est indiqué, sous la photo du haut, «Photo en date du 2 mai 2014», donc je suppose que

cela correspond à une période de faible débit, n’est-ce pas ?

M. KONDOLF : C’est exact.

M. WORDSWORTH : Ensuite, la deuxième photo, sous laquelle figurent des mesures en

date du 30 mars 2014, a pour légende : «Alluvionnement à l’embouchure du caño Venado : - 60 -

exemple de dépôt plus naturel, moins élevé et plus large, traduisant un alluvionnement moins

rapide.»

M. KONDOLF : Tout à fait.

M. WORDSWORTH : Donc, parmi les deltas que vous avez décrits, le plus grand, et de loin,

est en réalité un dépôt plus naturel.

M. KONDOLF : En fait, ce delta est le produit d’une assez grande superficie de drainage. Il

doit sa formation à un cours d’eau de bonne dimension et je pense qu’il existait déjà à cet endroit

avant la construction de la route et n’a fait que s’accroître avec les sédiments provenant de celle-ci.

Il y a une grande quantité de sédiments de la même couleur orange que celle des sédiments

provenant de la route, comme vous pouvez le constater sur la vue aérienne oblique, en haut.

M. WORDSWORTH : Ensuite, vous faites référence, dans votre exposé, à l’évaluation de

suivi du diagnostic environnemental réalisée par le centre de sciences tropicales en 2014. Il est

question du CST au paragraphe 53… Pardonnez-moi, je regardais le président. Monsieur le

président, où en suis-je de la durée qui m’est impartie ? Je craignais que nous ne manquions de

temps. Entendu, merci.

Comme vous le voyez au paragraphe 53, vous faites référence à l’évaluation de suivi du

diagnostic environnemental réalisée par le CST, et vous dites que cela «suggère fortement que des

sédiments provenant de la Route impactent la population aquatique, et contredit l’affirmation selon

63 la laquelle la vie aquatique dans le bassin hydrographique du Río San Juan est complètement

adaptée aux fortes charges sédimentaires». C’est bien ce que vous avez écrit, n’est-ce pas ?

M. KONDOLF : Oui, en effet.

M. WORDSWORTH : Alors, évidemment, la question de savoir ce que dit ou non le rapport

du CCT relève de l’argumentation des Parties, mais je voudrais vous demander de vous reporter

sous l’onglet n 6 du dossier de plaidoiries, où les auteurs du CCT disent ce que leur inspirent les

résultats de leurs prélèvements. Si je puis me permettre une précision, tous les échantillons ont été - 61 -

prélevés dans des cours d’eau costa-riciens, sur la rive du fleuve appartenant au Costa Rica, c’est

bien cela ?

M. KONDOLF : Oui, il s’agit de cours d’eau costa-riciens qui se jettent dans le San Juan, du

côté du Costa Rica.

M. WORDSWORTH : C’est cela. Si nous avions plus de temps, je vous demanderais de lire

les paragraphes 7 à 11, mais nous devons nous presser, aussi me contenterai-je de vous inviter à

regarder ce que disent les auteurs du rapport quant au point de savoir si les effets constatés

pourraient, selon eux, se répercuter sur le fleuve San Juan. Regardons, si vous le voulez bien, le

paragraphe 8 : les auteurs considèrent que les sédiments provenant de la route n’ont pas

d’incidence importante sur les bio-indicateurs étudiés à l’emplacement des prélèvements,

précisément par rapport à ces affluents costa-riciens. C’est bien cela ?

M. KONDOLF : Oui, ils soutiennent que les effets qu’ils ont évalués ne devraient pas se

répercuter sur le San Juan, et ce, parce que le fleuve est «beaucoup plus grand, avec un débit bien

plus important que les cours d’eau mentionnés dans l’étude». C’est ce qu’ils affirment, mais leurs

données montrent pourtant que ces cours d’eau subissent des effets, des effets très importants.

M. WORDSWORTH : Je parle des répercussions sur le fleuve San Juan. C’est la raison

pour laquelle je vous ai renvoyé précisément au paragraphe 11.

M. KONDOLF : Eh bien, ce n’est qu’une affirmation. Ils présentent des données qui

montrent qu’il y a des répercussions, puis ils se contentent de dire que cela ne devrait pas avoir

d’incidence sur le fleuve parce que celui-ci est plus grand.

64 M. WORDSWORTH : Oui, et n’êtes-vous pas d’accord avec cette hypothèse générale ?

M. KONDOLF : Non. J’aurais deux observations à faire. La première, c’est que les cours

d’eau, comme les deltas, sont quelques-uns des endroits où l’on peut mesurer les effets de cette

charge sédimentaire très élevée provenant de la route. Cela est donc important et peut avoir des

répercussions à d’autres endroits où l’on ne peut les mesurer. Encore une fois, il ne fait aucun - 62 -

doute que les effets y sont plus marqués. Mais de là à dire qu’il n’y a pas d’impact sur le fleuve

lui-même, rien ne le permet.

