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CR 2012/31 (traduction)

CR 2012/31 (translation)

Vendredi 7 décembre 2012 à 10 heures

Friday 7 December 2012 at 10 a.m. - 2 -

12 Le PRÉSIDENT: Bonjour. Veuillez vous asseoir. L’audience est ouverte. La Cour se

réunit ce matin pour entendre la suite du premier tour de plaidoiries du Chili.

Je donne la parole à M. David Colson. Vous avez la parole.

M. COLSON :

L E DÉCRET PRÉSIDENTIEL PÉRUVIEN DE 1955

1. Introduction

1.1. Je vous remercie Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour. Ce matin,

le Chili examinera les éléments qui prouvent l’exis tence d’une pratique donnant effet à la frontière

maritime à vocation générale entre lui-même et le Pérou. Je commencerai l’exposé du Chili par

une courte présentation du décret prési dentiel pris par le Pérou en1955 1, puis commenterai

brièvement les éléments de preuve cartographiques qui ont été versés au dossier. Viendront ensuite

à la barre M.Paulsson, qui traitera des ques tions relatives à l’accord de 1968-1969 et à la

o
borne n °1 («hito n°1» en espagnol), et M.Petrochilos, qui achèvera l’exposé de ce matin par un

examen des éléments qui attestent l’existence d’ une pratique le long du parallèle marquant la

frontière.

o
2. Le décret présidentiel péruvien n 23 de 1955

2.1. Sir MichaelWood a commenté assez rapide ment mardi dernier le décret présidentiel

de1955, en soulignant qu’au sein du système juridique péruvien ce décret se situe au bas de la

hiérarchie des normes juridiques et traite d’une question technique 2. Un décret présidentiel n’en

reste pas moins un acte de la plus haute autorité exécutive de l’Etat, et le fait qu’il se rapporte à une

question technique ne signifie pas que ce décret soit sans importance aux fins de la présente affaire.

Il s’agit d’une directive de l’époque ayant trait à la manière dont l’espace maritime du Pérou devait

être représenté — et pas seulement sa limite exté rieure, comme on voudrait le laisser entendre. Ce

texte est court et sans ambigüité. Et, de l’avis du Chili, il démontre clairement que le Pérou

1
CMC, vol. IV, annexe 170, p. 1025.
2CR 2012/28, p. 35-37, par. 36-43 (Wood). - 3 -

reconnaît depuis fort longtemps la frontière ma ritime qui le sépare du Chili, une frontière à

vocation générale, qui suit un para llèle de latitude. Et pourtant le Pérou, vous l’avez entendu, nie

aujourd’hui que le décret présidentiel de1955 s’a pplique à la frontière maritime entre les deux

13 3
pays . Si la Cour m’y autorise, j’aimerais reveni r sur ce même texte que Sir Michael Wood a déjà

analysé.

2.2. Ce texte apparaît à présent à l’écran, dans son intégralité, en espagnol, en anglais et en

français. Je vous renvoie également à l’ongletn o47 de votre dossier de plaidoiries. La Cour

souhaitera peut-être prendre note de plusieurs points.

2.3. Premièrement, le titre : il renvoie à la zone maritime des 200 milles marins du Pérou. Il

n’y a pas le moindre indice, le moindre avertisseme nt, la moindre note de bas de page, le moindre

astérisque indiquant que ce décret présidentiel traite d’une partie seulement de cette zone ou d’une

partie seulement de ses limites.

2.4. Deuxièmement, la date: la Cour n’est pas sans savoir que l’accord relatif à une zone

frontière maritime spéciale de1954, qui fait réfé rence au «parallèle qui constitue la frontière

maritime», a été signé le 4décembre1954 4. Le décret présidentiel a été promulgué le

12 janvier 1955, soit un peu plus d’un mois plus tard.

2.5. Troisièmement, l’objet du décret: comme il est dit dans le préambule, il a pour but de

préciser la manière dont cette zone des 200 milles mari ns doit être représentée. Un lien direct est

mentionné entre le décret présidentiel de 1955, celui de 1947 et la déclaration de Santiago. Aucun

élément ne laisse supposer que le décret prési dentiel de1955 n’est pas censé s’appliquer à

l’ensemble de la zone en question.

2.6. Quatrièmement, le paragraphe1: il con cerne la limite extérieure de cette zone. Le

Pérou soutient que ce paragraphe renvoie à la méthode des arcs de cercle et qu’il fait obligation de

représenter la limite extérieure de la zone des 200milles marins conformément à cette méthode.

Le Chili conteste cette interprétation. Je reviendrai sur cette question cet après-midi, mais le point

essentiel ici —le point essentiel— est qu’il n’est pas nécessaire que la Cour tranche cette

divergence. La question de savoir quand le Pér ou a commencé à avoir recours à la méthode des

3
CR 2012/28, p. 37, par. 43 (Wood).
4MP, vol. II, annexe 50. - 4 -

arcs de cercle pour déterminer la limite extéri eure de sa zone est, pour l’essentiel, dénuée de

pertinence aux fins de la présente affaire : la ques tion qui nous occupe ici est la frontière maritime

latérale entre le Chili et le Pérou, et le paragraphe 2 apporte une réponse à cette question.

2.7. Le paragraphe2 prévo it que ladite ligne, c’est-à-dire celle qui constitue la limite

extérieure, ne peut dépasser le parallèle passan t par le point où la frontière terrestre du Pérou

aboutit en mer, et fait à cet égard référence à l’ar ticleIV de la déclaration de Santiago. C’est

suffisamment clair. Quelle que soit la technique utilisée pour déterminer la limite extérieure, quelle
14
que soit la distance qui la sépare de la côte, ce tte limite ne peut pas aller au-delà du parallèle

marquant la frontière.

2.8. Sir MichaelWood a déclaré que ce décret ne comportait aucune disposition, et que ce

paragraphe en particulier ne co mportait aucune clause, prévoyant, pour reprendre ses termes, «que

5
les lignes devaient correspondre à des parallèles» . Il est vrai que, stricto sensu, le paragraphe2

n’est pas libellé en ces termes, mais le décret exig e que toute représentation de la limite extérieure

s’arrête au parallèle passant par le point terminal de la frontière te rrestre du Pérou. Cette référence

au parallèle a clairement pour objet de définir l es limites septentrionale et méridionale de la zone

des 200 milles marins. Est-il vraiment possible que ce décret, qui a pour objet de délimiter l’espace

maritime du Pérou, se contente d’indiquer que la limite extérieure de cette zone est censée rester en

suspens —dans l’air ou dans l’eau, comme vous voudrez— sans qu’aucune ligne ne la relie à la

côte continentale ?

2.9. L’argument selon lequel ce décret concerne exclusivement la limite extérieure est

nouveau et n’est guère convaincant. Il est in concevable qu’un Etat décrive sa zone des

200millesmarins de cette manière. L’autre argument avancé par le Pérou au sujet du

paragraphe2, qui à tout le moins cadre avec la thèse qu’il cherche à défendre, telle que nous la

comprenons, est que l’articleIV ne s’applique p as au Chili. Ainsi, ce paragraphe, qui décrit les

limites de la zone des 200 milles marins du Pérou, ne s’intéresserait pas à la limite méridionale de

ladite zone, c’est-à-dire à la frontière avec le Chili.

5
CR 2012/28, p. 36, par. 43 (Wood). - 5 -

2.10. Quel que soit l’argument avancé par le Pérou, ce dernier demande aujourd’hui à la

Cour de croire que, en 1955, il s’est donné la pe ine de promulguer un décret présidentiel aux fins

de préciser comment il convenait de représenter son espace maritime, tout en s’abstenant,

volontairement, d’en déterminer la limite méridiona le, et ce, sans dire clairement que tel était son

choix et sans le préciser dans ledit décret.

2.11. Sixièmement, en 1955, le décret préside ntiel a été signé conjointement par le président

et par le ministre des relations extérieures de l’ époque, DavidAguilarCornejo. Ce dernier venait

6
de signer, cinq semaines plus tôt, l’accord de 1954 relatif à une zone frontière maritime spéciale et

la convention complémentaire 7. Le Pérou admet lui-même, non sans circonlocutions, que l’accord

de1954 s’appliquait, et s’applique encore auj ourd’hui, à la limite mé ridionale de son espace

maritime —même s’il soutient qu’il s’agit simplement d’une ligne provisoire destinée à régir les

8
15 activités de pêche . Et, aujourd’hui, voilà qu’il voudrait fa ire croire à la Cour que, lorsque le

ministre péruvien des relations extérieures a signé le décret présidentiel de1955 —dont le Pérou

dit aujourd’hui qu’il ne s’applique pas au Chili—, celui-ci avait oublié l’accord de1954 relatif à

une zone frontière maritime spéciale qu’il avait signé quelques semaines plus tôt.

2.12. L’argumentation développée par le Pér ou ne tient pas debout. En janvier1955, alors

que le Chili, l’Equateur et le Pérou subissaient de s pressions diplomatiques et politiques de la part

des Etats-Unis et de grandes puissances maritimes — M. Lowe a parlé de l’«hostilité» à laquelle ils

9
étaient en butte — du fait de leur revendication sur une zone de 200milles marins, le Pérou a

fièrement pris un décret présidentiel aux fins de préciser la manière dont devait être représentée sa

zone. Et il l’a fait en des termes parfaitement clai rs. Rien dans ce texte ne laisse supposer que les

limites de cette zone étaient incomplètes.

2.13. En outre, quelques mois après la promul gation du décret présidentiel de 1955, au mois

de mai 1955, le Parlement péruvien a approuvé la déclaration de Santiago, ainsi que sa convention

complémentaire et l’accord de1954 relatif à une zone frontière maritime spéciale 10. Or aucun

6MP, vol. II, annexe 50.

7MP, vol. II, annexe 51.
8
Voir RP, par. 2.81.
9CR 2012/28, p. 18, par. 34 (Lowe).

10MP, vol. II, annexe 10. - 6 -

document d’archives n’indique que le Pérou laissa it indéterminée la partie méridionale de cette

zone.

2.14. Il convient également de relever que le ministère péruvien des relations extérieures a

publié ce décret présidentiel, en1971, dans un recue il d’instruments relatifs au droit de la mer, et

qu’il a aussi demandé qu’il soit publié dans la série législative des NationsUnies, ce qui fut fait.

Ni dans un cas ni dans l’autre, il n’est mentionné que les limites méridionales de la zone de

11
200milles marins du Pérou étaient incomplètes . C’est l’objet même du décret qui serait mis en

échec si celui-ci était effectivement appliqué et interprété comme le demandent aujourd’hui les

conseils du Pérou.

3. M. García Sayán en tant que témoin

3.1. Mais nous n’avons pas besoin de nous en remettre aux conseils du Pérou, car nous avons

un témoin de l’époque, une personna lité éminente, j’ai nommé M.EnriqueGarcíaSayán. Vous

avez entendu son nom plusieurs fois cette semaine. Rappelons que, en1947, il était le ministre

péruvien des relations extérieures. Comme l’a indiqué MCrawford, M.GarcíaSayán était le
16
destinataire de la note diplomatique adressée au Pérou par le Chili pour lui notifier la proclamation

12
de 1947 . C’est lui qui a signé, conjointement avec le présidentBustamante yRivero, le décret

présidentiel de1947 par leque l le Pérou a proclamé sa zone de 200milles marins 13.

M.GarcíaSayán était à l’époque le plus éminent spécialiste du droit de la mer de son pays et,

comme le Pérou l’a expliqué à l’ouverture des audiences, l’un des «pères fondateurs» du concept

des 200milles marins 14. Il était l’un des membres de la délégation péruvienne aux première et

deuxième conférences des Nations Unies sur le droit de la mer, avant de devenir secrétaire général

de la Commission permanente du Pacifique Sud.

3.2. En mars1955, peu après la promulgati on du décret présidentiel, M.GarcíaSayán a

publié une courte monographie, d’une cinquantaine de pages, intitulée «Notes sur la souveraineté

maritime du Pérou: un plaidoyer pour la zone des 200milles marins» [traduction du Greffe].

11Voir CMC, vol. IV, annexe 164, p. 990-991.
12
CMC, vol. III, annexe 52; et voir CR 2012/30, p. 40, par. 2.6 (Crawford).
13
MP, vol. II, annexe 6, p. 27.
14CR 2012/27, p. 18, par. 4 (Wagner). - 7 -

L’original espagnol de cette monographie est reproduit en partie à l’annexe 266 du contre-mémoire

du Chili et certains passages ont été traduits en anglais (la version française du volumeV du

contre-mémoire ne contient que la traduction française de ces passages). M. García Sayán a publié

cette monographie pour défendre et justifier aux yeux de la communauté internationale la zone des

200milles marins du Pérou, et il l’a fait de manièr e convaincante. Dans le cadre de son analyse,

beaucoup plus générale, M.Garc íaSayán a fait référence au décret présidentiel de1955,

promulgué quelques mois plus tôt. Le paragraphe en question apparaît à présent à l’écran, avec sa

traduction anglaise (voir l’onglet n o48 du dossier de plaidoiries).

3.3. La Cour notera que M.GarcíaSayán fa it précisément référence aux «parallèles» —au

pluriel — qui marquent les limites septentrionale et méridionale de l’espace maritime du Pérou. Il

ne s’agit pas d’une coquille. Si le Pérou avait c onsidéré que la limite mé ridionale de cette zone

restait ouverte ou indéterminée, M. García Sayán l’aurait su et il l’aurait dit. Il savait ce qui entrait

et ce qui n’entrait pas dans le périmètre cette zone . Il savait qu’elle était délimitée, au nord et au

sud, par des parallèles de latitude. Et il l’a dit. Et nous pouvons affirm er, sans risquer de nous

tromper, que si, en1955, le Pé rou considérait que l’articleIV ne s’appliquait pas au Chili,

M. García Sayán l’aurait dit et au rait défendu la position du Pérou. Or il ne l’a pas fait. Il a parlé

de deux parallèles.

17 3.4. Et ce n’est pas tout ce que l’on peut tr ouver dans cette monographie de 1955. Au début

de cet ouvrage figure une carte que vous pouvez voir à l’écran. Elle est également reproduite dans

o
le contre-mémoire du Chili (volume VI, figure 4) et sous l’onglet n 49 du dossier de plaidoiries. Il

ne fait aucun doute, lorsque l’on regarde cette carte, que la zone des 200 milles marins du Pérou est

limitée au nord et au sud par des parallèles de latitu de — et que la limite extérieure est déterminée

par la technique du tracé parallèle. Voilà comment le ministre péruvien des relations extérieures,

15
qui a signé le décret de1947 et, comme vous l’a dit M.Treves lundi dernier , qui a défendu la

zone des 200milles marins du Pérou à Genève en 1958, se représentait cette zone. Et telle est la

carte qu’il a choisie pour illustrer sa monographie aux fins de défendre aux yeux de la communauté

internationale la zone des 200 milles marins du Pérou.

15
CR 2012/27, p. 50, par. 23 (Treves). - 8 -

o
4. Cartes : le décret présidentiel péruvien n 570 de 1957

4.1. Deux ans plus tard, en1957, le Pérou a publié un autre décret, le décret présidentiel

o 16
n 570 . La version intégrale du texte espagnol appa raît à l’écran, avec la traduction anglaise du

paragraphe le plus important. Vous le retrouvez sous l’onglet n o 50 du dossier de plaidoiries. Ce

décret prévoit que les cartes publiées au Pérou qui représentent les frontières nationales doivent être

approuvées par le ministère péruvien des relations extérieures afin de garantir que ces frontières

sont correctement représentées. C’est une loi plutôt unique en son genre, qui prouve à quel point il

importait pour le Pérou de garantir la clarté de ses frontières nationales. Si le Pérou considérait

qu’aucune frontière maritime n’avait été établie av ec le Chili, le ministère péruvien des relations

extérieures aurait été dans l’obligation de s’assure r qu’aucune frontière entre les deux pays n’était

représentée sur les cartes qu’il approuvait.

4.2. Le Chili a produit des cartes approuv ées par le ministère péruvien des relations

extérieures conformément à ce décret, sur lesquelles sont représentées les frontières maritimes

entre le Chili et le Pérou et entre l’Equateur et le Pérou. Ces frontières coïncident avec les

o
parallèles de latitude. Le Pérou a tenté de nier l’effet du décret n 570 en invoquant un arrêté

ministériel de1961 17, un argument repris par M.Bundy mardi dernier 18. Le texte de cet arrêté

o
figure sous l’onglet n 51 du dossier de plaidoiries et apparaît à présent à l’écran. Comme il ressort

clairement de son libellé, cet arrêté se borne à a ffirmer que l’autorisation délivrée par le ministère

vise uniquement à garantir que «les données ayant directement trait à la délimitation des zones

frontières du Pérou» sont correctes. Le texte précise ensuite que le ministère péruvien des relations

18 extérieures n’est pas responsable des «idées et commentaires se rapportant à la documentation

historique et cartographique» qui figurent dans les ouvrages où sont reproduites les cartes qu’il a

19
approuvées . Il n’y a rien d’autre à comprendre : l’autorisation du ministère ne concerne que les

limites représentées sur les cartes, et non les idé es et commentaires contenus dans les ouvrages où

ces cartes sont reproduites.

16
MP, vol. II, annexe 11.
17
RP, par. 4.129-4.130, renvoyant à l’annexe 9 de la duplique (RP, vol. II).
18 CR 2012/28, p. 58, par. 17 (Bundy).

19 RP, vol. II, annexe 9, p. 79. - 9 -

4.3. J’achèverai mon exposé en mentionnant un seul de ces ouvrages, que vous pouvez voir à

l’écran et sous l’onglet n 52 du dossier de plaidoiries. Il est pr ésenté dans le c ontre-mémoire du

Chili (volume VI, figure 38). Il a été approuvé par le ministère péruvien des relations extérieures

en 1982 et publié la même année. Il s’agit d’une ency clopédie scolaire. Il est dit dans la lettre du

ministère des relations extérieures que «les frontiè res internationales du Pérou y sont représentées

d’une manière acceptable». La carte qui figure à la page20 de cette encyclopédie illustre les

frontières maritimes latérales du Pérou avec l’Equateur et le Chili — et, dans le cas de la frontière

o
méridionale avec le Chili, cette carte fait même référence au parallèle passant par la bornen 1

(hito no 1).

4.4. Ce qui importe ici, c’est qu’il existe des cartes publiées au Pérou —certes à titre

privé— et que les frontières du Pérou qui y sont représentées devaient être approuvées par le

ministère péruvien des relations extérieures et ont été dûment approuvées. Ces cartes montrent que

la limite méridionale de l’espace maritime du Pé rou est constituée par un parallèle de latitude

passant par le point terminal de la frontière terr estre avec le Chili, ce qui prouve à la fois qu’il

existe une frontière et que celle-ci est constituée par un parallèle de latitude.

4.5. Les parties à la déclaration de Santiago n’ ont pas annexé de carte à la déclaration, qui

20 21
aurait constitué l’expression de leur volonté . Contrairement à ce qu’affirme le Pérou , cela ne

signifie pas que les éléments cartographiques produits en l’espèce n’ont pas de valeur probante. La

valeur probante des cartes fournies par le Chili doit être appréciée à la lumière du décret

présidentiel pris par le Pérou en 1957, qui exigea it que la représentation des frontières du Pérou fût

approuvée par le ministère péruvien des relations ex térieures. Il ne fait aucun doute que ces cartes

peuvent constituer des preuves c oncordantes venant conforter la conclusion à laquelle pourrait

parvenir la Cour par d’autres moyens, indépendants des cartes 22. Il ne fait aucun doute que ces

éléments de preuve cartographiques approuvés par le ministère péruvien des relations extérieures

20Voir Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), arrêt, C.I.J. Recueil 1986, par. 54.

21CR 2012/28, p. 58, par. 16-18 (Bundy).

22 Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), arrêt, C.I.J. Recueil 1986 , par. 56; Ile de
Kasikili/Sedudu (Botswana/Namibie), arrêt, C.I.J. Recueil 1999 , par. 87; et Différend frontalier (Bénin/Niger), arrêt,
C.I.J. Recueil 2005, par. 138. - 10 -

19 montrent l’attitude du Pérou par rapport à ses frontières internationales . Il ne fait aucun doute que

ces cartes, publiées sous les auspices de l’Etat et, da ns ce cas particulier, dans un but pédagogique,

sont d’une valeur probante élevée 24. Ces cartes ont reçu un imprimatur officiel. Elles corroborent

la thèse du Chili et battent clairement en brèche l’ argumentation développée par le Pérou devant la

Cour.

