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151-20130415-ORA-01-01-BI
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CR 2013/1 (traduction)

CR 2013/1 (translation)

Lundi 15 avril 2013 à 10 heures

Monday 15 April 2013 at 10 a.m. - 2 -

10 Le PRESIDENT : L’audience est ouverte.

Excellences, Mesdames et Messieurs,

C’est pour la Cour un grand honneur et un grand plaisir que de se réunir pour la première

fois dans la grande salle de justice nouvellement rénovée. A cette occasion, il convient de

souligner que la rénovation de cette salle coïncide avec le centenaire du Palais de la Paix, qui a

ouvert ses portes au mois d’août 1913. Cet important événement donnera lieu à différentes

commémorations dans le courant de l’année.

La Cour permanente d’arbitrage a été la première à utiliser la grande salle de justice pour les

affaires qui lui étaient soumises. A partir de 1922 s’y sont déroulées les procédures judiciaires

engagées devant la Cour permanente de Justice internationale et, depuis 1946, elle est devenue la

salle d’audience permanente de la Cour internationale de Justice. Pendant toutes ces années, de

très nombreux et éminents agents et conseils se sont présentés devant ces institutions ; les parties

aux affaires en cause ont exposé des argumentations juridiques novatrices ; le règlement de

nombreux différends internationaux a été énoncé, dans le respect des règles et principes du droit

international, tandis que ne cessait d’être réaffirmée la primauté du droit à l’échelle internationale.

C’est dans cette salle qu’ont germé certaines des décisions de droit international les plus

importantes de ces 90 dernières années. La présentation d’un différend à la Cour mondiale, qui ne

devrait pas être perçue comme une manifestation d’hostilité ainsi que nous le rappellent la

déclaration de Manille sur le règlement pacifique des différends internationaux et plusieurs autres

documents permet en réalité de promouvoir la paix, la sécurité et la justice internationales.

Les procédures engagées devant la Cour peuvent ainsi contribuer à apaiser les tensions entre les

Etats qu’un différend oppose et, en définitive, renforcer la primauté du droit sur le plan

international. Il va sans dire que nombre de différends historiques survenus au cours du siècle

dernier ont été examinés dans cette salle, où continuent d’être énoncées, en temps voulu, des

solutions juridiques justes et clairement motivées. La grande salle de justice porte vraiment bien

son nom ! - 3 -

Qui plus est, c’est une salle profondément rénovée qui est aujourd’hui mise à la disposition

de la Cour. Par le passé, de petits travaux de réaménagement avaient déjà été effectués pour

répondre à certaines exigences de notre devancière, la Cour permanente de Justice internationale,
11

comme par exemple l’agrandissement du siège, compte tenu d’une composition élargie.

En revanche, aucun projet de cette ampleur n’avait jamais été envisagé avant la récente

réorganisation et rénovation de la salle.

Désormais dotée d’équipements techniques de pointe, la grande salle de justice offre un

potentiel nettement accru, tout en affichant un aspect neuf et moderne. La Cour se réjouit vivement

de bénéficier ainsi de meilleures conditions pour examiner, de façon loyale et impartiale, comme

l’exige la noble tâche qui lui incombe, les affaires dont elle a à connaître. A bien des égards, le

centième anniversaire du Palais est donc pour nous l’occasion non seulement de revenir sur le

glorieux passé de cette salle, du bâtiment qui l’abrite et de ses hôtes, mais aussi de nous tourner

résolument vers un avenir où la paix, la justice et la modernité iront de pair.

Il est, à n’en pas douter, important de commémorer le passé, mais nous ne devons pas oublier

les personnes plus proches de nous qui ont contribué à façonner ce qui est aujourd’hui notre

présent. C’est Mme Rosalyn Higgins, alors présidente de la Cour, qui est à l’origine du projet de

rénovation de la grande salle de justice, et nous lui rendons chaleureusement hommage. Ce projet

n’a pu être mené à bien que grâce aux efforts inlassables de plusieurs personnes et institutions.

Aussi la Cour exprime-t-elle sa profonde gratitude à la Fondation Carnegie et notamment à son

conseil d’administration, présidé par M. Bot, et à son directeur général,

M. Steven van Hoogstraten , au Gouvernement des Pays-Bas, ainsi qu’à l’Organisation des

Nations Unies, pour le soutien financier qu’elle a apporté.

Nos chaleureux remerciements vont aussi aux personnes et sociétés qui ont permis à la

nouvelle grande salle de justice de voir le jour : l’architecte principal, Marijke van der Wijst ;

l’architecte adjoint, Julian Wolse ; la créatrice du tapis, Annet Haak ; les chefs de projet,

Edwin van Eeckhoven et Corne Noordam ; le coordinateur de la Fondation Carnegie, - 4 -

Guido Bennebroek ; l’entreprise Smeulders, qui a fourni le nouveau siège, la cabine technique et

les cabines d’interprétation ; l’entreprise ERCO, qui a conçu l’éclairage de la salle ;

l’entreprise Verkaart, qui s’est occupée de tous les aspects techniques de la rénovation, tels que

l’installation de l’air conditionné et des cabines d’interprétation ; l’entreprise Du Prie, pour les

travaux de restauration de la salle ; et l’entreprise Vitra, qui a fourni le mobilier.

12 Puisse la grande salle de justice qui fait office, depuis 90 ans, de sanctuaire de la paix et

de la justice internationales et voit éclore le règlement pacifique de différends continuer de

promouvoir et de renforcer la primauté du droit sur le plan international.

*

Excellences, Mesdames et Messieurs, c’est la première fois que la Cour se réunit depuis la

disparition, le 13 février 2013, de notre ancien estimé collègue , le juge Pieter Kooijmans, membre

de la Cour de 1997 à 2006. Son épouse, Mme Jeanne Kooijmans-Verhage, est aujourd’hui parmi

nous dans la grande salle de justice.

C’est avec une profonde tristesse que les membres de la Cour ont appris le décès du

juge Kooijmans, qui représente une perte immense pour les Pays-Bas, pour la communauté

juridique internationale et pour le droit international et la justice, au service desquels il a œuvré

avec une autorité exemplaire. En tant que juge de la Cour internationale de Justice, M. Kooijmans

était particulièrement respecté pour ses qualités morales et humaines, son savoir et ses

compétences. En tant que juriste, il était unanimement salué pour sa sagesse, sa perspicacité et son

pragmatisme, ainsi que son sens aigu du compromis et ses jugements mesurés.

Aucun d’entre nous n’oubliera le brillant concours que le juge Kooijmans a apporté à

l’importante mission de la Cour, la faisant profiter de toute son expérience et de toutes ses

connaissances dans les nombreuses affaires auxquelles il a participé, et servant ainsi la cause de la
paix et de la justice internationales. Nous nous souviendrons également de l’importance

particulière qu’il attachait aux droits de l’homme, omniprésents dans ses travaux.

Au cours de sa longue et illustre carrière juridique, le juge Kooijmans a également été

membre de la Cour permanente d’arbitrage, président du conseil d’administration de l’Académie de - 5 -

droit international de La Haye et maître de conférence dans cette même académie, président de la

branche néerlandaise de la International Law Association, membre du comité de rédaction de la

Netherlands International Law Review, et professeur de droit international public à l’Université

libre d’Amsterdam et à l’Université de Leyde. Il a également occupé de nombreux autres postes

importants.

13 La carrière politique et diplomatique du juge Kooijmans est tout aussi illustre ; je me

contenterai de rappeler qu’il a occupé les fonctions de secrétaire d’Etat, puis de ministre des

affaires étrangères des Pays-Bas, avant d’être nommé ministre d’Etat.

Dans toutes les fonctions qu’il a occupées, M. Kooijmans s’est acquitté de ses

responsabilités avec une compétence et un professionnalisme remarquables. En reconnaissance des
services rendus à son pays, la reine Beatrix l’a nommé chevalier de l’ordre du Lion des Pays-Bas,

commandeur de l’ordre d’Orange-Nassau et chevalier de l’ordre du Lion d’or de la maison de

Nassau.

Nous connaissons le dévouement dont le juge Kooijmans faisait preuve à l’égard de sa

famille et espérons que Mme Kooijmans, ses enfants et leurs proches trouveront soutien et

réconfort dans les souvenirs communs de leur cher disparu.

Au nom des membres de la Cour et de moi-même, du greffier et de l’ensemble des

fonctionnaires du Greffe, permettez-moi de leur présenter nos sincères condoléances. Nos pensées

les accompagnent en ce moment difficile.

Je vous demanderai de bien vouloir vous lever et observer une minute de silence en la

mémoire du juge Peter Kooijmans.

Veuillez-vous asseoir. Je vous remercie.

*

* *

The PRESIDENT: The Court meets today to hear the oral arguments of the Parties in the

case concerning the Request for Interpretation of the Judgment of 15 June 1962 in the Case

concerning the Temple of Preah Vihear (Cambodia v. Thailand) (Cambodia v. Thailand). - 6 -

Since the Court does not include upon the Bench a judge of the nationality of either of the

Parties, both Parties have availed themselves of the right, under Article 31, paragraph 3, of the

Statute, to choose a judge ad hoc. Mr. Gilbert Guillaume, chosen by Cambodia, and

Mr. Jean-Pierre Cot, chosen by Thailand, were both installed as judges ad hoc in the case on
14

30 May 2011 at the opening of the hearings on the request for the indication of provisional

measures submitted by Cambodia.

*

I shall now recall the principal steps of the procedure in this case.

On 28 April 2011, the Kingdom of Cambodia filed in the Registry of the Court an

Application instituting proceedings in which, referring to Article 60 of the Statute of the Court and

Article 98 of the Rules of Court, Cambodia requests the Court to interpret the Judgment which it

delivered on 15 June 1962 in the case concerning the Temple of Preah Vihear (Cambodia v.

Thailand). In its Application, Cambodia asks the Court in particular to declare that the

1962 Judgment is founded on the prior existence of a recognized international frontier between the

two States, defined by the map on the basis of which the Court established Cambodia’s sovereignty

over the Temple of Preah Vihear.

On the same day, after filing its Application, Cambodia, referring to Article 41 of the Statute

and Article 73 of the Rules of Court, also filed a request for the indication of provisional measures

in order to ―cause [the] incursions [by Thailand] onto its territory to cease‖, pending the Court’s

ruling on the request for interpretation of the 1962 Judgment.

By an Order of 18 July 2011, the Court, after rejecting Thailand’s request for the case to be

removed from the General List of the Court, found that it had prima facie jurisdiction and indicated

certain provisional measures.

By letters from the Registrar dated 20 July 2011, the Parties were informed that the Court,

pursuant to Article 98, paragraph 3, of the Rules of Court, had fixed 21 November 2011 as the

time-limit within which Thailand could file written observations on Cambodia’s request for

interpretation. - 7 -

On 21 November 2011, within the time-limit thus prescribed, Thailand filed its written

observations on Cambodia’s request for interpretation.

By a letter dated 22 November 2011, the Agent of Cambodia indicated to the Court that his

Government requested ―a period of approximately two weeks for its initial study of [Thailand’s

15 written] observations‖, followed by a ―time-limit of three months for its response to those

observations‖.

By letters of 24 November 2011, the Registrar informed the Parties that the Court had

decided to afford them the opportunity of furnishing further written explanations, pursuant to

Article 98, paragraph 4, of the Rules of Court, and had fixed 8 March 2012 and 21 June 2012 as the

time-limits for the filing by Cambodia and Thailand, respectively, of such further explanations.

Each of the Parties filed the latter within the time-limits thus prescribed.

By a letter of 2 March 2012, the Agent of Thailand requested the Court to afford the Parties

the opportunity of furnishing further oral explanations. In a letter of 7 March 2012, the Agent of

Cambodia informed the Court that his Government did not object thereto.

By letters of 22 June 2012, the Registrar informed the Parties that the Court had decided to

afford them the opportunity of furnishing further oral explanations, pursuant to Article 98,

paragraph 4, of the Rules of Court.

*

In accordance with Article 53, paragraph 2, of the Rules of Court, the Court, after

ascertaining the views of the Parties, decided that copies of the pleadings and documents annexed

would be made accessible to the public on the opening of the oral proceedings. Further, all these

documents, including their annexes, will be placed on the Court’s website as from today.

* - 8 -

I note the presence at the hearing of the Agents, counsel and advocates of the two Parties. In

accordance with the arrangements regarding the organization of the procedure which have been

decided by the Court, the hearings will comprise a first and a second round of oral argument.

*

16 The first round of oral argument will begin today and will close on Wednesday

17 April 2013. The second round of oral argument will begin on Thursday 18 April 2013 and

come to a close on Friday 19 April 2013.

*

The Kingdom of Cambodia, which is the Applicant in the case, will be heard first.

In view of my speech this morning, the Cambodian delegation may, if necessary, continue

for ten minutes or so beyond 1 p.m.

I shall now give the floor to H.E. Mr. Hor Namhong, Agent of the Kingdom of Cambodia.

Your Excellency, you have the floor.

Mr. HOR NAMHONG:

1. Mr. President, Members of the Court, it is with great emotion and a sense of the gravity of

the occasion that I once again appear before you today as Agent representing the Kingdom of

Cambodia.

2. Our task here is to bring to an end proceedings at the close of which the Court will render

its final decision in the case now before us. I would therefore emphasize the gravity of this

occasion for my country, and express my wish to see the Court reach a decision on the

interpretation of the 1962 Judgment that will finally bring closure to this dispute, which has for

many years bedevilled relations with our neighbour, Thailand. It is now time to establish between

our two countries friendly and peaceful relations, imbued with a constructive spirit.

Cambodia desires this more strongly than ever. - 9 -

3. As is my duty, I shall leave it to Cambodia’s counsel to reply to the various legal

arguments developed by Thailand in its series of written pleadings. My task is to recall the context

of this case, a context which requires your Court to take a decision of fundamental importance for

peace, friendship and co-operation between our two countries, and for the region in general.

4. Before doing so, I should like to express my sincere thanks to the Court for having

allowed Cambodia and Thailand to give full expression to their views in the course of these

proceedings; you have been kind enough to allow both countries a full cycle of written and oral

pleadings, thus demonstrating the importance that you attach to the case brought before you by
17
Cambodia. Cambodia would like to believe that this is not simply a matter of chance, but follows

from the solid nature of the arguments on the basis of which this case has been submitted to you.

5. I should like to begin by briefly reminding you of the reasons why Cambodia has returned

to the Court 50 years after the original Judgment. I shall describe to you the situation on the

ground today, in particular in relation to the provisional measures ordered by your Court in

July 2011; the attitude of Thailand in relation to that situation; what Cambodia is asking for; and

why it is incumbent upon this Court, at the close of these proceedings, to hand down a proper

interpretation.

I. HE RECENT HISTORY

6. Why is Cambodia coming back to the Court 50 years after the Judgment of 15 June 1962?

Cambodia considers that its action is in no way redundant, but indeed results from a compelling

need to return to this Court in order to elucidate the correct interpretation to be given to the original

Judgment, so as to settle the dispute as to the meaning and scope of that 1962 Judgment.

7. As we know, this need arises out of the acts of armed aggression carried out by

Thailand then governed by Prime Minister Abhisit Vejjajiva against Cambodia between 2008

and 2011 on the frontier between the two countries in the region of the Temple of Preah Vihear,

since Cambodia’s successful attempt to have the Temple registered as a UNESCO World Heritage

Site in 2008, in the face of strong opposition from Thailand. Without those acts of armed - 10 -

aggression, Cambodia would have continued in the peaceful enjoyment of its sovereignty in that

region. It is thus the registration of the Temple as a UNESCO World Heritage Site that represents

the starting-point for the armed incidents, as well as the claim for 4.6 sq km in the proximity of the

Temple, as specifically set out in a publication of the Thai Foreign Affairs Ministry of

December 2011, entitled Information that the Thai People Should Know, and various other

Thai publications.

8. Mysteriously, in its Written Explanations of 21 June 2012, Thailand appears to forget this

series of military attacks between 2008 and 2011 against a poorly armed Cambodia, accompanied

by the destruction of property including parts of the Temple itself and a number of deaths

and injuries as a result of these acts of armed aggression. Thailand thus seeks to have you ignore

18 the reason why it is necessary for this Court to rule on the proper interpretation to be given to the

1962 Judgment. That is hardly surprising since, having resurrected the tensions which Cambodia

regarded as a thing of the past, Thailand pretends to be unaware of the fact that there does indeed

exist a dispute between the two countries over the interpretation of the 1962 Judgment.

9. It was indeed, however, those events which impelled Cambodia, having failed to achieve a

diplomatic settlement with the Thai Government at that time that is to say, the Government of

Mr. Abhisit Vejjajiva to return to the International Court of Justice. Thailand’s inconsistent

attitude shows in particular that that State has never truly accepted the solution in the

1962 Judgment. It is true that, after a certain amount of prevarication, Thailand would finally

appear to have accepted the Judgment of 15 June 1962, but its interpretation of that Judgment, as

can basically be seen from its attitude since 2008, demonstrates that it has always sought to

minimize its meaning and scope. And that is the reason why Cambodia finds itself today obliged to

put before this Court the question of the meaning and precise scope of the 1962 Judgment.

II. HE SITUATION TODAY

10. Sadly, Cambodia can only deplore the current situation in the Temple region, since the

bilateral negotiations on the withdrawal of troops from the Provisional Demilitarized Zone, - 11 -

in accordance with the provisional measures decided on by this Court on 18 July 2011, have failed

—contrary to Cambodia’s desire for a rapid simultaneous withdrawal. At the meetings of the

―Joint Working Group‖, created at Thailand’s request in December 2011 and charged with the

withdrawal of troops from the Provisional Demilitarized Zone, Thailand has constantly come up

with pretexts for not complying with your Order of 18 July 2011. This was the case at the three

meetings held between April and December 2012. As a result, it has not been possible to put in

place the Indonesian observers responsible, under the auspices of ASEAN, for monitoring the

withdrawal of troops from the Temple area pending your final judgment.

11. Cambodia can but regret this defiance of your jurisprudence, which makes the

implementation of provisional measures binding on both parties. In Thailand’s White Book of

December 2011, which Cambodia has added to the case file, it is stated, inter aliaand I quote

19 ―Thailand wants Cambodia to withdraw its armed forces and any Cambodian peoples from the area

occupied by the Temple of Phra Viharn, from the market and from the Keo Sekkha Kiri Svara

pagoda, before Indonesian observers are allowed to enter those areas.‖ In the Court’s decision of

18 July 2011, there was never any request for the withdrawal of a population which had been living

peacefully in that area for decades, an area described here, wrongfully and contrary to law, as a

―colony‖. That expression seeks to have you believe that Cambodia had settled its nationals on

Cambodian-occupied Thai territory located outside its own area of sovereignty, whereas the

Cambodian population in question was living in an area adjacent to the Temple, in territory under

Cambodian sovereignty.

12. In reality, Thailand continues to press for a hypothetical negotiation on a frontier

delimitation under the Memorandum of Understanding of the year 2000. Thailand seeks to make

that Memorandum the basis for a future delimitation of the frontiers between the two States,

whereas the Memorandum of Understanding stricto sensu relates only to demarcation, for the

frontier in the Temple region has already been delimited by the Annex I map, as your

1962 Judgment made clear. - 12 -

III. HAILAND S ATTITUDE

13. In effect, in Thailand’s view, there is no dispute and, according to an expression which it

uses a number of times, the 1962 Judgment, and in particular its operative part, is ―crystal clear‖.

That somewhat ironic statement is, moreover, in line with the tone adopted by Thailand in its

written pleadings, which contain a mix of bad faith, irony and even contempt, as well as arguments

that vary from the absurd to the repetitive.

14. In reality, looking beyond the tone of its pleadings, Thailand is seeking once again to

reconstruct the 1962 Judgment. It introduces elements of confusion into the debate, in particular by

developing a so-called dispute over the cartographic evidence, or in refuting claims that it itself has

raised, such as the question of the 4.6 sq km perimeter claimed by it in its White Book of

December 2011, to which I have already referred.

15. The truth is, Mr. President, Members of the Court, that Thailand is now at a loss to

20 defend a position that is both contradictory and untenable, and is doing everything in its power to

delay a judgment which Cambodia, on the contrary, would like to see as quickly as possible, with a

view to obtaining clarification of the situation. Such delaying tactics are notoriously employed by

States whose position lacks any sound foundation. Thailand’s refusal to accept the presence of

Indonesian observers, to which I have already referred, is further evidence of this.

