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150-20131014-ORA-01-01-BI
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CR 2013/24 (traduction)

CR 2013/24 (translation)

Lundi 14 octobre 2013 à 10 heures

Monday 14 October 2013 at 10 a.m. - 2 -

8 Le PRESIDENT : Veuillez-vous asseoir. L’audience est ouverte. La Cour siège

aujourd’hui, conformément au paragraphe 3 de l’article 74 du Règlement, pour entendre les

observations des Parties sur la demande en indication de mesures conservatoires présentée par le

Costa Rica en l’affaire relative à Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région

frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), qui a été jointe à l’affaire relative à la Construction d’une

route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), aux termes de deux

ordonnances distinctes de la Cour datées du 17 avril 2013.

Le juge Abraham, pour des raisons qu’il m’a fait connaître, est malheureusement dans

l’incapacité de siéger aujourd’hui.

Chacune des Parties en présence, la République du Costa Rica et la République du

Nicaragua, s’est prévalue de la faculté que lui confère l’article 31 du Statut de la Cour de désigner

un juge ad hoc. Le Costa Rica a désigné M. John Dugard et le Nicaragua, M. Gilbert Guillaume.

Les juges Guillaume et Dugard ont tous deux été installés en qualité de juges ad hoc en 2011, lors

de la phase de l’affaire consacrée à la demande en indication de mesures conservatoires soumise

par la République du Costa Rica le 18 novembre 2010.

*

Je vais maintenant rappeler brièvement les principales étapes de la procédure, à ce stade.

Le 18 novembre 2010, le Gouvernement du Costa Rica a déposé au Greffe de la Cour une requête

introductive d’instance contre le Gouvernement du Nicaragua à raison de «l’incursion en territoire

costa-ricien de l’armée nicaraguayenne, [de] l’occupation et [de] l’utilisation d’une partie de

celui-ci», ainsi que de «graves dommages causés à ses forêts pluviales et zones humides

protégées», de «dommages [que le Nicaragua] entend[ait] causer au [fleuve] Colorado» et «des

activités de dragage et de creusement d’un canal qu’il m[enait] dans le fleuve San Juan». Selon

le Costa Rica, ces activités étaient liées à la construction d’un canal (ou caño en espagnol) à travers

le territoire costa-ricien, entre le fleuve San Juan et la lagune de los Portillos. - 3 -

Le 18 novembre 2010, après avoir déposé sa requête, le Costa Rica, ainsi qu’il a déjà été

indiqué, a également présenté une demande en indication de mesures conservatoires en application

de l’article 41 du Statut de la Cour et des articles 73 à 75 de son Règlement.

9 Par ordonnance du 8 mars 2011 rendue dans cette affaire, la Cour a indiqué les mesures

conservatoires suivantes à l’intention des deux Parties :

«1) Chaque Partie s’abstiendra d’envoyer ou de maintenir sur le territoire litigieux, y
compris le caño, des agents, qu’ils soient civils, de police ou de sécurité ;

2) Nonobstant le point 1) ci-dessus, le Costa Rica pourra envoyer sur le territoire
litigieux, y compris le caño, des agents civils chargés de la protection de

l’environnement dans la stricte mesure où un tel envoi serait nécessaire pour éviter
qu’un préjudice irréparable soit causé à la partie de la zone humide où ce territoire
est situé ; le Costa Rica devra consulter le Secrétariat de la convention de Ramsar
au sujet de ces activités, informer préalablement le Nicaragua de celles-ci et faire
de son mieux pour rechercher avec ce dernier des solutions communes à cet égard ;

3) Chaque Partie s’abstiendra de tout acte qui risquerait d’aggraver ou d’étendre le
différend dont la Cour est saisie ou d’en rendre la solution plus difficile ;

4) Chaque Partie informera la Cour de la manière dont elle assure l’exécution des
mesures conservatoires ci-dessus indiquées.»

Par ordonnance du 5 avril 2011, la Cour a fixé au 5 décembre 2011 et au 6 août 2012,

respectivement, les dates d’expiration des délais pour le dépôt, en l’affaire, d’un mémoire du

Costa Rica et d’un contre-mémoire du Nicaragua. Le mémoire et le contre-mémoire ont été

déposés dans les délais ainsi fixés.

A l’époque du dépôt du mémoire, le Nicaragua a notamment prié la Cour d’«examiner

d’office si les circonstances de l’affaire exige[aient] l’indication de mesures conservatoires». Par

lettres en date du 11 mars 2013, le greffier a fait savoir aux Parties que la Cour considérait que les

circonstances de cette affaire, telles qu’elles se présentaient alors à elle, n’étaient pas de nature à

exiger l’exercice de son pouvoir d’indiquer d’office des mesures conservatoires en vertu de

l’article 75 du Règlement.

Lors d’une réunion que le président de la Cour a tenue avec les représentants des Parties

le 19 septembre 2012, celles-ci sont convenues de ne pas demander à la Cour d’autoriser le dépôt

d’une réplique et d’une duplique. - 4 -

Le 23 mai 2013, le Costa Rica, se référant à l’article 41 du Statut de la Cour et à l’article 76

de son Règlement, a déposé au Greffe une demande tendant à la modification de l’ordonnance en

indication de mesures conservatoires du 8 mars 2011. Dans le cadre de ses observations écrites, le

Nicaragua a prié la Cour de rejeter la demande du Costa Rica tout en l’invitant, à son tour, à

modifier ou adapter l’ordonnance du 8 mars 2011 sur le fondement de l’article 76 du Règlement.

10 Par ordonnance du 16 juillet 2013, la Cour a estimé que les circonstances, telles qu’elles se

présentaient alors à elle, n’étaient pas de nature à exiger l’exercice de son pouvoir de modifier les

mesures indiquées dans l’ordonnance du 8 mars 2011. Par la même ordonnance, elle a également

réaffirmé les mesures conservatoires indiquées dans son ordonnance du 8 mars 2011, en particulier

celle enjoignant aux Parties de «s’abst[enir] de tout acte qui risquerait d’aggraver ou d’étendre le

différend dont [elle] est saisie ou d’en rendre la solution plus difficile».

Le 24 septembre 2013, le Costa Rica, se référant à l’article 41 du Statut de la Cour et aux

articles 73, 74 et 75 du Règlement, a déposé au Greffe une nouvelle demande en indication de

mesures conservatoires en la présente affaire. Le Costa Rica a précisé qu’il ne cherchait pas à

obtenir la modification de l’ordonnance du 8 mars 2011, sa demande constituant une «demande

distincte, fondée sur des faits nouveaux».

Le greffier a immédiatement communiqué au Gouvernement du Nicaragua copie de ladite

demande.

Le Costa Rica affirme, s’agissant des faits qui l’ont conduit à introduire la présente demande,

que, depuis que la Cour a rendu son ordonnance du 16 juillet 2013 sur les demandes des Parties

tendant à modifier les mesures indiquées dans son ordonnance du 8 mars 2011, il a eu connaissance

de «nouvelles activités, aux conséquences graves, du Nicaragua dans le territoire litigieux» en

recevant des images satellite de la zone. Il soutient en particulier que le Nicaragua a entamé la

construction de deux nouveaux caños artificiels dans le territoire litigieux.

Je prierai maintenant le greffier de donner lecture du passage de la demande spécifiant les

mesures conservatoires que le Gouvernement du Costa Rica prie la Cour d’indiquer. - 5 -

Le GREFFIER :

«Le Costa Rica prie respectueusement la Cour, dans l’attente de la décision

qu’elle rendra sur le fond de la présente affaire, d’indiquer d’urgence, afin d’empêcher
qu’il soit une nouvelle fois porté atteinte à son intégrité territoriale ou que de
nouveaux dommages irréparables soient causés au territoire en question, les mesures
conservatoires suivantes, à savoir :
1) la suspension immédiate et inconditionnelle de tous travaux de dragage ou autres
dans le territoire litigieux et, en particulier, la cessation dans ce territoire de tous
travaux sur les deux nouveaux caños artificiels pouvant être observés sur les
images satellite [jointes à la demande] ;

11 2) l’obligation, pour le Nicaragua, de retirer immédiatement du territoire litigieux
tous agents, installations (y compris les tentes de campement) et matériels
(notamment de dragage) qui y ont été introduits par lui-même ou par toute
personne relevant de sa juridiction ou venant de son territoire ;

3) l’autorisation, pour le Costa Rica, d’effectuer dans le territoire litigieux tous
travaux de remise en état sur les deux nouveaux caños artificiels et les zones

environnantes qui se révéleront nécessaires pour empêcher qu’un préjudice
irréparable soit causé audit territoire ; et

4) l’obligation, pour chacune des Parties, d’informer la Cour immédiatement, et au
plus tard une semaine après le prononcé de l’ordonnance, de la manière dont elles
assurent la mise en œuvre des mesures conservatoires susmentionnées.»

Le PRESIDENT : Aux termes de l’article 74 du Règlement, la demande en indication de

mesures conservatoires a priorité sur toutes autres affaires et la Cour, si elle ne siège pas, est

immédiatement convoquée pour statuer d’urgence sur cette demande. La date de la procédure orale

est fixée de manière à donner aux parties la possibilité de s’y faire représenter. Les Parties ont

donc été informées que la date d’ouverture de la procédure orale visée au paragraphe 3 de

l’article 74 du Règlement, au cours de laquelle elles pourraient présenter leurs observations sur la

demande en indication de mesures conservatoires, avait été fixée à ce jour, le 14 octobre 2013.

Par la suite, dans une lettre datée du 10 octobre 2013 et adressée au greffier, le Nicaragua a

indiqué que, selon lui, les nouvelles mesures conservatoires demandées par le Costa Rica étaient

superflues étant donné qu’il les mettait déjà en œuvre de manière volontaire, et s’est engagé une

nouvelle fois à s’y conformer. Le Costa Rica a, quant à lui, fait savoir à la Cour par lettre datée

du 11 octobre qu’il priait le Nicaragua de confirmer qu’il était disposé à ce que la Cour rende, avec

le consentement des deux Etats, une ordonnance indiquant les mesures conservatoires sollicitées, ce

qui permettrait de faire l’économie du temps et des ressources financières exigées par la tenue - 6 -

d’audiences. Dans une réponse en date du même jour, le Nicaragua a répété que, de son point de

vue, la demande en indication de mesures conservatoires du Costa Rica était dépourvue d’objet

puisque, pour l’essentiel, les mesures sollicitées étaient déjà mises en œuvre. Le Nicaragua faisait

en outre valoir que, du fait des mesures qu’il avait prises en réponse aux activités prétendument

menées sans autorisation dans le territoire litigieux, il se conformait strictement à l’ordonnance de

la Cour du 8 mars 2011 et que point n’était besoin pour celle-ci de rendre une nouvelle ordonnance

sur la même question.

Le 11 octobre 2013, le Nicaragua a présenté sa propre demande en indication de mesures

conservatoires en l’affaire relative à la Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve

12 San Juan (Nicaragua c. Costa Rica). La Cour examine actuellement la suite à donner à cette

demande et les Parties seront informées plus tard — d’ici à la fin de la journée je l’espère — de sa

décision quant aux étapes suivantes de la procédure.

Je note la présence devant la Cour des agents, conseils et avocats des deux Parties.

Conformément aux dispositions relatives à l’organisation de la procédure arrêtées par la Cour, les

audiences comprendront un premier et un second tour de plaidoiries. Chaque Partie disposera

d’une séance de trois heures pour le premier tour et d’une séance d’une heure et demie pour le

second. Il s’agit bien évidemment d’un temps de parole maximal, que les Parties ne devront

utiliser qu’en tant que de besoin.

Le Costa Rica présentera ce matin son premier tour d’observations orales sur sa demande en

indication de mesures conservatoires. Le Nicaragua présentera son premier tour d’observations

orales sur cette demande mardi 15 octobre, à 10 heures. Les Parties seront informées par la suite de

l’organisation du second tour.

Avant de donner la parole à S. Exc. M. l’ambassadeur Edgar Ugalde, agent de la République

du Costa Rica, j’appelle l’attention des Parties sur l’instruction de procédure XI, selon laquelle,

«[d]ans leurs exposés oraux sur les demandes en indication de mesures conservatoires,
les Parties devraient se limiter aux questions touchant aux conditions à remplir aux
fins de l’indication de mesures conservatoires, telles qu’elles ressortent du Statut, du
Règlement et de la jurisprudence de la Cour. Les Parties ne devraient pas aborder le
fond de l’affaire au-delà de ce qui est strictement nécessaire aux fins de la demande.»

Je donne à présent la parole à S. Exc. M. l’ambassadeur Edgar Ugalde Álvarez, agent du

Costa Rica. - 7 -

Mr. ÁLVAREZ:

1. Mr. President, distinguished Members of the Court, it is an honour to appear again before

you today as Representative of Costa Rica. Over two years have gone by since our urgent request

for the indication of provisional measures, following the illegal occupation, utilization and

transformation of our territory by Nicaragua. I pointed out at the time that, in violating the land

boundary with Costa Rica — the boundary fully and clearly established by international law for

over a century and accepted as such by both countries — Nicaragua was in breach of international

law and jeopardizing peaceful co-existence between our two countries.

13 2. In 2010, when we appeared before you to ask you to order provisional measures,

Nicaragua was occupying Isla Portillos, which is part of Costa Rican territory, and was engaged in

a project to transform that part of our territory. The project included the construction of an

artificial caño between the San Juan River and Los Portillos lagoon, known in English as Harbor

Head Lagoon. That artificial caño is shown in red on the lower part of the sketch-map on your

screens, and reproduced at tab 2 of your folders.

3. In March 2011, in response to Costa Rica’s urgent request, your Court indicated

provisional measures and requested both Parties to refrain from sending to, or maintaining in the

disputed territory, including the artificial caño constructed by Nicaragua in the latter part of 2010,

any personnel, whether civilian, police or security, with the exception of Costa Rican personnel

charged with the protection of the environment.

4. Unfortunately, Costa Rica finds itself once again obliged to seek from you provisional

measures for the urgent protection of its territorial sovereignty and international rights, as a result

of further unjustified actions on the part of Nicaragua. As we speak, Nicaragua is undertaking a

new transformation project in another part of Costa Rican territory, again in the northern part of

Isla Portillos. On the sketch-map on your screens, you can see marked in red two new artificial

caños between the San Juan River and the Caribbean Sea. Nicaragua began the construction of

these two new caños this year, between the months of July and September. Costa Rica discovered

this only a few weeks ago. - 8 -

5. Nicaragua’s works are already at an advanced stage and are currently ongoing. If these

works continue, there is an imminent risk that they will cause additional irreparable damage to the

territory of Costa Rica.

6. As soon as Costa Rica discovered that Nicaragua was engaged in the construction of two

new caños on Costa Rican territory, and in particular in the disputed area covered by the

provisional measures indicated by the Court in 2011, Costa Rica immediately protested to

Nicaragua, and asked it to explain its conduct. Costa Rica further requested Nicaragua

14 immediately to halt all construction work on the two new caños as well as all other construction

work on the disputed territory, and to promise it subsequently that all construction work had ceased

and would not be recommenced. Costa Rica included in its request irrefutable proof of the

existence of the new caños, which are clearly shown on satellite images.

7. Regrettably, Nicaragua’s response was totally inadequate, and it even went so far as to

refuse to admit to its own actions in the area. In consequence, Costa Rica has had no choice but to

make this urgent request to the Court for the protection of its rights.

8. Mr. President, Nicaragua’s actions are neither isolated nor accidental. Nicaragua has

undertaken a consistent and long-standing campaign to flout its international obligations to

Costa Rica, making a mockery of the principle of good faith. Nicaragua continues to send groups

of Nicaraguan nationals to the disputed area, notwithstanding the provisional measures indicated by

you on 8 March 2011 and the concerns expressed by you in your Order of 16 July 2013, where you

stated and I quote: “[T]he presence of organised groups of Nicaraguan nationals in the disputed

area carries the risk of incidents which might aggravate the present dispute.” As you pointed out,

that situation and I quote again: “is exacerbated by the limited size of the area and the numbers

of Nicaraguan nationals who are regularly present there”. However, it is clear that Nicaragua has

gone still further, since it is engaged in the construction of two new caños in the northern part of

Isla Portillos the area for which you ordered provisional measures on 8 March 2011. If you do

not take measures to prevent Nicaragua from continuing with its work, there would be a real risk

that Nicaragua could effectively present both Costa Rica and this Court with a fait accompli

involving irreparable damage, before the latter is able to render its final binding Judgment. - 9 -

9. Mr. President, the rights which Costa Rica is seeking to protect are among the most

important in international relations: the right of sovereignty and the right to territorial integrity.

Your Court has already recognized and I quote — that: “the sovereign title claimed by

Costa Rica over the entirety of Isla Portillos is plausible”. In occupying the territory of Costa Rica

in November 2010, Nicaragua claimed that territory for the first time in its history, and as a result

15 the area is the subject of a dispute between the Parties in the case entitled Certain Activities carried

out by Nicaragua in the Border Area. In engaging in these wrongful acts on Isla Portillos,

Nicaragua has caused and is continuing to cause irreparable injury to the rights of Costa Rica. And

there is a risk of further irreparable damage, in particular as a result of the diversion of the San Juan

River, which seems to be the specific intention of Nicaragua underlying the construction of these

new caños. In these circumstances, new provisional measures are necessary, more particularly in

order to prevent further irreparable prejudice to Costa Rica’s sovereign rights, and in consequence

to avoid us all being presented with a fait accompli.

10. Mr. President, I will now, if I may, present the programme for the first round of

Costa Rica’s arguments for this morning. To begin with, Mr. Sergio Ugalde will present the facts

regarding the wrongful acts of Nicaragua in the disputed area between June and September 2013.