Je vous remercie Monsieur le président, Mesdam es et Messieurs de la Cour. Voilà qui clôt

mon exposé. Je vous prie d’appeler à la barre M. Paulsson.

Le PRÉSIDENT: Je vous remercie Monsieur Colson et je donne à présent la parole à

M. Paulsson. Vous avez la parole.

M. PAULSSON :

Accords de 1968-1969 visant à signaler la frontière maritime

1. Monsieur le président, Mesdames et Messi eurs de la Cour, c’est un honneur pour moi de

présenter les arguments du Chili en l’espèce.

2. Vous avez vu hier que les accords de1952 et1954 contiennent tous les éléments

nécessaires pour régler le présent différend comme il convient. Le Chili va maintenant montrer que

cette conclusion est confirmée par la pratique des deux Etats con cernés durant les cinq années qui

ont suivi la déclaration de Santiago.

3. Cette question de la pratique ultérieure sera examinée par deux orateurs.

4. Dans un premier temps, il m’appartiendra de décrire les échanges entre les deuxEtats à

des moments où leurs représentants respectifs ont expressément déclaré qu’ils agissaient compte

tenu de la frontière maritime convenue.

5. M.Petrochilos, qui interviendra après mo i, vous parlera d’un autre type de pratique,

àsavoir celle qui concerne des questions si manife stement réglées que l’existence de la frontière

était tenue pour acquise.

23
Honduras Borders (Guatemala/Honduras) , sentence arbitrale, 23 ja nvier 1933, NationsUnies, Recueil des
sentences arbitrales (RSA), vol. II, p. 1360.
24Affaire concernant un litige entre la République argentine et la République du Chili relatif au canal de Beagle,
sentence arbitrale, 18 février 1977, RSA, vol. XXI, par. 128. - 11 -

6. Mes observations concernant l’application expresse de la frontière établie peuvent être

rangées sous deux rubriques : à savoir, le pro cessus élaboré ayant abouti en 1968-1969 à l’accord

visant à mieux signaler la frontière et, deuxièm ement, le rôle de la borne frontière n o 1 comme
20

point de référence pour la frontière maritime. Je compte, Monsieur le président, en avoir terminé

en une heure.

I. Aperçu des accords de 1968-1969 : confirmation de la

frontière maritime existante

7. Avant d’entrer dans le détail de ce qui s’est passé en 1968-1969, voici quel était le

contexte :

8. Depuis plusieurs années, le Chili et le Pé rou étaient préoccupés par les incursions illicites

de navires de pêche de part et d’autre de la frontiè re. M. Petrochilos vous en parlera plus en détail.

Je ferai simplement observer qu’aussi bien le Chili que le Pérou jugeaient nécessaire que des

mesures soient prises pour mettre un terme à ces incursions 25. Au début de1968, les deux Etats

décidèrent de dépêcher des délégations officielles dans la zone frontalière pour qu’elles règlent le

problème d’un commun accord, ce qu’elles réussirent à faire. Le résultat final fut le document

o
officiel daté du 22août1969, que vous trouverez sous l’onglet n 22 de votre dossier du

3décembre. Il est intitulé «Décision de la commission mixte Chili-Pérou chargée de vérifier

o 26
l’emplacement de la borne frontièren 1 et de signaler la frontière maritime» . La frontière

maritime ou, dans l’original, el límite marítimo. Que dire de plus ? Cette commission a signalé la

frontière maritime, et non une frontière possible, un projet de frontière ou une frontière provisoire,

ou encore une frontière à des fins particulières. Il n’y avait ni réserve, ni condition, il s’agissait

seulement de donner concrètement effet à une frontière ⎯ une frontière existante.

9. Il est remarquable que dans ses écritures, le Pérou ne dise rien de cette décision. Même

cette semaine, le Pérou n’a consacré que quelques minutes à l’accord de 1968-1969, et tout ce qu’il

a trouvé à dire était que les expressions «ligne frontière maritime» ou «limite maritime» étaient

«[e]mployées indifféremment» ⎯ quoi qu’il entende par là ⎯ et ne voulaient pas dire grand-chose

et, d’une manière ou d’une autre, devaient être in terprétées comme ne désignant pas une «frontière

25
MP, vol. III, annexe 68, par. 3 ; CMC, vol. III, annexe 73, avant-dernier paragraphe.
26CMC, vol. II, annexe 6. - 12 -

27
maritime définitive à vocation générale» . L’épisode de 1968-1969 semble beaucoup gêner le

Pérou. Il agit comme un étudiant qui n’aime p as les questions difficiles qui lui sont posées lors

d’un examen et qui, au lieu d’y répondre, répond à des questions différentes, plus à son goût, en

récitant des réponses qu’il a mémorisées.

21 10. Par exemple, le Pérou fait valoir, au paragraphe4.128 de son mémoire, que la

commission mixte ne considérait pas qu’elle «traça [i]t une frontière internationale définitive et

28
permanente» . Certes, mais qui a jamais dit cela ?

11. Les gouvernements concernés avaien t confié à leurs représentants une tâche

expressément définie, et je cite, «materialicen el paralelo de la frontera marítima que se origina en

el Hito número uno » 29, ce qui signifie «matérialiser» ⎯on dirait en français « matérialiser le

o
parallèle constituant la frontière mariti me à partir de la borne frontière n 1». Il n’y a là aucune

difficulté ; la frontière était déjà établie.

12. Monsieur le président, Mesdames et Mess ieurs de la Cour, cet épisode important de

confirmation d’une frontière existante d’un commun accord a manifestement une importance

juridique.

13. Le Chili et le Pérou ne sont pas les seuls Etats ayant confirmé une frontière maritime

existante de cette manière. L’Equateur et la Colombie ont confirmé les coordonnées du point de

référence de leur frontière maritime 37ans après avoir conclu un accord de délimitation. La

Colombie et l’Equateur utilisent également, vous vous en souviendrez, un parallèle pour diviser

leurs zones maritimes. Leur accord de1975 stipule que la frontière suit ⎯je cite, et je vous

inviterais à écouter attentivement ⎯ «la ligne constituée par le parallèle géographique passant par

30
le point où la frontière internationale terrestre entre l’Equateur et la Colombie atteint la mer» , une

formulation qui devrait vous rappeler de manière générale les quatre lignes parallèles figurant sur la

carte que l’agent du Chili vous a montrée hier et en particulier la déclaration de Santiago. Même si

l’accord Colombie-Equateur ne donnait pas les c oordonnées précises de la latitude de la frontière,

27CR 2012/28, p. 41, par. 55 (Wood).
28
MP, par. 4.128.
29
Ibid., vol. II, annexe 59, p. 334, par. 1.
30CMC, vol. II, annexe 9, p. 65, art. 1. - 13 -

les Parties ont respecté le parallèle convenu. Ce n’est qu’en juin de cette année, en 2012, que les

deux Etats ont arrêté ces coordonnées précises. V ous trouverez leur déclaration conjointe, si vous
o
souhaitez en prendre connaissance, sous l’onglet n 54. Aucun de ces deux Etats n’a jamais, dans

l’intervalle, contesté que leurs zones maritimes avaient déjà été pleinement délimitées.

14. Permettez-moi de vous rappeler l’arrêt rendu dans l’affaire Libye/Tchad. La Libye faisait

valoir qu’un traité de1955 ne devait pas être accepté comme ayant établi une frontière. Or, un

22 traité d’amitié entré en vigueur 11ans plus tard, en1966, mentionnait à maintes reprises «la

frontière», comme s’il en existait une. «N’y prêtez p as attention», déclarait la Libye à la Cour. Je

vais maintenant citer le para graphe5.540 du mémoire de la Li bye. Selon elle, ce document

de1966 «ne contenait aucune disposition ayant pour objet de définir la frontière…, il n’a été

précédé d’aucune négociation sur les frontières…, il n’a été suivi d’aucune négociation sur la

31
délimitation ou la démarcation d’une frontière» .

Ne trouvez-vous pas que cet argument libyen donn e une impression de déjà vu? Il ressemble

beaucoup à ce que le Pérou nous dit aujourd’hui, lorsqu’il déclare que la décision de1969 de la

commission mixte ne doit se voir accorder aucun poid s s’agissant de confirmer la déclaration de

Santiago de 1952. Or, qu’a répondu la Cour à la Libye ? Permett ez-moi de citer le paragraphe 66

de votre arrêt :

«L’accord conclu le 2mars1966 entre la Libye et le Tchad porte, comme le
traité de1955, sur les relations de bon voisinage et d’amitié entre les parties et traite
des questions de frontière. Les articles 1 et 2 se réfèrent à «la frontière» entre les deux
pays, sans laisser entendre qu’il existerait la moindre incertitude à son sujet.

L’article 1 vise le maintien de l’ordre et de la sécurité «sur la frontière», et l’article 2
la circulation des populations installées «de part et d’autre de la frontière». L’article 4
traite des cartes de circulation frontalière et l’article 7 des autorités frontalières. Si un

différend sérieux avait vraiment existé au sujet des frontières, onze ans après la
conclusion du traité de 1955, il y a tout lieu de penser qu’un tel différend aurait trouvé
son expression dans le traité de1966.» ( Différend territorial (Jamahiriya arabe
libyenne/Tchad), arrêt, C.I.J. Recueil 1994, p. 35, par. 66.)

15. Je crains donc que le Pérou n’ait un gros problème. En l’espèce, la confirmation est

encore plus forte que dans l’affaire Libye/Tchad. Dans notre affaire, l’accord conclu par les Parties

en 1968-1969 concernait la matérialisation de la fro ntière existante elle-même et non, comme dans

l’affaire Libye/Tchad, la mise en Œuvre d’une politique gé nérale de coopérati on dans la zone

31
Différend territorial (Jamahiriya arabe libyenne/Tchad),mémoire de la Jamahiriya arabe libyenne, par. 5.540. - 14 -

frontalière. De plus, en l’espèce l’accord a été confirmé par un processus élaboré de réunions ainsi

que par des communications et des conclusions offici elles. Ces documents officiels sont examinés

en profondeur au chapitreIII, section2, du cont re-mémoire du Chili et au chapitreII, sections4

et 5, de sa duplique. Permettez-moi d’entrer quelque peu dans le détail.

II. Le Chili et le Pérou sont convenus de signaler
la frontière maritime existante

16. Les Parties se sont réunies une première fo is en janvier 1968. Dans les semaines qui ont

suivi, elles ont échangé des notes dans lesquelle s elles décidaient d’un commun accord d’installer

23 des poteaux ou repères «au point où la frontière commune aboutit en mer, près de la borne

o 32
frontière n 1» . C’est en vain que le Pérou affirm e que cette communication n’exprimait pas

réellement l’intention des Parties de signaler la frontière maritime existante comme suivant le

o
parallèle passant par la borne frontièren 1 car, comme il m’est facile de vous le montrer, les

phares furent construits précisément pour signaler la frontière maritime en suivant ce parallèle

même, celui passant par la borne frontière n o1. Si, comme le Pérou l’affirme maintenant, «[i]l

33
s’agissait de signaliser un point à terre» , sans doute pour éviter aux navires de faire naufrage sur

la côte, un seul phare était nécessaire ⎯ et non pas deux.

17. Le Pérou et le Chili savaient exactement ce qu’ils faisaient. Lorsque les délégations

péruvienne et chilienne se sont réunies près de la frontière en avril 1968, les représentants ont signé

un document 34. Vous le trouverez sous l’onglet n 17 du dossier de plaidoiries du 3 décembre. Ce

document officiel décrit la tâche des délégations, à savoir donner concrètement effet au parallèle

correspondant à la «position géographique» 35⎯ c’est l’expression utilisée ⎯ de la borne frontière

n 1. La position incontestable de cette borne ne posait aucun problème. Dans un autre échange de

notes d’août de la même année, 1968, les gouvern ements ont pleinement approuvé la proposition

de leurs représentants d’utiliser des marques d’alignement pour matérialiser le parallèle constituant

36
la frontière maritime . Ceci demeurait l’objet de l’entreprise, et la commission mixte a finalement,

32
MP, vol. III, annexe 71, p. 422, par. 1 ; MP, vol. III, annexe 72, p. 426, par. 1.
33
CR 2012/28, p. 41, par. 58 (Wood).
34MP, vol. II, annexe 59.

35Ibid., p. 337, avant-dernier paragraphe.

36MP, vol. III, annexe 74, p. 435, par. 1, et annexe 75, p. 439, par. 2. - 15 -

dans sa décision du 22août1969, confirmé qu’elle s’était rendue sur le terrain pour vérifier la

o
position de la borne n 1 et fixer l’emplacement des phares le long de ce parallèle.

18. J’ajouterai que cette commission mixte était composée des chefs des départements des

questions frontalières des ministères des affaires étrangères ainsi que d’officiers de marine en

activité et en retraite des deux Etats. De fait, les représentants du Pérou ont été nommés

officiellement par un décret présidentiel 37.

III. Le Chili et le Pérou sont convenus de signaler une frontière
maritime à vocation générale

19. Les chefs des délégations ont participé à l’ensemble du processus à partir de la réunion

de janvier1968. Si les Parties avaient voulu, co mme l’affirme maintenant le Pérou, signaler une

38 39
nouvelle «ligne provisoire» , une ligne «de contrôle» , ou une ligne fondée sur des «accords

24 ad hoc» non précisés 40, les représentants et leurs gouvernements auraient eu amplement l’occasion

de demander la modification de l’objectif déclaré ⎯ qui était de signaler la «frontière maritime» ou

«limite maritime». Ce que la décision de1969 c onsigne effectivement est que les tâches de la

commission mixte étaient la «[d]étermination et [l a] matérialisation du parallèle passant par la

o
borne frontièren 1» et consistaient à «[m]atérialiser le parallèle au moyen de deux points (l’un à

o
l’ouest et l’autre à l’est de la borne frontièren 1)…de telle sorte qu’ils prolongent l’alignement

du parallèle» 41.

20. Comme la Cour a eu l’occasion de l’indiquer dans l’affaire Indonésie/Malaisie, on

s’attendrait dans de telles circonstances à ce que les Etats clarifient la situation 42. Ce qu’ont fait le

Chili et le Pérou est clair: ils ont confirmé leur intention de signaler la frontière maritime sans

aucune réserve ni ambiguïté.

37
CMC, vol. IV, annexe 165.
38
MP, par. 4.4.
39 MP, par. 4.4.

40 RP, par. 4.49.

41 CMC, vol. II, annexe 6, p. 37, par. 2.
42
Souveraineté sur Pulau Ligitan et Pulau Sipadan (Indonésie/Malaisie), arrêt, C.I.J.Recueil2002 , p.661,
par. 72. - 16 -

IV. L’incident du Diez Canseco (1966)

21. Le processus engagé en1968-1969 est encore plus significatif si on tient compte de ce

qui s’est passé durant les années qui l’ont immédiatement précédé. Dans des notes diplomatiques

antérieures à 1968, le Pérou avait à maintes reprises protesté contre l’incursion de navires de pêche

43 44
chiliens dans les «eaux péruviennes» , les «eaux territoriales» du Pérou et les «eaux

juridictionnelles» 45du Pérou ⎯ des expressions utilisées par le Pérou. Ces expressions n’auraient

eu aucun sens en l’absence de frontière maritime. Si les deux Parties n’avaient pas considéré

qu’une frontière convenue existait en fait, l’ accord de1968-1969 visant à signaler la frontière

maritime n’aurait eu aucun fondement.

22. Ce point est très bien illustré par «l’incident du Diez Canseco» de1966. Le

Diez Canseco était une corvette de la marine péruvie nne qui avait pris en chasse des navires de

pêche chiliens. Des photos du Diez Canseco ⎯il s’agit du même navire ⎯ s’affichent sur votre

écran ⎯elles figurent aussi sous l’ongletn o55 de votre dossier. Il ne s’agissait pas d’un petit

bateau de la catégorie, comme le déclare le Pé rou, de «[ceux qu’utilisent les] pêcheurs près des

côtes qui empiétaient sur des zones que les commun autés de pêche de l’autre Etat considéraient

46
25 comme leur appartenant» . Le Diez Canseco était là pour défendre le territoire souverain du

Pérou. Ce n’est pas le type de navire qui passe in aperçu dans les eaux d’un Etat voisin. Mais le

Pérou nie qu’il y ait eu incursion illicite, et peut-ê tre est-ce vrai. Ce qui est intéressant, c’est la

manière dont le Pérou confirme son interprétati on de la frontière, comme expliqué dans un

mémorandum adressé à l’époque au ministère chilien des affaires étrangères. Vous trouverez ce

o
mémorandum explicatif sous l’onglet n 56 de votre dossier. Ce mémorandum fait deux choses très

importantes.

47
Il confirme une «ligne frontière» , línea fronteriza en espagnol, en mer, séparant les zones

maritimes chiliennes et péruviennes. Il conçoit cette línea fronteriza comme suivant le parallèle de

18° 21' de latitude sud, comme on peut le déduire objectivemen t des données qu’il contient. La

43CMC, vol. III, annexe 73, par. 552, par. 1.

44MP, vol. III, annexe 69, p. 411, par. 1.
45
CMC, vol. III, annexe 77, p. 571.
46MP, par. 4.124.

47CMC, vol. III, annexe 75, p. 559, 561 et 562. - 17 -

diapositive affichée sur votre écran montre trois positions occupées par le Diez Canseco lors de sa

progression ce jour-là, comme l’a signalé le Pérou ⎯ que l’on désignera pour la commodité par les

lettres A, B et C. Le Pérou déclare au Chili que les points A, B et C se trouvaient à 7,3 et 2 milles

marins, respectivement, au nord de la ligne fro ntière, comme indiqué sur ce diagramme. Bien

entendu, nous souhaitons savoir quels sont les poi nts qui se trouvent à7,3 et 2milles marins, au

sud des points A, B et C. Appelons-les A', B' et C' et vous les voyez également à l’écran. La

línea fronteriza ⎯et c’est l’expression qu’emploie le Pérou ⎯ est la ligne qui passe par ces trois

points. La diapositive suivante fait apparaître cette ligne en rouge. Comme vous le verrez, il s’agit

du parallèle de 18°21'de latitude sud. Le Pérou critique la conclusion du Chili en déclarant que

cette ligne n’était qu’«implicite» 48dans le document. «Implicite» ? En fait, le Pérou déclara au

Chili que le Diez Canseco [n’]avait [pas] traversé la «ligne frontière» et donna des indications tout

à fait précises quant au point jusqu’où le commandant aurait dû naviguer pour le faire.

23. Et pourtant le Pérou affirme maintena nt, comme vous l’avez entendu mardi, que cet

incident «a eu lieu très près des côtes et non loin de la frontière terrestre entre le Pérou et le

Chili» 49, et que l’expression «ligne frontière» ⎯ línea fronteriza — ne désignait pas «une frontière

50
maritime internationale» . Or, si tel est le cas, que désignait-elle ? Une frontière terrestre ? Les

mots línea fronteriza ne pouvaient signifier qu’une chose: la ligne de la frontière enmer. Le

26
Pérou vient maintenant dire à la Cour, comme il l’a fait mardi, que ce que cela signifiait était que le

Pérou «était…pleinement fondé à faire appli quer sa législation dans des espaces maritimes

relevant incontestablement de sa compétence, même en l’absence d’accords portant délimitation de

la frontière maritime» 51. Mais cela ne mène nulle part. En 1996, lorsque l’incident s’est produit, le

Pérou n’a pas déclaré que sa marine nationale opéra it dans une zone qui revi endrait au Pérou dans

le cadre d’une délimitation future. Il n’a même pas dit, «nous avons agi dans nos eaux». Il a

déclaré que le Diez Canseco était demeuré au nord d’une línea fronteriza existante.