IV. W HAT C AMBODIA IS ASKING FOR

16. As it has already explained in the previous phases, what Cambodia is seeking to attain is

an authentic and definitive interpretation of the 1962 Judgment. This is not an issue relating to

implementation of the Judgment, nor does it concern the delimitation of the frontier, since this has

already been delimited by the Annex I map, on which the Court based itself in order to render its

Judgment in 1962. The point at issue here is one ―as to the meaning or scope‖ of the Judgment of

15 June 1962.

17. The question before the Court relates to the sovereignty and territorial integrity of

Cambodia in the Temple area, since the 1962 Judgment clearly states that the Temple of

Preah Vihear is situated in territory under the sovereignty of Cambodia, and requests Thailand - 13 -

to withdraw its troops from the Temple and its vicinity on Cambodian territory. But how can such

withdrawal be understood otherwise than in relation to the sole map the Annex I map on

which your 1962 Judgment was based — and for the simple reason that the latter has been

recognized by Thailand as being the frontier between the two States in this region of the Temple of

Preah Vihear?

18. In other words, it is not a delimitation that Cambodia is seeking that already exists

but an interpretation of the operative paragraph of the Judgment of 15 June 1962. In attempting to

divert attention from the basic issues, Thailand is seeking to sow doubt in the minds of the Court as

to the meaning of the question put to it.

19. It follows that, in Cambodia’s view, the correct interpretation of that Judgment is that

Cambodia has sovereignty over an area of territory whose limits in the Temple region are described

in the Annex I map, on which the Court placed total reliance throughout the decision reached by it

in 1962, with the corollary that there is an obligation continuing over time for the withdrawal of

Thai troops to the boundaries of that territory.

21 20. In conclusion, the importance attributed by Cambodia to the Court’s decision goes well

beyond the simple perimeter involved; what is at stake is a very powerful symbol of the relations

between the two States, a symbol on which depend peace and security, and peaceful and friendly

co-existence between Cambodia and Thailand. Cambodia believes that this Court, as the principal

judicial organ of the United Nations, plays a fundamental role in peaceful relations between

peoples. In the absence of an interpretation of the Judgment of 15 June 1962, the resultant

maintenance of the status quo would be very likely to have unfortunate consequences, perpetuating

an obstacle to the need for the two States to live together in a friendly, peaceful and co-operative

environment. Cambodia accordingly awaits with some impatience the decision that you will take

in order to bring to a close a chapter of conflict in its relations with its neighbour in the region of

the Temple of Preah Vihear, which, as we know, is of the greatest historical, political and cultural

importance for the Cambodian people. - 14 -

21. Armed confrontations in 2008, 2009 and 2011 have caused irreparable damage to

architectural elements of the Temple itself, the heritage of humanity; above all, they have resulted

in a pointless loss of human lives, injuries and population displacements. Over and above the

specific legal aspects, that is a reality which cannot be ignored by this Court which, as we all know,

carries so much influence and weight in terms of the conduct of States.

22. Mr. President, Members of the Court, I thank you for your attention and I ask you kindly

to give the floor to Professor Jean-Marc Sorel. Thank you.

The PRESIDENT: Thank you, Deputy Prime Minister. I now give the floor to

Professor Jean-Marc Sorel. You have the floor, Sir.

Mr. SOREL:

1. Mr. President, Members of the Court, it is a very great honour for me to appear before you

again on behalf of the Kingdom of Cambodia in these interpretation proceedings. After the general

presentation by His Excellency the Deputy Prime Minister, Agent of the Kingdom of Cambodia, it

falls to me to indicate how we propose to respond to the various arguments presented by Thailand

22 in its written pleadings, and in particular in its Further Written Explanations of 21 June 2012.

Cambodia will do this by presenting briefly in turn: first, a summary of Cambodia’s view of the

case before you in straightforward terms; then, Cambodia’s overall impression on reading

Thailand’s Written Observations and, in particular, the main arguments put forward by that State;

and lastly, the structure of Cambodia’s response.

I. ASTRAIGHTFORWARD QUESTION OF INTERPRETATION
OF THE 1962 J UDGMENT

2. Even if Thailand is seeking to immerse us in a complex, winding, non-linear argument, it

is necessary to summarize Cambodia’s approach to the case before you in a straightforward way. It

concerns the interpretation of the second paragraph of the operative clause of the Judgment of

15 June 1962, in the light of the first paragraph, bearing directly on Thailand’s obligation to

withdraw its troops stationed at the Temple or in its ―vicinity on Cambodian territory‖. - 15 -

Consequently, the reference to Cambodia’s territory can be understood only in the light of what the

Court says about the acceptance by both Parties of the Annex I map as showing the frontier line in

the region of the Temple. This central and fundamental ground, which is almost the only ground

indicated by your Court, is therefore inseparable from the operative clause. It follows that the

obligation to evacuate troops is a continuing obligation which must be understood in connection

with the line on the Annex I map. Thailand’s unilateral and deliberately restrictive interpretation of

the Judgment therefore cannot be accepted. That is Cambodia’s straightforward and unambiguous

understanding of the 1962 Judgment. Unfortunately, Thailand’s understanding of it is very

different and consequently there is clearly a dispute over the interpretation of the Judgment. This is

clear from a reading of Thailand’s written pleadings.

II. W HAT IS C AMBODIA ’S IMPRESSION AND UNDERSTANDING
OF THAILAND ’S ARGUMENTS ?

3. Cambodia’s impression can be summed up under three headings: the tone used, the

organization of the arguments, and their content.

23 4. As regards the tone used, it is often ironic, condescending, or even contemptuous.

The irony underlying Thailand’s observations is indeed not devoid of condescension.
1
Thus, Cambodia’s ―paranoia‖ is denounced . [I leave it to the Registry to include the detailed

footnotes and references in the verbatim record of this pleading.] Likewise, the irony shows

through on several occasions, such as when certain of Cambodia’s arguments are deemed to be

―Alice-in-Wonderland-like‖ ; 2 Cambodia might well prefer to cite Jane Austen’s ―Pride and

Prejudice‖ as characterizing Thailand’s arguments. Admittedly, we can recognize a certain wit —

for example when the ―dispositif implicite‖ becomes the ―dispositif par accident‖ — but this irony

is not enough to mask a weak line of argument that is concealed behind a casual tone. But it goes

beyond that when the tone becomes more contemptuous, in particular when Thailand refers to

―misrepresentation, distortion and irrelevancy‖ in the arguments set out in Cambodia’s Response.

1
Further Written Explanations of the Kingdom of Thailand (hereinafter ―FWETh‖), 21 June 2012, Vol. 1,
para. 1.15.
Ibid., para. 1.27.

Ibid., para. 2.52.
4
See heading C, FWETh, Vol. 1, p. 17 - 16 -

This seems rather to demonstrate Thailand’s difficulty in responding to Cambodia’s arguments,

otherwise it would appear unnecessary to repeat the same argument over and over, as Thailand

does.

5. The organization of the arguments is just as telling. Thailand considers that the original

case is not one of delimitation and that Cambodia is seeking to obtain today something it did not

obtain in the 1962 Judgment, namely that the Annex I map is indeed the one which, having been

accepted by the two Parties, defines the frontier in the region of the Temple. Thailand’s leitmotiv

is that there is no link between the grounds and the operative clause, thus making the Annex I map

irrelevant and the Application inadmissible. The impression is that there is no overall

co-ordination, that Thailand’s response could have been made in 20 or so pages, but at least we can

gather that, in Thailand’s view, the operative part is ―crystal clear‖, which has not always been the

case since 1962, as will be demonstrated in due course.

6. The most significant aspect is probably to be found in the content of the arguments.

Generally, Thailand tries to suggest that it is ―natural‖ for the Temple to be situated in Thailand,

24 even if the Court attributed it to Cambodia in 1962 by mistake. And, in a manner of speaking, it

tells the Court that that mistake must not be perpetuated by an interpretation of its Judgment clearly

defining the territory in which the Temple is situated. In doing this, Thailand strangely ends its

review of the historical background before 2007, and says almost nothing about the armed

incidents which it provoked in reprisal for the Temple’s inclusion on UNESCO’s World Heritage

List. Of course, that would contradict one of Thailand’s central arguments, namely that Cambodia

purportedly acquiesced in the separation in place since 1962, because we may then ask how armed

incursions by Thailand could take place in a territory which it claims to be its own and to control,

incursions which are the basis for Cambodia’s determination to ask the Court for a clear

interpretation of the 1962 Judgment, and which are attested by the provisional measures adopted by

your Court. - 17 -

7. In addition, Thailand’s tortuous reasoning in its Written Observations of

21 November 2011 and its Further Written Explanations of 21 June 2012 makes it possible to

distinguish three stages corresponding to three successive lines of defence. First, according to

Thailand, there is no conflict of interpretation, but merely a disagreement as to the application or

implementation of the 1962 Judgment, and therefore the Court has no jurisdiction and the

Application is inadmissible. Secondly, however, if the Court were to hold that it had jurisdiction

and to declare the Application admissible, an interpretation would not be possible because the

operative clause must be read in isolation, thereby obviating the need to take account of the

grounds in the interpretation, since they are not res judicata. Moreover, according to Thailand, the

operative clause is unambiguous. Third and last, if the Court were ultimately to decide to interpret

its 1962 Judgment, that interpretation could only be favourable to Thailand, because the Court

would have to recognize that the issue is a territorial dispute and not a frontier dispute; that

consequently the Annex I map is not relevant, but another body of evidence is; that it is therefore

possible for Thailand to delimit the frontier unilaterally; that the Memorandum of Understanding

of 14 June 2000 exists to settle the frontier dispute; that the withdrawal of Thai troops from the

vicinity of the Temple demanded in 1962 does not have a continuing character; and, lastly, that

Cambodia altered the import of the dispute between its Application and its Further Written

Explanations by thenceforth stressing the first paragraph of the 1962 Judgment instead of the

second paragraph, on which Cambodia is said to have initially based its Application. That is quite

25 a lot. Indisputably, Thailand’s unbridled argument is marked by a certain agitation and

accompanied by a lack of a confidence that prompts doubts as to its coherence.

8. Thailand believes that it is simpler, at the end of the day, to assert that Cambodia does not

reply to its arguments, the idea being to lead the Court to recast the 1962 Judgment, in other words

to remake the decision, should the Court agree to interpret its Judgment. However, this is futile,

because it is not a question of remaking the Judgment or even of going back over the proceedings

from 1959 to 1962; those must be the starting-point. Cambodia has always asserted that the - 18 -

question at issue started with the 1962 Judgment it did not end there. Lastly, Thailand manages

quite magnificently to reverse the Court’s reasoning, and it has great difficulty in grasping what

interpretation proceedings are.

9. In respect of all these points, Cambodia will now provide suitable responses, organized as

follows.

10. First of all, Sir Franklin Berman will set out Cambodia’s arguments concerning the

Court’s jurisdiction and the admissibility of the request for interpretation filed by Cambodia. He

will show that the facts clearly establish that there is a set of interrelated disputes which entirely

meets the criteria laid down by the Court for the interpretation of a judgment under Article 60 of

the Statute of the Court, and that the arguments in Thailand’s replies have no sound basis in the

light of the 1962 Judgment.

11. My colleague Rodman Bundy will then take the floor and his presentation will focus on

two aspects. First he will show, on the basis of proven facts in this case, that there is undeniably a

dispute between the Parties as to the meaning and scope of the 1962 Judgment.

Consequently, Cambodia’s request for interpretation is without question fully admissible.

Secondly, he will discuss the various arguments put forward by Thailand in its Written

Observations with a view to undermining the importance of the Annex I map in the light of the

―different versions‖ of that map which have purportedly recently been discovered by Thailand, and

also in the light of other maps which played no part in the Court’s 1962 Judgment. As my

colleague will show, the only map which was at the centre of the Court’s decision was the one

produced by Cambodia and called the Annex I map in its Application and Memorial in the

proceedings from 1959 to 1962.

26 12. To conclude this day of pleadings, may I ask you, Mr. President, to give me the floor

again this afternoon. It will then be time to return to the reasoning which Thailand deploys in order

to achieve what it is seeking, namely a strict separation of the grounds and the operative part of the

1962 Judgment. However, as will be demonstrated, the inseparable nature of the grounds and the

operative part entails consequences that Thailand prefers to ignore. Thus it is impossible to define

a frontier unilaterally in opposition to the grounds, just as it is impossible to make a clear - 19 -

distinction between a territorial dispute and a delimitation dispute, as Thailand wishes. To achieve

its purposes, Thailand is obliged to reverse the Court’s 1962 reasoning completely, disregarding the

most basic logic, so as to bring about a sly recasting of the 1962 Judgment, as opposed to

Cambodia’s consistent reading of the first and second paragraphs of the operative clause, taken

together.

13. To begin this demonstration, I should be grateful, Mr. President, if you would give the

floor to my colleague Sir Franklin Berman.

THE PRESIDENT: Thank you, Professor Sorel. Je donne à présent la parole à

Sir Franklin Berman. Sir Franklin, nous allons entendre votre plaidoirie, que vous pouvez, à votre

convenance, nous présenter d’une seule traite ou interrompre au moment qui vous semblera

opportun pour prendre une pause.

Sir Franklin BERMAN : Monsieur le président, j’avais justement l’intention d’indiquer le

moment où nous pourrions marquer une pause. Je n’y manquerai pas, puisque tel est également

votre souhait.

Le PRESIDENT : Très bien, je vous en remercie.

Sir Franklin BERMAN :

C OMPÉTENCE ET RECEVABILITÉ

1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, au sentiment d’honneur que

j’éprouve toujours lorsque je plaide à la Cour s’ajoute aujourd’hui, alors que je vais une nouvelle

fois m’adresser à elle au nom du Royaume du Cambodge, la conscience de la lourde responsabilité

27 qui m’incombe. Cette responsabilité est lourde non seulement parce que la présente instance revêt

une importance cruciale pour le Cambodge et pour les relations pacifiques de coopération dans la

région, comme l’agent vient de nous le dire avec tant d’éloquence, mais aussi parce qu’une - 20 -

demande en interprétation particulièrement lorsque les circonstances qui l’entourent sont sans

précédent met en jeu de la façon la plus directe l’intégrité du processus judiciaire de la Cour et

le caractère obligatoire et définitif de ses arrêts, comme indiqué dans la Charte des Nations Unies et

dans le Statut de la Cour elle-même. Si je suis certain que la partie adverse sera d’accord avec moi

sur ce point, je crains qu’elle n’en tire des conséquences différentes.

Interprétation en vertu du Statut de la Cour

2. Monsieur le président, la procédure d’interprétation est intégrée au Statut lui-même. Et si

l’en est ainsi, c’est pour garantir que, en cas de difficultés suscitées par la compréhension et

l’application d’un arrêt officiellement prononcé par la Cour, celle-ci, à la demande de l’une ou

l’autre des Parties, peut être saisie de nouveau et que cette procédure aboutira à une déclaration

authentique, faisant autorité, et surtout définitive sur la manière dont l’arrêt initial doit être

interprété et compris. J’insiste sur le mot «définitive» car cette qualité émane du fait même que

c’est à la Cour qu’incombe le devoir d’expliquer aux Parties quel sens donner à son arrêt.

Autrement dit, c’est tout le contraire d’un nouveau bras de fer entre les Parties en présence au sujet

de ce que la Cour avait ou n’avait pas décidé ; c’est l’antithèse absolue d’une situation dans

laquelle une Partie se braque, décide elle-même ce que l’arrêt doit signifier et s’emploie à imposer

cette interprétation.

3. Monsieur le président, une demande en interprétation adressée à la Cour n’exige aucun

autre consentement des Parties au-delà de celui qu’elles ont donné à l’origine lorsque la Cour a été

saisie du différend. Ce point est important en ce qu’il montre que cette faculté d’interpréter est

inhérente au processus par lequel la Cour règle, avec force obligatoire, le différend dont les Parties

l’ont saisie. En d’autres termes : l’objectif du processus d’interprétation, tel qu’énoncé à

l’article 60 du Statut, est de renforcer la situation juridique qui résulte de l’arrêt, et de le faire avec - 21 -

toute la clarté que des objectifs opérationnels peuvent exiger. La question a été exposée avec

exactitude et précision par la Cour permanente dès 1927 dans sa décision sur l’interprétation de ses

arrêts dans l’affaire de l’usine de Chorzów :

28 «la Cour est d’avis que, par l’expression «interprétation», [dans l’article 60], il faut
entendre l’indication précise du «sens» et de la «portée» que la Cour a entendu
attribuer à l’arrêt en question» (Interprétation des arrêts n 7 et 8 (Usine de Chorzów),
arrêt n 11, 1927, CPJI série A n 13, p. 10.

4. L’interprétation ne vise ni à refaire ni à défaire ce que la Cour a déjà fait. Je compte que

là aussi la Partie adverse sera de notre avis, car je vois mal comment il pourrait en être autrement.

A tout le moins, elle pourrait accepter la proposition en théorie, puis vous inviter, Mesdames et

Messieurs de la Cour, à envisager différemment ce que cela signifie dans la pratique.

5. C’est dans ce contexte que la Cour devra finalement apprécier les affirmations

concurrentes des Parties : celles de la Thaïlande (qui, nous le démontrerons, sont entièrement

dénuées de fondement) selon lesquelles le seul but du Cambodge dans cette procédure est d’amener

la Cour à une décision qu’elle n’avait délibérément pas prise en 1962 ; et l’affirmation du

Cambodge (que nous étayerons, entre autres, au moyen des pièces que la Thaïlande cherche

aujourd’hui à présenter à la Cour), à savoir que toute l’argumentation de la Thaïlande jusqu’à ses

conclusions finales vise à persuader les membres de la Cour que leurs prédécesseurs se sont

trompés en 1962, qu’ils ne pouvaient pas vouloir dire ce qu’ils ont dit et que la Cour a aujourd’hui

la possibilité de remédier à cette situation en révisant ce qui avait alors été décidé de manière

définitive et avec force obligatoire.

6. Monsieur le président, le Cambodge est parvenu à la triste conclusion que, fort

probablement, il ne servira à rien de poursuivre cette querelle, les deux Etats n’ayant pu arriver à

une compréhension commune de l’arrêt de 1962 et de ses incidences au cours des 50 dernières

années. De plus, le Cambodge a pu faire l’expérience récemment et de façon extrêmement

violente, des conséquences graves pour la paix dans la région d’une situation qui, mettait en danger

des vies humaines, empêchait une existence normale et se soldait malheureusement trop souvent - 22 -

par des dégâts matériels causés directement à ce site des plus sacrés qui la Thaïlande continue

de le souligner était au cœur même de la question examinée par la Cour en 1962.

Des diapositives et autres images frappantes de ces dégâts ont été montrées à la Cour il y a

deux ans lors de la procédure relative aux mesures conservatoires. [Diapositives montrant les

dégâts causés au temple par des tirs d’armes lourdes]. Pareil comportement est intolérable entre

29 deux voisins civilisés. Et il ne sera plus possible lorsque la Cour aura donné sa propre explication

définitive du sens et de la portée de son arrêt. Voilà pourquoi nous sommes ici aujourd’hui.

7. Monsieur le président, permettez-moi de le dire à ce stade aussi clairement et simplement

que possible : le Cambodge attend de cette procédure que la Cour élucide le sens et la portée de son

arrêt de 1962, en se fondant sur la manière dont ces termes et concepts ont été constamment définis

au fil des ans par elle et celle qui l’a précédée, et rien d’autre. Je peux le dire sans la moindre

hésitation car je ne fais que répéter ce que le Cambodge a indiqué dans sa demande en

interprétation et répété dans ses observations écrites. J’invite donc la Partie adverse, lorsqu’elle

prendra la parole, à dire la même chose, tout aussi clairement et simplement, à savoir qu’elle ne

cherche pas à obtenir de la Cour l’admission d’une erreur passée. Si la Partie adverse agit de la

sorte, elle deviendra partenaire dans le processus qui consiste à aider la Cour à interpréter sa

décision dans l’arrêt de 1962, et c’est là une évolution dont le Cambodge serait très heureux, que

les Parties continuent ou non de différer sur ce que devrait être l’interprétation de l’arrêt.

Compétence et recevabilité

8. J’en viens à présent, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, à un

ensemble de points sur lesquels je peux dire sans hésiter qu’il n’existe aucun désaccord entre les

Parties.

