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CR 2014/3 (traduction)

CR 2014/3 (translation)

Mercredi 22 janvier 2014 à 10 heures

Wednesday 22 January 2014 at 10 a.m. - 2 -

8 Le PRESIDENT : Bonjour. Veuillez vous asseoir. La séance est ouverte. La Cour se réunit

ce matin pour entendre le Timor-Leste en son second tour de plaidoiries relatives à la demande en

indication de mesures conservatoires. J’appelle immédiatement à la barre sir Elihu Lauterpacht.

Vous avez la parole, Monsieur. Je vous en prie.

Sir Elihu LAUTERPACHT : Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je

vous remercie. Je tiens tout d’abord à vous présenter mes excuses pour n’avoir pu fournir à la Cour

le texte écrit de mon exposé. Je ne doute cependant pas que ses excellents interprètes, auxquels

nous devons tant pour leur travail admirable, sauront faire face à cette situation et n’auront aucune

difficulté à me suivre.

Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, si j’ai offensé le Gouvernement

australien et mes anciens collègues, je le regrette bien évidemment. Si mes propos ont semblé durs,

je ne voulais blesser personne ; mais le mot «inexplicable» est le seul qui me soit venu à l’esprit

pour qualifier les circonstances dans lesquelles s’est produite la saisie des biens à Canberra des

biens qui appartiennent au Gouvernement du Timor-Leste. Et ce n’est qu’hier matin que

l’Australie a tenté de justifier cette saisie de manière précise et compréhensible. Je ne citerai que

quelques extraits de l’intervention de l’éminent Solicitor-General, tirés des paragraphes 38 à 40

(CR 2014/2) :

«l’Australie peut légitimement s’inquiéter», a-t-il déclaré, «de ce qu’un ancien agent
des services de renseignement ait pu divulguer des informations relatives à la sécurité
nationale et qu’il puisse en divulguer d’autres» ;

un comportement qui est susceptible de constituer une grave infraction pénale en droit

australien. L’Australie peut également redouter que «le Timor-Leste encourage la commission de

pareille infraction» en droit australien. «Transmettre des renseignements classés secrets à un Etat

étranger est un grave délit en Australie, comme ce serait le cas dans n’importe quel pays», a ajouté

le Solicitor-General, avant d’affirmer enfin :

«L’objet véritable de la demande en indication de mesures conservatoires
[présentée par le Timor-Leste] [consiste] à empêcher l’Australie de prendre les
mesures dont elle dispose en vertu de son droit interne [pour] se protéger de la menace
que semble représenter pour sa sécurité un ancien agent malintentionné.» - 3 -

Le Timor-Leste est bien entendu le premier à reconnaître le droit d’un Etat de se protéger.

Mais certaines questions demeurent. Se protéger de quoi ? Par quels moyens ? Et quand ?

9 «Se protéger de quoi ?» : l’Australie se protège-t-elle de la probable révélation des actes

graves et illicites dont se sont rendus coupables ses services de renseignement en entrant sur le

territoire du Timor-Leste sous un faux prétexte ? En plaçant ensuite clandestinement des

dispositifs dans les bureaux du Gouvernement du Timor-Leste, en écoutant des conversations et en

obtenant des informations auxquelles ils n’avaient pas le droit d’accéder ? Des informations qui,

ne peut-on s’empêcher de supposer, ont facilité la tâche de l’Australie. Celle-ci ne veut donc pas

que des détails sur tous ces faits soient révélés au public et menace d’exercer des poursuites à

l’encontre de l’un de ses anciens agents, auquel elle reproche d’avoir révélé cette perfidie.

«Par quels moyens ?» : la saisie, dans les locaux d’un conseil, en Australie, de documents

susceptibles d’être à charge de celle-ci, documents qui appartiennent au Timor-Leste et qui sont

détenus en son nom par ledit conseil.

«Et quand ?» : pendant que le conseil était absent, qu’il se trouvait à l’étranger.

Alors, «pourquoi maintenant ?» : tout simplement parce que l’Australie a pris conscience

que les documents en question pourraient d’une manière ou d’une autre être utilisés contre elle

dans la procédure d’arbitrage. Ou bien parce qu’elle souhaite intimider ceux qui pourraient

témoigner contre elle dans cette procédure.

L’Australie a-t-elle seulement envisagé que les documents puissent appartenir à son voisin,

le Timor-Leste ? La Cour n’a pas entendu un mot contestant l’appartenance des éléments saisis au

Timor-Leste. L’Australie a choisi de les traiter comme s’il s’agissait de simples informations et

j’emploie un adjectif qu’elle a elle-même employé commerciales, détenues au nom d’un tiers

par l’avocat concerné. L’Australie n’a nullement contesté l’appartenance de ces éléments au

Timor-Leste. Ce qu’elle conteste, c’est le droit de ce dernier à la protection de ses biens. Elle

soutient que, en revendiquant la propriété de ces éléments qui se trouvent sur le territoire australien,

le Timor-Leste prétend exercer une nouvelle forme de compétence extraterritoriale. Cela est

totalement faux. Le droit de propriété est le droit de propriété. Il convient de ne pas le confondre

avec une quelconque forme reconnue de compétence extraterritoriale. - 4 -

Les biens d’un Etat ne sauraient être saisis, pas davantage qu’il ne saurait y être porté

atteinte. C’est de l’immunité qui s’attache à ces biens lorsqu’ils ont été confiés à un agent qu’il

s’agit ici. Le bien considéré a simplement été confié à une personne qui agit au nom de l’Etat, qui

n’a nullement perdu son titre de propriété sur celui-ci.

Rien n’a été dit à propos de la jurisprudence faisant autorité invoquée par le Timor-Leste,

comme les affaires Rahimtoola, Cristina et Ysmael des décisions rendues par la chambre des

Lords, le Privy Council ou la Cour d’appel, dans lesquelles le titre de propriété de l’Etat a été

reconnu sur des biens détenus par un agent. Rien n’a été dit, par exemple, à propos du précédent

que constituent les protestations récemment élevées par le Royaume-Uni contre la saisie, par

l’Espagne, de documents se trouvant sur le territoire de celle-ci. J’ai établi une comparaison entre

une telle saisie et la prise de possession, par un Etat, d’une partie du territoire d’un Etat voisin, et

10 j’insiste sur le fait qu’il n’existe aucune différence entre la prise de possession d’un territoire et

celle d’un bien ce n’est qu’une question de taille, pas de nature. Une prise de possession est une

prise de possession. La position de l’Australie semble désormais reposer entièrement sur la

possibilité de former un recours devant ses juridictions internes. Aucune réponse n’est apportée à

l’affirmation du Timor-Leste selon laquelle la question de l’épuisement des voies de recours

internes n’est en l’espèce pas pertinente. Nous avons invoqué devant la Cour des éléments de

jurisprudence faisant autorité, tels que les décisions rendues dans les affaires Avena et du Détroit de

Corfou, pour ne nommer que celles-là. Mais là encore, nous n’avons reçu aucune réponse.