48RP, par. 8 et note 11.
49
CR 2012/28, p. 39, par. 51 (Wood).
50
Ibid.
51CR 2012/28, p. 39, par. 51 (Wood). - 18 -

V. Les phares ne signalaient pas la frontière terrestre

24. Quelques mots, Monsieur le président, su r la fonction des phares. Pardonnez-moi si

j’aborde le sujet de manière que lque peu détournée. En1968, le secrétaire général du ministère

péruvien des affaires étrangères se trouvait être M. Javier Pérez de Cuéllar. Il a déclaré

expressément dans une note du 5 août 1968 adressée au Chili que le Pérou «approuv[ait] dans son

intégralité le document signé à la frontière entr e le Pérou et le Chili le 26novembre1968 par les

représentants de ces deux pays aux fins de l’insta llation de marques d’alignement pour matérialiser

le parallèle constituant la frontière maritime» 52. En la présente instance, le Pérou a pris l’initiative

d’entrer en contact avec M.PérezdeCuéllar pour lui demander de signer une déclaration, que le

Pérou a présenté en appendice à sa réplique 53. Avec tout le respect dû à M.PérezdeCuéllar, je

puis seulement dire qu’une telle initiative ressemble beaucoup à ce que font les parties lorsque leur

position n’est pas solidement fondée. Bien entendu, il nous faut rappeler ce que la Cour a déclaré

en l’affaire Nicaragua c. Honduras ⎯ au paragraphe 244 ⎯ en ce qui concerne le poids limité

qu’il convient d’accorder aux déclarations sous ser ment faites pour les besoins de la cause par un

54
agent de l’Etat concernant des faits passés . En l’instance, c’est presque un demi-siècle après

l’accord de 1968-1969 qu’il a été demandé à M. Pé rez de Cuéllar de confirmer la nouvelle version

péruvienne de l’histoire. Mais ce n’est pas le principal problème que pose cette déclaration : elle

pêche tant par ce qu’elle dit que par ce qu’elle ne dit pas.

25. Ce que dit cette déclaration est que le seul objet de l’accord de1968-1969 était de

55
«permettre aux pêcheurs des deux pays de repérer la frontière terrestre depuis la mer» . Quelle

déclaration extraordinaire ⎯vous m’avez bien entendu ⎯ repérer la frontière terrestre! Bien

27
entendu, il n’y avait nul besoin de le fair e. Pas un seul des nombreux documents de

l’époque ⎯ que j’ai passé en revue ⎯ n’indique que c’était cela l’objectif. Il s’agit après tout du

passage de navires, non d’automobiles.

52MP, vol. II, annexe 74, par. 1.
53
RP, vol. II, appendice B.
54 Différend territorial et maritime entre le Nicaraet le Honduras dans la mer des Caraïbes (Nicaragua

c. Honduras), arrêt, C.I.J. Recueil 2007, p. 659, par. 244.
55RP, vol. II, appendice B, par. 3. - 19 -

26. Le Pérou a expliqué cette semaine que ce que voulait dire M. Pérez de Cuéllar était que

les phares «avaient pour objet d’aider les petits bateaux de pêche navigant près de la côte à se situer

en mer…par rapport à un point situé à terre» 56. Or, premièrement, ce n’est pas ce que dit la

déclaration. Deuxièmement, comme je pen se pouvoir le prouver sans l’ombre d’un doute, les

o
phares visaient à signaler le parallèle passant par la borne frontière n 1 en mer, non un point non

précisé à terre, ce pour quoi un seul phare aurait suffi.

27. En1968-1969, les Parties sont conve nues de construire «deux repères dotés de

57
signalisation diurne et nocturne» afin de «signaler la frontière maritime et de donner

matériellement effet au parallèle passant par» la borne frontière n o 1 . Comme les représentants

l’ont consigné en avril 1968, l’un de ces repères, le «repère avant» serait placé «aux abords» de la

borne frontière n o1 . Et les Parties ont effectivement c onstruit ces deux marques d’alignement

sous la forme de deux phares, qui ont commencé à fonctionner en 1972. Ces phares s’affichent à

présent sur vos écrans, comme le Chili et le Pér ou les ont construits, ainsi qu’un autre phare

reconstruit par le Pérou trois ans plus tard, en 1975. Depuis 1973 60, le phare chilien est désigné, sur

les cartes à grande échelle de la zone frontalière, comme le Faro Limítrofe Enfilación Concordia ,

ce qui indique qu’il s’agit d’un repère à aligner avec l’autre repère pour indiquer la frontière.

28. Dans la terminologie mariti me, des «marques d’alignement», marcas de enfilación en

espagnol, lorsqu’elles sont alignées, indiquent à cel ui qui les observent qu’il se trouve sur la ligne

droite qu’elles définissent. Ceci est important pour comprendre la fonction des deux phares. Ces

phares sont situés sur le parallèle passant par la borne frontière n o 1 et ne signalent que ce parallèle.

Une autre caractéristique importante est que le faisceau lumineux du phare péruvien est

extrêmement étroit. Si, comme le Pérou l’affirm e maintenant, la lumière qu’il émettait visait à

«indiquer aux pêcheurs côtiers où se trouvait la frontiè re terrestre entre le Pérou et le Chili et,

56
CR 2012/28, p. 41, par. 58 (Wood).
57MP, vol. II, annexe 59, par. 1.

58CMC, vol. II, annexe 6.

59MP, vol. II, annexe 59, par. 1.
60
Ibid., vol. IV, figures 5.19 et 5.23. - 20 -

28 partant, à quel Etat appartenaient les côtes qu’ils longeaient» 61, l’étroitesse de son faisceau aurait

sérieusement limité son utilité. Le phare du Pérou est spécifiquement conçu pour être invisible aux

marins, excepté lorsqu’ils sont très près du parallèle marquant la frontière maritime, ce afin qu’ils

puissent facilement repérer ce parallèle. L’objectif évident du phare péruvien est confirmé par le

phare chilien, qui n’est absolument pas près de la ligne frontière terrestre, et aide les pêcheurs

côtiers à identifier la position de la frontière maritime. Ainsi, le phare chilien fonctionne avec le

phare péruvien: lorsque les marins peuvent les a ligner, ils savent qu’ils sont sur le parallèle

marquant la frontière maritime et pas ailleurs.

29. Je vais démontrer cela à l’écran. Sur le croquis qui y figure, vous pouvez voir deux

choses. Une vue d’ensemble faisant apparaître une position hypothétique en mer et, en haut à

gauche, la vue qu’aurait un navigate ur à partir de cette position. Lo rsqu’il occupe la position 1, le

navire est bien au sud de la frontière maritime, et le navigateur ne peut voir le phare péruvien parce

que l’arc lumineux que celui-ci projette est très ét roit. Vous voyez maintenant sur vos écrans, au

fur et à mesure que le navigateur remonte vers le nord en direction de la frontière maritime, la

position2: l’arc lumineux du phare péruvien comm ence à devenir visible, mais les deux signaux

lumineux sont visibles, car pas tout à fait alignés, et le navigateur saura donc qu’il est encore un

peu éloigné du parallèle constituan t la frontière. Enfin, en position3, sur la ligne rouge, le

navigateur peut constater, comme vous le voyez, que les phares sont alignés et il sait donc qu’il est

sur le parallèle constituant la frontière mariti me. Vous trouverez ces trois diapositives sous

l’onglet n o59 de votre dossier.

30. Afin de minimiser l’importance de l’accord de 1968-1969, le Pérou a déclaré qu’il visait

à aider uniquement les «petits bateaux pratiquant la pêche côtière» 62 et, en conséquence, que la

ligne signalée par les phares «représentait une réponse restreinte et ad hoc à une question très

spécifique, dans le périmètre de quinzemilles éclairés par les phares» 63. Il s’agit là d’une

représentation fallacieuse de la fonction des phares, et avec les explications que je viens juste de

donner, vous voyez pourquoi. La portée des phares montre qu’ils visaient à aider les pêcheurs dans

61RP, par. 4.28.
62
Ibid., par. 4.27.
63MP, par. 4.128. - 21 -

la zone située dans les douzemilles de la côte , où il n’y avait pas de zone tampon. Bien que

29 normalement il soit facile pour des marins de déterm iner leur position près de la côte au moyen de

points de repères terrestres, l’ absence d’élévations et la monotonie du paysage dans ce secteur

faisait qu’il était difficile pour les bateaux de pêche côtiers de localiser la frontière

maritime ⎯ d’où les deux phares.

31. Incidemment, des systèmes similaires ont été utilisés pour signaler des frontières

maritimes internationales, comme la frontière en tre la Turquie et l’Union soviétique, qui sont

convenues en1980 de définir leur ligne front ière maritime au moyen de deux marques

64
d’alignement et d’une bouée en mer . Les phares qui nous intéressent dans la présente instance

ont fonctionné pendant près de tr ois décennies jusqu’à ce que le ph are péruvien soit détruit par un

65
séisme en 2001. Le Chili a demandé au Pérou de le reconstruire , mais le Pérou ne l’a pas fait.

32. Quant à ce que la déclaration signée par M.PérezdeCuéllar ne dit pas, elle omet les

nombreuses communications officielles, que je cite depuis une demi-heure maintenant,

reconnaissant que le parallèle constitue la frontière maritime. En particulier, elle omet de

mentionner la note péruvienne du 5août1968, que vous voyez main tenant sur votre écran et que

o
vous trouverez également sous l’ongletn 60. Cette note est signée par M.PérezdeCuéllar au

nom de son ministre des affaires étrangères. E lle porte approbation de la construction des deux

66
tours pour signaler «le parallèle constituant la frontière maritime» . Inutile de le dire, ce document

ne dit rien de la nécessité d’indiquer la frontière terrestre.

Je vais maintenant, Monsieur le président, me pencher sur mon second sujet, qui concerne la

borne frontière n o1, à laquelle le Pérou a accordé une importance qu’elle ne mérite pas.

64
Protocole-description du tracé de la ligne frontière maritime soviéto-turque entre les mers territoriales de
l’Union des Républiques socialistes sovié tiques et la République de Turquie en mer Noire, signé le 11septembre1980
àTbilisi, traduction anglaise dans J.I.Charney et L.M.Alexander,International Maritime Boundaries , 1991, vol.II,
p. 1687.
65
CMC, vol. III, annexe 100, p. 673.
66MP, vol. III, annexe 74, par. 1. - 22 -

L A BORNE N O1

I. Introduction

1. En 1930, le Pérou et le Chili indiquèrent que la borne ou hito n 1 serait établie sur l’orilla

67
del mar , c’est-à-dire sur le «littoral» (ou «seashore» en anglais).

30 2. Un élément fondamental et décisif, et aussi l’une des clés pour régler le présent différend,

Monsieur le président, découle d’une seu le observation concernant la bornen o1: nul ne conteste

l’emplacement et les coordonnées de cette borne. Voilà en vérité tout ce qu’il y a à savoir.

3. Je m’explique. Dans sa note du 5août1968, comme nous venons de le voir,

M. Pérez de Cuéllar approuva la proposition de signaler le parallè le correspondant à la frontière

maritime et confirma, à cette fin, que la commission mixte vérifierait l’emplacement de la

o 68
borne n 1 . C’est exactement ce que fit la commission, comme elle le déclara formellement un an

plus tard 6. Et c’est ainsi que les deux phares d’ali gnement furent établis, qui signalèrent le

o
parallèle passant par la borne n 1 pendant trente ans. Durant toutes ces années, le Pérou n’exprima

jamais le moindre doute quant à l’existence de la frontière maritime ou à son tracé.

4. Or, le Pérou soutient aujourd’hui que «les Parties n’auraient pas pu convenir entre elles

o 70
d’une frontière maritime longeant le parallèle passant par la borne n 1» pour la simple raison que

le parallèle «ne coupe pas la me r au point Concordia, lequel cons titue» — à en croire le Pérou —

«le véritable point terminal de la frontière terrestre» 71. Selon l’argumentation péruvienne, une

nouvelle frontière maritime devrait débuter au point266, un point que le Pérou a établi

72
unilatéralement trois ans avant de déposer sa requête devant la Cour .

5. Le Pérou semble avoir dé veloppé un goût immodéré pour les complications puisqu’il en

crée là où il n’en existait aucune depuis un demi-siè cle. Ne nous arrêtons pas à ces artifices mais

concentrons-nous sur sept propositions simples qui, me semble-t-il, ne peuvent être contestées.

67
Ibid., vol. II, annexe 54, p. 309.
68
MP, vol. II, annexe 74, p. 435, premier et deuxième paragraphes.
69CMC, vol. II, annexe 6.

70RP, par. 2.88.

71Ibid., par. 2.79.
72
MP, vol. II, annexe 23, p. 115. - 23 -

73
i) En 1929, les deux Etats s’entendirent sur une frontière terrestre de 196km qui ne fut

jamais remise en question.

74
ii) En 1930, une commission mixte «détermin[a] et marqu[a]» la frontière , ainsi qu’exigé

75
dans l’accord de 1929, au moyen de 80 bornes — 80 hitos .

iii) Les Parties convinrent d’établir la dernière de ces bornes, la bornen o1, à une courte

76
distance de la mer, pour éviter qu’e lle ne soit détruite par les flots . A cet endroit, en

31 effet, le littoral est sablonneux et souvent subm ergé par les vagues et les marées. Il se

modifie en outre au fil du temps.

iv) Si l’on devait comparer, d’un côté, la pr oposition consistant à relie r pour autant que de

besoin les frontières terrestre et maritime par une ligne droite partant de la borne n o 1 en

direction de l’ouest, et, de l’autre côté, la position actuelle du Pérou—à savoir que la

frontière terrestre devrait être complétée par une courte ligne qui, à partir de la borne n o1,

s’infléchirait vers le sud-ouest jusqu’à atte indre les flots—, la différence entre ces deux

propositions donnerait une zone contestée peut-ê tre assez grande pour contenir un terrain

de football, en gardant toutefois à l’esprit qu’une partie de ce terrain serait fréquemment

recouverte par la marée montante.

v) Le Pérou reconnaît que ce désaccord théo rique ne constitue pas un véritable

77
différend ⎯il le déclare au paragraphe15 de sa réplique. Cette question ne devrait

jamais poser de réel problème.

vi) Il s’ensuit que la question supposée de cette petite étendue de sable ne constitue en

l’espèce rien d’autre qu’une fausse piste, un fauxproblème dont on voudrait vous faire

croire qu’il soulève de graves difficultés de prin cipe. Il n’existe aucun problème, ni de

droit ni de logique.

vii) Comme son nom l’indique, la présente affaire ne met pas en cause la frontière terrestre

entre les deux Etats.

73CMC, vol. IV, annexe 169, p. 1014.
74
MP, vol. II, annexe 45, p. 236, art. 3.
75
Ibid., annexe 55.
76MP, vol. III, annexe 87, p. 505, dernier paragraphe.

77RP, par. 15. - 24 -

6. Compte tenu de ces sept propositions simpl es, le Chili peut affirmer sans hésitation

aucune et en toute confiance que c’est sur la fron tière maritime que les deux Etats se sont entendus

en 1952, ce qui sera confirmé par la suite.

7. Il ne nous reste donc plus qu’à écarter les problèmes allégués que le Pérou s’est échiné à

tirer de la borne n 1.

II. Le Chili et le Pérou ont désigné d’un commun accord la borne n 1 o

comme point de référence pour leur frontière maritime

8. Le Pérou affirme que le dernier segment de la frontière terrestre n’a jamais été établi, et

que cette question prétendument irrésolue bat en br èche la position du Chili, au motif que «la terre

78
32 domine la mer» et que les Parties ne pouvaient s’entendre sur une frontière maritime sans s’être

accordées au préalable sur le point auquel la frontière terrestre atteindrait finalement la mer.

9. Mais le problème du Pérou est purement im aginaire. Si vous rec onnaissez la frontière

maritime existante, il ne subsistera aucune question irrésolue, à moins que le Pérou n’ait

l’extravagance de saisir la justice internationale pour un problème si mineur, et à supposer du reste

que celui-ci ne puisse se régler entre bons voisins. Toutefois, quand bien même une question si

triviale devrait finalement être réglée par une in stance compétente dans le cadre d’une procédure

judiciaire internationale, deux issues seraient possibles : à partir de la borne n o 1, soit (hypothèse A)

la frontière terrestre se poursuivrait vers l’ouest en ligne droite jusqu’à la mer, soit (hypothèseB)

elle s’infléchirait vers le sud-ouest sur une très courte distance. Aucune de ces deux hypothèses ne

pose le moindre problème concernant la frontière maritime.

10. S’agissant de l’hypothèse A — la ligne droite vers l’ouest — le Pérou lui-même ne peut

soutenir qu’elle pose la moindre difficulté juri dique ou pratique. Seule l’hypothèseB—selon
o
laquelle la frontière terrestre se pour suivrait à partir de la borne n 1 dans une direction sud-ouest

jusqu’à la mer—conduit au problème allégué par le Pérou. Celui-ci prétend en effet qu’une

frontière maritime ne saurait débuter ailleurs qu’au point précis où la frontière terrestre rencontre la

laisse de basse mer. Il serait selon lui inconcev able que subsiste une parcelle, si minuscule

soit-elle, de «côte sèche» — c’est-à-dire de côte ne générant absolument aucune projection en mer.

78Plateau continental de la mer du Nord (Républiquefédérale d’Allemagne/Danemark; République fédérale
d’Allemagne/Pays-Bas), arrêt, C.I.J. Recueil 1969, p. 51, par. 96, cité dans MP, par. 3.5. - 25 -

Et quand je dis «minuscule», c’est que, à en juger par la laisse de basse mer indiquée sur la carte

marine à grande échelle que le Pérou a soumise en application de la CNUDM , cette «côte sèche»

80
mesurerait environ 46mètres . Le Pérou vous a dit que la frontière maritime —je cite le

compterendu— «[était] sérieusement remis[e] en cause par le fait que la ligne…d[u Chili] ne

commenc[e] pas au point où la frontière terrestre rencontre la mer» 81. Pourtant, depuis1952, les

deux Etats, par le truchement de nombreux gouvernements, présidents, ministres et législateurs, ont

ratifié une multitude de confirmations formelles ; c’est à croire qu’ils se sont complètement

fourvoyés car, nous dit-on, il leur était impossible de le faire.

L1a1. réponse à ce problème supposé est que le Pérou a tort, purement et simplement. La
33

pratique des Etats et les décisions de juridictions internationales confirment qu’il n’existe aucune

obligation, d’ordre juridique ou autre, que les frontiè res terrestre et maritime se rencontrent en un

point de la laisse de basse mer elle-même.

Le Chili et le Pérou connaissaient parfaitement l’emplacement de la borne n o 1

lorsqu’ils l’ont adoptée comme point de référence

12. Pour examiner la pratique des Etats, point n’est besoin d’aller chercher plus loin que dans

la propre pratique du Pérou et du Chili. Comme nous l’avons vu, les Parties ont adopté d’un

commun accord la borne n 1 comme point de référence pour situ er le parallèle correspondant à la

frontière maritime, et savaient à l’évidence pertinemment où se trouvait cette borne par rapport à la

laisse de basse mer. En avril 1968, les représentants des deux Etats présentèrent leur proposition en

vue de signaler le parallèle corr espondant à la frontière maritime sur la base de leurs observations

82
sur les lieux . En août1969, la commission mixte ach eva une nouvelle mission qu’elle avait

conduite sur le terrain pour vérifi er l’emplacement de la bornen o 1 et déterminer celui des deux

83
phares d’alignement . Tout au long de ce processus, auc une préoccupation ne fut exprimée quant

79
CMC, vol.VI, figure24. Aux termes de l’article5 de la convention des NationsUnies sur le droit de la mer
(CNUDM): «Sauf disposition contrair e de la Convention, la ligne de base norma le à partir de laquelle est mesurée la
largeur de la mer territoriale est la laisse de basse mer le long de la côte, telle qu’elle est indiquée sur les cartes marines à
grande échelle reconnues officiellement par l’Etat côtier.»
80
DC, par. 2.179.
81
CR 2012/29, p. 35, par. 2 (Bundy).
82 MP, vol. II, annexe 59, p. 336, deuxième paragraphe.

83 CMC, vol. II, annexe 6, p. 35. - 26 -

o
au fait que la bornen 1 se trouvait quelque peu en retrait des flots. Il ne fut jamais proposé aux

Parties d’utiliser un autre point de référence pour situer le parallèle correspondant à la frontière

maritime.