9. Premièrement, et tout particulièrement, les Parties s’accordent sur le fait qu’il appartient

maintenant au Cambodge de démontrer que sa demande en interprétation est recevable et qu’elle

relève des pouvoirs que la Cour tient de son Statut. La Thaïlande affirme, dans ses observations - 23 -

écrites de novembre 2011 (par. 4.1), que «c’est à présent qu’il … incombe [à la Cour] de se livrer à

une analyse en règle des arguments avancés par la Thaïlande sur la recevabilité de cette demande».

Aucune des deux Parties ne conteste le fait que ces questions n’ont pas été réglées de manière

concluante par l’ordonnance du 18 juillet 2011 par laquelle la Cour a fait droit à la demande en

indication de mesures conservatoires présentée par le Cambodge.

Compétence

10. Je me propose donc de commencer par la question de la compétence, sur laquelle je ne

m’attarderai pas, puisque la Thaïlande n’a soulevé à cet égard aucun point important. Il est

parfaitement établi que le pouvoir d’interprétation dont la Cour est investie en application de
30

l’article 60 de son Statut est un pouvoir automatique et inhérent ou, selon ses propres termes, que

«[s]a compétence … pour interpréter l’un de ses arrêts est une compétence spéciale qui résulte

directement de l’article 60 du Statut» (Demande en revision et en interprétation de l’arrêt

du 24 février 1982 en l’affaire du Plateau continental (Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne)

(Tunisie c. Jamahiriya arabe libyenne), arrêt, C.I.J. Recueil 1985, p. 216, par. 43). La Cour l’a

répété dans son ordonnance en indication de mesures conservatoires en la présente affaire, en

ajoutant que «la compétence que l’article 60 du Statut [lui] confère … n’est subordonnée à

l’existence d’aucune autre base ayant fondé, dans l’affaire initiale, sa compétence à l’égard des

parties» (Demande en interprétation de l’arrêt du 15 juin 1962 en l’affaire du Temple de

Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande) (Cambodge c. Thaïlande), mesures conservatoires,

ordonnance du 18 juillet 2011, p. 6, par. 21). J’ajouterai simplement qu’il est établi de longue date

que, lorsque les conditions visées à l’article 60 sont réunies, «la Cour ne p[eut] se soustraire à

l’obligation d’interpréter l’arrêt dans la mesure nécessaire» (Interprétation des arrêts n 7 et 8

(usine de Chorzów), arrêt n 11, 1927, C.P.J.I. série A n° 13, p. 12). Cette citation est, elle aussi,

tirée de l’arrêt de la Cour permanente au stade de l’interprétation de l’arrêt rendu en l’affaire

relative à l’usine de Chorzów. - 24 -

Les conditions de recevabilité

11. Il n’existe pas non plus de désaccord entre les Parties sur le fait que la recevabilité de la

demande en interprétation du Cambodge dépend de trois conditions qui doivent être satisfaites

indépendamment les unes des autres :

a) Il doit exister une contestation entre les Parties à un différend dans lequel la Cour a rendu un

arrêt.

b) Cette contestation doit concerner le sens ou la portée de l’arrêt.

c) L’interprétation sollicitée doit porter sur des points que la Cour a tranchés avec force

obligatoire.

Ces conditions ont été énoncées dans de nombreuses affaires, à commencer par la décision

de 1927 de la Cour permanente que je viens de mentionner.

12. Précisons que la troisième condition (qui veut que l’interprétation demandée porte sur les

points réglés avec force obligatoire) englobe également le cas où la contestation entre les Parties

porte sur la question de savoir si un point particulier a, ou non, été tranché avec force obligatoire.

31 C’est, là encore, le cas de la décision rendue par la Cour permanente dans l’affaire relative à l’usine

de Chorzów.

La Thaïlande contestant que ces conditions soient satisfaites, c’est sur ce point que portera

principalement cette partie de la discussion. Les autres questions qu’elle a soulevées seront

examinées dans la suite de mon intervention ou dans celle de mon confrère qui me succèdera

devant la Cour.

L’existence d’une contestation

13. J’entends à présent démontrer qu’il existe bel et bien entre le Cambodge et la Thaïlande

une contestation concernant l’interprétation de l’arrêt de 1962. Je commencerai, pour cela, par

examiner la jurisprudence constante de la Cour sur le sens de la notion de «contestation concernant

l’interprétation», puis me pencherai sur les éléments que la Cour a régulièrement examinés, dans un

certain nombre d’affaires, pour établir l’existence d’une telle contestation. - 25 -

14. Monsieur le président, la définition classique que la Cour donne de la notion de

«contestation» est tellement connue qu’elle n’a guère besoin d’être rappelée. Toutefois, pour ce

qui est du type particulier de contestation portant sur le sens et la portée d’un arrêt dont il est

ici question, il convient de se référer, une fois encore, à la Cour permanente, qui, dès 1927, a

énoncé que, «la Cour estime ne pas pouvoir exiger que la contestation se soit formellement

manifestée ; à son avis, il doit suffire que les deux Gouvernements aient en fait manifesté des

opinions opposées quant au sens et à la portée d’un arrêt de la Cour» (Interprétation des arrêts

n 7 et 8 (usine de Chorzów), arrêt n 11, 1927, C.P.J.I. série A, n° 13, p. 11 ; les italiques sont de

nous).

Un peu plus loin dans ce même arrêt, la Cour permanente observe : «Il s’agit donc de savoir

si une telle divergence de vues s’est, en fait, manifestée entre les deux Gouvernements dans le cas

présent, quant au sens et à la portée des arrêts n 7 et 8.» (Ibid., p. 12, les italiques sont de nous.)

Cette position a été régulièrement entérinée par la présente Cour, laquelle a récemment

affirmé, dans l’affaire Avena, qu’«il n’est pas exigé, aux fins de l’article 60 «que l’existence de la

contestation se soit manifestée d’une certaine manière, par exemple par des négociations

diplomatiques» (Demande en interprétation de l’arrêt du 31 mars 2004 en l’affaire Avena et autres

ressortissants mexicains (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique) (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique),

32 mesures conservatoires, ordonnance du 16 juillet 2008, C.I.J. Recueil 2008, p. 325-326, par. 54),

précisant qu’il n’est pas non plus exigé que «la contestation se soit formellement manifestée»

(ibid., p. 326, par. 54).

15. Monsieur le président, au vu des arguments hautement contradictoires présentés à ce

stade de l’instance, le Cambodge a du mal à comprendre sur quel fondement la Thaïlande croit

pouvoir prétendre qu’il n’existerait «aucune contestation» entre les deux Etats. Il est on ne peut

plus clairement démontré que «les deux Gouvernements [ont] en fait manifesté des opinions

opposées quant au sens et à la portée d’un arrêt de la Cour» et qu’une divergence de vues à cet

égard «s[’est], en fait, manifestée entre les deux Gouvernements», pour reprendre les termes - 26 -

employés par la Cour permanente en 1927. En conséquence, si en affirmant qu’il n’existe «aucune

contestation», la Thaïlande veut surtout présenter un argument sur la question de savoir si la

contestation concerne réellement l’interprétation de l’arrêt de 1962 en d’autres termes, sur la

teneur et l’objet du différend , la réponse à ce point figure dans la suite de mon exposé. A ce

stade, pour autant que nous puissions discerner un quelconque fondement à cette absence alléguée

de contestation, l’argument sous-jacent consiste, semble-t-il, à affirmer que seule la lecture des

écritures dans la présente procédure elle-même permet de découvrir ce que le Cambodge considère

être le différend en l’espèce, ce qui, pour une raison ou pour une autre, serait irrecevable.

La détermination d’une «contestation» aux fins de l’interprétation

16. Cet argument semble comporter deux volets : premièrement, par le passé, le Cambodge a

accepté l’interprétation que la Thaïlande avait de l’arrêt de 1962 et ne saurait à présent revenir sur

cette acceptation ; et, deuxièmement, les conclusions des Parties dans la procédure relative à

l’interprétation ne sauraient elles-mêmes être utilisées ni pour établir l’existence d’une contestation

portant sur l’interprétation, ni pour en définir la portée.

17. Le premier de ces deux arguments est essentiellement factuel, et M. Bundy démontrera à

la Cour que, en tant que tel, il est dépourvu de tout fondement. Je ne ferai qu’une seule observation

en guise d’introduction à son intervention sur le sujet, à savoir que rien dans l’article 60 ou dans les

arrêts précédemment rendus par la Cour elle-même ne permet d’affirmer qu’une partie à une

procédure contentieuse peut, par le comportement qu’elle adopte ultérieurement, modifier ou

«sacrifier» le véritable sens de ce que la Cour a décidé dans son arrêt. Pareil raisonnement va

fondamentalement à l’encontre de la manière dont le Statut et la Cour à son tour considèrent

l’interprétation authentique comme une partie intégrante de la fonction judiciaire de la Cour. C’est

pour cette raison qu’aucune autre base de compétence n’est nécessaire, que l’article 60 fait de la

33 fonction d’interprétation de ses propres arrêts un devoir incombant à la Cour et de cette

interprétation authentique la contrepartie du caractère définitif des arrêts de la Cour qui ne sont pas

susceptibles de recours. La Thaïlande veut transformer un arrêt en une sorte d’accord entre les - 27 -

parties en litige, dont l’interprétation peut dépendre de leur pratique ultérieure ; ce faisant, elle nuit

gravement à l’intégrité de la fonction judiciaire. Toutes observations que nous avons faites il y a

quelques temps dans nos conclusions écrites, mais qui sont demeurées sans réponse.

18. De même, le second argument relatif à l’utilisation des conclusions dans les procédures

d’interprétation ne trouve aucun fondement dans la pratique antérieure de la Cour. Poussé à son

paroxysme, le raisonnement de la Thaïlande dans ce contexte consiste à dire que, bien que, dans sa

demande, le Cambodge ait démontré l’existence d’une contestation pertinente, il a depuis modifié

sa position pour tenter de construire artificiellement une contestation portant également sur le

premier point du dispositif de l’arrêt de 1962, et la Thaïlande nous reproche de «n’a[voir]

découvert cette contestation qu’après avoir déposé [notre] demande en interprétation» (supplément

d’information du Royaume de Thaïlande, par. 1.6). Or, ce que nous avons effectivement affirmé

dans notre réponse, c’est que les observations écrites de la Thaïlande «rév[élaient] l’existence d’un

différend encore plus patent sur le sens et la portée de l’arrêt de 1962» (réponse du Royaume du

Cambodge, par. 1.7), affirmation que nous avons ensuite développée aux paragraphes 3.3 à 3.15.

Affirmer que les conclusions formellement présentées à la Cour dans le cadre d’une demande en

interprétation ne peuvent pas être prises en compte pour déterminer s’il existe véritablement une

contestation est contraire non seulement à la logique, mais également à la pratique antérieure de la

Cour. Il suffit, pour s’en convaincre, de se reporter au paragraphe 29 de l’arrêt récemment rendu

par la Cour sur la demande en interprétation présentée en l’affaire Avena :

«C’est à la Cour elle-même qu’il appartient de déterminer s’il existe
effectivement une contestation …

Pour ce faire, la Cour a notamment examiné les observations écrites et
suppléments d’information des Parties en cherchant à identifier leur position.».
(Demande en interprétation de l’arrêt du 31 mars 2004 en l’affaire Avena et autres
ressortissants mexicains (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique) (Mexique c. Etats-Unis
d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 12-13, par. 29 ; les italiques sont de nous.)

C’est un passage sur lequel nous nous fondons pour confirmer notre point de vue. - 28 -

34 Objet de la contestation

a) Le lien entre le premier et le deuxième points du dispositif

19. Monsieur le président, j’en viens à présent à la question capitale de l’objet de la

contestation. Nous devons bien entendu commencer par la question que le Cambodge a posée à la

Cour dans le cadre de sa demande en interprétation, question qui figure au dernier paragraphe de

ladite demande, et qui est reprise en termes identiques au dernier paragraphe de la réponse du

Cambodge aux observations écrites de la Thaïlande et dont le texte, je suis heureux de le

constater, est actuellement projeté sur vos écrans. Ainsi que l’observera la Cour, la question que le

Cambodge lui a posée porte rigoureusement sur le dispositif de l’arrêt de 1962, et en particulier sur

le deuxième point dans lequel est énoncée l’obligation de retrait. Par souci de commodité pour la

Cour, le texte intégral du dispositif de l’arrêt est à présent projeté sur vos écrans, ainsi que celui de

la question posée par le Cambodge. Cela vous permettra de constater immédiatement que le

deuxième point du dispositif c’est-à-dire celui sur lequel porte la question posée par le

Cambodge n’est pas indépendant, mais qu’il est organiquement lié au premier point : l’un est la

«conséquence» de l’autre, c’est ce que l’arrêt dit expressément. Mais les deux points sont

également liés par une symbiose plus profonde. La notion de «territoire du Cambodge» y est

employée dans les deux : dans le premier, c’est le temple qui «est situé en territoire relevant de la

souveraineté du Cambodge» ; dans le deuxième, c’est la Thaïlande qui est tenue de retirer, entre

autres, tous les éléments de forces armées ou de police qu’elle a installés dans le temple «ou dans

ses environs situés en territoire cambodgien». Le Cambodge soutient que la notion de

«territoire cambodgien» doit avoir le même sens dans les deux points.

20. Alors, quelle est la position de la Thaïlande sur ces deux propositions fondamentales ?

Eh bien, elle les rejette toutes les deux. Elle nie que le deuxième point dépende du premier et tente

de conférer la première place au deuxième point, pour en faire l’élément principal et, de la sorte, le

faire dépendre de l’interprétation du premier point, au mépris de la hiérarchie juridique entre ces

deux éléments et du fait que le sens de l’obligation de retrait est influencé et déterminé par la

conclusion relative à la souveraineté. - 29 -

21. Les vues de la Thaïlande et du Cambodge divergent radicalement en ce qui concerne la

relation entre les deux principaux points du dispositif de l’arrêt, et le Cambodge soutient que, de ce

simple fait, il existe entre les Parties une contestation sur le sens et la portée de l’arrêt.
35

b) L’obligation de retrait prévue au deuxième point du dispositif

22. Monsieur le président, je vais à présent concentrer mon propos sur l’obligation de retrait

énoncée au deuxième point sur lequel, comme je l’ai dit, porte la demande en interprétation

formellement présentée par le Cambodge , et, plus particulièrement sur le caractère continu de

cette obligation. Tout au long de cette procédure, le Cambodge a soutenu que l’obligation de retrait

avait un caractère continu et, de fait, nous sommes d’avis qu’interpréter en ce sens cette obligation

est la seule manière de donner un effet rationnel et pratique à la décision prise par la Cour en 1962.

Ainsi que je l’ai dit au cours de la phase orale de la procédure relative aux mesures conservatoires,

toute autre lecture de ce point aurait pour effet pernicieux de permettre à la Thaïlande de redéployer

ses troupes sur le terrain une semaine après les en avoir retirées, au lendemain du prononcé de

l’arrêt. C’est évident, tout comme il nous paraît également évident que la Cour ne peut pas avoir

entendu s’exposer à pareille absurdité. Si bien que le Cambodge est et demeure fermement

convaincu du caractère continu de l’obligation imposée à la Thaïlande au deuxième point de l’arrêt.

b) i) Le caractère continu de l’obligation de retrait

23. La position de la Thaïlande sur cette question élémentaire est pourtant surprenante.

Les conseils ont maintes fois répété, au sujet de la demande en indication de mesures

conservatoires, que l’obligation de retrait était «ponctuelle et instantanée», ou «immédiate et

instantanée», ou même tout simplement «instantanée», ce que la Thaïlande a ensuite réitéré dans

ses observations écrites de novembre 2011 (par. 4.25). Elle y indiquait que les deuxième et

troisième points du dispositif prescrivaient les mesures à prendre et que, «[p]ar définition, ces

obligations s’éteign[aient] dès lors que les mesures prescrites [avaient] été prises», ce qui revenait à

répéter la théorie de l’«instantanéité» de l’obligation de retrait. Et la Thaïlande en rajoute

évidemment une couche de façon assez sibylline néanmoins , en faisant observer que le - 30 -

Cambodge ne s’était plaint du retrait thaïlandais, ni après le jugement, ni pendant des années par la

suite, ce qui est inexact, comme M. Bundy le prouvera ultérieurement. Nous continuons de penser

que la Cour a forcément eu l’intention de donner un caractère continu à l’obligation énoncée dans

le deuxième point. Quoi qu’il en soit, les conclusions écrites de la Thaïlande se terminent au

36 paragraphe 4.103 v) de son supplément d’information par un déni absolu du caractère continu de

l’obligation de retrait.

24. Peut-être la position de la partie thaïlandaise a-t-elle légèrement évolué ; ce n’est pas tout

à fait clair. Dans son supplément d’information, en date du 21 juin de l’année dernière,

la Thaïlande maintient qu’elle s’est «acquittée immédiatement» de l’obligation de retrait en 1962

(par. 4.102). Cette formulation ne peut signifier qu’une chose : l’obligation n’est plus d’actualité.

Mais juste avant, la Thaïlande reconnaît, de manière limitée, le caractère continu de l’obligation qui

lui est faite de rester à l’extérieur des zones en question, ou du moins de certaines zones, mais elle

tente alors de faire croire qu’il s’agit là d’obligations lui incombant en vertu du droit international

général, dont elle affirme catégoriquement qu’elles «ne dépend[ent] ni de l’arrêt ni de l’organe

judiciaire qui l’a rendu». On ne sait pas bien si cela confirme ou infirme ce qui est dit au

paragraphe 3.81 du supplément d’information, à savoir que les Parties conviennent que «la

Thaïlande est tenue de ne pas avoir de troupes installées dans la zone que la Cour a octroyée au

Cambodge», et qu’il importe peu que l’obligation découle du droit international général ou de la

conclusion particulière énoncée par la Cour en 1962 sur la base de cette obligation générale. Ainsi,

poursuit la Thaïlande, aucune question d’interprétation ne se pose.

25. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, de toute évidence, ce

raisonnement est hypocrite. Evidemment que la Thaïlande est tenue, en vertu du droit international

général, de ne pas envahir ni occuper le territoire relevant de la souveraineté du Cambodge, et il est

d’ailleurs inimaginable qu’un Etat thaïlandais respectueux du droit envisage de le faire. Mais là

n’est pas la question, pas plus que cela ne l’était lorsque la Cour a rendu son arrêt en 1962. La

question était de savoir à quel endroit, à quelles zones cette obligation se rapportait. Si la réponse

avait été claire et incontestée à l’époque entre les Parties, il n’y aurait pas eu de raison de porter - 31 -

l’affaire devant la Cour, et celle-ci n’aurait pas prononcé une obligation de retrait. La Cour a

apporté à cette question une réponse contraignante, qui, selon nous, le reste aujourd’hui. S’il y

avait une nouvelle incursion des forces armées thaïlandaises dans ces zones, disons, la semaine

prochaine, à la fin des audiences, comme cela s’est produit récemment, nous ne soutiendrions pas

que cette incursion serait contraire au droit international ; de toute évidence, elle le serait. Nous

dénoncerions un manquement de la Thaïlande à la conduite qu’elle était tenue d’adopter en

37 application de l’arrêt de 1962. Est-il pensable qu’en réponse la Thaïlande admette avoir enfreint,

en connaissance de cause, l’arrêt de la Cour, mais prétende qu’il s’agissait là d’un nouveau

différend qui, malheureusement, ne pouvait être soumis à la Cour, puisqu’elle n’en acceptait plus la

juridiction obligatoire en vertu de la clause facultative ? J’ai du mal à l’imaginer. Non, la

Thaïlande répondrait qu’il n’y avait pas violation parce que les zones en question n’étaient pas

visées par l’arrêt. C’est là le parfait exemple d’une contestation portant sur le sens ou la portée

d’un arrêt de la Cour, qui illustre à merveille la raison pour laquelle nous faisons valoir qu’il existe

un lien inextricable entre les premier et deuxième points du dispositif de l’arrêt de 1962.

Cet exemple explique aussi précisément pourquoi le Cambodge, espérant mettre un terme à cette

situation déplaisante, prie à présent la Cour de rendre une décision faisant autorité et définitive sur

le sens et la portée de l’obligation de retrait.