Par ailleurs, l’Australie se plaint incidemment du fait que le Timor-Leste n’a pas déposé

d’observations écrites avant les présentes audiences, comme elle l’a elle-même fait. Il doit y avoir

un malentendu. L’Australie laisse entendre que le Timor-Leste n’a pas répondu à une invitation

faite en ce sens par la Cour. Mais pareille invitation n’a jamais existé. Je ne trouve aucune

mention d’une telle possibilité dans le Statut ou le Règlement de la Cour, pas plus que ne figure

une invitation dans les documents dont nous disposons. Le Timor-Leste est certainement

reconnaissant à l’Australie d’avoir déposé des observations écrites, mais celle-ci n’y conteste pas le

titre de propriété du Timor-Leste et ne fait qu’y répéter ce qu’elle n’a cessé de dire à propos des

recours internes ouverts sur son territoire. - 5 -

Rien ne permet de critiquer le Timor-Leste pour ne pas avoir déposé ses propres

observations écrites. Il suffit de rappeler que la requête introductive d’instance en la présente

affaire a été déposée le 17 décembre et qu’elle a été suivie, le même jour, d’une demande en

indication de mesures conservatoires. La Cour n’a pas invité le Timor-Leste à apporter un

complément à cette demande.

Il n’était pas non plus nécessaire pour le Timor-Leste d’anticiper sur les audiences de cette

semaine. Il suffit qu’il expose ses arguments devant vous, Monsieur le président, Mesdames et

Messieurs de la Cour, comme il l’a fait avant-hier et continue de le faire aujourd’hui.

L’Australie a fait référence aux mesures qu’elle avait prises pour concilier les intérêts des

deux Parties. Eh bien, lorsqu’elle prétend concilier ces intérêts, l’Australie n’accorde d’importance

qu’aux siens. Elle semble ne tenir aucun compte de ceux du Timor-Leste, alors qu’ils ne doivent

pas être ignorés. Le Timor-Leste a un intérêt touchant à sa sécurité d’un type bien précis, à savoir,

la protection du secret des discussions qui se tiennent au sein de son gouvernement.

L’Australie menace indirectement le témoin K, et même M. Collaery. Ce faisant, elle

néglige deux aspects des éventuelles poursuites à venir. D’une part, si les autorités chargées de

l’application de la loi pénale en Australie adoptent ce que je pourrais appeler une approche

11 équitable, elles doivent envisager la possibilité de poursuivre en Australie des personnes ayant

ordonné ou assuré la mise en œuvre des activités qui constituent elles-mêmes une violation du droit

australien. D’autre part, il est possible que des poursuites soient engagées au Timor-Leste à

l’encontre des personnes à l’origine des interceptions réalisées dans les bureaux du gouvernement.

Une telle procédure, relevant du droit pénal timorais, serait à l’évidence menée devant les

juridictions du Timor-Leste, mais celles-ci seraient en droit de demander l’aide des autorités

australiennes aux fins d’assurer la comparution des accusés.

Il convient de souligner l’importance du dernier engagement pris par l’Attorney-General

d’Australie. Ce n’est que maintenant que cet engagement s’étend aux questions de délimitation

maritime. Sans vouloir offenser l’Attorney-General, j’affirme que son engagement devrait être

renforcé par une ordonnance de la Cour sur le sort des éléments saisis.

J’en viens à présent à ma conclusion, Monsieur le président. J’ai la chance de connaître la

teneur de l’exposé que présentera sir Michael Wood, et il abordera de nombreux autres points. Je - 6 -

sais que le latin n’est pas la langue favorite de l’Australie, mais celle-ci serait tout de même bien

inspirée de prononcer ces mots, culpa mea maxima culpa, et d’admettre ainsi ses torts dès à

présent. Ce faisant, elle pourrait mettre un terme à cette triste affaire. Qu’elle restitue

immédiatement les éléments saisis et que, accessoirement, elle reconnaisse dans le cadre de la

procédure arbitrale que le traité relatif à certains arrangements maritimes dans la mer de Timor n’a

jamais véritablement existé. L’Australie est en mesure de restaurer des bases saines pour que les

relations d’amitié qui existent entre les Parties soient maintenues et approfondies.

Monsieur le président, c’est tout ce que je souhaitais déclarer à la Cour. Je vous prie

respectueusement de bien vouloir appeler à la barre sir Michael Wood et vous remercie infiniment

de m’avoir donné la parole. Point n’est besoin de dire que c’est à grand regret que je vous quitte à

présent. Merci, Monsieur le président.

Le PRESIDENT : Je vous remercie, sir Elihu. Je demande maintenant à sir Michael Wood

de bien vouloir poursuivre la présentation des observations du Timor-Leste.

Sir Michael WOOD :
12

A PPLICATION DU DROIT ET DE LA PRATIQUE CONCERNANT
LES MESURES CONSERVATOIRES

1. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je répondrai aux propos que la

Partie australienne a tenus hier au sujet des conditions régissant l’indication de mesures

conservatoires. Je souhaiterais cependant commencer par citer, comme vient de le faire sir Elihu,

le Solicitor-General, M. Gleeson. Voici ce que ce dernier a dit au paragraphe 39 de sa plaidoirie :

«[c]es révélations menacent notre sécurité. Cela va bien au-delà de l’issue de
l’arbitrage. Transmettre des renseignements classés secrets à un Etat étranger est un
grave délit en Australie, comme ce serait le cas dans n’importe quel pays.»

Tout à fait. Et saisir des renseignements classés secrets du Timor-Leste est un grave délit, comme

ce serait le cas dans n’importe quel pays.

2. Monsieur le président, je voudrais tout d’abord me pencher sur la question posée aux deux

Parties par M. le juge Cançado Trindade. Cette question est libellée comme suit :

«Quel est l’impact des mesures prises par un Etat invoquant la sécurité
nationale sur le déroulement de la procédure arbitrale entre les Parties ? Quel est, en - 7 -

particulier, l’effet ou l’impact de la saisie de documents et données, dans les

circonstances de l’espèce, sur le règlement d’un différend international par voie de
négociation et d’arbitrage ?»