Mr. Samuel Wordsworth will show that Costa Rica’s Application is of real urgency in order to

prevent irreparable prejudice to its rights. Professor James Crawford will then explain the

provisional measures requested. Finally, Professor Marcelo Kohen will explain what the

consequences would be if this honourable Court were to refuse to order provisional measures.

Mr. President, Members of the Court, thank you so much for your kind attention.

Mr. President, I ask you to give the floor to Mr. Ugalde. Thank you.

Le PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur l’agent. Je passe la parole à M. Ugalde. Vous

avez la parole, Monsieur. - 10 -

M. UGALDE :

L ES FAITS

1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, c’est un grand honneur et un

privilège de me présenter une nouvelle fois devant vous, et de le faire au nom du Costa Rica.

2. Monsieur le président, je me propose ce matin de présenter le contexte dans lequel

s’inscrivent les activités que le Nicaragua mène depuis peu sur le territoire costa-ricien ; en fait, sur

16 le «territoire litigieux», pour reprendre votre formulation, c’est-à-dire, par hypothèse, la zone visée

par l’ordonnance en indication de mesures conservatoires que vous avez rendue le 8 mars 2011.

3. La Cour connaît déjà bien les circonstances à l’origine du différend faisant l’objet de la

présente procédure, et je ne reviendrai donc pas en détail sur le contexte factuel. Il suffit de

rappeler que suite à l’occupation militaire illicite, l’utilisation et la destruction partielle du territoire

costa-ricien dans la partie septentrionale de Isla Portillos par le Nicaragua, le Costa Rica a,

le 18 novembre 2010, introduit une instance, et parallèlement présenté une demande en indication

de mesures conservatoires. La Cour a examiné la demande du Costa Rica et a indiqué des mesures
1
conservatoires .

A. Le «territoire litigieux»

4. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, vous vous en souvenez sans

doute, la Cour a, dans son ordonnance de mars 2011, défini le «territoire litigieux» comme

constitué par :

«la partie septentrionale de Isla Portillos, soit la zone humide d’environ trois
kilomètres carrés comprise entre la rive droite du caño litigieux, la rive droite du

fleuve San Juan lui-même jusqu’à son embouchure dans la mer 2es Caraïbes et la
lagune de Harbor Head (ci-après le «territoire litigieux»)» .
o
5. Vous pouvez voir la zone ainsi décrite à l’écran, ainsi qu’à l’onglet n 4 du dossier de

plaidoiries. Le «caño litigieux» que vous avez mentionné (que j’appellerai «caño de 2010», pour

le distinguer des nouveaux caños) correspond à la ligne rouge qui se trouve à peu près au centre de

1 Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), mesures
conservatoires, ordonnance, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 6.
2
Ibid., p. 19, par. 55. - 11 -

l’image. Le territoire litigieux s’étend de la rive droite de ce caño jusqu’à l’embouchure du

San Juan dans la mer des Caraïbes. Vous pouvez également voir, en haut de l’image satellite, les

deux nouveaux caños artificiels à l’origine de la demande présentée par le Costa Rica à la Cour

aujourd’hui. Ils se situent sur Isla Portillos, entre la rive droite du caño de 2010 et la mer des

Caraïbes. Ils se trouvent, sans l’ombre d’un doute, sur le territoire litigieux.

17 6. Dans son ordonnance du 8 mars 2011, la Cour a considéré que le titre de souveraineté

revendiqué par le Costa Rica sur l’entièreté de Isla Portillos était plausible , et a conclu que la

poursuite des activités menées par le Nicaragua sur Isla Portillos serait «susceptibl[e] d’affecter»

les droits allégués par le Costa Rica . 4

7. De surcroît, la Cour a estimé que le Nicaragua «entend[ait], fût-ce ponctuellement, mener

certaines activités sur le territoire litigieux» et que cela «cré[ait] un risque imminent de préjudice

irréparable au titre de souveraineté revendiqué par le Costa Rica … ainsi qu’aux droits qui en

5
découlent» . En conséquence, la Cour a décidé, à l’unanimité, d’indiquer la première mesure

conservatoire, qui prévoyait que «[c]haque Partie s’abstiendra[it] d’envoyer ou de maintenir sur le

6
territoire litigieux, y compris le caño, des agents, qu’ils soient civils, de police ou de sécurité» .

8. La Cour a également prié les Parties d’informer la Cour de la manière dont elles

assureraient l’exécution de l’ordonnance en indication de mesures conservatoires. Ainsi, au mois

d’avril 2011, le Costa Rica a présenté six rapports attestant de la politique menée par le Nicaragua

et de la pratique de celui-ci consistant à envoyer et à maintenir des citoyens nicaraguayens sur le

«territoire litigieux». Ces personnes y ont entamé de nouvelles activités, ce que reconnaît

3Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), mesures
conservatoires, ordonnance, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 6, par. 58.

4Ibid., p. 20, par. 60.
5
Ibid., p. 24, par. 75.
6Ibid., p. 27, par. 86 1).

7 Voir les rapports présentés par le Costa Rica à la Cour internationale de Justice le 8 avril 2011
(ECRPB-029-11) ; le 13 avril 2011 (ECRPB-030-11) ; le 23 juin 2011 (ECRPB-039-11) ; le 3 juillet 2012,
(ECRPB-026-12) ; le 21 novembre 2012, (ECRPB-045-12) et le 15 mars 2013, (ECRPB-016-13). - 12 -

8
le Nicaragua . Celui-ci a organisé et encouragé leur présence à cet endroit. Le Costa Rica a

également signalé à la Cour la présence de nouveaux camps érigés par le Nicaragua sur le territoire

9 o
litigieux , dont l’existence est attestée par la photographie que vous trouverez à l’onglet n 5 du

dossier de plaidoiries.

9. Compte tenu de l’envoi et du maintien par le Gouvernement nicaraguayen de milliers de

ressortissants sur le territoire litigieux, le Costa Rica s’est vu contraint de présenter, le 23 mai 2013,

une demande tendant à la modification de l’ordonnance en indication de mesures conservatoires

10
18 de 2011 . Le 16 juillet 2013, la Cour a conclu que, sur la base des faits tels qu’ils lui avaient été

rapportés à ce moment-là, il n’était pas nécessaire de modifier l’ordonnance qu’elle avait rendue

le 8 mars 2011 . Cependant, la Cour a clairement fait état de son inquiétude concernant «la

présence de groupes organisés de [nombreux] ressortissants nicaraguayens dans le territoire

litigieux» . Quelques semaines seulement après que la Cour a exprimé sa préoccupation à cet

égard, la presse nicaraguayenne se glorifiait du fait que, au mois d’août 2013, le nombre de

Nicaraguayens envoyés jusqu’à cette date sur le territoire litigieux était supérieur à dix mille . 13

B. Les nouvelles activités conduites par le Nicaragua sur le territoire litigieux

10. Monsieur le président, depuis que la Cour a rendu son ordonnance du 16 juillet 2013, de

nouveaux événements alarmants ont eu lieu. Le Nicaragua s’est livré à de nouvelles activités

visant à altérer la géographie du Costa Rica en construisant, non pas un, mais deux caños

supplémentaires. Avec ces nouveaux cours d’eau artificiels, le Nicaragua entend créer une

nouvelle embouchure du San Juan dans la mer des Caraïbes en coupant à travers le territoire du

Costa Rica.

8Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), observations

écrites sur la demande du Costa Rica tendant à la modification de l’ordonnance en indication de mesures conservatoires
rendue par la Cour le 8 mars 2011, 14 juin 2013, par. 29. Voir aussi CMN, par. 7.19.
9Voir le rapport ECRPB-016-13 présenté par le Costa Rica à la Cour internationale de Justice le 15 mars 2013.

10Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), demande
tendant à la modification de l’ordonnance en indication de mesures conservatoires du 8 mars 2011, 23 mai 2013.

11Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), demandes
tendant à la modification de l’ordonnance en indication de mesures conservatoires du 8 mars 2011, ordonnance,
16 juillet 2013, par. 36.

12Ibid., par. 37.
13
Voir les éléments signalés dans la note diplomatique DM-AM-536-13 en date du 16 septembre 2013 adressée à
M. Samuel Santos López, ministre des affaires étrangères du Nicaragua, par M. Enrique Castillo Barrantes, ministre des
affaires étrangères et des cultes du Costa Rica, annexe 1. - 13 -

11. A la fin du mois d’août dernier, la police costa-ricienne a été informée d’activités et de

bruits inhabituels dans la zone, témoignant notamment de l’abattage d’arbres à la tronçonneuse, ce

dont elle a alerté les autorités autour du 30 août 2013. Dès réception de ces informations, le

ministère des affaires étrangères a chargé un fournisseur costa-ricien d’imagerie satellite d’obtenir

auprès des opérateurs des clichés actuels de la zone litigieuse. En raison de l’épaisse couverture

nuageuse présente dans la région, notamment à cette période de l’année, la première image nette

n’a pu être obtenue que le 5 septembre 2013. Elle a été transmise au Costa Rica le

13 septembre 2013.

12. Cette image, qui figure à l’onglet n 6 de vos dossiers et s’affiche maintenant à l’écran,

montre clairement deux chenaux dans le coin septentrional du territoire litigieux. Sur la gauche

apparaît un petit caño et, à droite, un autre, beaucoup plus important, sur lequel naviguent deux

bateaux dont l’un est manifestement une drague. Les campements nicaraguayens, dont le

14
19 Costa Rica a fait état auprès de la Cour dans son rapport du 15 mars 2013 apparaissent également

sur l’image. La raison pour laquelle le Nicaragua a décidé d’installer ses campements à cet endroit

est aujourd’hui très claire.

13. Afin de s’assurer qu’il s’agissait bien de deux nouveaux chantiers, le Costa Rica a

examiné les images satellite de 2010, 2011, 2012 et du 30 juin 2013, lesquelles sont reproduites

os
aux onglets n 7 à 10 de vos dossiers. Aucune de ces images ne montre les deux nouveaux caños.
o
Comme vous pouvez le voir à l’écran et à l’onglet n 11 de vos dossiers, lorsqu’on les superpose,

l’image infrarouge du 30 juin 2013 et celle du 5 septembre 2013 montrent clairement ce qui s’est

passé : sur l’image du 5 septembre apparaissent deux nouveaux caños, là où se trouvait, le 30 juin,

une zone humide intacte. On ne trouve pas trace non plus des nouveaux caños sur les images

satellite des années précédentes, notamment celles que le Nicaragua a annexées à son

14 Lettre datée du 15 mars 2013 adressée à la Cour internationale de Justice par le Costa Rica,
réf. ECRPB-016013. - 14 -

15 o
contre-mémoire . Une autre photographie du 14 septembre 2013, reproduite à l’onglet n 12 de

vos dossiers, confirme que la drague nicaraguayenne observée dans le canal oriental le 5 septembre

s’y trouvait toujours le 14.

14. Suite à cette découverte, le Costa Rica a immédiatement sollicité, par écrit, des

explications concernant ces nouveaux chantiers. Il a également invité le Nicaragua à mettre fin

sans délai à toute activité de construction dans le territoire litigieux ainsi qu’à s’engager à ne pas

les reprendre et à empêcher toute personne provenant de son territoire de pénétrer sur le territoire

litigieux . Afin d’éviter toute confusion possible quant aux faits qu’il dénonçait, le Costa Rica a

joint à sa lettre les images satellite pertinentes, ainsi que les coordonnées géographiques des

nouveaux caños.

17 18
15. Le 17 septembre 2013, le Costa Rica a fait savoir au Nicaragua , à la Cour et au

secrétariat de la convention de Ramsar que des agents costa-riciens chargés de la protection de

20 l’environnement devaient se rendre sur le «territoire litigieux», afin d’éviter, conformément aux

termes de l’ordonnance de la Cour du 8 mars 2011, que des dommages irréparables ne soient

causés à la zone humide. La Cour n’est pas sans savoir que le Costa Rica est soumis, en vertu de la

convention de Ramsar, à certaines obligations concernant la zone humide de Isla Portillos, et que

des travaux de construction tels que ceux mis en évidence par l’imagerie satellite obtenue par le

Costa Rica constituent des activités susceptibles de causer des dommages irréparables à cette zone

humide, que le Costa Rica est tenu de protéger et de préserver. Dans sa lettre, celui-ci expliquait

que ses agents entendaient rejoindre le secteur concerné en empruntant le San Juan ou en survolant

la zone, selon les conditions météorologiques.

15
Voir notamment CMN, annexe 135 (image satellite de 2007) et annexe 136 (image satellite de 2010). Voir
également CMN, figure 6.8 (image de janvier 2011), p. 330.
16 Note diplomatique DM-AM-536-13 en date du 16 septembre 2013 adressée à M. Samuel Santos López,

ministre des affaires étrangères du Nicaragua, par M. Enrique Castillo Barrantes, ministre des affaires étrangères et des
cultes du Costa Rica, annexe 1.
17Voir note diplomatique DM-AM-537-13 en date du 17 septembre 2013 adressée à M. Samuel Santos López,
ministre des affaires étrangères du Nicaragua, par M. Enrique Castillo Barrantes, ministre des affaires étrangères et des

cultes du Costa Rica, annexe 2.
18Voir note ECRPB-059-13 en date du 17 septembre 2013 adressée à M. Philippe Couvreur, greffier de la Cour
internationale de Justice, par M. l’ambassadeur Jorge Urbina, coagent du Costa Rica, annexe 3.

19Voir note MPCR-ONUG/2013-407 en date du 17 septembre 2013 adressée à M. Christopher Briggs, secrétaire
général de la convention de Ramsar, par M. l’ambassadeur Manuel B. Dengo, représentant permanent de la République
du Costa Rica auprès de l’Office des Nations Unies et des autres organisations internationales à Genève, annexe 4. - 15 -

16. Le 18 septembre 2013, alors que les conditions météorologiques permettaient cette visite

sur place, les agents costa-riciens ont tenté d’accéder au territoire litigieux par le San Juan, à bord

d’une embarcation privée. Cependant, lorsqu’ils se sont présentés au premier poste de contrôle

nicaraguayen, le poste «Delta», des agents des forces armées nicaraguayennes les ont retenus et

leur ont interdit l’accès au fleuve .

17. D’autres agents costa-riciens chargés de la protection de l’environnement ont pu survoler

le «territoire litigieux» à bord d’un hélicoptère spécialement affrêté. Etant donné la présence

possible de personnels militaires nicaraguayens dans la zone, et la menace que cette présence

représentait pour la sécurité des agents du Costa Rica, ce survol a été extrêmement court, ne durant

que trois minutes environ. Il a toutefois permis d’observer et de constater les dommages que les

activités du Nicaragua avaient causés dans le territoire litigieux. Ces observations sont consignées
21
dans un rapport daté du 18 septembre 2013, joint à la demande du Costa Rica .

21 18. Les photographies prises depuis l’hélicoptère sont reproduites aux onglets n 13 à 17 et

s’affichent maintenant à l’écran ; elles montrent le plus important des deux caños, construit en

ligne droite, sur 20 à 30 mètres de large et quelque 300 mètres de long. En haut de l’écran, vous

pouvez voir la mer des Caraïbes et l’étroite bande de plage qui la sépare d’une petite lagune, située

à l’extrémité septentrionale du nouveau caño. On observe que les rives de celui-ci ont été

récemment dégagées de toute végétation, hormis certains grands arbres laissés intacts, comme en

témoignent les ombres apparaissant sur chacune des deux rives, afin de cacher à la vue de la police

costa-ricienne ces travaux de construction entrepris sur un territoire costa-ricien non contesté. Au

centre de la photographie, une drague nicaraguayenne est à l’œuvre, creusant le caño en largeur et

en profondeur. En bas à gauche de l’image apparaît une conduite d’évacuation orientée en

direction du San Juan, ce qui donne à penser que les sédiments résultant de la construction du caño

sont déposés dans le fleuve pour obstruer son bras principal et rediriger ainsi ses eaux vers le

nouveau canal. Dans la partie supérieure droite de la photographie, sur la plage et à la lisière de la

20Rapport en date du 18 septembre 2013 établi par le ministère de l’environnement et de l’énergie (MINAE) du
Costa Rica et le réseau national des zones de conservation (SINAC), annexe 6, p. 2 ; et note diplomatique
DM-DVM-550—2013 du 24 septembre 2013 adressée à M. Samuel Santos López, ministre des affaires étrangères du
Nicaragua, à Mme Gioconda Ubeda Rivera, ministre par intérim des affaires étrangères et des cultes du Costa Rica,
annexe 20.
21
Rapport en date du 18 septembre 2013 établi par le ministère de l’environnement et de l’énergie (MINAE) du
Costa Rica et le réseau national des zones de conservation (SINAC), annexe 6. - 16 -

forêt, vous voyez ce qui ressemble à des campements de l’armée nicaraguayenne avec, notamment,

une tour d’observation rudimentaire. L’agrandissement de la zone qui s’affiche maintenant à

o
l’écran il est disponible sous l’onglet n 14 montre clairement les structures et la tour

d’observation. Ces nouveaux campements sont semblables à ceux qui avaient été installés dans le

22 o
territoire occupé en 2011 , et que vous pouvez voir sous l’onglet n 15.
o
19. La photographie maintenant à l’écran, reproduite sous l’onglet n 16, montre un plan

rapproché de la partie septentrionale du caño où apparaissent, en son centre, des souches d’arbres.

Il semble que les grands arbres n’aient pas tous été épargnés à cet endroit. Vous voyez également,

en haut de la photographie, une tranchée en train d’être creusée depuis la petite lagune située de

l’autre côté de la plage.
o
20. L’onglet n 17 présente un gros plan de la drague. Au moment où la photographie a été

prise, soit le 18 septembre 2013, la drague était à l’œuvre, comme le prouvent clairement la tête

coupeuse déployée (l’élément noir situé à la base de la machine) ainsi que la conduite d’évacuation

flottant dans l’eau à l’arrière de la drague, dans la partie supérieure de la photographie . Ainsi,3

le 18 septembre 2013, le Nicaragua poursuivait les travaux de construction des caños.