13. Les représentants avaient évidemment connaissance des travaux de démarcation

effectués en1930. Leur document du 26avril1968 faisait référence à l’acte signé en août1930,

84
qui consignait l’emplacement et les caractéristiques de chaque point . Pour être plus précis: la

commission mixte de 1929-1930 avait suivi les deux séries identiques de directives émises par les

Parties en avril1930 85 et convenu de fixer cette borne frontière (la bornen o1) en un point du

86
«littoral» — l’orilla del mar — désigné par ses coordonnées astronomiques exactes . Etant donné

la récurrence des fortes houles, séismes et tsunamis, et le sol meuble caractérisant la

géomorphologie du bord de mer, la bornen o1 devait être établie à un endroit stable. Que cette

borne fût légèrement éloignée de la laisse de basse mer n’avait aucune importance pour les Parties.

Celles-ci désignèrent les coordonnées de la borne n o1 et aucun autre point plus proche de la mer.

Dans ces mêmes directives d’avril1930, elles confirmèrent également que le point où l’arc
34
87 o
rencontrerait le littoral serait le point de départ de la frontière terrestre . Comme la bornen 1

représentait le point de la frontière terrestre le plus proche de la mer dont les coordonnées avaient

été approuvées par les deux Parties, il était raisonnable d’adopter cette borne frontière comme point

de référence au sens de l’article IV de la déclaration de Santiago, à savoir le point où aboutit en mer

la frontière terrestre88. Les Parties n’ont jamais fait référence à un point situé sur la laisse de basse

mer pour marquer l’emplacement du parallèle corr espondant à la frontière maritime. Pourquoi

l’auraient-elles fait ? La borne n o1 leur offrait le point stable dont elles avaient besoin — et tout ce

dont elles avaient besoin.

14. Jusqu’à ce qu’il prépare la présente affaire, le Pérou ne s’était jamais plaint de ce que la

frontière maritime ne fût rattachée à la frontière terrestre. Sa propre pratique le confirme. Un atlas

84
MP, vol. II, annexe 59, p. 337, avant-dernier paragraphe.
85
MP, vol. III, annexe 87.
86MP, vol. II, annexe 54, p. 309, deuxième paragraphe.

87MP, vol. III, annexe 87, p. 505, troisième paragraphe.

88Ibid., vol. II, annexe 47, p. 261, article IV. - 27 -

89
publié par le bureau du président en 1970 , un rapport établi par l’institut national de la statistique

et de l’information en 2000 90, un annuaire sur les hydrocarbures publié par le ministère de l’énergie

et des mines en 2000 91 et une loi de 2001 définissant les limites administratives de la province la

92 o
plus méridionale de Tacna désignaient systématiquement la bornen 1 comme le point le plus

méridional du territoire terrestre du Pérou ou de s on littoral. En d’autres termes, le Pérou ne

o
détenait pas la moindre parcelle de terrain au sud du parallèle passant par la bornen 1. Tel est

également le point de vue exprimé par certa ins auteurs péruviens. Ainsi, en 1961,

M.WagnerdeReyna, ancien «directeur des fron tières et des études géographiques» au ministère

péruvien des affaires étrangères, indiqua dans sa monographie que la frontière terrestre entre le

Chili et le Pérou prenait fin «à la borne frontiè re (Concordia) qui se situ[ait] en un point de

coordonnées 18° 21' 03" S, le point le plus méridional du Pérou» 93.

IV. Le droit international permet d’utiliser la borne n 1 comme o

point de référence pour définir la frontière maritime

15. La pratique adoptée par le Chili et le Pérou n’est pas unique. Dans

l’affaire Guyana/Suriname, le tribunal constitué en application de la convention des Nations Unies

sur le droit de la mer a accepté le choix par le s parties d’un point fixe situé sur la terre ferme

35 comme point de référence pour le tracé de leur fr ontière maritime. Le Guyana et le Suriname

n’avaient pas convenu du point terminal de leur fron tière terrestre, et le point de référence ne se

trouvait même pas sur le tracé de cette frontière. Le tribunal n’en a pas moins décidé que le point

de départ de la frontière maritime se trouvait à l’inte rsection de la laisse de basse mer et de la ligne

partant du point fixe situé sur la terre dont les de ux Etats avaient convenu qu’elle constituerait leur

frontière maritime 94.

16. D’autres Etats sont également convenus de définir le tracé de leur frontière maritime par

référence à un point sur la terre ferme, et j’en citerai quelques exemples, sans toutefois, c’est

89CMC, vol. IV, annexe 169, p. 1015.
90
Ibid., annexe 186, p. 1136.
91
Ibid., annexe 190, p. 1154.
92Ibid., annexe 191, p. 1157.

93DC, vol. III, annexe 186, p. 1251.

94Guyana/Suriname, sentence arbitrale, Cour permanente d’arbitrage, 17 septembre 2007, par. 308. - 28 -

promis, entrer dans les détails. Les accords pertinents sont accessibles à tous, et des extraits de ces

instruments, ainsi que des croquis représentant les frontières, ont été reproduits sous les

o
onglets n 62 à68 de vos dossiers. Comme vous pou rrez le constater, dans nombre de ces

exemples, le point d’intersection des frontières terrest re et maritime ne se situe pas sur la laisse de

basse mer ou son équivalent dans l’embouchure d’un fleuve. Selon la thèse du Pérou, ces exemples

constitueraient, je suppose, des anomalies ju ridiques invalidant les accords de délimitation

maritime existants, puisque, pour une raison qui m’échappe, les Etats ne seraient pas juridiquement

habilités à conclure de tels traités. En réalité, ces prétendues anomalies n’ont entraîné ni différend

frontalier ni revision du tracé des frontières.

17. Ce point de référence peut n’avoir auc un lien avec la frontière terrestre, comme dans

l’affaire Guyana/Suriname. Un autre exemple concerne le Brésil et l’Uruguay. Comme vous

pouvez le voir sur vos écrans ⎯ onglet n o62 ⎯ la frontière maritime entre les deux Etats suit une

ligne loxodromique tracée à partir d’un phare. La frontière part d’un point où cette ligne entre dans

l’océan Atlantique au niveau de l’embouchure de la rivière Chui 9. Ici, le point de référence

convenu pour déterminer le tracé de la frontière maritime est un phare, qui ne présente aucun lien

96
avec la frontière terrestre . L’exemple suivant concerne la Guinée-Bissau et le Sénégal. Leur

frontière maritime suit une ligne droite partant ⎯je cite les termes de l’accord ⎯ «du point

d’intersection du prolongement de la frontière terrestre et de la laisse de basse mer des deux pays,

représenté à cet effet par le phare du cap Roxo» 9. La diapositive affichée sur vos écrans

o
36 ⎯ onglet n 63 ⎯ représente cette frontière maritime, ainsi que la frontière terrestre qui s’achève

98
au niveau de la dune la plus méridionale du capRoxo . La laisse de basse mer est fluctuante,

Mmes et MM.les juges, tandis qu’un phare reste à sa place. L’emplacement du phare, là encore,

ne présente aucun lien avec la frontière terrestre. Aussi le point d’intersection du prolongement de

95Voir échange de notes constituant un accord relatif à la démarcation défi nitive de l’embouchure de la rivière
Chui et de la frontière maritime latéra le, signé à Montevideo le 21 juillet 1972, RTNU, vol. 1120, p. 133 ; CMC, vol. II,
annexe 7, p. 53, par. 2.

96Voir le protocole du 22avril1853 entre le Brésil et l’Uruguay, cité partiellemen t dans la publication du
département d’Etat des Etats-Unis, International Boundary Series n°170: Brazil-Uruguay (1976), que l’on peut
consulter à l’adresse suivante : http://www.law.fsu.edu/collection/limitsinseas/IBS170.pdf, p. 3.

97Echange de lettres entre la France et le Portugal, 26avril1960, partie citée dans Sentence arbitrale du
31 juillet 1989 (Guinée-Bissau c. Sénégal), arrêt, C.I.J. Recueil 1991, p. 57, par. 12.

98Voir l’article premier de la convention signée le 12ma i1886 par la France et le Portugal portant délimitation
de leurs possessions respectives en Afrique occidentale. - 29 -

la frontière terrestre et de la laisse de basse mer ne coïncide-t-il pas avec celui de la ligne tracée à

partir du phare et de la laisse de basse mer, si bien que ⎯ comme cela apparaît sur la diapositive ⎯

un petit segment de «côte sèche», c’est-à-dire dépourvue de projection maritime, est créé.

18. De nombreux Etats ont également utilisé le point de démarcation de leur frontière

terrestre le plus proche de la mer comme point de départ de leur frontière maritime sans se soucier

du fait qu’il n’était pas sur le rivage. Ainsi, la fr ontière maritime entre la Colombie et le Panama,

99
dans les Caraïbes, part-elle du «point où la fron tière internationale terrestre atteint la mer» , à

o
savoir la borne frontière n 1, au sommet du cap Tiburon, à une altitude de 81 mètres au-dessus du

niveau de la mer 100, comme vous le voyez à l’écran. [Cette diapositive est également reproduite

o
sous l’onglet n 64.] Du côté du Pacifique ⎯ c’est la diapositive suivante ⎯ la frontière maritime

part de la borne frontière n o 14 sur la côte, située à une altitude de 26 mètres 10. L’exemple suivant

concerne la Pologne et l’Allemagne. Leur frontiè re maritime est actuellement affichée à l’écran en

o
rouge ⎯vous trouverez également ce schéma sous l’ongletn 65 de vos dossiers. Elle part d’un

point A sur la terre ferme, qui est son point d’intersection avec la frontière terrestre 102. Vous verrez

également deux balises d’alignement qui indiquent l’orientation de la frontière maritime. Passons à

o
présent au cas de l’Italie et de la Slovénie : comme vous le voyez sur vos écrans ⎯ onglet n 66 ⎯

la frontière maritime entre les deux Etats est définie par une ligne partant de la borne

99Point 1) du paragrapheA de l’article prem ier du traité entre la Républiquedu Panama et la République de
Colombie relatif à la délimitation des zone s marines et sous-marines et à des su jets connexes, signé à Carthagène le

20 novembre 1976, Nations Unies, Recueil des traités, vol. 1074, p. 217.
100Voir l’échange de notes entre les Gouvernements colombien et panaméen comportant un accord relatif à la

délimitation de la frontière entre les de ux pays, en exécution du traité du 20août 1924, signé à Panama le 17juin1938,
Recueil des traités de la Société des Nations, vol. 193, p. 231, p. 245, avant-dernier paragraphe.
101
Point 1) du paragrapheB de l’article prem ier du traité entre la République du Panama et la République de
Colombie relatif à la délimitation des zone s marines et sous-marines et à des su jets connexes, signé à Carthagène le
20 novembre 1976, Nations Unies, Recueil des traités , vol. 1074, p. 217 ; échange de notes entre les Gouvernements
colombien et panaméen comportant un accord relatif à la déli mitation de la frontière entre les deux pays, en exécution du
traité du 20août1924, signé à Panama le 17juin1938, Recueil des traités de la Société des Nations , vol.193, p.231,
p. 245, dernier paragraphe.

102Voir l’article premier du traité entre la République démocratique allemande et la Ré publique populaire de
Pologne relatif à la délimitation des z ones maritimes dans la baie de l’Oder, signé par le 22 mai 1989, Nations Unies,
Recueil des traités , vol. 1547, p. 277 ; article premier et article2 de l’accord entre la République polonaise et la
République démocratique allemande relatif à la délimitation de la frontière d’Etat établie et existante entre la Pologne et

l’Allemagne, signé à Zgorzelec le 6 juillet 1950, Nations Unies, Recueil des traités , vol.319, p.93; acte constatant
l’exécution des travaux de délimitation de la frontière d’Etat entre la Pologne et l’Allemagne, signé à
Francfort-sur-l’Oder le 27 janvier 1951, Nations Unies, Recueil des traités, vol. 319, p. 93. - 30 -

o 103
37 principale n 1, qui est la borne frontière où la frontière terrestre se termine . Autre exemple : la

frontière maritime entre la Jordanie et Israël part du «poteau frontière0 situé sur le rivage» 104et,

comme vous le voyez sur vos écrans ⎯et sous l’onglet n o67 ⎯ les coordonnées de ce poteau

o
frontière0 («BP0» sur vos écrans) sont id entiques à celles de la borne frontièren 000IJ

mentionnée dans l’accord par lequel ces deux pays ont défini le tracé de leur frontière terrestre 105.

19. En résumé, dans ces exemples, la frontière terrestre est définie jusqu’à la borne frontière

la plus proche de la mer, mais pas jusqu’à la laisse de basse mer. Cela entraîne une légère

discontinuité entre cette borne frontière terrestre et la laisse de basse mer. La situation est similaire

à celle d’une «côte sèche», en ce sens qu’il n’existe pas d’accord attribuant, comme le Pérou le

voudrait, chaque grain de sable jusqu’à la laisse de basse mer et la zone maritime correspondante

générée par chacun de ces grains. Pourtant, je ne sache pas qu’il soit né de différend de la situation

que le Pérou qualifie d’inacceptable.

20. Mon dernier exemple illustre une anomalie bien plus im portante. La diapositive qui

o
s’affiche maintenant sur vos écrans ⎯ onglet n 68 ⎯ représente les frontières terrestre et maritime

entre l’Angola et la Namibie. C’ est la même illustration, trois fois. La frontière terrestre est la

ligne tracée à équidistance des deux rives de la rivière Kunene, à partir de son embouchure 10,

tandis que la frontière maritime suit le parallèle de 17°15'de latitude sud à partir du point

103
Voir les annexes I et III du traité entre la Républi que italienne et la République fédérative socialiste de
Yougoslavie pour la délim itation de la frontière pour la partie non indiquée comme telle da ns le traité de paix du
10février1947 (avec annexes, échanges de lettres et acte final), signé à Osimo (Ancona) le 10novembre1975,
Nations Unies, Recueil des traités, vol. 1466, p. 25.

104Paragraphe 1 de l’article premier de l’accord de délimitation maritime entre le Gouvernement de l’Etat d’Israël
et le Gouvernement du Royaume hachémite de Jordanie , signé à Aqaba le 18janvier1996, NationsUnies, Recueil des
traités, vol.2043, p.241; document intitulé «Commission de délimitation de la frontière jordano-israëlienne:
approbation et adoption officielles des coordonnées de la fro ntière maritime internationale dans le Golfe d’Aqaba»

[traduction du Greffe] , signé le 29décembre 1998, Nations Unies, Recueil des traités , vol.2042, p.439, p.449,
section 3.7.
105Voir l’article3 du traité de paix entre l’Etat d’Iaël et le Royaume hachémite de Jordanie (avec annexes,

procès-verbal approuvé et cartes), signé au point de passage Arava/Araba le 26 octobre 1994, Nations Unies, Recueil des
traités, vol. 2042, p. 351 ; document intitulé «Approbation officielle des coordonnées de la frontière internationale par la
Commission de délimitation de la frontière jordano-israëlienne» [traduction du Greffe] , signé le 29décembre1998,
Nations Unies, Recueil des traités, vol. 2042, p. 407, p. 432, section 4.2.1.
106
Voir l’article2 de l’accord entre le Gouvernement de l’Union d’Afrique du Sud et le Gouvernement de la
République du Portugal concernant la frontière entre le territoire sous mandat du sud- ouest africain et l’Angola, signé au
Cap le 22 juin 1926, Recueil des traités de la Société des Nations, vol. 70, p. 305. - 31 -

107
d’intersection de celui-ci et de la ligne de base . Le point terminal de la frontière terrestre change

avec les années, si bien qu’il est inévitable qu’un écart se forme entre celui-ci et le point de départ

fixe de la frontière maritime. Sur les trois croqui s que vous voyez ici, sont représentées différentes

configurations de la rivière observées entre 2004 et 2012. Le tracé des frontières terrestre et

maritime y est également représenté. Le point te rminal de la frontière terrestre s’est déplacé

pendant cette courte période et, dans chaque cas, une côte sèche apparaît dont la longueur varie
38

avec le temps. Pour autant que le Chili sache, ce tte soi-disant anomalie ne vient pas perturber les

accords conclus entre les deux Etats, qui n’abordent même pas ce sujet.

V. Le point 266 unilatéralement déclaré par le Pérou

21. Le dernier problème est l’affirmation du Pérou selon laquelle, étant situé à l’endroit où la

frontière terrestre aurait dû s’achever, le «point 266», dont il a unilatéralement déclaré l’existence,

et qui se trouve légèrement au s ud du parallèle revendiqué par le Ch ili, doit être le point de départ

de la frontière maritime.

108
22. Le Pérou a unilatéralement décl aré l’existence du point266 en 2005 . De son propre

aveu, les coordonnées de ce point «n’ont jamais fait l’objet d’un accord» 10. Le point266 n’est

donc pas opposable au Chili. Au début des audi ences lundi dernier, le Pérou vous a présenté à

plusieurs reprises une carte sur laquelle figure le po int266. Je vous la mont re une nouvelle fois.

o
Elle est également reproduite sous l’onglet n 69. Comme vous pouvez le constater, la source de ce

document ⎯ inscrite en bas à gauche ⎯ est Google. Je ne suis certes pas un expert de l’histoire de

la couverture satellitaire et Internet de l’Amérique latine, mais je ne peux imaginer que les Chiliens

et les Péruviens qui ont établi la frontière terre stre en 1930 aient eu accès à Google. Ce document

est plus récent, mais nous ne disposons d’aucun moyen fiable de savoir à quelle heure du jour ou à

quelle date du mois cette photo a été prise. Le littoral est un environnement fluctuant, en

particulier lorsque le sol est constitué de marécag es sablonneux. On ne peut s’empêcher de se

107
Voir le paragraphe1 de l’articleIII du traité etre le Gouvernement de la République d’Angola et le
Gouvernement de la République de Namibie concernant la délimitation et la démarcation des frontières maritimes entre la
République d’Angola et la République de Namibie [traduction du Greffe] , signé à Luanda le 4juin2002, traduction
anglaise in D. A. Colson et R. W. Smith (éd.), International Maritime Boundaries, vol. V, p. 3719.
108
MP, vol. II, annexe 23, p. 27.
109RP, par. 1.32. - 32 -

demander si le Pérou est vraiment sérieux lorsqu’il présente ce document. Car enfin, l’utilisation

des cartes est régie par certaines règles internationa les. En vertu de l’article 5 de la convention des

NationsUnies sur le droit de la mer, l’Etat est tenu d’utiliser les cartes marines à grande échelle

qu’il a officiellement reconnues pour déterminer la laisse de basse mer de ses côtes, non les images

satellite fournies par Google. Nous avons donc essay é de faire ce que le Pérou aurait dû faire et,

d’après le peu de renseignements que celui-ci a communiqués, nous parvenons à la conclusion que

la point266 ne se situe pas, en réalité, sur la laisse de basse mer. La diapositive actuellement

affichée sur vos écrans illustre la zone frontalière telle qu’elle est représentée sur une carte marine à

grande échelle récemment publiée par le Pér ou. Nous avons déterminé l’emplacement du

point 266 à partir de cette carte, et le voici ⎯ à quelque 180 mètres du mauvais côté de la laisse de

o
basse mer, en pleine mer : onglet n 70.

39
VI. La Cour n’est pas compétente pour statuer sur la frontière terrestre

23. La dernière remarque que je souhaite fair e à propos du point de départ de la frontière

maritime ⎯et, en fait, mes dernières observations ⎯ concerne la compétence de la Cour. Le

Pérou vous invite à déterminer le point de départ de la frontière terrestre qui, selon lui, aurait dû

constituer le point de départ de la frontière maritime 110. Tout d’abord, les Parties ont expressément

convenu de leur frontière maritime et l’ont matérialisée. Mais le Pérou se heurte de surcroît à une

autre difficulté : la Cour n’est pas compétente pour définir ou matérialiser la frontière terrestre des

Parties.

24. Le traité signé à Lima en1929 a établi de façon définitive la frontière terrestre entre le

111
Chili et le Pérou. C’était l’objet de l’article 2 de cet instrument . De surcroît, l’article 3 du traité

de1929 indique précisément comment la frontière convenue doit être déte rminée et matérialisée

112
⎯par une commission mixte composée de membres désignés par les deux Etats . Ce même

article 3 prévoyait également son propre mécanisme de règlement des différends :

«S’il survient quelque différend au sein de la commission, ce différend sera

tranché [notez le caractère impératif de cette disposition] par le vote d’un troisième

110RP, par. 1.15.
111
MP, vol. II, annexe 45, p. 56, art. 2.
112Ibid., p. 56-57, art. 3. - 33 -

membre désigné par le président des Etats-Unis d’Amérique, dont la décision sera
sans appel.» 113

Un mécanisme général de règlement des différends est également prévu à l’article12 du traité, là

encore impératif ⎯ «tranchera» ⎯ dans le cadre duquel les différ ends sont en dernier recours

114
réglés par une personne désignée par le président des Etats-Unis .