3. J’essaierai de répondre à cette question, tant en principe que dans le contexte de l’espèce,

mais, en bref, je dirai que la saisie de documents complique de beaucoup le règlement des

différends internationaux. La confiance est perdue et les relations sont ternies. Les Etats devraient

s’abstenir de laisser leurs intérêts nationaux, y compris ceux se rapportant à la sécurité

nationale aussi importants qu’ils puissent être avoir un effet négatif sur une procédure

internationale entre des Etats souverains et sur la faculté de tels Etats d’obtenir des conseils

juridiques. Nulle action ne doit porter atteinte aux principes de l’égalité souveraine des Etats, de la

non-intervention et du règlement pacifique des différends prévu au paragraphe 3 de l’article 2 de la

Charte des Nations Unies. En effet, ces principes sont au cœur de l’ordre juridique international

qui est reflété dans la Charte et d’autres documents essentiels, comme la déclaration relative aux

relations amicales .

13 4. Appliquant ces principes à la présente affaire, nous en appelons à la Cour pour faire en

sorte que l’Australie n’obtienne pas d’avantages indus, que ce soit dans le contexte d’une

procédure ou en ce qui concerne plus généralement la mer de Timor.

5. Les deux Parties paraissent s’accorder à penser que la confidentialité des communications

entre un conseil et son client est un principe général de droit et qu’elle n’est pas sans limites, mais

elles semblent ne pas s’entendre sur la portée de ces limites. Pour répondre à la question posée par

M. le juge Cançado Trindade, j’appelle votre attention sur la différence existant entre les limites

prévues par le droit interne, dont l’Australie veut l’application, et celles prévues par le droit

international. Les limites internes défendues par l’Australie ne devraient pas s’appliquer lorsqu’un

Etat souverain cherche à obtenir un conseil juridique. L’Australie n’a pas le droit de restreindre la

faculté du Timor-Leste de communiquer librement avec ses conseils. Il n’existe pas de limite à

l’immunité reconnue aux documents diplomatiques se trouvant sur le sol australien ; il n’existe

aucune raison de principe justifiant de ne pas appliquer cette règle à la revendication, par un Etat,

de la confidentialité de ses communications avec son conseil.

1 A/RES/25/2625, déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la
coopération entre les Etats conformément à la Charte des Nations Unies, 24 octobre 1970. - 8 -

6. En tout état de cause, le fait que l’existence d’une limite à cette confidentialité soit

alléguée ne doit pas gêner le Timor-Leste dans sa préparation d’une procédure ou de négociations
2
internationales. Ce principe a été expressément reconnu dans l’affaire Libananco . Contrairement

à ce que M. Burmester a dit hier , la reconnaissance de ce principe ne doit pas empêcher l’Australie

de poursuivre une enquête judiciaire mais garantit simplement l’inviolabilité des documents du

Timor-Leste, nonobstant cette enquête.

7. M. Campbell a commencé par vous demander de garder à l’esprit les principes généraux

censés s’appliquer à l’indication de mesures conservatoires, tels qu’ils sont exposés dans les

observations écrites de l’Australie . 4 Comme nous l’avons précisé hier, nous ne jugeons pas

convaincants les propos de la Partie adverse à ce sujet. Dans ses observations écrites, l’Australie

adopte une vision très restrictive des mesures conservatoires. Pourtant, celles-ci sont essentielles

au processus judiciaire et leur importance est reconnue de plus en plus souvent par les cours et

tribunaux internationaux. Bien évidemment, comme dans tout processus judiciaire, il peut y avoir

des abus, mais les juridictions savent comment traiter ce genre de situation. Monsieur le président,

nous rejetons tout propos de l’Australie laissant entendre que, en demandant l’indication de

mesures conservatoires, le Timor-Leste abuse de cette procédure. Plus précisément, nous rejetons

l’allégation indigne de M. Crawford selon laquelle le Timor-Leste utilise cette procédure «pour

14 tourner les dispositions en matière de confidentialité et profiter pleinement de l’occasion pour faire

5
une mauvaise publicité à l’Australie et la dénigrer» . Ce n’est pas le cas. Il vous suffit d’examiner

les termes employés dans notre lettre du 16 janvier, en réponse à la demande de l’Australie

concernant la confidentialité, pour constater que ce n’est pas le cas.

a) Compétence prima facie

8. Monsieur le président, l’attitude de l’Australie concernant la compétence prima facie

place la Cour dans une situation quelque peu délicate. Voici ce que M. Campbell a déclaré hier :

2
Libananco Holdings Co. Limited v. Republic of Turkey, ICSID Case no. ARB/06/8, Decision on Preliminary
Issues, 23 juin 2008, p. 42, par. 1.2.
3CR 2014/2, p. 32, par. 17 (Burmester).

4Ibid., p. 21, par. 3 (Campbell).
5
Ibid, p. 39, par. 8 (Crawford). - 9 -

«quoiqu’elle ait la faculté de contester la compétence et la recevabilité de la requête
introductive d’instance déposée par le Timor-Leste avant même la phase du fond
[nous espérons que tel ne sera pas le cas], l’Australie n’entend pas soulever de telles
questions dans le cadre de l’examen de la demande en indication de mesures
conservatoires du Timor-Leste » . 6

Pourtant, Monsieur le président, il y a bien lieu pour la Cour de s’assurer qu’elle a compétence

prima facie. L’attitude de l’Australie n’est donc guère constructive, voire guère respectueuse.

9. Au paragraphe 22 de sa plaidoirie, M. Crawford a insinué que la présente instance

pourrait je dis bien «pourrait» car il n’a pas développé ce point relever de l’exception

énoncée au paragraphe a) de la déclaration faite par l’Australie en vertu de la clause facultative, qui

vise «tout différend pour lequel les parties ont convenu ou conviennent d’avoir recours à une autre

méthode de règlement pacifique». N’exagérons rien ; les deux affaires, celle soumise au tribunal

arbitral et celle introduite devant la Cour, sont totalement distinctes. Nous ne pensons pas qu’il

existe une raison quelconque pour la Cour de ne pas conclure qu’elle a, à tout le moins,

compétence prima facie.