22 21. C’est également le 18 septembre 2013 que le ministre des affaires étrangères du

Nicaragua a répondu à la lettre du Costa Rica. Dans sa réponse, le Nicaragua niait la réalité de la

construction de ces caños bien qu’étant en possession d’éléments de preuve irréfutables, fournis

par les images satellite annexées à la lettre du Costa Rica que je vous ai montrées aujourd’hui.

Il refusait de mettre fin aux travaux et de donner les assurances requises par le Costa Rica.

22. Monsieur le président, les faits que je viens de vous présenter sont indiscutables. Ils

prouvent clairement la réalité des activités que le Nicaragua a délibérément entreprises, au mépris

de l’autorité de la Cour et des principes fondamentaux du droit international.

23. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, le 24 septembre, le Costa Rica

s’est trouvé dans la situation suivante :

22Voir photographies montrant la présence de troupes nicaraguayennes à Isla Los Portillos après les audiences
sur les mesures conservatoires, 19 janvier 2001, MCR, annexe 223.
23
Voir également, M. Colin Thorne, Report on the Impact of the Construction of the two New Caños on
Isla Portillos [Rapport sur l’impact de la construction de deux nouveaux caños sur Isla Portillos], annexe 33, p. 3,
par. 4.1 d). - 17 -

a) premièrement, il disposait d’éléments démontrant indubitablement que le Nicaragua construisait

deux caños dans le secteur costa-ricien de Isla Portillos, le territoire litigieux qui fait l’objet de

l’ordonnance de la Cour.

b) Deuxièmement, il a transmis ces éléments de preuve au Nicaragua en l’invitant à mettre fin aux

travaux et à fournir des assurances de non répétition.

c) Troisièmement, le Nicaragua a refusé de fournir les assurances sollicitées, imputant l’apparition

des canaux ainsi que, semble-t-il, des dragues à d’importantes précipitations. Il a, de fait,

purement et simplement nié la construction des nouveaux caños, malgré les preuves irréfutables

apportées par les images satellite.

d) Quatrièmement, le Nicaragua a ensuite laissé entendre, par la voix de M. Pastora, qu’il

conduisait effectivement des travaux dans le territoire litigieux, mais que ceux-ci avaient pour

objet l’enlèvement des «plantes aquatiques», et non le dragage et la construction de nouveaux

canaux.

24. Dans ces circonstances, ayant été mis devant le fait accompli, et afin d’éviter que cette

situation ne perdure, le Costa Rica s’est vu contraint, le 24 septembre, de déposer cette nouvelle

demande en indication de mesure conservatoires.

C. Evénements postérieurs à la présentation de la demande en indication
de mesures conservatoires du Costa Rica

25. Monsieur le président, jeudi dernier en fin d’après-midi, le 10 octobre, le Costa Rica a

reçu une communication du Nicaragua, transmise par le greffier . Dans cette lettre, envoyée plus

de trois semaines après que le Costa Rica s’est mis en rapport avec le Nicaragua au sujet des caños,

23 ce dernier invente une autre explication. Il laisse entendre que tout est la faute de M. Pastora. Or,

M. Pastora, c’est le Nicaragua. Il agit pour le compte du Gouvernement nicaraguayen. Il a été

nommé par M. Ortega, président du Nicaragua, afin de mener, pour le compte de ce pays, les

travaux de dragage du fleuve San Juan et de Isla Portillos, ces mêmes activités que l’agent et les

24 Lettre HOL-EMB-193 en date du 10 octobre 2013 adressée au greffier par l’agent du Nicaragua, jointe à la
lettre n 142571 datée du même jour adressée au Costa Rica par le greffier. - 18 -

conseils du Nicaragua ont vigoureusement défendues tout au long de la présente procédure. La

lettre du 22 septembre 2013 de l’autorité portuaire nicaraguayenne est adressée à M. Pastora en sa

qualité de «délégué du gouvernement responsable des travaux de dragage» . 25

26. Malgré ses dénégations de jeudi dernier, le Nicaragua reconnaissait dès le lendemain,

dans une lettre adressée à la Cour, mener effectivement des activités non autorisées . En fait, 26

parmi les documents présentés par le Nicaragua ce même jour, se trouvait un rapport daté

du 20 septembre établi par le directeur technique de l’autorité portuaire nicaraguayenne

(l’organisme public responsable des travaux de dragage) dans lequel on lit ceci : «les travaux de

nettoyage ont commencé au mois d’août afin d’assurer l’écoulement naturel du fleuve San Juan

vers le delta situé à son embouchure. Ces travaux sont notamment effectués à l’aide d’une drague

suceuse» . C’est là une information importante, d’une part parce que cela montre clairement que

l’opération était approuvée par les autorités nicaraguayennes, et d’autre part parce que cela

contredit expressément les déclarations faites le 18 septembre par le ministre nicaraguayen des

affaires étrangères, ainsi que les déclarations qu’a faites à la Cour l’agent du Nicaragua jeudi

dernier. Dans une lettre, celui-ci disait en effet : «Ainsi qu’il en a avisé le Costa Rica par note

diplomatique datée du 18 septembre, le Nicaragua «n’a autorisé aucune sorte de travaux dans la

zone litigieuse et n’y a envoyé aucun agent». Le Nicaragua réitère formellement cette

déclaration.» 28 C’est tout simplement faux. Le Gouvernement nicaraguayen était parfaitement au

courant, a bel et bien autorisé des agents à mener ces travaux au mois d’août et leur a fourni

l’équipement nécessaire.

24 27. Le Nicaragua a affirmé, vendredi dernier, avoir suspendu l’ensemble des travaux et retiré

tous ses agents et équipements le 23 septembre, ce qui apparemment règlerait le problème.

25
Lettre PE-VSM-0592-09-2013 en date du 22 septembre 2013 adressée au délégué du gouvernement
responsable des travaux de dragage du fleuve San Juan, Nicaragua, par le président exécutif de l’autorité portuaire
nationale, annexe 8 de la lettre HOL-EMB-197 en date du 11 octobre 2013 adressée au greffier par le Nicaragua, jointe à
la lettre 142609 en date du 11 octobre 2013 adressée au Costa Rica par le greffier.
26
Lettre HOL-EMB-197 en date du 11 octobre 2013 adressée au greffier par le Nicaragua, jointe à la
lettre 142609 en date du 11 octobre 2013 adressée au Costa Rica par le greffier, p. 1.
27 Lettre GT-LAQG-0886-09-2013 en date du 20 septembre 2013 adressée au président exécutif de l’autorité

portuaire nationale par le directeur technique de l’autorité portuaire nationale, annexe 3 de la lettre HOL-EMB-197 en
date du 11 octobre 2013 adressée au greffier par le Nicaragua, jointe à la lettre 142609 en date du 11 octobre 2013
adressée au Costa Rica par le greffier.
28Lettre HOL-EMB-197 en date du 11 octobre 2013 adressée au greffier par le Nicaragua (référence omise),
jointe à la lettre 142609 en date du 11 octobre 2013 adressée au Costa Rica par le greffier. - 19 -

Il convient néanmoins de noter que le Nicaragua n’avait jusque-là jusqu’au dernier moment,

donc donné aucune explication au Costa Rica ou à la Cour. Il a gardé le silence lorsque la Cour

a décidé d’organiser ces audiences, et, avant vendredi, il n’avait informé ni le Costa Rica ni la Cour

de son respect allégué et tardif de l’ordonnance.

28. Monsieur le président, ces éléments prouvent sans l’ombre d’un doute que le Nicaragua

mène ces activités de façon délibérée, en ne tenant aucun compte des droits du Costa Rica, ni de

l’autorité de la Cour. La Cour considérera ces nouveaux développements, nous en sommes

certains, tels qu’ils sont réellement : des actes faisant fi des droits du Costa Rica et de l’autorité de

la Cour, des actes par lesquels le Nicaragua tente de redessiner la frontière, quel qu’en soit le prix.

29. Monsieur le président, ainsi s’achève mon exposé de ce jour. Je vous remercie de votre

attention, ainsi que Mesdames et Messieurs de la Cour. Monsieur le président, je vous prie à

présent de bien vouloir appeler à la barre M. Samuel Wordsworth.

M. WORDSWORTH :

C ONDITIONS À REMPLIR AUX FINS DE L ’INDICATION DE MESURES CONSERVATOIRES

A. Introduction

1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, c’est un privilège pour moi de

me présenter devant vous et d’avoir été prié par la République du Costa Rica de traiter la question

des conditions à remplir aux fins de l’indication de mesures conservatoires et de l’application de

ces mesures en l’espèce. Ces conditions n’ont pas de secret pour vous.

a) Premièrement, bien entendu, l’existence de la compétence prima facie de la Cour pour
29
connaitre du différend doit être établie ;

b) deuxièmement, le Costa Rica doit démontrer qu’il existe un risque de préjudice irréparable et

que les mesures demandées sont nécessaires «afin qu’un préjudice irréparable ne soit pas causé

30
aux droits en litige dans une procédure judiciaire» ;

29Anglo-Iranian Oil Co. (Royaume-Uni c. Iran), mesures conservatoires, ordonnance du 5 juillet 1951,
C.I.J. Recueil 1951, p. 89 et 93 ; Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France), mesures conservatoires, ordonnance du
22 juin 1973, C.I.J. Recueil 1973, p. 137, par. 14 ; Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière
(Costa Rica c. Nicaragua), mesures conservatoires, ordonnance du 8 mars 2011, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 17, par. 49. - 20 -

31
25 c) troisièmement, les droits à protéger apparaissent «au moins plausibles» et

d) quatrièmement, nous devons démontrer qu’«il y a urgence, c’est-à-dire qu’il existe un risque

réel et imminent qu’un préjudice irréparable soit causé aux droits en litige avant que la Cour

32
n’ait rendu sa décision définitive» .

2. Il ne peut y avoir le moindre désaccord sur les première et troisième conditions. La Cour

33
a déjà conclu dans son ordonnance de 2011 qu’elle avait compétence prima facie et, depuis, le

Nicaragua a expressément accepté cette compétence . La Cour a également déjà indiqué que le

35
titre de souveraineté revendiqué par le Costa Rica était plausible . C’est donc sur les deuxième et

quatrième conditions que je vais devoir m’attarder.

3. Les normes juridiques pertinentes concernant le préjudice irréparable et l’urgence sont très

bien connues de la Cour et je n’ai pas besoin de m’étendre sur la question. En revanche, je vais

devoir porter à votre attention certains des éléments de preuve, mais ne vous demanderai

évidemment pas à ce stade de vous forger une opinion définitive. Les questions essentielles

concernent le risque risque de préjudice irréparable et risque que des mesures préjudiciables aux

droits de l’une ou l’autre partie soient prises avant que la Cour n’ait rendu sa décision finale. Et il

va de soi dans ce contexte que, par risque, nous entendons un risque réel et imminent, et non

quelque risque mineur ou théorique.

30 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale
(Géorgie c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 15 octobre 2008, C.I.J. Recueil 2008, p. 388,
par. 118 ; Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), mesures
conservatoires, ordonnance du 8 mars 2011, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 21, par. 63.

31Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal), mesures conservatoires,
ordonnance du 28 mai 2009, C.I.J. Recueil 2009, p. 151, par. 57 ; Certaines activités menées par le Nicaragua dans la
région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), mesures conservatoires, ordonnance du 8 mars 2011,
C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 18, p. 53.

32 Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), mesures
conservatoires, ordonnance du 8 mars 2011, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 21, par. 64 ; voir également Application de la
convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de

Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 15 octobre 2008, C.I.J. Recueil 2008, p. 392, par. 129.
33 Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), mesures
conservatoires, ordonnance du 8 mars 2011, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 18, par. 52.

34CMN, par. 1.5-1.8.

35 Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), mesures
conservatoires, ordonnance du 8 mars 2011, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 19, par. 58. - 21 -

B. Risque de préjudice irréparable aux droits en litige du Costa Rica

4. Je parlerai d’abord des droits qui sont le sujet de la procédure en cours. Comme indiqué

26 au paragraphe 21 de la demande en indication de mesures conservatoires présentée le 24 septembre

par le Costa Rica, il s’agit des droits à la souveraineté sur le secteur septentrional d’Isla Portillos, à

l’intégrité territoriale et à la non-ingérence dans ses terres et dans ses zones dont l’environnement

est protégé.

5. Avec un peu de recul, il apparaît que le Costa Rica cherche seulement à préserver le

status quo ante en attendant le règlement du différend territorial. A la fin de la présente procédure,

il veut exercer sa souveraineté sur un territoire sur lequel le fleuve San Juan suit son cours existant

au lieu d’être détourné vers l’est, ainsi que sur les zones humides protégées au titre de la

convention Ramsar, plutôt que sur des zones déboisées où l’environnement a déjà

considérablement souffert des travaux qu’y mène le Nicaragua, apparemment depuis juillet ou août

de cette année.

6. Certains aspects du risque de préjudice irréparable aux droits du Costa Rica sont faciles à

comprendre. Permettez-moi de me référer au paragraphe 75 de l’ordonnance de la Cour en date

du 8 mars 2011 dans laquelle celle-ci mentionnait aussi les travaux menés par le Nicaragua dans un

caño situé dans la zone litigieuse. Le Nicaragua avait déclaré avoir retiré ses troupes, ne pas avoir

l’intention d’y stationner des militaires ou des agents et s’être contenté d’y avoir planté des arbres.

La Cour a toutefois rappelé que le territoire litigieux faisait l’objet de prétentions concurrentes et

que «cette situation cré[ait] un risque imminent de préjudice irréparable au titre de souveraineté
36
revendiqué par le Costa Rica sur ledit territoire ainsi qu’aux droits qui en découl[ai]ent» .

7. La situation étant exactement la même aujourd’hui, l’un des éléments de la procédure

actuelle concerne le risque de préjudice irréparable.

8. Mais il existe un deuxième aspect, qui a trait au détournement du cours du fleuve San Juan

et à ses effets sur l’environnement. Les principaux faits sont les suivants :

a) premièrement, le Nicaragua cherche de nouveau à modifier le cours du San Juan. Il le conteste

mais les explications qu’il vous donne sont contradictoires et peu plausibles. Mon ami

M. Crawford reviendra sur certains détails ;

36Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), mesures
conservatoires, ordonnance du 8 mars 2011, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 24, par. 75. - 22 -

b) deuxièmement, le caño creusé par le Nicaragua cette fois-ci, et j’appelle votre attention sur le

chenal oriental que vous venez de voir sur votre écran, ce caño oriental est beaucoup plus court

et beaucoup plus large que celui creusé par le Nicaragua en 2010-2011. Il a été creusé

mécaniquement et non à la main. Pour dire les choses simplement, la nouvelle route vers la mer

des Caraïbes est courte, directe et était pratiquement achevée lorsque les photographies que
27

vous venez de voir ont été prises trois ou quatre semaines auparavant. Et, bien entendu, cette

nouvelle route traverse une partie du territoire litigieux ;

c) troisièmement, il y a une nette différence de pente entre le cours sinueux du fleuve et le

nouveau caño. Je vous montrerai les détails dans un moment, mais la pente de ce caño est

quatre fois supérieure à celle du cours actuel du fleuve. Il n’est pas besoin d’être ingénieur ou

physicien pour comprendre dans quelle direction l’eau coulera ;

d) enfin, et ce qui précède le montre bien, il existe un risque réel et imminent que les eaux du

fleuve San Juan soient détournées et qu’il soit pratiquement impossible de les ramener dans leur

ancien lit.

9. Pour que ces points soient bien clairs, je souhaiterais me référer aux deux rapports

d’expert à l’appui de la demande du Costa Rica, que vous trouverez tous les deux dans votre

dossier de plaidoiries sous l’onglet qui porte mon nom.

o
10. Le premier de ces dossiers qui figure sous l’onglet n 19 est l’évaluation technique

effectuée par le centre de recherche pour le développement durable et le département du génie civil

de l’université du Costa Rica . Et si je m’y réfère en premier, c’est qu’il contient quelques

principes fondamentaux d’ingénierie concernant la manière dont le cours d’un fleuve peut être

détourné.

a) Peut-être est-ce un peu élémentaire mais, selon ce rapport, soit vous creusez un nouveau chenal

qui est aussi large et aussi profond que le cours d’eau existant, puis vous le détournez, soit vous

construisez ce qui s’appelle un chenal pilote, c’est-à-dire un chenal plus petit qui permet à la

force de traction du fleuve, je veux dire par là à la puissance de son débit, et aux processus

d’érosion de faire leur œuvre.

37 Centre de recherche pour le développement durable, département du génie civil de l’Université du Costa Rica,
«Evaluation technique des canaux artificiels sur Isla Portillos», octobre 2013, annexe 19. - 23 -

b) Ce que les éléments de preuve montrent, et je citerai un extrait de la page 10 (du texte anglais)

de ce rapport, c’est le risque important que le caño oriental permette le détournement du cours

du fleuve, même s’il est considéré comme un chenal pilote. Voici les explications données en

haut de la page 10 :

28 «Sur la base de l’expérience acquise par le corps de génie de l’armée des
Etats-Unis, on peut conclure que, si l’on veut qu’un chenal pilote affouille et élargisse
sa section transversale, le ratio entre sa force de traction et celle du fleuve doit être
1,5 fois supérieur pour les chenaux creusés dans un terrain sablonneux et deux fois
supérieur pour ceux creusés dans un matériau plus résistant. Un ratio de force de

traction inférieur à un mène généralement à la fermeture du chenal pilote en raison de
la capacité insuffisante de ce dernier à charrier les sédiments. En d’autres termes,
lorsque la force de traction est suffisamment importante, le flux parvient à éroder le
fond et les rives du chenal et, par là même, à modifier le cours du fleuve qui quitte
alors son lit naturel pour suivre le tracé du chenal pilote.» 38 [Dossier de plaidoiries,
o
onglet n 19, p. 10.] [Traduction du Greffe.]