26. Il revient désormais à la Partie adverse de dire une fois pour toutes si elle reconnaît que

l’obligation de retrait a, en vertu de l’arrêt de la Cour, un caractère continu et qui perdure. Si tel

n’est pas le cas, alors il existe, sans l’ombre d’un doute, contestation sur ce point, laquelle fonde la

compétence de la Cour pour trancher par voie d’interprétation.

b) ii)Le sens du mot «retrait»

27. Monsieur le président, j’en arrive à présent à un élément crucial du contenu de

l’obligation de retrait, c’est-à-dire la nature de ce retrait, le sens de l’expression «se retirer».

La Thaïlande semble envisager cette obligation de façon abstraite et incomplète, comme s’il

s’agissait d’une sorte de mouvement. Ce qui est essentiel, c’est que le concept de «retrait» signifie - 32 -

forcément non seulement que l’on se retire de quelque part, mais pour se rendre ailleurs. On ne sait

pas bien si la Thaïlande reconnaît ou non ce fait incontournable, parce qu’elle passe tout

simplement la question sous silence. On nous dit et on nous répète avec la plus grande assurance

que la Thaïlande s’est bel et bien «retirée» en 1962 et que, ce faisant, elle s’est acquittée de

l’obligation découlant de l’arrêt qui est désormais éteinte. Mais on ne nous a jamais dit quelles

unités avaient été retirées, où elles se trouvaient à l’époque et où elles avaient été envoyées.

Ce dernier point est essentiel : où ont-elles été déplacées ? Faute d’information, comment savoir si

la Thaïlande peut légitimement affirmer qu’elle a respecté l’arrêt à l’époque ? Sur ce point

essentiel, le Cambodge avance un argument simple : en restreignant l’obligation de retrait à un

38 territoire «ou ses environs situés en territoire cambodgien» la Cour a ordonné que l’ensemble

des unités thaïlandaises se retirent du territoire cambodgien, ce qui signifiait forcément qu’elles

devaient retourner en territoire thaïlandais. Cela nous ramène inexorablement au lien intrinsèque

entre le premier et le deuxième points, dans la mesure où tous deux parlent de «territoire» : le

premier mentionne le «territoire» en tant que postulat de départ pour déterminer l’appartenance du

temple au Cambodge, tandis que dans le deuxième le «territoire» désigne l’espace dont,

«en conséquence», la Thaïlande a l’obligation de se retirer. Naturellement, survient alors une

nouvelle contestation sur la question de savoir si l’expression «territoire cambodgien» dans le

deuxième point doit se comprendre, à la suite du premier point, comme étant celui délimité par la

frontière convenue entre les deux parties à des fins conventionnelles et identifiée, comme telle par

la Cour. Il s’agit là aussi d’une contestation ayant trait au sens et à la portée de l’arrêt. Tout

comme la Cour dit expressément qu’elle ne peut décider si le temple est situé en territoire relevant

de la souveraineté cambodgienne sans tenir compte de ce qui constitue la frontière et de son tracé,

il est impossible de juger du retrait du territoire cambodgien des forces thaïlandaises qui s’y

trouvaient sans tenir compte de la ligne frontière qui sépare les territoires relevant respectivement

de la souveraineté cambodgienne et de la souveraineté thaïlandaise. - 33 -

28. Le refus de la Thaïlande de reconnaître ce raisonnement en tout et même en partie établit

sans ambiguïté l’existence d’une contestation, ou d’une série de contestations liées entre les

Parties ; aussi brillants et habiles soient-ils, nos collègues de la Partie adverse auront bien du mal à

nier que ces contestations telles que je les ai exposées, portent sur l’interprétation de la décision

que la Cour a rendue avec force obligatoire en 1962.

c) Le statut de la carte de l’annexe I

29. Enfin, Monsieur le président, je ne décevrai pas la Partie adverse : je vais me référer

brièvement à un élément auquel la Cour a consacré, selon nos prudentes estimations, 12 des

36 pages de son arrêt de 1962. Je veux bien entendu parler de la carte de l’annexe I. J’ai presque

l’impression de vous devoir des excuses, compte tenu des violentes réactions que toute référence à

cette carte provoque du côté thaïlandais. Pourtant, c’est la Thaïlande qui est obnubilée par la carte

de l’annexe I, pas le Cambodge. Tout ce que le Cambodge essaye de faire, c’est de dégager, par

une analyse juridique minutieuse, le statut que l’arrêt de 1962 donnait à cette carte. En refusant

avec indignation l’idée que l’arrêt a donné un quelconque statut à la carte, la Thaïlande crée encore

39 une contestation, qui porte celle-là sur la question de savoir si tel point a ou non été décidé avec

force obligatoire dans l’arrêt ; or, il est établi depuis 1927 que ce type de contestation relève de la

faculté d’interprétation que le Statut confère à la Cour.

30. En résumé, comme nous l’avons exposé en détail au paragraphe 5.9 de la réponse du

Cambodge aux observations écrites de la Thaïlande, au moins trois contestations opposent les deux

Etats parties à la présente instance. Toutes trois se rapportent directement au dispositif de l’arrêt

de 1962 et nécessitent donc incontestablement l’interprétation de ce que la Cour a décidé avec

force obligatoire dans son arrêt ; ou alors tout aussi incontestablement , elles portent sur la

question de savoir si tel point a été décidé avec force obligatoire, conformément à la jurisprudence

constante de la Cour. - 34 -

Monsieur le président, je suis arrivé au milieu de mon exposé. La Cour souhaite-t-elle

suspendre l’audience ?

Le PRESIDENT : Oui, je vous remercie, sir Franklin. Le moment est bien choisi pour

prendre une pause de dix minutes. L’audience est suspendue.

L’audience est suspendue de 11 h 30 à 11 h 45.

Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. L’audience est reprise. J’invite sir Franklin à

poursuivre. Veuillez continuer.

Sir Franklin BERMAN :

Position de la Thaïlande

31. Merci, Monsieur le président. Avant la pause, j’ai brièvement expliqué pourquoi la

demande du Cambodge était recevable. La Thaïlande n’a pas réellement de réponse à donner sur

quelque point que ce soit. Pour tenter de démontrer l’irrecevabilité de la demande en interprétation

déposée par le Cambodge, elle s’appuie essentiellement sur les arguments suivants exposés par

M. Sorel :

1. Le statut que l’arrêt attribue à la carte de l’annexe I ne fait pas partie de la res judicata ;

2. Le Cambodge tente d’obtenir aujourd’hui ce qui lui a échappé en 1962.

32. Les deux arguments sont fallacieux et n’ont rien à voir avec la question de recevabilité.

40 Mais avant de m’y intéresser, je voudrais d’abord présenter à la Cour un document très important

qui n’est disponible que depuis peu. Ce document revêt de l’importance pour de si nombreux

aspects de la présente procédure que j’aimerais m’y attarder. Il serait donc bon que les membres de

la Cour l’aient à l’écran. [Projeter l’annexe 5.] Le document figure à l’annexe 5 du supplément

d’information déposé par le Royaume de Thaïlande en juin dernier. C’est donc un document

thaïlandais et il n’a été possible de l’examiner qu’à un stade très tardif de cette procédure en

interprétation. Ce document a été «déclassifié le 26 mai 2011» comme il est indiqué sur la page de

couverture ainsi qu’à l’intérieur du document lui-même où la mention «confidentiel» figurant en

haut et en bas de chaque page a été barrée. - 35 -

La décision adoptée en 1962 par le conseil des ministres du Royaume de Thaïlande

33. Le document représente la «résolution du conseil des ministres» relative à l’application

de l’arrêt de la Cour de 1962 sur laquelle la Thaïlande fonde une grande partie de ses arguments

dans la présente procédure. Plus précisément, il consiste en une brève note, que vous voyez à

l’écran, datée du 11 juillet 1962 et contenant une décision adoptée la veille par le conseil des

ministres. S’y ajoute un document de deux pages émanant du ministre de l’intérieur et daté

du 6 juillet qui représente manifestement le document que le conseil des ministres examinait à sa

réunion ; une carte à petite échelle (1 :5 000) y est jointe ; elle représente le promontoire sur lequel

le temple est édifié. Les conditions dans lesquelles le document a finalement été mis à disposition

ne manquent pas non plus d’intérêt. Elles montrent que ce n’est qu’à la toute fin du second tour de

procédure écrite que la Cour, exceptionnellement, a décidé d’ordonner que la Thaïlande mette ce

document à disposition dans le cadre de la présente procédure.

34. Que dit la Thaïlande à ce sujet ? Que le document «n’ajoute rien à la compréhension de

ce qui s’est produit» (SIT, par. 1.34). Là encore, quelle mauvaise foi ! Le Cambodge n’est pas de

cet avis : maintenant que ce document est disponible dans son intégralité, nous pouvons en voir

toute l’importance. Permettez-moi de me référer à la page qui est à l’écran et qui contient la

décision prise par le conseil des ministres ; comme vous pouvez le voir, rien n’indique qu’il y ait eu

décision raisonnée, le conseil a fait un choix, sans justification ou logique, entre deux possibilités.

Pour en savoir davantage, il faut se référer au document qui figure aux deux pages suivantes et qui
41

apparaît maintenant sur vos écrans. Ce document contient la note présentée par le ministre de

l’intérieur au premier ministre et par ce dernier au conseil des ministres, pour décision. Il y est

indiqué (au deuxième paragraphe) que la note a été élaborée après consultation avec toutes les

autorités qui s’étaient occupées de l’affaire, le ministère des affaires étrangères et les services

cartographiques thaïlandais et, bien entendu le ministère de l’intérieur lui-même.

35. Et que le ministre de l’intérieur propose-t-il au conseil des ministres ? Le document qu’il

lui présente porte comme il convient sur des questions d’application et de respect de l’arrêt de la

Cour ainsi que sur son exécution et sur la manière de déterminer «la limite des environs du temple» - 36 -

dans le contexte de l’obligation incombant à la Thaïlande de retirer ses forces. Il s’agit là

vraisemblablement d’une référence implicite au deuxième point du dispositif de l’arrêt dont j’ai

parlé ce matin. Tout cela semble très satisfaisant jusqu’à ce qu’on arrive à la fin de la phrase en

question qui se lit comme suit : «en vertu du principe selon lequel le Cambodge obtiendra

uniquement les ruines du temple … et le sol sur lequel le temple était érigé».

36. Il est ensuite indiqué (début du troisième point que ce qui est appelé les environs du

temple «peuvent être déterminés suivant deux méthodes, à savoir … », et celles-ci sont alors

décrites et illustrées par la carte jointe qui apparaît maintenant sur vos écrans. L’une consiste à

tracer une figure abstraite de forme triangulaire qui semble partir du coin des bâtiments du temple

eux-mêmes, et si vous regardez la carte à l’écran, vous voyez que le caractère abstrait de cette

forme est illustré par des lignes droites, la ligne jaune et la ligne rouge, qui limitent le triangle nord.

Les autres limites de ce triangle en sont les deux côtés les plus longs à l’est et à l’ouest, ce qui

coïncide en partie avec le faîte de l’escarpement celui-là même, comme la Cour s’en souviendra,

qui formait une partie de la «ligne de partage des eaux» présentée par la Thaïlande comme le tracé

de la frontière dans l’affaire et dont la Cour a refusé de confirmer qu’il constituait un règlement

conventionnel entre les deux Etats.

37. Nous passons maintenant à la seconde possibilité, l’autre «méthode» : la figure obtenue

est tout en rouge et toute aussi abstraite. La Thaïlande ne l’appelle pas un triangle mais un

rectangle bien que, en fait, les lignes rouges tracées sur la carte le montrent, il s’agit encore

42 fondamentalement d’un triangle, mais cette fois-ci la limite occidentale est formée par une autre

ligne droite arbitraire allant du nord au sud et dont le tracé suit de près les ruines du temple du côté

est. Les rédacteurs du document ont eu la bonté de nous éviter d’avoir à calculer la différence de

superficie entre les zones obtenues à partir de ces deux méthodes laquelle n’est pas négligeable :

la première méthode permet d’obtenir une zone d’un demi-kilomètre carré et l’autre, cela tombe

bien, une zone d’un quart de kilomètre carré. Voilà donc, les deux «possibilités». Et laquelle le

conseil des ministres choisit-il ? Vous ne serez pas surpris d’apprendre qu’il a opté pour celle qui

est moitié moins grande. - 37 -

38. Enfin, dans le dernier paragraphe du document (la deuxième page du document du

ministre de l’intérieur) celui-ci et ses collègues proposent et le premier ministre est

manifestement d’accord puisqu’il transmet le document au conseil des ministres l’installation

des panneaux indiquant «la limite des environs du temple» que nous avons vu par la suite dans les

photographies présentées par le Royaume de Thaïlande. Il est question de l’installation de ces

panneaux dans le document mais pas de celle de barbelés qui a été manifestement suggérée par le

conseil des ministres lui-même, comme le confirme le dernier paragraphe de sa résolution qui

figure à la première page du document.

Les conséquences de la résolution adoptée en 1962 par le conseil des ministres thaïlandais

39. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, ce document tout à fait

révélateur fait apparaître très clairement un certain nombre d’éléments essentiels. Permettez-moi

de vous en exposer quelques-uns (et il y en a d’autres, j’en suis certain) :

1) Le document est purement interprétatif, de quoi d’autre pourrait-il s’agir, étant donné qu’il

fallait faire un choix entre deux méthodes pour interpréter une citation de l’arrêt ?

2) Cette interprétation ne saurait être plus unilatérale, puisqu’elle nous a été cachée (même dans la

présente affaire) et qu’elle a été portée à notre connaissance il y a seulement dix mois.

43 3) Outre son caractère interprétatif, le document concerne précisément la partie de l’arrêt sur

laquelle porte la demande en interprétation actuelle du Cambodge, c’est-à-dire le deuxième

point du dispositif.

4) Il constitue aussi la preuve irréfutable de ce que le Cambodge dit dans ses écritures au sujet de

l’opposition entre interprétation et exécution : les deux choses sont différentes, mais la logique

veut que l’«exécution» découle de l’«interprétation».

5) Ce document fait pièce à l’argument que la Thaïlande ne se lasse pas d’avancer, à savoir que

l’arrêt est «limpide», qu’il n’a pas besoin d’être interprété et qu’il ne se prête à aucune

interprétation. Interpretatio cessat in claris, selon la formule employée de manière si

engageante dans le supplément d’information ; la formule ut interpretatio non contentos adjuvet

me semble en l’occurrence plus adaptée. - 38 -

6) En outre, Monsieur le président, les deux interprétations avancées sont purement arbitraires et

abstraites, comme le montrent les lignes droites tracées sur la carte. Aucune justification n’est

donnée et il n’est pas non plus expliqué pourquoi elles correspondraient, sur le terrain, à ce que

la Cour a décidé. Les deux interprétations diffèrent largement, une zone étant deux fois plus

grande que l’autre.

7) Le choix du conseil des ministres entre ces deux interprétations est tout aussi arbitraire et

abstrait, aucune indication ne l’expliquant.

8) En outre, il ne s’agit pas simplement d’un arrangement administratif relatif à un retrait, qui

n’aurait aucune incidence sur le territoire ou une frontière interétatique. Loin de là : ainsi qu’il

a déjà été indiqué, non seulement ce document est censé reposer sur le «principe» selon lequel

le Cambodge «obtiendra[it]» uniquement les ruines du temple et le territoire sur lequel celui-ci

était érigé, mais il indique aussi clairement et expressément que «les environs du temple» seront

déterminés de façon que «le Cambodge dispose de la souveraineté en application de l’arrêt de

la Cour internationale». Ce sont exactement les termes employés dans le premier point du

dispositif et la preuve éclatante que la Thaïlande a toujours reconnu, dès le début, le lien

invoqué par le Cambodge en la présente instance celui qui existe nécessairement entre les

premier et deuxième points du dispositif. La Thaïlande savait donc parfaitement qu’elle

cherchait à donner de l’arrêt une interprétation portant aussi bien sur le premier point que sur le

deuxième.

44 40. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, que dit maintenant la

Thaïlande de son propre document, qu’elle a finalement accepté de nous montrer ?

Au paragraphe 1.13 du supplément d’information déposé en juin dernier, elle affirme :

a) qu’elle «n’a pas donné sa propre interprétation du terme «environs» employé dans l’arrêt

de 1962 et n’a pas cherché à l’imposer par l’emploi de la force». Cette affirmation est

manifestement absurde : je viens de démontrer qu’elle s’est indiscutablement livrée à une

interprétation et que le conseil des ministres a décidé de sa propre initiative d’ajouter la mise en - 39 -

place de barbelés, à la proposition qui lui avait été présentée, ; et les documents déjà soumis à la

Cour à un stade antérieur montrent qu’il était évident à l’époque, même pour des observateurs

extérieurs, que quiconque franchirait la clôture essuierait des coups de feu. De quoi était-il

question, sinon d’une décision unilatérale à imposer, si nécessaire par l’emploi de la force ?

b) qu’il ne s’agissait pas vraiment d’une «frontière» mais simplement d’une ligne de retrait, et que

les barbelés visaient autant à maintenir ses propres soldats de son côté que les Cambodgiens du

leur. Mais à quoi bon «se retirer» et installer des barbelés derrière soi, si ce n’est pour créer une

«frontière» ? Et pourquoi dire qu’une ligne de retrait sert à contenir ses propres soldats, si ce

n’est pour affirmer que le territoire sur lequel ils doivent être maintenus est le sien ? De plus,

comme je l’ai montré, le document ministériel thaïlandais montre avec une clarté désarmante

qu’il s’agissait de démarquer la zone que le Cambodge «obtiendrait», et qu’elle était liée à la

«souveraineté» cambodgienne conformément à l’arrêt de la Cour. La Cour a peut-être relevé

que l’agent de la Thaïlande a évoqué, au stade des mesures conservatoires, une politique

cambodgienne prétendument délibérée «d’empiétement progressif sur le territoire thaïlandais

au-delà de la ligne dite du conseil des ministres de 1962» . Et, comme nous pouvons à présent

le constater rétrospectivement, la touche finale se présente, bien sûr, sous la forme de la carte

produite unilatéralement par la Thaïlande en 2007, qui apparaît maintenant à l’écran, censée

représenter rien de moins qu’une ligne frontière qui suit l’ancienne ligne de partage des eaux,

jusqu’à la ligne arrêtée par le conseil des ministres, à l’endroit où le tracé de la prétendue

frontière présente une petite encoche, comme la trace du rasoir sur le menton, avant de rejoindre

l’ancienne ligne de partage des eaux et de la longer. Evidemment, la Thaïlande ne cesse de

45 revenir sur la manière dont le Cambodge traite cette carte et la question de savoir si celle-ci

contient ou non des éléments nouveaux. Elle peut dire ce qu’elle veut au sujet de la carte et de

ses sources, mais le document où figure cette découpure est resté confidentiel jusqu’en 2011

avant d’être rendu public l’année suivante dans le cadre de la présente procédure, ce qui montre

que la carte s’inscrit dans la même logique que d’autres mesures unilatérales prises par la

5 CR 2011/14, p. 11, par. 34 (Plasai). - 40 -

Thaïlande pour dénaturer l’effet de l’arrêt rendu par la Cour en 1962 en lui donnant la forme

d’une ligne frontière interétatique artificielle — arrêt qui, selon les affirmations actuelles de la

Thaïlande devant la Cour, ne saurait être interprété comme ayant établi la moindre frontière

dans la région en litige.

c) Voilà qui, Monsieur le président, nous ramène inexorablement à la question de l’interprétation.

Sur ce point, la Thaïlande se montre un peu plus souple en affirmant, à la fin du

paragraphe 1.13, que, si l’ancienne clôture de barbelés n’était pas une frontière, au moins elle

«correspondait bel et bien» à la zone sur laquelle la Cour avait centré l’examen de l’affaire ;

qu’est-ce qu’une évaluation de la «correspondance» avec la zone examinée par la Cour sinon

une forme d’interprétation ? Mais lorsqu’on en vient à l’arrêt de 1962, et précisément à la

question centrale, pour la Thaïlande, des «environs» du temple dont il est question dans le

deuxième point du dispositif, on découvre qu’il ne s’agit pas du tout d’une «interprétation»,

mais tout au plus d’une «appréciation» de ce que les «environs» représentent. Mais il semble

que cela soit sans importance car cette appréciation est «de bonne foi» et de surcroît

«solidement fondée». Et c’est là, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour,

que nous touchons à l’élément réellement révélateur : sur quoi cette «appréciation de bonne foi»

est-elle «solidement fondée» ? Dans le supplément d’information de la Thaïlande, nous lisons

qu’elle est solidement fondée «sur les arguments que les Parties avaient présentés à la Cour».