10. Un dernier mot sur la plaidoirie de M. Crawford : permettez-moi de dire que sa tentative

visant à faire croire que nos préoccupations concernant les documents ne se rapportent qu’à la

procédure d’arbitrage n’a, selon moi, rien de convaincant. M. Crawford a insisté de manière fort

peu subtile sur quelques mots de certains documents et a essayé d’en «tourner», pour reprendre son

expression, d’autres qui précisaient la portée de nos préoccupations. Son affirmation selon laquelle

il est difficile de savoir exactement si les documents saisis couvrent des questions débordant le

cadre des négociations, puisque ceux-ci sont actuellement inaccessibles , ne convainc pas

15 davantage. Comme nous l’avons montré lundi, il est parfaitement clair que tel est souvent le cas.

A titre d’exemple, le document LPP005 est intitulé «correspondance adressée à M. Lowe Q.C.

relativement à certaines questions de délimitation maritime en mer de Timor.»

b) Les droits dont la protection est recherchée et les mesures demandées

11. Nous avons exposé assez longuement lundi les droits relevant du droit international qui

sont en cause en l’espèce. Or l’Australie a éludé la plupart des points que nous avons fait valoir.

6
CR 2014/2, p. 21, par. 3 (Campbell).
7 Ibid, p. 41, par. 16 (Crawford). - 10 -

12. Monsieur le président, l’Australie se plaît à exagérer ! Comme sir Elihu l’a fait

remarquer à l’instant, elle a accusé hier le Timor-Leste de créer une «nouvelle forme

d’extraterritorialité» qui représente, selon ses dires, un «pas de géant dans le développement du

8 9
droit international public» . Pour la Partie adverse, nous revendiquons un droit «absolu» ,

M. Gleeson ayant ajouté que notre argument rendait superflues d’autres immunités reconnues en

10
droit international .

13. La position du Timor n’aboutit pourtant à rien de tel. Elle s’appuie sur les principes

reflétés par toutes les immunités : le droit matériel, qui s’applique de manière générale, ne saurait

être mis en œuvre à l’encontre d’un Etat, que ce soit à l’encontre de ses diplomates, de ses missions

spéciales ou de ses biens. Comme l’a affirmé la Cour dans l’affaire Allemagne c. Italie,

«[l]’immunité peut constituer une dérogation au principe de la souveraineté territoriale et au

11
pouvoir de juridiction qui en découle» .

14. Dans cette affaire, le lien entre immunité et droit matériel est ensuite présenté en ces

termes :

«En outre, ainsi que la Cour l’a précisé (dans le contexte des immunités

personnelles dont jouissent les ministres des affaires étrangères en vertu du droit
international), le droit de l’immunité revêt un caractère essentiellement procédural
(Mandat d’arrêt du 11 avril 2000 (République démocratique du Congo c. Belgique),

arrêt, C.I.J. Recueil 2002, p. 25, par. 60). Il régit l’exercice du pouvoir de juridiction
à l’égard d’un comportement donné, et est ainsi totalement distinct du droit matériel
qui détermine si ce comportement est licite ou non.» 12

Et, plus loin :

«Ces deux catégories de règles se rapportent en effet à des questions différentes.
Celles qui régissent l’immunité de l’Etat sont de nature procédurale et se bornent à

déterminer si les tribunaux d’un Etat sont fondés à exercer leur juridiction à l’égard
16 d’un autre. Elles sont sans incidence sur la question de savoir si le comportement à
l’égard duquel les actions ont été engagées était licite ou illicite.» 13

8CR 2014/2, p. 12, par. 6 (Gleeson).
9
Ibid., p. 11, par. 6 (Gleeson).
10Ibid., p. 12, par. 6 (Gleeson).

11Immunités juridictionnelles de l’Etat (Allemagne c. Italie ; Grèce (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2012,
p. 124, par. 57.
12
Ibid., p. 124, par. 58.
13Ibid., p. 140, par. 93. - 11 -

15. Par conséquent, le fait que l’Australie soutienne que la saisie, à laquelle elle a procédé,

de biens se trouvant en la possession du conseil du Timor-Leste a été exécutée sur la base d’un

mandat émis par l’Attorney General, comme le prévoit son droit interne, ne présente aucun intérêt

en l’espèce. Comme l’a noté la Commission du droit international dans son commentaire du projet

d’articles qui est devenu la convention de 2004, «on présuppose clairement et sans ambiguïté

l’existence de la «juridiction» de cet autre Etat dans le cas considéré, car si celle-ci faisait défaut, il

serait absolument inutile d’invoquer la règle de l’immunité des Etats».

16. Tel est précisément le principe sur lequel l’argument du Timor-Leste est fondé. Que ce

soit dans le cadre de la convention des Nations Unies ou en droit coutumier, l’immunité des biens

d’un Etat est importante précisément parce que, si elle n’existait pas, ces biens seraient soumis à la

juridiction territoriale.

17. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, en décernant un mandat aux

fins de la saisie de documents appartenant au Timor-Leste, puis en saisissant et en conservant

lesdits documents, les autorités australiennes ont fait fi de l’inviolabilité des documents de l’Etat du

Timor-Leste et de l’immunité reconnue à celui-ci par le droit international. Comme la Cour l’a

également affirmé dans l’affaire Allemagne c. Italie :

«la règle de l’immunité de l’Etat joue un rôle important en droit international et dans

les relations internationales. Elle procède du principe de l’égalité souveraine des Etats
qui, ainsi que cela ressort clairement du paragraphe 1 de l’article 2 de la Charte des
Nations Unies, est l’un des principes fondamentaux de l’ordre juridique
international.» 14

15
18. M. Campbell a mis en doute le statut actuel de la convention des Nations Unies .

Pourtant, comme on pouvait s’y attendre, la Cour, de même qu’un certain nombre de juridictions

régionales et nationales, a estimé que cette convention reflétait le droit coutumier, par exemple en

tant qu’elle détermine les exceptions coutumières à la règle générale de l’immunité.

19. M. Campbell a contesté le point de vue selon lequel, en délivrant le mandat,

l’Attorney-General a agi en qualité de «tribunal» au sens de la convention et du droit coutumier . 16

Il a affirmé que l’Attorney-General ne saurait être considéré comme tel, étant donné qu’il fait partie

14
Immunités juridictionnelles de l’Etat (Allemagne c. Italie ; Grèce (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2012,
p. 123, par. 57.
15CR 2014/2, p. 25, par. 19 (Campbell).