25. Dans l’accord du 24 avril 1930 115, puis dans les instructions datées du 22 mai 1930 116, les

Parties ont également établi, à l’époque, les pro cédures techniques à employer pour déterminer le

tracé précis de l’arc frontalier dans la zone côtière et pour placer les bornes frontières sur l’arc, ce

qu’elles firent.

26. Ainsi, la démarcation du point d’intersecti on de l’arc frontalier et de la laisse de basse

mer relève des «questions déjà réglées au moyen d’une entente entre les parties…[et] régies par

40 des accords ou traités en vigueur» visées à l’articleVI du Pacte de Bogotá 117. Il est dès lors

expressément impossible d’invoquer, en application de l’article XXXI du Pacte, la compétence de

la Cour pour connaître d’un différend à cet égard 11, et le Pérou ne peut saisir la Cour d’une

question relative à la délimitation ou à la matérialisation de la frontière terrestre des Parties.

27. Monsieur le président, Mmes et MM.les juges, je vous remercie pour votre patiente

attention. A moins que vous n’ayez besoin de mon assistance sur un point particulier, j’arrive au

terme de mon exposé. C’est M. Petrochilos qui, lorsqu’il vous siéra de l’appeler à la barre, prendra

la parole après moi pour le Chili.

Le PRESIDENT : Je vous remercie, Monsieur Paulsson. L’audience est à présent suspendue

pour vingt minutes. Je donnerai ensuite la parole à Monsieur Petrochilos.

L’audience est suspendue de 11 h 25 à 11 h 45.

113Ibid.
114
Ibid., p. 58-59, art. 12.
115
MP, vol. III, annexe 87.
116RP, vol. II, annexe 50.

117MP, vol. II, annexe 46, p. 62, article VI.

118MP, vol. II, annexe 46, p. 67, article XXXI. - 34 -

Le PRESIDENT: Veuillez-vous asseoir. L’ audience reprend et je donne la parole à

M. Petrochilos.

M. PETROCHILOS :

Autre pratique pertinente des Parties 119

1. Monsieur le président, Mesdames et Messieu rs de la Cour, je vous remercie de bien

vouloir me prêter attention. C’est pour moi un honneur de plaider devant vous en la présente

affaire au nom de la République du Chili. M. Paulsson a exposé les accords que les Parties ont

conclus en 1968 et 1969, «agi[ssant] en conséquence» — je cite les termes employés par la Cour en

l’affaire Libye/Tchad 120— de leur accord frontalier préexistant. Il m’incombe à présent de traiter

des autres manifestations de la pratique des Parties. Il va sans dire que la pertinence juridique de

cette pratique découle du paragraphe3) b) de l’article31 de la conven tion de Vienne sur le droit

des traités.

2. Les deux références que je viens de fair e auront, je l’espère, annoncé l’objet de ma

plaidoirie de ce jour. Nos amis de la Partie adverse ont inlassablement invoqué la doctrine pour

étayer la thèse ou développer l’idée que la pratique ne suffit pas à établir une frontière. Je crains

41 fort que leurs efforts n’aient été vains. D’abord, le Chili ne soutient pas que la pratique des Parties

prouve l’existence entre elles d’accord tacite. Ensu ite, le Chili ne prétend p as que la pratique des

Parties est constitutive d’un droit sur des zones maritimes. Enfin, le Chili ne prétend pas non plus

que la pratique des Parties est une circonstance pe rtinente justifiant que la frontière maritime soit

tracée de novo ou ab initio.

3. Ce que dit le Chili, c’est tout simplement que la pratique des Parties montre que le Pérou

et le Chili considéraient tous les deux qu’une fron tière maritime permanente à vocation générale

avait été établie le long du parallèle géographique. En d’autres termes, la pratique des parties

confirme l’existence et le sens de l’accord de 1952 sur leur frontière maritime.

119
Abréviations: MP=mémoire du Pérou, CMC=co ntre-mémoire du Chili; RP=réplique du Pérou;
DC = duplique du Chili.
120Affaire du Différend territorial (Jamahiriya arabe libyenne/Tchad). - 35 -

A. Résumé de la pratique des Parties

4. La pratique des Parties que je souhaite exposer à la Cour ce matin — ce qui nous occupera

probablement jusqu’au déjeuner— est celle qui r essort de toutes sortes de documents officiels,

dont des lois et règlements des communications officielles entre les ministères des relations

extérieures des Parties, aussi bien que des actes, décisions et publications officiels émanant de

divers organes des Parties, dont voici un échantillonnage.

[Affichage.]

5. Vous voyez maintenant à l’écran un tableau descriptif d’un échantillonnage de ces

o
documents officiels —que vous trouverez aussi sous l’ongletn 72 de votre dossier —. Comme

nos amis du Pérou ne vous ont pas dit en quoi cons istaient ces documents, nous allons prendre le

temps de le faire. Ces documents ont été so it communiqués par le Pérou au Chili, soit émis

conjointement par les deux pays. Le tableau i ndique leur descriptif, leur date, ainsi que les

références sous lesquelles ils figur ent dans les écritures. Les passages-clés sont surlignés à votre

intention. Leurs termes sont clairs. Il est question dans ces documents de :

⎯ navires ayant franchi illégalement «la frontiè re péruvo-chilienne» pour pénétrer «dans les

eaux péruviennes» ;

⎯ violations constantes de «la frontière maritime du Pérou» ;

⎯ franchissements illicites répétés de la «frontière maritime [du Pérou]» ;

⎯ la «ligne frontière» (línea fronteriza) ;

⎯ «la frontière maritime péruvienne» ;

⎯ la «limite de la juridiction [du Chili]», dont le franchissement, selon le Pérou, constituait

une violation des «eaux juridictionnelles péruviennes», un terme qui, selon le Pérou,
121
désigne son domaine maritime s’étendant sur 200 milles marins ;

42 ⎯ il y est question aussi des «limites des eaux juridictionnelles du Pérou».

Mais il y plus. A la page suivante, qui apparaît maintenant à l’écran, vous pouvez lire :

⎯ «parallèle de la frontière maritime partant de la borne n o 1 ;

⎯ «parallèle de la frontière maritime» ;

⎯ encore une fois, «limite de la juridiction» ;

121
Voir RP, par. 24. - 36 -

⎯ ou «limite maritime» (límite maritimo), expression qui figure, comme vous pouvez le voir,

dans plusieurs documents ;

Et, à la page suivante, vous lirez :

⎯ «ligne frontière» ;

⎯ «ligne de démarcation correspondant à la frontière maritime» et, de nouveau,

⎯ «frontière maritime».

6. Selon la jurisprudence de la Cour, ces e xpressions officielles de la reconnaissance de la

122
frontière maritime constituent «la pre uve des vues officielles [du Pérou]» . Celui-ci ne saurait à

présent les renier. Il ne saurait non plus attendre sér ieusement de la Cour qu’elle fasse abstraction

des lettres sans équivoque dans lesquelles ces vues sont exprimées.

7. Un autre fait gênant pour le Pérou est que, dans aucun de ces document officiels

exprimant positions et reconnaissance, il n’est question d’un quelconque arrangement provisoire

concernant la pêche côtière. Il y est en reva nche question d’une «fron tière» maritime ou d’une

«limite» maritime, ou encore d’une «ligne de dé marcation correspondant à la frontière maritime»

⎯ expressions claires et non restrictives.

8. Je sais bien que SirMichaelWood a affirmé le contraire mardi. Il a dit que «des

expressions telles que «ligne frontière maritime» ou «limite maritime» … n’évoqu[ai]ent … pas

une «frontière maritime définitive et à vocati on générale», contrairement à ce que le Chili

123
affirm[ait]», que pareille terminologi e était «imprécise et non technique» , mais il n’a rien

suggéré de mieux. Et, en fait, un peu plus tard, M. Bundy a déclaré que le traité de 1984 entre le

Chili et l’Argentine et l’échange de notes de 2011 en tre le Pérou et l’Equateur étaient des accords

124
de délimitation complets parce qu’ils définissaient expressément des frontières maritimes . Je ne

doute pas que le Pérou nous informera, le moment venu, de la terminologie qu’il préfère pour

désigner des frontières maritimes. En attendant, je relève ⎯ et c’est là un point important ⎯ que,

122Minquiers et Ecréhous (France c.Royaum e–Uni), C.I.J. Recueil 1953, p. 71,confirmée dans Différend

territorial et maritime entre le Nicar agua et le Honduras dans la mer des Cara ïbes (Nicaragua c. Honduras), arrêt,
C.I.J. Recueil 2007, p. 659, par. 257.
123CR 2012/28, p. 40, par. 55 (Wood).

124Ibid., p. 62, par. 31 et suivants. - 37 -

43 dans les documents officiels illustrant l’historique de ses rapports avec l’Equateur, le Pérou n’a pas

une seule fois mis en doute, ni encore moins cont esté, l’emploi d’expressions telles que «frontière

maritime» ou «limite maritime».

9. Non seulement la terminologie employée par le s Parties est claire et non restrictive, mais,

comme nous le verrons, il a été donné effet à la fron tière maritime dans divers domaines qui n’ont

aucun rapport avec les pêcheries, la prospection d’hydrocarbures ou la juridiction sur l’espace

aérien.

10. De fait, Monsieur le président, le Pérou n’a jamais établi de zone de pêche : en revanche,

il a établi, et a toujours, une zone maritime unique de 200milles marins, appelée également

«domaine maritime», qui présente les caractéristiques d’une mer territoriale. Ce qu’avance

maintenant le Pérou quant à une limite qui n’aurait été établie qu’aux fins de la pêche ne tient pas,

vu qu’il n’y a jamais eu de zone de pêche à délimiter.

11. J’ai dit, il y a quelques minutes, que les documents et actes officiels des Parties

attestaient l’existence de la frontière. Cert es, mais l’absence d’évènements est tout aussi

révélatrice. Il n’y a eu aucune tension, liée à des revendications concurrentes ou à des incertitudes

sur l’emplacement de la frontière ; il n’y a pas eu d’affrontement ni d’engagement entre nos forces

navales. Le Pérou n’a jamais exercé aucune juridiction au sud du parallèle constituant la frontière ;

et le Chili n’a jamais exercé aucune juridiction au nord de celui-ci. Depuis des décennies, les

Parties n’ont cessé d’exercer paisiblement, dans un esp rit d’ouverture, leur juridiction de part et

d’autre de cette frontière.

B. Les deux Parties ont reconnu leur frontière maritime lors des négociations
sur l’accès de la Bolivie à la mer

12. Je passe maintenant à des exemples que j’examinerai plus en détail ; le premier de ceux

que je vais vous présenter ce matin a trait au x négociations menées en 1975-1976 en vue

d’accorder à la Bolivie un accès à la mer. En décembre1975, le Chili a soumis une proposition

précise à la Bolivie en vue de l’établissement d’ un couloir terrestre. Cette proposition prévoyait

aussi l’octroi «[d’une] mer territo riale, [d’une] zone économique et [d’un] plateau continental» 125.

125
Voir DC, vol. II, annexe 25, p. 135, par. 4 d). - 38 -

Le Chili a consulté le Pérou, dont l’accord préalab le était requis en matière de cession territoriale

en vertu du protocole relatif au traité de Lima conclu en1929 126. Le Pérou a donc reçu les

127
propositions de la Bolivie et du Chili, et leur en a accusé réception .

44 13. En janvier 1976, le Pérou a pris connaissance de la proposition du Chili 128qui entendait

accorder à la Bolivie «le territoire maritime situé en tre les parallèles tracés à partir des extrémités

du segment de côte qui serait cédé» à la Bolivie 129.

[Affichage.]

o
14. C’est ce que montre le croquis affiché sur votre écran, qui figure aussi sous l’onglet n 73

de votre dossier. La zone maritime de la Bolivie aurait été délimitée, comme je l’ai dit, par deux

parallèles : au nord, la frontière maritime existante entre le Chili et le Pérou, au sud le parallèle qui

aurait constitué la frontière terrestre entre le Chili et la Bolivie après la cession de territoire.

15. Cette proposition a été soumise à une commission péruvienne ad hoc. Celle-ci était

dirigée par le président Bustamante yRivero qui, comme vous le savez, avait co-signé la

proclamation du Pérou sur la zone maritime en 1947 et , après avoir été président de la Cour, était à

la retraire depuis sixans. La proposition du Chili était fort simple, comme vous pouvez le

constater sur le croquis : s’il pouvait offrir un couloi r terrestre et des zones maritimes à la Bolivie,

c’est parce qu’une frontière maritime avait été établie entre lui et le Pérou, qui délimitait

l’ensemble des zones maritimes — je le répète : «[la ] mer territoriale, [la] zone économique et [le]

plateau continental» — et suivait le parallèle indiqué.

16. Le Pérou n’a élevé d’objection sur aucun de ces points, qui re vêtent une importance

capitale en la présente espèce. Lorsque des représentants du Chili et du Pérou se sont rencontrés en

juillet1976, il était entendu de part et d’autre que la frontière maritime entre les deux Etats avait

été établie et que l’accord de1954 relatif à une z one frontière maritime spéciale était applicable

130
entre eux . Sir Michael Wood a déclaré que «le Chili n’a[vait] produit aucun élément prouvant la

réalité des consultations auxquelles il se réf[érait] et qui, à [la] connaissance [du Pérou], n’[avaie]nt

126Voir MP, annexe 45, p. 239, art. 1 ; DC, vol. II, annexe 25, p. 137, par. 4 n).

127Voir DC, vol. II, annexe 26, par. 2.
128
Voir DC, vol. II, annexe 26, p. 141, par. 3.
129Ibid., annexe 25, p. 135, par. 4 d), point 3.

130Ibid., annexe 55, p. 321. - 39 -

131
jamais eu lieu» . Le fait est, Monsieur le président , que le Chili a fourni à la Cour les

procès-verbaux de ces pourparlers avec le Pérou 132, et que le Pérou ne l’a pas fait. A la suite de la

rencontre de juillet1976 entre les Parties, le Pérou a fait une cont re-proposition qui portait

essentiellement sur le couloir terrestre 133. Comme sirMichael Wood vous l’a dit, le Pérou

45 proposait d’en placer la partie côtière sous la souveraineté partagée du Chili, du Pérou et de la

Bolivie, et de soumettre le port chilien d’Arica à l’administration conjointe des trois Etats 134.

17. Voilà à quoi tenait la différence entre la proposition du Pérou et celle du Chili. Le Pérou

n’a pas dit alors qu’il n’existait pas de frontière maritime ; il n’a pas non plus dit que la frontière ne

suivait pas le parallèle; il n’a pas davantage d it qu’il pouvait prétendre à des droits au sud du

parallèle constituant la frontière ; s’il avait eu d es préoccupations sur telle ou telle de ces questions

essentielles, le Pérou aurait naturellement dû les exprimer, ce qu’il n’aurait d’ailleurs pas manqué

de faire. En fait, le Pérou a admis que le Chili — le Chili, et non le Pérou — pouvait accorder à la

Bolivie «[l]a souveraineté exclusive…sur la mer» 13. Si le Pérou considérait —comme il le

prétend maintenant, trente ans après les faits — que le Chili n’avait rien de tel à octroyer, il aurait

certainement répliqué que nul ne sau rait céder ce qu’il ne possède pas— Nemo dat quod non

habet.

18. Je me rends compte que le Pérou a soigne usement évité, mardi, d’ aborder la teneur de

ces négociations. Il a préféré réagir à deux croquis figurant dans la duplique du Chili. L’un d’eux,

qui est reproduit à l’annexe 87 de la duplique, est tiré d’un document publié par le Gouvernement

chilien en1978 concernant les négociations relatives au couloir bolivien. Dans ses écritures, le

Chili n’a pas laissé entendre que ce croquis aurait été ét abli par le Pérou, et le croquis lui-même ne

contient aucune indication en ce sens. Il s’agi ssait en fait de l’illustration, publiée il y a 35 ans par

le Chili, de la contre-proposition du Pérou. A notre connaissance, le Pérou n’a élevé aucune

protestation concernant cette publication officielle , ce qui montre qu’il n’a jamais considéré qu’il

131CR 2012/28, p. 44, par. 70 (Wood).

132DC, vol. II, annexes 26, 54 et 55.
133
Voir ibid. vol. III, annexe 87, p. 537.
134CR 2012/28, p. 45, par. 72 (Wood).

135DC, vol. III, annexe 87, p. 537, par. 4. - 40 -

pourrait y avoir la moindre confusion sur ce croquis. Quant à la figure 72 de la duplique du Chili,

qui a été montrée à la Cour mardi, elle a bien évidemment été établie pour les besoins de notre

cause en la présente espèce.

19. J’en reviens au fond de la question que, co mme je l’ai dit, le Pérou cherche à éluder.

Lors des négociations relatives au couloir bolivie n, le Pérou ne s’est manifestement pas élevé

contre l’idée qu’il appartenait au Chili —je le répète, au Chili et non pas au Pérou— d’accorder

un espace maritime à la Bolivie, et que cet espace maritime serait délimité par deux parallèles.

Comme nous l’avons montré dans notre duplique, voilà comment la situation était généralement

comprise 136.

46
C. Les deux Parties ont reconnu l’existence de leur frontière maritime lors de négociations
sur l’octroi de droits de pêche spéciaux à leurs nationaux

20. Le second exemple de la pratique que je souhaite porter à votre attention est celui des

négociations qui ont eu lieu entre le Chili et le Pérou en vue de permettre aux pêcheurs de chacun

des deux Etats de pêcher au-delà de la frontière maritime. L’accord envisagé se distinguait de celui

de1954 relatif à une zone frontière maritime spécial e, en ce que celui-ci fa isait bénéficier d’une

tolérance les navires naviguant par inadvertance dans la zone tampon établie de part et d’autre du

parallèle constituant la frontière, mais ne les autorisait pas à y pêcher. Lors des négociations, les

deux Parties ont, encore une fois, reconnu l’existen ce de leur frontière. Les négociations ont eu

lieu en 1954-55, puis ont repris en 1961. Je me concentrerai sur celles de 1961.

21. Le Chili proposait d’autoriser les pêcheurs péruviens à opérer dans une zone s’étendant

137
sur 50milles marins au sud de «la frontière entre le Chili et le Pérou» , moyennant réciprocité

pour les pêcheurs chiliens au nord de la frontière. Ce qu’il s’agissait d’établir s’apparentait donc à

un régime de reconnaissance mutuelle, et n’était pas une simple zone de tolérance, comme l’a

laissé entendre le Pérou mardi dernier 138. Le Chili motivait ainsi sa proposition :

136Ibid., vol. V, fig. 73.
137
CMC, vol. III, annexe 72, p. 547, par. 1.
138CR 2012/28, p. 38, par. 47 (Wood). - 41 -

«étant donné que les bancs d’anchois se déplacen t le long de la zone frontalière … les

entreprises de pêche des ports d’Arica [au Chili] et d’Ilo [au Pérou] sont contraintes de
cesser leurs opérations pendant de longues périodes faute de poissons» 139.

Le Gouvernement péruvien a soumis la propositio n à la section nationale péruvienne de la

commission permanente du Pacifique Sud, inst ance permanente composée de hauts responsables

péruviens qui, dans son rapport, s’est ainsi exprimée :

«[I]l est démontré que les déplacement s des bancs de poissons le long de la

ligne frontière affectent les entreprises de pêche industr ielle des ports proches de
celle-ci, notamment ceux d’Ilo et d’Arica, dans une mesure qui dépend de la distance
de la frontière et des espèces de poissons.» 140

22. Ainsi, en 1961, ni l’une ni l’autre des Parties ne faisait référence à l’existence d’une ligne

provisoire de délimitation des zones de pêche. En revanche, elles utilisaient toutes deux les termes

«frontière» et «ligne frontière», désignant une frontière définitive à vocation générale.