Ces explications amènent évidemment à se demander quelle est la force de traction en cause dans le

cas qui nous occupe.

c) Les experts du Costa Rica n’ont pas eu accès à la zone litigieuse pour y procéder à une

évaluation détaillée de cette force de traction. Mais ils sont en mesure d’établir le changement

de pente du caño et d’évaluer la largeur de celui-ci.

d) Il est facile d’établir les différences de pente. La mer des Caraïbes est distante de 1800 mètres

si l’on suit le cours actuel du fleuve et de 450 mètres seulement lorsqu’on emprunte le caño. Et

le niveau des eaux de la mer des Caraïbes étant évidemment le même quel que soit le parcours

emprunté, la pente du caño est quatre fois supérieure et donc quatre fois plus courte ; tout cela

est expliqué à la page 11 du rapport. On peut donc s’attendre à une force de traction

importante. En ce qui concerne les largeurs respectives du cours existant du fleuve et du caño,

voici ce que le rapport indique, toujours à la page 11 du texte anglais (deuxième paragraphe) :

«Les largeurs moyennes du fleuve San Juan en aval du point 8 [le point 8 est
effectivement le point de détournement] et du nouveau canal vers l’est, telles qu’elles
ont été mesurées sur l’image satellite, sont de 65 et 30 mètres respectivement. En

d’autres termes, les deux plans d’eau seraient suffisamment «larges» aux fins du
calcul de la force de traction. A supposer que la profondeur du fleuve et du canal vers
l’est soit à peu près la même, le ratio de la force de traction entre le nouveau chenal
(chenal pilote) et le cours naturel du fleuve serait donc de 4. Même à supposer que le
San Juan soit deux fois plus profond que le nouveau canal vers l’est, le ratio de la

38 Centre de recherche pour le développement durable, département du génie civil de l’Université du Costa Rica,
«Evaluation technique des canaux artificiels sur Isla Portillos», octobre 2013, annexe 19, p. 10 (du texte anglais)
(référence omise). - 24 -

force de traction entre eux serait de 2 et, par conséquent, toujours suffisant pour
provoquer une modification forcée de l’alignement du fleuve.» 39 [Dossier de
plaidoirie, onglet n 19, p. 11 du texte anglais.] [Traduction du Greffe.]

e) Il semble donc que la force de traction soit suffisante et la figure page 9 du rapport (que nous

voyons maintenant à l’écran), donne une idée de la largeur du caño et de sa proximité par

rapport à la mer des Caraïbes.

29 f) Si l’on passe à la page 14 du rapport, il apparaît qu’il existe un risque important de changement

rapide et irréparable. Voici ce qui est expliqué dans ce rapport (dernière phrase de la page 14) :

«Dès que [la drague] aura complété sa tâche et que les obstructions auront été
enlevées, le risque d’une modification rapide et irréversible du cours du San Juan
naîtra dès que … le canal oriental deviendra totalement opérationnel comme chenal
pilote.»40 [Dossier de plaidoiries, onglet n 19, p. 14.] [Traduction du Greffe.]

g) Ce point est donc très clair, et il est important de souligner deux autres facteurs à prendre en

considération.

h) Premièrement, ce n’est pas seulement en aval qu’une modification du cours du San Juan aurait

des conséquences. Comme l’indique le rapport, cette modification aurait probablement aussi

des effets en amont, notamment un accroissement de l’affouillement, la dégradation du lit du

fleuve et l’érosion de ses rives. Ces phénomènes sont expliqués à la page 15 du rapport.

i) deuxièmement, les effets du détournement ne peuvent être inversés tout simplement en fermant

le robinet ou en tournant le mélangeur, comme je le fais dans ma chambre d’hôtel, pour passer

de l’option bain à l’option douche. C’est ce qui est expliqué à la page 16 du rapport :

«En notre qualité d’ingénieurs civils, nous estimons que des mesures correctives
consistant à fermer l’embouchure du nouveau canal paraissent nécessaires pour éviter

le risque d’une modification du cours du San Juan. Néanmoins, il nous est impossible
de fournir une réponse détaillée concernant les activités requises pour parvenir à
fermer les canaux, dans la mesure où il ne nous a pas été possible de visiter la zone en
question et d’effectuer une inspection détaillée du site, toutes opérations

indispensables à la formulation de recommandations détaillées. Cependant, nous
pouvons affirmer que le San Juan est un fleuve de taille importante, même à cet
endroit, et que toute modification de son cours risquerait d’acquérir un caractère
permanent. Partant, un changement dudit cours serait extrêmement difficile, voire

impossible à annuler au moyen de travaux de génie civil, travaux qui de toute
façon auraient un coût environnemental (et financier) élevé et porteraient
probablement aussi sur le chenal principal actuel du fleuve.» 41 [Dossier de plaidoiries,
o
onglet n 19, p. 16.] [Traduction du Greffe.]

39
Centre de recherche pour le développement durable, département du génie civil de l’Université du Costa Rica,
«Evaluation technique des canaux artificiels sur Isla Portillos», octobre 2013, annexe 19, p. 12.
40Ibid., p. 14.
41
Ibid., p. 16. - 25 -

11. J’aimerais vous présenter maintenant le second rapport d’expert que le Costa Rica vous a

soumis, celui de M. Thorne en date du 10 octobre 2013 (vous le trouverez sous l’onglet n 20 du o

42
dossier de plaidoiries) . M. Thorne avait pour mission de donner son opinion en qualité d’expert

indépendant sur les effets potentiels de la construction de deux nouveaux caños, ce qu’il a fait fort

de plus de 35 années d’expérience professionnelle dans des domaines concernant les cours d’eau, la

30 sédimentation et la morphologie fluviales. Ses qualifications et ses attributions figurent dans les

sections 2 et 3 de son rapport .43

12. La première chose à souligner dans le rapport de M. Thorne est son avis d’expert en

morphologie des cours d’eau sur l’argument du Nicaragua pour qui ces deux nouveaux caños sont,

d’une façon ou d’une autre, le résultat de processus naturels. Je doute fortement qu’il vous soit

nécessaire mais, pour faire bonne mesure, je citerai l’extrait suivant tiré de la section 4.1 du rapport

de M. Thorne, page 3 de l’onglet n 20 du dossier de plaidoiries.

«a) Des bandes de terre ont été défrichées sur Isla Portillos à une date légèrement
postérieure à la fin juin 2013, en vue de créer des couloirs destinés à la

construction des deux caños de 2013.

b) Les deux caños de 2013 ont été artificiellement construits au moyen de travaux
d’excavation et de dragage de terres, jusqu’alors préservées, dans la partie

septentrionale de Isla Portillos. Les caños ne sont pas le résultat de processus
naturels. Ils n’auraient jamais pu se former à la suite de précipitations ou d’une
érosion causée par d’autres processus naturels, notamment en raison du laps de
temps très court séparant les photographies prises fin juin et début septembre 2013,

lesquelles montrent re44ectivement los terres à l’état vierge, puis traversées par les
chenaux artificiels.» [Onglet n 20 du dossier de plaidoiries, p. 3.] [Traduction
du Greffe.]

13. Le doute n’est donc pas possible. M. Thorne explique ensuite, au paragraphe 4.3 de son

rapport, que les travaux ont déjà eu un impact préjudiciable sur l’environnement, sur ce qui

constitue une zone sensible dont l’écosystème est protégé. Je voudrais ensuite vous citer

brièvement un extrait du paragraphe 4.11, en page 7 de son rapport, deuxième moitié de la page :

«Il est difficile de prédire l’impact précis sur l’écosystème en se basant sur
l’information limitée dont nous disposons. Toutefois, le détournement d’une partie

des eaux du San Juan vers les caños de 2013 générerait certainement un risque réel
d’impacts multiples sur le fleuve, les biotopes qu’il abrite et les services écologiques

42M. Colin Thorne, Report on the Impact of the Construction of Two New Caños on Isla Portillos [Rapport sur
l’impact de la construction de deux nouveaux caños sur Isla Portillos], 10 octobre 2013, annexe 33.

43Ibid., p. 2-3.
44
Ibid., p. 3, par. 4.1 a) et b). - 26 -

qu’il assure. Ce détournement risque de produire des impacts multiples sur la plaine
d’inondation située sur la rive droite et constituée de zones humides y compris,

mais pas uniquement : l’affouillement et/ou l’instabilité des rives du San Juan en
amont des caños, ce qui provoquerait un ajustement de l’alignement et de la sinuosité
du chenal et la perte connexe d’habitats et d’écosystèmes sur le fond du fleuve, ses
rives ou sa plaine d’inondation.» 45 [Onglet n 20 du dossier de plaidoiries, p. 7 du

rapport.] [Traduction du Greffe.]

14. En ce qui concerne le risque de déviation que les travaux en cours pourraient causer,

j’appelle votre attention sur la page 5 du rapport où M. Thorne explique, au paragraphe 4.4, que :

«La forme et le tracé du nouveau caño oriental suggèrent que celui-ci est conçu
pour dévier une partie du débit du San Juan vers un nouveau cours et, ce faisant,
provoquer un affouillement du lit et/ou des rives, lequel se traduira par un
31 46 o
élargissement du chenal.» [Onglet n 20 du dossier de plaidoiries, p. 5 du rapport.]
[Traduction du Greffe.]

15. Pour les conseils du Costa Rica, l’intention est flagrante, mais il est important de relever

que c’est également la manière dont un expert en morphologie fluviale voit les choses.

16. M. Thorne compare ensuite les travaux en cours avec ceux que le Nicaragua a effectués

sur le caño avant la décision de la Cour en 2011, et il explique que ce nouveau caño est bien plus

large et a été creusé à l’aide de techniques différentes. Il poursuit ainsi aux paragraphes 4.5 et 4.6

(je suis toujours à la page 5 du rapport, à la dernière phrase du paragraphe 4.5) :

«Par conséquent, le risque que ces travaux parviennent à dévier le cours naturel
emprunté actuellement par le San Juan pour gagner la mer est beaucoup plus
important que celui généré par les chantiers précédents.

Il en est ainsi parce que, au cas où le caño oriental parviendrait à dévier le cours
du fleuve San Juan (ce qui, selon mon évaluation, paraît être l’objectif des travaux), le
risque est grand de ne pas pouvoir revenir à la situation antérieure et ramener le fleuve
47 o
sur son cours naturel.» [Onglet n 20 du dossier de plaidoiries, p. 5 du rapport.]
[Traduction du Greffe.]

17. Cela correspond donc tout à fait aux vues exprimées dans le rapport de l’Université du

Costa Rica, et il en va de même s’agissant de la possibilité que ce caño oriental concrétise

l’apparente intention du Nicaragua de dévier le cours du fleuve San Juan.

18. Et je citerai à présent le paragraphe 4.7, à la page 6 de l’onglet n 20, à partir de la

deuxième phrase :

45M. Colin Thorne, Report on the Impact of the Construction of Two New Caños on Isla Portillos [Rapport sur
l’impact de la construction de deux nouveaux caños sur Isla Portillos], 10 octobre 2013, annexe 33, p. 7, par. 4.11.

46Ibid., p. 5, par. 4.4.
47
Ibid., par. 4.5-4.6. - 27 -

«En ce qui concerne le caño oriental, la tranchée qui traverse déjà une partie de
la plage pourrait être terminée sans grande difficulté. Une fois cette tranchée achevée,
le ruissellement plus important typique de la saison des pluies qui serait capté

par le San Juan provoquerait une élévation de la surface des eaux du fleuve par rapport
au niveau de la mer, créant ainsi la pente requise pour faire couler le flot avec
suffisamment de force dans le chenal de manière à affouiller le lit de celui-ci et élargir
la brèche traversant la plage. Relier le fleuve à la mer des Caraïbes par le caño
oriental permettrait à une partie des eaux du San Juan d’emprunter un raccourci pour

atteindre la mer. Avec le temps, ce raccourci absorberait une partie de plus en plus
importante des eaux, ce qui réduirait le débit du San Juan en aval du caño et
provoquerait ainsi un envasement et un risque important de fermeture totale, par
moment, pendant la prochaine saison sèche, puis celles qui suivront.» 48 [Onglet n 20
du dossier de plaidoiries, p. 6 du rapport.] [Traduction du Greffe.]

Donc, encore une fois, il existe un risque important.

19. Enfin, les vues de M. Thorne correspondent à celles de l’Université du Costa Rica

s’agissant des impacts morphologiques en amont. Il explique au paragraphe 4.8 que, comme l’on

pourrait s’y attendre, les «conséquences morphologiques à long terme de la construction des caños
32

sont difficiles à prédire sur la base de l’information disponible». Il ajoute cependant :

«[t]outefois, on peut supposer que si l’un ou l’autre des caños parvenaient à capturer

une partie importante des eaux du San Juan, une hypothèse tout à fait plausible, cette
situation pourrait déstabiliser le chenal du fleuve en amont. Ce risque augmenterait au
cas où le fleuve déborderait, un événement qui risque davantage de se produire dans
les prochains mois que lors de la saison sèche de l’année prochaine.» 49 [Dossier de
plaidoiries, onglet n 20, p. 6.] [Traduction du Greffe.]

20. Compte tenu de tout ce qui précède, vous disposez d’éléments considérables qui

démontrent l’existence d’un véritable impact négatif et d’un risque important de préjudice

irréparable aux droits que le Costa Rica revendique, à savoir ses droits à la souveraineté, à

l’intégrité territoriale et à la non-ingérence dans ses terres et dans ses zones dont l’environnement

est protégé. Les travaux en cours sur le caño oriental étaient presque achevés lorsque le Costa Rica

a pu, pour la dernière fois, avoir quelque accès au site – nous ignorons tout simplement quelle est la

situation aujourd’hui. Vous disposez cependant de rapports d’experts qui indiquent l’existence

d’un risque important de déviation des eaux du fleuve et l’impossibilité sur le plan pratique de

revenir à la situation antérieure et de ramener le fleuve dans son lit naturel.

21. Où sont donc les preuves contraires ? Il n’y en a pas, vraisemblablement parce que les

vues des experts du Costa Rica semblent intuitivement exactes. En outre, le Nicaragua n’a

48M. Colin Thorne, Report on the Impact of the Construction of Two New Caños on Isla Portillos [Rapport sur
l’impact de la construction de deux nouveaux caños sur Isla Portillos], 10 octobre 2013, annexe 33, p. 6, par. 4.7.

49Ibid., par. 4.8. - 28 -

peut-être pas souhaité laisser ces experts s’approcher des nouveaux caños, en particulier parce

qu’ils auraient inévitablement confirmé combien il était absurde de soutenir que leur apparition

soudaine découlait de processus naturels.

22. Selon nous, le seul véritable argument du Nicaragua consiste à dire qu’il a maintenant

arrêté les travaux et qu’il veillera à ce qu’ils ne reprennent pas.

23. Or cette réponse ne suffit pas plus aujourd’hui qu’en 2011, lorsque la Cour a jugé à juste

titre que la situation créait un risque imminent de préjudice irréparable.

24. En l’espèce, la situation est beaucoup plus sérieuse. En effet, comment la Cour peut-elle

faire crédit aux déclarations du Nicaragua qui affirme avoir mis fin aux travaux, alors qu’il dit au

Costa Rica, d’une part, qu’il n’y a jamais eu de travaux et que les caños résultent de causes

naturelles et, d’autre part, que, de toute façon, ces travaux ne sont pas de son fait. Outre que ce

33 n’est pas plausible, tout argument selon lequel il suffirait d’affirmer «faites-nous confiance, nous

avons arrêté» pour que disparaisse le risque de préjudice irréparable s’en trouve réduit à néant.

25. M. Crawford examinera en détail les fluctuations du Nicaragua. Il suffit de dire, pour

l’instant que les questions de risque ne sauraient être considérées dans l’abstrait. Il vous appartient

d’examiner d’où vient le risque, donc qui en est l’initiateur, ce qui signifie en l’espèce qu’il vous

faut étudier très attentivement la conduite passée et récente du Nicaragua, ce qu’il a dit et, ce qu’il a

fait en réalité.

C. L’existence d’une urgence exige l’indication
de mesures conservatoires

26. J’aborderai à présent la condition de l’urgence c’est-à-dire l’existence d’«un risque

réel et imminent qu’un préjudice irréparable soit causé aux droits en litige, avant que la Cour n’ait
50
rendu sa décision définitive» .

27. Il y a très peu de choses à ajouter, je serai donc bref et n’aborderai que deux points.

28. Premièrement, la Cour a jugé qu’il y avait urgence dans la situation similaire qui lui a été

51
soumise à l’époque de l’ordonnance de 2011 .

50 Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua),
mesures conservatoires, ordonnance, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 21, par. 64 ; voir également Application de la convention
internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie),
mesures conservatoires, ordonnance, C.I.J. Recueil 2008, p. 392, par. 129. - 29 -

29. Deuxièmement, l’urgence apparaît clairement et est étayée par les témoignages des

experts du Costa Rica. Les travaux étaient presque achevés lorsque le Costa Rica a pu en juger

pour la dernière fois, il y a quelques semaines ; et, comme l’a noté M. Thorne, il est possible de

prolonger la tranchée à travers la plage jusqu’à la mer des Caraïbes sans que cela présente de

52
grandes difficultés ce qui est peut-être déjà fait, pour ce que nous en savons. Le risque est par

conséquent immédiat, d’autant que nous arrivons au plus fort de la saison des pluies, lorsque le

débit du fleuve est au plus haut. Les questions qui vous ont été soumises ne peuvent donc en

aucune manière attendre votre décision finale.