Voilà la phrase même employée par la Thaïlande à la fin du paragraphe 1.13 de son supplément

d’information, et nous pourrions nous y arrêter un instant pour en saisir pleinement les

conséquences. Le dispositif de l’arrêt de la Cour contient un terme précis qui génère une

obligation spécifique pour la Thaïlande. Celle-ci doit prendre des mesures pour s’y conformer,

et c’est ce qu’elle entend faire entre autres, en installant des barbelés destinée à faire office

de clôture. Mais malheureusement ce n’est pas simple parce que les termes employés par la

Cour dans le dispositif ne sont pas clairs, ou pas suffisamment clairs. Il faut donc leur donner

un sens, en d’autres termes, les interpréter. Comment s’y prendre pour leur donner le sens que,

soit dit en passant, vous avez l’intention de faire respecter dans les faits par autrui ? Vous vous - 41 -

livrez à une «appréciation» de ce qu’entendait la Cour qui, ô surprise, produit un résultat moitié

moins important que celui auquel vous étiez parvenu par une autre méthode. Sur quoi

46 fonde-t-on cette «appréciation» ? Non pas sur l’arrêt de la Cour, mais sur les arguments

présentés par les Parties dans les conclusions qu’elles lui ont soumises avant qu’elle ne rende

son arrêt ! C’est comme si l’arrêt de la Cour n’était que pure évanescence, telle l’apparition

furtive d’un point lumineux sur un écran, un événement passager qui tomberait ensuite dans les

oubliettes de l’histoire et pourrait être omis en toute sécurité pour que la discussion puisse

reprendre là où les Parties en étaient restées avant que la Cour ne se prononce.

Les tentatives faites par la Thaïlande pour marginaliser l’arrêt de la Cour

41. Monsieur le président, la position de la Thaïlande est tout simplement sidérante. Elle ne

reconnaît pas le moins du monde que le prononcé d’un arrêt de la Cour crée une situation juridique

nouvelle entre les Etats en litige. Pas plus qu’elle ne reconnaît que, si les effets de cette nouvelle

situation juridique doivent être interprétés à des fins pratiques, les éléments nécessaires à cette

interprétation doivent être recherchés dans l’arrêt lui-même, lequel comprend, bien entendu, le

raisonnement suivi par la Cour. A quoi donc servirait-il sinon de faire figurer les motifs dans une

décision motivée ? Toutefois, on comprend au moins pourquoi la Thaïlande consacre une si large

part de son argumentation dans la présente affaire à passer en revue les positions que les Parties

avaient fait valoir devant la Cour avant le prononcé de son arrêt, ainsi que la pratique des

deux Etats dans les années qui ont suivi : la stratégie adoptée consiste à minimiser les éléments de

la décision de la Cour en les «noyant» dans le bras de fer engagé de longue date entre les deux

Etats voisins. Le supplément d’information de la Thaïlande en fournit, comme la Cour pourra le

constater, une illustration saisissante au paragraphe 3.109, où la Thaïlande reproche au Cambodge,

l’Etat même qui cherche, par cette procédure, à réaffirmer et à consacrer la décision de la Cour,

d’avoir l’audace de laisser entendre qu’un arrêt de la Cour, une fois rendu, aurait «une existence

propre». En effet, Monsieur le président, nous affirmons qu’un arrêt de la Cour a une existence

propre, car il règle de manière définitive le différend dont la Cour a été saisie et crée de plein droit, - 42 -

entre les Parties, une nouvelle situation juridique qui devient immédiatement contraignante à leur

égard. C’est la raison pour laquelle le Cambodge s’estime parfaitement fondé à rappeler, une fois

encore, la grande réticence avec laquelle la Thaïlande a fini par accepter, en 1962, de se soumettre

à l’arrêt, et les contorsions auxquelles elle s’est alors livrée, affirmant qu’elle n’y consentait qu’en

raison de l’obligation prévue par la Charte des Nations Unies et non en conséquence directe de

l’arrêt.

47 Autorité de la chose jugée

42. Cela me conduit maintenant, Monsieur le président, à aborder la manière dont la

Thaïlande traite de la question de l’autorité de la chose jugée.

43. La Thaïlande ne répugne pas à réécrire les conclusions du Cambodge, comme le montre

de manière frappante le paragraphe 3.7 du supplément d’information, où elle voudrait faire croire

au lecteur que le Cambodge «prétend» que tous les éléments de l’arrêt de 1962, motifs et dispositif

confondus, sont revêtus de l’autorité de la chose jugée. Il s’agit d’une grossière contre-vérité sur

laquelle je ne m’attarderai pas davantage. Dans le même ordre d’idées, la Thaïlande cherche

invariablement, dans ses écritures, à éluder ce que la Cour a dit par le passé, ce qu’elle a énoncé sur

le statut des motifs dans le cadre du processus d’interprétation. La Cour a toujours affirmé que les

motifs ne peuvent faire l’objet d’une demande en interprétation sauf dans la mesure où ils sont

inséparables du dispositif. Inversement, si les motifs sont inséparables du dispositif, alors ils

relèvent du champ de la chose jugée et par conséquent, des pouvoirs d’interprétation de la Cour.

Le locus classicus est, à l’évidence, la demande d’interprétation en l’affaire Cameroun c. Nigéria,

où la Cour a dit : «Ces motifs sont inséparables du dispositif et la demande en interprétation remplit

donc, de ce point de vue, les conditions fixées par l’article 60 du Statut pour que la Cour ait

compétence pour en connaître» (Demande en interprétation de l’arrêt du 11 juin 1998 en l’affaire

de la Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria)

(Nigéria c. Cameroun), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1999 (I), p. 36, par. 11). - 43 -

44. Telle est la situation qui s’applique en l’espèce. Toutefois, à la différence de l’affaire

Cameroun c. Nigéria, la Cour n’a pas, en la présente instance, à apprécier la nature fondamentale

des motifs particuliers que le Cambodge invoque aux fins de la bonne compréhension du sens et de

la portée de l’arrêt, puisqu’elle l’a déjà fait en 1962. Il est précisé au tout début de son

raisonnement au bout de deux pages à peine , qu’elle «ne peut rendre une décision sur la

souveraineté dans la zone du temple qu’après avoir examiné quelle est la ligne frontière» (Temple

de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1962, p. 17).

Comme l’indique le Cambodge dans ses écritures, la Cour, par ces termes, a indiqué clairement et

simplement que la détermination de la ligne frontière et de son tracé dans la région en litige

constituait la base essentielle sur laquelle étaient fondées les décisions formelles qui seraient

énoncées plus bas dans le dispositif.

48 L’absence de tout fondement autre que la carte de l’annexe I dans l’arrêt

45. La tentative à laquelle se livre la Thaïlande, pour laisser entendre qu’il existait un

fondement juridique autre que la carte de l’annexe I est tout simplement ridicule, à la lumière de

l’arrêt lui-même. La partie adverse n’a rien trouvé de mieux à cet égard que la célèbre visite du

prince Damrong à Préah Vihéar en 1930, que la Cour elle-même a considéré comme «le plus

important» d’une série de faits que la Thaïlande avait tenté d’invoquer, telle le roi Canute luttant

contre la marée montante. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le souligner dans le cadre de la

procédure sur les mesures conservatoires, l’affaire du prince Damrong n’occupe pas plus de

deux paragraphes de l’arrêt, contre une douzaine de pages consacrées à la carte de l’annexe I, à ses

origines et à son acceptation par la Thaïlande. J’observerai toutefois et cela a sans doute autant

de poids que les faits eux-mêmes , que la Cour a expressément classé ces épisodes sous la

rubrique des tentatives faites par la Thaïlande pour «effacer ou annuler l’impression nette

d’acceptation de la frontière», ou «annul[er] et neutralis[er] l’attitude uniforme et constante des

autorités centrales siamoises à l’égard du tracé de la frontière indiqué sur la carte» (Temple de

Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1962, p. 30 ; les italiques sont - 44 -

de nous). De surcroît, lorsque la Cour se penche sur la signification de cette visite du

prince Damrong, elle le fait expressément en ayant à l’esprit l’attitude constante de la Thaïlande

à l’égard de la carte et de la ligne de l’annexe I et son acceptation de la frontière telle qu’elle était

tracée sur la carte. Je vous renvoie à cet égard aux pages 28 et 29 de l’arrêt, dont je vous

épargnerai la lecture pour gagner du temps. Rien ne permet donc d’affirmer, comme la Thaïlande

croit pouvoir le faire, que la Cour disposait d’autres éléments pour fonder sa décision, et que

l’ensemble de la discussion sur la carte de l’annexe I n’était qu’une digression intéressante mais

sans valeur juridique durable. Bien au contraire, l’arrêt fait de l’épisode une confirmation

supplémentaire d’une conclusion déjà établie quant à la nature contraignante de la frontière sur la

carte. Et sur ce point, les termes employés par la Cour elle-même sont déterminants :

«Le vrai problème, et le problème essentiel en l’espèce, est donc de savoir si les
Parties ont adopté la carte de l’annexe I, et la ligne qu’elle indique, comme
représentant le résultat des travaux de délimitation de la frontière dans la région de
Préah Vihéar» (Ibid., p. 22 ; les italiques sont de nous.)

Ce passage figure à la page 22 de l’arrêt de 1962. Je demande à la Cour de bien vouloir le

comparer au paragraphe du supplément d’information qui s’affiche maintenant à l’écran : alors que

pour la Cour, la carte est «[l]e vrai problème, et le problème essentiel en l’espèce», pour la

Thaïlande, «elle ne constitue tout simplement pas un élément essentiel de l’exposé des motifs et n’a

donc aucune pertinence aux fins d’une demande en interprétation».

49 46. Plus haut dans le supplément d’information, au paragraphe 1.8, la Thaïlande laisse

entendre que le Cambodge est revenu sur sa position, et admet maintenant que la Cour a, non pas

établi, mais reconnu la frontière entre le Cambodge et la Thaïlande et que, en conséquence,

il n’existe aucun élément susceptible d’être revêtu de l’autorité de la chose jugée et, par suite,

d’être ouvert à l’interprétation. La situation est pourtant très simple et parfaitement normale et il

n’est nul besoin de travestir la réalité. L’arrêt a posé tout à fait clairement ce qu’énonçait la Cour, à

savoir qu’elle ne pouvait régler le différend qu’en faisant état de la frontière, que celle-ci était

déterminée par le règlement conventionnel signé entre la France et le Siam, et que la carte de

l’annexe I, du fait de son acceptation par les deux Etats, faisait désormais partie intégrante du

règlement - 45 -

conventionnel et était, par conséquent, contraignante à l’égard de chacun d’eux. Il s’agit là de la

situation classique de tout différend relatif à un traité, soumis à la Cour pour règlement : le traité

signé par les Parties en litige crée les obligations qui les lient, et la Cour règle définitivement la

contestation née entre elles sur le sens de ces obligations. Cela n’implique nullement que la Cour

ait créé le traité, ni, en l’espèce, qu’elle ait fixé la frontière. Ce sont les traités qui ont établi la

ligne frontière ; la Cour a tranché les divergences quant au sens de ces textes et elle l’a fait

avec force obligatoire, comme le prévoient les dispositions de la Charte et du Statut. C’est aussi

simple que cela.

47. Monsieur le président, si ce qu’énonce l’arrêt au sujet de la frontière et de la carte ne

relève pas de la chose jugée, alors la Thaïlande peut aujourd’hui nier à loisir avoir jamais accepté la

carte de l’annexe I comme l’a dit la Cour ou contester que la carte de l’annexe I ait fait partie

intégrante du règlement conventionnel comme l’a également dit la Cour. Si telle est la position

de la Thaïlande, il est temps pour elle de le dire.

Le Cambodge chercherait à obtenir aujourd’hui ce qu’il n’a pas pu obtenir en 1962

48. Monsieur le président, j’en viens maintenant à l’autre argument de la Thaïlande, selon

lequel le Cambodge cherche à obtenir aujourd’hui ce qu’il n’a pas pu obtenir en 1962.

Nous touchons peut-être là au cœur même de l’argumentation de la Thaïlande.

Cette argumentation paraît prendre deux formes. La première consiste à dire que la demande du

Cambodge va au–delà du différend soumis à la Cour en 1959 et que, partant, si celle-ci se

prononçait, elle le ferait ultra petita. La seconde consiste à dire, plus précisément, que la Cour a

formellement décidé de ne pas trancher cette question en 1962 et que, dès lors, la prier de le faire

aujourd’hui dépasse les limites d’une demande en interprétation.

50 49. Quelle que soit sa forme, cet argument ne tient pas. Mais avant de l’analyser,

permettez-moi de faire une observation d’ordre général. Celle-ci porte sur le fait que la Thaïlande

accuse régulièrement le Cambodge, sur un ton indigné, d’invoquer des parties de l’exposé des

motifs de la Cour pour expliquer les éléments de l’arrêt revêtus de l’autorité de la chose jugée ; - 46 -

le dispositif, dit la Thaïlande, se suffit à lui-même et doit être interprété tel qu’il est. Or, la

Thaïlande fait rigoureusement la même chose. Elle cite différents paragraphes de l’exposé des

motifs à l’appui de sa thèse selon laquelle, lorsque la Cour, dans le dispositif, fait référence au

territoire sur lequel le temple se trouve, cela recouvre, en réalité, uniquement le temple lui-même et

le terrain sur lequel il est situé. Et la Thaïlande de citer deux paragraphes, pris isolément, au début

et à la fin de l’exposé des motifs, pour montrer que la Cour a délibérément choisi de ne conférer

aucun statut formel à la carte de l’annexe I. Alors que la Thaïlande se contente ainsi de quelques

citations sélectives, auxquelles elle tente de donner un effet déterminant, le Cambodge s’efforce,

quant à lui, d’utiliser le raisonnement de la Cour dans son ensemble pour éclairer les conclusions

que celle-ci a énoncées dans le dispositif.

Le traitement, par la Cour, des éléments cartographiques

50. Si vous le permettez, j’aborderai à présent de front ce qui est à la fois un exemple

classique de cette abstraction sélective et un argument central de la Thaïlande, à savoir le fait que la

Cour aurait, en 1962, refusé de répondre à la question du statut de la carte de l’annexe I que le

Cambodge lui avait formellement posée dans ses conclusions finales. Voici ce que le Cambodge

avait prié la Cour de dire et juger : «que la ligne frontière entre le Cambodge et la Thaïlande, dans

la région contestée voisine du temple de Préah Vihéar, est celle qui est marquée sur la carte de la

Commission de délimitation entre l’Indochine et le Siam (annexe I au mémoire du Cambodge»

(Temple de Préah Vihéar, fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1962, p. 11).

Et voici ce que la Cour a dit :

«L'objet du différend soumis à la Cour est donc limité à une contestation
relative à la souveraineté dans la région du temple de Préah Vihéar. Pour trancher
cette question de souveraineté territoriale, la Cour devra faire état de la frontière entre
les deux Etats dans ce secteur. Des cartes lui ont été soumises et diverses
considérations ont été invoquées à ce sujet. La Cour ne fera état des unes et des autres

que dans la mesure où elle y trouvera les motifs de la décision qu'elle doit rendre pour
trancher le seul différend qui lui est soumis et dont l'objet vient d'être ci-dessus
énoncé.» (Ibid., p. 14.) - 47 -

Puis, à la fin de l’exposé des motifs, à la page 36 — autrement dit, juste avant le dispositif —,

la Cour a indiqué ce qui suit :

51 «Se référant finalement aux conclusions présentées à la fin de la procédure
orale, la Cour, pour les raisons indiquées au début du présent arrêt, constate que les
première et deuxième conclusions du Cambodge priant la Cour de se prononcer sur le
statut juridique de la carte de l'annexe I et sur la ligne frontière dans la région
contestée ne peuvent être retenues que dans la mesure où elles énoncent des motifs et
non des demandes à retenir dans le dispositif de l'arrêt.» (C.I.J. Recueil 1962, p. 36.)

Monsieur le président, c’est un défi à la logique que d’interpréter ces deux prononcés de la

Cour comme un «refus de trancher» la question qui lui avait été posée. On relèvera que, dans le

premier extrait, il est fait référence à bien plus de choses qu’à la seule carte de l’annexe I, puisqu’il

est question d’un ensemble d’éléments de preuve qui avaient été présentés à la Cour, parmi lesquels

des cartes, en général, et d’autres éléments encore, dont la nature n’est pas précisée. La Cour

semble simplement dire qu’elle ne fera état, parmi ces très nombreux éléments, que de ceux qui

sont pertinents aux fins de la question dont elle est saisie. La pertinence particulière

déterminante de la carte de l’annexe I n’est établie que plus tard, au fur et à mesure que

progresse le raisonnement de la Cour, raisonnement que le Cambodge a exposé en détail au

paragraphe 39 de sa demande en interprétation. S’agissant du second extrait, celui qui précède

immédiatement le dispositif, il ressort tout à fait clairement des termes mêmes employés par la

Cour qu’elle ne refusait pas de «trancher» une question — question dont elle avait d’ailleurs déjà

précisé que c’était la question «essentielle» qui se posait en l’affaire —, mais qu’elle ne souhaitait

simplement pas la trancher d’une manière particulière, c’est-à-dire sous la forme d’une décision

formelle énoncée dans le dispositif de son arrêt. Le statut de cette question dans le cadre de

l’exposé des motifs demeurait, de toute évidence, inchangé, tout comme la place «essentielle»

qu’elle y occupait.

Le principe ultra petita

51. Monsieur le président, avant de clore la question de l’ultra petita, permettez-moi de

formuler deux remarques cursives : - 48 -

premièrement, le principe ultra petita a pour objet et pour but de s’assurer que le juge

n’outrepasse pas les limites de sa compétence. Il ne s’applique pas, théoriquement, aux cas où

il est demandé à la Cour d’interpréter sa propre jurisprudence puisque, comme la Cour

elle-même l’a déclaré, il s’agit d’«une compétence spéciale qui résulte directement de

l’article 60 du Statut». L’explication par la Cour des termes exprès du dispositif de l’arrêt

de 1962 afin d’élucider son raisonnement de l’époque ne peut, par définition, être ultra petita ;

52 deuxièmement, il n’y a pas lieu de rechercher ailleurs, comme le fait la Thaïlande, les

demandes présentées par les Parties dès lors que la Cour a elle-même défini la portée et l’objet

du différend en termes simples et dépourvus d’ambiguïté : «L’objet du différend soumis à la

Cour est donc limité à une contestation relative à la souveraineté dans la région du temple de

Préah Vihéar» (Recueil C.I.J. 1962, p. 14.). Permettez-moi de revenir brièvement sur

l’expression «est limité à», qui me paraît intéressante. Cette expression qui, à première vue, a

un sens restrictif a en fait ici un sens inclusif. Lorsque la Cour conclut et il s’agit là d’une

conclusion faisant partie du dispositif de l’arrêt et non du raisonnement de la Cour — que le

différend est «limité» à la région du temple, cela signifie nécessairement que le différend ne

s’étend pas au-delà de cette région, mais également qu’il comprend tout ce qui a trait à la

souveraineté à l’intérieur de cette région. En outre, l’arrêt va plus loin. Il définit pour nous ce

que la Cour considère comme étant le petitum du demandeur et le contra-petitum du défendeur,

puisque la Cour déclare : «Dans la présente affaire, le Cambodge invoque la violation par la

Thaïlande de la souveraineté territoriale du Cambodge sur la région du temple de

Préah Vihéar et ses environs.» (Ibid., p. 14; les italiques sont de nous.) Et «La Thaïlande

répond en affirmant que ce territoire est situé du côté thaïlandais de la frontière commune entre

les deux pays et qu’il relève de la souveraineté thaïlandaise.» (Ibid.) Puis, après avoir exposé

le petitum et le contra-petitum, la Cour établit un lien entre eux et sa décision sur «l’objet du

différend», qui suit immédiatement, en employant la conjonction de coordination «donc»

(ibid) : «L’objet du différend soumis à la Cour est donc limité à une contestation relative à la

souveraineté dans la région du temple de Préah Vihéar.» - 49 -

52. Par conséquent, l’argument de l’ultra petita est entièrement dénué de fondement.

53. Il s’ensuit, Monsieur le président, que les trois conditions auxquelles sont soumises les

demandes en interprétation pour être recevables sont amplement réunies : une contestation (voire

plusieurs) oppose les Parties, qui a trait au sens ou à la portée d’un arrêt, et la demande en

interprétation vise à établir ce qui a été décidé par la Cour avec force obligatoire.