M. WORDSWORTH : D’accord. Une brève remarque au sujet de ces deux réponses : vous

dites «on peut mesurer» ; or, bien entendu, le Costa Rica ne peut rien mesurer dans le fleuve

San Juan. Et à votre connaissance, bien sûr, le Nicaragua n’y a procédé à aucune mesure, à

l’exception évidemment de celles qui ont été effectuées sur les deltas par Mme Ríos et dont nous

avons parlé.

M. KONDOLF : Peut-être me suis-je mal exprimé, mais je ne comprends pas. Vous dites

que j’ai dit «on peut mesurer» ; à quel propos ?

M. WORDSWORTH : Si j’ai bien compris, «on peut mesurer» et je crois vous avoir entendu

dire : «on peut mesurer dans le fleuve San Juan les effets sur la faune aquatique de celui-ci».

M. KONDOLF : Peut-être me suis-je mal exprimé et, si c’est le cas, je vous prie de m’en

excuser. Ce que j’essayais de dire, c’est qu’il n’y a que certains endroits qui se prêtent à ces

mesures. L’un d’entre eux est le delta, parce qu’on y trouve un amoncellement de gravier qui

correspond à l’habitat naturel de ce genre de macro-invertébrés. Les affluents s’y jettent et influent

sur les populations aquatiques qui s’y trouvent. Si l’on remonte ces affluents, comme l’a fait le

CCT, qui a conçu son étude de façon à procéder à des mesures en amont et en aval de la route, en

supposant que les sédiments provenant de la route avaient une incidence sur les points

d’observation situés en aval. Il a constaté que l’abondance des macro-invertébrés était plus grande

en amont sur 7 des 10 points choisis ; la richesse était plus importante en amont sur 8 des 10 points,

et la qualité de l’eau était supérieure sur 9 des 10 points. Le CCT a donc trouvé beaucoup d’indices

que les sédiments avaient un impact sur les macro-invertébrés et sur la qualité de l’eau.

65 M. WORDSWORTH : Ce que j’essaie de faire ressortir, l’hypothèse que je vous présente,

c’est que le Costa Rica a procédé à des échantillonnages et a démontré, par l’entremise du CCT,

certains changements à l’«échelle microscopique» et en tant que «réaction temporaire» à la

construction de la route. La question que je vous pose est la suivante : le Nicaragua a-t-il réalisé - 63 -

des mesures équivalentes qui lui auraient permis de constater concrètement les effets sur la faune

du fleuve, au-delà de l’embouchure des cours d’eau ? Nous avons aussi l’étude Ríos, mais, à part

cette étude, y en a-t-il d’autres ?

M. KONDOLF : Je crois que c’est l’étude Ríos. Pour revenir à la première partie de votre

question, je crois que, si vous lisez le rapport du CCT, vous constaterez une certaine incohérence

entre les données qui y sont effectivement présentées et le type de conclusions avancées.

M. WORDSWORTH : C’est là, bien entendu, une question relevant de l’argumentation,

Monsieur Kondolf. Dans le temps qui nous reste, je voudrais seulement vous poser une question

sur vos chiffres concernant l’érosion, s’il nous reste du temps.

The PRESIDENT: I would remind you, Mr. Wordsworth, that you have a total of

100 minutes for cross-examination of the experts called by Nicaragua. You may continue for a few

minutes longer if you wish, but that will be deducted from the time remaining for you to

cross-examine the other experts.

Mr. WORDSWORTH: I understand perfectly. In fact, I was told that I had 62 minutes. Je

serai très bref dans ce cas.

Alors, en ce qui concerne vos mesures aux points d’érosion marquée, je voudrais simplement

comprendre un peu mieux votre méthode. Si je ne me trompe, vous avez mesuré la superficie des

points d’érosion marquée. Si cela ne vous ennuie pas, je vous demanderai de confirmer, pour le

procès-verbal.

M. KONDOLF : Oui, c’est exact. J’ai besoin cependant de savoir où vous voulez en venir.

M. WORDSWORTH : Vous mesurez donc la superficie, puis vous soustrayez celle de la

plate-forme de la route, à laquelle vous appliquez un taux d’érosion distinct, n’est-ce pas ?

M. KONDOLF : C’est exact. - 64 -

66 M. WORDSWORTH : Vous obtenez ainsi une superficie d’environ 612 000 mètres carrés.

Est-ce exact ? Vous pouvez me croire, si vous ne vous le rappelez pas exactement, ce chiffre est

juste. Je suis sûr que les conseils du Nicaragua me corrigeront si je me trompe.