D. Conclusion
34
30. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, le Costa Rica a eu un accès

des plus limités à la zone en litige, mais à travers les photographies que nous vous avons montrées

et les rapports d’experts que nous vous avons soumis, tous étayés par l’appréciation intuitive

d’un non-spécialiste , vous disposez des éléments nécessaires pour conclure aisément que la

situation dont vous avez à connaître présente incontestablement un risque véritable et un caractère

d’urgence.

Voilà qui conclut mes observations. Je vous remercie de votre aimable attention et vous

demande de bien vouloir donner la parole à M. Crawford, peut-être après la pause.

Le PRESIDENT : Je vous remercie Monsieur Wordsworth. La Cour va à présent marquer

une pause de 20 minutes, après quoi je donnerai la parole à M. Crawford. L’audience est

suspendue.

L’audience est suspendue de 11 h 20 à 11 h 45.

Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. L’audience reprend et la Cour est prête à entendre

l’exposé de M. Crawford. Vous avez la parole.

51
Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua),
mesures conservatoires, ordonnance, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 24, par. 75.
52M. Colin Thorne, Report on the Impact of the Construction of Two New Caños on Isla Portillos [Rapport sur
l’impact de la construction de deux nouveaux caños sur Isla Portillos], 10 octobre 2013, annexe 33, p. 6, par. 4.7. - 30 -

M. CRAWFORD : Merci, Monsieur.

LA NÉCESSITÉ DE MESURES CONSERVATOIRES

A. Introduction

1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les membres de la Cour, vendredi soir

dernier, à la toute dernière minute, le Nicaragua a déclaré s’être retiré du territoire litigieux, sans

toutefois admettre qu’il s’y soit jamais trouvé. Il a dit que, qu’il s’y soit rendu ou non, il n’y

retournerait plus. Il a affirmé avoir donné à l’armée nicaraguayenne l’instruction de faire preuve de

vigilance, et de veiller à ne pas y retourner, sans pour autant admettre qu’elle avait pu s’y rendre. Il

n’a pas non plus présenté d’excuses à la Cour ou au Costa Rica pour la violation grossière et

manifeste de l’ordonnance en indication de mesures conservatoires. Mais, pour le moment ou,

devrais-je dire, encore une fois, le Nicaragua déclare à la Cour : «Faites-nous confiance. Nous

n’avons rien fait, mais nous ne recommencerons pas.»

35 2. Le Palais de la Paix a cent ans et vous, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les

membres de la Cour, n’êtes pas tombés de la dernière pluie. Le Nicaragua demande qu’on lui

donne sa chance encore une fois. Mais il lui faudrait pour commencer admettre la vérité, ce qu’il

refuse de faire. Sa parole n’est donc pas digne de confiance.

3. La présente instance a été introduite par le Costa Rica en 2010. Au même moment, le

Costa Rica a demandé l’indication de mesures conservatoires tendant au retrait des troupes

nicaraguayennes du territoire costaricien, à la cessation de la construction d’un canal et à la

protection de ses droits souverains et territoriaux.

4. C’est au cours des audiences qui ont alors eu lieu que le Nicaragua a, pour la première

fois, revendiqué la souveraineté sur ce qui allait devenir le «territoire litigieux». Toutes les cartes

nicaraguayennes, y compris celles qui avaient été présentées à la Cour en l’affaire du

Différend relatif à des droits de navigation, montraient pourtant ce territoire comme appartenant au

Costa Rica. L’ingénieur Alexander l’avait sans aucune équivoque attribué au Costa Rica. Sur le

fondement de cette prétention nouvelle et indéfendable, formulée plus de trois mois après le début

des opérations de creusage du caño en octobre 2010, le Nicaragua a fait valoir qu’il était en droit - 31 -

53
d’y procéder . Le creusage d’abord ; la justification ensuite. Comme la Cour a pris soin de le

préciser dans son ordonnance en indication de mesures conservatoires, «la zone de Isla Portillos où

les activités incriminées par le Costa Rica ont eu lieu est par hypothèse une zone que la Cour, en la

présente phase de la procédure, doit considérer comme contestée». Elle a bien choisi ses mots . 54

5. Elle a accordé deux des mesures sollicitées par le Costa Rica, à savoir que les Parties

devaient s’abstenir d’envoyer leurs agents dans le territoire litigieux, à l’exception des agents

55
costariciens chargés de la protection de l’environnement . Aucune exception de ce genre n’a été

prévue pour le Nicaragua.

6. Mais le Nicaragua a pris trois engagements devant la Cour : 1) que les travaux concernant

le caño «[étaie]nt achevés et [avaie]nt pris fin» ; 2) qu’aucun élément de ses forces armées n’était

stationné à Isla Portillos ; et 3) qu’il n’avait nullement l’intention d’envoyer des troupes ou d’autres

36 agents dans la région ni d’y établir de poste militaire à l’avenir . Se référant expressément à ces

engagements, la Cour a déclaré qu’il n’y avait pas lieu d’indiquer les autres mesures demandées par

57
le Costa Rica .

7. Or, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les membres de la Cour, ces

engagements étaient faux ou se sont révélés absolument vains, du moins pour deux d’entre eux et à

moitié pour le troisième. Au moment où ces engagements ont été pris, les forces armées

58
nicaraguayennes étaient effectivement stationnées à Isla Portillos . Depuis lors, les travaux

afférents au premier caño Pastora se sont poursuivis, grâce, entre autres, à plus de 10 000 membres

de la jeunesse sandiniste amenés dans la région précisément pour mettre en œuvre les politiques du

Nicaragua. Qui plus est — et c’est là le troisième point —, comme les écritures du Nicaragua le

confirment, les agents nicaraguayens se trouvaient encore dans le territoire litigieux au

53CR 2011/2, p. 13, par. 25 (Argüello Gómez) : «le Nicaragua n’occupe pas un territoire costaricien. Il exerce
simplement sa souveraineté sur cette petite zone, comme il l’a toujours fait» ; CR 2011/2, p. 52, par. 10 (Pellet) : «[l]e
conte du canal (que le Nicaragua serait d’ailleurs parfaitement en droit de creuser)».

54Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), mesures
conservatoires, ordonnance du 8 mars 2011, C.I.J. Recueil 2011, p. 19, par. 56 [les italiques sont de nous].
55
Ibid., p. 27, point 1) du dispositif (par. 86).
56
Ibid., p. 23, par. 71.
57Ibid., p. 24, par. 74.

58MCR, annexe 223 ; MCR, par. 3.53 ; Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière
(Costa Rica c. Nicaragua), Observations du Costa Rica sur les réponses écrites du Nicaragua aux questions qui lui ont été
posées par MM. les juges Simma, Bennouna et Greenwood, 20 janvier 2011, réf. ECRPB 017-11. - 32 -

18 septembre 2013 pour y effectuer des travaux de dragage et autres . J’ai dit «pour deux d’entre

eux et à moitié pour le troisième», car il semble y avoir des campements militaires nicaraguayens

dans le territoire litigieux, mais nous n’avons pas pu le confirmer, puisque nous n’y avons qu’un

accès limité.

8. A la lumière de l’envoi et du maintien par le Nicaragua, dans le territoire litigieux, de

milliers de personnes chargées d’y exercer des activités pour la mise en œuvre de ses politiques,

nous avons demandé, en mai de l’année en cours, la modification de l’ordonnance de 2011 . Dans 60

l’ordonnance qu’elle a rendue le 16 juillet, la Cour a rejeté cette demande, tout en se disant

préoccupée par la «la présence [en grand nombre] de groupes organisés de ressortissants

61
nicaraguayens dans le territoire litigieux» . Le terme «organisés» avait, lui aussi, été

soigneusement choisi.

9. Au cours des mois d’août et de septembre de l’année en cours, le Nicaragua a effectué des

travaux importants dans le territoire litigieux, où il a construit deux nouveau caños artificiels, au

37 moyen d’une drague, à tout le moins. Dès qu’il en a eu connaissance, le Costa Rica a protesté

contre ces activités de la part du Nicaragua . 62

10. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les membres de la Cour, vous trouverez
o
sous l’onglet n 23 du dossier des juges un tableau montrant les déclarations faites, aux dates

indiquées, à la suite de notre lettre de protestation du 16 septembre, en regard de ce que le

Nicaragua présente aujourd’hui comme étant les faits. Je me permets de rappeler que les

documents soumis à la Cour ou par son entremise constituent des déclarations faites à la Cour

elle-même et que, de ce point de vue, les représentants des pays sont tenus à une obligation

spécifique de bonne foi.

59
Voir par exemple la lettre datée du 20 septembre 2013 adressée au président de l’autorité portuaire nationale
par le directeur technique de celle-ci, réf. GT-LAQG-0886-09-2013, annexe 3 de la lettre datée du 11 octobre 2013
adressée à la CIJ par le Nicaragua, réf. HOL-EMB-197.
60
Demande tendant à la modification de l’ordonnance en indication de mesures conservatoires rendue par la Cour
le 8 mars 2011, 21 mai 2013.
61Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), demandes

tendant à la modification de l’ordonnance en indication de mesures conservatoires du 8 mars 2011, ordonnance du
16 juillet 2013, par. 37.
62 Note diplomatique datée du 16 septembre 2013 adressée à Samuel Santos López, ministre des affaires
étrangères du Nicaragua, par Enrique Castillo Barrantes, ministre des affaires étrangères et des cultes du Costa Rica,
réf. DM-AM-536-13, annexe 1. - 33 -

38 B. La position vacillante du Nicaragua

11. Jusqu’à maintenant, les explications du Nicaragua se sont révélées désespéramment

incohérentes.

Première fable : l’apparition créée par la pluie

12. Le 18 septembre, le ministre des affaires étrangères du Nicaragua a déclaré que, à

63
supposer qu’ils existent, les chenaux devaient avoir été creusés par les fortes pluies . Je cite :

«nous nous trouvons actuellement dans la saison des pluies, qui ne manque jamais d’influer sur les

niveaux d’eau dans toute la région ... il ne serait pas surprenant que la configuration de certains

64
chenaux se soit modifiée au cours des derniers mois» . On imagine les prévisions

météorologiques : «nuageux, avec risque de dragage».

65
13. Or — et le même phénomène s’est produit la semaine dernière — le ministre des

affaires étrangères affirmait dans sa lettre : «le Gouvernement du Nicaragua n’a autorisé aucune

66
sorte de travaux dans la zone litigieuse et n’y a envoyé aucun agent» .

Deuxième fable : le «nettoyage de la végétation aquatique»

14. Le 18 septembre 2013, une version différente était rapportée par le commandant Pastora,

désigné dans le décret présidentiel du 10 janvier 2012 comme étant le «délégué de la présidence de

67
la République à la commission pour la mise en valeur du fleuve San Juan» . Il n’est pas exagéré

de considérer M. Pastora comme un récidiviste en ce qui a trait aux travaux dans le territoire

litigieux.

15. Vous pouvez trouver des extraits de son discours aux pages 1 et 2 du document se

trouvant sous l’onglet n 23 du dossier des juges. Voici quelques-unes des déclarations qu’il a

faites sur la chaîne de télévision nationale :

63Note diplomatique datée du 18 septembre 2013 adressée à Enrique Castillo Barrantes, ministre des affaires

étrangères et des cultes du Costa Rica, par Samuel Santos López, ministre des affaires étrangères du Nicaragua,
réf. MRE/DM/521/09/13, annexe 5.
64Ibid.

65Lettre datée du 10 octobre 2013 adressée à la CIJ par le Nicaragua, réf. HOL-EMB-193, p. 2, onglet n 25 du
dossier des juges.

66Note diplomatique datée du 18 septembre 2013 adressée à Enrique Castillo Barrantes, ministre des affaires
étrangères et des cultes du Costa Rica, par Samuel Santos López, ministre des affaires étrangères du Nicaragua,
réf. MRE/DM/521/09/13, annexe 5.

67Nicaragua, décret présidentiel n 01-2012, 10 janvier 2012, onglet n 25 du dossier des juges, p. 8. - 34 -

«J’ai procédé au nettoyage du delta à l’embouchure du fleuve San Juan, je
procède au nettoyage et j’entends nettoyer tout ça...» 68

69
«Ce chenal, c’est un mensonge, ce n’est pas un chenal.»

39 «Alors, nous enlevons de là toute la végétation aquatique et nous continuerons à
nettoyer jusque là [comme vous le voyez, il pointe ici vers le territoire litigieux sur le
graphique à l’écran], de façon que le flot suive le même cours qu’auparavant.» 70

«Ce sont toutes des plantes aquatiques que nous enlevons et que nous allons
séparer afin de permettre la libre navigation... C’est là que nous nettoyons, voici la

drague et le travail de nettoyage se fait à la drague, c’est pourquoi cela s’appelle le
dragage.» 71

«C’est à moi qu’il revient de décider où nous allons enlever la végétation
aquatique...» 72

16. Comme vous l’a montré M. Ugalde, cette «végétation aquatique» comprend en fait des

arbres de haute taille, variété de plante aquatique jusqu’alors inconnue de la science. L’intégralité

73
des interviews et des transcriptions a été fournie à la Cour .

Troisième fable : le désaveu partiel de Pastora

17. C’est donc là qu’en étaient les choses le 24 septembre, lorsque le Costa Rica a déposé sa

demande en indication de nouvelles mesures conservatoires. On lui avait affirmé que les caños

n’existaient pas, qu’ils avaient été creusés par la pluie et qu’ils étaient le résultat des opérations

d’enlèvement de la végétation aquatique.

er
18. Et puis, silence. Le 1 octobre, le Nicaragua a bien écrit au Costa Rica, mais seulement

74
pour se plaindre de ce que ce dernier avait survolé le territoire litigieux , sans la moindre mention

de la lettre déposée vendredi soir. Aucune explication. Rien.

68
Enregistrement vidéo d’une interview donnée par Edén Pastora le 18 septembre 2013 sur «Noticias
Nicaragua», annexe 18.
69 Ibid.

70 Enregistrement vidéo d’une interview donnée par Edén Pastora le 18 septembre 2013 sur «100 % Entrevistas»,
annexe 31, p. 2.

71 Ibid., p. 3.
72
Ibid., p. 4.
73
Enregistrement vidéo de l’interview donnée par Edén Pastora le 18 septembre 2013 sur «Noticias Nicaragua»,
annexe 18, et enregistrement vidéo de l’interview donnée par Edén Pastora le 18 septembre 2013 sur
«100 % Entrevistas», annexe 31.
74 er
Note diplomatique datée du 1 octobre 2013 adressée à Enrique Castillo Barrantes, ministre des affaires
étrangères et des cultes du Costa Rica, par Orlando Gomez, vice-ministre des affaires étrangères du Nicaragua,
réf. MRE/DM/DGAJST-VMOG/293/10/13, annexe 22. - 35 -

19. Ce silence a duré jusqu’au 10 octobre, jeudi dernier, lorsque les autorités

nicaraguayennes ont écrit pour dire qu’elles n’avaient «aucune connaissance des activités

supposées de M. Pastora» [les italiques sont de nous] dans le territoire litigieux, jusqu’à ce qu’il en

75
fasse l’annonce sur la chaîne de télévision nationale . Même après les déclarations de M. Pastora,

les activités en question étaient encore qualifiées de «supposées», ce qui paraît pousser le déni à

son comble. Cette affirmation a été communiquée pas moins de vingt-cinq jours après que le

Costa Rica a écrit au Nicaragua pour protester contre la construction des caños et vingt jours après

que les activités «supposées» ont été portées à la connaissance du cabinet du président.

40 20. C’est bien la première fois que le Nicaragua va jusqu’à désavouer les actes de

M. Pastora. Il en a pourtant eu maintes fois l’occasion, mais ne l’a jamais fait auparavant. Dans la

requête qui a introduit la présente instance, le Costa Rica désignait M. Pastora comme étant le

76
«responsable des opérations de dragage» , ce que le Nicaragua n’a pas tenté de démentir. Dans

notre première demande en indication de mesures conservatoires, nous nous plaignions de ce qu’il

77
dirigeait les opérations de dragage , ce à quoi le Nicaragua n’a pas répondu. Lors des audiences

sur les mesures conservatoires, nous avons parlé de M. Pastora comme du responsable des

opérations de dragage . Le Nicaragua s’est lui-même référé aux déclarations de ce dernier , sans 79

jamais toutefois laisser entendre qu’il n’agissait pas pour son compte. Lors du second tour de

plaidoiries, le Nicaragua a déclaré que M. Pastora avait été mal cité, et qu’il ne fallait pas ajouter

foi aux déclarations qui avaient été publiées dans la presse , affirmant qu’il «aid[ait] son pays à

81
recouvrer son trésor, le fleuve San Juan» . Jamais, et les occasions de le faire auraient été

nombreuses, les autorités nicaraguayennes n’ont-elles nié que M. Pastora agissait pour le compte

du Nicaragua et avec le plein appui de ce dernier.

75 o
Lettre datée du 10 octobre 2013 adressée à la CIJ par le Nicaragua, réf. HOL-EMB-193, p. 2, onglet n 25 du
dossier des juges.
76
Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), requête,
par. 6.
77
Ibid., mesures conservatoires, 18 novembre 2010, par. 6, renvoyant à l’annexe 1 (reproduite dans le MCR,
annexe 45) et à l’annexe 2.
78
Voir, par exemple, CR 2011/1, p. 29, par. 9 (Ugalde) ; CR 2011/1, p. 41, par. 15 (Kohen) ; p. 63-64, par. 34
(Crawford) ; CR 2011/3, p. 27-30, par. 25-30 (Crawford).
79CR 2011/3, p. 42, par. 30 (Reichler).