53 Nouvelle conclusion de la Thaïlande

54. Avant de conclure, je dois encore consacrer quelques instants à une autre question, celle

de la nouvelle conclusion présentée par la Thaïlande au paragraphe 5.10 de son supplément

d’information : la Thaïlande accuse le Cambodge de s’obstiner, depuis un demi-siècle,

«à prétendre, avec une insistance grandissante et contrairement au libellé de l’arrêt, que la Cour

s’est prononcée sur la question de la frontière entre les deux Etats». Cet argument est développé

dans le dernier chef de conclusions présentées par la Thaïlande dans ce même document. En des

termes légèrement différents, la Thaïlande demande à la Cour de «déclarer formellement que l’arrêt

de 1962 n’a pas établi que la ligne de la carte de l’annexe I constituait la ligne frontière entre le

Royaume de Thaïlande et le Royaume du Cambodge». Passons sur les objections évidentes que

nous pourrions formuler face à la présentation d’une nouvelle conclusion à un stade aussi avancé

de la procédure, mais le Cambodge ne peut manquer de faire observer que — même s’il comprend

les raisons pour lesquelles la logique inexorable de l’arrêt de 1962 conduit la Thaïlande à agir

ainsi —, il est demandé à la Cour de se prononcer sur toute la longueur de la ligne tracée sur la

carte de l’annexe I, en contradiction flagrante avec la position adoptée par la Thaïlande dans le

cadre de cette procédure concernant la portée limitée du différend sur lequel la Cour était appelée à

se prononcer en 1959. Cependant, étant donné que, en substance, cette conclusion n’est pas étayée

par le libellé de l’arrêt lui-même et que, de surcroît, par sa portée, elle ne fait écho à aucune de

celles présentées par le Cambodge en l’espèce, ce dernier demandera à la Cour, dans ses

conclusions finales, de rejeter formellement la nouvelle conclusion de la Thaïlande et de réitérer la

position qu’elle a adoptée dans son arrêt de 1962, à savoir que «[l]a Cour considère que - 50 -

l’acceptation par les Parties de la carte de l’annexe I a incorporé cette carte dans le règlement

conventionnel, dont elle est devenue partie intégrante» (Recueil C.I.J. 1962, p. 33.) et que

«les Parties ont adopté à l'époque une interprétation du règlement conventionnel suivant laquelle,

en cas de divergence avec la ligne de partage des eaux, la frontière tracée sur la carte l'emportait sur

les dispositions pertinentes de la convention» (ibid., p. 34).

Le temps écoulé

55. Monsieur le président, j’achèverai ma plaidoirie en analysant brièvement l’effet juridique

produit par le laps de temps qui s’est écoulé entre le prononcé de l’arrêt et le dépôt par le

Cambodge de sa demande en interprétation. Je peux le faire très rapidement en appelant l’attention

de la Cour sur quatre points :

54 1. La Cour a désormais établi de manière définitive que les demandes en interprétation ne sont

soumises à aucune condition de délais. Je renvoie les membres de la Cour au paragraphe 37 de

l’ordonnance en indication de mesures conservatoires rendue en l’affaire, qui est une décision

définitive et non provisoire.

2. L’allégation de la Thaïlande selon laquelle le Cambodge aurait acquiescé à son interprétation

unilatérale et ne peut donc pas présenter à la Cour une demande en interprétation n’est rien

d’autre qu’une tentative visant à réintroduire par la petite porte une limite temporelle.

3. L’allégation de la Thaïlande selon laquelle le temps écoulé compromet gravement l’intégrité de

la procédure d’interprétation est infondée et inexplicable ; si un arrêt de la Cour a une

signification juridique, cette signification perdure avec le temps.

4. Enfin, je me sens obligé de rappeler le caractère totalement aberrant de la position de la

Thaïlande en la présente espèce, selon laquelle un arrêt de la Cour internationale de Justice

aurait pour effet de donner à la partie perdante un droit unilatéral d’interpréter le sens de l’arrêt,

de le faire appliquer sur le terrain, et de mettre la partie qui a obtenu gain de cause au défi de

réagir au risque de sacrifier l’ensemble des droits qui lui auraient été conférés par l’arrêt. - 51 -

56. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je considère donc qu’aucun

doute ne subsiste quant à la recevabilité de la demande présentée par le Cambodge.

57. Voilà qui m’amène à la fin de mon exposé. Puis-je vous demander, Monsieur le

président, de bien vouloir donner la parole à M. Bundy.

Le PRESIDENT : Je vous remercie, sir Franklin, et j’invite M. Bundy à la barre. Vous avez

la parole, Monsieur Bundy.

M. BUNDY : Je vous remercie, Monsieur le président.

L’ EXISTENCE D ’UNE CONTESTATION OPPOSANT LES P ARTIES AU SUJET

DE L INTERPRÉTATION ET QUESTION DES CARTES

1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je me sens, comme toujours,

très honoré qu’il me soit donné de m’exprimer devant vous, et je sais gré au Royaume du

Cambodge d’avoir bien voulu me confier le soin de le représenter.

55 Introduction

2. Je traiterai ce matin de deux questions sur lesquelles les Parties restent en désaccord.

3. La première est de savoir s’il existe une contestation opposant les Parties au sujet du sens

et de la portée de l’arrêt . Comme je vais le montrer, les éléments factuels du dossier attestent

clairement l’existence d’une telle contestation. La Cour y a d’ailleurs fait allusion dans son

ordonnance sur les mesures conservatoires, disant qu’«une divergence d’opinions ou de vues paraît

exister entre elles [les Parties] sur le sens et la portée de l’arrêt de 1962» (Demande en

interprétation de l’arrêt du 15 juin 1962 en l’affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge

c. Thaïlande) (Cambodge c. Thaïlande), mesures conservatoires, ordonnance du 18 juillet 2011,

par. 31). Les documents accompagnant les pièces de procédure écrite que l’une et l’autre Parties

ont présentées à la suite du prononcé de l’ordonnance, dont de nombreux documents produits par la

Thaïlande, montrent qu’il existe indubitablement une telle divergence.

6
Demande en interprétation de l’arrêt du 15 juin 1962 en l’affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge
c. Thaïlande), ordonnance du 18 juillet 2011, par. 22 ; Demande d’interprétation de l’arrêt du 20 novembre 1950 en
l’affaire du droit d’asile (Colombie/Pérou), arrêt, C.I.J. Recueil 1950, p. 402 ; Demande en revision et en interprétation
de l’arrêt du 24 février 1982 en l’affaire du Plateau continental (Tunisie/Jamahiriya aosbe libyenne) (Tunisie
c. Jamahiriya araoe libyenne), arrêt, C.I.J. Recueil 1985, p. 223, par. 56 ; Interprétation des arrêts n 7 et 8 (usine
de Chorzów), arrêt n 11, 1927, C.P.J.I. série A n° 13, p. 21. - 52 -

4. La deuxième question dont je vais traiter est celle de la multitude de cartes et d’arguments

techniques dont la Thaïlande se prévaut dans ses écritures pour tenter de jeter le doute sur la valeur

probante de la carte de l’annexe I ou de limiter par des artifices l’étendue de la zone constituant les

«environs» du temple au sens du point 2 du dispositif.

5. Pour discréditer la carte de l’annexe I, la Thaïlande invoque un certain nombre de cartes

qui étaient dépourvues de pertinence lorsque la Cour a rendu son arrêt, ou dont elle n’a découvert

que récemment l’existence, ainsi que des études techniques qu’elle a fait faire pour les besoins de

la cause. Aucun de ces documents n’a joué le moindre rôle dans le raisonnement qui a conduit la

Cour à rendre son arrêt. Bref, la nouvelle tactique adoptée par la Thaïlande n’est rien d’autre

qu’une manœuvre de diversion destinée à détourner l’attention de la seule carte qui compte en

l’espèce, la carte de l’annexe I.

1. Le contexte juridique de l’appréciation des faits pertinents

6. Avant d’entrer dans les détails, il me paraît important de placer les faits dans le contexte

56 juridique qui est véritablement le leur. Est-il vraiment besoin de rappeler que la présente instance

n’a pas pour but le réexamen quant au fond du différend que la Cour a tranché par son arrêt

de 1962, qu’elle ne porte pas sur une demande en revision ? L’affaire qui nous occupe porte sur

une demande en interprétation. Dans une telle affaire, l’appréciation des éléments factuels que les

Parties ont soumis à la Cour doit obéir à trois principes fondamentaux.

7. Le premier est que les faits postérieurs à l’arrêt à interpréter ne sont pertinents que pour

autant qu’ils montrent l’existence d’une contestation opposant les Parties quant au sens ou à la

portée de celui-ci. Il est bien évident qu’une contestation portant sur l’interprétation d’un arrêt ne
7
peut survenir qu’après qu’il a été rendu .

8. Le second point de principe, qu’a relevé sir Franklin, est qu’il est admis que pour établir

l’existence d’une contestation portant sur l’interprétation d’un arrêt, point n’est besoin que cette

contestation soit exprimée sous une forme déterminée telle qu’une demande d’ouverture de

7 Demande en interprétation de l’arrêt du 15 juin 1962 en l’affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge c.
Thaïlande), Demande en indication de mesures conservatoires, ordonnance du 18 juillet 2011, par. 37. - 53 -

négociations diplomatiques. Autrement dit, il n’est pas nécessaire que la contestation ait fait l’objet

de démarches officielles . 8

9. Le troisième principe, qui est le corollaire du premier, est que les faits postérieurs à l’arrêt,

puisqu’ils n’ont évidemment pas été pris en considération dans celui-ci, sont dénués de pertinence

lorsqu’il s’agit de l’interpréter. La Cour permanente a exprimé ce principe avec une remarquable

concision lorsqu’elle a statué sur l’interprétation de ses deux arrêts en l’affaire de l’usine de

Chorzów :

«D’autre part, la Cour écarte dans ses interprétations toute appréciation de faits
autres que ceux qu’elle a examinés dans l’arrêt qu’elle interprète et, en conséquence,
os
tous faits postérieuos à cet arrêt.» (Interprétatioo des arrêts n 7 et 8 (usine de
Chorzów), arrêt n 11, 1927, C.P.J.I. série A n 13, p. 21.)

10. Ces points de principe ne devraient pas donner lieu à controverse. Si j’ai jugé ce rappel

nécessaire, c’est uniquement parce que la Thaïlande, dans ses écritures, n’est jamais claire sur ces

trois points.

11. D’une part, la Thaïlande passe sous silence les abondantes preuves documentaires qui

révèlent une divergence fondamentale entre les vues des Parties sur le sens et la portée de ce que la

Cour a décidé. D’autre part, elle n’hésite pas à invoquer des cartes et des éléments techniques dont

elle n’a découvert l’existence que longtemps après le prononcé de l’arrêt ou qui n’ont aucunement

été pris en considération dans celui-ci. Rien de ce qu’invoque ainsi la Thaïlande n’a le moindre

rapport avec la question d’interprétation dont est saisie la Cour.

57 2. L’existence d’une contestation opposant les Parties au sujet de l’interprétation

12. Après avoir rappelé le contexte juridique dans lequel doit s’inscrire leur appréciation,

j’en viens maintenant aux faits qui attestent l’existence d’une contestation opposant les Parties sur

l’interprétation de l’arrêt.

8 os o
Interprétation des arrêts n 7 et 8 (usine de Chorzów), arrêt n 11, 1927, C.P.J.I. série A n° 13, p. 10-11 ;
ordonnance du 18 juillet 2011, par. 22 ; Demande en interprétation de l’arrêt du 27 mars 2004 en l’affaire Avena et
autres ressortissants mexicains (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique) (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique), mesures
conservatoires, ordonnance du 16 juillet 2008, C.I.J. Recueil 2008, p. 325-326, par. 53-54. - 54 -

13. Dans ses pièces de procédure écrite, la Thaïlande ne cesse de nier l’existence d’une telle

contestation. Dans ses observations écrites, par exemple, elle tente de montrer que la Cour n’est

pas compétente, affirmant qu’«aucune contestation n’oppose les Parties quant au sens ou à la

portée de l’arrêt de 1962» (observations écrites de la Thaïlande (OET), par. 7.5). Dans son

supplément d’information, elle va encore plus loin, prétendant que :

«Le fait que le Cambodge soit dans l’incapacité de se référer au moindre
document antérieur à la saisine de la Cour dans lequel les Parties auraient exprimé des
vues divergentes sur la qualification de l’obligation de retrait montre indubitablement

qu’aucune contestation de ce type n’existait.» (Supplément d’information de la
Thaïlande (SIT), par. 3.82.)

Ainsi, à en croire la Thaïlande, nous aurions été incapable de produire le moindre document

prouvant l’existence d’une divergence de vues sur l’obligation de retrait.

14. Que vaut, au regard du dossier, cette assertion passablement extravagante ? Monsieur le

président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je pense qu’il est facile de démontrer de façon

convaincante que ce qu’affirme la Thaïlande est faux, que le dossier ne laisse aucun doute quant à

l’existence d’une divergence d’opinions entre les Parties sur le sens et la portée de l’obligation de

retrait, et que la Thaïlande elle-même a considéré que l’arrêt se prêtait à des interprétations

différentes.

a) Les événements des années 1960

15. La Cour a rendu son arrêt le 15 juin 1962. Ensuite, il s’est produit en Thaïlande une série

d’événements qui sont très pertinents en cette affaire parce qu’ils sont les précurseurs de la

contestation qui oppose aujourd’hui les Parties au sujet de l’interprétation de l’arrêt.

16. Comme l’a rappelé sir Franklin, le premier ministre thaïlandais, lors d’une réunion du

conseil des ministres tenue le 3 juillet 1962, a demandé au ministre de l’intérieur de se rendre dans

la région du temple pour donner des instructions aux officiers qui y étaient en poste sur la méthode

9
à suivre pour établir les limites du temple et de ses environs . Après avoir achevé ses travaux, le

groupe d’experts constitué par le ministre a adressé au premier ministre un mémorandum daté

9Supplément d’information de la Thaïlande (SIT), annexe 5. - 55 -

du 6 juillet 1962, dans lequel il indiquait que deux méthodes pouvaient être suivies pour déterminer
58

les limites des environs du temple. Ces méthodes étaient exposées dans le mémorandum, où les

résultats qu’elles produiraient étaient illustrés par des lignes rouge et jaune tracées sur une carte.

Cette carte, que sir Franklin vous a déjà montrée, s’affiche maintenant à l’écran ; vous la trouverez

aussi sous l’onglet n 6 de votre dossier de plaidoiries.

[Affichage de la carte thaïlandaise du 6 juillet 1962.]

17. Comme vous le savez, le 10 juillet 1962, le conseil des ministres thaïlandais a décidé que

la délimitation des environs du temple serait établie selon la seconde méthode, qui était de loin la

plus restrictive.

18. La Cour se souviendra que le 26 mai 2011, quatre jours seulement avant l’ouverture des

audiences sur la demande en indication de mesures conservatoires présentée par le Cambodge, la

Thaïlande a produit un certain nombre de documents, dont cette carte (n 4 de la liste des

documents remis par la Thaïlande). Or, curieusement, ladite carte est le seul des documents

présentés par la Thaïlande que son conseil ait jugé bon de passer sous silence et de ne pas montrer

lors des audiences sur les mesures conservatoires. De plus, lorsque la Thaïlande a remis ses

observations écrites le 21 novembre 2011, elle s’est de nouveau abstenue de faire mention de cette

carte et n’a pas versé au dossier une copie de la décision de son conseil des ministres. Ce n’est que

lorsque le Cambodge a appelé l’attention sur ces omissions que la Thaïlande s’est rendu compte

qu’elle n’avait d’autre choix que de produire les documents pertinents, qui figurent à l’annexe 5 de

son supplément d’information [onglet n 5 de votre dossier].

19. Je pense que la Cour comprendra aisément, en examinant les documents en question,

pourquoi la Thaïlande était si peu disposée à en faire mention. Je me bornerai à faire à ce sujet

trois brèves observations :

Premièrement, le fait que deux méthodes furent proposées au conseil des ministres thaïlandais,

même si ni l’une ni l’autre ne cadrait avec l’arrêt de la Cour, montre clairement que les experts

thaïlandais eux-mêmes avaient conscience que la détermination de la zone où s’appliquait

l’obligation de retrait faite à la Thaïlande pouvait procéder de différentes interprétations. - 56 -

Deuxièmement, le conseil des ministres thaïlandais a opté pour la plus restrictive des deux

méthodes proposées (celle qui produisait la ligne rouge tracée sur la carte). Il s’agit là d’une

décision unilatérale, que la Thaïlande a prise sans chercher ni à consulter le Cambodge, ni à

démontrer qu’elle était conforme à l’arrêt. Comme je vais le montrer, le Cambodge a maintes

fois contesté vigoureusement l’interprétation de la Thaïlande.

59 Troisièmement, le conseil des ministres a ordonné la pose de barbelés le long de la ligne rouge,

et les forces thaïlandaises ont reçu l’ordre de réprimer par la force toute transgression de la

limite correspondant à cette ligne rouge.

20. Le premier ministre adjoint thaïlandais a admis à l’époque que la détermination des

limites des environs du temple procédait d’une décision unilatérale, dont je me permettrai d’ajouter

qu’elle répondait aux seuls intérêts de la Thaïlande. Le 12 juillet 1962, il s’est en effet exprimé en

ces termes : «le Gouvernement de Thaïlande procédera unilatéralement à la démarcation des

environs du temple de Phra Viharn» (OET, annexe 17). Ce caractère unilatéral est mentionné aussi

dans le supplément d’information de la Thaïlande, qui y tente de justifier sa décision en faisant

valoir que «le Gouvernement de la Thaïlande a dû décider lui-même des limites [du] retrait [de ses

troupes]» (SIT, par. 1.13). Or, rien dans les pièces de procédure écrite présentées par la Partie

adverse n’explique de quel droit elle s’est arrogé le pouvoir de prendre une décision manifestement

contraire à l’arrêt de la Cour.

21. Quoi qu’il en soit, le Cambodge n’a pas manqué ensuite de manifester clairement ses

objections. Sans revenir sur les détails, qui sont exposés dans sa réponse écrite, je vais citer

quelques exemples révélateurs. Pour la commodité de la Cour, nous avons groupé sous

o
l’onglet n 10 du dossier de plaidoiries les documents attestant les objections du Cambodge à

l’interprétation faite par la Thaïlande de l’arrêt.

22. Un mois après la promulgation de la décision du conseil des ministres thaïlandais, le

prince Sihanouk, chef d’Etat du Cambodge, a fait publier un communiqué de presse dans lequel il

s’élevait vivement contre la pose par la Thaïlande de barbelés le long de la ligne rouge et contre la

présence de soldats thaïlandais sur le territoire cambodgien. Dans ce communiqué, le prince

s’exprimait notamment en ces termes : - 57 -

«bien que les militaires stationnés à Préah Vihéar en aient été retirés, le pied de colline
est environné de fils de fer barbelé et le ministre de l’intérieur thaï a donné l’ordre à
ses forces de police de tirer sur quiconque s’approcherait de ces barbelés. Il est clair
donc qu’ils n’ont pas renoncé à leurs visées sur Préah Vihéar.» (OET, annexe 26.)

Cette déclaration apporte en soi la preuve d’une divergence de vues sur la manière dont la

Thaïlande avait interprété l’arrêt.

23. Dans le courant de l’automne de 1962, le Secrétaire général de l’Organisation des

Nations Unies a nommé un représentant personnel, M. Nils Gussing, qu’il a chargé de recueillir des

informations sur les tensions qui se manifestaient entre les deux Etats. M. Gussing a présenté le

25 novembre 1962 un rapport dans lequel il indiquait que le Cambodge contestait vivement la

o
manière dont la Thaïlande interprétait l’arrêt. Voici le passage pertinent du rapport [onglet n 11]

qui, je le répète, émanait du représentant du Secrétaire général :

«Au Cambodge, le temple de Préah Vihéar joue un rôle majeur dans l’attitude
60
vis-à-vis de l’autre Etat : même si l’affaire a été «gagnée», les Thaïlandais sont
accusés d’être de «mauvais perdants» et de ne pas avoir accepté leur défaite ; on dit
d’ailleurs qu’une partie du territoire qui, aux termes de l’arrêt de la Cour internationale
de Justice devrait, selon les Cambodgiens, être sous souveraineté cambodgienne, est
désormais entourée de fil de fer barbelé, et que des mines y sont posées…» (OET,

annexe 32.)