23. Le Chili a joint les documents pertinents à son contre-mémoire en mars 2010, à la suite

de quoi le Pérou est demeuré silencieux sur cette question pendant près de trois ans, jusqu’à ce que

sirMichael y consacre trois phrases mardi dernier. Il n’a rien trouvé à dire au sujet du rapport

péruvien et des mentions d’une «frontière» et d’une «ligne frontière» qui y figurent; quant à la
47

proposition du Chili, il a affirmé que bien que celle-c i renvoyât à la «frontière entre le Chili et le

141
Pérou», «il n’[y]était fait aucune mention d’une frontière maritime préexistante» .

24. Mais à quoi donc le Chili se référait-il, sinon à la frontière maritime ? Le Pérou veut-t-il

faire croire que le Chili proposait en réalité d’au toriser la pêche sur une distance de 50milles

marins de part et d’autre de la frontière terrestre ? S’agissait-il de la pêche au crabe ? Ou peut-être

le Pérou veut-t-il dire que le terme «frontière» désignait non pas une frontière existante, mais une

frontière hypothétique ou restant à convenir ?

25. Quoi qu’il ait voulu dire ⎯ et peut-être le découvrirons-nous la semaine prochaine ⎯, on

ne peut manquer de s’interroger sur la raison pour laquelle le Pérou a attendu 52ans avant de

s’élever contre l’emploi du term e «frontière» pour désigner ce que son voisin, depuis le départ,

avait toujours considéré comme tel.

139CMC, vol. III, annexe 72, p. 545, par. 1.
140
Ibid., annexe 120, p. 777, par. 2.
141CR 2012/28, p. 38, par. 49 (Wood). - 42 -

D. L’exercice par les Parties de leur autorité souveraine sur leurs espaces maritimes
respectifs confirme l’existence entre elles d’une frontière maritime

26. J’aborde maintenant la pratique des Par ties concernant les limites des espaces maritimes

dans lesquels chacune exerce son au torité souveraine. Il importe, à cet égard, de souligner que le

Chili et le Pérou ont employé des parallèles pour délimiter les subdivisions des zones relevant de la

compétence de leurs marines respectives. Ce fa isant, ils ont, l’un comme l’autre, respecté le

parallèle constituant la frontière. Des croquis apparaîtront dans un instant à l’écran pour illustrer la

pratique des Parties à cet égard ; je commencerai pa r celle du Pérou. La ve rsion complète de cette

o
figure se trouve sous l’onglet n 74 de votre dossier.

[Affichage.]

27. En 1969, le Pérou a créé, dans sa marine nationale, un corps de garde-côtes chargé de

surveiller les «eaux relevant de la juridiction du Pérou» 14. Les eaux péruviennes ont alors été

divisées en secteurs relevant d’unités locales, comme vous le voyez sur le croquis. Un décret

143
présidentiel de 1987 a délimité chacun de ces secteurs, dénommés, districts maritimes, par deux

parallèles. La marine y exerce de multiples attributions, dont :

i) le contrôle de la circulation et la sécurité de la navigation ;

ii) la sauvegarde des vies humaines ;

48 iii) la lutte contre la pollution ;

iv) la délivrance de permis de construction d’ouvrages temporaires ou permanents en mer ;

144
v) l’autorisation et la supervision des activités de recherche scientifique .

28. Il s’agit d’activités qui sont typiquement celles exercées par les Etats dans leur zone

économique exclusive et sur leur plateau continental 145, et non d’attributions directement et

exclusivement liées à la pêche.

[Affichage.]

29. Le district maritime le plus méridional du Pérou, sur lequel j’a ppelle maintenant votre

attention ⎯ le n o31 ⎯ est représenté à l’écran. Il couvre la zone «s’étendant … entre le parallèle

14MP, vol. II, annexe 14, p. 61, art. 1.
143
DC, vol. III, annexe 90, p. 557-558, art. A-020301.
14DC, vol. III, annexe 90, p. 554-557, art. A-010201 et A-020201.

14CNUDM, art. 56 et 77. - 43 -

situé par 16°25'S…et la limite frontalière, ou límite fronterizo, entre le Pérou et le Chili» 14.

Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, dans le contexte de la définition de

zones de juridiction maritime, le terme de «lim ite frontalière» peut difficilement être qualifié

d’équivoque.

30. M. Bundy a pourtant prétendu le contrair e, en affirmant que la «limite frontalière»

147
désignait la frontière terrestre .

[Affichage.]

Si cela était exact, vous le voyez maintenant à l’écran, la limite supérieure du district

maritime n o 31 du Pérou serait intégralement définie par le parallèle situé par 16°25'S, et ce, sur

une distance de 200 milles. Cependant, au sud, ce di strict serait délimité par un point situé sur la

côte. Quel genre de district maritime serait- ce là? Sur quelles eaux la marine péruvienne

exercerait-elle son contrôle ? Est-il possible qu’e lle l’ignore elle-même et qu’elle n’ait pas besoin

de le savoir ?

31. La lecture qu’avance le Pérou de sa propre législation n’est tout simplement pas crédible.

[Affichage.]

32. Encore qu’il ne soit guère besoin de se reporter à de plus ampl es éléments de preuve,

o
examinons à présent le district maritime le plus septentrional du Pérou, le n 11, qui apparaît sur la

carte, en haut de l’écran. Ce district est défini, dans le décret péruvien de 1987, comme s’étendant

148
«de la frontière maritime avec l’Equateur, au … parallèle situé par 06° 21' S» . Ce nonobstant, le

Pérou soutient devant la Cour que, jusqu’en mai2011, il n’exista it aucune délimitation maritime
49

entre lui et l’Equateur. Que faut-il donc compre ndre? Que la législa tion péruvienne faisait

référence à des frontières maritimes inexistantes ? Qu’elle faisait réfé rence à une délimitation

hypothétique, qui ne serait établie que 24 ans plus tard ?

33. Le fait est, Monsieur le président, qu’en1987, le Pérou a défini ses districts maritimes,

fort correctement, en fonction de ses deux frontièr es maritimes, celle avec l’Equateur au nord, et

celle avec le Chili au sud.

146DC, vol. III., annexe 90, p. 558, art. A-020301 f).
147
CR 2012/28, p. 61-62, par. 29 (Bundy).
148DC, vol. III, annexe 90, p. 557, art. A-020301 a). - 44 -

[Affichage.]

34. J’aborde à présent la pratique du Chili. Au nord, celui-ci utilise également des parallèles

149
pour délimiter ses gouvernorats maritimes ou Gobernaciones . Les attributions qu’y exerce la

marine chilienne sont très comparables à celles de la marine péruvienne de l’autre côté de la

150
frontière . Elles aussi débordent très largement le seul contrôle de la pêche.

[Affichage.]

35. Le gouvernorat maritime chilien d’Arica appa raît en surbrillance à l’écran. Il est limité,

au nord, par la «frontière politique intern ationale entre le Chili et le Pérou» ou límite político

151
internacional . Nous verrons dans un inst ant que ce terme a également été employé dans la

pratique bilatérale du Chili et du Pérou, de mê me que dans celle du Chili et de l’Argentine 152, pour

désigner leurs frontières maritimes.

36. Comme je l’ai dit, il ne s’est jamais produ it, entre les marines des Parties, aucun incident

ayant pour origine des prétentions concurrentes ou des incertitudes concernant la frontière, et je

vais vous expliquer pourquoi.

[Affichage.]

37. Le Chili a produit un croquis tiré des règles d’engagement de sa marine, adoptées dans

les années1990. Ce croquis, qui apparaît maintenant à l’écran, figure également sous

o
l’onglet n 75. J’attire tout d’abord votre attention sur la partie supérieure de la carte. Les eaux

péruviennes y sont désignées comme la «mer territoriale péruvienne» (Mar Territorial Peruano).

A la différence du Chili, le Pérou a un domaine maritime indifférencié de 200milles marins.

Comme vous pouvez le voir, la limite de son espace maritime au sud, sur toute sa largeur, est le
50

parallèle constituant la frontière ; cette limite dépasse même, vers l’ ouest, la limite extérieure de la

ZEE du Chili, également représentée sur la carte. Vous voyez ensuite une zone rectangulaire

hachurée au centre de la carte: il s’agit de la z one tampon établie de part et d’autre du parallèle

149RP, vol. II, annexe 24, p. 187, art. 1.
150
DC, vol. II, annexe 44, p. 237-238, art. 3.
151
RP, vol. II, annexe 24, p. 187, art. 1.
152DC, vol. II, annexe 9, p. 45 ; ibid., annexe 10, pp. 49 et 51 ; ibid., annexe 11, p. 59, par. 2. - 45 -

constituant la frontière maritime; elle est dénommée «zone frontière maritime spéciale»,

désignation qui reprend, bien entendu, la terminologie du titre de l’accord de 1954.

[Affichage.]

Si nous agrandissons maintenant la partie droite de la car te, qui apparaît ici sous forme

d’encadré, nous constatons que la frontière est clairement indiquée comme suivant le parallèle qui

o
part de la borne n 1.

38. Comme je l’ai dit, le Pérou n’a présenté à la Cour aucun document équivalent. Mais

vous avez entendu M.Paulsson nous raconter comment le Diez Canseco, corvette de la marine

péruvienne qui poursuivait un na vire de pêche chilien, s’est arrêté juste avant la «ligne

153
frontière» . Le terme «ligne frontière» n’est pas de moi, il a été employé par le ministre péruvien

des relations extérieures dans la communication qu’ il a adressée au Chili à la suite de cet incident

en 1966. Nous savons donc comment la marine nati onale et le ministère des relations extérieures

du Pérou comprenaient la situation et comment ils l’ont présentée au Chili. Leur position sur la

question était claire, de même que l’expression qu’ils ont employée : «la ligne frontière».

E. Le dispositif institué par le Pérou pour contrôler les navires à l’entrée et
à la sortie de son domaine maritime confirme l’existence de
ses frontières maritimes avec le Chili et l’Equateur

39. J’en viens maintenant au dispositif institu é par le Pérou pour contrôler la circulation

maritime.

40. En 1988, le Pérou a adopté une réglemen tation imposant aux navires une obligation de

signalement. MM.Pellet et Bundy y ont tous deux fait allusion, sans s’y attarder, se contentant

d’indiquer que cette réglementation obligeait l es navires à se signaler pour les besoins des

opérations de recherche et de sauvetage en mer (S AR) ; ils ont cependant précisé que la définition

des zones établies aux fins de ces opérations, ou zones SAR, ne préjugeait en rien des limites

154
maritimes entre Etats . Mes confrères de la Partie adverse n’ont toutefois pas souhaité vous

présenter le texte même de la réglementation ni, du reste, s’étendre sur son application concrète.

C’est ce que je me propose de faire maintenant.

153
CMC, vol. III, annexe 75, p. 561-563, par. 3.
154CR 2012/28, p. 60, par. 25 (Bundy). - 46 -

41. La réglementation péruvienne impose à «tout bateau sous pavillon national ou

155
étranger … qui pénètre dans les eaux péruviennes» , également dénommées «eaux

juridictionnelles» 156, de se signaler lorsqu’il entre dans l’ espace maritime du Pérou et lorsqu’il en

51 157
sort. Il est fait expressément référence au «p arallèle [situé par] 18º 21'de latitude sud» . Ainsi,

c’est bien simple, le Pérou exige que tout navi re, quel qu’en soit le type, se signale lorsqu’il

franchit dans un sens ou dans l’autre, la limite des «eaux péruviennes». Il n’est nullement question

de la zone SAR du Pérou, qui s’étend sur quelque 3000milles marins à partir de la côte. Ce qui

importe ici, c’est que, en fixant cette obligation de signalement à l’entrée et à la sortie de sa zone de

200 milles marins, le Pérou a défini les limites de cel le-ci. Quelles que soient les autres conditions

en vigueur dans sa zone SAR, l’obligation faite aux navires de signaler leur position, s’applique

clairement au domaine maritime du Pérou.

42. On notera, à cet égard, que le nom co mplet du dispositif de signalement (connu sous

l’acronyme SISPER), est, «système d’information en matière de positionnement et de sécurité dans

le domaine maritime péruvien» 15. Il est bel et bien question du «domaine maritime péruvien». Or,

lorsque le Pérou a produit la réglementation SISPER en annexe de sa réplique, le terme «domaine

159
maritime» s’est, en quelque sorte, «perdu» en cours de route . Le Pérou cherche à dissimuler le

fait que sa réglementation mentionne les limites de son domaine maritime. Il a donc, aussi étrange

que cela puisse paraître, supprimé ces deux mots.

43. Par la suite, trois nouvelles versions de la réglementation péruvienne ont été adoptées,

en1991, 1994 et 2001 160. La teneur du texte n’a fondamentalement pas été modifiée, la version

161
de 1991 comportant toutefois un modèle de «p lan de navigation» à soumettre aux autorités . Ce

plan type comporte une section intitulée «Intersectio n avec les parallèles marquant les limites de la

juridiction péruvienne» 162⎯ relevons l’emploi du pluriel, «parallèles» -- et précise les coordonnées

155CMC, vol. IV, annexe 175, p. 1065, section 1.34.

156Ibid., section 1.35.
157
Voir DP, vol. II, annexe 31; RP, par. 4.31. et nbp 385.
158
Ibid., section 1.35.
159Voir, RP, vol. II, annexe 13 ; RP, par. 4.31 et note 385.

160Voir CMC, vol. IV, annexes 178, 180 et 193.

161Ibid., annexe 178, p. 1093, annexe 3).
162
Ibid., section 12. - 47 -

des deux parallèles frontières du Pé rou. Le parallèle méridional qui y est défini est la ligne

constituant la frontière maritime entre le Pérou et le Chili. Rien dans le texte n’indique que ce tracé

serait, à quelque titre que ce soit, provisoire, ni qu’il s’appliquerait uni quement aux bateaux de

pêche péruviens et chiliens.

44. Les textes relatifs au dispositif SISPER comprennent des rapports types destinés à

faciliter le respect de la réglementation. On y trouve un exemple de point d’entrée dans le domaine

maritime du Pérou.

[Affichage.]

Le point d’entrée donné comme exemple dans la ve rsion de1991 est représenté sur la carte qui
52

s’affiche actuellement à l’écran ; il est signalé par un petit triangle à gauche.

45. Le Chili s’est également procuré 68rapports de signalement SISPER présentés

163
entre 2005 et 2010 par des navires marchands battant différents pavillons .

[Affichage.]

Nous avons reporté sur la carte que vous av ez sous les yeux les positions notifiées par ces

navires. Vous pouvez voir les points d’entrée dans le domaine maritime du Pérou à partir du sud,

représentés en violet par les petites flèches orientées vers le nord.

[Affichage.]

Toujours sur la même carte, vous pouvez voir les points de sortie du domaine maritime du

Pérou, marqués en vert. On cons tate que le point fourni à titre d’ exemple dans le rapport type du

Pérou, ainsi que les points d’entrée et de sortie signalés par les navires marchands, sont tous alignés

o
sur le parallèle constituant la frontière. Vous trouverez cette ca rte sous l’onglet n 76 du dossier.

Elle montre également, une fois encore, que la frontière se poursuit vers l’ouest au-delà de la limite

extérieure de la zone de 200milles marins du Chili: le domaine maritime du Pérou est donc

délimité sur toute sa largeur par le parallèle cons tituant la frontière. Mon collègue DavidColson

reviendra sur ce point cet après-midi.

[Affichage.]

163
Ces formulaires ont été rassemblés dans l’annexe 154 de la duplique du Chili, vol. IV. - 48 -

46. En appliquant la même méthode, nous avons reporté sur cette carte les points d’entrée et

de sortie du domaine maritime du Pérou côténord ; ils apparaissent maintenant à l’écran. Le

parallèle constituant la frontière avec l’Equateur ét ant représenté sur la carte, on constate, une fois

encore, l’alignement sur lui des points d’entrée et sortie. Cette carte figure sous l’onglet n 77. Eno

résumé, le Pérou applique systématiquement sa règlementation aux deux «frontières maritimes», ou

«parallèles frontières», qui le séparent, respectivement, de l’Equateur, au nord, et du Chili, au sud.

53
F. La réglementation des Parties en matière de pêche et la reconnaissance, dans son
application, de leur frontière maritime

1. La réglementation de la pêche dans les zones maritimes respectives des Parties

47. J’en viens maintenant, Monsieur le pr ésident, à la pratique du Chili et du Pérou en

164
matière de réglementation de la pêche . Les documents versés au dossier à ce sujet remontent

jusqu’au milieu des années1950, et montrent abondamment que les deux Etats ont marqué par

cette pratique qu’ils reconnaissaient et respectaient la frontière maritime.

48. Il me semble utile de souligner que la pêche est la principale activité économique exercée

dans les eaux se trouvant au voisinage de la frontiè re maritime. Il en résulte que dans ces eaux,

l’exercice de la juridiction souveraine se manifest e avant tout sous la forme du contrôle de la

pêche.

49. Ainsi, le Pérou, dès les années 1950, a in terdit aux navires étrangers n’ayant pas obtenu

un permis spécial de pêcher dans les «eaux juridictionnelles péruviennes» 16, expression qui a été

166 167
remplacée plus tard par «eaux territoriales» , et plus tard encore par «domaine maritime» . Ces

termes désignent une zone où s’exerce la juridiction pleine et entière du Pérou. Ils ne désignent pas

simplement une zone de pêche, et d’ailleurs, comme je l’ai dit, le Pérou n’a jamais eu une telle

zone.

164
Voir CMC, chapitre III.4.B., p. 148-154 ; DC, chapitre III.5.B., p. 107-109.
165
DC, vol. III, annexe 82, art. 1.
166Art. 133 du Règlement relatif aux capitaineries et à la marine marchande, cité dans CMC, vol. III, annexe 74.

167Art.C-070004 du Règlement relatif aux capitaineries etux activités maritimes, fluviales et lacustres, cité
dans CMC, vol. IV, annexes 176 et 177. - 49 -

50. La pratique du Chili en matière de réglemen tation de la pêche est clairement révélatrice

de l’existence de la frontière maritime et de son tracé 168. Permettez-moi de vous en donner deux

exemples, en précisant d’emblée que dans ni l’un ni l’autre cas, le Pérou n’a élevé la moindre

objection :

a) premièrement, le Chili a promulgué en décembre 1986 un arrêté réglementant la pêche dans une

169
zone située au sud du «parallèle constituant la frontière maritime septentrionale» du Chili .

170
b) deuxièmement, les autorités chiliennes, entre1971 et1993 , mais principalement après1980,

ont délivré neuf licences à des entreprises de pêche industrielle pour des activités dans des

secteurs voisins de la frontière. La délivrance de chaque licence a fait l’objet d’un avis publié

au Journal officiel chilien dont il était loisible au Pérou de prendre connaissance. Vous

trouverez dans votre dossier, sous l’onglet n o 78, un tableau où sont résumées les publications

54
pertinentes. Vous pourrez voir que chacune des licences délivrées précisait que la «zone

d’opérations» était limitée au nord par le parallèle passant par la borne frontière n o1 à la

o o
latitude 18 20' S ou 18 21' S.

51. Etant donné que la réglementation de la pêche par chacune des Parties est une

manifestation ⎯une manifestation importante ⎯de l’exercice de ses droits souverains dans sa

zone de 200 milles, elles ont l’une et l’autre traité les activités de pêche non autorisées comme des

violations desdits droits. Ainsi, les autorités chiliennes, au début des années1960 et des

années 1970, ont à maintes reprises engagé les pêcheu rs d’Arica à s’abstenir de pêcher «au nord de

171 172
la ligne frontière» ou «au nord du parallèle constituant la frontière» .

52. De son côté, dans ses communications offi cielles adressées à d’autres Etats pour leur

demander de veiller à ce que leurs nationaux respecten t la frontière, le Pérou a expressément fait

référence à la déclaration de Santiago aussi bien qu’à l’accord de 1954 rela tif à une zone frontière

maritime spéciale. Ainsi :

168
Voir CMC, par. 3.61, 3.64 et 3.66 ; DC, chapitre III.5.G.2., p. 122-123.
169
CMC, vol. III, annexe 134, art. 1.
170Voir DC, vol. II, annexes 53, 59-63 et 65-67.

171CMC, vol. III, annexe 119, par. 3 ; voir aussi ibid., annexe 118, par. 1.