16Ibid., p. 23, 26, par. 9, 22 (Campbell). - 12 -

17 du pouvoir exécutif, et non judiciaire, et qu’il ne décerne jamais de mandat au titre de la loi ASIO

dans le cadre d’une procédure judiciaire . 17

20. M. Campbell n’a tout simplement pas répondu aux arguments que nous avons avancés

lundi. Il ne s’est pas référé à la définition d’un «tribunal» figurant à l’alinéa a) du paragraphe 1 de

l’article 2. Il n’a pas évoqué le commentaire de la Commission du droit international relatif à cette

définition et à son interprétation . Il n’a pas examiné les termes «procédure judiciaire», ni en

particulier la nature «quasi-judiciaire» du rôle joué par l’Attorney-General lorsqu’il a délivré le

mandat en l’espèce. Il n’a pas examiné l’expression «immunités juridictionnelles».

21. Il revient normalement à un juge d’émettre un mandat de perquisition, mais celui-ci a été

délivré par l’Attorney-General. Ce fait n’est pas pertinent aux fins de la convention, qu’il y a lieu

d’interpréter de manière indépendante et non par rapport à des qualifications internes. L’objet et le

but de la convention sont atteints lorsque l’immunité est accordée contre toute saisie de biens

d’Etat, indépendamment du poste officiel qu’occupe, en droit interne, l’autorité délivrant le

mandat.

22. M. Campbell semble insinuer que les mesures prises par l’Attorney-General débordaient

19
le cadre du droit relatif à l’immunité de l’Etat . Or, il s’agit exactement du type de mesures que ce

droit vise à prévenir. C’est pourquoi le commentaire de la CDI précise que la convention

20
s’applique à l’exercice de pouvoirs judiciaires, par quelque autorité que ce soit .

23. L’affirmation de M. Campbell relative à l’absence de toute procédure judiciaire est

également difficile à croire. M. Gleeson nous a énuméré toute une série de lois pénales concernant

certaines infractions qui seraient susceptibles d’avoir été violées . Nous savons que la loi ASIO

22
prévoit que toute violation de ses dispositions constitue une infraction pénale . Il nous a

également été expliqué que, selon le droit australien, les documents saisis ne bénéficient pas de la

17CR 2014/2, p. 26, par. 23 (Campbell).

18CR 2014/1, p. 37-38, par. 20-22 (Wood).
19
CR 2014/2, p. 26, par. 23-34 (Campbell).
20
Projet d’article premier, commentaire, par. 2), Annuaire de la Commission du droit international, 1991, vol. II,
deuxième partie, p. 13.
21CR 2014/2, p. 17, par. 32 (Gleeson).

22Australian Security Intelligence Organisation Act de 1979 [loi australienne sur les services de renseignement],
section 4A. - 13 -

confidentialité des communications entre un conseil et son client au motif qu’ils ont été établis en

23
vue de commettre une infraction pénale ou une fraude .

24. En tout état de cause, compte tenu de toutes ces références à des activités criminelles et à

des procédures pénales, il est difficile d’admettre l’argument selon lequel la saisie et la détention

18 des documents par l’ASIO sont totalement dépourvues de lien avec une éventuelle procédure

judiciaire à venir. Je tiens à rappeler que l’immunité de l’Etat entre en jeu dès l’ouverture même

d’une enquête par les autorités d’un autre Etat.

25. M. Campbell a prétendu que le Timor-Leste ne reconnaissait aucune exception à la règle

de l’immunité des biens d’Etat et que, par conséquent, l’immunité qu’il revendiquait n’était pas

24
plausible . Monsieur le président, il n’appartient ni à l’Australie ni au Timor-Leste de reconnaître

ou d’établir des exceptions. Il s’agit d’une question de droit. Les exceptions reflètent le fait que

l’immunité de l’Etat est une règle coutumière, ce qu’a reconnu la Cour, et que certaines dérogations

sont prévues par le droit coutumier, par exemple pour les transactions commerciales et les biens25

26
immobiliers . Toutefois, aucune exception n’est ménagée pour les documents et les données

confiés à un conseiller juridique.

26. Telle est l’approche adoptée par les Etats dans leur propre droit interne. Sauf disposition

contraire, l’immunité est la règle générale. Il suffit d’examiner l’Australian Foreign States

Immunities Act de 1985 [loi australienne sur l’immunité des Etats étrangers]. L’article 9 de ladite

loi, intitulé «Immunité de juridiction générale», indique clairement qu’un Etat et ses biens

bénéficient de l’immunité de juridiction «[s]auf disposition de la présente loi ou par l’effet de celle-

ci». Cette loi australienne n’indique d’aucune façon que les biens d’Etat en la possession d’un

conseiller juridique relèvent d’une exception à la règle de l’immunité.

27. Selon M. Campbell, le Timor-Leste prétend sans le moindre fondement que les biens et

les documents de l’Etat jouissent d’une «inviolabilité absolue» . Les conseils de l’Australie

semblent affectionner le terme «absolu» pour renvoyer à nos propos. En réalité, je ne me souviens

23
CR 2014/2, p. 15-18, par. 27-33 (Gleeson).
24 Ibid., p. 24, par. 17 (Campbell).

25 Convention des Nations Unies sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens, article 10.
26
Ibid., alinéa a) de l’article 13.
27 CR 2014/2, p. 24, par. 17 (Campbell). - 14 -

pas d’avoir employé ce terme une seule fois lundi. L’Australie a là encore recours à la stratégie

bien connue consistant à exagérer des arguments pour les battre en brèche.

28. L’Australie s’est montrée très sélective dans son choix des points à traiter pour répondre

à ce que nous avons dit sur l’inviolabilité et l’immunité. Elle a ignoré tout l’édifice des traités et du

droit coutumier qui a vu le jour sur ces questions, créant un tissu de droits et d’obligations

entremêlés et étroitement liés qui découlent tous du principe de l’égalité des Etats, de la

souveraineté et de la non-intervention. Les similitudes qui existent entre les différents types

d’immunités, tant en termes de contenu que dans leur raison d’être, ont contribué à l’émergence et

à la formation de principes plus vastes du droit international général d’origine coutumière.

19 29. Comme sir Elihu l’a relevé, M. Campbell n’a pas dit un mot sur la pratique récente du

Royaume-Uni , pas plus que sur la référence de Mme Denza à l’inviolabilité des archives du

29
gouvernement d’un Etat étranger .