80CR 2011/4, p. 18-19, par. 12-13 (Reichler).

81CR 2011/4, p. 36, par. 12 (Argüello). - 36 -

21. La fable — la troisième — a connu de nouveaux développements vendredi soir, alors que

82
neuf éléments de correspondance ont été déposés au Greffe . Or cette correspondance est

largement antérieure à notre demande en date du 24 septembre. Pourtant, il n’en était fait aucune

er
mention dans la lettre du Nicaragua en date du 1 octobre 2013. Absolument aucune.

22. J’imagine que la Cour entendra demain, de la part du Nicaragua, deux arguments. En

premier lieu, il soutiendra qu’il n’a jamais autorisé les travaux en question. Il l’a d’ailleurs déjà dit,

o
et j’attire votre attention sur l’onglet n 25 de votre dossier des juges ; je cite l’agent : «Ainsi qu’il

en a avisé le Costa Rica par note diplomatique datée du 18 septembre, le Nicaragua «n’a autorisé

aucune sorte de travaux dans la zone litigieuse et n’y a envoyé aucun agent». Le Nicaragua réitère

41 formellement cette déclaration.» 83 A l’origine, cette déclaration avait été faite, le 18 septembre, par

le ministre des affaires étrangères qui, de toute évidence, ignorait complètement la réalité. Elle

vient maintenant d’être répétée par l’agent, qui, lui, a pleine connaissance des faits.

23. En somme, les travaux menés sous la direction de M. Pastora, délégué du gouvernement

pour le dragage du fleuve San Juan, ne pourraient pas, pour une raison ou pour une autre, être

attribuées au Gouvernement. Voilà le premier argument. En second lieu, on fera valoir que les

travaux ont cessé et que l’indication de mesures conservatoires n’est donc plus nécessaire.

J’aimerais maintenant aborder ces deux arguments.

C. Attribution au Nicaragua de la construction des caños

24. Commençons par le premier argument. Les actes accomplis par une personne habilitée à

exercer une prérogative de puissance publique sont considérés comme le fait de l’Etat, et ce, même

si la personne outrepasse sa compétence ou contrevient aux instructions de ce dernier, situation que

nous ne saurions reconnaître ici. Cette règle bien établie du droit international coutumier a été

codifiée à l’article 7 du projet d’articles de la CDI sur la responsabilité de l’Etat. Elle a été

reconnue par la Cour en l’affaire des Activités armées sur le territoire du Congo (République

démocratique du Congo c. Ouganda) , ainsi que par d’autres juridictions, tant internationales que 85

82Lettre datée du 11 octobre 2013 adressée à la CIJ par le Nicaragua, réf. HOL-EMB-197.
83
Lettreodatée du 10 octobre 2013 adressée à la CIJ par le Nicaragua, réf. HOL-EMB-193 (note de bas de page
omise), onglet n 25 du dossier des juges.
84 Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt,

C.I.J. Recueil 2005, p. 242, par. 214 ; voir aussi p. 251, par. 243. - 37 -

nationales . Elémentaire, mon cher Watson ; c’est le cas de le dire. Si telle n’était pas la règle,

tous les abus seraient permis de la part des Etats, puisqu’il n’y aurait pas de moyen pratique de

87
prouver que l’agent avait ou non agi sur leurs instructions .

25. Dans la jurisprudence, on dit, en anglais, de la personne habilitée à exercer une

prérogative de puissance publique, qu’elle en est «revêtue» (cloaked). S’agissant de M. Pastora, on

pourrait même dire qu’elle lui colle à la peau comme une combinaison de plongée . Il a été 88

89
nommé par le président du Nicaragua pour exécuter des travaux sur le San Juan . Le projet dont il

42 a été chargé a été approuvé par le ministère nicaraguayen de l’environnement et des ressources

90
naturelles . Il travaille pour l’autorité portuaire nationale qui, selon ce que le Nicaragua a dit à la

Cour, est l’«organe administratif responsable du transport et des ports fluviaux» . Il exerçait alors

les fonctions qu’il avait exercées auparavant et qu’il a déclaré vouloir continuer à exercer. Et il est

toujours en fonction. On serait fondé à se demander où peuvent bien se trouver les instructions lui

interdisant, avant la lettre du 22 septembre 2013, de mener des opérations de dragage dans la zone

litigieuse.

26. Qui plus est, lui-même a affirmé avoir agi sur instructions. Il a en effet déclaré au cours

92
de son interview qu’il ne prenait pas de «libertés» .

85Voir, par exemple, Ilaşcu et autres c. Moldova et Russie (Requête n 48787/99), CEDH, arrêt du 8 juillet 2004,

p. 90, par. 319 : «Un Etat peut aussi être tenu pour responsable même lorsque ses agents commettent des excès de
pouvoir ou ne respectent pas les instructions reçues.»
86
Voir, par exemple, Jones v Ministry of the Interior of the Kingdom of Saudi Arabia and Another (Secretary of
State for Constitutional Affairs and Another Intervening), Judgment of House of Lords, 14 juin 2006, publié in ILR,
vol. 129, p. 718-719 ; Distomo Massacre Case (Greek Citizens v. Federal Republic of Germany) (n III), ZR 245/98,
République fédérale d’Allemagne, Cour suprême fédérale (BGH), 26 juin 2003, ILR, vol. 129, p. 596.

87 CDI, Projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite et commentaires y
relatifs, commentaire relatif à l’article 7, par. 3, annuaire 2001, vol. II, partie II, p. 105.

88 Petrolane, Inc. v. Islamic Republic of Iran, 1991, vol. 27 Iran-U.S.C.T.R., p. 92. Voir aussi CDI, Projet
d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite et commentaires y relatifs, commentaire relatif

à l’article 7, par. 7, annuaire 2001, vol. II, partie II, p. 107-108.
89Nicaragua, décret présidentiel n 01-2012, 10 janvier 2012, onglet n 25 du dossier des juges, p. 8.

90 Voir notamment : ministère de l’environnement et des ressources naturelles du Nicaragua (MARENA),
instructions spécifiques en vue de la préparation de l’étude de l’impact sur l’environnement du projet de dragage du

fleuve San Juan, MCR, onnexe 159 ; ministère de l’environnement et des ressources naturelles du Nicaragua
(MARENA), arrêté n 038-2008, 22 décembre 2008, MCR, annexe 160 ; déclaration du directeur technique de l’autorité
portuaire nationale (EPN), Lester Antonio Quintero Gómez, 16 décembre 2010, MCR, annexe 164 ; et déclaration sous
serment de Hilda Espinoza Urbina, directeur national du département de la qualité de l’environnement au sein du
ministère de l’environnement et des ressources naturelles du Nicaragua (MARENA), 20 décembre 2010, MCR,

annexe 165.
91
CMN, par. 4.28 ; voir également par. 2.52.
92Enregistrement vidéo d’une interview donnée par Edén Pastora le 18 septembre 2013 sur «100 % Entrevistas»,

annexe 31, p. 4. - 38 -

27. Il y a par ailleurs la position de l’armée. On essaie de faire croire à la Cour que, dans ce

secteur hautement militarisé du San Juan, les officiers nicaraguayens n’étaient pas au courant des

activités de dragage. Il serait pour le moins ahurissant que la drague Soberanía, tout comme

l’équipe de M. Pastora et quelque 10 000 membres de la jeunesse sandiniste, ait pu échapper à la

vigilance de l’armée. Il n’y a que la présence des bateaux costariciens sur le San Juan pour éveiller

son attention. C’est là une vigilance bien sélective.

28. En résumé, M. Pastora avait le pouvoir réel et apparent de faire ce qu’il a fait et, jusqu’à

maintenant, aucun document produit par le Nicaragua ne permet de penser le contraire. De plus,

les autres organes administratifs de l’Etat nicaraguayen savaient ce qu’il faisait ou auraient dû le

savoir. Si le Nicaragua souhaitait vraiment se conformer à l’ordonnance en indication de mesures

conservatoires, pourquoi l’ordre du commandant Ortega en date du 21 septembre 2013 n’a-t-il pas

été émis dès 2011 ?

D. Les assurances nicaraguayennes sont insuffisantes, elles ne sont pas acceptées
par le Costa Rica et ne devraient pas l’être par la Cour

29. Je passe maintenant au deuxième argument. Les assurances du Nicaragua sont

insuffisantes, elles ne sont pas acceptées par le Costa Rica et elles ne devraient pas être acceptées

par la Cour. La semaine dernière, à l’audience de jeudi après-midi, le Nicaragua vous a dit que les

mesures demandées par le Costa Rica étaient «superflues, étant donné que le Nicaragua les exécute

93
43 déjà volontairement et que, par ailleurs, celui-ci s’engage … à s’y conformer» . Vendredi matin,

le Costa Rica a proposé dans une lettre à la Cour que celle-ci rende une ordonnance constatant

l’accord des Parties avec le consentement de celles-ci . 94 Mais le Nicaragua a refusé

catégoriquement, faisant valoir qu’une ordonnance n’était pas nécessaire. Il affirmait que ses

assurances étaient suffisantes et, curieusement, qu’en proposant que la Cour rende une ordonnance

avec le consentement des Parties, le Costa Rica les avait acceptées . Bien entendu, il n’en est rien.

C’est précisément parce que nous ne pouvons accepter les assurances du Nicaragua que nous avons

proposé que la Cour rende une ordonnance avec le consentement des Parties. Nous avons

93 o
Lettre datée du 10 octobre 2013 adressée à la C.I.J. par le Nicaragua, réf. HOL-EMB-193, p. 2, onglet n 25 du
dossier des juges.
94Lettre datée du 11 octobre 2013 adressée à la C.I.J. par le Costa Rica, réf. ECRPB-073-13.
95
Lettre datée du 11 octobre 2013 adressée à la C.I.J. par le Nicaragua, réf. HOL-EMB-197, p. 3. - 39 -

seulement tenté de faire l’économie du temps et des frais afférents aux présentes audiences. Le

refus du Nicaragua montre à l’opposé qu’il n’est pas sérieux. Les assurances du Nicaragua ne

suffisent pas. Nous ne les acceptons pas, et la Cour ne devrait pas les accepter pour six raisons, que

je vais exposer.

30. Première raison. Le Nicaragua n’a pas reconnu les faits. Il n’a pas accepté la vérité.

L’affirmation selon laquelle M. Pastora n’a été «autorisé à effectuer aucune sorte de travaux dans la

zone litigieuse» est à la fois dénuée de pertinence et, semble-t-il, inexacte. Du point de vue du

droit régissant l’attribution, elle est ridicule, comme je l’ai montré. Du point de vue des faits, elle

ne vaut guère mieux. Le Nicaragua a produit une instruction datée du 22 septembre 2013

96
interdisant apparemment à M. Pastora de travailler dans la zone litigieuse . Où sont ses

instructions précédentes ? Le Nicaragua les a ; vous ne les avez pas. En outre, M. Pastora est

toujours à son poste de délégué de gouvernement. Il n’a pas été désavoué, il n’a pas été révoqué, il

n’a même pas été réprimandé. La seule communication adressée au Costa Rica par le Nicaragua

97
entre le 18 septembre et le 10 octobre est une lettre protestant contre notre survol . Pour le

Nicaragua, le seul péché est d’être découvert !

98
31. Deuxième raison. Le Nicaragua a déjà fait cela et promis de ne pas le faire de nouveau ,

et il l’a fait de nouveau. Le Nicaragua est un récidiviste. Allez-vous rester silencieux alors que le

comportement qui a justifié votre première ordonnance indiquant des mesures conservatoires se
44

répète de manière encore plus menaçante ? Quelle victoire ce serait pour le récidivisme !

32. Troisième raison. Nul ne peut faire confiance aux assurances données par le Nicaragua

au Costa Rica en ce qui concerne le San Juan. L’agent du Nicaragua a déclaré à la Cour en

janvier 2011 qu’il n’y avait pas de soldats nicaraguayens à Isla Portillos . Le Nicaragua a réitéré

cette assurance le 18 janvier 2011 lorsqu’il a répondu par écrit à une question posée par

96Lettre datée du 22 septembre 2013 adressée au délégué du gouvernement pour les opérations de dragage du
fleuve San Juan de Nicaragua au président exécutif de l’autorité portuaire nationale, réf. PE-VSM-0592-09-2013,
22 septembre 2013, annexe 8 de la lettre datée du 11 octobre 2013 adressée à la C.I.J. par le Nicaragua,
réf. HOL-EMB-197.
97 er
Note diplomatique datée du 1 octobre 2013 adressée à Enrique Castillo Barrantes, ministre des affaires
étrangères et des cultes du Costa Rica, par Orlando Gomez, vice-ministre des affaires étrangères du Nicaragua,
réf. MRE/DM/DGAJST-VMOG/293/10/13, Att. PM-22.
98
Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), mesures
conservatoires, ordonnance du 8 mars 2011, CIJ Recueil 2011 (1), p. 23, par. 71.
99CR 2011/2, 11 janvier 2011, p. 13, par. 28 (Argüello) ; CR 2011/4, 13 janvier 2011, p. 37, par. 15, (Argüello). - 40 -

M. le juge Bennouna . Un jour après, des soldats nicaraguayens étaient toujours cantonnés à

Isla Portillos. Nous avons produit des photographies prises le 19 janvier montrant qu’ils y étaient

encore . Une autre assurance a été donnée, à savoir que les travaux concernant le premier

102
caño Pastora étaient «terminé[s]» Mais depuis que vous avez rendu votre ordonnance indiquant

des mesures conservatoires, plus de 10 000 nicaraguayens ont été envoyés de manière

organisée dans le territoire litigieux pour y mener des activités en exécution de politiques du

103
Nicaragua. Vous vous êtes déjà inquiétés de leur présence dans le territoire litigieux

33. Quatrième raison. Si vous ne dites rien maintenant, l’autorité de la Cour aura été

bafouée, et sera perçue comme telle. L’autorité de la Cour, organe judiciaire principal de

l’Organisation des Nations Unies, ne doit pas être tournée en ridicule : la confiance dans la Cour et

l’autorité de vos décisions en seraient érodées.

34. Cinquième raison. Les mesures conservatoires demandées, en particulier la fermeture du

nouveau caño, sont urgentes un point qu’a déjà démontré M. Wordsworth en ce qui concerne les

preuves et que M. Kohen va encore développer. Le Nicaragua ne prévoit pas de fermer le caño,

vous pouvez en être sûrs. Pourtant les demandes du Costa Rica ne se limitaient pas à une simple

évacuation temporaire ou même permanente. Nous demandons le rétablissement du statu quo,

45 auquel nous pouvons prétendre en vertu du droit international étant donné le caractère obligatoire

de votre première ordonnance en indication de mesures conservatoire, et quelle que soit votre

décision finale sur le fond.

35. Et sixièmement, si l’on prend le Nicaragua au mot, les mesures conservatoires que nous

demandons n’auront guère d’impact pour lui. Votre ordonnance lui enjoindrait de ne pas retourner

100 Réponses écrites de la République du Nicaragua aux questions qui lui ont été posées par
MM. les juges Simma, Bennouna et Greenwood au terme des audiences consacrées aux mesures conservatoires
demandées par le Costa Rica en l’affaire relative à Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière
(Costa Rica c. Nicaragua), 18 janvier 2011, réf. 18012011-01, p. 6.
101
Observations du Costa Rica sur les réponses écrites du Nicaragua aux questions qui lui ont été posées par
MM. les juges Simma, Bennouna et Greenwood au terme des audiences consacrées aux mesures conservatoires
demandées par le Costa Rica en l’affaire relative à Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière
(Costa Rica c. Nicaragua), 20 janvier 2011, réf. ECRPB-017-11. Photographie également reproduite dans MCR,
annexe 223.
102
Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), mesures
conservatoires, ordonnance du 11 avril 2011, CIJ Recueil 2011 (1) p. 23, par. 71.
103Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), demandes
tendant à la modification de l’ordonnance en indication de mesures conservatoires du 8 mars 2011, ordonnance du

16 juillet 2013, par. 37. - 41 -

dans le territoire litigieux ; le Nicaragua déclare qu’il ne le fera pas. Votre ordonnance lui

enjoindrait de ne pas achever le caño ; le Nicaragua déclare qu’il n’a de toute façon jamais eu

l’intention de construire ce caño. Votre ordonnance tendrait à faciliter la fermeture de ce caño par

le Costa Rica ; le Nicaragua déclare que le caño n’a jamais été autorisé. Si l’on prend le Nicaragua

au mot, qu’a-t-il à perdre ? Par contre, si l’on ne prend pas le Nicaragua au mot, qu’est-ce que le

Costa Rica a à perdre ? Beaucoup. Le bénéfice effectif de votre première ordonnance.

Le statu quo. Le Costa Rica supporterait seul sans l’appui de la Cour le risque que le caño

remplisse dans les semaines et les mois à venir la fonction pour laquelle il a été conçu, à savoir

modifier artificiellement le cours du fleuve avec les graves conséquences pratiques que cela

entrainerait pour le règlement du présent différend. Il vous suffit de penser un instant à la situation

qui prévaut effectivement sur le terrain pour vous rendre compte des conséquences d’une

modification du cours du fleuve. Ne pas ordonner de mesures conservatoires serait totalement

injuste.

36. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les membres de la Cour, avant que

M. Kohen n’explique plus en détail quelles seraient les conséquences si une ordonnance indiquant

les mesures que nous sollicitons n’était pas rendue, je voudrais dire quelques mots de la procédure.