172Ibid., annexe 128, d) du premier paragraphe. - 50 -

a) En 1962, il s’est plaint d’incursions répét ées de navires de pêche chiliens dans les eaux

péruviennes, déclarant ce qui suit: «[p]renant pl einement en compte l’«esprit et la lettre de

l’accord relatif à une zone frontière maritime spéciale»… [le Pérou] prie le Gouvernement

chilien de bien vouloir prendre…des mesures vi sant à mettre fin à ces incursions illicites et

faire savoir aux propriétaires de navires de pêche qu’ils doivent cesser de pêcher au nord de la

173
frontière entre le Pérou et le Chili» .

b) Pour sa part, le Chili s’est plaint en1965 de ce que la présence de navires péruviens dans les

eaux «situées… au sud de la frontière entre le Chili et le Pérou» n’était «pas conforme aux

dispositions de la déclaration [de Santiago]» 174.

Je me permets de m’arrêter un instant au document exprimant cette plainte, parce qu’il est

intéressant à un autre égard. M.Bundy a affirm é que ce n’était que dans les années1990 que le

Chili avait commencé à arrêter des pêcheurs péruviens dans les ea ux situées au-delà de sa mer

175
territoriale . Il a apparemment négligé ce document, que le Pérou a pourtant versé au dossier. La

plainte du Chili concernait la présence de navires péruviens dans les eaux situées à 45milles à

l’ouest d’Arica. Cette plainte date de 1965, et non pas de 1995.

55 53. J’ai commencé par montrer à la Cour qu’en de multiples occasions, des documents

officiels de l’une et l’autre Parties ont fait référence expressément à une frontière maritime ⎯ et

non pas à un arrangement provisoire, à une ligne définie à des fins limitées ou à un système

informel conçu pour éviter les frictions entre pêcheurs.

[Affichage.]

Vous voyez maintenant s’afficher sur votre écran quelques exemples, que vous trouverez

aussi sous l’onglet n 79 de votre dossier. Les docum ents que vous pouvez voir sont des

communications officielles du Pérou datant de la période comprise entre novembre1965 et

septembre1967. Ici, le Pérou se plaint de ce que des navires chiliens pêchent illégalement.

Comme le montre le passage en surbrillance, le Pérou emploie, là encore, l’expression «frontière

173Ibid., annexe 173, avant-dernier paragraphe.
174
MP, vol. III, annexe 68, par. 1 et 2.
175CR 2012/28, p. 57, par. 12 et 13 (Boundy). - 51 -

maritime». Monsieur le président, pour le Chili, ce tte «frontière maritime» n’est pas, et n’a jamais

été, un concept enveloppé de mystère.

2. Les mesures prises par les Parties pour faire respecter la ligne frontière

De surcroît, le Pérou s’est montré très soucie ux de défendre la frontière contre les incursions

de navires privés chiliens, allant même pour ce faire jusqu’à recourir à la force.

54. Cinq incidents sont relatés dans des documen ts officiels. Le premier en date est celui du

Diez Canseco, qui remonte à 1966 ; cette corvette de 220 pieds, dont vous voyez une photographie

176 177
sur votre écran, a tiré 16coups de canon . Les incidents ont cessé 25ans plus tard, en 1990 .

Autre exemple: en septembre1967, la corvette péruvienne Gálvez a poursuivi des chalutiers

chiliens qui avaient violé la frontière. Le minist ère péruvien des relations extérieures a ensuite

émis une protestation officielle. Selon cette prot estation, la marine péruvienne avait poursuivi les

chalutiers jusqu’aux «limites des eaux juridictionnelles péruviennes» [traduction du Greffe] 17. On

ne saurait être plus clair !

55. Les pêcheurs chiliens, s’ils se faisaient prendre, s’exposaient de plus à des poursuites. Le

dossier renferme à cet égard le texte de quatre décisions des autorités péruviennes, dont deux datant

de 1989 et deux de 2000. Selon les deux décisions de 1989, des pêcheurs chiliens ont été arrêtés au

nord de «la ligne frontière de la République du Ch ili, dans les eaux relevant de la juridiction du

179 180
56 Pérou» . Il est question aussi dans les décisions de «la ligne constituant la frontière maritime» .

Encore une fois, on ne saurait être plus clair !

56. Les quatre décisions de 1989 et 2000 reposent toutes sur le même fondement juridique ;

il s’agit d’une règle interdisant aux navires étrang ers de pêcher dans les eaux faisant partie du

«domaine maritime» du Pérou 18. Les quatre décisions font référence aux «eaux relevant de la

176
Voir CMC, vol. III, annexe 75.
177Voir DC, vol.III, annexe92. Voir également l’inci dent mentionné dans CMC, vol. III, annexe 76, par. 9

(13 mai 1966).
178CMC, vol. III, annexe 77.

179CMC, vol. IV, annexe 176, premier paragraphe ; ibid., annexe 177, premier paragraphe.

180Ibid., annexe 176, quatrième paragraphe ; ibid., annexe 177, quatrième paragraphe.
181
Ibid., annexe176, avant-dernier paragraphe; ibid., annexe177, avant-de rnier paragraphe; ibid., annexe187,
sixième paragraphe; ibid., annexe188, sixième paragraphe ; ces passages repren nent le texte de l’articleC-070004 du
Règlement relatif aux capitaineries et aux activités maritimes, fluviales et lacustres ; voir également CMC, par. 3.92. - 52 -

182
juridiction du Pérou» , et il n’y est nullement question d’une zone spéciale ou d’une ligne

spécialement définie pour la pêche.

57. Quelle était donc au juste la ligne fr ontière que, par ces décisions, les autorités

péruviennes entendaient faire respecter ? Les décisions indiquent les coordonnées approximatives

des secteurs en cause ainsi que leur distance appr oximative de la ligne frontière. Ces données sont

figurées sur la carte qui s’affiche maintenant sur votre écran, que vous trouverez aussi sous

o
l’onglet n 82 de votre dossier.

[Affichage.]

Comme le montrent les flèches reliant les point s d’interception à la ligne de la frontière

maritime, la ligne frontière que le Pérou entendait faire respecter était dans tous les cas le parallèle

o
passant par la borne frontière n 1. Un autre aspect mérite d’être signalé : l’interception opérée le

plus à l’ouest par les autorités péruviennes, en un lieu repéré par le pe tit point rouge que vous

voyez à gauche, l’a été à 65 milles du point de départ de la frontière. Je sais bien que nos amis qui

plaident pour le Pérou n’ont jamais précisé ce qu’ils entendaient lorsqu’ils parlaient de frontière

«proche du littoral», mais ils seraient prêts à conveni r, je suppose, qu’un point situé à 65 milles de

la côte n’est pas exactement proche de celle-ci.

58. Au sujet de l’interception par les autor ités chiliennes de navires péruviens au sud du

parallèle constituant la frontière, le dossier renf erme des documents qui portent sur un total de

dix-sept ans : l’année 1984, plus la période de seize ans allant de 1994 à 2009. Les documents dont

il s’agit sont normalement détruits après un certa in temps, et nous avons donc de la chance de

disposer de pièces remontant aussi loin 183.

59. Au cours de ces dix-sept années, le Chili a intercepté plus de 300 navires péruviens dans

les eaux situées au sud du parallèle constituant la frontière, y compris, bien entendu, dans les eaux

que le Pérou revendique maintenant.

[Affichage.]

182 Ibid., annexe176, premier, troisi ème et quatrième paragraphes;ibid., annexe177, premier, troisième et
quatrième paragraphes; ibid., annexe187, premier et second paragraphes; ibid., annexe188, premier et second

paragraphes.
183Les données se trouvent dans CMC, vol. VI, appendice. - 53 -

57 La carte qui s’affiche maintenant sur votre écran, que vous trouverez aussi sous

o
l’onglet n 81, représente une partie de la zone où des interceptions ont eu lieu, partie qui s’étend

jusqu’à environ 80milles au sud de la frontiè re; la carte indique où ont été opérées207

des309interceptions qui ont eu lieu durant la pé riode considérée. Les lieux d’interception sont

représentés par les multiples petits points que vous voy ez en dessous de la ligne rouge qui marque

le parallèle constituant la fron tière. Comme vous pouvez le voir, des navires ont été interceptés

jusqu’à une distance de 180 milles de la côte. En fait, la grande ma jorité des interceptions ont eu

lieu bien au-delà de la mer territoriale de 12 milles du Chili, également figurée sur la carte.

60. Monsieur le président, Mesdames et Messi eurs de la Cour, le Pérou vous dit que les

mesures tendant à faire respecter la frontière ne concernaient que «les es paces maritimes baignant

184
les côtes des Parties» . Mais la réalité est tout autre et, si je puis dire, crève l’écran: c’est sur

toute la largeur de la zone de 200 milles du Chili que la frontière a été défendue.

61. Or, les autorités navales péruviennes, à Ilo, et le consul général du Pérou à Arica, ont été

avisés des interceptions par la marine chilienne . Chaque notificati on indiquait soit le lieu

d’interception, soit la distance séparant le poi nt d’interception de la «frontière politique

internationale», soit encore les deux. La notifi cation la plus ancienne dont nous pouvons consulter

le texte intégral remonte à février 1999. On imag ine mal que le Pérou ait pu se méprendre sur son

sens. On y lit notamment ce qui suit :

«Le navire [péruvien] se trouvait…trois milles à l’intérieur de la mer
territoriale chilienne et en vue des phares péruvien… et chilien… dont l’alignement
o
signale le parallèle passan t par la borne frontière n 185 1, lequel constitue la frontière
politique internationale.» [Traduction du Greffe.]

A la suite de cette notification, le Pérou n’a émis aucune protestation. Il ne s’est pas récrié

qu’aucune frontière maritime n’existait. Il n’a même pas relevé l’emploi de l’expression «frontière

politique internationale».

184
CR 2012/27, p. 19, par. 12 (Wagner).
185Voir CMC, vol. III, annexe 88. - 54 -

3. Coordination entre les autorités navales des Parties

62. Un aspect connexe de la pratique des Parties concerne les activités entreprises en

coopération par les marines des deux Etats pour faire respecter la frontière.

63. En1995, soit assez récemment encore, la ma rine péruvienne et la marine chilienne ont

consigné leur mémorandum d’accord sur la procéd ure à suivre pour escorter jusqu’aux eaux de

l’Etat du pavillon les navires étrangers interceptés alors qu’ils se livraient à la pêche à l’intérieur de

la zone tampon se trouvant de part et d’autre de la frontière. La procédure prévoyait que les

navires seraient escortés jusqu’à une ligne dé nommée, dans le mémorandum d’accord de1995,

«frontière politique internationale» 186: des notifications officielles ultérieures indiquent également

58
que des navires de pêche péruviens interceptés dans les eaux chiliennes ont été escortés jusqu’à la

«frontière politique internationale». Deux au moins de ces notifications ont fait l’objet, de la part

du Pérou, d’un accusé de réception, versé au dossier 187; là encore, le Pérou n’a émis aucune

réserve, et n’a même pas soulevé de questions à propos de la frontière. Les journaux de bord de

navires de la marine chilienne font par ailleurs ét at de cas où des navires de pêche péruviens qu’ils

188
avaient escortés jusqu’à la frontiè re ont été ensuite pris en charge par la marine péruvienne .

Encore une fois, le Pérou n’a pas élevé d’objecti on alors que des navires de la marine chilienne

o
avaient navigué jusqu’au parallèle passant par la borne frontièren 1, c’est-à-dire dans les eaux

dont le Pérou affirme maintenant que, tout bien considéré, elles lui appartiennent.

64. De même, des bâtiments de la marine pé ruvienne ont escorté des navires chiliens surpris

189
du mauvais côté de la frontière ju squ’au «parallèle 18° 21’ 03’’ S» ou jusqu’à la «zone

frontière» 190. On voit ainsi que dans ses propres documents, le Pérou fait indifféremment référence

o
au parallèle passant par la borne n 1 ou à la notion de «zone frontière».

65. Dans sa plaidoirie de mardi pour le Pé rou, M.Bundy s’est abstenu de mentionner

l’accord intervenu en 1995, lequel confirmait clairement l’existence de la frontière entre les Parties,

et n’a pas mentionné non plus les mesures prises en exécution de cet accord. En revanche, il tenait

186Voir ibid., vol. II, annexe 21, annexe «A», III.
187
Voir CMC, vol. III, annexes 96 et 99.
188
Voir ibid., annexe 141; ibid., annexe 152.
189Ibid., annexe 93, par. 2.

190Ibid., annexe 102, par. 1. - 55 -

beaucoup à entretenir la Cour d’un autre événem ent, qui a eu lieu plusieurs années plus tard,

en2003. Il a cité à ce sujet une phrase tir ée d’un document de la marine chilienne 19. Je me

propose de vous exposer maintenant la version complète de ce qui s’est passé.

66. En2002, les marines chilienne et péruvie nne ont entamé des pourparlers sur l’adoption

d’une stratégie commune de lutte cont re les activités illicites menées en mer 19. Le projet de

stratégie commune prévoyait que les deux Etats éch angeraient des communications «aux fins de

l’arraisonnement des bateaux naviguant dans les eaux relevant de leurs juridictions respectives» 193.

En2003, le Pérou a proposé de faire figurer dans le projet clause de sauvegarde selon laquelle le

document serait «sans effet sur les positions resp ectives des deux Etats sur la nature, les limites ou

l’étendue des zones relevant de leur juridiction, ni sur leurs positions au sujet des instruments

194
internationaux traitant de ces questions» .

59 ⎯ La première chose importante que le Pérou a passée sous silence est qu’en avançant cette

proposition, le Pérou manifest ait pour la première fois ⎯ en 2003 ⎯ son souci de réserver sa

position quant à la frontière.

⎯ La seconde chose que le Pérou a omis de me ntionner mardi est que la marine chilienne a

demandé au Pérou de retirer sa proposition de clause de sauvegarde, expliquant que les

questions se rapportant à la frontière internati onale «ne relevaient pas de la compétence»

195
[traduction du Greffe] de la marine, mais de celle du ministère des relations extérieures .

⎯ Le troisième point omis par le Pérou est qu’en 2003 également, la marine péruvienne a tenté

d’écarter certains des accords qu’elle qualifia it elle-même d’«accords en vigueur», dont

196
l’accord de1995 concernant la frontière politique internationale . J’ai ainsi complété le

tableau.

191CR 2012/28, p. 61, par. 27 (Bundy).

192CMC, vol. II, annexe 28.
193
Ibid., par. 3 c).
194
RP, vol. II, annexe 88, par. 5.
195Voir RP, vol. II, annexe 89, par. 1.

196Voir CMC, vol. II, annexe 29, par. C.1. - 56 -

67. Je voudrais maintenant traiter très brièveme nt de trois autres aspects de la pratique des

Parties : premièrement, leurs activités concernant les fonds marins ; deuxièmement, les travaux de

recherche scientifiques portant sur le plateau continental et la colonne d’eau; enfin, la gestion de

l’espace aérien. Je vous promets d’être extrêmement bref.

G. Activités relatives aux fonds marins : les autorisations accordées

par les Parties attestent l’existence de leur frontière maritime

68. La Cour se souviendra que le plateau contin ental, au voisinage de la frontière maritime,

est très étroit. Mais la pratique le concernant confirme l’existence de la frontière maritime.

69. Il y a une dizaine d’années, Telefónica, compagnie de télécommunications, a construit un

réseau à fibres optiques dénommé South America-1, ou en abrégé SAm-1. [Affichage.] Comme

vous le voyez à présent sur votre écran, et également sous l’onglet n o82, il s’agissait d’un projet

ambitieux qui englobait une bonne partie des côtes cen traméricaines et sud-américaines, dans le

197
Pacifique et dans l’Atlantique . [Affichage.] L’encadré en surb rillance montre les points où le

câble atteint la terre sur les côtes du Pérou et du Chili. Ainsi, ces Etats savaient tous deux que le

câble sous-marin franchirait leur frontière.

60 70. Le Pérou soumet la pose de câbles dans son domaine maritime à son autorisation et il a

198
donc, en septembre 2000, dûment approuvé la pose de deux segments du câble SAm-1 . Le

fondement juridique de cette autorisation était un e loi péruvienne relative au «contrôle et à la

199
surveillance des activités maritimes» . Et le Pérou lui-même dit que cette loi vise un «large

éventail d’activités» dans la zone de 200 milles marins sur laquelle celui-ci «revendi[quait] … de[s]
200
droits exclusifs» . Il est donc clair qu’en autorisant la pose de ce câble, le Pérou exerçait ses

droits souverains dans son domaine maritime, et non pas une juridiction limitée aux pêcheries.

[Affichage.]

o
71. La carte qui s’affiche à présent, que vous trouverez aussi sous l’onglet n 83, montre la

partie du segment O du câble SAm-1 dont le Pérou a autorisé la pose. Cette partie est représentée

197
Source : www.fcc.gov/Bureaus/International/Orders/2000/da001826.doc.
198
Voir DC, vol. III, annexe 96, p. 597, par. 1.
199Loi relative au contrôle et à la surveillance des tivités maritimes, fluviales et lacustres, MP, vol.II,
annexe 20.

200MP, par. 3.15. - 57 -

par une ligne violette, et se trouve effectiv ement dans le domaine maritime du Pérou 201. Vous

voyez également, et c’est crucial aux fins de la présente affaire, le point terminal du segment

autorisé par le Pérou : il s’arrête au parallèle 18° 21' 00" S ⎯ c’est-à-dire au parallèle géographique

constituant la frontière maritime.

[Affichage.]

72. La carte représente également, en vert , le prolongement du segmentO ainsi que le

segment suivant du câble, le segmentP. Ces partie s relèvent du plateau continental et de la mer

territoriale chiliens.

73. Le Chili a autorisé les recherches bathymétriques à cet effet en 1999 202, lesquelles ont été

menées en1999 et2000 par deux navires de rech erche. [Affichage.] Comme vous le voyez à

présent à l’écran, l’itinéraire emprunté par la missi on de recherche sur les fonds marins autorisée

par le Chili est représenté par une ligne en poin tillé, qui commence au parallèle constituant la

frontière et se prolonge au sud de celui-ci.

[Affichage.]

61 74. L’autorisation accordée par le Chili pour cette mission de recherche comprenait une carte

que vous pouvez à présent voir sur vos écrans, et sous l’onglet n o84. [Affichage.] Dans l’encadré

agrandi, vous voyez que le parallèle constituant la frontière est représenté par une ligne en pointillé.

Il est clair que la juridiction du Chili s’étend jusqu’à ce parallèle.

75. Donc, Monsieur le président, lorsque mardi dernier, le Pérou a affirmé, non sans audace,
203
«que les activités invoquées par le Chili … n’av aient rien à voir avec le plateau continental» , il

avait totalement tort.

H. Les autorisations accordées par les Parties pour des missions de recherche
scientifique sur le plateau continental et dans la colonne d’eau
attestent l’existence de leur frontière maritime

76. J’en viens aux activités de recherche scientifique marine. Selon la CNUDM, il appartient

aux Etats côtiers d’autoriser de telles recherches, da ns l’exercice de leur juridiction sur leur ZEE et

201Sur la base des cartes de navigation péruviennes et chiliennes.
202
Voir CMC, vol. III, annexe 144, p. 891 ; CMC, par. 3.115 c).
203CR 2012/29, p. 16, par. 63 (Bundy). - 58 -

204
leur plateau continental , et les législations chilienne et péruvienne prévoient qu’une autorisation

205
est nécessaire pour ce type de recherches .

77. La Cour dispose d’éléments de preuve relatifs à douze projets de recherche, qui

o
remontent à 1977 ⎯ vous en trouverez un résumé sous l’onglet n 85 de votre dossier. Les projets

couvrent un large éventail de domaines sans rapport avec les pêcheries, tels que les hydrocarbures,

les sédiments marins, la bathymétrie, la biologie. Les autorisations accordées officiellement par le

206
Chili pour ces projets font explicitement référen ce à la «frontière politique internationale» ou à

207
la «frontière avec le Pérou» . Certaines de ces autorisations précisent, en faisant mention des

coordonnées, que le parallèle passant par la borne n o1 208constitue la limite septentrionale de la

zone de recherche.

[Affichage.]