30. Il a mis en doute l’importance de la déclaration de M. Taft . Même si celui-ci a admis

que les questions à l’examen étaient «nouvelle[s] et complexe[s]», cette affirmation ne saurait être

interprétée comme laissant entendre que les droits auxquels M. Taft faisait référence n’étaient pas

plausibles.

31. M. Campbell a qualifié d’équivoque le fait que les éminents auteurs ayant contribué à

l’ouvrage d’Oppenheim aient considéré les documents officiels confiés à des agents n’ayant pas un

statut diplomatique comme «bénéfici[ant] a priori [presumably] de l’immunité». Bien au

contraire : le Shorter Oxford English Dictionary définit ainsi le terme anglais «presumably» : «en

tenant pour acquis» ou «(s’agissant d’une déclaration) qu’il est raisonnablement permis de

supposer» [traduction du Greffe] . 31

32. Comme je l’ai dit lundi, nous interprétons cette pratique et ces textes faisant autorité

comme reconnaissant l’existence d’une règle coutumière générale d’inviolabilité et d’immunité des

28Hansard, 27 novembre 2013, Cols. 17-18WS.

29E. Denza, Diplomatic Law, 3 éd. 2008, p. 226.
30
CR 2014/2, p. 27, par. 26 (Campbell).
31Shorter Oxford English Dictionary, 6 éd. - 15 -

biens d’Etat. Pour moi, ils démontrent assurément que les droits que nous faisons valoir sont

plausibles.

33. Monsieur le président, le moment me semble opportun pour répondre à la question posée

par M. le juge Yusuf, à savoir : «Selon les Parties, à qui appartenaient les différents éléments

inscrits sur la liste des biens saisis établie par l’ASIO le 3 décembre 2013, ainsi que leur contenu» ?

Comme nous l’avons exposé lundi, les documents confiés à un conseil par son client appartiennent

à ce client, en l’espèce au Timor-Leste. Cela vaut pour la plupart des éléments saisis. Bien

entendu, un ou deux autres biens, comme le téléphone portable, appartenaient vraisemblablement à

Mme Preston et lui ont finalement été restitués.

34. M. Burmester a tenté d’établir hier que nous n’étions pas parvenus à démontrer

l’existence du lien nécessaire entre les droits faisant l’objet de l’instance et les mesures

32
conservatoires dont nous sollicitons l’indication . Selon lui, la requête vise «uniquement [des]

20 droits de propriété sur certains documents et … la restitution de ces derniers. Les mesures

conservatoires demandées aux points a) à d) portent, en revanche, essentiellement sur l’utilisation

du contenu de certains documents et données» . 33

35. C’est faire là une lecture et une interprétation erronées de la requête et de la demande.

Dans sa requête, le Timor-Leste prie la Cour de dire et juger que la saisie et la détention continue

de documents et données constituent une violation de sa souveraineté ainsi que des droits de

propriété et autres qui sont les siens en vertu du droit international ; que l’Australie doit

immédiatement restituer au Timor-Leste tous les documents et données et en détruire toute

copie existante ou en assurer la destruction ; et que l’Australie doit réparation au Timor-Leste ainsi

que des excuses. L’objectif principal de la demande visant la restitution des documents et, en

particulier, la destruction de toute copie est de garantir que le contenu des documents ne tombe pas

entre les mains de personnes susceptibles de s’en servir au détriment du Timor-Leste, qui se

trouverait ainsi lésé dans ses relations avec l’Australie au sujet de la mer de Timor. Etant donné

que des documents hautement sensibles figurent parmi les biens en question, il est parfaitement

32
CR 2014/2, p. 29, par. 1 (Burmester).
33Ibid., p. 30, par. 5 (Burmester). - 16 -

évident que les mesures conservatoires dont l’indication est demandée sont liées aux droits qui font

l’objet de l’instance.

36. De fait, M. Burmester a semblé le reconnaître lorsqu’il a fait référence au «droit

d’empêcher l’Australie de tirer éventuellement profit de l’accès aux documents dans le cadre de
34
l’arbitrage et de la question des ressources de la mer de Timor» . Il ne peut se borner à répondre

que «pareil lien ne saurait être établi, puisque l’Australie s’est expressément engagée à ne pas

rendre les documents accessibles aux personnes liées à l’arbitrage ou à quiconque en dehors des

agents de ses services de renseignement et des fonctionnaires chargés de l’application de la loi

pénale» . Nous avons effectivement reçu hier, de la part de l’Australie, un nouvel engagement

faisant suite aux propos que nous avons tenus lundi. Celui-ci n’a cependant aucune incidence sur

le lien existant entre les droits en cause dans la présente affaire et les mesures conservatoires

sollicitées. S’il avait une quelconque incidence, ce serait sur les exigences relatives au préjudice

irréparable et à l’urgence.

37. M. Burmester a beaucoup insisté sur la mesure sollicitée au point e), reconnaissant

peut-être par là l’extrême faiblesse de ses arguments concernant les mesures demandées aux

points a) à d), mais l’existence d’un lien est là encore très claire. L’Australie estime manifestement

qu’elle est libre de méconnaître nos droits et nous demandons la protection de la Cour à l’égard des

communications que nous avons actuellement avec nos conseils australiens. Sir Elihu a déjà tout

21 dit en ce qui concerne la vision inéquitable qu’a l’Australie de l’équilibre des intérêts. Il me

semble qu’il me faut maintenant conclure.

Le PRESIDENT : Je pense que le Timor-Leste peut poursuivre jusqu’à 11 h 05 ou 11 h 07,

car nous avons commencé avec un peu de retard.

Sir Michael WOOD : Merci beaucoup, Monsieur le président. Je reviens alors à ce que je

disais à l’instant.

38. M. Burmester a soutenu qu’il n’existait aucun risque de préjudice irréparable au motif

que les circonstances qui préoccupent le Timor-Leste n’allaient tout simplement pas se

34CR 2014/2, p. 30, par. 6 (Burmester).

35Ibid. - 17 -

36
concrétiser . Et pourquoi cela ? Apparemment en raison des engagements donnés. Nous avons

reçu un nouvel engagement et allons l’examiner avec intérêt à la lumière des réponses apportées,

mais il nous a été dit hier que les engagements unilatéraux pris par des Etats «p[ouvaient] avoir des

conséquences juridiques» et que «le dernier engagement que l’Australie a[vait] pris auprès de la

Cour … [était] de cette nature» . Toutefois, il serait bon d’entendre l’agent de l’Australie déclarer

sans ambiguïté que celle-ci reconnaît que l’engagement pris par elle le 21 janvier la lie à l’égard du

Timor-Leste sur le plan du droit international.