Il y a bien sûr une autre affaire au rôle de la Cour concernant une route construite entièrement en

territoire costaricien incontesté. Cette route a été construite pour ouvrir un accès à des

communautés et postes costariciens, un accès qui a été pratiquement interdit, voire rendu

impossible, par le Nicaragua après que la Cour a rendu son arrêt en l’affaire des Droits de

navigation.

37. Le 22 décembre 2011, le Nicaragua a déposé une requête devant la Cour au sujet de cette

route. C’était il y a vingt-deux mois. Sa requête évoquait le danger imminent présenté par cette

104
route . Il se réservait le droit de demander des mesures conservatoires compte tenu de l’urgence

de la situation . C’était en décembre 2011. Le Nicaragua a ensuite informé la Cour qu’il ne serait

104Requête du Nicaragua en l’affaire Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan
(Nicaragua c. Costa Rica), 22 décembre 2011, par. 1 et 36.

10Ibid., par. 55. - 42 -

106
pas en mesure de présenter un mémoire avant un an au minimum . Lorsqu’il a présenté son

46 mémoire, le 19 décembre 2012, il a demandé à la Cour d’indiquer des mesures conservatoires

107 108
proprio motu, compte tenu de l’urgence . C’était un an plus tard. La Cour a refusé de le faire .

38. Lorsque le Costa Rica a, en mai de cette année, demandé la modification de votre

ordonnance indiquant des mesures conservatoires en l’affaire relative à Certaines activités menées

par le Nicaragua, le Nicaragua a une nouvelle fois, sans grande conviction, tenté d’obtenir des

109 110
mesures conservatoires en ce qui concerne la route . Vous avez rejeté cette demande . Dans la

soirée de vendredi dernier, il y a deux jours, le Nicaragua a présenté une demande en indication de

111
mesures conservatoires dans l’affaire de la Route il lui aura fallu vingt-deux mois . Les

mesures demandées ne sont pas des mesures conservatoires, ce sont des contre-mesures

conservatoires. Elles sont demandées plus de vingt-deux mois après la requête qui était qualifiée

d’urgente. Elles ont à plusieurs reprises été qualifiées d’urgentes, mais elles n’ont pas été

demandées avant. Monsieur le président, en raison des circonstances, le Costa Rica n’a pas

encore eu la possibilité de plaider au fond dans l’affaire de la Route. Nous sommes en train

d’établir notre mémoire compte tenu du calendrier fixé par la Cour après que le Nicaragua eut

déclaré qu’il lui fallait un an. La Cour nous a demandé si nous étions prêts à plaider sur cette

demande en indication de mesures conservatoires cette semaine. Pour plaider cette semaine, il

nous faudrait présenter notre position très rapidement, avec deux jours de préavis, en ce qui

concerne une affaire dans laquelle une partie a pleinement plaidé sa cause mais l’autre pas du tout.

Nous faisons valoir respectueusement que la Cour ne peut nous demander de présenter nos

arguments au sujet d’une situation de fait sans avoir la possibilité de présenter de preuves.

106
Voir ordonnance de la Cour du 23 janvier 2012 en l’affaire Construction d’une route au Costa Rica le long du
fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), p. 2.
107
MN en l’affaire Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua
c. Costa Rica), 19 décembre 2012, p. 252-253, p. 4.
108
Voir lettre datée du 11 mars 2013 adressée au Costa Rica par la C.I.J., réf. 142641.
109Demande du Nicaragua tendant à ce que l’ordonnance en indication de mesures conservatoires rendue par la
Cour le 8 mars 2011 en l’affaire relative à Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière
(Costa Rica c. Nicaragua) soit modifiée ou adaptée à la lumière de la situation créée par la jonction de cette instance à

celle relative à la Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica),
14 juin 2013.
110Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), demandes
tendant à la modification de l’ordonnance en indication de mesures conservatoires du 8 mars 2011, ordonnance du

16 juillet 2013, par. 26-29.
111Lettre datée du 11 octobre 2013 adressée à la C.I.J. par le Nicaragua, réf. HOL-EMB-196. - 43 -

Si, à l’issue de discussions avec le Greffe, il nous est possible de présenter des preuves rapidement,

nous envisagerions cette demande. Mais il est injuste de nous demander de le faire sans que nous

puissions présenter les preuves pertinentes.

Monsieur le président, je vous remercie de votre patience.

Le PRESIDENT : Merci, Monsieur Crawford. I now give the floor to Professor Kohen.

You have the floor, Sir.

47 Mr. KOHEN:

T HE CONSEQUENCES OF A HYPOTHETICAL REFUSAL TO INDICATE
PROVISIONAL MEASURES

1. Mr. President, Members of the Court, it is once more an honour to appear before you

today in order to defend the rights of Costa Rica. And I do so again because of serious actions on

the part of Nicaragua, actions which demand a clear, urgent and unambiguous response, if justice

and international law are to mean anything at all.

2. Article 73, paragraph 2, of the Rules of Court requires the party that is requesting the

indication of provisional measures to explain the possible consequences if its request is not granted.

That will be my task now at the end of the morning.

3. This requirement of the Rules of Court does indeed appear extremely wise. It is the

question that has to be addressed in order to establish whether the circumstances require the

indication of “provisional measures . . . to preserve the respective rights of either party”, as

112
provided for in Article 41 of the Statute . Indeed, it is on the basis of a scrutiny of the

consequences of deciding not to indicate provisional measures that the conditions for exercising

that power, as determined by your jurisprudence, have to be assessed.

4. My colleagues have shown you that, in this instance, all those conditions have been met.

The existence of a basis of jurisdiction and the fumus boni juris no longer need to be established.

And the Court itself has already determined the plausible nature of the rights that Costa Rica is

11This footnote does not concern the English version. - 44 -

seeking to protect . My colleagues have thus demonstrated the link between those rights and the

measures requested, together with the periculum in mora, in other words the risk of irreparable

prejudice and the urgency that require the indication of those measures.

5. My presentation will be divided into four parts:

the first will deal with the temporal factor in considering the adoption of the provisional

measures that are requested, or to put it differently, establishing the situation on the ground at

48 the time when the proceedings were instituted, the present situation and the one that can be

envisaged at the time when the Judgment on the merits is delivered;

the second part will cover what might happen in practice if the Court does not indicate the

various provisional measures requested by Costa Rica;

the third part will relate to the inability of the provisional measures currently in force to cope

with the new situation created by Nicaragua with the construction of the two new channels;

and finally, the fourth part will return to the alleged assurances given by Nicaragua, which do

not in any circumstances prevent the Court from indicating provisional measures.

A. The temporal factor in determining the provisional measures

6. I shall therefore begin with the temporal factor. What are the points in time that one needs

to consider in order to assess the periculum in mora pendente lite? There are two key moments.

The date of the first is known, that of the second is not. The first is 18 November 2010, the date

when the proceedings were instituted in which Costa Rica asserted its rights to sovereignty and

territorial integrity, and over its environment in protected wetlands in the northern part of Isla

Portillos, in accordance with the Ramsar Convention. The second date will be the one on which

the Court delivers its Judgment. Both domestic and international judges take account of the

probable length of the proceedings in considering the need for provisional measures. So the

fundamental question that arises is what is likely to be, at the end of the proceedings, the state of

the rights to be protected, as those rights existed at the time when the proceedings started.

7. As you know, Members of the Court, the written phase of this case has been completed

since your rejection of Nicaragua’s counter-claims , but what is to follow remains subject to the

11Certain Activities carried out by Nicaragua in the Border Area (Costa Rica v. Nicaragua), Provisional
Measures, Order of 8 March 2011, I.C.J. Reports 2011 (1), p. 19, paras. 55-58. - 45 -

progress of the proceedings in the case concerning Construction of a Road in Costa Rica along the
115
San Juan River, after your decision to join the two cases . Because of that fact, it is still likely to

49 be many months before a decision is given on the merits. Owing to the conduct of Nicaragua that

we are dealing with today, this extension of the date on which your Judgment will determine who

has sovereignty over the northern part of Isla Portillos places Costa Rica’s rights at further risk. I

shall return to this in a few moments.

8. Taking account of the two dates, those of the beginning and end of the proceedings, allows

an important distinction to be made between the present request for provisional measures and the

measures indicated by the Court on 8 March 2011. Nicaragua’s construction of an artificial

channel as from October 2010 is what motivated Costa Rica’s Application of 18 November 2010.

So, when that Application was filed, the first Nicaraguan caño already existed on the ground. On

the other hand, the two new channels constructed recently have the effect of changing and I

stress the word changing radically the situation prevailing pendente lite in the far north of Isla

Portillos near the Caribbean Sea.

9. The actions that have prompted this request for provisional measures have taken place

during the proceedings, and not beforehand. The provisional measures are therefore aimed at

remedying this disruption of the status quo, a disruption caused by one of the Parties to the obvious

and serious detriment of the rights which the other is asserting before the Court. Pending your

decision on the merits regarding sovereignty over the northern part of Isla Portillos, it is legitimate

for the Parties to the proceedings to expect that the territory in question should not be subject to

material changes that alter its physical configuration, all the more so because in this instance, those

changes may well be materially irreversible.

10. This difference in relation to the first Nicaraguan caño calls for an approach that is

distinct from the one employed for the provisional measures already indicated in this case. On

8 March 2011, you did not order and nor did Costa Rica request it the filling-in of the first

114
Certain Activities carried out by Nicaragua in the Border Area (Costa Rica v. Nicaragua); Construction of a
Road in Costa Rica along the San Juan River (Nicaragua v. Costa Rica), Counter-claims, Orders of 18 April 2013.
11Certain Activities carried out by Nicaragua in the Border Area (Costa Rica v. Nicaragua); Construction of a
Road in Costa Rica along the San Juan River (Nicaragua v. Costa Rica), Joinder of Proceedings, Orders of
17 April 2013. - 46 -

caño. Perhaps some of you may have thought that would have implied a kind of prejudgment of an

issue that divides the Parties, namely whether the caño is natural or artificial. Today, that question

does not arise in relation to these two new caños. The evidence is overwhelming. These two caños

50 were not there when Costa Rica started these proceedings in 2010, nor when the Court indicated its

provisional measures in 2011, nor when Nicaragua filed its Counter-Memorial in 2012.

11. As you will have gathered throughout this morning, these two new caños, constructed

pendente lite and in spite of your provisional measures, are likely to change permanently the

physical configuration of the border area, and remediation works are therefore needed in order to

avoid that. This is the only way of enabling your decision on the merits to apply to the territory

that was submitted to you for determination and not to a different geographical reality, changed by

its own admission and in its favour by one of the Parties.

B. The effects of a failure to indicate provisional measures

12. I therefore now turn to a consideration of the consequences of a decision not to order the

requested provisional measures. These consequences fall into two categories. First, there are those

relating to the area where the two channels have been constructed; and second, there are those

linked to Nicaragua’s possible conduct in the entire area which, in the Court’s opinion, was

“ex hypothesi . . . to be considered . . . as in dispute” .

(a) The risks relating to the recently constructed channels

13. It is clear from the scientific documentation produced by Costa Rica, as well as from the

rest of the evidence, that Nicaragua has constructed two channels diverting the waters of the San

Juan River for the purpose of altering its course and in particular its mouth at the Caribbean Sea . 117

This has taken place in Costa Rican territory that is subject to the provisional measures indicated by

the Court in 2011.

11Certain Activities carried out by Nicaragua in the Border Area (Costa Rica v. Nicaragua), Provisional
Measures, Order, I.C.J. Reports 2011 (I), p. 19, para. 56.
117
Oreamuno Vega, R. and Villaobos Herrera, R., Technical assessment of the artificial canals on Isla Portillos,
University of Costa Rica Centre for Research in Sustainable Development, Department of Civil Engineering, pp. 9-10
(Costa Rica, Further Documents Submitted to the Court, 9 Oct. 2013, Att. PM-19). - 47 -

14. The type of construction used by Nicaragua between June and September 2013 creates

channels that generate their own enlargement over time, owing to the natural erosion produced by

the way in which the water flows in the channels thus constructed . Consequently, there would

be no need for Nicaragua to do anything else once the construction work has been completed.

51 A failure to order provisional measures therefore means — quite simply, if I may say so, or rather,

quite seriously — allowing the work of opening up the channels and diverting the San Juan River

in its mouth at the Caribbean Sea in disputed territory to achieve its purpose by natural means.

15. As I speak, Members of the Court, we do not know whether the channel construction

work has been completed. Nor do we know whether it is true, as Nicaragua informed the Court

only last Thursday, that the Nicaraguan Government has withdrawn its personnel and equipment . 119

I would observe moreover that Nicaragua is silent as to the whereabouts of the Nicaraguan

infrastructure in “disputed” territory, whose presence was also amply documented and the

120
withdrawal of which was requested . Keeping that infrastructure in place would undoubtedly be a

tangible sign of a possible return.

16. Mr. President, Professor Thorne’s report — which can be found at tab 20 of the judges’

folders — explains the irreversible effect of diverting the San Juan River from its natural course in

its mouth at the Caribbean Sea. He emphasizes the imaginary nature of any belated attempt to

121
restore the pre-existing situation , for instance — I would add — once your Judgment has been

delivered. Hence, the risk of permanently altering the course of the San Juan River to the detriment

of Costa Rica is a real and concrete possibility if the provisional measures requested are not

indicated.

(b) The risks of new acts by Nicaragua in the disputed region

17. Unfortunately, Mr. President, Members of the Court, the dangers do not stop there.

Although Nicaragua has not yet succeeded in connecting to the Caribbean Sea one of the two

11Ibid.

11Letter (HOL-EMB-193) from the Agent of Nicaragua dated 10 Oct. 2013. See also the letter (HOL-EMB-197)
from the Agent of Nicaragua dated 11 Oct. 2013.
120
Costa Rica, Request for the indication of new provisional measures, Ann. 15.
12Thorne, C., Report on the Impact of the Construction of Two New Caños on Isla Portillos, para. 4.6 (Costa

Rica, 10 Oct. 2013, Ann. PM-33). - 48 -

channels it has constructed, it would be relatively quick and easy for it to do so in the future.

[Slide 1] As you can see on the screen, as regards the most easterly channel, it could simply be

connected to the sea across the beach, thus without needing to fell the surrounding woodland first

[end of slide 1].

52 18. But that is not all. Nicaragua, in its Counter-Memorial [slide 2] — you can see on the
122 123
screen a photograph taken from the Counter-Memorial — and in recent correspondence ,

emphasizes that several caños exist in the “disputed” region. In view of past experience, is it really

excessive to wonder about the dangers of new alleged “cleaning” work that the Nicaraguan

Government and its delegate Commander Edén Pastora are so fond of? Not only does Nicaragua

see caños everywhere, but even supposing that they did at one time exist, its Government and its

delegate think they are entitled to, as they put it, “clean” them wherever they may happen to be

[end of slide 2].

19. Experience also shows — one need only read the reply of the Minister for Foreign

Affairs of Nicaragua to his Costa Rican colleague dated 18 September 2013 124— [slide 3] that

Nicaragua attributes to nature the action which no one other than Nicaragua itself has caused on the

ground. If one re-reads Nicaragua’s Counter-Memorial in context, and thus in the light of what has

happened since the beginning of the dispute and even after the Court indicated provisional

measures in 2011, there is cause for grave concern when one sees the lengthy references made

there by Nicaragua to the loss of territorial sovereignty caused by the action of “nature” 125[end of

slide 3].

20. Mr. President, Members of the Court, all the possible consequences of the rejection of

the request for the indication of provisional measures lead to the conclusion that there is periculum

in mora and thus a need to order those measures. In its first Order indicating provisional measures,

the Permanent Court of International Justice referred to what is now regarded as the classic

definition of the notion of irreparable prejudice. It found that irreparable prejudice was constituted

122
CMN, p. 330, fig. 6.8.
12Diplomatic Note dated 18 Sept. 2013 sent to the Minister for Foreign Affairs and Worship of Costa Rica by the
Minister for Foreign Affairs of Nicaragua (Costa Rica, Request for the indication of new provisional measures, Ann. 5).

12Costa Rica, Request for the indication of new provisional measures, Ann. 5.
125
CMN, pp. 382-383, paras. 6.173-6.177. - 49 -

53 when the possible violation of the rights in question “could not be made good simply by the

payment of an indemnity or by compensation or restitution in some other material form” . That is6

of course the case here.

21. We are confronted here with a situation in which one of the Parties, during the

proceedings, is engaged in causing material damage to the disputed territory. I say clearly:

pendente lite. And I use the expression “material damage” because we are talking about nothing

less than the felling of trees and the clearing of existing vegetation, and the digging of channels,

this time using machines (dredgers) — unlike in the case of the caño — in order to divert the San

Juan River. All of this in a territory that the Court has considered ex hypothesi to be in dispute and

Costa Rica’s rights over which you have found to be plausible, even though one could again assert

127
that they are much more than “plausible” — which of course we shall do during the debate on

the merits. [Slide 4] The Court has also found that Costa Rica has assumed international

environmental protection obligations in the territory occupied by Nicaragua and subsequently

128
claimed by it in October 2010 [end of slide 4].

22. It is not a question of preserving Costa Rica’s right to territorial sovereignty in abstracto.

Title to sovereignty is not lost as a result of the destructive actions of the other Party. The purpose

of provisional measures is specifically to prevent a judgment on the merits from arriving too late in

respect of the facts. And that, Members of the Court, is the key issue. Can Costa Rica be asked to

await a judgment which, of course, is likely to establish its sovereignty, but which on the ground

may well leave it only with a territory that has been fragmented, cut through by artificial channels

and even partially turned into an aquatic area, if Nicaragua manages to divert the San Juan River in

Costa Rican territory? If Nicaragua succeeds in forcing through its actions on the ground,

Isla Portillos will then become a series of several islets separated by the channels constructed by

Nicaragua.