M. KONDOLF : Je crois que… J’ai un tableau à ce sujet quelque part et peut-être

pourrais-je le retrouver et confirmer au fur et à mesure.

M. WORDSWORTH : Je crois que le tableau dont vous parlez se trouve à la page 8.

M. KONDOLF : Très bien. On n’y donne pas les superficies. Mais d’accord.

M. WORDSWORTH : Je sais que ce tableau n’est pas très utile à cet égard. Mais, si vous

pouvez me faire confiance, il s’agit d’une superficie totale de 612 000 mètres carrés, à laquelle

vous appliquez un taux d’érosion des talus. Est-ce bien cela ?

M. KONDOLF : Pour la superficie totale des points d’érosion marquée  qui représentent

quelque 17,6 kilomètres du fleuve lorsque vous les additionnez , pour toute cette superficie, nous

avons appliqué un taux d’érosion des talus par ravinement et glissement de terrain à 40 % de cette

superficie. Donc, on suppose que 40 % des points d’érosion marquée connaissent une érosion

active de ce type.

M. WORDSWORTH : Qu’en est-il du taux d’érosion en nappe ? Vous avez appliqué un

taux d’érosion en nappe, n’est-ce pas ?

M. KONDOLF : Eh bien, pour les 60 % restants de cette superficie, nous avons appliqué un

taux d’érosion en nappe ; c’est exact.

M. WORDSWORTH : N’êtes-vous pas parvenu à un taux d’érosion moyen, que vous avez

appliqué de façon générale à tous les talus des points d’érosion marquée, sur une superficie de

612 000 mètres carrés ?

M. KONDOLF : Encore une fois, je ne me rappelle pas combien de mètres carrés cela

représentait, ni tous les 17 points d’érosion marquée, mais nous avons établi une distinction entre - 65 -

les 40 % auxquels nous avons attribué ce type d’érosion très active de ravinement et de glissement

de terrain, et les autres 60 %, auxquels nous avons simplement appliqué un taux d’érosion en

nappe.

67 M. WORDSWORTH : La question est donc la suivante : si vous avez raison au sujet de la

superficie de 612 000 mètres carrés et si vous avez appliqué le bon taux d’érosion, le chiffre obtenu

est exact. Si vous vous êtes trompé au sujet de cette superficie, alors, bien entendu, même en

appliquant le bon taux d’érosion, vous obtenez un chiffre inexact. C’est bien cela ?

M. KONDOLF : Oui, ce serait une source d’erreur.

M. WORDSWORTH : Si je comprends bien ce que disent les experts du Costa Rica, la

superficie touchée par l’érosion des talus n’est que de 261 000 mètres carrés, et non pas de

612 000 mètres carrés. Est-ce bien ce que vous avez compris ?

M. KONDOLF : Il faudrait que je consulte le rapport costa-ricien. Je ne me rappelle pas.

M. WORDSWORTH : Entendu. Reconnaissez-vous, simplement pour ce qui est de la

manière dont ce calcul a été fait, que les experts du Costa Rica ont à présent parcouru à pied toute

la longueur de la route pour repérer et mesurer les talus en cause, notamment, si je ne me trompe,

avec une sorte de télémètre électronique portatif ? Certes, vous êtes en désaccord avec ce qu’ils ont

fait, c’est entendu. Mais il s’agit de préciser qu’ils ont procédé à une opération de mesure que

vous-même n’avez pas effectuée.

M. KONDOLF : Oui. Nous ne nous sommes pas rendus sur place. Ils y sont allés. Je suis

prêt à critiquer certains aspects de leur nouvelle étude si vous le souhaitez.

M. WORDSWORTH : Nous n’en avons pas le temps. Merci beaucoup, Monsieur Kondolf.

J’ajouterai que, bien entendu, le Nicaragua aura le loisir, lors du contre-interrogatoire, de poser des

questions à M. Thorne au sujet des supposées faiblesses de ce rapport. Ce point me semble bien se

prêter au contre-interrogatoire, ou être l’objet tout désigné du contre-interrogatoire.

M. KONDOLF : En effet. - 66 -

The PRESIDENT: Thank you. You have used one hour and seven

minutes  67 minutes  of your time; so that will have to be taken into account as regards the

length of the cross-examination of the remaining experts.

Thank you, Mr. Kondolf. If Nicaragua wishes to conduct a re-examination, that will take

68 place after the lunch break; the Court will therefore meet again at 3 p.m. for the conclusion of

Mr. Kondolf’s examination, if necessary, and then to hear the two other experts called by

Nicaragua.

Mr. Kondolf, since your examination is not finished, you are kindly requested not to discuss

the content of your deposition with anyone during the lunch break.

Thank you. The sitting is adjourned.

The Court rose at 12.55 p.m.

___________

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