39. M. Burmester laisse entendre que nos préoccupations relatives à des questions plus

38
vastes, allant au-delà de l’arbitrage, ne sont que «pure spéculation» , aucune négociation

frontalière n’étant actuellement en cours. C’est malheureusement vrai. Ce fait regrettable ne

signifie cependant pas que des documents concernant notre stratégie juridique plus générale ne

soient pas extrêmement sensibles et qu’il ne faille pas les empêcher de tomber entre les mains de

personnes intéressées qui seraient liées à la Partie australienne. Je ne doute pas que, par sa

déclaration, l’Australie ne laisse pas entendre qu’elle compte passer outre à l’obligation lui

incombant, au titre des articles 74 et 83 de la CNUDM, de négocier de bonne foi un accord de

délimitation maritime.

40. Il a été prétendu que, en ne déposant pas de recours au titre du droit australien, nous

aurions démontré que la situation ne présentait pas un caractère d’urgence. Si cela était vrai, il

s’agirait simplement d’une voie détournée permettant de forcer les Etats étrangers à se soumettre

aux tribunaux nationaux. Quoi qu’il en soit, nous n’admettons l’efficacité d’aucun de ces recours.

Nous remarquons, par exemple, que la loi australienne relative aux (recours contre les) décisions

administratives (Administrative Decisions (Judicial Review) Act) exclut expressément les décisions

prises au titre de la loi ASIO. Nous ne voyons pas davantage comment, malgré l’éloquence dont a

22 fait preuve hier M. Crawford, la décision du Tribunal arbitral, quelle qu’elle soit, pourrait répondre

aux préoccupations plus générales qui sont les nôtres.

36
CR 2014/2, p. 34, par. 21 (Burmester).
37Ibid., p. 33-34, par. 23 (Burmester).
38
Ibid., p. 35, par. 27 (Burmester). - 18 -

Conclusion

41. Monsieur le président, permettez-moi, pour conclure, de rappeler les termes de la

décision rendue en l’affaire relative au Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à

Téhéran. La Cour y a fait référence à l’extrême importance des principes de droit, qu’elle était

appelée à appliquer, et à

«un édifice juridique patiemment construit par l’humanité au cours des siècles et dont
la sauvegarde est essentielle pour la sécurité et le bien-être d’une communauté
internationale aussi complexe que celle d’aujourd’hui, qui a plus que jamais besoin du
respect constant et scrupuleux des règles présidant au développement ordonné des
39
relations entre ses membres» .

42. L’inviolabilité des biens de l’Etat (en l’espèce de documents secrets bénéficiant de la

confidentialité des communications entre un conseil et son client), que nous entendons faire

respecter au moyen de la requête introductive d’instance et de la présente demande en indication de

mesures conservatoires, constitue un pilier essentiel de cet «édifice juridique» fondamental.

43. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, voilà qui conclut ma

présentation et je vous prierais de bien vouloir appeler à la barre l’agent du Timor-Leste.

Le PRESIDENT : Merci beaucoup, sir Michael. Je donne à présent la parole à l’agent du

Timor-Leste, S. Exc. M. l’ambassadeur Joaquim da Fonseca. Monsieur, c’est à vous.

M. DA FONSECA :

Observations finales de l’agent du Timor-Leste

1. Je vous remercie, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour. Je conclurai

les plaidoiries du Timor-Leste concernant sa demande en indication de mesures conservatoires en

remerciant la Cour et en donnant lecture de nos conclusions.

2. Mais avant cela, j’aimerais revenir sur certains points que l’Australie a soulevés hier. Au

cours de son exposé, M. Gleeson a reproché au Timor-Leste d’avoir omis de mentionner l’accord

de partage des revenus générés par le gisement de Greater Sunrise prévu dans le traité relatif à

40
certains arrangements, qui serait avantageux pour le Timor-Leste . Le lieu est certes mal choisi

39Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran (Etats-Unis d’Amérique c. Iran), arrêt,
C.I.J. Recueil 1980, p. 43-44, par. 92.

40CR 2014/2, p. 12, par. 9 (Gleeson). - 19 -

pour débattre de ce traité, mais nous ne pouvons laisser passer ce commentaire sans rappeler ce qui
23

suit. Les deux traités, celui sur la mer de Timor et celui relatif à certains arrangements, visent à

établir des accords temporaires en ce qui concerne l’exploration et l’exploitation des ressources de

la mer de Timor. Or, nulle délimitation maritime ne pourrait raisonnablement placer les gisements

de Greater Sunrise en territoire australien. Ces gisements se situent en effet en deçà de la limite des

200 milles marins depuis la côte du Timor-Leste, et bien plus près du Timor-Leste que de

l’Australie. Dès lors, en l’absence de frontière maritime définitive, la question demeure : à qui les

ressources actuellement partagées à parts égales entre le Timor-Leste et l’Australie

appartiennent-elles réellement ? Et lequel des deux Etats fait-il preuve de générosité vis-à-vis de

l’autre ?

3. M. Gleeson laisse également entendre que le Timor-Leste encouragerait la commission
41
d’infractions pénales menaçant la sécurité nationale de l’Australie . Monsieur le président, mon

gouvernement est déterminé à demander justice devant la Cour. Il est également déterminé à

œuvrer en faveur des intérêts mutuels du Timor-Leste et de l’Australie en renforçant la coopération

entre nos deux Etats. Exprimer un tel manque de confiance revient à ne pas reconnaître les

relations que nous entretenons de manière plus générale et à ne leur accorder aucune considération.

Nous réfutons catégoriquement cette allégation inconsidérée et inacceptable. Nos conseils ont

répondu aux arguments exposés par l’Australie hier matin. Je souhaiterais seulement souligner,

une nouvelle fois, l’extrême importance que mon pays attache à cette procédure. Nos

préoccupations sont essentiellement d’ordre pratique, mais il s’agit également d’une question de

principe. Un préjudice incommensurable pourrait être causé aux intérêts vitaux du Timor-Leste à

l’égard des ressources de la mer de Timor si des mesures conservatoires ne sont pas indiquées pour

éviter que les documents et données saisis de manière illicite ne soient divulgués à toute personne

jouant un rôle dans le cadre des relations diplomatiques ou commerciales qu’entretiennent

l’Australie et le Timor-Leste au sujet de la mer de Timor et de ses ressources. Nous prions en outre

la Cour de faire respecter le principe selon lequel un Etat ne saurait saisir ni conserver les

41CR 2014/2, p. 20, par. 38 (Gleeson). - 20 -

documents d’un autre Etat et de reconnaître celui, en droit international, de la confidentialité des

communications entre un conseil et son client, ainsi qu’exposé par les conseils du Timor-Leste.