126
Denunciation of the Treaty of 2 November 1865 between China and Belgium, Order of 8 January 1927,
P.C.I.J., Series A, p. 7: “as, however, in the event of an infraction . . . such infraction could not be made good simply by
the payment of an indemnity or by compensation or restitution in some other material form”.
12CR 2011/1, pp. 36-52 (Kohen).
128
Certain Activities carried out by Nicaragua in the Border Area (Costa Rica v. Nicaragua), Order of
8 March 2011, I.C.J. Reports 2011 (I), pp. 25-26, para. 80. - 50 -

23. If provisional measures have a raison d’être, whether in domestic legal systems or in

international law before this distinguished Court, it is precisely to prevent such harm from being

caused to the rights at issue pendente lite. It is also a question of the sound administration of
54

justice.

24. Members of the Court, the consequences of a hypothetical rejection of the request for the

indication of provisional measures thus demonstrate the urgent need to indicate those measures.

Costa Rica is complying and will continue to comply with your Order of 8 March 2011, and, as a

result, it is unable to exercise its sovereignty in that part of its territory. Nicaragua, which has

changed the existing situation by occupying the territory, has not done likewise and continues to

send government personnel and, in particular, the head of the works, Commander Pastora, as well

as numerous contingents of Nicaraguans who, by the Respondent’s own admission , are engaging

in so-called “environmental” activities. Moreover, it is odd — in fact I should say that it is all very

disturbing — it is odd, Mr. President, that for three years these Nicaraguan “environmentalists”

have continued to plant trees in a region whose importance the Agent of Nicaragua never misses an

130
opportunity to play down, emphasizing that it is a tiny, uninhabited stretch of swampland . This

is an assertion which not only does not entirely correspond to reality, but which also barely

conceals a disparaging view of the protected wetlands and thereby implicitly seeks to play down

the seriousness of Nicaragua’s actions in foreign territory.

25. Members of the Court, in the present case, there is no need to speculate about the

probability, imminence or reality of a risk of irreparable prejudice or damage to Costa Rica’s

rights. Mr. Wordsworth has already explained that. It has been held in the case law that the

12CMN, p. 395, para. 7.28, pp. 396-397, para. 7.32, pp. 400-401, para. 7.43.

13See CR 2011/2, pp. 11-12, para. 20 (Argüello), letter HOL-EMB-193 dated 10 Oct. 2013 sent to the Registrar
by the Agent of Nicaragua. - 51 -

condition of urgency is satisfied when “action prejudicial to the rights of either party is likely to be

55 taken before such final decision is given” , or when there is a “real” or “imminent” risk that

132
irreparable prejudice may be caused to those rights .

26. This irreparable prejudice or harm is not hypothetical in today’s circumstances: it is

occurring with each passing day. In fact, the only risk remaining now is that of seeing this

irreparable damage, which is taking place in a wetland for which Costa Rica has assumed

international obligations, continuing over time and increasing to such an extent that it becomes

definitive. For these reasons, Members of the Court, the indication of the provisional measures

requested is a matter of urgency and essential.

C. The provisional measures of 8 March 2011 are not sufficient

27. In its communication of Friday evening, Nicaragua claims that there is no reason to adopt

133
new provisional measures, and that those ordered by this Court on 8 March 2011 are sufficient . I

will now explain why the current situation requires the indication of new provisional measures.

28. Two and a half years ago, this Court ordered the Parties to refrain from “sending to, or

maintaining in the disputed territory, including the caño, any personnel, whether civilian, police or

134
56 security” . What has happened in recent weeks? This is not a simple incursion by Nicaraguan

personnel into “ disputed” territory, the recurrence of which must therefore be avoided in future. If

13Passage through the Great Belt (Finland v. Denmark), Provisional Measures, Order, I.C.J. Reports 1991,
p. 17, para. 23: “Whereas provisional measures under Article 41 of the Statute are indicated ‘pending the final decision’
of the Court on the merits of the case, and are therefore only justified if there is urgency in the sense that action

prejudicial to the rights of either party is likely to be taken before such final decision is given”;Request for
Interpretation of the Judgment of 15 June 1962 in the Case concerning the Temple of Preah Vihear (Cambodia v.
Thailand) (Cambodia v. Thailand), Provisional Measures, Order, p. 12, para. 47; Certain Activities carried out by
Nicaragua in the Border Area (Costa Rica v. Nicaragua), Provisional Measures, Order, I.C.J. Reports 2011 (I), p. 16,
para. 63; Questions relating to the Obligation to Prosecute or Extradite (Belgium v. Senegal), Provisional Measures,
Order, I.C.J. Reports 2009, pp. 152-153, para. 62; Application of the International Convention on the Elimination of all
Forms of Racial Discrimination (Georgia v. Russian Federation), Provisional Measures, Order, I.C.J. Reports 2008,
pp. 392-393, para. 129; Pulp Mills on the River Uruguay (Argentina v. Uruguay), Provisional Measures, Order, I.C.J.
Reports 2007 (I), p. 11, para. 32.

13Certain Activities carried out by Nicaragua in the Border Area (Costa Rica v. Nicaragua), Order, I.C.J.
Reports 2011 (I), p. 16, para. 64: “Whereas the power of the Court to indicate provisional measures will be exercised
only if there is urgency, in the sense that there is a real and imminent risk that irreparable prejudice may be caused to the
rights in dispute before the Court has given its final decision.” See also Request for Interpretation of the Judgment of
15 June 1962 in the Case concerning the Temple of Preah Vihear (Cambodia v. Thailand) (Cambodia v. Thailand),

Provisional Measures, Order, p. 12, para. 47; Questions relating to the Obligation to Prosecute or Extradite (Belgium v.
Senegal), Provisional Measures, Order, I.C.J. Reports 2009, pp. 152-153, para. 62; Pulp Mills on the River Uruguay
(Argentina v. Uruguay), Provisional Measures, Order, I.C.J. Reports 2007 (I), p. 13, para. 42.
13Letter HOL-EMB-197 of 11 Oct. 2013 from the Agent of Nicaragua to the Registrar.

13Certain Activities carried out by Nicaragua in the Border Area (Costa Rica v. Nicaragua), Provisional
Measures, Order of 8 March 2011, I.C.J. Reports 2011 (I), p. 27, para. 86, op. para. (1). - 52 -

that had been the case, your initial provisional measure would have been sufficient. No,

Mr. President, what has happened is that Nicaragua has undertaken action on that territory on a

major scale, with dredgers and chainsaws, which it has taken several weeks to carry out. It is thus

not sufficient to remind the Parties of the existing obligation not to send personnel, but it is

necessary to order a measure requiring the cessation of all canalization, dredging or other works in

the disputed territory, and that no further works should be carried out in the future. It also requires

that Nicaragua be ordered to dismantle all infrastructure on the territory and to refrain from

introducing any more pendente lite. The same applies to the equipment used to carry out the works

of canalization.

29. In this regard, Members of the Court, I should like to draw your attention to another

aspect of the situation. As you know, Nicaragua considers that its citizens are entitled to visit the
135
disputed territory and to carry on activities claimed to be for the protection of the environment .

This is not the time to consider whether that presence is lawful or not, or whether the activities of

those persons can or cannot be attributed to Nicaragua. We shall do that at the merits stage. Let us

suppose, for purposes of the argument on provisional measures, that the facts are as represented by

Nicaragua; that is to say, that there is an NGO, Guardabarranco, acting in disregard of the

Government’s instructions, or that that organization or its members are not under Government

control. Supposing for present purposes that the equipment remains in place, and that the

infrastructure remains as it is, then there will be nobody on the disputed territory to keep a check on

the actions of this organized group of Nicaraguans, or on the use to which they put such

infrastructure and equipment. Again, and regardless of whether or not they may be considered to

have been complied with by Nicaragua, the provisional measures of 2011 are incapable of

preventing canalization or other works being continued or resumed.

30. For all of these reasons, Costa Rica respectfully requests you, Members of the Court, to
57

indicate the first two provisional measures requested, namely: (1) the immediate and unconditional

suspension of any work by way of dredging or otherwise in the disputed territory, and specifically

the cessation of work of any kind on the two further artificial caños; and (2) that Nicaragua

13CMN, pp. 390-398, paras. 7.15-7.33. - 53 -

immediately withdraw any personnel, infrastructure (including lodging tents) and equipment

(including dredgers) introduced by it, or by any persons under its jurisdiction or coming from its

territory, from the disputed territory.

31. In your Order of 8 March 2011, you allowed Costa Rica to dispatch civilian personnel

charged with the protection of the environment in order to avoid irreparable prejudice being caused

136
to the disputed territory . So far, their visits have been of only very short duration and have been

affected by a marked sense of tension as a result of the presence of the Nicaraguans in the area,

who lost no time in mistreating those environmental personnel on their first visit . The third

provisional measure requested by Costa Rica relates quite particularly to the specific risk of

irreparable prejudice as a result of the two new channels, and to the need for works to be

undertaken in order to avoid the diversion of the San Juan River in Costa Rican territory becoming

irremediable. That requires more than the dispatch of personnel responsible for the environment.

It requires the realization of works on a certain scale in order to remedy the situation, with

whatever may be needed in terms of labour and equipment. Those works need to be carried out

without hindrance or threats of any kind.

32. Access to the area is extremely difficult by land because of the absence of roads in the

region and the density of the forest. Nicaragua has recently prevented environmental personnel

from obtaining access by river, which is the simplest, most secure and rapid means of access,

arguing that it does not come within Costa Rican navigational rights recognized by the Treaty of
58
138
Limits of 1858 . Again, these issues will be examined at the merits stage of this case. However,

whatever interpretation may be given to those navigational rights, the fact of the matter is that

Nicaragua should not seek to hinder but on the contrary, to facilitate the remediation works

needed in order to avoid the two new channels causing irreparable harm. That includes access to

the disputed area by the San Juan River, without prejudice to the positions of the Parties in relation

to the scope of Costa Rica’s navigational rights.

136
Certain Activities carried out by Nicaragua in the Border Area (Costa Rica v. Nicaragua), Provisional
Measures, Order of 8 March 2011, I.C.J. Reports 2011 (I), p. 27, para. 86, point (2) of the operative part.
13MCR, p. 268, para. 6.9.
138
Note from the Minister for Foreign Affairs of Nicaragua, Mr. Santos, to the Minister for Foreign Affairs of
Costa Rica, Mr. Castillo, of 18 Sep. 2013 (Request of Costa Rica for the indication of new provisional measures,
Att. PM-5); Request of Costa Rica, para. 18. - 54 -

D. Nicaragua’s “assurances” are not a bar to the indication
of provisional measures

33. Mr. President, my colleague James Crawford has demonstrated to you the blatant

contradictions with which Nicaragua has surrounded itself through misconceived arguments that

seek to justify conduct that is quite clearly unjustifiable, first denying the facts, then subsequently

claiming that its personnel have withdrawn and will not return. It is thus repeating exactly what it

had already done in 2011 at the previous provisional measures hearings . My distinguished

colleague has also explained to you why Nicaragua’s purported “assurances” are unacceptable in

the present circumstances.

34. It is not as if we are applying to you for the first time, in reliance on previous conduct on

the part of the Respondent which could cause irreparable prejudice to the rights claimed by the

Applicant. The reality is, Mr. President, that Nicaragua was under an obligation imposed by this

Court to refrain from sending personnel to Isla Portillos, and has not complied. This is, moreover,

not the first time that the Government Delegate for the Dredging Works of the San Juan River,

59 Commander Edén Pastora, has made an incursion into the disputed territory, as we have shown in

our reports to the Court on the implementation of the provisional measures . 140

35. The Note sent to the Court by Nicaragua on 10 October 2013, which paints a picture in

which the Government of President Ortega appeared to be unaware of the activities of the

Government Delegate Edén Pastora and his team of dredgers, actually strengthens the need for the

141
indication of provisional measures . Even assuming that this inexcusable ignorance was true, it

would demonstrate that Nicaragua is incapable of preventing its own organs from entering disputed

territory and conducting activities on a major scale.

13CR 2011/2, p. 13, para. 28 (Argüello); CR 2011/4, p. 37, para. 15 (Argüello); Reply of the Republic of
Nicaragua to the question put by Judges Simma, Bennouna and Greenwood at the end of the hearing on provisional
measures requested by Costa Rica in the case concerning Certain Activities carried out by Nicaragua in the Border Area
(Costa Rica v. Nicaragua), 18 Jan. 2011, ref: 18012011-01; Comments by Costa Rica on the Reply of Nicaragua to the
question put by Judges Simma, Bennouna and Greenwood at the end of the hearing on provisional measures requested by
Costa Rica in the case concerning Certain Activities carried out by Nicaragua in the Border Area (Costa Rica v.
Nicaragua), 20 Jan. 2011, ref: ECRPB 017-11 ; MCR, Ann. 233.

14Report of Costa Rica to the ICJ, Note ECRPB-026 of 3 July 2012.
141
Note HOL-EMB-193 of 10 Oct. from the Agent of Nicaragua to the Registrar. - 55 -

36. The last-minute statement by Nicaragua [slide 5] that its President had ordered

142
Edén Pastora and his team to leave the “disputed” area on 21 September 2013 , even supposing it

to be true, runs up against a further problem: in the opinion of the Government Delegate for the

Dredging Works of the San Juan River, Mr. Pastora, [end of slide 5; new slide 6] the canal area is

not part of the disputed area — as he explained in his televised interview reproduced as

Annex PM-31, an extract from which you see on the screen. Hence, given the instructions from

President Daniel Ortega to continue the “cleaning” works in the San Juan delta 143 and the view

taken by his Delegate, Edén Pastora, on the extent of the delta and of the area in dispute, there is a

risk that works of deforestation, excavation and dredging will continue in the northern part of Isla

Portillos if you do not order the measures requested. [End of slide 6]

37. Members of the Court, on 8 March 2011 you ordered provisional measures [slide 7]

because, among other reasons, Nicaragua had mentioned that it was planning to carry out tree

144
60 replanting work in the area which is today in dispute . Your measure aimed to prevent that.

Since then, Nicaragua has undertaken — and even repeated it last Friday — to comply with your

Order. What has happened in reality? [Slide 7] Nicaragua has resorted to a piece of “sophistry”,

namely that the provisional measures prevented Nicaraguan personnel, but not citizens, from

entering the disputed territory and planting trees. Nicaragua has told you that work in the disputed

area was finished 145 [end of slide 7]. [Slide 8] The reality shows the contrary, and Costa Rica

146
unfortunately finds itself obliged to inform you regularly of this . [End of slide 8]

38. The information provided by Nicaragua to the Court last Thursday and Friday, according

to which its personnel had left and would not be returning, is a clear reflection of its intention to

persuade you, Members of the Court, to leave the situation created by Nicaragua as it stands.

14Note from the Secretary of National Public Policies to the Executive President of the National Port Authority,
SSPN-E-13-712, 21 Sept. 2013; Note HOL-EMB-197 from the Agent of Nicaragua of 11 Oct. 2013, Ann. 6.

14Idem.
144
Certain Activities carried out by Nicaragua in the Border Area (Costa Rica v. Nicaragua), Provisional
Measures, Order of 8 March 2011, I.C.J. Report 2011 (I), pp. 23-24, para. 72, and p. 24, para. 75.
14Ibid., p. 23, para. 71.

14Reports presented by Costa Rica to the I.C.J.: 8 Apr. 2011, ref. ECRPB-029-11; 13 Apr. 2011,
ref. ECRPB-030-11; 23 June 2011, ref. ECRPD-039-11; 3 July 2012, ref. ECRPB-026-12; 21 Nov. 2012,
ref. ECRPB-045-12 and 15 Mar. 2013, ref. ECRPB-016-13. - 56 -

James Crawford has amply demonstrated the effects of this, and the degree of credibility which that

information merits. Experience has already taught us, Mr. President. What is at stake is not only

the preservation of Costa Rica’s rights pendente lite, but also the respect owed to the International

Court.

Conclusions

39. I now come to my conclusions. Mr. President, Members of the Court, if you fail to

indicate the provisional measures requested, Costa Rica will, when you give your decision on the

merits, receive a territory whose configuration will at best have been substantially modified and

fragmented, and at worst will also have had part of its surface irremediably submerged beneath the

waters of the San Juan River.

40. [Slide 9] The Ramsar Convention begins with the statement that “wetlands constitute a

resource of great economic, cultural, scientific, and recreational value, the loss of which would be

147
irreparable” . I leave it to you, Members of the Court, to form your view of the treatment

61 inflicted by Nicaragua pendente lite on a wetland registered as such by Costa Rica. [End of slide 9]

41. Members of the Court, the provisional measures requested do not seek to upset some sort

of balance established between the Parties pending the decision on the merits. On the contrary, it is

the indication of such measures which will enable that balance to be maintained — a balance upset

by Nicaragua’s construction of these two channels in the disputed territory at a time when the

written phase of the case has closed, and pending the hearing on the merits. What Costa Rica is

asking for is simply that the situation on the ground be maintained as it existed at the start of the

case, pending the decision on the merits.

42. I thank you for your kind attention, Mr. President, Members of the Court, throughout this

long morning. Thank you.

14Convention on Wetlands of International Importance especially as Waterfowl Habitat (Ramsar Convention),
2 Feb. 1971, entered into force on 21 Dec. 1975, United Nations, Treaty Series (UNTS), Vol. 996, No. 14583. - 57 -

Le PRESIDENT : Merci, Monsieur Kohen. Voilà qui met fin à l’audience de ce jour. La

Cour se réunira de nouveau demain, mardi 15 octobre, à 10 heures, pour entendre le premier tour

de plaidoiries du Nicaragua. Toute décision de la Cour concernant la procédure sera communiquée

aux Parties. Je vous remercie.

L’audience est levée.

L’audience est levée à 12 h 55.

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