24. Ainsi, dès novembre 1962, les Etats Membres de l’Organisation des Nations Unies

savaient que le Cambodge contestait la position adoptée par la Thaïlande au sujet de la zone

à laquelle s’appliquait l’arrêt de la Cour.

25. Toujours en novembre 1962, le Gouvernement français a de son côté manifesté qu’il était

conscient du rejet par le Cambodge de la position de la Thaïlande. Une note diplomatique émanant

de l’ambassade de France à Bangkok mentionnait en effet que le Cambodge s’opposait à ce que la

Thaïlande continue d’occuper une zone qui, selon la ligne tracée sur la carte de l’annexe I, se

trouvait en territoire cambodgien .

26. Enfin, toujours en novembre 1962, le ministère cambodgien des affaires étrangères a

publié un aide-mémoire où, à propos des barbelés entourant le temple, il indiquait que

«cette délimitation était en complet désaccord avec la décision de la Cour de La Haye qui

10Supplément d’information de la Thaïlande (SIT), annexe 33. - 58 -

confirm[ait] la frontière portée sur la carte de 1907 [la carte de l’annexe I]» (ibid, annexe 34). La
11
même position a été exposée en décembre 1962 par le ministère cambodgien de l’information .

Les documents auxquels je fais ici référence ont été joints par la Thaïlande à ses observations

écrites. Ils révèlent clairement une divergence de vues.

27. Au début de janvier 1963, le prince Sihanouk s’est rendu au temple pour en reprendre

officiellement possession. Peu avant la visite du prince, l’ambassade de France avait à nouveau fait

état de la contestation par le Cambodge de la manière dont la Thaïlande interprétait l’arrêt.

L’ambassade relevait que la position du Cambodge au sujet des barbelés était qu’ils avaient été

«placé[s] unilatéralement par l’armée et la police thaïlandaises, au mépris du tracé frontalier

imposé par la Cour internationale de Justice» (ibid., annexe 41).

28. Durant sa visite, le prince Sihanouk a réaffirmé la position du Cambodge, à savoir que la

Thaïlande avait contrevenu à l’arrêt de la Cour en établissant une nouvelle frontière à proximité

61 immédiate du temple, en entourant celui-ci de barbelés et en installant des postes militaires et des

postes de police qui empiétaient sur le territoire cambodgien . 12

29. Monsieur le président, que dit la Thaïlande de ces épisodes ? Premièrement, elle allègue

et je cite ici ses écritures que «à la suite de l’arrêt de 1962, le Cambodge ne s’est, pendant

très longtemps, clairement pas plaint de la manière dont le deuxième point du dispositif était

exécuté par la Thaïlande» (OET, par. 4.25). Elle prétend également qu’en janvier 1963, «le prince

Sihanouk [s’était déclaré] totalement satisfait de voir la Thaïlande honorer ses obligations» (ibid.,

par. 4.32). Or, ces deux assertions sont en contradiction flagrante avec les faits que je viens

d’exposer.

30. La Thaïlande soutient de plus qu’après que le prince Sihanouk se fut rendu au temple

et je cite encore les pièces de procédure écrite produites par elle , «le Cambodge ne laissa plus

jamais entendre que, en érigeant la clôture de barbelés, la Thaïlande aurait manqué de se conformer

à l’arrêt de la Cour» (ibid., par. 4.47). Cette assertion est elle aussi manifestement contraire à la

vérité.

11
Ibid., annexe 38.
12Réponse du Cambodge (SIC), annexe 6. - 59 -

31. En janvier 1965, le chef d’Etat du Cambodge s’est de nouveau plaint de ce que la

13
Thaïlande continuait de refuser de reconnaître la frontière . Le 23 avril 1966, le ministre

cambodgien des affaires étrangères a adressé au Secrétaire général de l’Organisation des

Nations Unies et au président du Conseil de sécurité des lettres où il faisait référence aux

déclarations dans lesquelles le prince Sihanouk s’était plaint précédemment de la pose de barbelés

14
et du non-respect par la Thaïlande de l’arrêt de la Cour . Le 11 mai 1966, le Cambodge a adressé

une autre lettre au Secrétaire général, dans laquelle il se plaignait de ce que la Thaïlande avait

15
entouré le temple de barbelés .

32. En août 1966, le Secrétaire général a nommé un autre représentant spécial

(M. Herbert de Ribbing), qu’il a chargé d’une mission de médiation entre le Cambodge et la

Thaïlande. Dans une lettre datée du 26 octobre 1966 adressée à M. de Ribbing, le Cambodge a

62 réaffirmé que le temple et ses environs, comme l’avait confirmé l’arrêt rendu en 1962 par la Cour,

se trouvaient en territoire cambodgien et relevaient donc de sa souveraineté . En novembre de la

même année, le prince Sihanouk s’est plaint encore une fois de ce que la Thaïlande refusait de

renoncer à ses prétentions sur le temple et la zone environnante . 17

33. On trouve une autre preuve de la persistance de la contestation opposant les Parties dans

un rapport remis au Secrétaire général en septembre 1966 par M. de Ribbing. Il est question dans

ce rapport d’une entrevue entre le représentant spécial et le prince Norodom Kantol,

o
premier ministre cambodgien ; cette entrevue y est relatée en ces termes (onglet n 12 du dossier de

plaidoiries) :

[Affichage de la citation.]

«Le prince [premier ministre cambodgien] a dit à ce sujet que les barbelés posés
par les Thaïlandais de leur côté du temple étaient plus proches de celui-ci que de la
frontière fixée par la Cour internationale de Justice dans son arrêt relatif à

Phra Viharn. Il est loisible au Cambodge de saisir le Conseil de sécurité de la question
et de demander que la Thaïlande retire son personnel en le repliant jusqu’à la frontière.
Le Gouvernement cambodgien a toutefois préféré ne pas le faire pour le moment, afin

13
SIC, annexe 10.
14Ibid., annexes 11 et 12.

15Ibid., annexe 14.
16
SIC, annexe 16.
17Ibid., annexe 17. - 60 -

de s’épargner des difficultés supplémentaires avec la Thaïlande.» [Traduction du
Greffe.] (OET, annexe 72.)

34. Dans ses observations écrites, la Thaïlande soutient que les rapports de M. de Ribbing

montrent que la question des barbelés ne constituait pas un réel problème, et elle affirme que

18
d’ailleurs, cette question n’a plus été soulevée par la suite . Or, cette assertion est, elle aussi,

manifestement contraire à la vérité, ce dont on trouve la preuve dans le rapport lui-même, où il est

dit très clairement que le Cambodge considérait la question des barbelés comme grave et avait tenu

à en faire état auprès du représentant spécial du Secrétaire général. De plus, il ressort du rapport

qu’après avoir été informé par M. de Ribbing de la position du Cambodge au sujet des barbelés, le

19
représentant de la Thaïlande a eu un mouvement de colère . On voit mal comment on pourrait

conclure de tout cela que le Cambodge ne considérait pas que la pose des barbelés posait un

problème.

35. Les choses n’en sont pas restées là. En 1967, le Cambodge a continué de protester contre

les agissements de la Thaïlande. Le 22 octobre 1967, par exemple, le chef de l’Etat, lors d’une

conférence de presse, a souligné que la décision de la Cour revêtait l’autorité de la chose jugée,

protesté contre la pose par la Thaïlande de barbelés entre le temple et la frontière légitime

représentée sur la carte de l’annexe I, et insisté sur l’obligation qui incombait à la Thaïlande de

restituer au Cambodge la partie de territoire comprise entre Préah Vihéar et la ligne figurant sur la

carte de l’annexe I .0

36. En février 1968, le prince Sihanouk, dans un discours, a de nouveau fait mention de la

contestation :

63 «Dès 1962 d’ailleurs, ils [les Thaïlandais] ont révélé leur mauvaise foi en
exécutant imparfaitement la décision de la Cour internationale de Justice. Celle-ci a

prescrit, en effet, que soient restitués au Cambodge le temple et avec lui la bande de
terrain qui l’entoure. Or, les Thaïlandais se sont bien gardés de rendre ce terrain en
entourant le temple d’une enceinte de fil de fer barbelé.» 21

18
OET, par. 4.56.
19Ibid., annexe 72.

20SIC, annexe 19.
21
Ibid., annexe 23. - 61 -

37. Tous les événements que j’ai évoqués et je me suis borné à ne présenter que quelques

exemples pour ne pas vous infliger un exposé fastidieux sont attestés par des preuves

documentaires de l’époque, dont il ressort que la Thaïlande, alors qu’elle n’était même pas sûre de

la manière dont il fallait interpréter l’arrêt, n’en a pas moins décidé de situer la limite des

«environs» du temple aussi près que possible de celui-ci. Le Cambodge a par la suite élevé à

maintes reprises des objections à la position adoptée par la Thaïlande et a constamment soutenu

que selon l’arrêt de la Cour, les environs du temple étaient censés s’étendre jusqu’à la frontière

figurant sur la carte de l’annexe I. Il a fait part de ses objections au représentant spécial du

Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies aussi bien qu’aux missions diplomatiques,

et les a exposées publiquement.

38. Etant donné ces faits, il est tout simplement impossible d’accorder foi à l’affirmation de

la Thaïlande selon laquelle «le Cambodge ne se réfère à aucun document dans lequel il aurait

accusé la Thaïlande de ne pas avoir totalement respecté son obligation de retrait» et «[l’]ensemble

des éléments de preuve qui ont été présentés par la Thaïlande dans ses observations écrites

demeurent incontestés» . Monsieur le président, pareille affirmation, qui contredit radicalement

les faits, ne peut être qualifiée que d’extravagante.

b) Les événements de la période 1970-2007

39. Comme la Thaïlande le relève dans ses écritures, le Cambodge est entré en 1970 dans

une période de guerre civile et d’insécurité . La zone du temple a été l’une des premières à être

investie par les Khmers rouges, qui l’ont occupée dès le début des années 1970, et l’une des

dernières à être libérée de leur occupation, qui a duré jusqu’à la fin des années 1990. Pendant cette

période, la question du temple n’a pas été soulevée.

40. Après la signature, le 23 octobre 1991, des accords de paix de Paris, le temple a été

temporairement rouvert aux touristes. Des représentants des Parties se sont rencontrés le

7 novembre 1991 pour prendre d’un commun accord un certain nombre de mesures de

22SIT, par. 3.78.

23OET, par. 4.58. - 62 -

réglementation des activités touristiques . 24 Dans son supplément d’information, la Thaïlande

64 affirme que les mesures ainsi convenues «constituent des preuves concordantes de la souveraineté

qu’elle a exercée dans les zones désormais revendiquées par le Cambodge, situées au nord et à

25
l’ouest de la ligne du cabinet» . Elle prend, ce faisant, ses désirs pour des réalités. A l’époque,

rien n’indiquait que la Thaïlande restait résolue à s’en tenir à la délimitation unilatérale des

environs du temple dont son conseil des ministres avait décidé en 1962. La réglementation du

tourisme convenue par les Parties ne mentionnait aucunement cette décision, non plus d’ailleurs

que la carte thaïlandaise de 1962 ou la ligne rouge. Il convient aussi de noter que c’est le

Cambodge qui s’est chargé de déminer la zone et d’indiquer quels seraient les secteurs ouverts aux

touristes .

41. En 1993, le temple a de nouveau été fermé, en raison de la présence de Khmers rouges

à proximité, et il l’est resté jusqu’en 1997. Après la réinsertion des Khmers rouges, des

Cambodgiens se sont paisiblement installés au voisinage du temple, du côté cambodgien de la

frontière constituée par la ligne figurant sur la carte de l’annexe I.

42. En novembre 1998, le Cambodge a fait construire une pagode à l’ouest du temple, en
27
application d’une décision de son ministère des cultes et religions . Un repère a également été mis

en place à proximité du temple. Alors que la pagode et le repère se trouvent au-delà de la ligne

rouge choisie comme limite par la Thaïlande en 1962, les autorités thaïlandaises n’ont élevé aucune

protestation. Elles ne se sont pas davantage élevées contre l’occupation par le Cambodge du mont

Phnom Trap, qui se trouve lui aussi aux environs du temple du côté cambodgien de la frontière

figurant sur la carte de l’annexe I, comme vous pouvez le voir.

43. Le 14 juin 2000, les Parties ont signé un «mémorandum d’accord sur le levé et la

démarcation de la frontière terrestre» . Comme son titre l’indique clairement, cet instrument

prévoyait que les Parties procèdent conjointement à des levés en vue de la démarcation sur le

terrain de leur frontière terrestre. Il n’a donc rien à voir avec la délimitation de cette frontière.

24
Ibid., par. 4,61-4,65 et annexe 87.
25
SIT, par. 3.76.
26OET, annexe 87.
27
SIC, annexe 24.
28
OET, annexe 91. - 63 -

44. Si je fais mention du mémorandum d’accord de 2000, c’est parce que la Thaïlande

confond délimitation et démarcation. Le mémorandum porte sur une opération de démarcation, et

il est donc totalement dénué de pertinence en la présente affaire. Personne ne conteste que la Cour,

en l’affaire initiale, n’était nullement priée de procéder à la démarcation sur le terrain de la

65 frontière, ce qu’elle n’est pas davantage priée de le faire en la présente instance. Le sens et la

portée de l’arrêt rendu par la Cour en 1962 doivent être analysés à la lumière de ce qu’elle a dit au

sujet de la carte de l’annexe I, à savoir que cette carte indique le tracé, dans la région du temple,

d’une frontière précédemment délimitée, frontière qui a été acceptée par la Thaïlande.

45. De la fin des années 1990 à 2007, la situation est restée calme. Les Cambodgiens ont

continué de vaquer à leurs occupations aux environs du temple du côté cambodgien de la frontière

représentée sur la carte de l’annexe I, et durant cette période, les Thaïlandais n’ont pas une seule

fois fait mention de la «ligne rouge» choisie par le conseil des ministres thaïlandais.

46. La Thaïlande n’a émis durant cette période qu’une seule plainte, et ce après plusieurs

années, en novembre 2004. Elle a alors adressé au Cambodge une note dans laquelle elle

expliquait que l’expansion rapide de la communauté cambodgienne établie autour du temple et

«dans ses environs» tels sont les termes employés à l’époque par la Thaïlande , qui comptait

déjà plus de 700 personnes, avait des répercussions sur «l’environnement naturel de la zone

frontalière» . Plus précisément, la Thaïlande se plaignait de la pollution causée par ces gens.

Dans cette note, elle ne disait nulle part que les activités en cause étaient incompatibles avec la

limite tracée sur la carte retenue par le conseil des ministres thaïlandais, carte dont elle ne faisait

aucune mention.

47. Il n’est pas indifférent que la Thaïlande ait parlé de Cambodgiens exerçant des activités

dans les «environs» du temple. Manifestement, la portée que la Thaïlande prêtait alors au mot

«environs» n’était pas la même que celle qu’elle lui avait attribuée unilatéralement en 1962 ou

qu’elle défend en la présente instance. Malheureusement, la situation pacifique caractérisant la

période comprise entre la fin des années 1990 et 2007 a commencé de se détériorer en 2007 du fait

29OET, annexe 93. - 64 -

de la réaction de la Thaïlande à la demande d’inscription du temple sur la liste du patrimoine

mondial que le Cambodge avait présentée à l’Unesco ; c’est de cette évolution que je vais

maintenant vous entretenir.

c) La résurgence de la contestation en 2007

48. La résurgence de la contestation constatée à partir de 2007 tenait avant tout à des

changements politiques intervenant en Thaïlande.

49. Lorsque le Cambodge, par un décret royal d’avril 2006, avait exprimé son intention de

faire inscrire le temple sur la liste du patrimoine mondial, la Thaïlande avait réagi positivement.

Son premier ministre était alors M. Thaksin Shinawatra, favorable à des relations amicales avec le

Cambodge.

66 50. En septembre 2006, un mois avant les élections générales qui devaient avoir lieu en

Thaïlande, le gouvernement de M. Thaksin a été renversé par un coup d’état. Les élections ont été

annulées et l’armée a pris le pouvoir.

51. Le 17 mai 2007, la Thaïlande a adressé au Cambodge un aide-mémoire au sujet de

l’inscription du temple sur la liste de l’Unesco . La plainte qu’y exprimait la Thaïlande avait pour

objet les zones figurées dans la demande présentée par le Cambodge au Comité du patrimoine

mondial en vue de la protection du temple ; la Thaïlande affirmait que la frontière internationale

séparant son territoire de celui du Cambodge était celle figurée sur une carte thaïlandaise, la carte

de la série L7017, dont un exemplaire était joint à l’aide-mémoire ; cette carte avait été établie

unilatéralement par la Thaïlande.

[Affichage de la carte thaïlandaise L 7017.]
o
52. La carte s’affiche maintenant, et vous la trouverez également sous l’onglet n 13 de votre

dossier. Il s’agit d’une nouvelle carte, portant en haut la mention «secret», et non pas de l’une des

cartes énumérées dans le mémorandum d’accord de 2000 comme constituant la base de la

démarcation de la frontière. Si nous portons notre attention sur la partie pertinente de la carte, nous

30SIC, annexe 27. - 65 -

pouvons voir qu’y figure autour du temple, pour la première fois depuis des dizaines d’années, une

limite qui n’est autre que celle représentée sur la carte retenue en 1962 par le conseil des ministres

thaïlandais.

53. En 2008, la situation politique a de nouveau changé en Thaïlande à la suite de l’élection

d’un nouveau premier ministre. Après ce changement, des représentants des Gouvernements

cambodgien et thaïlandais ont signé le 18 juin 2008 un communiqué conjoint dans lequel la

Thaïlande exprimait son soutien à la demande d’inscription du temple sur la liste du patrimoine

mondial présentée par le Cambodge . La carte jointe à ce communiqué conjoint ne représentait

pas la ligne figurant sur la carte retenue en 1962 par le conseil des ministres thaïlandais, non plus

que la ligne que vous voyez ici. Le 7 juillet 2008, le Comité du patrimoine mondial a décidé

32
d’inscrire le temple sur la liste .

54. Malheureusement, la situation a continué de changer en Thaïlande. Le jour même de la

décision du Comité du patrimoine mondial, le 7 juillet 2008, la Cour constitutionnelle de Thaïlande

a déclaré que la signature par le ministre thaïlandais des affaires étrangères du communiqué

33
conjoint du 18 juin 2008 était inconstitutionnelle, et que ce document était donc frappé de nullité .

67 En de telles circonstances, le Cambodge n’avait d’autre choix que de contester la nouvelle carte

thaïlandaise, ce qu’il a fait le 19 juillet 2008 dans une lettre adressée au président de l’Assemblée

générale des Nations Unies. Il y déclarait que cette carte était manifestement incompatible avec la

carte de l’annexe I, sur laquelle la Cour avait fondé son arrêt . 34

55. Les mesures prises à l’époque par la Thaïlande ont eu pour effet de réactiver, après de

nombreuses années, la contestation concernant l’interprétation de l’arrêt. Cette résurgence de la

contestation est devenue manifeste lorsque la Thaïlande, le 21 juillet 2008, a adressé une lettre au

président du Conseil de sécurité dans laquelle elle s’exprimait ainsi au sujet des alentours du

o
temple (le document, qui s’affiche maintenant à l’écran, figure sous l’onglet n 14 de votre

dossier) :

31
Ibid., annexe 31.
32Ibid., annexe 32.
33
Ibid., par. 5.
34
SIC, annexe 34. - 66 -

«La revendication territoriale du Cambodge sur cette zone se fonde sur son
interprétation unilatérale dudit arrêt de la Cour, par lequel cette dernière détermine la

ligne frontière. La Thaïlande conteste cette interprétation unilatérale du fait que la
Cour a décidé que la démarcation de la frontière terrestre ne relève pas de ses
compétences et [qu’elle] n’a en aucun cas déterminé l’emplacement de la frontière
entre la Thaïlande et le Cambodge.» (SIC, annexe 36.)

56. Cette déclaration apporte une preuve supplémentaire, si tant est qu’il en soit besoin, de

l’existence d’une contestation opposant les Parties au sujet de l’interprétation de l’arrêt.

57. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je résume ainsi cette partie de

ma plaidoirie : en 1962, le groupe d’experts constitué par la Thaïlande a conclu que l’arrêt, en

particulier ses dispositions relatives aux environs du temple, auxquels s’appliquait l’obligation de

retrait faite à la Thaïlande, pouvait être interprété de différentes façons. En juillet 1962, la

Thaïlande a fait connaître l’interprétation du sens et de la portée de l’arrêt de la Cour qu’elle avait

choisie unilatéralement.

58. Le Cambodge a protesté vigoureusement contre cette décision tout au long des

années 1960, et il a également protesté lorsque la Thaïlande a réintroduit sa «ligne rouge» dans sa

carte de 2007. La Thaïlande, quant à elle, s’est élevée en juillet 2008 contre l’interprétation de

l’arrêt, qu’elle prétendait être propre au Cambodge, selon laquelle elle avait l’obligation de retirer

son personnel du temple et de ses environs en le repliant jusqu’à la ligne représentée sur la carte de

l’annexe I. Au vu de ces circonstances, je crois pouvoir affirmer qu’il existe manifestement une

contestation opposant les Parties au sujet du sens ou de la portée de l’arrêt, et que la demande en

interprétation du Cambodge est donc parfaitement recevable.

68 3. Le défaut de pertinence des cartes invoquées par la Thaïlande

59. Monsieur le président, je vais à présent entamer la seconde partie de ma plaidoirie, qui

sera plus brève et portera sur le défaut de pertinence en la présente instance des autres cartes et

études techniques présentées par la Thaïlande dans ses écritures. Ainsi que je l’ai dit, j’espère être

assez bref à ce sujet, précisément en raison du manque de pertinence de ces documents. - 67 -

60. Toute cette histoire de cartes présente deux aspects. Le premier concerne le rapport

technique établi par l’unité de recherche sur les frontières internationales (International Boundaries

Research Unit en anglais, ou IBRU) de l’université de Durham mes chers amis Martin Pratt et

Alistair McDonald qui traite de ce que l’IBRU a appelé une «évaluation de la tâche consistant à

transposer sur le terrain la frontière entre le Cambodge et la Thaïlande représentée sur la carte de

«l’annexe I»». Tel était le titre du rapport, qui était reproduit à l’annexe 96 des observations écrites

de la Thaïlande. Je traiterai de ce document en premier, après quoi j’aborderai le second aspect, la

tentative de la Thaïlande de ressusciter la revendication qu’elle avait formulée dans l’affaire

initiale, à savoir que la carte de l’annexe I ne représenterait pas fidèlement la ligne de partage des

eaux. La Thaïlande invoque des cartes principalement établies par ses propres experts dans

l’affaire initiale, et qui n’ont joué aucun rôle dans l’arrêt rendu par la Cour. J’aborderai chacun de

ces points tour à tour.

a) Le rapport d’experts présenté par la Thaïlande sur la carte de l’annexe I

61. Le rapport de l’IBRU tend à démontrer que la carte de l’annexe I «comporte … un

certain nombre d’erreurs qui faussent la ligne de partage des eaux et, par conséquent, la frontière»

(OET, annexe 96, p. 248, par. 1). Plus loin dans le même document, les auteurs admettent plus

franchement que «[c]e rapport a pour objet d’aller au-delà du débat en l’affaire du Temple de Préah

Vihéar, qui portait presque exclusivement sur une très petite section de la carte de l’annexe I, et

d’examiner la carte dans son ensemble» (OET, annexe 96, p. 249, par. 3).

62. Voilà une description qui en dit long, Monsieur le président : «aller au-delà du débat» en

l’affaire initiale. Or, le but de la procédure d’interprétation n’est pas d’aller au-delà de ce que la

Cour a examiné pour rendre l’arrêt initial, ni d’examiner des «faits» et arguments autres que ceux

que les Parties ont, à l’époque, présentés à la Cour. Son but est d’interpréter ce que la Cour a

effectivement décidé dans son arrêt, en se fondant sur les documents qu’elle a examinés à l’époque. - 68 -

63. Il n’empêche que les auteurs du rapport de l’IBRU tentent de discréditer la carte de

l’annexe I en invoquant des cartes dont la Thaïlande n’a apparemment découvert l’existence que

69 récemment, des images satellite, et une visite qu’ils ont effectuée en août 2011 sur un certain

nombre de sites situés le long de la frontière. Autant d’éléments postérieurs à l’arrêt. Est-il

vraiment besoin que je rappelle encore une fois ce que la Cour permanente a déclaré en l’affaire de

l’usine de Chorzów, à savoir que «la Cour écarte dans ses interprétations toute appréciation de faits

autres que ceux qu’elle a examinés dans l’arrêt qu’elle interprète, et, en conséquence, tous faits

postérieurs à cet arrêt» (Interprétation des arrêts n 7 et 8 (usine de Chorzów), arrêt n 11, 1927,

o
C.P.J.I. série A n 13, p. 21) ?

64. Au mépris de ce principe, les auteurs du rapport de l’IBRU insistent particulièrement sur

le fait qu’ils ont découvert en 2011 au département thaïlandais des traités et des affaires juridiques

une «version revisée» de la carte de l’annexe I, version qui, selon eux, représenterait des courbes de

niveau modifiées et dont il ressortirait que la carte de l’annexe I est entachée d’erreurs de repérage.

Après la visite des auteurs du rapport de l’IBRU en Thaïlande, l’équipe juridique a semble-t-il

consulté des exemplaires de la même feuille conservés aux archives à Paris et à Londres, ainsi qu’à

l’institut géographique national de Paris, où une «troisième version» de la carte de l’annexe I aurait

été découverte. Les auteurs du rapport soutiennent qu’il est impossible de connaître aujourd’hui ce

qui a motivé l’établissement de versions revisées de la feuille de la carte . 35

65. Ce qui est clair, c’est que la Cour n’a examiné aucune de ces versions dans la procédure

initiale, pas plus qu’elle ne s’y est référée dans son arrêt. Les auteurs du rapport de l’IBRU

l’admettent d’ailleurs en toute franchise et je n’aurais pas pu mieux le dire moi-même :

«Ni l’erreur de repérage sur la feuille de l’annexe I ni l’existence de versions revisées de cette

feuille ne semblent avoir fait l’objet de discussions à un quelconque moment de l’affaire initiale du

Temple de Préah Vihéar.» 36

[Affichage de la carte de l’annexe I initiale à l’écran.]

35OET, annexe 96, p. 255, par. 12.
36
Ibid., p. 256, par. 13. - 69 -

66. C’est pourquoi tous ces documents ne sont pas pertinents. La seule carte que la Cour a

consultée dans l’affaire initiale est celle que le Cambodge avait présentée à l’annexe I de sa requête
o
et jointe à son mémoire en l’affaire initiale. La carte est reproduite sous l’onglet n 15 de votre

dossier de plaidoiries et est actuellement affichée. C’est la carte dont la Cour a dit qu’elle avait été

acceptée par la Thaïlande, celle sur laquelle figure la ligne dont la Cour a dit que les Parties avaient

convenu de considérer comme représentant la frontière.

70 67. Ainsi que l’a relevé la Cour dans son arrêt, dès 1908-1909 la Thaïlande «a bien accepté

la carte de l’annexe I comme représentant le résultat des travaux de délimitation et a ainsi reconnu

la ligne tracée sur cette carte [celle que vous voyez] comme étant la frontière» (Temple de

Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1962, p. 32 ; les italiques sont

de nous).

68. La Cour constatera que la carte déposée par le Cambodge en tant qu’annexe I dans la

procédure initiale était en mauvais état. Elle ne tenait d’une seule pièce qu’à l’aide de ruban

adhésif. C’est apparemment pour cette raison que la Cour en avait établi une copie, qui est celle

qui est reproduite dans les pièces de procédure des Parties publiées par la Cour.

[Projection à l’écran de la carte de l’annexe I publiée par la Cour.]
o
69. Vous voyez à présent cette carte à l’écran. Elle figure également sous l’onglet n 16.

C’est la même que la carte de l’annexe I déposée par le Cambodge, à ceci près qu’un petit

cartouche situé dans le coin droit supérieur de la carte et deux marques de repérage n’ont pas été

reproduits.

70. Dans l’instance initiale, la Thaïlande a certes prétendu que la carte de l’annexe I

comportait des erreurs dans sa représentation de la zone litigieuse de Préah Vihéar, mais elle a

fondé cette allégation non pas en invoquant des versions «revisées» de la carte, mais en prétendant

que la frontière marquée sur la carte n’était pas la véritable ligne de partage des eaux (Temple de

Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1962, p. 21). La Cour a

catégoriquement rejeté cette allégation au motif que l’erreur invoquée n’avait pas été établie - 70 -

(ibid., p. 27). La Thaïlande peut encore moins plaider l’erreur dans la présente affaire en se

fondant sur des documents nouvellement découverts ou sur des arguments qui n’ont jamais été

avancés dans le cadre de la procédure initiale et qui ne sauraient donc avoir été pris en

considération dans l’arrêt rendu par la Cour.

71. Nonobstant tout cela, la Thaïlande cherche à discréditer encore la carte de l’annexe I en

soutenant que la version de cette carte jointe par le Cambodge à sa demande en interprétation n’est

pas la même que celle qu’il avait déposée lors de la procédure initiale . Cette allégation n’est, elle

aussi, qu’un écran de fumée, et elle est dépourvue de toute pertinence pour l’interprétation de

l’arrêt rendu par la Cour en 1962.

[Affichage de la carte de l’annexe I jointe par le Cambodge à sa demande en interprétation.]

71 72. Il est notoire que les archives du Cambodge ont été détruites à l’époque des Khmers

rouges. C’est pourquoi le Cambodge s’est adressé à l’institut géographique national de Paris pour

obtenir la carte, qu’il a jointe à sa demande, et qui s’affiche actuellement ; cette carte figure

o
également sous l’onglet n 17 de votre dossier de plaidoiries. Je tiens à dire que les experts

engagés par la Thaïlande ont eux-mêmes reconnu que cette version de la carte et je cite les

termes qu’ils ont employés dans leur rapport contenait «pour l’essentiel de[s] changements

superficiels qui, aux yeux d’un observateur contemporain, ne justifient guère le travail qui fut

nécessaire à la production d’une nouvelle édition de cette carte» . 38

73. De même, la version de la carte de l’annexe I que les auteurs du rapport de l’IBRU disent

avoir découverte dans les archives thaïlandaises ne tire pas non plus à conséquence car, comme ils

le précisent dans leur rapport, «il s’agit fondamentalement de la même carte que celle de

39
l’annexe I» .

74. En résumé, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, la démarche de la

Thaïlande au sujet de la carte de l’annexe I est totalement dénuée de pertinence dans l’affaire

portée devant vous. La carte de l’annexe I est celle que le Cambodge a déposée dans l’affaire

initiale et à laquelle la Cour s’est référée dans 14 des 16 dernières pages de son arrêt de 1962. Et à

37
SIT, par. 1.23.
38Rapport de l’IBRU, OET, annexe 96, par. 9.
39
Ibid., par. 7. - 71 -

40
supposer que, comme le prétendent les auteurs du rapport de l’IBRU , cette carte de l’annexe I

présente d’éventuelles insuffisances techniques, c’est là une question qui peut être soulevée au sujet

de la démarcation de la frontière prévue par le mémorandum d’accord de 2000, mais qui n’a pas la

moindre pertinence dans une affaire qui concerne l’interprétation d’un arrêt rendu, non pas

en 2000, mais en 1962.

b) Autres cartes invoquées par la Thaïlande

75. Après le dépôt de sa première pièce de procédure, la Thaïlande s’est manifestement

aperçue des défauts du rapport de l’IBRU, si bien qu’elle y fait à peine référence dans son

deuxième jeu d’écritures. Elle a en revanche adopté une nouvelle tactique, qui consiste à invoquer

plusieurs autres cartes établies par des experts lors de l’instance initiale, en 1959-1961, qui

représentent diversement le tracé de la ligne de partage des eaux. La Thaïlande, en reprenant ces

documents, cherche à montrer que ces cartes restreignent la «zone» environnant le temple à une

bande de terrain très étroite, tout comme la carte retenue en 1962 par le conseil des ministres

72 thaïlandais . Cet argument n’a aucune valeur, étant donné que la Cour, dans son arrêt, a

clairement indiqué que, dès lors que la Thaïlande acceptait la carte de l’annexe I comme

représentant la frontière, l’emplacement de la ligne de partage des eaux était dénué de pertinence.

76. Permettez-moi de rappeler brièvement le raisonnement suivi par la Cour sur ce point.

77. Tout d’abord, après avoir indiqué que l’acceptation par les Parties de la carte de

l’annexe I incorporait cette carte dans le règlement conventionnel, dont elle devenait partie

intégrante, la Cour a ajouté :

«En d’autres termes, les Parties ont adopté à l’époque une interprétation
du règlement conventionnel suivant laquelle, en cas de divergence avec la ligne
de partage des eaux, la frontière tracée sur la carte l’emportait sur les dispositions
pertinentes de la convention.» (Temple de Préah Vihéar, fond, arrêt,
C.I.J. Recueil 1962, p. 34.)

40
OET, p. 134, par. 7.9.
41SIT, par. 4.45-4.63. - 72 -

78. Ensuite, après avoir noté que lorsque deux pays définissent entre eux une frontière, l’un

de leurs principaux objectifs est d’arrêter une solution stable et définitive, la Cour a dit ce qui suit :

«Les Parties en cause doivent avoir eu une raison pour adopter cette mesure
supplémentaire. La seule raison possible est qu’elles considéraient la mention de la
ligne de partage des eaux comme insuffisante en elle-même pour obtenir un résultat

certain et définitif. C’est précisément pour atteindre un tel but que l’on a recours aux
délimitations et aux tracés cartographiques.» (Ibid., p. 34.)

79. Enfin, après s’être prononcée en faveur de la ligne de la carte de l’annexe I telle qu’elle

avait été délimitée et acceptée par les Parties, la Cour a dit :

«Etant donné les motifs sur lesquels la Cour fonde sa décision, il devient inutile

d’examiner si, à Préah Vihéar, la frontière de la carte correspond bien à la véritable
ligne de partage des eaux dans ces parages, si elle y correspondait en 1904-1908 ou,
dans le cas contraire, quel est le tracé exact de la ligne de partage des eaux.» (Ibid.,
p. 35.)

80. En vérité, aucune des cartes représentant la ligne de partage des eaux auxquelles la

Thaïlande fait référence dans son supplément d’information n’était mentionnée dans l’arrêt de la

Cour. Compte tenu du statut de la carte de l’annexe I, il était inutile que la Cour examine les lignes

de partage des eaux qu’elles étaient censées représenter, et elle ne l’a d’ailleurs pas fait.

En décrivant ces documents dans son supplément d’information comme des «éléments qui ont été

présentés à la Cour et que celle-ci a utilisés pour se prononcer», la Thaïlande s’écarte radicalement

42
de la vérité . Ces cartes ne sont même pas mentionnées dans l’arrêt.

81. De même, l’argument de la Thaïlande selon lequel les «environs» du temple pris en

considération par la Cour se limitaient à une zone restreinte située entre les différentes lignes de

partage des eaux est dénué de fondement. En effet, la Cour n’ayant pas examiné ces cartes parce

73 qu’elles n’étaient pas pertinentes, la Thaïlande ne saurait les invoquer aujourd’hui pour établir ce

que la Cour voulait dire relativement à l’obligation que le deuxième point du dispositif fait à la

Thaïlande de se retirer du temple et de ses environs situés en territoire cambodgien.

82. En fait, il ressort clairement de l’arrêt de 1962 que la zone considérée par la Cour était

bien plus vaste que la zone très restreinte circonscrite par la Thaïlande sur la fameuse carte retenue

par son conseil des ministres. Selon la Cour, les positions des Parties étaient les suivantes :

42Ibid., p. 20, et par. 2.14-2.25. - 73 -

la Thaïlande soutenait que la frontière suivait le faîte de l’escarpement et passait au sud et à l’est du
43
temple , tandis que le Cambodge se fondait principalement sur la ligne figurant sur la carte de

l’annexe I . Il s’ensuit logiquement que la zone située entre ces deux lignes constituait la zone

contestée et les «environs» du temple auxquels la Cour faisait référence. Cette zone est d’ailleurs

aussi la fameuse zone litigieuse de 4,6 km² mentionnée dans de récentes publications officielles

thaïlandaises.

83. La justesse de ce raisonnement est confirmée par une autre citation de l’arrêt. Après

avoir analysé les éléments de preuve que les Parties lui avaient présentés, la Cour a conclu qu’elle

s’estimait «tenue, du point de vue de l'interprétation des traités, de se prononcer en faveur de la

frontière indiquée sur la carte [de l’annexe I] pour la zone litigieuse» (C.I.J. Recueil 1962, p. 35 ;

les italiques sont de nous). Il ressort clairement de cette formulation que la Cour considérait que la

zone contestée devait englober la ligne représentée sur la carte de l’annexe I. D’ailleurs, même les

experts désignés par la Thaïlande dans la présente instance (l’IBRU) admettent que

«[l]es preuves produites devant la Cour concernaient essentiellement la zone de
7 kilomètres par 12 cartographiée par le professeur Schermerhorn [l’un des experts
désignés dans l’instance initiale] située dans les environs [là encore, l’expression «les

environs»] du temple, soit une petite partie des quelque 100 kilomètres de frontière
couverts par la carte de l’annexe I» (OET, annexe 96, par. 61).

Les «environs» considérés par la Cour dans l’instance initiale étaient donc, selon le rapport de

l’IBRU, cette zone de 7 kilomètres par 12, et non la zone restreinte circonscrite sur la carte retenue

en 1962 par le conseil des ministres thaïlandais.

84. Les nouveaux arguments avancés par la Thaïlande dans son dernier jeu d’écritures pour

étayer l’interprétation unilatérale de l’arrêt pour laquelle elle avait opté en 1962 sont infondés, étant

donné que la carte retenue par le conseil des ministres ne représente même pas la ligne de la carte
74

de l’annexe I, et encore moins les véritables environs du temple.

43Temple de Préah Vihéar, fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1962, p. 15.

44Ibid., p. 21. - 74 -

4. Conclusions

85. Monsieur le président, voici mes conclusions.

86. Selon moi, les éléments de preuve versés au dossier montrent clairement qu’il existe une

contestation opposant les Parties au sujet du sens ou de la portée de l’arrêt. En 1962, la Thaïlande

elle-même estimait que l’arrêt pouvait être interprété de différentes façons. Cette contestation s’est

manifestée tout au long des années 1960, et de 1970 à 2007, elle est restée latente, dans un premier

temps en raison de la guerre civile qui faisait rage au Cambodge, puis, lorsque des Cambodgiens

s’installèrent paisiblement autour du temple et dans ses environs, parce que la Thaïlande ne

protesta pas, si l’on excepte des plaintes occasionnelles concernant la pollution. Ce n’est

qu’en 2007-2008 qu’il y a eu résurgence de la contestation, due à ce que la Thaïlande s’opposait à

l’inscription du temple sur la liste du patrimoine mondial, et avait publié une nouvelle carte

«secrète» (carte L 7017). Après ces incidents, le Cambodge a protesté contre cette carte. Comme

vous le savez, il s’en est suivi des hostilités dans la zone, et le Cambodge a finalement été amené à

présenter une demande en interprétation et une demande en indication de mesures conservatoires.

87. Toutes les tentatives faites par la Thaïlande pour jeter le discrédit sur la carte de

l’annexe I en «allant au-delà du débat» de l’affaire initiale, et en se fondant sur des cartes dont elle

n’a découvert l’existence que récemment ou qui n’ont jamais été produites dans l’instance initiale,

comme la carte de la série L 7017, dont le Cambodge n’a eu connaissance qu’en 2007,

sont totalement dénuées de pertinence. Il en va de même de la tentative qu’elle fait de restreindre

l’étendue des environs du temple en exhumant des cartes censées représenter différentes lignes de

partage des eaux aux fins de l’instance initiale, mais que la Cour n’a pas mentionnées dans son

arrêt et qu’elle n’a pas considérées comme pertinentes.

88. Je remercie la Cour pour sa patiente attention et le temps qu’elle a bien voulu m’accorder

pour terminer mon exposé, au prix d’un dépassement de l’heure de la pause-déjeuner. Après la

pause, je vous saurais gré, Monsieur le président, de donner la parole à M. Sorel. Je vous remercie.

Le PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur Bundy. Certainement, après la

pause-déjeuner. L’audience est levée. La Cour se réunira cet après-midi à 15 heures.

L’audience est levée à 13 h 20.
___________

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