4. Monsieur le président, nous avons bien évidemment pris bonne note des nouveaux

engagements pris le 21 janvier 2014. Toutefois, pour compléter les observations qui ont déjà été

faites par nos conseils, je tiens à souligner que nous attendons avec intérêt la réponse de l’Australie

aux questions posées hier par certains membres de la Cour.

24 5. Il ne me reste qu’à vous remercier, Monsieur le président, ainsi que tous les Membres de

la Cour, pour votre aimable attention, et à remercier Monsieur le greffier et l’ensemble de ses

services, ainsi que les interprètes, pour leur concours. Mes remerciements vont également à nos

collègues de l’équipe juridique australienne, et tout particulièrement à mon ami M. John Reid, pour

l’esprit dans lequel ils ont envisagé cette procédure.

6. Je vais à présent donner lecture des conclusions de la République démocratique du

Timor-Leste, qui sont identiques à celles énoncées dans la demande en indication de mesures

conservatoires :

«le Timor-Leste prie respectueusement la Cour d’indiquer les mesures
conservatoires suivantes :

a) que tous les documents et données saisis par l’Australie au 5 Brockman Street, à
Narrabundah, territoire de la capitale australienne, le 3 décembre 2013 soient
immédiatement placés sous scellés et remis à la Cour internationale de Justice ;

b) que l’Australie fournisse immédiatement au Timor-Leste et à la Cour
internationale de Justice i) une liste de tous les documents et données, ou des
informations qui y sont contenues, qu’elle a révélés ou communiqués à toute
personne, employée ou non par un organe de l’Etat australien ou de tout Etat tiers
et exerçant ou non des fonctions pour le compte de pareil organe ; et ii) une liste
faisant apparaître l’identité de ces personnes ou des indications les concernant,
ainsi que les fonctions qu’elles occupent actuellement ;

c) que l’Australie fournisse, dans un délai de cinq jours, au Timor-Leste et à la Cour
internationale de Justice une liste de toutes les copies qu’elle a faites des
documents et données saisis ;

d) que l’Australie i) procède à la destruction définitive de toutes les copies des
documents et données qu’elle a saisis le 3 décembre 2013, et prenne toutes les
mesures possibles pour assurer la destruction définitive de toutes les copies qu’elle

a communiquées à des tierces parties ; et ii) informe le Timor-Leste et la Cour
internationale de Justice de toutes les mesures prises en application de cette
injonction de destruction, que celles-ci aient ou non abouti ;

e) que l’Australie donne l’assurance qu’elle n’interceptera pas ni ne fera intercepter
les communications entre le Timor-Leste et ses conseillers juridiques, que ce soit - 21 -

en Australie, au Timor-Leste ou en tout autre lieu, et n’en demandera pas
l’interception.»

7. En application du paragraphe 2 de l’article 60 du Règlement de la Cour, une copie signée

du texte dont je viens de donner lecture sera communiquée à la Cour et transmise à la Partie

adverse.

8. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, ainsi s’achèvent les plaidoiries

de la République démocratique du Timor-Leste. Je vous remercie.

25 Le PRESIDENT : Je vous remercie infiniment, Excellence. La Cour prend note des

conclusions dont vous venez de donner lecture au nom du Gouvernement du Timor-Leste. Je cède

à présent la parole à M. Sepúlveda-Amor, vice-président, qui a plusieurs questions à poser.

Monsieur le vice-président, je vous en prie.

Le VICE-PRESIDENT : Merci beaucoup, Monsieur le président. J’ai en effet trois questions

à poser à l’Australie. Voici la première :

«1. L’Australie dispose-t-elle d’éléments de preuve à l’appui de son allégation selon
laquelle le Timor-Leste encourage la commission de crimes au regard du droit
australien ou compromet de toute autre manière la sécurité nationale de l’Australie,
comme l’a laissé entendre M. Gleeson dans l’exposé qu’il a présenté à la Cour le
21 janvier 2014 ? Dans l’affirmative, l’Australie pourrait-elle fournir des précisions
sur ce point ?»

Ma deuxième question est la suivante :

«2. En vertu du paragraphe 4C) de l’article 25 de l’Australian Security
Intelligence Organisation Act, ou loi ASIO, de 1979, dont le texte figure à l’annexe 13
du dossier de plaidoiries que l’Australie nous a remis hier à l’audience,

«Tout document ou tout autre élément retenu conformément aux dispositions de
l’alinéa 4 d) du paragraphe 4A) c) peut être retenu,

a) dans le cas où sa restitution présenterait des risques en matière de sécurité, mais
seulement jusqu’à ce que ces risques soient levés ; et

b) dans d’autres circonstances, mais seulement pendant une durée raisonnable».

Y-a-t-il lieu, pour les autorités australiennes, de continuer à retenir les documents,
données et autres biens saisis dans les locaux de M. Bernard Collaery au motif que

leur restitution risque de porter atteinte à la sécurité nationale de l’Australie ?».

Et ma troisième question est celle-ci :

«3. L’Australie considère-t-elle que, au regard du droit international coutumier, les
documents d’un Etat jouissent d’une protection sous forme d’immunité et
d’inviolabilité, en dehors du cadre des relations diplomatiques et consulaires ? Dans - 22 -

l’affirmative, quelle est l’étendue de la protection internationale qu’elle revendique
pour ses propres documents situés en territoire étranger ?»

Telles sont mes trois questions, Monsieur le président. Je vous remercie infiniment.

Le PRESIDENT : Merci beaucoup, Monsieur le vice-président. L’Australie est invitée à

répondre au cours du second tour de plaidoiries. Le texte de ces questions sera communiqué aux

26 Parties dès que possible. Si le Timor-Leste a des observations à formuler sur les réponses de

l’Australie, il lui est loisible de le faire par écrit d’ici au vendredi 24 janvier, à 18 heures.

La Cour se réunira de nouveau cet après-midi à 17 heures pour entendre le second tour de

plaidoiries de l’Australie. Je vous remercie. L’audience est levée.

L’audience est levée à 11 h 5.

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