78. Le schéma composite que vous voyez à présent sur votre écran, et qui figure sous

l’onglet 86, représente les itinéraires ou les secteu rs de quatre des missions de recherche autorisées

par le Chili. Comme vous le voyez, ceux-ci alla ient jusqu’à la frontière, ou à proximité, couvrant

209
la zone maintenant revendiquée par le Pérou . On voit également jusq u’à quelle distance de la
62

côte chilienne le champ de ces missions s’étendait ⎯ce qui réfute une fois de plus la thèse du

Pérou selon laquelle il existait quelque arrangement frontalier ne valant qu’à proximité des côtes.

79. La mission effectuée par le navire de recherche allemand «Sonne», en 2002, constitue un

exemple récent. Il ne s’agissait que d’un seul pa rcours de recherche, passant d’abord par les eaux

chiliennes, puis par les eaux péruviennes. Deux autorisations étaient donc nécessaires ⎯ deux

autorisations pour un seul parcours, et les deux Et ats le savaient. Le Chili a autorisé la mission

210
jusqu’à la «frontière politique internationale» . Quant au Pérou, il n’a pas contesté

l’autorisation accordée par le Chili, ni n’a même réservé sa position.

204
Voir CNUDM, art. 246.
20Voir CMC, vol. III, annexe 131, p. 831, par. 2 (droit chilien) ; ibid., annexe 82, p. 594, par. 1 (droit péruvien).

20Ibid., annexe 147, p. 905, par. 2 ; ibid., annexe 148, p. 909, par. 2 ; ibid., annexe. 156, p. 943, par. 2 a).
207
Ibid., annexe 155, p. 939, par. 1.
208
Voir ibid., annexe 155, p. 939, par. 1 ; ibid., annexe 156, p. 943, par. 2 a).
209
Voir CMC, vol. VI, fig. 31-33 ; DC, vol. V, fig. 79.
21CMC, vol. III, annexe 150, p. 917, par. 2. - 59 -

80. Monsieur le président, Mesdames et Messi eurs de la Cour, voici qui illustre notre

proposde façon plus générale : depuis1952, le Chili n’a pas eu connaissance d’un seul cas où le

Pérou ait prétendu autoriser des activités de rech erche scientifique, quelles qu’elles soient, prévues

dans les eaux ou les fonds marins situés au sud du parallèle constituant la frontière. Les deux

Parties ont respecté la frontière maritime, pour ces activités comme pour toutes les autres.

I. L’espace aérien du Pérou est limité par sa frontière maritime avec le Chili

81. Le dernier aspect de la pratique que je voudrais aborder est l’exercise de la juridiction sur

l’espace aérien. Comme l’ont dit nos amis péruviens, le contrôle de l’espace aérien n’a rien à voir

211
avec les zones FIR (régions d’information de vol) . Même si certains éléments de pratique

relatifs aux FIR ont quelque rapport avec la frontière qui nous interesse, je ne traiterai ce matin que

de l’espace aérien.

82. Depuis1979, conformément à la constituti on péruvienne, le terr itoire national du Pérou

(territorio del Estado ) englobe à la fois le domaine maritime et l’espace aérien surjacent 212.

Pendant toute la période considérée en la présente espèce, le Pérou a revendiqué «la souveraineté

pleine et exclusive» sur son espace aérien 213. Il considère depuis de nombreuses décennies que la

question de la limite méridionale de son espace aé rien est réglée. Ainsi, en 1966, le Pérou «a

214
dénoncé … les incursions illégales» (je cite le document péruvien) dans son espace aérien de

deux aéronefs chiliens au-dessus des eaux péruvienn es. Naturellement, si la frontière n’était

215
qu’une ligne provisoire destinée à «éviter les affrontements entre bateaux de pêche» , ainsi qu’il

63 le soutient maintenant, le Pérou ne se serait p as estimé fondé à protester contre des violations

aériennes de sa frontière maritime.

83. Le Pérou subordonne à une autorisation pr éalable l’«entrée [dans son espace aérien ainsi

que la traversée et la sortie» de celui-ci 216. Pour faire respecter cette règle, ce qu’il fait d’ailleurs

211CR 2012/28, p. 59, par. 21 (Bundy).

212Voir MP, vol. II, annexe 17, p. 72, art. 97 ; CMC, vol. IV, annexe 179, p. 1099, art. 54.
213
CMC, vol. IV, annexe 185, p. 1132, art. 3.
214
Ibid., vol. III, annexe 76, p. 565, par. 1. Voir ibid., par. 2 et 4.
215MP, par. 4.106.

216CMC, vol. IV, annexe 185, p. 1132, art. 21.1. - 60 -

effectivement, le Pérou doit connaître le péri mètre dudit espace. Les demandes d’autorisation

doivent préciser le ou les points où l’aéronef franchira la frontière de l’espace aérien 217.

84. Nous avons versé quatre autorisations au dossier, datant de 2007 et 2008 ⎯ je rappelle

que les documents de ce type ne sont conservés qu’un temps, et qu’il est donc difficile d’en trouver

de plus anciens. Toutes ces autorisations ont ét é établies par l’armée de l’air péruvienne pour des

vols officiels chiliens 218.

[Affichage.]

85. Le schéma que vous voyez à présent sur votre écran, qui figure aussi sous l’onglet87,

représente l’une des quatre routes aériennes autorisées. Comme vous pouvez le voir, cette route est

définie par une série de points de référence ⎯ des points situés sur la frontière péruvienne ou des

codes d’aéroport. La route en question se poursuit jusqu’en Equateur, puis, rentre dans l’espace

aérien péruvien, et en sort par le sud, pour revenir au Chili.

86. Trois observations s’imposent ici.

⎯ Premièrement, par ces quatre autorisations versées au dossier, le Pérou a autorisé « le survol du

219
territoire péruvien» ou «le survol du territoire péruvien par des aéronefs y entrant ou en

sortant» 220: le «territoire péruvien» n’est certainement pas une zone de juridiction limitée aux

pêcheries.

⎯ Deuxièmement, l’espace aérien péruvien comporte deux points d’entrée/ou sortie. Le premier

se trouve au nord, au niveau de la frontière terrestre avec l’Equateur : c’est le point «PAGUR»,

en majuscules et en gras. Au sud, il y a le point d’entrée/de sortie, au-dessus du domaine

o
maritime du Pérou, sur le parallèle passant la bornen 1; ce point a un nom plus musical,

«IREMI». Le pointIREMI est également un po intFIR, mais, et c’est fondamental en la

64 présente espèce, il est aussi un point d’entrée dans l’espace aérien péruvien. Ici, le Pérou a

explicitement autorisé le survol du «territoire péruvi en». Il n’a pas autorisé la traversée de la

FIR de Lima. Simplement, le point IREMI était une abréviation pratique, connue des pilotes et

217Voir CMC, vol. IV, annexe 185, p. 1132, art. 21.1.
218
Voir ibid., vol. III, annexe 158 et ibid., vol. VI, fig. 30.
219Ibid., vol. III, annexe 158, p.958-959.

220Ibid., p. 954-957. - 61 -

des contrôleurs aériens, pour désigner un point s itué sur la frontière sans avoir à en donner les

coordonnées exactes ni d’autres précisions.

⎯ Troisièmement, comme vous le voyez également sur le schéma, le point IREMI se trouve sur la

frontière maritime, à quelque 90 milles à l’ouest de la limite extérieure de la ZEE et du plateau

continental du Chili. M. Colson vous en dira davantage à ce sujet cet après-midi.

87. Pour conclure, ⎯pour conclure cette partie de mon exposé, m’empressé-je de

préciser ⎯ je dirai que le Pérou se fait une certaine idée de son espace aérien. Cet espace est limité

au sud par la frontière maritime. Or, les aéronefs ne vont pourtant pas à la pêche.

88. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, le Pérou soutient haut et clair

qu’une frontière maritime à voca tion générale doit s’entendre d’une frontière qui englobe la mer,

221
les fonds marins, leur sous-sol et l’espace aérien surjacent . Les aspects de la pratique que j’ai

mentionnés (de façon non exhaustive) attestent l’ex ercice de droits concernant l’ensemble de ces

éléments :

⎯ l’exercice de l’autorité souveraine par les marines ;

⎯ le contôle du trafic maritime ;

⎯ la réglementation des pêcheries ;

⎯ l’autorisation de la pose de câbles sous-marins ;

⎯ l’autorisation des travaux de recherche scientifique menés sur la colonne d’eau et le sous-sol ;

⎯ le contrôle de l’espace aérien.

Vous voyez que la pratique satisfait aux critères fixés par le Pérou lui-même.

J. La défense du Pérou

89. Face à tous ces exemples de pratique, comment réagit le Pérou? Il adopte,

essentiellement, deux lignes de défense.

90. La première consiste à r ecourir à un procédé bien connu, l’ ipse dixit. Le Pérou admet,

bien sûr, qu’une limite a longtemps été respectée en mer, et continue d’ailleurs d’être observée à ce

jour ⎯ au vu des faits, il serait bien en peine de le nier. Aussi, choisissant sans doute le moindre

221
Voir RP, par. 4.25. - 62 -

de deux maux, s’emploie-t-il à en diminuer l’importance. D’où la théorie qu’il a échafaudée, et qui

se présente comme suit :

65 ⎯ la ligne serait apparue un beau jour vers 1954, ou avant ⎯ mais le Pérou se refuse à nous dire

222
quand ⎯, et serait la conséquence ⎯et là, je cite ses propres termes ⎯ d’une «pratique

informelle qui n’a été sanctionnée par aucun instrument international» 223 ;

224
⎯ cette ligne aurait été adoptée non par les deux Etats, mais uniquement par les pêcheurs ;

225
⎯ le Pérou aurait néanmoins «supposé» ⎯c’est le terme qu’il emploie ⎯ que, par retenue, il

lui fallait observer cette limite ;

226
⎯ la ligne aurait servi «notamment» au contrôle des activités de pêche , mais aussi à d’autres

fins que le Pérou refuse de préciser ;

⎯ enfin, toujours selon cette thèse, la ligne aura it concerné la mer territoriale et «une zone

227
adjacente (de la haute mer)» ; mais sur l’étendue de cette zone adjacente, le Pérou refuse

encore une fois de nous en dire plus.

Monsieur le président, le Pérou n’a de cesse de décrire ce qui n’est pas, et de nier ce qui est. Sur

quels éléments peut-il fonder cette thèse ô comb ien alambiquée d’un arrangement 1)informel,

2)provisoire, 3)limité aux abords de la côte, 4)concernant essentiellement la pêche, 5)entre

pêcheurs, 6) procédant d’une pratique tacite de rete nue ? Ces attributs ne sont spécifiés nulle part

dans les documents de l’époque qui constituent les moyens de preuves objectifs. Ils sont apparus

seulement ⎯ et pour la première fois ⎯ dans les plaidoiries du Pérou.

91. Voyons maintenant la seconde ligne de défense du Pérou. Elle repose sur la note Bákula,

dont vous avez déjà entendu parler. Il s’agit d’une note rédigée en1986, soit pas moins de

228
trente-quatre ans après la signature de la déclaration de Santiago . Le Pérou y voit «une

affirmation écrite, explicite, san s équivoque…de l’absence de fron tière maritime internationale

222Voir MP, par. 4.105.

223Ibid.
224
Voir ibid., par. 2.31 et 4.105.
225
RP, par. 4.33.
226MP, par. 4.4

227Ibid.

228Ibid., vol. III, annexe 76. - 63 -

convenue entre» lui-même et le Chili 229et, sur la base de cette inte rprétation fort libre, il prétend

230
que la pratique des Parties postérieure à 1986 est sans incidence aucune .

66 92. Ce serait faire bien piètrement justice aux talents diplomatiques de l’ambassadeur Bákula

que de voir dans ce document un te xte explicite et dénué d’équivoque! Il suffira, pour s’en

convaincre, de se reporter à la note elle-même, et nous ne saurions trop encourager la Cour à le

faire. Quant à nous, nous nous bornerons à formuler deux observations.

93. Tout d’abord, selon les termes mêmes de la note ⎯ses termes exprès ⎯, celle-ci

«constitue la première initiative diplomatique du Gouvernement péruvien [à l’adresse du]

Gouvernement chilien» 23. La «première initiative». Autrement dit, si la note Bákula avait marqué

un changement dans la position du Pérou ⎯et nous sommes dans le domaine de la pure

spéculation ⎯, celui-ci aurait trouvé là sa première expression. Or cette note a été rédigée

trente-quatre ans après la déclaration de Santiago, trente-quatre ans au cours desquels les Parties

ont constamment respecté leur frontière maritime, et manifesté l’une à l’autre qu’elles étaient

juridiquement tenues d’agir ainsi.

94. Ensuite, et ce sera l’objet de ma seconde observation, contrairement à ce qu’affirme le

Pérou, il n’y a pas eu de changement de positi on en1986. Pas de revirement, non, mais une

invitation à entamer de nouvelles discussions sur un règlement frontalier. La note Bákula, selon

ses propres termes, était un «message personnel» 232 adressé par M. Wagner, ministre péruvien des

relations extérieures (et aujourd’hui l’éminent agent du Pérou). Un mois plus tard, celui-ci fit à la

presse des déclarations qui furent rapportées dans les deux pays. Ainsi pouvait-on lire dans un

journal chilien :

«[D]ans la déclaration de Santiago…, des règles de délimitation maritime ont

été établies.

Selon ce traité, la délimitation était opérée au moyen de lignes suivant des

parallèles de latitude…

229DP, par. 4.47.

230DP, par. 4.45.
231
MP, vol. III, annexe 76, p. 448.
232Ibid., p. 446. - 64 -

L’utilisation d’un tel pa rallèle, dans le cas du Pér ou et du Chili, permet aux
bateaux chiliens de pêcher à 30 milles marins des côtes du Pérou, ce à quoi il s’agit de
233
remédier, a conclu M. Wagner…»

95. A Lima, la presse rapporta de même les propos suivants: «la délimitation maritime est

une question «incontournable» puisque le système de mesure actuel, fondé sur l’utilisation de

parallèles de latitude, permet aux navires ch iliens de pêcher à 30milles marins du littoral

234
péruvien» . Ces propos ne furent, à notre connaissance, jamais démentis ni rectifiés par le

ministère péruvien des relations extérieures.

67 96. Les choses sont donc claires. Le Pérou souhaitait modifier la frontière établie par la

déclaration de Santiago et il a proposé au Chili d’en discuter. Le Chili n’a pas donné suite, et le

Pérou, pour sa part, n’a pas insisté. Comme l’a écrit un éminent diplomate et ancien ministre

235
péruvien des relations extérieures, la note Bákula resta un «fait isolé» .

97. Et c’est bien ce qu’elle a été ! Treize ans plus tard, en 1999, la commission des relations

extérieures du Parlement péruvien pouvait, dans un rapport, indiquer que la mise en service de

certaines installations à l’usage du Pérou dans le port chilien d’Arica avait mis «fin à tout conflit

pouvant subsister avec les pays voisins [du Pérou]» 236. La formule est éloquente dans sa simplicité.

Et le Pérou a beau plaider aujourd’hui que, «[à] partir de1986, …[il] a cherché à engager des

237
discussions» sur sa frontière avec le Chili , la seule initiative qu’il puisse invoquer, est la

note Bákula de 1986 ⎯ une démarche isolée, restée sans lendemain.

98. D’ailleurs comment se comporte le Pé rou après1986? En multipliant les actes

confirmant l’existence d’une frontière maritime.

⎯ Comme nous l’avons vu, en 1987, le Pérou définit les périmètres de ses districts maritimes en

238
observant la «limite frontalière entre le Pérou et le Chili» ⎯et ce, donc, un an après la

note Bákula.

233DC, vol. III, annexe 141, p. 883.

234Ibid., annexe 142, p. 887.
235
DC, vol. IV, annexe 183, p. 1237.
236
CMC, vol. IV, annexe 183, p. 1123.
237MP, par. 8.7.

238RP, vol. III, annexe 90, p. 558, art. A-020301 f). - 65 -

⎯ Il sanctionne également des ressortissants chiliens ayant pratiqué la pêche dans «ses eaux

juridictionnelles» 239, au nord de la «ligne délimitant la frontière maritime» 240. Nous sommes

en 1989 ⎯ soit trois ans après la note Bákula.

⎯ Il promulgue des réglementations imposant a ux navires étrangers de lui signaler tout

franchissement des limites de s on domaine maritime, réglementa tions qui font référence au

o
«parallèle frontière» passant par la borne-frontière n 1. Nous sommes en 1991, cinq ans après

la note Bákula.

⎯ Et en1995 ⎯neufans, donc, après cette note ⎯ les marines nationales des deux pays

conviennent d’une procédure d’escorter des navir es de pêche interceptés jusqu’à la «frontière

politique internationale» 24.

68 99. Tout aussi révélateur est ce que le Pérou n’a pas fait, face à la pratique constante du

Chili.

⎯ En 1988, le Chili met à jour son Routier officiel pour la navigation côtière : dans cette édition,

comme dans la précédente, datée de1980 ⎯la première à paraître après l’installation de

phares destinés à signaler la frontiè re, dont vous a parlé M.Paulsson ⎯il est de nouveau

o 242
indiqué que «la frontière maritime suit le parallèle passant par la borne-frontièren 1» . La

frontière maritime suit le parallèle passant par la borne frontièren o1. C’est on ne peut plus

clair. Voilà ce qu’on peut lire deux ans après la note Bákula, et pourtant, le Pérou ne réagit

pas.

⎯ En 1992, le Chili publie une carte marine qui re présente sa frontière maritime avec le Pérou le

o 243
long du parallèle passant par la borne n 1 . Le Pérou ne réagit pas. Une autre carte chilienne

figurant cette même frontière est publiée en 1994. Là encore, aucune réaction du Pérou. Une

troisième paraît en1998, et toujours aucune réaction du Pérou. Celui-ci ne réagira

qu’en 2000 244. Le Pérou a pourtant admis avoir eu connaissance de ces cartes, et son éminent

239CMC, vol. IV, annexe 176, p. 1072 ; ibid., annexe 177, p. 1080.

240Ibid.
241
Ibid., vol. II, annexe 21, p. 197-198, annexe A, III.
242
CMC, vol. III, annexe 133, p. 839 ; ibid., annexe 135, p. 847.
243MP, vol. IV, fig. 5.24, 5.25 et 7.3.

244CMC, par. 1.44-1.45. - 66 -

agent l’a confirmé lundi 24. Malgré cela, il ne réagira que huitans ⎯et trois cartes ⎯ plus

tard.

Fait notable, en 2000, le Pérou n’était cependant p as prêt à formuler une revendication sur les eaux

situées au sud du parallèle constituan t la frontière. Il n’était pas prêt à soutenir qu’il n’existait pas

de délimitation convenue entre les Parties. Cette prétention, il ne l’a avancée qu’au mois

246
d’août2007, sous la forme d’un croquis décrivant une portion des eaux chiliennes comme une

«área en controversia», ou «zone en litige» 247. Or, ce que révèle l’ajout inhabituel et strictement

unilatéral de cette mention par le Pérou, c’est au contraire que, jusqu’à cette date, ces eaux

n’étaient pas en litige. C’est donc dans ce cadre, et à ce moment-là ⎯ en 2007 ⎯, que le Pérou a

modifié sa position.

100. Dès lors, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, quelle conclusion

tirer des éléments de preuve objectifs concernant l’interprétation et la mise en Œuvre par les Parties

de la déclaration de Santiago et de l’accord relatif à une zone frontière maritime spéciale de 1954 ?

Cette conclusion ne saurait faire de doute: les Parties étaient bien convenues d’une frontière

maritime à vocation générale en1952, et ont ag i en conséquence pendant des décennies. Et

69 j’ajouterai que tant l’Equateur que la communaut é internationale dans son ensemble partageaient

cette interprétation, comme vous le montrera cet après-midi M.Dupuy. Voilà qui clôt ma

plaidoirie. Je vous remercie de votre patiente attention.

Le PRESIDENT: Merci, MonsieurPetroch ilos. La Cour se réunira de nouveau cet

après-midi de 15heures à 18heures, pour entendre la fin du premier tour de plaidoiries du Chili.

Je vous remercie. L’audience est levée.

L’audience est levée à 12 h 55.

___________

245MP, par. 5.25-5.27. Voir CR 2012/27, p. 20, par. 17 (Wagner).
246
MP, vol. II, annexe 24, p. 120, art. 1 ; ibid., vol. IV, fig. 2.4.
247Ibid., vol. IV, fig. 2.4.

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